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Les études de sécurité

(Security Studies)
Sous-discipline ou champ de bataille ?

Michel Fortmann
Science politique
Plan

1. Définir et situer la sous-discipline


2. Les différentes approches qu’elle propose
3. Les défis des études de sécurité
aujourd’hui
Un champ et de multiples étiquettes
 Études de défense

 Études stratégiques (Strategic studies)

 War studies, Wehrkunde, sciences militaires

 Friedensforschung, Peace Research, irénologie

 Polémologie, Konfliktforschung, Conflict studies

 Sociopolitique des conflits armés


Une étiquette générale et une définition qui en
vaut une autre :

Les études de sécurité, c’est l’analyse des


relations internationales (et transnationales)
lorsqu’elles impliquent l’usage (ou la menace de
l’usage) de la force armée.
Les études de sécurité recouvrent, en particulier,
l’étude des crises, des conflits et des guerres.
Les études de sécurité
 Constituent une partie intégrale de l’étude de la politique
Internationale
 Il s’agit de l’une des deux branches principales des
relations internationales,
 l’une se concentrant sur l’étude de la paix et de la guerre,
 l’autre s’intéressant plutôt à l’étude de la diplomatie multilatérale,
aux organisations internationales, à l’intégration et l’économie
politique, y compris le développement et le commerce
international.
Une façon plus modeste de présenter les choses
1. Théorie des relations internationales
2. Économie politique internationale
(International Political Economy ou IPE )
3. Organisations internationales
4. Analyse des politiques étrangères
5. Études de sécurité ( Security Studies )
L’organisation de la sous-discipline

Les trois approches des études de sécurité


1. Les études stratégiques
2. La polémologie
3. L’irénologie
1. Les études stratégiques (Strategic studies)
Étymologie : la science du général (strategos) ou les sciences au
service du leader politico-militaire.
Postulat de base : la guerre est considérée comme un mal
inévitable, une réalité à laquelle il faut faire face.
Les études stratégiques constituent une « science » pratique (a how
to do it science).
Leur but est de contribuer à gérer de façon rationnelle l’application
de la force militaire, le cas échéant.
Elles examinent, en particulier, la façon dont les leaders politiques et
militaires ont utilisé la force durant l’histoire et les leçons que l’on
peut en tirer.
Les études stratégiques :
un pont entre le politique et les sciences militaires
tactique Politique étrangère
logistique Études
stratégiques
technologie Politique de sécurité

art opérationnel
Politique militaire
renseignement

Décisions
stratégie stratégiques
Le dilemme des études stratégiques : scientifique
ou sycophante ?
 Par définition, le spécialiste en études stratégiques se
place en position de conseiller du Prince.
 Est-il condamné à être une call-girl du pouvoir ?

 Que devient sa vocation scientifique ?

Richard Perle Strobe Talbott


Dear Henry

Thierry de Montbrial
Condie
Les études stratégiques (Strategic studies) :
quelques portraits types
 Les universitaires dévoyés (Brzezinski, Pipes, etc.)

 Les scientifiques de la défense (defense scientists or


analysts)
 Les consultants (Hudson, Rand)

 Les penseurs militaires (Clausewitz, Delbrück, Fuller,


Mahan, Poirier, John Boyd)
 Les analystes critiques : Bernard Brodie, Desmond Ball,
Raymond Aron
 Les experts médiatisés (T.V. professors)
Les études stratégiques :
un champ qui a atteint une maturité certaine
 Des instituts de recherche reconnus : International Institute of
Strategic Studies (IISS), Center for Strategic and International Studies
(CSIS)
 Une communauté universitaire nombreuse et réseautée (dans
certaines régions du monde)
 Des sources de financement relativement abondantes : Carnegie,
MacArthur, SDF
 Des revues reconnues pour leur qualité : International Security,
Security Studies, Survival, Defense Analysis, Intelligence and National
Security, Journal of Strategic Studies
2. La polémologie ou l’étude scientifique des conflits
 Ne se veut pas normative, mais scientifique, sinon positiviste.
 Vise à comprendre la guerre comme un phénomène social et
politique :
 ses causes,
 sa nature et ses dynamismes
 son impact social et économique.
 La polémologie vise à élaborer des théories et à les tester
scientifiquement.
2. La polémologie ou l’étude scientifique des conflits
 D’origine aussi récente que les études stratégiques, la
polémologie a trois axes de développement :
a. l’accumulation des donnée sur les conflits ;
b. la compilation de ce que toutes les disciplines des sciences
sociales ont pu dire sur le thème de la guerre (depuis
l’anthropologie en passant par la biologie, la psychologie, la
sociologie et même la théologie sur les guerres et leur nature) ;
c. la mise au point d’un corpus théorique synthétique concernant les
causes des guerres suivant trois dimensions (causes individuelles,
causes sociopolitiques, causes systémiques).
 À l’heure actuelle, on compte une soixantaine de banques de
données sur les conflits dans le monde.
BANQUES DE DONNÉES RÉCENTES PORTANT SUR LES CONFLITS ET LA VIOLENCE
INTERNATIONALE

Pˇr iode Aire Type de Nombre Seuil de Source


couverte gˇ ographique phˇ nom¸ne dÕincidents violence
couverte ˇ tudiˇ rˇ pertoriˇ s (nbre de
dˇ c¸ s)
Correlates of Jones,
War (COW) 1816-1997 le monde Guerres 4 798 0 Bremer,
interˇ tatiques Singer
(1996)
International
Crisis 1918-1994 le monde crises 895 0 Brecher,
Behavior Wilkenfeld
(1997)

KOSIMO 1945-2003 le monde Conflits au 693 0 Pfetsh,


(Heidelberg) sens large Rohloff
(2000)
Licklider
Civil War 1927-1992 le monde guerres civiles 83 1000 (1995)
Termination
Gantzel,
AKUF 1945-1995 le monde guerres Ń 25 Meyer-
(Kassel) Stamer
(1995)
CIDCM 1946-2003 le monde guerres 1600 0 Gurr et al.
(2001)
State Failure changements Esty et al.
Project 1950-1997 le monde de rˇ gime 1600 0 (1995, 1998)

Minorities at
Risk 1940-2001 le monde conflits 340 0 (Gurr, 1994)
ethniques
Berkovitch et
Mediation 1945-1996 le monde conflits 198 0 Schneider
(2000)
Military
Intervention 1945-1991 le monde interventions 690 0 Till ema
militaires (2000)
La polémologie : un domaine en mutation

 Un champ également reconnu et institutionnalisé,

 qui s’est cependant longtemps confiné à l’étude des


conflits interétatiques,
 qui n’a pas pris la peine de définir son objet de façon
homogène,
 qui a tendance à se confiner aux méthodes quantitatives
(David Singer)
L’organisation de la sous-discipline
3. L’irénologie ou Peace Research
 L’irénologie a également pour objet l’étude des conflits armés,
mais dans le but de les modérer, les prévenir ou les résoudre.
 Postulat : les guerres constituent une pathologie sociale. À
terme, elles devraient donc être éliminées.
 Nous avons donc également ici affaire à une approche
normative du phénomène guerre.
 L’irénologie, en fait, est née du mouvement pacifiste au courant
du 19e siècle.
Les précurseurs de l’irénologie
 Jan de Bloch (1836-1902), financier polonais, magnat du chemin de
fer, lié au ministère des Finances russe.
 C’est sans doute le premier chercheur qui a tenté d’analyser
scientifiquement l’évolution des guerres modernes.
 Il écrit, en 1895, La guerre de l’avenir, une somme en 6 volumes qui
démontre le caractère destructeur de la guerre industrielle.
 De Bloch inspirera au tsar l’idée d’une conférence de la paix, qui
aura lieu, en 1899, à La Haye.
Lewis Fry Richardson (1881-1953)

 Richardson naît dans une famille quaker du Nord de


l’Angleterre.

 Étudie la physique à Cambridge avec J.J. Thomson.

 Sert, en 1916, en France dans une unité d’ambulanciers


des Quakers.

 Devient directeur de l’école de Paisley, en Écosse, à la fin


de la guerre et se tourne vers l’étude des causes des
guerres.

 Durant la Seconde Guerre mondiale, il se consacre


entièrement à la recherche pour la paix.

 Il compile un catalogue de tous les conflits depuis le début


du 19e siècle (Deadly Quarrels).

 Ce n’est qu’en 1960 que ses recherches seront publiées


(Arms and Insecurity et Statistics of Deadly Quarrels).
L’école anglo-scandinave : la Peace Research
 C’est dans les pays scandinaves que l’irénologie ou Peace Research
va véritablement se développer après 1945.
 Johan Galtung fonde, en 1960, à Oslo, l’International Peace
Research Institute (PRIO) qui donnera naissance, en 1964, à la
revue Journal of Peace Research.
 À la même époque, pour commémorer 150 ans de neutralité, la
Suède, sous l’impulsion d’Alva Myrdal, crée, en 1966, ce qui est
encore aujourd’hui une des institutions les plus respectées de la
recherche pour la paix : le Stockholm International Peace Research
Institute ou SIPRI.
 Dans la même ligne, Kenneth Boulding, de l’Université du Michigan,
lance, en 1957, avec A. Rapoport, la revue Journal of Conflict
Resolution.
K. Boulding et son épouse

Elise Bjorn-
Hansen
Boulding

« How do we raise our kids to be peacemakers?" This was


the burning question in our minds. We were a group of
activist young mothers raising kids between the late 1940s
and the mid-1960s. The war was over, but the nuclear
threat did not go away. How to prevent a replay of the past,
and raise a generation that would do thing differently ? »
Elise Boulding
Alva
Myrdal,
prix Nobel
de la paix,
1982

Johan Galtung
L’internationalisation de la Peace Research
 Dans le sillage de la guerre du Vietnam, mais inspirée
également par la peur de l’holocauste nucléaire, l’irénologie va
connaître un essor croissant à partir des années 1970.
 Des dizaines de groupes ou de centres de recherche
universitaires visant la promotion de la paix et la résolution des
conflits vont voir le jour en Europe et en Amérique du Nord
(Allemagne, Finlande, Grande-Bretagne, Canada, etc.).
 Sous l’impulsion de plusieurs universitaires britanniques (John
Burton, Michael Banks), la théorie de la résolution des conflits
(Conflict Resolution) va devenir une des branches les plus
dynamiques de la recherche pour la paix.
L’internationalisation de la Peace Research
 Aujourd’hui, c’est littéralement par centaines que l’on compte
les organisations qui contribuent à l’analyse dans le domaine
de la prévention et de la résolution des conflits (voir Violent
Conflicts: An International Directory, European Platform for Conflict
Prevention and Transformation, édition 1998).
 L’irénologie est probablement la branche la plus interdisciplinaire des
études de sécurité puisqu’elle réunit des juristes, des sociologues,
des anthropologues, des psychologues et des politologues qui
s’intéressent à la modération, à la prévention et à la résolution des
conflits.
 Il faut également mentionner que l’irénologie a dépassé sa phase
militante/gauchisante qui l’a discréditée dans les années 1960.
Les composantes de l’irénologie aujourd’hui
 La modération dans les conflits : le droit des conflits armés (ancien
droit de la guerre)
 La maîtrise des armements et le désarmement (science politique et
sciences en général)
 L’intervention internationale et le maintien de la paix
(multidisciplinaire)
 La prévention et la résolution des conflits (multidisciplinaire)
 La reconstruction des sociétés ravagées par la guerre
(multidisciplinaire)
 Les forces sociales et la paix (sociologie des mouvements
pacifistes)
Les défis de la sous-discipline aujourd’hui
 La perte des repères traditionnels
 Pour les études stratégiques
 La stratégie nucléaire
 Les doctrines de guerre conventionnelle
 Le contrôle des armements
 La centralité de l’Europe et des rapports transatlantiques
 Les concepts et théories liés à la compétition bipolaire
 Pour la polémologie
 La diminution/disparition des conflits interétatiques
 Pour l’irénologie
 L’absence de thèmes mobilisateurs
 L’affaiblissement du mouvement pour la paix
 De nouveaux thèmes
 Les mutations du phénomène guerre
 Les États effondrés (Failed states)
 La dynamique des guerres civiles
 La privatisation de la sécurité
 Les dimensions nouvelles de la sécurité
 Environnement et ressources
 Culture, identité et conflit
 Forces transnationales (drogue, crime, terrorisme)
 Mondialisation et sécurité (les nouveaux rapports entre économie et
sécurité)
 La persistance de certains thèmes traditionnels (mais
sous de nouvelles formes)
 Technologie et révolution militaire
 Le retour de la guérilla et des conflits de basse intensité
 Les nouvelles formes de la maîtrise des armements
 Peut-on vivre avec l’unipolarité ? L’avenir de l’équilibre des
puissances (les réalistes ne sont pas morts)
 Notre défi le plus important : repenser les concepts et les
cadres théoriques en fonction d’un environnement en
mutation qui contient à la fois du nouveau et de l’ancien.

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