You are on page 1of 4

Les inégalités

La diversité des indicateurs nécessaires au repérage des inégalités (patrimoine, salaire, revenu, consommation,
pratiques culturelles, diplôme, réseau relationnel, état de santé, etc.) est telle que l’ambition de construire un lien
scientifiquement établi (et non pas seulement subjectivement) entre inégalités et différenciation sociale semble
démesuré. « La classe sociale ne se réduit pas en effet à un seul indicateur mais se repère par le croisement de tout un
ensemble de dimensions complémentaires » (Chauvel). Pourtant si on associe inégalités et stratification sociale, c’est
tout simplement parce que l’existence de groupes hiérarchisés se voit à travers les inégalités qui les caractérisent.
Des inégalités de revenu et de patrimoine
Si les revenus constituent le coeur des inégalités c’est parce qu’ils « résument » la position sociale. La
distinction s’opère d’abord par les salaires, mais aussi - plus on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de vie -
via les revenus du patrimoine. Impôts et prestations sociales corrigent en partie les écarts, mais ceux-ci restent
considérables. Ils le sont encore plus si l’on s’intéresse au patrimoine lui-même, bien plus inéquitablement
réparti que les revenus.
La distribution des revenus en France est loin d’être égalitaire. Les 10 % les moins bien lotis ne perçoivent que
2 % de la masse totale des revenus et les 10 % les mieux lotis en reçoivent 28 %. Au total, les 4 dixièmes de la
population aux revenus les plus bas ne touchent que 16 % de l’ensemble des revenus. Il s’agit ici de revenus
déclarés au fisc et non des niveaux de vie (revenus disponibles après impôts et prestations sociales). Mais
intégrer les prélèvements ne change pas radicalement la donne. D’après l’Insee, le dixième le moins doté
perçoit alors 3 % de l’ensemble et le dixième le mieux loti 24 %. Il ne prend pas non plus en compte l’ensemble
des revenus du patrimoine, qui s’accroissent quand on s’élève dans la hiérarchie des niveaux de vie.
Pourtant il est incontestable que l’évolution à long terme des inégalités de revenus en France est
caractérisée par une réduction sensible, qui peut être résumée par 4 constatations :
Les inégalités de revenus se réduisent significativement sur la longue période.
Ce mouvement de réduction des inégalités est irrégulier, des phases de réduction des inégalités sont suivies de
phases de creusement des inégalités ».
L’essentiel du mouvement de réduction des inégalités a eu lieu durant la première moitié du XXème siècle.
La réduction des inégalités des revenus est à mettre au crédit de la disparition des très hauts revenus.
Le premier constat fait référence à la « loi de Kuznets » qui comme souvent n’a de loi que le nom puisqu’elle
fortement discutée. Dans un article publié en 1955 à partir de l’analyse de l’évolution historique des inégalités
au cours du processus de développement de deux économies industrielles (Allemagne et Royaume-Uni),
Kuznets a proposé une loi générale qui peut se résumer comme suit : dans les premières étapes du
développement, les inégalités augmentent pour diminuer dans les étapes suivantes.

Il y a en fait deux manières


différentes d’interpréter la liaison
statistique :
-dans la perspective de
Kuznets, c’est l’influence de la croissance économique sur l’évolution des inégalités qui est testée, et le plus
souvent les résultats confirment l’hypothèse,
- l’hypothèse inverse d’une liaison causale allant des inégalités vers la croissance en revanche rarement validée
et elle apparaît extrêmement fragile. Dans les deux cas cependant, les stratégies de développement nationales et
les configurations structurelles et historiques de chaque société conservent une place très large pour déterminer
les évolutions conjointes du revenu et de sa répartition.
Le second constat dépend de l’indicateur d’inégalité retenu. Mais pour un indicateur large, par exemple le
coefficient de Gini on peut montrer que les inégalités de revenu ont fortement diminué entre 1960 et 1980 et
que depuis cette date, les écarts ne se réduisent plus. L’explication proposée est d’ailleurs assez solide pour
emporter la conviction. C’est la lenteur de la croissance des revenus du travail relativement au rythme de
croissance des revenus du patrimoine qui a conduit au blocage du processus de réduction des inégalités. Dans
ces conditions il est normal que les inégalités de patrimoine se soient fortement accrues depuis 1980. Ceux qui
possèdaient un capital important ont bénéficié plus que les autres de ce décalage.
Cela s’explique par deux évolutions :
-d’une part les prix des valeurs mobilières (les actions, les obligations) et ceux des immeubles ont connu une
appréciation forte (par exemple, depuis 1980, le prix du mètre carré dans l’immobilier a progressé 4 à 5 fois
plus vite que le salaire moyen), donc la valorisation du patrimoine augmente rapidement
-d’autre part les revenus tirés du patrimoine ont eux aussi augmenté beaucoup plus vite que les revenus du
travail (les dividendes par exemple).
Le troisième constat, indique que la réduction des inégalités est intervenue principalement avant la seconde
guerre mondiale, et qu’elles sont relativement stables depuis, et cela alors que revenu par ménage a
considérablement augmenté. Il y a donc un contraste saisissant entre l’évolution des inégalités et celle du
revenu comme le montrent les deux graphiques ci-dessous (rapport du CAE et Piketty, L’économie des
inégalités, La découverte, 1997 et 2002).
Enfin le dernier constat est la thèse défendue par Thomas Piketty : la réduction des inégalités est largement explicable
par la baisse de la part des revenus allant aux plus riches principalement sous l’effet de l’existence de l’impôt progressif
sur le revenu. Les rentiers les plus fortunés du début du XXème siècle ne sont pas réapparus à la fin de ce même siècle.
L’explication la plus convaincante pour cette non-reconstitution des rentiers du début du siècle est liée au développement
de la fiscalité progressive (impôt sur le revenu et impôt sur les successions) et à son impact à long terme sur
l’accumulation de patrimoines importants. D’autres types de clivages sociaux

Inégalités devant l’école.


Les classes préparatoires des grandes écoles (CPGE) comprennent 57 % d’enfants issus du haut de l’échelle
sociale, alors que ces catégories ne représentent que 15 % des élèves de 6e. Mais les « prépas » comptent 15 %
d’enfants d’ouvriers et d’employés, qui représentent près de la moitié des élèves de 6ème... La sélection s’opère
dès le plus jeune âge. Les trois-quarts des élèves entrés en « prépa » faisaient partie des 25% d’élèves ayant les
meilleurs résultats en 6e. Au sein de ce quart de « bons élèves » figurent 30% d’enfants de milieu enseignant,
27% d’enfants de milieu dit « supérieur », 10% de professions intermédiaires et seulement 7% de fils d’ouvriers
et employés. Au bout du compte, 20% de l’ensemble des élèves de 6e issus de milieu enseignant, 16% des
catégories supérieures, 4% de milieu intermédiaire et... 1,5% de milieu populaire iront en classes préparatoires.
Les universités françaises n’accueillent qu’une petite minorité des enfants d’employés et d’ouvriers. Ces deux
catégories constituent moins du quart des étudiants, et sont surtout représentées dans les premiers cycles et les
enseignements généraux. En 3ème cycle, la proportion tombe à un huitième (12 %)... Alors qu’au sein de la
population active on compte 60 % d’ouvriers ou d’employés.
À 18 ans, près d’un jeune sur cinq a déjà arrêté ses études. Près de trois enfants d’ouvriers sur 10 contre 5 %
des enfants de cadres ont arrêté leurs études. A l’inverse, 45 % des enfants de cadres sont soit à l’université, soit
en classes préparatoires... Les enfants d’ouvriers et d’employés, qui constituent 60 % des actifs, ne sont que
22 % des étudiants à l’université à 18 ans, et encore moins plus tard.

Inégalités dans la participation à la vie politique et associative.


Moins on a de diplôme, moins on participe aux élections. Après correction des effets d’âge, ceux qui n’ont pas
fait du tout d’études votent à 62 %, contre 80 % pour les diplômés d’études supérieures. Dans le même sens, les
chômeurs et les salariés les plus précaires (en CDD, interim, etc.) ont nettement moins voté aux élections
présidentielles et législatives de 2002 que les personnes en contrat à durée indéterminée. Les ouvriers non
qualifiés et les employés de commerce participent à 63 % des scrutins, contre 80 % pour les agriculteurs
exploitants, professions libérales, cadres de la fonction publique, et professions intellectuelles et artistiques. Ces
personnes s’abstiennent souvent systématiquement : 20 % des non-diplômés, contre 5 % des diplômés du
supérieur.
Les élus d’origine ouvrière ne représentent même que 0,5 % des députés, contre 30 % de la population active !
Les fonctionnaires, les professions libérales et les ingénieurs sont largement sur-représentés. Il est préférable
d’appartenir aux réseaux du pouvoir, de savoir et d’oser s’exprimer en public, notamment (bon niveau de
diplôme et niveau de vie suffisant). Il faut prendre le risque d’un retour sur terre difficile en cas de non-
réélection, dans une période de chômage de masse, ce qui est plus simple pour un fonctionnaire mis en
disponibilité ou un médecin, un avocat....
La participation au mouvement associatif est très nettement liée au niveau de diplôme et au niveau de vie : plus
on s’élève dans la hiérarchie sociale, plus on a d’activités extérieures. Et encore, le taux d’adhésion des non-
diplômés est gonflé par l’adhésion importante de personnes âgées à des clubs du 3e âge. Que ce soit dans les
associations sportives, culturelles ou musicales, les syndicats ou associations de parents d’élèves, le taux
d’adhésion est trois fois plus élevé chez ceux qui disposent d’un niveau supérieur au bac que chez les non-
diplômés.

Inégalités face à la maladie et à la mort.


La proportion de cadres supérieurs qui vont chez le dentiste dans une période donnée est presque deux fois plus
élevée que celle des ouvriers non-qualifiés. Cela s’explique par un suivi médical plus régulier. En matière
d’accès aux soins dentaires, la première condition est de disposer d’une couverture complémentaire de qualité,
or l’inégalité est importante en la matière. En outre, hormis les mutuelles les plus coûteuses, rares sont celles
qui remboursent réellement les prothèses (les « couronnes ») de bonne qualité.
La mise en place de la couverture maladie universelle est un progrès à destination des plus démunis. À 60 ans,
quand les ouvriers peuvent espérer vivre jusqu’à 77 ans, les cadres peuvent compter jusqu’à 82,5 ans. Ces
inégalités se retrouvent en matière de retraites dont les cadres profitent beaucoup plus longtemps, alors même
qu’ils ont souvent commencé à travailler plus tard...

Inégalités entre les hommes et les femmes.


Les femmes exercent de plus en plus souvent des emplois rémunérés, mais ni dans les mêmes secteurs que les
hommes, ni aux mêmes postes. Il semble que le marché du travail s’est organisé, et continue de fonctionner sur
un mode dualiste, reposant sur un préjugé, l’existence de qualités spécifiques aux femmes les destinant à
certains métiers. Cela s’observe parfaitement dans les statistiques de la population active mais aussi dès les
procédures d’orientation scolaire. Les femmes sont sur-représentées dans les professions axées sur la relation à
l’autre ou la communication (elles sont 71,8%, des actifs dans le secteur de l’éducation-santé-action sociale) et
sur des positions hiérarchiques défavorables.
Elles sont aussi plus souvent concernées par le chômage et les formes particulières d’emploi (le temps partiel
subi par exemple).
Pourquoi les femmes sont-elles concentrées dans certaines professions, ou secteurs d’activités ? Comment
expliquer les différences de salaires entre hommes et femmes ?
Les différences de salaire entre hommes et femmes peuvent résulter de multiples facteurs.
Les emplois occupés n’ont pas les mêmes caractéristiques de durée (le temps partiel concerne environ un tiers
des femmes contre à peine 5 % des hommes), de types d’emplois (plus souvent employées, et moins souvent
cadres ou ouvriers), d’affectation sectorielle (plus souvent dans le public que dans le privé alors que les
salmaires sont moins élevés dans le cesteur public).
Les différences entre les caractéristiques individuelles observables (éducation, expérience professionnelle,
interruptions de carrière) contribuent également à l’inégalité des salaires.
Il peut y avoir une discrimination salariale, conduisant à une moindre valorisation de leurs productivité par
rapport aux hommes.
Il est certain que les écarts de salaires entre les hommes et les femmes peuvent s’expliquer en partie par des
raisons structurelles puisque les parcours professionnels (l’expérience), la durée du travail, la probabilité
d’accéder à un emploi ne sont pas identiques pour les hommes et pour les femmes. Il faut donc estimer l’impact
de ces composantes structurelles de l’écart pour connaître l’écart expliqué par la discrimination proprement
dite. Pour la France une étude récente de l’INSEE donne les résultats suivants : « En 1997, pour l’ensemble des
salariés (temps partiel inclus), l’écart salarial estimé est de 27 % en faveur des hommes. Les différences de
durée hebdomadaire de travail jouent un rôle important, puisqu’elles expliquent les deux cinquièmes de cet
écart ; les autres différences structurelles expliquent deux autres cinquièmes ; reste un cinquième
« inexpliqué ». Lorsqu’on restreint l’analyse aux seuls salariés à temps complet, l’écart salarial se réduit à
11 %, mais la part « expliquée » se réduit également, et n’est plus que de la moitié. Au total, parmi les salariés
à temps complet, près de la moitié de l’écart salarial entre hommes et femmes peut s’interpréter en termes de
discrimination salariale ». Un écart de 5 à 6 % c’est à la fois beaucoup et peu. Beaucoup parce que cet écart n’a
aucune justification, peu relativement aux représentations habituelles.
D’un point de vue moral il faut donc condamner le maintien de ces écarts inacceptables mais d’un point de vue
économique ils sont aussi une cause de gaspillage. La discrimination a quatre conséquences évidentes qui sont
toutes des causes d’inéfficacité (de gaspillage) économique.
Des écarts de salaires entre hommes et femmes identiques en productivité conduisent à une mauvaise allocation
des facteurs de production.
La ségrégation entre occupations, certains emplois étant plus volontiers réservés à des femmes d’autres à des
hommes est une autre forme de cette mauvaise allocation.
Le sous-emploi qui se manifeste parce que si les salaires sont trop faibles, des femmes peuvent être découragés
de prospecter un emploi et parce que les employeurs peuvent aussi refuser d’embaucher des individus d’un
certain groupe
Le sous-investissement en capital humain, qui contribue à justifier les comportements discriminatoires sous
l’effet des prophéties auto-réalisatrices.

Les inégalités face au logement

Constat : le droit au logement a mis du temps à être reconnu en France, il a fallu attendre 1990 et la Loi besson pour que
le droit au logement constitue un devoir de solidarité . Mais cela demeure toujours défectueux, comme en témoigne
l’occupation de la rue de la banque à paris au moment de Noël :
Fin 2007, 100 000 personnes n’ont pas de domicile, autant vivent en camping ou dans un mobil home toute
l’année, près de 550 000 vivent dans des meublés, n million de personnes vit dans des logements exigus, fortement
"surpeuplés", selon les normes de l’Insee, et un autre million ne dispose pas du confort de base (salle d’eau, WC,
chauffage). Dans le même temps, il existe 2 millions de logement vacants. Les pouvoirs publics possèdent un droit de
réquisition pour y loger les familles sans toit ( voir la Loi Besson) mais il en est peu fait usage car cela viole le droit de
propriété.
Les années 90 marquent d’ailleurs une rupture dans l’évolution des loyers dont la libération a entraîné une forte hausse :
entre 1990 et 99 , la valeur locative des logements a augmenté de 70 % alors que l’indice des prix ne progressait que de
44 % , ce qui au moment où le chômage augmentait a aggravé les difficultés de logements pour les ménages les plus
pauvres
45% des ouvriers sont propriétaire, 37% des employés, 66% des professions indépendantes

Des inégalités difficiles à cerner et à mesurer


Toutes les différences ne sont pas des inégalités ! Une différence devient une inégalité lorsque certains se
trouvent systématiquement en position de supériorité ou d’infériorité.
Les précautions d’usage dans les comparaisons ont déjà été évoquées il suffit de rappeler qu’il ne faut pas
comparer :
revenu primaire et revenu disponible
revenu brut et revenu net parce que le revenu brut = revenu net + cotisations
le chiffre d’affaires d’une société avec le PIB d’un pays, car le chiffre d’affaires d’une société (dans le PIB les
consommations intermédiaires sont déduites).
Pour certains il y a un phénomène de moyennisation qui se manifeste par la réduction des inégalités dans les
domaines suivants :
les genres de vie caractérisés par la consommation de masse ( taux d’équipement dans les principaux biens
d’équipement ménager voisins de 80-90 %)
l’accès à l’éducation scolaire et universitaire.
Mais cette réduction des inégalités ne fait pas disparaître les hiérarchies :
-si les biens de consommation sont accessibles à presque tous, une hiérarchie subsiste
-si les études sont ouvertes en principe à tous, de fait les classes populaires se retrouvent surtout dans des
filières « dévalorisées » (professionnelles et techniques), tandis que les cadres et professions intellectuelles
supérieures sont surreprésentées dans les filières d’enseignement général plus rentables et prestigieuses.
Par ailleurs les inégalités progressent dans les domaines suivants :
-sur le marché du travail, le marché primaire étant caractérisé par une grande stabilité de l’emploi et de bonnes
rémunérations, tandis que le marché secondaire est lui associé à une assez forte instabilité des emplois et à de
faibles rémunérations ;
-entre les intégrés, qui ont un emploi et un logement, et les exclus du marché du travail autant que de la
consommation de masse ;
-entre les jeunes et les plus âgés, les différences de revenus s’accroissent au détriment des plus jeunes.

You might also like