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REVUE BIBLIQUE
Typographie Fimiin-Didot et C". — Paris.
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NOUVELLE SERIE QUINZIEME ANNEE TOME XY

REVUE BIBLIQUE
PUBLIEE PAR

L'ECOLE PRATIQUE D'ÉTUDES BIBLIQUES

ETABLIE AU COUVENT DOMINICAIN SAINT-ETIENNE DE JÉRUSALEM

PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE
J. GABALDA, ÉDITEUR

RQE BONAPARTE, 90

1918
E>6

X.
.1-]
SAINT AUGUSTIN,
PÉL\GE, ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE
(Ul-417)

Avec la controverse pélagienne s'ouvrent des horizons nouveaux,


non seulement pour la théologie d'Augustin, mais pour son ecclésio-
logie. L'erreur à combattre est nouvelle, subtile, apparentée à la
culture morale rationaliste de la société latine qui s'en va. Elle n'est
le fait ni d'évèques, ni de prêtres, mais de moines, de prétendus
moines, assurera Augustin : à peine née, elle est une forêt (1).

Augustin va se trouver dès le début le protagoniste de la polémique


contre ces nouveaux docteurs, déliés et fuyants, tenaces et consi-
dérés. Mais la discussion ne suffit pas à les réduire. Us sont traduits
devant des conciles, dont l'action est trop mesurée (Carthage ill),
ou confuse (Diospolis il5). Il faut des anathématismes catégoriques;
les conciles de Carthage et de Milève les formulent (il6), mais ils
savent qu'en semblable matière rien de catholique ne se peut faire
sans le Siège apostolique, et ils requièrent le jugement de Rome le :

pape Innocent juge (il7), Augustin prononce son fameux Causa


fînita est.
Tel est le sujet du présent chapitre.

A Julien d'Eclanum, qui lui reprochera d'avoir été pélagien au


début de sa conversion et d'avoir eu ensuite d'autres sentiments,
Augustin répondra qu'il a toujours cru à l'affirmation de saint Paul
[Rom. V, 12) que par un homme le péché est entré dans le monde,
et avec le péché la mort. Voilà, dit Augustin, ce que j'ai cru dès ma
conversion, et ce que je n'ai cessé de croire. On peut, ajoute-t-il, s'en

(t) AuG. De rjestis Pelagii, 61 : « Post veleres haereses, invecta etiam modo haeresis

est, non ab episcopis seu presbyteris vel quibuscumque clericis. sed a quibusdam veluti
monachis,... (quae) conare'ur chiistianae fidei firmanientum evertere. » I/iid. 65
Haec :
<<

sunt quibus haeresis illius dumeta colidie puUulare, irnino iam silvescere dolebamus. »

l
6 REVUE BIBLIQUE.

rapporter aux livres que j'ai écrits à peine converti et encore laïque,
et que j'ai écrits sans connaître la sainte Écriture comme je l'ai con-
nue plus tard on y verra que dès lors, et pour autant que le récla-
:

maient les sujets que je traitais, ^. n'avais d'autre doctrine que


celle que de toute antiquité reçoit et enseigne toute l'Église, « nisi
quod antiquitus discit et docet omnis Ecclesia » (1). On peut prendre
cette déclaration d'Augustin à la lettre.
convient cependant de l'éclairer en rappelant qu'Augustin nous
Il

avertit dans le prologue de ses Rétractations que les lecteurs, qui


liront sesœuvres dans l'ordre chronologique où il les écrivit, décou-
vriront qu'il a fait des progrès à mesure qu'il écrivait. Longtemps
avant les Rétractations (qui sont de 426-427), dès 412, il reconnaît
que dans son De libero arbitrio (qui remonte à la période 388-395) il
se rencontre des assertions qu'il n'essaie pas de défendre : J'avoue,
dit-il, m'efforcer d'être de ceux qui écrivent en progressant et
progressent en écrivant (2).

Le progrès ne consiste pas seulement à pénétrer 'davantage en pro-


fondeur, il consiste aussi à se corriger. Les erreurs d'Augustin ont
tenu à ce qu'il a écrit n'étant encore que catéchumène, et n'ayant
d'autre culture que celle des « disciplines libérales » (3). Il dénonce
le peu de pratique de la sainte Écriture. Puis, il a
qu'il avait alors
controversé d'abord contre les Manichéens et voulu montrer que le
mal est le fait du libre arbitre de notre volonté, et que Dieu n'est
donc pas responsable du mal : qu'on ne s'étonne pas si, dans la dis-
cussion ainsi instituée, il n'a pas été question de la prédestination, ni
de la grâce. pas douteux cependant que les Pélagiens, quand
Il n'est
ils prétendaient que le De libero arbitrio d'Augustin n'avait pas
fait à la grâce sa part, poussaient contre Augustin une pointe diffi-

cile à parer (4).

Augustin a été amené à la question de la grâce par les instances de


quelques-uns de ses amis de Carthage, au cours de l'une des trois
années qui précèdent son ordination épiscopale (396). Interrogé à
Carthage sur l'épître aux Homains : « Je répondis comme je pus »,
dira-t-il plus tard. Ainsi se trouva composée ï Expositio quarumdayn

(1) Contra Iulian. \i. 3'j. O. Rottmanneh, T)er Augus Unis mua (1892), p. (j.

(2) Lpislul. cxi.iii, :! : « Ej^o proinde fateor me ex eonim numéro esse conari, tiui proti-

ciendo scribunt et scribendo |)roliciunt. » Voyez Retract. 1, v, 2; vu, 2; ix, 1.

(3) Retrncl. \, iii. 2 : « Mulluiii Iribui liberalibus disciplinis... »

(4) Augustin s'en explique loyalement, aussi bien à propos du De libero arbitrio que
du De Gen. adv. Mail, et du De diiabus anim. contra Man. Voyez Retract. I, x, 2 et 3;
XV. 2 et a.
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 7

propositionum ex epistida ad Romanos, où pour la première fois


Augustin s'explique sur le péché, sur la grâce coopératrice du libre
arbitre, sur la justification on n'a là que quelques
par la grâce :

traits élémentaires, et loin d'être tous définitifs, mais qui suffisent à


poser la nécessité de la grâce pour le salut, « unde quidem iam ever-
titur haeresis pelagiana », dira un jour Augustin de ce premier
essai (1), encore qu'il se reproche de n'avoir pas dès lors entrevu le
principe de l'élection à la grâce, et d'avoir énoncé à tort que le com-
mencement de la foi est notre œuvre et cette œuvre une cause méri-
toire de la grâce (2). VExposilio a été improvisée Augustin creuse :

le sujet, il consulte les commentaires existants de l'épître aux Ro-


mains et qui ont à ses yeux de l'autorité, il entreprend même un
commentaire de l'épitre aux Romains, puis il y renonce (3).
A peine est-il évêque, il est ramené à l'épitre aux Romains par
Simplicianus, qui vient de succéder sur le siège de Milan à saint Ani-
broise (mort le 4 avril 397). Simplicianus, qui à Milan même (en 387)
a préparé Augustin au baptême, lui écrit maintenant pour lui poser
diverses questions d'exégèse, dont la première et la plus difficile

roule sur l'interprétation de Rotn. vu, 7-25 et ix, 10-29. A Carthage,à


Milan, la question de la grâce était, en quelque sorte, dans l'air.

Les critiques récents ont eu grand'raison de relever l'importance


du De diversis quaestioiiibus ad Simpliciammi comme expression de
la doctrine d'Augustin sur la grâce (4). On y trouve d'abord l'affirma-
tion catégorique de la condition de péché dans laquelle est toute
l'humanité du descend d'Adam « Suht omnes homines
fait qu'elle :

una quaedam massa peccati, suppliciwn debent divinae siimmaeque


lustitiae ». L'affirmation de l'incapacité de l'homme déchu et
pécheur à sortir de sa condition par le seul usage de sa volonté.
Non que ne soit pas libre, car le libre arbitre est laissé
cette volonté
à l'homme, et l'homme peut vouloir, mais il ne peut accomplir ce qu'il
veut, et cela par suite du péché originel il lui reste donc à être :

libéré de cette impuissance par la grâce. L'homme ne commence à

(1) Retract. I, xxm, l.Pour ces traits fondamentaux, voyez Exposit. quar. prop. xiii-

XVIII, XXI, XLIV.

(2) Retract. I, xxiii, 2.

(3) Ibid. XXV « ... ipsius operis magnitudine ac labore delerritus, et in alia faciliora
I, :

detlexus sum. » Voyez du moins son Epistulae ad Rom. inchoata expositio (même période
393-396). Sur Augustin commentateur de saint Paul, R. P. Lagrange, Épître aux Romains
(1916), p. IX.
(4)Reuter, Augustinische Studien, p. 10. Looks, art. « Augustinus » de la Realencykio-
paedie de Hauck, t. II (1897), p. 278-280. Portalié, art. « Augustin » du Dict. de théolo-
gie de Vacant, t. I (1903), p. 2379.
8 REVUE BIBLIQUE.

recevoir la grâce que quand il commence de croire à Dieu. Cette

foi sera un commencement de foi : « Fiunt ergo inchoationes quae-


damfidei, conceptionibus similes », mais cette foi initiale ne sera pas
notre œuvre, elle sera l'œuvre de la miséricorde de Dieu. Par ce der-
nier trait, Augustin corrige la lacune de VExpositio : le commence-
ment de en nous, par quoi s'inaugure en nous l'action de la
la foi

grâce, ne dépend pas de notre volonté ou de notre mérite la foi est ;

une grâce déjà, un don gratuit, une vocation non méritée. On posera
ce principe, et on s'y tiendra fermement, immuablement, qu'en Dieu
il n'y a pas d'iniquité; mais non moins fermement et immuablement
on croira que Dieu a pitié de qui il veut, et qu'en cela même Dieu se
conduit selon une équité impénétrable à laquelle nous ne saurions
appliquer les règles de nos contrats humains. Ceux qui ont faim et
soif de la justice peuvent être en paix, ils seront rassasiés un jour.
La nouveauté principale du De diversis qiiaestionibus ad Sunpli-
cianum est dans cette brèche que fait Augustin à la théorie de la con-
naissance religieuse soutenue par lui jusque-là. Je professais, dira-
t-il plus tard, que la foi par laquelle nous croyons en Dieu (entendez :

à l'autorité divine) n'était pas un don de Dieu, mais était en nous


notre œuvre, « non esse donum Dei, sed a nobis esse in nobis », et que
par nous obtenions les dons de Dieu qui nous font justes je ne
elle :

pensais pas que la foi fût prévenue par la grâce de Dieu, parce que je
n'imaginais pas que la foi fût produite en nous autrement que par la
présentation de la vérité, « credere non possemus si non praecederet
praeconium veritatis ». Nous n'avions donc qu'à consentir à la prédi-
cation de l'Évangile, et ce consentement était de nous, du moins je le
pensais (1). Augustina été ramené de son erreur par la méditation du
texte de saint Paul : Quid habes qiiod non accepisti [I Cor. iv, 7), qui
lui apparu comme l'aftirmation implicite que la foi elle-même est
e.st

un don ce texte apostolique l'a convaincu, alors qu'il pensait tout


:

autrement, et il estime qu'il doit cette lumière à une révélation de


Dieu même (2).

On ne voit pas (jue Simplicianus, à Milan, ait l'ait dilliculté à rece-


voir la doctrine proposée par Augustin (3i. L'opposition vint de
Home, et par Rome il faut entendre Pelage, lequel n'était pas

(1) De praedestinal. sanclorum, 7. (Le De- praedeslinat. dale de 428-429.)


(:») Ibid. 8 ;
<( ... quarii rnihi Deus in li.ir i|uae8tionc solvenda, cum ad episcopum Sim-
plicianuin... scribenun, rcvelavit. »

(3) AuG. Epistul. xxxvu, à Simplicianus.


SAIiNT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE.

romain (1). Originaire de Grande-Bretagne, il avait pérégriné en Orient,


avant de se fixer à Rome du temps du pape Ânastase (398-401) : il
y
demeura jusqu'en klO. on pouvait être moine
Il est traité de moine :

de profession, alors, sans appartenir à un monastère; mais du fait


qu'il était moine, Pelage n'appartenait pas au clergé romain. Il était
fort apprécié à Rome, pour son caractère, pour sa science, comme au
temps du pape Damase c'avait été aussi le cas de saint Jérôme. En
405, on le voit en relation de lettres avec le très orthodoxe évêque de
Noie, saint Paulin (2), Augustin connut d'abord Pelage de réputation
et eut pour lui une affection pareille à celle de Paulin de Noie. Plus
tard, il lui fallut se mettre sur la réserve, ayant été averti que
Pelage disputait contre la grâce de Dieu (3). Il ne put plus douter
qu'il avait en Pelage un adversaire personnel, quand un évêque de
ses collègues l'eut informé qu'à Rome en sa présence Pelage s'était
élevé contre un mot des Confessions : « Da quod iubes et iube qiiod
vis », qui, s'il ne résume pas la doctrine augustinienne de la grâce,
est l'antithèse de la doctrine pélagienne de la volonté. Pelage ne sup-
portait pas que ce mot fût cité devant lui, et à l'évêque qui le citait
répliqua avec plus de chaleur que de respect (4).
Augustin garda le silence. Pelage demeura à Rome, où il était

encore, pense-t-on, au moment de la prise de la ville par i^laric

(24 août 410). Il ne se


traversa Garthage en 411, mais peut-être
souciait-il pas de discuter avec l'évêque d'Hippone. Ge fut seulement
l'année d'après, 412, qu'Augustin eut connaissance du commentaire
de Pelage —
« viri [ut audio) sancti » sur les épitres de saint —
Paul (5), commentaire que l'on a des raisons de penser (6) qu'il avait
composé dès avant 410.
Pelage a suivi Augustin sur le terrain exégétique, les petites notes
que Pelage met en marge du texte sacré lui servent à insinuer dans
l'interprétation de la pensée de saint Paul les thèses qui lui tiennent
à cœur. Nous avons les Expositiones, où il n'est pas difficile de relever

(1) Voyez LooFS, art. « Pelagius und der pelagianische Streit de la Realencykl. de >»

Hauck, t. XV (1904), p. 748-750. Tixeront, Histoire dés dogmes, t. II (1909), p. 436-449.


(2) AuG. De gratia Chrisii, i, 38.

(3) Epislul. cLxxxvi, 1. De gestis Pelag. 46 a Rornae constituti Pelagii nomea curn
:

magna eius laude cognovi postea coepit ad nos fama pervenire quod adversus Dei gra-
:

tiam dispularet. »

(4) De dono persev. 53.


(5) De peccatorum meritis, m, 1.

(fi) Looks, p. 751. Dom de Brlyne, « Étude sur de notre texte latin de saint
les origines
Paul )>, Revue biblique, 1915, p. 358-392, a proposé l'hypothèse que notre Vulgate des épi-
tres paulines serait le texte latin revisé par Pelage et qu'accompagnaient ses Expositiones.
10 REVUE BIBLIQUE.

(particulièrement en marge de l'épitre aux Romains) les traits déjà


définitifsdu radicalisme pélagien : négation de tout péché qui serait
en nous hérité d'Adam; assertion qu'il est manichéen de croire
que le péché puisse être inséré dans notre nature; négation que la
mort naturelle soit une suite du péché d'Adam; notre nature est
telle que, si nous voulons, nous pouvons ne pas pécher; le péché,
imitation de la désobéissance d'Adam, ne peut être pour nous qu'ac-
tuel et personnel; le baptême remet au baptisé ses péchés personnels
passés; le baptisé est justifié sola fîde ; il lui reste à persévérer dans les

bonnes œuvres, car œuvres est une foi morte la grâce,


la foi sans les ;

par opposition à la foi, consiste dans la doctrine et dans l'exemple du


Christ (1). —
Plus brièvement, pas de péché originel, l'homme natu-
rellement capable d'éviter le péché actuel et d'être saint, la grâce
rameoée à n'être que la connaissance du Christ : le paulinisme évacué
en un moralisme de couleur stoïcienne (2).
Ce caractère *rationaliste est plus marqué encore dans Caelestius,
qui a pris rang de disciple de Pelage, bien que Pelage ait affecté
de ne pas se solidariser avec lui, comme on fait d'un disciple compro-
mettant. Caelestius passait, en effet, pour plus libre, plus en dehors,
plus loquace que Pelage : il avait été avocat, et ses partisans admi-
raient son aisance à circuler dans les syllogismes, ce dont saint
Jérôme qui nous l'apprend en prend occasion de le railler, en lui
reprochant par surcroît ses solécisme, mais sans dissimuler qu'il est
le vrai chef du pélagianisme, « iam magister et totius ductor exer-

citus » (3). Caelestius et Pelage se connurent à Rome si peu dis- :

simulée que fût leur doctrine, il ne parait pas qu'elle ait provoque
à Rome de contradiction (4).

La prise de Rome par Alaric dispersa le cercle de Pelage et de ses


amis romains : Pelage et Caelestius passèrent en Afrique. Pelage ne
s'y attarda pas. Caelestius au contraire résolut de se fi.xer à Carthage,
et espéra un instant y être élevé à l'honneur de la prêtrise (5).
La route lui fut barrée par la dénonciation que fit de sa doctrine
un diacre de Milan, Paulinus, qui, après avoir été le familier de saint

(1) Looks, j». 751-754. Sur les travau.v de Souter, voyez P. Laokange, Épilre aux
Calâtes (1018). p. ix-.\.
(2) Celte couleur .stoïcienne est dénoncée par saint Jérôme dans sa lettre à Ctésiphon.
Epislul. CXXXIIL 1 « venena... quae de pliilosophorum et maxime Pythagorae et Zenonis
:

principis Sloïcoruin fonte manarunl. » Cet aspect du pélagianisme n'a pas échappé a
Augustin, Epislul. clxxwi, 37.
(3) HiERONYM. Epislul. cit. 5.

(4) J)e gratta Chrisli, ii, 24.

(5) Epislul. cLvii, 22.


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. U

Ambroise, résidait maintenant en Afrique dans l'entourage d'Au-


gustin il remit à Févêque de Garthage Aurelius une dénonciation
;

en forme {libellus) de la doctrine de Caelestius (1). Le concile de


Carthage qui se tint à l'automne de 411, connut de l'afTaire de
Caelestius. Augustin n'y assistait pas, en consulta les actes igesta) il

plus tard à Carthage (2). Mais nous savons que le diacre Paulinus y
prit part il soutint l'accusation contre Caelestius, qu'il pressa de
:

questions (3). Caelestius se défendit sans grande franchise, essayant


de s'abriter derrière des noms de prêtres recommandables de
l'Église catholique : on voulait qu'il prononça dit leurs noms, il

celui d'un prêtre romain nommé Rufmus (pas Rufm d'Aquilée, mais
tout de même un ami de Pammachius), puis refusa d'en révéler d'au-
tres, qu'il connaissait, assurait-il Audivi et pliires esse. » A en
: <c

croire Caelestius, Rufmus niait carrément le péché originel. Caeles-


tius, quant à lui, avouait seulement en douter : « Dixi de traduce
peccati dubium me esse. » jLa question, à l'en croire encore, était une
question librement débattue dans la Catholica, une controverse dans
laquelle la foi catholique n'était pas engagée :

Caelestius dixit : lam de traduce peccati dixi, quia iutra Catholicam consti-
tutos plures audivi destruere necaon et alios astruere : licet quaeslioDis res sit ista,

non haeresis.

L'argument capital de Paulinus, pour montrer que la question


était tranchée de temps immémorial dans la Catholica et par la
Catholica, consistait à invoquer l'usage du baptême des petits enfants.
L'évêque Aurelius demanda à Caelestius La condition des petits :

enfants à baptiser est-elle aujourd'hui la même que si Adam n'avait


pas péché, ou contractent-ils en naissant la coulpe du péché d'Adam?
Caelestius crut se tirer de ce dilemme en répondant qu'il avait tou-
jours professé que les petits enfants doivent être baptisés, ce qui
était une réticence. Le concile de Carthage ne put obtenir qu'il
réprouvât les erreurs qu'on lui reprochait. Prononcer une sentence
d'excommunication contre lui était une extrémité devant laquelle le
concile recula. L'hérétique quitta l'Afrique sans s'être rétracté, plus
irrité que soumis, « magis convictiis et ah Ecclesia detestatus quant
correctus et pacatus abscessit » (4). Il en appela au Siège apostolique

(1) Ibid. Ce Paulinus est l'auteur de la VUa s. Ambrosii écrite en 412-413 à la de-
mande d'Augustin.
(2) De gestis Pelagii, 23. Contra Iulian. in, 4.

(3) De pecc. orlg. 3-4.

(4) Epistul. CLVii, 22.


12 REVUE BIBLIQUE.

du jugement épiscopal de Carthage, puis il renonça à poursuivre cet


appel (1), et, tournant le dos à Rome, gagna l'Orient.
Le concile de Carthage de 411, s'il s'abstint d'excommunier Cae-
lestius, pas de mettre en lumière les erreurs qu'il lui repro-
ne laissa

chait c'était à savoir qu'Adam avait été créé mortel, et cju'il serait
:

mort soit qu'il péchât, soit qu'il ne péchât point; que le péché
d'Adam avait lésé le seul Adam,
genre humain; que la Loi et non le

conduisait au royaume des cieux aussi bien que l'Évangile; qu'avant


la venue du Christ des hommes ont vécu sans commettre de péché ;

que les enfants sont en naissant dans la condition d'Adam avant son
péché; que genre humain dans son universalité
le ne meurt pas plus
par la faute d'Adam qu'il ne ressuscite dans son universalité par la
résurrection du Christ (2). A la négation de l'existence du péché
originel et de la nécessité de la grâce, le concile de Carthage oppose,
au moins par manière de contradictoire tacite, la doctrine de l'exten-
sion à tout le genre humain de la peine encourue par Adam, et la
doctrine de la grâce du Christ seule capable de procurer le salut de
l'homme pécheur : doctrine plus élémentaire que celle qu'Augus-
tin a exposée à Simplicianus quatorze ans plus tôt, doctrine que le
concile ne s'attarde pas à justifier, parce qu'il sait apparemment que,
en ces termes, elle est d'enseignement commun dans la Catholica.
Toutefois, le concile de Carthage n'anathémalise pas formellement
les erreurs qu'il dénonce, comme s'il hésitait à s'engager à fond.
Il est possible aussi c[ue l'évêque de Carthage Aurelius ait estimé
opportun de ne rien brusquer. L'évêque d'Hippone, qui, nous l'avons
vu, n'assistait pas à ce concile de iil, pensait que les erreurs des
novateurs devaient être combattues, mais cju'il était prudent de
laisser ces erreurs anonymes. On corrigerait les fidèles cju'elles

auraient séduits par la menace d'une sentence ecclésiastique


])lutùt que par la sentence même (3). On avait att'aire à des discu-
teurs rusés, à des écrivains subtils, à des intrigants, ainsi les qua-
lifiera un jour Possidius (4). Plus grave, Augustin explique leur

(1) Sur cet api)el, voyez Paulini diaconi libellus Zosimo papae oblatus contra Cacle-
stium, fi [r. L. t. XX, p: 711).

(2) Ces proposiUons sont énoncées par Auc. De (jestis Pelagii, 23, comme étant les pro-
])Osition8 « condamnées m par Aurelius et ses collègues au concile de 411 [audita atquc
(lamnata).
(.'{) kvc. De (jesiis ptlag. 'i(j. Epistul. <;l\xxvi, l : «nomine aucloris (Pelage), ne
...tacilo
ofl'cnsus insanabiiior redderetur », dit Augustin parlant de sou traité De natura et gialui.
Ibid. 2 : « Ita et pernicies destruerelur erroris, et hominis verecundiae parcerelur ».

(4) Possin. Viin, 18.


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 13

prestige par leur génie, qu'il estime grand (1). Et il est plus vrai

encore que leur rationalisme trouvait dans l'esprit de la société du


temps une complicité naturelle par où s'explique leur succès. Il
fallait combattre, sans trêve, pai la parole, par le livre Augustin :

va s'y employer.

On peut lire dans un sermon qu'il a prêché à cette époque des dé-
clarations comme celles-ci :

Nulius hominum in ista quae ex Adam defluit massa raortalium, nuUus oranino
hominum non aegrotus, nullus sine gratia Cliristi sanalus (2)..

Augustin a pris à saint Paul le terme énergique de massa, la pâte


dans le pétrin, image qui lui sert à exprimer la solidarité de tout le
genre humain dans l'infirmité qui est la suite du péché d'Adam :

tout le genre humain est devenu une « massa mortalium », et la mort


est pour l'humanité une condamnation [massa damnabilis, massa
damnata), nul homme ne nait sain, nul homme n'est guéri que par
la grâce du Christ. Quoi? même les enfants? Oui, même les enfants :

on les porte à l'Église pour y être guéris, l'Église leur prête le cœur
de leurs aînés pour croire, les lèvres de leurs aînés pour professer
leur foi, afin que, infirmes du fait du péché d'un autre, ils soient

sauvés par la foi d'un autre.

Nemo ergo vobis susurret doctrinas aliénas. Hoc Ecclesia sempei- habuit, semper
tenuit, hoc a maiorum fide percepit, hoc usque in finem persévérante!' custodit(3).

La pratique de immémoriale, témoigne de la foi


l'Église, qui est

traditionnelle. Si, en effet, ces enfants sont sans péché, pourquoi les
baptiser? Pourquoi dans l'Église ne dit-on pas aux fidèles qui les
apportent Pas ces innocents! On ne le leur a jamais dit, on ne le
:

dira jamais. Et Augustin adjure ses auditeurs de ne laisser qui que


ce soit leur chuchoter une doctrine différente, allusion à la propa-
gande insinuante du péché originel.
et cauteleuse des adversaires
Il revient au même thème dans un sermon sûrement prêché
à

Carthage. Si, dit-il, le baptême n'est pas pour les enfants le salut,
si pour certains baptisés le Christ n'est pas Jésus, c'est-à-dire Sau-
veur, « je ne sais si votre foi peut être reconnue conforme à la

{\)Epistul. Gh^xxsi, a.
(2) Sermo clxxvi, Rapprochez clxv, 9 « Ecce primus home totam massam daranabi-
2. ;

lem fecit », etc. Sur cette formule chère à Augustin, voyez Rottmanner, p. 8-9.
(3) Sermo clxxvi, 2. Rapprochez De Genesi ad
litt. x, 19 et 39.
J4 REVUE BIBLIQUE.

saine règle de foi (1).Simple précaution oratoire, car Augustin sait


que l'erreur qu'il combat est contraire à la foi de l'Église. Et il n'a
aucune hésitation sur cet article la massa tout entière du genre :

humain a été atteinte en Adam par le poison, dont elle est guérie par
le sacrement de baptême dans l'enfant qui vient de naître, recon-
:

naissons les traits d'Adam, la chair d'Adam. Pourquoi les novateurs


essaient-ilsde rompre sur ce point l'antique règle de foi (2)?
Je m'adresse, dit encore Augustin, à des auditeurs qui ont été
nourris dans la foi catholique, ou qui ont été gagnés à la paix catho-
lique, allusion aux Donatistes ralliés à l'unité depuis 411 ensemble :

nous connaissons et nous tenons en Jésus-Christ le médiateur. Qu'est-ce


à dire, sinon que le Christ est pour nous plein de grâce? Le Christ
veut que nous cherchions ses dons, et que nous oubliions nos mérites.
Telle est notre foi, bien éloignée de la sagesse de ce monde. Aussi
les sages de ce monde ne se font-ils pas faute de nous reprocher la

croix du Christ. Cette croix est le sycomore, le « figuier fou », de


Zachée « Dicite quod vultis : nos ascendamus sycomorum et videa-
:

miis Itsiim : ideo enim vos lesum videre non potestis quia sycomo-
rum ascendere erubescitis » (3).

Carthage, où la société chrétienne semble avoir été par sa culture


« libérale » plus accessible à la nouvelle hérésie, va donner à Augus-
tin l'occasion de s'engager plus à fond dans la controverse (4).
Le comte Marcellinus, le même qui a présidé la conférence de 411
et qui doit trouver à Carthage en 413 une fin si tragique, est un
chrétien de qualité, un fonctionnaire impérial aussi, que la contro-
verse pélagienne préoccupe en a écrit à l'évêque d'Hippone, solli-
: il

citant de lui qu'il l'éclairé sur quelques questions précises qu'il lui
soumet. A en juger par la réponse d'Augustin, Marcellinus a demandé
des éclaircissements sur la réprobation par le concile de Carthage des
thèses de Gaelestius Augustin est ainsi amené à donner une exposi-
:

tion didactique de la pensée du concile auquel il n'a pas pris part.


H le fait par le traité qui a pour titre De peccatorum meritis et
remissione et de baptismo parvulonim, composé au début de 412.
Premièrement, la mort est pour l'homme une suite du péché
d'Adam, selon ce qui se lit dans l'épitre aux Romains l'affirmation :

(1) Sermo (,i,xxi\, 7 « ... nescio utrum fides vestra in régula sana possit agnosci. »
:

(2) Ibid. y ; " Quare conlradlcis, «juare novis disputalionibus antiquain fidei regulam
frangerc conaris? »

(3) Ibid. 2 el 3.
(4) Sermo xxvi, 8 : « Haec vobis contra novellam haeresim quae tentât assurgere, saepe
disputare cogimur. » (Rapprochez De peccat. meritis, m, 12). Ce sermon xxvi est pro-
noncé le lendemain du Sermo ci.vi (à Carthage, in basilica Grafiani).
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE.
1'^

de saint Paul, qui est d'une évidence parfaite, est le fondement de la

doctrine que nous professons faut pervertir l'Écriture arbitraire-


: il

ment pour lui faire dire autre chose. Ergoter est vain « Quid adhiic :

tantae hici fumus contentionis off'unditiir? » Les enfants qui —


meurent sans avoir reçu le baptême meurent condamnes d'une con-
damnation qui, en étant la plus légère de toutes, n'en est pas moins
une condamnation, parce qu'ils meurent en dehors de la justice et de
la vie du second Adam ils sont condamnés pour la faute qu'ils ont
:

héritée d'Adam. Voilà pourquoi, à peine nés, les enfants sont portés
au baptême, on court les y porter avec une pieuse crainte, « ad j^erci-
piendum sacramentum salutis aeternae siiorum currentium pro
timoré portantur », et (nous avons entendu déjà Augustin parler ainsi
dans un de ses sermons de Carthage) l'Église ne dit pas Enlevez ces :

innocents, elle ne l'a jamais dit et ne le dira jamais, « tumquam


omnino dicetur in Ecclesia Christi taie commentum ». On objectera —
que baptiser des petits enfants est une pieuse pratique injustifiée en
principe le baptême est une vocation à la pénitence, est-ce que ces
:

petits ont matière à pénitence? « Numquid tantillos potest aliquid

paenitere? » Le baptême est aussi bien une pro-


Augustin répond :

fession de foi, est-ce que ces petits sont capables de croire? Incapables
de croire, allez-vous dire que ces enfants sont des incrédules? Ou
allez-vous supposer qu'ils sont à ranger entre les croyants et les
incrédules? Non, l'Église les considère comme des fidèles « Non hoc :

indicat ecdesiastica régula quae baptizatos infantes fidelium numéro


adiungit ». En réaUté, le baptême est la condition du salut, or de
quoi les petits enfants sont-ils rédimés sinon de la servitude du péché
d'origine? — Soumettons-nous donc à de la sainte Écriture, l'autorité

qui ne peut ni se tromper ni tromper, et que nous devons préférer à


tous les génies humains (1). Soumettons-nous à l'autorité de la condi-
tion qui veut que les petits enfants soient baptisés, tradition de
l'Église universelle, tradition qui étant telle remonte sans aucun
doute au Seigneur et aux apôtres (2). Ensemble, autorité de l'Écri-

De ftecc. mer. i, 33 : « Cedamus igitur et consentiaraus ductoritali sanctae Scriplu-


(1)
rae, quae nescit falli nec fallere. » /ôirf. : « Nulla igitur ex nostro arbitrio... salus aeterna
promittatur infanlibus, quam non promittit ScripUira divina humanis omnibus ingeniis

praeferenda. » Ibid. 31 Quid iiinc respondeant omnino non video, qui volentes humants
: •<

coniecluris iustitiam Dei defendere, et ignorantes altitudinera graliae, fabulas


improba-

biles texuerunt. »

(2) Ibia. 39 : « ...aucloritatem universae Ecclesiae, procul dubio per Dominum et apostolos
tradilam... » A la suite (n. 40-55) Augustin aligne les textes ou iestimonia scripluraires
qui justifient la doctrine de l'Église, et il conclut (n. 56) : « Consideratis autem omnibus
non commeraoravi, nilnl
divinis testimoniis quae commemoravi,... vel quaecumque similia
.

j6 REVUE BIBLIQUE.

ture, autorité de la tradition apostolique, autorité de l'Église univer-


selle, dont la vigilance doit repousser toutes les profanes nouveautés,
telles sont les trois autorités invoquées par Augustin.
Le second livre du De peccatorum meritis a trait à l'erreur qui
consiste à croire que l'homme peut vivre sans tomber dans le péché,
et le peut avec les seules forces de sa volonté libre, sans l'aide de
Dieu. De possibilité absolue, l'homme pourrait ne pas pécher, et le
nier serait faire tort soit à la liberté de l'homme, soit à la grâce de
Dieu : les textes scripturaires abondent qui ne permettent pas d'en
douter. En fait cepeodaut tout homme est pécheur, c'est l'Écriture
encore qui le dit, et j'en crois l'Écriture (1). L'homme, misérable de
la déchéance d'Adam, est libéré seulement par la grâce de Dieu en
Jésus-Christ.
L'évèqued'Hipponea répondu aux questions posées par Marcellinus,
et, pour connaître la pensée des novateurs qu'il réfute, semble n'avoir

eu jusqu'ici que des notes qu'on a mises sous ses yeux. Les deux pre-
miers livres du De peccatorum meritis achevés, Augustin a pour la
première fois commuoication des Expositiones de Pelage sur saint
Paul il se décide aussitôt à donner à son traité un troisième livre,
:

par lequel il achèvera d'armer les défenseurs de la foi traditionnelle


contre ceux qui la trahissent, « a maioribiis traditae fidei defensores
contra novitates eorum qui aliter sentiiint »

Dans ses Expositiones, Pelage a présenté les objections contre le


péché originel comme n'étant pas de lui, il ne les a pas combattues
pour autant il a senti, assure Augustin, que la négation du péché
:

originel était une nouveauté qui heurtait le sentiment antique


de l'Église, « antiquam Ecclesiae insita?n opinionem » (m, 6). En
eûet, l'usage de baptiser les petits enfants est une pratique de TÉ-
glise universelle. Et cette pratique a pour elle TÉcriture, les claires
affirmations de l'Écriture. Or en un sujet qui dépasse l'intelligence
la plus pénétrante, il faut se soumettre à l'autorité « ...ad id qiiod :

intelU'ctu perspicacissimo assequi non valemus, auclorilate divina


consentire cogamur » (lu, 3). 11 faut dans l'Écriture s'attacher aux
textes clairs pour entendre d'après eux les textes obscurs « Video... :

invenilur nisi quod unLversa Ecr.lesia tenet, quae adversus oinnes profanas novitates vigi-
lare débet... « Cf. De Genesi ad lut. x, 39 : « Consuetudo matris Ecclesiae in baplizandis
parvulis npquaquam spernenda est, neque iillo modo superllua depulanda, nec omnino
credenda nisi apostolica esset traditio. »

(1) De pecc. meril. ii, 8 « Magisenim credo Scripturae dicenti... » Ibid. 21


: « : ... sicut
Scripturarum. (|uae supra commemoravi, testimonia lanta déclarant. » Ibid. 58 : « Non
enirn parum paginaniin divinarum auctoritati veritalique cesserunt, qui... »
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 17

inhaerendwn quae in Scripturis sunt ajjertissima, lit ex his


esse ils
revelentur ohacura » (m, 7). Quoi de plus clair en tant de témoi-
gnages des divins oracles que ceci les petits enfants sont incor- :

porés par le baptême à l'Égiise, c'est-à-dire au corps du Christ,


mais s'ils ne reçoivent pas le baptême, ils sont damnés, et comme
ils ne sont point damnés pour des péchés personnels, reste qu'ils le

soient pour un péché de nature. Augustin rappelle brièvement les


textes, non plus de l'épître aux Romains, mais de l'Évangile, qui
appuient son affirmation et qui éclairent les textes de saint Paul,
« apostoli verha de quibiis forte duhitabamus » à ses yeux, les :

textes évangéliques cités sont éclatants de la lumière divine,


certains de l'autorité divine, et ils proclament la vérité sans ombre
d'ambiguïté (1). Ils n'ont pas d'autre sens que celui que l'Église
leur a donné en administrant le baptême aux petits enfants (2).
Pour première fois, Augustin cherche aussi à établir que cette
la
doctrine de l'Église a des témoins dans la littérature de l'Église. Il
cite un texte de saint Cyprien on voit là, dit Augustin en le com- :

mentant, que l'article du péché originel est professé par l'Église tel
qu'il a été cru et compris dès le commencement (3). Le texte de
Cyprien est catégorique, eontagium mortis » que
en effet, sur le <
l'enfant tire de sa naissance selon Adam. Augustin en conclut :

« Vides quanta fiducia ex antiqua et indubitata fidei régula vir tan-

tus iste loquatur j). Et il fait valoir que l'affirmation de Cyprien est
le considérant d'une réponse donnée par le concile de Carthage

d'alors, preuve que cette affirmation était indiscutée. Quelle effron-


terie n'est pas celle des novateurs d'aujourd'hui, qui voudraient nous
présenter comme incertain ce que nos ancêtres tenaient pour si assuré !

— L'érudition d'Augustin ne suggère pas d'autre témoignage que lui


celui de Cyprien. Cependant, il sait que saint Jérôme a parlé naguère
de « ceux qui sont tenus pour responsables du péché d'Adam préva-
ricateur ». un savant homme, n'aurait pas de peine,
.Jérôme, qui est
si nous pouvions l'interroger, à nous citer nombre de commentateurs
des divines Écritures et d'écrivains chrétiens, tant grecs que latins,
dont le sentiment serait conforme et qui n'ont pas connu d'autre

(1) Ihid. III, 8 : « His... testimoniis divina luce clarissimis, divina auctoritate certis-
simis, nonne veritas sine ulla ambiguitate proclamatur...? » Les textes mis en ligne par
Augustin sont Mat. i, 21 ix, 12; loa. m, 5; vi, 54. ;

(2) Ihid. 9 « Non tamen potemnt alium sensum habere,


:
nisi per queni factura est ut
antiquitus universa Ecclesia retineret fidèles parvulos originalis peccati remissionera per
Christi baptismum consecutos. »>

(3) Ihid. 10 : « Unde non immerito beatus Cyprianus [Epistul. lxiv, 2 et 5] satis osten-
dit quam hoc ab initio creditum et intellectum servet Ecclesia. »
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 2
18 REVUE BIBLIQUE.

tradition depuis qu'existe TÉglise du Christ (i). Moi-même, ajoute


Augustin, bien que j'aie incomparablement moins lu que n'a l'ait
Jérôme, je n'ai pas souvenir d'avoir rencontré, soit dans l'Église
catholique, soit chez les hérétiques ou les schismatiques, personne qui
soutint que le péché originel n'existât point (m, 12). Pas même Jovi-
nien ne l'a soutenu, Jovinien que Jérôme a combattu en rappelant à
que tous les hommes sont pécheurs, et même l'enfant à
cette occasion
son premier jour (m, 13). —
Augustin s'empresse d'ajouter que les
témoignages des écrivains catholiques sur lesquels il s'appuie ne sont
pas égalés par lui à l'autorité du canon des Écritures, ils représen-
tent simplement la perpétuité de la foi de l'Église :

Haec non ideo conimemoravi, quod disputatorum quoruralibet seutentiis tam-


quam cauonica auctoritate nitamur; sed ut appareat, ab initio usque ad praesens
tempus qiio ista novitas orta est, hoc de original! peccato apud Ecclesiae fidem tanta
constantia custoditnm. ut ab eis qui dominica tractarent eloquia masîis certissiraum
proferretur ad Aia faisa refatimda, quam id tamquara falsum ret'utari ab aliquo tenta-
retur. Ceterum in saoctis canonicis libris viget buiiis seatenliae clarissima et plenis-
sima aucloriias. Clamât apostolus Per .wiurn hondiiem peccatum intravU in mun-
:

dum, et per peccatum mors, et ita in omnes hornines pertransiit, in quo omnes

peccaveruntiRom.Y, 12) (2).

L'année suivante, M3, l'évèque Aurelius presse Augustin, qui est


de passage à Carthage, de prêcher encore contre les novateurs. C'est
l'occasion du Sermo ccxciii, prêché le 24 juin, et d'un autre sermon
prêché le 27 dans la Basilica Maiorum. ÎNous sommes inquiets, dit
Augustin dans ce second sermon, non de notre sentiment qui est
depuis longtemps établi dans l'Église catholique avec une souveraine
autorité, mais de ces,, discussions de quelques-uns, discussions qui
menacent do croître et de troubler l'esprit de beaucoup de gens (3).
Que les petits enfants soient damnés pour un péché qu'ils n'ont pas
commis, voilà, dit-on, qui déconcerteon nous accorde qu'il faut
:

baptiser les petits enfants, on nous accorde que le baptême leur ouvre

(1) Ibid. 12 : (^ Ilunc doclissimum viruin si facile interrosare posfieuius, qiiaiu multos
ulriusque linjjuae divinaruin Scripturaruin traclatores et christianorum dispulalionum
scriplorPA coinineinorar.;!, (|ui non aliud ex (nio Chrisli Kcclesia est constitula senserunt,
non aliud a inajoribus acceperunl, non aliud posleris Iradidcinnl. »
(2) Il)id. 14.
— Dans le De spiritu et lillera. qui est adressé aussi au comte Marccllinus,
Aujîustin donne un sappléincnl au livre second du Oe pcrc. »ieriii\. La lettre est le pré-
ceplc sans la ;;r;\cc, l'esprit sij;ni(ie la f'rAce ajoutée au précepte, la sràce est nécessaire

j)0ur lobservaliim des préceptes. Que les enneniis de la grâce ne disent pas que ce senti-
ment est d'Aii-uslin, car c'est proprement la doctrine de saint Paul.
Ci) Sernio i'Aciv, « Sollicitns aulcm nos facil. non ipsa senlenli^i i.nn ujim in Kc-
1 :

clesia catliolica sunima aucloritale fundala. sed disjuilatioues quoruindam quae modo
crebrescerc et mnltorum animos evertere moliunlur ».
SAINT AUGUSTIN, PÉL\GE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. Ï9

leroyaume des cieux, on se refuse à croire' que le baptême efface en


eux un péché hérité crAdam. Discutons donc, pour les esprits que
cette question a troublés et qui auraient dû se kiisseï? conduire par
le gouvernail de l'autorité « Permoti sunt profunéitdte quaestiêms,
:

sed régi debiierimt gubernacido mictontatix » {%). Ils se complaisent


dans leur raison humaine raisonnante à lencontre de Févidence de
l'autorité divine (2). Augustin relève avec insistance, avec ironie, le
caractère raliocinant de Terreur qu'il combat. Il l'oblige à reconnaî-
tre qu'en dernière analyse elle n'a d'autre raison à donner de la foi
sinon l'autorité du Christ : à quoi bon alors tant raisonner?

Tandem veiiisti : non ergo qiiia tu ratiocinaris, sed quia Dominus dixit. Laudo
plane hoc, sanum est. Sicut homo non invenisti rationem, fugis ad auctoritatem :

approbo, prorsus approbo, bene i'acis. Non invenis quid respondeas, ad auctoritatem
fuge : a«m ibi' te persequor, non inde expello, immo fugientem recipio et amplec-
tor (3).

Textes péché d'Adam est


en main, Augustin montrera que le

transmis à toute l'humaniié, rhonime n'y est soustrait que par la foi,
les petits enfants deviennent par leur baptême des fidèles, et donc
échappent ainsi à la damnation, et de conclure fortement :

Proinde u^mo nos fallat, Scriptura evidens est, auctoritas fandatissima est, fides
catholicissinia est : omnis generatus damiiatur, aerao iiberatur nisi regeneratus (4).

Et encore :

Hoc habet auctoritas matris Ecciesiae, hoc fundatus veritatis obtinet canon : con-
tra hoc robur, contra hune inexpugnabilem rauruni quisquis: arietat, ipse coofrin:-
gitur (.5).

Cette doctrine est aussi bien celle de saint Cyprien, l'antique évêque
de ce siège de Carthage écoutez ce qu'il enseignait ou plutôt ce
,:

qu'il témoignait que l'Église avait toujours enseigné. Augustin cite


à ses auditeurs le texte de Cyprien qu'il a cité à Marcellinus Je vous :

lis saint Cyprien, leur dit-il, afin que vous voyiez quel est le sens

(1) Ibid. 2.

(2) Ibid 5 ; « Quoniam vos aliquando contra evidentissimani auctoritatem ratiocinatio

humana délectai, pioferte ipsara regulaiu rationis vestrae... » Ibid. 6 : « Responde, si

potes, sed rationiem affer, hac enira te gloriari détectât. » Ibid. 7 : « Adversus sagittas
ratiocinationurn tuarum rnuratus assiste. Sed tu, bellalor, hoc est fortis raliocinator, huic

responde... »

(3) Ibid. 7. Voyez encore ibid. 8 : « Cédant paulisper coniecturae rationis huraanae,
assumantur aima divina... »

(4) Ibid. 16.


(5) Ibid. 17.
:,Q REVUE BIBLIQUE.

canonique, le sens catholique, des paroles de l'Écriture que je viens

de commenter (1).
Il achève son sermon
en priant les adversaires qu'il combat de ne
qu'il s'abstient quant à lui
point le traiter d'éhrétique, qualificatif
de leur donner l'Église veut les tolérer encore, en effet, pour les
:

guérir, pour les instruire. Ils vont trop loin, il faut une bien grande

patience pour les tolérer n'abusent pas de la patience de : qu'ils

l'É^-lise. On peut tolérer un disputai


or qui se trompe sur des ques-
la pleine autorité de
tions qui n'ont pas été encore éclaircies par
rÉ°-lise, « nondum plena Ecclesiae auctorilate firmatis
» mais s'il va ;

plus loin, s'il entreprend d'ébranler le fondement même


de l'Église,
« ut etiam fundamentum ipsum Ecclesiae quatere moliaiur », il faut
l'arrêter. La patience que nous témoignons aux
novateurs est, j'es-

père, jusqu'ici irrépréhensible craignons qu'elle ne devienne une :

coupable négligence (2).


Ce langage longanime va bientôt n'être plus de mise. Augustin
croit à la vertu de la controverse dans une affaire où la
vérité est

certaine, la vérité qu'énonce l'Écriture et que confirme la foi catho-


lique. La controverse suffira-t-elle à venir à bout des novateurs? Par-
tout où ils ne sont pas réfutés ils forment secte, écrit Augustin en
kV\, et ils que nous ne savons où cela ira (3). Il
se multiplient tant
ne s'agit plus de Carthage, où leur propagande est enrayée par l'at-
titude du concile de ill il s'agit de bien d'autres régions que :

l'Afrique, et])ar exemple de la Sicile, comme en a été informé Augus-


tin par un chrétien de Syracuse, Hilarius (4). Le ton de la réponse
d'Augustin ù Hilarius témoigne que la crise s'aggrave : l'évêque

déclare que l'assertion est à anathématiser qui prétend que le libre


arbitre sans la grâce suffit à l'homme pour accomplir les préceptes :

.. ... oinnino anathcmatizandum est et omnibus exsccrationibus


detestanduui •>
(5j. Ce vigoureux réquisitoire d'Augustin était fait

pour sonner l'alarme au loin (6).

1 Ibid. V.) :
• \d hoc «Tf^o lego sancluin Cyprianuin, ni videatis ([uomoclo sil inteîlectus

canonicus pi calliolicus sensus in his verbis <iuae paulo ante tractavi. »

Ihid. -10.
2J
(3) Epiatul. r.LMl. 22.
(4) Inler. Ain. EpUlnl. r.i.vi. Lodfs, p. "fil, place en Sicile entre 413 cl il8 la «onipo-

hilion des si\ opuscules pt'-lafjiens relrouvt's par Caspahi, liriefe, Abhandlniujen und Pre-
di'jlrii (18;mi), p. t-ic,7. I>(>in Morin, dans la ncrne hniéflicdnc, 181(8, p. 'i81-i9;{, yllribuc

ces opuscui<'s a Icv^^que lirclon l'aslidius.


(5) Epislul. r.ivii. '.'.

(a) Augustin (oiiiplr-lera sa leltrc à Hilarius par le Irailé De pcricriione histifidc liotni-
ou rcfulc des dcfinidoncs ni iliriinr fii,lr^i.ii i|ui lui onl élé comniu-
nis. en 41."). il
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 21

Pelage ayant publié (au cours de 414) un De natura, Augustin


riposta aussitôt (début de 415) par son livre De natura et gratia. Si
la nature humaine n'est pas corrompue par péché d'Adam, si Thu- le

manité n'est pas condamnée en bloc, si l'homme peut être juste sans
la grâce, alors la croix du Christ ne nous est plus rien or c'est là :

le fond du livre qu'Augustin entreprend de réfuter, et dont l'auteur,


qu'il ne nomme pas, n'a pu l'écrire qu'avec une parfaite inconscience
du sujet qu'il traitait. Augustin cite copieusement le De natura de
Pelage, et pied à pied il le réfute en lui opposant saint Paul, en per-
çant les équivoques derrière lesquelles Pelage se dérobe. Pelage sub-
stitue son sens propre aux affirmations les plus évidentes des Écritures
de Dieu. mon frère, lui représente
Augustin, souviens-toi donc
que tu es chrétien : un chrétien en ces matières commence par croire,
et ne cherche qu'ensuite l'intelligence de ce qu'il croit. Augustin

reste fidèle à la méthode qu'il a tant de fois décrite croire d'abord, :

croire d'une foi assurée, et seulement ensuite chercher l'intelli-


gence. Discuter n'est pas nécessaire, ni nuisible non plus, discuter
même est utile, à condition que l'acte de foi précède l'exercice de la
raison. Croyons sur la foi des Écritures divines que la nature humaine
est corrompue; cherchons ensuite comment cela a pu se produire,
« quoinodo ici fieri potuerit inquiramus ». N'imitons pas Pelage fai-

sant assaut de raisons et de vraisemblances contre la vérité certaine


que lui propose l'Écriture (1).
On au début de 415 voilà trois ans et tant que la controverse
est :

est menée par l'évêque d'Hippone presque seul. Pelage est à Jéru-
salem, couvert par la confiance imprudente que lui accorde l'évêque
de Jérusalem, Jean, et à l'abri de laquelle il défie les instances émues
d'Augustin. Le moment
venu où l'autorité, non plus celle de l'É-
est
criture ou de la Tradition, mais l'autorité vivante doit intervenir,
si Ton veut que soit préservée sans équivoque la pureté de la foi.

II

L'évêque de Jérusalem va être mis en demeure de se prononcer,


par saint Jérôme d'abord qui, avec éclat dans sa lettre à Ctésiphon,
niquées de Sicile : «... hoc attulerunt de Sicilia, ubi Caelestius non esse perhibetur, sed
multi talia garrienles. « De perf. 1.

(1) On aurait tort de conclure de là que Pelage néglige de se fonder sur l'Écriture. Au
concile de Diospolis il s'en défendra énergiquement. Voyez Aie. De gestls Pelagii, 13.
Pelage recourt aussi aux textes des auteurs ecclésiastiques, Aug. De nat. et
bien
grat. 71 : « quibusdam catholicoruni tractatorum opusculis posuit,
...(testimonia) de
volens occurrere ils qui eum solum dicerent ista defendere. » Pelage a cité Lactance, saint
Hilaire, saint Arnbroise, saint Jérôme, saint Jean (Chrysostome) de Constantinople, Augus-
tin enfin {De libero arbitrio).
22 REVUE IBIBLIQUE.

iTDL pélagien de 3P«ome, somme Pelage de jetei* le îmasque. Il faut, 'écrit

Jérôme, que toutes les Ég-lises sachent quelles sont oes doctrines que
l'on propage clandestinement « Om/œs coynoscent Eccksiae qidd
:

sentiaùs » (Ij. Les novateurs peuvent séduire les simples et les igno-
rants, ils ne sont pas capables de tromper les hommes qui méditent
jour et nuit la loi de Dieu, ilérôme parle haut, sa lettr<i ressemble à
une interpellation à Févêque de Jérusalem.
Un prêtre espagnol, aaui et envoyé d'Augustin, Orose, est à cette
date à Bethléem Févêque Jean le mande à une réunion de son
:

clergé, qui se tient le 29 juillet 415, et s'enquiert auprès de lui de ce


qui a été prononcé par le concile de Cartilage de 411 sur les doc-
trin>e8 de iPélagede Caelestius, concile qu'apparemment on ne
et

connaît à Jérusalem -que par oui-dire (^).


Orose répond que, à Cartilage, une assemblée d'évêques a con-
vaincu d'erreur Caelestius. lequel a aussitôt quitté l'Afrique. Quant à
Pelage, Augustin a réfuté son De natura et écrit contre ses erreurs
une lettre, la lettre au sicilien Ililarius. qu'ôrose a entre les mains.
(>n l'invite à en donner lecture. Orose ne dit pas que Caelestius ait été
condamné à Carthage; il dit seulement qu'il a avoué les doctrines
qu'on lui reprochait et qu'il a été « détesté par l'Église ». Pour lui, la
pièce capitale contre les novateurs est la lettre d'Augustin à Hilarius.
Quand Orose en a achevé la lecture, Févêque Jean fait entrer
IN-lage, à qui Fassemblée demande s'il reconnaît professer les articles
fjpiAugustin dénonce. Pelage répond brutalement Et qui s es/ mi/ii
: «

A'ttgnsiùius? » iCette exclamation, dont on ne voit pas pourquoi


M. Loofs doute qu'elle soit historique (3). est bien -dans le caractère
de Pelage, et elle est mieux encore de situation : Pélag>e veut dire
qu'Augustin n'est pas son juge à Jérusalem et qu'il n'est présentement
comptable de sa doctrine qu'à Févêque Jean. Ce dernier l'enlend bien
ainsi, car il coupe com't aux protestations que la riposte de Pelage
vient de soulever, en disant c Augustin as ego sum. » Il n'accepte
:

|)as qu'Orose invoque contre Pelage l'autorité de Févêque d'ilippone,

Fatiloiité de saint Jérôme, il est de droit juge de Fatlaire que les :

adversaires de Priage déposent «ne accusation en fm-me.


Orose prétend avoir protesté à ce luomenl (jue, Fhérétique étant
latin, Fliérésie devait être jugée |>ar des juges latins. On peut contes-

tai' sur 10 p»»iut le récit d'Orose. Augustin ne sait rien de ce


r<nvni •!<• |;i <mii«' U Fé\>''«jno de Kt)me, renvoi qu'(>rose prétend avoir

(Ij llll.llU<^^M. l./m-liiL cxwui. 11.

(2) OiioK. /.ifacr apoliif/efirus, ;<-G icil. IUN«;Eni;iKTt:i!. p. (lOtUMl).


(3) LootK, p. 70:».
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 23

requis et auquel il assure que l'évêque de Jérusalem a consenti, ce qui


est de toute invraisemblance- Au contraire, Augustin sait que Faflaire
a été terminée séance tenante, Pelage ayant, sur les instances de l'é-
vêque, accepté de dire que l'homme ne peut progresser dans toutes
les vertus sans le secours de Dieu, et anathématisé quiconque ne
le dirait pas (1). En acceptant que Pelage fût mis hors de cause grâce
à une déclaration dont l'insuffisance et l'équivoque crèvent les yeux,
Jean de Jérusalem témoignait de son incapacité à juger. Mais cet
anathématisme, qui est la conclusion vraie de l'assemblée du 25 juillet
il5, exclut l'hypothèse d'un renvoi à Rome.
La cause était si peu portée à Rome que, moins de six mois plus
tard, les adversaires de Pelage en saisirent l'évêque de Gésarée,
Euloge, excipant évidemment de sa qualité de métropolitain de la
pro\dnce de Palestine. Orose s'est effacé, les accusateurs sont deux
évoques de Gaule réfugiés en Palestine (Lazare, évêque d'Aix, et Héros,
évêque d'Arles) ils déposent entre les mains d'Euloge une accusation
:

en règle [libellus] contre Pelage (2). Le concile provincial qui va con-


naître de l'accusation articulée contre Pelage se réunit au mois d^e

décembre 415 à Diospolis ne compte pas moins de quatorze évê-


et
ques présents (3). Lecture donnée du libellus d'accusation, Pelage est
invité à se justifier point par point sur les propositions qui lui sont
reprochées- Après chacune des explications de l'accusé, les juges
opinent sur le point de savoir si la doctrine qu'il avoue e&t ou n'est'
pas étrangère à la doctrine ecclésiastique.
On arriva chemin faisant à la thèse capitale : « Posse hominem, si

velit esse sine Pelage se justifia en disant que Dieu a donné


peccato ».

à l'homme cette possibilité; en fait, on ne trouve pas d'hommes dont


la vie entière, de lenfance à la vieillesse, soit sans péché; mais,
une fois converti, tout homme peut, par sa propre énergie et par
la grâce de Dieu, vivre sans péché. Pelage assure que telle était
sa pensée stricte, et qu'il répudiait tout ce qu'on avait pu lui prêter
d'autre. Le concile lui demanda s'il était prêt à anathématiser les gens
qui professaient ce qu'il déclarait répudier. Pelage répondit qu'il
les anathématisait comme des sots, non comme des hérétiques, la

AuG. Be gesiis Pelagii, 37.


(1)

(2) De (festis Pelagii, 2 et 9. Le libellus était un recueil de textes extraits de Caelestius

comme autant de propositions hérétiques [ibid. 29 et 30).


(3) Alg. Contra luUamun, i, 19, donne leurs noms, le premier est Euloge le
métropo-
litain, lesecond Jean de Jérusalem. Sur les autres, Tillemont, t. XIII, p. 682. Dans ces
quatorze évéques ne sont pas comptés Héros et Lazare,' lesquels n'assistent pas au con-
cile, « quoniam ad diem synodi non potuerunt occurrere », rapporte Augustin, ^e^reci. Il,

XLVU. Cf. De gestis Pelag. 2.


24
REVUE BIBLIQUE.

doctrine qu'ils contredisaient n'étant


pas de foi ecclésiastique (1).
de Car-
On présenta alors à Pelage les propositions que le concile
tilage de avait demandé à Caelestius de désavouer. Pelage déclara
Mi
qu'il n'avait pas à s'expliquer sur une doctrine qui n'était pas de lui.
l'avaient soutenue ou
mais qu'il était prêt à anathématiser ceux qui
la soutenaient encore (2).
On le serra de plus près on avait extrait de Caelestius de nou- :

velles propositions, à savoir 1° que la grâce de Dieu n'est pas autre


chose que le libre arbitre, et que l'aide de Dieu est la connaissance

de la doctrine révélée que Dieu nous donne sa grâce selon nos ;


2"

mérites; 3° que la primauté de la volonté subsiste devant la grâce,


sans quoi il faudrait dire que la grâce de Dieu est vaincue quand
nous péchons et que donc la faute en est à Dieu. Pelage répondit
qu'il ignorait si ces propositions étaient de Caelestius, comme on le

disait: (juant à lui, jamais il ne les avait soutenues, et il anathéma-


tisait Le concile se déclara édifié.
qui les soutenait (3).

En somme, le concile de Diospolis se montre sur la doctrine


d'accord avec le concile de Carthage et aussi bien avec le libellus de
Héros et de Lazare. Les extraits qu'Augustin mettra sous nos yeux
drs Gesta de Diospolis permettent de constater que le libellus était
un relevé exact et complet des propositions que l'on pouvait dès lors
qualifier de « pélagicnnes ». Le concile, en demandant à Pelage de
les anathématiser comme « contraires à la foi catholique », témoigne

que la nou-
doctrine de la chute et de la grâce n'est pas pour lui si

velle qu'on a voulu dire. Le concile circonscrit le « pélagianisme »


si exactement, que Pelage est mis en demeure d'être anathématisé

avec le pélagianisme », ou d'anathématiser lui-même sa propre


<(

pensée, désaveu qu'il consent, provisoirement du


et c'est à ce
moins Augustin a vu juste, quand il a écrit que Pelage s'est
t 'i .

exécuté par couardise » Quod sentiebat damnavit coram hominibus, :

(latn/tari tnctueîis ab hominibus » (5).

1 l)f gestui, W, : <c Pela^ius respondil Anatheinalizo quasi stullos, non quasi haeielicos,
:

8i(|ui(l«-iii non osi dogroa. n Ces trois derniers mois veulent dire que 1 assertion incriminée
ni'sl |iaH rlKouriMisçinenl une |)ro|)Osition, dogma, qu'on oppose à un article de foi.
Aii((UHlin l'entendra ainsi (juand il !•( rira : « Utruiii auteiu ex aliquo dogmate ista sint
dirla, an veto non lixa plai ila(|uc sentcnlia, scd facile emendabili vanilate,... discutiendum
in prarsenlia non pularunl. » Ibid. 18. <Jn voit là que dogma =
fixa j)lacUaque senten-
tta. L<r mot doijiiKi en est encore à son sens littéraire antique.
('.?( Itp fjfsds, 23 el 'i.

3, Ihid. .1(1.

•A llud 4 t.

{:>} Conlrn lulinnuin. i, l'.i. Cf. ihid. ni, i ; « ... in Palaestina.;. ubi causam veslrain
(PclagiuA) suac damoalionis liinorc ilatnnavit : ibi cnim oiniiino cccidil liaercsis vestra. »
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 2a

L'équivoque qui se forma aussitôt sur le concile de Diospolis a


tenu, premièrement, à ce que les accusateurs de Pelage durent être
très désappointés qu'il eût échappé à l'excommunication (1). Puis,
dès le lendemain du concile. Pelage eut le front de prétendre que
tous les anathématismes consentis par lui au concile ne faisaient pas
que approuvé la seule thèse qui était sienne et qui
le concile n'eût
lui tînt à cœur, à savoir que l'homme peut vivre sans péché, s'il le
veut. Il écrivit cela dans une lettre adressée à un prêtre de ses amis
qui l'avait conjuré, de bonne foi, de n'être pas cause que personne
à son occasion se séparât du corps de l'Église (2). Pelage l'assura
que le concile avait approuvé qu'il dit que l'homme peut être, sans
péché et observer « facilement », s'il le veut, les commandements de
Dieu. L'effronterie est incontestable, puisque la proposition que
l'homme, s'il le veut, peut vivre sans péché, est une de celles que
le concile a fait anathématiser par Pelage, et puisque dans ses expli-
cations devant le concile Pelage a confessé que l'homme (une fois

converti) peut vivre sans péché par son énergie et par la grâce de
Dieu, « proprio labore et gratta Dei ». Pelage supprimait maintenant
ces précisions, il substituait l'adverbe « facilement » à l'expression
« proprio labore et gratta Dei » , et il osait dire que le concile l'avait
approuvé, « comprohata est » (3). Pelage prit toutes
definitio nostra
les mesures pour que sa lettre devançât dans le public la diffusion
des Gesta authentiques du concile, et qu'elle établit solidement
l'opinion que le concile avait été pour lui (4).
M. Loofs, qui a entrepris la défense de Pelage contre saint Augustin,
ne veut pas qu'on dise que Pelage s'est moqué de ses juges séance
tenante (5). Comment nier cependant que Pelage, ayant consenti ou
fait semblant de consentir aux demandes du concile, a voulu ensuite

donner le change au public sur la pensée véritable du concile?


M. Loofs va jusqu'à dire que « Pelage et ses amis pouvaient être
contents des négociations de Diospolis », et qu'ils le furent. Le point
faible de la théorie de M. Loofs est qu'elle repose exclusivement
sur la lettre de Pelage, c'est-à-dire sur un mensonge calculé, et

(1) Par là s'explique la sévérité de saint Jérôme contre le concile de Diospolis. Augustin,
au contraire, après quelques mois où il ne sut que penser, a toujours jugé favorablement
de ce concile, peut-on dire avec Tillemont (t. XIII, p. 685).
(2) AuG. De gestis, 54.
(3) Ibid.

(4) Ibid. 55. Les Gesta authentiques du concile tardèrent à se répandre. Dans l'été 416,

au moment où se réunit le concile de Carthage et celui de Milève, les Gesta ne sont pas
encore parvenus aux mains de saint Augustin. Epistul. clxxxvi, 2.
(5) LooFS, p. 764.
26 RE\XE BIBLIQUE.

que les honnêtes Gesta du concile révèlent la duplicité de l'homme


qui a écrit cette lettre (1).

L'iiérétique retors qu'est Pelage et avec lui l'hérésie pélagienne


se dée-aseat des poursuites de l'autorité : un concile d'Afrique (celui

de ill) et un concile de Palestine (celui de Diospolis) se sont pronon-


cés et il n'y a rien de de l'autorité
fait. Assistons-nous à une faillite

dans rÉgiisc? Augustin a très bien vu qu'il y va de cela, de tout


cela [i).

Le concile de Carthage, qui se tient dans le courant de l'été de il 6,


va délibérer des erreurs de Caelestius et de Pelage. Il ressort de la
synodale, rédigée au nom dès soixante-neuf et quelques évêques
présents (3), due à une lettre des deux évêques
que l'instance est

Héros et Lazare apportée par Orose, dénonçant Caelestius et Pelage


comme les auteurs d\ine erreur néfaste, et invitant le concile à
anatliêmatiser cette erreur. Les soixante-neuf évêques ordonnent
que soient lus du concile de Carthage de 411. Ils se per-
les actes
suadent qu'alors l'erreur a été exécutée en principe (i). Que faut-il
do plus? Que les auteurs de cette erreur l'anathématisent sans faux
fuyauts, apertissime », faute de quoi, qu'ils soient anathématisés. Le
<'

concile le dit très fermement « Ici cominuni deliberalione censuimiis :

hiÙKsmodi persuasionis auctores..., nisi haec apertissime anathe-


mavcrint, ipsos aiialhemari oportere ». Il le faut pour obtenir la
guétison, sinon de Caelestius et de Pelage, du moins des fidèles qu'ils
ont trompés ou qu'ils pourraient tromper encore.
Le concile décrit ces erreurs. Elles consistent à exalter le libre
arbitre, jusqu'à ne laisser aucun jeu à la grâce divine, grâce qu'ils

'
1, l'fl.i-c a\uil
li iiilcnH à falsilier les actes du concile de Diospolis
i;uil qu'il en publia
i-t r(-|.ttnilitun abrégé {hrervttio). Au;;uslin en eut un exemplaire « ... cliartula
hii-m<^iiie :

defensioois suae, quain luiiii i)er queindam carum nostrum Hipponeusem cdvem, orienla-
.Hilrii. diac.imuj, luisil u [De (jeslis,
leiii
57). Or celte breviatio a été coUationnée paj-
Au^uNhii av.T les (iiaia aulbentiquus (</'«;. 57-58). on
y verra des exemples du procédé
de Pélauc bupprinianl les déclarations qu'il estime lui être fâcheuses.
<( NuUo modi» iaiii qualieuuique episcopali aucloritale déesse
vi, 2 :

*^**' •-' Augustin juslitie ainsi la reprise de laflaire par les concile* de
"•• ''

Carlba^c et de Miléve, en 41(i Désormais, dit-il, à aucun


prix Taulorite épiscopalc qui
:

i^lall la nôtre, quelle (|u'elle fût (expression de modestie), ne devait manquer


à l'Église. •

-:i Intrr Ai .. l/ii'^ful. a.\x\. I.e concile n'a pas été


convciué exclusivement pour déli-
vrer de I aflairr p. 1,,-ieiiiie et
son ordre du jour des alîaires courantes à expédier.
il a ii

(4) lUfi. 1 . Quo ret iiftio, Bieut


ex subditis advertere polerit îSanclilas tua... » On peut
inférer de !.. quiine (..pie an moins puiUelle du eoncile
de 41 l'est annexée à la synodale
et eipedne a Home. Dr lurine |i..nr 1» 1.1 h- ,),•
Héros et Lazare.
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 27

disent être les facultés données par Dieu à la nature de l'homme, et


la loi de Dieu, soit naturelle, soit éoriiie. Or, pareille
doctrine est con-

traireaux Écritures, principalement à l'enseignement de saint Paul


dans l'épître aux Romains. Elle est contraire au précepte que nous
a^ons reçu de demander à Dieu de ne succomljer pas à la tentation
et de ne' pas voir notre foi défaillir. Elle est contraire
aux bénédic-
tions que les évoques ont coutume de prononcer sur le peuple,
en
demandant à Dieu de fortifier sa vertu par le Saint Esprit. Elle est

contraire à la pratique de baptiser les petits enfants, si les petits

enfants n'ont rien en eux qui doive être racheté.


Les évêques du concile de Carthage, bien qu'ils n'aient pas entre
leurs mains les Gesta de Diospolis, savent que les évêques palestiniens
n'ont relaxé Pelage qu'après qu'il- a répudié les erreurs dénoncées.
Carthag-e ne fait pas un grief aux Palestiniens d'avoir cru aux décla-
rations de Pelage; Carthage regrette plutôt que les Palestiniens
n'aient pas formulé un anathématisme catégorique contre les erreurs

incriminées, et cet anathématisme elle le propose :

Quicumque dogmatizat et afQrniat ad vitanda peccata et Dei man-


humanam sibi

data facieuda sufûcere posse naturam, et eo modo gratiae Dei quae sanctorum
evi-

dentius orationibiis declaratur adversarius invenitur; —


et quicumque negat parvulos

per baptismum Cliristi a perditione liberari et salutem percipere sempiternam ;



anathema sit (1).

Carthage n'a pas à anathématiser Pelage, qui est absent, mais Car;
thage peut conciliairement se prononcer sur un point de doctrine, et
reprendre pour lui donner corps la pensée de son concile de ill, en
formulant l'anathématisme qu'on vient de lire, et qui exprime l'exis-
tence du péché originel chez les enfants avant leur baptême, d'une
part, l'incapacité de la nature à permettre à l'homme de vivre sans
péché et d'accomplir les commandements divins par sa seule volonté,
d'autre part. Les évêques assemblés à Carthage ne font jusqu'ici rien
qu'ils n'aient fait en ill, et qu'ils n'aient fait en 411 avec une par-
faite netteté, Us savent toutefois que l'anathématisme
assurent-ils.
qu'ils viennent de formuler n'aura d'eltét utile, sinon en Afrique,
du moins dans la Catholicité, que s'il est adopte par la Catholicité :

pour atteindre ce résultat, le concile de Carthage n'a qu'une voie à


suivre, s'adresser à Rome. M. Loofs assure que cette démarche
dut

être pénible à la conscience de ces évêques africains (2) : pas un mot


de leur lettre ne le suggère.

Ihid. 6. Reinarciuer dogmatizare, au sens ci-dessus relevé de dogma.


(1)

(2) Loofs, p. 765.


2g
REVUE BIBLIQUE.

La adressée par le concile « Domino beatissimo et hono-


lettre est
randissimo sancto fmtri Innoceniio », le
pape Innocent P^ Elle lui
de l'erreur de Gaelestius et de
expose ce que le concile a fait au sujet
apostolique s'ajoute à celle des
Pelage, afin (jue l'autorité du Siège
africains
évèq^'iies Ensuite, après avoir rappelé les affirmations de
^1).
de TÉcriture, il s'excuse de ne pas s'étendre sur
la doctrine qu'il tire
cette preuve crainte de paraître remontrer à l'évêque de Rome des
vérités qu'il enseigne avec une grâce plus
grande du haut du Siège
apostolique :

commemorando quae maiore gratia de sede


Et veremur ne, apud te ista ipsa

apostolica praedicas, incouvenienter facere videaraur (2).

Uu'on laisse personne de Pelage son erreur


de coté, si l'on veut, la :

appelle un anathèmc, et le concile souhaite que cet anathème ait


l'autorité du Siège apostolique « Impietas [Pelafjii) ... etiam auc- :

toritate apostolicae sedis anathemanda est ».Car la diffusion de Ter-


reur pélagienne est très étendue, « multos assertores hahel per
diversa dispersas une action provinciale, pouvons-nous ajou-
» (3), et

ter, ne suffirait pas à l'atteindre. Que l'évêque de Rome dans ses

entrailles pastorales daigne compatir aux inquiétudes des évoques


aiVicains mettent sous ses yeux l'anathématisme qu'ils ont
i . Ils

formulé tout ce qui i)récède tend à lui demander de le faire sien,


:

les Ah-icains n'y insistent cependant pas autrement, ils se contentent

(le ne pas douter que, quand l'évêque de Rome aura reçu les Gesta

de Diospolis, ne se prononce par un jugement qui sera pour tout


il

fépiscopat d'Afritpie une joie. Et ils terminent par une formule de


respect et d'alléction Ora pro nobis, domine bealissime papa ». : «

Le concile de la province de Numidie, qui se réunit peu après à


Milèvc et «jui compta soixante et un évoques, résolut de s'associer à
l.i démarche du concile de Garthage auprès de l'évêque de Rome.
iN«jus avons la synodale du concile de Milève (5), rédigée selon toute

I l.jiisiul. i;i.x\v, 2 : i( Hoc ilaque césium, Domine frater, sanclae caritati lune inti-
inaiHluin iluxiinus, ul slalulis iiostrae inediocrilatis eliain aposlolicae sedis adhibeatur
aiiclorila!>. pro luciida sainte imilloruiii cl i|uoruiiidain perversitate etiam corrigenda. »
I. ('\|>i*">!iiiin imn mediucrUas ou uoslia mediocritas est de style pour désigner le sujet
iftii parie.
ri]lbi(l.:i.
;ii Ibid. 4.

''i; Ihid. : n Consideii I -m. m >,hm ui.i^ lu.i il jiiisloruliltus nobis coinpaliatur visceri-
bus. »

'U; Iiiter An;. Fpùitiil. clwvi : Domino beatissimo mcritoque venerabili et in Chrislo
«

bonoramio |ia|iai- Innon-nrhi. Suivcnl les noms, le premier celui dtt primat de Numidie,
le huitième lolui lit- sjiiiil Aii^UNlin.
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 29

vraisemblance par l'évêque d'Hippone. Pas un mot du concile de


Diospolis on se borne à rappeler qu'en 411 le concile de Car-
:

tilage a été saisi du cas de Caelestius; quant à Pelage, sa doctrine


est combattue par nombre de contradicteurs, qui ont pu se rendre
un compte diligent de son contenu, en première ligne Jérôme (1).
Augustin n'est pas mentionné, indice ajouté à d'autres indices que
c'est lui qui rédige la synodale. Les pères de Milève ne reproduisent

pas l'anathématisme de Garthage ils comptent sur l'action de


:

l'évêque de Rome pour venir à bout de la « nouvelle et pernicieuse


hérésie ». Grande est leur déférence pour le Siège apostolique sur
lequel la grâce de Dieu a placé Innocent l'évêque de Rome est un :

évêque auprès de qui on ne doit pas se taire des grands intérêts de


l'Église (2). Les évêques de Numidie ne doutent pas que les auteurs
des pernicieuses erreurs ne s'inclinent devant l'autorité du pape
Innocent qui est une autorité issue de l'autorité des saintes Écritures.

Sed arbitramur, adiuvante misericordia Domini Dei nostri, qui te et regere con-
sulentem et orantem exaudire dignetur, auctoritati saoctitatis tuae, de sanctarum
Scripturarum auctoritate depromptae, facilius eos qui taai perversa et perniciosa
sentiunt esse cessuros, ut de correctione potius eorum congratulemur quam contri-
stemur interitu (3}.

On pourrait craindre que Pelage n'eût à Rome trop d'amis, et que


ces amis ne fussent en situation de lui assurer sinon la faveur, au
moins le silence du Siège apostolique
pour Pelage un : c'eût été
succès facile à exploiter au profit de sa doctrine. L'évêque de Gar-
thage et l'évêque d'Hippone jugèrent opportun d'écrire au pape Inno-
cent, à la suite des évêques du concile de Garthage et du concile de
Milève, une lettre rédigée sans nul doute par Augustin, et que ses
amis et collègues Alypius (de Tagaste), Evodius (d'Uzalai, Possidius
(de Galama), signèrent avec lui.
Augustin y expose au pape Innocent qu'il a ouï dire que Pelage
coQipte dans la ville de Rome où il a longtemps résidé quelques per-
sonnes qui lui sont favorables, soit qu'elles partagent ses erreurs,

(1) Ibid. 4 multo plures, qui eius sensus diligentius indagare potuerunt, ad versus
: '( ...

cum pro gralia Chrisli et catholicae fidei verltate conlligunt, sed praecipue sanctus filius
tuus frater et compresbiter noster Hieroniinus ».
(2) Ibid.
1 K Quia te Dorninus gratiae suae praecipuo raunere in sede apostolica collo-
:

cavit, talemque nostris temporibus praestitit, ut nobis potius ad culparn neglegentiae


valeat si apud tuam venerationem ijuae pro Ecclesia suggerenda sunt tacuerimus, quam
ea tu possis vel fastidiose vel neglegenter accipere, —
niagnis periculis infirmorum raein-
brorum Cliristi pastoraleiu diligeiitiam quaesumus adhibere digneris. »

(3) Ibid. 5.
30
REVUE BIBUQUE.

erreuTS ne sont pas de


=4oitdavantage cru'elles croient que pareiUes
^^'^^^^ ^^ ^ ^^^^^^ désormais il a été, assure-
lui, étant donné que^

t-on, absous par un concile,


bonne preuve de la pu^reté de sa foi (1).
Vugu^itin na évidemment pas
entre les mains les Gssta du concile
prendrait pas la peine qu'il prend
de Diospolis, car, s'il les avait, il ne
d'expliquer que Pelage a dû tromper les éveques. en équivoquant
a raison de dire que l'épis-
sur la déiinition de la grâce. Augustin
reçu dans TÉglise (2).
copat palestinien prend le mot grâce au sens
Il
des preuves scripturaires uïie notion
s'excuse de justifier par
Paul, et que le pape
qui est la notion ([u'en donne l'apôtre saint
Itinocent connaît mieux que personne (3). Il faut que
Pelage soit

mis en demeure d'anathématiser la fausse notion et de professer


sans ambages l'authentique « apertissime » {\). Il faut que le pape
Innocent mande Pelage à Rome, l'interroge diligemment sur la
notion qu'il professe de la grâce; que l'enquête se fasse par lettres,
si Pelage ne peut venir à Rome la preuve faite que
Pelage n'a d'au- ;

tre doctrine que « la vérité ecclésiastique et apostolique », qu'il soit

absous, l'Kglise n'en aura que de la joie. Augustin insiste :

Aiiatlieniet ergo Pelagius scripta sua, ubi contra eam (= gratiam Dei)... disputât,

possibilitatt-m defendendo naturae ad vincenda peccata et iraplenda mandata; aut si

ea sua esse iiegat. aut scriptis suis ab iniraicis suis dicit immissa quae sua esse
nevLal, aiialliciurt ea. tanien, et damnet paterna exhortatione et auctoritate sancti-

mouiae liiae i.Vi.

Comme il se doute que Pelage résistera, Augustin compte sur l'ac-

tion paternelle de l'évèque de Home, sur sou autorité aussi. Ll dépend


(lo l'él.iue de mettre un terme au malaise de l'Église « Si vultergo, :

(.lu-rosuiii sibi rt jic/'niciosum Ecclesiae discat scandalum au ferre ».

Ce HLilaisc est aggravé par ses auditeurs et par ses amis qui ne se
lassent j)as de b; propager, et qui ne s'arrêteront de parler contre la
GT.uM' (!<• I>i<'u. que quand ils apprendront que le livre de Pelage

t Vi (.. l'.r'hlnl. CLX.xMi, 2.


i^»uai>ropler non nilpancli sunt iudices, quia ecclesiastica consuetudine
noiiirll Illitt. )'

'
V /^' " npiislolica dorlrinu ^iraliain non iiiuncrilo islo nomine appellal (|ua
K«l*aniiir <•( mur ex tiile Cbrlsli. De ha(- scripluin est... {Cal. n, 21; v,
i; Rnni.
w. » .. \i. • ri iniilla alia (|ua»' indius potes meniinisse, ot inlellegere prudenlius, et
'•
illu<tlriii.-< i-r '

• /''•'' «onfilenlur apertissime ginliam (iiuim doclilna cliristiana demon-


'"

^Irat fl pr.Miiia e««e proprinm Chri^lianorum.., Ibid.M « ... de hac gralia clirislianis > :

liilelilMis ca»li»iiiis<|ai« nolissima... Ibiil qnarn doceL ecclesiastica et apostolica


. .

TcrilAH !

ih) Ibid. !.'•.


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 31

(le De natura) ou qu'ils attribuent à Pelage, a été anathématisé et


condamné par l'autorité d'évêques catholiques (ceux d'Afrique),
surtout de lévêque de Rome dont l'autorité sans nul doute a pour
Pelage plus de poids (1). La lettre d'Augustin s'achève par une gra-
cieuse expression de la déférence qu'il professe avec ses collègues
àl'ég-ardde l'évêque romain la crise qu'on traverse n'est pas petite,
:

ils attendent du pape Innocent une réponse qui les console et qui

leur prouve que le mince filet de doctrine qui coule en Afrique)


sort de la même source que le large courant qui s'épanche à Rome :

(( Non enim rivuliim nostrum tiio largo fonti augendo refmidï-


mus » (2).

un moment notre récit la démarche à Rome du con-


Arrêtons ici :

cile de Carkhage et du concile de Milève fait à l'historien le devoir de


chercher quelle idée avaient en il6 les évéques d'Afrique, et x\ttgus-
tin en première ligne, de l'autorité du Siège apostolique.

ni

Dans la catholicité plus d'un siège apostolique. Augustin,


il est
comme Tertullien, entend par siège apostolique toute église qui a eu
pour premier év.èque un apôtre (S). L'Église romaine a une cathedra
où a siégé l'apôtre Pierre, comme l'Église de .Jérusalem a une cathe-
dra où a siégé l'anôtre Jacques i). Les Églises apostoliques sont celles
(

qui ont été fondées par quelqu'un des apôtres ou qui ont reçu quel-
que lettre de l'un d'eux ces Églises sont vénérables entre toutes,
:

(1) ïbid. 15 : <Si enim (auditores et dilectores Pelagii) cognoverint euradem libram
quem illius ve! pulant esse vel nonint, episcoporum catbolicornm auctorilate, et maxime
Sanctitalis tuae quam apud eum esse maioris ponderis minime dubitamus, ab eodem ipso,
anathematum damnai um, non eos ulterius existimamus ausuros... »
atijue

(2) Ihid. 19 « Dabil sane nobis veniam suavitas mitissima coidis tui, quod prolixio-
:

rem epistulam forlassis quam Aelles tuae misimus sanctitati. Non enim rivulum », etc.
« Sed... utrum etiaiii noster licet exiguus ex eodem quo etiam tuus abundans emanet

capite fluentorum, boc a te probari volumus, tuisque rescriptis de communi participatione


unius gratiae consolari. » —
On pourra comparer la lettre que vers le mèmci temps
Augustin écrit en son nom personnel à Jean évèque de Jérusalem, EpistuL cLxxrs. Jean a
beau être évéque d'une Église apostolique, Augustin n'a nul égard a la dignité de son siè^e.
11 donne à Jean les même titres qu'à Innocent {Domine beatissime et merito venerabilis

frater, Sanctitns lua, Veneralio lua, etc.), mais rien de la déférence exceptionnelle
marquée à l'évêque de Rome et à son autorité. Il se borne à louer l'évêque Jean et ses
collègues de juger des choses catàoliquement [catholica régula sapitis).
(3) Epistul. cAwwm, 3 « ... christianae socletatis, quae per sedes apostolorum et suc-
:

cessiones episcoporum certa per orbem propagalione dilfunditur ». Sohu. Kirchenrecht


(1892), p. 350-351.
(4) Contra litl. Petiliani, ii, 118.
32 REVUE BIBLIQUE.

authentiques entre toutes (1). A elles se rattache et par elles donc se


vérifie la sticcession apostolique, qui fait la légitimité de l'épiscopat et

de la Catholica. Cependant, si nombreuses que soient les Églises


apostoliques, et encore qu'il existe plusieurs sièges apostoliques, la
qualité de Sedes apostolica appartient très particulièrement à l'Église
de désigne par excellence. Ce point est incontesté (-2).
Rome et la

h'Égiise de Rome est siège apostolique indépendamment du fait


que Rome possède le tombeau de saint Pierre, et aussi bien le tom-
Jx'au de saint Paul. une grande place dans la
Ce fait tient certes

dévotion catholique. Qu'on me montre à Rome un temple de Romulus


entouré de tant d'honneur que le tombeau de saint Pierre, la memoria
Pari, dit Augustin à l'adresse des païens (3). Au lendemain de la
prise de Rome par les Goths en 410, les païens représentent avec
sarcasme aux chrétiens que leur religion n'a pas protégé la ville
contre la faim, le feu, et le fer « Le corps de Pierre git à Rome, :

disent les hommes, le corps de Paul git à Rome, le corps de Laurent


gît à Rome, les corps de tant d'autres saints martyrs gisent à Rome,
et Rome est misérable... Où sont donc les memoriae apostolo-
non ('i.)? » Kt Augustin est obligé d'armer ses fidèles contre ce scan-
dale. Il est vrai qu'il a, en des temps meilleurs, tiré argument contre
les païens du spectacle de l'universelle ruine de leurs temples, et de
la empereurs du plus noble des empires témoi-
dévotion que les
gnaient au tombeau du pêcheîir ... imperii nobilissimi eminentis- : <(

simum culmon ad sepulcrimi jnscatoru Petî'i siibinisso diademale sup-


jiUcare » (5), On pourrait tirer de saint Augustin bien des traits

1 r.inshil. xi.iii, 7 : « ... possent (Doiiatislae) aliorum collegarum iudicio, praesertim


aposlolicaruiii Ectlesiarum, causam suam integram reservare. « (Cette lettre est de 397).
De doctr. c/tr. ii, 12. De titil. cred. 35.
(2; RriTEii, p. 301-302. Si'ECiiT, p. 183. — Siège apostolique désigne essentiellement le
premier de tous les sièges apostoliques, le siège de Pierre, en tant que Pierre a été le
prfinier assis sur une cathedra par l'inslitution immédiate du Christ. On entendra ainsi
De util. cred. 35 (p. 45) « Dubitabimus nos eius Ecclesiae condere gremio, quae usque
:.

ad ronfessioncm gfneris buniani ab aposlolica sede per successioncs episcoporum... colu-


men au( lorilatisobtinuit? » l.e siège apostolique est ici considéré comme le terminus a qno
iW. la succession épiscojmle. Le sens est le même
dans Contra epistul. fund. 4 (p. 196) :

• Tenri ipsa sede Pelri a|)ostoli, rui pascendas oves suas post resurrectionem
ail Dominus
«oiniiicndavit. ns<|ue ad iiracsentem episcopatum surcessio sacerdotum. »
Cl Knarr. in ps. \uv, 23 « Ostcndatur : milii Roinae in honore tanto templum Romuli,
in quanto ibi ostondo inemoriam PeUi. ^

(V Smiin c:r,\cvi. G « lacet Pt-lri (or|»us Roniae, dicunt homines, iacet Pauli corpus
:

Homne.... el misera est Homa, et vaslatur Honia, allligitur, ronteritur, incenditur. Tôt
sirane» liunl per famcm, pcr pcstem, jier gladium, ubi sunt memoriae apostolorum... « Cf.
il'id. M. In Ion. runnij. tract, xivu. 12 ; « ubi est Paulus apostolus iiiodoï... Romae in
.-('puirro.

(h) Epistul. ci.wxii, 3.


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 33

pareils attestant du temps au tombeau de l'apôtre


la dévotion
Pierre (1). On montrait à Éphèse le tombeau de Fapôtre Jean, on
croyait même que l'apôtre y reposait endormi (2); l'évêque d'Éphèse
n'en tirait pas pour autant une autorité à comparer à celle de
l'évêque de Rome.
L'Église de Rome est siège apostolique par excellence, parce que
la cathedra àa Rome est celle où a siégé l'apôtre Pierre et que l'apô-

tre Pierre a été le premier des apôtres. Il l'est par la date de son
appel (3), il l'est plus encore par le rang que l'Évangile lui donne
entre les autres apôtres :

enim Petrus in apostolorura ordine priraus,


Ipse in Christi amore promptissimus,
saepe unus respondet pro oiiinibiis (4).

Il premier, non accidentellement, mais habituellement, donc


est le
d'une manière qui suppose une intention du Sauveur. Il possède ce
qu'Augustin (après saint Cyprien) nomme du nom de primauté, ou
encore de principal. Il est l'apôtre « in quo prhiiatus apostolorum
tam excellenli gj^atia praeeminet » (5). Pierre ne possède pas la pri-
mauté de l'apostolat en ce sens que cette primauté lui serait com-
mune avec les autres apôtres : il a la primauté entre les apôtres, sur
les apôtres. En considération de cette primauté, il est l'apôtre qui,

(1) Voyez la lettre de saint Paulin de Noie (en 408), int. Aug. Epislul. xciv, 1 « Cum :

eo iuxta soUeranem meum morem post Pascha Dominl pro apostolorum et martyruin vene-
ratione venissem... Fateor... non potuisse me volumen ipsum statlm ut acceperam Romae
légère : tantae enim illic turbae erant... »— On avait en Afrique beaucoup de dévotion
pour les deux apôtres Pierre et Paul. Dans le martyrologe de Carlhage (vi» siècle), saint
Jacques et saint André sont les seuls apôtres fêtés à Carthage, autres qu'eux. (Carthage
fête aussi saint Laurent, saint Clément, sainte Agnès, empruntés à Rome). Voyez les
Serm. ccxcv-ccxcix d'Augustin pour le 29 juin, In natali apostolorum P. et P. Son
Sermo xv a été prononcé à Carthage « in basilica sancti Pétri «.On a retrouvé à
Calama des reliques de saint Pierre (C. R. Acad. des inscr. 1896, p. 192). Nombreuses
étaient en Afrique les reliques de saint Pierre et de saint Paul, ensemble (C. I. L. t. VIII
9714, 9715, 9716, 10693, 10707, 17715, 17746, 18656, 20600, 21496...), et ces reliques sont
des témoins des relations de l'Afrique chrétienne avec Rome.
(2) In loa. euang. tract, cxxiv, 2.
(3) Sermo ccxcix, 2 « Apostolus Petrus inter discipulos quos Dominus... elegit
:
primus
electus est, Paulus aulem... longe postea... Petrus ergo primus apostolorum, Paulus
novissimus... Petrus in apostolis primus, Paulus in apostolis novs^imus ». Cf. ccxcviii
1.
(4) Se7-mo cLxxvi, 1. Ibid. 4 « In illo ergo uno apostolo, id est Petro, in ordine
:
aposto-
lorum primo et praecipuo... >> Sermo cxlvii, 1 : « Apostolum Petrum prlmum omnium
apostolorum meministis in Domini passione fuisse turbalum. » Sermo ccxcv, 4 « In :

apostolis Petrus [est primus. » Ibid. 1 « Beatus Petrus primus apostolorum... » Sermo
:

cxLvii, 1 « Apostolum Petium primum omnium apostolorum... » Sermo ccxcv


:
4 « In :

apostolis Petrus est primus... » la loa. euang. tract, lvj, 1 « Quis nesciat primum :

apostolorum esse beatissimum Petrim? »


(5) De bapdsmo, ii, 2.

REVUE BIBLIOUE 1918. — N. S.j T. XV. 3


34
REVUE BIBLIQUE,

choisi pour représenter l'Église


de i)référence aux autres apôtres, est
et quelque sorte jouer le personnage de TÉglise
en Ecclesiae :
(c

Petrm aposlolus, propter apostolatus sui primatiim, gerebal figurata


generalilate personam » (1). U est l'apôtre en la personne duquel le
Christ institue l'Église et lui donne sa loi, « in quo uno format Eccle-
siam La primauté de Pierre est dans les desseins de Dieu autre
» (2).

ciiose que lépiscopat saint Cyprien est évêque, saint Pierre a la


:

primauté apostolique, ils n'ont de commun que le martyre « Sed et :

si ilhiat calliedrarum gratia, una est


tameii ynartj/rum gloria » (3).

Où l'on voit qu'entre la cathedra Pétri et la cathedra


Cypriani Dieu
a mis dans ses desseins une distance considéraltle. Pierre est le pre-
mier entre les apôtres d'une primauté qui est par Augustin rapprochée
de celle de Moyse Pierre, quand il coupe l'oreille du serviteur du
:

grand prêtre, peut être comparé à Moyse quand il tue l'égyptien pour
défendre un hébreu [Exod. ii, 12), et comme Dieu pardonne à iMoyse
ce meurtre, ainsi il pardonne à Pierre son coup d'épée, puisque
Moyse devient le chef de la Synagogue et Pierre le pasteur de l'É-
fflise :

Quid ergo iacoiigruura, si Petrus post hoc peccatimi factus est pastor Ecclesiae,
siciit Moyses post percussum aegyptium factus est rector illius synagogae (4) ?

Ce texte du Contra Fausium, en iOO, est une définition capitale de


1.1primauté de saint Pierre. L'exégèse augastinienne des passages
évangéliques (fui établissent cette primauté paraîtra, après une telle
allirmation, un peu flottante.

L'exégèse du Tu es Petrus {Mat. xvi, 18-19 d'abord. Augustin s'en


explinue, dans les Rétractations à propos de son livre Contra
epislitlum DonafI haeretici, perdu. Il rapporte là que, dans le

Contra cpisfulam Donali (composé en 393), il a compris que l'Eglise


a été fondée sur saint Pierre qui est la pierxe, quod in illo tani- <(

qunm in petra fundata sit Ecclesia )>, interprétation popularisée,

(! In Ion. fuann. tract, cxxiv, .5.Rapprochez Knarr. in ps. c.viu, 1 « ... propter ]iri- :

iiiatiiin ijunu in <lisri|nilis lialiuil. » .Scrmo iwvi. H Pelrus... apostolatus principalum


: <;

t<n. ()*... - lliitl. l : .< .


Pi'ini in online aposlolorum primo et praecipuo. »
Sernw <;\\xvii, :

(.i) /Je hn/iti.sino, loc ril.

(4/ Ctmtra Inustum. \\m. Tu q». r^^\l]. L'idée de consiilfrer Moïse comme la figure tlo

ftaînt l'iern- se retrouve en plus d'un monument de laiTliéciogie clirétienne. 11. Guis.vu,
llisioire ilr Home, rl des pnprs nu M. A., {. \ (1906), p. 455-456.
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 35

dit-il, par les vers du bienheureux Ambroise (1). Mais, ajoute-t-il,


depuis lors bien souvent j'ai interprété autrement la parole du Sau-
veur. Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, sur
cette pierre, c'est-à-dire sur celui que Pierre vient de confesser,
quand il a dit au Sauveur : Tu es le Christ fils du Dieu vivant [Mat.
XVI, 16). Saint Pierre personnifie l'Église qui est bâtie sur la pierre :

il n'est dpnc pas la pierre. Le Sauveur ne lui dit pas : Tu es la pierre,


mais : tu es Pierre. Et la pierre est le Christ. Pour avoir confessé
la pierre, comme la confesse toute l'Église, l'apôtre a été appelé
Petrus. —
conclut Augustin, les deux interprétations, entre
Voilà,
lesquelles le lecteur optera pour celle qui lui paraîtra préférable :

« Rarum autem duarmii sentenlianim qiiae sit probabilior eligat


lector » (2).
Cette hésitation d'Augustin fait tort à sa philologie : il n'a pas
soupçonné le jeu de mots araméen qui donne le sens authentique
de la parole du Christ l'apôtre est Kepha et sur ce Kepha sera
:

bâtie l'Église. Augustin fait de Petrus une sorte d'adjectif tiré du


substantif petra : la pierre est pour lui la chose qui importe. La
signification de cette pierre est suggérée à Augustin (bien arbitraire-
ment) par le texte de saint Paul, Pelra autem erat C/irisius {ICo>\ x, 4).
Cette interprétation s'accréditera sous l'autorité d'Augustin (3). De
même, l'interprétation qui voit dans pet?^a la foi de Pierre Sur :

cette foi qui est la tienne je bâtirai mon Église, interprétation qui
peut se ramener à la précédente, la foi de Pierre, l'objet de la foi
de Pierre étant le Christ (4). Mais l'interprétation d'Ambroise était

(1) Allusion aux vers : — Hoc ipsa petra Ecclesiae — canente cnlpam diluit », de
l'hymne Aeterne rerwn conditor : Sitôt que le co<i chante, la pierre de l'Église (l'apôtre
Pierre) efface sa faute. Même interprétation dans le Psalmus contra partem Donali
d'Augustin, qui est de 393.
(2) Retract. 1, x\i. Les R. qui sont de 426-427 expriment sur ce point le sentiment défi-
nitif d'Augustin : laisser les interprètes libres. Le passage classique des In loa. euamj.
tract, que nous citerons ne rétracte pas les R., car les Tract, in loa. sont de 416-417.
(3) In loa. eiiang. tract, cxxiv, 5 « Non enim a Petro petra, sed Petrus a petra, sicut

non Christus a christiano, sed christianas a Christo vocatur... Super hanc ergo, inquit,
petram quam confessus es aedificabo Ecclesiam meam. Petra enim erat Christus, super
quod fundamentum etiam ipse aedificatus est Petrus... » Rapprochez Enarr. in ps. lx, 3 :

« Ut aedilicaretur Ecclesia super petram quis factus est petra.' Paulum audi dicentem :

Petra autem erat Christus. In illo ergo aedificati sumus. » Il)id. lxvi, lO; CIII, ii, 5; CIII,
III, 6. Sermo lxxvi, 1; cxlvii, 3; ccxliv, 1; cclxx, 2; ccxcv,
1. In loa. euang. tract.

VII, 14; hwx, 1. — Reuter, p. 287, ne signale que l'interprétation petra =: Christus :
lacune singulière, que Speciit, p. 131, a raison de signaler.
(4) Quid est. Super hanc petram aedificabo Ecclesiam
In loa. epistul. tract, x, 1 : h

meam? Super hanc fidem, super id quod dictum est. Tu es Christus filius Dei vivi. »
Autant Sermo clxxmii, 14 « (Dominus) approbavit fidem Pétri eamque petram esse
:

monstravil. » (Les Tract, in loa. ep. sont de 416).


96 REVUE BIBLIQUE.

la seule directe, ancienne


la Augustin ne l'a jamais re-
seule :

jetée (1), défendue quelle était en Afrique par Fautorité de saint


Cyprien (2).
M. Specht suppose qu'Augustin a craint de faire le jeu des Dona-
tistes en identifiant Peints et petra (3). Il cite à l'appui ce passage

d'un sermon d'Augustin développant le thème que l'Église est fondée


sur le Christ, non sur les hommes, réminiscence du texte de saint
Paul {I Cor. I, 12; où les Corinthiens se réclament qui de Paul, qui
d'ApoUos. qui de Céphas, qui du Christ Avez-vous donc été baptisés :

au nom de Paul, répliquait l'apôtre aux Corinthiens? Et Augustin


ajoute : « Quomodo non in Pauii [nominé), sic nec in Pétri, sed in

nomine Christi, lit Pelrus aedificaretur super petram, non j)etra


super Petrum » (4). Qu'Augustin vise là le Donatisme, la pars
Itonati, le baptême qui vaut par la vertu de qui l'administre, on

peut le concéder à M. Specht. Que cette vue ait suggéré à Augustin


d'identifier la pierre et le Christ, je ne le crois pas. Augustin, en
effet, n'a pas pour autant renoncé à faire valoir contre les Donatistes

l'argument de la cathedra Pétri, d'une part, et l'identification de


Petrus et de jjetra, d'autre part. Il semble bien d'ailleurs que l'iden-
titication de Christus et de petra, loin d'être une inspiration de
conti'overse antidonatiste, soit plutôt une application comme mé-
canifjne du Peiraaulem erat Cliristus de saint Paul.
Avec le texte Tibi dabo claves reyni caelorum... [Mat. xvi, 19),
Augustin n'a pas hésité. L'interprétation constante qu'il donne de
ce texte voit dans les clés un pouvoir que Pierre a reçu du Christ,
mais <pi'il a reçu pour l'Église dont en cette occasion le Sauveur
avait vuulu ([u'il représentât l'unité « Petrus quando claves accepit :

Eiclesiain sanctam shjnificavit (5)... Ecclesia ergo quae fundatur in

i\) Enarr. in ps. iai\, 4 : « Petrus... in illa confessione appellatus erat petra supra
<|uain fabritarelur Ecclesia. ii, Uapprochez XXX,
5; XXXIX, 25; LV, 15. Dans S,ermo
»

<:<;\.:i\, l'J (ce seiinon est


de l'année 413), .\ugustin cite un texte de saint Cyprien dans
Ic'iuel isl tire argument d'une parole de saint Pierre [Act. x, « Hoc
15), et il ajoute :

(Cypri;iiius, de fundaincnto Erclesiae sumpsit ad conlirinandum lapidem nutanteiu. « 11


est \rai (lue Pierre est iielra queiiiuefois dans un autre sens Enarr. in
: ps. ClII, m, 7.
Cvj'iiUR. lipistnl. i.\xi, 3 : «Petrus qucin i)rimuiii Dominus elegit et super quein
Kc.lesiam suain. ). De cath. EccL unit. 4 : u Super unum aedificat Ecclc-
'' i^'I'fwl'f/ la lettre de Finnilien, int. Vww. Epislul. i.xw, 17 : >. (Stcphanus) se
surr.-R»ioncin Pétri tenere tonlendit. super
quem fundamenta Ecclesiae collocata sunl. »
HT, p. 142.

., -///lo lAxvi, 2. — Ua|.|.rociiez Cir. JJri, \\n,, 54 (,,. 302) : « \os ergo, qui sumus
TO€^rpur.|up Clirisliani, non in Petrum crcdimus, .sed in quem credidit Petrus... »
:. /.. lot,, euan'j. tract. 12 « Nam in Petro
1., :
non esset Ecclesiae sacramentum
si
non r, di. ..ret D.unini T>bi ilvbo claves... Si hoc Petro
tdntum dictum est, non facit hoc
Krrl.-K,a Cm., -x. ,.i.u,m„.,.„i K. .le^ia, in caeio
.
ligalur excommunicatus; eu... reconcilia-
SAINT AUGUSTIN. PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 37

Chrislo claves ah eo regni caelorum accepit in Peiro, id est polestalem


ligandi solvendique peccata Le pouvoir des clés est le pouvoir » (1).
d'excommunier et de réconcilier un pécheur l'excommunication :

lie, la réconciliation délie l'excommunication lie dans le ciel, la


:

réconciliation délie dans le ciel, et voilà pourquoi les clés sont les
clés du royaume des cieux. Le pouvoir des clés appartient à l'Eglise
sur terre « Columba ligat, columba solvit, aedificium supra petram
:,

ligat et solvit » (2). Le pouvoir a été donné par le Christ à Pierre,


qui personnifiait là l'Église.

Doniinus lesiis discipulos suos ante passionem siiam, sicut nostis, elegit quos
apostolos appellavit. Inter hos pêne ubique solus Petrus totius Ecclesiae meruit
gestare personam. Propter ipsam personam quam totius Ecclesiae solus gestabat
audire meruit : Tibi ilabo claves regni caelorum. Has enira claves non home unus,
sed unitas accepit Ecclesiae. Hinc ergo Pétri excellentia praedicatur, quia' ipsius
imiversitatis et unitatis Ecclesiae figuram gessit quando ei dictum est : Tibi trado
quod omnibus traditum est (3).

La pensée d'Augustin revient à celle de Tertullien écrivant :

« Mémento claves eius hic Dominum Petro et per eum Ecclesiae i'eli-

quisse » (4). L'Église, V unitas Ecclesiae, la Catholica, exerce le


pouvoir des clés qu'elle tient du Christ, c'est-à-dire le pouvoir de
fermer et d'ouvrir le ciel par la pénitence. A la pénitence, en effet,
Augustin restreint le champ du pouvoir des clés. Ce pouvoir, qu'exer-
cent les évêques dans la Catholica (5), a été par le Christ donné à
l'Église dans la personne de saint Pierre. L'apôtre a reçu le pouvoir
des clés pour l'exercer, en même tem-ps que pour le transmettre.

lur ab Ecclesia, ia caelo solvitur reconciliatus : si hoc ergo in Ecclesia fit, Pelriis quando
claves accepit Ecclesiam sanctam significavit. »

(1) In loa. euamj. tract, cxxiv, 5 : « ... peccata... Qua significalione intellegitur Christus
petra, Petrus Ecclesia. » Ibid. 1 : « ... ad Uganda et solvenda peccata claves regni caelo-
rum primus apostolorum Petius accepit... Nec iste solus, sed uni versa Ecclesia ligat sol-
vitque peccata... » Ibid. cwiii, 4.
(2) Serino cc\cv, 2.

(3) Ibid. Même thème, Sermo c\u\, 7. Enarr. in ps. cvui, 1. De agone chr. 32 et 33.
Ni le texte Contra Gaudent. i, 39, ni le texte De baplismOj vn, 99, ne vont contre cette
conclusion.
(4) Scorpiace, 10 (éd. Wissowa, Optât, vu, 3 (p. 171)
p. « ... bono unitatis
167). Cf. :

beatus Petrus... et praeferri apostolis omnibus meruit et claves regui caelorum coramuni-
candas ceteris solus accepit. « C'est une subtilité d'ergoteurs gallicans et joséphistes de
prétendre que Pierre a reçu ensuite de l'Église le pouvoir qu'il avait reçu d'abord pour elle.
(5) Specht, p. 150, le note à propos contre IIeuter, p. 30i, i[ui voudrait que le pouvoir
des clés appartint à tous les chrétiens, les la'iques compris. Pierre est ailleurs pour
Augustin le représentant, la figure des bons pasteurs [Sermo cvlvii, 2), mais dans un
sens purement moral sans cela, on devrait dire que le pouvoir des clés n'est exercé vali-
:

dement que par les bons pasteurs, pensée donatiste qu'Augustin n'a certainement pas. Ceci
encore contre Reuter, p. 304.
3)^
REVUE BIBLIQUE.

Pelri e.rcellentia praedicatur » rexcellence de Pierre,


« Hinc f'igo :

l'exégèse d'Augustin, ne vient pas


de ce qu'il reçoit le pouvoir
dans
des clés comme un privilège,
mais de ce qu'il est estimé par le
occasion l'unité de l'Église. Il a
Christ digne de représenter en cette
parlé pour tous, il reçoit pour tous (1).
Un dernier texte évangélique a trait à la primauté de Pierre, le
texte Pasce agnos meos, pasce ores
meas. Augustin applique à ce texte
la môme exégèse qu'aa texte Tibi
dabo claves ;, Pierre, pense-t-il, repré-
la personne
sente tous les apôtres, tous les pasteurs, et le Christ en
de l'ierrc revêt tous les pasteurs du pouvoir de paître son troupeau.

Non enim sine causa inter omnes apostolos huius Ecclesiae catholicae personam
susiinet Petriis huic enim Ecclesiae claves regni caelorum datae sunt cum Petro
:

(Jatac .sunt, et cum ei dicitur ad omnes dicitur Amas me, pasce oves meas (2). :

l»(.urquoJ le Christ s'adresse-t-il donc à Pierre au singulier? Augus-


tin répond que le Christ veut par là marquer l'unité, recommander
lunité, souligner aussi la primauté de Pierre :

Non enim inter discipulos solus meruit pascere dominicas oves, sed quando
Christus ad unum loquitur unitas commendatur, et Petro primitus quia in apostolis

Petrus est primus (3).

On peut davantage de ces textes évangéliques, et les


certes tirer
théologiens le feront qui auront à construire didactiquement la thèse
de la i)rimauté de Pierre. A Kome même, au temps d'Augustin, on
parlait un langage plus accentué « Petrus etiam aposiolorum caput, :

cacli ianilor, et Ecclesiae fundamentum,... Romanos edociùt quorum


filles aiinuiUiatur iiniverso orbi terrarum » (i), ainsi s'exprime vers
31)5 un anonyme romain que cite Augustin.

Si fc laniia^c n'est pas exactement celui d'Augustin, cela n'atlecte


pas la loi d Augustin dans le pri?icipafus que Pierre a reçu du Christ
el <jui se perpétue dans la cuthedra de Rome.
Nous avons vu Augustin, énumérant les raisons de croire à la Catho-
itca, à l'adresse des Manichéens, écrire :

lenel iiic; al) ipsa scdc Pclri apostoii, cui pascendas ovos suas post resurrectionem
Dominii^ c imiucndavit, ns(|Me ad praesentcni episoopauim successio sacerdolum (.5,,.

'
/' r. 32.
^< V, 'i. ILipiiroi-bex Sermo mm, 30.
( \l (.. / jH^IllI. \\\\l. ?i,

. (imlin iiuttul. l'uni. \ '|>. l'.ii'. .


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIEGE APOSTOLIQUE. 39

Augustin a dit ailleurs que la succession épiscopale remonte aux


sièges apostoliques, « ah ipsis fundatissimis sedibiis apostolorum usque
ad hodieniuni diem succedentuim sibimet episcoporum série » (1). Les
deux énoncés ne se contredisent pas l'aboutissant : est l'épiscopat

d'aujourd'iîui établi dans l'univers, le moyen terme est la succession

ininterrompue des évoques, le point de départ peut être cherché soit


dans les divers sièges fondés par les apôtres, soit dans le siège de
l'apôtre Pierre, en ce sens que le Christ, qui a formé l'Église dans la
personne de Pierre, a institué l'épiscopat dans sa personne, quand il
lui a dit Pasce oves meas. Augustin enseigne ces choses dans le
:

Contra epistulam Fundamenli, qui est de 397. Quatre ans auparavant,


dans le Psalmus contra partem Donali, il a écrit :

Nimierate sacerdotes vel ab ipsa sede Pétri


et in ordino illo patrura quis cui successit videte :

ipsa est petra quam non vincunt snperbae inferorum portae.

Comptez évèques en remontant au siège de Pierre, vérifiez la


les

succession des évoques nos pères ce siège est la pierre dont ne:

viennent pas à bout les portes orgueilleuses de l'enfer. Ipsa est petra
s'entendra de la sedes Pétri, et sedes Pétri de saint Pierre considéré
comme l'apôtre en
personne de qui a été par le Christ institué
la
Yordo patrum : la sedes Pétri en tant qu'elle se perpétue dans la
succession épiscopale est invincible aux puissances de l'enfer.
Nous n'aurions que de tels textes d'Augustin, nous serions autorisés
seulement à dire qu'il a considéré dans saint Pierre l'épiscopat histo-
rique de la catholicité. Mais on ne peut douter qu'Augustin ait fait au
siège de Rome, en considération de saint Pierre, une condition pri-
vilégiée.
Il en 398, à des Donatistes, que les premiers auteurs de leur
écrit,

schisme auraient dû avoir scrupule de rompre avec le siège de Car-


thage et Cécilien, parce que Cécilien était en communion avec tout le
reste de la catholicité, « et Romanae Ecclesiae, i/iqua semper aposto-
lïcae cathedrae viguit principatus , et céleris terris unde Euangelium
ad ipsam Africam venit » (2).. D'une part, la terre d'où l'Évangile est
venu, c'est à savoir l'Orient; d'autre part, l'Église romaine, où s'est

perpétué le principat de la chaire apostolique. Ce principat n'est


point l'épiscopat local de Rome, la succession épiscopale propre à
Rome, car dans la phrase d'Augustin le pri\dlège de Rome s'oppose
à celui de l'Orient : à l'Orient l'honneur d'avoir donné l'Évangile au

(1) Contra Faustum, xi, 2 (p. 315).

(2) Epistul. XLiii, 7.


40 RKVUE BIBLIQUE.

monde et ainsi à l'Afrique, à Rome


l'honneur de Vapostolicae cathe-
drac principatus perpétué. Ce principal nest pas davantage lépiscopat
historique de la catholicité, puisqu'il est particulier à Rome. Augus-
tin reconnaît donc au siège de Rome un attribut qui appartient à ce
siège, et n'appartient pas aux autres sièges, pas même à ceux des
Églises apostoliques, puisqu'il s'agit ici du principatus propre à un
seul apôtre, saint l*ierre. Au fort des controverses qui ont précédé le
concile du Vatican, Janus (Dollinger) assurait que dans toute l'œuvre
de saint Augustin ce texte était le seul qu'on pût invoquer en faveur
de la primauté de l'évêque de Rome (1). Invoquons-le donc, mais ce
texte n'est pas si unique.
Dans cette même lettre de 398, à propos de la sentence prononcée
en 313 parle pape Miltiade en faveur deCécilien, Augustin en exalte la
sagesse : « ... sententia, quam innocens, quam intégra, quam. provida
atque pacifica », et il loue Miltiade de s'être montré là -un fils de la
paix et le père du peuple chrétien : « viriun optimum, o filium
patrem christianae plebix » (2). Specht veut voir
cliristianae pacis et
dans ce texte une reconnaissance de la paternité de l'évêque de Rome
à l'égard de toute la catholicité (3). Non, Miltiade a été un homme
très bon, un tils de la paix (réminiscence de Luc, x, G), et, pour le
peuple chrétien que le schisme donatiste allait si cruellement diviser,
un père. Rien d'impersonnel, d'universel, de permanent, dans ces
quahliealifs donnés au pape Miltiade à l'occasion d'un acte posé par
lui. Nous ne ferons pas appel à ce texte en faveur de la primauté de

l'évêque de Rome. Specht cite encore un texte du Contra Iulianum,


qui a le toit d'être postérieur à la date où nous avons fait halte,
puis([ue le Contra Iulianum est de 421. Augustin imagine que Julien
d Kclanum, en voyant qu'on lui oppose l'autorité de docteurs occiden-
taux, réclamera des docteurs d'Orient. A quoi Augustin réplique que
1.1géographie ru cette matière importe peu, et qu'il aurait mieux
valu pour le pélagien Julien s'incliner devant l'autorité de Rome
seule représentée par le pape Innocent :

l'uio libi eam parteni orbis suflicere debere in qua primiim npostolonim suorum
voluit Domiuus ^loriosissiiuo maityrio corouare cui Ecclesiae praesidentem beatum
:

Iniioo-nliiim si audire voluisses, iain tuoc periculosarn iuveûtutem tuam pelagianis


Ijfjiipis cxiiissfs. Oiiid enim potnit ille vir sanctus africaols rcspondere conciliis, nisi
qiiod aiiii(|iiiujs ap(.!,t(»licj st-di-s romana cum
et ceteris tenet perseveranter Eccle-
sia?... San.i., Innoccntio vide (juid respondeas, qui uilnl aiiud de iiac re sapil quam

I; Ja^ils. Drr Pnpsl und (la% Konzil (ISG!.), p. 94, cilé par Specht, p. i:.8.
(2) Epistul. \i.iii, ic.

{.'I' SfECIIT, [I. I.VJ.


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 41

quodisti in quorum te conventum (si tamen prodest aliquid) introduxi : cum his etiam
ipse considet, etsi posterior tempore, prior loco (1).

Les écrivains allégués par Augustin à Julien cFEclanum sont saint


Cypi'ien, saint Hilaire, saint Anibroise : noms,
à défaut de ces grands
celui du pape Innocent aurait suffi. Que Julien réponde donc au pape
Innocent, qui est le plus récent en date, le premier par son siège,
« considet etsi posterior tempore, prior loco » (2). Le siège de Rome

l'emporle donc sur celui de Carthage ou celui de iMilan, et par là


Innocent l'emporte en autorité sur des personnalités de la taille de
Cyprien, d'Ambroise. Il l'emporte si bien que Julien pourrait s'en
tenir à l'autorité du pape Innocent, qui préside à l'Église de Rome,
cette Église que le Seigneur a voulu couronner du très glorieux
martyre du premier de ses apôtres. Innocent, en effet, ne saurait
enseigner une autre doctrine que celle qui est professée depuis l'ori-
gine iantiquitiis) par le Siège apostolique et par l'Église romaine de
concert avec les autres Églises du monde.
Il n'est pas indifférent certes pour le prestige du pape Innocent

qu'il soit l'évêque de Rome. Même en un temps où elle n'est plus la


résidence du prince, Rome demeure le centre du monde romain,
L'évêque de Carthage prêchant à son peuple (en 398) contre la pré-
sence à Carthage d'une statue d'Hercule qu'on ne tolérerait pas à
Rome, les auditeurs l'interrompent par une de ces acclamations
accoutumées en Afrique, et crient « Qiiomodo Borna sic et Carthago. »
:

Augustin, qui prêche le soir du même jour, rappelle au peuple son


acç. amation du matin, il la cominente « Si in capile gentium res
:

praecessit, memhra non sunt secutura? » Rome est donc toujours caput
gentium, les peuples du monde sont les membres du corps dont Rome
est la tête (3). Vingt ans plus tard, la même expression se retrouve
dans une lettre d'Augustin : il parle de la grâce, de la doctrine de
l'épîtreaux Romains sur la grâce, et relève que l'apôtre Paul a donné
cet enseignement aux Romains afin que de Rome il se communiquât
à tout l'univers, puisque Rome est la tête du monde « ... gratiam, :

(1) Contra Iulian. i, 13.


(2) s'est exprimé un an plus tôt, en 420, dans des termes analogues, quand il
Augustin
écrit au pape Boniface « Neque enim dedignaris, qui non alta sapis, quamvis 'altius
:

praesideas, esse amicus humillum. » Contra diias epist. Pelagian. i, 1. « Cum vero non
desinant fremere ad dominici gregis caulas,... communisque sit omnibus nobis qui l'ungi-
mur episcopatus oflîcio (quamvis ipse in ea praeemineas celsiore fastigio) spécula pasto-
ralis, facioquod possuni pro mei parlicula muneris. » Ibid. 2.
(3) Sermo xxiv, 6. Rapprochez Sermo ccclwxi, mais l'authenticité en est sujette à
caution :Habet ergo Roma caput gentium duo lumina gentium (Pierre
« et Paul) ab illo

accensa qui illuminât omnem hominem venienlem in hune mundum... »


40 REVUt: BIBLIQUE.

de cuius commmdatAone maxime ad


Eomanos apostolica epistula
velut a capite orbis toto orbe
loquitiir. Ht indc se praedicatio eius
ainsi en 418, huit ans après la prise
diffunderel... » (1). Âug-iistin parle
,1pHume par Alaric, qui a rempli le monde d 'émotion et comme
dune horreur sacrée.
Allons-nous dire que lévèque de Kome est prior
/oco parce qu'il

siège dans la métropole historique du


monde, capite gentiiim, in m
capite urbis?Je[\G nest pas la pensée
d'Augustin. Le moilocus dont
se sert ne désigne pas la ville de Rome, mais le siège épiscopal de
il

Rome, le locus Pétri.


Les évêques sont égaux entre eux, c'est là un point de doctrine for-

tement posé par saint Cyprien et auquel Augustin reste fidèle, en ce


sens tout au muins que chaque évêque a, dans les questions libre-
ment controversées, le droit de chercher la vérité a Habe?mis ergo :

ijuaerendi libcrum arbitrium ipsius Cypriam nobis mitissimo et vera-


cfssimo sermone concessum... Nulla nos certe deterret auctoritas a
(junerendo quid rerum sit » (2;.L'évèque d'Hippone ne craint pas de
formules un peu ombrageuses de Cyprien (3) sur l'égale
riter les
autonomie de chaque évèque, illes entend un peu trop bénignemcnt :

au fond, adopte pas au sens de Cyprien, car il sait mieux


il ne les

que Cvj)rien ce que chaque évêque doit à l'unité de la Catholica. Or


l'union au Siège apostolique en tant que tel est, en matière de foi, une
condition nécessaire de cette unité.
(In cite à ce propos la lettre d'Augustin à Classicianus, et je la
cilfiai aussi. ne se rapporte pas à une matière
Ce texte, à vrai dire,

de foi. mais à un point de discipline sur lequel Augustin souhaite


i\\\v Ions ks évoques observent la même règle de conduite. Un évêque

.i-t-il d'excommunier un fidèle qu'il juge coupable, et d'ex-


le droit
conmiunitT collectivement du même coup toute sa famille, toute sa
maison? Kt en<ore un évêque doit-il ou ne doit-il pas accorder le droit
:

d asile dans son Kgl.ise à des chrétiens (jui s'y réfugient pour manquer
impunément à une parole (pi'ils ont jurée? Sur ces deux doutes, écrit
Augustin, je désire (pje, avec l'aide du Seigneur, nous délibérions
dans notre concile, et (jue. si besoin est, nous écrivions au Siège apos-

(I) Epislut. rxir.n, ". I,a îeUre <'«»t adressée à u» prfilre romain influent, Xystus, le futur
l>a|>r de ce nom.
'
Dr haptiMiii.. m. :..

; Ihiil. NiM|iu' fniin i|iii.si|uain noslruin, iiKiuil (Cyprianus), C|iiscitpum se e|)isco-


jioriini «on&lituit, aul l>ranniro lerrore a<i obsequentli nece.ssilalem collegas suos adifiit. «
Il faut n\oir h MU- .imc dAupusIin pour ajouler : u Qaid mansuefius, quid huinilius! »

Hnpprorlu'/ \' • Jj'iiinl iiii ii


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 43

tolique, afin que Fautorité de tous s'accorde à fixer la règle que nous
devons suivre :

...Adiuvante Doiiiiuo, et in coiicilio nostro agere ciipio, et si opus fuerit ad sedem


apostolieam scribere, ut in his causis quid sequi debeamus concordi omnium auctori-
tate constituatur atque Urnietur (1).

de citer cette lettre à Classicianus comme une


Reutei' a raison
preuve qu'Augustin n'a pas de prévention contre les prétentions c(

romaines » (!2|. L'évêque d'Hippone se tourne vers Rome avec con-


fiance, sûr que, en cas de besoin, on trouvera à Rome une règle et
le moyen de réaliser l'unanimité des évèques africains sur un point
de discipline et de droit. Pareille consultation demandée à Rome
par un concile d'Afrique n'est pas inouïe (3) il est vrai qu'en :

ces matières de discipline les conciles africains consultent sans se


croire engagés à observer la règle que Rome leur proposera. Nous
en conclurons que le recours à Rome, en vue d'unifier la discipline,
est une démarche qu'Augustin regarde, le cas échéant, comme
utile, sinon comme indispensable. Il n'en va pas ainsi des questions
de foi catholique.
Le concile de Carthage de 410, qui sent son impuissance à en finir
avec l'erreur et l'intrigue pélagiennes, recourt au Siège apostolique,
« ut staLutis nosti'ae mediocritatis etiam apostolicae sedis adhibeatur
auctointas ». Car le Siège apostolique a une grâce plus grande pour
prêcher la vérité, maiore gratia de sede apostolica praedicas ».
«

Il faut que l'impiété de Pelage soit condamnée aussi par l'autorité

du Siège apostolique, « etiam auctoritate apostolicae sedis anatlie-


manda est ». Ces fortes expressions ne sont pas d'Augustin, qui n'a
pas assisté à ce concile de Carthage elles sont de l'évêque de Car- :

thage Aurelius, sans doute. —


Dans la lettre du concile de Milève,
dont la rédaction est d'Aug-iistin, les expressions de déférence envers-

(1) Epistul. CCI., appendice ; Fragm. eu: epistul. ad Classicianum. La date de la lettre

est indécise. Tillemont (t. XIII, p. 257) opte pour 412 environ. Classicianus rir spectabilis
(vicaire d'Afrique ou praeses Mauretaniae) est un peisonnage inconnu d'ailleurs, m'assure
M. Fallu de Lessert.
(2) Reuter, p. 306.

(3) Nous pensons au concile d'Hippone du 8 octobre 393, décidant de consulter l'Église ii

transmarine », en fait Rome et Milan, mais on ne donna pas suite à la décision. Nous pen-
sons au concile de Carthage du 28 août 397, décidant d'y donner suite, et en effet on écrit

à Rome et à Milan. Sur la lin de 397, le pape Sirice et Simplicianus de Milan se sont
prononcés contre les propositions africaines. Le concile de Carthage du 16 juin 401 délègue
un de ses membres auprès du nouveau pape (Anastase) et du nouvel évoque de Milan
(Venerius). On a la réponse d' Anastase qui se prononce contre les propositions africaines.
Le 13 septembre 401, le concile se réunit à Carthage et décide de remercier le pape de ses
conseils, en lui expliquant pour(juoi on ne les suivra pas. Monceaux, t. IV, p. 368-370.
44 REVUE BIBLIQUE.

le Siège apostolique témoignent d'une ferveur pareille. Innocent a


été placé par le Seigneur sur le Siège apostolique où il pourvoit
aux intérêts de l'Église : les évêques doivent suggérer ce que ces
lui

intérêts réclament. Nul doute que les Pélagiens ne s'inclinent devant


l'autorité du pape tirée de l'autorité des saintes Écritures, « aucto-
7'itati saîictitatis tiiae de sanctorum Scripturarum auctoritate de-

promptae facilius... cessiiros ». Le concile de Milève ne demande pas


au pape de se prononcer en tirant sa doctrine des saintes Écritures :

s'il ne fallait que cela pour convaincre les Pélagiens, les évêques

d'Afrique y suffiraient. Le concile de Milève veut dire que l'autorité


qui appartient au pape Innocent est une autorité qui découle des
saintes Écritures. Elle n'est donc pas l'autorité d'un évêque égal aux
autres évêques, elle est l'autorité du Siège apostolique en tant que
tel. — La
plus personnelle adressée au pape par Augustin et
lettre

par Aurelius se raccorde à cette doctrine. Ils souhaitent que Pelage


soit condamné parFévêque de Rome après par l'autorité qu'il Ta été
d'évêques catholiques {episcoporum catholicorum auctoritate), parce
qu'ils ne doutent pas que Pelage n'estime l'autorité d'Innocent d'un
plus grand poids [quam apiid eiim esse ?7iaioris pondcris minime
dubitamus). Ils ont, en Afrique, formulé la foi dans un anathéma-
tisme : la foi de l'Afrique est un filet d'eau dérivé de la même source
qui s'épanche plus abondante à Rome, à savoir le dépôt de la foi,

la tradition apostolique veulent que le pape Innocent leur donne


: ils

l'assurance qu'ils ne se sont pas trompés, « hoc a te probari volu-


mus ». Us s'adressent au pape Innocent en ces matières comme des
magistrats s'adressent au prince qu'ils consultent sur le sens d'une
loi : ils attendent sa réponse qu'ils qualifient eux-mêmes de rescrit,

La réponse de rcvêcjue
«... voluijius, tiiisqiie reso'i'ptis..., consolari ».
de Rome apportera la paix à toute l'Église angoissée « Familia :

Christi... stispenso corde, cum timoré et Iremore, adiiitorium Domini


etiani jjer caritatem tuae venerationis expectat ». Que ces décla- —
rations diverses de l'épiscopat africain reconnaissent à l'évêque de
Rome une autorité exceptionnelle dans la Catholica, ne fût-ce que
comme interprète de la tradition doctrinale ecclésiastique, Reuter
nous l'accorde ii).

(I) Relteii, p. 3o7. Ueuter eacore assure que les Africains ne deinanJenl pas à révê(|ue
(le Rorne de leur découvrir la vérité, parce qu'ils ne doutent pas de la itosséder. C'est
très vrai.Les Africains se sont prononcés, ils ont formulé leur foi dans un anaihématisuie,
cl ils demandent A Rome de le conlirmer. II y a là une nuance qui n'est pas négligeable et
([ui est un signe du temps. Mais limporlant est que les Africains soumettent leur anathe-

matisiiie â l'évêque de Rome et lui disent : « Hoc a te probari rolitinus. »


SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 45

Mais que devient alors la thèse que le même Reuter soutient (1), à
savoir que la primauté de l'apôtre Pierre et la primauté romaine ne
sont pas pour Augustin une réalité (eine selbstdndige Grosse), mais
un moyen choisi pour représenter l'unité de l'Église, Augustin
d'ailleurs se taisant sur les limites dans lesquelles il enferme cette
représentation? Comment concilier cette thèse avec les expressions
africaines sollicitant de Rome un jugement, une interprétation pé-
remptoire, un rescrit, sur une matière de foi catholique? Les Afri-
cains demandent la confirmation par Rome de leur doctrine, comme
si Rome, au-dessus du concile de Numidie, au-dessus du concile de
Carthage, était le dernier ressort : pas n'est question ici de la possibi-
au delà, d'un concile plénier de l'Église universelle, pas un mot
lité,

des autres Églises les évéques africains n'attendent rien que du


:

Siège apostolique.

IV

Le pape Innocent répondit à la démarche des évéques africains,


par trois lettres distinctes; datées du 27 janvier U7, et adressées la
première aux évéques du concile de Carthage, la seconde aux évéques
du concile de Milève, la troisième à Aurelius, à Augustin, et à leurs
trois collègues. Aucune de ces trois réponses ne suppose que l'évêque
de Rome en cette occasion délibéré avec son concile (2),
ait

Les trois réponses marquent d'abord aux évéques africains que le


Siège apostolique n'a pas d'autre sentiment qu'eux sur la doctrine de
la grâce, à savoir sur la nécessité de la grâce pour vivre sans péché
et sur la nécessité du baptême pour la régénération des petits
enfants : ces deux articles sont ceux que le concile de Carthage et
le concile de Milève ont seuls retenus comme contestés entre eux et
Pelage. Le pape Innocent reprend à son tour il ne suppose pas
les :

qu'il faille expliquer que la grâce soit autre chose que le libre arbi-
tre la grâce est, en gros, l'aide de Dieu [adiutoriiim Dei), et cette
:

aide est nécessaire à l'homme. La théologie romaine, aphoristique


d'allure, ne s'attarde pas aux preuves. Innocent dit aux évéques du
concile de Carthage « Possem plura flictie, nisi vos constarel
:

[\) Reiter, p. 305. Le texte Sermo xlvi, 30, que Keuter


cite à l'appui, ne prouve pas
l'énoncé. En tant que bon pasteur, le Christ est le pasteur (invisible) qui paît ses brebis
par le ministère des pasteurs (visibles) « : Item ipse pascit dum ipsi pascunt. » Un seul
pasteur est manifesté dans l'Évangile pour mieux exprimer l'unité : « Hic unus praedi-
catur, quia imitas commendatur . » C'est donc l'unique pasteur, le bon Pasteur, qui
représente l'unité.
(2) LooFS, p. 765, l'a très bien observé.
46 ^ REVUE BIBLIQUE.

cuncta dixisse » il.. Il dit aux évoques du concile de iMilève, éloge


qui va au rédacteur de leur synodale, Augustin :

Multifariis equideni ad destruendum taie madsterium (2) uti posseraus exemplis,


nisi sciremus sanctitatem vestram ad plénum Scripturas omnes callere divioas, prae-
sertim cum vestra relatio tantis ac talibus testimoniis sit referta, iil his solis valeat

praeseas dogma rescindi (3).

L'évêque de Kome exprime ensuite aux Africains qu'ils ont bien


faitde recourir à lui il le leur dit clairement, fortement, et plutôt
:

deux fois qu'une, comme une vérité que Rome tient à inculquer
sans aucun détour. Il écrit au concile de Carthage que, en s'adres-
sant à Rome, montré qu'il savait ce qui est dû au Siège aposto-
il a

lique, étant donné qu'à Rome on s'applique ('i-) à suivre Tapùtre


(Pierre) de qui est issu l'épiscopat et toute l'autorité de l'épiscopat.
Il félicite de Carthage de ne pas fouler aux pieds ce qui a
le concile

été institué par les Pères, à savoir que, si une controverse s'ouvrait,
fût-ce dans de lointaines provinces, on ne la tint pas pour tranchée
(non prius ducerent finiendwiî) avant que le Siège apostoli({ue en
eut eu connaissance, afin que la juste sentence fût confirmée par son
autorité, et que les autres Églises tinssent de lui leur règle de con-
duite.

... antiquae traditionis exempla servantes et ecclesiasticae memores disciplinae,


nostrae religionis vigorem non minus nunc in consulendo quam antea cum pronun-
tiaretis vera nostrum refereudum approbastis est iudicium,
ralione firmastis, qui ad
scientes quid apostolicae sedi, cum omnes lioc loco positi ipsum sequi dcsidereraus
apostolum, debeatur, a quo ipse episcopatus et tota auctoritas nominis huius emer-
sit...

Vel id vero quod patrum instituta sacerdotali custodientes officio non censetis esse
calcanda, quod illinon luimana sed divina decrevere sententia, ut quidquid quamvis
in disiuiictis remotisque proviuciis ageretur, non prius ducerent finienduin nisi ad
huius sedis notitiam perveniret, ut tota huius auctoritate iusta quae fuerit pronun-
tiatio firmaretur, indeque sumerent celerae Ecclesiae — vehit de natali suo fonte
aquae cunt-tae procédèrent, et per diversas totius mundi regiones puri latices capitis

(1) Inier Au;. Kpistul. ci.xwi, 7. Ibid. 9 : « Ideocjuc a nobis testimonia niilla ponuntur,
quia et liis plena relatio est, et satis constat lot doctissimos saccidotes cuncta dixisse,
nec decpt credere vos aliquid quod ad causani possit prolicere jnaeteriisse. »
(2) Magisterium désigne renseignement de Caelestius et de Pelage.
(3) Inter .Vlt,. Fpixtul. c.i.xxiu, 4. Noter l'emploi du mot (lo(/ma, et aussi du mot
relatio. Aii{;uslin qualilie lui-mAme de relationes les synodales adressées de Carthage et
de Milève au pape. Epislitl. clxwm, 2. Nous verrons plus loin le prix de ce terme.
(4) Le texte dit :
" ... cum omnes in hoc loco positi ipsum sequi desideremus aposto-
lum... " <»n peut entendre ce ti'xie des évoques de Rome, Innocent ol ses prédécesseurs,
plutôt que de l'entendre d'Innocent et de ses clercs : locus est synonyme de sedcs.
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 47

incorrupti manarent, — quid praeciperent,


quos abliierent, quos velut ceno inemun-
dabili sordidatos mundis digna corporibus unda vitaret (1).

Pareille déclaration des droits de Home dans la réponse au con-


cile de Milève. Le concile est félicité de s'être tourné vers le Siège
apostolique pour savoir de lui ([uelle solution appellent les ques-
tions qui se posent : le concile n'a fait en cela que suivre la règle
antique qu'il que toute la terre a observée de tout temps. Car de
sait

ce Siège apostolique ne cessent d'être envoyées des réponses solli-


citées de toutes les provinces plus spécialement, chaque fois que la
:

(juestion agitée concerne la doctrine, j'estime, dit le pape, que les


évêques nos frères doivent s'adresser à Pierre, auteur de leur épis-
copat, s'ils veulent pourvoir à l'intérêt commun de toutes les Églises
dans l'univers (2).
Les deux déclarations romaines se confirment et se complètent
réciproquement. Elles affirment ensemble que Rome est un centre
où convergent toutes les provinces du monde entier Rome est con- :

sultée et Rome répond. Rome


une source incorrompiie dont l'eau
est
est portée par des conduites très pures dans toutes les régions du
monde, elle est la source unique d'où dérivent toutes les eaux c'est :

une image, qui répond à celle dont se sont servis les évêques afri-
cains, quand ils disaient que leur mince filet de doctrine sortait de
la même source que le large courant qui coulait à Rome, mais l'image
est autrement expressive sous la plume du pape Innocent, puisque
pour l'évéque de Rome il n'y a pas d'eau dans le monde qui ne dérive
de la source apostolique qu'est Rome.
En effet, poursuit le pape, vous n'ignorez pas que de toutes les pro-
vinces on consulte Rome et que les réponses sont adressées par Rome
dans toutes les provinces « ... quod per omnes provincias de aposto-
:

lico fonie pelentibus respon&a semper émanent ». On consulte le Siège

apostolique, petentibiis; le Siège apostolique répond, responsa éma-


nant; et cela est constant, semper, et cela s'étend à tout le monde
chrétien, /)er omnes provincias, ces provinces fussent-elles parmi les

(1) CLXXXI, 1.

(2) CLXXxii, 2« Diligenter ergo et congrue apostolici consulitis honoris arcana


:
hono- —
ris, inquam, illius quem praeier llla qiiae sunt extrinsecus solliciludo manet omnium
Ecclesiarum (// Cor. xi, 28) —
super anxiis rébus quae sit tenenda sententia, antiquae
scilicet regulae formam secuti quam toto semper ab orbe mecum nostis esse servalam...,
scientes quod per omnes provincias de apostolico fonte petentibus responsa semper éma-
nent. Praesertim quoties fidei ratio ventilatur, arbitrer
omnes fratres et coepiscopos nostros
nonnisi ad Petrum, id est sui nominis et honoris auctorem, referre debere, velut nunc
retulit vestra Dilectio, quod per totum mundum possit omnibus Ecclesiis in commune
prodesse. » — Soulignez referre, retulit, toujours l'idée d'une relatio.
48 RblVUE BIBLIQUE.

plus éloignées et celles avec qui les communications sont les moins
aisées, in disiunctis remotisque provinciis. Le pape Innocent, en s'ex-
priniant de la sorte, énonce un fait actuel (1). Mais sur quoi consulte-
t-on ainsi le Siège apostolique? Sur les cas difficiles,
évidemment; sur
les cas où le concile dune province veut s'assurer que la sentence à
laquelle il conclut est la juste sentence. Une controverse n'est vidée
que quand la sentence prononcée par un concile provincial a été
confirmée par le Siège apostolique. Les autres Églises apprennent
ainsi de Rome ce qu'elles doivent prescrire, qiiid praeciperent,
qui elles doivent absoudre, qnos ahluerent, qui elles doivent repous-
ser, quos. vitarent, ou, pour reprendre l'image de la source, quels
sont les hommes indécrottables (je m'excuse du mot, qui est le seul
que nous ayons en français) pour qui n'est pas faite l'eau pro-
pre. Peut-être y a-t-il lieu de voir dans ces dernières expressions,
qui ne seraient pas déplacées dans une lettre de saint Jérôme une ,

allusion à l'indulgence que les évêques palestiniens ont eu le tort


de témoigner à Pelage. Par contre, clair est l'éloge que décerne
le pape aux évêques africains ils ont consulté le Siège apostolique,
:

« prudens admodum et catholicae fidei plena consultalio » (2). Car

c'est surtout dans les causes où le contenu de la foi est mis en ques-
tion, « qiioties fidei ratio ventilatur », qu'il convient de se tourner
vers Pierre.
Le pape Innocent, en vérité, esquisse un traité de la primauté
romaine. Voici, en que s'affirme la raison qui attire vers Rome
effet,

les Églises, tous les évêques du monde chrétien. Rome, c'est l'apôtre
Pierre tous nos frères dans l'épiscopat, « omnes fratres et coepi-
:

scopos nostros », doivent en référer à Pierre qui est l'auteur du nom et


de la dignité des évêques, « sui nominis et honoris auctorem », puisque
le Sauveur a institué l'épiscopat dans la personne de l'apôtre Pierre.

Us doivent en référer à Pierre, parce qu'avec lui ils pourront pourvoir


à l'intérêt commun de toutes les Églises, « referre qtiod per totiim
mundutn omnibus Ecclesiis in commune prodesse »
possit l'action :

d'un concile provincial est limitée aux frontières de sa province,


l'action de Rome s'étend à toutes les Églises du monde c'est donc à :

Rome que l'on peut collaborer avec toutes les Églises. Le pape félicite
les évêques africains de témoigner par leur démarche qu'ils n'en
jugent pas autrement que lui-même (3). Il ajoute aussitôt que —
(1) lOid. 1 : « Inler cèleras loinanae Ecclesiae curas et apostolicae sedis occupaliones,
quibus diversonim consulta fideli ac modica disceptatione Iractamus... »

(2) Ibid. 1.

(3) Même pensée dans ci,xx\i, 2 : « Gralulor... quod... lilteras ad nos deslinastis, et —
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 49

l'usage de consulter le Siège apostolique, <( aposlolici considère hono^


ris pour savoir que penser sur les choses qui divisent, « swper
arcana »,

anxiis rébus quae xit tenenda sententia », est la règle antique que
l'univers chrétien a toujours observée Vous avez, dit-il aux Africains, :

obéi à 1-a loi que vous savez comme moi qu'elle est la loi de tout
temps observée par le monde entier, antiquae scilicet regulae for- <.<.

mam se.cuti quam loto semper ah orbe mecitm nostis esse servatam »
Vous aurez le mérite d'avoir observé les canons, et le monde entier
en bénéficiera « Nam et canonimi potiemini gratia servatoriim, et
:

beiieficio vestro lotus orbis utetur » (1). La procédure suivie par les
Africains est la discipline de l'Église, elle a pour elle les exemples de
la tradition antique, elle assure la solidité de notre religion, « nostrae
religionis vigorem... firmastis ». Vous avez, leur dit le pape, estimé
que vous deviez respecter dans votre office épiscopal les règles insti-
tuées par les Pères, « quod illi non humana sed divina decrevere sen-
tentia ». Vous avez montré que vous connaissiez ce qui est dû au
Siège apostolique, « scientes quid apostolicae sedi debeatur ».
Règle antique, canons, sentence des Pères, sont des expressions
qui ne visent pas les fameux canons 3 et 7 de Sardique, lesquels
n'ont trait qu'à l'appel à Rome du jugement prononcé contre un
évêque par un concile provincial. Le pape Innocent élargit de beau-
coup la compétence du Siège apostolique, et il la légitime du fait du
recours habituel qu'on y a de toutes les provinces du monde.
Les droits de Rome ainsi solennellement rappelés (2), le pajJe Inno-
cent déclare faire sien le jugement que les Africains ont prononcé
contre Pelage et ses erreurs. Les novateurs sont pour lui des esprits
subtils et retors qui vont à renverser toute la discipline de la vraie
doctrine en couvrant leurs erreurs de l'apparence de la foi aposto-

cum illis curam


quibus praesidetis Ecclesiis
geritis —
sollicitudinem vestram pro omnium
utilitate monstratis, et per cunclas totius orbis Ecclesias omnibus una quod prosit
decer-
nendum esse deposcilis. » Les évêques du concile de Carthage ont bien fait d'écrire à
Rome ;
ils ont le souci des Églises dont ils sont les propres évêques, mais ils montrent qu'ils
ont souci de l'intérêt de toutes les autres; voilà pourquoi ils demandent à Rome que « per
cunctas totius orbis Ecclesias » soit décidé ce qui est utile à toutes (les Églises) ensemble
<• omnibus una quod prosit ».

(1) Ibid. 3.
faux de voir dans ces déclarations du pape Innocent aux évêques d'A-
(2) Il serait très
frique une manifestation sans précédents. Dès
404, la lettre d'Innocent à l'évêque de
Rouen contient des déclarations pareilles. On doit en dire autant de la lettre du pape
Sirice à l'évêque de Tarragone, en 385. Solim {Kircficnreclit, p. 418-419) l'a mis
bien en
lumière. Mais la synodale du concile de Sardique au pape Jules, quarante ans plus tôt,
est une anticipation de ces déclarations romaines, quand elle dit « Hoc enim optimum et :

valde congruentissimum esse videbitur, si ad caput, id est ad Pétri aposfoli sedem de sin-

gulis quibusque provinciis Domini référant sacerJotes. »


REVUE BIBLIQUE 1918. —
N. S., T. XV. 4
50 REVUE BIBLIQUE.

lique (1). Quiconque soutient que l'homme n'a pas besoin du secours-
divin, est ennemi de la foi catholique, et indigne de notre commu-
nion : il faut le chasser du giron de l'Église (2). Que si, néanmoins,
ces dévoyés condamnent ce qu'ils ont jusqu'ici professé, « si damnent
Jiaec cjiiae hucusque senserunt », les évèques pourront user envers eux
de l'indulgence que l'Église a coutume de ne pas refuser aux faillis,
et les réintégrer dans la communion (3),

Qtiare Pelagium Caelestiumque... ecclesiastica coramunione privari apostolici


vigoris auctoritatecensemus, donec resipiscant... Simul autera praecipimus ut, qui-
curaque id pertinacia simili defensare nitimtur, par eos vindicta constriugat... Haec
igitur, fratres carissimi, in supradictos maneat fixa seutentia : absint atriis Domini,
careant custodia pastoraU... Prospiciendum est ergo ne, perraittendo lupos, nierce-
narii magis videaraur esse quam pastores (4).

Le pape Innocent ne pas état de la sentence du concile de Diospo-


fait
lis, elle ne lui a pas été communiquée par les évèques palestiniens,

et lui-même nous l'apprend dans sa réponse à Aurelius, à Augustin


et à leurs trois collègues (5). prononcer sur le Il s'interdit donc de se
jugement, quel qu'il soit, qui a été la conclusion du concile de Dios-
polis (6). La dénonciation de Caelestius et de Pelage par les deux'
conciles de Garthage et de Milève lui suffit il prononce, en vertu de :

son autorité apostolique, « apostolici vigoris auctoritate », l'excom-


munication de quiconque professe les deux erreurs anathématisées
dans le double anathématisme du concile de Garthage, et nommé-
ment l'excommunication de Gaelestius et de Pelage.
On pourrait penser que l'excommunication prononcée par l'évêque
de Rome n'est exécutoire que dans l'Église de Rome telle n'est pas :

la doctrine du pape Innocent, car l'excommunication qu'il prononce


atteint, dans sa pensée, les gens qui, à Rome, s'il s'en trouve, profes-

(1) CLXwi, 2 « ... sub imagine catholicae fidei disputantes,... totam veri dogrnatis
:

quaerunl evertere disciplinam. Le pape dit i^eri docjmulis, le mot dogma ne sudisanl
>^

jias à exprimer l'idée de canon de la doctrine. Nous relèverons plus loin l'expression

sannm dogma et pravum dogina.


(2) Ihid. S.

(3) Ibid. y... veris se sanandos consillis triiiuant


: <
alque submiUant. Quod si fece-
potestatepontificum istis aliquatenus subvenirc, et taiibus ali((uani curam
rint, cril in
praestarc vulncribus t[uam solcl lapsis cum resipuerint Ecclesia non ncgare, ut, a suis
revocali praecipiliis. iulra ovile Domini redigantur... «
i cLx.wii, 6. Le pape ajoute {ibid. 7) « Si unquam ad sanum. deposito pravi dogrnatis
:

l'rron-, resipuerint..., eis medicinam solitam id est receptaculuia suum ab Ecclesia non
iiegari. «

(5) (xwxiii, :j.

(G) Ihid. 'i •


« Unde non possunius illorum nec culpare nec approbare iudicium, cum
iiesciauius ulruni sint Gesia, aul, vera si vera sunt, illum' constcl magis subterlugisse
([uaiii de Iota verilalc purgasse. >
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 51

sent les erreurs condamnées, mais atteint pareillement ceux qui se


rencontrent en quelque lieu que ce soit du monde, « m qiiovis terra-

rum loco degant » (1), L'évêque romain insiste sur cette portée uni-

verselle de sa sentence : la miséricorde divine aidant, il a confiance


que, sitôt qu'ils de leur condamnation, les
auront connaissance
tenants de cette erreur s'empresseront de s'en corriger, et il importe
peu qu'ils soient en un lieu ou en un autre, puisqu'ils ont à se guérir
où ils se trouvent, « nec interest ubi isti fiierint, dum ubiciimque
inveniri potuerint sint sanandi »
L'excommunication étant ainsi prononcée par Rome, il appartien-
dra aux évêques de réconcilier, chacun en son Église, ceux qu'elle
aura atteints et qui reviendront à résipiscence. Pour Pelage lui-même,
l'évêque de Rome ne croit pas devoir lesommer de se présenter à
Rome ; si, en effet, Pelage devait être sommé de comparaître, cette
sommation regarderait plutôt les évêques de la province où il ré-
side (2). Innocent ne le sommera donc pas, comme le suggéraient
Aurelius et Augustin; Pelage, s'il n'est pas coupable, aura hâte de
venir à Rome se justifier, et, s'il est coupable, ne se décidera sur
aucune sommation à s'y montrer (3). Qu'il se soumette ou qu'il s'obs-
tine, on n'en est pas moins pressé de venir au secours de ceux que
son erreur a égarés l'évêque romain accomplit ce devoir sans se
:

flatter que Pelage renoncera à son impiété.

La décision du pape Innocent (27 janvier 417) apportait à l'épisco-


pat africain la pleine confirmation de l'attitude adoptée par le con-
cile de Carthage de 411 et par les conciles de Cartilage et de 31ilève
de 416, sur les deux articles de la grâce et du péché originel l'ex- :

communication de Caelestius, de Pelage, et de quiconque ne souscri-


rait pas aux deux anathématismes de Milève, donnait raison sur les
points capitaux à la controverse conduite par Augustin.
Prêchant à Carthage, le 23 septembre 417, ad mensam Cypriam,
l'évêque d'Hippone parle sur la grâce qui sauve, sur la grâce qui est
un don de Dieu, sur la grâce qui n'est pas de nous. ï'^aiiiilièrement, il

fl) Ibid. 2 : « ...seu hac il!i ia Urbe siat fquos nescientesnec manifestare possuraus nec
negare...), sive in quovis terraruin loco degant.... nec interest ubi isti fiierint, duin » etc.
(2) Ibid. 4 : H Quod si accersiendus esset, ab iis raeliiis fieiet qui magis proximi et non
longo terrarum spatio Tideiitur esse disiuncti. »

(3) Ibid. : •• ... non a nobis accersiri, sed ipse débet polius festinare ut po.ssit absohi.
Augustin et Aurelius avaient écrit : « Aut ergo a tua veneralione accieudus est Romaiji .. »

{Epistul. cLxxvii, 3).


52 REVUE BIBLIQUE.

s'interrompt lui-même Vous me direz peut-être Que nous veut-il


: :

encore? C'est pour la seconde ou la troisième fois qu'il y revient! Il


ne parle à peu près jamais sans y revenir (1) Tout ce sermon est une !

charge à fond contre les Pélagiens, et l'orateur invite ses auditeurs à


V mettre la même émotion que lui :

Fratres mei, compatimini mecum. Ubi talcs inveneritis, occultare nolite, non sit

iu vobis perversa misericordia. Prorsus ubi taies inveneritis, occultare nolite. Redar-
guite contradicentes, et resistentes ad nos perducite.
lam enim de hac causa duo concilia missa sunt ad sedem apostolicam, inde etiam
rescripta venerunt. Causa finita est utinam aliquando finiafiir error.
:

Ergo ut advertant raonemus, ut instruantur docenius, ut mutentur oremus (2).

Augustin sait apparemment que les idées pélagiennes ont encore à


Cartilage des partisans, plus ou moins avoués, réfractaires aux ana-
thèmes. Augustin fait à ses auditeurs un devoir de les dénoncer.
N'ayez pas pour eux de fausse miséricorde, ne leur permettez pas de
se cacher, amenez -les-nous, resistentes ad nos j)erducite ». Il n'est
<'

plus permis de résister. Augustin va-t-il invoquer l'autorité du concile


de Cartilage et du concile de Milève, l'autorité de l'épiscopat africain?
Non, il énonce que les résolutions de ces deux conciles ont été trans-
mises au Siège apostolique, et que le Siège apostolique a envoyé des
rescripta : notez le mot de rescripta, pris au vocabulaire de la chancel-
lerie impériale. Les rescrits ne sont pas des actes qui créent le droii.

comme font les édits, mais qui interprètent le droit. Rendus par l'au-

torité législative, souveraine, les rescrits sont sans appel. Les rescrits
du pape ont tranché la question : le procès est clos, il y a chose jugée,
définitivement jugée, « que l'erreur
causa finita est ». Plaise à Dieu
prenne fin! Le pape Innocent, dans sa réponse aux évêques du con-
cile de Cartilage, avait dit que, d institution ancienne, on ne considé-
rait pas qu'une action fût terminée si le Siège apostolique n'en con-
naissait, « fjuidquidageretur... non prius ducerent finiendum nisi ad
liHius Sedis notitiam perveniret », et que les évêques africains par
leur démarche témoignaient être dans ce sentiment Augustin fait :

écho à cette affirmation de l'évéque de Rome, quand il écrit que,


Rome ayant été saisie des résolutions des deux conciles et les ayant
confirmées, « causa finito. est ».

Le mot d'Augustin a été transformé en un aphorisme célèbre :

(1) .\vc. Sermo cxxxi, G.


^2) Ihid. m. Par catixa entendez toute latrairc depuis ses origines, a» sens où Augustin
a écrit [De rjeatis, un) : « Brcviler orfio tolam islam causain ila, si possumus. colliga-
mus... )'
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIEGE APOSTOLIQUE. 53

Roma locuta est, causa finila est, qui tel quel ne se retrouve pas chez
Aug-ustin. Sous cette forme populaire, il est beaucoup moins riche de
contenu que dans la rédaction authentique. « De hac causa duo con-
cilia missa surit ad apostolicam sedem » deux conciles, Carthage et :

Milève, ont envoyé leurs conclusions au Siège apostolique. Les deux


conciles provinciaux n'avaient donc pas le pouvoir de prononcer à
eux seuls une sentence définitive en cette matière qui était une ma-
tière de Inde etiam rescripta venerunt » aucun historien n'a
foi. « :

souligné la signification pleine et juridique de rescripta. Les deux


conciles ont envoyé au Siège apostolique des scripla, dit Reuter (1),
et du Siège apostolique sont venus des rescripta : cette platitude est
une violence faite au langage d'Augustin. En réalité, les deux con-
ciles ont adressé à Rome des relationes, auxquelles Rome a répondu

par des rescripta :deux conciles ont agi comme des magistrats
les

provinciaux, le Siège apostolique répond comme ferait le printe. Cette


antithèse exclut l'interprétation qui voudrait, en se fondant sur etiam,
que la cause ait été vidée par l'action coordonnée des deux conciles
et du Siège apostolique : une relatio n'est pas une sentence, le

rescrit seul la prononce, la cause est donc vidée par le rescrit. Et la


cause est vidée sans appel possible « Causa finita est ». Il n'y a pas
:

à penser qu'elle puisse être portée devant un autre juge elle a été :

jugée à Rome en dernière instance (2). Reuter en convient et reproche


à Langen d'ergoter sur le sens vrai de la formule : « L'autorité du
siège romain, écrit Reuter, est placéç là si haut, que l'on est obligé
de dire qu'un vrai ultramontain [Rinnling) a écrit ces mots. » Il est
vrai que Reuter croit se tirer d'affaire en déclarant que, « comparée
avec le reste de l'enseignement d'Augustin », la formule est « certai-
nement une anomalie » (3).
Disons qu'elle est un point culminant dans l'enseignement d'Au-
gustin
Au cours de la longue controverse soutenue par l'Afrique catho-

(1) Reuter, p. 325. — demandes adressées à l'empereur par des


Rappelons que les

particuliers sont des libelli, des preces, des supplicationes : ce"ei des fonctionnaires
sont des relationes, des consultationes des suggestiones., L'empereur répond par des
rescripta.
Comparez De (jestis, 66. Augustin en ce même temps, parlant de l'attentat dont vient
(2)
d'être victime Jérôme à Bethléem, déclare vouloir s'en taire et souhaiter «[ue l'afïaire,
qui est de la compétence de l'évêque du lieu, soit vidée par lui « Nos itaque tam longe :

positi optare debemus his causis talem illic (à Jérusalem) finem dari, de quo non
sit

necesse ubilibet ulterius iudicare. » Jérusalem, siège apostolique, jugera, espére-t-on, de


souhaite,
telle sorte que l'on n'ait pas à juger à nouveau ou que ce soit, ubilibet : on le
sans en être sûr.
(3) Reuter, loc. cit.
54 REVUE BIBLIQUE.

lique contre le donatisme, et une fois rendue la sentence du concile


de Rome du pape Miltiade en 313, l'épiscopat catholique africain
et

n'a sollicité aucune intervention de Rome, pas même pour confirmer


la conférence de 411. Le De unitate Ecclesiae, d'inspiration augus-
tinienne, composé sous les yeux d'Augustin à Hippone en iOO, résume
tous les arguments que l'on peut faire valoir contre le donatisme et
qui établissent que la Catholica seule est l'Église de Dieu on n'y :

trouve pas un mot sur le Siège apostolique, il est parlé seulement des
e/J^5C0/;^ /r«;^swMrm^ qui ont innocenté Cécilien (1).
On ne saurait toutefois passer sous silence qu'Augustin a représenté
plus d'une aux Donatistes que les catholiques dWfrique ont sur
fois

eux l'avantage d'être en communion avec les sièges apostoliques de


la Catholica, et d'abord avec on n'ap-
le Siège apostolique romain :

partient pas à la Catholica, donc à l'Église de Dieu, quand on n'est


pas en communion avec ces Églises, tout le moins avec l'Église de
Rome. Nous avons cité le texte d'Augustin affirmant que l'évêque de
Cartilage Cécilien avait eu le droit de ne pas se soucier de la multi-
tude d'ennemis qui conspiraient contre lui en Afrique, parce qu'il
était en communion avec l'Église romaine et aussi bien l'Orient (2).
Optât de Milève avait reproché aussi aux Donatistes en termes non
moins formels leur rupture avec la chaire épiscopale de Pierre qui
est à Rome et dont le Christ a fait la condition de l'unité, « in qua
una cathedra imitas ah omnibus s;ervaretur (3). Se réclamer de la ty

cathedra Pétri est un titre dont le catholicisme africain dès avant


Augustin sait la valeur si bien que le donatiste Petilianus en fait un
sujet de ses sarcasmes « Vous revendiquez la cathedra, malheureux,
:

mais ce ne peut être que la cathedra pestilentiae annoncée par le pro-


phète on vous l'abandonne, car des saints ne peuvent s'y asseoir. »
:

A quoi Augustin répond Que t'a fait la cathedra de l'Église


: <(

romaine, dans laquelle Pierre a siégé et dans laquelle siège aujour-


d'hui Anastase?... Pourquoi appelles-tu chaire do pestilence la chaire

(1) PsEUDo-AuG. De unitale Eccl. 4 : « Restabat utique ut cpiscopi transmari ni, qua
I>ars inaxirna difl'undcbatur Ecclesiae catholicae, de Afroruni collegarum dissensionibus
iudicarenl, illis videlicet instanlibus qui criuien malae ordinalionis aliis obiciebant. •

Ibid. l'auteur énunière les Eglises apostoliques, c'esl-.i-dire celles (|ui sont mentionnées
.'Jl,

dans le N. T. et avec lesquelles l'Airique catholique est en communion, Antioche, Athènes,


Iconium, Lyslres, Corinlhe, Êphèse, Philippes, Pergame, Sardes, Tlijalire, etc. etc. l'ne
seule est omise, Uome.
(2) l-:pislul. M.iii, 7. L'élection de l'évêque de Carlhage était noliliée à l'évêque de
Rome, mais à l'éxique de Rome seul, pas à celui d'Alexandrie ou à celui d'Antioche :

notilier à Home équivaut pour l'Afrique à notifier à toute la CaUioliai. Cela dès le temps
de saint Cyprien. Voyez Soum, p. 363.
(3) Orr.iT, n, 2 (p. 3G).
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 55

apostolique avec laquelle vous n'êtes pas en communion (1)? » Les


Donatistes n'ignoraient pas pour autant l'intérêt qu'ils auraient eu à
s'appuyer sur Rome ils avaient constitué à Rome une sorte de colo-
:

nie de leur parti, à la tcte de laquelle ils avaient mis un évêque


envoyé par eux d'Afrique. Optât les en a assez raillés Est-ce que :

Macrobius (votre évêque de Rome) peut dire qu'il siège dans la cathe-
dra Pelri (2)? Augustin n'a pas été plus tendre pour ces faux romains
émigrés d'Afrique qu'il se plait à désigner par leur surnom ridicule
de Cutziipitae (3). ^

communion avec le Siège


Être en apostolique c'est pour l'Afrique
catholique être en communion avec toute la Catholica, spécialement
avec tout l'Orient. Les Donatistes se flattent d'avoir reçu une lettre
du concile de Sardique : ils n'ont en réalité reçu que la synodale de
la minorité arienne qui s'est retirée du concile, synodale adressée
directement à Donat. En 406, Augustin représente au donatiste
Cresconius, qui a tiré argument de cet envoi, qu'on y doit voir sim-
ples ent la preuve c[ue « l'hérésie orientale a tenté de s'annexer
l'hérésie africaine », et que cela est d'autant plus à croire que jamais
de Carthage sans passer par
la Catholica orientale n'écrit à l'évèque
l'évêque romain « Quocl hinc maxime credibile est, quod ad Car-
:

thaginis episcopum Romano praetermisso nunquam orientalis Catho-


lica scriberet » {h). Cette tentative de conspiration des hérétiques
africains a donc échoué, conclut Augustin, « nec valuit... illa con-
spiratio haereticorum orientalium cum A fris haereticis praevalere »

pourquoi? Parce que, conclurons-nous à notre tour, il n'y a


d'entente valable entre l'Afrique et l'Orient que par l'intermédiaire
dejlome.
Il a suffi que, en 313, Rome prit position contre le parti donatiste
en se déclarant en faveur de Cécilien, pour que le Donatisme se
trouvât bloqué en Afrique, séparé du reste de la Catholica, tenu pour
un schisme négligeable par les quelque mille évêques du monde (5).
Cécilien innocenté à Rome en 313, la cause était entendue, jugée,
finie : « Post causam cum eo dictam atque fmitam », le parti de
Donat n'avait d'autre ressource que de déclarer l'Fglise du Christ

(1) Contra iitt. Petilian. ii, 117 et 118.


(2) Optât, ii, 4 (p. 38).
(3) Epistul. LUI, 2. La même raillerie est reprise dans le De unitate Eccl. 6. Sur la
colonie donatiste de Rome, Monceaix, t. IV, p. 124.
(4) Contra Crescon. m, 38. Augustin ajoute ironiquement Les Ariens de Sardique :

auraient dû adresser leur lettre à l'évèque que les Donatistes entretiennent à Kome!
(5) Enarr. in ps. XXX VI, n, 23 Milia episcoporum per orbem terrarum qui damna-
: '

verunt a parte Caeciliani Donatum nihil ponderis apud te habere putas? »


•jg REVUE BIBLIQUE.

éteinte dans tout le reste du monde qui était en communion avec


Cécilien (1).Augustin, qui s'exprime ainsi en 428, s'est peut-être
rappelé le Causa finita est de 417. On peut, je crois, avancer que
dans la controverse antidonatiste, et au fort de cette controverse,
soitjusqu'à la conférence de 411, Augustin a considéré l'Église
romaine surtout comme assurant à l'Afrique catholique sa com-
munion avec la Catholica.
Dans la controverse contre les Pélagiens, Augustin a considéré
l'Église romaine comme l'arbitre des controverses en matière de foi.
Dès que le pape Innocent s'est prononcé sur la doctrine controversée,
il ne subsiste plus d'hésitation possible « ... litteris beatae memoriae :

papae Innnocentii quibus de hac re dubitatio tota sublata est » (2),


écrira Augustin au pape Boniface en 420. Sans doute est-ce là une
allusion aux hésitations du pape Zosime, mais déjà dans une lettre
qui a dû être écrite dans le courant de 417, un peu antérieure au
sermon du 23 septembre, Augustin éclaire Févêque de Noie, Paulin,
qu'il sait avoir de l'amitié pour Pelage : il s'explique sur la doctrine

de la grâce et du péché, « qiiod fides vera et catholica tenet semj^er


Ecclesia » (3). Il l'informe que le concile de Carthage et celui de
Milève ont adressé lewvsrelationes au Siège apostolique, et que Rome
a répondu de la manière qui ne pouvait pas ne pas être celle de
l'évêquedu Siège apostolique « Ad omnia nobis ille rescripsit eo :

modo quofas erat atque oportebat apostolicae Sedis antistitem » (4).


Toujours le même terme, si expressif, de rescrit. Augustin donne
une approbation totale à la teneur des lettres du pape Innocent.
Les réfractaires n'ont plus qu'à s'incliner devant l'autorité, de qui?
delà Catholica? Augustin ne l'invoque pas ici, encore qu'il sache
et qu'il rappelle que l'Afrique et la Palestine sont d'accord. Ils ont à

s'inchner, dit-il, devant l'autorité du Siège apostolique, et aussi


bien devant celle du maître et Seigneur des apôtres, le Christ, qui
a dit que ceux-là seuls ont la vie en eux qui mangent la chair du Fils
de l'homme (5) l'autorité du Siège apostoHque rapprochée de l'au-
:

torité de l'Écriture.
Le Causa finita est n'est donc pas une anomalie dans ronscigne-

(1) Deliacr. G9 ... tainquam Ecclesia Chrisli... de loto terraruin orbe


: <(
perierit.... in

aliis terraium iiarlibus quasi conlajiione communionis extincla.


(2) Cotilra duas epishil. J'elaylan. ii, .">.

(3) EpisluL r.LXXxvi, 3.

(4) Ibid.
')..

(.".) Ibid. '}.h : " Si aiitcm cedunt sedi apostolicae, vcl potius ipsi rnagistro el domino
aposloloruin (|ui dicil... » Ibid. 28 : « Et contra apostolicae sedis aucloritatem... »
SAINT AUGUSTIN, PELAGE ET LE SIÈGE APOSTOLIQUE. 37

ment d'Augustin. Mais, insiste Reuter, Augustin n'a pas pour autant
enseigné de l'Église romaine, et moins encore l'infailli-
l'infaillibilité
aussi énergique-
bilité de l'évêque romain (1). Nous pourrions dire
ment Augustin n'a pas enseigné l'anti-infaillibilisme de Doellinger.
:

Et nous ne serions pas plus avancés. On doit à un


ancien comme
Augustin de faire plus d'effort pour réaliser sa pensée historiquement.
Augustin pose l'autorité de l'Écriture, d'une part, comme le fonde-
ment de la foi. Et parce que l'Écriture n'est pas claire en tout, et que
des controverses peuvent se produire dans son interprétation
comme
l'Église com-
aussi bien sur tel article. dont elle se tait, l'autorité de
plète l'autorité de l'Écriture, et l'autorité de l'Église est dans la
tra-

dition universelle et constante de l'Église, elle est dans les


décisions

de ses conciles universels, elle est dans la Catholica en tant que telle.
L'autorité de la Catholica ne crée pas l'objet de la foi, puisque la
foi est par définition un dépôt, mais elle le confirme,
elle l'éclaircit,

elle le préserve. En tant que la foi est un dépôt, elle est


apostolique;

en tant que le dépôt est préservé par l'autorité de l'Église, cette foi
est ecclésiastique; et dans ce sens Augustin peut
parler de la foi
« quam docet ecdesiastica et apostolica veritas » (2). L'autorité
de
la Catholica est définie par Augustin ce que décide l'Église univer-

selle, « en prenant le
quod universae iam placuit Ecclesiae » (3),

mot placuit dans le sens de décision délibérée [Act. xv, 28), mais
aussi bien dans le sens de consentement et d'unanimité de fait.
Or
que voyons-nous dans du pape Innocent? Une déci-
le cas du rescrit

sion qui confirme, éclaircit, préserve la foi apostolique, une


décision

qui ne permet plus une hésitation, une décision qui dispense de


recourir à une consultation de l'Église universelle dans la contro- :

verse baptismale pareille décision a été obtenue- (selon Augustin)


grâce à un concile plénier de l'Église universelle dans la controverse :

pélagienne Augustin estime que la décision est procurée par le


dire de
Siège apostolique. On ne voit pas ce qu'Augustin pourrait
plus, s'il voulait exprimer que l'autorité du Siège apostolique a le

consentement de la Catholica et dispose d'une


droit d'escompter le
autorité aussi sûre que celle de la Catholica.
Le Siège apostolique, dirons-nous pour conclure, est dans l'ecclé-
la com-
siologie "d'Augustin la cathedra grâce à laquelle est assurée
munion de toutes les Églises de la Catholica, et, quand du Siège apos-

(1) Relter, p. 329.

(2) Epistul. CLXXVII, 3.


t ho.
t
orne
(3) Contra Crescon. i, 39. Ibid. 38 : ( Hoc per universam Calholicam quae foto

diffunditur ohservari placuit quod tenemus. »


58 REVUE BIBLIQUE.

tolique émane une sentence qui confirme ou éclaircit dans une


controverse la apostolique, cette sentence ne comporte pas de pos-
foi

sibilité d'appel à quelque concile plénier de l'Église universelle, et,

loin de déclarer qu'une telle sentence est attentatoire au libre arbi-


tre des évoques, Augustin déclare que l'évêquc de Rome a prononcé
<îomme il était permis et comme il fallait que prononçât l'évêque
du Siège apostoli([ue.
Pierre Batiffol.
NOTES SUR LES PSAUMES

De simples notes sur Psaumes peuvent se passer d'une théorie


les

de la métrique hébraïque. Il est cependant une question controversée


au sujet de laquelle il faut prendre parti dès le premier jour, ne
serait-ce que pour fixer la terminologie, celle de l'étendue du vers
hébreu relativement au parallélisme. Le vers ne contient-il réguliè-
rement qu'un seul des membres parallèles et doit-il par conséquent
être identifié avec le « stique » ou bien embrasse-t-il au contraire le
,

parallélisme tout entier et est-il ainsi toujours, parla force des choses,
« distique » ou « tristique »? Dans le premier cas, les mots gardent,

pour la poésie hébraïque, la valeur qu'ils ont pour les autres langues :

le stique n'est autre chose que le vers, le distique et le tristique sont

un assemblage de deux ou trois vers étroitement liés par le sens et


souvent aussi par un artifice de forme. Dans la seconde hypothèse,
le stique n'est plus qu'un élément du vers; celui-ci est nécessairement
composé de plusieurs stiques, les membres parallèles entre eux. con-
courant à ne former tous ensemble qu'un seul vers, distique ou
tristique suivantque le parallélisme est à deux ou à trois membres.
F. Koster passe pour l'inventeur de ce dernier système. Il est du
moins le premier à l'avoir nettement formulé (1). Assez peu suivi
d'abord, semble-t-il, il a gagné, avec le temps, des adeptes de plus
en plus nombreux. Parmi eux on peut citer H. Hupfeld('2), ,1. Ley (3),
un des plus grands noms de la métrique hébraïque, K. Budde (4),
A. Kuenen (5), J. K. Zenner (G), P. Vetter (7), N. Schlogl (8) et

(1) Dans Tlieologische Stndien und Kritiken, 1831, pp. 40-114, sous le titre : Die Siro-
phen oder der Parallelismus der Verse der hebr. Poésie. Voir «surtout p. 42.
(2) Die Psalinen, IV, Gotha, 1862, p. 450, note 24. Sur la loi de Delitzsch on indique
ordinairement Psalmen, Einleitung, g 5. C'est g 6 qu'il faut lire. L'introduction aux
Psaumes de Hupfeld a paru à la fin du dernier volume de son Commentaire.
(3) Dans Grundziicje des Rijthmus, des Vers und Strophenbaues in der hebr. Poésie,
Halle, 1875, p. 21 (cf. p. 26 et 41 ss.) et mieux encore dans ZATW, 1892, p. 215.
(4) Dans ZATW, 1882, p. 47 et dans Hastings, Dictionarij of the Bible, IV, 4.

(5) Einleitung, Leipzig, 1894, III, 1, p. 52.

(6] Die Chorgesunge im Bûche der Psalmen, Freiburg im Breisgau, 18%, p. il et p. 90.
(7) Die Metril; des Bûches Job, dans Bibl. Studien, II, 4, Freiburg im Breisgau, p. 1 s.
(8) De re metrica veterum Hebraeorum, Vindobonae, 1889, p. 41.
60 REVUE BIBLIQUE.

B. Duhm Chez nous enfin, le P. Condamin écrivait en 1910


(1).
:

« L'élément le mieux établi de la poésie hébraïque


est le vers à

membres parallèles... Mais il ne peut y avoir de parallélisme sans


que le premier stique soit suivi d'un second stique parallèle. Un
monostique est donc un vers boiteux, ou, plutôt, une moitié de vers
qui ne peut vivre sans l'autre moitié... Ainsi, suivant une loi géné-
ralement reconnue, le vers est composé ordinairement de deux
stiques (distique), quelquefois de trois (tristique) (2). » Et M. van
Hoonacker reprenait à son tour « Comme l'écrit encore Budde, ...:

dans la poésie hébraïque il est de règle que plusieurs stiques, deux


dans la grande majorité des cas, sont combinés pour former un
vers (3). »
A J. G. Sommer (4) revient l'honneur d'avoir identifié le vers

hébreu au stique. Après lui, A. Merx (5) et H. Steiner (6) ont nette-
ment formulé appliquée dans ses Carmina
la théorie. G. Bickell l'a

Veteris Testamenti metrice{1), et R. Flament, un de ses adeptes en


France, n'a fait qu'exprimer la pensée du maître quand il a écrit :

« Chaque vers correspond à un membre de phrase qui comprend lui-

même un membre du parallélisme (8). » D'autre part, à Hupfeld


identifiant l'unité rythmique au distique, F. Delitzsch (9) avait ré-
pondu que le distique est déjà une strophe, la plus petite sans doute,
mais une strophe cependant, et que celle-ci doit se mesurer d'après
le nombre dessiiques. Plus récemment, le même principe a été affirmé

par H. Grimme (10) et soutenu parW. H. Cobb(ll), et l'on sait ce que


compte le parallélisme aux yeux de E. Sievers (12i. J. Touzard incline
lui aussi dans le sens de Sommer dans l'hypothèse contraire, « on:

aurait alors (au cas de parallélisme à trois membres) des vers déme-
surément longs et irréguliers (13) ». Comme on voit, les préoccupa-
tions portent ici sur la mesure du vers. Dans l'autre camp, elles avaient

(1) Dans CiiEYNE, Encyclopaedia Biblica, III, 3802.


Cl) KB., 1910, p. 208 S.

(3) Ibid. p. 5fi4.

(4) Jiiblisclta Ahliandlu)u/en, Bonn, 184'), p. 105 ss.


(5) Das CediclUvon lliob, lena, 1871, p. lxxvi.
(6) Ucber hebr. Poésie, Basel, 1873, p. 22.
(7) Oi-niponte, 1882.

(8) Les l'saumes, Paris, 1898, p. \i\.

(9) Die Psalmot, Leipzig, 1883, p. 22 s.


(10) Rli., 190U, p. '(02 s.: Psalmenpro blême, Freiburg i. d. Schweiz, 1902, p. 11.

(M) A Criticism of sijstems of'hcbrew melre, Oxford, 100.5, p. 137.


(12) Metriu/ic Stiidicn, I, Sludien zur licbr. Mclrili, Leipzig, 1901, p. 77 ss. Cf. RB.,

1904, p. 286; 1908, p. 146.

(13) Dans Vu;oukolx, Dictionnaire de la Bible, III, 490.


NOTES SUR LES PSAUMES. 61

pour objet le parallélisme considéré comme la base essentielle et la


forme même de la poésie hébraïque (1).
La question est assez bien posée par E. Kônig « Les unités rythmi- :

ques fondamentales doivent être les parties du poème dont la symé-


trie constitue le rythme poétique. » Mais cet auteur ajoute aussitôt :

« Or, cette symétrie ne se montre pas dans un stiqiie isolé, mais seu-

lement dans une paire de stiques ou distique. Par conséquent, l'unité


rythmique fondamentale n'est pas formée par un stique isolé, mais
elle consiste dans une paire symétrique de sliques ou distique (2), »
Que vaut cette conclusion, ou plutôt que vaut ce raisonnement? Nous
le saurons peut-être si nous l'appliquons à la versification d'une langue
vivante. Ici, en effet, nous avons le contact et le sens de la réalité; les
arguments les plus spécieux ne nous le feront point perdre. Pouvons-
nous seulement tenter l'épreuve? Sans aucun doute. Certes, aucune
poésie moderne n'use du parallélisme comme a fait l'hébreu. Mais
la poésie française, par exemple, ne présente-t-elle pas un élément
formel d'un autre ordre, mais aussi constant, non sans analogie avec
le parallélisme, et qui, en raisonnant a pari, nous servira de pierre
de touche pour éprouver la valeur de l'argument? On a écrit du
parallélisme « C'est une sorte de rime de la pensée. » On pourrait
:

dire tout aussi bien « La rime est une sorte de parallélisme de l'arti-
:

culation et du son. » La rime est, pour le moins, aussi nécessaire à la


versification française que le parallélisme à la poésie hébraïque; la
même consonance finale peut affecter deux ou plusieurs vers, comme
le même parallélisme peut s'étendre à deux ou plusieurs membres;

enfin les croisements de rimes ne sont pas plus inconnus que les
enchevêtrements du parallélisme. On peut donc écrire du vers fran-
çais, au point de vue de la rime, et en lui donnant pour un moment

le nom de « stique >>, ce que Kônig a écrit de l'hébreu « Les unités :

rythmiques fondamentales doivent être les parties du poème dont la


symétrie constitue le rythme poétique. Or cette symétrie ne se montre

(1) Cette énumération d'auteurs n'a pas la prétention d'être complète, ni dans un sens
ni dans l'autre. Elle laisse, cependant celte impression que la théorie de Koster n'est pas
« une loi généralement reconnue ». De son temps, K. Schlotlii>afiii, adepte lui aussi de
Koster, écrivait :Le plus grand nombre des interprètes qui se sont occupés des livres
«

poéti(iues de l'Ancien Testament a suivi Sommer « [Veber den Sirophenbau in der hebr.
Poésie, Leide, 1884, p. 4). Et il n'est pas seul à avoir fait cette constatation. Il est certain
que, depuis, la majorité s'est déplacée. Mais c'est tout ce que l'on peut dire.
(2) Stilistik, Rhetorili, Poeli}, in Bezug auf die biblische Ltlteratnr, Leipzig, 1900,
p. 345. Il est surprenant qu'on lise ensuite « Il serait mieux de pouvoir introduire pour
:

le stique... le terme de « vers ». afin que le sens de ce mot fût maintenu et qu'on arri-
vât à l'employer de même façon pour l'hébreu et pour les autres langues. » M. Konig
croit-il donc qu'il n'y ait là qu'une question de mots?

.',-V'j
62 REVUE BIBLIQUE.

pas dans un mais seulement dans une paire de stiques


seul stique,
ou distique. » Cette mineure est tout aussi applicable à la versifica-
tion française, en ce qui concerne la rime, qu'à la poésie hébraïque
en ce qui concerne le parallélisme. La consonance finale, non seule-
ment ne « se montre », mais n'existe et par conséquent ne peut être
perçue que lorsque le second « stique est prononcé un « stique »
)> :

isolé ne rime pas, et il ne rimera jamais si un second « stique » adapté


ne vient se ranger auprès de lui. Il n'y a de consonance, comme il
n'y a de parallélisme, que par la juxtaposition de deux membres.
Conclusion « L'unité rythmique fondamentale n'est pas formée par
:

un stique isolé, mais elle consiste dans une paire symétrique de sti-
ques ou distique. » Par conséquent a l'unité rythmique fondamen-
tale », ce qu'on appelle communément le vers, n'est pas constituée
en français par un seul « stique » de huit ou dix syllabes, par exem-
ple, mais elle consiste essentiellement dans une paire symétrique de
pareils stiques, c'est-à-dire en un distique en d'autres termes, deux
:

vers français n'en font plus qu'un. La conclusion est absurde, certes.
Mais comme raisonnement est également rigoureux, qu'on l'ap-
le

plique à l'hébreu ou au français, il est à croire qu'il ne vaut rien


dans aucun des deux cas.
Il est à' peine nécessaire maintenant de répondre aux assertions du

P. Condamin. « Il ne peut y avoir de parallélisme sans que le premier


stique soit suivi d'un second stique parallèle. « Tout de même que le
phénomène de la rime ne peut se produire sans que le premier « sti-
que » soit suivi d'un second finissant par un son
une articulation et

identiques. la monostique est donc un vers boiteux, ou, plutôt, une


<(

moitié de vers qui ne peut vivre sans l'autre moitié. » Un monostique


hébreu n'est pas plus un vers boiteux ou une moitié de vers qu'un
membre de phrase de huit syllabes, en français, n'est un
isolé
Tci's boiteux ou une moitié de vers. L'un et .l'autre sont vers ou

prose selon les intentions de leurs auteurs, et ils manifesteront leur


nature à l'auditeur par ce cjui suivra. Un auteur écrit : « Celui qui
règne dans les cieux... » Un autre commence : •< Un mal qui répand
la terreur... » Où y un vers de huit syllabes? Attendez, pour le
a-t-il
savoir, d'entendre la mesure du membre qui suivra et la rime, si elle
vient. Car il est vrai, aussi bienen français qu'en hébreu, qu'un « sti-
que » ne peut vivre sans un autre et n'apparaît dans toute sa réalité
que grâce au voisinage de son semblable. Il ne s'ensuit pas qu'en
hébreu ou en français il faille deux « stiques » pour faire un vers.
Ce n'est pas en français seulement que le vers a besoin d'être groupé
avec l'un au moins de ses pareils pour se révéler avec certitude. 11
NOTES SUR LES PSAUMES. 63

pourra en être de même en d'autres langues dans les systèmes où le


,

vers se mesure, non sur la quantité des syllabes, mais sur leur nom-
bre ou encore sur le nombre des accents. Ce sera le cas pour les vers
mesurés par les seuls accents, semble-t-il, si le nombre des syllabes
atones varie assez sensiblement, et selon des règles peu strictes, dans
l'intervalle des syllabes accentuées, et pour les vers syllabiques,
si une assez grande latitude dans le groupement des
est laissée
syllabes à l'intérieur du vers ou de rhémistiche. Dans les deux cas,
un même résultat est obtenu la place de certains accents rythmi-
:

ques varie, la succession des temps forts et des temps faibles, sans
l'alternance desquels il n'y aurait plus de versification, est dès lors
moins rigoureusement déterminée, moins mécanique, peut-on dire,
et s'imposera donc moins vite à l'oreille. Le rythme est plus varié,
mais par là même plus discret. Il perd en précision ce qu'il gagne en
souplesse. Il sera moins promptement discerné. La présence d'un
certain nombre de syllabes ou d'accents dans un premier membre de
phrase pourra n'être qu'une rencontre, lors même que ce nombre
coïncidera avec la mesure requise pour une sorte de vers, et seuls les
meml^res suivants, par la symétrie qu'ils affecteront, ou non, avec
le premier, apprendront à l'auditeur s'il se trouve en présence d'un

orateur ou d'un poète. Dans ces conditions, un vers isolé sera à


peine un vers. Il sera tel dans l'intention de son auteur. Mais l'audi-
teur ne percevra le rythme avec certitude que s'il entend prononcer
une série de vers, et le distique à tout le moins sera nécessaire pour
que, dans son esprit à lui aussi, le' vers vive et chante.
Et cependant, dans ces diverses langues, le vers est identifié au
« stique ». C'est que le rythme, s'il n'apparait parfois avec une net-

teté suffisante que par la répétition de plusieurs vers, est fondé néan-
moins sur la structure du vers en lui-même et que la rime par exem-
ple, et ailleurs l'allitération (1), n'interviennent que pour aider à la

(1) Les exégètes allemands ont allégué plus d'une fois en faveur de la théorie de Kiister,
au moins à titre de comparaison, l'ancien vers germanique 'L(ingzeile) composé lui aussi
de deux membres {Kurzzeilen) unis entre eux par l'allitéralion. La notion du vers est
longtemps restée confuse dans l'esprit des métriciens allemands p\ aujourd'hui encore tous
n'ont pas adopté à ce sujet une terminologie précise et ferme. Hermann Paul, dont per-
sonne ne récusera l'autorité, a pourtant établi avec netteté le concept du vers et dans le
cas présent, il l'a identifié avec la Kurz-zeile : l'ancien vers germanique à deux membres
est en réalité une paire de vers unis par l'allitération comme d'autres le sont par la rime
[Grundriss cler (jermaniicheii P^iloloyie, herausgegeben von II. Paul, seconde édilion,
Strasbourg, 1905, II, 2: Metrik, seconde section Deutsche Metrili. von H. Paul, p. 43 ?.,
:

cf. pp. 42, 124),. E. Sievers fait usage d'une terminologie moins uniforme, mais il ne sem-

ble pas que sa pensée diffère (même ouvrage, II, 2 : Metrik, première section: Altger-
manische Metrik von E. Sievers, p. 6, cf. p. 13).
64 REVUE BIBLIQUE

perception de cet élément essentiel du rythme, en établissant des


points de repère pour l'oreille. Le parallélisme joue-t-il un rôle ana-
lo°-ueen hébreu? C'est une question à examiner. Mais à moins de
prétendre que le vers hébreu est constitué par le seul parallélisme
et quil ne contient aucun élément formellement rythmique, on ne
pourra démontrer la théorie à laquelle s'est ralliée-, à tort, la majo-
rité des exégètes. Or, on ne va point sans doute jusque-là. Il semble
cependant qu'on veuille profiter de l'incertitude qui règne encore au
sujet de l'élément formel de la métrique hébraïque, et de la netteté
avec laquelle s'accuse au contraire le parallélisme, pour imposer un
système dont l'économie se résumerait en deux propositions le :

parallélisme fait le vers, le vers contient le parallélisme. Les deux


propositions se tiennent, et la première requiert un plus ample exa-
men. Mais comme il est certain déjà que le parallélisme ne constitue
pas à lui seul la forme poétique du vers hébreu et qu'il y* joue tout
au plus un rôle accessoire, ce rôle fùt-il aussi iodispensable que l'est
ailleurs celui de la rime, nous considérerons comme acquis que le
vers hébreu ne contient pas nécessairement tout le parallélisme (1).
Les mots « vers, hémistiche, distique, tristique » seront donc
employés, dans les notes suivantes, au sens où ils sont reçus pour les
langues autres que l'hébreu. Dans les psaumes alphabétiques, on
dira que la lettre alphabétique est toujours placée au début d'une
série déterminée de vers (distique, tristique, etc.), ou tout au plus au
début de chaque vers, jamais en tête de chaque hémistiche. Cette
observation vise les ps. cxi et cxii, pour lesquels Koster et ses adeptes
sont obligés d'admettre que la lettre alphabétique commande chaque
« stique », c'est-à-dire chaque moitié ou même chaque tiers de
vers (2). L'anomalie que renferme cette manière de voir n'avait pas
échappé à Kuenen (3), tout dévoué qu'il fût à la même théorie.

PSAUME I" (4)

Les lois du parallélisme sont assez bien observées dans lepsaume


i". La mesure en est cependant irrégulière, car les membres

ne s'ensuit pas qu'il ne puisse jamais le contenir.


(1) 11

(2) On
sait, en effet, que dans l'un et l'autre de ces dj^x petits poèmes, deux Iristiqucs

terminent une série de Luit distiques.


['.l) EinleilutKj, III, 1, p. 52 s.

(k) Les Septante G (avec les sigles des mss. entre [larent'héses) sont cités d'après
Swete, Holmes et Parsons.
NOTES SUR LES PSAUMES. 65

parallèles sont de longueur mégalo, et les tentatives de certains


critiques, Briggs par exemple, pour réduire le texte à une mesure
uniforme, ne relèvent que de l'arbitraire. On ne saurait non plus
parler de strophes au sens propre du mot, bien cj^ue la composition
se partage en deux sections, non pas égales, mais qui s'opposent
nettement l'une à l'autre. Le style, en dehors des images des vv. 3
et qui étaient usuelles et que l'auteur a empruntées, n'a rien
'i-,

non plus de très poétique. Il ressemble à celui de la longue intro-


duction des Proverbes (i-ix), dont une partie du psaume rappelle
d'ailleurs les idées, tandis que le rythme est plutôt comparable à
celui, souvent aussi peu strict, semble
des discours prophétiques. Il

donc que nous soyons en présence d'une sorte de préface, en prose


parallélique ou en vers assez libres, à un recueil de psaumes, et peut-
être le morceau a-t-il été écrit, en effet, à cette intention.
Il y aurait cependant peu à faire pour obtenir partout des vers

égaux. Ces vers seraient de six accents, avec césures tantôt après le
second et le quatrième accents (vers 1, 3, 5, 6; vv. 1 «, '2, 3 6, 4), tantôt
après le troisième seulement (vers 2,4, 7, 8; vv. 1 h, 3 a, 5, 6). Il ne
saurait être question d'un autre mètre, d'abord parce que les coupes
dont la place varie, en principe ne marquent pas la fin du vers, mais
ne sont que des césures; ensuite parce que, dans les vers de la pre-
mière série, la suspension du sens après le second et le quatrième
accents est presque toujours trop faible pour indiquer l'achèvement du
vers la plupart du temps il est impossible de s'arrêter avant le
:

sixième accent. Au reste, le soin que l'auteur a pris de commencer


par un vers à deux césures, afin qu'on ne pût hésiter un instant sur
la mesure, et de ne jamais laisser se suivre immédiatement deux vers
à césure médiane, sauf peut-être les deux derniers, ne permet pas de
lire, dans les versets de la seconde série, des vers de trois accents.

En fait, les vv. 2, 3 « (3 c est adventice),. 5 et G, soit quatre vers sur


huit, dérogent au mètre indiqué. Le v. 2 contient deux membres
égaux de quatre accents; le v. 3 a compte cinq accents; les vv. 5 et 6

Les mss. et autres témoins de l'ancienne version latine L sont cités d'après Sabatier
Bihliornm sacroi-um latinae versiones antiquae, II, Reims, 1743), Migne (P. L. XXIX,

117 ss. ; XXXVI, 21 ss. ; LXXXVI, 739 ss.), Amelli [Liber psalmorum iuxta antiquis-
simam latinam versionem... Romae, 1912), Bonaccorsi (Psalterium latinum cum ç/raeco
et latino comparatum, Florenliae, 1914). Hier. Jiom. Hebr. = Psautier romain, Psautier
hébreu. Hier. Com. = Sancti Hieronymi... Commentm-ioli in Psalmos, dans Anecdota
Maredsolana, 111, Maredsoii, 1895.
Pour les versions coptes C, les citations se réfèrent à Ciasca et Budge.
Les autres abréviations sont connues. Kiinig = Lehrgebonde; Driver = Jlebrew
Tcnses.
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 5
f,Q REVUE BIBLIQUE.

ont, l'un et l'autre,deux membres inégaux, l'un de quatre, l'autre de


trois accents. Mais au v. 5, les mots ]z h'j doivent être retranchés ils :

sont contre le sens. La répétition de min, au v. 2, est peu naturelle


et l'un des deux mots pourrait être une superfétation (iunkel et :

Sievers enlèvent mm
primo et ex. De même, au v. 0, -jTî est répété
et disparaîtrait sans inconvénient l'une des deux fois. Il faudrait enfin
supposer la chute d'un mot au v. 3 a, qui est trop court. Ainsi re-
touché, le psaume se trouverait composé de deux tristiques, entre
lesquels un distique est intercalé. A titre de curiosité seulement, on
remarquera que si le v. 3 c a pris la place d'un vers dû à l'auteur, le
poème aurait été constitué à l'origine par trois tristiques; et si ce vers
disparu n'avait comporté qu'une césure et que "jTT secundo fût de
trop au v. G, un vers à césure médiane aurait alterné régulièrement
avec un vers à deux césures dans toute la composition primitive. Mais
il n'est pas invraisemblable que le psaume ait soùtl'ert les autres
moditications. L'état du texte massorétique aux vv. 3 c et 5 a et celui
du texte grecau v. i prouvent que des additions plus considérables
encore, et moins naturelles peut-être, ont eu lieu dans les éditions du
psaume qui nous sont parvenues. Les retouches et accidents qu'il a
subis s'expliqueraient peut-être par le fait qu'il aura été tardivement
incorporé au premier livre des Psaumes transmis d'abord en dehors
:

du livre officiel, il aura été moins bien gardé ou traité plus librement.
Bref, on ne saurait nier absolument que ce petit poème ait pu, à
l'origine, compter des vers égaux. Mais on ne saurait prouver non
plus que l'auteur n'a pu écrire une composition aussi irrégulière que
celle de la Massore.
Le sujet est le bonheur du juste et la ruine finale du méchant.
Première partie : définition de un point de vue négatif
l'homme juste, à
(v. 1), puis à un point de vue positif (v. 2); son sort le bonheur lui :

est promis (y. 3). Seconde partie, sort opposé du méchant sa ruine :

est aimoncée d'abord sous une forme imagée qui correspond au style
du V. précédent (v. puis en termes propres qui la définissent
4),
exactement (v. 5); c'est que la justice de lahvé réglera sa destinée
comme celle du juste (v. 6).

1 ileurciiv riioinnie qui n'a jioiiit maiclié selon le conseil des mécliaiiis.
n'est pas eulre clans la voie îles pécheurs et ne s'est pas assisdaiis la conipagniedes railleurs.
- mais dont le plaisir est dans la loi de lahvé, et qui sur sa hn médite jour et uuill

"•
Il siTa comme un arhre planté prés des cours d'eau,
qui donne son Iruit en sa saison et dont le l'euillase ne se lléli'ii pas.
i'.l loul ce qu'il entrejjreuU, il le mène à bien.

* Il n'en sera pas ainsi des méchants, mais ils seront comme la balle que le vent emporlc :
>
( 1
les mcclianis ne resteront pas dehoutau jugemenl, ni les pécheurs dans la société des-
' car lahvé connaît la voie des justes, mais la voie des méchants périra. [justes;
NOTES SUR LES PSAUMES.

Il

1. *"IU7N, le premier mot du psaume, uu de ceux dont les moralistes de


est

TAncien Testament ont usé le plus volontiers on le reiicoutre 26 fois dans le


:

Psautier et S t'ois dans le livre des Proverbes, mais 8 fois seulement dans les autres
livres; et comment ne pas rappeler à ce sujet les béatitudes évangéliques (Matth.
V. 3 ss. 'Ct parall.)? Le bonheur est donc promis à l'homme de bien. La formule
n'exprime, en e/fet, ni la constatation d'un fait actuel ni seulement un vœu ou un
souhait; elle est relative à l'avenir, mais contient une affirmation ferme et assurée.
Dans la Massore voulait qu'on prononçât le terme avec une lenteur
cet esprit,
solennelle une accentuation exagérée, au point de rendre sensible même le
et

cheva pour marquer qu'il était « mobile », elle le faisait précéder, et même dans
:

certains mss. et éditions suivre du méthey (de même Ps. xxxii, 2; xl, 5; Prov.
VIII, 34) : cf. Delitzsch, Com.; Rokig, II, p. 341 ; ZATW, xxiv, 324 s. — L'emploi
de tytNn vi)- indique que le psaimiste n'envisage pour l'instant que l'homme adulte,
à l'exclusion des femmes et des enfants. Il ne s'agit d'ailleurs, comme le montrei'a
le v. suivant, que non de l'homme en général. Le mot a l'art,
de l'Israélite, et

comme vj^^irin qui lui est opposé au v. 4. sans doute parce que lauteur a en vue
deux classes déterminées ^e personnes (cf. Kônig, III, 292 m). Le relatif ^t.^s^ —
que les poètes omettent volontiers, ne surcharge aucun psaume au même degré que
celui-ci. Au reste, les trois premiers mots du v., par la double ("i) et triple (x, tT)
répétition des mêmes consonnes, forment un ensemble peu harmonieux, pour autant
du moins que l'oreille d'un Occidental peut en juger.
"S", au sens figuré, désigne souvent la coiiduite morale. ~TJ n'a pas le sens
'!e « réunion, assemblée » ('A Iv ^jvaÀEÛcyet), mais de « conseil donné ou reçu,
dessein, principes de vie pratique, maximes ». Les deux mots, construits comme
ils le sont ici, ne se rencontrent ailleurs que dans II Chr. xxii, 5, dans une pro-

position que le Chroniqueur ajoute à sa source (II R. viii, 28); mais une locution
analogue et peut-être plus ancienne mÂ*!;i^22 ~Sn se lit dans Jér. vu, 24 (mais
voir CoRNiLL in loc); Mich. vi, 16; Ps. lxxxi, 13. Le sens n'est pas douteux :

« se conduire maximes » ou plus simplement, comme dans Chr.


selon les :

(f suivre le conseil ». —
L'usage du parfait dans les trois verbes de ce v. indique
que l'abstention totale du juste est un fait acquis pour le passé (« qui n'a jamais
marché, etc. ») et se continue dans le présent (GK 106 A;). ''îTw'l « les méchants » —
est en opposition à alplT]; « les justes » (vv. .5, 6). La suite du v. montrera qu'il
s'agit des ennemis de la religion, à la fois pécheurs et incroyants, c'est-à-dire des

impies-, mais pour l'homme pieux, ce sont bien là les « méchants ». L'emploi du
mot en ce sens s'est développé surtout dans Ézéchiel, les Psaumes et les livres
sapientiaux. L'expression D''";yi ViTJ se retrouve dans Job \ \ xxi, 16; xxii,
18; cf. Is. XXIX, 1-5; Job XVIII, 7 ; Ps. CVI, 43.
Par contre, l'expression \x"i2n ~Tî2 est unique (mais pour l'idée cf. Jér. vu.
23 s. ; Ps. XXXVI, 5). La « voie » est la manière de vivre et d'agir » et surtout
«

la « conduite » morale avec toutes les conséquences qu'elle peut entraîner, donc
« conduite et sort » (cf. Matth. vu, 13 s.). La signification première de IDI? est
« se tenir » (cf. les dérivés « place », « colonne ») et par conséquent, suivant les
moments, « ou « rester, s'arrêter » d'après tout
se présenter, se placer, entrer » ;

le contexte, le sens ici est « qui ne s'est jamais placé ou tenu », donc « qui n'est
:

pas entré ». Les « pécheurs » sont les pécheurs habituels, qui font profession de
68 REVUE BIBLIQUE.

transi^resser les préceptes de lahvé: peut-être la forme intensive du nom veut-elle

exprimer celte nuance du mot.


lï"' 2w*lS est encore une expression unique (mais cf. pour l'idée Ps. xxvi, 4-6).

SwHn signifie, comme dans Ps. cvii, 32, « réunion, assemblée, cercle ». D'après
Is.XXIX, 20; Prov. I, 22; lir, 34; l\, 7 s.; XIII, 1; Xiv, 6; XV, 12; XIX, 25, 29;
XXI, 11, 24; XXIV, 9; Eccli. viii, 11; XIII, 1 le « railleur » n'est autre que le ,

n sot ou r « insensé «. le « pervers » ou le « méchant » (cf. aussi l'emploi du


))

verbe vr
dans Prov. ix, 12; xiv, 9; xix, 28; Ps. cxix, 51). De tout temps les
objections des incrédules contre la religion ou des débauchés contre la morale
ont pris le ton de la moquerie et de la dérision. Aussi les Sages en vinrent-ils à
identifier le mécréant hostile et agressif avec le railleur. — G Àoiawv a dû être lu par

erreur au singulier par L : pestilentiae ne s'explique pas autrement. On lit parfois

le pluriel dans Tertullien : pestium {Adv. Marc, iv, 42 : P.L. II, 465; De spectac.
3 P. L. I, 634), pestilentium (Adv. Marc, ii, 19
:
P. L. II, 307), dans saint :

Augustin peslilentiarum {In Ps. xxxix, 14


:
P.L. XXXVl, 443; In Ps. cl, 2 : :

P. /.. XXXVII, 1962) et dans saint Jérôme peslihnlium [Corn.; In Osée vu, 5 : :

P. L. XXV, 876). Mais la divergence des termes employés dans cet elfort vers le

pluriel trahit des traductions directes sur le grec et confirme l'existence du singu-
lier dans l'Ancienne Latine.
On peut voir une gradation dans l'emploi des verbes marcher..., entrer..., <<

s'asseoir ». La progression est aussi dans la pensée le juste est l'homme qui ne se :

laisse pas influencer par les conseils et les maximes des méchants, qui n'adopte pas

le genre de vie des pécheurs et à plus forte raison ne prend point part aux attaques
des impies contre la religion. Le v. suivant le caractérisera d'une façon positive.
Mais apparaît déjà que pour le psalmiste l'adhésion à Tune ou à l'autre « voie »
il

est conditionnée par la profession d'une doctrine les maximes des méchants d'un :

côté (V. 1), la loi de lahvé de Tautre (v. 2) servent de point de départ. De plus,
méchants, pécheurs et incroyants sont les mêmes hommes, et les « méchants » se

trouvent par le fait définis eux aussi : mœurs et sans foi.


ce sont les gens sans

2. La répétition du mot min au v. 2 a le don d'ofiusquer les critiques, et les

corrections abondent. Au lieu de min::, Duhm et Zenner écrivent nN"li2. rem-


plaçant la « loi de lahvé » par la « crainte de lahvé » ;
Gunkel supprime niin et

lit seulement ni.T'S en lahvé »; Bickell laisse tomber iniini. Mais il est fort
«

possible que le psalmiste ait voulu insister sur la Loi par une répétition, ou qu'il
ait négligé son style : les répétitions de mots ne l'eflraieut pas (cf. D'iyy;"! aux
vv. 1, 4, 5, 6; DiplTÀ' aux vv. 5, 6; y\l aux vv. 1, (i). — Sur I^Sn cf. Ps. cxii, 1 ;

cxix, 35.
nin% comme les imparfaits du v. 3, exprime des actes qui se répètent (cf. G K
107 (j). Il au sens de « émettre des sens inarticulés » nous
signifie « murmurer » ;

dirions familièrement « marmotter ». Le sens de « méditer », qui en dérive, paraît


assuré ici comme dans Is. xwiii, 18; Ps. lAiii, 7: i.xxvii, 13: (Aliu, 5; B. S.
VI, 36; XIV, 20: voir cependant Glidi, RU., 1905, 553 et cf. Ps. ii, 2. Le second —
membre du v. 2 est formé par emprunt à Jos. i. 8 (cf. Deut. xvii, 19; vi, 7 ss. ;

XI, 18 ss.).

Dans mut ilwrah ne garde pas le sens générique d' « enseignement » ni


ce v., le

même de « précepte l'auteur vise un corps de lois déterminé. Le parallélisme


); :

évident avec Jos. i, 8 pourrait donner à croire qu'il s'agit seulement du code deu-
téronomique; mais il peut aussi bien être question de la Loi tout entière et peut-

être même d'une façon générale de l'Écriture. Du moins, les emprunts du psaume
INOTES SUR LES PSAUMES. 69

aux divers livres bibliques le donnent à penser. Le v. décrirait le Juif pieux tout
appliqué à épeler le texte sacré.
3. n'^r\'], qui ouvre le v. 3, est un parlait consécutif et doit être traduit par le futur

(contre Briggs), comme l'ont compris G /.al ïn-oi: ï M*!*! P joovj LCV et erit; :\'^\r^\^

continue réellement "i^'k^'x dont il est la suite logique, et Ton pourrait très bien
traduire : « Heureux l'homme qui..., car il sera... ». En elTet, "'Tc^kV}, ~1"I2, lin, etc.

expriment soit un vœu, soit une promesse, et annoncent par conséquent ce qui
sera; aussi sont-ils le plus souvent suivis d'un imparfait qui a le sens du futur :

cf. Ps. XLi, 2; Lwxiv, 5; Lwxix, 16-17; c\ii, 1 ss. ; cwviEi, 1 S. Ces expres-
sions équivalent donc à un futur et comme telles, peuvent aussi bien être
elles
suivies du parfait consécutif. Et c'est en effet ce qui arrive dans Is. x\x, 3; lxv, 24:
.Ter. XVII, 6, 8, par exemple, où nTiT se lit comme ici cf. KÔiMg. III, 367 q). Ce
serait d'ailleurs 'se méprendre sur la pensée de l'auteur que de traduire ni~* par le

présent. Le psalmiste ne constate pas un fait actuel; exprime une espérance, une
il

certitude si l'on veut, mais relative à un fait qui n'existe pas encore et qu'il appar-
tient à l'avenir de réaliser,comme il appert du v. -5. Il n'aurait du reste pas besoin
d'encourager le juste comme il le
fait, si dès à présent celui-ci était comblé de

biens et leméchant accablé de maux.


yy n'a pas l'article. Ce n'est pas l'espèce entière qui est envisagée, mais un ou
plusieurs individus seulement. La proposition qui suit exprime en effet une qualité
qui n'est pas essentielle à l'arbre, mais seulement occasionnelle (Rôxki, III, 290 l).

Le contraire a lieu au
''^AT\'d un terme
v. 4. —
poétique. Le pluriel de i^Ss
est —
s'expliquerait bien si yî? était un collectif. Mais le mot fait allusion à un système
d'irrigation artificielle (cf. Prov. xxi, 1 eaux qu'on dirige à volonté; Is. lviii, 11;
:

Eccl. Il, -5-6) usité surtout en Egypte et eu Babylonie et qui, dans chaque cas, com-
portait nécessairement plusieurs canaux. Ainsi peut-on expliquer que le singulier
aSs ne se trouve qu'une fois (Ps. lxv, 10),dans un cas assez spécial. En dehors
d'Is. XXX, 2-5; XXXII, 2; Lam. m, 48, le terme ne se rencontre que dans les livres
sapientiaux. — Le premier vers du v. 3, sanf addition du mot t;S£, est pris litté-
ralement de Jér. xvii, 8. L'image est d'ailleurs usuelle dans la Bible (cf. Éz. xlviii,
12). Le vers est trop court : un mot comme ''72I (Is. xxx, 2.j; cf. xi.iv, 4) ou

^'^r-'} (Éz. XIX, 10) serait-il tombé avant ou après nia?


"nyi est « en son temps », c'est-à-dire « au temps du fruit ». La seconde propo-
sition de ce second vers, sauf inversion, coïncide exactement avec un passage
d'Ez. xLvii, 12. Mais la description s'inspire plutôt de Jér. {loc. cil.)-., seulement le
psalmiste est moins diff'us que le prophète. Il met au premier rang la production du
fruit « en la saison » et finit par le feuillage qui ne tombe point : peut-être y a-t-il,

dans sa pensée, une adaptation de l'image à sa conception d'une rétribution, non pas
constante (sur le v. 3 c, voir ci-dessous) mais en un temps réservé et marqué (v. ô).
A un autre point de vue, les images s'opposent moins bien ciiez lui que dans Jéré-
mie. Dans psaume, nous avons d'un côté l'arbre fécond et toujours vert, de
le

l'autre la balle que le vent emporte; dans le prophète, l'arbre toujours arrosé, qui
ne craint pas les années sèches et porte régulièrement son fruit, est opposé à une
plante desséchée dans un désert brûlant.
La troisième ligne rappelle fort Jos. i, 8 (cf. Gen. xxxix, 3; II Chr. vu, 11;
XXXI, 21 pour les expressions). Le ïargum en fait une troisième proposition relative,
en dépendance de yi^ii primo. Mais si les deux verbes au qal peuvent avoir V'J pour
sujet (cf. Gen. i, 11; Ez. xmi, 9 s. etc.), il n'en est pas de même de nSi* à Vhiph.
70 REVUE BIBLIQUE.

(('i suivi par LCV prospéra buidur a lu le qal, bien à tort , et le contexte repousse
d'ailleurs une pareille interprétation. Ces verbes doivent régulièrement être traduits

par le présent, comme les autres imparfaits des vv. 2 et 3: on trouve donc expri-
mée ici la foi à la rétribution temporelle : tout réussit à l'homme de bien.

Mais l'origine de ce membre de phrase est assez douteuse : 1. Il reste en dehors

de tout parallélisme, ce qui est un cas unique dans le psaume. -2. Il s'interpose —
mal à propos entre le v. 3 ab et le v. 4, car ce dernier rappelle par contraste la
figure de 3 ab et y oppos^, par-dessus 3 c, une autre figure. 3. Il rompt avec la —
doctrine fondamentale du psaume, d'après laquelle la rétribution aura lieu seulement

en un temps donné (v. -5). La doctrine d'une rétribution générale et solennelle,


qui est celle de l'auteur, a précisément été introduite parce qu'on sentait trop bien
l'insuffisance croyance reçue d'une rémunération temporelle, constante et ha-
de la

bituelle, des mérites de chacun. Zenner et Gunkel retranchent le v. 3 c; Knaben-


bauer, à la suite de Zenner, y voit une glose explicative de la figure qui précède.
Briggs tient pour interpolé tout le v. 3. sous prétexte qu'il est constitué tout entier
par des emprunts à d'autres livres et eu raison soit de son allure prosaïque soit de
l'irrégularité qu'il introduit dans le rythme. Mais les vv. 2 6.4 6 ne sont pas moins
empruntés et des 1. Les emprunts du v. 3
réminiscences sont assez probables au v.
sont donc plutôt une garantie d'authenticité, puisque la même méthode règne dans
ce v. et dans le reste du psaume. Le reproche de prosaïsme n'atteint que 3 c. Quant
au rythme, abstraction faite de 3 c qui n'a pas de parallèle, ilnest pas plus irrégulier
dans ce v. que dans les autres, et Briggs n'obtient, en le sacrifiant, aucun résultat
appréciable il est obligé de supposer, en tête de chacun des vv. 1 et 4, un vers de
:

deux accents, et les vers des vv. 2, 4 b, 5 a, G a restent sensiblement plus longs
que ceux des vv. 1 h, ô b, (> b. Mais au point de vue du sens les conséquences sont
déplorables. La négation ]3 nS, qui ouvre le v. 4. n'a plus un sens satisfaisant: elle
est trop loin de i"iU?X, pour s'y opposer. L'image du v. 4 b ne rime à rien, si elle
ne forme plus contraste avec celle du v. 3 ab, et nx iD, qui l'introduit, perd toute
siunification, car l'opposition marquée par cette formule ne peut viser que la des-

cription du v. 3, Si le psalniiste n"a pas écrit le v. 3, il faut pour rester dans la

logique et le bon sens lui enlever encore le v. 4 b.

4. L'opposition exprimée par "j; N*'' au début du v. 4 ne porte pas sur la conduite
des méchants, qui a été suffisamment rappelée par le v. 1 et ressort encore, par
contraste, du v. 2, mais sur leur sort, ditlérent de celui des bons qui vient d'être
décrit. D'ailleurs, DN i- « au contraire » est suivi du tableau de la destinée qui les
attend et ne laisse par consé(iuent aucun doute «ils ne seront pas comme l'arbre... ; :

mais ils seront comme la balle... ». Le futur s'impose, car ]Z .x'^ nie le futur qui pré-
cède, et besoin, vivement senti, d'encourager les justes laisse trop bien entendre
le

que les méchants, pour l'instant, ne sont pas en mauvaise situation matérielle.
G, suivi par L (sauf Casin.) VC, répète o-:-/. ojtwç après iaeSÊu:. Bathgen et Well-
nS secundo. Mais cette addition semble condamnée par la
liausen rétablissent p
mesure.
\"!2, collectif, a l'ai-ticle, la proposition étant vraie de toute l'espèce. Ce mot dé-
signe « des graminées, blé, orge, etc., composée de deux
l'enveloppe du grain
écailles ovales ou glumelles s'emboitant l'une dans l'autre, de façon à former une
sorte de capsule ». Après le battage, on séparait le grain de la menue paille et de la
balle en projetant le tout en l'air à l'aide de larges pelles, dès que s'élevait la brise
du soir. Le grain, plus lourd, retombait sur l'aire; le reste et surtout la balle, plus
légère, était emporté par le vent ^Vic.ouRoux., Bict. de la B. I, 1417). Les auteurs
NOTES SUR LES PSAUiVlES. 71

bibliques ont comparé à la balle, ainsi chassée par le vent, les ennemis d'Israël
(Is. x\ii, 13; XXIX, 5; XLi, 15 S.) et les méchants (Os. xiii, 3; Ps. xxx\ , 5;
Job XXI, 18) poursuivis par la justice divine (cf. Jér. iv, 11-12 et Soph. ii, 2, qui est
difficultueux).
A la un du v., G, suivi par LVC, ajoute à-rzo Ttpoaoi-ou -% y-Tî;. Il a du lire :

'-IV>
NM i:ï '^:ra (et non hv cf. Gen. iv, 14; I Sam. xx, 15;
: I R. xiii, o4:
Jér. xxviii, 16-, Soph. i, 2, 3, etc.). présente, au début du v. M
suivant, deux mots
qui ne peuvent avoir à cet endroit aucun sens satisfaisant (voir ci-dessous) : elle a

dû se trouver en présence du texte lu par G, mais eu partie effacé, en partie altéré,


dont elle a tiré '"^'J (cf. iJE h'J) par conjecture. Il est vrai que G traduit aussi
p
]Z hy au v. .5, mais il peut avoir acquis oià touto de très bonne heure par une révi-
sion sur l'hébreu. Cependant, saint Jérôme écrit au sujet des additions de G : Id
quod secundo dkitur JSon sic, in hebraeis voluminihus non habetur, sed ne in ipsis
:

quidem Sej^}tuaginta intfrpretibiis nam IcaTCÀou; Origenis in Caesariensi hibliotheca


':

reler/em, seinel tanliua scriptum repperi. A facie terrae nec hoc quidem in vete- :

ribus habetur exemplaribus {Gom.). Mais il était trop épris de la veritas hebraica
pour que son témoignage doive prévaloir ; les additions de G restent certaines, à en
juger par les mss., par les versions dérivées et par les citations patristiques les plus
anciennes, et Origène lui-même témoigne de iTih -oocjwtioj -r^; vrjç {In Psalm. I;
P.G. XII, 1089 ss.). Bickell, Zenner et Duhm se prononcent en faveur de cette der-
nière addition, sauf à la retraduire en hébreu de façon un peu différente. Mais le
rythme ne la recommande pas plus que la précédente.
5. De quelque façon qu'on traduise p Ss? : « c'est pourquoi, pour ce motif, par
conséquent », cette locution est hors de propos dans le contexte. Oa ne saurait
montrer comment, de l'énoncé du v. 4, on peut déduire, comme une suite ou une
conséquence, le fait affirmé au v. 5. Au contraire, le v. .5 motive bien plutôt le v. 4

et pourrait très bien débuter par « car», tandis que la raison du fait allégué au v. 5
sera donnée au v. (5, lequel à cet effet commence par "î:. Les commentateurs qui
veulent à toute force justifier la leçon massorétique expliquent « Les méchants sont :

sans valeur comme la balle (v. 4); pour ce motif ils ne subsisteront pas au jugement
(v. 5). » Mais c'est fausser le sens de la comparaison et même celui du texte. La com-

paraison ne porte pas précisément sur la non-valeur de la balle, mais sur son sort,

sur le fait qu'elle est emportée par le vent, ce qui symbolise la ruine des méchants,
de même que la comparaison précédente n'a pas pour objet la valeur de l'arbre,
mais sa destinée, le fait qu'il porte du fruit et reste toujours vert, ce qui symbolise
le bonheur des justes. D'autre part, si l'on tient compte de la syntaxe et du sens
général du psaume, on reconnaîtra que le v. 4, comme le v. 3, doit être entendu
au futur (voir ci-dessus). L'auteur ne dit donc point : « Les méchants sont (sans va-
leur) comme la balle », mais : « Les méchants seront comme la balle emportée par

le vent. »

Il faut reconnaître que les versions sont toutes en faveur de ": hy. Pourtant saint
Arabroise écrit : Quoniam non resurgiint Impii in ludicio {In Ps. i, .5 : P.L. XIV,
948; In Ps. cxviii, 154 : P.L. XV, aucune autre citation de ce Père ne
1491;, et
contredit cette forme du texte. L'Ambrosiaster écrit aussi Quia non resurgunt :

impii in iudicio {In Rom. ii, 16 : P.L. XVII, 69); mais ailleur.<! il a la forme com-
mune : Ideo non résurgent... {In I Cor. xiv, 52 P.L. XVII, 271). La leçon de ces
:

deux auteurs est en somme contemporaine des plus anciens mss. grecs, et si elle

représentait l'Ancienne Latine, elle infirmerait la leçon de G et par contre-coup le

témoignage de M.
72 REVUE BIBLIQUE.

Les interprétations de l^lpi vont en deux sens différents. Le verbe exprime la


station debout et suivant l'instant envisagé, il se traduira par « se lever », « se
tenir ou rester debout » et par conséquent « résister » (Job xli, 18: Lara, i, 14, etc.)
ou « subsister » (Jos. ii, 11; Am. ii, ô: Nah. t, G). Dans un certain contexte, il
peut exprimer l'idée de résurrection (Is. xxvi, 14, 19; cf. Ps. Lxxxviii, 11; dans ces
deux morts sont sujet du verbe). C'est, dans le cas présent, l'interprétation
textes, les
de L 7ion resurgimt et de V non résurgent, qui semblent ainsi nier la résurrection
des méchants (cf. Ps. deSalomon, m, 13-16, Viteau, Les Psaumes de Salomon, Paris,
1911, p. .58 s.). Les Pères latins ont d'ailleurs résolu cette difficulté en recourant à
Jean m, 18. Il suffit de citer saint Jérôme : Ideo non resurgunt impii in iudicio.
Non quia non resurr/ant, sed quia in iudicium non resurgant : iam enim de his
praeiudicatum est. Neqiie peccatores in consilio iustorum. Si non resurgunt pecca-
tores in peccatorum iustorumque resurrectio iCom.).
consilio iustorum, diversa est
Briggs admet encore l'interprétation de V, en raison de la date tardive qu'il assigne
au psaume (entre 332 et 168 av. J.-C.) comme Is. xxvi, 14-19, l'auteur restrein-
:

drait la résurrection aux justes et serait par conséquent antérieur à Daniel (xii, 2)
qui l'étend aux méchants. Mais les commentateurs modernes, même catholiques (et
parmi eux le P. Knabenbauer et M. Pannier), sont à peu près unanimes à reconnaî-
tre à lOlpi le sens de « subsister » (cf. ï « être acquitté ») : les méchants ne se
maintiendront pas lors du jugement, mais ils seront abattus par la justice de lahvé.
Le psaume, comme on verra, n'est pas assez récent pour que l'idée de résurrection
s'impose. La suite du v. indique d'ailleurs une autre interprétation. Elle précisera
aussi la notion du « jugement ». Mais il apparaît déjà qu'une action spéciale de la
justice divine est annoncée il ne suffirait pas de songer à ses interventions ordi-
:

naires et quasi quotidiennes, une manifestation solennelle et unique est en vue.


my réunion concertée » ou qui a lieu sur convocation, donc « assem-
signifie «
blée », mais aussi dans un sens plus large « corporation, communauté, société »
(cf. Ex. XVI, 1 s.; Lév. xvi, 5: Nomb. i, 2; xx, 1; xxvti, 17; Jos. xxii, 16 s.;
Jér. x\x, 20; Ps. i.xxiv, 2, etc.), et c'est ici le cas :il n'est pas question d'une
réunion transitoire, mais d'une communauté ou société destinée à durer. Il est pos-
sible qu'à l'époque du Judaïsme, le mot ait été renouvelé de l'ancienne littérature
et appliqué à la société future dont ou rêvait. Cette société des justes est celle des
temps messianiques, où les Juifs pieux et sans péché, réunis eu Palestine, serviront
lahvé fidèlement et seront comblés de ses bénédictions 'Is. i.xv, 8-10, 13-25;
Lxvi, 10-12, 18-23; Mal. ni, 11-12, 17-21). Il est clair, par conséquent, qu'il s'agit,
dans le premier hémistiche, du jugement solennel, mais terrestre, qui doit coïncider
avec le début de l'époque messianique. Ce jugement apparaît moins comme une
discussion juridique des mérites de chacun que comme l'exécution, par Dieu, des
méchants.
Le verbe dp, qui est sous-entendu dans le second hémistiche, ne convient pas,
semble-l-il, à la penséede .3 h : les méchants assisteront au jugement pour y être
exécutés, mais ne sont-ils pas, par définition, exclus déjà de la communauté des
justes? Aussi Briggs veut-il suppléer •n'2''. Mais on ne doit pas perdre de vue que
la société des justes se constitue au moment même de l'exécution des méchants
(Is. i.w, ll-i.î: Lxvi, 13-18, 24; Mal. iii, 2-3, 5.18-19) et qu'elle triomphe d'eux en
les écrasant elle-même (Mal. m, 20-21). Dip, précédé de la négation, est dès lors à
sa place dans le second hémistiche comme dans le premier; mais il apparaît de plus
eu plus que le verbe, dans un pareil contexte, ne comporte pas l'idée de résurrection.
<;. Au v. 6, « connaître » prend le sens de <• faire attention à. se préoccuper de »
NOTES SUR LES PSAUMES. 73

(cf.Geo. xvni, 19; Am. ni, 2: Os. xirc, 5; Nah. r, 7; Ps. xxxr, 8; xxxvir, 18-,
Prov. xxvii, 23). lahvé ne peut connaître la voie des justes et se désintéresser de
leur sort. La « voie » désigne ici, comme au v. t, la conduite des justes ou des
méchants, mais avec les conséquences qu'elle doit entraîner : en pratiquant telles ou
telles moeurs, on marche dans une voie donnée, qui aboutit nécessairement à telle
ou telle destinée. L'opposition entre le participe yiT» et l'imparfait I3xn semble
indiquer qu'on ne doit pas traduire ce dernier par le présent; le futur est d'ailleurs
seul en rapport avec les verbes et les figures des vv. 3-5. Donc méchants
la voie des
« périra », c'est-à-dire qu'elle aboutira à la ruine des méchants eux-mêmes. Quel-
ques interprètes ont voulu lire le pi'el Tnxn « cause la ruine », c'est-à-dire «
y
mène », L'imparfait serait dans ce cas un fréquentatif et devrait être traduit par le
présent. ÎMais l'emploi assez large et varié du verbe au qal (cf. II Sam. i, 27;
Jér. X, 15; Lr, 18; Ps. XXXI, 13; cxii, 10; Prov. X, 28; Job viti, 1.3) ne permet
pas d'affirmer qu'il ne puisse s'étendre à "p.-; bien que, construit avec ce sujet, il

constitue une formule unique (cf. cependant Ps. ii, 11). — Quelques exégètes
retranchent "ns primo à cause du mètre.
Le V. exprime la raison suprême de
rétribution annoncée au v. précédent, savoir
la

la justice de Jahvé. La sanction morale ne saurait être affirmée avec plus d'énergie.

III

Duhiîi estime que psaume


de date très récente. La façon
le i" est
dont l'auteur reproduit, sans redouter raccusatioii de plagiat, des
propositions entières de Josué et de Jérémie, démontre que ces écrits
étaient déjà des « livres saints », ce qui indique une basse époque.
Si le morceau a été composé pour servir de préface au Psautier, il
daterait du dernier siècle avant l'ère chrétienne; s'il a une autre
origine, il serait à peine un peu plus ancien. *

Dès lors, Duhm se croit autorisé à tracer uq portrait des justes » «.

et des méchants » du psaume en s'insnirant de la critique que le


<(

Nouveau Testament a faite des Juifs de son temps. Les « pécheurs »


da V. 1 ne transgressaient pas tant le décalogue que les lois cérémo-
nielles : ceux que les dévots stigmatisaient de ce nom au temps
de Jésus-Christ n'étaient-ils pas seulement des gens qui observaient
mal le repos du sabbat, mangeaient les mêmes mets que les païens et
négligeaient les ablutions rituelles? De même, le juste du v. 2 diffère
à peine des « scribes et pharisiens»de l'Évangile. L'idéal de piété du
psalmiste est celui du pharisaïsme c'est le scribe qui étudie minu- :

tieusement les prescriptions de la Loi. N'est-ce pas le premier de-


voir de l'homme pieux, dès lors que la religion a pris une forme léga-
liste et consiste à exécuter tout un code d'observances?
Mais n'est-ce pas commettre un anachronisme que de chercher dans
lès commentaire du ps. i"", et n'avons-nous aucun docu-
Evangiles le

ment plus voisin de son texte que les écrits du Nouveau Testament
74 REVUE BIBLIQUE.

Que le psaume soit de date relativement récente, c'est ce qui ressort


d'abord de ses emprunts à divers livres bibliques. Bien qu'il faille se
garder de prêter aux auteurs hébreux et juifs nos idées sur le plagiat,
la manière dont l'auteur exploite la littérature ancienne montre qu'en
son temps un corps d'Écritures existait déjà, qui ne comprenait pas
seulement la Loi, mais des livres historiques et prophétiques et peut-
être même d'autres écrits, psaumes et proverbes par exemple, ce qui
nous porte assez loin. L'examen de son style le classe d'une façon tout
aussi nette et plus précise. Les mots ou locutions caractéristiques qu'il
présente (nïv^ D'yuT nv", zrT2 au sens d' « assemblée »,
-S~,
CifS, 5S2) se retrouvent généralement dans des écrits qui s'échelon-
nent, à des dates diverses, du milieu du v'' siècle à la fin du iv"
(av. J.-C.i; et langue du psaume est notablement
d'autre part, la

moins avancée que celle de l'Ecclésiaste ou que celle de Ben Sira,


moins même que celle des Chroniques ivers 300). Ses doctrines, en
ce qui concerne le jugement et l'instauration de la société des justes,
semblent le faire dépendre d'Isaïe (^lxv-lxvi) et de Malachie vers
450-4i5). Son eschatologie n'est pas en progrès sur celle du der-
nier prophète, elle ne mentionne pas la résurrection et reste anté-
rieure aux apocalypses. Enfin, le légalisme déjà développé dont .

il témoigne est en accord avec les tendances qui s'affirment au


v" siècle et s'accentuent par la suite. Les dates extrêmes de la compo-
sition seraient donc, d'une part, le milieu du V siècle, de l'autre, la
fin de la j)ériode persane (-332) ; mais les indices relevés la rappro-
chent peut-être un peu plus de la première que de la seconde..
Ce fut une époque relativement paisible, non plus de lutte contre
l'étranger, mais de travail intérieur dans lequel le Judaïsme s'orga-
nise. Les « méchants » sont moins les peuples païens que des mem-
bres de la communauté. Une opposition existe en son sein entre les
éléments vraiment religieux et ceux qui ne le sont pas. Le « jnge-
nient ne prononce plus entre Israël et les nations qui l'oppriment,
>•>

mais entre lidèles et incroyants parmi les Juifs eux-mêmes. On ne


reproche d'ailleurs pas à ces « méchants» d'adhérer à un autre cuite
que celui de lahvé c'était là; le désordre d'un autre temi)s. Les Pro-
verbes, dont une notable partie au moins remonte à cette époque,
nous les dépeignant comme clierchant à user de fraude (xii, 5). prêts
à se corrompre (xvii, 23), à porter de faux témoignages
laisser
fxix, 28) et à commettre la violence (xxi, 7). Les Psaumes en tracent-
un tableau plus chargé encore (x. 8 ss.;xxxvii, l'i-; lxxi, 4; lxxxii, 4;
cxL, 5,- etc.) et mettent les « pécheurs » en i>arallélisme avec eux
(xxvi, 9 s.; civ, 35, etc.). Quoi qu'en pense .M. Duhm, le décalogue est
NOTES SUR LES PSAUMES. 75

bien eu cause et les auteurs de nos textes sont loin des conceptions
pharisaïques.
Ainsi replacé dans son milieu, le psaume i'^' apparaît comme une
œuvre sans grande mais qui porte bien la marque de
originalité,
son temps. L'auteur dépend, dans sa façon d'exposer le problème
moral, des Sages qui ont écrit une partie au moins du livre des Pro-
verbes (x, 1-xxii, 16); sa doctrine de la rétribution, avec mention du
jugement et de la communauté des justes, est celle des propliètes
qu'on a nommés; enfin la teinte de légalisme qu'il ajoute achève de
faire de son œuvre, si courte soit-elle, une sorte de confluent où vien-
nent s'unir les trois courants qui à cette époque portaient la pensée
juive. Formé, pour une de formules empruntées, le style n'a
part,
rien non plus d'original ni de brillant bien qu'on y trouve quelques
:

expressions qui ne se rencontrent pas ailleurs, il est aussi tradition-


nel que les idées. Mais cette composition an peu artificielle a Je
mérite de résumer de façon nette et ferme les grandes leçons reli-
gieuses et morales qui se dégagent des psaumes ea général et à ce titre
elle était digne de constituer la préface d'une des collections, sinon
de la totalité du Psautier.

/
PSAUME III

1^

Au point de vue du rythme, le psaume


en quatre m se partage
strophes dont chacune groupe deux distiques. Les vers sont de trois
accents.
Ce psaume est un de confiance jeté vers lahvé au milieu môme
cri
du péril. C'est une prière au sens d'effusion de l'âme devant Dieu :

il n'y a pas un v. dans lequel le psalmiste, s'il ne s'adresse directe-

ment à lahvé, ne parle du moins devant lui et pour être entendu de


lui. demande de secours le tout premier mot du
Mais c'est aussi une :

psaume contient un appel que les derniers versets rendront plus expli-
cite. —Le mouvement de la pensée se mesure sur le rythme des
strophes détresse présente du psalmiste (v. 2-3; première strophe)
:
;

il a en lahvé un défenseur assuré (vv. 4-5; seconde strophe); aussi sa

confiance au milieu du danger est-elle absolue (vv. 6-7 troisième ;

strophe), fondée qu'elle est sur une expérience constante de l'inter-


vention de lahvé dans le passé : qu'il intervienne cette fois encore
(vv. 8 bc, 8 a, d; quatrième strophe).
76 • REVUE BIBLIQUE.
i Psaume dr David, lors de sa fuite devant Absalon, son fils. '

2la'.ivcS comme mes ennemis sont devenus nombreux:


Beaucoup sont levés contre moi.
3 Beaucoup disent à mon sujet ,
:

« Point de salut [ ] en Dieu! » Sala.

4 Mais toi, [ ] un bouclier |)our jnoi,


tu es
tu es ma
gloire et tu me fais lever la tiHe.
'De ma voix je cric vers laiivé,
el il me répond de sa montagne sainlet Scia.

G.Ie me
suis couché et me suis endormi;
Je me suis éveillé, car lalivé me protège.
'Je ne suis pas effrayé des multitudes de peuple
(pii sont rangées en cercle contre moi.

^t)c Car tu frappes tous mes ennemis à la joue,


tu brises les dents des méchants.
Srt Léve-toi, lalivé, sauve-moi I

Mon Dieu, 9 [ ] que ta bénédiction soit sur ton |)euple: Séla.

II

2. L'adverbe n^2 peut porter sur la première proposition du v. seulement, ou


encore sur la seconde et même sur le v. 3; le changement de mode à partir de
2 I) rend pourtant la première hypothèse phis vraisemblable. — Sur la place de
l'accent dans in, voir GK 67 k et ee. — lï est plus fréquent dans les écrits tardifs,
mais il dans des textes plus anciens: cf. Nomb. xxiv, 8-, Jos. v, 13;
se rencontre aussi
H Sam. x\iv, 13: Is. i, 24; ix, 10. etc. L'emploi du mode participe dans les —
vv. 2 6 et 3 « s'explique par le caractère de li.xité et de durée de l'inimitié témoignée
au psalmiste (cf. GK 116 ?i; Driver 13.5; Kô.mg III, 238 a); il est trop bien cons-
taté dans les plus anciens livres bibliques pour qu'on soit obligé d'y reconnaître ici

im usage récent di\ à l'influence de l'araméen (contre Duhm).


3. ''csj'i « de mon àrae » équivaut à « de moi » ou peut-être à « de ma vie », si
la vie du psalmiste est en danger. L'emploi de S au lieu de Sx ne peut être qualifié
de poétique Gen. xx, 13; Jug. ix, 51. etc.
: cf. La forme nn"iur"i est archaïque —
et retient une ancienne désinence casuelle, celle de l'accusatif (GK 90 g, cf. 152 n. ;

KÔMo III, 269 a). Il est hasardeux d'expliquer l'emploi de celte forme, avec Briggs,
par un motif d'euphonie, en raison de lS qui suit et qui ne devrait pas être immé-
diateiïieut précédé d'un accent. La désinence peut retenir quelque chose de l'idée de
mouvement ([u'elle impliquait à l'origine (Driver 1.82 06*.). Mais la vérité est qu'on
doit se trouver, ici et dans les autres cas où le mot est employé (Jeu. ii, 10;
1*3. Lxxx, en présence de formules traditionnelles, consacrées en quelque sorte,
3),
cl (lui ont naturellement retenu des formes périmées. L'adage cité a pu exprimer
à l'origine la pensée des incroyants, suivant laquelle Dieu n'intervient pas en
ce monde
!(;s dévots n'ont pas à compter sur son secours. Les iahvistes fervents
:

répondaient par l'axiome opposé « Le salut appartient à lahvé » (Jon. ii. 10;
:

Ps. m, 9;. — iS n'a pas été Iti par les Septante, comme en témoigne encore G
(B N 278j contre G (A
des minuscules) A-:-<r> et (R 27 202 288) «Ctou,
et la plupart
ou du moins n'a pas été lu à cet endroit, si h Toi Oew ajTou (pour dmSxi) indique
qu'il était rejeté la (in du v. Il devient dès lors très probable que ce mot a été ajouté
.i

après coup de lunie façon G serait le témoin d'un état primitif du texte qui igno-
et

rait le pronom. Cepend.mt il e.st traduit et à sa place dans L tous les témoins) et C.
De fait iS est inutile 'v^*£;S qui précède suffit à rendre la pensée très claire) et
iNOTES SUll LES PSAUMES. 77

surcharge le rythme. Ce doit être une glose. P a traduit : « Point de salut pour toi
en ton Dieu », parce qu'elle a entendu lUJE^b dans le sens de « à mon âme «.

Si a''31 désigne ici les mêmes personnes qu'au v. 2, c'est-à-dire les ennemis du
psalmiste, le v. 3 exprime la joie maligne que leur cause sa détresse. Faut-il aller

plus loin et prétendre qu'il révèle leur mentalité d'incrédules et démontre que l'op-
position à laquelle le
'

psalmiste se trouve en butte est religieuse, pour le moins,


autant que politique La façon dont l'auteur, par la suite (vv. 8 et 9), identifie ses
.^

ennemis avec les « méchants » et confond sa propre cause avec celle de lahvé,
semblerait appuyer l'hypothèse. On ne doit cependant pas oublier que lahvé est le
Dieu national et le défenseur-né d'Israël de ce point de vue, les formules les plus
:

religieusesdu psaume s'expliquent toujours suffisamment dans le cas d'une agression


quelconque contre la nation et contre son chef. Si au contraire le v. 3 fait allusion à
des spectateurs indifTérents de la lutte ou à des amis du psalmiste qui, le voyant si
puissamment attaqué, jugent sa situation désespérée, la proposition ne saurait en
aucune façon avoir dans leur bouche la portée d'un principe universel et absolu; ils
appliqueraient seulement une formule connue à un cas particulier dans lequel il leur
semble que Dieu ne veuille pas intervenir ou même ne puisse plus le faire utilement.
4. Au début du v. nnxT oppose lahvé aux D"'21 des vv. 2 et 3. G (A) omet «jots.

De mn"' est de trop pour le rythme et n'est pas nécessaire pour le sens
fait : le
psalmiste se tient devant lahvé d'une façon constante au cours de sa prière et il

peut lui adresser la parole sans le nommer chaque fois au préalable. Sur la pensée et
l'expression du premier vers, cf. Gen. xv, 1; Ps. v, 13; xviir, 3. Dans le second —
vers, on doit entendre « Tu es la cause de ma gloire et grâce à toi je lève la
:

tête ». « Relever la tête de quelqu'un », c'est le tirer de l'humiliation, lui rendre la


considération et l'honneur (Gen. xl, 13; II R. xxv, 27; B. S. \i, 1; xxxviii, 3;
Eccli. XX, 10; cf. Ps. XXVII, 6; cx, 7). Les ennemis veulent provoquer la chute du
psalmiste en attentant à sa dignité et peut-être à sa vie; lahvé, en le protégeant

(vv. 4 a, 6) et en lui assurant la victoire, le maintient dans sa situation élevée ou


J'y rétablit si tant est qu'il en soit déchu. L,'emploi de la proposition nominale dans
ce V. marque la stabilité de la vérité affirmée.

5. iS*lp, placé devant le verbe qui exprime aussi la personne, est à considérer
comme un double sujet- (GK 144 /, m, cf. 118 q; Kônig III, 325 p, 329 m). —
L'emploi de l'imparfait dans le premier vers indique une action qui se répète
(cf. Glv 107 y) et on peut le qualifier de présent historique (cf. Konig III, 366 n,
cf. 1.58); l'imparfait consécutif, dans la suite du précédent (IConig III,
le second, est
366 du temps.
g), à la fois au point de vue de la logique et L'expression i;i/*"7p in —
(cf. GK 135 n) a été en usage surtout après l'exil; on la trouve cependant dans des

textes exiliens (Ez. xx, 40; Jér. xxxi, 23) et sans doute même préexiliens (Is. xi,
9). On peut se demander néanmoins si la formule a pu être employée avant l'exis-

tence du temple, quand l'arche seulement résidait sur la colline de Sion, et même
si, après la construction de l'édifice, un certain laps de temps n'a pas dû s'écouler

avant qu'elle s'introduisît.


Ce v. peut être considéré comme la preuve ou le développement des assertions
du V. précédent pour que le secours de lahvé lui vienne, il suffit que le psalmiste
:

crie vers lui, Dieu lui répond aussitôt, non sans doute par des paroles, mais par
des actes, comme il sera bientôt rappelé (v. 8 bc).

6. iJN au début du v. est sans doute en corrélation avec nriN'l du v. 4 : tandis


que la première strophe était toute consacrée aux ennemis, la seconde concerne
l'attitude de lahvé et la troisième, celle du psalmiste. — Les parfaits se réfèrent à
78 REVUE BIBLIQUE.

des événements passés et bien déterminés: ils ne formulent donc pas une expérience
générale mais racontent des faits particuliers (cf. Duhm). Ou peut en conclure que
le psaume est ceusé avoir été composé
au matin. Le cohortatif nJ*>:*\sl, qui n'est —
pas sans emphase veut exprimer ce qu'il y a de positivement voulu dans
,GK 49 e),

l'acte de s'endormir en plein danger.


Plusieurs traductions anciennes, V et P—
notamment, ajoutent la copubtive devant '^myipri; mais les meilleurs témoins ne
l'ont pas et à bon droit, d'abord parce que le verbe est au
parfait, puis parce que le

réveil paisible nest pas ici la suite ou la fin naturelle du sommeil, mais un fait
extraordinaire dû à la protection de lahvé : il est merveilleux que rien de fâcheux
ne soit arrivé au psalmiste pendant la nuit.

Sa confiance est donc si assurée qu'il accomplit dans un calme imperturbable les
actes de la vie ordinaire, ceux même que le moindre trouble et à plus forte raison
l'imminence du danger devraient empêcher. Et l'issue heureuse montre que sa con-
fiance n'était point vaine.
une expression technique d'ordre militaire, « se ranger » ou « camper »,
7. n'^ïT est

qu'on trouve ainsi sans complément dans Is. xxii, 7 (cf. Job x, 20). lUTN pour- —
rait être une glose. On sait que le relatif est volontiers omis en poésie. Il
n'est

d'ailleurs pas nécessaire pour le sens et surcharge le rythme.


8. Au début du v. 8 a, la lecture i:-x n^lp est supposée, et pour marquer la
distinction entre la syllabe finale du premier mot et la syllabe initiale du second,
qui se trouvent être de même son, l'accent a été placé sur la finale de ."îDlp (De-
LIT/SCH, Corn.; GK 72 .s).

Dans 8 b, on peut se demander si riN n'est pas de trop mesure mais il


pour la ;

est diflicile d'en décider. — inS est un accusatif de détermination ou de spécification


(GIv 117 //; KoMO IIÏ, 328 /'). G (tous les mss. sauf le cod. 184^ aatatC; a lu

aanS (cf. Ps. xxv, 19), et I.VC l'ont suivi; mais Aquila et Théodotion confirment

M sur la leçon de laquelle le parallélisme ne laisse aucun doute. La lecture de G


semble impliquer l'existence d'une leçon n'^^nh. Cette leçon peut n'avoir été quuue

faute due à une dittographie du "ù* initial du mot suivant, confondu avec la con- ;
fusion opposée, compliquée d'une haplographie. est moins vraisemblable. D'autre
part, P traduit comme si elle lisait onTlS. Le parfait, dans 8 6c, caractérise Tex- —
pression d'une vérité démontrée par l'expérience du passé (cf. GK 106 k: Kdxir. III,
12(i : pcr/eciitm experienlae; Driver 12) : « tu as toujours frappe mes ennemis à

la joue et brisé les mais qui continue naturellement à se réa-


dents des méchants »,

liser dans le présent, vérité générale et constante par conséquent. Nous employons

de préférence le présent dans les propositions de cette nature. Le geste de frapper


à la joue n'a pas précisément pour but ici comme dans .Tob vvi, lO; Mich. iv, 14;

Lam. ni, :J0: Jean xi\. 3, d'iulliger un outrage, mais, comme l'explique le vers

suivant, il tend à mettre les ennemis hors d'état de nuire, ainsi qu'une bête féroce
à laquelle on briserait les dents.
L'ordre du texte est troublé dans les deux derniers versets (vv. 8 et !j; la logique. :

le parallélisme et la mesure y sont à la fois en défaut. La conjonction par laquelle


commence le v. 8 8 o qui précède, mais au v. 7, dont
l>c ne se réfère pas au v.

8 bc motive l'assurance par TexpiM-ience du passé, de même que les derniers mots
du V. G expliquent par la protection de lahvé l'immunité dont le psalmiste a joui
pendant son sommoil. Le v. s bc devait donc suivre sans intermcidiaire le v. 7, et
le V. 8 a est au moins déplacé; Flaraent, Duhm et Briggs le retranclienl, mais à tort.
L'appel à lahvé qu'il contient ne doit pas le faire condamner. Certes, le psaume est
NOTES SUR F.ES PSAUMES. 79

un de confiance, mais ce n'est pas encore un chant d'action de grâces; la victoire


cri

n'est pas acquise au psalmiste, il est en face de ses ennemis et au milieu même du
péril (vv. 2-3, 7\ Il espère le triomphe, mais c'est de lalivé qu'il l'attend (cf. vv. .5-6),
d'une intervention de sa puissance analogue à celles qu'il rappelle dans le v. 8 hr.
Il estdonc tout naturel qu'à un moment donné il formule un appel à son Dieu, un
appel qui ressemble presque à un ordre tellement il est assuré d'être entendu. Cet
appel ne doit pas être retranché. Toute la question est de savoir s'il est actuellemeut
à sa place. Or il paraît bieu qu'il trouble la suite naturelle des pensées entre le v. 7
et le V. 8 bc.
Si l'on poursuit l'examen des détails du texte, d'autres faits choquent l'esprit
à la simple lecture. La première partie du v. 9 parle de lahvé à la troisième per-
sonne et la seconde, tout aussitôt, sans transition et sans le nommer, l'interpelle
à la seconde. Ily a une certaine incohérence dans le procédé. Les traducteurs
de GVCP ont essa3'é d'adoucir le heurt des deux propositions en insérant la co-
pulative au début de la seconde: mais c'est un palliatif insuffisant, et M qui n'a
pas le waw, non plus que T, tout en gardant la leçon la plus dure pourrait bien

& arder la vraie. Zenner n'a pas hésité à introduire la seconde personne dans la pre-
mière partie du verset il est malheureusement trop facile de violenter les textes.
:

Si, de la simple logique, on passe à l'examen du parallélisme, les mêmes endroits


présentent des défectuosités. Le v. 8 a est sans parallèle : si on le conjugue avec 8 b,
c'est 8 c qui reste en l'air. Le v. 9 n s'aligne mal avec 9 h, et d'autant plus mal que
la première proposition contient une affirmation tandis que la seconde exprime un
vœu. On peut être tenté, il est vrai, de partager S a en deux vers. Mais alors la
métrique proteste, car si 8 a est trop long pour un vers, il est trop court pour
deux, et il faut en dire autant du v. 9.

Tous ces inconvénients disparaissent si l'on suit l'ordre adopté dans la traduction :

7, 8 h c a, 9 6, en retranchant seulement les deux mots de 9 a. La logique est satis-


faite. Le psalmiste donne la raison de son calme parfait toujours lahvé a frappé et :

défait ses ennemis puis il termine par un 'appel pressant mais assuré à Dieu, comme
;

il est naturel au milieu du danger. Le v. 8 6c suit immédiatement l'affirmation


\v. 7) dont il doit donner la raison. Les deux derniers vers (8 a, 9 b) emploient en

parlant de Dieu la même personne, et l'absence du ivaw devant 9 b se trouve justi-


fiée par le contexte antérieur « Mon Dieu! ». Le parallélisme est parfait dans les
:

deux vers et la métrique, absolument exacte.


Il est vrai que ce remaniement sacrifie les deux premiers mots du v. 9. Mais c'est

que tout les condamne, comme on l'a montré, la logique et le rythme. Cette formule
connue (Jon. ii, 10), contre-partie traditionnelle de l'adage du v. 3, devait fatale-
ment surgir dans l'esprit d'un copiste, pour peu que les lettres d'un groupe mutilé
ou altéré y prêtassent. Il suffit de comparer nîrTOi mnit (v. 9 a) et iJïia;in H']'"'
(v. 8 a) pour comprendre que tel a été le cas. La leçon primitive, restituée en

marge, aura été insérée plus tard dans le texte à un autre endroit, en laissant sub-
sister le doublet fautif. —
On peut objecter encore que dans 8 bc ainsi placé, lahvé
se trouve interpellé sans avoir été nommé au préalable. Mais c'est là chose assez
fréquente dans la poésie biblique (cf. Job \n, 7, etc.), et il est fort probable qu'il en
était de même à l'origine au v. 4 du psaume.

9. La seconde proposition du v. 9 est certainement à l'optatif; on peut sous-en-

tendre xiin (cf. Prov. XXIV, 25) ou inn. —


g n'a pas lu séla à la fin de ce v.
M. Pannier écrit au sujet de 9 b : « Souhait sans relation avec le contenu du
psaume, sorte d'antienne ajoutée plus tard, sans doute en même temps que beaucoup
80 REVUE BIBLKJUE.

4'aiUres doxologies ou bénédiclions finales » (Le nouveau Psautier, Lille et Paris,

1913, p. 8 n.). C'est la thèse souleoue par B. Jacob [lATrv, 1896, 152) et K. J.
Grimm (EuphemiKtic liturgical appendixes in the Ofd Testament, Leipzig, 1901) au
sujet du verset tout entier. Il est incontestable que plusieurs psaumes portent des
additions de cette nature. Mais est-ce le cas pour le ps. m? Que l'on retranche la

seconde partie seulement du v. 9, le v. 8 a présentera toujours un dis-


ou la totalité

tique mutilé, savoir un vers avec un mot de trop, mais sans membre parallèle. Et
si, avec M. Pannier, on laisse 9 a à l'auteur, c'est un nouveau vers sans parallèle,

trop court cette fois, et dont on ne saurait d'ailleurs se servir pour compléter 8 a :

la pensée s'y refuse. Par conséquent, si le v. (ou seulement 9 h) constitue une


addition liturgique, il faut dire qu'une partie du texte primitif a disparu. Mais est-ce
donc par hasard que le v. 9, sauf les deux premiers mots, doublet mutilé et cor-
rompu de 8 a, contient tout ce qui est requis pour compléter exactement le distique
commencé dans 8 a? On prétend que pensée du
9 6 s'adapte mal au contexte.
la v.

Mais donc surprenant qu'un chef du peuple mette la cause de la nation non
est-il

seulement en parallélisme, mais en corrélation avec la sienne? Or tout l'ensemble


du psaume (vv. 2, 4, 7, S bc) indique que nous avons alfaire à un personnage de
marque, à un chef religieux ou politique dont la cause, du moins à son propre juge-
ment, se confond, sinon avec celle de la nation tout entière, du moins avec celle du
peuple fidèle et de lahvé lui-même.
Tout au plus pourrait-on supposer, en se plaçant au point de vue des critiques qui
viennent d'être nommés, que l'ordre primitif [des versets était 8 a, 9 b, 8 bc, que :

le v. 9 6 a été déplacé dans l'intention d'achever le psaume sur une pensée plus

douce que celle de 8 bc, et le v. 9 a ajouté ensuite pour arrondir 9 b un peu trop
court. Mais l'ordre censé primitif en ce cas paraît moins naturel que la suite adoptée
dans la traduction : le v. 8 br motive le v. 7 plutôt que le v. 8 a, 9 b. En outre,
l'hypothèse attribue aux liturgistes une intervention à la fois trop hardie et trop
maladroite. S'ils avaient eu l'audace de transposer les textes, ils auraient déplacé
ou le v. 8 fl, 9 6 tout entier, ou au moins le second vers dans son intégralité (c'est-
à-dire avec IhSn' en tête), et ils auraient en tout cas organisé le v. 9 un peu mieux
qu'il ne l'est. En réalité, la mauvaise coupure sur laquelle finit le v. 8 a et l'incohé-
rence sensible du v. 9 indiquent que l'état actuel du texte n'est pas le résultat d'une
intervention intelligente, mais d'un ou de plusieurs accidents aggravés par une
conjecture inexacte.

m
Le titre du psaume se réfère à II Sam. xv-xviii, (jui racontent la ré-
volte d'Absalon, la fuite de David et sa victoire finale. Le poème aurait
étécomposé par le roi au moment le plus critique des événements.
La valeur des titres des psaumes ne peut être déterminée que par
une étude d'ensemble à ce sujet (1). Si Ton s'en tient uniquement au

(1)M. Tou/.ard a écrit avec beaucoup de mesure et de sage raison « Si amplillée, si :

exagérée que puisse paraître la Irailition représentée par les litres, surtout en certaines
versions, il est tout naturel île rcconnaiire (jue l'attribution daviiJique repose sur quelque
fondement solide, que jilusieurs hymnes remontent par delà de longs siècles jusqu'au fils

d'ifaï » («/'.. 1917, p. W)).


NOTES SUR LES PSAUMES. 81

texte du psaume lui-même, il devient très difficile d'en indiquer l'oc-


casion et la date. Maints détails semblent démontrer qu'il s'agit en
effet d'un chef du peuple placé dans une situation critique en et

quelque sorte désespérée. Seul un personnage de cette qualité peut


être en butte à tant d'ennemis (vv. 2, 7i et identifier à bon droit sa
cause avec celle de la nation (v. 9 b) telle est la pensée de Bathgen,
:

Wellhausen, Duhm et Briggs. L'attribution à David leur semble néan-


moins incertaine (Bathgen, Briggs) ou inexacte (Wellhausen, Duhm).
David fuyant devant Absalon voit une multitude de gens se lever contre
lui (II Sam. xv, 13; xvii, 11); il est l'objet de moqueries, comme
s'il était abandonné de lahvé (xvi, 7-8) il est en danger pendant la
;

nuit (xvii, 1 ss.); il peut, mieux que tout autre, identifier sa cause
avec celle d'Israël; il peut aussi rappeler que Dieu l'a toujours fait
triompher, et cette fois encore il lui donnera de vaincre ses ennemis :

tous traits qui se retrouvent dans le psaume. D'autre part, dans le livre
de Samuel, David, au dire de Séméi, n'est pas simplement abandonné,
mais châtié de Dieu; il ne songe à aucun moment à identifier sa
cause avec celle du peuple, ni même avec celle de lahvé, et sa con-
fiance en Dieu ne parait certainement pas, dans le récit de l'historien
(II Sam. XV, l'i-, 25 s., 30; xvi, 11 s.), avoir été aussi assurée que

celle du psalmiste. L'attitude de celui-ci donc de celle du


diffère
roi en cette circonstance. D'autres sentiments qui ont animé David
(II Sam. xviii, 5, 12 s., 29-33; xix, 1-8) n'ont aucun écho dans le
psaume; même ils s'accordent assez mal avec les dispositions peu
bienveillantes dont témoigne le v. 8 bc.
A d'autres ég-ards, il est malaisé de définir le danger que court le
psalmiste et dédire quels ennemis sont soulevés contre lui. Les expres-
sions des vv. 4 et 8 ne sont que des figures et il pourrait en être de
même de celles du v. 7, Peut-être celles-ci ne supposent-elles pas
nécessairement des actions de guerre. Pourtant elles s'expliquent
mieux dans l'hypothèse d'une lutte à main armée contre le prince
(cf. Gen. XV, 1 Ps. xvni, 3
; Is. xxn, 7), ou tout au moins d'une me-
;

nace de lutte. Quant aux adversaires du psalmiste, ils viennent en


parallélisme, au v. 8, avec les «méchants ». Il arrive que ce nom soit
donné aux ennemis d'Israël (Is. xiv, 5; Hab. i, 13; m, 13) ou aux
nations païennes (Ps. ix, 6, 18). Mais il désigne plus souvent encore,
surtout dans les psaumes, les Israélites irréligieux et sans mœurs et les
oppresseurs des faibles (Ps. vu, 10; xvii, 13, etc.), et cette identifica-
tion trouverait plus d'un appui dans le texte : au v. 3, les ennemis
semblent faire profession d'incrédulité; dans les sept premiers ver-
sets, leur hostilité parait être dirigée contre la seule personne du psal-
REVUE BIBLK^UE 1918. — X. S., T. XV.. 6
82 REVUE BIBLIQUE.

miste; rien, avant le v. 9, n'indique que la nation elle-même coure


aucun danger, et si le dernier mot la met en cause, encore pourrait-il
être entendu seulement du u peuple fidèle ». Néanmoins, comme les
ennemis sont très nombreux (vv. 2, 3, 7), il faudrait dire, en ce cas,
que les iahvistes fidèles ne sont qu'une infime minorité en Israël, ce
qui est une difficulté; et le fait qu'ils seraient l'objet d'une attaque à
main armée de la part.de leurs frères en est une autre. Si, au con-
traire, les adversaires du psalmiste sont des étrangers, et cette bypo-
thèse est bien la plus naturelle et la plus simple, la qualification de
« méchants » qui leur est attribuée ne doit pas surprendre, du mo-
ment qu'ils sont agresseurs. Mais il n'y a pas, dès lors, à insister sur
le V. 3 ni à lui accorder une signification particulière. Tout au plus
pourrait-on supposer que ces étrangers sont des adversaires religieux
en même temps que politiques, qu'ils constituent un danger pour le
pur iahvisme, que leurs attaques visent surtout, et pour cause, le
et

chef, religieux lui aussi autant que politique, le réformateur peut-


être, qui incarne en sa personne l'esprit, la religion et les espérances
nationales. Mais qu'en savons-nous?
On que toute explication histori(|ue du psaume tirée des seules
voit
données du texte revêt un caractère extrêmement conjectural. Les
circonstances auxquelles il peut convenir plus ou moins sont telle-
ment nombreuses et nous les connaissons si mal, sans compter celles
que nous ignorons tout à fait, que l'indication de l'une d'elles ne
saurait "-uère être donnée qu'à titre d'exemple. La pensée des uns se
portera sur un roi de l'ancienne monarchie celle des autres s'arrêtera
;

de préférence sur l'un des personnages célèbres d'après l'exil, en


]>utte à l'hostilitéde ses voisins.
Il est éo-alement difficile
de dater, par des considérations tirées de
l'histoire de la langue, une composition
aussi courte. Aucun indice

notable et vraiment sur n'a pu être relevé à cet égard. Ni les construc-
tions grammaticales, ni lo style du poème n'excluent absolument une
date préexilienne, et le fait que le psaume a été reçu dans le premier
livre de la collection constitue à lui seul
une présomption d'ancienneté
relative contre lafpielle il n'y a pas
d'objection sérieuse à élever.

PSAUME IV

bien (jue le texte du psaume iv soit altéré en plus d'un endroit,


le mètre est encore assez facile à discerner : les vers sont de quatre
NOTES SUR LES PSAUMES. 83

accents avec césure médiane, et le parallélisme les groupe en dis-


tiques. Il n'y a pas lieu de distinguer des strophes, à moins de
grouper les distiques deux par deux, en supposant qu'un vers au moins
a péri au V. 6; mais encore, si l'on excepte les deux derniers versets,
on ne voit pas que le sens des ^autres unisse davantage ceux qu'on
voudrait assembler ainsi.
Comme le précédent, ce psaume est un chant de confiance en
lahveh. Mais au lieu d'être imminent, paraît définiti-
ici le dang-er,
vement écarté. Aussi le poème ne contient-il aucune demande de
secours. Le début et la fin (w. 2, 8-9) ressemblent à une action de
g-ràces; le reste fvv. 3-7; manifeste la pensée de zèle qui a inspiré
le psaume tout entier : les hommes y sont exhortes à reconnaître que
lahvé est bon envers ses fidèles, à se convertir et à attendre de lui
tous les biens avec confiance. — Dieu a exaucé le psalmiste et l'a
délivrédu danger (v. 2). Que les hommes ne cherchent donc point le
bonheur là où il n'est pas (v. 3), mais en lahvé qui a entendu
le psalmiste et l'a comblé (v. 4); qu'ils se convertissent à lui et ils
seront fondés, eux aussi, à tout en attendre (vv. 5-6). Beaucoup lui
demandent ses faveurs (v. 7) le psalmiste a été par lui comblé de :

joie (v. 8) et établi dans une parfaite sécurité (v. 9).

i Ah maître de chœur. Sur les instruments à cordes. Psaume de David.


^ Quand j'ai crié, 'tu m'as répondu", Dieu de mon droit;
dans la détresse tu m'as délivré L ] et Hii as exaucé' ma prière.
3 Filsd'tiommes, jusques à quand, 'lourds de cœur', [ ]
aimerez- vous ce qui est vain, clierolierez-vous ce qui est décevant? Séla.
* Sachez donc que lahvé 'm "a fait 'une faveur' signalée;
lahvé entend quand je crie vers lui.
Tremblez et ne péchez plus, rélléchissez (?) en vos cn'urs;
'•

sur votre couche J tenez-vous en repos. Séla.


[

6 ofjfrez des sacrifices de justice et fiez-vous à lahvé.

7 Beaucoup disent < Qui nous fera jouir du bonheur ?


:

Fais lever sur nous la lumière de la lacel »


lahvé, s tu as mis de la joie dans mon cœur
plus qu'au temps où le froment et le vin ont abondé.
9 En paix, tout ensemble je me couche et m'endors,
parce que toi, lahvé, tu me fais habiter en sécurité.

II

2. \S'1p3. est traduit dans L (Hier. Com. Rom. Med. Moz. Carnut. Casia. Sangerm.
A"eron. Cassiod.) cum invocarem te, et de même dans P, ce qui suppose à l'origine
dans G àv tw è-i/.aXîLaOa' 33, que C a d'ailleurs rendu servilement. Il est probable
que telle a été en
leçon primitive des Septante, non pas qu'ils aient lu
effet la

un autre original hébreu, mais ils ont seulement traduit assez librement. Plus tard,
quand sévit le littéralisme, ixt aurait été substitué à as. — "^^z'J « exauce-moi »
(MT 'ASe Hier. Hefer.) devient ijJV « il m'a exaucé » dans GV, et "îjniay « tu m'as

exaucé » dans L (Hier. Com. Rom. Med. Moz. Carnut. Casin. Corb. Sangerm. Veron.
84 REVUE BIBLIQUE.

Cassiod.) exoitclisti deux versions dérivées de G, et P


me CP. Mais si les qu'il a in-

fluencée, s'accordent sur la seconde personne, cène peut être par hasard : elles ont
lu dans les Septante primitifs
EÎc^T^xouacJ; jaoj, qui est en effet conservé dans G (66 293)

et dans l'Aldine. Gaura été retouché ensuite sur l'hébreu, mais de son état originel
aura retenu le parlait la révision, comme il arrive assez souvent, n'a réussi qu'à
:

moitié et ressemble à un compromis entre les deux textes. Il arrive donc que dans
ses plus anciens manuscrits et dans les plus anciennes citations patristiques, G se
présente sous une forme déjà retouchée d'après l'hébreu, et ses plus anciens témoins
peuvent être les versions dérivées, dans la mesure où elles n'ont pas été révisées
elles-mêmes. —Aucune divergence n'existe dans les divers témoins au sujet des
trois derniers verbes du v. — Le suffixe de ip~ï peut qualiûer inSN, le substantif
r"î2f étant ici l'équivalent d'un adjectif : « mon Dieu juste » (cf. GK 135 ?i). Les
commentateurs estiment cependant plus conforme à l'usage de la langue d'étendre
l'expression par analogie à >'J'd'^ ^'^^^* « Dieu de mon salut », c'est-à-dire « qui
opères mon salut » (Ps. xviii, 47) et de traduire « Dieu de mon droit », c'est-à-

dire « qui venges mon droit ï. On pourrait aussi considérer ip~ï comme un génitif

d'apposition (cf. KÔNir, III, 337 d), la justice attribuée à Dieu étant ici celle qui

convient à un juge : « Dieu, mon justicier ».

Le parfait nimn concerne un fait passé et déterminé. Il serait vain de vouloir


lui donner un sens analogue à celui des impératifs de tous les autres verbes du v. :

il n'v a pas de partait précatif en hébreu (,Driv. 20; GK p. 323, n. 2). Sur le
daqech euphonique de "iS voir GK 20 f. Littéralement on devrait traduire : « dans

l'étroitesse tu m'as donné du large *. Nous disons bien : « élargir un prisonnier ».

Ce premier vers, suivant les témoins, parle de Dieu à la troisième ou à la seconde


personne et souvent, dans la même version, tantôt à la troisième, tantôt à la seconde.
En outre, dans le même témoin, texte hébreu ou version, les verhes sont les uns
au parfait, les autres à l'impératif. Il en résulte une certaine incohérence dans
chacun des témoins pris isolément, et une difficulté insurmontable à les accorder
entre eux. Mais n'est-il pas permis d'abord de faire un choix dans les leçons, en
se basant d'une part sur la valeur des
témoins considérés en eux-mêmes, d'autre
part sur le sens général du psaume? Pour le premier verbe à un mode personnel,
les plus anciens témoins de G, qui lui-même témoigne de l'état le plus ancien du
texte hébreu, ont le parfait à la seconde personne. Nous sommes donc en droit
d'adopter ijnijy au moins à titre provisoire et de rechercher si la suite du texte
favorise l'hvpothèse ou la condamne. Le second verbe la favorise nettement : le

parfait à la seconde personne n'est pas contestable ici et même il ne se comprend


bien que si on lit "»3riiJÎ? au début du v, Si l'on s'en tient à M, on obtient en effet :

« Quand je crie, réponds-moi, dans la détresse tu m'as délivré,


. . . écoute ma . . .

prière », et il faut dès lors entendre « toi qui d'autres fois déjii m'as délivré, écoute
:

cette fois encore ma prière. » Mais rien dans le contexte n'indique ni même n'insinue

que nimn se réfère à un passé antérieur; tout au contraire, lïi, qui fait pendant
à \x"ip2, montre que mmn est en parallélisme, lui aussi, avec le verbe nj" et il

est dès lors tout indiqué de lire : « Quand j'ai appelé tu m'as rôpondu,... dans la

détresse tu m'as délivré ». L et G ont donc pour eux, outre leur ancienneté, la

logique des trois premiers quarts du v. 2. On verra bientôt qu'ils ont pour eux
encore celle de tous les autres w. du psaume. Mais les deux impératifs qui restent?
D'abord, le second vers a un accent de trop dans ce psaume en effet, sauf les :

vv. ;> //-6, dont la métrique laisse à désirer, et un mot en surcharge dans 9/;. les
vers sont très régulièrement de quatre accents. Or on ne peut enlever au v. 2 6 que
«^
NOTES SUR LES PSAUMES.
n'aurait-il
ij:n. Laissons donc ce mot de côté pour le moment. Reste ya*^. L'auteur
haplo-
pas écrit nynu; « tu as entendu », le n ayant pu facilement tomber par

C'est très probable Si iJ3n


graphie devant la consonne initiale du mot suivant? : 1.

de sens
estune glose à éliminer, le 1 qui rattache 'JID'à au contexte antérieur n'a
avoa-
que si on lit ce verbe au parfait et non à l'impératif. Le psalniiste peut-il
écrit : « Dans la détresse tu m'as délivré et exauce ma prière »? Évidemment non.
2. Le contenu du psaume, eu dehors des verbes en discussion dans ce v.,
tout entier
le psalmiste.
exclut l'idée d'un danger présent et d'une demande adressée à Dieu par
On ne trouvera pas un seul mot dans les vv. suivants qui ressemble à une suppli-

cation et donne l'impression d'un péril actuel. Au contraire le


psalmiste affirme
il exhorte ses
qu'il a été exaucé, qu'il est en joie et en sécurité (vv. 4, 8-9), ou bien

auditeurs à se convertir pour avoir part aux biens dont lahvé comble ses fidèles
(vv. 3, 5-7). Le v. 2 n'est donc pas dans le ton du psaume s'il exprime uue demande ;

il en contredit toutes les paroles. A plus forte raison uq cri de détresse est-il

invraisemblable dans le second vers du v. 2 si le premier garde la forme que


nous ont transmise les plus anciens témoins. De ce point de vue, un lecteur qui sait

vicissitudes ont hébreux n'hésitera pas à


traversées les textes restituer
quelles
T\'jy2^- Quant à ijjn, ce doit être une variante fautive et mal
placée de ijj" Ces

deux dernières corrections ne sont appuyées d'aucun témoignage, mais elles sont
exigées par la logique de la pensée et en partie par le rythme, et les divergences des
témoins dans la première moitié du v, prouvent combien le texte a souffert et per-
mettent de penser que ces témoins sont discutables là même où ils sont unanimes.
Duhm insinue qu'on pourrait abandonner le v. 2 et le considérer comme une
addition liturgique. Ce v., entendu comme il doit l'être, cadre trop bien avec le

contenu du psaume, avec les vv. 4, 8, 9 en particulier, pour qu'on doive le


retrancher. Si de vulgaires accidents de transcription n'ont pas suffi à le déformer,
ce qui n'est point sûr, le mode des verbes aura été changé pour l'adapter plus
complètement à l'usage qu'on en faisait dans le temple (cf. v. 6).

3. ï;\S' est un collectif. L'expression entière s'oppose ailleurs (Ps. xlix, 3;


LXii, 10) à DIN ''32 et désigne alors une classe plus élevée de la société. Mais jl
ne semble pas que ce soit le cas quand elle est employée isolément (cf. Lara, m, 33).

Défait, U"iN' n'a pas toujours son sens le plus relevé (cf. Ps. xxxvii, 7; xxxviir,

1.5; xcxii, 7). On traduira « fils des hommes » si le psalmiste s'adresse à tous les

hommes, et « fils d'hommes » s'il s'adresse à un nombre d'hommes déterminé et

non à toute l'espèce. Il ne s'agit ici que des Israélites et encore de ceux qui ont
besoin de conversion (v. .5). — Sur la vocalisation de HD voir GK 37 e.

L'hébreu est traduit : « Jusques à quand ma gloire (ma dignité) sera-t-elle à

opprobre? » en sous- entendant nMi comme daos Is. iv, 2, ou n\r\ comme dans
Is. XXX, 3. ndlD signifie en effet « honte, confusion », mais aussi « insulte, dédain »

et « objet de dédain » (cf. en particuUer Éz. xxxiv, 29; xxvvi, 6, 15). Cette leçon

est appuyée par TP et, pour le premier substantif au moins, par S n 86Ça
[aou. 'A ot

ïvoo?ot>oj £i; lvTG07:r;v Hebr. incliti mei j.g/iommiose n'en diffèrent sans doute
et Hier.

que par la lecture du premier mot i-^D au lieu de n'zs. Mais G iSacuxâoo'.ot "va
: ;

-i L graves quid (Moz. Veron. Aug. Casin.


corde? lit ; : ijrabis cordes aut qui;

Sangerm. gravis corde; Hier. Rom. Gassiod.. gravi corde) CV ont lu -^2"] li'i \732.

« Lourds de cœur » 24) s'explique par analogie à « alourdir


(Ex. vu, 14; B. S. m,
ses oreilles » (Zach. vu, 11) et à « yeux alourdis » (Gen. xlviii, 10), le
cœur étant
la lenteur,
censé le siège de l'iotelligence. L'expression marque donc la difficulté et
86 REVUE BIBLIQUE.

parfois voulues (cf. Ex. viii, 28), des opérations intellectuelles. Elle peut carac-
'

tériser aussi bien un esprit lourd qu'un cœur endurci. L'un et l'autre sens sont

recevables ici.

La leçon massorétique est retenue par Bickell, Bàthgen, Duhm, Briggs. Mais à la
suite de Géuebrard et d'Houbigant, Gràtz. Flanient, ^Yellhausen, Zenner préfèrent
celle de G. « Jusques à quand outragerez-vous ma dignité » suppose que le psal-
raiste s'adresse à des adversaires personnels et veut les amener à résipiscence. Cette
idée n'est pas en harmonie avec le reste du psaume. Rien n'indique que les fils '<

d'hommes » en veuillent au psalmiste, ni qu'il ait à souffrir de leur part s'atta- :

cher à ce qui est vain et trompeur (v. ,3 b) et même pécher (v. 5) n'implique pas
nécessairement qu'on lui soit hostile (voir ci-dessous). Sans doute, la conversion est
en vue au v. -5, mais la conversion à lahvé, et non dans l'intérêt du psalmiste, qui ne
paraît en butte à aucune attaque et ne court plus aucun danger, mais dans l'intérêt
des pécheurs eux-mêmes, pour leur assurer les biens dont lahvé est le dispensateur.
La leçon de G, au contraire, est d'accord avec le vers suivant : « Inintelliiïents

que vous êtes, vous poursuivez ce qui est décevant! » et avec le reste du psaume :

« C'est lahvé qui distribue les biens : convertissez-vous et vous Içs" obtiendrez. »
Duhm objecte avec raison (cf. GK IIG s] que le sujet {DPi<) de la proposition

nominale qui constitue le premier vers devrait être exprimé. Mais si "cS était
retranché, l'objection tomberait, car 1^ 1"13 ne formerait plus une proposition
indépendante, mais qualifierait le sujet des deux verbes qui suivent : cette construc-
tion est assez fréquente en hébreu (Gen. xlix, 11; Ex. xiii, 18; Éz. xxxvi, 35;
Sah. I, 10; Ps. xcii. 14 avec un sens causal comme ici; Job xxiv, 10), même avec
des verbes à la première ou à la seconde personne et dans des propositions interro-
gatives (Job i, 21 ; xv, 7; Ruth i, 21). Or hgS, qui est très douteux au point de vue
du mètre, doit être né d'une dittographie de zS avec altération d'une lettre, le n
inaler lectionis ayant été ajouté par la suite. La même dittographie, interprétée
autrement, a donné naùssance à la leçon massorétique.'
Dans le forme ancienne de la désinence (cf. GK
second vers, pzrîNn garde la

47 m). — Les deux compléments « vide » et mensonge, chose trompeuse et décevante »«

pourraient en eux-mêmes désigner le culte des idoles (cf. Am."ii, 4). Mais il s'agit
plut()t de la recherche des biens de ce monde par des moyens purement humains et

même moyens que la morale réprouve comme opposés soit à la justice soit
par des
aux bonnes mœurs. Les « fils d'hommes » ne vont-ils pas être exhortés à ne plus
pécher (v. .5)? En attendant, le psalmiste déclare que ces moyens sont inefficaces et
décevants on ne trouve le bonheur que par la grâce de Lihvé et on n'obtient sa
:

faveur qu'en le servant fidèlement (v. 5), démontré par l'expérience comme il est
personnelle du psalmiste (vv. 4, 8), expérience dont ses auditeurs ont pu êtr», les
témoins. Le même enseignement est développé plus longuement dans le ps. lxii,
dont les vv. 10 ss. semblent paraphraser le présent v., et encore dans le ps. xxxiii,
vv. lG-21. Dire, avec les commentateurs fidèles à la Massore, (ju'il est ici question des
calomnies qui lèsent la gloire du « prince » est une supposition uratuile qui ne s'har-

monise pas avec le contenu des autres versets. Dans celui-ci même, le seul parallé-
lisme de 27- lU^'pin avec « aimer le vide » suffit à démontrer qu'il ne s'agit point de
« pratiquer le mensonge de la calomnie »,mais de « poursuivre une chose trom-

peuse et décevante ».

4. Ce v. s'oppose nettement au précédent : « Vous demandez le bonheur à ce qui


ne peut le donner; sachez donc ce que lahvé a fait pour moi! » Le loaw devant
l'impératif a en effet un sens conclusif : il indique non une conséquence formelle
NOTES SUR LES PSAUMES. 87

d'un raisonnement, mais une conséquence matérielle qui se dégage des faits ou de
la situation (Driver 122; voir GR 154 b et cf. Ps. ii, 10).
Sur rhzn pour XiSsn (Ps. xxxi, 22) cf. GK 75 gq; mais 37 mss. Kennicot et

28 de Pvossi écrivent nSs.! (cf. Deut. xxviii, 59). La traduction de G I0ayu.àa-ojc7ev

Kûpto; -bv cîatov aùtou a été admise par les autres versions, à l'exception seulement de
T, qui s'en tient à n^D : « Dieu a mis à part un juste pour lui », et de P, qui sem-
ble combiner les deux interprétations : « Dieu a rais à part pour lui un élu de façon
merveilleuse ». L'orthographe massorétique devait impliquer à l'origine le sens que
ï a retenu (voir au v. 9). Cependant, si le sens de « mettre à part » avait été dans
l'intentionde l'auteur, "h aurait sans doute suivi immédiatement le verbe. Mieux
vaut adopter la traduction commune des versions « Dieu a rendu extraordinaire... ». :

Mais encore l'expression iS "iDn ne se lit point ailleurs et semble peu correcte, du
moins si le S indique le datif (grammaticalement, il pourrait avoir été introduit pour
exprimer le génitif et laisser cependant -icn indéterminé un de ses pieux » : «.
;

mais l'hypothèse est peu plausible). Aussi Dyserincli {Krit. Scholien, dans Theolo-
gisch Ti/dschrifl, 1878, 279 ss.) et Gràtz veulent lire lS i-cn comme dans
Ps. xxxr, 22 (cf. xvii, 7); Cheyne, Wellhausen et Duhm, "h IDU; Briggs lit aussi

~pn, mais retranche iS. Le ms. grec 201 porte d'ailleurs Kuoioç lerjadcjrojcre -b k'Xso;

a-JTou Ir.i ibv une double traduction. Une erreur dans M est vrai-
b'cjtov aj-ou, avec
semblable une méprise analogue a été commise dans le psaume xxxi, 22 par plus
:

d'un traducteur, et la formule introduite par Dyserinck semble plus correcte que
celle de la Massore. Faut-il lire iïDr; ou "Dn? Les passages parallèles des

psaumes xvii et xxxi seraient en faveur de la première leçon; mais les vei'sions
sont d'accord avec le texte pour laisser le nom sans suffixe, et d'autre part .s'iSsil
s'emploie bien avec un nom indéterminé (cf. Is. xxviii, 29) et ion lui aussi reste
volontiers dans l'indétermination (cf. Gen. xxxix, 21 Ex. xx, 6, etc.).
;

Tandis que le verbe du premier vers est au' parfait et relate donc un fait parti-
culier et déterminé du passé, "D'ù'i dans le second généralise et veut caractériser la
conduite habituelle de lahvé envers le psalmiste. Duhm, à la suite de Bickell, écrit
iJi^au^ en s'appuyant sur G £?cjav.oJcc-a( [aou et sous prétexte qu'il ne suffit pas

d'être entendu, mais qu'il faut être exaucé. De fait, GLC ont le pronom ; seul P
l'omet. Mais 712'C même sans complément peut avoir le sens d' « exaucer » (Ps. xxir,
25; XXXIV, 7, 18; Lxxi, 18, 19) : du moment que lahvé entend, le psalmiste ne
doute pas qu'il agisse en sa faveur. Il est fort possible que G ait ajouté le pronom
ici, commeil l'a fait dans les psaumes qui viennent d'être cités.

exprime l'émotion, l'agitation causées par la tristesse (II Sam. xix, L. la


5. ^21
peur (Ex. xv, 14; Deut. ii, 25; Is. xxxii, 10 s.; Ps. xcix, 1, etc.) aussi bien que
par la colère (Is. xxxviii, 21 ; Job xi-i, 6). G ôpyt'Çscres s'est atloclié à ce dernier
sens et il a été suivi par LCP, tandis que T a retenu l'idée de « trembler ». Les
commentateurs modernes sont de même partagés Delitzsch et Duhm se prononcent :

pour la colère; Wellhausen, Bàthgen, Flament, Briggs, pour le tremblement ou la


crainte. « Fâchez-vous, mais ne péchez pas » voudrait dire « Quels que soient :

vos sentiments d'irritation intérieure contre le prince, qu'ils ne se traduisent pas


en paroles outrageantes calomnieuses, et à plus forte raisou ne vous révoltez
et
pas contre lui! » Celte interprétation est bien cherchée. Elle a surtout le grand tort
de s'inspirer du contexte du ps. m
et non de celui du ps. iv. Rien, dans notre
psaume, n'indique la situation qu'on suppose. Au contraire, l'exhortation à crainder
88 REVUE BIBLIQUE.

lahvé ne plus pécher, c'est-à-dire à se convertir, et la promesse d'obtenir par


et à

ce moven les faveurs divines sont naturelles dans le


contexte des vv. 3-4 et 7-9.

(2)2')2 "IQN' est « dire dans son cœur », donc « penser » (Gec xvii, 17
Is. xlvii, ;

8- Ps. X 6 11; XIV, 1, etc.). On ne peut traduire autrement que : « Réfléchissez

en vos cœurs ». Mais ~I13N* doit régulièrement être suivi de renonciation des choses

dites, au contraire de 12"? « parler ». L'expression n'est donc pas employée ici cor-

rectement. En outre, quel que soit le sens attribué au contexte, soit antérieur, soit
subséquent, la pensée est trop commune et trop faible. TiDN doit être le résultat

d'une altération. Duhm, pour qui le v. fait allusion à des mécontentements qui
pourraient dégénérer en révolte, se décide à lire îiin, retranche les deux mots sui-

vants et traduit Soyez révoltés, mais taisez-vous! » Mais si l'on tient compte
: «

de l'exhortation à la conversion qui précède (vv. 3, o a), on supposera plus volon-


tiers une expression comme D^^nb ^110^1 (cf. Ps. ii, 10; xvr, 7) ou DDlsS no^in avec

double sujet (cf. Ps. m, 5, et voir GK 144 m) : « que vos cœurs comprennent! » par
opposition au v. 3 fl, ou encore une expression comme DpijS "nnis : « Puriliez vos

cœurs! » (cf. B. S. xxxviii, 10). Si le texte était peu lisible, le copiste aura supposé
un mot usuel et une expression courante.
La suite du v. n'est pas exempte non plus de difficultés, notamment en ce qui
concerne la place à attribuer au waw. Il a été lu avant D3i2'kira "l'J par G (R 156)
PL (Hier. Com. Rom. Uoz. Carnut. Casin. Colbert. Gorb. Sangerm. Veron. Cassiod.
Cypr. Ghromatius [In Matth. vu, 1; PL. XX, 345]), contre MGCV'AS qui ne l'ont
pas à cet endroit. Il est placé devant 1î2"T par M'A Hier. Hebr. au contraire de GPL
(Hier. Com. Rom. Moz. Carnut. Casin. Corb. Sangerm. Veron. Cassiod. Cypr. Ghro-
matius) CVS. On doit d'abord négliger le relatif que G, suivi par divers témoins
de L (Hier. Com. Rom. Moz. Casin. Veron. Cassiod.), par G et V, a introduit devant
IIDN (sans avoir à toucher à la forme verbale XéyeTe); car M'A Hier. Hebr. SP et
plusieurs témoins de L (Carnut. Corb. Sangerm. Cypr. Chroraatius), les meilleurs
peut-être et les plus anciens, ont retenu l'impératif que le contexte ne permet pas
de révoquer en doute et dont la présence exclut celle du relatif. Quant au >.vaw,
il ne doit pas être car S" et son complément, commençant un
lu devant *1Q- :

second vers, se réfèrent forcément au verbe qui suit et ne sauraient en être séparés.
Un waw devant S" ne serait pas contre le sens, car le second vers apparaît conmie
une conséquence du premier, mais il n'est pas nécessaire et surchargerait peut-être le
rythme. On obtient ainsi : « Sur votre couche tenez-vous en repos! » (cf. v. 9;
pour le sens de Dî^T, voir 1 Sam. xiv, 9; Jér. xlvii, (5; Job xwi, 34). La con-
version opérée, lé cœur purifié de ses fautes, il n y a plus qu'à attendre en paix
les biens que Uhvé répartit à ses fidèles : inutile de s'agiter pour les conquérir
(vv, 3, 7-8). — Au reste, le texte de ce v. pourrait bien être encore plus altéré -lu'il

ne semble, dans l'un comme dans l'autre vers.


6. Le second vers du v. 5 est trop court de deux accents, tandis que le v. (i

ne contient qu'un seul vers, trop long au contraire et qui en tout cas reste sans
seconde moitié du v. 6 achève la pensée du v. 5 et com-
parallèle. D'autre part, la
plète exactement, au point de vue du mètre, son second vers. Si le sens obtenu
en faisant abstraction de 6 a est satisfaisant et la mesm-e exacte, cette moitié de
verset sépare à tort les vV. 5 et 6 b. Comme on ne saurait lui trouver une place
convenable ailleurs et que les préoccupations du psalmiste, tout en étant très re-
moins d'ordre cultuel (v. 7) que d'ordre moral (vv.
ligieuses, sont 3, 5), la clause
aura été ajoutée quand le psaume fut adapté à l'usage liturgique.
NOTES SUR LES PSAUMES. 89

Les « sacriflces de justice » sont les sacrifices prescrits par la Loi suivant les
circonstances, et revêtus de toute? les conditions exigées, c'est-à-dire otlerts cor-
rectement (cf. Deut. XXXIII, 19-, Ps, Li, 21). On pourrait traduire par « les sacri-
fices requis » en donnant au dernier mot une portée qui s'étende non seulement
à la substance ou à la nature, mais à toutes les conditions du sacrifice offert.
7. D'après le contexte (vv. 8-9), 2Ta désigne ici le bonheur. « Faire voir le

bonheur «, c'est en faire jouir, lexxxiv, 13; Eccl. ii, 24;


procurer (cf. Ps.
III, 13, etc.). L'interrogation peut exprimer un souhait, avec une nuance de doute
et de découragement.
ncj a reçu deux interprétations. L'une, celle de M'A0 's'-apov T Hier. Hebr. leva
Casin. exalta, voit dans ce mot, sous une autre orthographe, l'impératif aWi (cf.

Ps. X, 12) pour NÛ7 (GK 76 b). Elle est admise généralement par les commentateurs
modernes, d'ailleurs, nï^J est écrit dans le ms. 24-5 de Kennicott et nt:j dans le
ms. 30. L'autre interprétation, adoptée par G lar][j.awGr, L (Hier. Com. Rom, Ve-
ron. etc. Ambros. August. Cassiod. Hilar. designatum est Tertull. significatum est)
et V signatum est G, se réfère à DDJ dénominatif de C2 « signal, étendard » (Rôn. f,

p. 631; cf. Ps. LX, 6; Zach. IX, 16) et supposerait le parfait 7iiph. riDJ (cf. P « il

étendra sur nous la



lumière de son visage » : donc C2
-
et 11:32).
T T
S garde le sens
attribué au verbe par G, mais substitue le temps de M I::Î3y][xov -oiriioy, ce qui
:

supposerait l'impératif qal avec le n du cohortatif nEJ. Mais le sens de DCJ, à quel-
que temps qu'on le lise, ne convient pas au complément direct qui suit; et xiyj
paraît au contraire tout indiqué si l'on se reporte à Nomb. vi, 24-26 : les deux
clauses parallèles relatives à la face de lahvé, telles que les énonce la bénédiction
du grand combinées en une seule, tandis que le ps. lxvii,
prêtre, se retrouvent ici

V. 2 ne retient que la première. La « lumière de la face » soit de l'homme (Job xxix,

24; Prov. XVI, 1.5), soit surtout de Dieu (Ps. xxxi, 17; xliv, 4; lxxxix, 16), sym-
bolise les sentiments de bienveillance dont l'un ou l'autre sont animés ne disons- :

nous pas qu'un visage s'éclaire ou s'assombrit, suivant qu'il exprime la satisf.iction ou
le mécontentement? On peut à peine se demander si xiiîj doit être lu à l'impératif

comme dans M. Comme le texte des Nombres d'où il est tiré, ce vers formule
une prière : le parallélisme entre 7 ti et 7 6 exige cette interprétation, et l'emploi
de la première personne du pluriel dans les deux membres du v.. tandis que la
première du singulier reparaît au v. 8, ne permet aucun doute. Il faut donc laisser
7 b aux D^n de 7 a, qui peuvent être les « fils d'hommes » du v. 3 Juifs peu :

fervents qui concilient leur iahvisme avec le péché (vv. 3, o), ce qui explique que
les faveurs de lahvé leur soient refusées. Il ne suffit pas de demander le bonheur,
même à lahvé (v. 7), pour l'obtenir, il faut encore, comme le psalmiste, servir
Dieu fidèlement (v. 5) pour être exaucé comme lui (vv. 2, 4\
mni est à joindre au premier vers du 8, comme a fait P et comme
v. l'ont
reconnu, à la suite de Bickell, Cheyne, Flament, Duhm, Zenner et Briggs : au-
trement. 7 6 est trop long d'un accent et 8 a trop court d'autant.
8. Une erreur de copiste suggérée par les mots suivants a fait écrire dans G
xap:;ou, reçu par Sh C V Hier. Com. Ambros., au lieu de y.atpou attesté par MT'AS©
Hier. Hehr. PL (tous les témoins, sauf saint
Ambroise qui doit suivre ici une source
grecque : cf. PiAhlfs, Septuaginta-Studien, II, Ber Text des Septuaginta-Psalters,
Gôttingen, 1907, p. 226). En outre, y.oà IXx'ou a été ajouté dans G et a passé de là

dans PCL (tous les témoins) et V; seuls MT Hier. Hebr. Com. et G (150, par correc-
90 REVUE BIBLIQUE.

tion sans doute) restent indemnes. L'addition a donc eu lieu dans G à une date
ancienne et avant toutes les traductions dérivées des Septante. Le maintien de
/ai devant oXwj dans la plupart des mss. (une quarantaine de minuscules seulement
l'ont perdu) atteste néanmoins encore le caractère adventice de xal âXaLou. Ce devait
êtrCj à l'origine, une glose marginale inspirée de Deut. \n, 13; xi, 14; xii, 17;
xiY, 23; XVIII, 4, etc. et destinée à compléter l'énuraération des récoltes, comme
dans Os. ii, 8, 22, etc.
Il faut supposer l'ellipse du relatif soit devant njai (GK 155 l : î)V serait à l'état
"

construit et commanderait ainsi la proposition relative), soit devant 12"] (Wickes,


A Treatise on the Accentuation of the Three so-caUed Poeiical Books of the O.T.,
Psalms, Proverbs and Job, Oxford, 1881, p. 49 n. La première hypothèse est
12).

la meilleure. — Sur l'emploi de p2, cf. Glv 133 e note; et sur l'usage du pronom
suffixe indéQni, c'est-à-dire représentant des personnes indéterminées comme dans
ps. XLV, 10, voir Rô-N. III, 324 (/ « plus qu'au temps où
; leur leur vin et

froment ont abondé », c'est-à-dire « plus qu'au temps où de vin et de froment on


:

a eu grande abondance ».
Les récoltes se faisaient dans la joie et cette joie était devenue un ternie habituel
de comparaison (cf. Is. ix, 2; Jér. xlviii, 33). Ici la récolte est supposée abondante
et la joie plus grande encore que de coutume. Il n'y a pas lieu d'insister sur le
caractère intérieur de la joie du psalmiste et de l'opposer à la joie extérieure et
bruyante des moissonneurs et des vendangeurs (contre Duhm). Les situations dif-
fèrent sans doute, mais le psalmiste, lui aussi, a reçu une faveur d'ordre temporel
et il ne lui déplaît pas de manifester son contentement.
9. Tini marque la quasi-simultanéité (cf. Is. xli, 23) des deux actes de se coucher
et de s'endormir. Le psaluiiste se sait tellement en sécurité que le sommeil ne le
fuit pas; il n'a pas à le chercher, même un instant. Le cohortatif du premier verbe

indique en outre que l'acte est fait d'une résolution ferme, en pleine conscience et
volonté; ou peut aussi considérer que le aaw devant le second verbe continue le

sens du cohortatif (cf. Ps. m, 6).

TizS dans le second vers ne peut être rapporté à nnx dans ce cas en effet :

on devrait lire 'nizS (Ko-\. III, 344 6), qui a été pour ce motif introduit dans un ms..

et la spéciQcation serait d'ailleurs assez inutile. Mais liih et n'ClS font dès lors
double emploi et l'une des deux expressions est d'autant plus suspecte que le vers
a un mot de trop pour le rythme. Or il ne semble pas probable que l'auteur ait
écrit ""zS, dont wcdH serait une glose. Le premier terme est moins bien adapté au

contexte que le second et à s'en tenir au contenu du psaume, on ne voit point que
le psalmiste vive à l'écart de son peuple. r\'^lh doit donc être original. On com-

prend mieux que TT^S ait été ajouté. Ce n'est pas une glose explicative H'CZ'^ est :

assez clair. Mais les deux mots étaient volontiers mis en parallèle dans les textes

poétiques, habiter à l'écart étant la condition préalable d'une existence tranquille


(Deut. xxxiH, 28; Jér. xnx, 31), et le peuple de Dieu était censé vivre isolé, loin
des nations (Nomb. xxiir, 9; Deut. xxxiii, 28; Mich. vu, 14). Pour un esprit
nourri des Écritures, une expression devait appeler l'autre, du moins dès que le
psaume serait appliqué à la communauté d'Israël et non plus à un personnage indi-
viduel. Or celte application devint naturelle et même inévitable le jour où le psaume
fut reçu dans l'usage liturgique et régulièrement chanté dans le temple. C'est alors
que TTzS fut ajouté, sans doute par allusion à Deut. xxxiii, 28, que le v. S
rappelait déjà, et en accord avec l'interprétation de N'bs (voir au v. 4) qui paraît
avoir été celle de la tradition juive d'après la Massore et le Targum.
.NOTES SIR LES PSAUMES. 91

III

Les psaumes m et iv présentent, soit pour le fond, soit même pour


laforme, des analogies incontestables. La situation ditfère cependant
de part et d'autre, puisque le premier envisage un danger actuel, et
se termine par un appel pressant à Dieu, tandis que le second rap-
pelle un péril passé et ne fait plus entendre, avec des actions de
grâces, qu'une le<;on à l'adresse des Israélites pour qu'ils aient à
servir lahvé dans la justice afin d'avoir part, comme le psalmiste,
aux bienfaits divins. Le premier suppliant est un chef du peuple;
rien, dans le second, n'indique un personnage ofticiel. Aussi le
premier psaume a-t-il un caractère national, bien qu'il soit la prière
d'un seul. lahvé y est invoqué comme le Dieu de la nation, le dé-
fenseur naturel d'Israël et de son chef. Le second a un caractère
moral lahvé y est proclamé Dieu de la justice, qui attribue les
:

biens de ce monde à ceux qui fuient le péché. Ce n'est plus le cri

d'appel un peu mais confiant néanmoins et prompt, du


troublé,
psaume m; c'est une leçon tirée à loisir d'événements passés. L'au-
teur est poussé sans doute par le besoin de proclamer sa joie et sa
reconnaissance envers lahvé, mais il n'écrit pas sans un souci d'en-
seignement et d'édification son poème sent un peu le sermon.
:

Moins improvisé, moins spontané que le précédent, il coule plus


doucement, d'un mouvement plus large et plus paisible, plus lent
et plus lourd aussi. Tel verset (v. 7 b) est de facture composite et
un peu artificiel; tel autre (v. 8) recueille une comparaison usuelle;
ailleurs (voir ci-dessous) on a l'impression de formules déjà ren-
contrées. Plus alerte, plus vif, le psaume in est d'un style plus ori-
ginal et plus élégant, et d'un parallélisme mieux marqué. Le rythme
diffère d'ailleurs deux poèmes.
dans les
Le voisinage des deux psaumes, le sentiment de confiance qu'ils
respirent tous deux et la présence des deux parts d'expressions iden-
tiques (m, 3 a et iv, 7 a; m, 6 « et iv, 9 a) ont donné à penser qu'ils
étaient l'œuvre d'un même auteur (Bâthgen). Mais les expressions
indiquées sont trop peu originales pour autoriser une conclusion.
ncx est fréquent dans la Bible pour le verbe à un mode personnel;
il est vrai pourtant que, dans les psaumes, on ne le trouve pas hors

des deux textes indiqués (Kon. III, 239 /) et jamais dans les autres ;

livres il n'est précédé de C'Zi. Mais il n'est pas surprenant que les
deux verbes 23ïr et ]«;'' soient lus à la suite l'un de l'autre (voir
1 Sam. XXVI, 7 ; I R. xix, 5 et Job m, 13)*
cf.

Briggs essaie de dater le psaume en se basant sur les expressions


92 REVUE BIBLIQUE.

qu'on y rencontre. Le v. 7 ô indique que la bénédiction du grand


prêtre (Nomb. vi. 24-26) était familière à Fauteur; piï ^r\2- (cf. 6;
cf. Deut. XXXIII, 19), ann^m d:;- (v. 8 b; cf. Deut. xxxiii, 28),
i:aiuin rrczh "Hzh (v. 9 b; cf. Deut. xxxiii, 28) montrent qu'il en était
de mêmede la bénédiction de Moïse; enfin, 22S2 "idn (v. 5) serait
aussi une formule deutéronomique. Mais pis ini" n'est sans doute
pas original dans le psaume, non plus que "liS, et la mention con-
jointe du froment et du vin, bien qu'elle soit fréquente en effet dans
le Deutéronome (vu, 13; xi, 14; xii, 7; xiv, 23; xviii, 4; xxviii, 51;
xxxiii, 28), se retrouve trop souvent ailleurs (Gen. xxvii, 28, 37;
Nomb. xviii, 12; Il R. xviii, 32; Is.xxxvi, 17; lxii, 8; Jér. xxxi, 12;
Os. II, 10, 11, 24; vil, 14; Joël i, 10; 11, 19; .S.gg. i, 11; Zach. ix, 17;
Néh. V, 11; x, 40; xiii, 5, 12; Il Chr. xxxi, 5; xxxii, 28) pour qu'on
puisse tirer de sa présence aucune conclusion. Quant à-22S2 nr»s,
c'est aussi une formule trop usitée dans divers livres en dehors du
Deutéronome (cf. Is. xiv, 13; xlvh, 8; xlix, 21; Jér. v, 24; xiii, 22;
et avec la forme zh Gen. xvii, 17; xxvii, 41; I R. xii, 26; Is.
XLVii, 10, etc.) pour servir à dater un texte avec quelque précision;
elle est douteuse d'ailleurs dans le psaume. La bénédiction sacer-

dotale est certainement à l'arrière-plan du v. 7 b; mais sa date n'est


pas fixée. Conclure encore de la même imitation que l'auteur est
un grand prêtre (Dulim) parait tout aussi hasardeux. Il suffisait

d'être un familier du temple pour avoir cette formule de prière dans


l'esprit, et la façon assez peu favorable dont elle est introduite d'abord

(« Beaucoup disent ...:«) et opposée ensuite, sans doute comme

inefficace, à la générosité de lahvé envers le psalmiste (v. 8), si elle

n'exclut pas absolument l'hypothèse « sacerdotale », ne la recom-


mande pas non plus particulièrement.
Dans l'ensemble, le style du psaume est classique. Mais, outre le
V. 7 b, plusieurs formules ont l'air de réminiscences (par exemple
vv. 1 a, H b, 9 a ei b ; 3 a et k a après correction) ou du moins sont
des expressions rencontrées ailleurs. D'autre part, l'emploi du verbe
nxi au sens de a jouir, éprouver » est surtout développé dans les
livres tardifs (cf. Eccl. m, 13; viii, 16, etc.) et semble à peine plus
ancien que Jérémie (v, 13; xiv, 13; xx, 18, du etc.). Enfin la doctrine
psaume ramène la pensée sur les écrits deutéronomiques. Pour
tous ces motifs on ne saurait, en se basant uniquement sur le texte,
faire remonter ce psaume plus haut que Jérémie, et il se pourrait
qu'il fût notablement plus récent. Il a dû naître dans un milieu
voisin du temple, ce qui ne veut pas dire dans un milieu sacerdotal.
E. PODECUARD.
; _>'ry<>xr~'C >
LES SENTENCES DU SEIGNEUR
EXTRACANONIQUES
(LES AGRAPHA)

Il nous est dit à la fin du IN" évangile, xxi, 25, que « Jésus a fait
encore beaucoup d'autres choses » que celles qui sont racontées dans
les chapitres précédents, ce qui nous invite à croire que les évangiles

n'ont pas rapporté toutes les actions du Seigneur et non plus toutes
ses paroles. y a donc lieu de rechercher celles qui nous ont été
Il

transmises par la tradition et que Ton peut appeler des avpasa, en ce


sens qu'elles ne sont pas contenues dans les écritures canoniques,
'•(pocace.i.

Ce terme àYpasa a été employé tout d'abord au sens de traditions


religieuses par opposition aux lois écrites. Lysias, dans son discours
contre l'impiété d'Andocides (Lysias, 104, 8), parle des lois non écrites
promulguées par les Eumolpides. Antigone en appelle aux lois non
écrites, à'^pa^ta, des dieux (Sophocle, Antigone, v. 454). Clément
d'Alexandrie, Strom. i, 1,7, nous dit que l'enseignement, y; ysojpYta,

de l'Église double ^^ ]j.v) â'-i'pao;;, r^ o" k'YYpacpoç; cf. Strom. v, 7, 61


est : ;

I, 1, 10. Origène, dans son Commentaire sur les Proverbes, i, 8,

mentionne les traditions non écrites, à'/pasouç; cf. IrÉxXée, Adv. Haer.
I, 8, 1 ;
Basile, De Spiritu sancto, 566.
en 1776 que le terme a été employé pour la première fois
C'est
par KOrner, dans son ouvrage De Sermonibus Christi 'Avpâac^,
:

pour désigner les sentences de Notre-Seigneur qui ne se trouvent


pas dans les écrits canoniques. Il signifie donc paroles non scrip-
turaires, extracanoniques et non paroles non écrites, traditionnelles.

En effet, les écrits canoniques sont des vpa^ai, les non-canoniques


seront des xvpacpai.

Il de nombreux ouvrages où l'on trouve la nomenclature


existe
des paroles extracanoniques de Notre-Seigneur; nous citerons seule-
ment les plus importants J. B. Coteher, Patres ApostoHci, 1672
:

et 1698. Grabe, SpicUegiiim SS. Patrum et Haereticorum saeculi I,


H, III, 1698 et 1714. J. A. Fabricius, Codex Apocnjphus Novi Testa-
menti, 1719. N. Lardner, The Credibilily of the Gospel History, 1727.
<i4 REVCE BIBLIQUE.

.1. G. Korner, De Sermonibus Christi 'Aypaçoiç, 1776. M.


Routh, J.

Reliquiae sacrae, 1814-1818, 1849. R. Hofmann, Das Leben Jesu nach


den Apokr/jphen, 1851. Ch. K. J. Ruxsen, Analecta Antenicaena,
1856, t. I, p. 2Î). B. F. Westcott, Introduction to the Studij of the
Gospels, 1860, 1881, Ajopendix. Rarixg-Gould, The lest and hostile
Gospels, Agrapha, p. 156 ss., 1874. J. T. Dodd, Saijings ascribed to

our Lord by the Fathers and other priinitive Writers, 1874. Ad.
Hflgexfeld, Librorurn deperditormn fragmenta [Novumest Tamentum
extra Canonem receptum),
1884. B. Pick, The Life of Jésus according
to extra-canonical Sources, 1887. Th. Zahn, Geschichte des neut.
Kanons, 1, 1888. A. Resch, Agrapha, ausserkanonische Schriftfrag-
mente, 1889, 1906. J. H. Ropes, Die Sprïïche Jesu, die in den kano-
nischen Evangetien nicht ûberliefert sind, 1896. E. Nestlé, Novi Testa-
nienti graeci Suppleinentum, 1896. Grenfell et Hunt, Sayings of
our Lord from an early Greek Papyrus, 1897. New Sayings of Jésus
and Fragment of a lost Gospel, 1904 (1). B, Jackson, Tœenty-five
Agrapha or extra-carionical Sayings of our Lord, 1900. Griffenhoofe,
The unwritten Sayings of Christ, 1903. Vrya^sc^f.^^ Antilegomena.
Die Reste der ausserkanonischen Evangelien, und urchristlichen
Ueberlieferungen, 1905. Grenfell et Hunt, Fi'agment of an uncano-
nical Gospel from Oxyrhinchus, 1908. C. \Yessely, Papyrus grecs
relatifs à Tantiquité chrétienne dans la Patrologia orientalis de Graf-
FiN et Nad, t. IV, fasc. 2, Paris. T. Holzmeister, Unbeachtete pnlris-
tische Agrapha, dans Die Zeitschr. fur Katholische Théologie, 1915,

p. 98-118.
Les sources où nous puisons les paroles extracanoniques du Sei-
gneur sont les suivantes : I. Les écrits néotestamentaires, les évangiles
exceptés; ces paroles sont donc extra-évangéliques, et non extracano-
niques. IL Les manuscrits du Nouveau Testament. III. Les évangiles
et les Actes apocryphes; IV. Les papyrus. V. Les écrits des Pères de
TÉglise et des hérétiques. Nous passons en revue toutes les sentences
attribuées à Notre-Seigneur en essayant d'en déterminer l'authenti-
cité. A. chacune d'elles est ajoutée une des notes suivantes : A. =
authentique; P. probablement authentique; I). douteuse; N. A. non
authentique. Nous n'étudions pas les questions critiques et exégéti-
ques qui se posent à propos de ces sentences.
Il y aura lieu de laisser de coté un certain nombre de sentences

qui, pour une raison ou une autre, ne doivent pas entrer dans notre
recensement. 1" Les sentences qui reproduisent des paroles évangéli-

(f) Les ouvrages imbliés sur ces Logia sont trop nombreux pour que nous les citions tous.
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACAxNONlUUES. 93

ques sous une forme plus ou moins différente 2" celles qui provien- ;

nent d'écrits canoniques, mais non évangéliques, et ont été faussement


attribuées aii Seigneur; celles qui ne sont qu'une paraphrase des
paroles de Jésus ou ne lui ont pas été formellement attribuées; 3" les
longs discours mis dans la bouche du Seigneur dans les Didascalia
ou dans la Pistis Sophia; la. lettre du Christ à Abgar; les sentences
qui 'se trouvent dans les écrits apocryphes tardifs; celles qui provien-
nent des écrits mahométans.

I. Écrits jséotestamextaires, Évangiles exceptés.

Dans son discours aux presbytres d'Éphèse, saint Paul leur dit en
terminant son allocution \zi... ;j.v/;;j.ovc'j£',v -rs -wv '/.ô-^uyv tou KupCcj
:

'r^7CJ. 'i-i aj-bç ='.-zy' Ma/.âp'.cv ïaiv/ ;j.5caacv o'.sivai Xay.êâvîtv, Act. XX, i^

35. Il faut se souvenir des paroles du Seigneur Jésus qui a dit lui-
mcme Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.
:

Cette parole de Notre-Seigneur présente tous les caractères de


Fauthenticité ;
elle se retrouve d'ailleurs dans la tradition subsé-
quente Puisque le
: Seigneur a dit aussi que celui qui donne est plus
heureux que celui qui reçoit. 'Er.û -/.'jX h Kjpioç ^.'j:/à^\z^) al-sv slva-, Tbv
oioôv-ra r{r.zz Tbv 'hy.\j/àT)z^)-y.. Const. apost. iv, 3. Cf. Éphrem, Opp. II,

Épiphaxe, Haer. lxxiv, 5; Anastasele Sixaïte, Quaest. li —A.


23.5 c;

Nous relevons encore dans le Nouveau Testament d'autres paroles


authentiques du Seigneur Ayant assemblé ses disciples, Jésus leur
:

commanda de ne point s'éloigner de Jérusalem, mais d'attendre la


promesse du Père, laquelle, dit-il, vous avez entendue de moi. Car
Jean, il a baptisé d'eau, mais vous, vous serez baptisés
est vrai,
d'Esprit-Saint dans peu de jours. Étant donc réunis, ils l'interrogè-
rent, disant Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le
:

royaume d'Israël? Mais il leur dit Ce n'est pas à vous de connaître:

les temps ou les moments que le Père a réservés de sa propre auto-


rité,mais vous recevrez la puissance du Saint-Esprit qui viendra sur
vous, et vous serez mes témoins, tant à Jérusalem que dans toute la
Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités do la terre, Act. i, i-8'
cf. ib. XI, 16 — A.
Aux paroles deJésus pour l'institution de l'eucharistie que rap-
portent les évangiles, saint Paul, / Cor. xi, 24, ajoute Faites ceci en :

mémoire de moi, et ^ 25 : Faites ceci,


que vous boirez, chaque fois
en ma mémoire. Les Constitutions apostoliques, viii, 12, mettent dans
la bouche du Seigneur les paroles suivantes Toutes les fois que vous :

mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous annoncerez


96 REVUE BIBLIQUE.

ma mort jusqu'à ce que je vienne, que Paul rapporte sans les attribuer

à Jésus, ib. XI, 26. Cf. Ecclesiae Constaritinopolitanae Liturgiae, Bun-


sen, Analecta Antenicaena, III, p. 222; Liturgia quae dicitiir Divi
Marci, ib. III, p. 117; Liturgia S. Jacobi apostoli, Fabricius,
p. 127 — A.
Car nous vous disons ceci par une parole du Seigneur, c'est que
nous, les vivants, qui sommes laissés pour la venue du Seigneur,
nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis, I Th. iv, 15 A. —
Voici, je viens comme un voleur. Heureux celui qui veille et qui
garde ses vêtements, afin qu'il n'aille pas nu et qu'on ne voie pas sa
honte, Jjmc. xvi, 15 A. —

II. Les manuscrits du Nouveau Testament.

On peut relever dans les manuscrits du Nouveau Testament des


paroles de Notre-Seigneur que les éditions critiques nont pas ac-
ceptées comme canoniques. Dans le codex de Bèze, Mt. x, 23, nous
lisons : 'Eiv oè èv ty; a.'kk^^ ou'ùv.o'jgu ûij.àç, çpcûysTs sîç i-ç) x/0.r,y. Sils vous

poursuivent dans une ville, fuyez vers une autre.


Ce texte se retrouve à peu près textuellement dans Origène, Exhort.
ad Martyres, 0pp. I, 295; dans Éphrem, éd. Môser, c. 8, p. 94 Et :

si ab hac persequentur vos, fugite denuo in aliam civitatem. Cette


sentence paraît être un redoublement de la parole authentique du
Seigneur : "Oxav Bè omy.y'joi'') 'j[;.aç èv t-?î tcoasi Taû-r,, osûysTS sU 'V>
ï-ipy.v. Lorsqu'ils vous poursuivent dans cette ville, fuyez vers l'au-
tre. Il est possible que Notre-Seigneur ait affirmé davantage sa
pensée en la développant sous une forme peu différente P. —

Le Lectionnaire syriaque Palestinien présente de la façon suivante


le texte canonique de Matth. xii, 36 iCod. C) : Aévo) oï JiJ.tv, cti tSv
rr/j.a y.xAsv c cj Àévoutriv ci avOpwTco'.. àrcsoWouffiv Trepî xjxoXi Xôycv sv rtii.ipfx

v.pizuû:. vous dis que de toute bonne parole que les hommes ne
.le

disent pas, ils en rendront compte au jour du jugement. Avons-nous


là une parole authentique du Seigneur ou simplement une transpo-
sition, une interversion du texte canonique Aéyo) es ûjaiv 'i-i zSv 'pf,\j.x :

xp'fyf S AaAr,7Cua-tv cl à'vOpo)7;ot àr^coôiGcuiv^ r.tpl ocjtou Xc^cv èv r^lJ-épT. y.p'.-

zzMz* vous dis que toute parole oiseuse que les hommes auront
.le

prononcée, ils en rendront compte au jour du jugement D. —


LES SEiNTENCES DU SEIGNEUU EXïRACAiNONIQUES. 97

Dans la péricope de Mt. xvii, 24-27, ont été introduites des paroles
de Jésus de Pierre qui semblent modifier le texte. Jésus demande
et

à Pierre De qui les rois de la terre reçoivent-ils le tribut, de leurs


:

fils ou des étrangers? Pierre répond Des étrang-ers. Jésus en con- :

clut : 'Les fils en sont donc libérés.


Ici le codex Algerinae Peckover (Codex Ev. 561) ajoute ces mots :

Es-/; Si[^.(.)V Nxu l\.é'(i\ z Ir^azXjq' ooç, O'Jv -/xl j'j o^ç c/'kkbxçiioq îcijtwv ;

Simon dit : Oui. Jésus dit : Donne donc et toi aussi comme étranger
à ceux-ci. Ces paroles semblent en opposition avec la suite du
texte canonique, où Jésus ordonne à Pierre de payer le tribut afin
que l'on ne soit pas scandalisé — N. A.

A où Jésus enseigne à ses disciples que qui-


la suite des paroles
conque voudra être grand parmi eux sera leur serviteur, et que le
Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir et
donner sa vie en rançon pour plusieurs, on lit dans le codex de
Bèze, le codex •!>, la Sinaïtique Curetonienne, la Peschito, dans de
nombreux manuscrits de la vieille version latine, dans six manus-
crits de la Vulgate : 't\).zXc lï 'C-q-sXxe h. 'j.f.y.pcj aj^yjcraf. -/al (-f- \xq Sin.
Cur.j à-/. Vos autem quaeritis de pusillo crescere
yA^ovcq l'XaxTsv slvai.

et de minore majores esse (Codex Veronensis). Vos autem quaeritis

de modico crescere et de maximo minui Codex 00 de la Vulgate).


Cette parole de Notre-Seigneur paraît être authentique P. —
Les mêmes manuscrits ajoutent des paroles du Seigneur qui sont
une paraphrase de Le, xiv, 8-10. Le texte en est cependant si

différent qu'on peut bien le croire issu d'une autre tradition.

Me, XIII, :n, le codex de Bèze, au Ùuod vobis dico, om-


lieu de :

nibus, donne cette leçon : Quod autem uni dico, omnibus vobis dixi.
Le sens des deux sentences nous parait trop différent pour que l'une
soit une variante de l'autre. Optât, De Sehismate Donatistariim, i, 1,
a rapporté aussi cette parole du Seigneur, mais il l'a placée dans
un autre contexte — P.

Les paroles du Seigneur, insérées dans le codex de Bèze entre les

^ 4 et 5 du sixième chapitre de saint Luc : T-^ aÙT?) -^i^épo: 9sa<7i|j,£v6ç


UEVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 7
0^ REVUE BIBLIQUE.

TIV2 ïoy(x'Co[).vfOv -0) zy.Vty.-is) cÎttsv aù-oJ' "Av6po)-s, ê'. [j.àv oioaç t'! t:ci£'.'ç.

aaxasi;; si' £^ s^ !'"'; C'-saç, èTcty.aTxpa-cr y.a'i TrapaSâ--/;; î'^ tcj V5;j.s'j,

Dans ce même jour, (Jésus) ayant vu un homme travailler le jour

du sabbat, lui dit : Homme, si tu sais ce que tu fais, tu es heureux;


mais si tu ne le sais pas, tu es maudit un violateur de la
et loi, ont
soulevé de nombreuses discussions. Remarquons d'abord qu'elles
ne se retrouvent nulle part ailleurs.
D'après les uns, ce Logion serait d'origine marcionite ou serait
judéo-chrétien, ce qui paraît peu probable, car le codex de Bèze ne
trahit aucune tendance marcionite ou judéo-chrétienne. D'aulres
croient qu'il est paulinien de tendance et même que Paul l'a connu.
Ily a certainement des rapports entre celui-ci et divers passages
des épitres pauliniennes Gai. m, 10; ii, 18. Il parait aussi avoir
:

étéconnu de Jacques, ii, 12; i, 25; ii, 10, IJ. Ses expressions se
rapprochent de celles du IIP évangile et du IV : El ;j,èv oloaç ti ttsisCç,

[xay.apioç v. = v. TajTx cïsxtî, ji.xy.âp'.ci ècTs, ààv ttoi-^tc ajTa, Jn, xiii, 17.
Resch en conclut que nous avons là une parole authentique du
Seigneur. Ropes nest pas de cet avis, parce qu'il n'a trouvé nulle
trace, chez les Pères, de ce logion. Il cite cependant un passage de
saint Augustin qui le rappelle d'assez près Contra advers. legis :

et j^rophetanim, ii, 11, 37. Il reconnail toutefois que cette sentence

est sans aucun doute digne de Jésus et qu'il est possible qu'elle

émane de lui. Elle est basée sur ce principe que la valeur de l'ac-
tion dépend du motif qui l'a inspirée — P.

Le codex de Bèze, quelques manuscrits majuscules, plusieurs man.


de la vieille latine, la Yulgate, la syriaque Curetonienne, etc. ont,
Luc, IX, 55, la leçon : Kai slxsV Or/. olly.-t ci':u T.'n-j\}.y.-.iz isTS 'j\j.^Iç';

Yap 'j'.c; TOij àvOpoWcj ;jy. r^XOe d/'J'/àç àvOpw-tov àrrcAÉja'. oCk'kt. stTjaa'..

Et il Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes? Car le fils de


dit :

l'homme n'est pas venu perdre les âmes des hommes, mais les sauver.
Le codex D n'a pas la première partie de cette sentence. La grande
majorité des manuscrits majuscules, des codex de la Vulgate, des
Pères, Cyrille d'Alexandrie, Jérôme omettent cette sentence, de sorte
qu'il n'est pas certain qu'elle fasse partie du texte canonique. Elle
est cependant authentique et provient probablement de la tradition
occidentale — A.

Au texte canonique de Luc, xxii, 27, le codex de Bèze a substitué


LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXÏRACANONIQUES. 99

un texte qui le reproduit mais sous une forme dilférente


en partie,

et ajoute les parties placées entre crochets 'Ey^ vàp èv [jAgm û[jm^:

cva/.ov{a [xou w; 5 Gtay.ovôiv]. Ego autem sum in medio vestrum ;


veni,

non sicut qui recumbit sed sicut ministrans et vos crevistis in mini-
sterio meo sicut ministrat.
Resch, p. 50, croit que ce fragment conservé par le seul codex de
Bèze est une parole authentique da Seigneur, parce qu'elle s'en-
cadre bien dans l'ensemble du discours et qu'elle présente des carac-
tères de véritable originalité — A.

Au lieu de iAOâTo> -rj ^'iacrùsix aou, Le, xi, 2, le codex Ev. 604, édité
par Hoskier, et le codex Vaticanus, olim Barb. IV, 31, ont la leçon
suivante,: 'EXÔstw Tb -vsjt^a aou tc «y'-îv ïo r,\j.x:; y.a- -/.aQapiaaTW yj;xx-;.

Que ton Esprit-Saint descende sur nous nous purifie.


et qu'il

Il nous semble impossible d'admettre comme authentique cette

variante, bien qu'elle soit appuyée par Grégoire de Nysse, I, p. 737 :

Car dans cet évangile, il dit (Luc), au lieu de èXÔ^Tw ^ocjiheia azj r, :

èXÔÉTO), or,7(, -h aY'-2v Tzveuixa aou ko ri[i.Oiq 7.7.1 y,xBxpiiixi>i Y;[j.aç. Cf. Maxi-

mus^ t. I, p. 350 [ad Malth. vi, 10). Ces deux témoignages ne suffi-
sent pas pour infirmer la tradition textuelle des évangiles de Mat-
thieu et de Luc, ainsi que toute la tradition patristique — N. A.
*

Nous citerons encore l'addition entre crochets à la prière de Notre-


Seigneur : Wq el(yvn-{'/..r^q Y)[;.aç sic xstpatJijiv, [sv û-£Veyx,£!:v oj ouvaiJ-îOaJ :

Ne nous induisez pas dans une tentation [que nous ne puissions pas
supporter], bien qu'on ne la trouve pas dans un manuscrit du Nou-
veau Testament, mais seulement dans la Liturgie d'Alexandrie, éd.
Swainson, p. 6 et dans la Liturgie syriaque de saint Jacques, ib.
p. 343; JÉRÔME, in Ezecli. xlviii, 16; Hilaire, in Ps. lxviii Ps.-Augus- ;

TiNis, Sermo LXXXIV; Curomatius (Migne, LXX, 362).


Faut-il voir l'orig-ine de cette addition dans cet enseignement de
Paul aux Corinthiens, I, x, 19 Mais Dieu est fidèle qui ne permettra
:

point que vous soyez tentés au delà de vos forces; mais avec la
tentation il vous en donnera aussi l'issue, de sorte que vous puissiez
la supporter? C'est possible, mais cela ne suffit pas pour nous faire
admettre comme authentique cette addition — N. A.
100 REVUE BIBLIQUE.

Entre les ^^ 14 et 15 du chapitre xvi de saint Marc le manuscrit


Freer, 032, ajoute seize lignes. Déjà saint Jérôme, adv. Pela-
s 14,
(jianos, avait rapporté que dans quelques manuscrits latins et plus
souvent encore dans les manuscrits grecs, il y avait une addition
après le ^' 14 et il la citait en latin Et illi (apostoli) satisfaciehant, :

dicentes Saeculum istud iniquitatis et incredulitatis sub Satana


:

est, qui non sinit per immundos spiritus veram Dei apprehendi
virtutem, idcirco jamnunc révéla justitiam tuam. Voici le texte grec
donné par le codex Freer avec la réponse de Jésus : Kà/.eTvot àr.zko-

YOUVTO AÉYCVTcç" OTi ô a'.ojv ci)~cz Tv^ç àvoij.taç 7.y.\ tyjç à-icttaç ûtto tov act-a.-

vàv àcT'.v, c [j/q èwv xà br.b twv 7:v£u;j.â-o)v x'/.yJ}y.p-a -:y;v àX"/;6tvr;v zc'O Qzc^j

y.aTaXxSécOat oûvaixiv' cià tcutc «jroy.âXu^'Ov g:>ù ty;v oiy.aiocjv^v r^or^, VÂzivzi

'é\e-(C''/ TW Xpio-Tw' y.al o Xpiaxoç ày.îivctç TrpoaéXsYS'^ o"'- "Tit-'j.-qponoci c cpcç


-0)7 STwv zf/Ç è^ouai'aiç t;j craiava, aAAa ky^iZs'. à'XAa osivâ' y.a'^ JTràp -or/

y.y.apvriGœi-on èvô) xapscôôr^v îîç 6âva-cv î'va ù'^roaTpstl/tociv e'.ç -rr^v àXr/Jîiav

y.al p/rjy.étt â:[;.apTr,(7a)civ, ïva tr^v èv tw oùpavw 7:vîU[j.aTiy.Y;v y.y.\ à^Gap-ov


-ïjç oixatoaûv/]ç oôçav y.Ar/povc[;/rjawo-i.v... àXXi TrspîuOsvTsç SS. Et ceux-ci
(les apôtres) se défendaient, disant : Le monde d'iniquité et d'incrédu-
lité estau pouvoir de Satan qui, par les esprit impurs, ne permet
pas de saisir le vrai pouvoir de Dieu. C'est pourquoi révèle ta justice.
Et le Christ leur répondit Le terme des années de Satan est :

accompli, mais d'autres choses terribles approchent. Et pour ceux


qui ont péché j'ai été livré à la mort afin qu'ils reviennent à- la vérité

et qu'ils ne pèchent plus, afin qu'ils héritent de la gloire spirituelle


et incorruptible de la justice dans le ciel.
D'après Gregory (1), certaines expressions, ; alun ou-cç, r.t~'/.r,p(ù-y.i,
r, ï^o'jaiy toU (ja-ravà, r.apzobBr,v e\ç OavaTov, se retrouvent dans les évan-

giles synoptiques; oixatotrûv/j @zoX> dans Paul; oi'y. -oj-o daïis Marc;
r.yt\t[J.y ày.âOapxov, àiîoy.aXûzTO), à-Ko'ko^{Oi)'^.0Li, èâw, jrapasccwtj.'. dans tout
le Nouveau Testament; àX-^Oivr) ojvaij.tç, -KpoGké'fu), c£',vôç, 7:veu'f<.aTiy.ri
lira, a^OapToc o6ça, ne sont pas des expressions néotestamentaires,
il faut en conclure que l'auteur de ce passage connaissait bien le
Nouveau Testament, mais qu'il ne se croyait pas obligé à se servir
seulement des expressions de ce livre. Nous n'avons donc pas là des
paroles authentiques de Jésus. Leur origine pourrait remonter à des
paroles authentiques du Seigneur, dont elles ne seraient qu'un écho
.affaibli (2) — N. A.
(1) Das Freer- Logion, Leipzig, 1908.

(2) Cf. Lagrance, Jivangile de saint Marc, \\ 439. Paris, 1911.


LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTlUCANONIQUES. 101

m. ÉVAXGILKS ET ACTES APOCRYPHES.

Nous lisons dans Clément d'Alexandrie, Strom. ii, 0, i5, une


sentence qu'il a extraite de l'évangile selon les Hébreux : ~H y.âv -rw

y.aO' 'ESpa'O'j; Eja-f/sAiw' 6 Oa'jij-aaaç ^a'^'-''^-^'^-^ Y-TP^''^"^'-) ''•^'-


^ PaatXs'jjaç

ivazav^âs-ai. Gomme dans l'Évangile selon les Hé-


aussi il est écrit

breux Celui qui s'étonne régnera et celui qui règne sera en repos.
:

Ce logion se retrouve sous une forme légèrement différente dans


un autre passage des Stromates, v, 14, 96 : "laov yàp -z'j-ziq ï'/,zvrj.

z'r)y.x:/x' oj -y/j^t-yx z '^r~,Zri %(s)z, àv cjp-f], s'Jptov oè 6a;xêr(6r,7i-:a',, Oai^-êr^Oô-r

3à 3ac7Ù£'j(7£i, Car ces mots peuvent avoir


iSacrrAe^aa; os èTzavairaÛTSTai :

le même sens que ces autres Celui qui cherche ne s'arrêtera pas :

jusqu'à ce qu'il ait trouvé et ayant trouvé il s'étonnera et s'étant


étonné il régnera et régnant il sera en repos, et rappelle de près
celui qui est attribué à Jésus dans les Logia publiés par Crenfell-
Hunt, II. p. 13 : \i-[v. 'I-^7Cjç : '^:^^ -yj'jic^M h ïr,xwv,... so); av e'jp-/;, v.y).

z-.T) t'^ç>r^, 0a[j,6-^6r,T£-:a',, -/.al Oa;x6-r(Ô£Î; [ùa:!CKVjaii, xal |3a(JÙ£'J(7aç œrj.~y:r-

dont nous parlerons plus loin.


zi-y.'.,

Westcott accepte cette sentence comme authentique, tandis que


Resch, p. 215, la tient pour apocryphe. Ropes, p. 128, pense que le
sens primitif est incertain, mais que la sentence grecque représente
peut-être un original araméen authentique dont premier mot, le

f)a'j[j.x(7aç, n'est pas une traduction exacte du terme araméen. Peut-

être faut-il le remplacer par f)a;j.5-r;6c'ç, ainsi que l'indiquent les pas-
sages cités plus haut — D.
*

Il est impossible de tenir pour authentique la sentence du S-iuveur


qu'Origène, in Joan. ï. II, 6, emprunte à l'évangile selon les Hébreux :

'Eàv s£ 7:poîi*r^Taî ti; -b 7.aO' 'ESpaisuç £ijaYY£Af.C)v, |v6a xj-zc, z zM-.-qp «p'/jaiV

y.p-.i i'kyzi a£ r [j.r-rz 'j.z'j -.z z-'',:v -vsjy.a iv [j.'.y. Toiv Tcr/wv ;j.ou /.ai àvr,-

v£Y-/.£ !A£ tlq-z zpzq -z \U-{y. Qycùip. Si quelqu'un accepte l'évangile selon
les Hébreux où le Seigneur lui-même En ce mument même ma
dit :

mère, le Saint-Esprit, m'a pris par un de mes cheveux et m'a porté


sur la haute montagne Thabor, et qu'il a citée une seconde fois, in

Jerem. xv, 4. Nous la trouvons encore rapportée par saint Jérôme :

Modo tulit me mater mea, Sanctus Spiritus, in uno capillorum meo-


rum, Com. in Mich. vu, 7; in Isaia, xl. 9; m Ezech. xvi, 13. Elle
rappelle ce passage d'Ézéchiel, viii, 3 : -/.a- àvéXaêÉv ]xt -f^q /.cpu??;; \j.z'j

•/.al àv£Aa6£V \j.t T.'nj[J.y. âvx a£7cv tyjç v-i^ç %y.l z-jpavzu 7,<x\-ri^ry.-^/é'f ;j,-. zlç Ispo'J-

cy.'K-fllj.. Il me saisit par le sommet de la tête et l'esprit m'enleva entre


102 REVUE BIBLIQUE.

le ciel et la terre et il me conduisit vers Jérusalem. Ce texte est peut-


être l'origine de la sentence de l'évangile selon les Hébreux, qui est
certainement très ancienne. Il serait nécessaire d'avoir l'ensemble du
texte de l'évangile pour bien lacomprendre. Déjà Origène, Joh. m
Il, 12, élèvera un doute sur la possibilité que le Saint-Esprit puisse
être appelé la mère du Christ.
De ce passage où Jésus-Christ appelle le Saint-Esprit sa mère il
faut rapprocher celui où le Saint-Esprit appelle Jésus, mon fils.
<'Juxta evangelium quod Hebraeo sermone conscriptum est legunt
Nazaraei Descendit super eum omnis fons Spiritus Sancti. Porro in
:

evangelio, cujus supra fecimus mentionem, haec scripta reperimus.


Facta est autem, cum ascendisset Dominus de aqua, descendit fous
omnis Spiritus Sancti et requievit super eum et dixit illi Fili mi, in :

omnibus prophetis exspectabam te ut venires et requiescerem in te.


Tu es enim requies mea; tu es filius meus primogenitus qui régnas
in sempiternum ». Jérôme, inisaia, xi, 2. Que le Saint-Esprit soit dit
la mère de Jésus, cela s'explique par le fait que le terme hébreu mi

est-du genre féminin — N. A.

Dans les évangiles synoptiques, Ml. xix, lG-26; Me, x, 17-27;


Le, XIX, 18-27, il nous est rapporté un entretien du Seigneur avec un
jeune homme riche qui lui demandait ce qu'il devait faire pour
hériter la vie éternelle. D'après Origène, in Mat th. T. XV, 14, l'évan-
gile selon lesHébreux aurait complété cet entretien en y ajoutant les
paroles suivantes Et dixit ad eum Dominus
: Quomodo dicis legem :

feci et prophclas, quoniam scriplum est in lege : diliges proximum


tuum sicut teipsum, et ecce multi fratres tui, iilii Abrahae, amicti
sunt stercore, morientes prae faîne, et domus tua pleua est multis
bonis, et non egreditur omnino aliquid ex ea ad Resch, p. 217, eos.
croit que cette addition n'est pas authentique, parce qu'elle ne répond
pas à la situation des Juifs contemporains de Jésus, dont on ne pou-
vait dire qu'ils étaient : amicti stercore, morientes prac famé. Cette
observation n'est pas décisive, car on peut faire remarquer ([ue l'état
du pauvre Lazare, couvert d'ulcères, Le, xvi, 20, répond bien à cette
description. 11 est donc possible que ces paroles du Seigneur soient
authentiques — P.

Nous trouvons dans la Thcopliania d'Eusèbe, Non. Patnnn Biljl.

t. IV, p. 1.")."). le i^a^sage suivant : Tb «'; r,;A3:ç -^y.cv iopaiy.ol'ç yapay.-Yîp-


LES SENTEiNr.ES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. ^3

iaoKOJç èÇ-Zj-z-ÔTCç. TpeTç ^àp oojÀouç Trspur/e, tov [[aèv y.aTaî-aYCVTa Tr,v li-ap-

Ç'.v ;j.STà TTopvwv y.a', ajA'^tpiooJv, tsv oà TuoXAaTïXaTiâfjavra, tov $è 7.7.-7:/.^ j-

<)^œt-y. -:b -râXav-rov. sira -bv [;iv àrco£/0-?;vai, tov ce [;.£[j.90-^vai ;j.ôvcv, tsv oè

a'JY"/,X£tj8^v3;i o£5;xa)T-^pu;). L'Évangile qui est venu jusqu'à nous en ca-


ractères hébreux donna la menace faite non contre celui qui cacha
[son talent] mais contre celui qui avait vécu clans la débauche; car
!la parabole] parle de trois serviteurs l'un qui dévora le bien de son :

maître avec des courtisanes et des joueuses de flûte, l'autre qui fit de
grands profits et l'autre qui cacha son talent, et comment à la fin,
l'un fut accepté, l'autreseulement blâmé et l'autre jeté en prison.
Ce passage est un mélange des paraboles abrégées de' l'enfant pro-
digue, Le, XV, 11-32 et des talents, Mt, xxv, 14-30; Le, xix, 12-27.
Ceci nous inchne à croire que nous n'avons là qu'une allusion tar-
dive à ces paraboles. D'ailleurs, ce passage ne se trouve pas dans la
Theophania d'Eusèbe, éditée par (iressmann — N. A.

Dans l'édition syriaque de la Theophania d'Eusèbe, IV, 13, p. 234,


éd. Lee, nous lisons « Quernadmodum in uno loco reperimus, in
:

evangelio Judaeorum, in uno loco hebraico, ubi inquit Eligam mihi :

bonos, quos pater coelestis mihi dédit. Cette sentence, qui rappelle
d'assez près des paroles du Seigneur rapportées par saint Jean, xvii,
2, 6, peut être confirmée par la description du choix que fait Jésus
entre les bons et les méchants, Me, xxiv, 34. 11 est donc possible que
nous ayons là une parole authentique du Seigneur F. —

Saint Épiphane, Haer. xxx, 16, rapporte une sentence qu'il a trou-
vée dans l'Évangile des Ébionites 'Qç -b Trap' aÙTot; [-.olq 'Eôcojvaio'.ç)
:

3JaY7£A'.:v 7.aA;j[j.£v;v -zp'.iyz'. 'i-.'. -^XOsv y.araÀyo-î:'. ikq Oujiaç, /.al làv [j-y;

r.y.jGTioth -oï) OJs'.v, cj ~y.ùzz-ai àcp' jiawv -h, opY*!- Comme il est contenu
dans l'évangile appelé d'après eux (les Ébionites) J«^ suis venu abolir :

les sacrifices et si vous ne cessez pas de sacrifier, la colère ne cessera


pas sur vous.
Elle rappelle, mais en les exagérant, des paroles du Seigneur :

'Ea£o; W/m -k-à :j ô'jjiav, et elle doit s'entendre des sacrifices de l'an-
cienne Loi, car Jésus a institué un nouveau sacrifice, celui de l'eu-
charistie. 11 paraît probable que cette sentence a des rapports avec
l'enseignement des Esséniens qui rejetaient les sacrifices. Elle pro-
vient d'un milieu judéo-chrétien de tendance essénienne — N. A.
104 REVUE BIBLIQUE.

Nous retrouvons cette même tendance dans les paroles que, d'après
Épiphane, Haer. xxii, les Ébionites attribuaient à Jésus Oî 'E6io)- : i

T,y.Qyjx ©avstv ;j,£6" û;x(ov. [Les Ebionitesj font dire aux disciples : Où
veux-tu que nous te préparions la Pàque à manger? et là- dessus que
(Jésus) répondit : Est-ce que j'ai désiré de désir de manger cette
chair la Pàque avec vous?
Cette sentence opposée au texte évangéli(jue, Le, xxii, 15, ne peut
être authentique — N. A.

Nous lisons dans saint Jérôme, Adv. Pelag. m, 2 In evangelio juxta :

Hebraeos ... narrât historia Ecce mater Doniini et fratres ejus dice-
: :

bant ei Joannes baptista Ijaptizat in remissionem peccatorum;


:

eamus et baptizemur ab eo. Dixit autem eis Quid peccavi, ut vadam :

et baptizer ab eo? Nisi forte hoc ipsum, quod dixi, ignorantia est.
Cette sentence est rappelée dans le De rebaptis^nate, c. 17, Cypriani
Op. éd. Hartel, IÏI, p. 90 In quo libro (Pauli Praedicatio) contra
:

omnes scripturas et de peccato proprio confitentem inveniesChristura,


qui solus omnino nihil deliquit, et ad accipiendum Joannis baptisma
paene invitum a matre sua esse compulsum. La sentence ne peut
donc être authentique, puisqu'elle est déclarée w Contra omnes
Scripturas » et qu'elle est en effet contraire à limpeccabilité absolue
du Seigneur, affirmée par lui-même : T{; i; ûixîov ï'ht;yt<. \}.z r.tç>\ ày.ap-
-{aç, Jn, VIII, 46 -- N. A.

D'après saint Jérôme, in Ezech. xviii, 7, l'évangile selon les Hébreux


aurait rapporté une sentence du Seigneur In evangelio, ([uod juxta
:

Hebraeos Nazaraei légère consueverunt, inter maximaponitur crimina.


qui fratris sui spiritum contristavcrit. Celle-ci se rapproche tellement
des paroles du Seigneur, rapportées par Matthieu, v, îtl\ wiii, 6,
qu'on peut y voir une façon hébraïque d'exprimer le même pré-
cepte — P.

Au même ordre d'idées se rapporte la sentence suivante : In hebraico


quoque evangelio legimus Dominum ad diseipulos loquentem : Et
LES SENTENCES UU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. IOd

nim([uam, inquit, laeti sitis, nisi quum fratrem vestrum videritis in


caritate. Cette sentence rappelle d'assez près Mt. v, 24 et xviif, 15
— P.

L'évangile des Nazaréens présente d'une façon ditierente la conver-


sation rapportée par Matthieu, xviii, 21 et Luc, xvn, 4 et y ajoute
une sentence dont le style et la pensée ne rappellent en rien les sen-
tences -du Seigneur que nous trouvons dans les évangiles Et in :

eodem volumine (evangelio Nazarenorum) Si peccaverit, inquit,


:

frater taus in verbo et satis tibi fecerit, septies in die suscipe eum.
Dixit illi Simon discipulus ejus Septies in die? Re'spondit Dominus
:

et dixit ei :Etiam ego dico tibi, usque septuagies septies. Etenim in


prophetis quoque, postquam uncti sunt Spiritu Sancto, inventus est
sermo peccati. La dernière phrase est certainement inauthentique
— N. A.

Dans sa première épitre aux Corinthiens, xv, -7, saint Paul nous
apprend que Notre-Seigneur a apparu à Jacques. L'évangile selon les
Hébreux, Jérôme, De Viris illustribus, c. ii, décrit en détail cette
apparition et rapporte des paroles que le Seigneur aurait dites à Jac-
ques Evangelium quoque, quod appellatur secundum llebraeos...
:

Dominus autem, cum dedisset


post resurrectionem Salvatoris refert.
sindonem servo sacerdotis, ivit ad Jacobum et apparuit ei. Juravit
enim Jacobus se non comesturum panem ab illa hora, qua biberat
calicem Domini, donec videret eum resurgentem a dormientibus
(mortuis). Rursusque post paullulum Afferte, ait Dominus, mensani
:

et panem. Statimque additur Tulit panem et benedixit ac fregit et


:

dédit Jacol)o Justo et dixit ei Frater mi, comede panem tuum, quia
:

resurrexit Filius hominis a dormientibus (mortuis). Ce récit est rap-


porté encore dans le Pseudo-Abdias, Hist. apost. vi, 1 dans Grkgoire
;

DE ToDRS, Hist. Franc. I, 21. Nous n'avons aucune raison de croire


que les paroles du Seigneur qu'il rapporte sont authentiques. En
tout cas, elles n'ont aucune importance, sauf ([uelles affirment la
résurrection du Seigneur, connue d'ailleurs par des documents
authentiques — N. A.

De divers passages des Stromates de Clément d'Alexandrie, m, >6,

45; 9, 63, 64; 13, 92, Resch, p. 252, a reconstruit un dialogue entre
106 REVUE BIBLIQUE.

le Sauveur et Salomé, lequel proviendrait de lévangile selon les

Égyptiens : T^ — «Aw^uy; •::uvOavc;j.sv/i, [Ji'/pi r.b-:i OxvaTc; Icyùati, elr.zv 6

Kùoioç' Méypiq xv ùixzXq al 'fjyyA-Atq T'iy.TcTS. 'HXOcv yxp y.a-yXïtrjxi -:à É'pYo:

TTjç 0-/;A£Îaç. Kai -r; ^xaojij/^ è'çi-r; ajTw* 7.aAw; cjv £7uci-/;ffa ;j,y; -rev.ojsa; 6 cà

Kjpioç ^[;.î{'J;a-o AsywV Tràaav 97.73 .â^'^vr^v, Tr^v oè T.v/.piy.-'f s/ouaav [j.-i^
'r^VTi?-

n'Jv6avo|j.£vr,; gs t-?;ç -yJM\j:r,z, -izt ';vM'j(ir,7Z-y.'. -y. r.tp\ wv r^pexo, 'ézr, z

K'jpiOw' CTav l'jv t'; t-^ç a'iffy'jvTjC è'vojij.a 7:aTrj7r,TE, -/.aï STav vÉv/jTai -à oûo ëv,

7-a^i Tb àppv) \i.t-y. -.%: 6-^Asur. c"jt£ appv/ z'kt bf,K'j. Quand Salomé lui

demanda jusqu'à quand mort aura le pouvoir, le Seigneur dit


la :

Aussi longtemps que vous, femmes, enfanterez. Car je ne suis pas venu
détruire les œuvres de la femme. Et Salomé lui dit J'ai donc bien :

fait en n'enfantant pas. Le Seigneur répliqua, disant Mange de toute :

herbe, mais ne mange pas de celle qui est amcre. Mais Salomé deman-
dant quand seront connues ces choses au sujet desquelles elle Ta
interrogé, le Seigneur dit Quand vous foulerez aux pieds le vêtement
:

de la honte et quand deux seront un et quand le mâle avec la femelle


ne seront ni mâle ni femelle.
Ces sentences du Seigneur, que l'évangile selon des Égyptiens
attribue au Seigneur, ont pour but d'enseigner les erreurs des Encra-
tites; elles ne peuvent donc être authentiques X. A. —

Dans aux Corinthiens, faussement dite de Clément Ro-


l'épitre
main, xii, 2, une réponse du Seigneur à quelqu'un qui l'interrogeait,
nous retrouvons des paroles qui rappellent celles qui proviennent
de l'évangile selon les Égyptiens : 'Er.tpM-zrfiûç -;y.p y-j-tc Kùpizç
iiT.z T'.vcç, r.z-- r,'îz<. aÙTOu -r; j3a(7tAc(a, ei-sV '0-av 'éa-xi -y oùo sv, y.at tb

£;oj w; Tb £70), -/.xî, TS à'p7£V ij-STa r^ç 0-/;Ac(aç, C'jt£ apc7£V c"JT£ 6^aj. Quel-

qu'un ayant en ell'et demandé au Seigneur lui-même quand est-ce que


son royaume arriverait, il répondit Lorsque les deux (choses) n'en :

feront plus qu'une, lorsque l'extérieur sera comme l'intérieur, lors-

que dans la rencontre de l'homme avec la femme il n'y aura ni


homme ni fenmic — N. A.

D'Mprès llippolytc, Phi/osop/t. v, 7, les Naasséniens auraient con-


servé cette parole du Seigneur 'Ey.ï b ^r^Tîov zjpr,<7ii iv -aiotcç àzb
:

£-:o)v ir.-y' ixst yàip £v to) ii'jaaptT/.yiofAX-o) auovi y.puoc[j.VK: oyvzpo'JiJ.yi.

Celui qui me cherche me


trouvera dans les enfants depuis Vùge de
sept ans: car là je suis manifesté, étant caclié dans le quatorzième
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 107

âge. Cette sentence rappelle des paroles du Seigneur, Mt. vu, 8;


Le, XI, 10, mais la fin en est incompréhensible — N. A.

Nous lisons dans Épiphane, Haer, xxvi, 'î : 'Op[jx,ynoL>. $è 7.r.o [xojpwv

i-Tâs-'.wv -AOL'. [>.xp-'jp'MV sv 0) îjaYYsXto) iTîaYYeÀAov-x',. *î>â7/.ouijiv


Y'^'P
outok
OTi £CT'/;v ÈTcl cpouç ù'ii-^Acîj, y-csl sioov^ àv6po)7:ov ;j,xy.pbv y.al oXXov y.oAoêiv,
y.a», "i^y.oucTa W(7£t ço)vJ;v [3pov--^ç, -/.at -rjYYi^a ~:^ xy.ojaxt, y.aî £XàX-r;a£ Trpi;; ;j.e

y.ai s'I'TîV èyco au y.ai au kyM' v.y.\ o-ou ààv tqç, èvôj èy.si î'.ij.C, y.a: Iv T.izy.av) s'.p!

£ff';:ap[XiVoç' y.at oOsv èàv OéX-/;? a-uX^Évs'-ç ;j.£, à;/è 2è -uXaéywv èauTov 7'jX-

Us s'appuient sur des visions folles et sur des témoignages qui ont
\i^;ziç.

été annoncés dans cet évangile (évangile d'Eve). Ils affirment par
exemple ceci Je me tenais sur une haute montagne et je vis un
:

homme grand et un autre qui était mutilé et j'entendis quehjue


chose comme la voix du tonnerre et je m'approchai plus près pour
écouter et il me parla et dit Je suis toi et tu es moi et partout où tu :

es là je suis aussi, et je suis répandu partout. Et quand tu veux, tu


me rassembles et quan 1 tu me rassembles, tu te rassembles toi-même.
Il de tenir pour paroles authentiques du Seigneur
est impossible
ces sentences qui trahissent une tendance nettement panthéistique;
elles proviennent probablement d'un écrit gnostique, l'évangile
d'Eve — N. A.

Nous lisons dans Clément d'Alexandrie, Slrom. vi, 5, 31 : Ejpo^.iv

Y^p £V -a?;; YP^?''"?» ''•^'•^w? ^ Kûpisg '/A'^'z'.' lozi) G'.aTtO£[;,ai i)[jJ.v v.avrr,'/ oia-

6r,y.Y;v, sj/ cbç o'.£OÉ;rr,v t:T; r-y-piaiv u'xwv èv ':psi\(t)pr,6. Nous lisons dans
les Ecritures que le Seigneur dit : Voilà que je vous impose une nou-
velle alliance, non comme celle que j'ai imposée à vos pères sur le
mont Horeb.
il est probable que nous avons là un développement de l'ensei-
gnement de Notre-Seigneur, Le, xxii, 29 : /.x^-ù) ciaT(6£(j.ai \)[j.vf y.aOÔ);,

cié()z':b [j.oi b lla-v^p ;j.cj i3aciA£tav — N. A.

Clément d'Alexandrie, Slrom. vi, 5, 43, cite le passage suivant du


Kerygma Pétri : Aià ~o\t-b i^r^avi b Wi-pzc, £ç;r(y.£va'- tbv Kûpicv tcîç à-za-b-

Aciç' ÏTt ;x£v oùv Ti; GeATjff-^ -ou 'Icpar^X iJ.t-TK-i]<jy.q où tc3 bvb\J.oc-b:; y.cj

zit7T£U£tv Itîi tov 0£3V, àsîOr, J5VT3:'. aijTw ai y.'yj.p-.iyx' \}.t-y. swcîy.a ïrr^ èçsX-
0£-£ £;; Tiv /ic7y.:v \}:r^ v.: zi'r.r^- :>/. Y;y.0!j(7aiJ.£v. C'est pourquoi Pierre dit
108 REVUE BIBLIQUE.

que Seigneur a dit à ses apôtres Si quelqu un d'Israël veut se


le :

repentir et croire en Dieu par mon nom, ses péchés lui seront par-
donnés. Après douze ans allez dans le monde pour que personne ne
dise Nous n'avons pas entendu. L'ordre qu'avait donné Notre-Sei-
:

gneur à ses apôtres de ne pas s'éloigner de Jérusalem, Act. i, 4., est


précisé dans ce texte les apôtres iront prêcher le repentir des -péchés
:

et la croyance en Dieu en son nom


dans douze ans. C'est une croyance
répandue dans l'Église chrétienne que les apôtres devaient rester
à Jérusalem, douze ans après la résurrection du Seigneur. « Apol-
lonius, EusÈBE, Hist. eccl. v, 13, 14, rapporte comme venant d'une
tradition Sauveur aurait ordonné à ses apôtres de ne pas
que le
s'éloigner de Jérusalem pendant douze ans ». Il est donc possible que
ces paroles du Seigneur soient authentiques P. —

Le Kerijgma Pelin rapporte encore d'autres paroles du Seigneur :

AjTi'/.a èv TOJ lletpsu Iv/;pJY[j.aTi h X^'jpibc. ot^gi r.p'zz tcjç \}.y.Hr^-:y.q, [Aî-à vr^v

y:)âa~aavi' ^^€k^c,i.\XT^v û[Ji5ç cwcsy.a [j.y.^)r-Sy.:; /.ptvaç à^buç £[;.oO, — c'jç 5 Kûptcç
/;0ÉXr(7£v, — y.ai à-otJTÔAo'jç r^i^'o^q Ti-^risiiJ.zvoq sivai, •::£;j.-o)v èzi tIv y.io'y.cv

sùaYY£A''c7aa^a'. ~c'jq 'Axza tyjv o'.xou[j.£vï;v àvôpw-cuç, y^'^^^'^"''--^'' °~^ -'•? &^ô:
iffTiv, oià TYjç -Cl) XpiaTcO 7:i'jtc(i)ç siay/Ç o-q\Q\Jv-y.: -y. \j.éWow-(x, C'wç ot iv.oû-

7av-£ç /.ai Tr'.^Tîjaavtîç aoiGw^iv, o'. oè {j/r, TziTTe'JtjavTîç à'/.ouaavuEç (i.apT'Jp-^aa)ffiv,

o'j-/. îyymq y.r:6'Kc'(iy.v v.~zbr z'jv, v;/.cjc7:z[j.£v. Aussitôt, dans la Prédication


de Pierre, le Seigneur, après sa résurrection, dit à ses disciples. : Je
vous douze disciples, ayant jugé que vous étiez dignes de
ai choisis

moi —
ceux que le Seigneur voulait et vous ayant jugés des apôtres —
lîdèles, vous envoyant dans le monde enseigner aux hommes sur la
terre de connaître que Dieu est un, et montrant par la foi en moi ce
qui doit être, afin que ceux qui ont entendu et ont cru soient sauvés;
mais que ceux qui n'ont pas cru, ayant entendu, rendent témoignage
qu'ils n'ont aucune excuse pour dire Nous n'aA ons pas entendu. :

Ce passage est une compilation de paroles authcnliques du Seigneur


et de réJlexions à leur sujet. Il n'y a donc pas lieu de voir là, sous
cette forme, des paroles authentiques du Seigneur — N. A.

Nous trouvons cette sentence dans les rictus Pclri vum Simone,
f. 10 : Audivi enim et hoc eum dixisse : Qui mecum sunt non intel-
lexerunt. Lllc doit être une (umclusion déduite de paroles de Notre-
Seigneur, Me, vni, 17; Le, xviii, 3V; Jn, \vi, 1"2 — N. A.
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 100

Dans le Pseldo-Linus, De Passions Pétri et Pauli, nous lisons :

Dominus in mysterio dixerat Si non feceritis dcxteram sicut sinistrani


:

et sinistram sicut dexteram et quae sursum sunt sicut deorsum et


quae ante sicut quae rétro, non coguoscetis regnum Dei. La même
pensée est exprimée dans les Acta Philippi, c. 34- et en partie dans
les Acta Judar Thomae. Elle a peut-être été inspirée par les paroles
du Seigneur, Jn, m, 3, 5 et Jn, vi, 53 — N. A.

S'adressant à Philippe, le Seigneur dit : ^iKir^r^z^ losu z vuiaçoîv \}.q-j

Èaxiv Àaiv.5av(i)v tov aToçavov tyjç "/ypSç ï-\Acta Philippi, -fiq, •/sç;aA'^ç aÙTOU,
29. Voilà que ma chambre nuptiale est prête et heureux cehii qui a
son vêtement brillant, car il est celui qui reçoit la couronne de la
joie sur sa tête.
Cette sentence nous parait être une transcription des paroles du
roi à l'homme qui était venu au f-'stin sans être revêtu de la robe
nuptiale, Mt. xxii, 11. La couronne de la joie rappelle la couronne de
la vie, aTÉœavsç -zf^q u(oy;ç. promise à celui qui supportera la tentation

avec patience, Jcq. i, 12 — N. A.

Nous lisons dans les Acta Philippi, c. 31 : zlnv) b aiuTtip' w (ï>t)a--£,

àz£to-J] /.(x-éhzvluxq -•J;v vnzXr^') ;j.:'j Ta'j-r,v t;,ôvcv tol) \J.T^ à-jroocuvx', y.av.bv àvTt

Le Sauveur dit
7.XY.ZU. Philippe, puisque tu as abandonné seule-
:

ment mon ordre de ne pas rendre le mal pour le mal.


Cet ordre de ne pas rendre le mal pour le mal est souvent rappelé
dans la tradition chrétienne, I Th. v, 15 Rom. xii, 17 I Pierre, m, 9 ; ; ;

PoLYCARPE, Phil. II, 2, etc. il est conforme d'ailleurs aux enseigne-


;

ments de Notre-Seigneur, Mt. v, 39, /i.3 Le, vi, 27. Il est donc pos- ;

sible que nous ayons là une parole authentique du Seigneur P. —

Nous lisons dans la Amélineau, texte arabe,


Vita Schnudi, éd.
p. 313 Car le Seigneur Christ a dit [à Pierre] En vérité ton œil ne
: :

sera pas fermé éternellement pour la lumière de ce monde. Avons-


nous là une addition aux paroles de Notre-Seigneur à Pierre, Jn, xxi.
110 REVUE BIBLIQUE.

23? Cela paraît peu probable. Cette sentence ne présente donc aucun
caractère d'authenticité — N. A.

Griffenhoofe, dans Umoritten Smjings of Christ, p. ,128, cite


ses

les paroles suivantes Jésus a dit Le monde n'est qu'un pont, sur
: :

lequel vous devez passer, mais vous ne devez pas vous attarder à y
demeure. Cette sentence se retrouve dans une inscription
bâtir votre
musulmane de l'Inde, mais n'a aucun appui traditionnel N. A. —
IV. Les Papyrus.

1897, Grenfell et Hunt(l) publièrent des sentences du Seigneur,


En
écrites sur une feuille de papyrus elles sont au nombre de huit. :

I. Ka't -.b-t lufi'fJJjz'.z è-/.SaA£Îv xb y.âpssç ts àv tw c96aA;j.w t:u àosXçoj

acj. Et alors tu verras à ùter la paille qui est dans l'œil de ton frère.
Cette sentence est la seconde partie de la sentence relatée par Luc, vi,
42 : Ote d'abord la poutre qui est dans'ton œil. Ce logion
Jésus dit :

reproduit exactement la leçon de Luc -l ht -w 296aA[j.Ç) tsj àSsAoou :

è/. toD cç;6aX;j,ou tcu àosXçou


aou au lieu de celle de Matthieu, vu, 5 :

aou — A.
IL A^ysi 'l'OJOuç" 'Eàv ;rr; vr^a-eùar^TS Tbv y.isiJ.sv, ci [j.y) vjÇiT-.t -y;v ^««Jt-

As-av -z"j 0£oy, y.a'i âàv jrJ; jaSêaTiV/jTs tb (7â66a-:v cjv. c'i/sjTS Tbv ::aT£pa.

Jésus dit vous ne jeûnez du monde, vous ne trouverez pas le


: Si
royaume de Dieu; et si vous ne sabbatisez pas le Sabbat, vous ne ver-
rez pas le E*ère.
L'expression vous ne jeûnez du monde » est difficile à expli-
« si

quer et n'a, aucun analogue dans le Nouveau Testament. On a fait


diverses conjectures à ce sujet. La plus plausible me semble être celle
de Cersoy. Cette sentence serait traduite de l'araméen. Le traducteur
aurait mal lu l'original araméen : au lieu de c«.i*, jeûne, il aurait lu,

dS-;, monde. Il faudrait donc traduire : vous ne jeûnez pas le


Si

jeûne, ce qui rétablit exactement le parallélisme. Quelques-unes des

expressions de cette sentence le royaume de Dieu, voir Dieu, le Père,


:

le monde, et la construction àiv irr,... cù jr/i, sont


familières aux Synop-

qu'on peut penser que cette sentence reproduit plus


tiques, de sorte
ou moins une parole de Notre-Seigneur P. —
Sayings of Our Lord from an earhj greel, Papyrus, London. Cf. Batiffol, Les
(1)

Lorjia du papyrvs de Behnesa ; Revue biblù/ue, t. VI, 1897, p. 501.


I.ES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANOMQUES. IH

II!-1V. As^'î' Ir,(7:jç, ï^TÇi èv [j.î'aa) tij /.iîy.cu y.j:'. àv japyA ojç;0r,v ajTO?:;

•/,3:i £Jpsv Trâv-aç [;.EOJsvTa^ y.a't cjoÉva sjpcv oi'I/wvTa iv aùtsCç /.al t:cv£ï •/;

'i/'j-/r, ;j,su SkI -:<.: jIzX: twv àvOp(o-wv, o-t -u^Xsi sîaiv tyj y.xpoix aÙTwfv], y.al

[cjl 3X£[zo'ja-iv ::-:o)-/s'. y.xl sr/. ;'{c3c7'.v tj-^v --.hiyv.yy ajTwv. Jésus dit : Je
me suis tenu au milieu du monde en chair je fus vu par eux et je
et
les ai tous trouvés ivres et je n'ai trouvé parmi eux personne qui eût
soif, çt mon âme dans la peine (s'afflige) sur les fils des hommes,
est

parce qu'ils sont aveugles de leur cœur et [ils ne voient pas; pauvres
ils ne voient pasî leur pauvreté.
Cette sentence est très claire et très belle; a-t-elle été réellement
prononcée par Notre-Seigneur? Plusieurs des expressions qui la com-
posent se retrouvent dans le Nouveau Testament, et même rappellent
de très près des paroles authentiques de Jésus « Mais moi je suis au :

milieu de vous », Le, xxii, 27, et d'autres analogues dans Mt. xvm,
20; Jn, I, 26, mais surtout celles qu'il prononça le huitième jour de
la fête des Tabernacles, Jti, vu, 37 :
'« Le dernier jour, le grand jour
de la fête, Jésus, se tenant debout, s'écria : Si quelqu'un a soif, qu'il

vienne à moi et qu'il boive ». On pourrait aussi expliquer cette


expression : « Je me suis tenu au milieu du monde », si l'on se rap-
pelait que, pour les Juifs, Jérusalem et surtout le temple étaient
l'ombilic du monde, Èzéch. v, 5. « Mon àme est dans la peine » a pu
être emprunté à Isaïe, un, 10 et se rapproche beaucoup de Mt. xxvi,
38; Me, XIV, 34 u Mon âme est triste jusqu'à la mort ». Cependant on
:

ne retrouve nulle part dans les évangiles une idée analogue à cette
parole : « Je les ai trouvés tous ivres » ni sa parallèle : « Et je n'ai
trouvé parmi eux personne qui eût soif », Pourtant, une parole de
Dieu dans Jérémie rappelle cette idée : « Car j'ai enivré toute àme
ayant soif », xxxviii, 25.
La parole : « Et j'ai été vu par eux dans la chair » a son analogue
dans I l'im. m, 16 : « U a été manifesté en chair
retrouve ». On
d'ailleurs des sentences analogues à cette troisième sentence dans
les écrits canoniques et apocryphes, Apoc. iir, 17; Origèxe, in
Ml. xiii, 2; Pislis Sopliia, p. 232; Éphrem, Evangelii eoneordantis
Expositio, éd. Mœsinger, p. 203.
On voit donc que, bien que cette sentence ne soit textuellement
nulle part dans les évangiles, elle n'est cependant pas étrangère à
la manière de parler familière au Sauveur, et les traces que nous
en retrouvons, soit dans le Nouveau Testament, soit dans la littéra-
ture chrélienne, tendraient à prouver qu'elle ou une autre analogue
a pu être prononcée par Notre-Seigneur P. —
V. [As'yJsi ['l-^ïoj^, "0-]oj èàv (0!j'.v [^ oùy,] sftalv à'jOs^i, xaî [si tzo-j]
112 REVUE BIBLIQUE.

e[I; b-:',v [aÔvcç ['f^éy{^ ^T^ s'-I^-i H-^.-'


ajT|cj] ïyei[p]zv tov XiOcv, -/.ày.î!:

sûpr^cei; [^-s, a/.Cffov -b çûXcv, vÀ^(i) è/.sî s'.;j/;. Jésus dit : Partout où ils

sont deux, ne sont pas sans Dieu, et si quelque part il y en a un


ils

seul, je dis que je suis avec lui. Lève la pierre, et là tu me trouveras;


déchire le bois, et là je suis.

Le commencement de cette sentence est en très mauvais état;


aussi, les conjectures pour rétablir le texte des trois premières lignes
ont-elles été nombreuses. Nous avons adopté celle de Blass qui nous
a paru la plus probal>le.
L'expression y.Heo: se retrouve dans Éph. ii, 2 : Vous étiez en ce
temps-là sans Christ... et sans Dieu dans le monde. La sentence fait
peut-être allusion à l'accusation, portée par les païens contre les
chrétiens, d'être sans dieux, à'ftscu Au lieu de « lève la pierre »,

Gersoy propose Le traducteur grec a confondu un


« taille la pierre ».

hé avec un he(/i, et il a lu hatsoh « lève » au lieu de hatsob « taille >>.


La première partie de la sentence rappellerait, en les élargissant,
les paroles de Notre-Seigneur, Mt. xviii, 20 « Car là où deux sont :

assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux », ou ses paroles


quand il parle de son union avec ses disciples, Jn, xiv, 3 ;
xviii, 23.

Cette sentence ne parait pas étrangère à la tradition authentique,


puisque saint en termes presque identiques
Éphrem la cite, :

Christus... est dicens Lbi unus est ibi et ego sum. Et ubi duo sunt
:

ibi et ego ero, Evangelii conc. Exp., éd. Mœsinger, p. 105. La fin
de sentence indique la présence de .Jésus-Christ en toutes choses,
la
ainsi que dans lepître aux Éphésiens, iv, 6, ce qui suppose la
croyance à la divinité de Jésus-Christ, mais elle a peut-être une
tendance vaguement panthéiste. Pourtant, cette allirmation de
romniprésence du Christ est une reproduction plus accentuée du
prologue de l'évangile de saint Jean et de l'épitre aux Éphésiens, », 23 :

« Il est la plénitude de celui qui remplit tout fn tous ». Le Seigneur

affirme donc quil est avec le fidèle et que, comme Dieu, il est pré-

sent partout dans la nature, même dans les fondements les plus

impénétrables — D.
\-jL~foz r.zKv. (hpy.T.i'.y.; t\: t:'Jç Ytvojtjy.cvTaç ajTsv. Jésus dit : Un prophète
n'est pas bien accepté (reçu) dans sa patrie, ni un médecin ne fait

des guérisons sur ceux qui le connaissent.


nous avons une sentence à deux membres qui se répondent
Ici,

exactement et, quoique le second membre ne se retrouve pas dans


les évangiles, il est probable qu'il est authentique. Il s'adapte très

bien au premier, lequel reproduit presque textuellement saint


LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. U3

Luc, IV, -24., et un peu moins exactement saint Matthieu, xiii, 37 et


saint Marc, vi, 4. A remarquer que dans saint Luc, au verset précé-
dent, il est aussi question de médecin, à qui il est dit de se guérir
soi-même. — l'"' partie de la sentence A. ;
— 2^ partie P.

VII. AIys'- 'lr,!J0'j^' ttÔA'.ç i<yAo'àoiJ.-/]\)ATrt i-' iîy.po'^ [o]po--jq ù'V^Xcï y.x:

kGTr,pt.if\).irr, o'j-.t 7:£[(7]stv sûvaTa-. z'j-z •/.p'j[6l^vai. Une


Jésus dit : ville bâtie

sur le sommet d'une montagne élevée et fondée ne peut ni tomber


ni être cachée.
Cette sentence rappelle, en la complétant, la parole de Jésus : La
ville placée sur une montagne ne peut être cachée, Mt. v, 14, et cette
idée quune maison fondée sur la pierre ne peut tomber, Mt. vu, 25;
Le, VI, 48. Cette sentence pourrait être l'assemblage de deux paroles
distinctes de Jésus — P.
VIII. Aé^'i'. 'Ir(C7Cu;' 'kv.o'jziq [z]'.: -l 'âfv wIt-cv io-j, to [se ëteocv Icutaç].

Jésus dit : Tu entends avec une oreille, mais tu as bouché l'autre.

Il est inutile de discuter l'authenticité de cette sentence, le texte en


étant conjectural.
Ces sentences ont la forme claire, simple et concise, la dignité
majestueuse etgrave des paroles authentiques de Notre-Seigneur ;

c'est la même langue, le grec vulgaire avec des tournures hébraïques,


la même forme parallélique qui se retrouve dans presque tous les
discours de Notre-Seigneur. Cependant l'impression générale qui
se dégage des sentences est tout autre que celle que nous éprouvons
à la lecture des évangiles canoniques. Les sentences ont un caractère
très frappant, très particulier, qui n'est pas le même que celui qui
se dégage des paroles authentiques de Jésus. La forme en est quel-
quefois subtile et même artilicielle ; il s'y trahit un travail de réflexion
et de raffinement sur du Seigneur; l'idée est poussée
les paroles

plus avant, quelquefois même dans un sens gnostique ou panthéiste.


Le caractère secondaire de ces sentences est donc nettement marqué.
Celui qui les a composées s'est inspiré des paroles du Seigneur,
mais il les a développées ou combinées. Ce ne sont donc pas des
paroles authentiques de Jésus, malgré leur en-tête Jésus dit... :

En 1904, GrenfellHunt ont publié une nouvelle série de sen-


et

tences de Jésus (1), et un fragment d'un évangile perdu. Les sen-


tences, au nombre de cinq, ont dû être écrites vers le milieu ou la fin

(1) New Saijings of Jésus and a fragment of a lost Gospel from Oxyrhinclius, London.
Cf. Batiffol, .\ouveaux fragments évangéligices de Behnesa-, Revue biblique. Nouvelle
série, t. I, l')04, p. 481.

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T, XV. 8


il4 REVUE BIBLIQUE.

du Tii- siècle. Elles sont pour la plupart en assez mauvais état. Les
voici telles qu'on a pu les rétablir; nous citons la restitution des édi-
teurs et entre parenthèses dans la traduction les termes restitués par
M. B. Swete [Expository Times, vol. XY, p. 488, 1904). Les mots en
italique dans la traduction sont des conjectures de MM. Grenfell et
Hunt.
\. 0\ 'zzlzi zl aÔvci 0'. [... o'ùç èAa])o/;c-sv 'lr,(j]sjc b Çwv ,K[6ptcç ...J
-axI

0o)p.a 7,x'. £i7U£V [a'JTCÏç* Tac ottiç] av twv Àd';o3v tout o)v ày.oùijY; ôavdtTCuj sj

[j.r, Y£j(Tr,-ai. Celles-ci sont les j)aroles extraordinaires (véritables) que


parla Jésus, le vivant Seigneur (qui vivait et qui était mort) à (Juda)
Thomas et il (le Seigneur lui) leur dit : Quiconque écoutera ces pa-
roles ne goûtera pas la mort.
une reproduction approximative de cette parole
Cette sentence est
de Jésus dans le quatrième évangile, viii, 51 'Eiv -iz Tbv ao^cv ;;.i'j :

rr^pTiCTf], cj Ye'juYîTai ÔavdcTCj v.z Tbv alwva. Elle peut donc être" consi-
[j/Jj

dérée comme authentique — A.


II. [AéycI 'Iy)(7cuç]* M-/; rrauffâaôo) c LVy[Ttov swç av] eypy; y.at CTav
c'jpY] [0a[ji.5'r;6-i^T£':a'. 7,al 6a[j.j6Y;6£iç ^olzCkzù^^i •/.a[i iSajjiAsuaaç àva-aJ'/^acTat.

./e5M5 dit : Que celui qui cherche (le Père) ne cesse pasywv^?^^ ce (7m'27

(le) trouve; et quand il (r)aura trouvé, // sera étonné, et étonné, il

régnera, et régnant, il se reposera. Cette sentence a été restituée à


l'aide d'un passage des Stromates, v, 14, de Clément d'Alexandrie, qui
citait l'évangile selon les Hébreux. Nous l'avons déjà examinée, p. 101,^
et nous avons conclu que l'autlienticité en était douteuse — D.
IIÏ. Alvci '\\r,c6ûz/ ''-vs?] C'. sXxcvTsç r,;j.aç [t'.z ty;v (3a(7iX£iav £•.] y;

jiaciAeîa èv cjpa[vw ïz-v) ...] -x -TrexEivi tcj C'jp|avou "/.ai SYjpiwv z\-\. itzh 7-/;v

Y^v âaT[iv y; irÀ tïJç yyjç xaij cî r/6-J£ç i:^ç 6aAâ[c75ryÇ cuToi cl £>vy.ov]-£ç 6[j.àç,

y.af, y; ^aa[iX£ia twv cjpavwv] èv-cç û[j.wv [s]a-Tt |y.at oi-ziç àv éauTCv] yvcÔ xa'jTYjV

£'jp-/;[c7£i ] iauTOÙç vvoiaîtjOE [y.at £l5'(^!7£T£ ct'. ulsl] £!:-:£ ù[j,£îç toîj Tatpbç
:îjt[ ]
Yvo')7[£G-]6£ sauTS'j? £v {
] xal ùtxstç £jt£ r,7:-z\ ]. Jésus dit !

Vous demandez qui sont ceux qui vous tireront au royaume, si le


royaume est dans lescieux... (mais cç sont ceux qui sont sur la terre et)
les oiseaux du ciel et toutes les bêtes qui sont sous la terre ou sur la terre
(et toute créature qui est sous la terre ou dans le Hadès) et les pois-

sons de la mer, ce .sont ceux qui vous tireront et le royaume des cieux
est au dedans de vous et quiconque se connaîtra soi-même le trou-
vera. (Kfl'orcez-vous donc) à vous connaître. (Si vous vous connaisse/:
véritablement ^ous-mèmes) vous saurez que vous êtes (vous serez)
les fils (et les lilles) du Père tout-puissant. Vous vous connaîtrez vous-

mêmes... et vous êtes... Celte finale ne concordant pas avec ce qui


précède, les éditeurs et Swete pensent qu'il faut lire Vous connaî- :
LES SENTENCES OU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. Ho
trez que vous êtes dans la cité de Dieu (à l'intérieur de la ville) et
que vous êtes la ville.
Cette sentence est très éidgmatique. Peut-être y peut-on voir une
réminiscence de la parole de Jésus qui nous engage à considérer les
oiseaux du ciel, exprimée au commencement se
Mt. vi, 26. L'idée
rapprocherait assez d'un enseignement de saint Paul, Rom. i, 20 :

Les choses invisibles de Dieu nous sont révélées par les choses visi-
bles; mais le royaume des cieux n'est pas seulement dans le ciel, il
est aussi en nous. Faisons donc effort pour nous connaître et nous
connaîtrons que nous sommes les fils du Père. La fm de la sentence :

Vous êtes la ville, ce qui n'est qu'une conjecture, rappelle la parole


authentique de Jésus Vous êtes le sel de la terre. Malgré ces rappro-
:

chements avec des sentences authentiques, nous croyons que la sen-


tence III est apocryphe N. A. —
IV. [Ki^(Z'. 'I-rj^ouç"] O'jx axoxvi^Tci àv6[pti)':îOç ...]pa)v è-îpwT'^cja', T.a[
]

po)V T^spl t:u tottou -^[ç ]a-£-:£ oti tîoXaoI è'o-ovTai 7u[pwT0i 'é(jyxioi xai] aï

èV/a-ût
demander au
TpwToi -Aa). [.. —
sujet de sa place
Jaiv. Jésus dit : Un homme n'hésitera pas à
dans le royaume. Vous connaîtrez
que beaucoup de premiers seront derniers et les derniers premiers,
et ils auront la vie éternelle (et peu la trouveront). La première

partie de la sentence ne parait pas authentique; la seconde est une


citation textuelle de Marc, x, 31; Mt. xix, 30; Le, xiii, 30.
V. Ki-;i'. '\r^GzX):^ [t:5cv to [xyj è'jATirpcajGcV r^ç c'l/£wç crou -/.ai [-"z y.sxpuiji.-

ÎJ.svcv] àizo (joXi à-oy.3:Ay9[6]-(^(TeTaî [701* oh yip stJtiv -/.p-j-jr-rcv oùx savefpov
YsvYÎasTai] -/.al T£6a[j.[j,£vov s oùx hf^pf^-qi^TX'.. Jésus dit : Tout ce gui n'est
pas devant ta face et ce qui est caché pour toi te sera révélé. Car il

n'y a rien de caché qui ne sera manifesté, ni d'enseveli qui ne sera


ressuscité.Les réminiscences de Matthieu, x, 26 et de Luc, viii, 17,
sont évidentes. La sentence est donc authentique dans la mesure où
elle se rapproche du texte canonique A. —
VI. Il ne reste que des mots détachés de la sixième sentence. Voici
la restitution des éditeurs pour les quatre premières lignes 'E^£- :

Tai^GUŒiv aÙTbv c['. ;j.a6-^Tai xjtîj y.yl Xz^çouavr Ilwr vr^azzù\GO]}.t^ -/.ai t.mç, ]

\}.-J)x /.ai T.iùq


[
-/.^a', T'' r.y.Ç)Cl.:T^o^^<7\_o\J.^•')'\. Ses disciples ie questionnent
et Comment jeùnerons-nous
disent : et comment prierons-nous et
quel commandement garderons-nous? Jésus dit Ne ... de vérité...
:

bienheureux Barnes, dans The Guardian, 20 juillet 1914,


est celui...

restitue ainsi ce passage Les disciples l'interrogent et disent Com-


: :

ment jeùnerons-nous et comment (peut-être 7:poc7£u^w;j.£6a) prierons-


nous, et comment ... et qu'observerons-nous, pour avoir la vie?
Jésus dit : Comme font les hypocrites, ne faites pas, vous. Car ils
116 REVUE BIBLIQUE.

contrarient la voie de la vérité, et ils perdent la récompense cachée.


Et heureux celui pour qui une récompense est dans le ciel.
Swete donne une restitution différente pour la fin de la sentence :

Comment ferons-nous l'aumône, et quels devoirs avons-nous à obser-


ver? Jésus dit Voyez à ne pas perdre votre récompense. Ne faites
:

rien, sauf les choses qui concernent la vérité; car si vous faites ces

choses, vous connaîtrez le mystère caché. Je vous le dis : bienheu-


reux est l'homme caché qui...

Nous, n'avons pas de jugement à porter sur ces diverses restitu-


tions; elles sont conformes dans quelques détails aux enseignements
de Jésus dans les évangiles Mt. xix, 16-22; Le, xviii, 18-22. La
:

question que posent les disciples rappelle celle qu'ils font au Sei-
gneur dans Luc, xi, 1. Cette sentence n'est donc pas authentique
pour le texte, mais peut-être Test-elle pour le sens — P.

Voici maintenant fragment d'évangile tel que


le le restituent
Grenfell et Hunt. On peut le diviser en trois parties :

L [à]7:b irpwi 'é[(ùq o6à [xTjtJs ào £J7:[épaç iwç rrjpwi \j:rr-i ["fj
'^pcç-"^ ôfij.wv

-:( ça[Yr(T£ i^r^Ts] t^ (Ji[o\ri ij[;-Tv] t( svoûfaYjjaôs. [llcXjXw v.pEifjaovJé; [iaTs]


TO)v [y.pijvwv a-L[va ajù^dcvci cùoè v[-/iG]£i.... £v îyyn[Eq £]vo['j]tj,a li £v[....]

y.aiÛ!J.£Î?; t(ç av 7:poa6[£Î]-^ èzi. rçf T^kv/.{Tt ùij.wv ; 7.Wo[c ojtô(7£t i)\j.v) -l

£vo'j[j,a ùij.îov : Kayez en pensée du matin jusqu'au soir., ni du soir

jusqu'au matin, pour votre nourriture ce que vous mangerez,


soit

soit pour votre vêtement ce dont vous vous revêtirez. Vous êtes de
beaucoup meilleurs que les lis qui grandissent, mais ne filent point.
Si vous avez un vêtement, de quoi avez-vous besoin? Qui pourrait
ajouter à votre stature? Lui-même vous donnera votre vêtement.
Ce fragment nous donne des sentences du Seigneur analogues à
celles que nous trouvons dans Mt. vi, 20; Le, xii, 22, 23, mais les
leçons du papyrus sont en générai plus courtes que celles des pas-
sages correspondants des évangiles. Quand elles sont plus longues,
elles n'altèrent pas cependant En somme nous
le texte traditionnel.

avons là des variantes du texte canonique avec addition du membre


de phrase du matin jusqu'au soir, du soir jusqu'au matin, et emploi
:

du mot st:>.y;, que n'ont pas les synopticjuos dans ce passage A. —


11. Af^'CJaiv aj-(T) cl \).yMr-^y''. y.-j-.Z'J' Wz-.i r,[j.'.v iy.çx/r,: tzii -/.yÀ r.iit ~t

b'lz[j.i')y.\ A£Y£'." "Otxv l7.c'jzr,z(}z -/.y). ;;.y; y^z'/y^^r," \ Ses discii)les lui
direni :Quand nous seras-tu visible et quand
verrons-nous? te Il

dit : Quand vous serez dévêtus et que vous n'aurez point honte.
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRA.CANONIQUES. H7

Cette sentence ne se retrouve pas dans les évangiles, lesquels


ne
contiennent rien d'analogue. Elle rappelle un passage de l'évangile
selon les Égyptiens, que nous donnent Clément d'Alexandrie, Strom.
m, 6, 45, G3 et le Pseudo-Clément, xii, 2; nous en parlons plus loin.
» Dans notre fragment, dit Batiffol, et dans le texte de
l'Évangile

selon les Égyptiens, le tour de la question est le même, le tour de


la réponse aussi, et la réponse est dans deux cas une allusion à
les

l'état d'innocence décrit par la Genèse, m, 7. Cette réponse favorise


)

l'erreur des Encratites — N. A.


Le troisième fragment ne contient que des mots inachevés le
III.
:

voici tel qu'il a été lu par les éditeurs "Kk[t-(f ty;v y.XsTca] --^ç
[^vw- :
l
oùx] z\aT[k[^axz, -ml -olq] v.r!t^[-p\xi^oiq oh[v. àvsoj-
cewç £j-/.pû'i/[aTS, aÙTo't

%axz... Il disaitVous avez caché la clef de la science vous-mêmes;


:

vous n'entrez pas et vous n'ouvrez pas à ceux qui entrent...


Ce troisième fragment se rapproche du texte de Le, xi, 52; Mt.
XXIU, 13 : "lIpaTs --riv y./.eToa r?;ç yvwœsio;' ajto't oùv. e'.c7Y)X6xt£ -/.ai tcùç

3;7£p7oijivûu; â-/wAjaaT£. de Luc avec deux variantes et


C'est le texte

encore pour la première, r,paTs, nous avons le Codex de Bèze qui a


la leçon ï-Aç>ù<by-t comme notre fragment A. —

En 1908, MM. Grenfell et Hunt (1) ont donné un fragment d'un


évangile non canonique, trouvé comme les précédents à Oxyrhinchus.
Voici le texte grec, tel qu'il a été restitué par les éditeurs : TrpiTspov

r.fo [-ou| àoi/.-^uai -jrdcvTa cooi'^=.-ai. 'Alla Kpotsiyexz \j:r^ tmz v.a: ûp.£Îç ~cc o\}.oix

ajToT; Tràe-otE- cj ^àp àv toiç Cwoîç ;xiv;iç 7.TSky.\j&hzuzv) y. /.xy.oupyoi twv

àv[6pto7:]a)V àWy. [y.Jar, /.iXac-iv G-j;j.évo'jc7'.v y.ai r.0KKr,v [Sxcjavcv. Kai Tuapa-

/.a6à)v a'jToù; elGT^^a-^e^f £'.; abxo -:b à^vEur/^ptov za'. TrepuTCa-cst £v tw ispw.
Kat 7upoa£[A]6à)V ^apiaalbq -iq ocpyy.pzbq A£'j[£iç?] to '6wo[)m cruveTU/sv aùxotç

y.ai a[lr.z}> tw cra)[f^]pt, tiç è-JTÉTps'i^év ac. T.ocz[tv/] tcjts to àYV£UT-/ipiov v.a\

tOECv [xauj-a xà ayia (Ty.£u-/) H/<i-r£ }.oucra[[j.]£v[o)] îJ.[ïi]T£ xwv p.aO-rjTwv aou TOÙç

7:[6oaç ^aTCTiJÔÉVTWV ; àXXà [;,£[j,oA!j[[;.[;ivoç] èicaTYicraç tojto to t£pbv t[5':uov

cvj-a y.aOapov, 5v ouoelq a[Xkoq £'. y/r;] Xouffà[j.£vcç 7.a\ àXXà[^aç Ta £v5u][J.a-a

7:aT£!;, O'M ô[pav] ToX[;.a Taûxa Ta ayta cry.£Û-r]. Kal s[Tàr sjOecoç o ao)[rn]p ff[ùv

t]oTç j;.a6-^TaT[ç àTzv/.pifi-ri aÙTW, au ouv èv-cauOa wv èv tw. i£pw y.a6ap£Û£iç ;

aÙTw £y.£Îvoç, y.aOapEyo)' £X:u(7â;j/r,v y»? ^^ ttj X([;,vy] tou A[aU£iJo y.aà
A£Y£'-

01 k-zépaq y.XiV-axoç xàT£XOwv 3'.' ÉTÉpa; à[v]-^AÔov. Ka'i X£'jy.à ivouH-axa £V£-

ou7a;rr)v xai y.aOapà, y.al xb-t -^aOcv xa'i 7:poa£8X£'J;a zoù'Oiq -zoiq àyCoiq

Fragment of an uncanonical Gospel from Oxyrhinchus, Oxford, 1908. Le P. La-


(1)
article qui est
j;range a publié dans la Revue biblique, N"' Série, t. V, 1908, p. 538, un
il consulter sur ce fragment.
J18 REVUE BIBLIQUE.

(r/.£Ûsc7iV 5 aa)[rJ;]p -^zpoç, aj-:bv à-c[y.pi]6£t^ îîtzsv, cjaî, -doVS: ;j/J; cpwvTÎôjç*
(7'j ïkoùaM TOÛTOtç TCtç )^£op,£VOtç u[sai7f,v èv c'.ç x'jvs; y.al yoXpoi H^6XY;v|'"Taij

VU7.TCÇ -/.xl -/ii^ipaç. xal vt'!ii[j,£[v]cç tô èx-:bç oépî^a èjp/^ço), oizzp [xajl. ai

Tripvai xai a[l] a'jXvjTptosç [j/jp{[Ç]ou[aiv y.]ai Xououîjiv v.y}. crix-rj^cuai [xal -/.]aA-

>a.)-tvCUJi xpb- è7:t6u{;i[av tJwv àv[6pw7:]o)V evosÔev oè S7.s{[v{n)v zsrAjrjpwxa'.


cxop-i(i)v -/.aï [';:â'jr,q y.a]%îaç* Iyw oè xa?. cl [[}.abr,xai ;j.su] o'ùç aî'yîiç \J.r,

i3e6a[7UTia0at psSâljj-ij.sOa èv 'lIoaG-i s(t>[y;;; a'.wvioù toT]; âXOcuo-iv àTrcL.. àXlXà


Avant de provoquer injustement, ils rusent de toute
oboà \t:]oXç...
manière. Or, prenez garde qu'il ne vous arrive la même chose qu'à
eux, car ceux qui font du mal aux hommes n'en reçoivent pas seule-
ment autant parmi les vivants, mais ils endureront des châtiments et
beaucoup de tortures. Et les prenant avec lui, il les fit entrer dans
le propre lieu de purification et il se promenait dans le Temple
(hiéron). Or, un certain Pharisien, grand prêtre du nom de Lévy,
s'avançant, les rejoignit et dit au Sauveur Qui t'a pei'mis de mar- :

cher dans ce lieu de purification et de voir ces vases sacrés, quand


tu ne t'es pas baigné et que tes disciples n'ont pas plongé leurs
pieds [dans l'eau]? Mais étant impur tu as marché dans ce temple
(hiéron) qui est un lieu pur, où aucun autre homme ne marche s'il
ne s'est pas baigné et s'il n'a pas changé ses vêtements et [il n'a
pas l'audace de regarder] les v^ases sacrés. Et le Sauveur, se tenant
aussitôt deboîit avec ses disciples, lui répondit Et toi, qui es ici dans :

le temple (hiéron), es-tu pur? Il lui dit Je suis pur, car je me suis :

baigné dans la piscine de David et, étant descendu par un escalier,


je suis remonté par l'autre et j'ai revêtu des habits blancs et purs
et alors je suis venu regardé ces vases sacrés. Le Sauveur
et j'ai
répondit et lui dit : Malheur à vous, aveugles qui ne voyez pas!
Tu baigné dans ces eaux courantes où Ion jette, jour et nuit,
t'es

des chiens et des porcs et tu as lavé et oint la peau extérieure


que les courtisanes et les joueuses de flûte lavent, oignent et
embellissent pour le désir des hommes, mais au dedans elles [sont
remplies] de scorpions et de [tout] mal. Mais moi et jmes disciples]
que tu dis n'avoir pas été lavés, nous avons été plongés dans les
eaux de la vie [éternelle] qui viennent de... Mais malheur aux...
Cet épisode rappelle la discussion entre Jésus et les Pharisiens
lui reprochant que ses disciples ne se mains
lavent pas les
quand ils se mettent à tal)lc, Ml. xv, 1-20; Me, vu, 1-23. Mais dans
l'évangile il s'agit de savoir ce c[ui souille et ici il s'agirait plutôt
de savoir ce qui purifie. D'après notre fragment l'eau naturelle est
incapable de purifier, mais les disciples ont été purifiés par les eaux
de la vie éternelle, ce <]ui nous rappelle des passages du IV'' évangile
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANOMQUES. 110

et de l'Apocalypse. Peut-être avons-nous là un écho affaibli de ces


écrits? Mais on ne peut tenir cette conversation entre Sauveur et le

le grand prêtre pharisien comme autlientique. Ainsi que le fait


remarquer le P. Lagrange, l'eau vive de saint Jean est donnée à
ceux qui ont soif, celle du fragment sert à un bain. De plus, il est
contraire à la façon de parler du Seigneur dans les évangiles que
celui-ci se mette sur le môme pied que ses disciples. Enfin, en pro-
testant contre l'usage de l'eau dans les purifications et en l'opposant
à l'action efficace d'une eau surnaturelle, cela peut signifier que
l'eau est inutile à ceux qui sont purifiés par l'Esprit ou, tout au
moins, c'est insister sur le rôle inefficace de l'eau dans un baptême
par l'eau, si l'on n'y joint le feu et FEsprit. Nous en conclurons donc
que les paroles mises dans la bouche du Sauveur ne sont pas
authentiques, bien que, en quelques détails, elles se rapprochent de
la tradition évangélique N. A. —
V. Les écrits des Pères de l'Église et des hérétiques.

Clément Romain, dans son épitre aux Corinthiens, xiii, 2, rapporte


des paroles du Seigneur qui rappellent de très près celles que nous
lisons dans Mt. vi, li, 15; vu, 1,2, 12; Le, vi, 31, 36-38, et y ajoute
cette sentence m- ypr,<y-z-jéG^e, sjtwç ^pYjaTsuOr^CTSTa'. •J[j.Tv. Selon que
:

vous êtes bienveillant, ainsi l'on sera bienveillant envers vous.


Cette sentence, enchâssée dans des paroles authentiques du Sei-
gneur, présente le même caractère que celle-ci et doit être authen-
tique — A.

Nous lisons dans l'épître de Barnabe, vu, il : Ojtoj, sy;::(v, o': OéXovté^
;xî '.oîtv 7.ai a6aaGa{ [aou t^^ [i7.(jiKzi<xq oçsiXcuaiv GXiêÉv-âç y.x\ 7:aOôv-cç XaôsTv

;j.s Ainsi, dit-il, ceux c[ui veulent me voir et atteindre mon royaume
doivent m'obtenir par laffliction et les souffrances.
Avons-nous là une citation d'une parole du Seigneur ou une con-
clusion que l'auteur a tirée de l'exposé précédent? Les commenta-
teurs de l'épître ne s'accordent pas sur ce point. Toutefois le rap-
port assez étroit qui existe entre ce passage et celui des Actes,
XIV, 22, que Prochorus donne comme une parole de Jésus, nous
inclinerait à y voir une sentence authentique du Seigneur. O'Sxmç
Y^p, lisons-nous dans Prochorus, Acta Joannis, éd. Zahn, p. 83, Outw;
ivïTîiXx-o Xc'ywv* '.soj aTîOffTiXXw (7£... 7.a; TcâXiv î'Ittsv iQl^'iV' sti
Y3cp \J.z\
120 REVUE BIBLIQUE.

c'.i zcA/aov (f/J.àzMV c£i 0;x3tr sÎcjsXOîTv e'.ç Tr,v i^aatAsiav tou ©sîîj. Car il

m'a ordonné ainsi, disant : Voilà que je t'envoie... et il nous a dit de


nouveau : Il faut entrer dans le royaume de Dieu à travers de nom-
breuses tribulations. Cette sentence se rapproche assez des passages
des évangiles, Mt. v, 10; x, 38; xvi, 24; Me, où Jésus ensei- viii, 34,
gne que celui qui veut être son disciple doit renoncer à soi-même.
La sentence de l'épître de Barnabe peut, par conséquent, avoir été
inspirée par ces paroles authentiques du Seigneur P. —

Faut-il voir une parole du Seigneur dans ce passage de la Didachè,


1, 6? 'AAAa "/.al 'TTspi TOUTOU or, eipr,-<x.i' '.opwa-âTW -/j èÀ£*^iAO(juv/; o-ou zlç Taç
ytipiç aou, [^i'/pi? âv ^vw; ''.'n cm;. Aussi a-t-il été dit à ce sujet : Que
ton aumône transpire dans tes mains, jusqu'à ce que tu saches bien
à qui tu donnes.
Aucun écrivain antérieur à la Didachè n'a cité cette sentence ou
une parole analogue; on la retrouve seulement dans les écrivains
subséquents : Augustin, Grégoire le Grand, Cassiodore, Petrus Comes-
tor, Bernard, mais aucun ne la donne comme une parole du Sei-
gneur. Ce conseil de prudence nous paraît éloigné de l'esprit de
Jésus, qui recommande de donner à quiconque demande. Le, vi, 30;
Ml V, 54, Bemarquons cependant qu'elle est citée comme une addi-
tion ajoutée à des paroles authentiques du Seigneur — D.

Ignace martyr, Ad Si7iyrn. m, 2, rapporte les 'paroles suivantes


du Seigneur : "Ecp'/j aÙTcTç' a:zocTS, àr[Kaor^c(x-i \}.t 7.a"i ïgets, cti cj-/. v.\j}.

02i[^.ovtov àaw[j.aTov. Il leur dit : Touchez-moi, palpez-moi et voyez


que je ne suis pas un esprit sans corps.
Ce logion rappelle de très près la parole de Jésus à ses disciples
rassemblés. Le, XXIV, 39 : \^-qKa.or^ao:-i \j.t y.yX î'osTî, c-t 7;v£U[J,a ŒJtpy.a xat

hz-ioi cjy. £-/£', -/.aôô); ï\j.ï OstopsiTS ïyyny.. Palpez-moi et voyez, car un
esprit n'a pas de la chair et des os comme vous voyez que j'ai. On ne
peut donc pas tenir cette sentence rapportée par Ignace comme
nouvelle; elle était déjà connue par l'évangile de Luc. Il est possible
même que la forme sous laquelle il en donne une partie ot-, o>/, z'.]j\ :

oaii;.ôvf,ov às(.)[xaTcv, Soit plus primitive que celle de Luc, c-i r.')t\»'^y.

aipv.oi y.a't ia-ix cjy. eysi. D'après Origène, Dr Princip. Prooem. c. 8,

la Doetrina Pétri rapporte la parole du Seigneur de la même façon


qu'Ignace martyr : Non sum daemoniuni iucorporcum. Saint Jérôme,
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 121

Prooem. in lih. xviii Esaiae, a Ju : incorporale claemonium dans


l'évangile selon les Hébreux — A.

Nous dans Justin, Adv. Trijph. xii, cette sentence


lisons SaScari- :

livt 'j\xx: b y,y.v>lz v;;/:; v.y-y.'nl: ïHtKz'.. La loi nouvelle veut que vous

observiez continuellement le Sabbat. De même, dans Tertullien, Adv.


Jiid. IV Sabbatizare nos ab omni opère servili semper debere, et
:

non tantum septimo quoque die, sed per omne tempus, sentence que
les Masbothéens, d'après Ps.-Hierooymus, Indiculus de haeresibus,
attribuent à Notre-Seigneur Masbothaei dicunt ipsum Christum esse
:

qui docuit illos in omni re sabbatizare. Il est possible que cette sen-
tence soit une interprétation des enseignements de Notre-Seigneur
sur le sabbat — P.

Adv. Tnjph. xxxv, rapporte des paroles du Seigneur qui se


•Justin,

rapprochent beaucoup de paroles évangéliques -J.r.z •;7.p- -o'kkol kXzù- :

ffîv-ra'- è-l Tw sv3;j,aT( ij-ij, et irajoute : v.xl eacv-ra'. cyid'^.x-y. -/S', ylpizv.z '. et

ily aura des schismes et des hérésies. Nous retrouvons cette sen-
tence, mais moins complète, dans les Homélies Cl. xvi, 21 eaov-ai :

vio, tî); = Kôp'.s; eitev, ... a'pÉffsiç; elle est aussi dans Lactance, Div.
Inst. IV,30 et dans Didyme, De Trinit. m, 22. Toutes ces citations
rappellent cette idée qu'il y aura des schismes et des hérésies, idée
qui se retrouve dans la première épître de saint Paul aux Corinthiens,
XI, 19 : AsT Yap y.y}. ylpi-^i: h JiJ.Cv c'!vau II est donc très probable que
cette sentence est authentique — P.

La sentence que Justin, Adv. Trijph. xlvu, attribue au Seigneur :

Aib y.x't '/ji^i-rspo; Kjp'.c; 'I'/;croliç Xpvjxoq dr.vr h oT; av û^j-xç 7,a-aXâ5a), èv

-zù-c; v.'A pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit


v.pvfî;) : C'est :

Dans l'état où je vous surprendrai, je vous jugerai, parait être authen-


tique; elle a bien le même caractère que les paroles du Seigneur
dans les évangiles, dont elle rappelle divers passages, Mt. xxiv, iO-
42; XXV, 13. Nous la retrouvons dans la littérature chrétienne subsé-
quente Vitae Patrum, éd. Coteier, Eccl. Graec. Mon. p. 821; Clé-
:

ment d'Alexandrie, Quis dives salv. xl; Cyprien, De Mortalitate, 17;


Ps.-ÂTHANASE, Quaest. ad Antiochum, 36, etc. A. —
122 REVUE BIBLIQUE.

Le logion que rapporte le Pseudo-Justin, De Resurr. c. : KaOôjç


{ipr,v.zv èv cjcavo) ty^v 7.y.-ïciy.r,tjiv TiIxmv ù^ipyiiv : Comme il a dit : Notre
demeure est dans le ciel, parait authentique à Resch, p. 103. Pour
lui, ce serait une citation littérale, sous forme indirecte, de la parole
du Christ qui a donné naissance à divers passages des épitres de
saint Paul : Tjtj.wv yàp -zb t.cX'-z\j[j.(x h cypavotç ù-âpysi, Philip, ni, 20; cf.
Il Cor. V, 1, que cette sentence
2; Héb. xiii, li. Ropes, p. 32, pense
rapportée par Pseudo-Justin serait simplement un développement de
la parole de Jésus èv -r^ z'vdy. tij xatpôç ;xcj \}.z'>t. -oWai slcnv, Jn, xiv,
:

2, ou bien l'auteur a-t-il cité le passage de Fépitre aux Philippiens,


mais peu littéralement et en croyant que c'était une parole du Sei-
gneur P. —

Les Ordonnances apostoliques des apôtres, xxvi, citent une sen-


tence : xpcÉASY- V^? VM^' '^~- îî'-îaff'/.sv Ôt'. ~o às-Osvè;; oià toj l^yopcX) i(<if)r-

ceiy.'. : nous a dit d'avance quand il a enseigné que le faible


Car il

sera sauvé par le fort, que nous retrouvons littéralement dans le Judi-
cium Pétri, c. 26. Elle se rapproche de la parole de Jésus Où -/psîav :

iyc-j7v/ 0'. î(7"/'J2VTîç '.y.-po\J àXX ci v.xvSoq ïyo^-ec, mais surtout de cette
sentence d'(higène, m Mt. T. XIII, 2 : y.xl 'Ir^^o^jq yoDv or^a^iv* c-.i -cl,:

àjOsvcûviaç v^ffOÉvijv. Resch, p. 104, la source de


Faut-il y voir, comme
ce passage de la première épitre aux Corinthiens, i, 25 -l àadz^/ï: :

Tou 0£oîi î(j)jupè-:spcv to)v àvOptoTrwv èa-tv? Cela nous parait douteux. Nous
trouvons d'ailleurs dans les épitres pauliniennes, / Cor. viii, 7 ss. ;

IX, 22; // Cor. xir, 9, des idées analoi^ues à la sentence précitée,


ce qui nous inclinerait à croire que nous avons là probablement une
sentence plus ou moins littérale du Seigneur P. —

Les Homélies Clémentines, m, 55 citent comme parole du Seigneur


cette sentence : ïor,' b -zrr^p'zz ïz-.vi z r.tipiZi<yi. Il a dit : Le malin est
celui qui nous tente.
Resch, p. 105, une parole autheuti<jue du Seigneur;
y voit
Ropes, p. 75, pense que nous avons là un résumé aphoristique du
passage de l'épître de Jacques, i, 13, IV, où il est parlé de la tenta-
tion — 1».
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 123

Nous lisons daus l'Epitome Glementina prima, c. 9G : O Kûpto?

•r;;j,wv 'It]«joOç Xpiatbç b uVoq zou 6£0J à's-r;* tx à-j'aOx à/.OîTv Ssi, [/.ay.âptoç ce,

©•/;aiv, Si' OJ 'épye-ai' o[ioCiùq y.a'. Ta y.zy.à àvxY/.r, èaÔsîv, cjx'. oà to) àvôptoTiw

0',' Notre-Seigneur Jésus-Christ le


ou épyz-oLi. Fils de Dieu a dit :

Les bonnes choses doivent arriver; heureux, dit-il, celui par qui

elles arrivent.Semblablement il est nécessaire aussi que les mau-


vaises arrivent, mais malheur à l'homme par qui elles arrivent.
La même sentence est attribuée au prophète de la vérité par les
Homélies Clémentines, xii, 29. Aphraates, Hom. V, rapporte aussi
cette sentence. Resch, p. 107, la croit authentique. Il semble cepen-
dant que nous avons dans la seconde partie simplement une repro-
duction presque littérale de la parole du Seigneur àviyy.v; yocp èXOsiv :

Ta ay.i'^oa.Ax, -A-J;v cjai to) àvOpwTrw oi ou -ïb (7XxvoaA:v ïpyt-y.\^ M t. xviil, 7 ;

Le, XVII, 1. La première partie de la sentence serait une réplique


de la seconde — P.

D'après les Homélies Clémentines, xix, 2, après avoir dit à ses


disciples : 'O oï -.o y.ay.bv î-Ép.y.a -TisCpaç ka-h b oiaêcAoç : Celui qui sème
la mauvaise semence, c'est le diable, sentence qui rappelle de près
celle de Matthieu, xiii, 39, le Seigneur ajoute Wq ob-z -pôç/aatv :

TCO t:cvy;pÇ) Ne donnez pas un prétexte au malin, ce qui se rapproche


:

de Mr,ok oîsots to tôxov tû oiaosAw, Éph. iv, 27. Nous n'avons pas de
:

raison de croire que cette addition au texte canonique est authen-


tique — N. A.

Clément d'Alexandrie, Strom. v, 10, 6i, rapporte que le Seigneur


aurait dit dans un évangile MujT/ip'.sv £;xsv ï[j.zi l-à -zi: i»[ciç toîj o'iV.su
:

l).z-j. Mon mystère est pour moi et pour les enfants de ma maison.
Les Homélies Clémentines, xix, 20, rapportent la même sentence :

~a \).'jGTfipio: kiiol y.ai tcî; uîcT;; -.oXi oî'xcu \j.o-j -:'jA7.;xts. Gardez les

mystères pour moi et pour les fils de ma maison. Nous la trouvons


encore dans Théodoret, in Ps. lxv; saint Jean Chrysostome, in Ep.
ad Cor. Hom. VII, 2; dans saint Jean Damascène, Sacra Parallela,
lit. 0, 0pp. II. Ce qui pourrait nous faire douter que nous avons

là une sentence de Jésus c'est que nous la retrouvons littéralement


dans un passage d'Isaïe, xxiv, 16, dans les traductions de Symmaque
et de Théodotion D. —
124 RKVUE BIBLIQUE.

Divers écrivains ecclésiastiques, Clément d'Alexandrie, Stro?n. i, 2i;


Origène, De Orat. libell. 2 et 14; Selecta in Ps. iv; Eusèbe, m
Ps. XVI, 2; Ambroise, jEp. I, 36 ad Horont., ont attribué au Seigneur
ces paroles : Aî-cTtrÔs yap -x '(j-îv^Xa, y.a'i Ta !j-i/,pi ûpiv "jrpCTTsO-^ss-au Car
demandez les grandes choses vous seront ajoutées.
et les petites
Elle est encore dans une forme légèrement difl'érente dans Clément
d'Alexandrie, Origène. Son caractère évangélique ressort de la com-
paraison avec M/, vi, 33; vi, 19, 20; Le, xii, 31, 33 A. —

Voici une sentence qui se trouve répétée souvent dans la littéra-


ture ecclésiastique : Ftveffôc oèo bv.v^.oi -zpxr.aZi-xi, Glém. d'Alex. Strom.
1, 28, 177; ait (Christus) : Estote prudentes nummularii, Origène, in
Mi. T. XXVII; Cvrille de Jérusalem, Catech. vi, 26; Basile, inlesaiam,
1, 22; Ps.-Athanase, Ho/a. in Mt. xxi, 8 et les écrivains subséquents,
Cyrille d'Alexandrie, Césaire, Jean Damascène, etc. Voir les textes
complets dans Resch, Agrapha, 2' éd. p. 113-122. Cette sentence
est probablement une addition ou une conclusion à la parabole
des talents. Elle a été attribuée au Seigneur Quod : ait Christus
(Origène); Salvatoris verbadicentis (Jérôme); -rbv cto-r^pa tlzr^y.hxi -z ...

(Vila S. Syncleticae)\ elle est donnée comme Écriture : -ml r, -^{pxzr,

zapaivcT (Clément d'Alexandrie); v.o^^y. tyjv ypaartv (Origène), et même


comme étant contenue dans les évangiles : c Qzhq èv sJaYYSAÎo'.; hr,7''.

(Césaire) ; 'éor, ev -rw s^av^sAto) (Apelles) ; secundum illam evangeli-


cam parabolam Nous devons en conclure que l'antiquité
(Cassien).
ecclésiastique a tenu pour une parole authentique du Seigneur la
sentence : vivscOs BbY,i\>.zi -pxizz'Ç'-oii — A.

La sentence : Kal c Kupioç" ècÉXÔE-s, sIzîv, kv. twv c£7;x(7jv c: OéXcvte^.


Et le Seigneur dit : Vous qui le voulez, sortez des chaînes, que Clé-
ment d'Alexandrie, Strom. vi, 6, V\, attribue au Seigneur, est proba-
blement authentique, car elle répond à l'ensemble des paroles de
Jésus sur la loi — P.

Resch (p. 129) tient pour authentique la sentence suivante mise


par Clément d'Alexandrie, Eclog. Proph. %, 20, dans la bouche du Sei-
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 125

gneur : 'AâsA^o^ ;xou yip, fqah b Kjp'.:;, y,al au7XAr(pov6^,ct ol -cioïvtsç -o

OéKr,[j.a -.Cl) Tzarpôç ;xou. Mr, y.aXsr^-s cuv sauToTç Tzazépy. krJ. --qç, y?;?* oea^sTat

-.'àpÈTUiT^ç Y^ç, £v CE o'jpavofç 5 -x-:r,p, à; ou Tzaaa zaTpia Iv tô oùpaviïç y.at

è-l T'^ç Y'^ç. Mes frères, dit le Seigneur, et les cohéritiers,


faisant la

volonté de mon Père : N'appelez donc pas Père pour vous-mêmes


quelqu'un sur la terre, car sur la terre sont des maîtres, mais dans
les cieux est le Père, de qui vient toute paternité et dans les cieux et
sur la terre.
Cette sentence rappelle à Resch des paroles évangéliques Mt. xii, :

50; XXIII, 9 r.y-ipx ;r/; y.aXécr-^-s û-j.wv ïrd -.^; '(r,q' £'.; ".'âp è—iv û[;.ôJv b
:

^aTY]p ojpâv'.=ç ; Me,quelques passages des épî-


III, 35; Le, vm, 21 et

tres de saint Paul, / Cor. vm, 5 Éph. m, 15. Il est possible que cette ;

sentence soit un souvenir affaibli des paroles du Seigneur. Ropes,


p. 27, pense que Clément d'Alexandrie a cru citer une parole du Sei-
gneur, tandis qu'il citait des paroles apostoliques. D'après lui, il est

peu vraisemblable que cette sentence soit authentique — D.

Nous lisons dans les Didascalia, n, 8 '/A';ii vàp Ypacpv^- : r, xrr,p àcbv.iy.zq

à-EÎpaa-oç, et dans la traduction latine des Didascalia, xi : Dicit enim


scriptura : Vir, qui non est temptatus, non est probatus a Deo. Cf.

Cyrille de Jérusalem, Caleeh. mijstag. v; Cassikn, Coll. ix, 23;


CuRYSOSTOME, 0pp. II, 506, éd. i>Iontfaucon. Nous trouvons des idées
parallèles dans Jcq. i, donc possible que
12; I Pierre, i, 6, 7; il est

la sentence précitée en soit une reproduction plus ou moins rappro-


chée et non une sentence authentique du Seigneur. Cependant, Ter-
tullien. De Baptismo, c. 20, semble la lui attribuer. Après avoir cité
la parole évangélique Vigilate et orate, inquit, ne incidatis in ten-
:

tationem, il émet quelques considérations qu'il appuie en ajoutant :

Nam et praecesserat dictum Neminem intentatum régna coelestia :

consecuturum — D.

Il est possible que la sentence suivante attribuée à Jésus par Ori-


gène, in Mt. T. XIII, 2 : Kai 'I-^crouç -'oDv or.^v)- où toj? àcrOsvojv-aç -qG^it-

vojv 7.yX où. -.Z'jq r.ivnoy-x; È-£ivwv xai 5tà tojç oi'iwvTa; èoi'I^wv : A cause de
ceux qui sont malades, je suis malade; à cause de ceux qui ont faim,
j'ai faim à cause de ceux qui ont soif, j'ai soif, soit authentique, car
;

elle se rapproche beaucoup des paroles du Seigneur dans Matthieu,


XXV, 35, 36. Il est vrai qu'il est possible qu'elle ne soit qu'une adapta-
126 REVUE BIBLIQUE.

tion de celles-ci. Cependant, Origène n'a pas l'habitude de citer des


paroles apocryphes du Seigneur — P.

Nous lisons dans le De Aleatoribiis. c. 3, la sentence suivante :

Monet Dominus et dicit Nolite contristare Spiritiim Sanctum, qui in


:

vobis est, et nolite exstinguere lumen, quod in Tobis effulsit. Elle


rappelle des passages des épitres de saint Paul, Èplu iv, 30; / Thés.
\, 19, et pourrait bien n'en être qu'une reproduction peu litté-
rale — D.

Il est difficile de tenir pour authentique la sentence citée par le

I^eudo-Cyprien, De duobi(s montibiis, c. 13 : Ipso nos instruente et


monente in epistula Johannis discipuli sui ad populum : Ita me in
vobis videte, quomodo quis vestrum se videt in aquam aut in spécu-
lum. Cette épitre de Jean est un écrit inconnu. Il est possible que
cette sentence soit une réminiscence ou une interprétation des pas-
sages suivants : / Cor. xni, Ki; // Cor. m, 18; Jcq. i, 23 — N. A.

Dans son épitre aux Éphésiens, iv, 20, saint Paul leur ordonne :

'0 t^"A'.2ç jxY) ï-'.o-A-A<-i k~\ r.y.ç>oa-'(i:j[)Z) jy.wv. Que le soleil ne se couche
pas sur votre colère. Polycarpe, Ad Philip, xii, 1. cite la même sen-
tence. Un traité du x*" siècle : De recta fuie, sect. I, dit quelle est

dans l'évangile au Seigneur. La Vita S. Syncle-


et ailleurs l'attribue

ticae l'attribue au Sauveur. Bien que cette sentence nous rappelle


des enseignements du Seigneur, Mt. \, 22, 23, nous ne la croyons
pas authentique comme parole du Seigneur dans la forme précitée
— N.A.

La sentence citée par les Didascalia, v, 15 : A-.i tijt: /.ai b -m sj^y-


v£Aiti) -ozt'.^r^y.y.' 7:::-3>/£îOî û::èp twv ÈTrOpwv u;j,o)v" y.7.\ \).(xy.xpiz'. c': -evOûDvteç

r.ipi -rfjç T(T>v àziJTwv àr.oKt'.x:. C'est pourquoi j'ai dit auparavant daus
l'évangile : Priez pour vos ennemis et heureux ceux qui pleurent sur
la perte de ceux qui ne croient pas, doit être une combinaison de
Mt. \. 44 et de Mt. v, V, avec l'addition secondaire, -ip\ -.?,: twv xt.(-
cTwv xt.c'kv.x; — N. A. pour celte addition.
LES SEiNTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 127

A^\\T?Ldites [Texte und Uiiters. III, 3, i) expliquant la parabole de


Le, xviii, 1-8, traduit le ^ 1 de la façon suivante : Notre-Seigneur dit :

Priez et ne soyez pas fatigués. Dans Luc, il y a : "EXcvsv oè 7:apa6oXï;v


aj-oîç'Tcpbi; to cîÏv TràvTCT; xpocsuyctrOat. xai \j:r^ èvy.ay.stv. La sentence citée
par Aphraates est peut-être une citation peu littérale de ce passage de
Luc P. —

Il est difficile de tenir pour authentique la parole attribuée au


Seigneur par les Constitutions apostoliques, ii, 60 : IIw; ce cjyl xai

vliv èpef TOJ Tcojxw b Kupioç' èoizattoô'/] xà 'é^vr^ \j~ap u[J^ocç ô'yar.zp xai ty;v

'IspcuaaXïjjx bwzioi'Çuiv fXevçv' èor/.atwOV) Sioo[;,a iy. aou. Mais comment le


Seigneur n'a-t-il pas dit à cet homme : Les Gentils ont été justifiés
plus que vous, comme il a dit lorsqu'il faisait des reproches à Jéru-
salem : Sodome a été justifiée plus que vous. Origène, in Jerem.
Hom. VIII, 7, donne aussi la sentence : 'Eoixa^ôô-^ yàp ^boo\j.y. sx aou.
Ces sentences doivent provenir d'une application des paroles d'Ézé-
chiel, XVI, i8, i9, 52 et de Luc, x, il — N. A.

Les Constitutions apostoliques, vi-, 18, mettent dans la bouche du


Seigneur les paroles suivantes : OlxoiÛQi xsp't wv -/.ai ô Hûpioç, r.vApMç /.al

ai:o-:ô[)Mq xizzoTfVixxo Asyiov o-i tlal 'heuoby^pia'îci v.al dtsuoooioàffxaÀoi c[

,8Àa(73/'r][^/f,a-av-£-; xb 7:v£U[;,a if^q yipi-coq y,x\ à7ûOT;x!J!7avxî^ xf^v r^y.p' aùxoli

owpsàv î^.sxà x-^v '/aptv, clç eux àçsG'/^a-cxa'. cjxî Iv xw atwvi xcjxw o'Jxî Iv xw
fjLÉAAcvxt. Ceux-ci sont ceux au sujet desquels le Seigneur s'est pro-
noncé disant avec amertume et sévérité Ceux-ci sont de faux Christs :

et de faux disciples ceux qui ont blasphémé l'Esprit de la grâce et


ont méprisé le don qui leur a été fait après la grâce (du baptême) et
à qui il ne sera pardonné ni dans ce siècle-ci, ni dans celui qui vient.
Ce passage est un mélange de textes canoniques, Mt. xxiv, 24;
XII, 32 et de conclusions théologiques : àTcixxjcravxsç ss. — N. A,

Nous avons dans la sentence du Seigneur que cite Éphrem,


Evang. concordante Expositio, éd. Môsinger, p. .50 Elegi vos ante- :

quam terra fîeret, une conibioaison de Jean, xv, 19 et de Éphé-


Siens, I, k '.
KaOcoç èçs/.s^ax: 'riixSç èv atjxw r^ph Ly.zo.bzuf^z 7,:7|j.cu — N. A.
128 REVUE BIBLIQUE.

La sentence citée par Didyme, De Tria, m, 22 : -/.ai [5 Xpicr-bç] s'-wv


ibç xaétcty;; v) vuxtI epye-xi -q nzXz'^-aîoi. r^yApy.. Et le Christ disant ; Le
dernier jour vient comme un voleur pendant la nuit, et par Épiphane.
Ancor. en termes un peu difiFérents, est-elle authentique ou
21,
plutôt n'est-elle pas un souvenir de paroles authentiques du Seigneur.
Mt. XXIV, 42; Le, xii, 39? Saint Paul, / Thess. v, 2, présente la même
idée, mais sous une forme difFérente — D.
*

A la parole authentique du Seigneur •.


"AHio; -.'àp s àp^â-:-/;; tsj

(j.ic7Goy ajTij : L'ouvrier mérite son salaire, Le, x, 7, Épiphane,


Haer. lxxx, 5, ajoute : xat àpy.îTbv -rw £pYa!^C[J.cvw r, -pcs-r; aù-rcu : et
suffisante pour le travailleur est sa nourriture, ce qui nous parait
être une glose complémentaire de la première sentence N. A. —

La sentence que rapporte Jérôme, Ep. ad Pamina- in Ezech. xvii ;

chiimi : Taie quid et illud Evangelii sonat Est confusio quae ducit :

ad mortem et est confusio quae ducit ad vitam, reproduit à peu près


textuellement un passage de la-Sagesse de Sirach, iv, 21. Remar-
quons que Jérôme n'attribue pas cette sentence au Seigneur, mais
la juge seulement évangélique N. A. —

Les paroles que Macaire, Hom. XII, 17, met dans la bouche du
Seigneur '0 Kjpioç sasysv ajtoTç" ti hy:j\).y.'Ct-.t -y. rr^\j.tly.: vXr^pz-)o\)J.y^t
:

;j.r,'âAr,v S{so);j.f. Jy.tv, Le Seigneur leur dit


r^v eux r/si c -/.i'-y^z l\z: : :

Pourquoi vous étonnez-vous des miracles? Je vous donne un grand


héritage que le monde tout entier ne possède pas, me paraissent être
inspirées par des paroles authentiques de Jésus, J/i, iv, J8; i, ÔO;
XVII, 9, l'i. ou n'en être qu'une paraphrase N. A. —

ne nous semble pas non plus que les paroles du Seigneur rap-
Il

portées par Macaire, Hotn. XXXVll W'/X icv.:j(.)v t;j Kupî^u \é^(zy-:z' :

i~i\Js\s.îG()t zîJTcWç y.ai kK7:iooz, ci »ôv YîvvàTa:', c s'.AcOsbç v.y. siXavOpioTC?

àyâz-/; r, -rbv a-or/tcv Zurr,-/ r.yptyzXtzy.. Seigneur disant


Mais écoutant le :

Prenez soin de la foi et de l'espérance desquelles naît la charité aimant


LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 129

Dieu et les laquelle obtient la vie éternelle, aient une saveur


hommes,
évangélique. Les trois vertus, la foi, l'espérance et la charité sont
des vertus chrétiennes, mais ne se trouvent pas réunies clans les
évangiles — N. A.

11 est inutile de citer les sentences attribuées au Seigneur dans les


Homélies Clémentines, m, 52, 53; xi, 26; Clément d'Alexandrie,
Quis dives salviis, c. 37: Épiph. Haer. lxix, 53; lxix, 63; lxxvi, 6;
le codex copte Brucianus, éd. Schmidt, p. 5VT. 548, etc. On les
trouvera dans Resch, p. 161-165; ce ne sont que des citations pkis
ou moins littérales du IV" évang-ile.

Nous ne citerons pas non plus enseignements sur la fertilité de


les

la terre et l'abondance de ses productions dans le futur royaume

millénaire que Papias, Irénée, Aclv. Haer. v, 33, 3, 4, attribue au


Seigneur. Il ressort du texte lui-même que jamais Jésus n'a prononcé
de semblables paroles — N. A.
*

La sentence que Barnabe, vi, 13, attribue au Seigneur : Aiye', oè

Kjjpiîç- \ooh xoiw Ta ÏQyy.-y. w; -% ^ptota : Or le Seigneur dit : Voilà que


je fais les dernières choses comme les premières, sont une transpo-
sition du texte de Mt. xix, 30; xx, 16 — N. A.

Les paroles du Seigneur dans le Ps. -Clément, iv, 5, sont un composé


de divers textes évangéliques, Mt. v, 73; Le, xiii, 27, ainsi que
V, 2-4, qui réunissent Le, x, 3; Mt. x, 16; Le, xii, 4, 5; Mt. x, 28;
Jn, X, 12 — N. A.

La sentence attribuée au Seigneur par le Ps. -Clément, viir, 5 :

Asyst yàp ô Kupioç àv tw zjy.-^^ùdi)y v. -.h \J.iy,po^/ olv. k-r,pTtGaTe, xb [Asya t(ç

6;j,îv owaîi; Aevo) v^P 'Jp-i^v,- oti 6 tj.z-z: Iv çAayî^Tto y.y.: îv ttoA/uo ~iz'.::

èaTiv : Seigneur dit dans l'évangile Si vous n'avez pas gardé


Car le :

ce qui est modique, qui vous donnera ce qui est grand? Car je vous
le dis Quiconque est fidèle dans les moindres choses sera aussi fidèle
:

dans les grandes, est dans sa seconde partie une citation de Le, xvi,
REVIE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 9
130 REVUE BIBLIQUE

dans la première une interprétation de Le, xvi, 2


10, et — N. A. pour
la première partie.

Nous avons une amplification de la seconde sentence, donnée


aussi par Ps. -Clément, viii, 6 "Apa ouv -cDto aeysi" vqç)-<]<jy.iz tyjv uâpy.x
:

«YVYjv xa\ TY)v o-opavTooc ào-T:iAcv, ïva 'rY;v akôvtov !^(j)Y)v àxoXàêwiJ.sv. Puis il

dit donc ceci Gardez votre cliair chaste, et votre sceau immaculé,
:

afin que nous recevions la vie éternelle N. A. —

Nous ne pouvons voir des paroles authentiques du Seig-neur dans


les suivantes que Justin, Adv. Tri/ph. xxxviii, lui attribue OIIt. zv. :

xo',y;toû twv oXoiv y.at TïavToy.pa-opo; Oscli. Je sais que comme le dit le

Verbe de Dieu : Cette ^^rande sagesse du créateur de toutes choses et

du Dieu tout-])uissant vous est cachée. Ces paroles sont trop éloignées
de la façon ordinaire de parler du Seigneur. Elles rappellent plutôt
/ Cor. C 19-2-2; ii, 7 — N. A.

Justin,Adv. Tryph. li, met dans la bouche du Seigneur un résumé


des événements qui doivent précéder et suivre sa passion. Ces paroles,
tout en reproduisant plus ou moins le texte évangélique, n'ont pas dû
être prononcées sous cette forme — N. A.

Nous ne pouvons tenir pour paroles du Seigneur celles qui lui sont
attribuées par les Homélies Clémentines, ii, 17; elles dérivent du
eh. XXIV de Matthieu — N. A.

Athenagoras, Lcgatio, 32, introduit par ces mots jy.-rv aévivtcç -z'j :

"a:Y3j, une suite d'enseignements qui


ne répondent pas aux enseigne-
ments du Christ, ni à sa façon de s'exprimer. Il n'est pas certain d'ail-
leurs que le "asyc; mentionné ici soit le 'k'z^^zz divin; il est possible
que ce terme désigne simplement une maxime, une sentence N. A. —

La sentence attribuée au Verbe par saint Irénée, Adv. Haeres.


LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 131

V. Uuemadniodum Verbum ejus ait, omnibus divisum esse a


36, 2 :

pâtre secundum quod quis dignus est aut erit, se rapproche de Mat-
thieu, XXV, 15. Le style indirect indique une citation ad sensum;
la formule n'est pas conforme au style évang-éîique — N. A.

La sentence que Théodote, Cloient d'Alexandrie, f 2 des Excerpta


Theodoti, met dans la bouche du Sauveur Atà toutq \i^zi à aiùT-rip' :

t7w^ou (7Ù /.al thuxn «îs" C'est pourquoi le Sauveur dit


Y] • Sauve toi et ton :

âme, rappelle des paroles canoniques, Ge?i. xix, 17; Le, xvii, 33. Il
est possible que nous ayons là un extrait d'un évangile apocryphe D. —

La sentence que rapporte Théodote, Clément d'Alexandrie, Exc.


Theodoti, "^ 9 : 'Oôsv dp-q-ai toÙç [xèv x-qq yX-qGeijiç àvôpcoTuou^ xatà t-Jjv Tcapou-

jîav TOÎ àv':i)(p((7T0u TcXav^rjÔTjîJîaÔat.' àoûvaTOV oà tobq kv.'kev.zoùq' oib çï)(Jiv* 7,a'.

S', o'jva-bv Toù.; zv'KB'A-O'jq 'j.ou. FlaXiv otav Xéyv]* IçsXOïts àx toîj ol'xou tou ira-

Toiç ;xou, ToTç -/Xr-.oiq ké'^'ii. D'où il est dit que les hommes appelés seront
trompés, lors de l'apparition de l'Antichrist; il est impossible que les
élus le soient. C'est pourquoi il dit : Si même il était possible que les

élus le fussent. De nouveau lorsqu'il dit Sortez de la maison de mon :

Père, il parle aux appelés, présente la même distinction que dans Mt.
xxfi, 14, entre les yXr-.zi et les k%kôxxoi et dans la seconde partie se
rapproche des paroles du Seigneur, Jn, ii, 16. Cela ne prouve pas
cependant que nous avons là des paroles authentiques de Jésus D. —

Il est peu vraisemblable que la sentence que nous trouvons dans


Clément d'Alexandrie, Strom. i, 19, 9i Eiâec vâp, ©r^at, tov àosÀ^ov :

70U, clos; xbv Osiv acu et dans Tertullien, De Oral. c. 26 Vidisti, inquit, :

fratrem et vidisti Dominum tuum, soit authentique; elle a une


tournure philosophique trop accentuée et paraît basée sur cette idée
que l'homme a été créé à l'image de Dieu N. A. — :

Il est possible que les paroles suivantes que Clément d'Alexandrie,


jm Strom. m, 15, 97, met dans la bouche du Seigneur : IlaXtv 5 Kupiir
ffl-/icrtv' b Yr,ixaç [xr, àyiaXXÉ-^oj xa'. c [Ar, -{:c[ir,(jscc ij/q y-z[X£(to)- 5 y.a-à 'n;p60£j'.v

tt^vauyioLz b\).z'koxh'^ot.q ]}:q -;f^\i.(^i «Yai^^oç oiaixsvé-ro) De nouveau le Seigneur


:

dit : Que celui qui est marié ne soit pas rejeté et que celui qui n'est
132 REVUE BIBLIQUE.

pas marié ne se marie pas. Que celui qui dans un dessein de célibat
a promis de ne pas se marier reste non marié, aient été empruntées
à un évangile apocryphe, peut-être l'évangile selon les Égyptiens.
Elles rappellent des paroles de saint Paul : 1 Cor. vji, 10; 1, 8, 27
— N. A.

Nous ne jugeons pas plus authentiques les paroles que le Seigneur,


d'après llippolyte, in Dan. iv, 00, répondit à Judas qui lui deman-
dait qui verrait les beautés et les splendeurs du royaume des saints
à venir TauTa H-i/oviai cl àçic ^(vfOY.tvoi
: Ceux qui en sont dignes ver- :

ront ces choses — N. A.

La parole que rapporte TerluUien, /)e Idol. c. 23 Si, inquit, con- :

cupiscentia vel malitia in cor hominis ascenderit, pro facto teneri, se


rapproche de Mt. v, 28 et ne peut être authentique sous cette forme
— N. A.

Faut-il voir une parole du Seigneur dans la sentence citée par Ori-
g'ène, in Jeron. xiv, 5 : Ka\ èv tw eùaYYs^^^'w àvavéYpaTïxai* xal àirofftéÀXet

'(] coçia Ta TÉy.va aùtî;; dans l'évangile Et la Sagesse


: Et il est écrit :

envoie ses enfants, sentence que nous retrouvons dans l'Apocalypse


d'Esdras, i, 32 Ego misi pueros meos prophetas ad vos, et dans Ter-
:

tullien, Adv. Marc, iv, 31 : Et adhuc ingerit : Et emisi ad vos omnes


famulos meos i)rophetas? cela nous paraît fort douteux. Bien que cette
sentence rappelle celle de Le, \i, 4-9 Ala -z'j-z xa-, ^oçi'a toj ©ssu e^zsv : y;

à::;cTs>aT) z\z TJio'jq Tcpoç/j-a;, ss, elle paraît plutùt dériver de ce passage
des Proverbes, ix, 3 : 'Atts^ts'/asv [-q jcipîa] t:jç èajt-?;; ^oûAsur — D.

Il est possible que nous ayons une parole authenticjue du Seigneur


dans lu sentence suivante citée par Origène, In Jcrem. xx, 3 : Ait
autem ipse Salvator Qui juxta me est juxta ignem est; qui longe est
:

a me, longe est a regno, que nous retrouvons dans Didyme, m Ps.
Lxxxvm, 8, qui l'avait probablement empruntée à Origéne. Peut-
être a-t-elle été inspirée par ces paroles du Seigneur dans Le, xii, 49 :

llyp "?]AO:v jiaAîlv £-; Tr.v yv-' ^ — !*•


LES SENTENCES KL' SEKS.NELR EXTRACANONIQUES. iT3

Nous lisons dans Agathan^elus, éd. L\garde, p. 3ï, 81 : Kxh tû?

;-jT£ca zapsjjia ^wr.v r.wvisv Seigneur a


•/;/.r,p:7:y.Y;7si. De même que le

dit dans l'Évangile Si quelqu'un aura tout abandonné à cause de


:

mon nom il héritera de la xie éternelle dans la seconde parousie.


Cette sentence parait être un résumé et une conclusion de paroles
évangéliques. Le, xviii. 29, 30; Mt. xrx, 28% 30: Me, x, 29. 30

N. A.

La tradition ecclésiastique a rapporté plusieurs fois !a sentence


suivante : Ez;! /.a- 5 Kjpis; }ji.ay.âpiov zl-iy tsv sisivTa Tf-zp tsv Kx'^M^z^-x.

Kx: ';'xp z.ipr,-xi -i/viv ût:^ aÙTcy* ojaî "oT; l'ycuaiv y.al àv j'::z7.phv. Aa;A6avcj7iv

r, cjva;jiv:i; ^or^Qsfv èaUTOîç y.a: Axy-êâvEiv -ap" itspwv g2u).oi;.Évoi;' £y.iT=p;r

yap ir:sw7£i Às^-sv K-jpiw tw 0sw èv T;i^.Epa y.p-rewç. Puisque le Seigneur


(1i^ : Celui qui heureux que celui qui reçoit.. Car il
donne est plus

est encore dit par lui Malheur à ceux qui possèdent et qui reçoivent
:

dans rhypocrisie; ou à ceux qui sont capablps de se soutenir eux-


mêmes et veulent recevoir des autres, car tous les deux rendront
compte au Seigneur au jour du jugement, Coiist. apost. iv, 3.
Mx/.âplS; 5 StSOjÇ 7.X-X TYiV àvTcXï-V- Xhihzç -Xp ÈTTIV. o'jxl Bà Kx\).6x^zy-i' £'.

;j.sv yip Xpeiav à'/iov \x\}.zx')V. -riç. àOwcç i'jTaf h l\ \i.r^ ypv.x^ h'/wv 2w7EI ci'y.r//

Tva TieXais Bienheureux celui qui donne selon le comman-


/.ai v.z -.i.

dement, il est à l'abri de tout reproche: Malheur à celui qui reçoit!


S'il reçoit étant dans le besoin, il est à Fabri de
reproche; s'il n'est pas
dans le besoin, il rendra raison pourquoi et à quelle fin il a reçu,
Di'l. I, trouvons des sentences analogues dans les Didascalia
5. x\ous

lai. éd. Haller, p. 53; dans les Didase. éd. Lagarue, iv, 3
dans Clé- :

ment d'Alexandrie, Fracjm. ex Nicelae Catena in Mat. c. v; dans le


Pasteur dllerraas, Mand. ii. 5. Cette sentence de reproche de lIThes<.
III. 10, 11 et de Kethuboth, 68' : Celui qui a reçu des aumônes sans
en avoir besoin, avant sa mort tombera dans la misère.
Nous n'avons aucune raison de croire que ces paroles sont authen-
tiques; Jésus dans les évangiles n'a donné aucune prescription
au
sujet de ceux qui reçoivent i'aumùne. Il semble qu'il y a ici une
allusion à ceux qui dans les premières communautés chrétiennes
étaient indûment à charse à leurs frères — N. A.
134 REYUE BIBLIQUE.

*
« «

Faut-il attribuer à l'Écriture ou au Seigneur la sentence suivante :

Pacificos itaquç^ filios Dei nominat, sicut et dicit : Qui Spiritu Dei
ambulant, hi sunt filii Dei? Éphrem, Evangelii concord. Expos, éd.
MOESINGER, C. 6. — D.

Il n'y a pas lieu de tenir pour authentiques les paroles suivantes :

Quod auteni n turbatus est » consonat cum eo, quod dixit : Quamdiu
vobiscum ero et vobiscum loquar? et alio loco : Taedet me de
generatione Probaverunt me, ait, decies, hi autem vicies et
ista.

decies decies, Éphrem, ib. c. 17. La première partie a été inspirée


par Le, IX, 41 Me. ix, 19; Mt. xvii, 17 la deuxième par le psaume
; ;

xciv, 9, 10; la troisième est de provenance inconnue — N. A.

Pour la citation suivante d'Éphrem:,£'y. eone. Expos, éd. Moesingkr,


c. 18Quia ergo ipse est dominus regni, placuit ei, purificare in se
:

ipso regiones excelsas et superiores, simulque purificare inferiores :

Quod autem dicit Mundabit domum regni sui ab omni scandalo,


:

intellige de terra et quas renovabit, ibique justos suos


rébus creatis,
collocabit, bien que ces sentences soient une réminiscence de paroles
évangéliques, elles ne peuvent être authentiques sous cette forme
— N. A.

Il est possible que nous ayons une parole authentique du Seigneur


dans ce passage d'Kpiphane, Haer. lxvi, 42 Aià : toutc Xsysi' 5 Xa/aTjv

bi Toîç T:po<p-/]Taiç \'bo-j r.ÔLçzi\u. C'est pourquoi il dit : Voici que je suis

présent, moi qui parle dans les prophètes. Ailleurs, ib. xxiir, 5.

Épiphane attribue cette sentence au Seigneur Jésus dans l'évangile,


mais ailleurs, ib. xli, 3, il la donne comme étant de la puissance,
ouva[j.tç, qui a parlé dans la loi, dans les prophètes et dans les évan-

giles — P.

Saint Augustin a probablement emprunté à un évangile apocryphe


les paroles suivantes Sed apostolis, inquit. Dominus noster inter-
:

rogantibus de .ludaeorum prophetis quid sentiri deberet, qui de


adventu ejns aliquid cecinisse in practeritum putabantur, commotus
LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES. 135

falia eos etiam iiunc sentire respondit : Dimisistis viviim qui ante
vos est et de moituis fabulamiiii. Contra adversarium legis et pi^oph.
H, 14— N. A.

Il est possible que nous ayons des paroles du Clirist dans la sentence
suivante : Estote fortes in bello et pugnate cum antiquo serpente,
et accipietis regnum aeternum,
Dominus, OUI EnglisJi Homilies,
dicit

p. 151. La même sentence se retrouve dans les mêmes Homélies,


1" série, p. 185 et dans le Play of the Sacrament, p. 39. Elle est

encore dans le Bréviaire romain, au Commun des apôtres, antienne


du Magnificat des secondes Vêpres P. —

Arrivé au terme de cette énumeration, nous devons constater que


les paroles authentiques du Seigneur que nous avons retrouvées
dans la littérature chrétienne, en dehors des évangiles, sont peu
nombreuses Treize en tout (1) vingt-six sont probablement authen-
: ;

tiques, quinze sont douteuses et cinquante-deux ne sont pas authen-


tiques. Nous pourrions faire la môme constatation pour les faits de
la vie de Jésus. Il semble bien que les évangiles nous ont rapporté
à peu près tout ce qu'on savait des paroles du Seigneur et des faits
de sa vie.

Lyon.
E. Jacquier.

(1) En dehors de celles qui sont rapportées dans les autres écrits du Nouveau Testa-
* ment.
LES SYMBOLES DE ZACHARIE

Plus encore que celles d'Osée, les prophéties de Zacharie sont célè-
bres parleur obscurité. Obsciirisshnus liber, disait saint Jérôme dans
la préface de son commentaire et ailleurs il se plaignait de passer
;

ah obscuris ad obscuriora. Faisant écho à ces déclarations, un com-


mentateur avoue qu'en certains endroits toute la sagacité d'OEdipe
ne serait pas de trop pour déchiffrer ces énigmes de sphinx (1).
M. Lucien Gautier a fixé heureusement les causes qui rendent plus
difficiles les visions symboliques de Zacharie « La puissance, :

défaut pour développer ses sujets et faire ressortir les


écrit-il, lui fait

grandes lignes des tableaux. Il en résulte une certaine obscurité;


plusieurs détails demeurent problématiques, et parfois aussi le sens
général de la vision est peu clair. L'ange interprète joue, il est vrai,
un rôle considérable; mais quand ses explications font défaut, et
quelquefois même lorsqu'il répond aux questions du prophète, on a
de la peine à discerner la signification des scènes dépeintes et à
dégager que contiennent des paraboles fortement imagées.
la leçon
Zacharie marque, à la suite d'Ézéchiel, une étape sur le chemin qui
va des anciens prophètes aux écrivains apocalyptiques postérieurs.
On découvre dans quelques-uns des thèmes qu'il a traités le point
de départ des développements plus étendus qu'on rencontre dans les
apocalypses. Les cavaliers et les cornes du chap. i", les lampes du
chap. IV, les quatre chars du chap. vi et leurs chevaux de diverses
couleurs, tout cela, avec d'autres traits encore, se retrouve dans la
littérature ultérieure » (2).
Les symboles de Zacharie ne comprennent pas moins de huit
visions : l" les cavaliers (i, 7-17); -1' les quatre cornes et les quatre
artisans (n, l-'i ; Yulg. i, 18-21); 3" l'arpenteur (ii, Ô-O ;
Vulg. i, 1-5);

V la réhabilitation du grand prêtre (m); 5° le candélabre et les deux


oliviers (iv); G^ le rouleau (v, 1-i); 7° l'épha (v, 5-1 1 ) ;
8" les quatre

(1) Tarn concise et obscure iil (J^lipo sit opus (C. a Lapide, in Zach., iv, (i).

(2) Introduction ù l'Ancien Teslamcnf, 2' éd. (1914), t. 1, p. 526, 527.


LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 137

chars (vi, 1-8). A ces visions il faut joindre une action symbolique, le

couronnement du grand prêtre Josué (vi, 9-15).


Il va saus dire que les opinions divergentes ne manquent
pas ici;

on écrirait un volume, si Ton voulait recueillir les avis difierents émis


par les exégètes au cours des siècles. Le présent travail poursuit un
autre but et s'inspire d'une autre méthode. On indiquera discrète-
ment les principales directions suivies par les commentateurs les
plus marquants, et l'on s'appliquera surtout à dégager l'idée histo-
rique de chaque symbole.
Dans cette étude, on ne perdra pas de vue un principe qui a été
déjà utilisé dans les chapitres précédents. Bien que l'inspiration pro-
phétique ne puisse être enfermée en des limites fixées d'avance, c'est
un fait que les préoccupations majeures de chaque prophète se meu-
vent dans un cercle assez restreint, autour de certains événements
déterminés. Osée, par exemple, décrit l'infidélité d'Israël en l'oppo-
sant à la fidélité de Dieu. Jérémie essaie d'amender les dispositions

de ses concitoyens -pour détourner la catastrophe de Jérusalem. Ezé-


chiel annonce avec précision le siège de la cité coupable, la ruine et
l'exil qui le suivront. Daniel concentre son attention sur les grands

empires orientaux et tout particulièrement sur la persécution d'Ântio-


chus Épiphane. Il faut reconnaître de même
que Zacharie se laisse

absorber par les réalités contemporaines, à savoir le temple et la

société théocratique, qui se reconstituent sous la présidence de deux


personnages éminents, Josué, le grand prêtre, et Zorobabel, le chef
civil.

La parenté des symboles de Zacharie, qui avait déjà été signalée


par Théodoret, a été surtout mise en relief par les commentateurs
modernes. « Il ne s'agit pas de rêves, écrit Nowack, mais d'une série
d'images pour la création desquelles la réflexion du prophète a été
incontestablement très active, car ces visions forment un cycle qui
traite des espérances messianiques de l'époque, et de telle manière
que chacune de ces visions est préparée par celle qui précède » (1).
Marti s'est appliqué à dégager ces aftinités et il aboutit aux conclu-
sions suivantes. Après un premier tableau qui cxpuse le zèle de Jahvé
pour Jérusalem, les visions s'accouplent de manière à former trois
paires première paire (n°^ 2 et 3) montre que les puissances
: la

du monde ne pourront mettre obstacle au salut messianique; la


deuxième (n"^ k et 5) garantit que l'obstacle ne viendra pas non
plus de Juda, puisque, dans la personne du grand prêtre, la
com-

(I I Die hleinen Prophelen (1897), p. 317.


138 REVUE BIBLIQUE. ^
munauté a re<;u le pardon de ses fautes: la troisième (n^' 6 et 7)
annonce que les pécheurs, aussi bien que les péchés, seront exclus
de la nouvelle société. La dernière vision (n^ 8) nous fait entendre
comment le monde sera ébranlé pour préparer le salut de Tuda (1).
— Mitchell partage les visions en trois groupes le premier (n°^ 1, 2 :

et 3) traiterait du retour de la captivité; le second (n°' 4 et 5) des


oints de Jahvé; le troisième (n"' 6, 7 et 8) de l'éloignement de l'ini-
quité. A quoi il faut joindre un supplément sur h prince de Juda (2).
Ces combinaisons n'auront pas le privilège de satisfaire tout le
monde. Sous leurs apparences séduisantes, elles gardent quelque
chose d'artificiel et de forcé. Le génie oriental est toujours caractérisé
par un€ liberté d'allure qui déconcerte notre amour de la régularité.
Ily a sans doute un certain enchaînement artistique dans les visions
de Zacharie; mais il est incontestable que les symboles pourraient,
avantageusement peut-être, se grouper dans un ordre différent. Par
exemple, le n° 8 (les quatre chars) aurait sa place tout indiquée à côté
du n" 1 (les cavaliers) le n" 9 (couronnement de Josué) cadrerait par-
;

faitement à côté du n° 4 (réhabilitation du grand prêtre) et du n" 5


'les deux oliviers). On constatera aussi que ces n"' 4, 5 et traitent
un sujet complexe — du chef religieux et du chef civil de la commu-
nauté renaissante — dont les divers aspects gagneraient peut-être à
être envisagés séparément.
Bref, il parait préférable de renoncer à toute classification, les
symboles y étant plus ou moins réfractaires. On peut
visions et les
cependant énumérer les idées principales qui sont développées dans
ces chapitres. La vision des cavaliers (n" 1) sert à la fois d'exorde et
de ^programme, car elle annonce le châtiment des nations et la
reconstruction de Jérusalem. Après quoi, le prophète envisage le châ-
timent des ennemis (n"' 2 et 8) et la réorganisation de la société, (le
dernier sujet comporte la reconstruction de Jérusalem (n" 3) et celle
du temple (n" 4), l'intronisation de la double autorité, religieuse et
civile (n°' 4 et 5), et enfin l'épuration morale des fidèles (n"" G et 7 .

Toutes ces visions sont continuées par un acte symbolique qui les
résume et les couronne (n" 9).
Afin d'alléger l'étude individuelle des symboles, mentionnons ici
une théorie qui, si elle était admise, exigcj-ait de nombreuses modifi-
cations dans l'ancienne exégèse de Zacharie. Venant d'un savant tel
que M. van lloonacker, elle mérite de retenir l'attention. Laissons la

(Ij DodeliaprophclOH (1903 et 1904), p. 'lOO.


(2) A critical and cxegclical Commcnlanj on Jlaggai and ZccharUih (1912), p. 115.
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 139

parole au docte professeur de Louvain, tout en résumant


parfois ses

explications. Il écrit dans son introduction au livre


de Zacharie :

« Dans nos Nouvelles études sur la restauration


juive après l'exil de

Babylone (p.nous avons insisté sur le caractère littéraire tout


80),
se présente sous
spécial des chap. i-vi, où la prédication de Zacharie
la forme de yz.s/onsnoc/î^me^... Nous faisions
remarquer qu'à la faveur
d'une inspiration prophétique de ce genre, Zacharie avait pu se
trans-

porter en esprit à une époque du passé pour envisager de là,


dans
leur préparation, des événements, tels que le retour de la captivité,
qui en réalité étaient déjà arrivés au moment où il composait ses dis-
cours. Au premier moment notre exégèse fut notée comme un simple
moyen de Depuis lors cependant elle a obtenu
sortir d'embarras...

l'adhésion de plus d'un critique. Le lecteur en trouvera la justifica-


tion dans le commentaire » (1).

Ainsi donc, dans sa première vision, celle des cavaliers (i, 7 ss.),
Zacharie se placerait à l'époque de la captivité, avant 538, lorsque le
châtiment de l'empire oppresseur et la délivrance des Juifs étaient
proches. Dans la deuxième vision, celle des cornes et des artisans
(il, 1-4), le prophète contemplerait
« les dispositions arrêtées en vue

de la destruction de l'empire babylonien par Cyrus ». Dans la troi-


sième, celle de l'arpenteur (ii, 5 ss.), il assisterait aux préparatifs de
Jérusalem pour la réception des exilés. Sans doute la situation sup-
posée dans les deux visions suivantes (réhabilitation du grand prêtre
et candélabre d'orj, ainsi que dans le tableau final du
couronnement,
est « celle du peuple rétabli dans le pays ». Mais,
dans la sixième
vision, celle du rouleau volant (v, 1-4), Zacharie se transporte en
*<

esprit plus loin dans le passé qu'il ne l'avait fait dans sa


première
vision. Cette fois il est témoin de lamalédiction divine fulminée con-
tre la nation coupable avant l'exil de Babylone ». La septième vision,
celle de l'éplia (v, 5-11), lui offrirait un tableau symbolique de la

peine expiatoire de l'exil. Eniin, la huitième, celle des attelages,


lui
rejoindrait
rappellerait le châtiment infligé à l'empire babylonien et
l'époque de la Restauration (2).

regret de dire que cette conception ne me semble pas rece-


J'ai le
détail qui
vable. On trouvera dans le commentaire les raisons de
quel-
motivent cette appréciation. Je me contenterai ici de signaler
ques considérations d'un ordre plus général.
Qu'on remarque d'abord la courbe historique décrite par
l'in-
1.

Les douze petits Prophètes (lyos), p. 579.


(1)

(2) Op. cit., p. 579, 580; cf. 605.


140 REVUE BIBLIQUE.

terprétation proposée. De l'an 540 ou 538 nous sommes ramenés à Tan


519, époque à laquelle Zacharie écrivait; puis, brusquement, nous
sommes reportés à une période antérieure à l'exil de 587, après
quoi nous redescendons à travers la période exilienne jusqu'en 519.
Peut-on dire que la présomption soit en faveur de ce tracé aux lignes
si irrégulières? —
2. Quelles raisons pouvait bien avoir Zacharie de

promener ainsi ses auditeurs à travers un passé déjà lointain? Ce qui


préoccupait les Hiérosolymites de 519, ce n'était pas de savoir s'ils
avaient passé de longues années en exil ou si Babylone avait été prise
par les Perses —
histoire ancienne que tout cela! c'était de savoir —
si ennemis allaient être châtiés, si le temple allait enfin être
les
achevé, si Jérusalem serait rebâtie, si la prospérité reviendrait dans
le pays si éprouvé, si les ouvriers de la Restauration, le grand
prêtre

Josué et le gouverneur Zorobabel, seraient à la hauteur de leur tâche.


On ne comprendrait pas un homme de cotte génération s'attardant
à faire de l'histoire ancienne, alors que tant de problèmes le sollici-
taient de se mêler à l'histoire du jour. Le contemporain de Zacharie,
Aggée,ne perdait pas son temps, lui, en des réminiscences stériles
ou inopportunes. On l'a déjà dit, un prophète est avant tout un
homme d'action qui vit dans le présent et scrute l'avenir. Et les sym-
boles eux-mêmes sont des instruments d'action plutôt que des formes
de contemplation inopérante.
M. van Hoonacker reconnaît que, dans trois symboles au moins,
le prophète suppose la situation historique de 519. Il est
infiniment

plus simple de dire qu'il la suppose dans toute la collection de ses


visions 7ioclwnes. Cette interprétation maintient â tous les symboles
le mêmehorizon prophétique et historique; elle leur restitue cet air
de famille qu'ont toujours les symboles d'un même recueil. C'est la
position très généralement admise. Je crois que c'est la bonne et que
rien n'oblige à l'abandonner.

I. LES C\VALIK[\S : l, 7-17.

Le vingt-quatrième jour du onzième mois


7. le mois de schebat — — eu la

deuxième amiée de Darius, la parole de .Tahvé fut adressée en ces termes à Zacha
rie, iils de Baracliie, (ils d'^Iddo, le prophète :

8. J'eus une vision nocturne, et voici qu'un homme était monté sur un cheval
rouge et il se tenait entre les deux montagnes
' '
dans le has-fond, et derrière lui
[ |

[venaient] des chevaux rouges, alezans,


'
noirs '
et blancs. !). Et je dis :
Qu'est-ce que

c'est, mon Seigneur? Et l'ange qui me parlait me dit : .le vais te faire voir ce qu'ils

sont. 10. Et l'homme qui se tenait entre les '


deux montagnes ' prit la parole et dit :

Ce sont ceux que .lahvé a envoyés pour parcourir la terre. 11. Et ils répondirent a

l'ange de Jahvé, qui se tenait entre les


'
deux u)ontagnes ", et ils dirent : Nous avons
LES SYMBOLES DE ZACIIARIE. 141

parcouru la terre, et voici que toute la terre est habitée et tranquille. 12. Et l'ange
de Jahvé prit la parole et dit : Jahvé des armées, jusques à quand n'auras-tu pas
pitié de Jérusalem et des de Juda contre lesquelles tu es irrité depuis soixante-
villes

dix ans? 13. Et Jahvé répondit à l'ange qui me parlait des paroles bonnes, des
paroles consolantes. 14. Et l'ange qui me parlait me dit : Crie : ainsi a parlé Jahvé
des armées :

J'éprouve au sujet de Jérusalem


Et de Sion une grande jalousie.
15. Et je suis animé d'une grande colère
Contre les nations présomptueuses ;

Car, tandis que je n'étais qu'un peu irrité,


Elles ont fait excéder le malheur.
16. C'est pourquoi, ainsi parle Jahvé :

Je suis revenu vers Jérusalem avec compassion.


Ma maison y sera rebâtie,
Oracle de Jahvé des armées.
Et cordeau sera étendu sur Jérusalem.
le

17. Proclame encore ceci Ainsi parle Jahvé des ar.nées


: :

Mes villes regorgeront encore de biens.


Jahvé consolera encore Sion
Et choisira encore Jérusalem.

Sijmbole. — Avant tout, nous devons connaître


personnages qui les
figurent dans le symbole et le rôle qu'ils y jouent. Quelques-uns de ces
personnages échappent à toute controverse le prophète, favorisé de :

la vision; l'ange interprète, appelé ici (vv. 9, 13, li), comme généra-

lement dans tous les symboles de ce recueil. Fange qui me parlait —


il sert d'intermédiaire entre Jahvé et Zacharie et explique à ce der-

nier les spectacles dont il ne- saisit pas la signifîcalion; enfin Jahvé
en personne. —
Les autres personnages font l'objet de nombreuses
discussions. U ange de Jahvé d'abord, qui figure encore dans le sym-
bole du chap. m, 1, 3, 6. Bien qu'ils ne le disent pas expressément, les
vv. 11 et 12 l'identilient avec l'homme, le cavalier, qui se tenait entre
les «deux montagnes », dans le bas-fond. Le rôle qu'il joue dans la
scène n'est pas absolument nécessaire à la trame du récit; il pourrait
même être supprimé sans inconvénient, à condition d'être partagé
entre Jahvé et l'ange interprète. Plusieurs critiques modernes, Well-
hausen, Nowack, Marti, estiment que c'est là une raison suffisante
pour faire disparaître du symbole tout vestige de ce personnage mys-
térieux. Mais, s'ils conservent l'homme « de la vallée », la suppression
de l'ange ne simplifie guère la vision; et cet avantage hypothétique
ne compense pas l'inconvénient qu'il y a toujours à remanier un texte
diplomatiquement très ferme. Avec van Hoonacker, Mitchell et tous
142 REVUE BIBLIQUE.

les anciens commentateurs, il vaut mieux garder l'ange de Jahvé, tout


en l'identifiant avec l'homme de la vallée.

Les cavaliers T^oseni un problème plus complexe. Je dis cavaliers,


bien que le symbole ne parle que de chevaux. Mais on ne saurait
douter que les chevaux n'aient chacun son cavalier, attendu qu'ils ont
été envoyés pour parcourir la terre (v. 10) et qu'ils reviennent rendre
compte de leur mission (v. 11). Peut-être même, au lieu de cavaliers,
faudrait-il se représenter des chars traînés par des chevaux de diffé-
rentes couleurs. Telle est du moins la mise en scène du symbole des
chars au chap. vi, dont les affinités avec le symbole actuel sont d'une
évidence indéniable.
Mais combien y a-t-il d'attelages? L'hébreu n'en nomme que trois :

les roiKjes, les alezans (1) et les blancs. Les Septante en mentionnent
quatre : les rouges, les alezans, les tachetés et les blancs (Tuppct y.ac

ibaç>o\ y.a\ r.ov/Skoi v.al Asuy.oî). Gomme Zacharie témoigne une prédi-
lection constante pour le nombre quatre {quatre cornes, ii, 1 quatre ;

artisans, ii, 3; quatre vents, vi, 5); comme le symbole du chap. vi en


particulier met en mouvement quatre chars qui parcourent la terre, la
plupart des critiques sont d'avis que l'énumération du symbole actuel
comportait également quatre attelages (Théodoret, Wellhausen,
Nowack, Marti). De fait, ce chiffre cadre mieux avec le contexte, car,
les cavaliersayant eu pour mission de parcourir la terre (v. 10, 11), il
est naturel que chaque groupe ait visité l'une des quatre parties du
monde (cf. vi, 5).

Parmi modernes, M. van Hoonacker est le seul, à ma connais-


les

sance, qui ne souscrive pas à cette manière de voir. Pour lui, la scène
doit être comprise tout autrement. L'ange de Jahvé, monté sur un
cheval rouge, se tient au couchant —
c'est la traduction adoptée pour

le mot hSvjTC —
entre les deux montagnes « qui forment la porte par
où le soleil quitte l'horizon » (2). Non pas que l'ange ait été le chef de
l'expédition, mais « c'est à lui que les courriers viennent rendre
compte de leur mission » (3). Les chevaux des courriers ne forment
que trois groupes : les noirs (terme substitué à rouges), les alezans
qui reviennent d'explorer respectivement le nord, l'est et
et les blancs,
le sud. Quant au couchant, il n'intéresse pas les Juifs, et voilà
pour-
quoi le point de départ comme le point d'arrivée des attelages est à
l'occident. « Il est à remarquer, dit M. van Hoonacker, qu'il n'est pas

(1) En lisant Cpiï? au lieu de D^piHT qui n'est pas un nom de couleur.

(2) Les douze petits Prophètes : Zacliarie, p. 591.

(3) Ibid., p. 592.


I.KS SYMBOLES T)\L ZACIIARIE. 143

(juestion au chap. vi de l'expédition de l'attelage à chevaux rouges


vers sa région, qui est le couchant. La raison n'est pas difficile à
deviner. L'horizon politique des Juifs ne s'étendait pas de ce côté; ce
qui importait à leur point de vue, c'était la situation de la terre au
nord, à l'est, au sud » (1).
Cette conception soulève de sérieuses difficultés. 1. Elle part de ce
qu'au chap. viles chevaux rouges 7ie sortent pas. Le fait n'est pas
fait

aussi certain qu'on pourrait le croire, car, à travers les corruptions


textuelles du symbole des chars, il semble bien que l'attelage rouge
prenne lui aussi sa course (vi, 7) vers une région déterminée. Nous
reviendrons là-dessus. —
La construction du lieu proposée pour
2.

« l'ange de Jahvé » ne parait pas naturelle. On ne veut pas avec

raison que cet ange soit simplement un chef de file, le g^iide de l'ins-
pection universelle. Mais, si on lui assigne pour fonction spéciale de
garder l'occident, ne le rabaisse-t-on pas au rang des émissaires qui
s'en vont dans les. autres directions? Sans doute il n'aurait pas à
bouger, mais cette inertie comporterait-elle le moindre avantdg-e?
Ne constituerait-elle pas plutôt une infériorité? On nous dit que « les
courriers viennent lui rendre compte de leur mission ». Mais n'y a-t-il
pas là une sorte d'incompatibilité? D'après son attitude, l'ange de
Jahvé ne devrait être que l'ég-al de ses compagnons, imtis inter
pares : il est à cheval comme eux; son cheval a une couleur spéciale
(rouge)comme les autres attelages; il occupe un des points cardi-^
naux comme les autres courriers. Comment se fait-il donc que les
envoyés du nord, de l'est et du midi viennent
rendre comr>te. lui
comme à leur chef? Si l'ange de Jahvé est supérieur aux émissaires, il
ne doit pas s'acquitter d'une fonction analogue à la leur s'il est sim- ;

plement leur égal, les autres n'ont pas à lui rendre compte. —
3. Enfin, pourquoi l'occident ne serait-il pas soumis à l'inspection

divine? On nous répond que les Juifs ne s'y intéressaient pas, que
leur (( horizon politique ne s'étendait pas de ce côté ». Cette affirma-
tion parait contestable. Sans parler de Joël, iv, 4-6, il suffît, pour s'en
convaincre, de se reporter à la deuxième partie de Zacharie (ix),
dont M. van Hoonacker place la composition aux « premiers temps
après le retour n (2). Nous y apprenons que les rapatriés s'inquiétaient

fort des Philistins qui occupaient à l'ouest Ascalon, Gaza, Accai^on,


Azot (ix, 5-T), et que, franchissant la grande mer, leur regard s'éten-
dait même jusqu'aux mystérieuses régions de Javan (v. 13). Dès lors,

(1) Op. cit., p. 591.

il) Ibid., p. 650.


J4i REVUE BIBLIQUE.

pourquoi les cavaliers de roccident n'inspecteraient-ils pas les con-


trées de la Philistie et de la Grèce?
Pour échapper à ces difficultés, il faut revenir à la conception
des Septante, qui rallie aujourd'hui presque tous les suffrages. On
comptera donc quatre groupes de chevaux les rouges, les alezans, :

les tachetés et les blancs, qui parcourent les quatre contrées de la

terte, et qui, leur mission accomplie, viennent en rendre compte à


l'honlme de la vallée, identifié avec l'ange de Jahvé,
Quelques auteurs découvrent une relation entre les diverses cou-
leurs des chevaux et les pays qu'ils avaient à parcourir, aussi bien
dans le symbole actuel que dans celui des chars (vi). « Le fondement
du rapport établi entre les couleurs et les points cardinaux saute aux
yeux, écrit M. van Hoonacker, du moins en ce qui concerne le nord,
le levant et le couchant » (1). Entendons par là que le noir convient

au nord, région des ténèbres; le blanc au levant, d'où vient la lumière ;

le rouge au couchant, sans doute à cause des magnifiques crépus-

cules. La couleur rousse elle-même conviendrait au midi, région de <(

la chaleur brûlante » (2). —


Je serais beaucoup moins affirmatif sur

la signification des couleurs. Sans doute un esprit ingénieux peut

toujours proposer quelque relation entre une couleur donnée et


l'un des points cardinaux; mais, au fait, nul n'est en mesure de dire
si Zacharie a voulu rattacher à ces détails une valeur symbolique

quelconque. Il en va de même pour le symbole des chars, où cepen-


dant les différences sont plus accentuées. Seul, le choix du noir pour
le septentrion semble intentionnel, moins à cause de la situation

géographique du nord qu'en raison des châtiments qui doivent s'abat-


tre sur ces contrées babyloniennes (vi, 8). Quant aux autres couleurs,
elles semblent n'avoir d'autre office que de distinguer les divers atte-
lages.
Mais qui sont ces courriers qui viennent de parcourir la terre? Les
anciens Juifs, au rapport de saint Jérôme, qui adopte leur sentiment,
Y vovaient les anges des nations, Assyriens, Chaldéens, Perses ou
Macédoniens, qui avaient asservi les Juifs, angeli qui regnis et nationi-
Ims prœsidebant (3). D'autres commentateurs, tels que C. a Lapide,
Knabenbauer (4), les identifient plutôt 'avec les anges des nations
ou ennemies, Égyptiens, Tyriens, Sidoniens, Syriens,
voisines, amies
Ammonites, bom Calmet nous présente une solution plus origi-

(0 Op. cil., \>. 591.

(2) Ibid., p. Vyi.

(3) In 1, ».

(4) Coininentarius in Prophetus Minores, l. II, p. 23;î


I.ES SYMBOLES DE ZACHARIE. 145

nale. Dieu, écrit-il, se proportionne aux préjugés des peuples dans


«

les révélations qu'il leur communique. Les Hébreux croyaient que


chaque province était gouvernée par un ange qui en avait d'autres
sous qui lui rendaient compte de létat des lieux qu'il confiait à
lui,

leurs soins... Les anges subordonnés à saint Michel lui rapportent que
tout le pays de leur commandement est habité et en repos... (A son
tour) le' archange saint Michel... prend occasion du rapport
même
que les autres anges lui ont fait de l'état du pays, de demander au
Seigneur qu'il achève ce qu'il a si bien commencé. Ce n'est point
assez que la Judée soit repeuplée et en paix; son bonheur ne sera
point parfait que Jérusalem ne soit rebâtie et le Temple réparé et
que les villes de Juda ne soient rétablies dans leur première splen-
deur » (1).

Toutes ces opinions semblent devoir être écartées. Le [texte ne


permet pas de supposer que les courriers soient les anges tutélai-
res des nations qu'ils inspectent. Encore moins la terre, qui vient
en opposition avec Jérusalem et les villes de Juda (v. 12), peut-elle
être identifiée avec la Palestine.
Le mieux est de respecter l'imprécision du symbole. Les courriers
ne sont donc que des messagers anonymes, sans doute des messagers
célestes, subordonnés à l'ange de Jahvé, et qui, leur mission ter-
minée, viennent lui en rendre compte.
Ces messagers ont parcouru la terre. Il faut entendre par ce mot le
monde connu des Sémites, en dehors de la Palestine : d'abord les

grands ennemis d'Israël, qui du reste ont déjà réglé en partie leurs
comptes avec la justice divine. Assyriens, Chaldéens, Égyptiens;
ensuite toutes les principautés qui se partageaient l'Asie occidentale,
depuis ridumée jusqu'à Tyr et Sidon. Car les Juifs n'eurent jamais
d'amis fidèles ni d'alliés permanents. Jusque dans ces minuscules
royaumes, les compétitions et les intrigues étaient la règle de la poli-
tique internationale. Chaque voisin était toujours un rival, et très
souvent un ennemi. La devise universelle était Chacun pour soi :

contre tous. C'est pourquoi l'expression du prophète s'entend de


tous les ennemis d'Israël, de tous ses voisins méclld-ts ou immédiats,
de l'est à l'ouest, des rives du Nil à l'embouchure du Tigre et de l'Ku-
phrate.
L'ange de Jahvé nous apparaît sous les traits d'un homme, qui,
d'après l'hébreu, se tiendrait dans un bouquet de myrtes. Mais il

semble que le texte primitif portait entre les montagnes, ce qui est

(1) Commentaire littéral sur Zacharie (1719), p. 538.


REVUE BIBLIQUE 1918. — N.S., T. XV. 10
i46 REVUE BIBLIQUE.

la leçon actuelle des Septante (àva[ji(jov Ttov opswv), ou même entre les
deux montagnes, symbole des cliars (vi, 1
c,om.m.e dans le hébreu :

et Septante) (1). Placé entre les montagnes ou entre les deux monta-
gnes, l'ange se trouve naturellement dans wn bas-fond, une dépresi-
sion, une vallée —
sens le plus probable de nS^iï^. C'est en cet endroit
qu'il attend le rapport des émissaires. Il est à cheval (2), pour ne
point paraître inférieur aux cavaliers. Ceux-ci viennent le renseigner
surFétatde la terre, qui est habitée et Iranquille. A son tour, l'ange
s'adresse à Dieu et le conjure d'avoir enfin pitié de Jérusalem et
des villes de Juda. Il que l'ange de Jahvé se
ressort de cette requête
distingue très nettement de Jahvé lui-même, auquel il est franchement
subordonné. On peut ainsi mesurer l'évolution accomplie depuis les
textes du Pentateuque, où l'ange de Jahvé parlait et agissait au
nom du Seigneur et semblait se confondre avec lui dans une même
personnahté.
L'ange de Jahvé n'est pas le seul qui figure dans le symbole.
Zacharie nous en présente un autre avec cette formule stéréotypée :

l'ange qui me pa.rlait. Comme dans les 'visions d'Ézéchiel (xl, 3 ss.) et

de Daniel (vu, 16; viii, 16; ix, 21), pour ne pas mentionner lesapo-
calypses apocryphes, cet ange anonyme sert d'interprète à Zacharie.
Il se tient à côté de lui, ou du moins toujours à sa disposition,

durant les « visions nocturnes » et, lorsque le prophète éprouve;

quelque embarras, est rebuté par quelque difficulté d'interprétation,


c'est à son ange qu'il a recours, et l'esprit lui rend charitablement

tous les services demandés. Le symbole actuel lui attribué môme un


rôle qu'il n'aura pas à remplir ailleurs. Jahvé le charge de transmet-
tre au prophète ses communications. C'est donc par son intermé-
diaire que Zacharie reçoit de Dieu la réponse à la question posée par
l'ange de Jahvé.

Symbolisme. —
Cette vision nocturne n'est pas un symbole pro-
prement dit. Cependant, de même que nous avons étudié le cadre
figuré qui tient lieu de symbole, nous devons relever Tes enseigne-
ments qui se dégagent de ce tableau. A cet effet, nous avons à con-
sidérer le rapport des cavaliers, la requête de Vange de Jahvé et
l'oracle de Dieu. Les courriers annoncent que la terre est habitée et

tranquille. L'ange demande à Dieu si cet élnf do rlioses va se prolon-

(1) La confusion enlre les montagnes Cin et les myrtes DiD~n une fois oi)éréc au
V. 8, il était naturel que le scribe la maintînt aux \v. suivants (cf. van lloonacker,
p. 51)1].

(2) Ce trait de la description doit être conservé (avec van Hoonacker, contre NowacK,
Marli. Mitchell).
LES SYMBOLES DE ZAr.HARIE, liT

ger. Le Seigneur répond négativement;, car les nations seront châtiées


et les villes de Juda reconstruites.
De ces trois parties, c'est la première qui est la plus difficile à
comprendre. Elle a été entendue de diverses manières. Nowack en
propose une interprétation aschalologique. « Etant donné, écrit-il,
les tro]ibles violents qui à cette époque agitaient toute la partie
orientale de l'empire perse et qui ne pouvaient être ignorés des
.luifs, le récit ne peut désigner qu'une chose les commotions qui
:

doivent précéder les temps messianiques et annoncer leur venue, ne


se sont pas encore produites » (1).
On connaît déjà la solution générale adoptée par M. van Hoonacker
pour les symboles de Zacharie. Voici comment il s'exprime sur le cas
présent Si Zacharie avait voulu caractériser la situation de la terre
: (f

à l'époque même dont date sa vision (... février 519), il n'aurait pu


perdre de vue qui avaient agité l'Asie depuis Tavè-
les révolutions
nement de Darius et qui n'étaient pas encore vaincues en ce mo-
ment...; l'on ne voit d'ailleurs aucune raison pour laquelle les cour-
riers eussent pu faire abstraction de ces désordres... Le prophète,
dans ses visions nocturnes, est reporté en esprit à un moment du
passé où se prépare la restauration du peuple juif. Ici c'est aux der-
niers temps de l'empire babylonien que se trouve fixé le point de
vue de dans le même sens
la vision » i2). M. Mitchell écrit Le : ((

mieux semble être d'interpréter la première vision comme une pein-


ture du passé, i. e. de la période de l'èxil » (3), avant l'avènement de
Cyrus à Babylone et quand celle-ci était encore la reine des nations.
Aucune de ces deux interprétations ne parait satisfaisante. Nowack
oublie que le prophète est beaucoup plus préoccupé par la situation
historique de ses compatriotes que par les événements eschatolo-
giques; et rien, en dépit de certaines apparences, ne montre que ces
deux aspects, situation historique et eschatologie messianique, se
confondissent à ses yeux.
De la positio-n de M. van Hoonacker on a dit également qu'elle com-
portait un procédé peu naturel, contraire aux préoccppations histori-
ques de l'an 519.
La meilleure interprétation, la plus simple, la plus objective,
parait être celle qui résulte de la situation politique au moment où le
prophète est favorisé de ces visions. En 519, la plus grande partie du

(1) Op. cit., p. 319.


(•i) Op. cit., p. 594.
(3) Op. cit., p. 122.
148 REVUE BIBLIQUE.

monde dHystaspe, avait étouffé les


oriental était pacifiée. Darius, fils

premiers mouvements d'insurrection qui avaient marqué le début de


son règne (521, 520). Il avait bien encore quelques embarras en Médie
et en Perse mais ces contrées se trouvaient à l'extrême Orient pour des
;

.Juifs habitués à compter en premier lieu avec leurs ennemis tradition-

nels. Si les rapatriés de Jérusalem pouvaient se désintéresser de cer-


taines complications politiques, c'était bien de celles-là. En somme, à
leur point de vue surtout, rigoureusement exact de dire que
il était
la terre était habitée et tranquille (1) tranquille, c'est-à-dire en paix,
:

habitée comme un pays qui n'a pas été ravagé et dont les habitants
n'ont pas été déportés — les Juifs étaient qualifiés pour savoir ce que
ces mots voulaient dire — . Bref, ces contrées jouissaient d'une prospé-
rité qui, dans lestimation sémitique, passait pour synonyme des béné-
dictions divines.
Les rapatriés ne pouvaient s'empêcher comparaison de faire la
entre cette situation brillante et le lamentable état dans lequel se
trouvaient encore en 519 Jérusalem et les villes de Juda. L'ange de
Jahvé rappelle au Seigneur cette humiliante infériorité « Jahvé des :

armées, jusques à quand nauras-tu pas pitié de Jérusalem et des


villes de Juda contre lesquelles tu es hérité depuis soixante-dix ans? »

Ces derniers mots sembleraient à première vue favoriser la thèse du


recul historique de M. van Hoonacker, la fin des soixante-dix années
prédites par Jérémie devant tomber vers oS8. Mais l'usage que fait

Zacharie de la même
formule dans un autre passage (2) montre,
ainsi que le reconnaît M. van Hoonacker, que « les 70 années repré-
sentent encore, comme chiffre sacramentel, la période de j:>énitence et
de deuil, qui avait été avant tout celle de la captivité » (3), et,

premier rapa-
ajouterai-je, qui n'était pas nécessairement close par le
triement de 538. Pratiquement ce chiffre de soixante-dix ans semble
être devenu une locution consacrée qu'on utilisait avec une certaine
largeur d'interprétation, soit en en modifiant le point de départ (i),
soit en l'entendant d'une période plus ou moins longue. De toute —
manière, Zacharie pouvait encore parler en 519 des soixante-di.r

(1) Cf.une expression analogue, vu, 7.


(2) VII, La quatrième année de Darius, c'est-à-dire en 517, laiivé dit a Zacharie
.5 : :

« Quand vous avez jeûné et céléi)ré le deuil au cinquième et au septième mois, et cela

depuis soiranle-dix ans, est-ce pour moi que vous jeûnie/,? »


(3) Op. cit., p. 505.

(4) lui-même n'avait i>as lixé avec i)récision le point de départ des soixante-
.lérémie
dix années. Quelques auteurs ne sonl-ils pas allés, jiour le iiesoin île la cause, jusqu à
distinguer deux jtériodes de 70 ans, l'une commençant en 606 et l'autre en 587, à la ruine
de Jérusalem?
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 149

atmées, en désignant par là toute la période des malheurs jusqu'à ce


jour.
Jahvé prend en considération la requête de son ange. Il fait annon-
cer au prophète que le contraste choquant est sur le point de cesser.
Sa jalousie se réveille en faveur de son peuple, et sa colère s'apprête
à se déchaîner contre les nations présomptueuses. Jérusalem et le
temple seront rehâtis; les villes de Juda redeviendront prospères,
tandis que les nations seront châtiées pour avoir dépassé les intentions
divines dans la répression d'Israël.
On peut conjecturer produit sur l'esprit des rapatriés par de
l'effet

telles révélations. La reconstruction du temple, interrompue pendant


une quinzaine d'années, et qui venait d'être reprise, serait bientôt
menée à bonne fin Quelle allégresse pour ces ouvriers qui avaient
!

dû jusque-là tenir d'une main la truelle et de l'autre l'épée! De même,


Jérusalem de leurs ruines!
et les autres villes seraient bientôt relevées
Mais quelle consolation d'apprendre que les nations, instrument de
la colère divine, avaient excédé leur mandat! Ainsi donc, Jahvé n'a-
vait ni ordonné ni sanctionné tous ces malheurs, tous ces désastres!
Lorsqu'on se trouve dans un abime de maux par la faute des hommes,
c'est un soulagement de savoir que la justice divine ne serait pas
d'elle-même allée aussi loin, que les bourreaux ont outrepassé les
ordres du juge, et que pour ce fait ils sont eux-mêmes désavoués et
châtiés.
Ces révélations conviennent au mieux à la communauté de 519. Il

est inutile de les rejeter dans le passé jusqu'en 538 ou 5'i.0. Sans
doute, en 519, le principal artisan de la catastrophe judéenne, Baby-
lone, avait déjà reçu un commencement de châtiment. Mais l'empire
de Nabiichodonosor était encore loin d'être traité comme l'avait été
Juda. Pour un que Zacharie, le châtiment, c'était la destruc-
Juif, tel
tion totale, le désert et la mort. Babylone n'en était pas encore là.
Elle y devait venir. On ne saurait oublier du reste que l'oracle com-
minatoire vise les « nations » qui de quelque manière ont contribué à
l'écrasement d'Israël, c'est-à-dire toutes les nations de « la terre ».
Les deux symboles qui suivent ne feront que développer les deux
parties de cet oracle, le châtiment des nations et le relèvement de
Juda.

IL LES QUATRE CORNES : ii, 1-4 (Vulgate i, 18-21).

1. Je levai tes yeux et j'eus une visiou, et voici quatre cornes. 2. Et je dis à l'ange
qui me parlait : Qu'est-ce que c'est? Il me dit : Ce sont les cornes qui ont dispersé
Juda [] [et Jérusalem?'] 3. Et Jahvé me fit voir quatre artisans. 4. Et je dis : Qu'est-ce
150 REVUE BIBUQUE

qu'ils viennent faire? Il me répondit : Ce sont les cornes qui ont dispersé Juda, en
sorte que personne ne venus pour les frapper de ter-
levait la tête, et ceux-ci sont

reur, pour abattre les cornes des nations qui ont levé la corne contre la terre de
Juda afin de la disperser.

Symbole. — Rien de plus simple que la construction de la scène. Le


prophète aperçoit d'abord quatre cornes, dont l'ange interprète lui
dit qu'elles ont dispersé Juda et Jérusalem. — Tous les critiques
regardent ici le mot Israël comme interpolé; l'authenticité du mot
Jérusaleni n'est pas elle-même à l'abri de tout soupçon. — Viennent
ensuite quatre artisans ("'thn, ceux qui travaillent les métaux, le
prophète interroge encore pour savoir, non plus
bois, la pierre), et le
ce qu'ils sont, mais ce qu'ils viennent faire. L'ange interprète car —
c'est toujours lui qui instruit Zacharie —
reprend les choses d'un peu
haut, pour mieux éclairer le rôle des artisans : il rappelle ce qu'ont
fait les cornes et il annonce
manière dont les artisans s'apprêtent
la
à les traiter à leur tour. Nowack propose de supprimer dans la
réponse de lange ce qui concerne les cornes. Comme on vient de le
dire, ces mots en effet ne sont pas nécessaires pour l'intelligence du
symbole. Mais, s'ils enlèvent à la vivacité de la réponse, ils ajoutent à
sa clarté. En tout cas, leur suppression n'est pas suffisamment moti-
vée.La seconde partie du v. i partage encore les critiques qui croient
généralement devoir modifier le texte actuel. Le doute porte sur le
membre de phrase ils sont venus pour les frapper de terreur.
:

Nowack propose ils sont, venus pour aiguiser les instruments (ninx),
:

van Iloonacker pour les entourer {les cornes)\ Mitchell, plus radical,
:

supprime ces expressions gênantes. —


Bien que le texte ne soit pas
certain, on peut néanmoins se contenter, avec Marti, de la leçon
massorétique ils sont venus pour les frapper de terreur, pour abattre
:

les cornes... Au reste, c'est la dernière expression qui est la plus


importante, et celle-là est assurée.
Symbolisme. — Deux choses surtout appellent notre attention : la
signification des co?'nes et celle des artisans.
Dans l'interprétation des cornes, il y a un écueil à éviter, qui
consisterait à expliquer le symbole de Zacharie par les visions ana-
logues de Daniel. On se souAdent que Daniel avait toujours en vue
quatre nations déterminées dans ses grandes visions de la statue, des
bêtes de la mer ou des bêtes de la terre; il faisait aux
allusion
Chaldéens, aux Médo-Perses, aux Macédoniens et aux Syriens ou aux
Alexandrins. Plusieurs auteurs ont cru pouvoir utiliser cette solution
toute faite; ils ont proposé d'identitier les cornes de Zacharie avec
des empires clairement spécifiés, qui seraient, d'après saint Jérôme,
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 151

Vigoureux..., les Babyloniens, les Méclo- Perses, les Grecs et les


Romains; d'après Calmet, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses et
les Égyptiens. —que ce rapprochement semble natu-
Je reconnais
rel, lorsque l'on constate la commune sympathie de Daniel et de

Zacharic pour le nombre quatre. Mais cette ressemblance est tout


extérieure et l'on fera sagement de s'en défier. Si Daniel énumère les
quatre nations qu'il vise, Zacharie ne fournit aucune indication de
ce genre. Il nous informe au contraire que son horizon à lui s'étend

aux quatre coins de l espace : les courriers célestes viennent de par-


courir toute la terre (ij, les Juifs avaient été dispersés aux quatre
vents du ciel (ii, 10; Vulg. ii, 6), les chars prennent la direction des
quatre points cardinaux donc permis de conclure que
(vi, 5). Il est

Zacharie a une conception géographique et historique toute différente


de celle de Daniel. Quelques auteurs anciens, Théodore de Mopsueste,
Théodoret, C. a Lapide, et la plupart des modernes, Nowack, Marti,
Mitchell, Knabenbauer, Crampon, van Hoonacke^, l'ont parfaitement
compris. Zacharie ne fait pas allusion à qiiekjues empires en particu-
lier, il désigne en bloc tous les ennemis d'Israël; il ne les considère

pas un à un dans la suite chronologique des âges, il les réunit dans


un vigoureux raccourci d'ensemble cpi ne tient plus compte ni des
temps ni des lieux. Il vise en général « toutes les cornes qui ont
dispersé Juda et Jérusalem », tous ceux qui, de quelque manière et à
quelque moment de l'histoire, « ont levé la corne contre la terre de
Juda pour la disperser ».
Mais ces cornes à leur tour vont être abattues par les artisajis.
Comme y avait quatre cornes, il était naturel c[ue les artisans
il

fussent au nombre de quatre. Étaient-ce des anges, des hommes ou


des agents naturels? Pour saint Jérôme, c'étaient les anges qui doivent
soumettre le monde à l'empire du Christ; pour Théodoret, c'étaient
les forces invisibles (àcpa-rs'jç ojvaj;.;',;^ que Dieu a départies aux
divers peuples pour leur châtiment réciprocjue; Crampon les iden-
tifie avec les « que Dieu
forces pour combattre les ennemis de
suscite
son peuple » ; Perowne avec « les divers agents humains, correspon-
dant par le nombre et la variété aux ennemis d'Israël, par le moyen
desquels ces ennemis doivent être défaits » (1). Knabenbauer n'ose
pas .se prononcer.
A en juger d'aprèssymbolisme général de Zacharie, il semble que
le
les quatre artisans doivent être plutôt des anges. Ce qui ne veut pas

dire que ces esprits se chargeront directement de la vengeance. Au

(Ij Haggai and Zachariah (Cambridge Bible), 1897, p. 73, ;ï.


db2 REVUE BIBLIQUE.

fond, ne sont eux-mêmes que des êtres symboliques, typiques, qui


ils

peuvent aussi bien représenter tous les agents, quels qu'ils soient,
naturels ou surnaturels, dont le Seigneur se ser^ira pour son (puvre
vengeresse.
Ce que les artisans doivent réaliser est suffisamment indiqué : ils

vont d'abord frapper de terreur, puis abattre toutes les cornes des
nations, qui sont en quelque chose responsables du malheur de Juda.
On le voit, le symbole n'est que la mise en scène de quelques méta-
phores usuelles, comme il résulte du résumé suivant :

De même que les cornes sont abattues par les artisans, les nations
coupables seront abattues par les agents de Dieu, vengeurs du peuple
choisi.
Cette vision se meut dans le même ordre d'idées que la précé-
dente Elle est moins vaste, mais plus précise. Tandis que là on nous
apprenait en général que la colère divine s'allumait contre les nations,
nous apprenons ici que les cornes vont être littéralement abattues.
C'est ainsi que la deuxième vision confirmait dans l'auditoire judéen
l'impression de confiance et d'élan qui émanait de la première.
l^e lecteur connaît déjà l'interprétation générale donnée de cette

vision par M. van Hoonacker. Le savant professeur de Louvain écrit :

(( Dans les visions du chap. ii, le thème de la première vision est déve-
loppé. Tandis qu'au chap. i, vv. 7 ss. le prophète a assiste en esprit à
la préparation de la délivrance du peuple juif dans les conseils divins,
il voit, au chap. ii, entrer en exécution d'une part le jugement porte

contre l'empire babylonien^ d'autre part la promesse de salut dont il


avait reçu l'assurance pour Juda » (1). Et un peu plus bas « Ce :

n'est pas l'empire perse évidemment qui est visé, mais bien l'empire
babylonien ». Et enfin « ISous rappelons encore que la mise en scène
:

se rapporte à des événements du passé. Ce n'est pas l'empire perse,


en 519, que des conquérants, représentés par les quatre artisans^ s'ap-
prêtent à détruire; c'est l'investissement de Babylone par les armées
de Cyrus qui est symbolisé. Le point de vue de la vision doit être
place en 538 » (2).

Quiconque étudiera sans parti pris la vision symbolique, se posera


sans doute diverses objections. — 1 . Puisque, d'après M. van Hoona-
cker, les quatre cornes désignent « la dispersion complète, aux
quatre vents du ciel pourquoi restreindre ensuite la vision aux seuls
»,
Babyloniens? En réalité, il s'agit de tous les ennemis de Juda. —
(1) Op, cil., p. 506. C'est moi qui souligne.
(2) Ibid., p. 590, 597.
LES SYMBOLES DE ZÂCHARIE. 153

2. Puisque les cornes désignent les quatre vents du ciel, pourquoi


cette expression signifierait-elle uniquement les quatre points car-

dinaux autour de Babylone, c'est-à-dire les quatre côtés de la ville?


— Puisque les artisans abattent les qiiatre cornes, pourquoi leur
3.

assigner pour unique fonction de cerner Babylone par les quatre


côtés, c'est-à-dire d'abattre le seul empire des Chaldéens?
Combien plus naturelle l'explication historique qui se fonde sur les
réalités de 519! Toutes les nations sont coupables, elles vont être
toutes châtiées Babylone en premier lieu, sans doute, car elle n'a
:

pas «encore épuisé la coupe des malheurs, mais ensuite, avec elle, les
autres peuples qui furent les complices des Chaldéens.

III. L'ARPENTEUR : ii, 5-9 (Vulgate i, 1-5).

5. Je levai les yeux et j'eus une vision, et voici qu'un homme main une
avait à la

corde d'arpentage. «î. Et je lui dis : Où vas-tu? Il me répondit Mesurer Jérusa- :

lem, pour voir quelle en doit être la largeur et quelle la longueur. 7. Et voici que
sortait l'ange qui me qu'un autre ange venant à sa rencontre: 8. et il
parlait, ainsi

lui dit Cours, parle en ces termes à ce jeune homme C'est à la manière des villes
: :

ouvertes que Jérusalem sera habitée, tellement il y aura d'hommes et de bêtes. 9. Et


moi, je lui serai —
parole de Jahvé —
un rempart de feu tout autour, et je serai sa
gloire dans son sein.

Symbole. — Cette vision met


en scène quelques personnages nou-
veaux à côté d'autres qui déjà nous sont connus. Le prophète aperçoit
d'abord un homme qui tient en main un cordeau à mesurer, une
corde d'arpentage. Interrogé par Zacharie, l'arpenteur répond qu'il
s'apprête à mesurer Jérusalem pour en déterminer la largeur et la
longueur. On s'est étonné parfois que le prophète s'adresse directe-
ment à ce personnage, au lieu de questionner son ange. Mais il suffit
de répondre que l'interprète céleste ne s'est réservé que l'explication
des choses les plus difficiles. Rien n'empêchait l'homme au cordeau
d'exphquer lui-même l'action matérielle qu'il allait exécuter.
Du reste, le dialogue entre Zacharie et l'arpenteur est bientôt inter-
rompu par l'arrivée de deux anges, l'interprète et un autre, jusqu'ici
inconnu. Pour marquer leur venue, le texte se sert uniformément du

verbe sortir, que M. van Hoonacker commente avec bonheur. Il écrit :

« Les personnages ou les objets qui s'offrent à la vision du prophète

sortent, en ce sens qu'ils émergent de la région de l'invisible pour


venir se 'présenter devant lui » (1). Le second ange vient à la rencontre
de l'ange interprète, et sur l'heure celui-ci lui confie une mission à
remplir auprès de V arpenteur.

(1) Op. cit., p. 598.


134 REVUE BIBLIUCE.

A vrai dire, les exégètes sont en désaccord sur les deux points sou-
ligûés dans la phrase précédente. de Knabenbauer, M. van X la suite

Hoonacker est convaincu que c'est l'-ange interprète qui reçoit les
ordres du second ange, et que le jeune homme à qui les ordres sont
communiqués n'est autre que le prophète en personne (1). Au con-
traire, la plupart des commentateurs modernes, Nowack, Marti,
Mitchell..., pensent que c'est l'ange iuterprète qui donne les ordres
et quecommission doit être transmise à l'arpenteur. Je crois qu'ils
la

ont raison. Il serait très surprenant que Zacliarie parlât ainsi de lui-
même à la troisième personne ('2), alors que dans tous les autres
symboles, y compris la vision actuelle, il se met directement en scène,
disant :je yis,je regardai, l'ange qui me parlait... On objecte qu'à ce
compte ce n'est pas le prophète qui est instruit des destinées de la
ville, arpenteur étranger. Mais qui ne voit ici la fiction lit-
mais cet
téraire? En réalité, c'est bien le prophète, témoin et acteur de la
scène, qui profite du petit discours. Du reste, il en profite moins pour
son compte personnel que pour la communauté hiérosolymitaine. On
se souvient que, dans le premier symbole, l'ange avait également
chaîné Zacharie de communiquer au peuple l'oracle de Jahvé concer-
nant Jérusalem et les nations. Autres remarques qui paraissent—
décisives. Aux vv. 5 et 6, le jeune homme et Zacharie conversent
comme deux personnes distinctes. De plus, l'impératif cou?\s suppose
que l'ange envoyé doit rejoindre une personne qui s'éloigne, en l'es-
pèce, l'arpenteur qui va mesurer la ville. Cette hâte ne se compren-
drait pas messager devait simplement aborder le prophète, qui
si le

ne bougeait pas. —
Ajoutons que l'ange interprète est dans son rôle
en se tenant auprès de Zacharie; il n'y serait plus s'il était à la dis-
position du premier ange venu, qui pourrait le charger de messages
pour des personnages quelconques. Dans la solution adoptée, il ne
t lépasse pas les limites de ses fonctions. Il donne des ordres à un autre
ange, ce à quoi personne ne saurait trouver des inconvénients; et, ce
faisant, il renseigne encore le prophète, car le message répond pré-
cisément aux questions incluses dans la première demande que Zacha-
rie adressait à l'arpenteur.
Assurément, une scène aussi peu compUquée dans le fond pourrait
occuper moins de personnages et s'énoncer en termes beaucoup plus
simples. Par exemple, la vision ne perdrait rien à supprimer le rôle

(1) Op. cit.., p. 598.

(2) M. van Hoonacker se voit obligé d'exuliquer le ternie jeniir homme par l'usage
sacerdotal d'Kv., x\iv, r. et <ie I Chron., xii, 28. Car un iiroplièle qui avait des visions en
538 ne devait plus être dans sa prime jeunesse en :>\\).
. LES SYMBOLES DE ZACHARIE. Ib5

du deuxième anue. L'ange interprète aurait pu très bien faire direc-

tement sa commission à l'arpenteur, ne convenait pas qu'il


et, s'il

courût après lui, il aurait pu survenir au moment où ce personnage


s'entretenait avec son client. —
Mais les commentateurs ne sont pas
chargés de trouver des combinaisons meilleures pour les épisodes
bibliques. N'est-ce pas également dans le premier symbole que nous
avons observé cette pléthore de personnages? C'était, semble-t-il, le
goût de Zacharie de multiplier les acteurs. Au demeurant, ce luxe de
la mise en scène ne nuit en rien à la clarté. Nous n'avons donc pas à
nous en plaindre.
Leçon. — Pour dégager
enseignements de cette vision, qui n'est
les

pas à proprement parler un symbole, deux choses sont nécessaires :

comprendre le sens de la démarche faite par l'arpenteur et le message


de l'ange interprète.
Certains commentateurs récents estiment que l'homme au cordeau
personnifie les craintes ou les impatiences populaires de la jeune
communauté. La nouvelle Jérusalem n'allait-elle pas avoir des pro-
portions par trop exiguës (Nowack)? Ne connaitrait-on pas enfin les
limites qui lui seraient assignées (Marti i? Le message de l'ange aurait
pour but de calmer ces impatiences et de dissiper ces appréhensions.
— Mitchell critique cette manière de voir. Pour lui, le personnage
mystérieux serait « un représentant de ces Juifs mesquins, prudents à
l'excès, qui, malgré les prédications d'Aggée, formaient un parti

réellement influent » (1) ; Juifs patriotes sans doute, et qui voulaient


bâtir, mais qui n'étaient pas enclins à dépasser, pour les frais des
constructions, les besoins du moment. L'ange viendrait alors rassu-
rer ces timides et montrer l'inanité de calculs trop prudents.
Ces opinions ont toutes l'inconvénient de n'être pas appuyées par
le textede Zacharie. Autant que possible, tenons-nous-en toujours
aux données du symbole, en nous défiant des hypothèses. D'après
la première vision, Jérusalem devait être rebâtie. Comment? Dans
quelles proportions? C'était une question qu'il restait à élucider.
Raisonnablement on ne pouvait rêver pour la cité nouvelle que les
dimensions ordinaires d'une ville fortifiée. En Orient, ces places occu-
paient à peine quelques hectares de terrain qui se laissaient aisément
mesurer au cordeau. Or, il n'en sera pas ainsi. L'ange vient préci-
sément annoncer que la nouvelle cité dépasserait toutes ces prévi-
sions. Elle se dilaterait comme une ville ouverte et sans remparts
(niîis) au gré des besoins qui seront immenses, car la multitude des

(1) op. cit., p. 137.


156 REVUE BIBLIQUE.

hommes et des bestiaux sera infinie. —


Dans cette interprétation,
l'homme représente les espérances normales des Juifs rapatriés et
l'anee promet de la part de Dieu que toutes ces espérances seront
dépassées d'une manière prodigieuse. Tout est là. Puisque nous igno-
rons s'il y avait des tiraillements dans la communauté au sujet de la
reconstruction de Jérusalem, on n'a pas à les sous-entendre dans la
vision. Les données actuelles fournissant une signification plausible,
on n'en cherchera point d'autre.
Revenons maintenant sur quelques détails. Lorsque l'ange parle de
ville ouverte, il va sans dire (jue cette donnée toute symbolique est
conciliable avec la réalité historique, telle que la fit Néhémie au siècle
suivant; je veux dire que la Jérusalem nouvelle peut figurer dans un
symbole comme ville ouverte, et cependant avoir eu dans la réalité
de bons et solides remparts, car l'ange promettait surtout que la cité
aurait des proportions extraordinaires, qu'elle pourrait se développer
sans entraves à la façon des villes ouvertes. — S'il restait sur ce point
quelque scrupule, on pourrait ajouter qu'il entre toujours en de telles
promesses une part d'emphase messianique qui ne doit pas se prendre
au pied de la lettre.
Mais ces perspectives de ville ouverte ne vont-elles pas éveiller
l'appréhension d'un nouveau danger, l' insécurité si redoutable à
cette époque de guerres et de razzias perpétuelles? Qu'on se rassure.
Jahvé lui-même promet d'être à la ville populeuse un rempart, et un
rempart de feu, dont nul ennemi n'oserait approcher. En même
temps, comme il séjournera de nouveau dans la cité, il sera pour elle
un objet de gloire incomparable. Cette dernière assurance n'était pas
absolument inutile pour des Sémites toujours exposés à payer tribut
aux préjugés théologiques des peuples circonvoisins. Non seulement
le peuple élu, mais encore Jahvé, son Dieu, a repris possession de la

ville sainte. Rapatrié lui aussi, il fera désormais la sécurité et la

gloire de Jérusalem.
Hyperbole ou messianisme? Zacharie n'avait pas à mesurer ces
prophéties au cordeau de la réalité. Il lui suffisait d'inculquer à ses
compatriotes cet optimisme qui était le sien. Qu'on fit confiance à
Jahvé II allait satisfaire tous les vœux, et au delà.
1

Il ne rentre pas dans le plan de ce travail de commenter les versets

suivants (10-17), qui divisent les interprètes. Les uns, comme Marti,
les déclarent interpolés; d'autres, comme van lloonacker, y voient
la C(mtinuation du discours de l'ange anonyme (1).-

(1) Il faudrait ajouter que, d'après M. v. II., les vv. 7 ss. ne doivent pas être considérés
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 157

Ces explications ne passent-elles pas à côté de la vérité? Ces vv.


sont plutôt un discours exlrasymbolique, qui se rattache de quelque
manière au sujet précédent, mais ne fait point partie du symbole.
Jahvé invite les tribus dispersées à rentrer en Palestine (10, 11); il
leur exprime sa tendresse Qui vous toucJte, touche à la 'prunelle de
:

mon œil (12) il va châtier les nations -.j' agile ma main contre elles (13),
;

élire à nouveau domicile à Jérusalem (li); de nombreuses nations se


rallieront à Jahvé (15) et Israël sera son héritage (16). Silence à toute
chair devant Jahvé! (17).
La situation historique envisagée dans le symbole, tout le monde
en convient, est celle de 519. Cependant, fidèle à son système d'inter-
prétation, M. van Hoonacker se représente le prophète se plaçant à
quelque vingt ans en arrière, en 538, pour considérer de loin les
événements qui se passaient tout juste au moment où il écrivait.
«( De ce point de vue (de 538), dit-il, il (le prophète) a pu envisager
et décrire comme imminents des événements qui, en 519, étaient déjà
accomplis, ou en voie de s'accomplir..., et d'autres dont l'accomplis-
sement était réservé à un avenir plus ou moins lointain, tels que le
relèvement matériel et politique de la ville même de Jérusalem et de
la destinée messianique de Juda. Par leur nature même, les visions
nocturnes, où le prophète prenait son point de vue dans le passé, se
prêtaient à ce mélange... » (1).

Le lecteur demandera sans doute L'explication historique de 519


:

n'est-elle pas beaucoup plus simple?

IV. LA RÉHABILITATION DU GRAND PRÊTRE : in, 1-5.

Les symboles de Zacharie ont suivi jusqu'ici une marche ascen-


dante dans le développement du même sujet. Le symbole des cava-
liers a été une première prise de contact avec les réalités conso-
lantes de l'avenir; le second, celui des cornes et des artisans, a prédit
que les ennemis de Juda seraient abattus; le troisième, celui de l'ar-
penteur, a donné l'assurance que Jérusalem, libre de ses ennemis,
prospérerait dans la sécurité. Mais il restait à nuiitrer comment devait
s'organiser la société restaurée. C'est l'objet des symboles suivants.

1. 11 voir Josué, le grand prêtre, debout devant Fange de Jahvé et l'adver-


me fit

saire debout à sa droite pour lui faire opposition. 2 Et


'
l'ange de Jahvé dit à '

l'adversaire Que Jahvé te réprime, ô adversaire, que Jahvé te réprime, lui qui a
:

l'arpenteur),
« comme faisant partie de la desciiption de la troisième vision » (celle de
cf. p. 598.
(1) Op. cit., p. 600.
I=i8 REYUE BIBLIQLE.

fait choix de Jérusalem! Celui-ei, n'est-il pas im tison arraciié du feu ? 3. Or Josué
était vêtu d'iiabits sordides et il se tenait devant l'auge. 4. Et Tange", reprenant la
parole, dit à ceux qui se tenaient devant lui : Enlevez-lui ses vêtements sordides —
et il lui dit : Vois, je t'ai fait enlever ton iniquité — et revêtez-le d'ornements d'ap-
parat. 5. ]
'
et mettez '-lui sur la tête une tiare pure! Et ils lui mirent la tiare

pure sur la tête et ils le revêtirent d'ornements. Et l'ange de Jahvé se tenait debout.

Symbole. — Comme le texte massorétique a souffert de visibles


perturbations, le texte des Septante, mieux conservé, nous aidera à
reconstituer la teneur primitive du symbole. Au v. 2, bien que l'hé-
breu et les Septante soient d'accord sur la kçon Jahvé dit à l'adver- :

saire,}QsmE d'avis avec Nowack, Marti, Mitchell... qu'il faut lire


l'ange de Jahvé, puisque aussi bien il est question de Jahvé à la troi-
sième personne dansle même verset. Mais c'est surtout aux vv. i et 5
que Je'texte original est corrompu.
Dans ce petit discours, il faut évidemment rétablir les verbes à
l'impératif et à la deuxième personne du pluriel, comme nous y invi-
tent les Septante, en supprimant, au début du v. 5, le verbe et il dit.
Nous obtenons ainsi une phrase bien suivie E?i levez-lui ses vêtements :

sordides, revêtez-le de ses ornements d'apparat, mettez-lui su? la tète


une tiare pure. Au v. V, ["apostrophe de Tange à Josué est très con-
troversée. Nowack et Marti la regardent comme une interpolation;
van Uoonacker la reporte à la suite du v. 5, tout à la fin du discours.
— L'interpolation n'est pas prouvée; d'autre part, puisqu'il est avéré
que Zacharie n'a pas une tenue littéraire irréprochable, pourquoi ne
pas garder cette apostrophe à sa place, en la considérant seulement
comme une jyare/zMèse? Parenthèse qui, du reste, se comprend fort
luen. L'ange donne ses ordres peu à peu, au fur et à mesure ([u'ils
s'exécutent. Il coçnmande qu'on enlève à Josué ses habits sordides.
C'est fait. Et aussitôt l'auge d'exprimer sa haute satisfaction : Vois,
dit-il au grand prêtre, yc t'ai fait enlever ton iniquité. L'ange continue :

Qu'on lui donne des habits d'apparat et une tiare neuve! Cette fois le
texte dit en toutes lettres qu'on fît comme il avait été prescrit;
Lia scène comporte trois personnages principaux l'ange deJahvi', :

le grand 'prêtre et V adversaire.

De l'ange de Jahvé, Marti dit très bien qu'il diflere de Jahvé lui-
même, en tant qu'il est son vicaire terrestre, der irdische Stellvcrtre-
ter JaJiwes (1). Le premier symbole de Zacharie nous avait })r"évenus
de cette différence. Mais ici elle est plus accusée : l'ange parait le
fondé de pouvoir de Jahvé; il résiste à l'adversaire, préside à l'inves-

{\)0p. cit., p. 408.


LES SYMBOLES DE ZACIIARIE. lb&

fiture de Josué et Tiutronise en quelque sorte dans ses nouvelles


fonctions.
Le grand prêtre Josué, fils de Josédec, nous est connu par les livres
d'Esdras et d'Aggée. Il est probable qu'il était né sur la terre d'exil
(cf. I Chron., 5, VI; Vulg. vi, 15). Il était du nombre relativement

très faible des rapatriés, pareil, dit Zacharie, à iin tison arraché de
l'tncendie. C'est sur lui que se concentre l'intérêt du symbole.
A droite de Josué, devant l'ange de .ïahvé, se tenait l'adversaire
[vct'-, le satan, avec l'article). Les critiques ont beaucoup disserté sur

le nom et la qualité de ce personnage. Ils ont même prétendu que la


création en revenait à Zacharie, iMarti, entre autres, qui en fait la
personnification de la conscience accusatrice s'élevant contre le grand
prêtre. Mais l'abstraction n'est-ellc pas trop froide pour être plau-
sible? M. van Hoonacker fait remarquer en outre que satan ne signifie
pas accusateur, mais adversaire, opposant. Comme dans Job (i, 6 ss.)
et les Chroniques (I Chr., xxi, 1), ce personnage, que Zacharie n'a

pas eu à créer (1;, est plutôt un agent surnaturel, de même nature que
les anges, agent du mal, non pas à la façon de l'Ahriman deZoroas-
><

tre, mais dans une condition d'absolue subordination à Jahvé » (2).


Cependant l'adversaire n'est ici qu'un nom commun, ainsi que l'ar-
ticle l'indique. Zacharie ne désigne pas un individu bien déterminé.

Il nous présente un opposant dont la personne s'eJQFace pour ne lais-

ser paraître que la fonction. Nous disons dans le môme sens le juge,
V avocat, le procureur du roi... Comme c'est son rôle, l'adversaire est
là pour faire opposition à Josué devant l'ange de Jahvé, et il se tient
à la droite du grand prêtre. On croyait autrefois que la droite était la
place oflicielle des accusateurs. Mais un examen plus attentif des réfé-
rences bibliques a montré que le côté était indifférent. Par exemple, le
même psaume cix (Vulg. cviii) évoque l'accusateur à la droite du
méchant pour qu'il lui nuise (v. 6) et Dieu à la droite du pauvre pour
qu'il le protège (v. 31). — Sur quel point précis portaient les accusations
de l'adversaire? Le texte ne le précise pas; mais il est à croire,
d'après la suite, qu'elles tendaient à empêcher l'investiture par la
substitution des habits neufs aux vêtements sordides. L'ange de Jahvé
déboute l'accusateur il fait ôter à Josué ses habits malpropres qui
:

sont bientôt remplacés par des ornements d'apparat. Ces ordres sont
exécutés par des agents dont on ne parle (]ue lorsqu'on a besoin de

(1) M. van Hoonacker dit très bien : « Pour faire tenir le rôle de l'accusation à un
acteur qu'il désigne comme VÇ "w", il faut que Zacharie ait trouvé la figure de ce « Satan »

déjà constituée « (p. 606).

(2) Ibid., p. 606.


160 REVUE BIBLIQUE.

leurs services, subalternes qui restent modestement dans Tombre


pour ne pas g-êner les mouvements des acteurs principaux.
Mais il est temps d'étudier le symbolisme de cette vision.

Syynbolisme. — La première chose qui frappe dans ce symbole,


c'est la mise en accusation du grand 'prhre. Pourquoi est-il poursuivi
par ladversaire? d'où lui viennent ses habits sordides? quelle faute
a-t-il commise ou de quelle responsabilité est-il chargé? quelle est

enfin la signification de cette affaire judiciaire?


Comme toujours en matière y a abondance de solu-
si délicate, il

tions. Les anciens rabbins pensaient que .losué avait épousé en capti-
vité une femme étrangère; daprès quelques exég'ètes, il se serait
rendu coupable de faiblesse en tolérant les pratiques idolàtriques de
ses compatriotes (C. a Lapide), ou en ne stimulant pas leur paresse
dans l'œuvre de la reconstruction du temple Trochon). Aujour-
d'hui, toutes ces explications sont justement abandonnées. — Saint
.lérôme proposait une solution plus heureuse, lorsqu'il montrait le

grand prêtre chargé, non pas de fautes pei*sonnelles, mais des ini-
quités de son peuple. C'est encore le sentiment de Théodoret, de dom
Calmet, Nous reviendrons là-dessus.
etc.

Les critiques modernes ont pris une autre direction. Nowack part
de ce principe sémitique que « quiconque est poursuivi par le
malheur, passe pour puni de .lahvé ». Les rapatriés se trouvaient
toujours dans un état misérable. Ils pouvaient donc se demander
encore si leurs souffrances avaient apaisé la justice divine, si, leurs

fautes n'étaient pas un obstacle à la reconstitution de la communauté


et du temple. Le satan, qui est une création analogue à celle du jeune
homme dans la vision de l'arpenteur, est la personnification de ces
doutes. A ce compte, le grand prêtre personnifierait la communauté
entière avec ses souffrances et ses malheurs. L'ange répond que la
communauté a assez souffert, puisqu'elle a été sur le point de dispa-
raître, et l'investiture est précisément le signe des grâces qui vont lui
être départies avec surabondance (1). A la suite de Nowack, Marti —
s'attache lui aussi à « mettre en lumière que laccusation dont le
pontife est l'objet devant le tribunal de l'ange de .lahvé, extériorise
dans une scène symbolique le drame intime de la conscience
juive » (2).

Ingénieuse, cette explication semble l'être beaucoup trop. On jugera


aussi d'un coup d'œil combien elle s'écarte du sens naturel du texte.

(1) Op. cit., p. 325.

'2; Van lloonacker, op. cit., p. Do:,-, cf. Marti, p. 408. Pour Mitchell, la vision ilraina-
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. J61

Le génie sémitique ne se prête guère à toutes ces personnifications


d'entités abstraites, malheurs, soulfrances, voix de la conscience, etc.
En l'absence de tout commentaire, un tel symbole n'eût été pour les
Juifs qu'une énigme. Nowack pense que le v.
2'' Jahvt qui a fail :

choix de Jérumlem prouve l'identification de Josué avec la commu-


nauté., La conclusion est forcée l'intérêt que Dieu porte à Jérui^alem
:

s'explique fort bien encore, en la circonstance, si le symbole traite de


la réhabilitation du sacerdoce qui desservait le temple. Ajoutons à
cela l'apostrophe de l'ange au grand prêtre : Vois, je t'ai fait enle-

ver ton iniquité Ce mot iniquité, qui doit évidemment se


(^jj'lir v. 'i-'').

prendre au sens propre, n'indique-t-il pas que Josué portait en effet


un poids de péchés? (1).

Mais quels péchés? On a vu que les textes ne faisaient pas allusion


à des fautes personnelles commises par Josué. Ce sont néanmoins des
iniquités qui le touchent de près, dont il assume en quelque sorte la
responsabilité, puisqu'elles l'enveloppent comme un vêtement, et

qu'elles lui sont ensuite enlevées comme des habits sordides. Faut-il
dire, avec saintJérôme, Théodoret et domCalmet, que Josué porte les
iniquités de tout le peuple? Mais on ne voit pas en vertu de quel
pacte le grand prêtre seul serait rendu responsable des péchés du
peuple, et pourquoi, dans cette hypothèse, Zorobabel, chef civil de la
communauté, qui est si étroitement uni à Josué dans les derniers
symboles de Zacharie, ne lui serait pas également associé dans l'at-

tribution des responsabilités morales'.


.La véritable solution semble avoir déjà été indiquée par les exé-
gètes catholiques, Knabenbauer, Crampon, van Hoonacker. Josué,
en assumant les fonctions du souverain sacerdoce, héritait dos res-

ponsabilités dont il était grevé. Car les prêtres avaient une lourde
part aux crimes nationaux qui avaient amené la catastrophe de 587.
Aux yeux de la justice divine, ces fautes étaient une déchéance en
même temps qu'une souillure. Cet état de choses allait-il se prolon-
ger? A la société nouvelle, au temple nouveau, ne fallait-il pas un
sacerdoce renouvelé? Pour se renouveler, le sacerdoce avait besoin
d'une absolution générale, qui le désolidarisât des fautes commises
par les prêtres préexiliens; il lui fallait une nouvelle consécration, une
nouvelle investiture, qui rappelât celle d'Aaron au désert. C'est à

lise l'opposition entre la justice et la miséricorde de Dieu. C'est la miséricorde qui finit

par prévaloir {op. cit., p. 151).

(1^ On trouve une confirmation de ces preuves dans ce fait nue les symboles suivants,
lorsqu'ils parlent de Josué et de Zorobabel, entendent toujours parler des personnages
historiques de ces noms.
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 11
162 REVUE BIBLIQUE.

quoi nous assistons dans la présente scène. Au lever du rideau, Josué


est encore chargé des iniquités du sacerdoce antérieur. L'adversaire,
ennemi juré du gTand prêtre etdu sacerdoce en général, plaide
contre l'idée d'un relèvement, pour le maintien de la déchéance.
L'ange réplique en alléguant la miséricorde de Jahvé qui de nouveau
a fait choix de Josué ce choix ne comporte-t-il pas l'inauguration
:

d'un nouvel état de choses par l'oubli du passé et le pardon des


fautes? Il fallait tenir compte aussi de la terrible pénitence accomplie
durant l'exil « Celui-ci n'est-il pas un tison arraché du feu? » Sur
:

des intentions divines, l'ange ordonne que l'on procède à l'in^'csti-


ture. Et la cérémonie s'accomplit. Le g-rand prêtre ne garde plus rien
des habits contaminés; il inaugurera l'ère nouvelle du sacerdoce
postexilien avec une conscience neuve, La scène décrite dans la
c

présente vision, dit M. van Hoonacker, représente, dansia personne


de Jehoschoua, le prêtre, encore sous le coup de l'accusation motivée
par les infidélités d'autrefois, purifié de ses souillures et réhabilité
par le juge souverain » (1).
S'il fallait cataloguer ce symbole dans la nomenclature en usage

pour les paraboles, on dirait que c'est un symbole allégorique, parce


qu'il utilise des métaphores plutôt que des comparaisons les habits
:

sordides sont la métaphore des anciennes souillures, et les ornements


d'apparat celle de la réhabilitation dans les faveurs divines. On
résumerait ce tableau dans la phrase suivante :

La vision du grand prêtre échangeant ses vêtements sordides pour


des vêtements d'apparat,
est le gage que Dieu ne tient plus rigueur à .losué et aux prêtres des
fautes commises par leurs prédécesseurs, et qu'au contraire il leur
confère lui-même l'investiture de leurs fonctions sacrées.
Le discours des vv. 6-10 est plutôt à considérer comme un dévelop-
pement extrasi/mboiique, greffé sur la vision précédente. A cause de
son importance, il est nécessaire d'en dire ici quelques mots. Le
début du V. 6, comparé à la fin du v, 5, montre qu'il y a un arrêt ou
une lai^une entre les deux versets. L'ange de .lahvé fait savoir au
grand prêtre que Dieu attache les plus grands biens à l'exacte fidélité
dans l'accomplissement de ses préceptes (v. 7). Il lui annonce, ainsi
qu'à ses collègues du sacerdoce, qu'il amène son serviteur Germe
(niSÀ* V. une pierre est placée devant .losué, sur laquelle sont sept
8);
yeux; .lahvé va la sculpter et ôter l'iniquité du pays (v. 9), en sorte
que les réjouissances paisibles pourront être reprises, comme jadis, à

(1) Op. cil., p. 605.


LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 163

Tombro de la vigne et du figuier (v. 10). Les vv. 8 et 9 étant les


plus importants, donnons-en la traduction littérale : v< 8"- Voici que
Voici la pierre que j' ai placée devant
f amène mon serviteur Germe. 9.

Josué; sur une seule pierre [il y a\ sept yeux; voici que fy grave des
sculptures —
oracle de Jahvi' des armées et j'enlèverai l'iniquité de —
cette terreen un seul jour, »
Versets très difficiles. Autant de problèmes que de mots. Qui est le

Germe? qu'est la pierre? que sont les yeux et les sculptures?


Les explications proposées peuvent se ramener à deux chefs celles :

qui entendent ces paroles du Messie au sens littéral et celles qui les
entendent directement de Zorobabel.
Dans la première catégorie se rangent saint Jérôme, C. a Lapide,
Trochon, Crampon, Knabenbauer; dans la seconde Eusèbe, Théodoret,
dom Calmet, Nowack, Marti, Mitchell, van Hoonacker...
Pour les premiers, le Germe est le Messie, et la pierre la société

théocratique à réédifier; les sept yeux seraient les sept anges qui se
tiennent devant Dieu et s'intéressent au rétablissement de la théo-
cratie (Koabenbauer) les sculptures seraient les emljellissements que
;

le Messie doit apportera son œuvre. J'ometfc à dessein les nuances ou


les variétés des interprétations.
Du reste, elles ont toutes l'inconvénient de ne pas prendre en con-
sidération le contexte historique de Zacharie. D'un bout à l'autre
du recueil, tous les symboles de cet auteur roulent sur la situa-

tion politique et religieuse de l'an .519. Mais, de plus, puisque le sym-


bole de la couronne (vi, 12) identifie le Germe avec Zorobabel :

Voici un homme dont le nom est germe; germera par-dessous et


il

il bâtira le temple de Jahvé (cf. iv, 6-9), il semble qu'il faille s'en tenir
à cette indication.
C'est ce que font les auteurs de la deuxième catégorie. Ces derniers
néanmoins se partagent eux-mêmes sur divers détails fort importants.
Par exemple, pour WcUhausen et Now^ack (1), la pjierre serait la pierre
précieuse du diadème réservé au roi k venir, les yeux en seraient les
facettes, et la gravure serait le nom du roi, Zorobabel, inscrit sur la
pierre. Pour Mitchell, la pierre est un ornement destiné au costume
du grand prêtre (2).
Plus généralement, les auteurs modernes entendent par pierre la
clefde voûte ou le fronton qui doit terminer la construction du tem-
ple (cf. rv, 7), et par sculptures les ornements qui en feront une

(1) Op. cit.. p. 328.

(2) Op, cit., p. 157.


J64 REVUE BIBLIQUE.

œuvre d'art (Marti, van Iloonacker). Les sept yeux sont expliqués ou
bien de la sollicitude divine qui suit tous les progrès de ce travail
(Marti) ou bien des « sept facei* de la pierre qui devront recevoir les
or»ements sculpturaux » (van Hoonacker).
Je me range très franchement parmi ceux qui expliquent tout ce
passage de Zorobabel pour les mêmes raisons qui rendent pré-
,

caire l'interprétalion opposée. Le Germe, c'est Zorobabel (1) la pierre, ;

la clef de voûte ou le fronton; les yeux, Voculatissima Providentin,


comme le dit excellemment G. a Lapide, la Providence toute remplie
de sollicitude pour rornementation de la dernière pierre, symbole de
l'achèvement du temple. L'exégèse de ce dernier trait semble fixée par
IV, 10 Ce sont les sept yeux de Jahvr.
:

prophète n'est pas plus explicite en cet endroit, c'est que ces
Si le
versets ne sont qu'une sorte de préface ou de transition à la vision
suivante, qui sera toute consacrée à ce même sujet (iv, 6-10). Il arrive
fréquemment aux prophètes d'être très obscurs, à peine intelligibles,
lorsqu'ils traitent pour la première fois un difficile sujet; tel Isaïe en
ses premiers oracles sur l'Emmanuel ou le Serviteur de Jahvé. Peu à
peu la lumière se développements qui suivent éclairent les
fait, et les

premiers linéaments plus obscurs, il en est ainsi dans le cas présent.


Pour finir, rappelons que les versets 8" et 10 ont été, ces derniers
temps, l'objet d'attaques systématiques de la part d'éxégètes protes-
tants, tels que Marti, Mitchell, qui les regardent comme des additions
postérieures (2). La principale raison qu'ils allèguent est que, Zoro-
babel étant le contemporain de Josué et se trouvant à ses côtés, il
n'est pas besoin de l'amener. Traduire « J'amène Zorobabel déjà :

présent comme germe, est extrêmement forcé », écrit Marti (3).


Mais cette difficulté disparait, dès que l'on se pénètre bien de l'es-
prit du symbole. Zorobabel n'est pas plus amenr en 519 que Josué ne
reçoit alors ses ornements sacerdotaux. En réalité, l'un et l'autre ont

été investis de leurs augustes fonctions, lorsqu'ils se sont mis à la tête


de la caravane des rapatriés. La vision symbolique dramatise cette
réalité déjà ancienne, en l'exprimant cVnne manière sensible, à un
moment donné de l' histoire ; ow si l'on préfère, elle est la confirma-
,

tion extérieure donnée par Dieu à des institutions dont il était l'auteur

Quelques Pères, écrit dom Calmet, croient que le Seigneur promet ici d'envoyer
(1) «
Zorobabel, qui élait un si/mbole du Messie, et qui devait rétablir le Teuijile. Les versets
11 et 12 du cliap. vi favorisent ce sentiment « {Commentaire liltc'ral. ]>. :.54). Cependant

Zorobabel est la figure du Messie.


(2) A la suite de Dubm, Marti rejette également l'aulhenticité de .Jérémie, xxm, 5;
xxxiii, 15, où il est question du Germe.

(3) Op. cit., p. 410.


LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 165

invisible, mais réel. van Hoonacker dit très bien dans le môme
M.
sens : « Il est vrai qu'au moment où Zacharie met dans la bouche
de Jahvé cette proclamation, Zorobabel et ses compagnons avaient
déjà repris l'oeuvre du temple et bâtissaient avec entrain... Mais on
conçoit aisément, vu le caractère apocalyptique de la composition,
que la réalité présente soit considérée, dans la vision de Zacharie,
d'une manière idéale, comme objet des dispositions providentielles de
Jahvé » '1).

V. LE CANDÉLABRE ET LES DEUX OLIVIERS : iv.

1. L'ange qui me parlait revint m'éveiller comme un homme qui s'éveille de san
sommeil, 2. et il me dit Que vois-tu? Et je lui dis J'ai eu
:
'
: une vision, et voici

qu'ily avait un candélabre tout en or, avec un


'
réservoir à son sommet; il avait '

sept lampes [] et sept conduits pour les lampes 'qu'il contient '. .3. Et deux oliviers
'

le dominaient, l'un à droite du réservoir et l'autre à sa gauche. 4. Et je repris et je

dis à l'ange qui me parlait : Qu'est-ce que c'est, mon Seigneur? 5. Et l'ange qui
me parlait me répondit : Ne Non, mon Seigneur.
sais-tu pas ce que c'est? Et je dis :

G. Il me répondit et me dit Telle est la parole de Jahvé à Zorobabel


: Ce n'est ni :

par la puissance, ni par la force, mais par mon esprit, dit Jahvé des armées.
7. Qu'es-tu, grande montagne, devant Zorobabel? Une plaine. Et il élèvera la pierre

du sommet parmi les acclamations Hên, hên lâh (à elle grâce, grâce!). 8. Et la :

parole de Jahvé me fut adressée en. ces termes 9. Les mains de Zorobabel ont posé le :

fondement de cette maison, ses mains l'achèveront, et vous saurez que Jahvé des ' '

armées m'a envoyé vers vous. 10. Car qui a méprisé le jour des c1ios.es petites? Ceux-là
se réjouiront à la vue de la pierre [?] entre les mains de Zorobabel. Ces sept sont
les yeux de Jahvé qui parcourent toute la terre; 11. Et je pris la parole et je lui —
dis Que sont-ce que ces deux oliviers à droite et à gauche du candélabre ? 12. glose ?)
: (

13. Il me dit Ne sais-tu pas ce que c'est? Et je dis Non, mon Seigneur. 14. Et il
: :

me dit Ce sont les deux flis de l'huile qui se tiennent près du Seigneur de toute la
:

terre.

Symbole. — Afin de ne pas encombrer l'e.xposé du symbole, com-


mençons par étudier quelques problèmes de critique textuelle. Je ne
parle pas des légères corrections que tous les commentateurs appor-
tent aujourd'hui au texte massorétique du v. 2 je lui dis au lieu de :

// dit, un réservoir au lieu de son réservoir, sejit lampes au lieu de

sept et sept, les lampes qui sont sur lui, qu'il contient, au lieu de qui
sont au-dessus de lui. On convient également que le v. 12 est d'une
authenticité douteuse. Mais que les critiques il s'agit des versets 6-10,
déclarent étrangers au présent contexte. M. van Hoonacker les trans-
pose à la fin du chap. m; plus généralement (Wellliausen, Nowack,
Gautier, Mitchell), on les rejette tout à la fin du chap. iv, après le

(Ij op. cit., p. Glu.


1G(f REVUE BIBLIQUE.

V. 14. Marti va jusqu'à écrii^e Le discours à Zorobabel interrompt


: c<

le récit de la vision il est actuellement si peu à sa place qu'il ne peut


;

avoir été mis là que par méprise (durch \ ersehen) » (1).


Je ne saurais partager cette manière de voir. Pour le montrer, il
est nécessaire d'anticiper quelque peu la description du symbole. La
vision nous met sous les yeux un candélabre , avec un bassin à huile,
des canaux dominé par deux oliviers. Quelles
et sept lampes, le tout
sont les pièces importantes de ce tableau? Sûrement les sept lampes,
dont on nous dit qu'elles sont les sept yeux de Jahvé, et les deux oli-
viers, dont on nous dit qu'ils sont les deux fils de l'huile, les deux
oints, sans doute Josué et Zorobabel. Mais que penser de tout le
reste? On admettra volontiers que les conduits et même le bassin à
huile sont des accessoires, dont on ne doit point se préoccuper dans
l'application — détails paraboliques, dirait-on en style de para-
boles (2). Mais tout le monde pressent que le candélabre, lui, ne peut
être un simple décor, un trait insignifiant ; de fait, tous les critiques
en recherchent la signification. Or l'explication du chandelier se
trouve dans les versets incriminés ou elle n'est nulle part. La cher-
cher, comme le fait Marti, au v. 10", dans le membre de phrase
relatif aux sept yeux, c'est commettre une confusion. Les lampes ne
sont pa|> le candélabre. En revanche, les vv. 6 et suivants nous four-
nissent les explications attendues, lorsqu'ils nous parlent de la cons-
truction du temple et, en particulier, de la pierre du faite. D'où la
conclusion légitime que le candélabre, c'est la pierre du fronton ou la
clef de voûte, tout comme au chap. in, 9. Et cette coïncidence n'est
pas une confirmation à dédaigner.
Que l'on remarque bien l'harmonie c[ue ces versets G-IO appor-
tent au symbole et le déséquilibre qui résulterait de leur déplace-
ment. Dans la vision figurent le candélabre, les sept lampes, les deux
oliviers. Sans les versets 6 ss., l'explication ne porte que sur les lampes
et les oliviers; avec ces versets, au contraire, elle reprend dans l'ordre
voulu les éléments essentiels, candélabre, lampes et oliviers.
Mais que penser des objections d'ordre textuel que les critiques
élèvent contre l'authenticité de ce passage? La plus frappante, on
peut dire l'unique, est que le v. 10'' fait normalement suite au v. G" : //
me rèpjondit et me dit : ... Ces sept sont les t/eu.r de Jahvc. Tout ce
qui sépare ces deux membres de phrase n'est -il pas une interpo-
lation?

(1) Op. cit., p. 412.


(2) C'est ainsi que dans le symbole des courriers on n'a pas cherché l'explication des
chevaux, ni, dans le symbole de l'arpenleur, celle du cordeau.
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 167

Il faut convenir que le genre littéraire des vv. 6-10' surprend, et


même, si l'on veut, détonne dans ce contexte. On s'attendrait à y trou-
ver quelques-unes des formules schématiques, familières à Zacharie,
celles-ci par exemple : Le candélabre, c'est le temple, ou la pierre du
sommet, tout comme nous au v. lO"^ Les sept lampes sont les
lisons :

yeux de Jahvé, et au v. 14 Les deux oliviers sont les deux fils de


:

l'huile. Au lieu de cette simplicité quelque peu rigide et scolastique,


ces versets nous offrent de belles déclarations oratoires, rappelant
le ton solennel des grandes prophéties « Ce n'est ni par la puissance
:

ni par la force, mais par mon esprit, dit Jahvé des armées. Qu'es-tu,
grande montagne?... » Assurément il y a là une anomalie littéraire.
D'autre part, tous les critèi-es externes sont favorables à l'authenti-
cité de ces oracles. Le texte massorétique est très ferme, les versions
n'offrent pas le moindre indice d'hésitation. A quoi l'on ajoutera le
critère interne, ci-dessus exDosé : les vv. 6-10^^, à tout le moins les
vv. 6 et 7 sont nécessaires à l'intégiité du symbole; sans eux le sym-
bole est incomplet et déséquilibré.
Y a-t-il moyen de concilier cette anomalie littéraire avec l'authen-
ticitédu passage en question? Il existe sans doute divers moyens.
Toutes choses bien pesées, on regarde ici comme la plus probable
l'hypothèse suivante. Supposons que Zacharie, dont la rédaction est
souvent fragmentaire et pénible, avait déjà consigné par écrit les ora-
cles des vv. 6-10'^ et qu'il les avait sous la main. Lorsqu'il est arrivé
au symbole des oliviers, constatant .l'analogie du nouveau syjnbole
avec le fragment rédigé, il se sera contenté d'utiliser les matériaux
préexistants, sans prendre la peine de les remanier, et il se sera cru
dispensé de nous offrir toute autre explication, en forme scolastique.
sur le candélabre.
Je le répète, ce n'est là qu'une hypothèse. Mais en tout cas, on peut
tenir pour assuré que symbole ne saurait se passer des vv. 6 et 7.
le

S'ils n'étaient pas de la main de Zacharie, il faudrait conclure, sans

hésiter, que le prophète avait écrit, à cette même place, un commen-


taire analogue pour le fond à celui-là.
Nous pouvons maintenant essaver de reconstituer le svmbole.
Zacharie voit un candélabre à sept lampes. Ces lampes communiquent
chacune par un tube avec un bassin unique placé au-dessus du chan-
delier; c'est par ces canaux qu'elles s'alimentent d'huile. Enfin,
dominant tout l'appareil, deux oliviers, l'un à droite, l'autre à gauche,
tels les deux chérubins qui couvraient l'arche de leurs ailes étendues.

Le candélabre de Zacharie a sept lampes comme le chandelier


mosaïque; mais celui-ci n'avait ni les sept canaux ni le réservoir; ses
168 REVUE BIBLIQUE.

lampes étaient directement alimentées par les soins des prêtres. On


est surprisque M. van Hoonacker se représente le candélabre de Za-
charie sous une forme circulaire, les sept lampes « disposées... en
cercle autour de la tige du candélabre » (1). I.e petit réservoir
d'huile pouvait très bien être aménagé au-dessus de la lampe du
milieu au moyen de quelque élémentaire dispositif. Le même auteur
estime « plus probable... que les oliviers étaient représentés par deux-
tiges s'élevant à l'intérieur formé par les lampes, de manière
du cercle
que leur cime encadrât le réservoir fixé au sommet du candéla-
bre » (2). N'est-ce pas un peu trop ingénieux?

Si/tnbolisme. — Les solutions proposées sont naturellement très


nombreuses. Pour les rabbins, au dire de saint Jérôme, le chandelier
était la loi, la flamme supérieure le Messie, les sept lampes étaient
les sept dons du Saint-Esprit, les deux oliviers la loi et les prophètes.
Pour saint Jérôme lui-même, le candélabre était l'Eglise, les lampes
étaient le Christ avec les dons du Saint-Esprit, la grande montagne
l'Antéchrist, les deux oliviers Moïse et Élie, ou encore la loi et l'évan-
gile. Le saint Docteur se rendait bien compte du caractère conjectu-
ral de son interprétation. « Nous avons expliqué tout cela comme
nous avons pu, écrit-il modestement, suivant les faibles ressources
de nos moyens, en passant en revue les diverses opinions des Juifs et
des nôtres; si quelqu'un trouve mieux, nous acquiescerons bien volon-
tiers à son sentiment » (3).

Pour C. a Lapide, u le candélabre, c'est la Providence divine, en


tant qu'elle s'étend aux lampes, c'est-à-direaux anges et à toutes les
créatures... Les lampes sont les diverses grâces, dons et talents, que
Dieu distribue à son gré ». Toutefois les oliviers sont Zorobabel et
Josué. —
Pour Calmet, les sept lampes sont les sept esprits donnés à
Josué et à Zorobabel : « Ils reçoivent d'eux leur mission et agissent
par leur ordre pour leur service » (4).
et Trochon voit dans le can- —
délabre le temple, dans les lampes la lumière spirituelle, dans la
montagne les Perses, dans les deux oliviers les deux' pouvoirs royal
et sacerdotal. — Le chandelier symbolise Dieu lui-
(iautier écrit : «

même, sa toute-science et sa toute-puissance; les oliviers, appelés


aussi les fih de F huile, c'est-à-dire les oints, sont l'autorité temporelle

(1) Op. cit., p. (11/.

(2) Jbid.

(3) llaoc ut (luiviiims, et ut vires ingenioli noslri ferre poluerunt, loculi sumiis, et
Hebraeoruiii cl nostrorum varias opiniones perslringciiles : si (juis mcliiis iino verius
dixerit, et nos libenler melioribus acqiiiescirnus in li. 1.).

Cl) Op. cil.,, ]>. r,5'j.


LES SYMRULES DE ZACHARIE. 16'.)

et l'autorité sacerdotale, Zorobabel et Josiié » (1). — Pour Knaben-


bauer, le chandelier symbolise ce que doit être la théocratie restau-
rée, jiujiter ardf'ns et lucen.s, uniquement occupée du culte divin;
théocratie d'ailleurs très précieuse aux yeux de Dieu, comme l'indique
l'or du candéhibrc — ornée de toutes les vertus, tliéologales et
cardinales, comme le signifient les sept lampes sous la conduite —
du double pouvoir, spirituel et temporel, figuré par les deux oli-

viers (2). — M.
van Hoonacker s'arrête à l'interprétation suivante :

« Les sept lampes du candélabre, qui rappellent les lampes à lumière

perpétuelle du tabernacle, symbolisent les agents dont Jahvé se sert


pour s'éclairer dans la formation de ses desseins (3)...; les deux
oliviers symbolisent les agents dont il se sert dans l'exécution des des-
seins conçus » (i). — Marti fait sienne cette explication de Wellhausen :

« Zorobabel et Josué sont sous la protection spéciale de celui dont


les lumières et les yeux éclairent et parcourent le monde entier ». Et
il ajoute : « Le chandelier avec les sept lampes est une image de
Jahvé, de son oniniscience jointe à sa toute-puissance « (5 .

Dans chacune de ces opinions il se trouve assurément une part


de vérité; mais on y peut reconnaître aussi une part de conjecture
qui ne respecte pas assez le texte. Par exemple, Marti assure que le
candélabre est une image de Jahvé. Le symbole est muet là-dessus.
— Il nous dit que Zorobabel et Josué sont sons la protection spé-

ciale de Jahvé. Mais, puisqu'ils dominent le candélabre!...


On a déjà indiqué la solution qui- paraît seule répondre aux don-
nées de la vision et s'harmoniser avec les symboles voisins, notam-
ment avec le précédent (investiture de Josué) et le dernier de la série
(son couronnement, vi, 13). Le candélabre est le temple en construc-
tion et particulièrement la pierre du faîte ou le fronton; les sept
lampes qui sont sur le chandelier (niSy) et qu'on nous dit être les
yeux de Jahvé qui parcourent toute la terre, symbolisent les soins de
la divine Providence concentrés sur lédifice en construction pour
veiller à son prochain achèvement. Enfin, les deux oliviers qui domi-
nent le candélabre ne sont autres que Zorobabel et Josué, préposés
l'un à l'édification m.atérielle du temple, l'autre à son service reli-
gieux.

(1) Op. cit., p. .525.

(2) Op. cil., p. 264.


(3) « Esprits ou anges, organe de la vigilance divine » (p. 618}.
(4) P. 620.
(5) Op. cil., p. 412, 414. On ne parle pas de Nowack et de Mitcliell, pour qui les sept
lampes sont en relation avec les sept planètes I
170 REVUE BIBLIQUE.

Il mutile de faire ressortir combi<^n cette interprétation s'iiar-


est
monise avec les autres symboles de Zacharie, combien elle s'encadre
élégamment dans le champ de ses préoccupations historiques. On
rapprochera, par exemple, le candélabre de la pierre jtlacée devant
Josué (m, 9), et les sept lampes des sept yeux qu'on remarquait sur
cetlemème pierre [ibid.). Quanta Zorobabel et à Josué, ils se trouvent
associés et mis en rapport avec le temple, comme dans le discours
extrasymbolique adjoint au symbole précédent (investiture du grand
prêtre), et comme dans le symbole du couronnement vi, 9i. De telles <

coïncidences sont toujours une précieuse contre-épreuve.


Il reste à fixer quelques détails d'exégèse. On aura remarqué que,
tout en faisant ressortir la part de Zorobabel dans la reconstruction
de Jahvé a soin de revendiquer la sienne propre. C'est
l'édifice sacré,
la part prépondérante. Pour rebâtir le temple, il ne faut compter en
somme ni sur « la puissance ni sur la force » entendons sur les moyens
,

humains, il faut compter uniquement sur l'esprit de Jahvé. Ce travail


paraît une grosse montagne, à cause des difficultés de toute sorte qui
se coalisent pour l'entraver. Toutefois Zorobabel est destiné à le
mener à bonne fin. Le voilà qui va bientôt produire la pierre du fron-
ton parmi les acclamations populaires. Les Palestiniens savent de
quelles litanies joyeuses les maçons orientaux scandent leur travail,
quand ils posent la voûte d'un édifice sur les échafaudages arrangés
en berceau. Une voix puissante et nasillarde déroule les couplets de
circonstance, tandis que la masse des ouvriers reprend indéfiniment,
sans jamais se lasser, le refrain rude et obstiné. 11 semble que- Zacha-
rie nous ait indiqué par avance le refrain des litanies solennelles qui
seront entonnées lors de la pose des pièces du fronton : tlên lien Idh,
hén hên hèn luh (bien détacher ces monosvUabes avec un
lien Idh,

coup de voix sur le dernier). —


Les versets surnuméraires 8-10" ne
font que reprendre la pensée précédente. Oui, c'est Zorobabel qui a
commencé le temple, et c'est lui qui doit l'achever. Jusqu'à présent,
durant la douloureuse interruption des travaux, imposée par les
ennemis d'Israël, « c'était le temps des petites choses ». Mais bientôt,
ceux qui méprisaient ces pénibles débuts seront dans l'allégresse, en
voyant la pierre dans les mains de Zorobabel. Le texte massorétique
porte la pierre Si-nn, (ju'on traduit assez souvent le fil à plomb
(Crampon). Mais van Hoonacker a bien montré qu'il devait être ques-
tion encore là de la pierre du faite; le qualificatif bedil est sans doute
un mot corrompu (avec Nowack-Kittelj, car il ne donne point de sens
satisfaisant.
Puisque les sept yeux de Jahvé parcourent toute la terre, les au-
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 171

teurs n'ont pas tort de penser que ces expressions caractérisent Tom-
niscience et la souveraineté de Dieu; mais il faut ajouter que ces
attributs ont ici comme principal objectif la reconstruction du temple.
Les deux oliviers sont au-dessus du candélabre. Mais il n'est pas
dit qu'ils alimentent d'huile le réservoir et les lampes. S'il en était

autrement, on trouverait à redire avec raison à ce dispositif, car il

est notoire que l'huile ne découle pas toute faite des oliviers dans
les lampes liturgiques. Cependant presque tous les auteurs supposent
cette relation entre les oliviers et les lampes cette conception :

entraîne une difficulté théologique. Comment, en effet, concevoir que


les yeux de Jahvé, c'est-à-dire sa Providence, soient surbordonnés à
Josué et à Zorobabel? Sans doute, on peut toujours dire que Dieu
met sa toute-puissance au service de ses élus, pour l'accomplissement
de ses œuvres. Mais il est encore bien plus simple de résoudre la
difficultéen montrant qu'elle n'exi.ste pas. Elle n'existe pas, car, dans
le symbole, il n'y a aucune subordination des lampes aux oliviers.
Les lampes se trouvent sur le chandelier pour exprimer que la Pro-
vidence divine veille à la reconstruction du temple; les oliviers le
dominent, pour exprimer que Zorobabel et Josué sont préposés à
l'édiiice sacré. Bien que coordonnées dans la réalité, les actions
respectives de Jahvé et des deux chefs sont indépendantes dans le
sijmbole.
Notons enfin que c'est Zorobabel, le constructeur du temple, qui
accapare le relief du symbole. Il n« faut pas s'en étonner. On pour-
rait plutôt s'étonner que Josué soit ici nommé, puisqu'il ne joue

aucun rôle actif. Sa mention s'explique par une raison d'esthé-


tique ne fallait-il pas deux oliviers au-dessus du chandelier, comme
:

il y avait deux chérubins au-dessus de l'arche? On remarquera du

reste chez Zacharie le constant souci de ne jamais nommer l'un des


deux chefs sans l'autre. Le fils de Barachie, qui était prêtre, avait ses
raisons pour associer le représentant de la puissance sacerdotale au
représentant de la puissance temporelle. D'autre part, ce n'était
que justice de ne pas laisser dans l'oubli le prince qui assumait, à
cette heure , les lourdes responsabilités de ia reconstruction du
temple.

VL LE ROULEAU VOLANT : v, 1-4.

Les nations châtiées, Juda reconstitué avec ses villes, le temple


reconstruit, le double pouvoir, religieux et civil, réintégré, il fallait

songer à l'assainissement moral de la jeune communauté. C'est à


172 REVUE BIBLIQUE.

quoi tendent les deux symboles suivants, celui du rouleau et celui

de Tépha.

Je levai de nouveau les yeux et j'eus une vision, et voici [qu'il y avait] un rou-
1.

leau volant. 2. Et il me dit Qu'est-ce que tu vois? Et je dis Je vois un rouleau


: :

qui vole, long de vingt coudées et large de dix. 3. Et il me dit C'est la malédiction :

qui sort au-dessus de tout le pays; car tout voleur va être dès maintenant châtié
d'après elle, et tout '
parjure '
va être châtié dès maintenant d'après elle. 4. Je lai
fait sortir, dit Jahvé des armées., et elle vient à la maison du voleur et à la maison
de quiconque jure en vain par mon nom; elle logera dans sa maison et la con-
sumera, bois et pierres.

Syynbole. — Le prophète aperçoit un rouleau qui vole, déployé


dans les airs, mesurant vingt coudées de long- sur dix de large.
Parce que c'étaient là précisément les dimensions du saint, quelques
exégètes ont conclu que la malédiction émanait du lemple. Mais
cette conclusion généralement abandonnée. Si le
est iaujourd'hui
prophète avait eu cette intention, il n'aurait pas manqué de l'ex-
primer clairement. Les commentateurs modernes s'accordent à dire
que ces dimensions considérables n'avaient pour but que de frapper
les regards du prophète, en rendant le rouleau bien visible. Je croi-
rais cependant que le détail concret de vingt coudées sur dix a été
inspiré à Zacharie par les dimensions du temple. Un prêtre em-
prunte volontiers données de son discours aux choses de son culte.
les
De même que le chandelier mosaïque a servi de modèle au candé-
labre mystérieux du symbole précédent, il est probable que les
dimensions du saint ont fourni celles du rouleau volant. Ce qui ne
veut pas dire que le prophète ait attaché à ces nombres un sym-
bolisme quelconque.
Le V. 3 est d'une lecture et d'une interprétation malaisées.
_
Les Septante ont traduit : le voleur sera puni de mort par elle

[la faux) (1) et le parjure sera puni par elle.' k la place des mots
soulignés, l'hébreu massorétique porte np; m>22 n"'2. Les critiques,
Wellhauscn, Nowack (dans son coirimentaire et dans la Bible Kittel),
Marti, Mitchell..., proposent de remplacer les deux premiers mots
par hq:; ra comme vu, 3. avec le sens de déjà depuis longtemps,
en donnant au verbe de «Hre impuni : c'est la malédiction...,
le sens
« car le voleur était depuis longtemps impuni, et le parjure était

depuis longtemps impuni » (Nowack). Malgré la vogue dont elle —


jouit présentement, cette explication ne s'impose pas. Les retouches

1; Ils ont ôpÉ-avo'/ « faux >


,
a\i lieu de ^^^2 >• rouleau » i Vulyale volamcn).
F.ES Sy.VinOLES DE ZACHARIE. 173

demeurent discutables (1), ainsi que impuni


la signification être
donnée^au verbe. En outre, les vv. 3 et i prennent de la sorte une
allure très embarrassée 3' a l'air d'annoncer l'explication du rou-
:

leau; là-dessus 3*^ ouvre une parenthèse sur les causes et les délais du
châtiment; 4" revient ensuite au thème initial, après une nouvelle
introduction, et c'est alors seulement [k^) que les ravages de la malé-
diction nous sont décrits.
M. van Hoonacker propose une explication meilleure dans l'ensem-
ble et qui a l'avantage de ne modifier en rien l'hébreu massorétique.
Il donne à niqqah le sens de être expulsé (cf. Is., m, 26) et il traduit :

Ceci est la malédiction qui sort, contre la face de tout pays ; car le

conformément à elle tout voleur sera expulsé d'ici, et conformément


à elle tout parjure sera expulsé d'ici. —
On trouvera cependant que
le sens sei^a expulsé est trop particularisé, qu'il n'est pas assez appuvé

et ne répond pas au symbole.


En donnant à ce verbe le sens plus générique de être ravagé, être châ-
tié, comme Vlans Isaïe, m, 26, et comme nous y invite la traduction des

Septante ï•/.ov/:^^^^^z^-y.li nous obtenons ce qui suit tout voleur va être :

dès maintenant châtié d'après elle (d'après la malédiction inscrite sur


le rouleau), et tout parjure va être dès maintenant châtié d'après elle.

Symbolisme. — Les lignes principales du symbohsme se trouvent


dès lors arrêtées. Si le rouleau est aperçu déployé au-dessus de la
Palestine, ce n'est pas qu'il prenne son vol vers les pays étrangers,
comme il sera dit de l'iniquité au symbole suivant. Il se contente de
voler et de planer. L'ange interprète explique à Zacharie que Dieu fait
sortir la malédiction, qu'il au grand jour pour qu'elle
la produit
s'abatte sur les pécheurs du pays, représentés par deux catégories, les
voleurs et les parjures. Le sens est donc :

De même que le rouleau vole au-dessus du pays,


ainsi la malédiction est sur le point de s'abattre sur tous les pé-
cheurs, voleurs ou parjures.
Le V. 4 est à considérer comme une amorce de discours extrasym-
bolique, caractérisé par la reprise : Je l'ai fait sortir, dit Ja/ivé des

armées. Il contient une description pathétique des châtiments qui


vont être infligés aux coupables; mais ce tableau n'est pas nécessaire
à l'intelligence du symbole et il dépasse le cadre discret de la pre-
mière scène (rouleau volant).

(i)La version des Septante âx. to-jto-j ïta; Oavâto-j £y.oixyi9r|<T£Ta'. suppose un texte ana-
logue à TM niC3 nvD hi 7]^p2 n")2.
174 REVUE BIBLIQUE.

On a déjà laissé entendre que la menace contenue dans cette vision


tendait à la régénération de la communauté renaissante. Ce serait, en
effet,une erreur de croire que les caravanes des rapatriés n'avaient
ramené que des saints, scrupuleux observateurs de toutes les lois
mosaïques. Les récits de Néhémie et d'Esdras nous montrent certaines
classes de la société dirigeante sous un jour moins flatteur; et il
semble bien que plusieurs de ces désordres avaient pris naissance
durant la captivité, et que d'autres s'étaient manifestés dès les pre-
miers temps de la Piestauration.
Aussi n'est-il pas nécessaire de suivre M. van Hoonacker qui, repre-
nant ses explications préférées, pense que le prophète a ici en vue
'
la société d'avant l'exil » (1).

VIL L'ÉPHA : v, 5-11.

.3. L'ange qui me parlait apparut et me dit : Lève les yeux et regarde ce qui appa-
raît là. 6. Et je dis : Qu'est-ce que c'est? Il répondit : C'est l'épha qui apparaît.
Et il ajouta : C'est leur iniquité '
dans tout le pays. 7. Et voici qu'un disque de
plomb fut soulevé et il y avait une femme accroupie au milieu de l'épha. 8. Et il dit :

C'est l'iniquité, et il la rejeta au milieu de* l'épha et il remit à son ouverture la pièce
de plomb. 9. Et je levai les yeux et je regardai, et voici que deux femmes parurent :

le vent [soufflait] dans leurs ailes et elles avaient deux ailes pareilles à celles de la

cigogne, et elles enlevèrent l'épha entre la terre et le ciel. 10. Et je dis à l'ange qui
me parlait : Oii emportent-elles l'épha? 11. Il me répondit: [C'est] pour lui bâtir

une maison au pays de Sennaar [ ] et elles le '


poseront sur sa base...

Si/mbole. — La reconstitution de la scène n'offre pas la moindre


difficulté. On pourrait hésiter seulement sur la véritable leçon de
quelques mots. Encore les exégètes sont-ils bien près de se mettre
d'accord. Au v. 6 il faut lire manifestement leur iniguitr (a^iy)

au lieu de leur œil (d;''"), avec les Septante qui portent -^ y.li/.iy. y:j-Xrt.

Au v. 11, je crois qu'il vaut -mieux, avec Nowack et .\larti, supprimer


un mot (l^^"!)) véritable élément perturbateur, et, sur les indications
des Septante, en modifier légèrement un autre, en lisant '"in'>J."i':

au lieu de nni^ni. Ces changements motivés suffisent à l'intelligence

du texte et rendent inutiles les autres suggestions des criti(iues, tels


que Nowack et Marti, qui proposent par exemple de supprimer le
premier membre du v. 6 comme superflu.

(1) « ]1 (ZacLarie) se fait l'écho ici des sentences de ré|)rohalion prononcées par les
anciens i)rophrt(;s; c'est le pays et la sociflé d'avant l'exil (lu'il a en vue, il s'est placé en
esprit à celte époque du passé où le pays s'était en eflél attiré la malédiction de Jahvé
par tous les crimes qui s'y commettaient » [op. cit., p. 621).
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. j75

L'ange attire rattention de Zacharie sur la nouvelle vision. Comme


il ne distinguait pas bien ce qui venait d'apparaître, le prophète
recourt aux lumières de son guide. L'ange lui explique d'abord la
nature de l'objet c'est un épha, l'unité de mesure. Mais parce qu'il
:

s'intéressemoins au contenant qu'au contenu, il se hâte d'ajouter


que l'épha renferme Vlniquité du pays, entendons celle de la Pales-
tine. Elle était là, sous les traits d'une femme,
ou mieux assise,
accroupie, sous un disque de plomb. L'ange soulève un instant le
couvercle, pour permettre à Zacharie de l'apercevoir. Mais, comme
elle fait mine de dans l'épha et ramène le cou-
se lever, il la rejette
vercle de plomb. Cela fait, le décor change. Deux femmes, aux larges
ailes de cigogne, volent jusqu'auprès de l'épha; elles soulèvent la
mesure et l'emportent dans les airs. A la question de Zacharie, l'ange
répond que les voyageuses prennent le chemin de Sennaar, où elles
vont bâtir une demeure à l'épha pour l'y déposer.
Symbolisme. —
On devine les conjectures qui n'eussent point man-
qué de se produire sur le compte de la femme, si le prophète eiit
oublié de nous dire sa signification. Par bonheur, pas oublié, il ne l'a
et il nous apprend que la recluse de l'épha n'est autre que l'iniquité
(^iir, nr^-i). Faut-il entendre [)ar là toutes les prévarications dont la

communauté juive pouvait s'être rendue coupable? Les commenta-


teurs l'entendent généralement ainsi. Sans m'inscrire en faux contre
cette interprétation, je croirais cependant qu'il existe une relation,
dans le symbole, entre V iniquité et l'épha, et, par suite, que le
prophète stigmatise de préférence les injustices commerciales, les
fraudes commises dans les tiansactions. Péché traditionnel déjà à
l'époque préexilienne, car les prophètes du huitième siècle, un Amôs,
un Osée, ne cessent de reprocher à leurs compatriotes leurs injustices
dans le négoce on faussait les balances, on enlevait à l'épha, on
:

ajoutait au sicle... Par là même, j'accorderais une certaine impor-


tance à la mention de l'épha, beaucoup plus que M. van Hoonacker,
par exemple, qui parle de son « rôle purement accessoire » (1). La
raison en est que le choix de l'épha paraît bien iii+entionnel. Si, mal-
gré ses proportions restreintes (38 litres environ), insufli-antes pour
contenir une grande personne, il a été préféré à un léthek ou à un
homer, ce ne peut être qu'en vertu d'un symbolisme spécial, en tant
qu'unité de mesure. C'est pourquoi, si l'auteur n'a pas voulu parler
uniquement des injustices commerciales — ce que je ne crois pas (2)

(1) Op. cit., p. 622.


(2) Précisément parce qu'il n'en parle pas explicitement.
176 REVUE BIBLIQUE.

— choix de lépha nous invite à penser qu'il a dû songer en parti-


le

culier à ce genre de fraude.


Les deux femmes aux ailes de cii;ogne ont donné plus de mal aux
exégètes. Pour saint Jérôme, elles réprésentent, la première les deux
tribus d'Israël déportées par les Assyriens, la seconde les deux tribus
de Juda déportées par les Chaldéens. Pour C. a Lapide, les deux
femmes sont deux démons, moins qu'elles ne soient Nabuchodono-
à
sor et son généralissime Nabuzardan. Pour Calmet, la femme de
l'épha représente Tiniquité des Chaldéens, qui est réduite par les
Perses et les Grecs, figurés par les deux femmes Pour van Hoo-
ailées.
nacker, on pourrait voir « dans la paire de femmes aux ailes de
cigogne, une représentation des Baljyloniens. Les femmes seraient au
nombre de deux, soit uniquement pour la forme, soit par allusion
aux deux régions, septentrionale et méridionale, que les' monarques
orientaux avaient eux-mêmes coutume de distinguer dans la Baby-
lonie (Sumer et Akkad). L'auteur ajoute, il
» (1) est vrai : « Il est
possible aussi que les deux femmes n'aient aucune significalion sym-
bolique spéciale ». C'est à cette dernière interprétation que s'arrêtent
Nowack, Marti, Mitchell. Je crois qu'ils ont raison. Les femmes sont
deux agents, exécuteurs des ordres divins. Elles ne paraissent que
pour enlever l'épha. Elles ont des ailes pour le transporter plus faci-
lement, et des ailes de cigogne, pour réaliser ce lointain voyag'e.
Mais pourquoi l'iniquité est-elle déportée au pays de Sennaar? Nous
touchons ici au cœur du symbolisme. Reprenant en partie l'explica-
tion de saint Jérôme, M. van Hoonacker pense que le transfert de
l'iniquité en Chaldée représente la grande déportation de l'exil. C'est
dire que, d'après lui, la vision, encore une fois, a son point de vue <(

dans le passé ». Il écrit : « Cette parole (le v. 11) se rapporte sans


aucun doute, à notre avis, à la déportation de 586. Il est vrai que la
déportation du peuple lui-même n'est pas explicitement mentionnée
dans le passage 5-11; cela tient à ce que le prophète, dans sa vision
symbolique, considère l'exil de Babylone précisément au point de
vue bienfaisant qu'il eut pour la communauté (2); l'exil fut pour la
nation une épreuve d'où elle sortit purifiée de ses souillures; ce ne
fut pas pour la nation, mais seulement pour son péché qu'elle y
laissa, que le pays de Schiuôar fut un lieu de séjour perpétuel » (3).
Cette ex[»lication suppose toujours le recul de la perspective pro-

(1) Op. cit., p. (123.

(2) Ce n'élail pas ce but Ijienlaisant qui était envisagé m, 2. lors(|u'on disait du grand
prî'tre : « Celui-ci n'esl-H pas V7i tison arraché du feu y «

(3) Op. cit.. p. 024. *


LES SYMBOLES DE ZACUARIE. {-.1

phétique dans le passé. On remarquera en outre la subtilité de la


distinction entre le peuple et son péché l'un et l'autre sont exilés,
:

mais seul, le péché reste en Chaldée, tandis que bientôt le peuple est
rapatrié. En réalité, le symbole ne sugg-ère pas ces distinctions: tout
ce que les femmes ailées portent en Chaldée, épha et iniquité, y reste
à jamais.
Mais l'objection la plus sérieuse qu'on ne manquera pas de faire à
cette théorie^ c'est qu'elleperd de vue contexte général des sym-
le

boles de Zacharie. On a montré que les visions précédentes concer-


nent toutes le présent, Vétat actuel de la jeune communauté des
rapatriés. De l'histoire ancienne, antérieure à l'exil, il n'est pas dit
un mot. A la catastrophe de 587 il n'est fait que de rapides allusions.
On la suppose, on n'en discourt point. Ce qui intéresse le prophète
et ses auditeurs de 519, c'est la situation religieuse et sociale de
l'heure. Il n'y a pas à chercher ailleurs la solution des problèmes
symboliques. Au symbole précédent (le rouleau), Zacharie tendait à
l'épuration morale de la communauté, celle de 519. Le symbole de
l'épha continue le même que dans le premier les
sujet. Mais, tandis
prévaricateurs étaient exterminés sur place, dans le second on fait
mieux et plus on exile l'iniquité elle-même, en sorte qu'après son
:

départ le pays restera dans un état de pureté idéale.


C'est donc l'iniquité des rapatriés qui est transportée au pays de
Sennaar. Nul ne s'étonnera du choix de ce lieu. Dans l'esprit des
rapatriés, la Chaldée était, plus encore que l'Egypte, le pays classique
de l'exil, terre d'impureté, sur laquelle on ne pouvait trop attirer les
vengeances et les haines de Jahvé. Qu-e l'épha quittât la Palestine,
c'était une grande joie pour les Juifs; mais qu'il prit le chemin de
Sennaar et qu'on lui bâtit là une demeure tout exprès pour qu'il y
demeurât à jamais, c'était doubler leur allégresse.
La vision de l'épha marque donc un progrès sur celle du rouleau,
et il n'est pas nécessaire de recourir à l'hypothèse de Mitchell, qui,

pour éviter que l'épha ne fasse double emploi avec le rouleau, pro-
pose de voir dans l'iniquité la figure de l'idolâtrie.
Résumons le symbole :

De même que l'épha est transporté au pays de Sennaar,


l'iniquité va être exilée à jamais de la jeune communauté des rapa-
triés.

Le lecteur est maintenant à même d'apprécier la morale que cer-


tains exégètes ont cru découvrir dans cette vision « D'après Keil et
:

Khetoth, écrit Trochon, le point de la comparaison est celui-ci de :

même que, dans l'épha, les grains séparés sont tous réunis ensemble,
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 12
178 REVUE BIBLIQUE.

de même, les individus pécheurs du pays (ou de la terre entière)


seront réunis en un monceau, quand la malédiction finale tombera-
sur tout le pays (ou sur la terre entière) » (1). Ces lignes peuvent
donner une assez juste idée des résultats auxquels aboutit la liberté
de conjecture en matière d'exégèse symbolique.

VIII. LES QUATRE CHA.RS : vi, 1-8.

1. De nouveau, yeux et j'eus une vision, et voici que quatre chars sor-
je levai les
taient d'entre les deux montagnes, et les montagnes étaient des m )nts d'airain.
•>. Au premier char étaient des chevaux rouges, au second char des chevaux noirs,
3. au troisième char des chevaux blancs et au quatrième char des chevaux tache-
tés, — puissants. 4. Je pris la parole et je dis à l'ange qui me parlait : Qu'est-ce
que c'est, mon Seigneur? -5. L'ange me répondit : Ce sont les quatre vents du ciel
qui viennent de se présenter au Seigneur de toute la terre. 6. '
Les chevaux rouges
sortent vers la terre de l'orient ', les chevaux uoirs sortent vers la terre du nord; les
blancs sortent vers '
la terre de l'occident ', et les tachetés sortent vers la terre du
midi. 7. Les puissants sortaient et ils cherchaient à s'en aller pour parcourir la
terre. — Et il (Jahvé) leur dit : Allez, parcourez la terre, et ils parcoururent la

terre. Et il (l'ange) m'appela et il me dit : Vois, ceux qui sont sortis vers la terre
du nord ont apaisé la colère '
de lahvé '
dans la terre du nord.

Symbole. — Le texte de cette remarquable vision présente certai-


nes difficultés qu'on n'a pas réussi à résoudre d'une manière -satis-
faisante. Mieux vaut les si,unaler tout de suite. Le prophète aperçoit
quatre chars attelés de coursiers aux couleurs soigneusement choi-
sies.Tous les chevaux du premier char sont rouges, tous ceux du
second noirs; ceux du troisième et du quatrième sont respectivement
blancs et tachetés, .lusque-là tout est normal. Les difficultés com-
mencent au V. 6, lorsqu'on assigne à chaque attelage son office pro-
pre. Au lieu hébreu n'en mentionne plus
de quatre chars, le texte

» que trois; encore sur l'un de ces trois ne nous fournit-il que des
renseignements tronqués. Il nous apprend que les chevaux noirs se
dirigent vers le nord et les tachetés vers le sud. Des blancs il dit
qu' « ils sortent vei^s après eux » (sic). Le texte est manifestement
corrompu. La proposition vers (Sn) appelle un nom de contrée. Tous
les critiques modernes, Nowack, Marti, van lloonacker, Mitchell...,
adoptent de Wellhausen, qui propose de lire
la restitution : les blancs
sortent vers la terre de l'orient (n'pn V^f?""'''^)- ^^ pourrait lire aussi

bien : ils sortent vers la terre de l'occidefît (invan). — Mais que de-
viennent les chevaux rouges, le premier des quatre attelages? Là-

(1) Les petits Prophètes, p. 435.


LES SYMBOI-ES DE ZACHARIE. 179

dessus silence absolu du texte. Fidèle à l'interprétation qu'il a pro-


posée pour le premier symbole, M. van Hoonacker estime que c'est à
bon chevaux rouges n'ayant pas de mission à remplir; ils
droit, les
doivent simplement rester en place entre les collines occidentales, et
cela, parce que « l'horizon politique n'oti'rait guère d'intérêt pour
les Juifs, à l'époque de Zacharie, du côté de l'occident » (1). — Ainsi
qu'on l'a dit précédemment, guère satisfai-
cette explication ne parait
sante. D'après l'énoncé de la vision, il y a quatre chars, quatre atte-
lages, quatre vents; ces agents sont entre eux sur un pied d'égalité
et ils ont des offices identiques. Pourquoi l'occident aurait-il ses
coursiers, s'ils n'avaient rien à faire de ce côté? De plus, .Jahvé com-
mande aux chars de parcourir la terre, et ils la parcourent en etï'et.

Or, la terre, dans la conception de Zacharie, se compose de quatre


parties désignées par les quatre points cardinaux. Le silence relatif
au premier attelage n'est donc pas justifié.
Les critiques allemands et anglais, Nowack, Marti, Mitchell, admet-
tent que la vision assignait primitivement un rôle à ces coursiers
rouges, et que la disparition en est attribuable à quelque accident
matériel des manuscrits. Us croient même en retrouver la trace au
début du V. 7, qu'ils proposent de modifier et de compléter ainsi :

Les rouges (en lisant n^aii^n au lieu de 'À*'C>sn) sortirent vers la terre
de Voccident. — Cette reconstitution ne va pas non plus sans quel-
ques difficultés. M. van Hoonacker qualifie à^ arbitraire la substitution

de rouges à puissants, et, de fait, ce changement ne trouve pas d'ap-


pui dans les Septante, rigoureusement conformes à l'hébreu sur ce
point. Ce n'est pas la seule objection. D'après ces critiques, la deuxième
partie du v. 7 se rapporte aux quatre attelages. Mais alors, n'est-il
également arbitraire de n'appliquer la première partie qu'à l'un
d'entre eux? —
Néanmoins ce qui par.ait encore le plus anormal, c'est
le désordre introduit dans la vision par cette théorie. Zacharie a beau
n'avoir pas une diction châtiée, il a toujours un agencement soigné;
tous les autres symboles nous sont garants qu'il explique toujours les
objets dans l'ordreoù ils nous ont d'abord été présentés. Aussi est-il
très surprenant que les chevaux rouges, mentionnés en premier lieu
dans le symbole, soient relégués au quatrième rang dans l'explica-
tion. Lange interprète est beaucoup plus méthodique; il n'a pu de
la sorte déroger à ses habitudes. Et c'est pourquoi, s'il y a quelque
part une lacune, ce doit être au com^mencement de l'explication et
non à la fin. Laissons donc le v. 7 tel qu'il est, et rapportons-le tout

(1) Op. cit., p. 627.


180 REVUE BIBLIQUE.

entier à l'ensemble des coursiers, comme fait M. van Hoonacker : Les


puissants [i) sortaient et ils cherchaient à s'en aller...

Je disais que la lacune doit se trouver plutôt au début des explica-


tions, au V. 6, ce dont personne ne semble encore s'être avisé. Il se
pourrait même
que le texte actuel en eût gardé quelque vestig-e.
Nous y lisons en effet cette phrase déconcertante pour la syntaxe
hébraïque Celui (le char) auquel (il y a) des chevaux noirs sortent
:

vers la terre du nord (sic). Nous avons là un "pronom démonstratif


singulier, sujet d'un verbe au pluriel; et par surcroit, cette construc-
tion est en désaccord avec les phrases suivantes où nous lisons :

les chevaux blancs sortent, les chevaux tachetés sortent. Nowack

propose d'effacer les deux premiers mots celui auquel (n3-"i*k:\y), :

cause de tout le désordre. C'est fort bien de les supprimer. Mais com-
ment expliquer qu'ils aient pu s'introduire à cette place? Ne pour-
rait-on supposer que ces mots ou des mots analogues étaient d'abord
une note marginale dénonçant la lacune (2), ou plus simplement
qu'ils appartenaient à une phrase précédente dont tout le reste a
disparu? Toujours est-il que la mention des chevaux rouges au début
du V. 6 rend à la vision toute son élégance et sa cohésion. C'est là
que je proposerais de la rétablir. On lira Les chevaux rouges sortent :

vers la terre de l'orient, car, s'ils partent les premiers, il est à croire
qu'ils prennent la direction de l'est plutôt que celle de l'ouest.
On peut se contenter de signaler les autres observations suggérées
par l'état du texte massorétique. A la fin du v. 3, l'adjectif puissants
[D'^Tza) pourrait n'être qu'une glose; s'il est authentique, il qualifie
les quatre attelages à la fois. Au v. 5, Wellhausen, suivi par Nowack
et Marti, propose de lire : « Ceux-là sortent vers les quatre vents du
ciel (!;2"iN*S), après qu'ils se sont présentés devant le Seigneur de toute
la terre ». Mais, comme la très bien observé M. van Hoonacker, cette
correction n'est pas heureuse. « Les quatre attelages peuvent avoir
été appelés les (juatre vents du
en vertu d'une conception ([ui ciel,

voyait dans les quatre vents, gouvernés par des esprits célestes, des
puissances au service de Jahvé (comp. Jér.. xlix, 36 et les quatre
Keroubim de la vision cVÉzéchiel, i). ou bien par manière de méta-
phore ou de comparaison implicite, pour marquer la rapidité de

T; M. van Hoonacker a parfaitement justifié celte épithète sans substantif (op.. ci/.,

p. 628).

(2) Par exemple, si l'on avait écrit nzik^ N {le premier, vers le déserl, cf. Is., x\xv, 7 ,

lu par erreur ~2~"'w"N% et inséré dans le texte de très l)onne heure, avant la traduction
des Septante.
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 181

leurs mouvements (Ewald). L'idée émise par Wellli. n'est d'ailleurs

pas recommandée par la construction de la phrase » Dans l'hy-


(1).

pothèse de \Yellhausen, le verbe sortir devrait se trouver en tête de


la phrase, alors que sa place à côté du second verbe se présenter exige
qu'il n'en soit point séparé dans la traduction Ce sont les quatre
:

vents du qui viennent de se présenter devant le Seigneur...


ciel

Ces remarques facilitent singulièrement l'intelligence de la vision.


Les quatre attelages dont il vient d'être question apparaissent entre
les deux montagnes. L'article suppose ces montagnes déjà connues,

soit qu'il en ait été déjà question au premier symbole (où nous avons
lu entre les deux montagnes au lieu de entre les mijrtes, i, 8, 10, 11),

soit que cette désignation fût familière aux auditeurs de Zacharie. On


a proposé d'identifier les deux montagnes avec le mont Sion et le

mont des Oliviers; l'hypothèse est très vraisemblable. Cependant le

prophète ajoute que lesmontagnes étaient d'airain ces termes, qui


:

nous ramènent dans les sphères des visions, semblent avoir pour but

de signifier la stabilité de la nouvelle Jérusalem. Les attelages débou-


chent tous du même viennent de se présenter devant le
endroit. Ils

Seigneur du monde, à qui ils ont sans doute rendu compte d'une pre-
mière expédition, et ils témoignent une vive impatience de recevoir
une nouvelle mission. Jahvé —
car c'est de lui qu'il s'agit 7'' finit —
par exaucer leurs désirs. Sur un signo^ de lui, ils partent et ils par-
courent la terre. On ne nous raconte pas tout ce qu'ils font. Néanmoins
l'ange interprète signale à Zacharie la besogne accomplie par l'atte-
lage noir ces chevaux apaisent le courroux divin sur la terre du
:

nord, c'est dire qu'ils y exercent de terribles représailles.

Symbolisme. —
L'ange apprend à Zacharie que les quatre chars
sont « les quatre vents du ciel ». Peu satisfaits de cette explication,
certains exégètes en ont longtemps cherché une autre, en partant de
ce principe que les chars et les vents devaient être la figure de qua-
tre empires, tout quatre artisans du deuxième symbole.
comme les
Pour saint Jérùme et C. a Lapide, les quatre peuples représentaient
les Babyloniens, les Médo-Perses, les Grecs et les Komains; pour Cal-
met, les Assyriens, les Chaldéens, les Perses et les Lagides. Et, chose
assez curieuse, ces divers empires devaient s'entre-détruire, afin de
se châtier mutuellement. —
Le lecteur sait déjà que cette explica-
tion ne cadre pas avec le contexte historique de Zacharie. Puisque les
chars prennent en même temps des directions opposées, pour s'ac-
quitter de fonctions analogues, pourquoi supposer qu'ils désignent

(1) Op. cit., p. 626.


182 RE\UE BIBLIQUE.

des peuples chronologiquement très distants et qui s'entre-détrui-


sent?
Disons simplement, comme au premier symbole, que les chars ou
les vents figurent les ajsents de Dieu qui concourent à l'accomplis-
sement de ses desseins. Anges, hommes ou éléments naturels, il n'im-
porte.
Les auteurs qui, au chap. i"', tenaient les couleurs des chevaux pour
symboliques, reprennent ici leur théorie. Pour M. van Hoonacker,
entre autres, le noir est parfaitement assorti au nord, région de la
nuit, le blanc à l'est, de l'aube. « Le rapport entre les che-
rég-ion
vaux tachetés et le sud parait moins clair »; mais, au terme d'une
série de réflexions assez laborieuses, on conclut : « Nos chevaux tache-
tés... n'auraient-ils pas à représenter le midi comme la région d'où
s'élèvent les nuages orageux? » (1). — Le symbolisme de cette der-
nière couleur risque de ne pas rallier tous les suffrages. On pourrait
également montrer sceptique à Tégard de la signification du rouge.
se
Bref, il est beaucoup plus simple de penser que ces diverses couleurs
ont été choisies avant tout pour distinguer les différents attelages.
Cependant le noir peut avoir été intentionnellement choisi pour les
coursiers qui allaient s'acquitter d'un message de malheur.
Agents du Maître souverain, que vont faire ces coursiers? Comme
l'explique le texte, ils vont parcourir la terre, Tinspecter sans doute,
ainsi qu'on le rapporte des cavaliers du chap. i'^'. Les chevaux rouges,
blancs ne semblent pas avoir eu d'autre mission. Les noirs,
et tachetés

au contraire, ont été chargés des vengeances divines dans la terre du


nord, c'est-à-dire dans l'Assyrie et la Chaldée.
A quels événements historiques est-il fait allusion? On a vu précé-
demment quelle était l'opinion de saint Jérôme, de C. a Lapide, de
Calmet. On entrevoit également celle de M. van Hoonacker. « Les
attelages..., écrit-il, sont envoyés en mission à l'époque même où
fiabylone essuie son châtiment; c'est précisément l'un d'eux qui sei-
vira d'instrument à la justice divine contre l'empire oppresseur » (2).
Lt plus loin ne peut s'agir que du cliAtimenl infligé à l'empire
: « Il

Chaldéeii par la conquête de Cyrus » (3). M. Mitchell a déjà com- —


battu ce sentiment, alléguant que la vision concerne l'avenir et non
le passé. C'est en elfet l'interprétation suggérée par l'analogie histo-

ri([ue des autres symboles. En outre, eùt-il été besoin d'une vision,

en 519, pour apprendre au nàbi rapatrié que Babylone avait été

(1) Op. cit., p. «27.

(2) Ibid., p. 62.").

(3) Ibid., p. 628.


LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 183

détruite en 538? Nous savons déjà que les oracles des prophètes ont
une valeur pratique.
Disons donc que le symJjole se réfère encore à l'avenir, c'est-à-dire
à une période postérieure à Tan 519. Bien que la Chaldée fût asservie
à cette date, Babylone n'étant pas ruinée, le courroux de Dieu n'était
pas satisfait. Il devait l'être quelques siècles plus tard, lorsque, glis-
sant toujours sur les pentes de la décadence, l'ancien empire de
Nabuchodonosor fut devenu un désert, repaire des chacals et des
oiseaux de proie.
En résumé : Les coursiers qui, sur l'ordre de Dieu, s'en vont par-
courir la terre et châtier la terre du nord, figurent les agents divins
qui inspectent le monde pour le compte de Jahvé et qui, en particu-
lier, vont assouvir sa colère sur la Chaldée.

IX. ACTE SYMBOLIQUE. LE COURONNEMENT DU GRAND PRÊTRE: vi, 9-15.

9. La parole de Jahvé me fut adressée : Tu te rendras en ce jour [ ] dans la mai-

son de Josias, fils de Soplionie: tu recevras de la part des exilés, des mains de Hel-
daï, de Tobie et de Idaïah qui sont venus de Babylone; 11. et tu recevras de l'argent
et de l'or, et tu feras '
une '
couronne, et tu la placeras sur la tête de Josué, fils

de Josédec, le grand prêtre. 12. Et tu lui diras Ainsi parle Jahvé des armées : :

Voici un homaie, appelé Germe il germera par-dessous et il bâtira le temple de


:

Jahvé. 1-3. Il bâtira le temple de Jahvé, il aura un port majestueux, il siégera et


dominera sur son trône; et le prêtre sera sur son trône, et ily a un conseil de paix
entre les deux. 14. Et la couronne sera pour '
Heldaï ', pour Tobie, pour Idaïah
et pour Hên, fils de Sophonie, un mémorial dans le temple de Jahvé. 15. Et ceux
qui sont éloignés viendront et ils travailleront av temple de Jahvé, et vous saurez
que c'est Jahvé des armées qui m'a envoyé vers vous. Et il arrivera, si vous écoutez
la voix de Jahvé, votre Dieu...

Symbole. —
Acte ou vision? Il n'est pas nécessaire d'avoir étudié
à fond le symbole pour répondre à cette question préliminaire. La
très grande majorité des interprètes, tant anciens que modernes,
pensent que le fait s'est réellement passé. Par contre, M. van Hoona-
cker se prononce très catégoriquement pour la simple vision. Ses
raisons se ramènent aux suivantes 1. Si le prophète a voulu mettre
:

en scène des hommes venus d'orient, il est étrange qu'il n'ait pas
commencé par une brève relation de l'événement. — 2. Si ces en-
voyés avaient apporté de l'argent, il eût été plus urgent de l'em-
ployer à la construction du temple qu'à la confection de couronnes
symboliques. —
3. Le prophète ne parle pas de l'exécution de l'ordre

reçu. —
Le V. 11 signifie très distinctement que Zacharie avait
4.
lui-même à prendre de l'or et de l'argent pour confectionner en
personne la couronne. Est-ce vraisemblable? 5. Il est facile enfin —
184 REVUE BIBLIQUE.

de se rendre compte de l'analogie qu'offre le morceau vi, 9-15 avec


les visions des chap. iii-iv. On conclut ^ De l'ensemble des données :

il résulte que, sans être forme d'une vision, la


présentée sous la

description contenue dans nos vv. 9-15 a pour objet une scène
idéale entièrement analogue à celles auxquelles Zacharie nous a fait
assister dans les visions » (1).
Les partisans de la réalité de l'acte trouveront sans doute que ces
objections ne sont pas insolubles, 1. C'est assez nous présenter les
exilés que de nous dire qu'ils sont venus de Babylone (v. 9). —
2. L'argent apporté devait servir surtout à la construction du
temple; mais Dieu pouvait avoir des raisons pour en ati'ecter une
partie à la confection d'une couronne. 3. Il n'était pas nécessaire —
que le prophète parlât de l'exécution de l'ordre (cf. Ézéch., iv, v, etc.).
— 4. N'est-il pas un peu exagéré de prendre à la lettre l'expres-
sion : tu feras une couronne? L'Exode (xxv ss.) est précisément
rempli de formules analogues; or, personne ne les a entendues en
ce sens que Moïse lui-même dût confectionner l'arche, les chérubins,
le chandelier, le tabernacle... Ces mêmes expressions reviennent
I Reg., v-vi, pour décrire le mobilier sacré dont Salomon garnit le

Icm/ple, c'est-à-dire le fit meubler. — 4. Enfin l'affinité du symbole


actuel avec les visions précédentes ne préjuge en rien la question
de sa réahté, un fait pouvant contenir le même enseignement
qu'une vision.
Ces objections résolues, il ne nous serait pas malaisé d'opposer à
notre tour plusieurs difficultés à la thèse du savant professeur de
Louvain. Si symbole de la couronne n'est qu'une vision comme
le

les autres, pourquoi n'y trouvons-nous pas les formules accoutu-


mées Je levai les yeux et je vis? Pourquoi l'ange interprète n'y
:

est-il pas mentionné, et comment le prophète se passe-t-il de ses

explications? Pourquoi Zacharie doit-il se rendre chez Josias? Enfin,


comment une couronne imaginaire restera-t-elle dans le temple
comme un mémorial?
Avec la presque totalité des commentateurs, on tiendra donc que
la scène du chap. vi a dû être réalisée.
Texte. —
Pourquoi faut-il que le texte lui-même ne soit pas au-
dessus de toute contestation? Il est indubitable qu'il a souffert des
«listractionsou des remaniements intentionnels des scribes. Mais
peut-être les retouches modernes lui sont-elles presque aussi perni-
cieuses...

(1) Op. cit., p. fi2î».


LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 185

La première phrase sûrement corrompue. Le texte raassoré-


est
tique donnerait Prends de La captivité, de Heldaï, de Tobie et de
:

Idaïah, et tu iras en ce jour, et tu iras à la maison de Josias, fils de


Sophonie, qui sont venus de Babylone (sic). Les mots en italique
indiquent les anomalies de cette plirase bizarre. Nowack réussit à —
l'alléger en supprimant les expressions embarrassantes Prends de :

la captivité, de Heldaï, de Tobie, de Idaïah ] et de Josias, fi.ls de


[

Sophonie, qui sont venus de Babylone. M. van Hoonacker, cherchant


la solution d'un autre côté, traduit Prenez [des hommes] de la com- :

munauté rapatriée : de « Harim », de Tobijahu et de Jeda'ja; et tu te


rendras ce jour-là [ ] à la maison de Joscliija fils de Sephanja, qui
est venu de Babel. Mais cette phrase implique diverses hypothèses
difficiles à ratifier. Pour rétablir l'harmonie du texte sans
y pratiquer
de suppressions, il semble qu'il suffise de joindre aux trois noms
Heldaï, Tobie et Idaïah les mois qui terminent le verset qui sont :

venus de Babylone. On obtient dès lors Tu te rendras en ce jour :

[ J (1)
dans la maison de Josias, fils de Sophonie; tu recevras de la
part des exilés, des mains de Heldaï, de Tobie et de Idaïah qui sont
venus de Babylone; tu recevras de l'argent et de for...
Avec le v. 11, les difficultés reparaissent. L'hébreu massorétique
porte : tu feras des couronnes (au pluriel; Sept. uTstpavouç). Saint
Jérôme, Calmet, et, de nos jours «ncore, Gautier, pensent qu'il s'agit
en de plusiew\s couronnes. Mais la plupart des interprètes an-
effet
ciens et modernes, à la suite de Théodoret, pensent qu'il n'est ques-
tion que à^une seule couronne (en lisant mï::^), parce que, au v. 14,
le verbe hébreu est au singulier : « la couronne » sera (n'»nn), et que les

Septante disent franchement en cet endroit b oï a-^oLvoq IsTa-., la cou-


ronne sera... Ces raisons paraissent convaincantes.
Mais c'est la fin du même où se livrent
verset qui est le champ clos
de classiques batailles. Pour éviter l'encombrement, on ne mention-
nera ici que les deux opinions principales. La première, qui est celle
de Wellhausen, de Nowack, de Marti, de Gautier, de Mitchell, sou-
tient que, dans le texte primitif, la couronne devait être déposée sur
la tête de Zorobabel. Plus tard, lorsque la communauté se trouva gou-
vernée par des grands prêtres et non plus par des princes sécu-
liers, on s'avisa « de corriger la prophétie d'après l'histoire » (2),

en substituant le nom de Josué à celui de Zorobabel. — Que penser

(1) Tu te rendras DN^ est sans doute une répétition. Encore le 2 peut-il être gardé

comme préposition.
(2) Marti, op. cit., p. 420.
186 REVUE BIBLIQUE.

de cette hypothèse? Sans hésiter, on dira qu'elle parait inadmissible,


parce qu'elle est contredite par tous les indices des versets qui sui-
vent. Nous lisons au v, 12 : Et tu lui diras, lui, c'est-à-dire le person-
nage qui vient de recevoir la couronne. Mais comme le discours
roule sur Zorobabel, au style indirect, c'est à un autre que lui qu'on
s'adresse; c'est donc aussi à un autre qu'on a imposé la couronne.
Sans doute, les auteurs précités remplacent lui par leiir : tu leur
diras, aux envoyés de Babylone. Mais ces noms sont vraiment
trois
trop éloignés, pour que cette référence soit grammaticalement pro-
bable. — Autre preuve au v. 13. Le texte hébreu porte : et le prêtre
sera sur son trône, à quoi les critiques préfèrent la leçon des Se.ptante :

et le prêtre sera à sa droite. Mais si Josué n'est qu'à la droite de Zoro-


babel, ce symbole contredit celui de l'investiture (m), où Josué
recevait tout pouvoir sur le temple, et celui des oliviers, où le prêtre
apparaissait à côté du prince sur un pied d'égalité, comme les deux
oliviers figuraient au-dessus du candélabre. Et si Josué a été repré-
senté par Zacharie assis sur un trône, quelle difficulté y avait-il à
lui donner encore une couronne? —
Enfin, les scribes qui, dans les
âges suivants, auraient été choqués de voir la couronne sur la tête
de Zorobabel, pourquoi ne le furent-ils point de lire au v. 13 que
Zorobabel devait avoir une grande majesté, siéger et dominer sur
son trône? Si l'histoire contredisait la prophétie, c'est toute la pro-
phétie qui devait être remaniée, pour être adaptée à l'histoire. Un
scrupule partiel, en pareille matière, est incompréhensible, parce
qu'il est inefficace.
La deuxième opinion a naguère émise par M. van Iloonacker,
été
qui^traduit le v. 11 « Et tu feras une couronne et tu la placeras
:

« devant « Jehoschoua, fils de Jehosadaq, le grand prêtre ». La cou-

ronne est toujours réservée à Zorobabel, pour symboliser sa dignité


royale. Mais, dit M. van Hoonacker, « nous croyons, en nous appuyant
sur l'analogie avec m, 9'..., que dans le texte primitif il était dit
que Zachai'ie poserait la couronne devant Jehoschoua le grand prêtre
(... '':ï;S); elle devait recevoir la consécration du pontife à qui sa signi-

fication symbolique est en même temps manifestée ». Plus tard, on


aurait trouvé opportun de ne pas laisser la couronne devant le grand
prêtre, et on la lui aurait mise siir la tête (1). On peut répondre— :

L'analogie avec m, 9 n'est pas concluante, car en cet endroit on


déposait aux pieds du grand prêtre, non les insignes de la royauté de
Zorobabel, mais une pierie du temple, édifice auquel Josué était pré-

(1) Op. cit., p. 632.


LES SY.MI50LES DE ZACIIARIE. 187

posé. pourrait estimer encore que cette subordination de la puis-


On
sance civile à la puissance religieuse n'est pas conforme à l'égalité
que les symboles de Zacharie maintiennent entre les deux chefs.
Somme toute, il semble qu'il n'y a pas lieu de modifier le v. 11 :

la couronne est bien pour Josué, et Zacharie doit la lui imposer de


la part de Dieu. On justifiera plus loin cette investiture.

Au V. 12, certains critiques, tels que Marti, regardent la mention


du germe comme une glose de basse époque, ainsi d'ailleurs que
m, 8. On s'est déjà expliqué sur ce point. Les raisons alléguées sont
insuffisantes pour modifier le texte.
Au contraire, une modification s'impose dans la traduction ancienne
du V. 13. A lire superficiellement ce verset, on pourrait être tenté
de traduire avec Crampon Il (le germe) sera assis en souverain sur
:

son trône et il sera prêtre sur son trône... Vulgate Et dominabitur :

super solio suo, et erit sacerdos super solio suo. Mais la suite et il y :

aura un conseil de paix entre les deux indique que ces deux personna-
ges doivent être mentionnés dans la même phrase. C'est ce qu'ont bien
compris les Septante, qui portent prêtre sera à sa droite (y.at sa-at
: et le

Ispcjc è/. liz'Zrt xj-z'j). La phrase massorétique rend un sens analogue,


si du mot prêtre le sujet au lieu d'en faire l'attribut. L'ar-
l'on fait
ticle manque, il est vrai; mais, outre qu'il n'est pas absolument
nécessaire, il a pu tomber par haplographie [''y\2 n%m pour Y[jr\).
Voici donc le sens du verset // siégera et dominera sur son trône, et
:

leiwêtre sera sur son trône, et il y aura un conseil de paix entre les
deux. Au témoignage de saint Jérôme, les rabbins interprétaient ce
passage de la même manière « Mais le pontife Jésus, fils de Josedec,
:

s'assiéra également sur un trône sacerdotal, et ils gouverneront le


peuple de Dieu dans une parfaite harmonie de vues et de senti-
ments » (1).

On a fait observer plus haut une autre divergence concernant Josué.


Il siégera sur son trône, dit l'hébreu massorétique, « sa droite, disent
les Septante. Depuis Wellhausen, les critiques préfèrent la leçon des
Septante (i:^)2^i2). Les traducteurs grecs, disent-ils, n'avaient pas de
raison pour corriger le texte primitif, tandis que les scribes hébreux
pouvaient en avoir pour faire siéger le grand prêtre sur un trône (2).
— Mais, pourra-t-on demander, si les Septante avaient cru devoir
modifier la teneur première du v. 11, de manièr'e à faire passer la
couronne de Zorobabel sur la tête de Josué, pourquoi auraient-ils

(1) In h. l.

(9.) Cf. van Hoonacker/p. 633.


188 REVUE BIBLIQUE.

laissé legrand prêtre à la droite du prince civil et ne l'auraient-ils pas


fait asseoir lui-même sur un trône royal? Au moment où ils prépa-

raient leur version, le texte hébreu est censé avoir déjà été corrigé
aux deux endroits. Pourquoi les Septante n'auraient-ils admis que
l'une de ces modifications? Il semble plus probable que le texte
primitif portait comme l'hébreu : il siégera sur son trône. Légalité
que Zacharie s'applique à conserver entre ses deux héros appuie sin-
gulièrement cette conjecture. Sans contredire cette préoccupation, les
Septante ont pu la perdre de vue et rendre l'expression hébraïque
par une autre qui leur paraissait tout aussi honorable.
Disons, pour terminer, que le v. 15 semble incomplet. Il promettait
un discours extrasyniholique, analogue à celui de m, 7, mais la phrase
est brusquement interrompue.
Description du symbole. —
On peut dès maintenant se faire une
idée exacte de la nature du symbole. Zacharie reçoit ordre de se
rendre chez Josias, lils de Sophonie, pour y recevoir les offrandes des
Juifs de Chaldée, naguère apportées par trois de leurs représentants,
Heldaï, Tobie et Jedaïa. Il n'est pas dit qu'il doive percevoir toutes les
offrandes de la juiverie babylonienne; il recueillera seulement l'or et
l'argent nécessaires à son dessein actuel, la confection d'une couronne.
Quand le diadème sera achevé, Zacharie devra l'imposer au grand
prêtre; il lui tiendra aussi un petit discours, pour lui présenter un
personnage éminent, nommé Germe. Ce nom lui vient de .ce qu'il
doit germer par-dessous, c'est-à-dire avoir une illustre descendance.
Il aura pour fonction de bâtir le temple. Il aura un port majestueux,

il siégera sur un trône et sera chef. De son côté, le grand prêtre sié-

gera sur un trône, et entre le Germe et lui il y aura un conseil de


paix, c'est-à-dire complète harmonie de vues et de sentiments. Cepen-
dant Josué ne gardera pas la couronne sur la tête; on la déposera au
temple comme un ex-voto, mémorial des trois donateurs, auxquels
est adjoint Ijcn, de Sophonie. Ce dernier est-il le frère de Josias,
fils

l'hôte des envoyés de Chaldée? Quelques critiques cherchent môme


à identifier ces deux personnages. Mais il importe peu.
M. van Hoonacker interprète diffère minent le v. 10. Il traduit :

« Prenez [des hommes] de la communauté de Harim', de


rapatriée :

Tobijahu et de Jeda'ja; et tu te rendras ce jour-là [] à la maison


de Joschija fils de Sephanja, (]ui 'est' venu de Babel ». Pour lui, la

gala ou communauté des exilés n'est autre que la communauté des


rapatriés, au lieu d'être celle des Juifs restés en Chaldée. Les trois
noms qui suivent ne désignent pas des individus revenus de Babel;
ce sont les noms de trois classes sacerdotales, parmi lesquelles Zacha-
LES SYMBOLES DE ZACHARIE. 189

rie doit choisir les témoins de son acte mémorable. En revanche, le


texte n'indiquerait plus les personnes qui fournissent l'or et l'argent
de la couronne.
Mais les raisons alléguées légitiment-elles l'abandon de l'exégèse
commune? La gola, au sens habituel, c'est la communauté des captifs;
puisque, au même v. 11, il est parlé de gens venus de Babel, la chose
ne fait plus de doute. —
On veut que Zacharie ait pris des témoins
pour -son action symbolique... Si la scène ne se passe qu'en vision,
cela parait assez étrange. Et puis, si on a besoin de témoins, pourquoi
ne pas le dire ouvertement, comme le faisaient en pareille rencontre
les grands prophètes Isaïe et Jérémie? —
Enfin, n'est-il pas surpre-
nant qu'on n'indique point la provenance des métaux qui doivent
servir à la confection de la couronne? —
Ces difficultés n'existent
pas dans l'opinion ancienne.

SymboHs7ne. — Si les données du symbole ont été correctement


interprétées, l'acte de Zacharie signifie l'exaltation de Josué, et le

discours qu'il tient au grand prêtre l'exaltation de Zorobabel.


Je le sais, le couronnement de Josué n'agrée pas à un grand nom-
bre d'auteurs modernes, parce que, disent-ils, à l'époque de Zacha-
rie, en 519, il constituerait un anachronisme. A. cette date, Josué
n'était investi que de l'autorité religieuse, le gouvernement civil se
trouvant entre les mains de Zorobabel. Ce n'est qu'à une époque plus
tardive que les grands prêtres devinrent les chefs effectifs et absolus
de la communauté restaurée. —
Mais a-t-on pris bien garde aux
caractères de ce couronnement? Zacharie prétend-il, par cet acte,
proclamer la royauté de Josué et instaurer une sorte de théocratie
sacerdotale? Nullement, car la couronne ne doit pas rester sur la tête
de Josué; elle n'est pas même ou confiée à
laissée à sa disposition
sa garde; elle sera déposée au temple comme mémorial ou ex-voto.
On n'ira pas jusqu'à dire que le couronnement en question n'équivaut
qu'à une consécration liturgique de la couronne qui doit être remise
dans le lieu saint. Il est préférable de garder à cet acte sa signi-
fication naturelle, qui est celle d'une intronisation, d'une proclama-
tion de souveraineté. Mais le texte ne préjuge en rien la nature de la
suprématie qui est ainsi reconnue à Josué. Comme nous savons par
d'autres passages que le grand prêtre de la restauration était le chef
religieux du temple et de la communauté, cette souveraineté suffît à
justifier lacérémonie du couronnement. —
Du reste, suprématie par-
tagée, car le symbole décerne à Zorobabel des prérogatives qui ne le
cèdent en rien à celles du grand prêtre. Et cela aussi est parfaitement
190 REVUE BIBLIQUE.

conforme à de la restauration juive qui nous montre tou-


l'histoire

jours le chef civil à côté du chef religieux. Ces explications ne dissi-


pent-elles pas jusqu'à l'ombre de l'anachronisme que redoutaient
les exégètes modernes?
Magnifiques, les titres de Zorobabel le sont en effet. Son nom
d'abord —
le Germe —
qui, de l'aveu de tous, est celui-là môme par
lequel Jérémie désignait le roi messianique à venir; sa fécondité,
qu'on laisse entrevoir extraordinaire, et d'où procédera sans doute le
Messie; sa mission, qui est de rebâtir le temple; la majesté dont s'en-
velopperont sa personne et ses actes; son excellence enfin, puisqu'il
doit s'asseoir sur un trône et dominer. — On remarquera cependant
que prophète ne prononce jamais le nom de roi, pas plus au sujet
le

de Zorobabel qu'à propos de .losué, et l'on admirera cette réserve à


ne pas dépasser dans les symboles les strictes limites de la réalité :

c'est qu'effectivement, si Zorobabel et Josué furent des chefs, ni l'un


ni l'autre ne furent rois.
Je n'hésite pas, comme on le voit, à identifier le germe avec Zoroba-
bel, à la suite de Théodoret, de dom Calmet, et de la plupart des inter-
prètes modernes. La fonction qui lui est confiée de rebâtir le temple
historique de Jérusalem est cause de cette assurance. « Toutes ces
choses sont dites de Zorobabel », écrit Théodoret (1). Et dom Calmet :
(cLe premier sens qui se présente à l'esprit, en lisant ces paroles,
est prophète désigne Zorobabel sous le nom de rejeton...
que le
Cela est littéral et historique; et le peuple à qui Zacharie parlait, ne
porta peut-être pas plus loin ses pensées » (2).
La tradition catholique n'a qu'une voix cependant pour saluer
dans Zorobabel la figure du véritable Messie. « Mais la première vue
du prophète, continue Calmet, était bien plus relevée; il voulait nous
désigner par là dont Zorobabel n'était que l'ombre et la
le Messie,

ligure... ». « Zorobabel, écrit excellemment M. van Hoonacker, réalise


l'espérance messianique en tant qu'il est la souche d'où doit sortir le.
Messie idéal de F avenir » (3).

En résumé, le couronnement du grand prêtre proclame qu'il est

chef, et chef reUgieu.r, bien qu'il ne soit pas roi. Il n'est pas roi,

puisqu'il ne garde pas la couronne et qu'il partage ses pouvoirs de


souverain avec Zorobabel. Celui-ci à son tour est proclamé chef;

(1) ïa-jxa ûà ànavra ireol loù ZopùêâêîA TrpoaYopEÛei (COl. 1905).


(2) Of. cit., p. .572.

(3) Op. (il., \>. (53^ pour être complet, qu'un certain nombre d'auteurs,
Ajoutons,
saint .lérôme, C. a Upidc, Trochon, Crampon, Knabenbauer, appliiiuent littéralement au
Messie ce qui est dit du Germe.
LES SYMBOLES DE ZAGHAKIE. 191

outre le rôle de sa descendance, qu'on entrevoit très glorieux pour


l'avenir, il doit lui-même reconstruire le temple; ce sera la fonction
principale de sa charge.
La portée d'un tel symbole était incalculable. Jusqu'ici la réhabili-
tation du grand prêtre et la présentation de Zorobabel ne s'étaient
faites qu'en vision, à l'usage de Zacharie et de ceux qui voudraient
bien s'en rapporter à sa parole. Aujourd'hui, c'est le fils de Barachie
([ui^ agissant au nom de Jahvé, à l'instar des grands prophètes

judéens ou Israélites des siècles antérieurs, va trouver Josué. Au vu et


au su de toute la communauté, il le couronne, il l'intronise officiel-
lement dans ses augustes fonctions. Personne ne pourra plus s'y
méprendre : le nouveau sacerdoce est purifié, réhabilité, consacré;
la chaîne est solennellement reliée au sacerdoce mosaïque. En même
temps, par un discours très élogieux, Zorobabel est constitué chef
civil à côté du chef religieux. ^

C'est l'alliance officielle de la synagogue et de l'État. *

Le symbole actuel continue la série des grandes visions qui l'ont


précédé et préparé, notamment celles de la transfiguration de Josué et
des deux oliviers. Il les dépasse toutes par l'éloquence de la réalité

et de la publicité.
N'eùt-il fait que cela, Zacharie occuperait une place de choix dans
l'histoire de la Restauration. Il mériterait de figurer à côté de Moïse
qui intronisait les grands prêtres, à côté de Samuel et d'Elisée qui
intronisaient les rois.

Fontarabie.
Denis Buzy S. C. J.

I
MÉLANGES

NOTES SUR LES RECENSIONS HÉSYCHIENNE ET HEXAPLÂIRE


DU LIVRE DE NÉHÉMIE (II ESDRAS).

L'histoire des différentes recensions de la Bible grecque reste encore


à faire : œuvre complexe, qui ne peut être entreprise avec quelque
chance de succès qu'après un dépouillement attentif des manuscrits
et une classification rigoureuse de leurs diverses familles; œuvre lon-
gue et ardue pour laquelle serait nécessaire la collaboration intime
d'un grand nombre de spécialistes dont les uns limiteraient leurs
investigations aux codices de l'Ancien Testament, tandis que les
autres étudieraient les nombreuses citations des Pères. Je voudrais
simplement apporter ici. à propos du livre de Néhémie (II Esdras ,

une très modeste contribution à cette histoire; et je m'excuse d'avance


si les conclusions que j'apporterai tout à l'heure ne présentent pas

grande originalité, ne jettent pas même une pleine et définitive clarté


sur un sujet volontairement restreint (1).

Je laisse de côté la recension lucianique. Dans le livre de Néhémie,


comme dans la plupart des autres livres de l'A. T., cette recension
est caractérisée par des leçons qui rendent facilement reconnais-
la
sable; et elle est représentée fidèlement par les mss. 93, 108, 121.
Une seule remarque. A la fin du livre qui nous intéresse, un ancien
reviseur du Sinaïticus a inséré la note suivante à^-zilrfi-q r.pï: :

(1) Les variantes sont citées ici d'après l'éd. Swete pour les grands onciaux, d'après
]'éd. IIoi.mes-Parsons pour les cursifs. Cette dernière est jusqu'à présent la seule pour
le de Néhémie. D'ailleurs, inènie après railièveinenl de l'édition de Bhoom; et
livre
\V. Me
Lean, elle restera précieuse à cause du nombre considéralile des mss. (|u'elle a
collationnés. Tant de richesses sont en partie rendues inutilisables par la pauvreté du
sens critique, et l'absence de tout effort en vue d'une rlassiliralion rationnelle des témoins
invoqués.
MÉLANGES. 193

-^oAcu, OTrep àvT''Ypasiîv Trpbç tw -réXî'. 67:07r,;j.;ta)s{ç t'.^ îoiè^stpcç aj-oj


'jT.v-/Xi~o £-/cu(7a C'JTOJ?* ;j-s-sA'f([;,ç;0'/; -/.-j). oispôwOrj 7:po? -:à s^3;';:Xa 'QptYîVcDç*
'Aviwvivcç àvTsXaêsv' IIa[;.5LXo; oiôpOwca (1). D'après cette note, il sena-
\ blerait que le travail de comparer la copie à l'oriiiinal eût été confié
' à un ce,rtain Antoninos qui est d'ailleurs parfaitement inconnu,
tandis que la tâche plus compliquée de faire les corrections eût été
réservée à I*amphile (2). Il semblerait surtout que les variantes
introduites dans le texte du Sinaïticus par ce correcteur si fidèle à
rappeler souvenir d'Origène et de Pamphile dussent être d'Ori-
le

gène et de caractère hexaplaire (3).


Il au contraire que, dans le plus grand nombre des cas,
se trouve
les leçons de ce reviseur (siglé n'" par Swete et daté du vu' siècle)
sont d'accord avec les manuscrits lucianiques 93 et 108. Voici quel-
ques exemples :

Neh. 1, 9 : y.rS ay.pcu tc-j cjpavij : -\- îwç a:Kç,z'ù t:u cupavou 93, 108,
j^ca nig siip^

1, 11 : [A-r, cr, : -h 7,'jpis [j,r^ aTC 0(7-: pc'Vr^; (^93 azoa-pôd^siç) to -pocro)-sv
jcj : 93, 108, 1-21, x" '"^.

""''
2, 1 : svojirijv a'JTC'j : H- y.ai r^irr^v cr7.'jOpo)TCO; : 108, 121, N" '"*'

(93 3-/.u6pc7:oç).

2, 6 : auTO'j : H- iva Tt v.yAr^zy.'. Tcap i[j.z<. x'''' (ras. n"M 121 (93 -.va

Ti y.aOîisai ; 108 7.0:6 tjai).

2, 8 : cpuXaxa TC'j -apaociaou : -Tcv ç>uXa77:vTa ^a; r^y.iovou; tîd


iSacrfAso); y.aL -cv TrapaScitJov x'* (ras. x''*), 93, 108 (121 twv -^i^.iivojv T=y
j3a7iXîO)ç y.at -ou 'rrapaScia^u).

2, 8 : rSkuq : + r/;; gapsw; t=j cr/.su x""^ (ras. x*'') 93, 108,
Conipl.
2, 8 : ti- ciy.sv ov £f.7cX£'j7;;j.ar. B : si- ciy.:v sic cv x'" (ras. x''') 93,
108, Compl.
2, 12 : ouy.3a-'.v B : cuy.-^; x'" (ras. x'") 93, 108.
5, 9 : cveioit7[;.o'j (-f- tojv sOvojv) : to)v v/fipdyj u;j.o)v x''*
'"*"'

5, 14 : aTTo -^iJ-spa; : pr. y.ar. ys f<'' "^^ '", 93, 108, Compl.

(1) H. B. Swete, The Old Testament in greek, 11, p. 212.


(2) On trouve une note analogue, et de la main du même correcteur, dans la souscription
au livre d'Esther. H. B. Swete, op. cit., II, p. 780.
(3) Cf. E. Nestlé, art. Septuagint dans Uastings, D. B., IV, p. 448'.
« That Ihe (iopyist
who wrote the note ai Ihe end of Esther on the collation with Ihe codex ofPamphilus is
identical with the corrector x' is an important hint for the restoration of the recension
of Eusebius-Pamphilus. « — Et dans le même sens, H. B. Swete, .in Introduction lo
tlie Old Testament ingreelc, p. 490. \
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 13
t<M REVUE BIBLIQUE.

On pourrait citer bien d'autres cas encore (1). La première main


du Sinaïticus nest pas spécialement lucianique. Mais il est incontes-
table que le correcteur qui a copié la note où il prétend suivre un
manuscrit autographe de Pamphile, donne des leçons lucianiques, au
lieu des corrections hexaplaires que nous aurions été en droit d'at-
tendre.
Le texte copié et corrigé par Pamphile et Eusèbe n'était pas dans
la pensée des deux éditeui's un texte nouveau. Ceux-ci voulaient
simplement, en reproduisant à part la cinquième colonne des Hexa-
ples, remettre en honneur la traduction authentique des Septante.
On sait que de bonne heure les signes diacritiques imaginés par Ori-
gène ne furent plus recopiés, si bien qu'en réalité on se trouva, dès la
fîii du iv^ siècle, et peut-être plus tôt, en présence d'une recension

nouvelle (2). Parmi les mss. regardés comme hexaplaires, en ce qui


concerne le livre de Néhémie, se trouvent en première ligne le Vatic.
Re</. gr. H) (H.-P. 58) et le Vatic. graec. Si6 ^H.-P. 2i8) (3). Ces deux
manuscrits appartiennent, sans doute, à la même famille, bien que
le 58 se disting-ue par le grand nombre des variantes qui lui sont
particulières. Dans les six premiers chapitres de Néhémie, sur 97 leçons
qui peuvent être regardées comme caractéristiques du groupe, il n'y
pas moins de 65 cas où le 58 est l'unique témoin. Le plus souvent, ces
leçons propres sont des abréviations ou des omissions; p. ex.
1,3: v.y.: v/M'j:^zy. : om. 58.
1,9: v.y.'. ly.'/ : om. 7.y.i 58.

2, 4 : tcjt: : om. 58.


2, 13 : ; xjtc. -/.aOaipc'Jcri : om. 58.

3, 6 : 7.a'. f^v r.j\r,v jusqu'à la fin du verset 12 : om. 58.

3, 20 : v.y.i z -jpvc; :om. 58.


: z i;3yo)v : om. 58.
3. 30 : v.ît' y:-i"-t 1° osurepiv : om. 58.

3, 31 : ;j.£T ajTcv jusqu'à la fin du chapitre : om. 58.


5, 19 : tout le verset est omis, 58.
6, 4 ; 6, 14 : ces deux versets manquent aussi dans le 58.

Il On aura remarquéque souvent les corrections inlrotluitcs par x' ' ont été eflacces par

un (orrecteur postérieur X'''.

il) Cf. S. JiinôME, 'praef. in lib. Paratip. ; ['.L.,\\\UL 1324 s. : Alexandria et Aegyptus in
Septuaginta suis llesychium laudat auctorem; ConstantinnpoUs usque Antiodiiani Luciani
martyris excmplaria probat; metliae inler lias prouinciae l'alacstinos codices lo-^unt. ([uos
ab iirigene elalioratos Eusebius et Pamphilus uulgauerunl: totusijue orl)is liaec inter se
tritaria uarictate compugnat. Cf. encore S. JiiuÔME, Epist. CVI ad Sunniam et Frete-
lam, 2; P. L., XXII, 838.

(3) Sur le 58, cf. IIolmes-Pausons, t. I, praef. ad Penlal., avec celle remarque finale :
196 REVUE BIBLIQUE.

Ea tout, premiers chapitres de Néhémie, 50 cas au


pour les

moins ont été relevés où s'affirme la ressemblance de l'Aldina avec le


texte des manuscrits en question. Il est à noter que les trois codices
dont se rapproche le plus l'édition d'Aide sont regardés comme
hexaplaires par Field aussi bien que par Hohnes-Parsons (1). Serait-ce
alors qu'il faudrait reviser, du moins pour le livre qui nous occupe,
l'opinion selon laquelle l'Aldina serait un témoin de la recension
hésy chienne?

Cette recension hésychienne nous est assez bien connue pour un


certain nombre de livres, en particulier pour quelques Prophètes,
où elle est représentée par un excellent témoin, le Marchalianus
Q. Lorsqu'il s'agit du livre de Néhémie, il est beaucoup plus dif-
ficile d'en relever les particularités. Swete indique, parmi les mss.

utilisés par H. -P., comme spécialement hésychiens les n"' 44, 74, 68,

106, 107, 134. L'examen des variantes relatives à notre livre confirme
l'appartenance de tous ces codd. à une même famille. Voici par
exemple une liste relevée pour le chap. 3.

3, 4 — aoo)7. B; laoouy. K, 64. 74, 106, 119. 121, 134, 243, 71.

3, /.aTS7-/sjav B ; /.aTE^xov A, 55, 58,64, 71, 74, 106, 119, 134,


236, 243, 248.
3, 5 aoo)p-/;£i;. B ; Aowp'ot^, 44, 64, 106.
3, 5 Tpa/T/Acv au-a>vB; sauTojv A, 44, 74, 106, 119, 134, 236.

3, 6 laavâ B; Tcv AiŒava K, A, 74, 106, 119, 134, 236,


3, 7 3/.paTï;7av B ; s/.paroas 64,71, 74, 106, 119, 121, 134, 236,
248.
8 tiùq Tcu T£r/cuç A x; om. Tcu B, 44, 74, 106, 134, 236.
3, 10 y.a'.7.a-£vavt'i B; om. v.a-. x, 44, 74, 93, 106, 108, 119, 121,
134.
AtcuO B; A"ou;44, 106, 119, 134, 236.
AaSavsai/. B Aa6avia A, N, 44, 71, 74, 106, 119, 13V, 236.
;

3, 11 T(ov vaGoupsip. B; to)v Oxvvcjpiy. 44, 74, 106, 134,


3, 13 TY]; TruX^ç N* A; om. r/;ç B, 44, 55, 93, 106, 134.

3, \h uioiauTcu B; pr. ci 6V, 74, 93, 106, 108. 13V, 148.


3, 16 Ai;a6ou7.B; AC6cx/ A, 44, 71, 7'i, 106, 13V, 236.
rr^:;, -fS.-;zv-Jiocz B; tt^ç vwviaç 106.
Br,Ga6ap£t;j, B ; hrfixyza'oocpiv. 74, 106, 13V.

(1 Sur le (14 1. ( 11. -P., t. I, procf. ad Peut. : « hnbel in iiiargine aiiquas aliorum inler-
prelum Iccliones et eas ad Ilexapla sua translulit Monlfaucomis ex hoc i|>so ut uideCiir,

codice, ac eum appcllat egregiae notae ». Field, t. I, p. Tj.

Sur le 243, FiEi.i), t. I, p. 'i8G.


3,
198 REVLE BIBLIQUE.

3, 28 : ;'.y.îu au-rou B ; ^ajTwv iV.


4, 13 : ajT0)v4°B; sajTOJv A, N, 119.
V, 18 : pojj.©atav au--j B; sauTC-j A, N, 44, 58, 74, 106, 134.
Etc..
3° Parfois, surtout dans le ïï. le possessif est complètement omis.
3, 13 : om. auTr^ç 44,
Oupaç y:j-.r,q \] ;

3, 13 \j.zy\zj: y'j-r,z B; om. xj-r,q 44.


:

4" Plus fréquente est l'omission de l'article :

1, 3 ai T.j\y.'. Tj-.r,z B; -uXai A, 44, 74, 100, 134, 248.


:

1, 3 Evw^icv Tij OsiJN, A; om. t;j B, 44, 74, 106, 134.


:

1, 6 zp:7£J7-^v t:j ccjacu: om. t:j A, ]^>, 44, 74, 106, 134, 236,
:

119.
1, 10 : sv T-f, 2jva;j.£i; om.
A, 58, 74, 100, 134, 108, X. rr, .s.

5" On peut signaler encore la fréquence des asyndètes, la con-


jonction de liaison étant omise par nos manuscrits, tandis que B et
les lucianiques se montrent très attentifs à maintenir la liaison des
phrases ou des membres de phrase. Ce fait est particulièrement
sensible dans les listes de travailleurs du chapitre 3.

Ces quelques particularités suffisent-elles à déterminer une recen-


sion, oii simplement caractéristiques d'un groupe de
sont-elles
manuscrits? Voilà la question qu'il faudrait maintenant résoudre, et
qui n'est pas facile. Car on ne voit guère, avec les éléments que nous
avons groupés 1), en quoi a consisté le travail propre d'Hesychius,
et avec quelle intention il a cherché à améliorer le texte des Sep-
tante. Saint Jérôme, on le sait, se montre d'une extraordinaire sévé-
rité pour les novateurs qui, au début du quatrième siècle, avaient

osé porter une main sacrilège sur l'œuvre vénérable des Septaute :

Praetermitto eos codices, écrit-il, quos a Luciano et Hesychio nun-


cupatoSy paucorum hominum asscrif peruersa contentio : quibiis
utique nec in ueteri Testamento post Septiiaginta interpi'etes emendare
(juid licuil, nec in nouo profuit emendasse : cinn miiltarwn gentium

(1 Peut-être faut-il ajouter encore comme caractéristiques certaines particularités d'or-


thograplie : 1, \yz'r/,t\'x. B- A/^oilia x, A, 74, 106, 243.

«TOjaav aêeipa B; ao-^aa. 106, 107, 134.


vaêipa 71, 106; vaoïppa 13 4.

1, 3 oi xaTa/.E'.TTOjiEvo'. 15: •/-aTa/iTtojXïvoi, 7'j, 106.


2, 1 ApcaOcpOa B ; .\pOa7Oa 44, 71, 74, 106.
2, 10 Savaga/zaT B ; lavaSa/ax N, 44, 93. 10(;.

Apwvet 1Î-; o Appwvt 44, tw Apoivt 74.


L'écriture i ;iour ei n"est-elle pas spécialemonl égyptienne.' Il csl a iioler en tout cas
qu'aucune des variantes que j'ai relevées ne supposi; un texte hébreu diflérenl du texte-
massorétique. Ceci n'est pas une conclusion nouvelle-, mais sa cerlitudc augmente à
mesure que les recensions jçrecques sont étudiées de plus près.
MÉLANGES. 199

/inguis Scriptiira mile translata doceat faha esse quae addita siint (1).
La recension liésychienne, surtout, ne trouva pas grâce devant la.
critique de l'autorité le Décret de Gélase met le nom d'Hesychius
:

avec ceux des auteurs dont les livres sont interdits aux fidèles. Nous
comprenons mal une telle sévérité, lorsque nous nous trouvons en
présence de résultats aussi pauvres que ceux que nous avons
recueillis dans la lecture du livre de Néhémie.
Aussi ])ien ce livre, si court, est-il insuffisant — et ce sera notre meil-
leure excuse — pour nous permettre de nous faire une idée d'ensemble
de l'œuvre d'Hesychius. Nous avons reconnu l'existence d'un groupe
compact de manuscrits qui procèdent d'une tradition commune et
qui sont surtout les n"" k\, 74, 106, 134 et 248. Étudiant le texte grec
de rOctateuque, M. Me Lean, le savant éditeur des Septante, avait
depuis longtemps reconnu dans les n"® 44, 74, 100, 134 auxquels il
ajoute les n"" 76 et 84, les principaux témoins du texte hésychien f2 .

En ce qui concerne Néhémie, ce sont les mêmes manuscrits (]ui repré-


sentent la tradition égyptienne. Il faut nous borner peut-être à cette
seule conclusion, si modeste en attendant que, sur des
soit-elle,
bases plus larges, soit reprise une étude d'ensemble de l'œuvre scrip-
turaire d'Hesvchius.

Janvier 1918.

Gustave Bardy.

(1) JÉRÔME, Praef. in Euan(j.; P. L., XXIX, 527'.

(2) N. Me
Lkan, dans Jountal of theological Studies. II, janvier 1910, p. 306. Il in'a
semltlé encore que souvent le cod. A était d'accord avec les rass. de cette famille;.je dois
du moins signaler l'existence de nombreuses leçons communes, sans me prononcer sur le
difficile problème du texte de l'Alexandrinus pourquoi pas hésychien cependant?
:
200 REVUE BIBLIQUE.

II

LE PREMIER DICTKJNNAIRE DE LA BIRLE

Parmi les instruments les plus précieux pour la connaissance et


l'emploi des saintes Écritures, il compter tout d'abord les con-
faut
cordances et les dictionnaires linguistiques. Par la réunion des pas-
sages contenant le même terme, par les comparaisons qu'elle permet
d'établir, la concordance facilite singulièrement la compréhension de
chaque mot, mais son but n'est vraiment atteint que. si le diction-
naire vient à son tour préciser le sens de ces mots et leurs diverses
acceptions. Les concordances ont préparé et précédé les diction-
naires. Elles apparaissent dès le xiii" siècle avec les travaux du car-
dinal Hugues de Saint-Cher sur la Bible latine, tandis que les premiers
dictionnaires ne datent guère que du commencement du xvi" siècle.
Il restait cependant un pas à faire pour offrir aux esprits curieux

des choses scripturaires un moyen d'information plus rapide en


même temps que plus étendu, c'était de créer un dictionnaire scieii-
tihque de la Bible qui donnât l'explication des termes difficiles eu
confrontant l'original avec les versions, un précis historique des per-
sonnages de l'Ancien et du Nouveau Testament, la solution des pro-
blèmes chronologiques, les identitications géographiques, des notions
d'histoire naturelle touchant les minéraux, les plantes et les ani-
maux mentionnés dans le texte sacré, la valeur des monnaies et des
mesures des Hébreux, la nature de leurs fêtes, de leurs cérémonies et
de leurs coutumes, un dictionnaire qui fondît ensemble les catalo-
gues déjà parus isolément de quelques branches de la science bi-
blique et condensât les conclusions des meilleures dissertations éla-
borées sur les sujcis qui viennent d'être énumérés. L'origine des
répertoires géographiques remonte à Eusèbe et à saint Jérôme. Phi-
Ion d'Alexandrie fut l'auteur de la première liste étymologique des
noms hébreux. Ces travaux ont été depuis lors repris et amplifiés. 11

n'est guère de matières non plus dont les érudits n'aient fait l'objet
d'études spéciales : uns ont disserté sur le Tabernacle, le Temple
les
et les synagogues; d'autres sur le gouvernement, la milice, la justice
chez les Juifs; d'autres sur la musique, la poésie, les jeux, le vête-
ment et la chaussure. Mais qui donc pouvait se tlatter d'aborder la
MELANGES. 201

multitude de ces traités capables de foi'iuer une volumineuse bi-


bliothèque, ou de s'orienter à travers ce dédale d'élucubrations
d'inégale valeur? La nécessité par conséquent s'imposait d'un dic-
tionnaire de la Biljle offrant un accès aisé à toutes ces questions. Les
prédicateurs et les mystiques avaient en main des dictionnaires mo-
raux ou répertoires des passages de l'Écriture concernant les mœurs
et la vie spirituelle, mais pour obtenir un ouvrage analogue dans le
domaine de la connaissance pratique on dut attendre jusqu'aux der-
nières années du xvii" siècle.
C'est à cette époque en eflfet que parut le premier dictionnaire
biblique, et l'idée comme l'exécution d'un tel dessein revient à un
simple curé de campag-ne nommé Richard Simon, que l'on ne doit
pas confondre avec son célèbre homonyme et contemporain le Ri-
chard Simon prêtre de l'Oratoire auteur de l'Histoire critique de
et
l'Ancien Testament, etc., etc. Quelques passages disséminés dans les
articles de son dictionnairenous permettent d'esquisser la biographie
(le cet auteur demeuré obscur malg^ré les mérites de son initiative.

Ce Monsieur Simon qui s'intitule prêtre et docteur en théologie est


né à Castellane dans les Basses-Alpes (1). Ses origines provençales se
trahissent par maintes réflexions. Il aime à mentionner le séjour que
fit près de Ehden en Syrie hbanaise son compatriote l'orientaliste
François de Galaup, seigneur de Ghasteuil, proche de Castellane, et
l'épitaphe polyglotte gravée sur le tombeau de ce personnage au
Nahr el-Qadisa (2). Pour documenter son article sur Ophir, Simon
consulte, par l'intermédiaire d'un ami, M. Vincent, « célèbre médecin
de Provence, qui a fréquenté très.longtemps dans les Indes et particuliè-
rement dans le roïaume de Siam ». Il veut également que l'on sache

(1) Ze Grand Dictionnaire de la Bible (édil. de 1717), If, p. 17. col. 2 « On y voit :

(au monastère de C'anobin) la j^rotle de sainte Marine, et la solitude de l'illustre Monsieur


de Cliasteuil, Gentilhomme d'Aix en Provence, et dont la Seigneurie est à trois lieues de
chemin de Castellane, ma patrie. » La Biographie [iiiverselle de Michaud le fait donc
à tort orij^inaire du Dauphiné.

(2) Op. land.. I, p. 438, col. 1 et 2 « Dans ce fameux Monastère de saint Elisée, dont
:

je parle, on voit le tombeau de l'illustre François de Galaup Seip-ipur de Chasteûil, proche


de Castellane, sorti d'une des plus illustres Maisons d'Ai\ en Provence; l'un des plus
sçavans personnage de son tems, qui pour cacher les plus belles connoissances qu'il avoit
dans toutes les sciences, mais particulièrement dans les langues Latine, Hébraïque, Si-
riaque, Chaldéene et Grecque, sur tout l'intelligence qu'il s'étoit acquise des saintes Ecri-
tures, voulut encore aller dans les lieux oii il croïoit en être mieux instruit. Il fut si

charmé des délices de la solitude, qu'il résolut de s'y arrêter tout à fait, et même d'y
finir ses jours. On voit son épitaphe écrite en trois langues, en Latin et en
en l'^rançois,

Arabe. Cette épitaphe est gravée sur une pierre^ au coin de l'Église, vis-à-vis du saint
Sacrement. » On trouve le relevé de cette inscription dans plusieurs itinéraires des
xvji° et xviu'- siècles.
202 REVUE BIBLIQUE.

que Cornélius Gallus, qui ruina la ville égyptienne de Thèbes, tirait


son origine de Fréjus en Provence. La distinction de Marie -Madeleine
d'avec Marie de Béthanie et de la Pécheresse, qu'il finit par admettre
dans sa dernière édition, ne rempèche pas de tenir pour la plus com-
mune et plus véritalile opinion celle qui croit que les reliques de
Marie-iMadeleine sont dans l'égiise de Saint-Maxiniin en Provence.
Enfin Godeau, évêque de Vence, est pour lui une autorité en his-
toire.
Par quel enchaînement de circonstances ce prêtre provençal arriva-
t-il à être pourvu de la cure de Saint -Uze, modeste paroisse du

diocèse de Vienne en Dauphiné, relevant actuellement du diocèse de


Valence? Nous l'ig-norons. Tout ce que le dictionnaire nous apprend,
c'est qu'il occupait ce bénéfice en 1667, lors de la découverte dans
cette localité d'une antique sépulture renfermant des ossements gi-
gantesques, qui lui fournissent un argument en faveur de la réalité
des géants. On constate par le même article que son pays d'adoption,
le Bas -Dauphiné, lui était devenu très familier. Les Rephaïm et les

' Anaqim lui procurent l'occasion de rappeler les trouvailles anthro-


pologiques qu'il connaissait dans la région. Dans l'abbaye de Bon-
ne vaux de l'ordre de saint Bernard entre Vienne et la Cùte-Saint-
André il a vu une partie de la côte d'un géant mesurant quatre
pieds et demi de longueur et quatre pouces d'épaisseur. Il signale
également de notables vestiges de cette nature dans la maison de
M. Nantuin à la Côte -Saint- André et au couvent des Dominicains de
Valence-sur-Bhône. A propos de Pilate, Simon cite l'opinion de-Pierre
Comestor d'après laquelle le procurateur serait de la province de
Vienne, d'un bourg appelé Saint- Vallier; mais il la rectifie par Théo-
philacte et Adon qui ne donnent Vienne que comme le lieu de relé-
gation de Pilate. Évidemment notre érudit éprouvait un grand
intérêt à faire mention des pays qu'il avait habités ou qu'il con-
naissait. Quelques années avant la première publication de son
diciionnaire (16i)3), des motifs de santé l'ayant obligé de résigner
son ])énéfice", il était venu se fixer à Lyon où il occupa ses loisirs à la

composition de son ouvrage. C'est dans cette ville qu'il eut le plaisir
d'admirer les tours d'adresse d'un prodigieux éléphant nouvellement
venu du royaunie de Siam. Le 2 V janvier 1699, il se fait envoyer un
procès-verbal de la découverte surprenante qui avait eu lieu dans
son ancienne paroisse, afin de pouvoir la consigner dans la seconde
édition de son dictionnaire qui eut lieu en 1703 (1). L'ouvrage fut

(Ij Op laud., 1. p. .j:î4, col. 1 : « Ce que je viens de dire est certifié par le sieur Charles
Monier Chàleiain du lieu de Saint-Uze, et par le sieur Chalamé Châtelain dudlt Molard, et
"
MÉLANGES. 203

édité une troisième et dernière ibis en 1717, mais nous ne savons pas
si ce fut par les soins de l'auteur ou par ceux des marchands libraires
de la rue Mercière à Lyon.
Le dictionnaire ])iblique de Maitre Simon jouit d'une faveur extraor-
dinaire à son apparition. L'éditeur le fait remarquer en tète de la
seconde édition « Ce seroit ici le Jieu de faire l'éloge des avantages
:

et des' mérites du Livre, mais le favorable accueil que le public lui a


fait, lorsqu'il n'étoit encore qu'ébauché, nous donne lieu de pré-

sumer, qu'étant présentement dans l'état dune plus grande perfec-


tion et comme diférent de lui-même en toute chose, il aura pour lire
un empressement encore plus grand, et qu'il reconnoitra de toute
son aprobation les fatigues qu'on s'est donné pour lui présenter
quelque chose de plus achevé (1). du » Dom Calmet se fait l'écho
libraire en écrivant « Cet ouvrage fut si bien reçu du public, que
:

l'auteur l'augmenta d'un volume entier et le publia de nouveau à


Lyon en 1703, en deux tomes in-folio. Si le débit d'un livre étoit
une preuve assurée de sa bonté, il y en auroit peu qui dussent
mériter plus d'approbation que celui-ci. » Le mieux est l'ennemi du
bien. Crise par son succès, Simon, au lieu de perfectionner son
ébauche dans les limites scripturaires, se permit de nombreuses
incursions dans le domaine extra-biblique, au point de présenter
son dictionnaire comme un livre universel où il était loisible de

par le certificat de Monsieur Dommergue Prêtre- et Chapelain cUi Château qui me firent la
grâce de m'en envoyer la présente Relation l'an 1C99, le -'4 janvier, outre qu'ils ne disent
rien que je n'aie moi-même vu étant pour lors Curé de la paroisse de Saint-Uze. »
Lyonnais d'adoption après avoir été Dauphinois, c'est ainsi que le manifeste encore sa
nomenclature des vieilles églises à lui connues (I, p. 4-39, col. 2) « telles que nous :

voïons, écrit-il, encore dans Lyon, comme sont celles de saint Jean, de saint Nizier, de
saint Just et de saint Paul; de l'Isle-Barhe, de saint Maurice de Vienne, de saint Pierre
et de saint André le bas de la même ville «.

(1) L'édition de 1717 qui nous a servi à élaborer le présent article et publiée comme les
autres 'à Lyon chez
veuve de Jean Certe et Jaques Certe, fils, marchands libraires, rue
la
Mercière, à la Trinité,' se présente avec un titre interminable Le Grand Dictionnaire :

de la Bible ou explication littérale et liislorique de tous les mots propres du Vieux


et Nouveau Testament, avec la vie et les actions des principaux personnages tirées
de l'Écriture et de l'histoire des Juifs, celles des patriarclivs, juges, rois et princes
de cette nation, la vie des prophètes et des souverains sacrificateurs... la naissance,
la vie, les miracles et lamort de Jésus-Christ, le temps de la vocation de ses apâlres
et de ses disciples, l'année et le lieu de leur martyre, avec le jour de leur fête:
l'explication des noms des animaux purs et impurs desquels il étoit défendu ou
permis de manger, avec leurs bonnes ou mauvaises qualités, et oit ils se trouvent en
plus grande abondance, celte des douze pierres précieuses qui éloient sur le na-
tional du Grand Prêtre... les noms des fêtes et des solennités des Hébreux, et leurs
Sacrifices, celui des provinces, régions, villes et bourgs, montagnes, plaines, fleuves
et rivières les plus remarquables etc. etc.
204 REVUE BIBLIQUE.

s'exercer sur tout et de disputer depuis les cèdres du Liban jusqu'à


Fhysope des jardins. Aussi bien Dom Calniet reconnaissait-il que si
l'on n'avait quelque chose de meilleur à présent, il faudrait s'en tenir
à la première édition, qui est dégagée d'une infinité de faits qui
n'ont point de rapports à l'Écriture sainte et c[ui sont traités hors de
propos dans seconde édition. A ce défaut se joignaient des inexac-
la

titudes et des erreurs assez nombreuses dénichées dans la suite par


les gens habiles et qui ont fait soupçonner l'auteur de n'avoir
peut-être pas eu les secours nécessaires, tant du côté des livres que de
la connaissance des langues, sans quoi il est impossible de bien rem-
plir un dessein de cette étendue et de cette importance.
La faveur que rencontra un tel ouvrage en dépit de ses imperfec-
tions et ses imperfections mômes engagèrent Dom Calmet, autrement
versé que Simon dans les sciences bibliques et ayant une riche bi-
bliothèque à sa disposition, à lancer à son tour un dictionnaire de la
Bible mieux informé et se bornant aux questions scripturaires. On lui
avait conseillé d'abord de retoucher l'œuvre de son devancier, mais
il crut plus aisé d'en faire une nouvelle que de travailler sur celle
d'un autre. Le docte bénédictin convient cependant que le livre de
Simon, loin d'être pour lui-même sans utilité, lui avait préparé la
voie, facilité les recherches et servi de guide.. « Nous reconnoissons
qu'il nous a servi, au moins en ce qu'il nous a fourni la plupart
des noms tout arrangez, et les titres des matières entièrement
distribuez; de plus, dans les endroits même
ou l'auteur se trompe, il
ne nous a pas été inutile, puisqu'il nous a averti de nous -tenir sur
nos gardes, et d'examiner les choses de plus près. »
Si nous voulons par conséquent juger de la valeur de cette critique
et de la vérité de ces remarques, prendre aussi une idée exacte de la
méthode de l'auteur du premier dictionnaire biblique, nous ne pou-
vons mieux faire que de le mettre en parallèle avec le dictionnaire hisio-
rique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible de
Dom Augustin Calmet, abbé de Senones, qui marque un si grand
progrès sur le précédent qu'il peut passer pour un modèle du genre.

II

On reproche tout d'abord à l». Simon ses digressions en dehors du


domaine biblique, et ce blàmo est fondé. Tous les noms propres re-
levés dans 1 historien Josèphe sont insérés sans distinction. L'intérêt
que l'auteur porte à tout ce qui concerne la Palestine U pousse à ac-
corder une large part à la géographie et à l'histoire des Croisades.
MÉLANGES. 205

Certains de ses articles trouveraient leur place dans toute autre ency-
clopédie qu'un dictionnaire biblique, comme onenjugerapar les titres
suivants : Abyssinie, Andes, Chine, Eulogle, Diaconicon, Baptistère,
Hécalonibe, Sainte-Hélène, tandis que Calmet élimine avec soin toute
matière appartenant exclusivement au domaine de l'archéologie
chrétienne et de l'histoire ecclésiastique.
Ce qui ne manque pas de frapper aussi à la lecture de quelques
articles, c'est leur défaut de composition. On voit accumulée sous une
même rubrique la matière qu'il eût fallu répartir sous plusieurs.
Aiûsi, l'histoire à^Aaron est suivie d'un chapitre sur les fonctions des
prêtres et d'un tableau chronologique des grands prêtres jusqu'à la
ruine de Jérusalem. A propos
de Bala, l'auteur amène l'épisode de
l'incestueux de Corinthe. Césarée de Philippe et Césarée maritime
sont traitées sous un même titre. Le lecteur est déçu de trouver à
l'articleGethsemani, au lieu d'une description détaillée du Jardin et
de la Grotte, une esquisse de la Voie douloureuse, telle qu'on la
montrait au xvii" siècle. L'article Saints mériterait mieux le titre de
Miracles, car ce n'est qu'une série de faits miraculeux de l'Ancien et
du Nouveau Testament.
Le défaut de classification est en plus d'un cas aussi évident. Pour
quel motif Alexandre vient -il avant Alexandra, Bosphore après
Bosra, Hérodiade après Hérodiens? Le même sujet revient à diffé-
rentes reprises, présenté avec quelques divergences sous divers titres
qui en fait ne devraient en faire qu'un seul, par exemple le doublet
Ammaus-Emmaus, ou encore le triplet Arba-Chebron-Hebron.
La philologie de Simon n'est pas assez éclairée pour se débarrasser
des fausses étymologies et des jeux de mots que les anciens aimaient
à composer sur les noms bibliques. Ainsi Carmcl aurait pour signi-
fication : mollis, tenelhis, cognoscens circumcisionem. Mais le sens de
« vigne excellente que Calmet donnera dans son a^^pendice lexico-
»

graphique lui échappe complètement. La simple lecture comparée de


l'article Abba dans l'un et l'autre dictionnaire suffît à marquer leur

valeur respective au point de vue linguistique. Do toutes les combi-


naisons que le premier cite au sujet de la racine du nom de Lucas
aucune n'est acceptable. Le grec est plus d'une fois estropié, par
exemple dans cette simple remarque « Parabola, mot grec qui vient
:

de Paraballim, qui veut dire comparaison, similitude, parallèle de


deux choses. »
Il est également de relever des erreurs touchant la géogra-
facile
phie et la topographie, l'auteur n'étant pas pourvu de connaissances
directes qui lui permissent de critiquer ses sources et de choisir entre
206 REVUE BIBLIQUE.

ses moyens crinformation. rouâdi Barada à la mer de


Il fait a])outir
Syrie, égaré sans doute par une fausse donnée de Benjamin de Tudèle
qu'il cite dans l'article Abana. Calmet, mieux averti, suit la juste
indication de l'anglais Maundrell, et fait perdre les eaux de ce fleuve
dans le désert, à quatre ou cinq lieues au midi de Damas. Celui-ci
fait preuve d'exactitude en situant Accaro/t entre Azot et Jamnia, en

plaçant Achsaph à ez-Zib, et Aila sur son golfe et cela d'après les in-
dications d'Abulféda, tandis que Sinion erre à la suite d'Adricomius et
de Jacques de Vitry Accaron est confondue avec Césarée de Pales-
:

tine, Achsaph avec Saint-Jean d'Acre, Aila demeure sans identifica-


tion. Il y aurait non moins à reprendre sur ce qui concerne Anti-
patins, YAchaie, le Gué de Jacob
Patmos. Les légendes nées à l'abri
et
des sanctuaires palestiniens trouvent un accueil bienveillant dans le
dictionnaire de Simon. La métamorphose des melons de saint Élie tient
une place notable dans l'article Carmel. L'olivier de la maison
d'Anne où Jésus fut attaché, la demeure de Véronique, l'oranger
planté sur le lieu du reniement de l'apôtre Pierre, les tombeaux
d'Anne et de Joachim dans l'église de la Vierge à Josaphat, et beau-
coup d'autres détails de ce genre sont relatés soigneusement suivant
les dires d'Adricomius, de Cotovic, du Père Nau ou du Père Goujon.
On ne peut néanmoins trop se plaindre de cette pléthore de rensei-
gnements, car il est des lecteurs que le folk-lore des Lieux saints ne
laisse pas indifférents et qui ne sauraient s'accommoder du tranchant
critique adopté par Calmet en ces questions-là. Simon tient-au con-
traire fermement au principe de la tradition immémoriale « Il ne :

seroit pas pourtant impossible de se tromper et prendre un lieu pour


un autre; mais comme depuis Jésus-Christ il y a toujours eu des
Chrétiens dans Jérusalem, ils en ont conservé la mémoire avec fidé-
lité. Aussi comme sainte Hélène avoit fait bâtir tant de superbes et

magnifiques Églises dans les lieux où se sont passez les plus grands
de nos Mistères, il ne faut pas douter qu'elle ne se fût exactement
informée de tous ces endroits pour ne rien faire à la volée ni imposer
à la postérité chrétienne. Ce que je dis de la maison de Caïphe, je le
dis de tous les autres Lieux saints qu'on montre et qu'on visite dans
la Terre Sainte; mais principalement dans la Capitale (1). >
Le malheur est que le chaînon sainte Hélène, que l'esprit populaire
avait fini par mettre en tous lieux comme lien traditionnel entre les
trois premiers siècles et l'âge chrétien, manque en réalité pour beau-
coup de sanctuaires. On ne doit cependant pas se montrer trop rigou-

(1) Grai\d Diclionnaire, I,


i>. 284, col. 2.
MELANGES. 207

reux envers notre auteur, qui s'est fait son opinion sur la foi de quel-
ques personnes dont la vie s'était passée en Terre Sainte. Mais il est
inexcusable d'avoir écrit, un peu à la volée sans doute, qu'il était vrai-
ment remarquable que la cavalerie de Titus eût épargné la basilique
de l'Ascension au mont des Oliviers. Dom Calmet-a cru bon de ne
point' s'embarrasser des questions incertaines. « On ne sçait rien
temps de la mort de sainte Anne, ni de saint
d'exact, écrit-il, sur le
.loachini, ni même sur leur tombeau, quoiqu'on montre aux voyageurs
certains monuments, que l'on veut leur persuader avoir été leurs
sépulcres. » Et ailleurs à propos de Calphe : c On montre encore
aujourd'hui sa maison à Jérusalem. Mais quel fonds peut-on faire sur
ces sortes de monument, après tant de révolutions arrivées à la ville
de Jérusalem? »

Le parallèle des deux articles sur, Abgare met en relief l'assurance


du docte bénédictin et la timidité de M. Simon. Les Orientaux pour
lordinaire sont fort peu exacts en fait d'histoire et leurs traditions rie
sont pas toujours sûres. Ce principe émis par Calmet ne l'empêche
pas de rechercher le fond historique qui se dissimule sous des em-
bellissements et des traditions populaires mal assorties. Plus porté à
admettre une histoire aussi ancienne, son devancier déclare que,
nonobstant le respect qu'il a pour les nouveaux critiques, il ne laissera
pas de rapporter les lettres échang-ées entre Abgare et Jésus-Christ.
La mort violente du prophète Amos, le supplice de saint Andju^ iel'^i
que les racontent les Apocryphes, les légendes de Pholine la Samari-
taine et de Bt'rmice aussi nommée Véronique trouvent dans son
ouvrage un accueil empressé. Nous y voyons également l'énuméra-
tion des" onze psaumes qu'au dire de saint Jérôme Moïse aurait
composés. Calmet laisse cette attribution au compte des Juifs et ne
trouve aucune bonne preuve que ces psaumes soient véritablement de
Moïse. A l'article Psaumes, il remarque que les Spéculatifs ont fort
raisonné sur l'ordre et l'arrangement que les psaumes tiennent entre
eux, tandis qu'en réalité il est inutile de rechercher dans le psautier
une suite chronologique.
R. Simon est un de ces spéculatifs et cela ne doit pas nous sur-
prendre. Opérant la transition entre les encyclopédistes scientifiques
et les auteurs de répertoires moraux ou de dictionnaires spirituels à
l'usage des mystiques et des prédicateurs, il ne pouvait se libérer
tout d'un coup de l'influence de ces derniers.
C'est pourquoi ses articles s'émaillent de discussions théologiques,
d'aperçus spirituels qu'il intitule parfois Questions curieuses, trilju-
taire en cela des Villalpand, des Tyrin, des Malvenda, des Sixte de
£08 REVUE BIBLIQUE.

Sienne, des Cornélius a Lapide. Faut-il blâmer Abraham et l'accuser


d'avoir menti en dissimulant que Sara fût sa femme? Absalom est-il
damné? Achan eut-il des complices? Le Rabbin Salomon a-t-il raison
d'affirmer que ce sacrilège fut découvert par le moyen du Rational
dont était revêtu le Grand Prêtre Éléazar? Doit-on désespérer du salut
éternel d'Ananie et de Saphire? Le vœu de Jeplité était-il impie?
Toutes ces questions et d'autres encore telles que l'Absolution, le Bap-
tême, l'Enfer sont traitées avec abondance et résolues avec une cer-
taine largeur d'esprit. A propos du sacrifice de la fille de Jephlé, sa
déclaration va à rencontre d'un bon nombre de Pères de l'Église :

« Pour moi je dis que ce de plus que ce


sacrifice fut réel et effectif et
fut un acte vertueux et louable. L'Écriture ne dit-elle pas expressé-
ment que Jephté fut rempli du Saint-Esprit après qu'il eut offert ses
sacrifices et ses prières à Masplia? » Il ne faut pas en effet introduire
dans l'Ancien Testament une casuistique trop sévère. Le père des
croyants fait passer Sara pour sa sœur. Sur ce point, lisons-nous dans
le Grand Dictionnaire, d'Abraham nous montre qu'il faut
« l'action
quelquefois user de prudence, et ne pas tenter Dieu, quand on a
d'autres moïens légitimes. Abraham ne se servit ni de mensonge ni
de dissimulation quand il dit que Sara étoit sa sœur; et il est à re-
marquer qu'il ne nia pas non plus qu'elle ne fût sa femme; Sara
étoit véritablement sa soîur, selon la façon de parler des Hébreux et
le langage de l'Ecriture, etc. ». Le salut de Salomon est chose acquise

pour Simon. Moins affîrrnatif, Calmet conclura que le salut. ou du


moins la pénitence de ce prince est une chose fort problématique et
fort douteuse. La réprobation éternelle d'Ananie et de son épouse
trouve celui-ci également perplexe et le plus sûr est de « laisser à
Dieu la décision de ces sortes de questions, qui sont plus curieuses
que nécessaires ».
Dans des articles comme En[anls, Parents, Serviteurs, l'auteur du
premier dictionnaire biblique n"a pas su se libérer de l'ancienne
manière pour adopter une méthode vraiment scientifique. Nous y
chercherions en vain l'usage que l'Écriture fait du nom d'(( enfant »
ou de « fils », le sens des expressions c enfants de Dieu » et « enfants
des hommes », la condition des serviteurs et l'acception de ce mot.
Sans essayer de traiter le sujet, Simon se borne à une simple con-
cordance placée sous des titres tels (]ue De\ oirs des enfaus envers
: <(

les parens. — Preuves tirées de l'Ecriture », " Sinopse et 2)assages


de l'Écriture Sainte oii il est parlé des parens », « Serviteurs. —
Leurs devoirs. —
Punitions et récompenses des serviteurs, » Il fait
d'ailleurs un véritable abus des nomenclatures, ce qui montre com-
MÉLANGES. 209

bien il est demeuré sous l'influence des simples concordances. Lais-

sons de côté les listes épiscopales d'Alexandrie, d'Antioche, de Rome,


et la série des Hérésies qui sortent du cadre biblique, nous tombons
en pleine synopse sous les titres Calice, Dieu, Espérance, Esjmt,
Foi, Grâce, Hospitalité, Jeûne, Langue, Mensonge, Prière, etc. où
le lecteur souhaiterait quelque bon traité succinct de théolog'ie
lîiblique.'

Enfin il y a des omissions, ce qui est naturel dans le premier essai


de ce genre d'ouvrage et chez un homme moins maître du sujet qu'un
commentateur. Il sera facile à Dom Calmet de suppléer à ces lacunes
par l'addition d'un certain nombre d'articles fort bien en situation,
projetés et documentés au cours de Sa
ses travaux exégétiques (1).
supériorité tiendra aussi à ce qu'il substituera à une documentation
vieillie et de seconde main des instruments d'information plus récents

et plus critiques, des témoignages oculaires, et les ressources des


écrivains orientaux et de la numismatique. La liste des autorités de
Simon parait fort maigre à coté des ouvragés mis à contribution par
son successeur. Évidemment tous les livres auxquels il a recours ne
sont pas sans valeur. La Bibliothèque de Sixte de Sienne, les œuvres
historiques de Tillemont et de Noël Alexandre, les curieux rapproche-
ments de Bochart ne sont pas à dédaigner, pas plus que certains
voyages en Terre Sainte publiés vers cette époque. L'auteur du pre-
mier dictionnaire biblique nous fait même savoir qu'il possède un
exemplaire de saint Matthieu de Jean du Tillet, évêque de Saint-Brieuc,
en caractères hébreux, participant du grec et du latin et peu éloigné
du notre quoique pourtant on ne lui ajoute pas grande foi. Il met
aussi souvent à contribution la littérature rabbinique à laquelle il
accorde parfois une trop grande confiance. Mais il ignore Léon de
Modène dont Calmet se sert fréquemment pour les cérémonies et
coutumes des Juifs.

Il n'entre pas dans notre dessein d'écraser la pauvreté de B. Simon


par l'opulence livresque de son successeur. Qu'il suffise de renvoyer
le lecteur à la Bibliothèque sacrée, ou catalogue des meilleurs livres

que l'on peut lire pour acquérir l'intelligence de l'Écriture, placée en


queue de son dictionnaire, il y trouvera l'une des causes de l'excel-
lence de cet ouvrage. Les légendes arabes concernant les personnes
et les lieux bibliques comme Abraham, Agar, Héliopolis, d'après

(1) Tels sont les articles Adoption, Adorer, Aile, Ame, Ami, Arislée, Armées, Armes,

Arsenal, Aulel, Barbares, Captivité, Canon, Chair, Chaussure, Danser, École, Embau-
mer, Esclaves, Hexaples, Pain. Vulrjate, Zoroastre.
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 14
210 REVUE BIBLIQUE.

d'ilerbelot viennent étoffer maint article. Après Abulféda, nous voyons


apparaître le Gode Théodosien de Godefroy et le Journal des Savants
d'Angleterre. Aux racontars des pèlerins il préfère les récits de voya-
geurs éclairés et intrépides tels que Tavernier, Tournefort, d'Arvieux,
Paul Lucas et Thévenot. Il est même en relation avec certains d'entre
eux. Nous l'apprenons par différents passages de ses notices. Ainsi au
SLijet de VArarat : « On dit, écrit Dom Calmet, mais sans aucune
bonne preuve, que l'on voit encore sur le sommet de cette montagne,
des débris de l'arche de Noé. Jean Struis, dans ses voyages, assure
qu'il a monté sur le sommet de cette montagne, et qu'un hermite qui

y demeuroit, l'assura que l'on y voyoit des restes de l'Arche, et qu'il


lui donna même une croix qui étoit faite du bois de ce fameux bâti-
ment mais M. de Tournefort, qui a été sur les lieux, m'a assuré
:

qu'il n'y avoit rien Ghez Paul Lucas, Calmet s'est ren-
de semblable. »

seigné sur le zèbre. Il a même vu chez lui « la peau d'un de ces ânes
barrez, qui sont de la grandeur d'une moyenne mule, ayant plusieurs
bandes de couleur brunes, grises, noires et tirantes sur le roux. Je
soupçonne, ajoute-t-il, que ce sont ces ânes que l'Écriture appelle des
Anes brillans, et qui servoient de monture aux princes d'Israël ».

m
Les nombreux points défectueux du premier dictionnaire biblique
ne doivent pas cependant éclipser totalement son utilité et ses mérites.
Calmet l'a suivi pas à pas dans l'arrangement des matières et l'a
tenu constamment ouvert devant lui pendant la composition de son
propre ouvrage. Soit qu'il le reprenne ou le réfute implicitement ou
nommément, soit qu'il le cite, soit qu'il le résume ou le copie, nous
sentons partout une lecture attentive des articles de Simon.
Le grand prêtre Jaddus aurait dit à Alexandre le Grand que les
dieux du paganisme n'étaient que des hommes divinisés. Sur cette
opinion qui n'est qu'une conjecture sans fondement, le bénédictin
nous avertit en marge de voir le dictionnaire de .M. Simon sous le titre
(^Alexandre. Pour ne pas paraître trop acharné contre son précur-
seur, Calmet se contente le plus souvent de voiler sous l'anonymat
l'opinion de l'adversaire. Quicon([ue s'amusera à confronter le même
article dans les deux dictionnaires ne s'y trompera pas. Au titre
Anios y en a qui croyent que l'homme de Dieu qui vint parler
: « Il

au roi Ama'^ias... étoit Amos, père d'Isaïe. iMais ce sentiment n'est


soutenu d'aucune pi-euve. » Au sujet d'Ana de Genèse xxxvi, ^h :
MÉLANGES. 'lii

a Quelques-uns ont crû, mais sans aucune preuve, qu'Ana avoit


mérité les honneurs divins. » L'identification de Coa d'où Salomon
tirait des chevaux donne lieu à des controverses « Il y en a, écrit
:

Calmet, qui prennent Coa pour l'isle de Cô, célèbre par les ouvrages
de soye et de laine qu'on y faisoit. Mais cela ne prouve pas qu'il y ait
des chevaux. » « Ceux qui confondent la ville de Bagdad avec Ba-
bylone sont dans une erreur grossière. — Quelques-uns ont crû que
le nom de CédroiL lui venoit de la quantité de cèdres qui étoient, dit-
on, autrefois plantez sur son rivage. Mais on n'a aucune preuve de ce
fait. » Les renseignements que Simon puise dans les pèlerins ou les

exégètes au sujet de la situation de l'épisode de la Visitation aboutis-


sent à des conclusions assez contradictoires. Il n'arrive pas à se dé-
cider entre Hébron, Jérusalem, Nephtoa identifiée avec Aïn-Karim,
Emmaus, etc. Dom
Calmet signale ces opinions à mesure qu'elles se
présentent, adoptant la tradition hébronienne dans son article Marie.
Son devancier s'étant prononcé pour l'identité du Nil et du fleuve
paradisiaque Gehoa, il taxe cette assertion d'opinion sans aucune ap-
parence et pense que l'Araxe qui coule des montagnes d'Arménie
convient mieux à la situation de ce fleuve. A propos du Lion :
« C'est une erreur populaire, écrit-il, de croire que le lion ait peur du

coq phrase qui vise évidemment Simon réprélïensible d'avoir énoncé


)),

ce sentiment sans le combattre. La note sur Rhodé, servante de Marie,


mère de Jean Marc, le prend aussi à partie, car ses autorités sont in-
certaines ou peu dignes de créance. <^ On cite pour son exil et son
martyre un certain Helcias, évèque d'Augsbourg, mais je ne trouve
le nom de Rhodé dans aucun martyrologe. »
Les articles du premier dictionnaire biblique en raison de leur
abondance offrent plus d'une fois à Calmet une matière assez ample
pour que celui-ci n'ait d'autre travail qu'à les résumer. En élaguant à
tort ou à raison ce qu'il juge superflu, il aboutit à des notices serrées
et concises. Ainsi en va-t-il pour Affinitv, où Simon s'est évertué à
citer un certain nombre de cas concrets tirés de la Bible que sup-
prime son successeur. Les séries des Alexandres, des Hérodes, des
Aristobules et d'autres homonymes en majeure partie figurant dans
Josèphe sont traités avec une conscience suffisante pour être à Calmet
une aide fort utile. Son travail a dû également se trouver bien sim-
dans l'élaboration des articles Alléluia, Anarchie, Faune, Em-
plifié

maus, Fontaines, Rachel, qui sont un simple abrégé des notices du


premier dictionnaire. Bien plus, il arrive parfois que le -bénédictin
s'est contenté, sans même en avertir le lecteur, de transcrire textuelle-

ment l'article de son devancier, en totalité ou en partie. On s'en con-


212 REVUE BIBLIQUE.

vaincra par ces deux exemples où sont mises en regard les notices de
l'un et l'autre ouvrage.

SIMON CA.LMET

Baasa, fils d'Ahias, de la tribu d'Is- Baasa, fils d'Ahias, général des armées
lachar, général des armées de Nadab, fils de Nadab, fils de Jéroboam, roi d'Israël.
de Jéroboam, roi d'Israël, il tua son Il tua son maître en trahison au siège de
maître en trahison, au siège de Gebe- Gébéthon, ville des Philistins, et usurpa
thon, ville des Philistins, et usurpa le le royaume, qu'il garda vingt-quatre ans
roïaume qu'il garda vingt-trois ans en- entiers. Il extermina toute la race de
tiers, il extermina toute la race de .Jé- Jéroboam ainsi que Dieu le lui àvoit or-

roboam, selon que Dieu l'en avoit me- donné...


nacé par son prophète...

Huppe. Upupa. Oiseau impur de la Huppe, Upupa. Le nom


en Latin,
grosseur d'une grive, ou environ, son hébreu de cet oiseau dukipha. Les
e'st

bec est noir, long, délié et un peu cro- Septante le traduisent par une Huppe
chu, les jambes grises et courtes. Elle de même que saint Jérôme. Moj'se la
a sur la tête une aigrete de plumes fort déclare impure. La huppe est de la gros-
jolies et de diférente couleur, qu'elle seur d'une grive; son bec est long, noir,
baisse et hausse comme il lui plaît, son délié, un peu crochu-, ses jambes sont
cou et son estomac tirent sur le roux, grises et courtes. Elle a sur la tète une
ses ailes et sa queue sont noires avec aigrette de plumes de difi"érentes cou-
des raies blanches Lertt. xi, 19. leurs, qu'elle baisse et hausse comme il

lui plaît. Son cou et son estomac tirent


sur le roux. Ses ailes et sa queue sont
noires, avec des rayes blanches...

Cette imitation se trahit surtout dans les sujets qui relèvent de l'his-
toire naturelle : pierres précieuses, plantes, animau-v. Elle se constate
aussi dans la définition de certaines institutions et dans quelques
notices biographiques (1). -

Plusieurs articles de Simon paraissent plus complets que ceux de


Dom Calmet et l'on est à se demander pourquoi ce dernier n'a pas
suivi son prédécesseur dans des développements qui sont bien à leur
place, ainsi lorsqu'il s'agit de l'attribution de quelques psaumes à
Aggée, de la valeur de V Agneau dans les échanges, de YAntilogie ou
contradiction apparente dans les Écritures, de la distinction de Pierre
et de Céphas que l'on tendait à l'aire prévaloir à cette époque, des
Généalogies, du nom de « Jave », des Mémoires écrits à diverses
périodes. Le calendrier juif est aussi donné avec plus de détails au

(1) Ainsi en est-ilpour les articles Addon, Agaba, Agapes, Agate. Ahicam, Améthyste,
Aloès, Amram, Aporior, Bar-Jona, Bélial, Gith, Grenade, Hérisson. Coq, Circoncision,
Colon.
MÉLANGES. 213

fur et à mois se présentent. Chaque tribu du peuple


mesure que les
hébreu est suivie de ia nomenclature des localités lui appartenant,
usage que les modernes ont conservé. L'état actuel des Lieux saints et
des villes bibliques que dédaigne trop Calmet peut néanmoins offrir
beaucoup d'intérêt au lecteur curieux de l'ancien Orient. La mention
amène Simon à parler du khân du Bon Samaritain et des
dC Adomriiiiyi

ruines du Château Rouge qui frappaient l'imagination des voyagears


descendant à Jéricho. Calmet se borne à cette remarque « On veut :

que le voyageur dont parle Jésus-Christ dans saint Luc... ait été atta-
qué à Adommim. » Il rejette l'identification pourtant très fondée
d'Arimathie avec Ramathaïm-Sophim admise par l'auteur du premier
dictionnaire, et ne l'a point suivi non plus dans sa distinction entre la
Bosra d'Édom et celle de Trachonitide. « Quelques géographes admet-
tent plusieurs villes de Bosor ou Bozra; mais nous ne voyons point de
nécessité de les multiplier. » Et pourtant la réalité demande le con-
traire. Un en quête de renseignements sur le Cénacle, le Cal-
esprit
vaire, le Lac de Génésareth, le Jardin Ferme situé à bon droit au-
dessous de Siloë, préférera s'adresser à R. Simon qu'à Dom Calmet.
Celui-ci a cru devoir omettre des articles tels que Charité, Obéis-
sance, où son devancier rappelle les passages bibliques relatifs à ces
vertus. Sous la rubrique Travail nous trouvons également un réper-
que Calmet ne nous fournit que des renseignements
toire utile, tandis
philologiques. Pour offrir une notice parfaite, les deux articles
devraient être combinés.
Le docte bénédictin ne dédaigue pas de citer le Grand Dictionnaire
lorsque celui-ci est susceptible d'enrichir sa documentation. La lecture
de ce détail touchant les Stigmates noté par Simon « la plupart des :

Chrétiens Orientaux impriment sur leurs fronts, et sur leurs bras, ou


sur quelque autre partie de leurs corps la figure de la Croix, et plu-
sieurs pèlerins qui ont étéen Jérusalem, celle de Jésus-Christ dans le
Sépulcre » trouve cet écho dans son ouvrage « Procope remarque
:

l'ancien usage des Chrétiens, qui se faisoient sur le poignet et sur les
bras, des stigmates, qui représentoient la croix, ou l'" monogramme
de Jésus-Christ usage qui subsiste encore aujourd'hui parmi les
:

Chrétiens d'Orient, et parmi ceux qui ont fait le voyage de Jérusa-


lem. » Deux au sujet de Pilate, l'autre à pro-
citations explicites, l'une
pos de la découverte d'ossements gigantesques, preuve de la réalité
des Géants, montrent que Dom Calmet s'est imposé jusqu'au bout
une lecture sérieuse des articles de M. Simon (1). Seulement suivant

(1)Dictionnaire de la Bible (1730), III, p. 231 « M. Simon dans son Dictionnaire de


:

la Bible, a ramassé sept ou huit sentences prétendues de Pilate contre Jésus-Christ, ou


214- REVUE BIBLIQUE.

ses principes, tout est soumis au creuset de pour s'en


la critique, et,

tenir au premier de ces cas. la tradition populaire du Dauphiné sur la


rélégation et la sépulture du fameux procurateur est mise au rang des
imaginations, d'après les conclusions du savant Ghorier dans ses Aji-
liqiiitez de Vienne. s

Les services que l'ouvrage de Simon a rendus à Calmet ne peu- Dom


vent pas racheter ses imperfections ni le tii'er de son infériorité. Le
travail du bénédictin l'a totalement démodé et rendu inutile, c'est un
fait certain. En dépit des progrès de l'archéologie-, de la linguistique,

de la topographie et de toutes les branches de l'orientalisme, le second


dictionnaire de la Bible est encore avantageux à consulter. Mais il ne
doit pas pour autant annuler les mérites et l'importance du premier.
A Simon revient l'honneur d'avoir été un pionnier dans un domaine
inexploré jusqu'à lui, et d'avoir donné à d'autres l'idée de l'exploiter
avec des ressources nouvelles. A ce titre, il a droit, sinon à ce que son
œuvre de nouveau, du moins à ce que son nom, tiré un
soit utilisée
moment de l'oubli, figure dans cette Revue a laquelle rien de ce qui
touche à la sainte Écriture n'est étranger. Nous-même, nous devions
d'autant plus rappeler ce souvenir que les circonstances actuelles nous
ont momentanément confié le soin de la paroisse que régissait l'auteur
du premier dictionnaire biblique il y a 250 ans.
Saint-Uze, Drôme.
F. -M. Abhl 0. P.

]ilulôl la sentence de ce juge d'iniquité tournée de huit manières diiïérentes par des Auteurs
nouveaux, comme saint Anselme dans le Livre de la Passion, saint Vincent Ferrier, Lans-
perg, Guillaume de Paris, l'Évangile de Nicodème. Jean de Carthagène, Sempronianus,
Adricomius. Mais on nous pardonnera aisément, si nous les négligeons, puisqu'elles n'ont
aucune autorité. L'Lvangile ne dit pas môme que Pilate ait prononcé une sentence... »
II, ip. 161 « M. Simon, Auteur du Dictionnaire de la Bible imprimé à Lyon en deux volumes
:

in-foHo en 1703, atteste (|u"élant Curé de la Paroisse de Saint-Uze en Dauphiné, il a vu,


et que depuis ce tems il a encore reçu une attestation de l'an 1690, signée de trois person-
nes... qui assurent a^oir vu quelques dents d un homme qui fut trouvé dans une prairie

en 1667, etc. »
MELANGES. 21o

III

RECHERCHES SLR LA CHRONOLOGIE DE LA VIE


DE NOTRE-SEIGiNEUR

l'astronomie peut-elle servir a fixer la date de la passion?

Les auteurs qui ont le plus récemment étudié cette question s'ac-
cordent eu principe sur la manière d'utiliser données astronomi- les
ques; ils ne divergent que dans lapplication qu'ils en font, les uns
fixant la mort du Sauveur au vendredi li, les fiutres au vendredi 15
nisan. Quant à nous, il nous semble certain qu'on ne peut raison-
nablement contester que Notre-Seigneur ait été crucifié la veille de
la Pàqoe juive toutes les expressions dont se servent les évangélistes
:

concordent à montrer dans le vendredi saint un jour ouvrier, un


jour coïncidant avec la Préparation » de la grande fête, un jour
((

« dans lequel on devait immoler la Pàque »; en outre, comme l'a

montré M. Lévesque (1), les diverses indications relatives à la Cène


peuvent parfaitement s'entenrdre d'un repas pris au premier soir
du li nisan, c'est-à-dire, suivant notre manière de compter, le jeudi,
après le coucher du soleil.

Sans insister davantage sur ce point, nous nous contenterons d'exa-


miner méthode employée d'ordinaire pour trouver le quantième
ici la

correspondant au vendredi iï nisan. —


Nous exposerons tout d'aliord
sur quels principes elle est fondée; — puis en nous la vérifierons
essayant de préciser un certain nopabre de dates de l'histoire juive;
— enfin, en nous inspirant des résultats fournis par cette vérifi-
et
cation, nous nous demanderons si la méthode reçue doit être modifiée,
et si elle peut l'être avec quelque chance de succès.

-J
o

Comment établissait-on le calendrier juif au temps de Notre-


igneur?
f( Probablement, répond M. Mangenot (2), des procédés tout empi-

(1) Revue pratique d'Apologétique, 15 oct. 1916, pp. 65-71.


(2) Dict. de la Bible, II, col. 66, article Calendrier.
216 REVUE BIBLIQUE.

riques servirent toujours à fixer la néoménie et à déterminer le com-


mencement et la durée des mois. Dans temps l'appari-
les dcru/' -^rs

tion visible du croissant, attestée par des témoins dignes de foi et


proclamée par un tri)3unal officiel, était le point de départ du nouveau
mois. » M. Lesêtre (1^, résumant divers passages du Talmud, entre
dans quelques détails plus précis « Voici comment se passaient les
:

choses à l'époque des traditions consignées dans la Mischna, par con-


séquent encore du temps de Notre-Seigneur. Le 30" jour de la lune,
des membres du Sanhédrin dans un endroit déterminé
se tenaient
depuis le matin jusqu'au sacrifice du soir, attendant les témoins qui
auraient pu découvrir la nouvelle lune la veille au soir. C'est en etiet
au soir du 29^ jour qu'on pouvait commencer à l'observer, si les
conditions atmosphériques étaient favorables et si la nouvelle révo-
lution lunaire datait déjà d'un nombre d'heures suffisant pour que
le croissant pût être aperçu. Quand deux témoins capables et sérieux
attestaient l'avoir vu, le président du Sanhédrin s'écriait Meqiiddos, :

a consacré peuple répétait deux fois l'exclamation, et, si la journée


» ; le
n'était pas trop avancée, on offrait des sacrifices et on célébrait la
néoménie. Si, au contraire, le 30' jour les témoins faisaient défaut,
ou n'étaient pas dignes de foi, ou arrivaient trop tard, c'est à la
journée du lendemain que la néoménie était fixée de droit, sans qu'il
fût besoin d'autre constatation, i)

Pour reconstituer le calendrier juif avec une suffisante approxi-


mation, et môme avec une quasi-certitude, on n'aura qu'à rechercher
au moyen des données astronomiques quel jour et à quelle heure
tombaient au méridien de .Jérusalem les nouvelles lunes vraies; on
calculei'a ensuite le moment où le croissant lunaire a commencé à
être visible, et, si ce moment tombe dans la première moitié de la
journée comptée à la manière juive (du coucher du soleil de tel jour
au coucher du soleil du lendemain), c'est-à-dire dans la nuit, on sera
autorisé à identifier la néoménie avec cette journée-là. Telle est la
méthode suivie par la plupart des auteurs récents, méthode qui —
les amène à fixer la Passion soit au vendredi 7 avril de Fan 30. soit

au vendredi 3 avril de l'an 33.

Les dates que nous étudierons pour vérifier utilement la méthode


précédente, devront être des dates complètes avec indication précise

(1) Ibid. IV, col. 1590, article Néoménie.


MÉLANGES. 217

de l'année, du mois, du quantième du mois et du jour de la semaine :

toute autre date, étant forcément vague, ne pourrait servir à la véri-


fication que nous entreprenons.
Ces dates complètes sont peu nombreuses; nous avons rassemblé
ici toutes celles que nous avons pu trouver dans les diverses sources

de l'bistoire juive, pour les siècles voisins de l'ère chrétienne (1).

A. Au second livre des Macchabées, l'auteur sacré raconte en détail


la défaite de Nicanor, arrivée un jour de sabbat, rf, zf,q /.T.xy.r.a.ùaziùq
qiJ.ipx (2), et ajoute que l'anniversaire de cet événement était commé-

moré par la fête du 13 adar, /.a'. £C0Y;;,âTt(jav -rravreç [j.t-.y. y.otvou <hr,s>(G[>.0L-

xcç -/-'-'^ *- izîcTi'^.zy TTjV Tpt7-/.3!',0£xâT-/;v Toj owoîy.aTcu iJ/Ajvbç, aoxp

"ArfeTai -zfi aupia-Afi cpwvf,, r.po ;j.'.5ç -/jE^ipaç zf^q Mapcoyaiy/^ç r,\jApy.q (3). Ces
faits se passaient en l'an 151 des Grecs (4), automne 162 à automne
161 avant J.-C.
En l'an 161 (bissextile), les lunaisons vraies commençaient respecti-

vement les -23 janvier, 22 février, 22 mars, 21 avril, etc. V^ adar


; si le

a été déterminé par la lunaison du 23 janvier, le samedi 13 adar doit


correspondre au samedi k- février, 13" jour de la lunaison vraie; si le
1" adar a été déterminé par la lunaison du 22 février, ce qui semble
plus vraisemblable (5), le 13 adar doit correspondre au samedi 3 mars,
11'^ jour de la lunaison vraie.
mentionnant (6) l'expédition d'Antiochos Vil contre les
B. Josèphe,
Parthes, nous apprend que ce prince fit reposer son armée pendant
deux jours consécutifs il voulait ainsi donner à ses auxiliaires juifs la
:

facilité de sanctifier, conformément à leur Loi, le jour du sabbat et

(1) Les contrats araméens d'Éléphantine (V siècle av. J.-C.) contiennent parfois deux
dates, l'une établie d'après le calendrier Israélite et l'autre d'après le calendrier égyptien.
En tenant compte de cette dernière, il semble, pour la presque totalité des cas (par ex. :

Staerk, Alte und Neue Aramaische Papijri, II. Juristiscfie Vrkunden, I, p. 34 etsuiv.,

textes A, B ?, D, E, F, G?, J, K), mais non pas tous (par ex. Staerk, ibid. p. ."16, n° 3),:

que l'usage alors suivi pour l'établissement de la néoménie ait été identique à celui
qu'observaient plus tard les rabbins du ir et du ni» siècle de notr«> ère (cf. S. Gltesmann,
Rev. des Éludes, juives, t. LUI, 1907, p. 200).
Dès lors il serait naturel de conclure à l'existence d'une tradition continue, d'une ma-
nière de faire constante: toutefois les faits que nous allons citer paraissent révéler dans
la tradition une solution de continuité, une sorte de rupture.
(2j II Mac. \v, i (cf. ibid. 3).
(3) Cf. / Mac. vu, 43 et 49; Josèphe, A. J. xii, 10, 4.

(4) / Mac. VII, 1 II Mac. xiv. 1.


;

A supposer qu'à cette époque on ait déjà tenu compte de la date de l'équinoxe pour
(5)
fixer la Pàque, le l" nisan 162 était déterminé par la lunaison du 3 avril, et non par celle
du 5 mars : par suite, le 1" adar suivant devait l'être par celle du 22 février 161.

(6) A. J. XIII, 8, 4.
.

218 REVUE BIBLIQUE.

le jour de la Pentecôte, qui, cette année-là, tombait un dimanche :

Map-aç oè toutwv -/ji^iv èctiv Nt/,6Aacç b. Aa[/,a(7y.*/]voç, oîJtwç [(jtopwv too-


7:ai;v ce cT'f^c-aç AvTiCy^oç kzl tw Aùxw iroTaixo), vv/.r,Gy.q 'Ivcarr^v xbv Ilâp-

6o)v ŒTpaTYjybv, abxôBi l'[j.£ivcv Tii^ipaç ouc, cs-rjOÉVTCç 'Tp/,avsij tcu 'louoaiou
cia T'.va kop-î-q^ iraTpiov sv f)
toîç louooâciç cÙt, '^v vs,aiîj.sv âçcosûsiv. Kai Taj-a.
;xsv où 'is'Joô-ai AsyojV iv£C7-:Y] yàp •/; ri£vr/]/.:<7T-/; kop-r-q [j.z-hc -:o oiiici.xo^)

Au témoig-nage de Porphyre de Tyr (1), suivi par Tite Live (2),


cette expédition eut lieu la quatrième année de la 162" Olympiade,
soit en l'an 129 avant J.-C. elle se termina d'ailleurs d'une manière
;

d^''sastreuse, puisque Antiochos fut battu et tué dès l'hiver suivant.

En l'an 129 (bissextile), les lunaisons vraies commençaient respec-


tivement les 29 janvier, 28 février, 28 mars, 27 avril, 27 mai, 25 juin,
etc.; le 1*"'
nisan a dû être déterminé par celle du 28 mars; le
dimanche 5, 6 ou 7 sivan jour de la Pentecôte, correspondrait au
(8),
dimanche 1 " mai, 5' jour de la lunaison vraie.

C. A du 17 adar, la Megillath Taanith mentionne en des


la date
termes obscurs un événement dont l'identification a excité la saga-
cité des commentateurs :

§ 33Le 17 adar, les païens s'étaient levés contre


: « les restes des
docteurs dans le pays de Chalcis et des Zabédéens, et Israël fut
sauvé ('i.), »
La Derenbourg, nous apprend que les docteurs, per-
glose, écrit J.

sécutés par le roi Jannée, se sauvèrent en Syrie et s'établirent à Kos-


likos; ils y furent assiégés, pressés et battus par les païens (5) cepen- :

dant une partie s'échappa et atteignit Beth Zabdé, où elle resta jusqu'il
la nuit pour continuer sa fuite. « R. lehouda ajoute Ou avait attaché :

un cheval à la porte de la maison où l'on avait cherché un refuge et


Ton trompait ainsi les passants, qui s'imaginaient qu'aucun Juif n'était
là on pouvait de cette manière attendre la nuit pour s'enfuir. Le
:

jour de la fuite est devenu jour de fête. » Un autre commentateur


précise que la ruse des fuyards consista à placer, le jour du sabbat, à
la porte de la maison où ils s'étaient cachés, des chevaux tout har-
nachés, comme s'ils avaient été des voyageurs païens; quand le

fl) F. IL cr. 111, p. 713.


Epitome, 59,
(2)

(3) On sait que la Pentecôte tombait le 5 lorsque les deux mois prrcrdenls avaient eu
chacun 30 jours; le 6, quand l'un de ces mois avait eu 29 jours et l'autre 30; le 7, lorsque
tous les deux en avaient eu 29.
(4) J. Deuenbouhc, Essai sur l'histoire et la géographie de la Palestine, p. 446.

(5) Les mercenairos au service d'Alexandre .Jannée.


MÉLANGES. 219

soir fut venu, ils se mirent en route et gagnèrent heureusement la

frontière (1).

Gractz(2) et rapprochent ces explications des faits enre-


Schwab (3)
gistrés par Josèphe et en concluent (4) que la Megillalh Taanith com-
mémore Fanniversaire de la fuite des pharisiens persécutés par
Alexandre Jannée on sait que ce prince, resté vainqueur après une
:

guerre civile de six années, eut la cruauté de faire crucifier sous ses
yeux huit cents de ses adversaires, et qu'à cette nouvelle, ceux d'entre
eux qui n'avaient pas été arrêtés, quittèrent en toute hâte la Judée.
Sachant que la dernière étape, celle qui mit les pharisiens hors
d'atteinte et sauva ainsi les destinées d'Israël, eut lieu le lendemain du
sabbat, et que « ce jour de fuite devint un jour de fête » dont l'anniver-
saire se célébrait le 17 adar, on est amené à se demander si l'on ne
pourrait préciser l'année de cet événement.
Josèphe, après avoir rapporté la prise de Gaza, la mort d'Antiochos
Grypos l'avènement de Démétrios
et III (5), mentionne les victoires

d'Alexandre Jannée sur les Arabes et les Moabites, puis sa campagne


malheureuse contre Obodas (6) cet insuccès, au dire de l'historien
:

juif, précède immédiatement la guerre civile de six années. La fin de

cette guerre paraît marquée par l'intervention de Démétrios III.


Jannée bat le roi de Syrie et rentre vainqueur à Jérusalem, traînant
avec lui de nombreux prisonniers : c'est alors qu'a lieu la crucifixion
en masse dont nous avons parlé. — Pendant ce temps, Démétrios est

obligé de faire face à une révolution dans son propre royaume et de


marcher contre les Parthes qui le font prisonnier.
Antiochos Crypos^est mort en 216 Sél. —: 97-96 A. G. son fils Démé- ;

trios III n'a régné que neuf ans, de 217 à 225 Sél. =96-5 à 88-7; An-
tiochos Dionysios est monté sur le trône en 22i Sél. =: 89-88 A. G.
La campagne malheureuse de Démétrios III contre Alexandre
Jannée doit correspondre à l'année qui précède l'avènement d'Antio-
chos Dionvsios, soit à 223, Sél. =
90-89 A. C. (7) les six ans de guerre ;

(1) Cf. J. Derenbolrg, Essai, p. 99, n" 1 ;


Schwab, Congres des Orientalistes, 1897,
4*= section, pp. 23S-39.
(2) Histoire des Juifs, lU, 425.
(3) Lac. cit.

Derenbourg, tout en concédant que les gloses se rapportent au règne d'Alexandre


(4)
Jannée, préfère voir dans le texte de la Megillath Taanith la mention du trioraplie de
Jonathas raconté I Macch. xii, 24-32 [Essai, p. 199, note 1).
(5) Ant. Jud. xiii, 14, 4.

(6) Ant. Jud. \m, 14, 5.

(7) La date que nous


proposons est encore confirmée par ce fait que Mithridale II, le
vainqueur de Démétrios III, cessa de régner en 224 ou 225 Sél., soit en 88 av. J.-C.
220 REVUE BIBLIQUE.

civilecomprendraient cette même année 223 et les cinq précédentes,


depuis 218; les guerres de Jannée contre les Arabes se placeraient
en 210-217 Sél. =
97-96 et 96-95 A. C. et la prise de Gaza en 216 =
97-90 A. C. -ou 215 98-97. =
La eu lieu au début de l'an 89, et le
fuite des pharisiens aurait
17 adar de cette année-là correspondrait soit au dimanche 20 février,
15® jour de la lunaison vraie, soit au dimanche 27 février, 22'' jour
de cette lunaison.

D et E. Dans le cours du premier siècle avant notre ère, les troupes


romaines assiégèrent Jérusalem à deux reprises. La première fois. —
Pompée voulait rétablir Hyrcan 11 dépossédé par son frère Aristobule :

il vint camper sous les murs de la ville au début du printemps, mais

ne réussit à s'en emparer qu'après un siège de trois mois (1), un


samedi (2), jour de jeûne (3), sous le consulat de M. Antoniiis et de
M. TulliusCicero(4). Vingt-septansplustard, jour pour jour, Jérusalem
était prise ànouveau par Sosius, chargé par le sénat et le peuple romain
d'installer Hérode comme roi des Juifs à la place du rebelle Antigone,
allié des Parthes c'était également un samedi et un jour déjeune,
:

sous le consulat de M. Agrippa et de Canini^s Gallus (5), à la fin dune


année sabbatique (6), en été (7) le siège avait duré trois mois, sui-
:

vant les Antiquités (8), et cinq, d'après la Guerre des- Juifs (9).

(1) llîpl T&iTov (iv^va (A. J. MV, 4, 3j; xpiio) [xrjvl xy;: TTOAiopxta; [B. ./. I, 7, 4).

(2) 'Ev TYj Toù Kpôvo-j ri[X£pa (DiON Cassius, xxxmi, 16).

(3) T^ T^ç vrio-TEÎa; y;(A£pa (^1. J. xiv, 4, 3).

(4) Ibid. Cette dernière indication est inexacte : Jérusalem fut prise sous le consulat de
L. .lulius Caesar et de C. Marcius Figulus, 64 A. C. En ellet,

l'entrée d'Hérode à Jérusalem, en l'an 37, eut lieu 27 ans après rexpédition de Pompée
[A. J. XIV, 16, 4);
Aristobule II fut détrôné après demi f-l. /. xiv, 3, 4)
un règne de trois ans et il avait :

remplacé son frère Hyrcan II peu après la mort de leur mère Alexandra, qui avait gou-
verné elle-même pendant neuf ans, de 77 à 68 (cf., pour la chronologie des rois Asmo-
néens, Niese, Herines, 1892, Zur Chronologie des Josep/ius], donc, suivant toute vraisem-
blance, dans cette même année 68 trois ans et demi plus tard nous conduisent à lan 6'i.
:

et non à l'an 63;

la chronologie des campagnes de Pompée, telle qu'elle se déduit de Dion Cassius ixxxvii .

de Plutar<iue {Vie de J'ompée) et d'Orosc (vi, 5 et suiv.;, exige que les afl'aires de Judée
aient été réglées en 64 si Josèphe nous montre Pompée recevant la nouvelle de la mort
:

de Mithridate près de Jéricho (A. J. xiv, 3, 4), c'est qu'il a confondu plusieurs expéditions
ou tentatives d'expéditions contre Arétas; il est d'ailleurs tout à lait invraisemblable que
le général romain se soit mis à assiéger Jérusalem au moment même où il était pour lui

du plus haut intérêt de gagner le Pont aussi rapidement que possible.


{:>) A. J. XIV, 16, 4.

(6) A. J. XIV, 16, 2.

(7) *£pO(; TE yàp f,v, xiv, 16, 2.

(8) XIV, 16, 4.

{9} I, 18, 2.
MÉLANGES. 221

Les auteurs modernes qui ont étudié de la manière la plus ap-


profondie riiistoire juive s'accordent à placer les deux prises de
Jérusalem vers le mois de juin-juillet, et il paraît bien que les
indications sommaires de Josèphe autorisent cette façon de voir. —
Mais alors ne peut-on pas déterminer le jour de jeûne auquel l'his-
torien fait allusion?
.\. semble qu'on puisse hésiter entre le 23 sivan,
'première vue, il

anniversaire du schisme des dix tribus, et le 17 tammouz, anniver-


saire de la destruction des Tables de la Loi.
Or, si nous nous reportons au texte de la Mischna, Taanith, iv, 5
(6), voici ce que nous lisons :

« Cinq malheurs arrivèrent à nos pères le 17 tamm^ouz, et cinq

le 9 ab... Le 17 tammouz, les tables de la loi furent brisées, le sacri-


fice quotidien fut interrompu, la Ville fut forcée, Apostomos brûla
la Loi et on érigea une statue dans le sanctuaire. »
"i"»"" nyp2M% « la Ville fut forcée proprement « fut prise d'as-
», :

saut au moyen d'une brèche faite à ses remparts ». Les rabbins ont

longuement discuté sur le fait que visait cette courte phrase; en

rapprochant Jérémie xxxix, 2 d'Ézéchiel xxvi, 1, ils se sont livrés


à de véritables tours de force pour démontrer qu'il s'agissait de la
prise de Jérusalem par les Chaldéens (1). N'est-il pas plus simple —
d'y voir la commémoraison de double prise de Jérusalem par les
la
Romains, en 6i et en 37? d'autant plus qu'un autre texte du Talmud
qui fait, sans contestation possible, allusion aux guerres d'Hyrcan
et d'Aristobule, met justement l'incident qu'il raconte en rapport
avec le jour où [plus tard fut interrompu
i
le sacrifice quotidien (2),
En nisan était déterminé par la néoménie astrono-
l'an 6i, le l"""

mique du 30 mars; le 1^' iyyar, par celle du 28 avril: le 1" sivan, par
celle du 28 mai; enfin celle du 1" tammouz, par celle du 27 juin :

le samedi 17 tammouz correspondrait au samedi 12 juillet, IC^ de la


lunaison vraie.
En l'an 37, le 1"" nisan était déterminé par ïa néoménie astrono-
mique du 1'' avril; le 1"' iyyar, par celle du 30 avril; le 1" sivan, par

(1) Prise que II Rois, xxv. 3 et Jérémie, xx\is^ 2 s'accordent à placer au 9' jour du mois.
(2) Sous le règne actuel d'empire romain), ils (les Juifs assiéfïés dans Jérusalem) pas-
<c

saient deux vases d'or pour prix de deux agneaux; une fois (par dérision ou par désir
d'en finir plus rapidement), on leur envoya deux porcs mais à peine arrivés à moitié de
:

la hauteur, les porcs se cramponnèrent à la muraille au point qu'elle fut ébranlée (et que

le tremblement de terre qui en résulta se fit sentir) à plus de 4a parasanges du pays


d'Israël.C est à partir de ce moment que, par suite des péchés, le sacrifice quotidien fut
interrompu et le temple détruit. » J. Berakhoth, iv, 1 cf. b. Sota, 49, qui nomme Hyrcan
;

et Aristobule comme les deux adversaires en présence.


222 REVUE BIBLIQUE.

celle dû 29 mai, et le 1" tammouz, par celle du 28 juin samedi


: le

17 tammouz correspondrait au samedi 13 juillet, 16" jour de la

lunaison vraie,

F. Quelques mois avant la mort d'Hérode, deux docteurs, Judas,


fils de Sai'iphée, de Margalot, poussèrent par leurs
et Matthias, fils

prédications outrancières.le peuple à arracher l'aigie dor que le roi


avait placé au-dessus du grand portail du Temple. Ces deux docteurs
furent condamnés à être brûlés vifs, et à cette occasion le grand
prêtre Matthias, fils de Théophile, fut éloigné du Pontificat.
Le texte de Josèphe est ainsi conçu : « Hérodc destitua... Matthias...
et le remplaça par Joazar... Sous le pontificat de ce Matthias il arriva
qu'un autre grand-prêtre dut prendre sa place pour un jour où les
Juifs célébraieot un jeûne. Et voici pourquoi le pontife Matthias, :

dans la nuit qui précédait la journée où tombait ce jeûne, se figura


en songe avoir eu commerce avec sa femme; ce motif l'empêchant
de remplir ses fonctions sacrées, Joseph, fils d'Ellem, son parent, le
suppléa. Or Hérode déposa .Matthias du pontificat et fit brûler vif
avec plusieurs de ses compagnons cet autre Matthias qui avait pro-
voqué la révolte. Et cette même
y eut une éclipse de luné (1). »
nuit, il

Ce passage est fort contourné à le lire, on ne sait guère comment :

reconstituer la série réelle des événements. La déposition du grand-


prêtre Matthias paraît coïncider avec l'exécution de son homonyme le
docteur; d'autre part, la courte phrase qui mentionne l'écIipse de
lune semble, par la place qu'elle occupe, être en rapport chronolo-
gique étroit avec cette déposition et cette exécution; enfin l'expression
« en cette même nuit )5, -zft œj-ri vuxti, vise, à n'en pas douter, la nuit
où Matthias contracta l'impureté légale qui l'empêcha d'officier.
Tous ces événements se seraient donc passés la même journée? Mais
alors comment expliquer les mots « sous le pontificat de Matthias »
krd oï Tcti M<x-J)ioj toù-cu i£po)[j.Évou? Il eût mieux valu dire nettement que

cet incident marqua la fin des fonctions de ce grand-prêtre et fut


l'occasion de sa destitution.
Un texte du Talmud favorise cette interprétation : « Il arriva à Ben
Uam de Gippori, lorsqu'un accident survint au pontife le jour de

(1) .1. J. \\ï\, 6, 4 : inl £è toO MaTÛiou touto-j ispoiu-Évov. ff-s^iioaivEi xat ^Tepov àp/i:p£x

7.aTa(T--/ivai irpo; (xîav iFijAspav yjv 'lo-jôaToi v/iaxEiav ayo-j^tv Ahia oi èo-Tiv rfiz- ô MarOta;
UpW!i.s>/o; £v vjxtl -rri çEpoûo-ï) elç T,[i.épav -fj
t| yr,<7xda. èvidrato, ëSo^Ev èv ôvîtpaTi cb[jLt>.r)xévxt

Y'jvaixî- xaî cià t65î o-j ôyva[A£vccj lepo-jpYîïv, 'Iwuriito; 6 to-j 'E/.Ar,[*'>'>' suviEpâçaTo avToi,
(TuyvEvr,; o)V. 'HpwÔY); 0£ TÔv te MatOJav ÈTCETrotûx^'. tt); àp-/t£pw(7vvr,; xai -rôv sTEpov MarOiav,
o; ÈYrjYEpxst Tf|V TtâiTiv, xal avôpa; Èx twv ÉTaîpwv aùtoO ixawTî ÎJwvTa;. Kai r] tjù-f]yi] Ô£ t^

a-JT/l VjXTÎ èlE/.lTtîV.


MÉLANGES. 223

Kippoui', de le remplacer dans ses hautes fonctions; en sortant, il


demanda au roi si le sacrifice spécial du taureau et du bouc offert en
ce jour devait être payé par lui ou par le pontife titulaire. Le roi
comprit ce qu'il lui demandait et lui répondit « 11 doit te suffire :

« d'avoir servi une heure devant le Maître de la création », et Ben Ilam


comprit qu'il était évincé de la grande-prètrise (Il »
Ben Ilam pose une pareille question au roi, c'est qu'il
Si 'Joseph
sait qu'à ce moment même où il parle la position de Matthias est gra-
vement compromise, que Matthias va être déposé (-2), et il entend pro-
fiter de occupe exceptionnellement ce jour-
la situation de fait qu'il

là pour rester en possession du souverain pontificat.


Mais le même texte, s'il éclaircit un aspect du problème, en com-
plique à nouveau les données par la date qu'il indique.
Il parle en effet du Grand Jeûne, du jour de l'Expiation; et en l'an
.">

avant J.-C, où se passent ces événements, il est difficile, impossible


même, d'admettre qu'une éclipse de lune se soit produite le 10 du mois
de Tisri le 15" jour d'une lunaison quelconque, jour dans lequel se
:

produisent ordinairement les éclipses, on voit la lune depuis douze à


treize jours; le 10 du mois lunaire de Tisri ne peut logiquement, et
quelque manière de compter que l'on adopte, coïncider avec le 12''
ou le 13^ jour de la visibilité de la lune.
Force nous est donc de conclure à une confusion de la part de l'au-
teur rabbinique et de supposer que la tentative de Joseph, fils d'El-
lem, s'est produite un jour déjeune ordinaire. Comme l'éclipsé men-
tionnée A. J. XVII, 6, est réellement arrivée septembre 5 av.
le 15

J.-C. à il heures du soir (3), la comcidencer du jour de jeune avec

(1) J. Yoma, I, 1.

pas extraordinaire de voir un pontife empêché d'exercer ses fonctions


(2) Il n'était en :

pareil cas, il se faisait remplacer, autant de temps qu'il était nécessaire, par un prêtre de
second ordre; et celui-ci se retirait aussitôt que cessait d'exister l'empèchenient qui avait
tenu éloigné le grand-prêtre.
(3) On identifie ordinairement cette éclipse avec celle du t3 mars de l'an 4 avant Jésus-
Christ ; le jeûne dont il est question dans le passage qui nous occupe pourrait être celui
d'Esther célébré le 13 adar.
Mais il de faire tenir dans le mois qui précède Pàque (du 13 adar au
est diiricile

15 nisan cette année-là, il ne semble pas qu'il ait pu y avoir place pour un mois embo-
:

t lismique) tous les événements racontés par Joséphe aggravation de la maladie d'Hérode;
:

transfert de ce prince à Callirhoé; retour à Jéricho; réunion des principaux juifs dans
cette ville; exécution d'Antipater: mort d'Hérode cinq jours plus tard; ses funérailles;
son deuil pendant sept jours; entrée d'Archélaiis à Jérusalem, avant le 15 nisan. Et —
d'autre part, il ne faut pas négliger le renseignement fourni par les gloses de la Meijll-

lath Taanith d'après lequel la mort d'Hérode serait arrivée en hiver (7 kislev ou 2 schu-
bal).
224 REVUE BIBLIQUE.

le joui'de l'éclipsé nous invite à chercher dans le mois d'eloul (1) ;

or, aux environs du 15 eloul nous ne trouvons qu'un seul jour de


jeune, celui du 18 qui commémorait la mort des explorateurs de la
Terre Promise. Cette date du 18 présente avec le jour de la lunaison
un écart de deux jours (2), assez surprenant au premier abord, mais
non pas impossible, si nous nous rappelons les résultats eonstatés
pour les dates précédemment étudiées. Si l'identification que nous
proposons était sûre, elle prouverait que la néoménie pouvait com-
mencer à cette époque au dernier jour de la visibilité de l'ancienne
lune.

G. Le chapitre xx du
nous donne des détails fort
livre des Actes

précis sur les circonstances du retour de saint Paul vers Jérusalem,


après sa troisième mission; c'est l'un des passages où saint Luc,
témoin oculaire, emploie la première personne du pluriel.

« Pour nous, après les jours des azymes, nous nous embarquâmes à Philippes,
et au bout de cinq jours, nous rejoignîmes [Paul et ses compagnons] à ïroas où
nous passâmes sept jours. Le premier jour de la semaine, comme nous étions assem-
blés pour la fraction du pain, Paul, qui devait partir le lendemain, s'entretint avec
les disciples, et prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit... Et il parla

longtemps encore, jusqu'au jour; après quoi il partit... Pour nous, prenant les
devants par mer, nous finies voile pour Assos, où nous devions reprendre Paul;
c'est ainsi qu'il l'avait ordonné; car il devait faire le voyage à pied... 11 nous rejoi-
gnit à Assos (3). )>

Si l'on admet qu'il faille interpréter strictement l'expression ij.ETi

-Sy.q r^\j.ipy.: twv àZù[jA,)v, oif est amené à identifier les cinq jours de la
traversée de Philippes à Troas aux 23-27 nisan, et les sept jours sui-
vants nous conduisent au 4 ou 5 iyyar (k).

Comme tout, dans le récit des Actes, donne à penser que « le pre-
mier jour de semaine », où l'on « s'assemblait pour la fraction du
la

pain », était précisément le septième et dernier du séjour de saint


Luc à Troas, il en résulte que le 27 nisan, dernier jour de la tra-
Aorsée depuis Philippes, tombait également un dimanche, et que,
par conséquent, le 23, premier jour après les Azymes, tombait un
mercredi.

I) Celle anni'c-là, en dû «Hre délerininc ii.ir la lunaison du (\ avril.


effet, le 1"' nisan :i

rt^alité le jour
(2 L'éclipsc, ayant eu lieu le 15 septembre à 11 heures du soir, loinball en
suivant d'après la manière de compter des Juifs.
(:{) Actes, xx, 6-7, 11-1 i.

(4) Au 4 iyyar, si nisan avait :^o jours; au ."., si nisan avait 29 jours.
MELANGES. 22b

En l'an 57 (1), le mois de nisan était déterminé par la lunaison du


23 mars; le mercredi 23 nisan devait correspondre au mercredi
13 avril, 22*^ jour de la lunaison vraie.

Le \1 eloul, les Romains se retirèrent de Juda et de Jérusalem. »


«

Megillath Taanitli, § l'i-.


Cet anniversaire se rapporte certainement aux faits suivants, que
nous résumons d'après Josèphe.
A partir du milieu du mois d'ab 66 (2), les troupes romaines lais-
sées par Florus à Jérusalem eurent à subir de furieuses attaques de la

(1) Depuis la découverte de l'inscription delphique mentionnant le proconsulat de Gallion


(cf. Revue bibliqice, 1913, pp. 36 et 207), les critiques s'accordent à placer le retour vers
Jérusalem au printemps de l'an 57 ou de l'an 58; la première de ces deux dates semble
devoir être préférée pour les raisons que voici :

Albinus, successeur de Festus, est arrivé en Judée au plus tard vers le milieu de l'an 62
(cf. ScHiJRER, Geschichie, p. 579) ;

Festus étant mort en charge, il y eut un intervalle
de quelques mois entre son gouvernement et celui d'Albinus; le contexte de Joséphe —
permettant d'évaluer la durée de l'administration de Festus à deux ans environ, il en
résulte que le rappel de Félix ne peut se placer que vers le printemps de l'an 60 au plus
tard, mais plus vraisemblablement vers le printemps de 59 saint Paul aurait été arrêté :

à la Pentecôte 57.
La tradition ecclésiastique, représentée en particulier par Eusèbe, indique, suivant la
recension arménienne, l'an XIV de Claude, l'an X d'Agrippa (= 54 ap. J.-C.) et, suivant
le remaniement de saint Jérôme, l'an 11 de Néron, l'an XII d'Agrippa (= 56) pour le rappel
de Félix. Ces deux dates se heurtent à des difficultés insurmontables. Il est probable —
que la source d'Eusèbe p utilisé, pour établir l'année du rappel de Félix, le comput
des années d'Agrippa, et l'on sait que ces années ont été comptées de deux manières dif-
férentes, suivant qu'on les faisait commencer à la mort d'Agrippa I (milieu de 44) ou à la
mort d'Hérode de Chalcis (48). Si l'on adopte la seconde supputation, le rappel de Félix
tomberait en 57-58 (recension arménienne) ou en 59-60 (saint Jérôme) et l'arrestation de
saint Paul aurait eu lieu à la Pentecôte 55 ou à la Pentecôte 57 la première date étant :

impossible, on devrait s'en tenir à la seconde.


(2)nous semble certain, contrairement à ce qu'affirment plusieurs auteurs (entre
Il

autres Niese, Hermès, 1892, p. 192 sqq., Zur Chronologie des Josephus), que les dates
données dans la guerre des Juifs se réfèrent au calendrier hébreu et non pas au calendrier
syro-macédonien. Voici les raisons qui appuient notre manière de voir :

a) D'après B. J. vi, 5, 3, il se produisit, l'année oii commenc a la guerre, le 8 Xanthikos


peu avant la fête de Pâques, plusieurs phénomènes extraordinaires. Le 8 Xanthikos sjro-
macédonien correspondant au 25 avril, la pâque de cette année-là serait tombée à la tin
d'avril à une date tout à fait inusitée, à un moment où, d'ordinaire, la moisson est com-
mencée depuis longtemps. —
D'autre part, en l'année où éclata la révolte, en l'an 66 le
1'" nisan tombait le 14 mars, et par suite les fêtes de Pâques coïncidaient
avec la fin de
mars et le début d'avril le 8 Xanthikos syro-macédonien ne pouvait cette année-là tomber
:

avant le 15 nisan. Tout s'explique, au contraire, si le 8 Xanthikos signifie simplement le


8 nisan.
b) En cette même année, Josèphe mentionne [B. J. ii, 19, 1) la fête des Tabernacles à la
fin du mois d'IIyperberetaios : ce mois dans le calendrier syro-macédonien commence au
19 octobre et va jusqu'au 17 novembre; et l'on sait d'après les usages juifs que la fête
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 15
226 REVLE BIBLIQUE.

part des Juifs révoltés. Réduits à la ville haute, puis cernés dans le
palais d "Agrippa, ils durent le 6 eloul (1) évacuer le Stratopédon et se
renfermer dans les trois tours royales d'Hippicus, de Phasael et de
Mariamne.
Bientôt la situation des assiégés devint que leur chef
si difficile,

Metilius dut se résoudre à capituler, et promettre de rendre armes et


bagages; en retour, les Romains auraient la vie sauve et se retire-
raient où bon leur semblerait. Et tandis qu'ils sortaient sans se défier
de rien, les Juifs, violant les conventions, se précipitèrent sur eux :

tous furent massacrés, à l'exception de Metilius qui jura de se faire


circoncire.
Ce massacre, ajoute Josèphe, eut lieu un sabbat, -/.a-, -/àp or, G^xc5aT(.)

awi6r, -payOr^va-. Tbv ^èvcv (2); et le même jour, à la même heure, par
une sorte de coïncidence fatale (3), vingt mille Juifs furent égorgés à
Césarée.
En l'an 66, le mois de nisan fut déterminé par la lunaison du
15 mars et, par suite, le mois d'eloul par celle du 9 aovit le samedi :

17 eloul correspondait au samedi US août, 15" jour de la lunaison


vraie.

I. En cette même année 66, et peu de temps après les événe-

l'équinoxe, soit fin septembre ou début


des Tabernacles devait tomber vers le temps de
d'octobre. —
difTiculté disparait si l'on
La admet l'identité Hyperberetaios =^ tisri.

La fête de la du 15 Loos se célébrait en réalité le


Xylophorie mise par Josèphe la veille
c)

15 ab [Le texte de B. J. ii, 17, 7 doit contenir


une faute de copiste pour le quantième du
mois il devait y avoir primitivement IF au lieu de lE].
:

d) La date du 17 Panemos donnée B. J. vi, 2, 1,


pour la fin du sacrifice perpétuel répond
à la date juive du 17 taminonz fournie par le ïalmud {Misclma, Taanith, i\, 5 (6).
e) La date du 10 Loos pour la
ruine du Temple [B. J. vi, 4) correspond à un jour près
ab que nous ont transmise les écrits rabbiniques {Mischna,
Taanith, ibid.).
à celle du
Les raisons mi:^es en avant par B. Mese sont les suivantes :

du Apellaios, B. J. iv, 11, 4 or Vitellins mourut


0) Josèphe date la mort de Vitellius
:j :

précisément au 3 Apellaios du calendrier syro-maeé-


le 20 décembre, jour qui correspond

donien.
Panemos, au bout de
b)Le siège de Jotapat, commencé le 17 Artcmisios, prit lin le l""

'û jours (c'est donc qu'.Vrtemisios avait 30 jours et Daisios 31, soit : 16 + 31 + 1 = 47),

/{. ./. m, 7, 3; 33 et 36.


impression-
seconde des raisons invoquées par Nieso pour juslllier sa tliéorie est
L.i
moyen satisfaisant dexpliiiuer autrement qu'il ne le fait
nanle, et l'on ne voit iiuère de
le Iota! de 'i7 jonrs.
Quant à la première, il convient de remarquer que cesl la seule date étrangère à l'his-

toire juive que Josèphe mentionne; on pourrait donc y voir une glose postérieure, d'au-
tant i)lus qu'elle ne présente aucun intérêt pour la suite du récit.

(1) II. J. II, 17, «.

(2) B. J. ri, 17, 10.

(3) B. J. II, 18, 1.


MELANGES. 227

ments commémorés par l'anniversaire précédent, Cestius Gallus,


légat de Syrie, se mit en devoir de réprimer la révolte grandis-
sante.
montre quittant Césarée, traversant successivement
Josèphe nous le

Antipatris, Lydda qu'il prend au passage, Bethoron, et enfin Gabaon,


'

où il établit son camp il a profité, pour faciliter le succès de son :

expédition, du moment où le peuple est réuni à Jérusalem pour


célébrer la fête des Tabernacles (1). A la nouvelle de l'approche des
Romains, les Juifs quittent la fête, et, malgré le sabbat (2), atta-
quent l'ennemi avec tant de violence qu'ils le mettent presque en
déroute. Cestius se retire alors sur Bethoron et y demeure trois jours (3),
au cours desquels Agrippa tente d'entrer en pourparlers avec les
'
rebelles.
Puis reprend sa marche en avant, et vient camper sur le Sco-
il

pus, où il reste encore trois jours en observation (4); le k" jour il


occupe Bezetha c'était le 30 Hyperberetaios (5).:

peut établir les correspondances suivantes


tOn
27, 28 29 Hyperberetaios ettrois jours sur le Scopus; :
:

2G — un jour de marche sur Jérusalem; :

23, 24 et 25 — trois jours à Bethoron; :

22 — jour de l'attaque des un sabbat, : Juifs,

à la fin de la fête des Tabernacles.


On sait que la fête des Tabernacles prenait fin le 22 tisri.

En mois de tisri était déterminé par la lunaison du


l'an 66, le
8 septembre le samedi 22 tisri a dû correspondre au samedi 27 sep-
:

tembre, 20" jour delà lunaison astronomique.

Cinq malheurs arrivèrent à nos pères le 17 tammouz et cinq


J. ((

le 9 ab .... Le 9 ab, Dieu défendit à nos pères d'entrer en Palestine;


:

jle premier et le second temple furent ruinés; Bethar fut prise; et le


Isol de la Ville fut labouré.
i.'
»

% « Le jour de la destruction du premier temple fut le soir du 9 ab, à la sortie

du sabbat, à la sortie de la septième année. C'était le tour de la c?asse de Joïarib

(l; Ibid. n, 19, 1 : KsCTuo; si; A-jo6a 7:po£/9MV v.irr,v àv5oô)v Tr,v ttoa'.v 7.aTa"/,aaêxv£r c'.à
'

yàp Tr,v tr,; IxriVOTirjyîac éopx'ôv àvaScêrf/CSi Ttàv t3 n'Arfloç si; [zoo<j6'}.-j[Lx .

(2) Ibid., 19, 2 : ^v yàp Sr) xb (lâXtsxa Trap' aùxot; 9p/i(7x.£-j(5[AEVOV oâSêatov.
(3) Ibid. : (/.évovto; Sa -iroû Kso-tio-j xaxà ytaçm Tpi(jlv ifjixépaiç.

(4) II, 19, 4 : <7-cpaT07rEÔc-j(jâ(X£voç ôà ènl tq-j y.a>.o-j[jivo-j ïxotto-j, TpKïi ixàv -/jaipa-.; ow.
ÈTreyeJpci tri nô/.Ei.

(5) Ibid. : -zrj Tïtâpr/i Se, riti; ^v Tpixxà? 'V7îEpê£pE»xîo-J (J.y)vô;, ôiaxâÇa; tyiv arpaxtàv îîffôya-
y£V £ÎÇ T/JV TtOAlV.
228
REVUE BIBLIQUE.
placés sur l'estrade, chantèrent le cantique « Il
de faire le service. Les lévites,
:

contre eux et pour prix de leur méchanceté il les exterminera »


« tournera leur iniquité

(PS xciv 23). Et avant d'avoir


pu ajouter « Oui, l'Éternel, notre Dieu, les exter-
:

« minera s les païens vinrent


et les arrêtèrent. Il en fut de même lors de la des-

truction du second temple (1).


»

« R. Jérémie (vers 240) dit au nom de R. Hiya b. Aba (vers 200) Il serait juste :

fut consumé par les flammes; mais le


de jeûner au 10 ab, jour auquel le Temple
jeûne a lieu le î), jour auquel la punition a
commencé. En efTet, on a enseigné :

« Ils y sont entrés le 7, ont commencé


à briser les ustensiles le 8, y ont mis le feu

« le 9 et la consomption Gnale a eu
lieu le 10 (2) ».

Selon Josèphe, le temple fut brûlé au même jour et au


même mois
qu'il l'avait été autrefois par les
Chaldéens, le 10 du mois de
muraille occiden-
Loos (3) du 1" au 6 (4), les béliers avaient battu la
:

feu fut mis aux portes (5) le 8, ce feu fut éteint et il y


eut
tale; le 7, le ;

accalmie le 9, les Juifs firent une sortie par la povte orientale (7);
(6) ;

enfin le 10, les Romains parvinrent jusqu'au sanctuaire et l'incendiè-


rent. — Dion Cassius dit simplement que Jérusalem fut détruite
un
samedi (J8).

entre les divers témoignages la


y a donc un certain flottement
:
11
le 9 ou 10 ab.
catastrophe eut lieu un samedi ou un dimanche,
lunaison du
En l'an 70, le mois de nisan était déterminé par la
le 9 ou 10 ab corres-
30 mars et le' mois d'ab par celle du 20 juillet :

10^ ou 11'= jour


pondait au samedi \ ou au dimanche 5 août, soit au
de la lunaison vraie.

K. « Le 9 ab, Bethar fut prise. »


la révolte des Juifs sous Hadrien,
Cet événement, qui marqua la fin de

(1) B. Taanith, 29' :

nnin iiTiini iir nm)2U,'"2i


tombée Tan- l'année sabbatique était
Le second temple fut détruit dans lété de l'an 70 ;

si l'on interprète d'après c^Ue donnée


née précédente, de l'automne G8 à Tautomne
69 :

comprendre l'expression similaire


les n^î;^!^' \S'riC, il semble que l'on puisse
termes
journée du dimanche. Cf. dans ce sens Schwar, Le
Talmud de Jéru-
r,2C "NSin de la

salem,, IV, p. 195.


;•,!; J. ToaniUi, iv, 6; Trad. Scliwali, VI, p. 19.5.

(;5) n. J. M, 4, 5.

lire le 1" du mois de Loos au lieu du 8, ,A au heu de
,
H dj. après
V ,
le
;'i) «. J. VI, '1, 1 :

contexte des chapitres suivants.


(5) Ibid. VI, 4, 2-3.

(G) VI, 4, 3-'(.

xà 'kpoaôX-JiAa ev auT^ it^wj kfiovoo r,iJ.£pa ... e^w/e.o.


(8) Dion Cassius, lxvi, 7 : oOto) |j.àv
MELANGES. 229

en 135, eut lieu, lui aussi, un jour de sabbat; du moins telle est la

tradition (In
En l'an 135, le 1°' nisan fut déterminé par la lunaison du 1*" avril,

et le l*"" ab par celle du 28 juillet : le samedi 9 ab correspondrait au


samedi 7 août. 11'' jour de la lunaison vraie.
t

Telles sont les dates qui peuvent servir à vérifier la méthode ordinal -

rement pour reconstituer le calendrier juif; toutes n'ont pas la


suivie
même valeur les dates G et F, par exemple, peuvent fort bien être dis-
:

cutées, à cause de l'imprécision des textes qui ont servi à les déduire;
— la date K a paru suspecte à plusieurs critiques qui ont voulu l'ex-
pliquer en invoquant un procédé historique bien connu en Orient (2).
Notre excuse sera de n'avoir voulu négliger aucun élément susceptible
de donner quelque indication pour la question qui nous occupe.
Ces réserves étant faites, voici, résumé dans un tableau récapitu-
latif, l'ensemble des résultats fournis par l'identification de chacune
des dates que nous avons étudiées, — Chaque date deux
est suivie de
chiffres, premier exprime le jour de la
dont le lunaison astronomique
correspondant à cette date et le second la différence qui existe entre
le jour de la lunaison astronomique et le quantième du mois juif :

A 13 adar 161 2 —11 +


( 5 sivan 129 = + 5 0.

= 5 +
B

C
I
(
6 sivan 129
7 sivan 129
17 adar 89
'
=5 + 2
=15 + 2
1

D 17 tammouz 64- = 16 + 1

E 17 tammouz 37 =16 + 1

F 18 eloul 5 av. J.-C. =: 16 + 2


G 23 nisan 57 ap. J.-C. = 22 + 1

H 17 eloul 66 =15 + 2
I 22 tisri 66 =20+2
(10 — 1

/ 9 ab 70 = ]
ou
(11-2
J ^'^
(10-0
( 10 ab 70 =< ou
1 11 — 1

K 9 ab 135 = 11 — 2

(1) TaanWi, iv, 6.


(2) Le procédé qui consiste à systématiser les événements historiques, à les présenter

suivant un schéma déterminé par la comparaison d'événements similaires.


230 REVUE BIBLIQUE.

Que penser du tableau ci-dessus?


La première impression que l'on éprouve en constatant le résultat
presque constant fourni par chacune des neuf premières dates, est
que, très probablement, les Juifs contemporains des Asmonéens et
des Ilérodiens comptaient les néoménies de leur calendrier, non pas
à partir de l'apparition de la nouvelle lune, mais à partir de la dis-
parition de l'ancienne. Et, tout de suite, on est porté à rapprocher
de cette constatation le fait bien connu de la double célébration des
fêtes juives.
A une époque ancienne, en effet, les Juifs ont adopté l'usage de
célébrer leurs fêtes deux jours consécutifs : ils craignaient dit-on,
une erreur toujours possible dans ce mode d'observation directe de
la nouvelle lune, qui était le leur; et cette crainte bien lég-itime, en
même temps que le souci de la légalité, leur avait fait imaginer, pour
calmer leurs scrupules, une solution ingénieuse qui consistait à célé-
brer la fête à deux reprises, d'abord le jour où elle tombait légale-
ment, puis le lendemain de ce jour.
Dans ces conditions il semble bien que l'hésitation provenait de ce
qu'on ignorait, non pas si la néoménie tombait tel jour ou le jour
précédent, mais si elle tombait tel jour ou le jour suivant. Cette —
conclusion est fort importante, car c'est lorsqu'il s'agit de la fin de la
lune précédente que l'on peut hésiter entre tel jour et le suivant,
tandis que, lorsqu'il s'agit de marquer le début de Ja nouvelle lune,
on ne peut hésiter qu'entre tel jour et le précédent.
Autrement dit, et pour être plus concret, si l'on célébrait la Pâque
de l'an 60 les 26-27 et 27-28 mars (c'est-à-dire du soir de notre 26
au soir de notre 28 mars), c'est que Ton ignorait si le premier jour
de la lunaison tombait le 12-13 ou le 13-14 mars, c'est que Ton hési-
tait entre ces deux dates. Or, si l'on avait aperçu la nouvelle lune
pour la première évident qu'on devait l'aperce-
fois le 12-13, il était
voir, et mieux encore, le lendemain 13-1 V; tandis qu'cà la rigueur on
pouvait se demander si elle n'avait pas commencé à être visible très
peu de temps, mais suffisamment pour déterminer le premier jour
du mois, la veille de la première observation, soit le 11-12 :mais
alors on aurait dû célébrer la fête, non pas le 2(5-27 et le 27-28, mais

le 25-26 et le 26-27.
xVu contraire, si l'on avait aperçu pour la dernière fois la lune
précédente le 12-13 mars, il était évident qu'on avait dû l'apercevoir,
MÉLi^SGES. 231

et mieux encore, la veille 11-12; tandis quon pouvait parfaitement


se demander pas apparue, n"aurait-ce été que fort peu
si elle n était
de temps, le lendemain de la dernière observation, soit le 13-14 ce :

qui justifiait la double célébration de la fête aux 26-27 et 27-28 mars.

Au temps de la rédaction du Talmud de Jérusalem (vers 350-400),


alors que le calendrier juif était à peu près fixé, les rabbins parais-
sent avoir saisi ce qu'il y avait de contradictoire entre telles for-
mules liturgiques en usage et le mode de supputation qui fixait
la néoménie au premier jour où le croissant lunaire devenait visible.
Rien n'est plus instructif à cet égard que la glose qui commente le
passage suivant de la Mischna (1) :

R. Dossa b. Horkinos (vers 70-120) dit Celui qui récite la prière publique le
:

premier jour du nouvel an dira « Fortifie-nous, ô Eternel, notre Dieu, en ce jour


:

de néoménie, que le moment de conjonction lunaire soit en ce jour ou demain. »


Le lendemain, il dira de même avec ce changement « ... que le moment précis :

soit aujourd'hui ou hier. » — Les sages ne sont pas de cet avis.

GuemaraLes plus sages ne sont pas de cet avis parce qu'en ce cas où il n'y a
:

pas de doute possible que c'est une néoménie, il est inutile d'ajouter les mots
« que le moment précis soit aujourd'hui ou hier » ; ou bien eucore, conformé- —
ment à ce qu'a dit R. Jacob b. Aha (vers 160-200) au nom de R. Yassa celui qui :

se place devant l'estrade pour au jour du nouvel an, n'a pas besoin du tout
officier,

de rappeler la néoménie. Voilà ce que les sages désapprouvent dans le formulaire


de R. Dossa.

Ces explications sont confuses, embarrassées, et l'on sent, à n'en


pas douter, que le texte de la Mischna reste inintelligible pour ceux
qui prétendent le commenter.
A lire d'autres passages, il semble que certains docteurs, préoc-
cupés par la même contradiction et désireux de la faire cesser,
aient songé, faute de meilleure solution, à supprimer le deuxième jour
de fête dont ils ne comprenaient plus la vraie raison. C'est à une
tentative de ce genre cpie R. Yossé (vers 200 paraît répondre lorsqu'il i

envoie la lettre suivante aux Juifs d'xVlexandrie :

« Bien que les sages de la Palestine vous aient mis par écrit l'ordre de fixation
des jours de fête, ne éhangez en rien l'usage des deux jours de fête établis par
vos ancêtres et que leur âme repose en paix (2). «

Remontons plus haut et interrogeons les survivants de la catas-


trophe de l'an 70 et leurs disciples immédiats nous trouverons, au
:

(1) J. Eroubiti, m, 9.

(2) J. Eroubin, ni, 8; Trad. Schwab, IV, p. 236.


232 REVUE BIBLIQUE.

milieu de sentences contradictoires et d'anecdotes parfois bizarres,


quelques renseignements intéressants pour le sujet qui nous occupe.

1° Mischna, Rosch haschana, ii, 6 (8) (1).

R. Gamaliel (vers 75-110) avait dans sa chambre, sur un tableau et sur le mur,
l'image des diverses phases possibles de la lune. Il les montrait aux témoins et leur
demandait laquelle de ces positions ils avaient remarquée. Un jour, deux -témoins
vinrent dire avoir vu la lune (ancienne) le matin à Test, et le soir (la nouvelle) à
l'ouest. Ce sont de faux témoins, dit aussitôt R. Yohanan (vers 50-82) mais lors- ;

qu'ils se furent rendus à Yabneh, R. Gamaliel les accueillit pourtant (sans se

soucier de leur assertion contradictoire d'im tel spectacle). De même, deux —


témoins vinrent un jour dire avoir vu la néoménie au moment opportun la nuit
du 30, et ne plus l'avoir vue la nuit suivante, et pourtant R. Galamiel les accueillit.

Guemara, sur le même passage (2).

Voici pourquoi R. Yohanan récusait les deux témoins :

A toute néoménie, il est impossible de voir la lune pendant les 6 heures qui
suivent sa disparition et les G heures qui précèdent son retour. En effet, on a
enseigné ; Lorsque l'ancienne lune a été vue le matin, on ne peut pas voir la
nouvelle l'après-midi; ou si on u'a pas pu voir
l'après-midi on a vu la nouvelle,
l'ancienne le matin. Cependant R. Gamaliel a accueilli ces mêmes témoins parce
qu'il avait appris par tradition paternelle que parfois la marche de la lune est

rapide et que parfois elle est lente.

2" Mischna, Rosch haschana, ii, 7 (9) (3).

R. Gamaliel (vers 75-110) fit dire à R. Josué (vers 75-120) : .Te t'enjoins de venir
me trouver avec ta canne et ta bourse (en tenue de jour profane), au jour où,
d'api es ton calcul, ce serait le Grand Pardon. R. Akiba (vers 90-135) allant le voir
le trouva désolé d'un tel ordre et lui dit : Il faut que j'enseigne, car tout avis
proclamé par R. Gamaliel (alors naci) est valable en loi, comme il est écrit : « Voici
les fêtes de l'Eternel, les appellations saintes que vous nommerez » -, que ces fêtes
surviennent en leur temps ou non, on tiendra seulement pour consacrées celles que
le grand tribunal aura déterminées.

Kii prononçant ces graves paroles, nous explique la guemara,


\\. .\kiha entendait bien

« AUesler que si, une fois la consécration faite, on reconnaissait que l'on avait
suivi l'avis de faux témoins, la proclamation (de la néoménie) devait être main-
tenue. I,

T \. liosch haschana, ii, i (Gj (4).

(1) Trad. Scliwab, VI, p. 81.


(2) Schwab, Talinud de Jérusalevi, VI, p. 82.
'i) Ihid. p. 82.

^'i; /OUI. p. 78,


MELANGES. 233

Guemara : R. Hiya le Grand (vers 130-160) marchait à la clarté de l'ancienne


lune sur un espace de quatre milles. R. Aboun jeta alors des pierres contre elle
et dit : Ne mets pas dans l'embarras les Qls de ton maître : ce soir (selon nos
calculs) nous devons te voir (nouvelle) à telle place, tandis que nous te voyons
encore ce matin au même endroit. Aussitôt, (par miracle) elle disparut.

4" i.'Soukka, iv, 3 (1).

R. Simon (vers 130-160) recommandait ceux qui fixent d'avance par calcul
à
la durée des mois et l'époque des jours de fête, de porter leur attention à ne pas

faire coïncider avec un samedi le nouvel an, jour où on sonne du schofar, ni le


jour où l'on transporte les branches de saule au Temple (7'- de la fête des Tentes) ;

et si le calcul oblige à mettre un samedi l'un de ces deux jours, il vaut mieux
l'adapter au nouvel an et non à la fête des branches de saule.

Ces divers textes (2) autorisent, croyons-nous, les déductions sui-


vantes :

a) D'après les faits cités au n"


ne paraissait pas impossible à 1, il

Gamaliel II de fixer la néoménie au lendemain du jour où l'on avait


aperçu pour la dernière fois l'ancienne lune; de même Tanecdote
rapportée au n° 3 semble supposer que la néoménie pouvait com-
mencer le soir d'un jour dans la matinée duquel on avait encore
observé l'ancienne lune.
b) Dans certains cas, les calculs des sages l'emportaient sur des
observations précises, à tel point que, disait-on, la, lune elle-même
modifiait son cours régulier pour se conformer à ces calculs (n° 3).
c) Toutefois ces calculs, si bien ordonnés qu'ils fussent, ne passaient'
pas pour intangibles : leurs résultats pouvaient être modifiés au gré
de l'autorité compétente (n° 2) et le plus souvent pour éviter l'un ou

(1) Ibid. p. 32.


(2) Ces citations ne sont pas les seules que l'on pourrait faire; dans ce traité Rosch
haschana on trouve de nombreux textes faisant allusions à des usages et à des opinions
fort divergents sur la manière de fixer la néoménie : suivant les uns « on engagera les
témoins à ne pas affirmer ce qu ils ont vu en cas de doute, puisqu'on peut user de la
faculté de rendre le mois bissextile »; suivant les autres « on les enjagera 'même s'ils ne
l'ont pas vue) à dire qu'ils ont vu la lune afin que l'on puisse consacrer la néoménie... ».

Et plus loin Si au bout de deux jours après la fin du mois on n'a pas vu la lune, on
: '<

ne proclamera pas la néoménie d'office... »; « il ne faut pas croire qu'aussi bien qu'une
année soit parfois rendue embolismique pour faire face à un cas urgent, il en soit de même
pour déclarer un mois bissextile... »; et en sens inverse, le passage même de la Mischna
que commentent ces quelques extraits « Si le tribunal et tout Israël ont vu la lune, si
:

les témoins ont été interrogés à ce sujet, et qu'avant la proclamation oflicielle la nuit soit
survenue, on ajoutera un jour coinplérnentaire. » Rosch haschana. m, 1.
ceci montre bien que même au temps ou s'élaboraient les règles du calendrier
Tout
juif, y avait fréquemment conflit entre les pratiques traditionnelles et les perfectionne-
il

ments que suggérait l'expérience.


234 REVUE BIBLIQUE.

l'autrede ces cas de conscience qui tourmentaient si fort les scrupu-

leux observateurs du sabbat (n° k).

Pour l'époque qui nous intéresse le plus, c'est-à-dire pour les


derniers temps de l'existence du second temple, pour l'époque des
Ilérodes, les renseignements sont rares, mais fort suggestifs.
C'est d'abord l'allusion à ces dissidents qui, mécontents du comput
officie], cherchaient à tromper les « sages » par de fausses dépositions

destinées à faire prévaloir leurs opinions exégétiques :

« ... en interprétant littéralement le verset [Lévilique, xxiii, 11, 15) qui dit
de compter sept semaines depuis le jour de la présentation de l'orner (16 nisan)
jusqu'à la Pentecôte, le lendemain du sabbat, ils cherchaient à fixer cette fête
un samedi. A cet effet (leurs témoinsj partaient dès la veille au soir dans la pré-
somption que la néoménie serait reconnue et consacrée. » Bien luieiKx : « ils com-
mençaient déjà à appliquer leur fraude au mois dAdar, afrn d'aboutir à une fixation
de la néoménie de Nisan selon leur calcul » (l).

C'est le fait bien connu des Samaritains allumant des feux destinés
à égarer les Juifs de la dispersion :

« Après l'annonce publique et régulière faite au moyen de feux, les Guthéens


allumaient de nouveau les feux le lendemain, de sorte que les habitants lointains
supposaient une nouvelle décision prise par le tribunal (2}, en vue d'augmenter
d'un jour le mois précédent, ... et la fixation des jours de fête devenait inexacte (3). »

Mais c'est surtout l'anecdote peu édifiante qui nous montre des
membres de l'aristocratie sacerdotale (4) —
de saint
les apyi=pz\ç
Luc — soldant de faux témoins pour déterminer une anticipation de
néoménie utile à leurs intérêts.

« Un jour les Boéthusiens soldèrent deux faux témoins pour leur faire attester
que la néoménie était consacrée. Le premier témoin vint faire sa déposition et s'en
alla; le second vint ensuite déclarer ce qui suit : « Je me trouvais dans le défilé
« deAdoumim, et là je vis la lune accroupie entre deux rochers, ayant une tête sera-

it) Itosc/i hcmclinno, ii, 1; Tratl. Schwab, VI, p. 75 : Ces manœuvres destinées à fix^r au
•limanclie le jour de la présentation de la gerbe d'orge sont attribuées par la Tosephta
aux Boéthusiens, et signalées à propos de la tentative de corruption que nous citons
plus loin :

« Un jour les Boéthusiens subornèrent deux témoins pour qu'ils vinssent et égarassent
les docteurs
car les Boéthusiens soutiennent que la Pentecôte ne peut tomber que le
:

lendemain du sabhal... « Cf. sur cette attribution, Derenboirc, Esiui, p. 137 et note.
(2, Il (louvail (loiic y avoir une nouvelle décision annulant une décision précédente"^
(3) llosch liascfiana, ii, i; Trad. Schwab, VI, 75.
p.
(4) Les Boéthusiens, comme la indiqué Derenbourg {Essai,
J. p. 137, 177 et 196), parais-
sent avoir rr-ru leur nom des fils de Roéliios, qui furent grantls-prétres au tcnqis d'Hérode
et dont <pielques passages du ialmud signalent la triste réputation.
MÈF.ANGES. 235

(( blable à celle d'un veau, des oreilles comme celles d'un chevreau-, après quoi je
« m'aperçus que javais 200 zouz serrés daus ma ceinture. — Quant aux 200 zouz,
« dirent les membres du tribunal, nous te les abandonnons; ceux qui t'envoient
« seront amenés et subiront la peine des coups de lanière; mais pourquoi es-tu entré
« dans ce complot qui devait nous induire en erreur? — J'ai bien vu, répondit-il,
que ces gens cherchaient à égarer les sages; dès lors j'ai pensé bien faire en allant
« dévoiler leur conduite aux sages (1;. »
t

De tels faits se passent de commentaires, et pour moti- ils suffisent

ver de notre part des conclusions fort réservées sur Iç rôle que
pouvaient jouer les calculs astronomiques dans la détermination des
dates du calendrier juif.
nous fallait traduire notre impression, nous dirions
S'il :

Dans la seconde moitié du premier siècle, le calendrier juif, bien


loin d'être déterminé régulièrement par la constatation légale de la
visibilité de la nouvelle lune,, était soumis à des fluctuations plus ou
moins importantes; ces fluctuations, amenées parfois par le désir fort
légitime d'éviter- pour certaines fêtes les complications inhérentes à
l'observation stricte du sabbat, trouvaient également leur origine
soitdans Tintérôt personnel de l'aristocratie sacerdotale, soit même
dans l'amour-propre des «'sages », trop férus de leur science et de
leurs calculs.

Nous avons dans la seconde moitié du premier siècle ».


dit «
11 est bon en efï'et de noter que les plus anciens textes talmudiques

cités se réfèrent ta la fin du temps des Hérodes sans doute, ils peu- :

vent refléter un état de choses préexistant à cette époque, mais rien


ne prouve absolument, et l'on pourrait supposer tout aussi bien,
le
sinon mieux, que les divergences observées dans nos calculs de
dates (écart d'un jour avec la lunaison vraie dans certains cas;- écart
de deux jours dans d'autres cas) proviennent, par cela même qu'elles
ne sont pas constantes, d'un calendrier à règles fixes, établies empiri-
quement sur une base astronomique les .ïuifs n'auraient fait que
:

suivre l'exemple de leurs voisins, Phéniciens, Grecs de Syrie ou Chal-


déens.
Examinons les intervallesqui séparent chacune de nos dates et
voyons si ces intervalles ne nous fournissent pas quelques données
permettant de vérifier l'hypothèse que nous venons d'indiquer.
Nous ne ferons que résumer les résultats principaux de cette nou-

(1) J. Rosch haschana, n, 1; Trad. Schwab, VI, p. 75.


236 REVUE BIBLIQUE.

velle enquête, en laissant de côté tout ce qui ne servirait pas immé-


diatement au but spécial que nous nous proposons ici; par suite,
nous ne nous occuperons que des seuls intervalles utiles à notre re-
cherche, ceux compris entre l'an 89 av. J.-C. et Tan 66 ap. J.-C.
a) du 7 août 66 (= 1 eloul) au 6 septembre {= 1 tisri), il s'est
écoulé 30 jours, le mois d'eloui 66-67 était donc un mois plein;
b) du 22 mars 57 = 1 nisan) au 7 août 66 (= 1 eloul;, il s'est

écoulé 3. i25 jours, mois de 30 jours et 55 mois de 29 jours;


soit 61

c) du 30 août 5 av. J.-C. (^ 1 eloul) au 22 mars 57 (= 1 nisan), il


s'est écoulé 22.119 jours, soit 398 mois de 30 jours et 351 mois de
29 jours;
d) du 27 juin 37 (= 1 tammouz) au 30 août 5 av. J.-C. (= 1 eloul),

il s'est écoulé 11.753 jours, soit 211 mois de 30 jours et 187 mois de
29 jours;
e) du 26 juin 64 {= 1 tammouz) au 27 juin 37 (=
tammouz), il s'est1

écoulé 9.862 jours, soit 176 mois de 30 jours et 158 mois de 29 jours;
f) du h février 89 (= 1 adar) au 26 juin 64 (= 1 tammouz), il s'est
éoulé 3.274 jours, soit 168 mois de 30 jours et 146 mois de 29 jours.
Pour le second de ces intervalles (6), comprenant 9 ans, nous
avons, par rapport aux mois de 29 jours, un excédent de 6 mois de
30 jours;
Pour le 3*^ (c), comprenant 61 ans, nous avons un excédent de
47 mois de 30 jours;
Pour le 4" (c?), comprenant 32 ans, nous avons un excédent de
24 mois de 30 jours;
Pour le 5" (e), comprenant 27 ans, nous avons un excédent de
18 mois de 30 jours;
Pour le (/), comprenant 25 ans, nous avons un excédent de
e*-'

22 mois de 30 jours;
On sait que la lunaison moyenne est égale à 29 jours, 12", 44'",
3^" ces 44™ 3^"' s'ajoutant d'année en année finissent par former un
;

total de jours important, qui ne tarde pas à rendre inexact tout calen-

drier ayant pour base une succession régulière de mois de 29 et de


30 jours.
pour obvier à cet inconvénient que les computistes anciens
C'est
avaient établi cmpiri(|ucment toute une série de règles minutieuses,
en vertu desquelles ils intercalaient, ou parfois retranchaient, un
jour, ou deux, à intervalles hxes; de la sorte, tel mois qui régulière-
ment aurait dû avoir 29 jours se trouvait en contenir 30; et inverse-
ment, tel autre mois qui renfermait en principe 30 jours n'en comp-
tait plus, en fait, que 28 ou 29.
MÉLANGES. 237

D'ordinaire, ou ajoutaitun jour à chaque mois embolismique; mais


on variait beaucoup quant au mode d'intercalation des quelques
autres jours qui restaient assez souvent on situait chacun d'eux à
:

la suite des différentes parties du cycle lunaire adopté (1).

Si maintenant nous reprenons l'examen de nos intervalles, et si


nous retranchons de chacun des excédents notés plus haut le nom-
bre (2) des mois embolismiques contenus dans chaque période consi-
dérée, nous obtiendrons comme résultat un nombre correspondant
au double (3) du total des jours intercalés en vertu de la succession
des différentes parties du cycle lunaire : nous pourrons être rensei-
gnés sur la nature de ce cyle lunaire.

Dates extrêmes de
considéré
l'inlervalle
238 REVUE BIBLIQUE.

iercalés à intervalles égaux : le total de ces jours (1) pour chacune


des périodes considérées n'est en rapport
avec aucun nombre cyclique

satisfaisant.
Force nous est donc de tâtonner à nouveau (2) et de rechercher si,
parmi les cycles en usage dans le monde ancien, aucune combinai-
son ne permet de rendre compte du tableau ci-dessus.
Or une telle combinaison existe, et, ce qui mieux est, elle parait
bien être indiquée dans un passage (3) du chapitre lxxiv du livre
d'Hénoch, écrit précisément au temps de la dynastie Asmonéenne.

[Il y a] pour trois années [solaires] 1.092 jours; pour cinq années, 1.820 jours;

pour iiuit années, 2.912 jours.


Pour la lune, ses jours arrivent en trois années [lunaires] à 1.062 jours; en cinq
années, elle est moindre de 50 jours elle est pour cinq années de 1.770 jours; et
:

pour la lune, pendant huit années, il y a 2.832 jours tous les jours qui manquent :

pour huit ans sont 80 (lxxiv, 12-15).

Il d'un cycle de seize ans composé de trois périodes com-


s'agirait
prenant respectivement 3 ans, 5 ans et 8 ans; ces trois périodes se
seraient succédé régulièrement, chacune étant séparée de la sui-
vante par un jour intercalaire (i), et complétée en temps opportun

(1)Remarquons dès à présent que par suite de la diversité des dates extrêmes limitant
chaque période, il peut y avoir une erreur d'un jour dans ce total, erreur provenant par
exenqde du 30' jour dadar ou de ve-adar de l'année précédente.
On oublie tro|), lorsqu'on étudie les calendriers antiques, qu'ils furent construits
(2)
par lAtonnements. En ces temps reculés,' les données précises faisaient défaut ; tout au plus
pouvait-on, à l'aide de durée de l'année solaire.
moyens rudimentaires, apprécier la

l'ourlant, ce fut cette appréciation, d'abord fort imparfaite, (jui servit de base à la plu-
part des calendriers ou se préoccupa de combiner les mouvements de la lune avec ceux du
:

soleil, de chercher quel nombre de révolutions lunaires pouvait coïncider avec tel autre

nombre de révolutions lunaires; et comme d'ordinaire l'on ne pouvait utiliser que des
observations portant sur un espace de temps restreint, on en vint à construire des cycles
rudimentaires, — celui de 3 ans, tout d'abord, puis celui de 5 ans, destiné à corriger et à
rectifier le précédent.
Or tous ou presque tous les cycles servant de base aux anciens calendriers dérivent de
ces deux cycles primordiaux cycle de 8 ans (3 :5), cycle de 1(5 ans (3 + 5 + 3 .%), + +
lycie de 19 ans (3 -i- 5 ^- 3 + 5+3); et les premières théories astronomiques, les pre-
miers calendriers à allures scientifiques ne sont que des systématisations de plus en plus
vastes où l'on cherche, en utilisant des observations toujours plus précises, à Térifier et à
rectifier, au moyen de procédés empiriques, les tables dressées à l'avance.
(3) Ce passage appartient au Livre du changement des luminaires du ciel, dans le-

quel l'auteur apocryphe a compilé, sans toujours bien les comprendre, deux ou trois systèmes
astronomiques différents. Cf. le commentaire de M. 1". Martin, Ae Livre d'Hénoch, 1906.
;'i f'ela |i!irail ressortir du contexte ; il semble que dans l'un des systèmes résumés

par l'auteur, les jours nécessaires pour compléter l'année ou le c\cle d'années, étaient inter-
calés l'un ajirès l'autre à intervalles fixes; ainsi les chapitres i.xxii et lxxiv indiquent for-
iiiellemenl que les quatre jours nécessaires jiour compléter l'annéiî solaire sont intercalés
aux «'(|uino\es et aux solstices.
D autre part, au chap. lxxiv, 10-11, l'auteur compare les périodes lunaire et solaire
MÉLAiXGES. 239

par un, deux ou trois mois erabolismiqucs de 30 jours, toutes les

fois que le besoin s'en faisait sentir.


On aurait :

3 ans -f- ou 2 mois embolismiques de 30 jours;


1 jour -h 1
'2 ou 3 mois embolismiques de 30 jours;
jour 4-
5 ans -j- 1
8 ans -+- 1 jour -+- 3 ou 2 mois embolismiques de 30 jours.
L'année initiale d'un tel cycle pour la période [e] 64-37 av. J.-C. —
la plus régulière dont nous disposions (1) ne peut correspondre —
qu'à l'an 67.
Nous aurions donc, comme point de départ des cycles successifs,
les années... 115, 99, 83, 67, 51, 35, 19 et 3 av. J.-C, 14, 30, 46
et 62 ap. J.-C.
maintenant nous dressons, d'après les principes indiqués précé-
Si
demment, le tableau des néoménies de nisan pour l'époque voisine
de l'ère chrétienne, nous pourrons constater qu'il rend compte de
toutes nos dates de l'an 89 av. J.-C. à l'an 66 ap. J.-C. (2).

de 5 ans; il laisse de côté les 4 jours intercalaires, et ne trouve plus entre les deux périodes
qu'une différence de 30 jours (au lieu de 50), ce qui prouve bien que les totaux indi-
qués Lxxiv, 12-15, ne sont pas nécessairement exclusifs d'autres jours supplémentaires. « En
ces jours, on additionne 5 années, et il y a 30 jours d'excédent pour le soleil et tous les ;

jours que compte une de ces 5 années, quand elles sont complètes, sont 364 jours; (mais
quand elles ne sont pas complètes, les jours que compte une de ces 5 années sont au nombre
de 360). Et vient l'excédent du soleil et des étoiles (qui est de) 6 jours (360 354 6) — = ;

pour 5 années, (ces) 6 arrivent à (faire) 30 jours; (le cours de) la lune est donc inférieur
de 30 jours à (celui) du soleil et des étoiles. »
« Uriel me fit voir les signes, les temps, les années et les jours », est-il dit lxxv, 3. Ne
s'agirait-il pas des entités déterminant « le changement des luminaires du Les jou7's
ciel » '?

sont évidemment les 360 jours de l'année; les signes, d'après lxxii, 13 et 19, correspondent

aux solstices et aux équinoxes, aux 4 jours intercalaires de lxxv, 1 ; les années pourraient

désigner le 365" jour nécessaire pour compléter l'année solaire, ou mieux le jour ([ui marque
le début de chaque nouvelle année; enfin les temps, ainsi qu'il est suggéré par lxxix, 5,

délimiteraient des périodes comprenant plusieurs mois.


Ajoutons que, si l'on rejette 1 hypothèse de jours intercalaires séparant les trois périodes
de 3, 5 et 8 ans, il n'est plus possilde de les distinguer, ni même de trouver un sens au
passage lxxiv, 12-15, puisque le rapport 354 à 364 est identique aux rapports 1.062 à 1.092,
1.770 à 1.820. 2.832 à 2.912. Si l'auteur prend la peine de mentionner ces périodes, c'est
qu'elles étaient nettement système qu'il voulait exposer.
marquées dans le ^

(1) Les autres périodes indiquent plusieurs années comme points de départ possibles.
(2) Une inscription de Cyrénaïque, CIG III, 5361, fait coïncider le 8» jour de la fête
des Tabernacles (22 Paophi de l'an 55 (exo-jç ve saû? xs snl o-ja/ôvov ttiç
tisri) avec le 25

ffXYivoiTTiYÎaç) d'une ère dont le point de départ paraît être la réduction ^du pays en province

(67 av. J.-C.)- En l'an 13, 55" année de cette ère,, le 25 Paophi (= 22 tsri) correspond
au 19 octobre; dés lors le l^' tisri 4 Paophi = =
28 septembre, ce qui s'accorde avec
le tableau que nous proposons. (La néoménie astronomique tombait le 30 septembre 13).
D'après la tradition rabbinique, le 14 nisan n'était pas tombé une seule fois un sabbat
depuis le temps de Schema'ia et d'.\btalion (vers 37) jusqu'au temps de la discussion entre
Tlillel et les Béni Battyra (vers 15) celte donnée se vérifie à l'aide de notre tableau pour
:

les années 34 à 14 av. J.-C.


7

240 REVUE BIBLIQUE.

Tableau des néoménjes de nisan.

115 24 m !)9 27 m 83 30 m 67 2 av 51 5 av 35 9 m
lli ^] m 98 ^6 m 82 Wm 66 22 111 50 25 m 31 28 m
//.•; 31 m 97 3 av «/ 6 av C.5 10 m 49 13 m 33 IC m
112 \'2 m 96 2'é m 80 27 m M 30 m 48 •
2 av 32 5 av
IH 10 m 9o /S ??l 79 tCt m 63 19 m 47 22 m 31 25 m
110 2!» m 94 1 av 78 4 av 62 <S' Hi 46 11 m 30 ti m
io:i 17 m 93 20 m 2:t m 6'i 26 m 29 m 29 1 av
ii av 92 .'/ m 1-2 m 60 l't m 18 m 28 21 m
107 20 m 91 29 m I av 59 4 av 43 5 m 27 Il m
i'> m 90 ^S m 74 21 m 5S 2i m 12 27 m 26 30 m
lor, 2av <sry 5 av ,9 m 1-2 m 5/ 2.-,
18 m
104 22 ni 88 25 m 72 28 m 56 31 m 40 3 av 24 6av
ICS il m 87 y^ m 71 i7 ??l 55 20 m 39 23 m 23 20 m
\0i 30 m 86 i av 70 5 av 54 & î« 38 12 m 22 1", m
toi lis m 21 m 09 24 m 27 m 5' 30 m 21 2av
100 t» av 84 10 m 68 13 m 52 IG m 36 19 m 20 22 m

19 12 m 3 ir, m 14 18 m 30 21 m 4() 24 m (;2 27 m


18 31 m 2 3 av 13 6 av 31 10 m 47 13 m 53 10 m
17 19 m 1 22 m u; 25 m 32 28 ni 'i8 31 m Oi 3 av

16 9 m 1 /2 Wi 17 1') m 33 18 m 49 21 m (55 24 m
15 28 m 2 31 m IS 3 av 34 7 m 50 10 m 6(i y. 3 m
14 17 m 3 20 m 19 23 m 35 26 m SI 29 m 67 1 av
13 4 av i S m 20 11 m .;« y j »i 52 /7 m 6'<S' 20 m
12 24 m 5 27 m 21 30 m 37 2 av 53 5 av (i9 m
11 1 i m 6 y7 m 22 20 m 38 23 m 54 26 m 70 29 m
10 2 av 7 5 av 23 9 m 39 12 m 53 15 m 71 M' m
;/ 21 m S 24 m -'} 27 m 30 m r,G 2 av 5 av
s mm 9 13 m 23 10 m 41 19 m 57 22 111 25 m
7 29 111 10 1 av 26 4 av 42 .V m 58 // m /} m
6 Ifi m 11 21 m 27 24 m 43 27 m 59 30 m 75 2 av
5 av 12 9 m :.'<S' 12 m 4i l'> m r;o 18 m 7<; 21 m
25 m 13 28 m 29 31 m 45 3 av 61 6 av

Années bissextiles H3, i09... m mars =


Années communes Ho. 114... av avril =
1 nisan d'une année contenant un mois embolismique 13 mars,
10 'inavfi...
1 nisan d'une année ordinaire :
24 mars.
31 mars...

Los dalcb se rapportant à J'an 70 et à Tan 135 ne concordent pas


avec notre tableau : songe aux révo-
cela n'a rien d'étonnant si l'on
lutions qui inarquèrent ces deux années. N'est-ce pas en ce temps-là
que l'on intercalait deux mois einholismiques de suite?
Quant aux deux premières dates étudiées dans notre enquête (161
et 129 av. .I.-C), nous avons plusieurs indices, qu'elles se rapportent
à un sy.stème analogue à celui qui vient d'être exposé pour l'époque
MÉLANGES. 241

89 av. J.-C. — 66 ap, J.-G. : mais


ne peuvent en aucune manière
elles

se rattacher au système en vigueur pendant ladite époque. Et c'est


une des raisons qui nous inclinent à penser que le calendrier juif fut
réformé sous Jean Hyrcan ou sous Alexandre Jannée, après Tan 129
et avant l'an 89.
S'il nous fallait préciser, et fixer la date de cette réforme, nous
indiquerions sans hésitation l'an 115 : cette année est en effet Tannée
initiale d'un de nos cycles de 16 ans; — elle offre aux computistes et
aux réformateurs une base solide pour leurs calculs, puisque le
:lï mars, jour de l'équinoxe de printemps, coïncidait aveclanéoménie

astronomique ;

enfin elle tombe à peu près deux cents ans « après
Alexandre », au temps marqué par Al-Birûni (1) comme
c'est-à-dire
étant celui d'un remaniement du calendrier juif (2).
Nous serions donc d'avis que les Juifs contemporains de Notre-
Seigneur, comme la plupart des autres peuples de l'antiquité,
réglaient par le calcul la marche de leurs années et de leurs mois.
« Nombre de savants auteurs pensent qu'ils l'ont fait réellement ;

car, disent-ils, comment les Juifs de la Diaspora pouvaient-ils se


rendre aux pèlerinages annuels, en ignoraient la date à l'avance?
s'ils

Comment observer le^ néoméniés, le jeûne de l'Expiation, le temps


des Azymes, les solennités liturgiques, si tout cela dépendait d'une
décision arbitrale impossible à préjuger (3)? »

(1) Chi'onologie des Peuples Orientaux, éd. Sachau, Londres, 1879, V, p. 68.
(2) Dans un mémoire publié en 1913 [Étude sur loi-ùjine astronomique de la Chro-

.
nolofjie juive, dans les Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscrip-
tions, XII, 2° partie, pp. 59.5-683), M' D. Sidersky a essayé de reconstituer, au moyen des
informations fournies par le Talmud, le calendrier juif des 80 premières années de l'ère

chrétienne. Ce travail apporte des lumières intéressantes sur les origines du calendrier
actuellement en usage, et en particulier sur « l'instant physique qui a servi de point de
départ au comput juif moderne »; il montre aussi quelle influence les Juifs de Babylonie
ont exercée à deux reprises, au temps de Gamaliel I et au m" siècle, sur leurs frères de
Palestine, et comment certains perfectionnements dus à leur initiative pourraient bien
se rattacher aux connaissances astronomiques des Ch;ildéens. Néanmoins les résultats
obtenus ne nous paraissent pas à l'abri de toute critique tout d'abord il. Sidersky a beau
:

vouloir faire abstraction du mécanisme actuel du calendrier juif, il n'en raisonne pas
moins très souvent d'après les données et les usages de ce calendric: en outre, au lieu ;

de partir de dates connues et de chercher à interpréter, ainsi que nous avons essavé de
le faire, les usages qu'elles supposent, il s'appuie pour commencer sur « les
textes
anciens », et vérlGe ensuite une seule date, —
la plus incertaine de toutes, celle qui jus-
tement sert d'objet à notre travail, —
la date de la Passion que, dit-il, « l'Église place
dans Tannée 33 ».
Nous pourrons voir ailleurs ce que dit en réalité la tradition ecclésiastique, et ce qu'il
faut penser de cette affirmation si catégorique.
(3) Le P. Pkat, Recherches de Science religieuse, janvier 1912, La date de la Pas-
sion... p. 94, avec la majorité des savants, est d'un avis contraire. — Il résume leur
REVUE biblique; 1918. — N. s.. T. XV. 16
242 RE\rE BIBLIQUE.

Sans doute, il une organisation « de signaux de feu


existait toute

6ur les sommets des montagnes, pour annoncer les néoménies à


toutes Jes communautés juives de la Palestine et de laDabylonie (1) »;
mais rien ne prouve que la décision du Sanhédrin en vertu de
laquelle on allumait ces signaux, se soit appuyée sur les dépositions
des « témoins » plutôt que sur des calculs.
Il nous semble probable que les assises du Grand Conseil (2)
n'étaient qu'une mke en scène solennelle, destinée à impressionner
la masse du peuple et à lui donner une haute idée de la perspicacité
de ses docteurs. Nous serions disposé à admettre que les anecdotes
du Talmud (3) traduisent tout simplement l'impression de curiosité
inquiète que causait la constatation de divergences entre le calendrier
officiel et la marche réelle de la lune, divergences que les non-initiés

ne comprenaient pas, et éprouvaient le besoin de s'expliquer.


D'ailleurs, en dehors de l'hypothèse d'un calendrier, tixe (4), com-
ment rendre compte des textes cités plus haut, comment interpréter
des textes tels que celui-ci :

Rosch liaschana, âO""-


Samuel (de Babylone) dit « Je peux régler (le calendrier) pour
:

opinion de manière suivante « S'il est un point d'histoire assuré, c'est que les .Juifs,
la :

au I" siècle, n'avaient pas encore de calendrier fixe. Non seulement Pliilon et Josèpiie
n'y font pas la moindre allusion, mais toute la législation de la mischna et de la ghemara
dans l'hypothèse contraire... »
serait inintelligible
On doit observer tout d'abord que Philon ni Josèphe ne prétendent faire oeuvre d'ency-
clopédistes. Josèphe, en particulier, comme l'indique si bien DeRENBOtRC \Essai, p. 90),
est « toujours muet lorsqu'il s'agit de décrire les institutions de son pays
».

Quant au Talmud, il relb-te essentiellement les usages du second et du troisième siècle;

pour les temps antérieurs, il ne nous renseigne que d'une façon très inégale.
A moins de s'en tenir aux conclusions toutes négatives que nous formulions p. 236, et
de renoncer, pour être logique, à toute recherche sur la date de n'importe quelle Pâqne
juive, on est obligé de reconnaître que plusieurs faits, que plusieurs textes demeurent
inexplicables dans l'hypothèse de la non-existence d'un calendrier fixe. C'est donc que,
depuis la captivité, « observations et calculs s'étaient perfectionnés » au point de « per-
mettre aux Juifs de reléguer au second plan la visiiiilité directe du croissant » (SinERSR\.
p. 622). —
Au temps de Notre-SeigneUr, on n'était pas encore parvenu à calculer avec une
grande précision l'instant de la nèoménie. ainsi qu'on put le faire ]>ius tard, mais on
utilisait un cycle empirique dont le secret était jalousement gardé.
!l p. 622. Cf. dans le traité Rosch liaschana de nombreuses indications
SibKi'.sKY,
sur ce système de télégraphie optique, et des précisions géographiques attestant qu'il
était en usage avant la ruine de l'État juif.
'2] Liingueinuiil décrites dans le Talinyd, mais sur lesfiuelles Josèphe et Phiion gardent

un silence coiapict.
(3} Citées jjIus haut, pp. 233 et suiv.

(4) Il s'agi» d'une lixilé relative, puisque l'intorcalalion do ve-adar était subordonnée à
l'observation de 1 équinoxe, ainsi que nous allons le voir.
MÉLANGES. 243

ioute la Diaspora Abba, père de R. Simlaï, demanda à Samuel


». :

( Connaissez- vous ce qui est enseigné dans le Sod-lia'ibbour (conseil

secret de l'iutercalation] si la nouvelle lune a lieu avant midi ou si


:

elle a lieu après midi (quelle différence y a-t-il entre ces deux cas)? »
— Samuel répondit Non. » Abba reprit
: « « Si vous ne savez pas :

cela, il y a d\mires choses que vous ne savez pas non plus. »

Quand K. Zeira arriva (de Palestine à Babylone), il fit dire aux


rabbins :, faut qu'il y ait une nuit et un jour de la nouvelle lune
« Il

(soit 2i h. environ), et c'est là ce que voulait dire Abba on doit :

calculer le maled (conjonction moyenne) ; s'il a lieu avant midi, on sait


que le croissant sera visible après le coucber du soleil; s'il n'a pas eu
lieu avant midi, il est certain qu'il ne «era pas coucher
visible après le
du soleil — Que nous importe? — C'est, dit R. Aschi, pour pouvoir
démentir les témoins ii) . y)

Après cette longue digression, il est temps de revenir à l'objet par-


ticulier de la présente étude.
Notre tableau nous donne pour les années 29 à 35 les indications
suivantes; auxquelles nous joignons, à titre de comparaison, la série
des néoménies astronomiques pour ces mêmes années.
IV

SAINT JÉRÔME RÉVISEUR DU NOUVEAU TESTAMENT

Dans le dernier Revue biblique de 1917, p. 445-447,


numéro de la

le R. P. Lagrange a eu l'occasion de discuter


un argument que j'avais
tiré de la lettre xxvii' de saint Jérôme à Marcella
en vue de prou-
révision de
\er que le saint docteur avait déjà, en 384, exécuté la
la version latine des Épîtres de saint Paul. L'analyse objective de
cette missive où l'ironie coule à pleins bords et où pétillent les
traits

d'esprit (1), montre, à tout le moins, que le R. P. l'a mal interprétée


et laisse à mon argumentation toute sa force.
Tout de suite après sa lettre précédente à Marcella, on a rapporté
à Jérôme que certaines petites grens [quidam homunculi) le détrac-
tdiient avec insistance parce qu'il avait essayé, contre
l'autorité des

anciens et l'opinion de tout le monde, de corriger quelques passages


des Évangiles. Il pourrait les mépriser, car une lyre résonne inu-
tilement pour un âne. Afin de ne pas être taxé d'orgueil, il veut leur
répondre. Il n'a pas été assez sot ni assez empreint de cette rusticité
crasse que ses détracteurs tiennent pour de la sainteté, eux qui se
disent les disciples des pêcheurs, comme s'ils étaient justes parce
qu'ils ne savent rien, pour avoir pensé que quelqu'une des paroles
du Seigneur devait ou n'était pas divinement inspirée.
être corrigée
Il a voulu seulement ramener les manuscrits
latins, dont les fautes

sont évidentes par les variantes de tous, les exemplaires, à l'original


grec dont ils dérivent comme ses adversaires le reconnaissent. Si

l'onde très pure de la source leur déplaît, qu'ils boivent aux ruis-
selets boueux, et que, pour lire les Écritures, ils mettent de côté
le soin diligent qu'ils apportent à connaître avium salivas et con-
carum cjurqites (c'est la leçon de Hilbergi, et qu'en cela ils soient
assez simples pour estimer rustiques les paroles du Christ, sur les-
quelles depuis tant de siècles déjà tant de génies ont versé leurs
sueurs et néanmoins n'ont énoncé que leur opinion sur le sens de

;ij liicroiiymi A>(><«?r/p, értit. Hilborg, dans Corpus scriplonim ecclesiaslicorum lati-
nornm, Vienne, 1010, t. LIV, p. 223-22G.
MÉLANGES.

chaque mot, sans hasarder une affirmation ferme. Jusqu'à présent


saint Jérôme n'a parié que des Évangiles. La dernière phrase de
ce

premier paragraphe n a pas fixé l'atteution du Père Lagrange Apo- :

stolum arguant imperitiae, qui oh multas litteraa insaniae dicatur.V^v


là saint Jérôme amène au moins ses détracteurs à examiner It^s
Epi-

tres de saint Paul il les provoque à attaquer l'Apôtre lui-môme,


;
à

le taxer d'inhabileté en beaucoup de passages, où ils


prétendront
qu'il a dit des sottises. Cette provocation prépare la discussion des
qui seront discutées au paragraphe troisième.
trois leçons
Saint Jérôme n'a pas « commencé à se fâcher » il a parlé libre- ;

ment de ses détracteurs. Cette liberté de parole paraîtra âe nouveau,


rursum, à sa correspondante un seminarium rixarum. Il la voit fron-

cer le sourcil et mettre, si elle pouvait, un doigt sur sa bouche à

lui pour qu'il n'ose pas dire ce que d'autres n'ont pas honte de
faire. Qu'avait-il donc dit pourtant? A-t-il décrit les idoles (obscènes)

gravées sur les plats? A-t-il dans les repas chrétiens mis sous les
yeux des vierges les embrassements des Bacchantes et des Satyres?
A-t-il jamais tenu quelque propos plus amer? A-t-il
manifesté de

la douleur de voir des mendiants devenir riches? A-t-il blâmé les


sépultures héréditaires? Le malheureux! il a dit tout uniment que
les vierges doivent être plus souvent avec les femmes
qu'avec les
hommes. Par là, il a offusqué les yeux de toute la ville de Rome, tous
le montraient du doigt. Et Marcella pense qu'il ne dira
plus rien

désormais! Le Père Lagrange a-t-il dès lors analysé exactement ce


passage, quand il a écrit « Est-il donc si grincheux? Si on lui en
:

a pris la défense des vierges. Ce sont donc là


les
veut, c'est qu'il
tradi-
véritables griefs contre lui, et la critique biblique, ou l'esprit
tionnel, n'est qu'un prétexte » (p. ii6). Les véritables griefs des
pre-

miers détracteurs de saint Jérôme étaient que, loin d'avoir défendu


les vierges, il avait blâmé leurs fréquentations masculines. La
critique

de sa révision des Évangiles était l'unique grief de ses nouveaux


adversaires.
Après cette réponse anticipée aux conseils de prudence de Mar-
cella, Jérôme ne voulant pas ressembler au potier dont
parle Horace
le tour
et qui, ayant commencé à mouler une amphore, n'a façonné,
de roue achevé, qu'une tasse, revient à ses ânes à deux pieds, ceux
qui font de la critique biblique et qu'il avait un instant perdus
de

vue, et résonner à leurs oreilles la trompette plutôt que la


il fait
d'après
cithare. Aux variantes de saint Paul qu'ils doivent soutenir
citées
leurs principes, il oppose celles qu'il préfère. Après les avoir
en ces termes « C'est-a-
(p. ii6), le Père Lagrange les interprète :
246 REVUE BIBLIQUE.

dire, si je comprends bien sa pensée


Leurs variantes à eux con^den-^ :

nent en eifet à des opportunistes, ou cp.u mettent l'ancienneté sush-


(lessus de tout, tenipori servientes:nons préférons la variante de ceux

qui servent le Seigneur, Ils s'attaquent à un prêtre à tout propos;


nous demandons des témoins; d'ailleurs, on a le droit de s'attaquer
publiquement aux pécheurs! Leur langage est fondé sur l'autorité et
lecharme de la parole humain<3; le nôtre sur la foi. Naturellement,
pour donner de l'agrément à la satire, il fallait, supposet des leçons
courantes, et faire sonner le texte grec. »

Une telle interprétation est purement f antaii^iste , Les opportunistes


n'ont rien à voir ici. tl s'agit d'idiots qui mettant lancieiineté au-
dessus de tout, préfèrent la leçan latine : tempori nervientes, qu'ils
lisent dans leurs manuscrits (1), à celle du texte grec- : Domino ser-
vientes, que Jérôme en latin, vraisemlilablement dans
lit, lui aussi,
son édition corrigée des Épitres de saint Paul. Pour la seconde va-
riante des détracteurs du saint docteuff. le R. P. accepte « la leçon
(les manuscrits conservée par Vallarsi )>, tandis que « faute de com-
prendre l'allusion aux adversaires,
» j'ai corrigé avec un manuscrit
'< comme s'il y avaii nullam omnino
simplement cité la leçon ». J'ai

(inilberg ///* adversus preshyterimi accusationem omnino non pn-


:

lenl recipiendam (2). La leçon originale est donc le contrepied de


l'interprétation du P. Lagrange. Saint Jérôme, lui, ne demande pas
de témoins pour recevoir une accusation contre un prêtre il lit encore ;

une leçon qu'il préfère à celle qu'adoptent ses détracteurs, et il ne les


vise pas eux-mêmes, eux qui l'accusent, lui prêtre, à tout propos.
Comment concevoir que leur langage soif fondé « sur le charme de
la parole humaine », alors que le saint docteur leur a reproché .leur
rusticité crasse? A une variante qui leur plait, Jérôme préfère la leçon
grecque, et dans l'erreur, il veut errer avec l'Apôtre qui par-
s'il est
lait grec. Pour donner de l'agrément à la satire, il n'a pas 5m/>;?o.s>'

dfs leçons courantes; il en a eité trois, et s'il fait « sonner k texte


grec », c'est qu'il applique aux Épitres de saint Paul les princi|>es de
f^ritique qu'il avait suivis dans sa révision des Évangiles et qu'il avait
«exposés dans sa lettre au pape Damase.
Win de justifier que saint Jérôme a supposé des leçons courantes.

(1) Celte leçon était admise par la plupart des Pères, dit Vallarsi, ]iar l'Anibrosiaster.
i|iii connaissait le texte grec, qui la discuté et écarté, et par Ruiin, remarque dom Saba-
lier.

(2) Sur linil, manu.scrils dont il s'est servi, Hilberg n en cite qu'un ayant la leron de
Vallarsi et cet éditeur lui-même note que l'unique manuscrit, celui de la reine Christine,
lui a la Ipion de ^ilbl•r^, dit plus vrai que le texte qu'il édite. On voit qui, du P. La-
j;raii;;e on de inni. ;. 1.' miinix compris la leUre de sainl .Jérôme.
MELANGES. 247

le R. P. demande « si humanus sermo a jamais figuré dans un texte


latin pour zia-rc; ». SabatierTa trouvé danslAuibrosiaster, dans Julien
d'Éclane par saint Augustin, dans un sermon et un traité de
cité

l'évèque d'Hippone. qui cite cependant la leçon fidelis dans un autre


sermon (1). Le P. Lagrànge demande encore « si une édition suppri-
mait «isi sub duobus aut tribus ieslibus »? Vallarsi note que ces mots
manquent dans dans saint Jér«jme
saint Cyprien, dansl'Ambrosiaster,
lui-même, dans le pseudo-Primasias et encore dans OEcuménius.
« Dans ce cas, ajoute le R. P., saint Jérôme se garde de citer un texte

biblique. Il cite une maavaLse leçon courante qu'il a suivie une fois
>

lui-même. Si la Vulgate n'a pas ne recepens quon lit dans saint


Cyprien et dans l'Ambrosiaster, mais noli recipere, c'est que saint
Jérôme, dans sa lettre, cite de mémoire et mêle deux leçons diffé-
rentes. Enfin, le saint docteur n'a pas ajouté ici autem, qui manque
dans la Vulgate, « de son cru afin de mettre plus d'opposition entre
deux procédés ». On lit cet adverbe dans l'Amlirosiaster, et l'opposi-
tion n'est pas établie entre deux procédés; elle existe, dans le texte,
entre deux catégories de chrétiens le prêtre contre lequel Timothée
:

ne recevra d'accusation que sur témoig'nag'es et les pécheurs qu'il


reprendra publiquement.
« La plaisanterie sur les chevaux châtrés et le petit âne de Zacharie,

qui donne la clef de tout » (p. 4V0), met en opposition les deux sortes
de critiques bibliques qui sont en conflit. Les détracteurs de Jérôme
sont de gros ânes (des mulets stériles plutôt que des hongres) (2
gaulùh. Les éditeurs Vallarsi et Hilberg citent en note une glose qui
reconnaît dans l'épithète gallicù une indication indirecte de la patrie
des détracteurs de saint Jérôme, qui préfèrent les mauvaises leçons de
l'Italique aux leçons conformes à l'original (3). Le petit âne de Za-
charie, délivré de ses liens et harnaché pour le service du Seigneur,
cet ânon qui, après avoir porté Jésas sur son dos, se mit à chanter
d'accord avec Toracle d'isaïe, xxxii, 20, selon les Septante : Beatus
qui seminat secus omnem aqiiam,Mhi bos et asinus calcant, est Jérôme
lui-même, qui au service du Seigneur et ffui chante qu'il faut
est
faire paître les ânes auprès des bonnes sources.
La conclusion du P. Lagrange « Qu'on cesse donc d'alléguer l'é-
:

(1) Sacrorum Bibliorum versiones antiquae. in-fol., Reims, 1743, t. lll, p. 867.

(2) Vallarsi ludique deux significatioas


les de cnuthevu. Celle de gros ânes répond
mieux, dans le contexte, à l'âmoa prédit par le prophète Zachstiie, et aux autres aniénilés
du même style répandues dans les deux premiers paragraphes de la lettre.
(3) Voir une allusion analogue dans le Commentarius in Jonarn, i\, 6, P. L.. \. XXV,
col. 1147.
248 REVUK BIBLIQUE.

pitre à Marcella pour prouver que Jérôme avait publié une révision
de l'Apôtre en 383 » (p. 447), est fortement battue en brèche, puis-
qu'elle repose sur une fausse interprétation de la lettre. La conclusion
que j'en ai tirée et qui est rappelée (p. 445) resté valable. Les détrac-
teurs de la révision des Évangiles doivent, s'ils sont logiques, accuser
saint Paul d'impéritie et accepter trois leçons de ses Épitres, tirées
de la vieille Vulgate, auxquelles Jérôme oppose les leçons correspon-
dantes, conformes au texte grec. Les leçons latines condamnées ap-
partenaient à une édition réelle. Pourquoi les leçons préférées n'au-
raient-clles pas été tirées, elles aussi, d'une édition réelle, faite par lé
saint docteur? Le P. Lagrange distingue entre « leçons » et « édition )>.

Saint Jérôme, en effet, ne parle pas, dans sa lettre à Marcella, de son


une révision de tout le Nouveau Testa-
édition. Mais puisqu'il a fait
ment, n'est-il pas légitime de conclure que les « leçons-» signalées
figuraient déjà dans l'édition qui est devenue notre Vulgate? Mon
argumejit n'interdit pas « tout choix de variantes et toute correction
à qui n'a pas édité un
le texte ». Je n'ai pas fait « cercle vicieux »;
j'ai opposé seulement un argument ad hominem à Taffirmation de
dom de Bruyne. Si je me compagnie.
suis trompé, j'ai erré en docte
Un connaisseur, auquel j'ai consacré, il y a trente ans, mon premier
travail de critique biblique, dom Sabatier(l), Grûtzmacher (2) et
H. White (3) ont tiré la même conclusion. Cest, d'ailleurs, l'opinion
comnmne.
A supposer que la lettre à Marcella ne prouve pas que saint Jérôme
ait déjà, en 384, révisé le texte latin des Épitres de saint Paul, en
résulterait-ilque le saint docteur n'a pas fait ce travail? Non, Le
P. Lagrange admet que Pelage n'est pas l'auteur de notre Vulgate et
que saint Jérôme a révisé tout le Nouveau Testament (p. V47-448).
Il n'y a donc plus qu'une question de date la révision hicronymienne, :

qui n'était pas encore exécutée en 384, est attestée nettement en 392.
C'est dans l'intervalle de 384 à 392 qu'elle a été faite. Il est
impossible de fixer l'époque précise à laquelle Jérôme aurait accompli
ce travail. Son activité littéraire après 384 est bien connue : il a révisé
les de l'Ancien Testament sur les Septante; il a commenté
livres
quatre Kpîties de saint Paul il a coipmencé à traduire le texte hébreu
;

(1) T. m, j), ni, &"j7, S76.


(2} llierunijinus.
Eine Uiographische Sludie zur alten hirchengesc/iicfile, dans les 5<m-
dien zur Cenchichle der Théologie und der Klrchc de J. N. Honwelsch el U. Seeberg,
Leij.zig, l'iOI, t. VI, p. 77-78.
(3; Art. Vithjdlr. (I.iiv I.' Diclionanj of l/ic Bible de Uaslings, Edimbourg, 1902, t. IV,
p. 874.
MÉLANGES. 249

de la Bible. Le P. Lagrange tient pour vraisemblaljle qu'après avoir


publié la correction des Évangiles en 383, le saint docteur a dès lors
songé à continuer la révision du Nouveau Testament, « et c'est peut-
être ce qu'insinue la lettre à Marcella, de 38'i- » (p. 4i5).
Ici, le R. P. apporte un argument nouveau dans son commentaire
:

de l'Épîtreaux Galates, qui est de 386, saint Jérôme ne commente pas


la Vulgate, qu'il est censé avoir publiée en 38i. Le texte qu'il expli-
que n'est pas cependant celui de l'andienne version latine; il est plus
rapproché de la Vulgate. Le saint docteur ne s'est donc pas tenu très
étroitement à un texte donné; il a fait son texte. Le Père Liigrange en
conclut qu'il n'avait pas encore en main une édition révisée des Epitres
de l'Apôtre. S'il en avait fait une deux ans auparavant, « est-il con-
forme à ce que nous savons de sa psychologie qu'il se soit tu de cette
recension dans son commentaire, et qu'il l'ait traitée avec tant de
désinvolture » (1)? A cet argument d'ordre moral s'en joint un autre.
a Jérôme a commenté sa révision, s'il une. Dans ce cas
en avait fait

son texte .serait nécessairement plus pur de toute contamination avec


l'ancienne latine que tout autre manuscrit de la Vulgate. Or ce n'est
pas le fait. Donc il n'a pas commenté une révision qui fût son œuvre ;

ou cette révision n'est pas encore la Vulgate » (p. 4i2).


Le Père Durand (2) et moi avons supposé qu'en 386 ou 387 saint
Jérôme a repris le travail qu'il avait fait sommairement et à la hâte
en 38i, et qu'il l'a perfectionné dans ses commentaires des Épitres à
Philémon, aux Galates, aux Éphésiens et à Tite. « L'hypothèse ne peut
être exclue a priori, mais parait bien peu vraisemblable quand on lit
les textes. Jérôme a en face de lui non pas son œuvre à lui, mais
Vinterpres latimis auquel il ne ménage pas les reproches. Ce ton déta-
ché vis-à-vis d'un teste qu'il aurait donné au monde chrétien serait
déjà assez étrange, mais il serait plus étrange encore que Jérôme ne
se soit pas expliqué, n'ait jamais dit qu'il avait déjà amélioré un
texte si fâcheux. Dans cette hypothèse, le commentaire serait une
révision autorisée d'une première révision. Si le monde chrétien

croyait posséder dans la première révision l'œuvre de Jérôme, com-


ment se fait -il que les secondes corrections n'aient pas été adoptées
par la Vulgate ? »

(1) Le docteur critique assez acerbement les leçons et les traductions des textes
saint
latins. « Mais dereclief comment se fait-il que jamais il ne se vante d'avoir naguère
rétabli
le commen-
le bon texte, et qu'il semble toujours faire ce travail au moment où il écrit

taire? « (p. 443).


Sainl Jérôme et noire Nouveau Testament latin, dans
(2)
les Recherches de science
relùjiéïise, octobre-décembre 1916, p. 5343.
2r,0 REVUE BIBLIQUE.

D'abord, saint Jérôme n'avait pas donné au monde chrétien son


édition révisée des Épitres de saint Paul. Si on peut parler ainsi de
la révision des Évangiles dédiée au pape saint Damase, il n'en est
pas de même du reste du Nouveau Testament. Publiée après la mort
du souverain pontife, dont saint Jérôme était le secrétaire, cette édi-
tion n'a jamais eu un caractère officiel (elle n'était qu'une œuvre
privée: aussi n'a-t-elle pas de préface), ni à lorigine^j^ une grande
notoriété (en 'i-Oi., saint Augustin ne connaissait encore que la révision
des Evangiles). Saint Jérôme ne jouissait pas partout, de son temps,
d'une autorité incontestée. Sa révision des Evangiles, même patron-
née par le pape, était critiquée. Le monde chrétien a mis deux cents ans
avant d'adopter sa révision du Nouveau Testament et sa nouvelle
traduction de l'Ancien Testament hébreu, et ({uand son œuvre a été
reçue partout, elle était contaminée par l'insertion des leço'ns ancien-
nes qu'il avait corrigées ou éliminées. Ce sont des faiis qu'il ne faut
pas oublier. Quand le saint docteur a commenté quatre Épitres de
saint Paul, il était à Bethléhem. Possédait-il uq exemplaire de sa révi-
sion du Nouveau Testament, exécutée à Rome? La possédùt-il, cette
révision, peu copiée, peu connue, ne pouvait être le texte d'un com-
mentaire destiné à des lectetars qui lisaient l'ancien interpres latinus.
C'e-st l'ancienne version qu'il explique et il est sévère pour elle: il la
corrige et il établit son texte au moment môme où il l'interprète. S'il
ne parle pas de sa révision antérieure, c'est qu'il y attache peu d'im-
portance (1). Son désintéressement à Fégard de ses travaux bibliques
n'est pas une hypothèse imaginée pour les besoins d'une cause déses-
pérée. C'est un fait établi par les attestations du saint docteur lui-
môme. Après 'J87, il avait révisé Job, les Proverbes, le Cantique et

Ea 3S.i, dans sa révision des Evangiles, il avait corrigé d'après le teite grec la qua-
'\)

iriéme demande du Pater, Matth., vi, il, et remplacé le coiidianum de l'ancien texte
par l'adjeclil' barbare supersubslanlialem. décalque d'èmoûaiov. En commentant, en 386,
l'Epilre à Tite, il rencontre, ri, 14, l'adjectif analogue kzo'.o'jciov La comparaison des deux
.

adjectifs grecs lai fournit Toccasion d'une petite dissertation. 11 cite d'abord le texte
ancien : Panem nostrum cotidianum da nobis hodie. Il ajoute aussitôt Mclius : ia
ijraccn liahelwr pauem nostrum ir.ioximov id est, praccipvuni, egrerjium, peculiarem,
, et
il entend ce pain de lEucharistie. Il n'ignore pas que (juelques-uns expliquent l'adjectif
grec (juod super omnes ojctaç si(, hoc est super 07)mes universas subslantias. Quod
:

si ncripdur, non multum ab eo sensu


dllf'ert quod exposuimus. Qni'lquid enim ci/regium
est et prriecipuum, extra omnia est, et super omnia, P.L., t. XXVl. col. 587-58'J. Le
saint docteur ne craint donc pas de corriger sa révision précédente. (|u il ne mentionne
pas. En :J98, il cotomente son texte révisé et la le»;oa supersubslanlialem. De nouveau,
il compare iuwjn-.o-i avec Tïîf^i&jcriov de
la version des Seplanle, et il aboutit encore au
sens prnecipuuin, vcl erirctjimn, ou en un endroit pcculiare. Il conclut loulclois
:
Pos- :

sumus supersubslantialem pnnem et aliter mfelligere. qui super omnes substantias


sil et universas supcret creaturas. Comment, in Ev. Matth., ibid., col. 43.
MÉLANGES. 25i

les Chroniques sur les Septante, comme en font foi les préfaces qui
nous sont parvenues (Ij. Or, du vivant môme de Fauteur, la plus
grande partie de ce travail était déjà perdue (2), et nous ne possé-
dons que le texte du livre de Job. Personne n'a eu la pensée d'in-
sérpr définitivement dans la première ^é^^sion des Épitres, tout
imparfaite qu'elle fût, les corrections nouvelles que Jérôme avait
faites dans ses commentaires des quatre lettres pauliniennes déjà
mentionnés. La Vnlgate de ces Épitres est restée ce qu'elle était
primitivement par respect pour ce premier travail du saint docteur.
Je n'éprouve donc, pour ma part, aucun malaise à constater que '<

le commentaire des Galates » (p. 4i7) n'est pas fait sur la Vulgate.
Griitzmacher constate le même fait (3). J'ai suffisamment étudié les.

commentaires des Épitres à Philémon, aux Éphésiens et à Tite pour


affirmer qu'ils ne sont pas faits non plus sur la Vulgate (i). Je n'en
tire pas les mêmes conclusions que le Père Lagrange. Je n'admets pas

que saint Jérôme a adopté comme base de son commentaire un texte,


rapproché de notre Vulgate, mais qui n'est pas elle, et que s'il s'en est
contenté, « c'est qu'il n'avait pas publié de révision définitive des

Dans le commentaire de l'Épitre aux Galates, iv, 4, il cite l'ancien texte de Luc, xxii,

37 : Et ciim iniquis reputahis est, et il le corrige aussitôt : Nam licet in latinis codi-
cibus propter simplicitatem interpretum maie editum sit et cum iniquis repulatus est,
tamen sciendiim aliitd apiid graecos significare y.vov.o', quod hic scriptum est, aHud
xor/.ov quod in lalinis voluminibus habetur. "Avoixo; enim dicii ille qui sine lege est
et nnllo Jure constringitur. Dans I Cor., ix, 24, saint Paul emploie ce terme el le traduc-
teur latin l'a bien rendu sine lege. Il aurait pu traduire de même saint Luc, nisi eum
:

ambigiiitas fefellisset. Ibid., col. 372-373. Le saint docteur corrige donc l'ancienne ver-
sion, sans faire la moindre allusion à sa propre révision, où il avait adopté un terme
'

analogue : cum injustis.


Enfin, j'ai déjà exposé, p. 15-16 de ma brochure, qu'en 392, dans le livre 1""^
de son traité

Contre Jovinien, Jérôme compare quatre passages de l'ancienne \ersion latine des Epi-
tres de saint Paul avec le texte grec. Or, I Cor., vn, 33, il préfère la leçon de la Vulgate;
mais, I Tim., ii, 9, il condamne la leçon sobrietas des manuscrits latins qu'il a conservée
dans sa révision, et il traduit ffwç^poujvyi par caslitas; il agit de même, Rom., xii, 3; enfin,
I Cor., vu, 35, il traduit la fin du verset, que l'interprète latin avait omise, faute de la
comprendre, autrement que dans sa révision. P.L., t. XXIII, col. 230. Ainsi, à
et il le fait

l'époque oii la Vulgate existait certainement, saint Jérôi.ie ne se vante pas de l'avoir
exécutée; il critique encore l'ancien texte latin, et si, une fois, il lui préfère sa révision, sans
le dire, trois fois il modifie son texte révisé. Il a pu agir de même en 386, sans que sa
manière de faire prouve qu'il n'avait pas encore révisé le texte des Épitres de saint Paul.
(1) P.L., t. XXIX, col. 401-404.

(2) Il ne pouvait la transmettre à saint Augustin : elle lui avait été ravie par un larcin.
Epist.. CXXXIV, ad Augustinum, P.L., t. XXII, col. 1162.
(3) Hieronijmiis, Berlin, l'.K)6, t. 11, dans la mime
collection, t. X, p. 31-32.

Saint Jérôme le dit explicitement à la fin de son explication du verset 16 du chapi-


(4)
tre II de l'Épitre aux Éphésiens Et haec qxiidam juxla Vulgatam interpretaiionem
:

dicta sint. P.L., t. XXVI, col. 474. C'est l'ancienne version qu'il appelle Vulgata inter-

pretatio. Après cela, il cite et explique une autre leçon du même verset.
2S2 REVUE BIBLIQUE.

anciens textes » (p. i43j. J'admets avec le R. P. qu'il révise ces textes,
en composant ses commentaires, mais j'ajoute qu'il les révise pour la
seconde fois et, comme Zahn l'a justement remarqué, qu'il le fait
d'après les commentaires grecs qu'il déclare lui-môme avoir consultés
et suivis. « Les leçons que Jérôme a préférées (dans son commentaire
de rÉf)ître aux Galates) ont toutes leur place dans la Vulgate (ii, 5 ;

m, 1; IV, 7; v, 8). Et on serait tenté de voir dans ce fait une preuve


qu'il est Fauteur de cette révision » {Ibid.). Je cède délibérément à
la tentation à laquelle le P. Lagrange résiste, et je justifie ma faute,

si faute il y a, en constatant que la Vulgate a encore des leçons que

saint Jérôme a préférées dans son commentaire de l'Épitre aux Éplié-


siens, par exemple, i, 14, in redemptionera adquisitionis ; ii, 3, natura

fdii irae^ m, 6, cohaeredes et concorporales ; iv, 29, ad aedificationem


opportunitatis. Cependant, d'autres leçons qui ont eu sa préférence
dans commentaire ne se lisent pas dans la Vulgate i, 10, recapi-
ce- :

lulare omnia in Christo; m, 14, ad Patrem simplement, sans l'addi-


tion Dojnini nostri Jesu Christi; iv, 19, iîidolentes au lieu de despe-
rantes; iv, 21, 22, sicitt et veritas in Jesu du verset 21 est renvoyé à
la suite du verset 22; v, 22, l'addition subditae sint des manuscrits

latins que saint Jérôme supprimait est restée dans la Vulgate; vi, 7,
cum fidelitate (sive benevolentia) au lieu de cùin bona vohintate. Le
commentaire contient donc un plus grand nombre de corrections du
texte latin que la Vulgate c'est une révision perfectionnée (1).
;

De ce que saint Jérôme choisit les leçons qu'il préfère au moment


même où il commente le texte (2), le R. P. conclut « Il n'a donc pas :

sous les yeux une recension qui s'impose à lui pour le texte »

(1) Griitzmacher a remarqué que le commentaire de l'Épître aux Éphésiens, rédigé avec
plus de séclieresse (|ue les précédents, était, d'autre part, plus abondant et plus indé-
pendant qu'eux, et (jue l'auteur a relevé plus fréquemment les variantes du texte grec
liour corriger la version latine. Hieronymus, t. 1, p. 37-44.
'Tj Je trouvela preuve la plus évidente que saint Jérôme établit lui-même le texte de
>on coniinenlaire dans les deux listes des opéra carnis et des fructus spirilus de Gai., v,
vj-'s.s. L'ancienne version latine comptait 18 œuvres de la chair et 10 fruits de l'esprit,
voir Sabatier, l. lU, p. 781, 782. Or, saint Jérôme, se conformant au texte grec, n'énu-
rai-re <|ue
l."i œuvres de la chair. Il en exclut donc 3 des manuscrits latins aduUcrium, :

impndicilifi et homicidia (Sabatier n'a pas ce dernier). Il a hoerexes au lieu de seclne.


L iirdre suivi i^sl aussi celui de l'original. P.L., t. XXVl, col. 418. Jérôme n'énumère non
plus que sept fruits de l'esprit, dont le septième est la foi. Ibid., col. 420. Il omet patien-
tin, modcsiia et caslitas. et pour constituer sa liste, il dit explicitement qu'il a recours
au texte grec, l'osl pacem set/uitur longanimitas, sire patienlia, quia uU-oque modo
possumux inlerpretari; et encore
|i.a/.poO-jiAiav Jicniynilas eliam sive suavilas, quia
:

upud Craecos ypTiaToTr,; utnimque sonat. Or l'édition de NVhite a 16 œuvres de la chair


'elle a gardé homicidia] et 9 fruits de l'esprit (elle a conservé modcsiia et couliiientia).

Le texte du commentaire des Galates est donc plus conforme au texte grec que la Vulgate
de White la Vulgate clémentine est encore plus imjiarfaite, elle énumère 17 œuvres' de
MÉLANGES. 253

(p. 4'i3). Cette conclusion est ensuite précisée en ces termes : « De


ce qui précède nous semble résulter que le commentaire des Gala-
il

tes s'appuie sur une révision de l'ancienne latine qui est, d'une cer-
taine façon, l'œuvre de saint Jérôme, puisqu'il ne s'interdit pas de
retoucher le texte, mais son attitude vis-à-vis de la traduction latine
antérieure exclut l'hypothèse d'une recension publiée par lui anté-
rieurement. De plus, son texte est, par rapport à nos meilleurs manu-
scrits Vulgate, plus rapproché de l'ancienne latine (d-g), de
de la
sorte que la Vulgate, recension plus achevée, doit être postérieure
au commentaire des Galates » (p. 444). Le commentaire de l'Épître
aux Éphésiens donne une impression différente. Il est plus achevé
que notre Vulgate. C'est donc qu'il est une révision de, l'ancienne
version latine. Si saint Jérôme ne commentait pas la révision qu'il
avait déjà faite antérieurement, il n'expliquait pas non plus la vieille
Vulgate purement et simplement. Le R. P. l'a remarqué lui-même :

« Nous croyons, que .Jérôme ne s'est pas tenu très


dit-il (p. 442),

étroitement à un texte donné. C'est même un fait facile à constater


lorsque le même texte, cité deux fois, ne l'est pas de la même façon. »
Pareille constatation peut être faite dans les trois autres commen-
taires des Épitres de saint Paul.
Saint Jérôme n'a donc commenté ni l'ancienne version latine, ni
sa révision antérieure. Il a suivi l'ancien interprète, mais en le cor-
rigeant indépendamment de sa révision qu'il n'avait pas sous les
yeux, tout en appliquant les rfiêmes principes de critique, notamment
le retour au texte grec original. Le résultat a été différent dans
les quatre commentaires qu'il a faits, quoique dans tous son texte
soit plus rapproché de notre Vulgate que de l'ancienne version latine.

Notre Vulgate et le texte de ses commentaires sont des œuvres indé-


pendantes l'une de l'autre, et ces deux œuvres sont, l'une et l'autre,
selon les cas, plus ou moins parfaites. Dès lors, on ne peut en con-
clure que les commentaires ont précédé la Vulgate. Celle-ci a donc
pu, pour les Épitres de saint Paul, être exécutée avant 38G.

E. Mangexot.

la chair, ayant impudicitia en troisième lieu, et 12 fruits de l'esprit, ayant en plus patien-
tia, mansuetudo Jérôme tient au chiffre des quinze œuvres de la chair
et castitas). Saint
auquel il est parvenu par 1 étude du texte grec. Il le mentionne de nouveau, en répétant
sa liste. Comment, in Epist. ad Titum, m, 10, 11, t. XXVI, col. 596. Il n'en avait cité
que 14, il est vrai, dans son commentaire de la lettre aux Éphésiens, vi, 12, col. 546; il a
oublié veneficia. On ne comprendrait guère qu'ayant obtenu ce résultat, il ne le conserve
pas dans sa révision de lltalique, si elle a été postérieure au commentaire. J'en conclus que
cette révision est antérieure et que le commentaire est un perfectionnement de la Vulgate.
LA RÉVISION DE LA YULGATE PAR SAINT JEROME

Ce iiest pas le moment de prolonger des discussions oiseuses;


mais puisque nous prenons sur nous de continuer nos études dans
ces temps, il y a toujours lieu de s'efforcer de serrer la vérité de
plus près.
C'estpourquoi je reviens sur la question de la révision par saint
Jérôme de la version latine des épîtres de saint Paul et sur le sens
de sa lettre à Marcella.
I. Il est donc entendu que saint Jérôme, dans ses cominentaires
IdIcu

des épîtres paulines, s'est comporté comme s'il n'avait pas révisé la
version latine antérieurement. M. Mangenot croit toujours à lexis-
tence antécédente de cette révision peut-être saint Jérôme n'en avait-
;

il pas un exemplaire à Rethléeni. En toiot cas il ne l'a pas commen-

tée.
De cette attitude je concluais qu'elle n'existait pas. D'après M. Man-
genot : 1) « s'il ne parle pas de sa révision antérieure, y c'est qu'il
attache peu d'importance. Son désintéressement à l'égard de ses
travaux bibliques, etc. ». En effet, la lettre à Marcella prouve bien
clairement à quel point il était désintéressé de ses œuvres I. Quant
aux retouches des Septante, on comprend que ces textes perdaient de
leur importance après ses traductions directes de l'hébreu;
2) les divergences entre les leçons que Jérôme préfère et la ré^d-
sion que contient notre Vulgate ne prouvent rien, puisque dans plu-
sieurs cas prononcé contre des traductions qui appartiennent
il s'est
sûrement à sa révision, ainsi à propos des évangiles. Ces cas sont
certainement intéressants. Il en est bien d'autres dans le Commen-
taire sur saint Mattliieu.
l*ar exemple sur v, 25 : Esto coxsi:ntte?;s pr-o €û ^uod nos; habfmiis
in latinis codicibns consentiens, in graecis scriptwn est 3jv:wv qiiod
hilcrprclalur henevolus <iul bexignus.
VH, 1«; : Vcrbum exterminant, fjuo^î m rcclesmsticis scripturis
ritin intcrpj^cliim tritiim est, aîiiirl mitlto sigiiijîcat, quam vulgo in-
UdUghur... i>EMOLJu>juR sewîyW^'r accipere debemus quad graece dici-
MÉLANGES. 255

xiii, 35 in eo loco ubi nos posiiimiis, c/esf-à-dire dans le texte


:

cité f't Vulgata habet editio, donc aussi dans l'édition anciennement
reçue, le nom du prophète manque. Certains manuscrits ont Isaïe,
mais le véritable Jtexte original devait porter Asaph.
XV, 30 In eo loco ubi latinus interpres transtiUit débiles,
:
m
graeco scriptum est y.aXXcJç... nos proprietatem huius verbi non habe-
mus (pour indiquer un manchot).
XVI, 22 : Absit a te Domine : vel ut, melius habetur in graeco...
pROPiTirs SIS TiBi Domine.
On peut voir encore vu, 25; viii, 19; ix, 32; xi, 16; xxi, 18; xxii,
30 pour de petites remarques sur le texte.
Faut-il conclure avec M. Mangenot que dans ces cas (et dans ceux
qu'il a cités) saint Jérôme « ne craint pas de corriger sa révision
précédente »? Il faut distinguer. Il nest pas fâché de montrer que
ces traductions ne rendent pas les nuances, qu'il saisit très bien;
mais aurait-il remplacé par d'autres les termes qu'il prend pour
texte? Sûrement non, car il avait pour principe qu'il ne fallait pas
sans une raison décisive changer l'usage reçu. Il n'en est pas moins
vrai que dans son commentaire sur saint Matthieu c'est évidemment
sa révision qu'il commente, le fait est évident et reconnu de tous.
Sa pratique quand il s'agit des Gaiates es-t complètement différente.
j€ ne puis que renvoyer anx faits groupes dans mon précédent ar-
ticle. Il s'agit, je d'une appréciation assez déhcate, mais
l'avoue,
enfin si .Jérôme avait déjà révisé les épitres paulines quand il a com-
posé ses commentaires, non seulement il n'avait pas cette réN-ision
sous les yeux, comme le reconnaît M.
Mangenot, mais elle était sortie
de sa mémoire. Est-ce plausible? Pour admettre l'existence de la ré-
vision à cette date, il faudrait des preuves décisives. Se trouvent-
elles dans la lettre à Marceila?
II.Les adversaires de saint .lérônie lui reprochaient d'avoir essayé
de changer quelque chose dans les évangiles, aliqua in evangeliis
emendare temptaverim, et ils le trouvaient mauvais à cause de l'au-
torité des anciens etde l'opinion publique dominante, adversus auc-
toritatem veterwn et totius mundi opinionem. Mais ce ne sont point
des rustres; ce sont au contraire des gourmets, qui connaissent très
bien avium salivas concarum gurgites; ils savent donc déguster le
et
gibier et gober les huîtres. Ils estiment que les paroles très simples
du Christ et de saint Paul nont pas besoin de tant dé recherches
érudites. C'est seulement en cela qu'ils sont simples. Puisqu'ils s'arro-
gent de critiquer un travail sur les évangiles, je pense que
le droit
ce sont des prêtres. En tout cas ils devaient trouver mauvais que les
255 REVUE BIBLIQUE.

viere-es fussent absentes des


repas succulents qu'ils recherchaient,
et c'est pourquoi j'ai pensé que saint Jérôme avait reconnu en eux
croit que Jérôme visait successi-
d'anciens détracteurs. M. Mangenot
je ne vois
vement d'anciens détracteurs et de nouveaux adversaires;
pas qu'il l'ait prouvé.
Ce qui me parait tout à fait certain, c'est qu'il ne les prend pas au
sérieux comme des gens qui font de la critique biblique », qu'il ne
(^

met pas en opposition « deux sortes de critiques bibliques ». Il met


en opposition ceux qui ne font rien et qui critiquent, et lui qui
tra-

vaille et fait de bonne critique. Encore est-il que M.


Mangenot recon-
naît à la tin une opposition entre les détracteurs et Jérôme;
mais
comme cette opposition commence par ad extremum, j'ai pensé que
ce dernier trait en supposait d'autres, et que, dès le début, Jérôme
a
choisi des textes,moins pour raisonner avec précision que pour carac-
tériser ses ennemis d'une façon pénible. On peut en donner encore
comme indice l'emploi de la trompette, qui marque une attaque
dirigée contre eux, et l'extrême négligence de la manière dont les
textes sont cités. Dans le premier, il y a une interversion spe gau- :

dentes passe avant tempori (ou Domino) servientes, contrairement au


texte de saint Paul; le second passage nest d'abord que résumé
en
discours indirect; dans le troisième, saint Jérôme qui est censé recou-
rir aux pures sources grecques introduit un aiitem qui n'y figure
pas.

Mais supposons C|ue Jérôme procède dans les règles, llli legant,
noslegamiis. Saint Jérôme lit, dit M. Mangenot en soulignant deux fois
ce verbe, et plus loin saint Jérôme « cite de mémoire ». Il faudrait

pourtant choisir. Admettons encore que saint Jérôme ait lu dans une
révision ou édition qu'il préfère à celle de ses adversaires. Où est la
preuve que cette révision soit la sienne et que ce soit notre Vulgate?
Tous les mots, sauf sub, se trouvent dans des textes de l'ancienne
latine (1), et il est deux termes ne receperis et aiitem qui certaine-
ment ne sont pas de la Vulgate. Aussi est-ce à ce moment que Jérôme
est censé citer de mémoire! Cette fois encore, et quand il défendait
sa révision, selon l'hypothèse de M. Mangenot, il n'en possédait
pas et n'en savait plus le texte 1

(1)Tempori a doroiné chez les latins; cependant Soden le qualifie seulement de ieron
africaine; domino n'était pas inconnu dans l'ancienne latine; sans parler de c (Colberti-
nus) qui est de la Vulgate pour les épîlres paullnes, NVN\. citent d' c f* <e/)/. — Fidelis
est la leçon de l'ancienne latine d'après Sabatier, et même
d'Ambrosiasler dans I ïim.
5, 1; si .\ml.rosiasler a humamis dans I Tim. 1, 15, ce n'est toujours |)as un manuscrit.
— IS'e receperis est ancienne latine, ainsi que nisi duobus uni tribus tcstibus; M.
Man-
Renol n'a toujours pas cité de manuscrit pour l'omission. — De môme pour autem: le
J-'uldensis n a pas sub.
MELANGES. 257

Et voilà toute la preuve qu'en écrivant à Marcella, pour défendre


sa révision des évangiles, il avait aussi révisé les épitres paulines!
Non, diéons simplement qu'en écrivant à Marcella saint Jérôme a em-
prunté à sa mémoire de mauvaises leçons de l'ancienne latine qu'il
a corrigées, juste assez pour donner à ses critiques la leçon dont ils

avaient besoin, et qui n'était pas de critique textuelle ou de tra-


duction.
Je reconnais d'ailleurs que j'ai eu tort de rejeter si nettement la
leçon : Illi adversus presbyterum accusationem omnino non joutent
recipiendam{i). Elle cadre avec l'explication proposée. Les détrac-
teurs de Jérôme, où je vois quelc[ues-uns de ces membres du clergé
romain qu'il n'avait pas ménagés, n'entendaient pas qu'on se permit
jamais une accusation contre un prêtre.
A fm M. Mangenot nous parle de « mulets stériles »
la et d'un âne
qui chante. Je ne connais pas de mulets qui ne soient stériles, ni
d'âne qui chante; coepit Esaiae consonare praeconio signifie natu-
rellement que le rôle de l'âne fut en accord avec l'oracle d'Isaïe,
:

consonare au figuré. Pour que l'accord soit plus complet, Jérôme a mis
le singulier beatus qui seminat au lieu de beati qui seminant, tant il

s'occupe peu de précisions textuelles. Mais ce n'est point une raison


pour dire que Jérôme est cet âne-là. II a seulement dit qu'il le pré-
fère aux chevaux (2) gaulois. Enfin le saint docteur « chante » aussi :

« qu'il faut faire paître les ânes auprès des bonnes sources ». Cette

fois c'est trop de malice. Il oppose seulement la stérilité des critiques


paresseux au travail fécond de celui qui sème son grain près des eaux.

Fr. M.-J. Lagrange.

(1) Encore est-il que sur huit manuscrits, si un seul n'a pas la négation, trois la met-
tent avant j9w<en<, quatre après omnino. En pareil cas, on soupçonne aisément que le mot
absent dan« l'original a été suppléé par conjecture dans deux endroits différents.
(2) « Chevaux simplement, d'après le nouveau Thésaurus. Cependant je crois qu'il y
>>

a une allusion à la stérilité des détracteurs qui ne font rien et i[ui blâment les autres.
Pourquoi gaulois? D'après une ancienne glose, Vallarsi et Hilberg. -'.e M. Mangenot
semble approuver, c'est parce que les détracteurs étaient Gaulois ei préféraient la version

l Cela n'aurait d'apparence que si la traduction venait de la Gaule, car les dé-
italique...
tracteursne sont pas des mulets ou des hongres, ils sont seulement amateurs de ces
animaux. Je croirais simplement que ces mulets étaient des bêtes de luxe, comme nous
dirions « des chevaux anglais )>.

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 17


RECENSIONS

condition juridique économique et


Les Juifs dans l'empire romain,
leur
avocat à la Cour dappel de Pans, t. I,
Jean Jusxkr, docteur en droit,
sociale, par
1914.
de XVIII 510 pp.; t. [I,
de vni-338 pp., Paris, Geuthner,
une mort glo-
Juster venait à peine de
terminer son œuvre (1) qu'il a trouvé
M battant comme suuple solda
rieuse Combattant
pour la France. Naturalisé, et se
tué à Givenchy en novembre t91o. Il
b essé dans l'hiver de 1914-1915. et enfin
U fu
nous ux devions le
à une noble et juste cause,
i^ donc sacrifié volontairement
meilleur homma.e que
but de noîi^ admiration.
Mais nous pensons aussi que le
tr
travailleur diligent et
consciencieux, c'est d'etudjer son
n u puission rendre au
clairement nos réserves. Une Iranche
Uv e avecTe n qu'il mérite, et d'indiquer
ce qu'il souhaitait le
plus pour ses idées et ses appre-
dLcnssion Lit assurément
' ouvrage, comprenant une introduction
ulTeux volumes ne forment qu'un seul

partie la plus utile de tout


^^^ttcVo^efconsidérable, et ce sera peut-être la
jur.d.ques.
sources, littéraires, monumentales et
le trvaU Elle informe sur les
rabbiniques sont énumérées.
mais brièvement. L auteu
NatriTem^t les
Natuiellement es so
sou^^
^^^^.^ ^^ ^^.^^^ ^^^^^,^ ^^, g^,jej

r?r 7J^ d'à 1 eu en historien la valeur des renseignements


ne Pe-ent
historiques
',ue corrob^^^^^^^^^^^^
r^^rrl^tlld :: des Midrachim. ils

énumérer les sources chrétiennes de la


'^T'" 1 M iM.ter s'est annliqué à

t^ ^.Zn^^ "JZ
-^ e <,ue ceue »tteo.ion donnéej, ..
attribue plus d'importance qu aux
^;^^:^^:Z
textes littéraires, i.ai

usai..,,. ;L ..s ouvrages de Po'^'-'n'-.

mation qu'il tenait de la catéchèse et


delà prieie en commu
--^^'yi;
^,. ._„„:,

^^^Vtl „f
judaïsme, de même que le J"^^' "^^ -;;'
càtécl^^ S ,,
i^ foi-.

devait p/endre position contre le ^^^^ .

christianisme par les malédictions de «« P' '^'


d'entraver le progrès du
diennes. « Et quoique {sic) l'on pense
de cette terrible arme de
combat emplojce
^^ ^^^^^ -
annoncé par l'auteur, et
Tables des textes et des matières,
,V 1 n-v manque qu'un volume de
qu'un aiii'i pourra sans doute donner au public
RECENSIONS. 2S9

par les chrétiens contre les Juifs, elle le fut contre ses inventeurs » (1). Il faut savoir
bon gré à M. Juster d'avoir ainsi reconnu que les Juifs ont commencé, quoique, à
vrai dire, il se contente de renvoyer à Scliiirer pour les imprécations contre les
chrétiens (2). Il a donc senti toute l'importance de la polémique antichrétienne,
dont on se douterait peu en parcourant
sources purement juives. Relevons ces
si les
formules parfaitement justes, propres à dissiper bien des préjugés. » L'unité
de la
polémique juive montre qu'elle a été savamment élaborée et répandue »
(3). Et en
etl'et, sous les empereurs païens, les Juifs n'avaient
rien à craindre. La polémique
juive répondait même à leurs désirs et « nous révèle l'étroite union qui
existait dans
le domaine politique, entre Juifs et païens —
leur accord en théorie et en fait sur
ce terrain » (4). Lorsque le christianisme fut devenu religion de
l'Empire, la polé-
mique continua chez les Perses, et devint même peut-être plus ardente
Aphraate :

« nous apprend, sans détour, le danger que le judaïsme faisait


courir aux enseigne-
ments et à l'existence même du christianisme, la persévérance qu'il
mettait à con-
trecarrer la mise en pratique de ces enseignements »
(5). La franchise de M. Juster
est d'autant plus louable que l'ardeur de la polémique
antichrétienne explique la
verdeur, disons même
dureté de certaines répliques. Et si les Juifs persans
la
n'a-
vaient rien à craindre des chrétiens, on ne voit pas que ceux
d'Autioche fussent bien
gênés dans leur franc-parler. « Si tu leur demandes, disait s.
Jean Chrysostome,
pourquoi ils ont crucifié
le Christ? Ils disent comme imposteur et charlatan » (6)!
:

Assez longtemps on a peint les Juifs comme des brebis bêlantes,


conduites à l'abat-
toir. Les mauvais traitements du moyen âge leur ont
souvent infligé cette empreinte
de passivité extérieure. Il resterait à savoir si elle ne voilait
pas une énergie très
active. Quoi qu'il en soit, les Juifs sous l'Empire romain
montrent l'ardeur, la com-
bativité, l'élan d'un peuple intelligent, patient, mais intrépide
à l'occasion, et qui,
en dépit de tous ses échecs, ne renonçait pas à l'empire du monde.
Il y a seulement
une notable exagération dans l'appréciation dii succès de cette
controverse et de
cette lutte. Entrevoyant par delà les limites de son étude la
naissance de l'islamisme,
M. Juster Prenant une autre forme, se modifiant encore une fois,
écrivait : «

judaïsme deviendra en dehors de l'Empire, l'islamisme, comme il était
devenu, à
l'intérieur, le christianisme. Il aurait englouti ses rejetons s'ils
n'avaient pas pris des
mesures à temps » ^7). le christianisme, ni M l'islamisme, ne sont même proprement
des rejetons du judaïsme. Mahomet, après quelques mesures très
favorables aux
Juifs, orienta décidément sa religion dans un autre sens, et le
judaïsme ne put jamais
combattre à armes égales. Mais durant plus de deux siècles et demi,
le judaïsme
s'associa à la répression du christianisme par l'autorité impériale.
C'était le moment
d'engloutir son prétendu rejeton. Et ce fut le rejeton qui l'emporta.
Certes le
judaïsme fut, même alors, un redoutable adversaire; on ne voit pas
qu'il puisse
cesser de l'être. Mais c'était surtout par son antique ascendant qu'il était
dangereux,
par le respect qu'on témoignait dans l'Église à la religion des Patriarches.
Les chré-
tiens, même
depuis l'épître aux Galates, n'avaient pas cessé d'être séduits
par cer-
taines rêveries juives, comme le millénarisme, qui semblait s'appuyer à
la fois sur

(1) T. I, p. 337.
(2) On peut voir dans Le Messianisme chez les Juifs, p. 330, le texte de la prière Chemone-
'Esrê.
(3j T. I, p. (il, note i.
(4) T. I, p. 35.
(5) T. I, p. 01, note 1.
(6) cité t. I, p. G-2, de Pair, grecque, LY, MO.
7 T. I, p. 2t)0.
260 REVUE BIBLIQUE.

les prophéties de l'Ancien Testament et sur l'Apocalypse; ils s'inoposaient volontiers

certaines pratiques judaïsantes. Tous n'avaient pas compris combien la religion nou-
velle différait de l'ancienne, par l'élément spirituel, parle don de l'Esprit. Et c'est aussi

ce que M. Juster a peine à entendre. Quand M»' Ducliesne dit que l'Église « accepta

en bloc tout le service un ou deux éléments


religieux des synagogues, mais y ajouta
nouveaux » dont la Cène, notre auteur ne reconnaît pas dans la Cène un élément
nouveau, parce que l'agape était dans tous les cultes (1)... Mais quelle agape que
celle où les fidèles se nourrissaient du Corps du Christ! L'Eglise avait conscience de
posséder une vie divine qui, selon elle, avait manqué au judaïsme. Elle luttait contre
des emprimts ou des survivances qui auraient affaibli cette notion de l'Esprit. Et
cependant elle ne voulait pas rompre avec la tradition ni avec les Ecritures anciennes.
On n'est pas autorisé à dire qu'elle voulut, à un moment donné, renoncer à la fête
de Pâque (2}, pour ne pas se rencontrer avec les Juifs ; la fête était entièrement nou-
velle. Et elle soutint toujours le caractère inspiré de toute l'Ecriture.
Aussi j'avoue ne pas saisir la pensée de M. Juster sur le manichéisme. Il se de-
mande si cette secte, née et développée dans des centres juifs, la plus implacable à
montrer les contradictions entre l'Ancien Testament et le Nouveau, n'aurait pas
trouvé frayée par les Juifs (3)?
la voie —
Je ne le crois pas, et la raison en est
simple. Le manichéisme, du moins celui de l'Empire, celui qu'a combattu s. Augus-

tin, ne met les deux Testaments en contradiction que pour condamner l'Ancien.

C'était exactement le contraire du but poursuivi par la polémique juive.


Avec la même sérénité historique, M. Juster dresse le bilan de la polémique chré-
tienne, qui nous est beaucoup mieux connue. 11 a énuméré avec beaucoup de sang-
froid toutes les accusations des Pères qui n'étaient pas tendres pour le peuple déi-
cide. Il serait peu loyal d'abuser de cette érudition, et ce serait vraiment trop facile.

Les honnêtes gens et les gens d'esprit se mettraient du côté de M. Juster. Cette sin-

gulière litanie n'en est pas moins piquante. L'animosité des trois religions opérait

des rapprochements inattendus. Les Juifs faisaient cause commune avec les païens,

et les polémistes chrétiens puisaient largement tantôt dans l'argumentation mono-


théiste des Juifs, tantôt dans le répertoire des injures prodiguées à un peuple détesté.
Les moins bien informés sont incontestablement les écrivains profanes qui ne se sont
nullement souciés ni de prononcer un jugement équitable sur la religion juive, ni de
distinguer les Juifs des chrétiens. Ce dédain transcendant doit dissimuler le souci
de fortifier les anciennes religions contre les deux religions monothéistes.
Avec l'examen des sources juridiques, IM. Juster est déjà au cœur de son sujet.
Au premier rang, pour le nombre et l'importance, sont les Actes officiels rapportés
par Josèphe. On aurait souhaité que l'auteur les soumît à une critique plus péné-
trante, car il se demande seulement où l'hislorien juif a puisé, et se contente de
répondre que le problème est insoluble.
Sauf une restriction assez vague sur la tendance apologétique de Josèphe, ses
documents figurent dans la discussion comme des actes de tout repos. M. Juster
n'est pas aussi indulgent pour le premier livre des Macchabées. Il lui fait dire que
l'original du traité entre les Romains et Judas Macchabi'e aurait été envoyé « à
Rome », et il s'étonne de cette « bévue » (4). Pourtant le texte ne dit pas « à
Rome», mais « à Jérusalem » (I .Macch. vin, 22).

(1) T. I, p. 317.
(â) r. I, I). .S08, citant Vliron. Pasc. ad an. «540, éd. lloiui, l,
i).
4-2i ss.
(3) T. I, p. i'Xi.
{*) T. I, p. 130.
RECENSIONS. 261

C'est à la fin de son Introduction que M. Juster a essayé une évaluation de l'im-
portance numérique des Juifs. C'était une nouvelle occasion de contrôler Josèphe.
Au lieu de cela, ses chiffres sont pris comme une base assurée. Et alors nous voyons
défiler les 3.000.000 de Juifs présents à .lérusalem pour la Pâque, les 1.100.000 tués
lors du siège de Jérusalem. Enfin Josèphe nous dit (Vita 4.3) que la Galilée à elle
seule avait 204 villes dont les moindres avaient 15.000 habitants. Cela ferait au
bas mot 3.060.000, et en réalité beaucoup plus, car il faudrait compter avec les
villages et avec les grandes villes. Avec ces prémisses, l'auteur est modeste en ad-
mettant .5.000.000 d'habitants pour toute la Palestine au sens large, et encore plus en
ne cotant les Juifs de tout l'Empire qu'à six ou sept millions. D'autre part, si l'on
tient compte des données actuelles les plus précises, on estimera que M. Harnack
est au-dessous de la vérité en mettant 700.000 Juifs dans un pays qui nourrit aujour-
d'hui à peu près ce nombre d'habitants. Il était alors plus prospère, et l'on peut
compter le temps de Jésus-Christ, sans parler de la population
double pour le
païenne dans certaines villes. Et il nous paraît incontestable, d'après les textes
connus de Strabon et de Josèphe, qu'il y avait beaucoup plus de Juifs dans la Dias-
pora qu'en Palestine, si bien que leur nombre total pouvait être d'environ quatre
ou cinq millions avant guerre de 70. Ce nombre alla plutôt en diminuant, du
la

moins en Palestine. M. Juster nous dit qu'à la fin du iv" siècle les Juifs avaient en
Palestine « leurs villes dont ils formaient toute ou la majorité de la popula-
tion » (1).

Ces villes étaient peu nombreuses et pour s'y grouper ils ont dû évacuer le reste

du pays, car la Palestine devenait rapidement chrétienne. Les ruines d'églises s'y

retrouvent partout, contre de très rares synagogues. Les Pères continuent à parler
de l'obstination des Juifs, mais ils mettent aussi en garde contre des conversions
peu sincères. Elles furent sans doute assez nombreuses au \^ siècle (2). Peut-être
aussi les Juifs émigrèrent-ils en Perse. Cependant, au temps de Justinien, ils étaient
encore assez nombreux pour se révolter en s'unîssant aux Samaritains. Il en resta
toujours, surtout en Galilée; et au xiii'^ siècle. Benjamin de Tudèle put raconter sa
visite aux juiveries. Cependant les colonies actuelles de Jérusalem ne datent guère

que de du xiv* siècle. Nous notons ces faits qui ne sont pas sans portée à
la fin
l'heure où nous sommes. Jamais les Juifs ne furent chassés de Palestine, jamais
l'hébreu ne leur fut interdit.
Parmi Diaspora, M. Juster range ceux qu'on trouve en Mésopo-
les Juifs de la
tamie, Médie, Babylonie à l'époque romaine et qui seraient les descendants des
« dix tribus juivestransportées par les Assyriens et les Chaldéens. Les dix tri-
»

bus du royaume du Nord n'étaient pas juives, et il y a là plus qu'une querelle de


mots. Ces dix tribus étaient fort éloignées de la fidélité au Dieu d'Israël et de la
pratique de son culte. M. Juster aurait pu citer le cas de Tobie. Mais ce ne fut
pas le fait documents des Juifs d'Eléphantine, qui ont
d'un grand nombre, et les

cependant quitté la Palestine plus tard, jettent une ombre sur leur religion à l'étran-
ger. L'auteur nous dit que les Juifs déportés firent pénitence, qu'ils restèrent en

(i) I, p. 362, note 1.


T.
Texte nouvellement découvert de saint Jérôme Judaeum enim facile jjotes adducere ad
(2) :

paenitentiam de plèbe, de sacerdotibus vero et doctoribus non potes (Anecd. Mareds. 3, 2363).
Désormais on exigeait des Juils des preuves de leur sincérité. Au début de l'Église elles étaient
supposées plus facilement, et l'instruction des catéchumènes beaucoup plus rapide. Mais lors-
que M. Juster note Les Juifs passés au christianisme n'auraient même pas été baptisés,
: ••

d'après Kremer, Tlieologische Z. 186!», p. 25 et 26 (inaccessible), cité par J. H. Scholten, Die Tauf-
fonnel, p. 33, note 1, 1885, Gotha " {op. l., p. lo8, note 2 on se demande sur quel malentendu
,

peut reposer une opinion aussi invraisemblable.


262 REVUE BIBLIQUE.

relations avec les tribus retournées en Palestine, que celles-ci purent facilement

leur imposer, « petit à petit, le nouveau code péniblement élaboré par les

scribes » (1). Tout cela n'est guère cohérent. Si Ton admet le système de ^yellhau-
sen — comme M. Juster le fait ici, — il n'y a qu'une solution logique, o'est de

faire commencer le judaïsme Loin que la Palestine ait alors « façonné ces
à Esdras.

Juifs diasporaux et cela chez eux », c'est à Babylone que les Judéens se conver-
tirent, et un noyau d'exilés revenus à Jérusalem commença vraiment l'histoire du

peuple juif. Ceux qui se trouvèrent plus tard en Babylonie et en Mésopotamie pou-
vaient appartenir à la déportation de Nabuchodonosor. Artaxerxès Ochus en trans-
planta d'autres en Médie. donc assez vain d'escompter, d'après cet exemple,
Il serait
une infusion de vie religieuse venue de Palestine et vivifiant la Diaspora chez elle.
Enfin une dernière catégorie, très récemment connue, c'est celle des Juifs émi-
grés à Damas que nous avions proposé de nommer « la ISouvelle Alliance » (2).

M. Juster accepte cette dénomination, mais refuse pour l'émigration le temps d'Ha-
drien. Il place cet exode « après une catastrophe nationale qui ne saurjit être
antérieure au commencement du second siècle, ni 'postérieure à la fin du premier
siècle avant Jésus-Christ )>
(3). J'ai souligné antérieure et postérieure, parce que, si

tout ne me trompe, ces mots devraient être intervertis. La catastrophe m'avait paru
être la révolte de Barkokébas. Mais je reconnais que M. Juster a doilné des raisons
très plausibles pour la guerre de Varus, en l'an 4 av. J.-C. Judas le Galiléen serait ;

l'homme de mensonge, Varus ou Auguste chef des rois grecs. Le nombre de le

390 ans depuis la captivité de Babylone ne coïncide pour aucun comput raisonuable;
il faudrait le changer en 590, ce qui tomberait presque juste. Mais c'est à peine un
avantage quand on tient compte des erreurs chronologiques du temps. Et je ne puis
admettre que l'auteur des statuts dise « aux fils de la Nouvelle Alliance qu'il ne
suffit pas d'entrer dans le Temple, mais qu'il faut encore observer les autres pres-
criptions des « statuts ». Ce ne peut être le sens de la page 6, ligne 11 ss., puisque
de Jérusalem. La question demeure donc au moins douteuse.
la secte s'est éloignée
Nous nous sommes arrêté longtemps sur cette longue introduction pour eu sou-
ligner l'importance. Les notes y occupent une place beaucoup plus considérable que
le texte ; c'était inévitable si les indications bibliographiques y étaient rejetées. C'est
d'ailleurs la physionomie de tout l'ouvrage, et vraiment il n'y a pas à s'en plaindre,
car c'était donner droit de cité à des textesnombreux, bien choisis et quelques-uns
assez rares. De plus M. Juster renvoie très exactement aux passages de son propre
ouvrage, précaution indispensable dans des matières qui se croisent fréquemment.
Cependant sectionnement a quelque chose d'excessif. L'auteur a tenu à mettre
le

en vedette tous les titres importants. D'où un très grand nombre de chapitres. Mais
si le chapitre ii a plus de cent pages, tels chapitres n'en ont pas même une, comme

Chapitre \Mi,
Tribus»; Chapitre xx,
« Droit de vote ». On se demande si cette
>

disproportion est justifiée. Les grandes rubriques sont Le culte juif; L'organisation :

centrale des Juifs; L'organisation locale; ht status civitatis; Le statut personnel.


Il semble que le mariage rentrerait aiséoient dans le statut personnel, et l'on con-

çoit mal un autre chapitre distinct sur le divorce. La .Juridiction, civile ou pénale,
est encore un grand chapitre, et l'œuvre se termine par l'énumération des charges
publiques et une appréciation de la situation économique, dans laquelle, pour le
dire en passant, les aptitudes et les goûts agricoles des Juifs pourraient bien avoir

(1) T. I, |.. t'jo. note 4.

(3) T. I, |). 'J7.


RECENSIONS. 263

^té exagérés. Sur tous ces points y a lieu de distinguer il la législation romaine avant
et après Constantin, en Palestine et dans la Diaspora.
Nous ne pouvons suivreM. Juster dans l'examen de tant de questions délicates
et disputées. Il est certainement dans le vrai quand il insiste sur le double carac-
tère indivisible du judaïsme, religion et nationalité. Sous les empereurs païens, les
Juifs eurent des privilèges pour leur culte parce qu'ils étaieut une nation. Même
après la ruine du Temple on ne cessa pas de les traiter comme un peuple distinct.
D'après Mommsen, ils ne pouvaient plus être classés officiellement que parmi les
déditices. ,Quoi qu'il en soit de la qualification du droit public, ils continuèrent à
former des communautés, à jouir d'une juridiction propre, à pratiquer leur culte.
là des privilèges. M. Juster le concède et tient beaucoup à dire en
Et c'étaient bien
même temps que ces privilèges étaient conformes au droit public. Alors ce n'est
plus guère qu'une question de mots. Il y avait assurément dérogation au droit
commun, mais cette dérogation, émanant de la toute-puissance impériale, créait un
droit nouveau.
Sous les empereurs chrétiens, les Juifs avaient gardé intact leur caractère eth-
nique. Mais il ne semble pas que les constitutions impériales les aient classés d'après
cette conception. Quand le code Théodosien les qualifie ludaeae legis homines (1),

il insiste plutôt sur le lien religieux de la loi mosaïque qui les retient dans une
même catégorie. Seulement on leur interdit le prosélytisme, selon les anciennes
dispositions, surtout depuis Hadrien, parce qu'on ne veut pas qu'ils empiètent sur
le christianisme. Désormais, il est vrai, les Juifs ne sont plus privilégiés, ou ils ne
le sontque relativement dans la classe non orthodoxes. L'auteur a
inférieure des
voulu préciser très exactement la double tendance des empereurs chrétiens, ménager
le culte juif, respectable par ses origines, toujours utile à la démonstration chré-
tienne, et eu même temps tenir les Juifs en bride, et même les humilier. Son im-
partialité ne saurait être contestée. Peut-être cependant n'a-t-il pas assez pris soin
d'expliquer les dispositions restrictives par l'attitude des Juifs. Après ce qu'il nous a
ditde l'ardeur de leur polémique, de leur penchant pour les agitations politiques,
on pourrait soupçonner que plus d'une fois ils ont offert au législateur plus que des
prétextes. Comment
par exemple les autorisera avoir des esclaves chrétiens, si l'on
voulait pratiquement empêcher les maîtres de circoncire leurs esclaves? Et, puisque
la polygamie leur était tolérée, ne fallait-il pas prendre des précautions eu faveur
des chrétiennes esclaves? Le seul Iléraclius, dit M. Juster, voulut forcer tous les
Juifs au baptême (2). Mesure insensée, si elle fut vraiment prise, mais la conduite
des Juifs qui livrèrent Jérusalem aux bandes de Chosroès et participèrent allègre-
ment au massacre ne fut-elle pas peut-être, alléguée comme raison?
De cette trahison, M. Juster donne une singulière excuse : une ville qui
« c'était

leur appartenait historiquement, ils livrèrent, au roi perse, Jérusalem, où ils étaient
persécutés par les chrétiens » (3). Tant il est difficile de concilier l'idée d'une patrie
avec l'appartenance à une race qui place au-dessus de tout ses intérêts! M. Juster
n'a pas raisonné de la sorte quand il s'est fait tuer pour la FrfiDce. La prise de

Jérusalem par Titus en 70 autorisait-elle une atroce vengeance en l'an 614? Quant
aux persécutions, l'auteur n'en donne aucune preuve; l'épithète serait excessive pour

(1^ C. Th. 1-2, 1, m (383), texte cité pour prouver que « le judaïsme s'est encore une fois im-
posé avec son caractère ethnique », op. 1. 1, p. 2o0, note 1.

(2) T. I, p. 2.j1.
(3) T. II, p. 213.
264 REVUE BIBLIQUE.

qualifier la législation impériale. Je voudrais m'arrêter davantage sur le droit de vie

et de mort à cause du procès de N.-S. Jésus-Christ.


M. Juster, si confiant dans l'autorité de Josèplie. se range parmi les ultra-radicaux
quand il s'agit du Nouveau Testament, Rien n'est authentique, pas même les Lettres
de saint Paul « dont seulement quatre sont considérées comme authentiques », et en
note « Encore cette authenticité est-elle contestable » (1). Le reproche principal
:

assez imprévu —
est celui « d'adresse littéraire » des écrivains. « Pour reconstituer

un passé qu'ils ignorent, ils calquent beaucoup de leurs récits, plus ou moins
inventés, sur ceux, historiques, des écrivains juifs, et autres » (2). Quand on va aux
notes, on voit comme preuves les prétendus emprunts faits à Josèphe par l'auteur
des Actes, qui se serait aussi documenté sur les procès auprès de quelque homme de
loi. Après cela il est surprenant que les évangélistes aient tous présenté de la façon
la plus fausse la situation juridique des Juifs quant au droit de vie et de mort. La
thèse de M. Juster, c'est que le Sanhédrin le possédait encore, et que par consé-
quent Jésus ne peut avoir été crucifié par Ponce Pilate. Comment prouver une thèse
si contraire à l'évidence historique ? Retenons d'abord que l'auteur ne prétend pas
s'appuyer sur des textes romains. Non, il se place bien sur notre terrain. « Toute

question d'historicité réservée, retenons que la simple analyse littéraire (3) des
récits évangéliques commande la solution qu'il n'y a eu qu'un seul procès Jésus, et

que ce procès n'eut lieu que devant une seule autorité » (4). Nous serions curieux de
connaître les bases de cette analyse littéraire autrement que par un renvoi à
M. Goguel et à M. Loisy. Mais si nous acceptions le dilemme, il faudrait opter pour
le procès devant le procurateur, la crucifixion de Jésus étant aussi certaine
que son existence, et alors la thèse juridique tombe. Et sommes-nous réduits à
n'admettre qu'un tribunal? D'après Mommsen, Schiirer et tant d'autres, la sentence
n'était pas exécutable sans la confirmation du procurateur. M. Juster n'ose pas soute-
nir absolument le contraire. Il fallait donc saisir deux tribunaux. Mais, objecte-t-il,

ilne pouvait y avoir deux états judiciaires différents O.i le crime était religieux, le :

Sanhédrin seul compétent, l'exécution (permise si l'on veut par Pilate) selon les
formalités juives de la lapidation; ou bien le crime était politique, crime de sédition
dont seul procurateur devait connaître. Or les évangélistes rapportent deux procès,
le

sans pouvoir les relier logiquement, car cela était impossible. Que voilà bien l'his- —
toire mise au défi par une prétendue logique! Les évangélistes racontent ce qui s'est
passé, et la solution est bien simple.
Ceux qui voulaient faire périr Jésus, Pharisiens et Sadducéens réunis par la haine,
ne pouvaient intenter qu'un procès religieux, ont fait. Leur condam-
et c'est ce qu'ils

nation devait être confirmée, mais elle n'avait chance de l'être que si le procès
religieux intenté à un innocent revêtait des apparences de danger pour le pouvoir de
Rome. Voilà pourquoi le messianisme qu'ils reprochent à Jésus prend couleur de
sédition devant le procurateur. Quand celui-ci se décide à agir, la cause a pris une
telle tournure qu'elle relève de lui; il l'évoque à son tribunal. Il n'y a qu'un grief,
celui de messianisme, blasphème aux yeux du Sanhédrin, agitation révolutionnaire
devant Pilate. Le procès évolue en changeant de juridiction et l'exécution est natu-
rellement commandée par le dernier tribunal.
Quant à la thèse juridique de M. Juster, traitée avec une passion qui ne lui est pas

(1)T. I, p. 41.
(2) Eod. loc.
(:J) l.cs mois que nous soulignons ont des caractères espacés dans le texte.
(i) T. Il, p. l.lli.
RECENSIONS. 265

ordinaire, elle ne peut se soutenir sans faire violence aux textes. On doit s'attendre
à des cas exceptionnels, dans une situation de transition. Même au temps d'Origène
le patriarche des Juifs se permettait des exécutions capitales sans prendre soin de se
cacher entièrement (1). A. plus forte raison les débuts du gouvernement romain
comportaient des exécutions plus ou moins régulières. Ainsi celle de saint Etienne
d'après les Actes (Act. 8). Ces faits dérogent au droit, sans atteindre le principe.
Or le principe que le droit de vie et de mort était réservé à Rome repose sur l'ac-
cord des textes évangéliques, des textes talmudiques et de Josèphe. Dans les textes
talmudiques, comme dans le Nouveau Testament, le principe est posé ; des déroga-
tions exceptionnelles — à supposer qu'elles soient datées — ne sauraient ! lui enlever
son caractère. Quant à Josèphe (2), voici comment il est traité. Passage authen-
tique : « César, à la nouvelle de la mort de Festus, envoya Albinus en Judée comme
gouverneur... Ananos le jeune que nous avons dit avoir reçu le souverain pontificat,
était d'un caractère audacieux et absolument entreprenant; il appartenait à la secte
des Sadducéens, dans ses jugements la plus cruelle de toutes parmi les Juifs, ainsi
que nous l'avons déjà montré ». Avec la seconde partie commence l'iuterpolation :

« Ananos, avec ces dispositions, vit dans la mort de Festus une occasion favorable;

tandis qu'Albinus était encore en route, il réunit une assemblée de juges [/.aôtrï-.
TJvÉôptov y.piTwv], fit comparaître devant eux le frère de Jésus dit le Christ, appelé

Jacques, avec quelques autres, accusés comme lui de transgresser la loi, et les con-
damna à être lapidés ». —
Je veux bien que cette phrase soit interpolée, et qu'on y
ait ajouté la mais qu'importe pour notre question? Voici la trou-
mention de Jésus :

vaille Précédemment Josèphe disait que c'étaient les pharisiens qui empêchaient les
:

sadducéens d'être sévères, et non les procurateurs Mais si Josèphe ne voulait pas ! —
dire qu' Ananos a profité de l'interrègne, pourquoi faire mention de cette circons-
tance et du caractère audacieux d'Ananos ? Évidemment c'était pour raconter quel-
que chose d'illégal. Voici enfin ce qui fait sortir l'auteur de ses gonds « Les esprits
:

modérés furent irrités et envoyèrent des messagers à la rencontre d'Albinus lui

dire Ananos n'avait pas


; « le pouvoir de convoquer le tribunal sans ton consente-
« ment ». Le gouverneur crut ce qu'on lui disait ». Cette phrase est peut-être « inepte ».

Ce n'est pas une raison pour la refuser à Josèphe. Elle peut néanmoins avoir un sens.
Le gouverneur n'apprit pas des Juifs quels étaient ses droits, mais il prit connais-
sance de la façon dont ils avaient été violés. Il ne sert de rien de s'écrier « Mais :

oui, Pilate et Albinus portent une même marque d'ignorance c'est celle que leur :

applique l'apologétique chrétienne. Car c'est elle qui dépouille les Juifs de leur
juridiction, c'est elle qui leur fait crier qu'ils en sont dépouillés » (3). Est-ce donc
aussi l'apologétique chrétienne qui a fait crier les Juifs dans le Talmud ? Peu s'en
faut ! « On pourrait se demander, nous ne le faisons pas, s'il n'y a pas là quelque
interpolation pieuse des Juifs persécutés pour avoir crucifié le Christ, et voulant se

laver ainsi d'un crime qui ne leur serait pas imputable « (4).

C'est égal, la tentation était forte! il faut féliciter l'auteur d'y avoir résisté. D'au-
tant que les Juifs avaient mieux à faire; c'eût été d'euluver les passages où ils se

vantent d'avoir eux-mêmes exécuté Jésus, selon les formes juives (.5) !

D'ailleurs nous admettons parfaitement une certaine souplesse de la coutume qui,

(1) Pair, grecque, XI, 84, cité dans t. I, p. 394, note G.

(2) Ant. XX, § 197-200.


(3) T. n, j). 141, note.
(4) T. II, p. 13i, note. '

(5) T. II, p. 136.


266 REVUE BIBLIQUE.

eu somme, homieur au sens pratique des Romaius pour faciliter leur main-mise.
fait

Dans certains cas de flagrant délit, la condamnation pouvait être rapide, l'exécution
sommaire, sans que le gouverneur ait à intervenir. Eucore est-il que ces cas étaient
sûrement pn-vus, et ces exceptions-là conQrment la règle. Titus a dit « clairement
que les Juifs pouvaient mettre à mort les païens Iransgresseurs de l'enceinte du
Temple », c'est-à-dire ceux qui franchissaient les limites marquées par des stèles.
Mais Titus faisait sentir ce que cette concession spéciale avait d'inouï. Comme le dit
l'inscription du musée du Louvre, la mort suivait pour ainsi dire automatique-
ment (1).

L'autorité du Nouveau Testament est encore récusée à propos des deniers à l'effi-
gie de César. M. Juster semble dire qu'ils n'auraient pas pénétré en Palestine avant
70. Il concède qu'on n'a trouvé aucune monnaie d'or ou d'argent frappée par les

Hérodiens ou par les procurateurs en Palestine. On en a conclu naturellement que


les monnaies d'or et d'argent étaient importées. L'argument est assez topique. Pou-
vait-on se passer en Palestine de monnaies qui circulaient dans tout l'Empire? Le
texte de l'évangile n'a pas besoin d'apologie; il apporte un renseignement dont on
ne peut que lui savoir gré.
A propos des fêtes, on nous dit (2) que la Pentecôte commémorait chez les Juifs
« la réception de la Loi ». C'est bien le sens que lui attribuait le judaïsme au temps

de Jésus. Mais il ne fallait pas citer Ex. 34, 22; Deut. IS. 10, qui ne font allusion
qu'à la fête des semaines, selon le sens agricole ancien de cette fête.
A propos du patriarche des Juifs, M. Justerdû parler de ses « apôtres ». Voici
a

d'abord qui paraît très bien vu « Après la destruction du Temple les sommes à
:

payer étaient de moindre importance, les pèlerinages à la Terre-Sainte moins fré-

quents. Le patriarche, pour se tenir en rapport avec la Diaspora, fut forcé de créer
des fonctionnaires spéciaux. Ce sont les apostoli » (3). C'est dire que les « apôtres »
ne sont pas plus anciens que le patriarche. Mais alors on ne conçoit pas que le mot
ait été emprunté par les chrétiens, comme le veut l'auteur (4), car saint Paul avait
pris le nom d'apôtre plus de vingt ans avant l'an 70 — sans parler des anciens
apôtres de Jésus!
Encore une observation à propos du serment des Juifs. On nous dit que. « vivant
dans la société païenne, les Juifs s'assimilaient les expressions païennes et les em-
ployaient sans penser à mal ». Il se peut, mais ce n'est pas ce que veut dire le
célèbre texte de Martial r Ecce negas iurasque mihi per lempln Tonantis. Non credo :

iunt, verpe, per Anchialutn. Le sens est malsonnant, mais très clair. Le Juif que
Martial met en scène est tout prêt à jurer par Jupiter Tonnant, parce qu'il n'y
croit pas, et ne sera donc engagé à rien. Mais à cette ruse Martial oppose une bouf-
fonnerie pour prouver qu'il n'est pas dupe. Si le Juif jure par Anchialus qu'il aime,
et qui sait ce qu'il caution sera meilleure. Et on nous propose sérieuse-
en est, la
ment d'admettre que Anchialus cache le mot hébreu chrjrt ins, et de remplacer
ium par iuro L'épigramme devient ainsi assez mordante
: « : le Juif jure sur Jupiter
et Martial fait un serment juif » (.5). A MM. Lewy et Juster il faudra joindre sans
doute le juif d'Horace Credat ludaeus Apella! ;

(1, ÉavTiot a'.Tto; iffTai otà tb è5axo/,o-j9Eïv Ôivatov, citi- t. Il, p. i'i.i.

(4) T. I, p. M'i.
(3) T. I, p. 3HX.
(4) Kod. loc, p. 3«!>, noie.
(îi) T. II, p. i^\ noie 1.
RECENSIONS. 267

L'impression est très correcte : Noté I, 35 ;xax£xai; I, 173 GuaiSeat; I, 394 /.piTritoa;

II, 176 auffustae pour angustiac.


M. Juster n'avait pas donoé toute sa mesure. Cependant, tel qu'il est, sou ouvrage
rendra de grands services, et c'est ce qu'il avait souhaité en lui consacrant un
labeur obstiné, au service d'une érudition très étendue.

Paris.
Fr. M.-J. Lagrange.

Les Ports submergés de Tancienne île de Pharos, par M. G. Jondet, ingé-

nieur en chef des ports et phares d'Egypte tome IX des Mémoires présentés à
-,
l'Ins-

titut Éyptien. —
Le Caire, Institut Égyptien, 1916.

« Il est une île suf la mer agitée en avant de l'Kgypte; on l'appelle Pharos...; dans
l'île se trouve un port commode d'où les matelots remettent à la mer leurs vaisseaux

égaux après avoir puisé l'eau noire » (Odyssée, chant IV).


Ces vers d'Homère constituent le seul texte ancien qui mentionne le port de

Pharos. Les géographes et historiens postérieurs tels que le Pseudo-Callisthène,

Jules César, Quinte-Curce, Strabon surtout, ont nommé ou décrit par le menu le
port d'Alexandrie, mais aucun de ces auteurs n'a fait allusion à un port plus ancien
qui aurait été situé ailleurs que le grand port construit par Alexandre. En revanche,
Pharos est bien connu des biblistes, comme le lieu traditionnel oii Tes Septante vieil-
lards se réunirent pour traduire la Bible en grec. On sait que les anciens ciceroni
prétendaient montrer les ruines des cellules où ils s'étaient enfermés. Il va sans dire

que ces ruines n'ont pas été découvertes par M. Jondet.


Le bras de mer, ou plus exactement'la grande baie, comprise entre le continent et
l'île de Pharos, fermée au nord par cette dernière et protégée à l'est et à l'ouest par
deux caps convergeant vers chaque extrémité de l'île, formait un port tellement
naturel qu'il était difficile de supposer que les Pharites ou les gens du bourg de
Rakkotis eussent songé à loger ailleurs leur flotte. Aussi, jusqu'à ces derniers temps,
les recherches archéologiques autour de l'île de Pharos avaient-elles été dirigées
à

peu près exclusivement vers l'extrémité orientale de l'île, là où s'élevait le célèbre

« Phare » dont on s'est appliqué à exhumer les débris ou tout au moins à retrouver

quelques traces.
A noire connaissance, M. Jondet est le premier qui ait porté ses investigations

ailleurs, en particulier au nord-ouest et au sud de l'île, où, pendant ses travaux

autour du port moderne, il avait cru reconnaître des vestiges d'anciennes construc-
tions submergées. Poursuivant ses recherches avec activité, il est arrivé à découvrir
les restes d'un port antique situé dans la région occidentale de l'île,
aux abords de
la pointe moderne de Ras et-Tin. Les contours de ce port
immense n'atteignent pas
moins de six kilomètres; sa largeur variait entre 200 et 40C mètres. Il était fermé à
l'ouest par un brise-lames colossal établi en pleine mer et protégé lui-même par des

travaux parallèles plus avancés. L'entrée du port était au sud, vers l'enracinement
du brise-lames moderne.
Ces travaux maritimes, dit l'auteur, ne se réduisent pas à des fondations plus ou
«

moins apparentes ou dont la présence est douteuse bien au contraire, leur supers- :

tructure subsiste en grande partie depuis la fondation jusqu'à l'arête des murs
de

quai, le dallage des murs existe en plusieurs endroits... » ; certains ouvrages plus
268 REVUE BIBLIQUE.

exposés à l'action de la mer ont été démolis en partie mais il en reste suffisamment
pour reconstituer l'ensemble à coup silr.
M. Jondet s'est appliqué à rechercher et à présenter avec le plus grand soin les
résultats suivants topographie des ouvrages antiques, hydrographie des fonds, indis-
:

pensables à connaître dans une pareille étude, et détermination de l'assise solide.


Cette dernière question, traitée en particulier au chapitre iv, n'est pas une des moins
intéressantes, car elle a permis d'expliquer la submersion de certains ouvrages mari-
times et répond au problème qu'on s'était maintes fois posé à ce sujet, les uns par-
lant d'exhaussement de la mer, d'autres d'affaissement du sol. Guidé par son expé-
rience personnelle qui, lors de la construction des quais d'Alexandrie, lui avait

permis de constater de nombreux affaissements brusques de 4 à 5 mètres provoqués


par le dépôt d'un remblai de sable sur un fond de vase, M. Jondet montre que les
affaissements qui se sont produits dans les ouvrages antiques ont eu la même cause.
Ces ouvrages ont été entraînés par les affaissements de la masse compacte de sable
aggloméré sur laquelle ils étaient construits.
A quelle époque le vieux port de Pharos a-t-il disparu sous les flots et quelle est
la puissance qui avait fait exécuter de semblables travaux: ce sont deux questions

auxquelles l'état actuel de l'archéologie et de l'histoire ne permet pas de répondre.


Vu l'importance des ouvrages maritimes dont la superficie était supérieure à celle de
l'île que ce port n'a pu être construit par, ni pour les seuls
entière, l'auteur estime
habitants de Pharos. La masse énorme des matériaux mis en œuvre suppose des
équipes d'ouvriers et un outillage comme pouvait seul en fournir un pharaon des
époques florissantes de l'Egypte. M. Jondet cite à ce propos le nom du grand Ram-
sès: ce n'est là naturellement qu'une simple hypothèse. Le choix de l'emplacement
de ce port immense à l'extrémité sud-ouest de file, complètement isolé du continent,
alors qu'il y avait à côté une baie si commode, fait supposer que l'auteur de ces tra-
vaux avait en vue de mettre sa flotte à l'abri d'un coup de main du côté de la terre.

Et dès lors on songerait plus volontiers à une puissance maritime qu'à une puissance
continentale.
Notons que l'ouvrage de M. Jondet, édité avec soin, est bien illustré et accom-
pagné de plans luxueux, à une vaste échelle, qui permettent de suivre facilement les
descriptions et les raisonnements de l'auteur.
Fr. R. S.
BULLETIN

Textes et éditions. —
La Revue a annoncé (1910, p. 402) la reproduction en
fac-similé photographiques réduits du Codex Alexandrinus. Une première partie
comprenait le Nouveau Testament. Il a paru durant la guerre un très beau volume,
le premier des quatre qui doivent comprendre tout l'Ancien Testament, et qui
contient l'Octateuque, c'est-à-dire le Pentateuque, Josué, les Juges et Ruth (1^. Sur
l'originedu manuscrit, l'analyse des écritures etc., l'éditeur M. Kenyon se réfère
au volume précédent. Il note cependant l'opinion paradoxale de M. Burkitt (Jour-
nal of T/ieological Studies, X, p. 603, 1910), d'après lequel le m'anuscrit aurait été
trouvé par Cyrille Lucar au mont Athos, et serait originaire de Constantinople.
Mais, demande M. Kenyon, pourquoi Cyrille ne se serait-il pas vanté de sa décou-
verte, et aurait-il affirmé l'origine égyptienne dans la lettre écrite et signée de sa
main? Cette lettre latine figure en fac-similé en tête du manuscrit. M. Kenyon ne
revient sur les différents correcteurs que pour mettre en vedette l'importance du
premier d'entre eux qui probablement contemporain du manuscrit, et qui n'a
est

pas craint d'efïacer deux, trois ou quatre lignes pour les remplacer par un nouveau
texte. Il y aurait lieu d'étudier le pourquoi de ces corrections.
Il est inutile d'insister sur le service éminent que rendent de pareilles publica-

tions; elles mettent tout le monde à même de consulter le très précieux manuscrit
du British Muséum.

Le petit livre de M. Max L. Margolis sur l'histoire des traductions bibliques (2) n'est

sûrement pas destiné aux cercles éfudits. Il a son intérêt, puisqu'il contient les vues,
rapidement exposées pour le grand public, d'un Israélite fort instruit. Le ton est

ménagé de façon à ne point trop choquer le public chrétien (3). Mais l'information
la plus utile est celle qui regarde la préparation d'une nouvelle traduction de la Bible

en anglais par les soins de de publication en Amérique », fondée


la « Société juive

en 1888. Dès l'an 1892 on se mit à l'œuvre, en prenant pour base la traduction de
Leeser (1853). Plusieurs savants juifs, en Amérique et en Angleterre, devaient tra-
duire chacun un livre, leurs travaux étant soumis j un comité présidé par le

D'' Marcus Jastrow. Mais il était peu pratique de s'entendre par correspondance.
La Société de publication et la Conférence centrale des Rabbins d'Amérique, qui
projetait de son côté une traduction, s'entendirent pour constituer un nouveau
comité de sept membres, trois nommés par la Société et trois par la Conférence, le

(1) British Muséum. The Codex Alexandrinus


(Royal MS. D v-viii) in reduced photographie
I

Facsimile. Old Testament. Part 1. Genesis-Ruth. —


Printed by order of tiie Trustées, 191'i. Le —
prix de 1 livre Vi sli. net est sûrement très modéré pour un si splendide volume.
(-2) The stortj of Bible translations, by Max; L. Makgolis, in-IO d* 135 pp. Philadelphia, ïlie
Jewish Publication Society ol' America.
(3) Nicolas de Lyra est cependant qualifié d'apostat.
270 REVUE BIBLIQUE.

septième, éditeur en chef, devant être l'élu des deux groupements. Cet éditeur est
M. Margolls, qui exécuta une nouvelle traduction en onze mois (sept. 1908 à août
1909). En décembre 1908 il exposa ses principes à la commission (MM. Schechter,
Cvrus Adier, J. .Tacobs pour la Société, Kohler, David Philipson et Samuel Schul-
man oour la Conférence), qui tint seize sessions, quelques-unes durant dix jours ou
plus (1908-1915), pour aboutir à une approbation définitive dans la session finale,
la dix-septième, à l'automne de 1915. Les cas discutés étaient tranchés à la majorité;
en cas de partage, la voix du président (M. Cyrus AdIer) était prépondérante. L'im-
pression est achevée en 1917. Les frais ont été facilement couverts. On se propose
maintenant une série de commentaires. M. Margolis a cru devoir s'en tenir le plus
possible à la révision de la Bible anglaise de IGll. Il proclame d'ailleurs hautement
que la Bible ayant été donnée aux Hébreux, écrite en hébreu, les Juifs sont mieux
à même que quiconque d'en pénétrer les secrets. Il semble que cette grande tenta-
tive émane d'une foi juive reUgieuse très ardente. L'Amérique est manifestement
devenue son principal foyer.

Nous avons sous les yeux le résultat d'un labeur si diligent, la nouvelle traduction

anglaise de la Bible hébraïque (1), nouvelle eu cela aussi que pour la première fois
des savants juifs ^nt abordé ce problème. La langue anglaise est celle du
difficile

temps d'Elisabeth, débarrassée toutefois de certaines formes absolument surannées,


et Ton nous' dit que, même lorsque la nouvelle traduction s'écarte des anciennes,
on a cherché à conserver l'harmonie générale du ton en employant les anciennes
tournures. Sur ce point nous n'avons qu'à attendre les appréciations des critiques
anglais.
Comme traduction, la nouvelle Bible est une œuvre à la fois très traditionnelle et

qui se pique cependant de profiter des découvertes de l'archéologie et de la philolo-


gie modernes. De ce dernier aspect nous citerons deux échantillons : ce ne sont pas
sans doute les seuls, mais ils sont caractéristiques. Sur I Sam. 13, 21, il est fait état
de la découverte par M. Macalister d'un poids portant l'inscription pim ou payam.
Mais les éditeurs ne vont pas plus loin et n'introduisent pas dans le texte trois
qillechôn avec M. Pilcher (2). Ils traduisent « fourches à trois dents » {forks ivith
Ihree teeth), ce qui suppose une correction textuelle de ]1tt7^p ï,*Su?Sl sur laquelle
ils ne s'expliquent pas. Les Septante ayant Tpst; aîx/oi, on peut supposer, avec le
P. Dliorme, Spy; ;yStl?, un tiers de sicle; dès lors il semble que ces mots représen-
tent une glose de uiZ, c'est-à-dire l'interprétation de ce mot rare qui aura passé
dans le Il est possible d'ailleurs que la glose n'ait pas été très bien informée
texte.
du poids du pim.réel
Le second exemple de mise en valeur des études historiques est au texte de
.lud. 5. 2, traduit When men let grow their hair in Israël, ou, comme nous avions
:

tradiiii « Lorsque dans Israël on voua sa chevelure » (3), allusion à la coutume du


:

naziréat des guerriers, reconnue par W. Robertson Smith. La traduction de Cram-


pon (1905) porte encore « Les chefs se sont mis à la tête en Israël ». La même
:

amclidration Ggnre dans Dent. 32,42 « Des têtes à longs cheveux de l'ennemi ».
:

ou celle fuis eile se trouve dans Crampon « de la tête chevelue de l'ennemi ». :

D'ailleurs le cantique de Débora ne propose aucune correction textuelle. Le

<1) TIte Ilolii Ncr//>aor, accordirifi: lo llie Masoi'cUc lexl, a iicw Iranslalioii. ^\Uh tlie aiJ of
previniis versidiis and wiUi conslaiit cousullalion .>!' .lewisli Aiitliorities, iii-«" ilc XV-1I3G
|>i). l'iii-
lailclphia, \\h) Jcwisli l'ublicalion Society of America, 5(>77-iui7.
(-2 KLi.. l'.tlii,
i>.
n-2-2.

i3j Commentaire des Juges l'jo.i.


BULLETIN. 271

verset «S est traduit : « Ils ont choisi de nouveaux dieux; alorsil y avait de la guerre

dans les portes ». Et les traducteurs semblent assez satisfaits d'avoir rendu le'v. Il :

« plus haut que la voix des archers, près des norias ». Mais ^^\^''C: rendu ici tell of il

peut-il signilier dire d'une voix forte? et que font ces archers près des norias.'
Aussi bien les traducteurs se sont refusés en principe à tontes les opérations con-
jecturales de la critique textuelle, même
appuyée sur l'ancienne version grecque.
Ce qu'ils ont voulu donner, c'est une traduction du texte massorétique. Chacun est
libre de choisir son but; le leur était de fournir aux Israélites de langue anglaise
une Bible traditionnelle, de tout point semblable à celle qui a servi de base aux
Talmuds, sauf la langue. Et nous ne pouvons que recevoir avec beaucoup de satis-
faction une œuvre aussi étudiée. Si ces maîtres n'ont pas réussi à donner un sens
acceptable à leur texte, c'est qu'il est désespéré. Aussi la division est celle de la
Bible massorétique en Loi, Prophètes et Écrits. Le texte n'est pas seulement celui
des consonnes traditionnelles, c'est le texte massorétique, avec ses voyelles et sa
ponctuation, et d'après le Qrè, c'est-à-dire d'après la substitution interprétative des
Rabbins, plutôt que d'après le Ketidb, qui cependant a été suivi quelquefois, par
exemple sur Ps. 139, 16 et II Chr. 24, 27: 34, 9 {Prrface, p. xj. L'édition suivie
est celle de Baer pour les parties qu'il a édictées, et pour le reste celle de Ginsburg.
Rien donc de plus traditionnel que cette traduction, d'après fa tradition ortho-
doxe des Talmudistes et des Massorètes. On nous permettra de dire qu'elle est ultra-
traditionnelle. Non que nous regrettions que les savants juifs n'aient pas entrepris
une édition critique, puisque ce n'était pas leur dessein. Je veux dire qu'ils ont
excédé dans le sens traditionnel.
On sait que la tradition pharisienne refuse d'entendre le sabbat de Lev. 23, 15
comme un jour de sabbat. Ce jour, point de départ des cinquante jours qui aboutis-
sent à la fête des semaines, était d'après eux le premier jour de la fête de Pâques,
soit le 15 nisan, quel que soit le jour de la semaine. C'est pour autoriser cette tradi-
tion que l'on traduit « jour de repos », et non pas « sabbat ». De même pour le

moment où l'on immole les agneaux de la Pâque, le terme « entre les deux soirs »

était interprété par les Pharisiens « du crépuscule », tandis qu'il paraît bien désigner
la soirée. Les traducteurs rendent : at dusk, au crépuscule, et la notice dit clairement
pourquoi : « C'est plus en harmonie avec la tradition des Rabbins ». 11 est plus grave
d'avoir omis « et » dans Ex. 13, 12, « d'après la Me/cilta et les commentateurs
Juifs ».
La même fidélité à l'exégèse rabbinique a amené la traduction : « aussi longtemps
que l'on viendra à Silo » pour Deut. 49, 10, où il est si évidemment question d'une
personne. Il fallait s'attendre à retrouver dans Is. 7, 14 la traduction d'Aquila,
« jeune femme » au lieu de « vierge ».
Tout le monde convient qu'une traduction doit être litt'^rn'.e, mais il est encore
plus nécessaire qu'elle soit claire. Comme exemple d'un heureux littéralisme, il faut
citer II Sam. 22, 4 : « Célébré, je crie, est le Seigneur ». Je ne sais si cela peut se

dire en français, mais c'est bien le sens du texte, beaucoup plus nerveux que la tra-

duction : {( J'invoquais celui qui est digne de louange, Jéhovah >> {Crampon). Mais
nous notons précisément ici l'absence du nom propre du Dieu d'Israël qui donne tant
de saveur aux anciens textes. Avec sa crainte de profaner le nom divin, Israël est
toujours condamné au Qré perpétuel qui le remplace par « le Seigneur ». Du moins
c'est la tradition des Septante, bien préférable à l'absurde « Éternel » des traduc-
tions françaises protestantes.
D'ailleurs les traducteurs ont pris soin d'aboutir autant que possible à un sens
272 REVUE BIBLIQUE.

clair, plutôt qu'à ne rien dire que d'offrir ces mots


un calque. C'est « Tu ne t'élè- :

veras point contre le sang de ton prochain » (Lev. 19, 16), avec Segond et les ver-

sions anglicanes. Crampon donne un sens « Tu ne te présenteras pas comme témoin


:

contre le sang de ton prochain », mais un sens faux, puisque les Israélites devaient
figurer comme témoins dans les causes capitales. La nouvelle traduction neither :

shalt thou stand idly hy the blood of thy neighbour, introduit l'explication juive tra-

ditionnelle, ce qui est intéressant.


Il faut féliciter les auteurs d'avoir eu le sentiment de la liaison qui est sous-en-
tendue dans la « Je suis une femme veuve, et
construction sémitique. Par exemple :

mon mari est mort évidemment


», signifie « Je suis veuve, mon mari étant mort »
:

(Il Sam. 14, -j). C'est ce que saint Jérôme avait compris morluus est enim vir :

meus. J'en trouve un exemple plus important dans II Sam. 23, 3 s., où on lit :

« comme la lumière du matin, quand le soleil se lève, un matin sans nuages, quand
par la clarté brillante après la pluie, le tendre gazon pousse de la terre ». Le style
périodique s'impose aux langues modernes, sous peine de ne pas rendre une coordi-
nation réelle dans le texte. Pour la même raison, on ne peut qu'approuver la traduc-
tion de Deut. 1, 13 qui change l'ordre des mots, mais qui rend bien le sens, avec
Crampon et Segond (contre la Vulgate). En revanche je regarde comme excessif

l'attachement à l'accentuation, c'est-à-dire à la ponctuation massorétique, qui donne :

« Car un Dieu jaloux, oui le Seigneur ton Dieu, est au milieu de toi » (Deut. 6, 15),
car le contexte exige : « Car lahvé, ton Dieu, qui est au milieu de toi, est un Dieu
jaloux ».

Il ne pouvait être question ici d'un examen de la nouvelle traduction. Nous vou-
lions seulement indiquer selon quels principes elle a été exécutée. Tous ceux qui
s'intéressent à la Bible hébraïque seront très heureux de s'informer auprès d'autori-
tés si considérables et si bien au courant de la tradition d'Israël.

Le temps n'est pas loin où seuls les érudits pouvaient exploiter les documents qui
nous renseignent mieux sur la période qui a précédé et qui a suivi les origines
le

du christianisme. IMais quel changement dans l'intérêt de ces études! MM. Oesterley
et Box ont pensé qu'on n'avait pas fait assez pour les lecteurs de langue anglaise,
et ont entrepris une nouvelle collection (1). L'objet de cette série est de fournir
les étudiants de livres à bon marché, et de faire connaître les textes en anglais,
par une traduction et des notes. Ce bon marché est d'ailleurs tout relatif; on sait
qu'en Angleterre les livres, qui paraissent ordinairement cartonnés, sont plus chers
qu'en France. Ceux qui voudront recourir aux originaux ne seront pas moins
satisfaits de prendre le contact avec des traductions, faites par des personnes com-
pétentes. Les éditeurs protestent modestement que leur désir est d'inviter les lec-
teurs à consulter des ouvrages Pour atteindre ce dessein, une
plus considérables.
bibliographie plus complète eut été très souhaitable.
Lii nouvelle collection se composera de trois séries. La première comprendra des
textes juifs de Palestine, ou qu'on puisse rattacher à cette catégorie
Papyrus ara- :

méens; Ecclésiastique; Enoch; Jubilés; Testaments des douze patriarches Odes et -,

Psaumes de Salomon; Ascension dlsiiïe; Apocalypses d'Esdras, de Baruch. d'Abra-


ham; Assomption de Moïse; les antiquités bibliques du pseudo-Philon. La deuxième
série contient les textes juifs hellénistiques : Sagesse de Salomon; Oracles sibyllins;

(1) TrannhUions of carlij Documents, a séries of texts important for the study ol Christian
origins, hy various aulhors, tindcr the joint edilorsfiip or tiic Rpv. W. O.' E. OisiKiii.EY, D. D. and
the Kev. Canon C. H. Ilox, M. A. —
Socielv for promoting Christian Knowledge. London G8, :

Haymarivel. P. w. l. .New-YorI», The Macmiiian Companv.


BULLETIN. 273

Lettre d'Aristée; un choix d'extraits de Philon; un choix d'extraits de .losèphe-.


le quatrième livre des Macchabées. La troisième série est détachée de l'immense
domaine rabbinique; un premier lot groupe Pirqé Aboth: Berakhoth; Yonia; Mejïil-
lath-ïaanith ; Sanhédrin,
l'entreprise réussit, d'autres traités talmudiques
et, si

suivront, et même
une partie des commentaires de Qirachi sur les Psaumes.
Une semblable collection ne ressemble en rien à un canon ecclésiastique, et ne le
détermine même pas négativement. Cependant nous trouvons étrange qu'on ait
placé parmi ces apocryphes deux livres aussi respectés de l'antiquité chrétienne
que l'Ecclésiastique et la Sagesse de Salomon qui figurent dans le canon de l'Église
catholique.
Les volumes que nous avons reçus, et qui portent tous le millésime de 1917, sont
sans doute les premiers parus.
La Sagesse de Salomon est éditée spécialement par M. Oesterley (I). Notre livre
canonique a joui d'un traitement de faveur en ceci que les notes v sont plus nom-
breuses. L'introduction est conçue sur le plan des introductions bibliques ordi-
naires. La comparaison avec l'Ecclésiaste s'imposait. Il est assez étrange qu'on
attribue au Doyen Plumptre, comme s'il l'avait inventée le premier assez récem-
ment (2), l'opinion qui fait de la Sagesse une réfutation du Qohéleth. M. Oesterley
partage cet avis. Or il date de Schmidt, en 1794, et, quoiqu'il ait été souvent repris
depuis, il a été réduit à rien de main d'ouvrier par notre collaborateur M. Pode-
cliard dans son commentaire de l'Ecclésiaste (3). On dirait vraiment que l'auteur
de la Sagesse, dont on relève par ailleurs l'érudition, n'aurait pas pu connaître
le matérialisme à son vrai foyer qui était une philosophie grecque. La conclusion

de M. Oesterley « ne pourra être légitimement tirée que si les traits qui indivi-
dualisent prétendu épicurisme de l'Ecclésiaste sont ceux-là mêmes qui carac-
le

térisent l'épicurisme dépeint et stigmatisé par la Sagesse » (4). Et cette conclusion


ne laisse pas d'être assez étrange pour un théologien anglican il garde dans le :

Canon un ouvrage dont les doctrines ont été combattues parun ouvrage qu'il
rejette du Canon! 11 est vrai de se prononcer sur le caractère erroné
qu'il évite

de l'Ecclésiaste (5), mais il approuve sûrement les idées religieuses de la Sagesse,


et il regarde les doctrines comme absolument [fundamentally) opposées.
On a remarqué aussi depuis longtemps que les deux parties du livre de la
Sagesse 1-9 et 10-19 n'ont pas le même
Le Pv. P. Mariés caractère littéraire.
l'a reconnu tacitement lorsqu'il n'a pas compris
seconde partie dans son analyse la

ryrtimique de la première (6). Tandis qu'Eiclihorn avait supposé le livre écrit par
le même auteur, la fin dans sa jeunesse, et le début dans son âge mûr, M. Oester-

ley incline à reconnaître deux auteurs, mais tous deux juifs et d'esprit hellénis-
tique. De quand date le livre.^ Un commentateur très récent, M. Goodrick, croit
que la persécution à laquelle il est fait allusion est celle de
CaUgula (37-41 ap. J.-C).
^I. Oesterley estime avec raison que cette conjecture n'est pus décisive, que la
Sagesse est certainement antérieure à Philon. au moins pour la première partie,
datée d'environ 50 av. J.-C.
La deuxième partie pourrait être plus jeune d'une centaine d'années, et tout l'ou-

il) The Wisdom of Salomon \\m-i'i-9% , iip.

{•i.) Son eommenlaire est de 1881.


m-li.
(3) P.
PODECHARD, l. l. p. "0.
[k)
(o) Tlie erroneous tcacliing, or what tlie writer of tlie liook of Wisdom considcred the erro-
iieous teaching of Ecclesiastes (p. xii).
S) RB., lii08, p. ijl ss.
KEVLE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. Jg
274 REVUE BIBLIQUE.

vrage était connu de saint Paul longtemps avant qu'il songeât à écrire ses épîtres. Car
saint Paul ne l'a pas seulement connu. Sur les trois points de l'idolâtrie, de la pré-
destination et de l'eschatologie il a été plus ou moins sous l'influence des idées, et

non seulement de la forme du livre de la Sagesse.


La Lettre (fAristée (1) avait sa place dans une série hellénistique. Le traducteur est
M. H. St. J. ïhackeray, qui avait édité le texte grec à la suite de Y Introduction à
l'Ancien Testament en grec, par le regretté D^ Swete. Personne n'ignore que l'au-
teur qui feint d'être un Égyptien est en réalité un Juif, écrivant pour la plus grande
gloire de son peuple. Mais la date est toujours très disputée. On ne soutient guère
avec Graetz et Willrich l'époque romaine, au début de notre ère, mais on peut hési-
ter entre la domination des Ptolémées en Palestine, ce qui ferait remonter aux envi-
rons de l'an 200, et une date plus basse, à l'époque des Hasmonéens. M. Thackeray
se prononce pour une époque comprise entre 120-80 av. J.-C. Il argumente de cer-
taines particularités linguistiques, qui n'apparaissent pas dans les papyrus avant l'an
1.50, et de certains indices vraiment très légers, connue le silence du prologue de
l'Ecclésiastique grec, écrit après 132 av. J.-C.
Mais Scbiirer avait bien vu que la description de .Térusalem correspond bien plutôt
au temps de la domination assez bénigne des Ptolémées, qui laissaient les Juifs en
pos.session de la citadelle ménagée pour
défense du temple, La réponse de la

M. Thackeray, qu'Aristée pu puiser dans un auteur antérieur, par exemple dans


a
Hécatée d'Abdère, a été d'avance réfutée par le Père Vincent, dans deux articles
très minutieusement étudiés (2), que le nouvel éditeur ne semble pas avoir connus.
Il est non moins étonnant qu'à propos des anciennes installations des Juifs en
Egypte il n'ait pas rappelé que les papyrus d'Klephantine en avaient apporté la

confirmation. La Lettre est suivie d'un appendice contenant les anciennes attestations
juives et chrétiennes sur l'origine de la traduction des Septante.
Le Livre des Jubilés (.3) appartient ainsi que les suivants à la première série. Il est
publié d'après la traduction de la version éthiopienne par M. Charles, mais l'intro-
duction est de M. Box. Nous n'avons pas besoin de rappeler à nos lecteurs les
articles si substantiels du regretté François Martin (4). Ils ne se prononcent pas sur
le parti auquel appartenait l'auteur. Les érudits plus anciens. Jellinek (1855), Béer
(1856), Friinkel (1856) cherchaient parmi les Esséniens, les Samaritains, les Hellé-
nistes. M. Singer (1898) descendait jusqu'aux judéo-chrétiens ^5). A cette époque
on croyait l'ouvrage du i'^'" siècle de notre ère. C'est surtout grâce aux travaux de
M. Charles qu'on s'est rais d'accord sur la du ii^ siècle av. J.-C, mais on est
fin

toujours très embarrassé quant aux tendances. M. Charles avait désigné l'auteur
comme un Pharisien, de la plus stricte observance. Le P. Lagrange parlait d'un
pharis.iïsme « qui. à peine, a pris conscience de lui-mêuîe » (6). Et c'est bien à quel-
que chose de semblable que s'arrête M. Box, en faisant allusion aux Assidéens
[Khasidim) du P'" livre des Macchabées (I Mac. 7), si l'on peut dire que M. Box
s'irrête là (p. xxix), car il semble bien plutôt glisser vers l'opinion de M. Les-

I; The Lelter of Aristcas, translalcd wiUi an appendix of ancit-nl évidence on llic oriyin of
llieSepluaginl, Ijy H. St. .T. Tiiackicuay, M. A., (iriiilicld l.ei'lurof on llie Sepluasinl in Ilic Inivcj-
sity ol Oxlunl, x\.2l-li(> pp.
JérusaUûi d'après la lettre d'ArisU-e, RB., IM08, p. .•jaO-ri.ia: et IWO. p. .Vw-.'i75.
('2/

The Uook of Juljilees or the liUlc ceiiesis, Iranslated from llie clliio|)ic Icxl hy
(:i) II. H. CuAriLEs
I). l.ill., I). I). ... wiUi an introduction by G. n. Box, .M. A.. \\\\\ii', pp.. 1!»I7.

(4j Riwue hiblique, 1811, p. 321 SS. S02 SS. ;

(.*>) Itli., I8!»!l, p. l.'iîiss.


[G) Le Messianisme... p. lis.
BULLETIN. 27!;

:Zynsk_y (1), qui estnettement pour un Sadducéen. Puisqu'on admet (Charles, La-
grange, Martin, Box, etc.) que l'auteur n'envisage pas la résnrrection puisqu'il ;

est passionné pour la Loi, et, semble-t-il, pour la Loi seule; puisqu'il glorifie à ou-

trance Lévi et le sacerdoce, ne conservant qu'une allusion vague au messianisme de


la maison de Juda, c'est peut-être en somme la solution la plus plausible.
Mais on ne saurait dire avec M. Box que l'allusion au messianisme de Judas soit dé-
viée dans la pensée de l'auteur vers la personne de Juda Macchabée; il a simplement
conservé, en l'atténuant, une tradition trop visiblement fondée sur les textes et trop
vivante pour qu'il ait pu la mettre complètement de côté. Pour se prononcer avec
plus d'assurance, il
'
du calendrier.
faudrait savoir ce que pensaient les Sadducéens
Les Jubilés font campagne pour l'année solaire. Cela pourrait bien être le trait d'une

école très réduite. Avec M. Charles, M. Box pense que le messianisme, sans Messie
descendu de Juda, est déjà commencé par les victoires Hasmonéennes, qu'il se pour-
suivra sans catastrophe et sans intervention éclatante de Dieu. M. Martin a soutenu
la thèse contraire, et admis l'inauguration miraculeuse d'un royaume messianique,
sans le mot de royaume. Mais il a montré quelle était l'ambiguïté ou plutôt l'inco-
hérence de l'auteur sur bonheur terrestre et les félicités de
les relations entre le

l'au-delà. De sorte que, sur ce point aussi, on est embarrassé de conclure. L'efface-
ment du Messie n'a-t-il pas pour corollaire nécessaire l'effacement des temps messia-
niques.'
UApocahj'pse de Baruch (2) figure aussi dans la traduction par M. Charles du
syriaque, traduit lui-même du grec, vraisemblablement d'après un original hébreu.
C'est donc le texte anglais contenu dans The Apocri/pha and Pseiidepigrapha of the
old Testament (1913). L'introduction est de M. Oesterley. Elle est fort courte. La
date est fixée entre l'an 70 et l'an 100 après J.-C, à cause de l'alûnité avec le
IV*^ livre d'Esdras les deux livres appartiennent à la même période. Sans doute,
:

r mais on aurait aimé à connaître l'opinion de l'éditeur sur leurs rapports. Peut-être
renvoyée à l'introduction sur lY Esdras. M. Oesterley
cette délicate question est-elle
s'est contenté de comparer certaines doctrines de l'Apocalypse de
Baruch sur la Loi,
i dogmes chrétiens. Tout
» le péché originel, la résurrection, le messianisme, avec les
en mettant en relief les inconsistances de l'Apocalypse, il a conclu à l'unité d'auteur,

ce qui est très bien vu.


Moins considérable, mais plus important par son originalité, est le petit apocryphe
de l'Assomption de Moïse (3). La traduction, d'après le latin de Clemen (4), et l'in-
troduction sont de M. Ferrar. D'accord avec M. Charles et c'est l'opinion com- —
mune —
date l'ouvrage des environs de l'an 7 ap. J.-C, après la guerre de Varus,
il

et l'attribue à un pharisien quiétiste. Cependant le


chapitre x, une sorte de psaume

prophétique, serait peut-être antérieur. M. Ferrar lui trouve une étroite ressemblance
vec les discours du Sauveur sur la ruine de Jérusalem et la fin des choses. « Il est

resque impossible de ne pas penser que Notre-Seigneur a connu le chapitre


x de
_
l'Assomption, tellement il est reproduit exactement dans les évangiles » (p. 17). En
réalité, le rapprochement porte sur des détails du monde
physique, tremblement de

terre, chute des montagnes, obscurcissement du soleil, etc., qu'on retrouve dans

(1) Die Sadduzâer. Berlin, 191-^. . .

Canon R. H. Chahles, D. n. with an introduction


P) The Apocalypse of Baruch, by tlie Rev.
by tlie Rev. W. O. E. Oesterley,
(3) The Assumption of Moses,
D. D., xxxiy-'»6 i>p., l'Jl". ...
translatée! by William .Iclin Ferrap,, M. A. with introduction and
,

notes, 42 pp., 1917.


(4) Dans les Kleine Texte de Lietzmann (190i).
276
REVUE BIBLIQUE.

côté par où toutes les vues de l'avenir se ressemblaient


tous les prophètes. C'est le

la tradition israélite. Mais la conception d'ensemble est complètement dllFérente.


dans
C'est même l'opposition la plus complète. Jésus a prédit la ruine du Temple VAssomp-
;

lion célèbre Israël élevé au ciel des étoiles; d'un côté, l'appel des gentils annoncé, de

l'autre leur réprobation en masse. En vérité, on se


demande comment ce petit ouvrage
a pu rappeler à M. Ferrar le Sermon sur la Montagne. Il n'y a de commun que la
confiance en Dieu, c'est-à-dire l'intelligence de sa Ïoute-Puissance, mais pour
réaliser des desseins tout à fait autres. Cela est vrai surtout dans l'opinion de
M. Ferrar qui ne voit pas dans le ch. x un Messie, mais l'ange Michel. On peut voir
l'opinion contraire dans Le Messianisme... p. 85, mais il faut avouer que les deux
opinions sont probables. Il faut d'ailleurs féUciter M. Ferrar d'avoir moins « corrigé »

le texte que M. Charles.


L'ouvrage qui fait le plus d'honneur à la nouvelle collection est l'apocryphe attri-
bué faussement à Philon. et qu'il eût mieux valu, à cette occasion, débarrasser de

son titre :
nous n'avons pas une
Les antiquités bibliques de Philon (1). Cette fois
réédition ou une simple traduction d'un texte publié ailleurs. M. James, sans pré-
tendre donner une édition critique, qui ne peut être le fait d'une traduction, a
cependant eu soin de composer le texte qu'il a traduit, et il expose l'état 4es faits
sur lesquels il s'est appuyé. Le Liber Philonis Antiquitutum a été imprimé cinq
fois,y compris Veditioprinceps de Sichardus à Baie en 1527. Il n'existe qu'eu latin,
conservé dans un certain nombre de manuscrits que M. James a utilisés. C'est une
histoire parallèle à celle de la Bible, qui va, dans l'état actuel, d'Adam à la fin du
règne de Saùl, mais qui était probablement poursuivie jusqu'à la captivité et au
retour de Babylone. Elle fut écrite en hébreu, et ti'aduite en grec. Le latin que
nous possédons est une traduction du grec. La traduction anglaise de M. James est
la première. L'ouvrage ne peut être attribué à Philon, et n'a rien de philonien.

Comme il fait allusion à une prise de Jérusalem le 17 du mois de Tammouz, il faut


qu'il ait de Jérusalem par Titus. M. James le place vers la fin du
vécu après la prise

I" siècle. Mais s'il ne descend pas plus bas, c'est seulement parce que l'ouvrage ne
fait aucune allusion aux chrétiens. L'éditeur estime qu'il a connu la littérature

dllénoch. à cause de certaines ressemblances positives. Ses accointances avec le


livre des Jubilés ressortent moins de traits positifs que de la préoccupation de le!s

suppléer ou d'éviter de compléter de la même façon l'histoire bibli(iue. en un mot :

c< plutôt de ce qu'il ne dit pas que de ce qu'il dit » (p. 46 . Avec IV Esdras et

l'Apocalvpse de Baruch, le rapprochement serait plutôt dans certaines expressions


que dans des théories particulières. L'auteur parle de la fin du monde, de la résur-
rection des corps, de la fidélité à la Loi, mais non du Messie. On dirait bien l'œuvre
d'un rabbin déjà <;onfiné dans l'horizon de la Michna.
En corrigeant les épreuves, nous recevons encore un volume de cette série qui
contient l'Apocalypse d'Abraham et l'Ascension d'Isaïe. Il nous suffira de le si-

gnaler (2).

La Bible poh/ijJotte d'Alcald (3; fut approuvée par Léon X le 22 mars 1520, mais

(1) T/ic biblical Anlif/uilics of Philo, now lirsl Iranslated from llie old laliii Version. !>> M. H.
.lAMKS, I.ilt. D., V. li. A., V1--280 pp.. 1(117.
The AiiOcalyjise af Abraham, edited %vitli a translation Ironi thc slavonic lexl and notes,
(•>)

l»y G. H. Uox, M. A., Nvilli tlie assistance cl J. I. Lani>sm\nn. xxxivi»!» pi>. The Ascension of —
Isai'ih, l>v II. 11. Cn.U'.i.Es, h. l.Itt., D. 1). vitli an introduction l)y tlie Rev. C. H. Box, M. A., xxvi-
Gi pp., 1918.
(;») P. Mariano llcvilla Rico. Agustino La l'oliglota de Alcahi, Estudio
: Iiislôrico-Critico, in-8»
de XVI-17S pp. - Imprcuta Ilelénica, Madrid. 1017.
BULLETIN. 2T7
I

elle était terminée en juillet 1517. On pouvait donc, dès 1917, célébrer le quatrième
centenaire de cet événement si honorable pour l'Espagne de la Renaissance, et si

glorieuse pour le Cardinal Cisneros, qui mourut le S novembre 1517, son œuvre ter-
minée, sans en voir le succès. Le R. P. Revilla Rico a été bien inspiré de consa-
crer une étude à ce souvenir.
11 nous renseigne sur les savants qui travaillèrent sous la direction du grand Car-
dinal franciscain, les Espagnols Nebrija, Diego Lôpez de Juan de Vergara,
Zi'iniga,
le Cretois Demetrio Ducas, et les trois juifs convertis, Alfonso de Zamora, L*ablo
Coronel et Alfonso de Alcalà.
Le plus brillant peut-être, mais aussi le plus indépendant, était Nebrija. qui porta
ombrage à l'Inquisition, et qui finit par renoncer à Tentreprise. Au fond il ne pour-
suivait pas le même but que le Cardinal. Ce dernier voulait une édition d'après les
manuscrits; Nebrija rêvait d'une correction complète de la Vulgate. L'œuvre n'eût pas
manqué de grandeur. Nous comprenons aujourd'hui ce qu'elle avait alors de chimé-
rique. Même le principal reproche qu'on a fait aux éditeurs, c'est d'avoir publié des
textes corrigés à leur guise. Le P. Rico s'est attaqué à ce reproche, mais il ne l'a pas
tiré au clair. 11 est vrai qu'une pareille tâche supposerait la collation des mss. grecs
suivis par les éditeurs. Du moins, on ne voit pas que la question ait fait un pas. Des
autorités considérables (1 ont avancé que le grec des Septante avait été souvent re-
touché d'après l'hébreu. Le R. P. Rico nie seulement la fréquence du fait, mais il ne
s'appuie guère que sur la déclaration de principe des éditeurs. Il semble bien que
pour le grec du Nouveau Testament ils ont été plus scrupuleux. Aussi eût-ce été un
procédé bien hasardeux de conformer un texte original à sa traduction; le P. R^ico ne
reconnaît guère de bien coupable que l'addition du verset des trois témoins. Il admet,
avec tout lemonde, que le grec des Septante se rapproche de la recension dite de
Lucien, et que le grec du Nouveau Testament est en somme le texte byzantin ou
textus receptus. Mais son admiration tourne au détriment du panégyrique, lorsque,
pour rehausser le mérite de la polyglotte d'Alcalâ, il tente de réhabiliter le texte reçu.
La question est jugée, et les divergences d'opinion sur la valeur des travaux de von
Soden ne touchent pas ce point. On peut reconnaître l'incontestable raériie des biblis-
tes espagnols sans refuser de suivre le progrès des études. Puissions-nous posséder
des critiques (2) aussi éminents dans notre temps qu'ils l'ont été au début du
xvi" siècle, avant Luther.

Nouveau Testament (3). — Après beaucoup d'historiens et d'exégetes, M. R.


Wellington Ilusband étudie à nouveau le procès de Jésus (-1). Grâce à sa connaissance
de la littérature romaine juridique (il est professeur de langues classiques au col-

lège de Dartmouth). il pu éclairer quelques particularités du procès, surtout en


a
s'appuyant sur les données nouvelles, que nous fournissent les inscriptions récem-
ment découvertes en Egypte sur la façon dont étaient conduits les procès dans les
provinces romaines. La procédure n'était pas la même qu'a Rome. M. W. Husband
discute avec soin tous les problèmes qui résultent des quatre récits évangéliques,
qu'il est quelquefois dilïicile de mettre en accord. Il y aurait lieu de contester quel-

Déjà Richard Simon.


(1)
Sans parler des imprimeurs! Le grec cité est bien étrange pour l'orthographe et surtout l'ac-
(2)

î centuation et les esprits. Par exemple, à la p. lOl on lit àpyôç et un raisonnement appuyé sur ce
mot p. 103 lit àp-/dv...
iiîi Par M. le Professeur Jacquier.
<4) The Prosecution of Jésus, its Date, History and Legality, in-8'^ de v-302 pp., Princeton
Iniversity Press, Princeton, UM6.
078 RE^UE BIBLIQUE.

ques-iines des solutions qu'il présente, car elles ne respectent pas toujours la

cela nous entraînerait trop loin; nous devons


véracité du texte évangélique. mais
nous borner à exposer les résultats auxquels il
est arrivé.
Paul aux Corinthiens, xv.
Le quatrième évangile et la première épître de saint
prouvent que le procès et le crucifiement de Jésus eurent lieu, un vendredi, avant le
repas pascal. Or. la fête de Pâques n'eut lieu, à cette époque, un vendredi que le
3 avril de l'an 33.
L'arrestation de Jésus eut lieu au milieu de la nuit et fut effectuée par une force
des Juifs et quelquefois
régulière de police, ordinairement appelée « les officiers >

.« Serviteurs ». Ils peuvent avoir été assistés par quelques gardes du Temple. Les
Romains n'ont pas participé à l'arrestation de Jésus. Cette arrestation fut légale.
car elle avait été ordonnée par l'autorité compétente.
L'interrogatoire de Jésus par le Sanhédrin ne fut pas un procès, car les cours
juives ne possédaient plus le droit déjuger dans les causes criminelles après que la

Judée fut devenue province romaine. On peut comparer cet interrogatoire aux
travaux d'un jury, préparant un acte d'accusation qui devait être présenté devant
une cour criminelle. La seule cour qui pouvait juger les causes criminelles était
celle du gouverneur romain. Il n'y eut qu'un interrogatoire de Jésus par le
Sanhédrin et il eut lieu le matin qui suivit son arrestation. Le Sanhédrin soumit à
Pilate un acte d'accusation, portant envers Jésus des charges de fausse prophétie et
de trahison envers l'empire romain. Cet interrogatoire de Jésus par le Sanhédrin
fut légal, car il fut seulement le préliminaire du procès devant Pilate. Un interro-

gatoire n'est pas soumis aux mêmes règles qu'un procès criminel.
Le procès devant Pilate fut un procès régulier conduit d'après les règles ordi-

naires de la procédure. Pilate c'a pas acquitté formellement Jésus, mais a affirmé
qu'il n'avait pas montré d'intention criminelle il le tenait pour un illuminé reli-
:

gieux, mais non pour un révolutionnaire. 11 demanda donc aux Sanhédrites accusa-
teurs de ne pas pousser à fond leur accusation, mais ayant écnoue il fut obligé de
déclarer Jésus coupable de trahison, et de le condamner au supplice de la croix. Ce
procès a été en effet conduit d'après les règles de la procédure, mais il resterait à

démontrer que l'accusation de trahison était prouvée.

M. Michaël Asin et Palacios, professeur de langue arabe à l'Université de Madrid.


a publié, traduit et annoté dans la Patrologia orientalis, éditée par MM.
Grallin et

Naa. une suite de Logia et d'Agrapha du Seigneur Jésus, qu'il a recueillis dans les
écrivains arabes, surtout dans les ascétiques (1). Dans une introduction il explique ce
que sont ces Logia et quelle en est la valeur historique. Il les a eixlraits d'écrits dont
la plupart ne remontent pas plus haut que le x<= ou le xi« siècle après J.-C. mais
il remarquer que ces paroles de Jésus ont été transmises par la tradition et
fait

datent du siècle de l'Hégire, par conséquent du viir' siècle. Du fait de cette datation
récente leur authenticité est très faible. L'auteur cependant n'accepte pas le juge-
nient de d'Hebbelot, Bibliothèque orientale, p. 294'' « Les Mahométans mettent :

dans l'ÉvangUe tout ce qui leur plait, et ils en citent des passages qui ne s'y trouvent
point. Car il est vrai de dire que tout ce (lue les Musulmans citent de l'Kvangile,
soit historique, soit doctrinal, a quehiiie fondement dans le même Lvangile mais :

Is lui donnent quehjue nouveau tour afin qu'il ne paraisse pas qu'ils l'ont emprunté
des chrétiens, et pour persuader aux ignorants qu'ils ont entre leurs mains les vrais

(l) Loijiu cl Aiirnpl^a Domini Jesu apitd Monlemicos scrijHorcs, aaceticos praeserlim, usitala.
collegil, verlil, noiis instruxil MiciuEi. Asin et Pai.acios fasc. prior, 101 pp., Paris, 1917.
:
BUI.LETIN. 279

originaux. » D'après notre auteur, ces Logia peuvent être rattachés à la tradition
chrétienne, sinon écrite, du moins orale. iNous avons examiné la moitié des Logia
publiés, etil nous a semblé que, si quelques-uns d'entre eux rappelaient des paroles
authentiques de Jésus, c'était d'assez loin. Je choisis quelques-uns de ceux qui les
rappellent de plus près :
^

4. Dixlt Jésus (quem Deus salutet!) : « Ne appendatis margaritas ad porcorum


colla; sapientia enim melior est quam margarita. et qui illam spreverit pejor est
quani poici. Mt. vu, G.
» Cf.
23. Dixit Jésus (quera Deus salutet!) " Cavete vobis ab adspectu [mulierum
:

scilicet]; concupiscentiam enim in corde seminat et ad tentationem sufUcit. » Cf.

Mt. V, 28.
34. Dixit Jésus (quem Deus salutet!) Thesaurizate thesaurum vestrum apud
: <

eum qui non est dilapidatum; nam de eo qui thesaurum hnjiis raundi possidet tiineri
potest jactura; de eo autem qui Dei thesaurum possidet, jactura timeri nequit. » Cf.
Mt. VI. 19, 20.
En un qui nous montre comment l'écrivain arabe a transformé la tradition
voici
évangélique. 49. Dixerunt apostoli ad Jesum (quem Deus salutet!) « Quid est :

quod tu super aquam ambulas, nos autem non possumus? » Respondit eis « Qua- :

lem apud vos aestimationem denarius meretur et drachma?» Dixerunt « Bonara. » :

Dixit [Jésus] « Mihi vero idem sunt ac stercus. »


:

Nous ne' croyons donc pas que ces Logia et Agrapha nous transmettent aucune
parole authentique de Jésus, qui nous soit inconnue. Ce recueil nous fera surtout
connaître l'interprétation que les auteurs arabes donnaient des paroles et des ensei-
gnements de Jésus, et surtout les déformations qu'il leur ont fait subir.

Dans une douze Lectures, données devant l'honorable Société de Lincoln's


suite de
Inn, dans les années 1911-1915, le D' Lukyn Williams a étudié le Messie hébreu-
chrétien ou la présentation du Messie aux Juifs dans l'évangile selon saint Mat-
thiep (1\ Son but est de montrer les motifs qu'a eus l'auteur pour composer son
^oeuvre et d'interpréter ses paroles dans le sens 'qu'il voulait leur donner.
Dans la première Lecture il examine les faits de la vie de Jésus depuis l'origine

jusqu'à sa manifestation en Galilée : sa généalogie, sa naissance virgluale, a Beth-


léem, la fuite en Egypte, les Mages, Nazareth. Il croit que la communauté chré-
tienne primitive de Jérusalem possédait un recueil des paroles du Seigneur, mais
qu'elle désirait un exposé plus complet des rapports de Jésus avec les Juifs et de la
position de celui-ci en face de l'ancienne Loi. C'est pour répondre à ce besoin que
l'auteur a écrit son évangile et il l'a écrit en grec pour atteindre un public plus
étendu. A Jérusalem et en Palestine, les Juifs, parlant le grec, étaient plus nombreux
qu'on ne le dit. Le D'' Lukyn suppose donc que notre premier évangile a été écrit
en grec : la tradition, représentée par Origène et par saint Jérôme, afûrme nettement
que Matthieu a écrit son évangile eu hébreu.
La deuxième Lecture étudie les partis juifs au temps de Notre-Seigneur les :

Esséniens, les Sadducéens et les Pharisiens. Des premiers il n'y a pas lieu de s'oc-

cuper, car on ne voit pas que Jésus ou Jean-Baptiste aient eu aucun rapport avec
eux. Les Sadducéens, appelés ainsi probablement du prêtre Zadok, représentaient à

Jérusalem la classe riche, favorable aux Romains, s'en tenant à la Loi et rejetant

(1)The Uebrew-Christian Messian, or Uie Présentation of ihe Messian to the Jews in the Gos-
pel according la St. Matthew, in-8" de xxn-425 pp., London, Society for i)romoting Cl.ristian
Knowledge, l!>16.

I
280 REVUE BIBLIQUE.

toute addition traditionnelle. Les Scribes, primitivement ceux qui écrivaient les

livres religieux des Hébreux, étaient au temps de Notre-Seigneur les interprètes


de la Loi; quelques-uns étaient Sadducéens, mais presque tous étaient Pharisiens.
M. Lukvu rappelle que Jésus a reproché aux Pharisiens d'avoir une religion pure-
ment extérieure et d'être des hypocrites. Comment expliquer cette attitude du Sei-
gneur en face d'hommes que d'autres nous représentent comme des hommes pieux,
fidèles observateurs de la Loi? Diverses explications ont été présentées. Il y avait
deux tendances chez les Pharisiens : la tendance libérale des disciples de Hillel et la

tendance rigoriste des disciples de Shammai; que Jésus a fré-


c'est les premiei'S
quentés et les seconds qu'il a anathématisés. que le terme
Il est possible aussi
<<hypocrites » n'ait pas été entendu par Jésus au sens d'homme qui fait une action
pour se faire valoir et tromper sur ses véritables dispositions et que le Seigneur ait
voulu surtout reprocher aux Pharisiens l'étroitesse de leur religion. Il ne nous
semble pas que ces explications répondent à l'ensemble des textes; le Seigneur a
adressé de violents reproches aux Scribes et aux Pharisiens parce qu'ils les méri-
taient par leur conduite et leurs enseignements.
La troisième Lecture est consacrée à Jésus guérissant les malades, et étudie la

question des miracles évangéliques, envisagés sous leurs divers aspects. Quoique des
hommes de Dieu aient opéré des miracles à toutes les époques, nous constatons
que. bien que les miracles du Seigneur naient pas prouvé directement sa divinité, ils

ont établi cependant la vérité de son aflirmation qu'il était le Messie envoyé par
Dieu.
La quatrième Lecture traite de Jésus docteur, et s'occupe tout d'abord de l'origina-
lité des enseignements du Seigneur. Celui-ci n'a subi aucune inlluence étrangère,
qu'elle soit bouddhiste, perse ou grecque. Il a été profondément original, et s'il a

adopté le mode d'enseignement usité de son temps : paraboles, allégorie; s'il a


reçu quelques empreintes des idées courantes, il s'est inspiré surtout de l'Ancien
Testament, ainsi qu'il ressort de la prière qu'il a enseignée à ses apôtres, le Pater.
La cinquième Lecture continue la même étude examine la position de Jésus en
et

face de la Loi. Lorsqu'il a déclaré qu'il était venu non abolir la Loi, mais la perfec-*
tiouner, le Seigneur n'avait pas en vue les observances légales, mais les principes et
les vérités qui étaient à la base de la Loi.
La sixième Lecture s'occupe des enseignements moraux de Notre-Seigneur. La
plupart d'entre eux étaient déjà connus, mais il les a renouvelés, approfondis et leur
a donné une force nouvelle eu les appuyant sur son autorité.
Les septième, huitième et neuvième Lectures étudient les titres qui ont été donnés
au Messie dans les évangiles Fils de David, Fils de l'homme, Fils de Dieu. Les
:

Juifs, se rappelant les paroles de l'Ancien Testament, des livres apocryphes et pseu-
dépigraphes, croyaient à la venue dulMessie, roi national. Jésus a réalisé l'espérance
populaire, mais en la spirilualisant. Il fut le Fils de l'homme, car il a réalise la
double représentation de l'homme dans ses soulfrances et sa faiblesse, mais il l'ut
aussi Fils de Dieu par nature.
La dixième Lecture étudie Jésus proclamant le royaume de Dieu déjà présent,
mais devant venir seulement plus tard dans sa plénitude; la onzième, Jésus-Christ
sur la croix, rachetant l'hunianité, et la douzième, Jésus victorieux de la mort et
envoyant ses apôtres prêcher son nom à toutes les nations.
Ces conférences du D' Lukvn AVilliams seront lues avec intérêt et profit; elles
résument bien ce (pie l'on sait sur les questions traitées, mais il ne nous semble pas
qu'elles conticniif'tit rien de bien nouveau. Aous constatons avec regret que l'auteur
BULLETIN. 281

lie parait connaître aucun des travaux français, qui ont été publiés sur les questions
qu'il étudie. [E. .1.]

Ancien Testament. — Dans la Revue de Théologie et de Philosophie (août-


octobre 1917), M. Auguste Gampert, professeur à la faculté de théologie de l'église
libre du canton de Vaud, essaye une nouvelle analyse de la date de 4S0 ans écoulés
entre l'Exode et la construction du Temple (I Reg. 6, 1) (1). Selon lui il ne faut pas
tenir compte de la chronologie des "petits juges, mais seulement des temps d'oppres-
sion et des grands juges, ce qui donne 337 ans. A ce chiffre on additionne 40 ans,
pour le séjour au désert (Num. 32, 13 etc.) et 103 ans, dont 40 ans pour Éli
il Sam 4, 18), 20 ans pour Samuel I Sam. 7, 2.15), 40 ans pour David (Reg. 2, 11)

et les 3 premières années de Salomon. Cela donne bien 480 ans, mais au prix de'
deux computs invraisemblables. Pourquoi ne pas compter les petits juges.^ C'est, dit
M. Gampert, pour une raison d'analyse littéraire, parce que cette chronologie est
plus récente que celle des grands juges. —
Cela est fort douteux, mais cela est
d'ailleurs tout à fait sans portée, puisque M. Gampert attribue le chiffre de 480 à un
rédacteur fort tardif, peut-être du iv siècle. Quelle raison peut-il avoir de renvoyer
plus bas encore la chronologie des petits juges.' Deuxième point laible de cette
argumentation : le texte cité (l Sam. 7, 2) n'assigne pas l'O ans à Samuel; les vingt
ans ne sont qu'une partie de la judicature de Samuel qui ne peut guère avoir été de
moins de 40 ans.
Et en somme les petits juges, pour avoir moins d'importance que les grands, n'en
sont pas moins des Sauveurs d'Israël, i^eur temps d'action a plus le droit de figurer
dans un total chronologique que les années d'oppression. M. Gampert raye Saiil,

parce qu'il n'a pas été légitime, soit; mais on ne peut en dire autant de .Tosué; il
est beaucoup plus rationnel et conforme aux idées anciennes de ne compter ni les
années d'oppression ni le règne de Saiil.

De toute façon les 480 ans représentent 12 générations de 40 ans. M. Gampert


s'attache à Welihausen, d'après lequel ces douze générations sont celles des grands
prêtres plutôt que celles des chefs d'Israël. Nous avions aussi exclu ce dernier
système dans commentaire des Juges (p. xliv). Le plus simple est de penser à
le

des générations anonymes, car rien ne fait ici allusion aux grands prêtres. Lorsqu'on
compte par génération on n'est dans le vrai qu'en faisant abstraction d'une lignée
où la régularité fait nécessairement défaut.

Le petit volume du R. P. Fernandez sur la critique textuelle de l'Ancien Testament (2)


offre un intérêt considérable. Non qu'il contienne une seule observation nouvelle,
mais n'est-ce pas une nouveauté et d'une haute portée, qu'un ouvrage écrit en
espagnol, qui est parfaitement au courant de la littérature biblique, en Allemagne,
en France et en Angleterre? D'autant que si les problèmes de la critique textuelle y
sont abordés en connaissance de cause, ils sont généralement résolus dans un esprit
assez hospitalier au progrès. Sur ce terrain, d'ailleurs, la science exégétique catho-
lique s'est montrée au début de ces études animée d'un principe plus large que
l'exégèse protestante, longtemps rivée au texte massorétique. Avant de juger l'auteur,
on fera bien de lire avec attention son avis au lecteur. Il ne s'est point proposé de

(1) Les « iSO ans » de I Rois vi, 1, note critiiiue par Auguste Gampert, in-8" de 9 pp., Lausanne,
1917.
(2) Estudios de Crilica textual y literaria. Fasc. I. Brève introduccion a la critica textual del
A. T. por A. Fkrnandez Tkuyols, S. L, Prof, en el P. I. B., in-8<> de xii-lo2 pp., Roma, Pontilicio
instituto biblico, 1917.
282 REVUE BIBLIQUE.

lui offrir un complet de critique textuelle de l'Ancien Testament '1). Son but
traité

était plutôt d'esquisser les conditions dans lesquelles elle doit s'exercer, et la méthode

à suivre. iSous indiquerons les points de repère qu'il a


cherché à déterminer.
Le texte massorétique ne s'impose pas à lui comme une autorité irréfragable. Il y
reconnaît des altérations, volontaires et involontaires. Dans un traité aussi succinct,
on s'étonne qu'il ait insisté si longuement sur le point avéré du changement de
ba'ai en bocheth. penche à admettre que les lettres aient servi de chiffres, sans
Il

raisons suffisantes, semble-t-il. du moins pour une haute époque, puisqu'en cela les
Hébreux se seraient éloignés de l'usage des autres Sémites. Le R. P. note que dans
I Sam. 9. 22: 11, 8; II Sam. 6, 1. les Septante lisent soixante-dix et soixante-dix
raille deux fois, au lieu de trente et trente raille deux fois. Il ne voit aucune raison

d'admettre une altération volontaire. Cette raison se trouve dans l'amour des gros
chiffres la preuve, c'est que les Septante ont mis 600.000 au lieu de 300.000 dans
:

un de ces passages (l Sam. 11, 8). Le changement de ^ en :; dans l'écriture ancienne


suppose un S réduit de moitié; dans ces conditions tous les changements deviennent
possibles!
D'ailleurs R. P. est bien informé des variations de l'écriture sémitique. Il a
le

refusé son adhésion au système de M. Naville, qu'il a affecté de prendre au sérieux


et de réfuter longuement. Sa compétence sur ce point lui a permis aussi de ne pas
affirmer comme certaine l'origine préexilique du Pentateuque samaritain. Après
avoir lu son examen des arguments pour ou contre, on se demande même sur quoi
il s'appuie pour décerner à cette opinion la cote de » plus probable ». Dans ce cas
particulier on ne saurait regarder la critique littéraire comme exclue. Elle a forcé-
ment son mot à dire. Le R. P. n'est pas partisan de A^ellhausen, cela va de soi.
Mais il s'appuie sur la Commission biblique ;27 juin 1906) pour admettre des modifi-
cations dans le Pentateucjue tam longo saeculorum decursu nonnuUas ei modifim-
:

(iones obvenisse (p. 29). Seraient-elles toutes antérieures à Texil? L'activité d'Esdras,
que certains Pères ont étendue si loin, n'aurait-elle pas porté sur ce point? Si cela
paraît vraisemblable, le Pentateuque samaritain ne saurait être antérieur à l'exil,

puisqu'il est semblable, comme législation, au texte massorétique et aux Septante.


Si les modifications ont été acceptées par les Samaritains, leur Pentateuque ne peut
toujours pas être regardé comme antérieur à l'exil. Mais c'est déjà beaucoup que la

conclusion du R. P. Fernandez n'ait rien de tranchant ni d'agressif contre l'opinion


critique.
A quoi faut-il attribuer la du texte massorétique'.' Depuis Lagarde, on
fixité

l'explique volontiers par la canonisation d'un exemplaire au temps d'Aqiba on peut :

supposer que c'était l'exemplaire même d'Aqiba. Cette base paraît sans doute trop
étroite au R. P., car il attribue l'unité non pas à un seul manuscrit, mais à une
lecension. C'est peut-être oublier (|ue le concept de recensiou appartient à la critique

moderne, qui, malheureusement, ne l'emploie pas toujours clairement. On comprend


que les Septante se partagent eu familles de manuscrits plus ou moins semblables à

riu'hifu, et y avait peut-être aussi diverses familles de manuscrits constituant


il

différentes receusions du texte hébreu. Mais une famille de manuscrits n'aboutit à


l'imité (|uc par le fait d'une édition critique. Le texte massorétique vient sûrement,
connue le dit le R, P., d'une recension qui avait prévalu, mais ou bien c'est l'un des
manuscrits (pii a servi de type, ou bieu une autorité a constitué le texte qui a fait
autorité. De sorte qu'on revient fatalement à un exemplaire type. D'après la méthode

(1) On trouve p. H»', et \i. lOS des indicaliinis sur lo N. T. (|ui ilcl)Or(lcnt le cadre.
BULLETIN. 283

(les Ra])bins, il est probable que l'autorité reconnue d'uu maître a suffi à le recom-
mander, sans qu'on ait songé à entreprendre une comparaison critique des leçons.
Mais, auparavant, il y avait de grandes divergences, s'il est vrai que les Septante
représentent un texte hébreu difTérent du texte massorétlque et plus ancien. La ques-
tion est toujours très controversée. Depuis ïhenius, les Septante ont considérable-
ment gagné du terrain sur le texte massorétique. Kn ce moment l'on croit saisir les

indices d'une réaction, à mesure qu'on analyse avec plus de précision ce qui a pu
amener traducteurs à de^ leçons qui ne seraient qu'en apparence divergentes du
les

tex-te hébreu reçu. Le R. P. Fernandez se place en théorie dans le camp des Septante.

Par exemple à propos des passages de Samuel —


qui sont, je pense, I Sam. 17, 12-32 :

17, >;3: 18. 5 (1), comme les plus caractéristiques il déclare que c'est pour lui un —
point à peine au-dessous de la certitude que les Septante n'ont pas traduit les pas-
sages indiqués parce qu'ils ne les avaient pas dans leur texte, ce qui suppose une
divergence notable entre les mss. hébreux. Le P. Dhorme avait expliqué l'omission

des traducteurs par le souci de ne pas faire naître une difficulté dans l'esprit des
lecteurs. P. juge cette explication de tout point invraisemblable. Pourquoi les
Le R.
Juifs auraient-ils été plus scrupuleux que tant d'interprètes anciens et modernes qui
n'ont pas vu dans ces passages d'antinomie insoluble avec le contexte? Mais pourquoi —
parler d'antinomie insoluble? Deux récits racontaient d'une façon différente la pre-

mière rencontre de David avec Saûl. Les deux faits sont historiques, mais chaque
présentation était naturellement conçue première. Calmet n'avait pas mé-
comme la

connu cette difficulté « Il est étonnant que Saùl ne connaisse point David, après
:

l'avoir vu si souvent dans sa maison ». Ces inégalités sont inévitables dans une rédac-
tion qui groupe différents écrits. Les mêmes questions sont suscitées par les quatre
évangiles. Les Septante ont peut-être pensé qu'il valait mieux ne pas poser ce pro-
blème délicat devant l'esprit inquisiteur des Grecs. Si leR. P. avait posé la question

d'une façon concrète, au lieu de se tenir, comme trop souvent, dans de prétendues
impossibilités psychologiques, la discussion aurait gagné en précision.
A
propos delà critique interne, l'auteur aborde la métrique et la strophique, avec
tact et mesure, ce qui convient bien au- sujet. Il n'a pas même signalé la question

relative à l'unité du vers. Enfin il conclut par d'assez longues citations qiù font con-
naître les principes d'Houbigant, de Rossi, de Cappelle et de Steuernagel.
Il a fait mieux que d'insister sur les siens en donnant une leçon de choses dans
un
deuxième fascicule (2), consacré à la discussion des cas épineux dans 1 Sam. 1-15.

y a environ une soixantaine de cas dont l'intérêt est dans la comparaison


Il
entre le

texte massorétique et les Septante. L'auteur le sent très bien, et parfois il ne tient

aucun compte de l'autorité de la Vulgate, du Targum et de la Peschita. En effet la

Vulgate et le Targum supposent le texte dit massorétique, et l'on peut en dire presque
autant de la Peschita qui, à tout moins, ne représente pas un texte hébreu difl'é-
le

rent. De plus, puisqu'il est certain que le ms. Alexandrinus et l'édition de Lagarde,
représentant la recension de Lucien, ont été, directement ou indirectement, assi-
milés au texte massorétique, ne doivent pas entrer dans la balance. Encore une
ils

fois, l'auteur connaît très bien ces données fondamentales de l'expérience à


réali-

ser. On est donc étonné que dans un cas qui lui tient à cœur, parce qu'il y est ques-

tion de la tente du rendez-vous (I Sam. 2, 22), il fasse état du témoignage quasi


unanime des versions (p. 32) c'est sortir des règles du jeu.
;

D'ailleurs les cas sont discutés avec soin. Après les déclarations du premier
fasci-

(1) A la page -26, l'auteur se contente d'un vague renvoi à Duokme, Les livres de Samuel.
[-2] Fasc. U. I Sara. 1, VJ. Critica texiual por A. Ferxaxdez Truyols, S. I., vn-92 pp.

I
28i REVUE BIBLIQUE.

cule en faveur des Septante, on s'attendrait à les voir résoudre tout autrement. Il est
R. P. leur donne raison; ce n'est pas, je pense, une fois
i

extrêmement rare que le

seul cas parle assez haut, c'est celui


de I Sara. 14, 41. L'avantage des
sur dix. Un
LXX est universellement reconnu-, leur
texte donne toute sa valeur, tout son sens à

la consultation de Dieu par Saùl.


Le R. P. ferme les yeux à tant d'avantasiPS parce
qu'il est dominé par un principe qui revient
souvent sous sa plume. Il ne se résout

en somme à renoncer au texte massorétique que lorsqu'il peut donner une raison
plausible de la leçon qu'il porte erreur de copiste ou autre, il faut qu'on puisse
:

rendre compte de la leçon massorétique. Or ce principe ne repose sur rien. Il y a


dans le texte massorétique des inepties que nous devons regarder comme telles sans

être en état d'analyser leur origine. Sommes-nous à même d'apprécier clairement


d'un scribe ancien.? Assez souvent le R. P. tranche d'après cette situa-
l'état d'esprit

tion on peut s'expliquer l'addition, on ne peut s'expliquer l'omission, ou récipro-


:

<iuement. L'argument a de la valeur, quand les deux termes sont clairs, posés ainsi
clairement; mais quand on ne s'explique ni l'addition, ni l'omission, faut-il rejeter
l'addition des Septante simplement parce que l'omission n'a pas de causes connues?
Sur I Sam. 14, 18, le R. P. préfère les LXX contre le texte massorétique et le

syriaque, le chaldéen. l'arabe, la Vulgate, qu'il était inutile de nommer. Il met


cphod au lieu de arche. iMais saurait-il donner raison du texte massorétique? On se
demande si toute cette histoire n'a pas paru un peu étrange aux Rabbins; s'ils n'ont
pas été tentés de mettre l'arche dans uue scène où le grand prêtre était si souvent
en action, et d'autre part si VOurim et le Toummim de Ex. 28, 30 avaient leur place
dans une consultation faite en plein air, tandis que le grand prêtre devait revêtir
le pectoral en entrant dans le sanctuaire.
Et quoi qu'il en soit de ce point, il est surprenant que l'auteur qui rejette les gros

chiffres, mette toujours leur apparition sur compte d'une erreur de copiste, alors
le

que la tendance à la surenchère est visible du texte hébreu aux Septante, des Sep-

tante à .losèphe (sur I Sam. 11, 8). J'espérais que l'auteur, qui vise plus à la mé-
thode qu'à de détail, dégagerait la pensée des Septante. D'après lui, ils
la critique

ont ajouté, et intentionnellement. Ne pourrait-on pas découvrir la clef de leur pro-


cédé? Ce serait bien opportun pour trancher certains cas, car on ne peut nier que
beaucoup sont douteux, et il est visible que les commentateurs se décident d'après

l'opinion qu'ils ont des deux textes. C'est cette opinion qu'il faudrait une fois raison-

ner solidement.

Peuples voisins. — Egypte. — Rien n'indique la manière dont les Babyloniens


régis par le Code d'IIammourabi et les Hébreux entendaient le jugement de Dieu.

Le texte de l'Exode dit simplement condamnera fera à son pro-


: « Celui que Dieu
chain une restitution au double » (Ex. 22, 9). Et chez les Hébreux l'interdiction
des images empêchait à tout le moins d'entendre ce jugement à la façon très réaliste
des Egyptiens. Chez ces derniers la statue divine inclinait la tête, et même on con-
naît un cas où elle a répondu de vive voix. Un document d'Abydos. récemment
découvert, a permis à M. Moretde donner quelques précisions sur ce point bien connu.
Le dieu ne ligurait évidennnent que pour ratilier une sentence sacerdotale. Mais
connucnt les tribunaux ecclésiastiques fonctionnaient-ils à côté des tribunaux civils?
il semble qu'un plaideur qui avait perdu sa cause devant un tribunal ordinaire,
pouvait, eu s'agregeant dans le clergé, ressortir désormais au for ecclésiastique,
qui constituait dès lors un tribunal d'appel. Le document eu question se place sous
Ramsès H, et le juge divin est un pharaon divinisé, Ahmès I", le vainqueur des
BULLETIN. 283

'î^vosos {Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, mai- juin

19n, p. 157 ss.).

Le vol. XII des papyrus d'Oxyrhynque (!) ne contient aucun texte biblique, ni
classique, étant entièrement consacré aux documents officiels ou privés. Nous
aimons cependant à signaler ce qui caractérise le milieu dans lequel s'est développé
le christianisme. C'est un bien ancien document 'n° 1477) que cette liste de
questions qui va du n" 72 au n° 92. et qui se prolongeait sans doute sur une feuille
perdue. A qui s'adressait ce questionnaire? A quelque divinité sans doute. Ou bien
l'oracle consulté était-il l'ame d'un mort? On lit ce que certains de nos contemporains
ont df-mandé aux tables tournantes, avec les nuances du temps : Resterai-je où je
vais? serai-je vendu? mon ami me rendra-t-il service? m'entendrai-je avec un autre?
l'absent reviendra-t-il.? gagnerai-je quelque chose, à l'affaire? trouverai-je à vendre?
serai-je exilé (2)? deviendrai-je sénateur? serai-je débarrassé de ma femme? etc
Préoccupations tout à fait terre à terre, qui sont de tous les temps, et qui relèvent de
la superstition plus que de la religion si les questions sont posées à un oracle. Elles
paraissent remonter au temps de Dioclétiea.
Dans temps où nos soldats sont à l'honneur, citons les sentiments délicats d'un
ce
soldat, qui, bien différentdu Pitou vulgaire du temps de paix, demande qu'on ne lui
envoie rien, et déplore qu'on ait inquiété sa mère sur sa santé. C'est du début du
second siècle (n 1481) « Theonas à madame sa mère ïetheus, avec toutes ses salu-
"
:

tations. Je veux que vous sachiez que si je ne vous ai pas écrit depuis si longtemps,
c'est que je suis au camp, mais non comme malade ne vous inquiétez donc pas. ;

Moi-même j'ai eu de l'ennui, ayant su que vous l'aviez appris, car je n'ai pas été
gravement malade. J'en veux à celui qui vous l'a dit. Ne prenez pas la peine de nous
rien envoyer. Nous avons reçu les paquets de la part d'Héraclidas. Mon frère Diony-
tas m'a apporté le paquet, et j'ai reçu votre lettre »...
Il se rencontre encore (n° 1484) une invitation à la table de Sarapis. Dans une note

M. Milne met en doute le caractère sacré d'un tel repas. Et il a peut-être raison. Ne
peut-on pas supposer qu'il y avait dans les temples des salles à manger où l'on pou-
vait prendre des repas qui ne fussent pas précisément des repas sacrés? C'est ainsi
qu'on entendrait l'invitation de l'exégète à dîner dans le temple de Déméter (n° 1485).
Nous devons ajouter que ces échantillons, qui relèvent du fait divers, ne donnent

aucune idée de la richesse des documents publiés, qui continuent à jeter une vive
lumière sur la vie antique, spécialement sur l'administration. On y voit un pro-
priétaire déclarer des ânesses en vue de la taxe,un magistrat obliger les banquiers
à accepter les nouvelles monnaies impériales, un mari reprendre l'union conju-
gale, dûment autorisé pour cela, avec un nouveau contrat de mariage, des procès,
divers actes administratifs, un inventaire de biens des temples, etc., etc. Il y a des
rescrits impériaux dont un de Septime-.Sévère.
semble en résulter que des l'an 200 Il

le pouvoir impérial refusait de dispenser des charges onéreuses, même quand on


renonçait à ses biens. Et, quoi qu'il en soit de ce point particulier, on voit à quel
point la vie sous l'empire était étroitement régie par le pouvoir jusque dans les
moindres détails.

Assyrie et Babylonie. — La Revue d'assyriologie est toujours riche en échos


de la vie sémitique ancienne, qui répondent aux usages des Hébreux ou nous

The Oxijrhyndni.s Papyri, Part XII, edited with translations and notes, by Bernard P. Ghen-
(1)
D. Litt. ... and Arthur S. Hlm-, witli two plaies, in-4" de xvi-SSapp., Londres, 191G. — M. Hunt,
FELi-,
retenu par ses devoirs militaires, n'a pu collaborer aussi activement que de coutume.
(2) a ïJYa«-.JTo;i(2i ; traduit : s/mll I take to flight?
286 REVUE BIBLIQUE.

informent sur des coutumes que Hébreux ont probablement connues, sans parlrï
les

(les traits d'histoire qui lont une lumière nouvelle. _\ous empruntons cette revua à

la moisson d'articles et de notes qui fout la contribution du R. P. Scheil.

Vol. Xi, n'' IV" (1914). Le Gohryas de la Cyropédie et les textes cunéiformes. Le P.
Scheil montre que le plus ancien Gobryas, du temps de Cyrus le Grand, est le même
(lue le Gubaru des textes cunéiformes de l'époque de iNabuchodonosor-ISabonide
(G04-538). C'était un chef babylonien, qui se rendit à Cvrus sans combat et lui faci-

lita la conquête de la Babylonie. Or les documents cunéiformes prouvent que les


grandes lignes du récit de Xénophon ont été empruntées à des traditions authen-
tiques. — Une note supplémentaire nous renseigne, toujours d'après les inscriptions,

sur le Neriglissor de Bérose, ou Nergal sar usur, roi de Babylone (559-556). C'était
un simple particulier, très riche, qui s'éleva aux grands emplois, et monta sur le
trône à un âge assez avancé, ayant environ C5 ans.
Contrat babylonien à légende araméenne. La légende araméenue est I D1SSD3
j";!!!: S" Il m
ui. C'est-à-dire qu'il s'agit de un paras et cinq sicies empruntés par

Nabû riwwân (Nabù rimanni). L'équivalence du texte babylonien prouve que paras
est bien une demi-mine, comme M. Clermont-Ganneau l'avait conjecturé. Le P.

Scheil estime que le taux de l'intérêt dépassait 20 p. 100 par an. Le temps est la

deuxième année de Cyrus.


Vol. XII, n" Il (1915). La pi'omesse dans la prière babylonienne. Ou savait déjà
que les vœux à la divinité pour obtenir ses faveurs. Mais
Babyloniens faisaient des
le deux inscriptions plus caractéristiques. Par une heureuse
P. Scheil cite aujourd'hui
coïncidence, l'une contient l'expression d'un vœu, l'autre constate qu'une promesse a
été remplie ou plutôt soldée. Nous reproduisons la 'traduction de ces textes, qui
datent de la première dynastie de Babylone. Voici le vœu :

Un tiers de mine et cinq sicies d'argent, —


c'est l'o/frande ià laquelle) sur Idin-Iclilar lé
dieu Cliamacli aura droit lorsque pilié le dieu Oiamacti aura eu de lui; et lorsque ildin-lclitar)
les retours de faveur du dieu Ctiamacli aura vus, l'argent sera dans sa main (et) l'argent con-
tentera le cœur du dieu Cliamacfi, son roi, etc. Cachet et sceau.

Et voici le paiement d'une chose promise :

Au sujet de 1/2 mine d'argent, argent du dieu Icliar-2)adda, Amatum le cœur du dieu Icliar-
padda et de Girra-gacfiir a contente. Mois d'Arah-Samma, 17"'« jour au malin.

On noiera avec le maître traducteur que le sujet du vœu demeure secret; celui
qui promet se réserve de décider seul s'il a été exaucé. « L'impétrant n'avait fait

que signer le document; c'est le dieu Isar-padda qui donne quittance; il le fait par
l'intermédiaire de son représentant, Girra-gasir, dont le cœur n'est pas moins satis-
fait que du
dieu, et qui appose allègrement son cachet » (p. 72).
celui
/.''S au temps de Ilim-Sin. On s'était habitué en Allemagne à regarder
lliibiri les
llablri d'el-Amarna comme représentant exactemeutjes Hébreux au moment où ils

cliercliaient à envahir la Palestine. Cette équation, qui n'a jamais été acceptée dans
la Ih'vne [\), était gro.sse
de conséquences. L'une d'entre elles était de supposer l'Exode
accompli au temps delà XVlll*' dynastie. C'est à ce moment en eiïet que les llabiri
font cause commune avec certains chefs indigènes de Syrie et de Palestine contre la
domination égyptienne. Or le P. Scheil a constaté leur existence six cents ans plus
tôt, a Larsa, au temps de llim-Sin. Il propose d'y voir, à l'origine, une peuplade

élamite, kassite ou bas-niéso[)otamienne, et, en tout état de cause, ils servaient


dans les milices de la dynastie élaujite de Larsa. Ils occupaient des postes militaires

{1 Cl. entre autres /{/;., I!t0!t, \^. 07 ss.


BULLETIN. 287

stationnés le long du désert pour contenir les populations semi-nomades des bords
de lîuphrate et de la Paimyrène. « Pour ces troupes perdues que n'affectaient guère
les vicissitudes de la métropole, fût-ce un changement de dynastie, c'était, à l'état per-
manent, la vie de police, d'escarmouches, d'incursions. On les appela bientôt les

Habii-i,du nom d'un de. leurs prÏLicipaux groupes. Entre temps, le mode et le milieu
de leur recrutement avaient pu changer, mais leur rôle primordial de défendre ces
contrées contre iingérence égyptienne, au proQt de l'influence babylonienne, persista
avec le nom de Habiri, jusque sous la dynastie kassite, au temps de la dix-huitième
dynastie égyptienne » (p. 114). Le nom est écrit en toutes lettres, Ha-bi-ri, sur l'ins-

cription publiée par Scheil :

Ce sont 4 {ou ">) vêlements... pour les officiers (des) Habiri, que Ibni Adad... a reçus. Pré-
sur l'avoir du temple de Chamach, par Ili ippalzayn. Mois de Nisan, il' jour, année de
levé {?)
Rim-Sin, roi.

Le terme pftt bîti ullulu en Droit bahijlonien. C'est maison »,


-< laver la face de la
ainsi déclarée dégrevée de tout droit, comme un quand on
esclave est allranchi
purifie le front de la marque deVesclavage, « rit d'une sorte de baptême qui emporte
l'adoption » (p. 115). —
Ce qui est aussi très curieux, c'est qu'une maison n'étant
pas fdcile à déplacer, comme il fallait jurer à la fois en présence de la maison et en
présence des dieux, on apportait leurs emblèmes.
Vol. XIII, n" I (1916). Le cylindre d'Uve-il. Ce cylindre, de l'époque des pre-
miers rois d'Agadê, représente la lutte de Gilgamech contre le taureau et d'Éabani
contre le lion. Son propriétaire se nommait Isre-il fils de Ris-Zuni. « Isre-il ou
Isre-el est une formation commune dans l'onomastique de l'Obélisque de Manistusu :

Ismâ-il, Isqu-il, Islul-il, Istup-il, Iti-il, etc. Piien n'empêche de la comparer à


l'hébreu SN'lil*'', et de lui attribuer un sens analogue » (Scheil, 1. 6).
Vol. XIII, n° II. Les nouveaux fragments du « Code ». Publiés par M. Poebel,
Historical and Grammatical Texts, University of Pennsylvania (1914), ces fragments
sont relatifs au prêt à intérêt.
Vol. XIII, n" IV. Textes funéraires. Ces textes, au nombre de sept, viennent de
Suse, où ils ont été découverts dans des tombeaux par M. de Mecquenem. Le
P. Scheil, qui les date des vr*^ et vir siècles avant Jésus-Christ, analyse ainsi le pre-
mier et le plus important :

« Le premier de nos morts quitte sans regrets une vie qui n'eut pour lui rien d'un

banquet. Sur une terre de misère, son dieu et bon génie lui avait donné en partage
un lot qui ne produisait que laîches et joncs, et où tout était peine et labeur. On lui
avait mesuré parcimonieusement l'eau et l'herbe, dans un désert appelé champ d'a-
ridité. Loin de partir à regret, il lui tarde, au contraire, que son dieu le fasse
engloutir par la maison des ténèbres. Il veut s'en aller et comparaître devant les
Anunakis, qui, avec la déesse Mamiti, sont les juges des enfeis. Son âme traversera
le tombeau sans s'y arrêter, et, guidé ou assisté par son dieu protecteur et interces-

seur, il paraîtra devant les dieux grands. Il attendra une sentence dont, semble-t-il,
il n'ose espérer qu'elle sera favorable. En effet, si les juges ont égard aux iniquités,

qui donc s'en sauvera? Mais il a confiance eu la miséricorde. Son dieu particulier,
dont il a souvent, durant la vie, réclamé l'intercession, en récitant les Sigû ou
psaumes pénitentiaux. et dont il n'a jamais négligé le culte, lui sera secourable. II
embrasse ses pieds, c'est-à-dire il l'implore pour obtenir par lui indulgence et
grâce » (p. 166 s.).

Voici d'ailleurs ce texte traduit de l'assyrien par le P. Scheil :

r
.;
;

288 REVUE BIBLIQUE.

Or sus' II'"- j' "<^'' ««"«: '"on dieu, mon Enunaki! Que je fran-
seigneur, devant la face des
tombeau! Que je saisisse dieux grands! Que j'entende {moKven-
ta main, devant les
chi'ise le
lence. r/ue j'embrasse tes pieds!
Tu as tardé! {Enfin) la maison de ténèbres, ô mon diei^ ûu la
l'aism'emporler. Un marécage de fatigue et de peine, sur la terre de misère, tu as et ma me
donner en partage tu {m' as mesuré précieusement l'eau et l'herbe, dans le champ de la sé-
,

cheresse.

La mention du jugement a une souveraine importance.


Nouveaux renseignements sur Sarrukin d'après un texte sumérien. Ce texte, qui —
vient des récentes fouilles de Warka, date de l'époque de la dynastie d'Isin, ou du
rèt;ne de Samsu iluna. Le P. Scheil y a lu le nom du père, de Sarrukin qui était Lai-
pum; « c'en est fait par là. de toutes les légendes sur l'origine clandestine du grand
roi » (p. 177)- Il est possible cependant qu'il n'ait pas connu son père, comme le

disait le texte de Rawl. IV. 7, 2. abi ul %-di, s'il était posthume ou en très bas âge
quand ce père mourut. Le P. Scheil préfère supposer une mauvaise restitution du
scribe aboutissant à abi ni i-di.

Le 25 mai 1917, le P. Selieil a signalé h l'Académie des Jnscriptrons et Belles-


Lettres une au Musée de Philadelphie par M. Stephen Langdon. Il
trouvaille faite

s'agit de la deuxième tablette de VÉpopce de Gilgarnech, qu'on ne possédait pas encore.

Là est raconté comment l'hiérodule façonna à la vie civilisée le satyre Enkidou,


avant qu'il entrât dans l'intimité du héros Gilgamech {Comptes rendus de mai-juin,
p. 140j.

Syrie. — Les Études Sj/riennes de M. Franz Cumont (1) sont dédiées à M. Cler-
mont-Ganneau, « interprète pénétrant et commentateur érudit des antiquités

syriennes ». C'est un juste hommage rendu au maître français; le public ratiflera


un jugement autorisé par une maîtrise semblable. M. Cumont a parcouru en 1907
la Syrie du Nord, et ce sont les résultats archéologiques et géographiques de ses

recherches qu'il a groupés dans ce beau volume. Tout y est de même valeur obser- :

vation précise, commentaire judicieux et érudit, et plusieurs catégories de lecteurs


pourront y trouver profit. Lamarchc de l'empereur Julien d'Antioche à l'Euphrate
Les Villes de l'Euphrate, Zeugma, JSéocvsarëe, Rirtha; Les carrières romaines d'Enesh
Arvlis et Arima: CyrrJius et la route du Nord intéressent surtout la géographie
ancienne. Le clia pitre Mausolées de Commagène et de Cijrrhus s'adresse surtout aux
archéologues, auxquels il propose une évolution du tertre de terre jeté sur un mort
jusqu'aux plus élégants mausolées grecs, en passant par les Pyramides. L'aigle
fuw'raire d'Hiérapolis et l'apothéose des empereurs; Dolichè et le 7.rus Dolichènos

Divinités syriennes, attirent plus l'attention de l'historien des religions. Mais c'est
toujours la méthode. L'archéologie, c'est-à-dire l'examen des monuments,
même
(ournit le thème, et les textes en tirent presque autant de lumière qu'ils en four-
nissent pour dégager le sens religieux, principale préoccupation de l'auteur. Le
groupe le plus compact des monuments —
si l'on peut aussi donner ce nom à de

M'iitps iiitailles —
est relatif à l'aigle, chargé d'emporter le définit dans le ciel, et
spécialement dans le soleil dont il est le symbole. L'ensemble forme une évidence telle

du R. P. Ronzevalle, tendant à regarder l'aigle comme


(ju'on s'étonne des objections
un simple motif de décoration. M. Cumont a rapproché sur ce point le grillon,
c(tmnie instrument d'apothéose, et n'a pas manqué de citer le sarcophage de ilaghia
Triada, oii nous avions observé naguère que le passage de la terre au ciel s'opérait

sur un char enlevé par des griffons (2).

(I) Études syriennes, par Frvn/. Cimont, membre àv l'Inslitut, in-X' de xi-3T9 pp. avec de nom-
breuses illuslrations. Pitris, Picard, 1917.
(2) La Crète ancieiDif, ditOH, |).ii7.
BULLETIN. 289

Mais la haute antiquité de ce monument aurait pu le mettre en garde contre


l'affectation trop exclusive du griffon au culte du Soleil. Dans l'île de Crète, le culte
du Soleil ne paraît pas avoir été proéminent. On
la Mère des songerait plutôt à
dieux, et précisément M. Cumont ne refuse pas d'admettre que Faustine soit montée
au ciel sur le char de la Mère des dieux, enlevé par des lions. Il y a un peu d'esprit
de système à rappeler ici le caractère igné du lion. Le soleil a tout envahi, mais il
y
a intérêt à distinguer d'autres conceptions anciennes. D'autant que la même Faus-
tine probablement apparaît sur une intaille, portée par un griffon (1).
Ordinairement les empereurs et autres personnages honorés de l'apothéose ne
montaient pas aux cieux sur les ailes d'un aigle, mais dans le char du soleil. « Après
la conversion de Constantin, le type des médailles de consécration fut christianisé :

l'empereur est toujours figuré guidant un quadrige vers le ciel, seulement il tend la
main vers une autre main ouverte, celle du Dieu de la Bible, qui d'en haut s'abaisse
vers lui pour le saisir » (2). Ce trait est des plus curieux voilà bien une sorte de :

syncrétisme entre le symbolisme païen et l'idée chrétienne. Mais que reste-t-il en


réalité du symbolisme païen? Et combien ce mélange décoratif est tardif! Si les
rapprochements ont de l'intérêt, le silence aussi a sa signification. Dans tout ce sym-
bolisme des apothéoses, seule la couronne, qui est d'ordre humain, se retrouve dans
le Nouveau Testament comme un indice de la récompense divine. Cela est bien à
noter à rencontre de ceux qui voient partout des emprunts faits par le christianisme
naissant, surtout aux prétendus dieux morts et ressuscites. L'Ascension du Sauveur
n'a été « ornée » d'aucun de ces accessoires dont toutes les apothéoses sont richement
pourvues.
Parmi ces apothéoses, M. Cumont a placé avec raison celle d'Israël d'après l'As-
somption de Moïse Alors tu seras heureux, Israël, et tu monteras sur la nuque
: «

et sur les ailes de l'aigle... et Dieu te haussera et te fixera au ciel des étoiles ». Il
s'agit bien là d'une eschatologie transcendante, d'une révolution cosmique (3), et non
pas de l'empire romain figuré par l'aigle comme le voulait Kautzsch (4).
Sur tout ce rôle du pensée de M. Cumont paraît assez
soleil dans l'eschatologie, la

flottante quant aux origines, et l'on ne saurait qu'apprécier cette réserve. Notons
cependant cette particularité qu'à lire le texte on croirait à l'origine sémitique et
même syrienne, par exemple d'après les pages 61 et 106. Mais si l'on se reporte aux
notes, il faudrait conclure qu'ici l'Egypte est l'initiatrice. En effet des théories ensei-
gnaient que les âmes, descendues y remonter après la mort, etdu Soleil, devaient

ces théories se répandirent en Syrie au plus tard à l'époque des Séleucides, dit le
texte. Mais nous lisons en note à la page suivante « L'idée que les Pharaons allaient
:

après leur mort s'absorber dans le soleil était déjà répandue dans l'ancienne Egypte »,
et nous voyons plus loin (p. 106, note 2) que cette Egypte ancienne est représentée
par des textes des pyramides, c'est-à-dire d'une très haute antiquité. Aussi est-il
vraisemblable que c'est l'Egypte qui a inspiré les anciens pythagori^ 'eos du v^ siècle
av. J.-C. Quelle valeur peut avoir en comparaison de ces dates le temps des Séleu-
cides? Plus j'y réfléchis pour ma part, plus il me semble constater l'influence de
l'Egypte dans le monde antique en matière de fins dernières. Les Sémites, et spécia-
lement les Syriens, n'ont pas eu à l'origine pour dévotion qu'ils ont eue
le Soleil la

depuis le syncrétisme hellénique. Et si le Soleil n'entre en scène à propos des fins

(1) Cumont, p. 94 s. avec les notes.


(-2) P. 103.
(3) Le Messianisme chez les Juifs, p. 86.
(4) Cumont, p. 74.

lUCVUE BIBLIQUIÎ 1918. — N. S., T. XV. 19


290 REVUE BIBLIQUE.

dernières qu'à partir d'Alexandre, ne peut-on pas sans scrupule insister davantage
sur les origines égyptiennes de cette idée? La question de l'aigle funéraire est dis-
tincte de ce premier point. Il se pourrait fort bien que chaque pays ait eu son
oiseau du Soleil, l'Egypte le faucon et les Sémites l'aigle. On trouvera tous les élé-
ments de solution dans l'appendice de M. Cuniont sur rorigine de l'aigle funéraire
[p. Î08-118).
Je demeure plus sceptique au sujet de l'article intitulé : La double Fortune des Sc-
mites et les processions à dos de chameau. Il s'agit d'une petite terre cuite qui repré-
sente les images de deux femmes portées à dos de chameau. M. Cumont les prend
pour des déesses, et je n'en vois d'autre preuve que leurs couronnes tourelées. C'est
un indice grave. Mais que faisaient-elles à chameau? Il faut supposer une procession,
organisée pour porter sur le dos de ces animaux les images divines. Pourtant l'auteur
a rappelé et reproduit une autre terre cuite (musée du Louvre), où deux femmes sont
assises sur un chameau dans la même posture. C'est, il le concède, un sujet de
genre. Interdira-t-on au modeleur de ces fantaisies d'ajouter à la parure de ses fem-
mes des coiffures ordinairement réservées à la divinité? Ou bien n'a-t-il pas voulu
simplement jucher sur un chameau deux déesses? Le point de départ est bien précaire
pour les doctes développements fournis par l'érudition impeccable de M. Cumont.
Il nous fait observer que les Sémites ont connu deux Fortunes ou Tychés; mais l'une

était celle de Vénus, l'autre celle de Jupiter, donc l'une féminine et l'autre mascu-
line...

Dans la séance du 10 août 1917, à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,


M. Cumont est revenu sur le personnage de Gaïonas, le ûEt-voxpiTr,?, que les fouilles
du Janicule ont rendu célèbre, et spécialement sur l'inscription déjà citée dans la
Revue (1908, p. 312); mais au lieu d'entendre le « lien » d'un charme magique, il y
voit plus prosai(iuement la construction d'un bassin. La traduction serait donc :

« Pour qu'un lien puissant, que Gaïonas, juge des repas, a établi, fournisse une vic-
time (ou « un sacriDce ») aux dieux, et l'interprétation : Gaïonas a fait construire ce
bassin pour retenir captifs les poissons destinés à être offerts en sacrifice. Or ce
Gaïonas, un Syrien du temps de Commode, est aussi connu par son épïtaphe, mé-
lange de vers grecs et de quelques mots latins :

D{is) M{anibus) siacrum),

'EvOiiBe Fatwvaç, 6ç •da-ziSzp ^v •rcoxe Pwjirjç,

xa^ Bet'nvotç xpeîvaç noXXà jxst' eù^poaûvri;

7.eT[jiat Ttô GavdtTO) jj-yiÔèv 3(p£iX6jjievo$

Gaïonas animula

Avec sa maîtrise habituelle, M. Cumont explique comment ce juge des repas,


c'est-à-dire des repas sacrés, n'était plus, grâce a sa religion, dû à la mort, mais qu'au
contraire son âme était assurée d'y échapper.

Mais on se demande sur quoi il fondait son assurance. D'après M. Cumont, c'est

sur les repas sacrés eux-mêmes, dans lesquels les invités buvaient « le vin, breuvage
d'immortiililé », et consommaient le poisson d'Atargatis. « Par la vertu mystérieuse
de ces aliments sacrés, le fidèle était égalé aux dieux et assuré de prolonger au delà
du terme fatal de la mort une vie bienheureuse » (p. 282).

C'est de quoi je ne suis pas persuadé, et en cet endroit aucune référence n'appuie
la conjecture du savant belge. Il est vrai que le titre de juge du repas rappelle à
M. Cumont que dans certaines confréries on jugeait des irrégularités ou sévices qui
BULLETIN. 291

pouvaient se produire dans le festin sacré. Mais ce qu'il ajoute va plus loin : « Les
célèbres fresques de la catacombe de Prétextât, qui représentent des scènes de la vie

d'outre-tombe, telle que se la flguraient les sectateurs de Sabazius, nous montrent la

défunte Vibia introduite par son « bon ange » {angélus bonus) au banquet des bien-
heureux, où l'on sert, comme sur la terre, le poisson ; on l'y voit ensuite assise au
milieu de cinq autres convives, couronnés de fleurs, qui sont, dit une inscription, les

Bonorum mdicio iudicati (p. '283). Il y avait donc un jugement, et il ne suffisait pas
des aliments sacrés pour être assuré de l'immortalité bienheureuse. Peut-être y
un premier jugement, le vote d'admission à un certain degré dans les mys-
avait-il
tères, une sorte de scrutin de ballottage comme dans les cercles. Et cela même n'a-
vait-il pas plus d'importance que le repas?

Lorsque les élus rendaient le jugement définitif, n'avaient-ils pas égard aux vertus
morales? le terme de bonorum semble l'indiquer.
Dans l'inscription du Janicule, Gaïonas parle du sacrifice, non des repas sacrés
directement. A s'en tenir à la notion commune, l'efficacité du repas est nécessaire-
ment jointe à celle du sacrifice. Il n'y a donc pas lieu d'insister trop sur la vertu
propre de l'aliment pour donner l'immortalité. Encore faut-il savoir gré à M. Curaont
d'avoir parlé d'aliments sacrés, où d'autres n'auraient pas hésité à parler d'aliments
qui sont le Dieu lui-même.
11 semble bien d'ailleurs que le mot de animula exclue la résurrection.

Correspondance. — Monsieur le Directeur,

Voulez-vous me permettre quelques brèves observations sur quelques passages des


épîtres de S. Paul, cités récemment dans la Revue Biblique?
1. Dans sa IP épître aux Corinthiens, l'apôtre ne dit pas : Dès que les cœurs des
Israélites se sero72t tournés vers le Seigneur, le voile sera ôté (1) ;mais « Quand:

leur cœur s'est tourné vers le Seigneur, le voile est ôté (3, J6) ». Il ne s'agit pas
de ce qui arrivera quelque jour dans l'avenir, mais de ce qui arrive toutes les fois
qu'un Juif se convertit.
Et cette phrase étant empruntée à la version des LXX (Ex. 34, 34), il est bien

peu vraisemblable que le Seigneur y désigne Jésus-Christ. Mais si le Seigneur


signifie Dieu au v. 16, il serait bien surprenant qu'il en fût autrement aux v. 17 et
18. « Or le Seigneur est l'Esprit » me parait signifier essentiellement la même chose
que « Dieu est esprit ». L'Esprit de Dieu répandu dans le cœur y produit la liberté.
Cf. Rom. 5, 5; 8,15, etc. Et la gloire du Seigneur ou de Dieu que le chrétien con-
temple est celle qui est apparue en Jésus-Christ, l'image de Dieu.
2. Dans la même épître (12, 17), saint Paul n'a pas parlé non plus d'une écharde
dans la chair (2), mais d'une écharde pour la chair {xf^ aapxî), ce qui est fort
différent. Il ne s'agit pas d'une infirmité corporelle, mais d'une douleur morale,
inspirée par le souvenir d'un péché passé qui Vhumiliait profondément et que l'as-
surance renouvelée de la grâce de Dieu suffisait seule à adoucir.
C'est ce qui a été expliqué dans la Revue de théologie de Montauban, en 1911
(p. 368) et en 1912 (p. 411).
Le souvenir douloureux de son passé de persécuteur de l'Église de Dieu était
« pour l'apôtre le moyen par lequel la chair, c'est-à-dire la nature charnelle, dont
l'orgueil fait partie, était mortifiée (ou crucifiée) en lui." Voilà ce qui lui avait été

(1) 1915, \). 584.


("2) Ibidem, p. 383.

t
292 REVrE BIBLIQUE.

donné pour l'humilier, pour qu'il ne s'enorgueillît pas des visions et des révélations

dont il avait été honoré ».

Le mot grec traduit par écharde (azôXoJ») signifle proprement un pal, c'est-à-dire
du même genre que il remplace même quel-
la croix, et
un instrument de supplice
quefois le terme ordinaire qui désigne une croix (1).
Il faut considérer 1° qu'une infirmité corporelle, quelque douloureuse qu'elle
grave a un tel caractère et doit \
soit, n'a rien en soi d'humiliant, que seule une faute

produire un tel sentiment;


2° Que la parole divine : « Ma grâce te suffit! » suppose aussi comme antithèse

quelque péché, et nullement une infirmité ou une souffrance physique, difficile à

supporter (2),

3. Dans l'épître aux Philippiens : Le Seigneur est près (4, 5), et à la fin de la F"
aux Corinthiens Maran atha (3) ne signifient nullement que Jésus-Christ va revenir
bientôt. La première de ces paroles est empruntée à divers passages de l'A. T.
(Ps. 34, 19, etc.) et exprime simplement l'idée que Dieu est près de ceux qui
l'invoquent. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : Ne vous inquiétez de rien, mais exposez vos
demandes à Dieu, etc. (4).
4. Quant à la 2% si atha est un verbe, ces deux mots araméens ne signifient pas

Not7'e- Seigneur vient ou va venir, mais ISotre- Seigneur est venu. Ce qui ne pourrait
s'entendre que de sa venue il y a 1900 ans. Mais il me paraît plus probable que
c'est un substantif à l'état emphatique ou déterminé (âthâ) et qu'il faut traduire :

C'est Notre-Seigneiir (Jésus-Christ) qui est le signe! C'est-à-dire que le signe ou la

marque dislinctive du fidèle, ce n'est pas, comme pour les Juifs, la circoncision

(Gen. 17) ou l'observation des sabbats (Ex. 31. 13-17), mais Jésus-Christ, naturel-
lement pour ceux qui croient en lui ou qui l'aiment. Idée qui se rattache excellem-
ment à la précédente Si quelqu'un n'aime point le Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit
:

anathème (5) !

5. Le fragment d'une ancienne hymne chrétienne cité dans la I" à Timothée


(3, 16) ne devrait pas, à mon avis, être divisé comme il l'est généralement (6) :

ÈBt/.atwÔT) Èv jûVcU(j.aTi, xtX.

Car que signifie la phrase : il a été jtistific en esprit? La construction me paraît

être la suivante : Grand est le mystère qui a été manifesté :

Èv aapx't è8i)tat(j[)6r),

èv TivcûfxaTi a)ç6ï) «yy^Xoiç, xtÀ.

Dans la chair (c'est-à-dire pendant sa vie terrestre), il (Jésus-Christ) a été jxistifii'

(déclaré juste);
En esprit (dans son existence spirituelle, après sa résurrection) il est apparu à
des messagers (c'est-à-dire aux apôtres, qu'il a envoyés prêcher l'évangile. Cf. I Cor.
15 etc.).
De celte façon, il y a 5 vers seulement, dont les deux premiers ont le complément

(1) V. le Thésaurus.
(â) V. Revue de thèol. de Montauban, 1912, p. 412-1.-;.

(3) RIi., 1!M.';, p. 4.33.


(4) V. La vie fulim- d'après saint Paul, par Cli. Bruslon, 1895, p. 1", noie.
(5) V.' Revue de Uu'ol. de Montauban, 1913, p. 40-2.
(C) Rb., 191S, p. 691.
BULLETIN. 293

avant le verbe, et les trois autres après (èv lôvsaiv, èv xoa[Aw, èv 86Ç7)). Les deux pre-
mières idées exprimées sont aussi bien plus claires, et l'ordre de toutes est alors
plus naturel.
Le mystère de piété ne peut guère être séparé du verbe passif être manifesté :
pietatis sacramentum quod manifestatum est (Vulgate). Il en est de lui (de Jésus-
Christ) comme du mystère d'iniquité, de l'homme de péché, du fils de perdition (ou
Antichrist), qui devait aussi être révélé ou se manifester par toute sorte de pro-
diges nienteurs et de fourberies iniques (Il Thess. 2, 3-10) (1).
6. Les deux textes de l'ép. aux Galates et de celle aux Romains cités comme exemples
d'anacoluthe (2) peuvent, je crois, être entendus autrement. Dans le i^'" à-b Bè :

Twv 00/.0ÛVTWV ETvat Tt oTToî'oL TOTE Tiaav xtX. (Gai. 2, 6), rien n'empêche de traduire :

« Mais quelles personnes étaient jadis de ceux qui passaient pour être quelque

chose, peu m'importe!.. » Ce qui fournit une phrase tout à fait régulière. On allé-
guait à l'apôtre que parmi ces Sozoovte; il y avait eu autrefois des hommes parti-
culièrement éminents. Mais cette considération ou objection ne le trouble pas :

« Dieu ne regarde pas à l'apparence », etc.

On demandera peut-être à qui Paul fait allusion. « Peut-être à Jacques frère du


Seigneur. Mais à quel autre? car en faut au~ moins deux pour justifier le pluriel
il

[hr^XoCj. Peut-être à Jacques frère de Jean, mis à mort en 44 (Act. 12) » (3), et à
qui

son martyre avait dû donner une plus grande célébrité.


7. Quant à Rom. 5, 12, l'apodose après u)a7:£p existe parfaitement.
Seulement, il

ne fallait pas mettre un point à la On du v. 14. Je traduis « C'est pourquoi, de même :

que par un seul homme le péché entra dans le monde et par le péché la mort etc.,
par contre (aÀXa), ainsi que la faute ne serait pas aussi de même le don! » [Bien sur
que si, qu'il en est de même!] car si par la faute d'un seul la plupart sont morts, à

bien plus forte raison la grâce de Dieu etc. a abondé pour la plupart (4).
Comment supposer que la faute de l'homme puisse avoir plus d'efQcacité que le
don de Dieu?...
On voit que, de cette manière, ôaTîsp est répris par oj; au v. 15 et que oStw; répond

à l'un et à l'autre : De même que par le péché d'un seul la mort a passé sur tous les

hommes (v. 12), de même et à plus forte raison par la grâce d'un seul le don de
Dieu a abondé sur eux (v. 1.5). La protase et l'apodose se correspondent parfaite-
ment, et la comparaison ne peut pas être plus complète.
Les deux membres de la phrase sont seulement séparés par une longue parenthèse
(V. 13 et 14) assez obscure, que je me suis efforcé d'expliquer aussi dans
l'opuscule

que je viens de citer en note.


La ponctuation du texte du N. T. aurait besoin, à mon humble avis, d'une soi-
gneuse revision (5).

Mars 1917.
Ch. Bruston,
doyen honoraire.

(1) En de fourberies et d'iniquités, il sera


fait difficile de surpasser celles dont nous sommes
les témoins indignés depuis deux ans et demi.
(2) Ibid., p. 592.
(3) de Monlauban, 1913, p. 270.
Revue de théol.
(4) dans mes Études bibliques N. T., le parallèle entre Adam et Jésus-Christ, etc., 1894.
v.
(o) Je doute aussi que Mat. 9, 8 signifie les foules glorifiaient Dieu qui a donné une telle puis-
:

sance aux hommes, comme si ce datif pluriel pouvait signifier à un homme, à Jésus {Revïie
bibliq., 1916, p. 7). Pourquoi ne pas traduire qui avait donné une telle puissance pour les
:

hommes (dativus commodi)? C'est pour les hommes, en eflet, pour le fardon de leurs péchés,
que le Messie avait reçu de Dieu un tel pouvoir.
REVUE BIBLIQUE.

Monsieur le Directeur,

A la suite de quelques critiques allemands, un de vos collaborateurs mentionne,


comme le signe le plus certain de l'origine postexilienne de la 2" partie du livre de
Zakarie, « la mention des Grecs (ix, 13) comme une puissance mondiale » {RB.
1917, p. 127), ce qui « nous reporterait nécessairement (!) à l'empire macédonien »

(p. 128), soit immédiatement après la mort d'Akxandre, soit même à l'époque des

Makkabées.
Je regrette que votre savant collaborateur, qui connaît si bien les ouvrages en
allemand et en anglais sur la matière, n'ait pas remarqué dans mon Histoire de la
linérature 'prophétique, etc. (1881) une explication fort différente du passage en
(|uestion. Ou peut la trouver aussi dans, mes Étudea bibliques A. T. (1909) (1) et
ailleurs. Il ne serait pas inutile, je pense, de la faire connaître brièvement à vos
lecteurs :

Le texte ne parle pas de lavan (la Grèce), mais des enfants de lavan':
Je ferai lever tes enfants, ô Sion, contre tes enfants, ô lavan!
Ce qui n'est pas tout à fait la même chose. D'après la table des peuples (Gen. x),
les eufiints de lavan étaient : Elîshâ et Tarshîsh, Kittîm et Dôdânîm (ou Rôdânîm),
c'est-à-dire Gaule et Espagne, à l'ouest, Chypre et Rhodes à l'est. V. Les colonies
grecques d'après l'A. T., par Ch. Bruston, 1906 (2). Mais toute population d'origine
grecque établie en pays étranger pouvait être appeh'e de même.
Or, comment un discours dirigé d'abord contre Damas, Hamath, Tyr et Sidon et

les villes des Philistins, pourrait-il s'adresser ensuite aux successeurs d'Alexandre?
N'est-il pas évident que les ne peuvent pas être un peuple tout
fils de Javan (v. 13)

différent (dans le temps, dans l'espace et en importance) de ceux dont il a été question
précédemment (v. 1-7)? Pourquoi attribuer à un prophète un pareil manque d'unité
de pensée, une pareille incohérence ou divagation? Dans un tel contexte, les lils de
Javan, qui doivent être attaqués et vaincus par ceux de Sion, ne peuvent être que l'un
ou l'autre des peuples voisins de Sion, mentionnés peu avant comme devant être
abaiss('s par l'Eternel. Ni les Araméens de Damas et de Hamath (Sémites), ni les Ca-
nanéens de Tyr et de Sidon fKhamites, d'après la table des peuples) ne peuvent avoir
été appelés ainsi. les Philistins, mentionnés en dernier lieu, étaient, d'après
Mais
divers passages bien connus de l'A. T., venus de l'île de Raphtor, c'est-à-dire de
Crète : ils appartenaient donc suivant toute apparence à la même race que les Hellè-
nes ou Ioniens (=- lavan); il est donc naturel qu'ils soient appelés ici fils de laran.
L'argument de Stade ne prouve donc rien en faveur de l'origine récente de la
2" partie du livre de Zakarie.
J'ajoute que la mention de Iladrak, au début du chap. ix, plaide fortement en
laveur de l'antiquité de ce discours. On lit, en effet, dans une inscription de Téglath-
pli;ilas,ir : Kl)a-;i-da-ra-(ga) abù-shu sha Ra-tsun-ni Dimash-qaï, c'est à-dire Khâda-
rak, perc de Retsin de Damas. V. liemc de théol. de Moutauban, 1900, p. 208. Et
dans de Zakar, roi de Hamath, Hazi-ak est mentionnée comme la capi-
l'inscription
ale du royaume de Hamath. V, ibid. 1908, p. 371. Que ce soient là trois formes du
même nom, ce n'est guère douteux; seulement, la 3« est le nom d'une ville. Mais

(i) Les jtliis 'iniiiïis ]irf<],livi,;s, \'M~.


{i) El daus lues Études bibliques A. T.
BULLETIN. 295

les noms de ^rtés par des individus ne sont pas rares. Or dans le texte pro-
ville

phétique les mots et Damas sa résidence supposent la mention, immédiatement


avant, d'un roi dont Damas était la résidence ou la capitale. Hadrak était donc un
roi de Damas vivant à une époque où les deux royaumes d'Epliraïra et de Juda non
seulement existaient, mais étaient encore puissants (cf. v. 10, 13, etc.) (1). En face
de ces faits, il me paraît bien peu vraisemblable que cette portion du livre de Zakarie
soit postérieure à la ruine de Samarie et surtout à celle de Jérusalem et au retour des
exilés et même à la destruction de l'empire perse! — sans parler des Makkabées!...
J'aime à espérer que la brièveté voulue et forcée de ces observations ne nuira pas
trop à leur clarté et à leur force démonstrative.

2 novembre 1917.
Ch. Bruston.

(1) Ce qui coïncide fort bien avec le règne du prédécesseur de Retsin, de Damas.

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Finuin-Didot et C". — Paris,


\
NOTES SUR LES PSAUMES

DES RAPPORTS DU VERS HÉRREU ET DU PARALLÉLISME

Le Ps. V est en vers de cinq accents.


D'après Biidde, de la qhuth (1) est composé de deux stiques
le vers

de dimensions inégales, la longueur du premier étant à celle du se-


cond dans la proportion de 3 à 2 (2). Ces stiques ne sont pas seule-
ment délimités par un^iiètre de pure forme, ils sont séparés par une
coupe du sens, et d'autre part les deux stiques du même vers forment
ensemble une unité achevée. On ne saurait considérer le vers de la
qindh comme un stique unique partagé en deux fragments par une
césure un grand nombre de ces vers présentent en effet entre leurs
:

deux membres un réel parallélisme de pensée, bien que ce paral-


lélisme, le plus souvent, ne comporte pas deux propositions indé-
pendantes, mais s'exprime en une proposition complexe, ce qui le
rend d'ailleurs plus étroit. Le parallélisme, dans ce vers, n'est donc
pas seulement un procédé de rhétorique devenu la loi fondamentale
du discours élevé en hébreu il est « forme poétique « au sens propre
;

du mot, car c'est sur la longueur relative des membres parallèles


que repose l'effet rythmique spécifique du vers de la lamentation (3).
Un peu plus loin, Budde généralise cette remarque et affirme que le
parallélisme est aussi bien « forme poétique » dans le vers à
membres égaux et dans les diverses sortes de vers, quelles qu'elles
soient, de l'ancienne littérature hébraïque (4). De son côté, Duhm n'a
pas craint d'appeler le parallélisme des membres ' le principe for-
mel poétique » en hébreu (5).

(1) On a fait observer depuis longtemps que le mètre de cinq accents n'est pas réservé
à la lamentation.
(2) Dans ZATW., 1882, p. 5 s. et dans Hastings, Dict. of the Bihle, IV, p. 5.

(3) Dans ZATW., 1882, p. 46 s.

(4) Ibid. p. 49; cf. IlASTiNGS, p. 4 ss.

(5) Die Psalmen, Tùbingen, 1889, p. xxx.


REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 20
298 REVUE BIBLIQUE.

Le moindre défaut de ces formules est leur ambiguïté. Certes, ni


Dulmi ni même Buddc n'excluent Texistence d'un autre principe,
comme le nombre des accents, destiné à mesurer le vers; mais le
parallélisme s'y ajoute et la distinction n'est pas faite en ce qui le
concerne, ou plutôt la confusion semble établie entre poésie et ver-
sification. Et pourtant, le parallélisme peut sans doute être inhérent

et même indispensajjle à la poésie hébraïque sans appartenir à la


forme du vers. Il pourrait aussi peut-être appartenir à la forme du
vers bien que le principe de la mesure
mais dans ce fût différent;
cas on devrait nous dire à quel titre, et c'est ce que personne ne fait.
Il parait donc nécessaire non seulement d'étudier la place que

tient le parallélisme dans la versification hébraïque, mais surtout


de déterminer le rôle qu'il y joue. Cette étude se divisera en deux
parties, lune consacrée aux rapports du parallélisme avec le vers
hébreu en général, l'autre à ses rapports avec les différentes sortes de
vers, avec celui de cinq accents en particulier. La première donnera
davantage à la discussion théorique; la seconde, à l'examen des faits.

En hébreu, comme dans la plupart des systèmes de versification


à l'origine et peut-être dans tous, le vers est marqué par le sens.

Il s'arrête surune suspension, sinon sur l'achèvement de la pensée,


et comprend donc naturellement un membre de phrase. En termes
techniques, on dira que le groupement métrique correspond à un
groupement syntactique, l'un et l'autre étant de même étendue et
se recouvrant exactement (1). Mais tandis que, dans la plupart des
littératures, la dissociation s'opère plus ou moins, avec le temps,
entre les deux sortes de groupements, leur union reste constante dans
la poésie hébraïque. Le fait peut être dû à l'imprécision de l'élément
formel du mètre la mesure restant peu certaine, il aurait fallu
:

continuer de recourir à la coupe du sens pour marquer la coupe


du vers et permettre d'en discerner sans hésitation les limites (2 .

Les vers sont régulièrement groupés à plusieurs par le même


moyeu. Le groupement le plus ordinaire est celui du distique à l'in-
tiM'icur duquel la pensée, suspendue seulement à la fin du premier

vers, s'achève et s'enferme. Le tristique ncst point très rare. Le


tétrasli(jue l'est davantage et souvent peut être considéré comme un
tloubhimcnt du distique.

(1) Ce |iriiici|)e a élo souvent exprimé el il paraît admis communément.


(2^ Cf. Buddc dans Hasti.m.s, pp. 4 et 7.
NOTES SUR LES PSAUMES. 299

A cette distribution de
pensée en deux vers s'ajoute, le plus
la
souvent, un réel parallélisme de pensée, soit que le second vers
(1)
répète sous une forme un peu différente l'idée contenue dans le pre-
mier (cf. Ps. II, J) ou exprime en termes analogues une idée cor-
respondante (cf. Ps. xcvi, 11; civ, 19; cxiv, 3, 5; cxv, 5, G, 7 :

{iarallélisme synonymique), soit qu'il nie de façon directe (cf.


Ps. XXX,' 2) ou indirecte (cf. Pr. xi,1) lïdée contraire ou une idée
correspondant à celle-ci (cf. Pr. x, 1; Lam. iv, 22 parallélisme :

antithétique).
Ce qu'on appelle parallélisme synthétique et surtout parallélisme
de pure forme ou rythmique n'est pas un véritable parallélisme. Ni
les idées ne sont parallèles, ni même les expressions ne sont ordi-
nairement rangées dans un ordre symétrique. Il reste seulement
(fue le second vers achève ou complète, de quelque façon que ce soit,
la pensée du premier et qu'il est de longueur égale, ce qui revient à
dire que groupés deux à deux par le sens et présentent
les vers sont
la même étendue. (Jr, ce disant, on ne fait que constater la loi du
groupement par distiques et l'existence d'une mesure, toutes choses
qui ne sont point le parallélisme et même n'en dépendent pas, car
elles peuvent exister sans lui de même qu'il peut exister sans
elles (2). En fait donc, le parallélisme manque assez souvent dans la
versification hébraïque
personne, avec la meilleure volonté du
et
monde, ne le découvrira dans nombre de textes poétiques de l'An-
cien Testament (cf. Ps. ii, 6; m, 3,7; xxvii, 4; xxxi, 23; cxi, 1; cxxi,
1, 2, 4, 8; Gant, i, 7, 8; ii,l-2a, etc.).
7, 10; m, 3, 4, 5, 9; Is. v,
Ces observations ne sont pas nées du besoin d'une cause. Elles
n'ont d'ailleurs rien de nouveau et on les trouvera exprimées chez
plusieurs exégètes anci<^s et récents (3). Il est utile néanmoins de

(1) Pour la facilité de l'expositiou, on suppose ici que le membre parallèle s'identiiie
îivec le vers et le parallélisme tout entier, avec le distique. La suite montrera qu'il en est
ainsi en efTet le plus souvent, mais non pas toujours.
(2) Il de faire observer, par exemple, que le parallélisme de pensée
est à peine besoin
n'entraîne pas nécessairement l'égalité des membres parallèles. Le vers de cinq accents
comprend deux membres toujours inégaux et néanmoins assez souvent ] aialleles entre eux.
(SjKôster a écrit (r/^eo/or/. studicn und Kritikeii, 18.31, p. k'i) « Parfois enfin tout paral-:

lélisme disparaît... Le plus fréquemment les vers sont de deux membres ^stiques) tantôt
parallèles, tantôt non parallèles « W. de Wette se demandait [Commentar iiber die Psalmen
.

4' éd., Heidelberg^ 1836, p. 54) « Que faire des très nombreux passages où le
:
parallé-
lisme manque absolument, où les pensées ne se correspondent ni par synonymie, ni par
antithèse, ni syntliétiquement? » Et il justifie ainsi l'admission d'un parallélisme « de
forme purement extérieure et rythmique ». —
Kuenen est plus formel encore [Einleitung
III, t) « Il saute aux yeux que pour ces
: formes de parallélisme (synthétique et rythmique),
le nom de parallélisme ne convient qu'a moitié ou pour mieux dire ne convient pas du
tout. Il suit de là qu'il vaudrait mieux ne pas faire usage de ce terme dans une définition
300 REVUE BI13LIQUE.

les rapoeler. car,par suite d'un goût pour les idées simples et abso-
lues qui doit être une des formes de la paresse d'esprit, l'usage de
certains mots s'étend si bien qu'il en arrive à convoyer des idées
inexactes (1).

I. Le parallélisme ne fait pas le vers


ne saurait être considéré : il

comme le principe du rythme et de la mesure.


Si le parallélisme constituait la forme du vers, sa présence en serait

l'élément ou du moins un élément essentiel il ne pourrait donc :

manquer une seule fois. Or il arrive assez souvent qu'il soit absent,
sans compter les cas où il se relâche et s'affaiblit au point qu'on peut
discuter sur son existence.
En dehors de ce fait tangible, il y a que parallélisme et versifica-

tion sont choses d'ordre différent. L'une s'adresse à l'esprit, l'autre à


l'oreille. L'une affecte la pensée et relève de la logique; l'autre affecte
les sons et relève de l'acoustique 2 . Que les deux puissent être
associées plus ou moins directement et plus ou moins nécessairement
et se prêter un mutuel appui, on doit le reconnaître (3). Mais l'une

de la poésie de l'Aôcien Testament. Le parallélisme est une caractéristique très liabituelle,


mais non pas constante, des membres du vers « (p. 28). « En réalité, le nombre des vers
est très grand dans lesquels le parallélisme n'est rien de plus qu'une forme rythmique ou,
selon notre expression, dans lesquels le parallélisme est absent bien que le rythme
subsiste » (p. 38). — Konig n'est pas d'un autre avis (StilistiJi, etc., Leipzig, 1900, p. 312) :

« Même dans la partie du expressément désignée comme un chant


livre d'Isaïe qui est

(Is. V, 1 ss.), le parallélisme des pensées ne se montre pas toujours... De même on ne le


trouve point partout dans le Psautier. « — On lit encore dans G. B. Gray (Tlie Int. Crit.
Commentary : A crit. and exeget. Commenlary on the Book of Isaiah, I, Edinburgh,
1912, p. L\i) « Le parallélisme n'est pas un pliénomène constant de la poésie hébraïque
: :

des lignes se rencontrent fréquemment qui ne sont en correspondance avec leurs voisines
ni par un parallélisme de termes, ni même par un parallélisme général de pensée. Ce que
Lowlh a appelé « parallélisme synthétique » est en réalité une absence de parallélisme
dans des lignes comme Ps. ii, 6... »

Personne jamais n'aurait songé à employer le mot de parallélisme pour caractériser


(1)

le contenu oula forme de distiques purement synthétiques ou rythmiques si ceux-ci ne

s'étaient trouvés encadrés par des parallélisrnes synonymiques ou antithétiques.

(2) Cela est si vrai qu'un auditeur ignorant le latin, le franrais on l'anglais, mais ayant
de l'oreille, pourra, après quelques brèves explications, percevoir l'essentiel du rythme et
de la mesure ou plutôt ce qu'il y a de plus matériel et pour ainsi dire de mécanique
dans l'un et l'autre, car les nuances du rythme, la faron par exemple dont il s'adaptera à
la pensée ou au sentiment exprimés, lui échapperont nécessairement) des vers anglais,
français ou latins, s'ils sont convenablement scandés, un peu comme on i>eut jouir de la
musique d'un chant dont on ne comprend |)as la langue. Tout le monde sait, par contre,
que le rythme et la mesure s'évanouissent dans une traduction, tandis cjuc le paral-
lélisme y est conservé.
(.!) La sus|)ensioii et l'achèvemenl du sens s'adressent h l'esprit, mais all'cctenl aussi bien
l'oreille par la pause qui en résulte. Le parallélisme i>ourra, avoir des conséquences rela-
tivement au nombre et à l'ordre des mots; mais ces conséquences seront moins im-
médiates et moins nécessaires.
NOTES SUR LES PSAUMES. 301

n'est pas l'autre et l'une ne saurait jouer le rôle de l'autre. Sievers


a raison, en principe, de vouloir dissocier les questions de style et
les questions de métrique (1) la poésie n'est pas la versification et
:

la versitication n'est pas la poésie.


II. Le vers ne contient pas nécessairement le parallélisme, (2).
En
droit, il ne serait nécessaire d'englober les membres parallèles dans
le vers parallélisme était l'élément essentiel et premier du
("lue si le

rythme et de la mesure. Vient-on à reconnaître que le principe de


l'un et de l'autre réside dans un élément d'ordre formel et que le
parallélisme ne fait aucun motif n'existe plus de compter
pas le vers,

deux membres parallèles dans une unité rythmique. Aussi la concep-


tion du vers hébreu composé de plusieurs stiques apparait-elle
comme un legs d'opinions périmées, comme le corollaire des théories
d'après lesquelles le parallélisme était l'élément constitutif du vers.
On comprend que les membres parallèles aient dû être parties inté-
grantes du vers dans l'esprit de critiques comme H. Ewald. Mais

qui donc aujourd'hui écrirait avec lui « : A un premier membre


donné, comme au temps fort [Hebung] du vers, s'oppose, comme son
temps faible {Senkung), un autre membre exigé et conditionné par
le précédent... "En hébreu, une alternance du mètre pareille (à celle
de l'arabe) n'est pas possible cependant, que la voix dans le pre-
;

mier membre tende à s'élever et dans le second se modère et s'apaise,


les accents eux-mêmes l'indiquent dans Jug. v, 12 par la place
différente qu'ils occupent... De cette façon, deux membres, comme
temps fort et temps faible, sont les éléments constitutifs du vers...
T.à où une mesure des syllabes règne, et alterne à l'intérieur des
membres en temps forts et en temps faibles, cette harmonie de l'en-
semble peut suffire à la rigueur, abstraction faite du contenu. Mais,
où elle fait défaut, il ne suffit évidemment pas, pour unir dans un
ensemble harmonieux et vivant les éléments épars du vers, de
remplir de mots les deux membres suivant les dimensions requises,
puis d'élever la voix sur le premier et de l'abaisser sur le second.
Il faut encore que cette matière (du vers) soit
vraiment animée et
soulevée par le rythme le plus vivant, celui des pensées ou du sens.
Sans une effusion rythmée du contenu et de la vie des pensées qui
emplissent le vers, aucune harmonie des membres n'est possible, et
plus cette distribution de la pensée est ordonnée et mesurée, plus
l'ensemble du vers gagne en beauté. » -- « Dans l'ancien hébreu,

(1) Metrische Studien, Leipzig, 1901, I, p. 77 ss.


(2) Voir le numéro précédent de la Revue Biblique, p. 5 ss.
302 REVUE BIBLIQUE.

le seulmouvement de la pensée... constitue le rythme du vers » (l).


Ewald n'était pas un isolé. On retrouve la même doctrine, sous la
sig'nature de C. F. Keil, dans une Introduction qui fut classicpie en
Allemag-ne : < Les membres parallèles s'opposent l'un à l'autre de
façon que le discours s'élève dans l'un et s'abaisse dans l'autre...
Comme le rythme des membres parallèles consiste dans l'arsis et la
thésis, dans l'élévation [Hebung] et l'abaissement [Sen/ning] du dis-
cours, le vers exig-e au moins deux membres qui se correspondent et
que le parallélisme doit réduire à l'unité, et le distique est en général
à considérer comme
forme fondamentale du vers hébreu » (2).
la
Avec une pareille théorie, on est en effet dans la logique quand on
enferme le parallélisme dans le vers. Mais de quel droit Kunig ferait-
il de môme, lui qui reproche à Duhm d'avoir appelé le parallélisme

(( le principe formel poétique > chez les Hébreux (3)? Et Duhm n'a-t-il

pas tort en effet de paraître demander aux membres parallèles de


fournir le rythme et la m^esure du vers puisqu'il admet que la mé-
trique hébraïque repose aussi bien « sur le principe à la fois musical
et technique du nombre des accents » (4)? Budde n'est-il pas lui aussi
dans le même cas de^^uis qu'il a reconnu en somme l'existeiice d'une
échelle pour la mesure des lignes (5)? On pourra peut-être encore
prétendre qu'il n'y a ni versification sans parallélisme, ni parallélisme
sans versification. On ne peut plus considérer le parallélisme comme
la mesure du vers et le principe du rythme : ces deux fonctions sont
dévolues au nombre des accents et à l'alternance des syllabes accen-
tuées et atones, malgré l'obscurité qui règne encore à ce sujet. Il n'y
a plus dès lors aucun motif de tenir le vers pour composé de mem-
bres parallèles, ni par conséquent aucune raison d'enfermer par
principe le parallélisme dans le vers.
111. Le parallélisme, tout en restant un procédé de style, jouerait-il
dans la versification hébraïque le rôle réservé ailleurs aux artifices
de forme que sont la rime et l'allitération (0 ?

(1; Die Dichter des Altea Bundes,


I. Allgemeines iiber die hebrllisclie DicliUnig
das Psalmeabuch, seconde édition, (..Ulingen, 18(55, pp. 109 ss. et 130. La pen-
iind iiber
sée ne diflérc pas dans la première édition qui avait pour titre Die poetisclien Biicher :

dru Mien llundcs, I, Mlgemeines iiber die. hebr. Poésie und iiber dos Psabnenhuch,
Gntlingcn, 1839, |)p. 65 ss. et 109.
[2] Dans Haeveknick, //«nrf&McA des hislorisch-lirilischen Einleilung in das A. T., III.
Krlan«en, 1S49, pp. 29 s.; cf. p. r> s. Voir aussi ne Wette,v loc. cit., p. 46 ss.
{3y Slilistih. etc., p. 313.

(4) Die Psulmen, p. xxx.


(5) Dans IIastincs, Dict. of Ihe B. IV, p. 5 ss.
[i't] Dans cette liypollièsc, le parallélisme appartiendrait en quelque façon à la forme du
NOTES SUR LES PSAUMES. 303

Le parallélisme synonymique et antithétique plus ou -moins étroit


correspond assez bien, clans l'ordre de la pensée et du style, à ce
qu'est la rime plus ou moins riche dans l'ordre des sons. Mais le pa-
rallélisme synthétique dans la plupart des cas et le parallélisme
rythmique dans tous seraient, dans leur ordre, au-dessous de la rime
la plus pauvre dans le sien, au-dessous même de l'assonance. Ici une
parité de son subsiste encore; là il n'y a plus aucune parité de sens.
Il ne reste, avec l'identité de mesure, que le groupement des vers en

distiques. Le parallélisme tel qu'il existe, ou plutôt parce qu'il n'existe


pas toujours, n'est donc pas à même de jouer dans le vers hébreu le
rôle accessoire, mais indispensable, de la rime dans le vers français.
A cette fin de non-recevoir on peut objecter que le parallélisme est
quelque chose de moins défini que la rime, que la perception en est
moins vive et l'absence moins sentie. Qu'il vienne à manquer, on ne
ressent pas le malaise étrange que causerait au cours d'une tirade
l'absence d'une rime. C'est que rime est d'ordre auditif, presque
la

d'ordre matériel elle est ou elle nestpas. Le parallélisme est d'ordre


:

intellectuel, sasceptible de nuances et d'atténufitions. Dans nombre


de cas on peut se demander s'il existe encore et hésiter à déclarer
qu'il n'existe pas. Souvent, dans un autre contexte, il faudrait ré-
pondre par la négative mais précédé et suivi de parallélismes nets et
;

caractérisés, on peut dire qu'il tient son rang, comme un mauvais


soldat qui, bien encadré, marche encore. Il faudra une réflexion pour
s'apercevoir de son absence, en a fallu une autre pour s'a-
comme il

percevoir de sa présence ou du moins pour en prendre nettement


conscience et arriver à le définir tant bien que mal. Qu'il s'affaiblisse,
qu'il disparaisse, le charme ne sera donc pas immédiatement rompu,
l'harmonie ne sera pas à l'instant détruite. Le môme rythme continuera
à bercer la pensée, bien que le principe de ce rythme ne joue plus.
Est-il bien vrai que le rythme de la pensée survive au parallélisme,
et ceux-là ne sont-ils pas seuls à ne point s'apercevoir d'abord de sa
disparition qui n'ont pas vraiment pris conscience de sa présence à
l'heure où il ré-nait? L'illusion ne viendrait-elle pas de ce que l'unique
élément qu'on ait réellement perçu, celui de la mesure et peut-être
du rythme des mots, continue à subsister? Quoi qu'il en soit, il résulte
de l'objection même que le parallélisme n'est pas indispensable au
vers, que ce rythme de la pensée est une tendance habituelle
mais

i non une réalité constante, un goût plutôt qu'une exigence, un idéal

vers, mais il n'en serait pas l'élément premier, puisque le rythme et la


mesure découle-
raient d'un autre principe.
;^04 REVUE BIBLIQUE.

peut-(''tre,non une servitude. Mais on ne saurait parler ainsi de ce qui


fait le rvthme du vers ni en général de ce que nous appelons les lois

de la versification. Le parallélisme reste donc du domaine du style et


de l'art, de l'art poétique peut-être ; il n'appartient pas à la technique
du vers. Il ne saurait donc jouer en hébreu, du moins de la même
façon et avec la même régularité le rôle tenu ailleurs par la rime ou
,

l'allitération.
rime affectent certains accents rythmiques, les
1. L'allitération et la

rendent plus sensibles à l'oreille grâce à la parité des sons, et par ce


moyen facilitent la perception du rythme et le compte delà mesure :

on peut dire avec assez d'exactitude que rallitération martelle peu ou


prou le rythme et que la rime sonne la fin du vers. Le parallélisme,
grâce à un procédé analogue de répétition, martelle au contraire la
pensée (1). Il n'a pas d'effet direct sur les sons. Il n'impose même
pas un nombre identique de mots dans deux vers, bien qu'il puisse
faciliter l'égalité de mesure. Atteignant directement la pensée, il

influe avant tout, pour le renforcer, sur l'élément formel qui est en
dépendance immédiate de celle-ci, savoir la suspension ou l'achève-
ment du sens à la fin du vers les limites de celui-ci seront encore
:

mieux marquées, grâce à lui. Ne serait-il pas absurde, en effet, de


partager un membre parallèle entre deux vers (2)? Le parallélisme
contribue donc d'abord à la délimitation du vers, mais de façon indi-
recte, en affectant en s'adressant à l'esprit et non à l'oreille.
le sens,

En outre, son intervention n'est pas nécessaire souvent le vers sera :

parfaitement délimité sans lui.

2. La parité des sons, dans l'allitération et la rime, se manifeste


d'un vers à l'autre et par là même groupe en une unité nouvelle,
celle du distique, les deux vers qui riment ou a allitèrent » ensemble.
Lorsque cha(]ue membre parallèle coïncide avec un vers, l'efl'et
spécifique du parallélisme sera mieux encore d'assembler deux vers
et d'en former une nouvelle unité, non pas seulement par l'achève-

ment du sens, mais grâce au rythme qui naît de la répétition systé-


matique de la pensée; car on ne saurait nier qu'une harmonie d'ordre
intellectuel ne résulte de ce doublement régulier de l'expression
en ononciations jumelles. Ce rythme de pensée usurpera, dans ce
cas, le rôle dévolu ailleurs au rythme des sons. Il deviendra un pro-

(1; Le parallélisme antilbétique équivaut, lui aussi, à une répélilion et peut être con-
sidéré comme uno variété du parallélisme synonymique. Celui-ci est d'ailleurs le plus fré-
quent, surtout dans les Psaumes.
(2) Comme de distribuer entre deux strophes différentes des vers qui appartiendraient
à un même parallélisme.
NOTES SUR LES PSAUMES. 303

cédé de formation du distique. Mais le procédé n'est dabord pas


indispensable souvent les vers seront groupés deux à deux ou trois
:

à trois par le sens, sans aucune intervention du parallélisme. Qui


plus parallélisme peut exister et rester sans influence sur la
est, le

formation du distique. Ce sera le cas lorsque le parallélisme sera


renfermé dans les limites du vers il soudera alors deux hémistiches
:

au de souder deux vers. La suite montrera qu'il en est assez


lieu
souvent ainsi, au moins dans le mètre de cinq accents.
Le parallélisme assure donc assez régulièrement, dans le vers
hébreu, des résultats dus ailleurs à l'emploi de la rime ou de l'alli-
tération. Mais il les procure d'une autre manière, en agissant sur le
mode d'expression de la pensée et non sur les sons. Son usage, en
outre, reste libre : non seulement peut manquer, mais en sa pré-
il

sencemême, les effets indiqués peuvent être assurés par d'autres

moyens de style. Son emploi est laissé au goût du poète et ne relève


pas de règles fixes comme sont les lois de la versification.
La présence habituelle du parallélisme est-elle du moins, en
IV.

hébreu, la marque distinctive de la poésie? Est-elle l'indice certain


et nécessaire de la versification, bien qu'elle n'en soit ni l'élément
constitutif ni même un accessoire indispensable?
La question est double. A-t-il existé, chez les Hébreux, des œuvres
de son coté, a-t-il été
versifiées sans parallélisme et le parallélisme,
employé en dehors de la poésie? Mais d'autre part, et à supposer qu'il
en ait été ainsi, pouvons-nous discerner avec certitude la poésie
parallélique de la prose qui le serait aussi et la poésie non parallé-
lique de la prose ordinaire? La difficulté provient, pour nous, de ce
que nous connaissons mal ce qui fait la mesure du vers hébreu le :

rythme de la versification ne s'impose pas toujours de lui-même au


lecteur moderne. Mais il se pourrait aussi, et les indices ne manquent
pas à ce sujet, que la métrique hébraïque ait été en elle-même assez
rudimentaire, la mesure du vers assez flottante. Pourquoi, dans ce
cas, le parallélisme, procédé de rhétorique et forme du langage élevé,
n'auiait-il pas été réservé à la poésie? Pourquoi le style parallélique
ne serait-il pas devenu le style poétique et n'aurait-il pas servi à
caractériser les œuvres versifiées (1)? Pourquoi même, en dehors de
toute autre considération, les Hébreux n'auraient-ils pas aimé à trouver
dans leur poésie, en même temps que le rythme des sons, un rythme
supérieur des pensées?
1. Que penser donc de la littérature prophétique, dans laquelle le

(1) Ce n'est pas cela seulement que Budde a voulu dire.


306 REVUE BIBLIQUE.

parallélisme tient une si grande place? La tendance des interprètes


récents est plutôt de l'adjuger à la poésie. Mais à de nombreux cri-
tiques il paraît encore plus sage de la laisser à la prose, du moins
en principe que les prophètes fassent usage parfois de la versifi-
:

cation, personne ne le conteste, mais d'une façon générale le rythme


chez eux est moins strict et les membres, de proportions moins régu-
lières que dans la poésie; poètes à leurs heures, ils sont habituelle-
ment orateurs œuvres ont une allure de discours (1). On peut
et leurs
soutenir cependant pour des raisons historiques, le prophétisme à
ses origines ayant été intimement lié à la poésie, que la harangue
prophétique tenait de Tode plus que du discours. Le genre se sera
d'autant mieux conservé que le discours môme chez les Hébreux, à
moins qu'il ne tourne au mâchai^ relève du lyrisme plus que de
l'éloquence telle qu'on la conçut ailleurs. La forme poétique aura
donc été traditionnelle chez les prophètes. Seules une connaissance
plus parfaite des lois du vers hébreu et une étude plus approfondie
des conditions de rédaction et de transmission des écrits prophé-
tiques permettraient de dire si l'absence de mesure y est apparente
ou réelle, originaire ou acquise.
2. Y aurait-il, d'autre part, des œuvres versifiées sans parallélisme?

Le parallélisme est si régulièrement la caractéristique du langage


élevé en hébreu qu'on ne conçoit guère un poème dans lequel il ne
se rencontrerait à aucun degré. Et pourtant il est parfois singulière-
ment affaibli, même dans les Psaumes (2), et l'on peut se demander
si une poésie d'un autre style, moins étudié en apparence et moins

conq)assé, n'a pas existé, une poésie dont il resterait des traces par
exemple dans Is. v, 1-2 et dans divers passages du Cantique. En pous-
sant plus loin, on voudrait avec Sievers trouver une mesure quel que
soit le caractère du style. Mais il n'est pas possible d'administrer la

preuve de son existence. Ou plutôt il est trop facile de réaliser une


mesure partout, dans n'importe quel texte, dès lors qu'on dissocie
le groupement métrique et le groupement syntactique et que, par

surcroît, on entremêle au besoin les vers de différents mètres. Il n'est


guère de prose hébraïque qui puisse résister à un traitement pareil :

le rythme du vers hébreu est si lâche, pour autant du moins que

nous le connaissons, qu'on pourra toujours la scander. Aussi, en


dehors du parallélisme, ne sommes-nous jamais sûrs de lire des vers.

(Ij Ci'llemanière de voir est en particulier celle de K'iinig {SlilisUh, p. 318 ss.) et de
('. Steuernagel [Lrlirhuck der Einleilung in das A. T., Tubing^n, 1912, pp. 106 s. et
i63).

(2j Voir le Ps. c\ par exemple, dont le texte est malheureusement assez altéré.
NOTES SUR T.ES PSAUMES. 307

Tout au plus faudrait-il excepter le cas où une composition assez


longue se fragmenterait d'elle-même en groupements syn tactiques
de longueur tellement uniforme qu'on pourrait les identifier à des
groupements métriques de mesure partout égale (1). Pratiquement
donc et jusqu'à nouvel ordre tout au moins, le parallélisme doit être
considéré comme la marque indispensable de la poésie hébraïque.

Maïs lors même qu'une équation absolue devrait s'établir pour


l'ancienne littérature biblique entre style parallélique et style poé-
tique, la qualification de « forme poétique » sans autre précision
conviendrait mal au parallélisme puisqu'il n'est pas la forme du vers.

II

Il semble d'abord qu'on ne puisse recourir à l'examen des faits


pour discerner si le vers contient ou ne contient pas le parallélisme
puisque la longueur du vers est précisément en litige, qu'elle n'est
fixée par aucun critère indépendant et que, par système, les uns
rétendent au parallélisme tout entier tandis que les autres la res-
treignent à un seul membre. Et pourtant, contrairement à ce qui
aurait dû se produire, les deux écoles en présence sont actuellement
d'accord sur la longueur du vers de cinq accents. Naturellement,
chacun l'explique en fonction de sa théorie. Pour les uns, il est com-
posé de deux « stiques » inégaux pour les autres, il se partage en
;

deux hémistiches séparés seulement par une césure après le troi-


sième accent. Mais quoi qu'il en soit, un champ d'observation directe
nous est ouvert de ce chef et nous pouvons demander à l'étude des
faits de fournir une réponse à notre question le vers hébreu con-
:

tient-il le parallélisme? Sans doute il ne s'agit que du vers de cinq

accents et notre argumentation n'aura, semble-t-il, qu'une valeur


ad hominem. Mais si un principe de solution pouvait être dégagé en
ce qui concerne un mètre déterminé, des conséquences ne manque-
raient pas d'en résulter pour les autres. Et d'autre part, si des théo-
riciens si opposés, malgré la divergence radicale de leurs principes,
reconnaissent tous la mesure de cinq accents, c'est que cette mesure
s'impose son existence ne devra-t-elle pas être considérée comme
:

un fait acquis? Et qui sait si, de quelque autre façon, notre argument
ad hominem ne prendra pas, en cours de route, une valeur absolue?
I Nous sommes bien transportés, et non sans perspectives de solution,
du domaine des théories sur le terrain des faits.

(1; Cf. Jug. IX, 8-15.


308 REVUE BIBLIQUE.

I. Dans la i" Lamentation, sur laquelle surtout s'est porté son exa-

men Budde a signalé, comme réalisant le parallélisme interne, les

vers contenus clans les vv. 2 ac, 3 ah^ 4 ah, 5 a, 7 c, 8 c, 9 ah, 10 h,


11 a, 13 ahc, li ab, 16 ah, 17 a, 18 h, 19 a, 20 «c, 21 ac, 22 c.
Dautres versets, sans présenter un parallélisme proprement dit,

ajoutent une seconde proposition dans laquelle la pensée se déve-


loppe c'est le cas des vv. 4 c, 8 ah, 9 c, 11 /^c, 14 c, 16 c, 19 c,
:

20 h, 21 h, 22 a (1). On pourrait contester plusieurs de ces réfé-


rences, se refuser par exemple à reconnaître un véritable parallé-
lisme dans les vv. 4 ô, 7 c (dernier vers), 11 «. Mais ces cliifFres
acceptés, trouve que sur cent trente-deux stiques, cinquante-six
il se

seulement sont parallèles entre eux, ou si l'on veut, vingt-huit vers


peuvent être dits constitués par le parallélisme. Et l'on peut se
demander déjà comment sont constitués les autres et qu'est-ce qu'une
« forme poétique » qui est absente de trente-huit vers sur soixante-six.
étend l'enquête aux trois Lamentations suivantes (2), les
Si l'on
résultats, dans l'ensemble, n'apparaissent pas plus favorables à la
théorie de Budde. Dans la seconde, le parallélisme interne n'existe
qu'aux vv. 3 c, 4 a, 5 ah, 6 «, 7 a, 8 c, 9 ab, \^ h, 11 a, 13 c,

15 c, 16 hc, 17 ac, 18 c, 19 a, 20 h, 21 c, c'est-à-dire seulement


dans vingt et un vers sur soixante-six. Dans la m' (vv. 4, 7, 9, 10,

11, 14. 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 25, 30, 33, 40, 43, 47, 49, 53,
54, 57, 58, 60, 61, 65), la proportion se rapproche de ce qu'elle est

dans la \'\ Dans la iv^ (1 a, 2 ab, 3 a, k b, 1 ah, S ab, 11 ab, 12 a,

13 a, 15 a, 16 ah, 18 b, 19 h, 21 22 ah), elle la dépasse quelque peu.


h,

Mais les Lamentations ignorent-elles le parallélisme des vers entre


eux? Quelques remarques préalables s'imposent. On doit s'efforcer
d'abord de n'être ni plus ni moins sévère ici qu'on ne l'a été quand
il s'agissait des stiques : dans les deux cas, l'exégète doit s'inspirer
de la môme
mesure. Il faut reconnaître ensuite que le parallélisme
des vers, dans les Lamentations, est moins strict qu'il ne l'est d'or-
dinaire dans la poésie hébraïque en général et en particulier dans
les autres poèmes, psaumes ou chants prophétiques, du mètre de
cinq accents. La cause de ce relâchement est à chercher sans doute
dans le goût personnel des auteurs ou dans la nature de leur talent.
Mais peut tenir aussi, pour les trois premières Lamentations, à ce
il

(juc les vers sont groupés en tristiques. Un parallélisme rigoureux


et constant à trois membres eût été fastidieux, voire intolérable.

(I) Dans ZATW., 1882, p. 47, n. 2.


2) La V est d'un autre inttlrf.
NOTES SUR LES PSAUMES. 309

C'était une nécessité pour le poète de le relâcher, dès lors qu'il adop-
tait ce procédé de" groupement la iv' Lamentation, qui ne compte
:

que des distiques, est aussi d'un parallélisme plus fréquent et mieux
marqué entre les vers (1). Enfin, si le parallélisme est parfois plus
sensible à Fintérieur du vers que d'un vers à l'autre, c'est que les
membres étant plus courts et la pensée plus ramassée dans le pre-
niier'cas, l'opposition ou la synonymie sont aussi plus frappantes (2).
Sous le bénéfice de ces observations, il semble que l'on doive cons-
tater l'existence d'un parallélisme de pensée, de vers à vers, dans la

i" Lamentation, aux vv. 1 abc, -2 bc, 3 ab, k ab, 6 bc, 1 ab (3),

8 ab, 9 bel 10 abc, 11 ab, 12 bc, 13 abc, U ab, 15 ab, 17 bc, 18 bc,

19 bc (cf. G), -20 ab, 21 ab, 22 ab (4), soit dans une quarantaine de
vers sur soixante-six. Le parallélisme des vers est aussi fréquent et
plus net dans la ii' (vv. 1 abc, 2 ab, 3 ab, i ab, 5 ab, 8 abc, 9 bc,
10 ab, 11 ab, 12 bc, 13 ab, li abc, 15 ab, 16 ab, 17 ab, 18 bc, 19 bc,
21 ab, 22 ab), un peu moins fréquent dans la m" (vv. 1-3, 10-11,
12-13, 19-20, 22-23, 28-29, 31-32, 34-36, 37-38, 40-41, 43-44, 48-
49, 52-53, 56-57, 59-60, 61-62, 64-66) (5), mais plus constant et

mieux marqué dans la iv" (vv. 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 10, 11, 13, 15, 16,
17, 19, 20, 22) que dans toutes les autres.
11 faut avouer cependant que le caractère effacé du parallélisme

dans les Lamentations permet de discuter plusieurs des références qui


précèdent. Aussi importe-t-il d'étendre l'enquête à d'autres poèmes
du même mètre, mais d'un parallélisme plus classique, à commencer
par ceux que Budde lui-même a indiqués [G). Pour éviter des répéti-

(1) Le même phénomène exemple dans les Ps. c\i et cxii qui,
se reproduit ailleurs, par

ooinposés des distiques, se terminent l'un et l'autre par deux tristiques. Dans ces der-
les deux
niers, deux membres seulement sur trois sont en parallélisme de pensée, tantôt
premiers (Ps. cxi, 9 ab, 10 ab; cxii, 10 a &), tantôt les deux derniers (Ps. cxii, 9 bc); les
autres restent en dehors de tout parallélisme. Le même cas se présente fréquemment dans
le Cantique.
(2) ne faut pas non plus perdre de vue que le nombre des stiques étant double de
Il

celui des vers, l'impression pourra être en faveur du parallélisme des premiers, lors même
que la proportion des vers parallèles sera plus élevée.
(3) Il s'agit du premier et du troisième vers ; le second doit être une glose.

(4) Le parallélisme subsiste dans le v. 22 ab, même si les transpositions proposées par

Budde dans ZATW., 1892, p. 267 s. sont acceptées.

(5) Il dans cette Lamentation, que le vers initial d'un groupe alphabétique soit
arrive,
en parallélisme avec le dernier vers du groupe précédent voir vv. 12-13, 48-49, et cf.
fc :

vv. 3-4, 6-7, 15-16, 24-25, 27-28, 42-43, 54-55, 57-58, 60-61.
(6) Dans ZATW., 1882, p. 33 ss. 1891, p.
235 ss., et 1892, p. 31 ss.
;
On a seulement laissé

de côté les textes trop courts ou trop douteux, et ajouté Ps. v, cxxxvii, 4 ss. et Is.

xxxviii, 10 ss., tous poèmes dont la mesure est certaine, bien que le texte du cantique
d'Ézéchias par exemple soit assez altéré.
310 REVUE BIBLIQUE.

tions fastidieuses et faciliter une vue d'ensemble, on se contentera de


soumettre au lecteur la liste suivante des textes étudiés le : premier
nombre donné pour chacun d'eux indique le total des vers conservés;
le second, les vers qui réalisent le parallélisme interne par stiques;
le troisième, les vers parallèles entre eux.
Ps. v. Dix-neuf vers, dont deux sont incomplets. — Cinq (vv. 2, 3 b-

ka, 6b-7, i^a, 13). —


Dix-huit (tous les vv. sauf le dernier) (1).
Ps. xxvn, 1-10. Dix-neuf. —Sept (vv. ^ac, 5b, 6/y?7, 8b-9a, 10).
— Douze 1,2, 3, 5, 8-9
(vv. a.^ 9 bc).
Ps. xLii-xLiii. Vingt-neuf (2). — Neuf (xlii, Sa, 5c, 6a, 7 b, 8a,
12 ô; xLUi, 3 6, i a, .5a). — Quatorze (xlii, 2, 3, b bc, S; xliii, 1, 3, 4).

Ps. CI. Quatorze. — Trois ^a? Sb, — Quatorze (vv, i). (3).

Ps. cxx. Sept. —Trois 2? —Néant (vv.


5-6?). 5, 7). (vv.
Ps. cxxi. Huit. — Deux ^ Six 1-2, 3-4, 7-8)
(vv. 6, 7). (vv, (4).

Ps. cxxii. Dix. — Trois 4 — Quatre (vv. a, 6, 7). (vv. 6-7, 8-9).
Ps. cxxin. — Néant. — Cinq
Six. (vv. 2, 3-4).
Ps. cxxiv. Neuf. — Deux? 7 — Sept (vv. 4, b) (5). (vv. 1-3, 4-5, 7).
Ps. cxxv. Huit. — Un — Un 1-2 (v. 4). (vv. a).

Ps. cxxvi. Huit. — Un 2 — Quatre 2 &ab: (v. a). (vv. h-d, cf. 5).

Ps. cxxvii. Huit. — Deux 2a, — Quatre iab, 2 ah;


(vv. 3). (vv.
cf. 4-5 a).
Ps. cxxviii. Huit. — Deux — Huit (vv, 1, 2). (6).
Ps. cxxix. Huit. — Deux — Deux (vv. 3, 7). (vv. 1-2).
Ps. cxxx. Huit. —Néant. — Quatre 1-2, 5-6; (vv. cf. 7-8).
Ps. cxxxi. Quatre. — Deux iab). — Deux (v. (v. 1).

,
Ps. cxxxvii, 4 Huit. — Un — Quatre
ss. 8-9: (v. 5). (vv. 6a/>, cf.

5-6 a).

(1) Il arrive dans ce psaume, comme ailleurs aussi, que le parallélisme, d'abord interne,
s'étende bientôt au delà des limites du vers : c'est le cas aux vv. 2-.3 a et 3 b-i. D'autres
fois, le parallélisme interne n'est qu'apparent. Ainsi second
il peut sembler d'almrd que le
hémistiche du v. 5 a est en parallélisme avec le ]>remier; en réalité, le vers tout entier,
cl surtout le second hémistiche, trouve son paralltlc exact dans le vers suivant (v. 6 a).
On en considérant les deux hémistiches du v. 10 « comme ])arallèles
se tromperait encore
l'un à l'autre; de même
pour ceux du v. 10 b. Le parallélisme est entre la totalité du v.
lu o d'une part cl la totalité du v. 10 b d'autre part. Seulement il y a croisement le pre- :

mier hémistiche de 10 a parallélise avec le second hémistiche de 10 h, et le premier de


10 /; correspond au second de 10 a.
'>.) 11 l'iiut mcUre hors de cause xi.ii, !» et la seconde partie du r.^f'>in 'xiir. i\ h 1? b ;
M m, 5 b), qui, en l'étal actuel, ne sont pas du mètre.
(3j Sur h-s \v. 1 et 2 a, cf. Duhm.
Le parallélisme est voulu aussi aux \\. .">-(; mais il est moins marqué.
(4) ;

(5) Vers douteux en raison du mètre. 11 y aurait d'ailleurs des réserves A faire sur la
mesure des Ps. cx\iv, cxxv et cxxvii en particulier.
;6) Le sixième vers 'v. 5 n) esl mutilé.
NOTES SUR LES PSAUMES. 311

Is. I, 10-12, 14-10. Douze. — Deux (vv. 11 h, lié). — Huit (vv. 10,

11 hc, 14-, 15 aô; cf. 15 c-16 a).

Is. XIV, iô-21. Trente-trois. — Seize (vv. kh, 5, 6«, 8 rt^ 9ô, 10^^^
VVah, 15, 16rt6, 17«, 17ô-18a, 20 6, 21 h). — Dix-neuf (vv. i6-5, 6,
7-8 a, 9 6c, 12, 13a6, 13c-14-15, 16 6-17 a, 18 6-19«).
Is. xxxvii, 22-29 R. xix, 21-28). Vingt. -- Neuf (vv. 23 «, 2i6cf/,
(II

26 6y 27 6, 27c-28a, 28 6-29 «, 29 6). —


Douze (vv. 22 «6, 23 «6-24 «,
24 hcd, 25 «6, 26 ah ; cf. 26 c-27 a, 27 c-29 a, 29 hc) .

Is. xxxviii, 10-20. Vingt-deux. — Trois (vv. 14«, 10 6, 18 a). — Dix


(vv. 10, 11, 12, 18-19).
Is. XLVii. Trente-sept. — Neuf (vv. 4 6, 6 a, 7 6, 8 c, 9 c, 12 ab, 13 6,

14c). — Quinze (vv. 1 ah, 2 6-3 a, 6c-7, 9 «6, 11 rt6c, 13 bc, iïah;
cf. 6 «6, 8 «6, 10 6c).
Is. L, — Huit 5 6
4-11. DLx-huit. 9 10 (vv.il ab).-—6, a, 7 6, 6, hc,

Huit (vv. 6, 7, 8, llrt6).


Is. 17-20. Neuf. — Deux(vv. 17
Li, 20 — Six 17 18 «6, «, 6). (vv. 6c,

19fl6;cf. 20).
LU, 7-11. Onze. — Trois
Is. 7 8a, 9 — Six (vv. 7a6, 6, 6). (vv. 10,
11).
9-Lvn,
Is. Lvi, Trente-sept. — Vingt-trois
13. 10 abc, H ah, (lvi, 9,

12 a; Lvn, lc-2a, 4 5 «6, 6a6, 8 6c, a6, 116, 12a, 126-13a, 6c, 9
13 — Seize
6c). 10 ii ab;
(lvi, «6, lc-2a6, 3-4
6c, 7a6,
lvii, 1 a,

8 10 a6;
6c, cf. 4 6c;.
Is. 4-12. Vingt-deux. — Neuf
Lxii, a6c, 5 8 10 lie, (vv. 4 a, a, 6,

iiah). — Quatorze a6, 5a6, 7 a6, 8


(vv. 4 9ab, iO ab, 12a6). bc,

Is. Lxiii, Quinze. — Quatre


7-J 2. 7 8 9 — (vv.7 ccc^ a, 6). Cin(| (vv. bc,

9 hcd; ii bc y 12 ab.
cf.

Abd. vv. 12-14. Huit. — Un? 12 — Six 12 fv. 13 a). (vv. 6-c, a6,
14 ab).
Soph. 4-7 n, — Quatre 4a6, 5
a. Six. — Quatre (vv. ac: a, 6). (vv. 4, 5

cf. 6-7 a).


Sopli. 12-ni,II, Cinquante. — Vingt-deux
19. 13 a6, 14 (ii, ac,

15 m,
ce/; 2 a6, 1, 5 6a6c,7a, 8
4 6, 9 a, 13 14 19 — 6c, 6, 6c, a, 6).

Dix-sept (il, 13, 14a6;iii, 3a6, 5 a6, 6 a6c, 13 6c, 14 «6, 15 a6; cf. n,
15 ab ; m, 8 ccl).

Le XIX a été laissé en deiiors de cette Hste. C'est qu'on peut


Ps.
discuter sur les vv. 8-11. Il semble cependant que les vers y soient
€n parallélisme plus que les stiques, sauf au dernier verset. Les
stiques desvv. 14a, 15 a se correspondent, mais non ceux des vv. 12,
13 (où l'ordre des deux derniers mots doit sans doute être interverti)
et l'i.6.
312 REVUE BIBLIQUE.

D'une façon générale, le parallélisme est mieux marque et plus


étroit dans les psaumes que dans les chants prophétiques. Aussi les
nombres indiqués pour les premiers sont-ils les moins sujets à discus-
sion. Dans plusieurs cas néanmoins, le parallélisme des vers pour-
rait se dissoudreen un parallélisme croisé des stiques, par exemple
au Ps. cxxiv, où le premier hémistiche du v. 1 correspond au même
hémistiche du v. 2 et le second de ce dernier v., au second du v. 3,
ou encore au Ps. cxxvii, v. 1, qui réalise un ci'oi sèment analogue.
Mais on n'irait pas très loin dans cette voie. Réussirait-on d'ailleurs,
en se montrant plus exigeant, à diminuer le nombre des vers paral-
lèles entre eux, les conclusions qu'il reste à formuler seraient encore
assez justifiées.
De l'enquête qui précède, il résulte en effet
que le plus souvent le
parallélisme interne n'existe pas dans le vers de cinq accents; mais
dans un très grand nombre de cas, la correspondance des'vers s'af-
firme et dans l'ensemble, le parallélisme des vers est notablement
plus fréquent que celui des stiques. Nous avons donc déjà une réponse
à la question posée au début de la seconde partie de cette étude.
Mais le vers de cinq accents doit être caractérisé mieux encore.
1. De tous les vers hébreux, c'est à la fois le plus original et le

plus varié. L'inégalité de ses hémistiches lui confère une individua-


lité si marquée qu'on ne saurait jamais le méconnaître et, d'autre ;

part, la longueur de sa mesure lui permet, sans l'y obliger, (l'em-


brasser assez aisément deux membres parallèles. On peut dire que
ce vers, en ce qui concerne ses rapports avec le ^parallélisme^ hésite
entre ses deux voisins de mesure, le vers de quatre accents, moins
long que lui d'une unité, et le distique de deux vers de trois accents,
plus long que lui d'autant. Tantôt, en effet, il s'identifie à un seul
membre modeler sur le vers de quatre
parallèle et semble alors se
accents, tantôt il les contient tous les deux et ressemble en ce cas au
distique de 3-1-3 accents. Trop long pour ne correspondre jamais
qu'à un membre du parallélisme, il est trop court pour toujours en
contenir deux. 11 oscillera donc d'un système à l'autre (l'}. Et c'est
ce qui fait, en partie, le charme et la variété de ce vers. Selon son
goût personnel, et peut-être selon les époques, le poète l'inclinera

(1) li. l'.iiclianan Gray a constaté lui aussi dans Isaïe les variations d'étendue du paral-

lélisme relativement au vers de cinq accents, le « distique i)aralléliiiue » élan! tantôt de


."»
+ .*), tantitt de 3 -|- 2 accents : « Des ])ériodes idenli([iics au i)oinl de vue du rythme
peuvent ditl'érer de caraclére au point de vue du parallélisine » (dans The Internai. Crit.
CommenOirii : A cril. and exegel. Com. on the Booh of Isaioli, 1, Edinburgh, l!)12,

1'. I WIi.
NOTES SUR LES PSAUMES. 313

davantage eu un sens ou en l'autre, tantôt le rappi-ocliant du simple


vers, du distique. Mais dans ce dernier cas, le vers fera
et tantôt
subir d'abord au parallébsme qu'il renfermera les conséquences de
sa mesure assez souvent (1), ce parallélisme sera incomplet et
:

tronqué en ce sens que, conformément à rinéealité du rytbme, une


partie seulement de la proposition du premier hémisticbe, sujet,
complén;ient ou attribut, trouvera son écho ou son antithèse dans le
second (cf. Lam. i, 1c, Wa, 16 6; Ps. \ix, 8-10, 11, 15«; xlii, 3^;
\Liii, 3 ô; Is. \iv, 5, etc.). Surtout, le vers sera englobé encore
dans
un parallélisme plus étendu ou du moins dans un groupement de
pensée plus large (2). Si donc le vers de cinq accents est un raccour-
cissement du distique de 3 -h 3 accents, on peut dire qu'il se souvient
de ses origines, mais il n'y retourne pas. Il ne forme pas habituel-
lement une unité fermée. Il entre régulièrement en combinaison
avec d'autres unités égales à lui-même pour former, ainsi conjugué,
un distique ou un tristique.
2. Le mètre de ciuq accents est donc la pierre d'achoppement

contre laquelle vient se briser la conception du vers composé de deux


stiques. Cette théorie se trouve justifiée quand le parallélisme interne
existe. Elle est en défaut dans les cas, et ce sont les plus nombreux,
où seuls les vers parallélisent entre eux. Logiquement, les adeptes
de KOster devraient alors affirmer l'existence d'un vers distique de
5 -f- 5 accents, ou même d'un vers tristique de 5 -i- 5 -h 5 accents (31).
En on ne parle plus, parmi les exégètes actuels, que du vers de
fait,

cinq accents, parce que l'individualité' de ce vers s'impose et que de


gré ou de force il faut la reconnaître, même au prix d'une infidélité à
ses principes. Mais si l'existence du vers est assurée, la théorie qui ne
s'accommode pas des diverses combinaisons de parallélisme qu'il pré-
sente, est condamnée par là même.
3. On peut cependant se demander encore, en laissant plus ou

moins de côté le point de vue du parallélisme, si le vers de cinq


accents comprend deux stiques distincts ou s'il se présente comme un

(1) Mais non pas toujours (cf. Lam. i, 2 a, 5 a, 8 c, 13 h; Ps. v, ').. <^tc.;. Des cas de pa-
rallélisme partiel se rencontrent aussi dans les vers d'autre mesure, mais ils y sont plus
rares.

(2) De Wette avait signalé deux parallélismes superposés dans les


l'evistence de ces
Lamentations [loc. cit., p. 55; cf. BunnE, Z.ITW., 1882, p. 47 s.), mais en soutenant que
le parallélisme des vers y est, la plupart du temps, purement rytlimi([ue. En réalité, il est

seulement moins constant et surtout moins nettement marqué que dans les Psaumes ou
les chants prophétiques.
(3) C'est ainsi, en elYet, que l'a entendu Keil pour les Lamentations (dans Haeveemck,
Einleitung, IIL pp. 50 et 512). Voir aussi de Wette {loc. cit.).

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 21


.

;.|i^
REVUE BIBLIQUE.

stique unique, partagé seulement en deux hémistiches par une simple


césure.
Les cas sont nomhreux, il faut l'avouer, dans lesquels la coupe du
sens, après le troisième accent, est tout aussi marquée qu'elle peut
l'être à la fin du premier vers d'un distique quelconque souvent le :

vers de ciilq accents contient deux propositions différentes, ou bien


encore la proposition unique mais complexe qui le remplit se frag-
mente d'elle-même en deux sections inégales (1). Mais Ihypothèse des
hémistiches n'est pas exclue pour autant (2). Des faits analogues ne
sont point très rares dans le vers de quatre accents, sans qu'on en
puisse conclure à l'existence de stiques de deux accents (3j. Or le
phénomène est seulement plus fréquent dans le vers de cinq accents
en raison de la longueur de sa mesure.
Mais souvent aussi ce vers ne présente pas la coupe requise du sens
à la césure. On ne saurait vraiment trouver deux « stiqu-es » distincts
dans Lam. i, labc. Sac, 6a, lac (dernier vers), iOac, ISa? \ha,
nbc, 18c, 19 é (cf. ^/j, hbc, Qc, 12 c, 15c); ii, lab, ilabc, '6 a, 5c,
&bc,lb, 8ab,dc, 10 ac,iïac, loa, Ida, ilab, '22ab{c(. le, 3b. ïb,
le, llbc, 1-2 bc, 13 ab, Ihbc, 18 6, 19 6c); m, 2, 3, 5, 12, 13, 20, 26,
27, 31, 34, 38, 46, 50, 52, 56, 62 (cf. 1, 6, 32, 35, 41, 45, 55, 64, 66);
IV, ka,o ab, 10 a, 13 b, 1 4 b, 20 a (cf. 6 a, 12 b, 20 6) ;
Ps'. v, 6 «, 11 a,

126 (cf. 8«6, 9«); xix, 13 (après inversion), 14 6; xlii, 3 6, oa, 8 6


(cf. 'lah, 5c); xliii, 16; ci, 3a, lab, 8ab (cf. cxx, 1, 2); cxxi, 4, 5,

cxxii, 2, 4 6; cxxiv, 4? 5, 6, la; cxxv, 3 6 (cf. cxxvi, 2 6); cxxvii,


5«6;4:xxviii, 4 (cf. 3ab); cxxix, 4, 5; cxxx, 2 6, 5 (cf. 8); cxxvii, 9;
Is. 1, lie, 16 6); xiv, 6, 8, 9c, 20c ^cf. 13 6); xxxvii, 22ab,
Ika (cf.

2bab, 26ac; xxxviii, 10 a6, 13 6, 17c, 18 6, 19 6; xlvii, le, 3a, r^b,


66, 86, 96, 106c; L, 18^6); lii, la, 86, 106
4«, 66; li, 176c (cf.

(cf. 10a); Lvii, la, 12a (cf. 7a, 8a); lxii, 7 6, 8 6 (cf. 9 6, lia); lxiii,

10a, lie, 12a;Soph. ii, 7 a, 14 6, 15 6; m, 3a, le, Sri, 9a, \lab,


12 a, \ 2 6-13 a, 1 3 c (cf. 6 bc)
Il arrive même, tandis que la césure n'est marquée en aucune façon,
qu'il existeune suspension du sens assez forte à l'intérieur de l'un des
hémistiches. Dans ce cas, la coupe existe, mais elle est ailleurs qu'à

1) Dans quelques vers, la coupe semble absolue après le troisième accent et le second

hémisUche paraît même se rattacher au vers suivant; mais c'est que l'on comprend ou que
l'on Iraduil mal. Sur Is. wxvti, 23 et 2Wf;xi.Mi, 13 a, cf. Duhni; sur Lam. i. 'tO, cf.
lUiiliie. Dans Lam. ii, 17 ab,
lUTN secundo ne doit pas être ratlacbé a te qui précède :

cf. Hickell [Xeilschrifl f. die Kumle des Morgenlandes, 1894, p. 111).


(2j Tandis que des sliques
riiy|iollicse le sera si, dans un certain nombre de vers, deux
membres m- peuvent ètro dislinjjjués.
f3) Voir un peu plus loin le paragraphe relatif au vers de quatre accents.
NOTES SUR LES PSAUMES. 31o

Ja césure; on pourra trouver deux stiques dans le vers, mais ils ne


seront pas de trois et deux accents. Il est très instructif à cet égard de
lire les vers suivants Lam. i, 3a,1 c, lOc (cf. 13 a); ii, 'le, 8b; m, 5,
:

12, 18, 20, 56; iv, 20 ô (cf. iBa); Ps. v,lla;xix, 13 (après inversion),
14 6; XLii, ba; cxxi, 5; cxxii, 4 b; cxxiv, 4? cxxvi, 2 6; cxxvii, ôab;
cxxix, 4; cxxx, 5a (cf. G); cxxxvu, 9; Is. xxxvii, 25 a, 26a (cf. 22a,
26 6); xxxviii, 10 a6,- xlvii, 3a, 6 6, 8 6, 106c; lvif, la; Abd. v.> 16
in fine; Soph. ii, 8 ^, 12 a.
Plus rarement on constatera l'existence d'un véritable parallélisme
interne, mais dont les membres ne coïncideront pas avec les hémi-
stiches. Le parallélisme lui-même en ce cas, et non pas seulement la
place occupée par la coupe du sens, interdira d'affirmer que le vers
estcomposé de deux stiques, l'un de trois, l'autre de deux accents. 11
en est ain§i dans Lam. n, 2 c, 8 6, 13a; in, 5, 12, 20, 62, 66 iv, 21 a; ;

Ps. XIX, 14 6;cxxi, 5; cxxiv, 4; cxxx, 5; cxxxvii, 9; Is. xxxvii, 22 a;


XLVII, 3 a; lvu, 1 a; lxiii, 10a; Abd. v. 16 in fine. Parmi ces vers, il
est vrai, quelques-uns présentent des difficultés textuelles, et la col-
lection n'est pas assez ample pour autoriser une conclusion. Mais les
références qui précèdent sont assez nombreuses et assez caractéristi-
ques pour qu'on puisse affirmer que l'unité de cinq accents diffère
essentiellement d'un distique elle ne forme qu'un seul vers dans
:

lequel les groupes de trois et deux accents, trop souvent séparés l'un
de l'autre par une césure purement rythmique et indépendante du
sens, ne sont que des hémistiches (1). .

IL II est donc établi que le vers de cinq accents tantôt s'identifie à


un seul membre du parallélisme, tantôt les contient tous les deux.
Mais cette diversité dans les rapports de l'unité rythmique et du
parallélisme est-elle spéciale au vers de cinq accents?

(1) Parmi les critiques qui se refusent à diviser le vers de cinq accents en deux stiques
et reconnaissent seulement l'existence d'une césure qui le partage en deux hémistiches iné-
gaux, on peut citer J. G. Sommer [Biblische Ahhandlungen, Bonn, 18i(j, p. 101), G. Giet-

mann [De re metrica Hebraeorum, Friburgi Brisgoviae, 1880, p. 35, où le vers est dit
« de onze syllabes » avec césure après la troisième arsis, tandis que j 58, le même vers
es't appelé « de neuf syllabes », sans qu'il soit question de césure), E. Sievers (Metrische

Studien, I, Leipzig, 1901, p. 112) et H. Grimme {Psalmenprobleme, Freiburg i. d. Schweiz,


1904, p. 11 ss., cf. p. 8). —
J. M. Powis Smith, dans son commentaire sur Sophonie, a jugé

à propos de disposer sur une seule ligne et de considérer coinme l'unité fondamentale de
la strophe l'élément de cinq accents, auquel il persiste d'ailleurs à donner le nom de dis-
tique, etil justifie son procédé en ajoutant Ceci semble exigé par le fait que la pensée
: *<

n'est complètement présentée que dans le distique et que, dans quelques cas, il n'y a pas

de césure clairement marquée à l'intérieur du distique. Et il cite Soph. i, 4 6; n, 9a,


>>

iih; m, le (dans The Internat. Critic. Corn. : A rrit. and exeyet. Com. on Micah,
Zephaniah, etc., Edinburgh, 1912, p. 175 s.).
.

316 REVUE BIBLIQUE.

R<''"ulièrement, le vers de quatre accents n'embrasse que l'un des


membres du parallélisme. Assez souvent néanmoins il se partage lui
aussi en deux propositions ou fragments parallèles séparés par la
césure, ou même un parallélisme plus court s'introduit à l'intérieur
d'un seul de ses bémistiches. Il en est ainsi dans Ps. iv, 26 (mieux
encore après correction), 3b (cf. ôay, xii, 3/>, iia (cf. T6); xvi, 9a;
wii, ia, 3a, Qb: xx, Ha, 9; xxx, 6ab, U)ab, i-2b^ 13«; xli, 3a, 66,
iOa, lia: xlvi, la, iOb, iib (cf. 76); lxviii, 3à, 6«, 9a, 16«6,
28*?, 336 ,cf. '2a, 5ri: lxxiv, 16« (cf. 22a); lxxxvi, ia, iOa, 15:

Lxxxix, i2a, ikb, k9a;XCYi, la, ka, lia; cxlv, 3a, 8. Si l'on pré-
tend expliquer les faits allégués en supposant l'existence d'un vers
de quatre accents composé, selon la théorie de Kôster, de deux sti-
ques de deux accents chacun (1), la position des adversaires n'en
devient pas meilleure, car l'hypothèse n'est pas conform£ à la réalité
considérée dans son ensemble. Certes il arrive dans le vers de quatre
accents, conmie dans celui de cinq, que la coupe du sens à la césure'
égale celle de la fin du premier vers d'un distique. Le fait se réalise à des
degrés divers dans Ps. iv, 3ù, oa, la; xii, lia, bab, 66; xli, 3a, ôab,
66, 7 «6, 9 6. 10 «6; xlvi, 3a, "lab, 10 6, 116; lxviii, 2a. bac, 23a;
Lxxiv, 8a, 22a; lxxxvi, ia, 2a, lOa; lxxxix, 96, i2a; cxli, ia,
86, etc. Mais ce sont là des exceptions. En règle générale, la coupe
du sens après le second accent est beaucoup trop faible pour qu'on
puisse parler de stiques de deux accents, et surtout l'élément de
quatre accents ne forme pas à lui seul le distique dans lequel la
pensée doit s'achever et s'enfermer, mais il s'unit à un autre élément
semblable qui le répète ou le complète. Il suffît de lire des vers
conmie ceux de Ps. iv, ka, "ib, Sab, 9b; xii, 26, 3 «6, kab. etc. pour
s'en convaincre. Le parallélisme dominant est celui des éléments de
quatre accents entre eux et le parallélisme interne, non seulement
reste le plus rare, mais se trouve englobé dans un parallélisme ou
du moins dans un groupement de pensée plus étendu. L'exemple du
Ps. IV est typique à cet égard (2).

111. Que conclure de cet ensemble de faits relatifs aux vers des dif-

lércntes mesures, sinon que le parallélisme est un procédé d'expo-


sition familier à l'esprit hébreu et qu'il s'introduit aisément, sous

(1 Tel serait, d'après Dulim, le mètre des Ps. iv, mi, xvii, \xx, mais non des Ps. xii.
\l.\l, I.WIII, I.XMV. L\X\M, LXWIX. \CVI. CM.I, ('.XI.\

(2) ]1 ne semble pas nécessaire de s'étendre sur le vers de trois accents. Le parallélisme
interne n y est cependant pas inouï. On y rencontre parfois deux verbes à la suite dans
un parallélisme s)Tionymi(iHe qui ne laisse rien à désirer : Ps. vn. Ib, da 'f 13 6, 16a.- 1\.
3«. 'ih: xMii, 8f/.- \x, \sah: wv, 20fl; xxvi, 2a, 11 h; cf. m, kh.
NOTES SLR LES PSAUMES. 317

tout prétexte et de toutes façons, dans le langaiie élevé de la poé-


sie (1)? Le membre mesure du vers;
parallèle ne peut dépasser la
parce que la fin de celui-ci doit être marquée par la coupe du sens ;

et c'est peut-être la seule loi absolue que le parallélisme ait à subir.


Le plus souvent le membre parallèle coïncidera avec Tunité métri-
que, parce que la plupart des mesures et surtout les plus usitées sont
à la lon^'ueur d'une proposition ordinaire de style poétique De (2).

ce point de vue et à prendre les choses tout à fait en général, on


peut dire que la poésie hébraïque est caractérisée par la présence
habituelle du distique ou du tristique paralléliques. Mais si un paral-
lélisme plus court favorise l'expression de la pensée, il pourra s'in-
troduire à l'intérieur du vers (3). De môme, si le vers s'allonge, il

devient de plus en plus susceptible de contenir le parallélisme. Le


vers de quatre accents offrira plus de facilités à cet égard et le con-
tiendra donc plus souvent que celui de trois et le vers de cinq
accents, plus souvent que celui de quatre. A partir seulement du
vers de cinq accents, l'usage du parallélisme interne devient systéma-
tique et entre en concurrence sérieuse avec le parallélisme des vers.
Mais celui-ci prédomine largement dans les Psaumes et c'est seule-
ment dans les écrits prophétiques que le parallélisme des hémi-
stiches parvient quelquefois à l'emporter. Le vers de six accents
embrassera mieux encore le parallélisme, un parallélisme plus ample
et complet. Il ne le contiendra cependant pas toujours, car alors il

se dissoudrait en deux vers de trois accents, non pas précisément


parce qu'il renfermerait un parallélisme, mais parce que la présence
constante d'une coupe médiane du sens imposerait à l'oreille le
^
rythme du vers de trois accents (4).

(1) Si une figure de langage était adaptée au tempérament de la race, à la prol'ondeui- et

à la persistance de ses sentirnents, à son génie monotone et tenace, c'est bien celle de la

répétition.
i2) Style court et coupé.
3) Sans doute le parallélisme interne, dans le vers de trois accents, n'est-il (ju'une

exception, un accident si l'on veut, le fait subsiste néanmoins et il est la preuve d'une
tendance.
(4) Si le Ps. I réalise le parallélisme interne dans les vv. ih. 1, oo, 4, 5, 6 (vers 2, 3,
5-8), il n'en est pas de même aux vv. la et 3a (vers 1 et 4) et le parallélisme des vv. 3 à,

4 (vers 5 et 6) est à membres inégaux. D'autre un parallélisme plus étendu et de


part,
vers à vers existe aux vv. 1-2 (parallélisme synonymique entre les deux premiers vers et
antitliétique entre les deux premiers d'une part et le troisième de l'autre) et 3-4 (parallé-
lisme antithétique entre les quatrième et cinquième vers d'une part et le sixième de l'au-
tre;. Le parallélisme est plus lâche dans les trois derniers versets. Ils développent cepen-

dant la même du v. 4 et le v. 6 légitimant sans doute, mais


idée, le v. 5 expliquant la figure
répétant aussi la pensée du v. 5 (lequel annonce aussi bien le triomphe des bons que la
ruine des méchants) et non sans employer le procédé classique du croisement des termes
318 REVUE BIBLIQUE.

apparaît ainsi de plus en jîIus que la cause du vers doit être dis-
Il

sociée de celle du parallélisme. Outre que le parallélisme n'existe pas-


dans tous les vers d'un poème, son amplitude varie alors que celle
du mètre ne varie pas. Le vers et le distique peuvent donc d'aliord
se constituer en dehors de tout parallélisme. Néanmoins, comme le
style poéticjue est régulièrement parallélique, le vers et le parallé-
lisme se compénètrent la plupart du temps; mais dans cette compé-
nétration même ils restent libres de leurs rapports, sauf le respect
dû à la loi de la coupe du sens et à la mesure. Le vers contiendra
un ou deux membres parallèles selon son ampleur et parfois tantôt
un tantôt deux, au cours de la même composition, suivant la ffan-
taisie du poète. L'indépendance relative du parallélisme à l'égard

du vers ou plutôt celle du vers à l'égard du parallélisme est ainsi


absolument démontrée (1). Le parallélisme est en dehors du principe
de la mesure et extérieur au rythme. Tout au plus a-t-il contribué,
à l'origine, à imposer la forme du distique (2).

Il doute permis en terminant cette étude, et au risque


est sans

de tomber dans quelques répétitions, de noter avec quelle évidence


l'existence d'une mesure d'ordre formel dans le vers hébreu ressort
des faits observés jusqu'ici.
L'exemple du vers de cinq accents est particulièrement instructif à
cet égard. Si on le compare au distique de 3 -f- 3 accents, on constate
qu'assez souvent, au point de vue du parallélisme, la structure de
l'un et celle de l'autre sont identiques. Mais dans un cas, les niembres
sont régulièrement et essentiellement égaux; dans l'autre, leur iné-

méchants et les justes, avec leurs destinées respectives, sy présentent dans


|iùisqiie les

un ordre inverse à celui du vers précédent. Il faut avouer d'ailleurs que la mesure du
Ps. est loin d'êtri^ certaine et tout ce qu'on en peut dire ou déduire reste assez hypo-
I

tliétitiue.

(11 Celte indépendance s'affirmerait encore si l'on considérait les cas très nets de paral-
lélisme à trois membres contenu dans deux vers seulement, de cinq (Lam. m, 34-30;
Ps. \, 2-3 o, 12; \xMi, 5; cxxi, A-'i, 7-8; c\\i\, 4-5; cwvii, 2; Soph. m, i'i ab: cf. Lam.
II. 17 ab; IV, 10; Is. M.vii, iBftc) ou de quatre accents (Ps. iv, 2; \vi, 9; xvii, 1; xu, îOab:
i.xwM, 15; Lxxxjv, l'i), soit qu'un membre parallèle s'étende sur un vers entier, chacun
lies deux autres s'idenlifiant à un hémistiche, soit que l'un des hémistiches reste en dehors

(lu parallélisme. Les cas analogues sont naturellement plus rares dans les vers de trois
accents; voir cependant Ps. xxvi, 2 et cf. Ps. m, 4.
Ces conclusions subiraient peut-être quelques modifications ou du moins devraient
(2,

être nuancées davantage si l'on pou\ait faire dès à présent Ihistoiro de la veisilication
hébraniue. Pour le moment il ne s agit que de l'étudier telle qu'elle se présente à nous
dans l'cnscinble des textes et sans vouloir établir une perspective de son développement.
Tout ce <|ne l'on peut dire, c est que si le vers de trois accents est le plus ancien,
comme il semble, il s'identifiait au membre parallèle et le parallélisme remplissait le
distiqut'.
NOTES SUR LES PSAUMES. 319

galité est constante et systématique (1). L'existence d'une mesure


est par là même
démontrée. Elle ne Test pas moins si l'on considère
le vers de cinq accents en lui-même. Tantôt il réalise un parallélisme

interne, complet ou incomplet; tantôt le parallélisme embrasse tout


le distique, mais encore peut-il être à deux ou à trois membres, La
longueur du parallélisme varie donc au moins du simple au double (2).
Mais on s'aperçoit vite que ses fluctuations ne sont pas sans subir
une certaine contrainte. Il est libre de s'étendre, mais en se coulant
dans un moule déterminé; sa matière peut se développer, mais à
condition de se morceler en fragments de dimensions convenues, car
elles sont toujours pareilles; son amplitude se diversifie, mais en
suivant des lois fixes, en se subordonnant à une mesure qu'il réalise
en ce sens seulement qu'il s'y soumet et la remplit. Car la mesure
commande et le parallélisme obéit; c'est lui qui se plie, tandis
qu'elle ne fléchit pas.

PSAUME Y

L'existence d'une mesure uniforme est aisée à reconnaître dans la


plupart des lignes de ce poème elles forment des vers de cinq accents,
:

avec césure plus ou moins marquée après le troisième. C'est le cas


dans les vv. 2, 3 a, (y \0a, idh, Via, il h, i^a,
a, 1 h, 8 a, 8 />, '^a,

12/>. Ailleurs, on discerne encore sans grand effort des éléments de


deux (v. 5 b) ou trois accents (vv. ïb, 6 b, 9 b, 13), fragments de vers
du même mètre, et si on laisse de côté les lignes incomplètes (vv. 4 b,
\)b, 13 ab), il suffirait d'enlever ici ou là un mot inutile (w. 3b-ka,

6 6-T a) ou même suspect (v. 5 a) pour rétablir presque partout la

mesure indiquée. Lorsque, dans des textes qui ont autant souffert
que ceux des psaumes, sur IG lignes restées complètes, on trouve
encore 13 vers intacts de cinq accents, sans parler des fragments
isolés, et que les trois autres lignes se laissent aisément réduire à la

mesure indiquée, on est assez fondé à conclure que tel était, à l'ori-
gine, le mètre de toute la composition.

(1) U ne servirait à rien d'insister sur le caractère


incomplet du parallélisme dans le
vers de cinq accents. Assez souvent le parallélisme y est complet aussi et il arrive qu'il
soit inégal dans le distiquede 3 +
3 accents voir par exemple Ps. cxiv, 1, 2, 4, 6, 7, 8;
:

cxv, 8, 13, 14, 17.

(2) Voir par exemple Ps. cxxvi, 5-6.


320 REVUE BIBLIQUE.

Duhm, qui accorde pour une boune part l'existence de distiques


(Je 3 -i- o accents, prétend que chacune des strophes du poème (voir

ci-dessous) se termine par un tristique dont le second membre est

plus court que les deux autres. En réalité, l'état actuel du texte lie
présente un tristique de ce genre (3 -j- 2 H- 3 accents) qu'à la fm
iv. 9) de la troisième strophe, et nulle part ailleurs. Pour le trouver
à la fin (v. 11) de la quatrième, il faut supprimer les trois derniers
mots du verset (-:: "t^ k", à la fm (v. 13) de la cinquième, ajouter
au contraire '~^x à n*~', sans quoi le second stique serait réduit à
un seul mot de deux syllabes. Quant aux deux premières strophes,
elles finissent (vv. 3è-4., Qè-l) par des tristiques égaux (3 3 H- 3), +
et encore à condition de retrancher cr- à la fin de la seconde
•;

(v. 1 b). De fait, Duhm réalise pour son compte l'addition et les

retranchements indiqués.
La distinction des strophes est nettement marquée par le sens.
La seconde (vv. 5-7) s'oppose à la première (vv. 2-4^) et à la troi-
sième (vv. 8-Or. la quatrième (vv. 10-11), à la troisième et à la cin-
quième (vv. 12-13). La seule difficulté est qu'elles ne sont pas toutes
de longueur égale. Celles de nombre pair, et qui se correspondent
pour le sens, ont l'une et l'autre cjuatre vers entiers: des trois autres,
qui se correspondent aussi, la première et la troisième ont chacune
trois vers et un fragment de trois accentscinquième aurait une
; la
longueur égale si l'on supposait seulement la chute d'un mot après
n\-ii, comme fait Duhm. Il n'est pas à croire cependant que cette
inégalité des strophes, d'une série à l'autre, soit intentionnelle. Si
l'on examine avec soin la fin des strophes de nombre impair, on a
presque partout l'impression de quelque chose d'anormal, soit au
point de vue du parallélisme, soit même au point de vue de la cohé-
rence des idées, et l'on en vient à penser que toutes ont subi quelque
mutilation et que le type exact de la strophe s'est conservé seule-
ment dans la seconde et la quatrième. Quoi (ju'il en soit, la mesure
de cinq accents paraît sûre pour le vers et peut servir de base à
des corrections. L'état actuel du psaume laisse d'ailleurs reconnaître
une forme très soignée, produit d'un art voulu et conscient de lui-
même. On remarquera en particulier combien est fréquent le chassé-
croisé des expressions parallèles, soit à l'intérieur du vers (vv. 2,
13). soit surtout dans le distique (vv. 5-6 a, G b-7, 8, 10, 11, 12).
Le psaume v est Fécho des luttes qui trop souvent furent livrées
autour du temple, et des compétitions qui s'élevaient au sujet du
service divin. La considération, l'autorité et les profits qui résultaient
de l'exercice du sacerdoce ou même des fonctions inférieures fai-
NOTES SUR LES PSAUMES. 321

saieut naitre les ambitions. Les partis entraient en jeu; des caljales
s'ourdissaient; des accusations étaient formulées, des dépositions
opérées. Plusieurs psaumes sont nés de circonstances pareilles, par
exemple le xxvii^ et le xlii-xlih®, qui sont d'ailleurs du même mètre
(cf. Ps. XXIV, XXVI, xxxv). Lé psaume v fait donc entendre la prière
d'un prêtre ou d'un lévite que des hommes mal intentionnés cher-
chent, par des voies obliques, à évincer du service du temple et à
supplanter dans ses fonctions. Que lahvé écoute les gémissements
et la du psalmiste en détresse (vv. 2-4). Il ne saurait permet-
prière
tre au méchant de demeurer dans son temple, car il le déteste (vv. 5-
7). C'est le psalmiste qui, par sa grâce, aura accès dans sa maison;
mais que lahvé lui évite tout faux pas dans son service, car ses enne-
mis l'épient (vv. 8-9). Us cherchent hypocritement à le perdre :

fasse Dieu qu'ils n'y réussissent pas et puisse-t-il même les chasser
(vv. 10-11). Ceux-là triompheront et se réjouiront, qui espèrent en
lahvé et aiment son nom, car il bénit et protège le juste (vv. 12-13).

K'Lu maitre de chœur. Sur les nehilôtli. Psaume de David.

-A mes paroles prèle l'oreille, lahvé, |


sois attentif à mon gémissement;
•^écoute mon cri d'appel, |
mon roi et mon Dieu!
Car devant toi je prie* [ ] au matin, | 'je fais entendre' mon cri;
au matin je te raconte et j'attends |
...

'[ ] Non, [ ] tu ne prends pas plaisir au mal non, le méchant ne sera pas ton hôte; :
|

'non, les insensés ne se tiendront pas devant tes yeux. |

Tu hais tous les artisans d'iniquité, |


'^

[
]' les diseurs de mensonge;
l'homme de sang et de fraude, [ 'tu l'abhorres', lahvé.

""Mais (c'est) moi (qui) par la grandeur de ta miséricorde |


aurai accès dans ta maison.
me prosternerai devant le palais de ta sainteté ]
avec crainte envers toi.

'lahvé, conduis-moi dans la justice |


à cause de mes ennemis;
aplanis devant moi ta voie |
..„

l'JCar il n'y a pas de sincérité en 'leur' bouche :


|
leur cœur (n')est (que) méchanceté;
un sépulcre béant que leur gorge
c'est leur langue, ils la font doucereuse. ; ]

•'Fais-leur expier, ô Dieu qu'ils échouent dans leurs projets!


I |

A cause de la multitude de leurs méfaits cliasse-les, car ils sont révoltés contre toi. |

'"-Alors se réjouiront tous ceux qui espèrent en toi, |


car tu les protèges;
toujours ils jubileront et exulteront en toi |
ceux f,i'.I aiment ton nom.
'
'iar toi, tu bénis le juste, |
lahvé...
comme d'un 'turban', de faveur tu le couronnes | ...

II

2. i;'?;,-! (cf. Ps. xxxix, 4) indique moins la faiblesse du son émis


(G -r,z /.pauY?;; V clamorem meum; le verbe exprime le grognement
du lion sui' sa proie dans Is. xxxi, 4; il est mis en parallèle avec
3-22 REVUE BIBLIçrE.

« se dans Is. xvi, 7; Jér. xlvhi, 31 et Dieu sait si les


lamenter »

lamentations étaient bruyantes en Orient!) que son caractère inar-


ticulé (cf. Ps. I, 2 et II, 1). Ici ce peut être un gémissement profond
aussi bien qu'un soupir, et l'emploi de "yv*:^ au v. suivant favorise
le premier sens. Le sing-. doit être un collectif, à en juger d'après le
plur. « mes paroles » avec lequel il est en parallèle. — nz'ii peut se
traduire par « faire attention » ou « comprendre ».

;}. '-'jrà, au lieu de l'usuel nyvw', est sans doute l'inf. construit pi.

(
Sprache, Brunswick, 1861, Î82 d;
Olsiiausen, Le/irbuch der hehr.
cf. G K 20 m\ appeler au secours », qui, se trouve ailleurs (Ps.
<(

xxviii, 2; XXXI, 23) avec le dagech. Bathgen en fait un nom "la;, de


même que Konig- (II, p. 50) îri'^- lahvé est interpellé dans les—
mêmes termes « mon roi et mon Dieu » au Ps. lxxxiv, 4 (et sans
doute aussi au Ps. xliv, 5). La royauté de lalivé sur Israël (Deut.
xxxiii, 5; I Sam. xii, 12; Is. xxxiii, 22; xli, 21; xliii, 15; xlvi, 6;
Ps. X, 16, etc.) ou sur les nations (Jér. x, 7, 10; Ps. xlvji, 3, 7-9, etc.)
est souvent affirmée et le titre volontiers mis en rapport, comme il

était naturel, avec celui de ce lahvé Seba ôtli » (Is. vi, 5; Jér. xlviii,
15; Mal. 14; Ps. xxiv, 9-10; lxxxiv, 4). Sur l'octroi du même titre
i,

aux idoles par leurs adorateurs, cf. Am. v, 26 et voir Lagraxge,


Eludes sur les religions sémitiques, Paris, 1903, p. 99 s.

4. Les verbes de ce v.. comme celui du v. 3 b, expriment des


actions qui se répètent d'une façon régulière (cf. GK 107 g ; Driver,
33 : fréquentatif). — Dans le contexte du verbe qui le précède et de
ceux qui le suivent, :7atrn ne peut guère être un optatif; les versions,
sauf ï, s'accordent pour le laisser à l'indicatif. Voir d'ailleurs ci-
dessous. (On lit dans Sangerm. Domine deluculo et exaiidies, et dans
Corbei. Domine mane et e.raudies.) — -yj (avec Sdevant la personne
ici seulement proprement
et Is. xliv, 7) est <( disposer, arranger »
(ît par conséquent « préparer ». et comporte les compléments les
[)lus divers. Sans complément direct, on ne le trouve employé que

du combat ou des paroles (ou termes analogues pensées, arguments k :

Mais dans le premier cas, le contexte ne laisse aucun doute sur l'objet
réel (cf. Jug. xx, 30, 33; I Sam. iv, 2, etc.). Il n'en est pas toujours
de dans le second (cf. Is. xliv. 7; Job, xxxvii, 19). Duhm
même
suppose que ce verbe et le suivant sont empruntés à la langue litur-
gie] ne et signifient : « préparer » roiirande et « épier » les signes
de son acceptation par Dieu. Mais ces termes ne sont pas spéciaux
;\ la langue liturgique et il n'y a pas d'exemple que celle-ci emploie

jamais -p^ sans complément. En somme, l'usage connu de la langue


ne permet que de supposer un complément analogue à y^"^- Dans
NOTKS SLR LES PSAUMES. 323

le psaume lui-même d'ailleurs aucunement question de sacri-


il n'est
fice. Sans doute, la piété du psalmiste gravite autour du temple, et

l'heure de sa prière doit coïncider avec le sacrifice du matin (sur la


prière au matin en particulier, cf. Ps. lv, 18; lix, 17; lxxxviii, 14;
xcii, 3). Mais les auteurs des psaumes, la seule existence du psautier

le démontre, attachaient au moins autant d'importance à la prière

qu'au!^ sacrifices, et comme tout le contexte du poème ne parle que


de prière, on n'est pas autorisé à introduire une autre idée dans le
verset. ^ -jiy employé absolument doit correspondre à « faire un
exposé devant quelqu'un ». Il s'agit ici de la situation du psalmiste
et des menées de ses ennemis; c'est là ce qu'il expose ou raconte à
lahvc, puis il attend il lui semble impossible que lahvé, connais-
:

sant le danger couru par son fidèle, s'abstienne de toute interven-


tion. Ce n'est pas encore la parole de saint Augustin : Sufflcit ul
noveris : non enim amas, et deseris (Tract, xlix in Joann. 5). Cette
foi et cette coniiance sont néanmoins touchantes, — On peut s'éton-
ner de ne pas lire le parfait avec vmir consécutif à la place de nsi'N".
Konig (III, 370 k) explique le fait par la recherche du rythme. Les
principes énoncés par Driver (13i) permettent de mettre l'imparfait
au compte du fréquentatif. Le langage poétique s'est d'ailleurs moins
soumis que la prose aux règles de la consècution des temps. Voir
aussi au v. 12.
Les vv. 3 b-\ ab sont beaucoup trop longs pour un vers et trop courts
pour deux. On n'est cependant pas en présence d'une simple mutila-
tion, carie premier vers, en l'état du texte, ne peut s'arrêter que sur
*Sip et compte par conséquent un accent de trop. Le nom divin paraît

d'abord devoir être retranché. Il a contre lui son inutilité en le lit :

déjà au V. 2, et deux vocatifs équivalents achèvent encore le vers pré-


cédent (V. 3«). On comprendrait peut-être cette répétition si le psal-
miste voulait insister sur ce que sa prière s'adresse à lahvé et non à
un autre dieu « c'est toi que je prie, lahvé »
: mais cette idée est
;

étrangère au psaume. D'ailleurs, « lahvé » est souvent ajouté en sur-


charge évidente dans notre texte du psautier (cf. Ps. ni, 4; vi, 3, 5,
etc.). Il semble donc qu'on doive ici considérer co mot comme une

superfétation. Mais ""Slp "acn est aussi suspect, du moins sous cette
forme. Le verbe d'abord est à l'indicatif : si l'optatif eût été dans les

intentions de l'auteur, il pour éviter l'amphibologie dans le


eût fallu,
contexte de l'imparfait précédent et des suivants, employer l'impéra-
tif comme dans les vv, 2-3 a. Mais le parallélisme, qui est constant

dans le psaume, exclut même la possibilité de l'hypothèse que la :

proposition double l'hémistiche précédent ou qu'elle rime au verset


324 REVUE BIBLIQUE.

suivant, lindicatif seul a pu être dans la pensée de l'auteur. Cepen-


dant la seconde personne surprend : elle interrompt mal à propos la

suite ~£j.'xi ••• "p">< ••• '^'^ï^rit^, car ces trois verbes à la première per-
:

sonne se continuent et sont tous commandés par le ""z initial du v. 3 h,


comme motivant, dans la pensée du psalmiste, ses interpellations des
vv. 2-3 a. D'ailleurs, l'aflirmation contenue dans « tu entends » cadre-
t-elle bien avec ces interpellations suppliantes, telles qu'elles sont for-
mulées? Ne semble-t-elle pas les contredire? Sans doute, ";2w'n, même
très affirmatif, ne s'oppose pas absolument à l'emploi simultané des
impératifs « prête l'oreille! » et « écoute! ». On peut néanmoins se
demander si l'auteur eût côtoyé de si près\ l'illogisme. Le parallélisme
indique Vhiph. et la première personne Vi^'irN « je fais entendre ma
voix )). On sait avec quelle facilité les personnes et les formes s'échan-
gent dans le verbe hébreu.
On peut se demander encore si le texte de la Massore n'a pas subi
une transposition accidentelle et si, à l'origine, on ne lisait pas
l'^ip ""-ZCN np2 -ej;ni -^ -pyx npn (nini) SSetin -^Sn' '';. Le regard d'un

copiste distrait, qui avait écrit jusqu'à ^'pi jwimo, serait retombé par
erreur sur "'p- secundo et la proposition omise, recueillie en marge,
aurait été par la suite réintégrée à la fin du v. au lieu de l'être au
commencement. Si ~*n"i était déjà inséré, il était naturel d'ailleurs de
joindre ""pi primo aux deux verbes qui suivent. Un accident analogue
a commencé à se produire dans G (170) où. -o xpwi s'.say.cJsv; tvjç owv^ç
ouhlié d'abord, a été inséré à la marge inférieure.
[j.z-j,

L'hémistiche disparu à la fm du v. devait contenir une parole de


confiance et d'espoir. Mais vouloir le reconstruire àlaide des quelques
lettres plus ou moins altérées qui peuvent en rester au début du v.
suivant serait par trop osé.
5. Sur y£n avec l'accusatif, cf. GK 117 w. —
"uh désigne ici le mal
moral, comme ""! l'homme moralement mauvais. —
"n:i se construit

en poésie avec l'accusatif de la personne (Ps. r.xx, 5) ou de la chose


(.lug. v, 17; Is. xxxiii, 14) voir G K 111 bb; Konig, 111, Hie. On le
:

retrouve dans Ps. xv, 1; lxi. 5, mais suivi de 2 préposition. Il est ici
au potentiel (GK 107 .s; Diuveu, 37).
lahvé, qui ne saurait favoriser le mal, n'acceptera pas que le mé-
chant soit son hôte dans le temple. Car c'est bien de l'entrée dans le
temple qu'il s'agit d'après la strophe suivante où le psalmiste exprime
l'espoir d'être admis au bénéfice des avantages qu'il refuse à ses en-
nemis (v. ÎS Mais la formule « être 1 hôte de lahvé » (laquelle n'est
.

l)as plus une métaphore que les expressions des vv. 6rt et 8) ne serait
pas sut'lisamment vérifiée dans le cas présent si on l'expliquait seule-
NOTES SL'Il I.ES PSALMES. 32;;

ment de l'accès au temple tel qu'il était accordé à tous les Juifs à
l'heure de la prière ou du sacrifice. Un ne voit pas bien d'abord com-
ment l'exercice de ce droit aurait pu être refusé soit au psalmiste, soit
à ses ennemis. Mais le verbe doit signilier un séjour plus intime et i)lus
prolongé : la qualification d'hùte n'implique pas nécessairement la
brièveté du séjour, mais le fait seul d'être reçu dans la maison d'au-
trui. 'Les versets suivants (vv. 0, 9, 11) achèveront de démontrer qu'il
s'ag-itbien de demeurer dans la « maison de lahvé » ou du moins d'y
pénétrer d'une façon régulière et à un pour remplir des
titre spécial,
fonctions officielles : le Juif, même répréhensible au point de vue
moral, peut entrer dans le temple, mais lahvé ne saurait permettre,
dans l'idée du psalmiste, qu'il en soit l'hôte habituel, comme l'étaient
les prêtres et les lévites en fonction.
Le premier hémistiche est trop long-autant qu'on en peut juger,
:

il compte deux syllabes de trop. Briggs retranche -r\5< comme inu-


tile etmal placé. Mais le mot est nécessaire au point de vue gram-
matical pour indiquer la personne (cf. GK 116 s) et tout à fait à sa
place (cf. Ex. iv, 10; II Le i;: initial est beau-
Sara, xvin, 20, etc.).
coup plus discutable. Il est un peu surprenant que la seconde strophe
se présente comme une justification de la précédente, vu que celle-ci
s'achève déjà sur une série de propositions introduites par un •:. On
peut dire, il est vrai, que le psalmiste prie contre quelqu'un puisqu'il
court un danger et appelle lahvé à son secours (v. 3). Il peut donc
ajouter aussitôt, parlant toujours à son Dieu « Car tu ne vas pas fa- :

voriser le méchant qui est mon ennemi ». L'explication est néanmoins


un peu cherchée et '^2 pourrait être un parasite. Mais le ierset serait
encore bien long. Les témoins sont cependant unanimes sur le texte,
même P (contre Grimme). P traduit comme si elle lisait xSl nnK ^n ^2
TCi yDn, mais parce qu'elle est scandalisée de la formule "pn... Sx nS
et qu'elle veut éviter une interprétation mauvaise (cf. Mozar. qiio- :

niam tu es Deux nolens iniquitatem). Son 'scandale s'explique si l'on


se rej)orte à Deut. xxxii, 21; Is. xxxr, 3; Jér. v, 7; Éz. xxviii, 2, 9,
et d'autant plus que, si niS se met volontiers devant un adjectif ou
un participe, c'est ici le seul cas où il précède Sx (sui^i d'un adjectif)
pour nier de lahvé une qualité. La formule n'est pas heureuse. Un
peut même penser qu'elle n'est pas correcte et qu'un poète hébreu
ne s'en fût pas servi. Les premiers mots du verset ne seraient-ils pas
nés, un peu au hasard, des débris de l'hémistiche disparu à la fin
du verset précédent? L'hypothèse parait très plausible, car il est
certain que le y. 4 est incomplet, et les mots ^z et Sn* au début du
V. 5 sont hors de propos.
396 REVUE BIBLIQUE.

On remarquera que les trois propositions du distique commencent


par Ce n'est pas sans intention que la triple néijiation est mise
nS.
ainsi en vedette et que .si est employé dans la
première proposition
bien qu'elle soit nominale (cf. GK 152^^).
6. Les « insensés » ne sont autres que les méchants : cf. Ps. lxxiii,

3; LX-vv, 5 et voir Eccl. i, 17; ii, 2. i^y^nf est au potentiel. Le —


sens premier du verbe' est <( se tenir, se présenter » celui de « sub- ;

sister )) est secondaire et doit être déterminé par le contexte. Le mot


Tixn (v. 7 a) qui pourrait imposer cette signification est plus que
suspect, et le parallélisme du v. .5 (« être Fhôte de îahvé ») comme
l'opposition du v. 8 (« mais c'est moi qui... ») indiquent au contraire
« se présenter » ou « se tenir >->, comme dans Zach. vi, 5; Job, i, (î ;

II, 1; II Cbr. XI, 13 (voir aussi pour l'idée Ps. cxxxiv, 1 b; cxxxv, 2

et cf. Ps. CI, 7 qui contient un parallélisme analogue). Devant tes yeîi:Jt
veut dire « en ta présence ». Donc les méchants ne seront pas admis
à se tenir en présence de Iahvé, dans le temple, pour le servir.
7. Les « diseurs de mensonges » de ce verset sont en parallélisme

avec les « faiseurs d'iniquité du v. b. Ces termes définissent avec


>i

plus de précision les « insensés » du même verset. -2Nn est de —


trop pour la mesure et excède pour le sens le parallélisme attendu
(cf. V. 7ô). Sievers et Briggs le retranchent à bon droit. L'origine

probable de cette addition se révélera d'ailleurs bientôt. — (iCV


traduisent comme s'ils avaient lu S^ devant i-isT.
Le dernier vers de la strophe (v. 7 b) est en parallélisme satisfai-

sant avec le vers précédent (vv. 6 b-1 a) et il a le nombre d'accents,


si du moifts Ton détache l'un de deux premiers mots.
l'autre les
Sans doute, la qualification d' « hommes de sang », pour désigner
les ennemis du psaimiste, peut paraître excessive. Ce sont des babiles.
Ils lui font bon visage (v. 10) et s'ils veulent le perdre, c'est en ce

écns qu'ils le surveillent hypocritement afin de surprendre une dé-


fectuosité dans son ministère (v. 9), d'obtenir sous ce prétexte sa dé-
chéance, et de prendre sa place. Ils en veulent avant tout à sa si-
tuation. .Mais il est possible qu'ils en veuiUent aussi à sa vie. Le
V, \i)b semble le dire à son tour. Il est seulement surprenant que le

verbe parle de Iahvé à la troisième personne entre deux propositions


qui l'interpellent à la seconde c'est d'ailleurs un cas unique dans tout
;

h; poème. .Vussi de Lagarde, Sievers, Grimme. Briggs et Zenner

écrivcnl z'jpry. Saint Jérôme a d'ailleurs traduit Hebr.) abommabcris ^

Ihnnine. Il est vrai que cette let;on reste isolée et comme elle est la

plus naturelle, on peut craindre que ce Père (ou son copiste hébreu)
ait été entraîné par le contexte. Cependant, il semble qu'on doive
NOTES SUR LES PSAUMES. 327

voir dans au début du verset, un doublet fautif


-iii^r, et mal placé
de 2'jr\\ mais qui retient la personne primitive.
Les expressions du vers ne présentent rien d'original : le verbe est
assez usité [hip/i, Ps. xiv, 1; lui, 2; pi. Ps. cvi, V; cvii, 18; cxix, 103)
et la qualification '< hommes de sang- et de fraude », souvent employée
(Ps. Lv, 24; pour la première seule : Ps. xxvi, 9; lix, 3; cxxxix, 19;
Prov. XXIX, 10; cf. II Sam. xvi, 7-8; pour la seconde seule : Ps. xliii,

8. iiN": oppose le psalmiste au méchant dont la strophe précédente


s'occupait. — Ni2 sans préposition devant un nom de lieu est rare
dans les Psaumes; cf. cependant Ps. cv, 23. Ce verbe encore est au
potentiel (GK 107 s; Driver, 37 a) : « je pourrai entrer », donc « j'aurai
accès ». — Sur -prn 21 lxix, 14; cf. Ps. cvi, 7, 45; Lam. m, 32; Néh.
xm, 22. — Pour l'explication de la forme mnr w'n voir GK 7.5 kk; la
préposition Sn marque la direction dans laquelle le psalmiste s'incline
(cf. Ps. xxviir, 2; cxxviii,Jl; Is. xlv, iï). — ràip '3\~ désigne ici le

temple, comme dans cxxxvin, 2; Jon. u, 5, 8 (cf. dans


Ps. lxxix, 1;
Ps. Lxv, 5 la formule inverse), ailleurs le temple céleste Ps. xi, 4; :

Mich. I, 2; Hab. n, 20. —


Le suffixe de -nNit^ désigne l'objet et non
le sujet de la crainte « avec la révérence qui t'est due » (GK 135 m;
:

cf. Ps. xxxiv, 12; xc, 11; cxi, 10; cxix, 38).

L'expression « maison de lahvé » est employée dans la Bible non


seulement du temple, mais du tabernacle (Ex. xxiii, 19; xxxiv, 26;
Jos. VI, 24; Deut. xxiii, 18), du sanctuaire de Silo (I Sam. i, 24; m,
15) et même de la tente qui, au temps de David, abritait l'arche sur
le mont Sion (II Sam. xii, 20; cf. vi, 17). '^z^n aussi s'est dit du sanc-
tuaire de Silo (1 Sam. i, 9; m, 3) qui d'ailleurs était une « maison »
et avait des « portes » [ibicL). On peut se demander si le mot serait
resté en usage sous David pour désigner la tente de l'arche. Dans
le Ps. xxMi, 4-6, les trois termes « maison », palais », « tente » sont «.

employés comme équivalents.


L'objet des ambitions du psalmiste et de celles de ses ennemis
s'exprime dans ce verset avoir accès au temple (cf. Ps. xxvii, 4 ss.).
:

Et cet accès est considéré par le psalmiste comme une faveur (« par la
grandeur de ta miséricorde » Sans doute ne s'agit-il pas seulement
,.

d'entrer dans le temple comme tout .Juif le pouvait aux heures de la


prière ou du sacrifice, mais d'y avoir un accès plus intime et plus
constant. Les termes employés ne désignent pas nécessairement les
fonctions sacerdotales. peut s'agir d'un lévite, et en tout cas le psal-
Il

miste, dans un sentiment de religion, peut mettre en avant seulement


le bonheur qu'il y a pour lui à pénétrer dans la maison de lahvé.
328 REVUE BIBLIQUE.

9. Le sens cl" c< ennemis » convient à '>J^^^:i dans tous les passages

où ce mot se lit (Ps. xxvii, 11; liv, 7; lvi, 3; lix, 11; cf. xcïi, 12),
non celui d' « espions ». —
La mention « à cause de mes ennemis » et
l'indication donnée ensuite (v. 10) que ceux-ci cherchent hypocritement
à perdre leur prochain, ne laissent aucun doute sûr le sens de la
prière « conduis-moi dans ta justice! » Les ennemis du psahniste,
:

sous des apparences correctes et même hienveillantes, cherchent à


le perdre, et pour y parvenir, à le prendre en faute ils épient une :

erreur, une inadvertance de sa part dans l'exercice de son ministère.


Des circonstances analogues ont donné naissance au Ps. xxVii (cf. en
particulier vv. 11-12) à côté des âmes relig'ieuses que l'amour du
:

nom de lahvé en est d'autres qui convoitent par ambition


attire, il

et tendent à s'assurer par des moyens coupables l'exercice des fonc-


tions sacerdotales ou lévitiques.
La prière du psalmiste suppose un développement déjà avancé du
légalisme. Néanmoins l'inquiétude du psalmiste ne porte pas sur des
fautes réelles qui le rendraient coupable devant Dieu, mais sur les
faux pas ou méprises qui, tout en le laissant parfaitement innocent,
pourraient être exploités contre lui par ses adversaires. Il n'y a donc
pas de conséquences à tirer, de cette prière, au sujet des tourments
de conscience que le légalisme imposait aux âmes droites (contre
Duhm^. —
Ce qui ressort des vv. 9 et 10, comparés au Ps. xxvii, v. 12
(usage de faux témoins), c'est que les ennemis du psalmiste, loin
d'être exclus du temple, le fréquentent régulièrement, ne serait-ce
que pour surveiller ceux qu'ils jalousent.
Sur le qei'é ix^M voir GK 10 b. Ce verbe est employé avec l'accusatif
ici et dans Is. xlv, 2 au sens d'« aplanir, égaliser )>' (cf. .1er. xxxi,

9). On lit ^:i:S dans MTP'ASG (27 140 179 210 282) G L (Carnut.
Colbert.) Hier. Com. Hehr., mais -j'-zeS dans 2 mss. hébr. G (ABnK et
tous les autres minuscules) L (Mozar. Casin. Veron. Sangerm. August.)
V Hier. nmn.;Qi-z^' dans MTP'A^G (27 115 UO 179 210 282 x*)
G L (Garnut. Colbert.) Hier. Co7n. Hein-., mais "ïj-n dans G (ABÂ' 'K et •

tous les autres minuscules) L (Mozar. Casin. Sangerm. Veron. August.)


V W'wY. liom. La leçon de M n'est pas contestable : « P»ends ta voie
plane et correspond pour le sens
unie pour que je n'y trébuche pas »,

au vers précédent. Le grec aura été corrompu par ressouvenir de


ridée exprimée dans Gen. xvii, 1 xxiv, VO; xlviii, I.j; Is. xxxviii.
;
:{ :

(' marcher devant lahvé ».

Le dernier vers de la strophe n'a [jas la mesure, mais il est en


parallélisme exact avec le vers [.recèdent. Il devait avant sa muti-
lation mentionner, lui aussi, les ennemis du psalmiste, car tous les
NOTES SUR LES PSAUMES. 329

sLiflixes du v. 10, lequel explique le verset précédent (il commence


en eUet par ij), représentent ces « ennemis « et ceux-ci font encore le
sujet du verbe rejeté à la fin du distique. Il est possible d'ailleurs que
le vers en question doive être lu ; « ... aplanis |
devant moi ta
voie )' et même
que les mots « à cause de mes ennemis » appartien-
nent à son premier hémistiche. Dans ce cas, c'est le vers précédent
qui ser^iit mutilé. Plus d'une fois, un parallélisme synonymique trop
étroit, avec des membres trop pareils, a occasionné l'omission d'un
fragment du texte.
10. Sur -j-îN qui est à l'état construit bien que séparé du génitif, voir
GK 152 i, et K(>nig, III, 352o. — Pour le féminin n:*z:, consulter
GK i'i'Iq et cf. Job, xlii, 7. « Rien d'exact ni de sûr en leur bouche » :

on ne peut donc jamais se fier à ce qu'ils disent. Au lieu de m-s::, —


lire an^ss ou mieux ia''22, avec toutes les anciennes versions, comme

dans le psaume x:vii, 10 (GK li5»^ Bathgen, Duhm, Briggs, Zenner).


—A la bouche s'oppose 1' « intérieur » qui est qualifié par le mot
nnn (pluriel d'intensité : GK 12ie). 'A traduit svTspcv aj-wv è-iccjAcv,
Hier. He/tr. : interiora eoriim insidiae, et Casin. : cor eorum insidio-

.sum. rsnn désigne soit le cause du malheur. La pensée


malheur, soit la

est donc que les intentions des ennemis sont de faire du mal leur :

cœur clierche à nuire.


La gorge est considérée comme l'organe de la parole ici de même
que partout ailleurs dans les Psaumes (lxix, l'i-; cxv, 7; cxlix, G;
dans B.S. xxxi, 12 seulement ]-ij est mis en rapport avec la glou-
tonnerie). La figure employée doit être comprise comme dans Jér. v,
16 « Leur carquois est un sépulcre ouvert. ». Il ne s'agit donc pas
:

d'une fosse ouverte pour qu'on y tombe comme dans un piège, mais,
d'un sépulcre béant toujours prêt à recevoir les cadavres (cf. Prov.
XXX, 15-16) comme lui, le carquois et la langue méchante en sont
:

avides. La comparaison ne va pas plus loin. Il y a cette différence que


le carquois et la langue sont avides de faire des cadavres, tandis que
le sépulcre l'est d'en recevoir. Mais les Orientaux ne s'embarrassent
pas de ces distinctions. —
L'expression « rendre sa langue flatteuse »
se retrouv-e dans Prov. xxviii, 23 (cf. Prov, ii, 16: vr, 5). Même lutte
hypocritement conduite dans Ps. lv, 22.
Pour bien comprendre ces deux vers, il faut prendre garde au
croisement du parallélisme le premier hémistiche du v. 10 « trouve
:

son pendant dans le second hémistiche de 10 et le second de iOa, />

dans premier de iOb. Ainsi les deux hémistiches intérieurs du dis-


le

tique affirment la méchanceté des ennemis et leur désir de perdre


ceux qu'ils haïssent, les héuiistiches extrêmes notent l'hypocrisie de
REVUE BIBLIQUE 1918. — X. S., T. XV.
330 REVUE BIBLIQUE.

leur attitude. Tous ces détails


contirment qu'il s'agit d'adversaires

habiles insidieux, non ouvertement déclarés,


qui fréquentent même

le temple, non par dévotion vraie, mais pour prendre le psalmiste en


défaut.
11. û:>2'rx- est dans la Bible le seul emploi de la forme hipJi. du
verbe D'avs'. Aussi, de Lagarde et Zenner veulent-ils substituer a^zr-

(de ccr) « anéantis-les » (cf. I Sam. v, 6). Mais zrN', au qal ^i être

charg-é d'une faute, lexpier » et aussi « être châtié » (cf. Ps. xxxiv,
22\ peut signifier à l'/iiph. d'abord « charger d'une faute », c'est-à-
dire « condanmer », ce qui correspond à l'interprétation de G 7.pîv:v
CLV iudica et mieux encore à celle de TP'AI v.y-y.v.zvKy Hier. Hehr.
condemim, mais aussi « faire expier, punir ». Il n'y a donc pas de
motif de ne point accepter ce hapax, d'autant plus que « anéantis-
les » semble excessif dans le contexte la suite du v. qui n'est pas :

tendre pour les ennemis du psalmiste, ne va pas jusque-là.


I.a fin du premier vers est interprétée soit « qu'ils échouent dans :

leurs projets » (Ewald, Bathgen, Briggs), soit « qu'ils tombent à :

cause de leurs projets » (Cheyne, Driver, Kirkpatrick, Duhmi. ^e;


peut être employé absolument icf. Prov. xxvii, 2 ,
mais la seconde
interprétation n'est ni exigée, ni même favorisée autant qu'on le

croirait par le parallélisme du vers suivant, •je Se; est courant dans

la Bible (Job, i, Bathgen cite à l'appui de son


16; xxxi, -li, etc.), et

interprétation les expressions grecques de Eccli. xiv, 2 i-tzvi à-b -f,z


ï\~2oq et Ps. de Salomon, iv, 10, qui sont en etfet analogues. Mais
l'usage tout à fait parallèle du syriaque o,U^ ^i. ^aj est plus concluant
et ce qui l'est davantage encore, c'est que telle est la traduction de
T qu'ils soient dérangés de leurs plans » et sans doute celle de P.
<c

D'autre part, l'ensemble du psaume montre chez les méchants l'inten-


tion de perdre le psalmiste pour prendre sa place. Cette situation
rend toute naturelle la prière « Qu'ils échouent dans leurs menées!
:

Le vers ainsi entendu est en quelque sorte paraphrasé dans tout le


Ps. en particulier v. 8).
Lxiv (cf.

Au début du second vers, il faut maintenir 2T2 avec MIP contre


(iCL (excepté Casin.) V z^z. —
« Chasse-les » est bien dans le sens du

psaume et on parallélisme avec « qu'ils échouent », mais avec aggra-


vation les ennemis voulaient supplanter le psalmiste dans le temple,
:

c'est à eux à en être expulsés. —


l^c est accentué sur la première
syllabe pour éviter immédiatement (GK
que deux accents se suivent

29e). Cette dernière proposition, selon Duhm qui la rejette, serait une
réminiscence dOs. xiv, 1. De fait, ici seulement et dans ce passage du
proi)hète, le complément de rr^z est précédé du i; i)artout ailleurs
NOTES SUR LES PSAUMES. 3:M

il est à Faccusatif. Mais


n'y a point là, et encore moins dans la
il

mesure, un motif de suspicion contre l'hémistiche. Tout ce que l'on


pourrait dire, c'est que les ennemis du psalmiste ne sont pas en
révolte ouverte contre lahvé, en ce sens qu'ils sont loin de vouloir
détruire son culte. Mais on comprend très bien (jue le psalmiste, lui,
identifie sa cause à celle de lahvé et, du moment que son autorité ou
l'exercice de sa fonction est légitime, considère comme une désobéis-
sance envers Dieu toute intrigue ourdie en vue de le supplanter,
toute atteinte à cette autorité ou à celte fonction. — On remarquera
le paralléHsme relatif entre le v. Il et le v. 9 les deux strophes :

finissent par une prière, l'une pour le psalmiste, l'autre contre ses
ennemis.
12. Les verbes in?2C^T, •::n\ r^b'j^^ sont à l'indicatif plutôt qu'au
jussif, comme semble l'indiquer le v. 13 qui est des plus affirmatifs.
Le waw en ce cas à traduire par « alors ». Cependant le
initial est

déprécatif est admissible. Les trois mots expriment à peu près la


même idée, mais avec une intensité croissante le premier est sim- :

plement se réjouir », le second, « manifester sa joie par des cris »


<(

et le troisième semble renchérir encore sur le second. Au point de


vue grammatical, le parfait consécutif eût été à sa place dans la
seconde partie du v. son absence est à expliquer comme au v. i.
;

GK 156 ci fait de •;^2iS" "Dm une proposition circonstancielle. Duhm


transpose ces deux mots avant i::ti nhrjh et les considère comme
continuant le participe "ic-n : « ceux qui se confient en toi et que tu
protèges » (cf. GK 116 .x; Kônig,JII, i'13 k, /,' Driver, 117). On peut
aussi bien voir dans les deux mots déplacés une proposition causale :

(c car tu les protèges » (cf. GK 158 a). Sans doute, le même motif est
développé plus longuement au v. 13, mais il peut être indiqué une
première fois au v. 12 (cf. Ps. m. ô et 8 b^ où le même cas se pré-
sente). Quelle que soit la traduction, il semble bien que l'ordre des
mots dans l'original devait être celui que Duhm a rétabli. La transpo-
sition effectuée, outre que la suite du sens est plus satisfaisante, que
les diverses propositions se font un meilleur équilibre et s'adaptent
mieux à la forme du vers, les waw se trouvent aux places qui convien-
nent et l'adverbe -'*vS modifie à la fois les deux verbes qui le suivent
et qui tous deux aussi trouvent un complément dans -ji.
La formule hcc) "p'C "'zna se retrouve dans Ps. lxix, 37; cxix,
132 et la mention du nom de lahvé, précédée d'autres verbes {"ôpl,
KlV "Tij, dans Ps. ix. M; lxi, 6; lxxxiii, 17. Pour les Hébreux plus
que pour nous, le nom était l'évocation de la personne, et dans beau-
coup de cas le mot « personne » pourrait être substitué. D'ailleurs,
;{3o REVUE BIBLIQUE.

l'usage du nom de lahvé était constant de la part de ses fidèles, non


seulement dans le eulte, les chants religieux, le serment, mais dans
l'ordinaire même Employer
de la vie. le nom de lahvé, et à plus-
forte raison l'aimer, c'était donc en deréalité faire profession

iahvisme. reconnaître lahvé pour Dieu et protecteur d'Israël et de

chacun de ses serviteurs. On affirme ordinairement que l'idée de


l'amour pour Dieu dans la Bible est inconnue avant Osée et que son
expression devient commune seulement' après le Deutéronome (Ex.
XX, 6; Deut. v. 10; vi, 5; vu, 9, etc. ; .ïos. xxii, 5; xxiii, 11 ; Jug. v,
31; 1 R. m, 3; Néh. i, 9; Dan. ix, i; cf. Is. i.vi, (i). En dehors des
l'amour du nom de lahvé (voir
textes relatifs à ci-dessus), on trouve
mentionnés l'amour de lahvé lui-même dans Ps. xxxi, 2i; xcvii, 10;
cxvi. 1; cxLv, 20, l'amour pour la maison de lahvé dans Ps. xxvi, 8,
pour le salut de lahvé dans Ps. xl, 17; lxx, 5, pour la Loi dans
Ps. cxix(vv. i7, 97, etc.), pour Jérusalem dans Ps. cxxii, 6. De fait

donc, l'expression en termes formels (mais non pas le sentiment lui-


même) de l'amour pour lahvé est relativement rare dans les Psaumes
et se rencontre dans des compositions tardives. 11 y aura lieude
tenir compte de cette constatation quand il s'agira de dater la masse
des psaumes on ne pourra la faire descendre trop bas.
:

Les variantes sont de peu d'importance mais assez nomJjreuses


dans ce verset. Après le premier verbe, G (AB) suivi par P a ajouté
iz: doi et G (n) erJ: ai mais tous les autres témoins et notamment G (R et
;

un très grand nombre de minuscules; x"*'' omet seulement ïrX) C et


L sont d'accord avec M. Ky-y.ay.r,^Hl)ati:; est rendu dans L (Sangerm.)
et G par la troisième personne du pluriel, sous l'influence de la per-
sonne des autres verbes; d'ailleurs C donne « ils habiteront en :

espérance », d'après Ps. xvi, 9. Enfin, ''n.iN* aurait été précédé de


hz d'après G (ABR etc.) L (Mozar. Sangerm. Veron. Hier. fio?n.) C P,
contre M G (k et un grand nombre de minuscules) L (Casin.) et
très
Hier. fJebr. —
Si l'on pouvait démontrer que "3 est de trop pour la
mesure, bien qu'il soit daus tous les témoins, il faudrait dire qu il
est né de "2, la piété des chantres ou des copistes aidant.
13. pnï -pzn est une formule unique, mais cf. Ps. cxii, 2; cxv,
12-15. —n^ï désigne un grand bouclier couvrant toute la hauteur
du corps. Quant à -)v:y. le sens de « couronner » est mieux attesté
pour [c pi. (Ps. VIII, 6;lxv, 12; cm, i; cf. B.S. vi, 30) que pour le y«/
celui d' « entourer » (I Sam. xxiii, 20? et ici seulement), et toutes
les versions, sauf P, influencée i»eut-être par l'analogie du judéo-
araméen, traduisent en ellét par « couronner ». D'autre part, un
bouclier, si grand soit-il, couvre mais n'entoure pas plus qu'il ne
NOTES SUR I.ES PSAl.MES. 3:53

» couronne : nisr; convient donc mal au verbe. Aussi Wellhausen veut


lire ^r-^'?i ri^^is ce mot n'a pas dans Is. wii, 18, seul passage qui
le contienne, le sens de « turban » qu'on veut lui donner. Dubm
vocalise le verbe ''^T't?^? et au lieu de nzy Ht ^''-* (cf. Is. lxii, .i) :

« Commed'un turban, de grâce tu le couronnes », Mais comme il y a


un mot de trop dans rbémistiche, Sievers incline à voir dans ce ma-
lencontreux ,-;;vz un doublet fautif de pï? écrit défectivement. En ce
cas,m~i, que G (280) est seul à omettre, serait aussi de trop pour la
mesure dans le premier hémistiche.
La question est dabord de savoir s'il faut retrancher à ce verset
ou y ajouter. Est-ce un vers surchargé? Ne serait-ce pas plutôt un
distique mutilé? La dernière strophe est évidemment trop courte,
car elle l'est plus encore que la première et la troisième, mutilées
cependant l'une et l'autre. Aussi peut-on se demander comment
(ii'imme a pu avoir l'idée de lui enlever le dernier vers comme cons-
tituant une addition liturgique. Si une addition de ce genre avait
eu lieu dans le. psaume, c'est la dernière strophe tout entière qui la
représenterait et qui serait à retrancher le v. 12 concerne la com- :

munauté et la mentionne beaucoup plus clairement que le v. 13, et


celui-ci n'ajoute rien au précédent dont il ne fait que développer les
mots vz'^Sj "iDnv Les deux versets sont d'ailleurs solidaires il est :

inadmissible qu'un poème composé tout entier en strophes de quatre


vers très opposées entre elles finisse par une strophe de deux vers
seulement. Or Grimme a raison de maintenir le v. 12 il est tout à :

fait dans le ton du poème, comme dans sa mesure. Sans doute, l'au-

teur fait intervenir les fidèles de lahvé; mais c'est que, comme les
psalmistes en général (Ps. i, 5, G; m, 9; iv, 3, 5-7, etc.), il a le sens
très vif de la communauté ne se considère pas comme isolé et
: il

il ne l'est pas d'ailleurs, il tient à un groupe, à un parti peut-être,

ce qui n'empêche pas que le psaume soit individuel. Il faut donc


aussi garder le v. 13, sauf à reconnaître qu'il est mutilé comme les
vv. i et 9, ce qui est d'autant plus vraisemblable qu'on y peut dis-
tinguer encore deux hémistiches intacts. Dans ces conditions, les
probabilités ne sont en faveur d'aucune suppression, et la correction
de Duhmparaît ce qu'il y a de plus plausible, pour peu qu'on se
SDuvienne de Ps. vm, 6; cm, k (cf. lxv, 12). Avec Duhm encore il
faut admettre, pour la mesure du premier vers, la chute d'un mot
après mn"'. Quant au second, il y a des chances, comme au v. 9, pour
que ce soit le premier hémistiche qui ait souii'ert. On devrait lire
en ce cas : « ,.. comme d'un 'turban', |
de faveur tu le couronnes. »
334 REVUE BIBIJQUE.

Il est aisé, trop aisé peut-être, de supposer par exemple, en se réfé-


rant à Ps. xxiii, 6; cxxvEii, 5 :

(i -qiJ.x:, suivi par CLV, s'est cru en présence du suffixe de la pre-


mière personne du pluriel et P a lu celui de la première du singu-
lier. Mais T'A2i! Hier. Heb?-. ont exactement interprété.

III

L'ordonnance des strophes de ce psaume et l'opposition de leur


objet pourraient donner à croire qu'il a été composé pour être chanté
par deux chœurs se répondant tour à tour. La conclusion n'est cepen-
dant pas nécessaire. Le poème, de facture très soignée, a pu affecter
le genre alternant par seul souci de l'art, bien que l'origine du genre

lui-même soit en effet à chercher dans l'alternance du cliant par


deux chœurs. L'œuvre a pu être utilisée après coup dans le serA'ice
du temple, mais elle est toute de circonstance et née d'un cas indivi-
duel. Il ne saurait être question néanmoins de rechercher les ori-
'

gines précises du psaume ni de déterminer la personne qui l'a com-


posé. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'elle appartenait au service
de la « maison de lahvé ». Il n'est même pas absolument nécessaire
qu'elle ait exercé le sacerdoce ses fonctions ont pu être d'un autre
;

ordre.
Dune faron générale, on ne peut méconnaître dans cette compo-
sition le progrès du sentiment affectueux envers lahvé : la place qu'il

tient dans la religion du psalmiste nous ramène à une période qui


ne doit pas être antérieure au développement qu'on appelle deutéro-
nomique. D'après Dulim, une conception familière au troisième Isaïe
se trouverait môme
exprimée au v. I.'î ô (cf. Is. lxi, 3, 10; lxii, 3).
Le psaume remonte certainement à une époque à laquelle le culte
s'exerçait normalement dans le temple. De tout temps, la maîtrise dans
la maison de lahvé et même l'exercice des diverses fonctions sacerdo-

tales ou Icvitiques ont pu faire l'objet des ambitions. Néanmoins il


est plus naturel de songer à une période paisible, clans laquelle la
vie religieuse fut le centre des préoccupations : trop facilement alors
les situations élevées ou avantageuses dans le tcnqjle devenaient l'en-
jeu de la lutte des partis. Les méchants ne se livraient plus au culte
NOTES SUli LES PSAUMES. Xi.»

idolàtrique ; ils voulaient s'emparer de celui de lahvé, bien rtabli


et sans doute convenablement rente. S'il fallait choisir entre le pre-
mier temple et le second, c'est celui-ci qui correspondrait le mieux
à la situation indiquée, et d'autant plus que le poème, soit par son
style, soit par ses idées (voir en particulier les w. T-10, 12-13), est
en rapport avec des psaumes qui ne sont pas antérieurs à la capti-
vité. Mais il n'y a pas lieu de sortir de la période persane, ni même

de descendre vers sa fin.

E. PODECUARI).
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES
{suite) (1)

II

LES ORIGINES DE l'a3IE JUIVE

{suite) (2)

2° E7itre les deux sirges de Jérusalem.

Ce sont surtout lesprophétiques de Jérémie et d'Ézéchiel


écrits
qui nous permettent de pénétrer la mentalité des Judéens entre les
deux sièges de Jérusalem. Ils ne nous fournissent pas, à vrai dire,
de renseig-nements directs. Les données sont néanmoins assez précises
pour que nous nous fassions une juste idée de l'état des esprits.
De plus Tavantage de nous documenter alternativement, et
elles ont
sur les Judéens laissés, en Palestine par le roi de Babylone, et sur
ceux qu'il a déportés en Chaldée. Enfin, grâce à leur multiplicité
relative, grâce aux précisions chronologiques qui les accompagnent,
ellesnous mettent en mesure de suivre les fluctuations de ces âmes
illusionnées depuis le moment où Nabuchodonosor quitta Jérusalem
en 598 jusqu'à celui où il y revint pour lui porter le coup fatal. On
remarquera d'ailleurs une dilterence capitale entre les informations
des deux témoins que nous allons consulter. Durant la période qui
jious occupe, le langage de Jérémie est généralement d'une sobriété
extrême. C'en est fait des longs discours qui avaient marqué soit les

débuts de Josias, soit règne de Joachim. Nous verrons dans la


le
suite quelle est la raison d'être de ce laconisme extrême et quel le
motif des longs développements qu'Ézéchiel donnera à sa pensée.
C'est à ce dernier prophète en tout cas qu'il faudra demander la
j)hilosophie des sombres événements du passé et de ceux. [)lus lu-

(1) Cf. Revue biblique, 11)16, p. 299-3il: 1917, |i. .'>4-13", 451-488.
(2) Cf. Revuti biblique, 1917, p. 451-488.
f.'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. .'«l

gubres encore, annoncera pour un avenir très rapproché. En


qu'il
consultant ses écrits, on aura une nouvelle occasion de souligner
l'admirable continuité de l'enseignement prophétique qui se déve-
loppe dans une parfaite unité de concepts fondamentaux, si variées
que soient les circonstances à propos desquelles il se fait jour, si
différents les organes par lesquels il s'exprime.
I

Jérémic nous fournit les premiers renseignements; comme on peut


s'y attendre, ils concernent les Judéens demeurés en Palestine. Ils
nous transportent à la quatrième année du règne de Sédécias (Ij.
Les indications sont caractéristiques. Quand Jéchonias et ses com-
pagnons prirent le chemin de on donna sans doute libre cours
lexil,
aux marques de deuil et de tristesse que pareil départ devait pro-
voquer. Mais il fallut bien se résigner à cette séparation. Il semble
d'ailleurs que l'on en ait pris assez facilement son parti. Frappés
avant tout des inconvénients que la situation nouvelle entraînait pour
eux, Judéens de Jérusalem paraissent avoir assez vite rétréci
les
leurs horizons à la mesure de leurs préoccupations personnelles. Le
récit de Baruch nous laisse entrevoir un milieu très agité, souve-
rainement impatient du joug babylonien. Le peuple, encouragé par
ses chefs temporels et spirituels, roi et prêtres, ne peut se faire à la
pensée que cette domination étrangère, dont il subit les ti-acasseries,
*
puisse durer longtemps. Aussi bien les faux prophètes sont là pour
entretenir cette conviction. Ne
entend-on pas clamer de toutes
les'

parts ce refrain « Vous ne serez pas assujettis au roi de Baby-


:

lone (2) » Plus encore toutefois que l'humiliation de la patrie, ce


!

qui pèse sur l'ùme des vaincus, c'est l'humiliation et la spoliation


de la maison de Yahweh ils avaient une telle confiance dans le
;

Temple (3)!... Aussi ne pouvaient -ils se résigner à la pensée que les


ustensiles sacrés, dont plusieurs remontaient à Salomon. allaient,
profanés et ravis au sanctuaire, demeurer à jamais sur la terre étran-
gère. De là ces nouvelles assurances données pai les faux voyants :

« Les ustensiles de Yahweh seront sous peu ramenés de Baby-


lone {h-)i » L'un de ces énergumènes, originaire de Gabaon, poussait
plus loin les précisions : « Encore deux ans, disait-il et répétait-il, et

je ramènerai en ce lieu tous les ustensiles de la maison de Yahweh,


que Nabuchodonosor, roi de Babylone, a enlevés de ce lieu et emportés

fl) Jer., XXVII, 1 ; xxTiu, 1. — (2) Jer., wvii, 14. — 3) Jer., vu, 4. — (4) Jer., xxvii, 16,
338 REVUE BIBLIQUE.

.léchonias, fils de Joachim,


à Babvloiie. Et je ferai revenir en ce lieu
roi de Juda, et tous les captifs de Juda
qui sont allés à Babylone,
dit Yahweh, car je briserai le joug- du roi de Babylone... Dans deux
ans je briserai de dessus le cou de toutes les nations le joug- de
Nabuchodonosor, roi de Babylone (1). » La portée de ces dernières
paroles dépasse les frontières de Juda. A cette période, en effet,
l'esprit de a ertige s'était emparé de tous les petits peuples de l'Asie
occidentale, de ceux-là mêmes dont, quelques années auparavant, Na-
buchodonosor avait exploité la haine contre Jérusalem. En Édom,
en Moab, en Ammon, tout aussi bien qu'à Tyr et à Sidon, il n'était
question que de résister à la puissance chaldéenne, dont le progrès
était plein de menaces. Comme au temps de Ninive, on rêvait d'une
alliance universelle qui trouverait en Egypte un point d'appui tout
naturel. Les prophètes, les devins, les interprètes de songes, les
augures, les magiciens, en un mot tous les représentants des diverses
religions de ces pays, faisaient cause commune avec les politiciens ("2).

Sous l'influence des uns et des autres, les cinq rois avaient envoyé
des ambassadeurs à Sédécias (3). Le souverain de Jérusalem et son
entourage avaient été ébranlés, les prêtres et les prophètes de Yahweh
avaient fait cause commune
avec les ministres des dieux étrangers (i).
Flatté dans ses illusions les plus chères, le peuple attendait de ses
chefs une détermination conforme aux projets des rois alliés (5).
On pourrait regarder renseignements qui précèdent comme
les

difficilement conciliables avec les détails fournis par un autre texte


du même livre de Jérémie. Nous y voyons, en effet. Sédécias qui se
rend à Babylone la quatrième année de son règne (6), c'est-à-dire
l'année même
où il parait faire si bon accueil aux envoyés des rois
alliés. Malheureusement il faut se contenter d'une simple allusion,

sans qu'aucune donnée positive nous renseigne sur la nature et le


but de ce vovaee. Faut-il v voir une démarche spontanée du roi,
désireux d'affirmer par un acte d'obédience sa soumission à son su-
zerain? Cette hypothèse est incontestablement la plus séduisante et
elle entraînerait, comme conclusion assez naturelle, que le voyage
est antérieur aux incidents dont nous venons de parler et qui sont
très explicitement datés du cinquième mois (7). Il n'y a pas lieu de
supposer, en effet, que l'effervescence populaire et l'attitude insoumise
du roi remontent aux temps immédiatement postérieurs à la dépor-
tation. Tel oracle de Jérémie à Sédécias, dans lequel le prophète

(1) Jer.. wMii, 3, 4, 11. — (2) Jer., \xvii, t». — (3) Jer., xxvii, 3. — ('i) Jer., xxvii, V>,

14, If.. — (5; Jer., \XMi. 10. — (fi) Jer., li, 59. — (7) Jer., wwu. 1.
I.AMI-: JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 330

se conteate de redire au souverain ce. que Ton pourrait appeler les


principes généraux de gouvernement (1), permet de supposer qu'au
moment où il a été prononcé, le peuple et son chef acceptaient
encore assez généralement leur état de vasselage. Il se pourrait mcme
que les sentiments d'acrimonie et de rébellion aient pris corps d'une
façon assez subite, sous l'influence de l'ambassade des cinq rois. J)e
ce 'chef, l'acte d'obédience de Sédécias pourrait se placer dans les
premiers mois de quatrième année. Une objection toutefois mérite
la
peut-être d'être prise en considération celle que l'on pourrait tirer :

du laps de temps réclamé par un si long voyage (2). Mais rien ne


nous oblige de supposer qu'aussitôt après l'ambassade des rois, Sé-
décias fit acte positif de révolte; il put, après le cinquième mois
comme auparavant malgré ses sentiments intimes, continuer les
et

démonstrations extérieures que réclamait sa situation politique.


Resterait enfin l'hypothèse, à notre sens beaucoup moins probable,
d'une démarche imposée par Nabuchodonosor lui-même, à l'occasion
de démonstrations hostiles ou simplement d'une attitude suspecte.
Jusqu'ici les Judéens de Palestine nous sont apparus surtout comme
impatients du joug étranger. Un autre sentiment se faisait jour dans
leurs âmes. Quand ils considéraient l'avenir, ils étaient tout à la
pensée de la restauration nationale et des perspectives qui s'y ratta-
chaient. D'instinct et par le fait môme qu'ils étaient sur place, ils

interprétaient en leur faveur toutes ces espérances; éloignés du pays,


les exilés ne leur paraissaient plus tenir que par des liens fragiles
à la vie du peuple. Quelque deux ou trois ans plus tard, on saisira
dans leur attitude un véritable sentiment d'hostilité vis-à-vis des
Judéens de Babylonie. Us leur diront presque avec cynisme « Restez :

loin de Yahweh, c'est à nous que le pays a été donné en posses-


sion (3)! » Ces dispositions, dont nous essaierons de dire l'origine,
ne feront que s'accentuer dans la suite et, au temps de Néhémie (i)
comme à celui de Zorobabel (5), les Palestiniens verront de mauvais
œil le retour et les entreprises des exilés. A l'époque qui maintenant
nous occupe,- on ne voit pas trace d'une hostilité ni même d'une
aigreur quelconques. Mais im oracle de Jérémîc (6) permet de nette-
ment saisir que Sédécias, son entourage et, d'une manière plus géné-
rale, les habitants du pays comptaient surtout sur eux-mêmes pour
la réalisation des grands desseins qui remplissaient leurs âmes.

(1) Jer., XXII, 1-y. — (2) Cf. Esdr., vu, 9, où le prêtre-scribe met cinq mois pour venir de
Babvlone à Jérusalem. Voir RB. 1917, p. 80, note 7. — (3) Cf. Ez., xi, 15 et xxxm, 24.

— (4) Cf. Neh., II, 10, 19; m, 33-35 (Vulg. iv, 1-3): iv, 9 (Vulg. 15): etc. — (5) Cf. Esdr.,

V, 1-5. — (G) Jer., xxiv.


340 REVLE BIBLIQUE.

Mais quels «Haient, pendant ce temps, les sentiments des Judéens


déportés en Chaldée? C'est encore Jérémie qui nous fournit les pre-
miers renseignements sur ce sujet. Il le fait dans une lettre qu'il
confie à deux ambassadeurs envoyés par Sédécias à Nabuchodonosor (1)
et que dès lors on peut, non sans vraisemblance, regarder comme
antérieure à la cinquième année. Or, sur les bords des canaux baby-
loniens, tout comme dans les montagnes de Judée, les illusions sont

nombreuses, elles paraissent d'ailleurs assez universelles on attend :

le salut à brève échéance ['1). Là aussi, il y a des devins, des inter-

prètes de songes, des prophètes —


Jérémie, toujours bien informé,
en nomme deux Achab et Sédécias
: —
qui se mettent à la tète du
mouvement et, par leurs séductions, entraînent le peuple en de vaines
espérances d'un prompt retour et du rétablissement de la maison
de David (3). Même l'intervention de Jérémie n'aboutit qu'à enve-
nimer la situation. Un certain Séméias, le Néhélamite, écrit des lettres
de protestation au peuple de Jérusalem, au clergé et au prêtre en
chef. A ce dernier il rappelle qu'il est surveillant de la maison de
Yahweh et qu'entre autres fonctions, il lui faut exercer une vigilance
très stricte sur quiconque ferait l'inspiré ou le prophète, pour le
mettre aux ceps ou au carcan: il lui reproche de n'avoir pas réprimé
Jérémie d'Anathoth (4).
C'est ainsi ({ue dans tous les premier
milieux judéens, après le

mouvement d'abattement causé par la grande épreuve de 598, on


se remettait à espérer et à attendre de très rapides réalisations. C'était
se préparer à d'amères déceptions. Les vrais prophètes ne manque-
raient, pas de' le dire.
U devait en coûter à Jérémie de reprendre le thème lugubre du
suprême malheur de la patrie. Il lui avait semblé qu'un autre rôle
lui était dévolu; on dirait du moins qu'au premier abord, le pro-
phète avait témoigné de la confiance, voire de la sympatliie, à l'é-
gard de Sédécias, qu'il l'avait cru capable d'assurer à son peuple,
sinon la prospérité, au moins la paix et la tranquillité dans la sou-
mission au roi de Babylone. Ce qui est certain, en tout cas, c'est qu'au
lendemain des événements de 598, Juda et son roi voyaient s'ouvrir
(levant eux le chemin de la vie et le chemin de la mort; tout allait
dépendre, ainsi qu'Ézéchiel le pourrait dire plus tard encore, de l'at-
titude qu'ils prendraient vis-à-vis des Chaldéens (5). Or, nous l'avons
dit, rien au début qui puisse inspirer de l'inquiétude à l'homme de/
Dieu. Aussi, dans le premier oracle qu'il adresse au monarque vassal,

(1) Jer., \\i\, :?. — (>) Jer., \\i\, i-7. — (3) Jer., \\i\, .8-23. — (4' Jer.. \xi\, ;>'i-:'.s.

— (5) Ez., \Mi.


T;AME juive au temps des perses. 341

il iiest questionque de ses dispositions religieuses et du gouverne-


ment intérieur du pays. Si le langage du voyant laisse déjà percer
quelques inquiétudes, elles sont entièrement restreintes à ce doul)le
domaine, (jue le roi et ceux qui participent à son administrai ion
fassent droit et justice, qu'ils arrachent l'opprimé aux mains de l'op-
presseur, qu'ils protègent l'étranger, la veuve et l'orphelin, qu'ils
se gardent de répandre le sang innocent, et la dynastie davidique
verra encore de nombreux représentants franchir les portes du
'

palais et s'asseoir sur le trône des pères. Une conduite contraire amè-
nerait sur la maison royale et le pays la ruine et la destruction (1 i.
Au cinc|uième mois de l'an i, la situation était tout autre; cette
fois, l'attitude de nature à attirer sur sa personne
de Sédécias était

et sur le pays toutes sortes de maux. Redoutant l'influence, peut-«Hre


décisive, que pouvait exercer sur un prince faible de caractère l'am-
bassade des cinq rois, Jérémie se décida, à la suite d'une inspiration
divine, à une de ces actions symboliques qui, en usage chez les pro-
'
phètes, étaient propres à attirer l'attention et à frapper les esprits.
Il mit un joug sur le cou (2) et, parcourant dans cet accoutrement
se
les rues de Jérusalem, il vint d'abord à la rencontre des envoyés.
Devant ces ministres de rois païens, il commence par revendiquer
les cboits de Yaliweh qui, créateur de la terre et de tout
ce qu'elle

renferme, peut la donner à qui lui convient. Il les charge alors de


déclarer à leurs maîtres qu'en fait Yahwch donne à Nabuchodo-
nosor, son serviteur, toutes ces contrées, y compris même les
ani-

maux qu'elles renferment. Toutes les nations lui seront assujetties


à lui, à son fds et au jusqu'à ce que vienne le tenq^s
fils de son fils,

des
de son pays. La nation qui ne se soumettra point sera victime
divins, épée, famine et peste, et finira par tomber
sous les
fléaux
augures et
coups du conquérant. Les devins, interprètes de songes,
débiter des
magiciens qui tiennent un langage contraire ne font que
mensonges et veulent le malheur de leur pays; le seul moyen
d'avoir

le repos est de se soumettre au roi de


Babylone (3). Le fils d'Helcias
courut tenir le langage à Sédécias qu'il sentait ébranlé et le
même
prémunit contre les déclamations des faux prophètes de
Yahweh (}).
11 parla de même aux prêtres
et au peuple. Gomme on faisait beau-
le retour prochain
coup de cas des prédictions des voyants touchant
les objets qui restaient
des ustensiles sacrés, Jérémie assura que
emportés à Baby-
encore dans le temple seraient à leur tour

(1) Jer., XXII. 1-9.


- (2) Jer., xxvii, 2. - (3) Jer., xxvn, 3-11.Au yers. 3, au lieu de

(un message; cf LXX, lucian.); au heu de


« envoie-;.. » (les jougs V), lire : <. envoie «

« par des ambassadeurs », lire : « par leurs ambassadeurs » [L\\). - (4) Jer., xxmi, li-io.
342 REVUE BIBLIQUE.

lone et y demeui'eraient jusqu'au jour fixé par Yahweh; il fit la môme


déclaration au sujet des trésors du palais et de la capitale (1). C'est
sur ces entrefaites qu'il rencontra ce prophète de renom, Hananias
de Gabaon, dont nous avons signalé les annonces particulièrement
précises (2). Tout en faisant des vœux ironiques pour que ses pré-
dictions se réalisent, Jérémie lui fait observer que les inspirés des
temps passés ont surtout annoncé la guerre, le malheur et la peste.

Les leur ont donné raison. Mais, pour les voyants qui prédisent
faits

la paix, ils ont grand besoin que les événements justifient Torigine
divine qu'ils attribuent à leurs discours (3). En entendant ces paroles,
Hananias, irrité, jjrit le cou de Jérémie et le brisa
joug de dessus le

en disant « Ainsi parie Yahweh


: C'est ainsi que dans deux ans je
:

briserai de dessus le cou de toutes les nations le joug de Nabucho-


donosor, roi de Babylone (4). Mais sur l'ordre de Yahweh, le iils
j>

d'Helcias alla dire au faux prophète « Tu as brisé un joug de bois


:

et tu as fait un joug de fer. » Il lui répéta ce qu'il avait


à sa place
dit des succès du monarque chaldéen. Il lui annonrait en même
temps qu'il mourrait l'année même; l'événement confirma cette pré-
diction (5).

Ce n'était pas assez de reporter à une lointaine échéance la réali-


sation des espoirs chers au peuple et a ses chefs. 11 fallait en même
temps préciser la part des divers éléments de la nation dans la grande
(l'uvre de l'avenir; en ce domaine encore, nous l'avogns dit, il y avait
des illusions à combattre. Or, un jour, Jérémie aperçut deux paniers
de figues posés devant le temple de Yahweh. L'un des paniers con-
tenait de très bonnes figues, comme le sont les figues de la première
récolte; l'autre, des figues très mauvaises, qu'onne pouvait manger,
tant elles étaient mauvaises (6). Or, à propos de ce fait, si banal en
apparence, Yahweh éclaira l'esprit de son prophète et lui fit porter,
sur le rôle respectif des Judéens demeurés au pays et des exilés, un
jugement sur lequel les voyants, ses successeurs, ne revinrent jamais.
Les mauvaises figues lui apparurent comme le symbole du peuple
de Palestine; la manière dont on les ti-aite lui représenta le sort
réservé à ce groupe des fils d'Israël : « Comme on traite ces mau-
vaises figues, qu'on ne mange pas, tant elles sont mauvaises, ainsi,
dit Yahweh, je traiterai Sédécias, roi de Juda, ses princes et le reste
de Jérusalem, ceux qui sont demeurés dans ce pays et ceux qui
habitent en terre d'Egypte. Je les livrerai pour être maltraités et

(1) Jer., wvii. 10-22. — (2) Jer., \sviu, 1-4. — (3) Jer., wviii, ô-'j. — (4) Jer.. wviii,
10-11. — (5) Jer., wMu, 12-17. — (c) Jer, v\iv, 1-3.
!;AME juive Al TEMPS DES PERSES. :343

malheureux dans tous les royaumes de la terre, pour être un sujet


d'opprobre, une fable, une risée, une malédiction dans tous les lieux
où je les chasserai; et j'enverrai sur eux Tépée, la famine et la peste,
jusqu'à ce qu'ils aient disparu du sol que j'avais donné à eux et à
leurs pères (1). » C'était donc sur un autre groupe que reposaient les
espérances, sur les exilés, symbolisés par les bonnes ligues « Ainsi :

parle Yahweh Comme ces bonnes ligues, ainsi je regarderai avec


:

faveur les captifs de Juda que j'ai envoyés de ce lieu au pays des
Chaldéens. J'abaisserai sur eux un regard favorable et je les ramè-
nerai dans ce pays; je les établirai pour ne plus les détruire, je les
planterai pour ne plus les arracher. Je leur donnerai un cœur pour
me connaître (et savoir] que je Yahweh. Ils seront mon peuple
suis
et je serai leur Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur cœur (2). »
que tout soit parfait en Chaldée? Loin de là, et Jérémie
Est-ce à dire
se préoccupe de l'influence que peuvent exercer sur les exilés les
prophètes optimistes des bords de l'Euphrate. De là le message qu'il
confie aux envoyés du roi. Sans doute il use de ménagements envers
les captifs. Yahweh a pour eux des pensées de paix, et non de mal-
heur; il veut leur assurer un avenir et de l'espérance. Il leur donne
la certitude qu'ils ne le prieront pas en vain, qu'ils ne le chercheront
pas sans le trouver; il ramènera leurs captifs, il les rassemblera de
toutes les nations et de tous les lieux où il les a chassés, il les ramè-
nera au lieu d'où il les a exilés (3) mais il faudra que soixante-dix ans
;

s'écoulent avant cette visite et l'exécution de ces paroles favora-


bles (i). Pour le moment, que les e.tilés se résignent à leur sort, qu'ils
s'installenten Chaldée, qu'ils y vivent, qu'ils s'y multiplient; qu'ils
cherchent le bien du pays où ils résident et qu'ils prient pour lui,
persuadés que son bien sera leur bien (5). Quoi qu'en disent les pro-
phètes, les devins, les interprètes de songes, Yahweh va continuer
de traiter comme des figues détestables le peuple de Palestine; il va
faire venir sur lui toutes sortes de calamités et châtier tous les crimes
dont rendu coupable, toute l'obstination qu'il a opposée aux
il s'est

dires des hommes de Dieu i6). Et contre deux des faux voyants, et
contre Séméias il profère des arrêts de malédiction i7).
Si laconiques que soient ces déclarations, si sobres ces ébauches de
discours, on y peut quand même relever des indications précieuses;
on y peut voir s'ébaucher des traits qui vont s'accuser de plus en plus
à mesure que l'àme juive va se former et se développer.

(1) Jer.,wiv, 8-10. — 2) Jer., xxiv, 5-7. — (3) Jer., x\i\, 11-14. — (i) Jer., \\i\. \i\
— (5) Jer., XMX, -7. — («) Jer., ^xix, 8, 15-19. — (7) Jer., xxix, 21-23, 31-32.
344 REVUE BIBLIQUE.

L'indication d'abord, si facile à saisir, de la vivacité et de l'impa-


tience des attentes de tous ceux qu'intéresse l'avenir d'Israël. C'est,
si preuve de l'ardent amour qui les anime pour la patrie.
l'on veut, la
C'est encore, davantage peut-être, le témoig-nage de la confiance
qu'ils ont en la protection divine, de la certitude que, si Dieu peut
éprouver son peuple, il ne l'anéantira pas, qu'après l'avoir châtié,
il se hâtera de le bénir et de lui rendre sa prospérité antérieure.

Mais il faut aussi parler de leur inexpérience de cette justice divine


qui ne saurait permettre à la miséricorde d'intervenir avant que la
mesure de la peine soit réalisée, surtout avant qu'elle ait produit
ses efï'ets de purification et d'amendement. Quoi qu'il en soit, cette
disposition demeurera à jamais; les Judéens attendront toujours le
salut à brève échéance, sans se laisser déconcerter par les décep-
tions de toute nature qui leur sont réservées.
Car il y aura des déceptions, et qui parfois seront bien cruelles.
Croire toucher au port et voir soudain le rivage s'éloiiiner à de grandes
distances!... Voir subitement la réalisation de ses plus chères espé-
rances reculer jusque derrière l'horizon!... Quelles épreuves pour des
âmes qui prétendent suivre les plus sûres directions de leur foi ! De
quels problèmes angoissants ne vont-elles pas être le point de dé-
part! Pour le moment présent, il est vrai, les solutions sont aisées.
Les espoirs de promptes réalisations sont évidemment prématurées,
alors qu'un châtiment encore partiel frappe des désordres plusieurs
qu'aucun revirement sérieux ne se produit, que de
fois séculaires,

nouvelles fautes s'ajoutent aux anciennes, alors surtout que les


oracles prophétiques les plus clairs ont ouvert de longues perspec-
tives d'exil et de ruine. Mais le temps n'est pas très éh)igné où de
tout autres circonstances rendront ces déceptions particulièrement
douloureuses et troublantes. En tout cas, dès l'origine, elles auront
leur part dans la formation de l'âme juive.
Mais, de tous les traits jusqu'ici signalés, le plus caractéristique
et le plus important est le contraste établi entre les deux éléments
de la nation. Dès maintenant le principe est posé que les Palestiniens
n'auront point de part aux promesses. Sans doute l'oracle des cor-
beilles de figues ne donne point la raison du décret divin seule la ;

comparaison avec les mauvais fruits laisse entendre que le milieu


palestinien est gâté, corrompu. La lettre aux exilés ajoute un détail de
plus, lorsqu'elle parle d'indocilité en présence des messages prophé-
tiques. On a, d'un mot, l'impression que l'arrêt de Yahweh est
motivé, que sous Sédécias se perpétuent les désordres de toutes
sortes qui ont di'shonoré les règnes précédents. Persévérant dans
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3i5

l'obstination de samauvaise conduite, le peuple du pays ne peut que


continuer à porter le fardeau du châtiment. Kien ne le désigne pour
une œuvre à la base de laquelle doit s'affirmer avant tout une nou-
velle orientation de la vie religieuse. Pour retrouver cette améliora-
tion dans la conduite, en dépit d'errements nond^reux et souvent
graves, c'est vers la terre d'exil qu'il faut se retourner. Et voilà
pourquoi, sans exclure ceux des Palestiniens qui viendront à rési-
piscence, c'est sur les captifs que reposent les espérances; voilà
pourquoi Jérémie leur parle comme à des privilégiés du Très-Haut.
Les groupes intéressés garderont le souvenir de ces distinctions. Les
Judéens du pays se les rappelleront pour concevoir à l'égard de leurs
frères de Babylone des sentiments de jalousie qui bientôt se changeront
en dispositions manifestement hostiles; ils se défieront des projets
élaborés en Chaldée et finiront par éprouver un vif déplaisir à en-
tendre parler du retour des exilés. Ces derniers, de leur côté, s'atta-
cheront aux assurances dont ils sont l'objet. D'aucuns, il est vrai, en
prendront occasion de s'enorgueillir et de traiter avec dédain ceux
qui leur apparaîtront si imparfaits. Mais d'autres, mieux inspirés, en
'tireront cette conséquence que, de toutes manières, il leur faut
s'appliquer à se rendre dignes de leur haute vocation. C'est parmi
eux que se recruteront les sauveurs d'Israël.

II

C'était au prophète Ézéchiel qu'il -était en grande partie réservé


de les préparer à leur mission. On ne saurait comparer son action
à celle de Jérémie, ni au même degré parler de son influence per-
sonnelle. Grand, à n'en pas douter, fut son prestige au sein de la
communauté des nous voyons les anciens venir à lui, attendre
captifs;

ses avis, le consulter, lui donner toutes sortes de marques de respect


et de déférence. Il n'en est pas moins vrai que son caractère même,
la forme extérieure de ses révélations, les procédés auxquels pendant
longtemps il eut recours pour les annoncer au peuple, davantage
encore la séquestration à laquelle il se vit condamné pendant une
période importante de son ministère, tout en un mot paraissait tendre
à le tenir à distance de ses compagnons d'exil, à exclure une in-
fluence personnelle comparable à celle du voyant d'Ànathoth. C'est
par ses discours surtout, c'est par son enseignement qu'à la façon
d'Isaïe et de plusieurs autres prophètes, il marqua son empreinte sur
ceux vers lesquels il était envoyé.
Nous l'avons dit : c'est bien aux ex'dés qu'il s'adresse. Il l'affirmera
REVUE BIBLIOUE 1918. — N. S., T. XV. 23
346 REVUE BIBLIQUE.

bientôt avec netteté : comme Jérémie, c'est sur eux seuls qu'il
compte pour la réalisation des espérances nationales, et tout le but de
son ministère sera de les y acheminer. C'est pour eux qu'il parle, soit

dans les discours où il envisage leur situation particulière, soit dans


les oracles prend en considération l'état et le sort du peuplé
où il

d'Israël tout entier. Aussi bien nous pouvons comprendre maintenant


la raison d'être de ces retours sur le passé, le présent et l'avenir de
la nation choisie, de ces regards si fréquemment jetés du côté de la
Palestine, Le fils de Buzi commence son ministère en Fan 5 de la
déportation de Jéçhonias. Or, à cette date, les illusions qu'avec Jé-
rémie nous avons vues se manifester en terre d'exil, aux environs de
Fan 4, sont loin d'être dissipées. C'est pour les combattre, c'est pour
mettre les choses au point que le voyant du tirand Canal dilate ainsi
l'horizon de ses perspectives.
Grand dut être l'émoi de ses auditeurs lorsque Ëzéchiel leur raconta
sa vision du quatrième mois
Rien ne permet de supposer que, (1).

durant les années précédentes, le ministère prophétique ait été va-


cant parmi les captifs. La présence et l'activité de ces faux voyants
dont parle Jérémie (2) s'explique mieux dans le cadre de la rivalité
avec des inspirés authentiques et de la contrefaçon, consciente ou
inconsciente, de leurs procédés. Mais précisément, cette rivalité elle-
même, le recours à des artifices et des formules analogues pouvaient
jeter de l'inquiétude dans l'ànie des fidèles; ceu^-ci pouvaient se de-
jnaudcr où se trouvait la véritable parole de Yahweh. Or voici qu'un
prophète, et des plus considérés, avait, non seulement entendu la
parole divine, mais vu (3) le Seigneur face à face, à la manière de
Miellée, fils de Yenda (i), à la façon des plus grands inspirés, d'un
Amos (5), d'un Isaïe (6), Sans doute, la vision qu'il
d'un Jérémie (7).

racontait était extraordinaire, compliquée, presque étrange. Mais,


d'une part, on y reconnaissait des traits caractéristic]ues qui la ratta-
chaient à celle dont le grand voyant du huitième siècle avait été
favorisé à Jérusalem, à celle même du Sinaï; les êtres vivants (8), que
bientôt on nommerait des chérubins (9), rappelaient, en même temps
que les génies qui, au-dessus du couvercle de l'arche, servaient de
support à la divinité (10), les séraphins qu'lsaïe avait vus autour du
Trcs-llaut (11); comme au regard de Moïse (1-2 1, Yahweh reposait sur
des ])iorres de saphir ('13). D'autre part, les particularités qui dislin-

(1) Ez., I. — (2) Jer., XXIX; cf. Ez., \iii. — (3) Ez., i. 4, iT), '26, 27, 28 (cf. m, 23;
vin. 4; elc). — (4) I lleg., xxii, 19-23. — (5) .\m., vu, 1, 4, 7; viu, 1 ;
i\. 1. — (6) Is., vi.
— '7, .1er., I. — (8) Ez., i, — Ez.,
5. (!)) i\, 3; \, 1, 2, 3, etc.-; cù x, 20. — (lu) Ex., xxv,
18-22, — (II) Is., VI, 2. — (12) Ex., \\i\, 10, — (13) Ez., i, 26. •
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 347

fiuaient l'apparition et lui donnaient son aspect si spécial, trouvaient


leur explication au moins partielle dans le cadre nouveau au milieu
duquel elle se déroulait. Le char, par exemple, les roues (1), les traits
les plus caractéristiques des êtres vivants (2) avaient pour raison
d'exprimer l'omniprésence divine, traduite ici par
d'être, et la rapidité
extrême avec laquelle Dieu atteint d'un endroit à un autre, et d'éviter
au Très-Haut le contact avec la terre impure des dieux étrangers. Il
n'y avai't donc pas lieu de s'y tromper la vision du Grand Canal :

portait en elle-même les marques de son authenticité. On aurait donc


cette fois une « parole divine », sur l'origine de laquelle on ne pour-
rait seméprendre et qui servirait de norme pour apprécier les dires
des voyants de moindre envergure.
Ce n'est pas tout. Les exilés avaient déjà appris de Jérémie et
constaté par leur propre expérience que Yahweh est au fond des
coeurs qui s'attachent à lui, qu'avec lui on peut parler et s'entretenir
comme avec un ami, en même temps que jouir de sa présence. Ils
n'ignoraient pas non plus que l'auteur du ciel et de la terre, le maî-
tre du monde faisait sentir son action dans tout l'univers. Mais, à
cette date, de telles idées n'avaient pas dans les esprits la précision
que nous leur donnons aujourd'hui. Même en honorant le Dieu uni-
versel, le seul Dieu, les âmes fidèles pouvaient encore subir l'influence
(leces préjugés qui liaient la présence de la divinité à la terre sur
laquelle se dressaient ses sanctuaires. Or voici qu'à une date où le
temple existait encore, Yahweh apparaissait en terre d'exil. De mul-
tiples traits mettaient en relief sa transcendance et son inaccessibilité;
il était néanmoins plus en sa forme humaine (3) qu'il ne
visible
l'était d'ordinaire dans les parvis de Jérusalem son individualité d'ail- ;

leurs s'affirmait de la manière la plus frappante. C'est donc que la


présence la plus personnelle de Yahweh par aucune
n'était limitée
influence locale; elle était absolument universelle. C'est au temple
de Jérusalem, il est vrai, qu'il recevait le plus volontiers les hom-
mages de temple venait à disparaître, si
ses adorateurs; mais si le

seulement il était inaccessible à un groupe de fils d'Israël, on pourrait


quand même s'adresser à Dieu en quelque lieu que l'on se trouverait;
lui-même pourrait, à son gré et dans les circonstances qu'il lui plai-

(1) Ez., I, 15, 16. Si les roues ou, plus exactement, les cercles des roues se croisent à
angle droit, c'est afin que, sans avoir à se retourner, le char de l'apparition puisse d'un
trait se diriger vers l'un des quatre points cardinaux (qui résument ici toutes les direc-
tions de l'espace), selon l'impulsion que l'Esprit lui donne.
(2) Ez., I, 6, pour la même raison que les êtres vivants ont quatre faces;
9, 12. C'est
on note d'ailleurs que chacun va devant soi et qu'ils ne se tournent pas en marchant. —
(3) Ez., I, 26'', 27.
348 .
REVUE BIBLIQUE.

rait, se manifester en tout lieu aussi bien qu'à la montagne sainte.


Sans doute il ne s'attachait pas au sol de Chaldée comme il le faisait
à la terre de Juda; mais c'est parce qu'il avait horreur de la souillure
idolàtrique. D'ailleurs pour bien marquer que son prophète nétait
pas victime d'une illusion, il agissait en lui par son Esprit de la
manière la plus énergique (1) de son passage et de son influence il ;

laissait des traces, visibles au regard de tous (2). Désormais, par con-

séquent, les exilés auraient la certitude, en quelque sorte expérimen-


tale, que Yahweh était présent au milieu d'eux, qu'il était chez lui

en Chaldée tout comme en Palestine. L'idée monothéiste y gagnerait


en compréhension et les captifs se trouveraient prémunis contre le
péril réel que risquerait de faire courir à leur foi la splendeur des
cultes babyloniens; de fait, c'est parmi les Juifs de la captivité que
la foi au seul Dieu trouvera ses plus fervents adeptes. En même
temps ils pourraient, moyennant les restrictions dont nous parlerons
dans la suite, organiser leur vie religieuse avec la certitude que
leurs hommages et leurs prières rencontreraient sûrement le vrai
Dieu. C'est vraiment dans cette vision dont Ézéchiel est favorisé sur
la terre étrangère que se trouve l'un des fondements les plus puis-
san.ts du culte de la Diaspora.
Ainsi, dès la première heure, Dieu préparait, en se manifestant
à Ézéchiel, les destinataires de ses oracles à entendre les hautes
vérités qu'il se proposait de leur inculquer.
Dès l'abord son message revêtit des couleurs très sombres. Il était
envoyé vers les enfants d'Israël. Mais Yahweh les lui représentait
comme « des rebelles qui se sont révoltés contre moi, qui,' à la suite
de leurs pères, se sont retirés de moi, môme jusqu'à ce jour », comme
« des fils au cœur impudent et au front endurci (3) ». Mieux vau-
drait êtreenvoyé vers un peuple au parler étrange et à la langue
barbare que Tonne comprendrait pas. Lui, du moins, ferait effort pour
entendre et retiendrait quelque chose; mais la maison d'Israël ne
voudra pas écouter le prophète, parce qu'elle ne veut pas écouter
Yahweh Cl-). Qu'Ézéchiel toutefois ne se laisse pas abattre, qu'il soit
docile, qu'il ait confianceen la force de résistance et foi au cou-
rage que Dieu lui donnera pour son ministère (5). Qu'ils écoutent ou
qu'ils n'écoutent pas, au moins les rebelles sauront-ils qu'à cette
heure, lugubre et décisive en même temps, il y avait un prophète
au milieu d'eux (6), ils sauront que Yahweh leur a fait alors un
suprême appel et que leur sort n'est imputable ([u'à eux seuls. On
(1) Kz., II, 2;m, ri, 14». — (2) Ez., m, 15''. — (3i El., n,, :i, 4. — (4; Ez., m, 5-7. —
(5) Ez., II, G; m, 8, 9. — T)) Ez., Ii, 5.
I/A.ME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 349

ne saurait imaginer jugements plus pessimistes. Sans doute, après


avoir entendu ce programme, le prophète est envoyé vers les exilés,
comme pour le leur communiquer, et la parole divine laisse enten-
dre que tous ne se montreront pas dociles (1). Il nous semble ([uand
même évident que cette appréciation du peuple d'Israël ne vise pas
ces captifs dont Jérémie et Ézéchiel parlent avec faveur, au milieu
desquels le fils de Buzi s'appliquera à trouver et à façonner les
éléments du futur peuple de Dieu. La « maison rebelle » (2), pour
employer la formule qui, à plusieurs reprises, reviendra sur les
lèvres d'Ézécbiel, c'est le peuple d'Israël pris dans son ensemble,
mais c'est surtout la fraction qui continue sa vie nationale, amoindrie
mais réelle encore, en terre de Juda; l'appellation ne convient,
parmi les exilés, qu'à ceux qui, par leurs errements, se rendraient
solidaires de cette obstination et de cette perversité. Toutefois, si
le prophète communique son anathème aux captifs, c'est qu'il ren-
ferme pour eux une utile leçon. Loin que l'on puisse compter sur
un prompt retour des choses, sur la fin prochaine des maux qui
affligent la nation, il faut attendre des calamités plus terribles
encore; la persévérance dans le crime appelle les coups redoublés
du châtiment. De fait, au regard des captifs optimistes, Ezéchiel
dépeint l'avenir sous des couleurs aussi sombres que le faisait Jéré-

mie. Mais en môme tempsdavantage sur la raison de ces


il insiste
arrêts; pour mieux dire, le premier message se borne à laisser entre-
voir les arrêts au travers des crimes et de l'obstination qui les
motivent (3). Et l'on saisit d'autre part qu'il faut se défier de l'opi-
nion d'après laquelle, en ses tableaux des désordres du peuple et
alors même que rien ne l'indique, le prophète aurait principalement en
vue la synthèse historique de la vie religieuse d'Israël. Dès le début,
il marque clairement que c'est avant tout la perversité actuelle qui

attire son attention, expliquant à la fois et les maux déjà survenus


et ceux qui menacent. Le passé, il est vrai, pèse à son tour d'un poids
très lourd, mais c'est surtout parce que le présent ne le rétracte en
aucune manière.
Dénonciation du désordre religieux en Juda, annonce des malheurs
suprêmes qui en seront l'expiation tel sera le double thème de la :

prédication d'Ézécbiel jusqu'au jour où Nabuchodonosor aura donné


le coup de grâce à Jérusalem et au royaume du Sud.

Nous ne saurions dire combien de temps dura cette première phase

(11 Ez., III, 10, 11. — (2) lia n''2, m- à m., maison de rébellion; Ez., ii, 5, 6, 8 ;
m, 9,

20, 27; XII, 2 [bis), 3, 9, 25, etc. — (3) Ez., il, 3-8, dont m, 4-9 est peut-être ua doublet.
350 REVUE BIBLIQUE.

de l'activité du voyant sur laquelle nous reviendrons bientôt et


durant laquelle il exerça un apostolat tout individuel auprès de son
entourage, ni quel thème il développa alors le plus volontiers (1).
Mais on était encore dans la cinquième année (2) lorsqu'il fut atteint
de cette infirmité providentielle qui donne à sa carrière un carac-
tère si particulier (3). Privé du mouvement, il était condamné à la
séquestration; privé de l'usage de la parole, il en était réduit à
ces actions symboliques qui, réalisées avec ce qu'il avait sous la
main, paraissent si étranges. Elles étaient, semble-t-il, interrompues
par des cris, par des phrases entrecoupées mais il lui fallait attendre ;

une période d'accalmie pour en révéler la pleine et entière signi-


fication. Or de ces actions symboliques les premières (4) n'ont
qu'un but en lui représentant la fm de Juda, mettre son entourage
:

en présence d'un fait si inéluctable qu'on en peut déjà analyser les


détails. Jérusalem, en un premier symbole, subit un siège redoutable,
puissamment organisé; incapable de résister par ses propres
moyens, isolée de tout appui humain, elle est, en outre, violemment
séparée de Celui qui seul la pourrait délivrer et qui, loin de là, la
regarde avec colère et menaces (5). Un autre symbole nous montre
la famine qui, pendant ce temps, fait son œuvre au sein de l'infor-
tunée cité; on n'y peut manger que de temps en temps et dans
l'angoisse, boire qu'avec parcimonie et dans l'épouvante (6). Cepen-
dant le sort du peuple se décide en même temps que celui de
la capitale; un tiers des fils de Juda périt au milieu de la ville,
victime de l'incendie, de la famine et de la peste; un autre tiers
tombe sous le glaive autour des murailles, soit à l'occasion des sorties
partielles, soit au moment de la capitulation. Quant au reste, il est
dispersé à tout vent, c'est-à-dire parmi les nations. Là même, la
colère divine le poursuit; un
groupe seulement est réservé,
petit
encore doit-il être à son tour soumis au feu purificateur qui n'en
épargnera que quelques éléments (7). Entre temps, un quatrième
symbole rend sensible, de la façon la plus frappante, l'une des consé-
(juences de l'exil l'horreur du séjour en une terre idolâtre où l'on
:

ne peut manger que des aliments impurs (8). Enfin l'infirmité même
du prophète, par sa durée et ses phases successives, re|>résente la
prolongation de la captivité, non seulement pour les Judéens, mais
pour les anciens Israélites du schisme eux-mêmes (9).

(1) Ez., III, 16-21; vide infra, p. 370 sv. — (2) C'est seulement avec le eliaii. viii que
commencent les visions de la sixième année. — (3) Ez., m, 22-27. — (4) Ez., iv, 1-v, 4.
— (5J Ez., IV, 1-3. — (G; Ez., iv, !(-ll, 16, 17; cf. xii, 17-20. — (7) Ez., v, l-'i : cf. vers. 12.
— (8) Ez., IV, 12-15. — O: Ez., IV, 4-8.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 3al

Terrible vue d'ensemble sur les derniers jours de la nation! Leçon


éloquente pour ceux qui nourrissent encore dos espéiances chimé-
riques. Un trait Aux yeux du voyant de
mérite d'être souligné.
l'exil, comme à ceux de Jérémie, c'est bien sur les captifs que re-

posent les espérances. Mais tous ne sont pas, du fait même de leur
déportation, appelés à y participer. Même en Chaldée, il y a des
« fils rebelles ». A vrai dire, gTand est le nombre de ceux dont,

là-bas encore, le péché mérite châtiment et que le feu purificateur


doit réduire; seule une
soigneusement expurgée bénéficiera
élite
du salut et des promesses. La remarque est d'importance et jette un
jour précieux sur toute une part de l'action d'Ézécbiel de laquelle'
nous traiterons en son lieu Ij.
Mais le prophète ne s'en tient pas à ces menaces. Des jugements
si sévères ont besoin d'être motivés et ce n'est pas assez d'avoir,
une fois pour toutes, parlé de « maison rebelle ». Lorscpi'il fut

capable d'expliquer ses premières actions symboliques, le fils de


Buzi commença encore par une appréciation générale, mais combien
g'rave : « Jérusalem que j'avais placée au milieu des
C'est là cette
nations, avec des terres autour d'elle! Mais dans sa méchanceté elle
a résisté à mes décrets plus que les nations et à mes lois plus que
les pays qui l'entourent (2). » De. là la terrible sentence sur laquelle
Yahweh se plait à renchérir, reprenant les traits spéciaux signifiés
par les symboles (3) et leur donnant pour cadre des anathèmes d'une
extrême rigueur « Voici que je viens à toi! Moi, j'exécuterai mes
:

décrets au milieu de toi sous les yeux des nations; et je ferai sur toi
une chose telle que je n'en ai point encore fait et que je n'en ferai
plus,- à cause de toutes tes abominations. Des pères dévoreront leurs
fils au milieu de toi et des fils dévoreront leurs pères. J'exécuterai

contre toi mes jugements et je disperserai à tout vent tout ce qui


restera de toi (4). » Dès ce discours toutefois, une prévarication
semble plus que les autres attirer la colère de Yahweh « Parce :

que tu as souillé mon sanctuaire par toutes tes infamies et tes abo-
minations, moi aussi je briserai, et mon œil sera sans pitié et je
n'aurai pas de compassion (5). » La rigueur sera telle que Jérusalem
deviendra pour les nations elles-mêmes une leçon eu même temps
qu'un sujet de stupeur (6).
Les allusions à la profanation du Temple, auxquelles Ézéchiel
donnera bientôt une plus grande importance, nous rappellent l'état

Vide infra,p. 013 sv.


(1) —
(2) Ez., v, 5, G, 7.
-^ (3) Ez., v, 11-17; vi, 11, 12. Ces deux
derniers versets pourraient bien être la suite du chap. v ; ils auraient été déplacés par
suite d'un accident de texte. — (4) Ez., v, 8-10, — (5) Ez., v, 11. — (6) Ez., v, 14, 15.
332 REVUE BIBLIQUE.

du grand sanctuaire tel que le livre des Rois nous le décrit au mo-
ment où, fortement impressionne par la lecture du Deutéronome,
Josias se prépare à en entreprendre la réforme (1); il est déjà pro-
bable que la réaction païenne du règne de Joachim (2) avait res-
suscité ces désordres et qu'ils sévissaient encore sous Sédécias (3).
A plusieurs indices on pourrait dès maintenant saisir et apprécier
l'influence de ce grand code dont Jérémie avait prêché l'observa-
tion et dont sans aucun doute les captifs avaient des copies au milieu
d'eux. Nous reviendrons sur ce sujet (4). On ne peut toutefois omettre
de signaler cette influence deutéronomique tant elle y est aisément —
reconnaissable —
dans une prophétie qui n'est pas datée, mais qui
suivit d'assez près la précédente (5). En une énergique prosopopée,
Ézéchiel transmet la parole de Yahweh aux montagnes et aux collines,
aux ouadis et aux vallées du pays d'Israël (6). Or le thème du
reproche divin tient en une seule ligne : « Je vais faire venir contre

vous l'épée et détruire vos hauts-lieux (7). » Les hauts-liëux! Voilà


donc grand crime du peuple choisi! Ici le prophète rejoint en
le

ses déclarations les anathèmes que le Deutéronome prononce contre


ces lieux de culte dont l'existence même, abstraction faite des abomi-
nations qui s'y commettent, est en contradiction flagrante avec sa
loi fondamentale de l'unité de sanctuaire. Aussi Ézéchiel aime à le

déclarer: ces bâmôth seront détruits, les autels dévastés, les colonnes

solaires brisées (8). Puis le fléau s'étendra au pays tout entier qui
sera ruiné et désolé depuis le «t-'^/eô jusqu'à Riblah (9). Et, pour bien
marquer la relation de la peine avec la transgression, les hommes
tomberont frappés à mort devant leurs idoles, autour de leurs au-
tels, sur toute colline élevée, sur tout sommet de montagne, sous

tout arbre vert et sous tout chône au feuillage touffu, partout où


ils ont offert à toutes leurs idoles un encens d'agréable odeur (10).

C'est ainsique Yahweh manifestera sa puissance, sa véritable nature


et ses exigences. Selon le sens de la formule chère à Ézéchiel, le

peuple « saura qu'il est Yahweh » (11), reconnaîtra à l'éclat de ses


interventions le Dieu dont il a méconnu les procédés de miséricorde.

^1) Cf. II Reg., \xu, l-\xiii, 25; II Chron., xxxiv, 8-x\\v, 19. — (2j Cf. 11 Reg., xxiii, 37;

Il Chron., xxxvi, 5. — (3) Cf. II Reg., xxïv, 19; II Chron., xxxvi, 12-14. —(4) Yide
infra, p. 017-033. — (5) Ez., vi. — (6) Ez., vi, 2, 3.
— (7) Ez., vi. 3' .. — (8) liz., vi. 4. —
(9) Ez., M, 14, selon la correction probable du texte hébreu np'ini "l^l'rP ^'< depuis

le dé.^ert de Diblalhah ») en nnSzi "IZlQa (« depuis le désert [au sens absolu, sans
T T r ..
: - .

doute pour désigner le désert par excellence, celui du Sud, le né(iél)] jusqu'à Riblih [dans
l'extrême Nord, en Cœlé-Sjrie^). (10) Ez., vi, 13. — —
(11) Cf. Ez., vi, 7, 10, 13, 14; vu, 4,

9, 27; M. 12; xu, 15, IG, 20; etc.


L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 353

— Les mêmes idées reviennent dans une adresse au peuple qui se


mêle, à la façon d'un doublet, à Foracle qui précède (1).
Le premier cycle de prophéties s'achève avec un chapitre qui
n'est autre chose .que le développement d'une vision d'Amos, celle
de la corbeille de fruits mûrs (2). Il ne nous semble pas, en effet,
qu'on doive retenir les raisons mises en avant par plusieurs criti-
ques pour attribuer à ce morceau une date notablement postérieure
à la cinquième année, pour le faire presque contemporain du
deuxième siège de la ville. Nombreux, il est vrai, sont les traits qui
tendent à marquer l'imminence du désastre. Mais ils nous paraissent
tenir au caractère de la poésie elle-même et ne pas dépasser en
vigueur la portée des premières actions symboliques. Tout au plus
admettrions-nous la possibilité de retouches faites plus tard au poème
déjà existant. —
Le sujet, qui pourrait tenir en ces mots « La fin
est venue », s'exprime d'abord, à ce qu'il semble, en deux strophes

présentant d'ailleurs entre elles d'étroites ressemblances (3). La


redondance des expressions donne une vigueur singulière à la pensée :

« Voici la fin! La fin vient sur les quatre coins du pays; maintenant

la fin vient sur toil... Un malheur Un malheur unique! Le voici, il 1

arrive! La fin vient, c'est la fin. Elle s'éveille contre toi; la voici,
elle arrive! Ton sort est venu, habitant du pays; le temps vient, le

jour est proche Mais jamais le prophète ne parle du fléau sans


(4) ! >

en dire la raison d'être. Cette fin sera l'œuvre de la colère divine :

« Je vais donner cours à ma fureur contre toi, répandre sur toi mon

courroux (5)!... » Colère implacable, mais manifestation pure et sim-


ple de la justice : « Je te jugerai d'après tes œuvres, je ferai retom-
ber sur abominations (6) ». Ces pensées sont ensuite com-
toi tes

mentées en des développements d'un rythme plus large qui, en une


manière qui rappelle celle de Jérémie, nous font assister à l'invasion
de l'ennemi et au sac de la capitale. Le jour est proche, il arrive,
menaçant pour tous (7). Déjà la trompette sonne; personne n'ose se
lever pour combattre, tandis que, loin de soutenir son peuple, Yahweh
exerce contre lui sa colère (8). Les fléaux se multiplient, précur-
seurs des désastres; tandis que quelques fugitifs s'échappent dans les
montagnes et y errent gémissants, ceux qui demeurent se sentent
défaillir Ils multiplient les signes de deuil, reconnaissent la
vanité
(9 i.

de leur or et de leur argent impuissants à les secourir, davantage

5'-10. On a déjà noté que les vers. 11, 12 paraissent se rattacher au chap. v.
(1) Ez VI
- VIII, 1-3. - (3) Ez., vu, 1-4, 5-9. - (4) Ez., vu, 2\ 3-^ 5\ 6,
-''\ - (5) Ez., vn,
(2) Ara.,
— 3^ i\ - (7) Ez., vil, 10-13.— Ez., vu, 14. -
3^^ 4% 8'-?, 9\ (6) Ez., VII, S't\ G''. (8)

(9) Ez., VII, 15-17.


354 REVUE BIBLIQUE.

encore la vanité des idoles qu'ils ont sculptées avec ces métaux et
dont Yahweh va faire des ordures ou qu'il va livrer aux étrangers (1).
Il leur faut se préparer aux derniers malheurs,
carde son abandon
et de sa colère Yahweh donne la preuve la plus terrible en permet-
tant aux hommes de violence de profaner son joyau et d'entrer dans
son temple (2). Le temps est venu de préparer les cliaiiies, car voici,
mandé par le Dieu d'Israël, le peuple qui, par son idolâtrie, ses
sortilèges et ses superstitions sans nombre, mérite d'être appelé de
tous le plus méchant. va s'emparer des maisons, profaner les lieux
Il

saints. Les mauvaises nouvelles succèdent aux mauvaises nouvelles,


les malheurs aux malheurs (3). Et pendant ce temps personne, ni
prophète, ni prêtre, ni anciens, pour guider les infortunés, victimes
de leurs errements; personne pour les soutenir, puisque roi et
princes se laissent eux-mêmes abattre par la tristesse (i). C'est la

ruine inévitable. — Description si concrète qu'au jugement de plus


d'un critique, les traits les plus précis trahiraient des retouches faites

après l'événement; il est au moins aussi juste de dire que les nom-
breuses expériences du passé, d'un passé encore récent, suffisent à
expliquer pareille justesse de détails. Aussi bien la description est-
elle maintes fois interrompue par des allusions aux iniquités de Juda
qui motivent la catastrophe (5) et elle aboutit comme par un mouve-
ment tout naturel au leit-motiv : « Et ils sauront que je suis Yahweh !
»

III

Les illusions des heures tragiques sont tenaces entre toutes. On


ne saurait en être surpris la campagne prophétique dont nous
:

venons de retracer les épisodes n'eut pas raison de l'optimisme des


exilés. Ézéchiel, de son côté, ne se laissa pas désarmer par cette résis-

tance passive à ses paroles. Deux nouveaux cycles de prophéties,


dont premier commence avec une vision datée du 5 du sixième
le

mois de l'an C (6), dont l'autre se poursuit du 10 du cinquième mois


de l'an 1 (7) jusqu'aux abords du 10 du dixième mois de l'an 9 (8),
reprennent le même thème pour le retourner en tous sens. On ne
saurait, sans s'exposer à d'inutiles redites, explorer par le menu tous
ces oracles.
Plusieurs d'entre eux donnent à divers détails dont les uns du relief
nous sont déjà partiellement connus, dont les autres doivent leur
nouveauté au progrès des événements eux-mêmes. On notera tout

(1) Ez., Ml, 18-21. — (2). Ez., VII, 22. — (3) Ez., vii,' 23-2G», — (4) Ez., vu, 26''-27". —
(5) Ez., VII, 13''.S l'J's 20, 2:i'', 27''. — (6) Ez., viii, 1. —(7) Ez., xxj 1. — (8) Ez., xxiv, 1.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. . 355

d'abord l'influence qu'à l'instar de Jérémie, Ézéchiel attribue aux


faux prophètes sur son entourage (1). On ne sait que penser de ces
prophétesses ou sorcières dont il nous décrit les pratiques en un lan-
gage assez obscur, que n'éclaire aucun passage parallèle, dont il
apprécie l'action en des termes plutôt généraux (2). A propos des
voyants, les griefs sont développés avec une tout autre netteté. Avant
tout, une question de principe. Ces inspirés sont des imposteurs; ils
suivent leur propre esprit, ne voient rien, profèrent des oracles de
mensonge, se réclament de Yahweh alors qu'il ne les a pas envoyés (3).
Mais leurs mensonges sont pernicieux et ils font des dupes. Ils jettent le
peuple dans une funeste illusion; Ézéchiel les compare, ici à des
renards qui minent les ruines par les trous qu'ils y creusent (i), là
à des plâtriers qui dissimulent les lézardes de la muraille sous l'en-
duit dont ils les recouvrent (5). Viennent la pluie et la tempête, tout
s'écroule (6), et l'on s'aperçoit qu'ils n'ont rien fait de solide pour la
protection et le salut d'Israël D'une façon concrète, le grand(7).
grief c'est qu'ils parlent de paix alors qu'il ne peut en être ques-
tion (8). La colère divine ne manquera pas de les atteindre (9). On
remarquera que le seul châtiment explicitement articulé est l'ex-
clusion de l'Israël futur et de la restauration sur le sol natal (10).
Il surprenant qu'à l'époque qui nous occupe, Ezéchiel n'eût
serait
souligné que cette peine, et l'on penserait volontiers à une réa-
daptation postérieure à l'an 587; sous des formes sans cesse
changeantes, le désordre de la fausse prophétie devait se perpétuer
après comme avant la ruine de Jérusalem. Un autre oracle, d'une
portée plus générale par rapport aux voyants, nous révèle un trait

particulièrement intéressant dans tableau de cette société com- le

posite qui campait dans les plaines de Glialdée. En présence d'un


groupe d'anciens, venus pour consulter le fils de Buzi, Yahweh dé-
clare qu'aux idolâtres il se réserve de répondre lui-même et d'une
façon péremptoire (11) quant au prophète qui se laisserait séduire et
;

prononcerait quelque parole, sa peine serait peine d'extermination,


tout comme celle de l'impie qui l'aurait consulté (12). Il y avait des
idolâtres autour d'Ézéchiel, jusque parmi les anciens qui venaient à
lui!...

Ce n'était pas de paix qu'il s'agissait alors. Il suffisait, pour le


comprendre, de jeter un regard vers la Palestine et de l'arrêter spé-

(1) Ez., xm; XIV, 1-11. — (2)Ez., xui, 17-23. —(3) Ez., xm, 2% 3, 6, 7, 8, 9"« ;
cf. xxn,
28. — Ez., XIII, 4. — (5) Ez., xm, 10^ 14. — (6; Ez., xiii, 11, 12. — (7) Ez., xm, 5. —
(8) Ez.,
(4)

xm, 10% 16. — (9) Ez., xm, 13-16. — (10) Ez., xm, 9'.3. — (11) Ez., xiv, 1-8.

(12) Ez., XIV, 9-1).
356 REVUE BIBLIQUE.

cialement sur lattitude du roi et des princes. Or on n'ignorait pas


en Clialdée ce qui se passait dans les montagnes de Juda. Il y a peu
à prendre dans cet oracle qui, commeùtant une
action symbolique

fort expressive, nous montre Sédécias s'écliappant, lors du dernier


siège, par une brèche de la muraille, au milieu d'un groupe
de
Judéens (1). Les données sont plus riches dans cette lamentation qui
termine le cycle de la sixième année. Sédécias persévère dans les
mauvaises dispositions et les intrigues poHtiques que Jérémie a cen-
surées deux ans auparavant. Selon un procédé auquel le voyant
d'Anathoth avait eu lui-même recours, Ézéchiel rappelle au roi, en
une complainte d'un rythme saisissant, les issues fatales auxquelles les

combinaisons humaines ont mené ses prédécesseurs, un Joachaz (2),

un Joakim, un .ïéchonias (3) Mais sa pensée déborde la personne !

du roi lui-même. Juda était tout à l'heure une lionne qui avait assisté
impuissante à l'infortune de ses lionceaux. Il est maintenant com-
paré à une vigne (i). Vigne jadis plantée sur le bord des eaux, riche
en fruits et branches fournissaient des sceptres de souve-
dont les

rains, elle a été arrachée avec fureur, pour être plantée dans le désert,
où elle s'est desséchée, brûlée par le feu; elle n'a plus de rameaux
puissants, de sceptres pour dominer (5). Ce n'est plus seulement
un roi, c'est la dynastie elle-même qui est frappée de condamnation.
Mais, plus encore que cette lamentation, la parabole des aigles et du
cèdre (G) fournit à l'historien des détails précis. La date en est, il est

vrai, assez controversée. Si l'on ne prêtait attention qu'à la partie


explicative de la parabole et à l'allure générale de l'interprétation (7),
on serait tenté de croire que la rupture de Sédécias avec Babylone
et son aUiance avec l'Egypte sont consommées il faudrait alors traiter ;

cet oracle comme postérieur à l'avènement du pharaon Apriès [ôSd).


.Mais, dans cette explication même du symbole, certains traits sont

difficilement compatibles avec cette hypothèse, notamment ce qui est


dit de rindilierence de l'Égypfe en présence du malheur de Juda

(1) E/., XII, 1-16. — (2) Ez., XIX, 2-4.


(3) Ez., XIX, 5-9. Des critiques (Hitzig, Kraetzsclmiar), qui regardent la lainentalion
comme postérieure à la prise de Jérusalem en 587, appliquent ces deux strophes (vers. 5-7
et 8, !») à Sédécias. Mais aucune raison décisive ne nous oblige à reporter cette poésie
au delà de la date (xx, 1) qui i)arait clore le second cycle d'oracles on inaugurant le troi-
sième-, la conclusionque Kraetzsclmiar tire en ce sens du vers. 14'' ne s'impose en aucune
manière. Des lors l'allusion à une captivité babylonienne au caractère délinilif (vers. 9,
surtout 9') nous invite à songer à Jéchonias (Bortliollel et beaucoup de commentateurs).
D'aucuns (Smcnd cl autres) croient, non sans raison à noire sens, que, dans ces deux
strophes, le i>ropli('le a bloqué ce qui regardait .loachim et Jéclionias; le rôle historique du
second n'a guère été que d'expier les fautes du ])remier. — (4) Ez., xix, 10. — (.>] Ez., xix,
10-14. — (6) Ez., XVII. — (7] Ez., xvii, 11-21.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 357

et du danger de Jérusalem (1); d'autre part, Texposé de la para-


bole (2) donne une note beaucoup plus imprécise. Aussi croyons-nous
que cet oracle peut fort bien remonter à la sixième année (591); sans
doute Apriès n'était pas encore là pour agir vigoureusement sur les
esprits, les échauffer, les conduire à la rupture définitive. Mais, depuis
la quatrième année, il était évident qu'en se détachant de la Chal-
dée, les petits peuples de l'Asie occidentale se tourneraient vers
l'Egypte (3) et tenteraient dentraîner Juda avec eux; nul doute que
tel ne fût le but avoué
prôné par la plupart des politiciens en l'an 6,
et ;

le danger devenait de plus en plus grave. Ézécliicl le dénonce. On ne

saurait en douter, l'Egypte au moment critique se désintéressera


de .Tuda (4). Puis, quand viendra le vent d'Est et l'on pense à —
Nabuchodonosor —
la vigne, qui de nouveau symbolise Israël, se
desséchera cependant qu'on arrachera ses racines et coupera ses
rameaux (5). D'ailleurs le peuple et la royauté auront un orinie à
expier, dont la présence écartera le secours et l'appui divins ce :

n'est pas en vain qu'on viole une alliance et des serments dans les-
quels Yahweh a été pris à témoin (6). Le roi ira expier son crime chez
celui-là même auquel il aura manqué de fidélité (7).
Ses guides et ses chefs conduisaient ainsi le malheureux peuple
dans la voie du crime. De fait, en un tableau (8) de peu de temps
antérieur à la grande catastrophe, le prophète nous montre toute la
masse de la nation lamentablement gangrenée, pareille à une terre
que la pluie n'a pas de longtemps purifiée. Les princes y multiplient
leurs violences et leurs rapines, les prêtres manquent à leurs devoirs
les plus essentiels, les prophètes jettent l'illusion par leurs vains
oracles, les magistrats sont rapaces jusqu'à la suprême violence;
le peuple les imite par ses crimes, ses vols, son inclémence vis-à-vis

(1) Ez., xMi, 17. Sans doute, tant qu'Apriès n'eut pas effectivement commencé à porter
secours à Sédécias Jer., ïxxvii, 4-6), un tel langage était à la rigueur possible. Toute-
(cf.

fois, indépendamment de la lumière qui lui venait de la révélation divine, Ézécliiel était

trop bien informé sur ce qui se passait dans l'Ouest pour méconnaître à ce point l'esprit
résolu, actif d' Apriès. —
(2) Ez., svn, 2-10. —
(3) Telle avait été perpétuellement la

marche des événements au huitième siècle et au septième, ainsi que l'attestent les écrits

d'Osée, d'Isaïe, de Jérémie. — (4) Ez., xvii, 17. —(5) Ez., xvii, 9, 10. — (6) Ez., xvii, 15,

16, 18, 19. —(7) Ez., XVII, 16, 20.

(8) Ez., XXII, 24-31. On remarquera que ce petit oracle paraît vouloir passer en revue
toutes les classes de la société : prophètes (vers. 2'i], pivUes ,vers. 26j, grands (vers. 27},

prophètes (vers. 28), peuple (vers. 29). Mais les prophètes sont nommés deux fois, tandis
qu'il n'est pas fait mention des princes. Or, d'une part, des deux textes consacrés aux pro-
phètes, le second seul énumère des griefs eu rapport direct avec les fonctions prophétiques

(vers. 28); d'autre part, au vers. 25, le grec porte ^; ol àyyiyo-Vsvoi, et le contexte cadre

avec cette leçon. Aussi corrige-t-on d'ordinaire H^Nl^: Iwp en rriNit;: -|*^*n.
358- REVLE BIBLIQUE.

des faibles. n'y a personne qui puisse se tenir sur la brèche pour
Il

défendre la nation contre le coup qui va la mener à la ruine. Au


inévitable. C'était encore
reo-ard du prophète, celle-ci était certaine,
une vérité difficile à faire accepter des exilés; ne se révoltaient-ils pas
à la pensée que Jérusalem pouvait être détruite et Juda rayé du
nombre des nations? Ézéchiel mit tout en œuvre pour éclairer ce sujet
d'une abondante lumière. —
On ne pouvait se faire àl'idée que, par ses
crimes, la capitale s'était rendue digne d'un pareil châtiment. Rap-
pelant les règles qui président aux jugements divins (1), il déclarait
qu'en fondant sur un pays à cause de ses révoltes, les quatre fléaux de
Yahweh famine, bêtes malfaisantes, épée, peste, n'épargneraient
:

aucun coupable; il ajoutait même, en un langage assez différent du


dialo^-ue de Yahweh et d'Abraham sur le chemin de Sodome (2),

que, s'il se rencontrait en ce pays trois hommes d'une vertu éminente


tels que Noé, Daniel et Job, ils seraient eux-mêmes soustraits au fléau,
mais sans pouvoir aucunement contribuer au salut du reste du
peuple Jérusalem toutefois, cette règle souffrirait une excep-
(3). A
tion [ï] des coupables s'échapperaient avec leurs fds et leurs filles,
:

ils viendraient en exïl; là, par leur conduite criminelle et leurs mau-

vaises actions, ils se chargeraient eux-mêmes de justifier la sévérité


des arrêts divins et consoleraient ceux qu'ils auraient rejoints de la
douleur que leur aurait causée la chute de la Ville Sainte. Soit! —
en toute rigueur de justice! Mais il y avait les promesses faites à

Israël!... N'était-il pas, selon le mot d'Isaïe, la vigne privilégiée de


Yahweh (5)?... On oubliait que. d'après le même voyant, la vigne
choisie était devenue une vigne sauvage, indigne des sollicitudes

divines (6). Ézéchiel reprenait la comparaison, mais, négligeant la


période de la fidélité et des bénédictions, elle avait été si courte (-7) — !

— ne voulait plus voir en Juda que la vigne sauvage, pareille aux


il

arbres de la forêt. Or, de tous les bois, celui de la vigne est le plus
inutile; il bon qu'à alimenter le feu et, quand la flamme Ta
n'est
atteint, on n'en peut absolument plus rien tirer (8). Telle Jérusalem :

une vigne inutile! Déjà le feu l'a attaquée en 598, il achèvera bientôt
son œuvre (9).

iij Ez., xis, 13-20. — (2) Gen., xviii, 22-33. On


ne saurait parler de contradiclion entre
le récit de la Gi-nèse et les déclarations du propliète. A une époque où l'éditice do la

doctrine, révélée est en plein développement, des points de vue nouveaux de l'action provi-
dentielle se manifestent les uns après les autres, en attendant que leur juxtaposition intro-
duise entre eux une complète harmonie et estompe les couleurs les plus vives et les plus
tranchées.— (3) Ez., xiv, 13-20. — (4) Ez., xiv, 21-23. — (5) Is., v, 1, 2"'«. — (6) Is., v,

2i.i._(7) Cf. Os., XI, 1-4; Jer., u, 1-7; etc. — (8) Ez., xv, 1-5. — (9) Ez., xv, 6-8.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 359

Car, dès l'an 6, le prophète croyait à la prochaine réalisation de


ses menaces. Volontiers dans son entourage, on s'appuyait sur les
délais divins pour émettre des doutes ironiques touchant la véra-
cité des prédictions « Les jours se prolongent, allait-on répétant,
:

toute vision reste sans effet (1) La vision qu'il voit


». Ou encore : «

est pour des jours nombreux, c'est pour des temps lointains qu'il pro-
phétise (2)1.. » Ézéchiel ne se laissait pas désarçonner « Je ferai :

cesser ce dicton et on ne le répétera plus en Israël. Les jours sont


proches et toute vision va s'accomplir. La parole que je dirai s'ac-
complira sans plus tardei',... oracle du Seigneur Vahweh (3) ».
Mais,aux abords de la neuvième année, il était tout à la pensée de
l'imminence du désastre. X'avait-il pas charge d'annoncer à la forêt
du Midi que l'incendie allait éclater, dont la flamme ne s'éteindrait
pas, brûlant tout ce qui est à la surface du sol (4)? Et, pour expli-
quer cette parabole, ne devait-il pas déclarer à Jérusalem que Yahweh
venait à elle, qu'il dégainait son épée pour frapper le juste et le
méchant, depuis le Midi jusqu'au Septentrion (5)? Ne lui fallait-il
pas, gémissant jusqu'à se rompre les reins, montrer l'épée aiguisée,
fourbie pour le carnage (6), s'adresser au glaive lui-même pour
l'exciter à accomplir son œuvre de mort (7)? Enfin, et peut-être un
certain temps après les oracles dont nous venons de parler, reve-
nant à une de ces actions symboliques qu'il afiéctionnait, il mon-
trait Nabuchodônosor quittant la Ghaldée pour se rendre en Occi-
dent. Arrivé à une bifurcation, le roi consultait ses présages pour
savoir s'il irait d'abord vers Jérusalem ou vers Ammon; et le sort
indiquait... la capitale de Juda (8)!
Quel que soit l'intérêt de ces oracles et de la progression que l'on
y peut saisir, il en est d'autres qui méritent de retenir davantage
notre attention.
C'est d'abord la grande et magnifique vision datée du 5 du sixième
mois de l'an 6, Notre but n'est pas d'analyser cette page, l'une des
plus belles du recueil prophétique, mais d'en extraire les rensei-
gnements qui vont à notre sujet. Elle se laisse aisément ramener à
un exposé synthétique de toutes les préoccupations qui remplis-
saient l'àme d'Ézéchielau sujet de son peuple et qu'il voulait com-
muniquer à la partie docile de son entourage. Il y est d'abord
question du péché d'Israël et, maintenant comme au premier début

(1) Ez., x\i, —


22. (2) Ez., XII, 27. — (3) Ez., xii, 23, 25: cf. 28. — (4) Ez., xxi, 1-4

(Vulg. XX, 46-48;. — (5) Ez., xxi, 5-10 (Vulg. xx, 49-xxi, 5). On remarquera que le

prophète se sert d'une nouvelle parabole pour expliquer celle qui précède. — (6) Ez., xxi,

11-18 (Vulg. 6-1.3). —


(7) Ez., XXI, 10-22 (Vulg. 14-17). (8) Ez., xxi, 23-32 (Vulg. — 18-27).
360 REVUE BIBLIQUE.

de son ministère, la faute qui, au regard du prophète, prime toutes


vrai, sous son
les autres, c'est l'idolâtrie. Il la contemple,
il est

aspect le plus révoltant. C'est au Temple qu'elle s'étale et s'affiche,


profanant la résidence du Très-Haut, entraînant par ailleurs la vio-
lation de tous les règlements qui assignaient au clergé, aux hommes,
aux femmes, des places distinctes dans les parvis (1). Le sanctuaire
est devenu comme un mauvais lieu, rendez-vous de
toutes les ido-

lâtries. Culte d'Astarté (2); mystères d'origine assyro-babylonienne

selon les uns, plus probablement de provenance égyptienne (3) ;

rites en l'honneur de Tammuz (4) ;


adoration du soleil, pratiquée
dans le parvis intérieur lui-même et pour laquelle vingt - cinq
hommes tournent le dos au vestibule de la demeure divine afin de
saluer l'astre à son lever (5) rien ne manque de ce qui peut exci- :

ter la colère de Yahweh. Et de la capitale le désordre se répand


dans le pays tout entier (G). On ne saurait imaginer réalisation plus
complète du syncrétisme religieux; on y distingue l'influence de
tous les cultes des peuples avec lesquels Israël a été en rapport. Les
traits sont nombreux qui permettent un rapprochement avec le
tableau que le livre des Rois nous retrace des prévarications reli-
gieuses du règne de Manassé et des débuts de Josias (7). Ce n'est
pas une raison, nous l'avons déjà insinué, pour voir dans la vision
prophétique un retour sur le passé. On ne peut relever dans l'exposé
aucun trait qui accuse son caractère rétrospectif. En revanche le

sens obvie de l'oracle, les circonstances dans lesquelles il est pro-


noncé invitent clairement à l'entendre du temps présent. On remar-
quera en particulier le lien étroit qui existe entre le tableau du
désordre et le châtiment; le prophète est encore dans le parvis,
spectateur des abominations qui s'y commettent, lorsque Yahweh
appelle les ministres de sa vengeance, et les premières victimes sont
précisément les adorateurs du soleil (8); on serait tenté de dire
que la fôte est interrompue au moment où elle bat son plein. On

(1) Ez., VIII, 14, 15; les femmes paraissent ici francliir la porte septentrionale du par-
vis intérieur. Au \ers. 16, il n'est pas sur ijue les vingt-cinq hommes qui sont dans dans
le parvis intérieur soient des prêtres; même le nom d'anciens, qui leur est donné plus
loin (IX, 6), semble exclure cette hypothèse. — (2) Ez., mii, 5. L'idole de la jalousie paraît
identique à la statue d'Astarlé qui, d'après II Reg., xxiu, (>, se trouvait dans la maison de
Vahwch (cf. II Reg., xxi, 7). '— Cî) Ez., vin, 10-1'>. — (4) Ez.. viii, 14. — (.5; Ez., viii, 16.

(6) Ez., viii, 17. Au lieu de DSN « leur nez », on lit d'ordinaire i2Nt « ils envoient à

mon nez la puanteur « puanteur de leurs sacrifices idolàtriques; toutefois le sens du


(la

nuit rOTZ" est incertain). La tradition massorétique considère dSN' comme un TihUnn

hussôp^"'rim (correction des scribes) de "iSN. — (7) H Reg., xxi, 1-7; xxiii, 4-:^i. —
(8) Ez., IX, 1, 2, 5-7.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 361

suppose, il est vrai, qu'après la reforme de Josias, le Temple ne con-


nut plus les désordres et les profanations auxquels le pieux roi avait

mis supposition est purement gratuite. De même que


lin. xMais cette

Manassé avait rendu vaines les mesures prises par Ézéchias (1), de
même Joachim laissa libre jeu aux mondains désireux de rétablir
les usages qui avaient été proscrits; quant à Sédécias, quels que
fussent ses sentiments personnels, il était trop faible, trop irrésolu,
pour se faire l'àme d'une réaction dans le sens de l'orthodoxie. De là
sans doute les jugements sévères que les livres historiques portent

sur ces deux La vérité parait être qu'à Jérusalem et en


rois (2).
Juda, tout comme en Israël et à Samarie (3) la désorganisation, la
décomposition des heures suprêmes favorisèrent l'épanouissement de
tous les désordres.
Commis dans l'enceinte même du
de tels forfaits revô Temple,
talent le caractère d'une provocation à l'adresse de la justice divine.
Celle-ci ne pouvait manquer de bientôt intervenir. Son œuvre com-
prend comme deux phases l'extermination des habitants de la
:

cité, à commencer par ceux qui souillent les saints parvis (4), puis
l'incendie de la ville (5). Mais dans cette œuvre se manifeste le

souci d'observer les règles de la plus stricte rétribution. Jadis, dans


la grande nuit d'Egypte, un signe avait marqué les maisons Israé-
litespour qu'elles fussent épargnées par l'Exterminateur (G). Au-
jourd'hui le privilège national ne compte plus; le signe du salut
marquera au front ceux-là seulement qui, loin de se laisser empor-
ter par le courant, auront gémi et, soupiré sur les abominations
dont ils étaient les spectateurs (7). Comme la prévarication, la peine

ira s'étendant de la capitale par tout le pays Or pendant que


(8).

s'exerce la colère, le prophète est témoin d'un spectacle digne de


captiver ses regards que sollicitent pourtant un si grand nombre de
visions terribles. Ézéchiel avait déclaré, l'année précédente, qu'au
jour de l'épreuve, Yahweb se tiendrait à distance de Jérusalem,
séparé d'elle et la menaçant (9). Or, voici que le Très-Haut lui-
même charge de confirmer cet oracle; sous la contrainte des
se
abominations qui s'y commettent (10), il quitte son Temple. Le départ
se fait en plusieurs actes, comme pour marquei le regret
diWn.
Tout d'abord, après s'être élevé de dessus le trône qu'il occupait dans
le Saint des Saints depuis le jour où Salomon y avait déposé l'arche,

(1) II Reg., XXI, 1-7. - IIReg.,xxni, 37; xxiv,


(2) 19. — (3) C'est ce qui résulte d'une

façon très nette des oracles d'Osée renfermés dans les chap. iv, 1-xiv, 1. — (4) Ez., ix,

1, V'-'?, 5, 6-ï", 7-10. - (5) Ez., X, 2, 6, 7.


-
(6) Ex., xii, 7, 12, 13,
21-23. - (7) Ez., ix,

2"v«i, 3'', 4, 6»?, 11. — (8) Ez., ix, 9, 10. —


(9) Ez., iv, 3. —
(10) Ez., vili, 6.

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. -'


362 REVUE BIBLIQUE.

Yahweli parait sur le seuil même du. sanctuaire (1). 11 n'y demeu-
rera pas longtemps. Prenant place sur le char mystérieux des appa-
ritions, il sort des parvis et s'arrête à la porte orientale (2). Enfin
un dernier vol le conduit sur la colline qui est à l'Est de la cité, sur
le mont des Oliviers (3). C'en est fait : Yaliweli n'est plus clans son
Temple, il n'est plus dans sa cité sainte; sur celle-ci tous les maux
peuvent fondre désormais sans qu'il s'en préoccupe; de ses ruines
elles-mêmes tous ceux qui l'aimaient comme la demeure du Très-
Haut peuvent se désintéresser.
Même à cette heure où son attention semblait se concentrer tout
entière sur les prévarications spécifiquement religieuses, Ézéchiel ne
perdait pas de vue les exigences morales de son Dieu; Yaliweh ne lui
déclarait-il pas qu'à leur tour les violences et les rapines qui désho-
noraient la capitale et tout le pays contribuaient à attirer sur eux
l'anathème (4)? Bien plus, dans une vision secondaire qui, elle aussi,
se déroulait dans le cadre du Temple (5), le Très-Haut dénonçait au
prophète les chefs du peuple. Il articulait contre eux trois griefs. Il
leur reprochait de méditer l'iniquité, de donner de mauvais conseils
dans la ville, d'y exercer par leurs' injustices toutes sortes de vio
lences (6). Il dénonçait ensuite leur vaine sécurité : « Ce n'est pas
si proche, disaient-ils; bâtissons des maisons (7)!... « Prenant à leur
compte un proverbe courant et comparant
une chaudière, la cité à
ils se félicitaient d'être la chair qui y trouve un abri (8). Dans cette

comparaison même, et c'est lé troisième grief, il y avait une parole


d'amertume à l'adresse des exilés, implicitement assimilés aux os et
aux débris que l'on jette dehors. Or, dans la réalité, la chair que pro-
tègent les murs, ce sont les cadavres de ceux que les riches ont
violentés (9) quant à ces derniers, après qu'on les aura fait sortir,
;

(I) Ez., IX, 3^; X, 4. — (2) Ez., x, 18, 19. —(3) Ez., xi, 22, 23. — (4)Ez., viii, l?»-"; ix, 0.

(.5) du contexte dans lequel il figure.


Ez., XI, 1-21. Cet oracle paraît tout à fait distinct
Le sujet qu'il traite ne se rattache que par des liens très généraux à la grande vision qui
l'avoisine. D'autre part, il établit une rupture très brusque entre les phases diverses de la
description de l'éloigneraent de Yahweh. Il est d'ailleurs facile de se rendre compte de la
raison pour laquelle il a été inséré à cet endroit ; c'est qu'à son tour, il consiste en une
vision dont les parvis du temple sont le thé;Ure. On pourrait se demander si le vers. l"" ne
fait pas partie du récit de la vision principale; il serait très naturel, en eflet, que le

l)rojiiiéte se sente transporté prés de l'endroit où vient de s'arrêter le char de la gloire de


Yaiiweli (x, 18-22); au moins pourrail-oii admettre «[ue le vers. 1"^ es! du à la fusion de
deux données similaires appartenant, lune la vision principale, l'autre à la vision secon-
i'i

daire. —
11 va de soi que la question de critique textuelle h la([uelle nous donnons quch|ue

attention n'a aucune conséquence pour ce <iui regarde l'authenticité de l'oracle de xi, 1-21.
(6) Ez., XI, 2, 6. —
(7) Ez., xi, 3". Le sens de ce membre de phrase est douteux. —
(8) Ez., XI, 3''. — (9) Ez., XI, 7.
L'AME JlIVE AU TEMPS DES PERSES. 363

c'est y tomberont frap-


à la frontière d'Israël qu'ils seront jugés; ils

pés par le glaive (J). Telle sera l'expiation de leur désobéissance aux
ordonnances divines. L'effet de la déclaration de Yaliweh est tel que
subitement l'un des chefs est frappé de mort (2), Recueillant encore
d'autres paroles qui se disaient à Jérusalem au détriment des exilés
et exprimaient le sacrifice facile que Ton faisait de leur présence, le

prophète en prend occasion de rappeler à ses compagnons de capti-


vité les espérances dont ils doivent vivre (3).

IV

C'est donc avant tout sur les désordres du présent que la grande
vision de l'an 6 concentrait l'attention d'Ézéchiel. Celui-ci n'ou-
bliait pas pour cela la loi unes aux autres
de solidarité qui relie les

les générations successives et fait si souvent retomber sur les fils le


poids des fautes des pères. Jérémie, sans parler de ses prédécesseurs,
lui avait, sur ce point comme sur tant d'autres, frayé la voie; n'avait-
il temps de Joachim, déclaré que Juda, tant que par une
pas, au
vraie conversion il ne les aurait pas désavouées, portait toujours les
impiétés du règne de Manassé (4)? N'avait-il pas même, en plusieurs
endroits, élargi ses perspectives, et dans les fautes du présent mon-
tré le terme d'aboutissement des prévarications séculaires (5). Il était
toutefois réservé à Ézéchiel d'exploiter ce thème et en quelque sorte
de le fixer, grâce à l'ampleur de ses développements. Il faut signaler
à ce propos trois oracles fort importants. Le premier se rattache au
cycle commencé en Fan 6 (6); le deuxième est explicitement daté du
10 du cinquième mois de l'an 7 (7). Ils revêtent le caractère de revues
générales du passé d'Israël. Le premier s'attache plutôt aux prévari-
cations de Canaan, tandis que le second insiste surtout sur les âges
antérieurs; le premier renferme en outre une comparaison de Juda
avec Samarie et Sodoine qui manque dans le second. L'un et l'autre
ont pour complément l'allégorie d'Oholah et d'Oholibah (8), qui se
rattache au cycle de l'an 7 et développe ce thème déjà si cher à Jéré-
mie (9) et premier de ces trois oracles le parallèle
qu'indiquait le :

entre Israël et Juda, entre Samarie et Jérusalem. On remarquera


d'ailleurs que l'allégorie donne une attention spéciale aux fautes
politiques, qui sont le plus souvent à la base des prévarications reli-

(1) Ez., XI, 9-11. — (2) Ez., XI, 13. — (3) Ez., xi, 14-21. — (4) Jer., xv, 4; cf. II Reg.,

XXI, 10-15; xxu, 15-17; xxiii, 26, 27; xxiv, 3, 4; II Chron., xxxvi, 14-16. Cf. aussi, A
propos d'Israël, la même loi de solidarité exposée dans II Reg., x\ii, 7-23. — (5) Jer., ii, 7,

20-22 ; vn, 12-15, 21-28 ; etc. — (6) Ez., xvi. — (7) Ez., xx. — (8) Ez., xxni. — (9) Cf. Jer.,

m, 6-iv, 2.
364
REVUE BIBLIQUE.

gieuses. Il nous faut saisir les grandes idées de ces prophéties qui
comptent parmi les plus étendues du recueil.
comme le dit le voyant, de raconter les abominations des
Il s'a-^it,

pères (1).
plongent très loin leurs racines. Par ses origines et
Or elles
est de race cananéenne son père
sa naissance, en effet, Jérusalem ;

elle a pour sœurs,


était un Amorrhéen, sa mère une Hethéenne (2);

non seulement Samarie la schismatique, mais encore Sodome la


Cananéenne (3). Affinités, non de race, mais de tendances religieuses.
Affinités fondamentales en tout cas, expliquant, par le plus efficace
des atavismes, les dégénérescences successives comme la
perversité

initiale. Telle mère, telle fille la Hethéenne n'a-t-elle pas rejeté son
:

époux et ses fils? autant (4)? Il sem-


Les sœurs n'en ont-elles pas fait

blait toutefois que Jérusalem eût mille raisons de ne pas imiter


leur

conduite tant Yahweh s'était montré plein de sollicitudes envers


:

elle'.... Comme il arrive souvent en Orient pour les filles, sa venue

fut mal accueillie; non seulement on ne lui donna pas les soins les
plus indispensables, mais on l'exposa sur la face des champs (5). Elle

était condamnée à y mourir lorsque Yahweh passa et, pris de pitié


pour elle, lui assura la vie et la croissance (6). Il revint une autre fois.

C'étaitpour elle le temps des amours ;


il fit alors avec elle un ser-

ment et une alliance, et elle fut à lui (7). Il la couvrit des plus belles

(1) Ez., \\, 4\


45^3. Quand Ézéchiel jette semble, à première
un regard sur le passé, il
(2) Ez., XVI, 3,
Ceux-ci mettent au point
vue, beaucoup plus pessimiste qu'Osée ou Jérémie par exemple.
de départ de leur histoire d'Israël une période de correspondance aux choix divin, de
l'union conjugale (Os., xi, 1-4; Jer.,
fidélité a ii, 2, 3). Ici encore toutefois, on ne saurait

parler de contradiction. D'une part, en effet, Osée Jérémie ne remontent pas plus loin
et

ni plus haut choix divin, que les


que le épousailles; en même temps (Os., xi, 1-4; Jer.,

Il, 7) ils constatent que la période de lidélité


a été très courte, .|u'en tout cas elle n'a pas

dépassé lépo(iue de l'entrée en Canaan. Ézéchiel pousse plus. loin ses investigations. De
et il la trouve dans l'atavisme du peuple
celte inconduite précoce il cherche l'explication,
choisi. Avant une nation païenne (cf. Jos., xxiv, 2), pareille
l'élection divine, Israël était
aux autres nations païennes; idolâtre et immoral comme elles, il avait des aflinités par-
ticulières de tendances avec les peuples qu'un jour il chasserait de Canaan. Les
faveurs

divines n'ont pas eu raison de ces atavismes et vite leur influence a prévalu sur un pre-

mier sentiment de reconnaissance envers la bonté de Yahweh. Ce retour jusqu'aux


ori-

gines a une seconde raison d'être; il met en relief que tout ce qui a jamais distingué

Israël des autres nations, celui-ci le tient uniquement de la


faveur la plus gratuite de
Yahweh. Ici Ézéchiel rejoint .\inos (Âm., ix, 7) et il préparc les assertions de Vlipitre mu
Romains sur la pure gratuité de l'élection des enfants de Dieu. — (3) Ez., xvi, 46. —
(4) Ez., xvi,44, 45. — (5) Ez., x\% 4, 5. — ((>) Ez., xvi, 6, 7.

(7) Ez., XVI, 8. Ézéchiel exploite en lui donnant un sens moral quelle était dordi-
ici,

naire loin d'avoir, celte idée, fréquente chez les Sémites, que les dieux son! les époux des
peuples qui les honorent; mais, en même temps, il marque dune façon très nette que le
li£n qui unit Yahweh à son peuple, loin d'être un lien de nalure pareil à celui que les
l)aiens établissaient entre eux et leurs dieux, est le résultiit d'un choix parfaileincnt libre.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 365

parures et lui assura la meilleure nourriture; elle devint universel-


lement renommée pour sa beauté (l).Ces deux rencontres, dont le
premier oracle est seul à parler, désignent sans doute les relations de
Yahweh avec les patriarches, soit en Palestine, soit en Egypte, puis
l'allianceau désert du Sinaï. La seconde prophétie s'exprime d'une fa-
çon plus sommaire « Le jour où j'ai choisi Israël et levé ma main vers
:

la postérité de Jacob, où je me suis fait connaître à eux au pays d'É-


gypie et où j'ai levé ma main vers eux en disant « Je suis Yahweh, :

(( votr'e Dieu, » ce jour-là j'ai levé ma main vers eux pour les faire
sortir du pays d'Ég-ypte et [les amener] dans un pays que j'avais
exploré pour eux, où coulent le lait et le miel; c'était le joyau de
tous les pays (2). » Plus condensé, ce texte est quand même plus expli-
cite. On n'y remonte pas, il est vrai, jusqu'aux patriarches, mais, à

propos de la rencontre en Egypte, et sans doute au Sinaï, on men-


tionne : le choix divin, le serment et peut-être l'alliance, la manifes-
tation en vue de se faire connaître du peuple, la promesse de la déli-
vrance et de rinti"oduction en Canaan. Dans l'allégorie, Samarie et
Jérusalem apparaissent comme deux sœurs, issues de la même mère.
Yahweh les a épousées et en a eu des fils et des filles (3). Quelles que
soient les variations, le thème est toujours pareil dénués de toutes :

ressources personnelles, le peuple, Jérusalem, Samarie tiennent de


Yahweh tout ce qu'ils possèdent, ils l'ont reçu de sa pure bonté, de
sa faveur la plus spontanée et la plus gratuite. Dès lors l'infidélité
constituera une monstrueuse ingratitude. Bien plus, reprenant une
métaphore chère à Osée et à Jérémie, Ézéchiel a comparé l'alliance à
des épousailles; dès lors l'infidélité r,evêtira le caractère d'une pros-
titution, d'un adultère véritable.
abusant des dons mêmes que Yahweh lui avait pro-
Or, voici que,
digués, son épouse s'est livrée à de nombreux amants (i). Bien plus,
elle n'a pour ainsi dire pas connu la fidélité, tant ses prévarications
remontent haut. Le second oracle les signale dès l'Egypte où le
peuple s'est laissé séduire par l'idolâtrie (5). L'histoire s'en continue
au désert. Là Yahweh avait renouvelé ses faveurs; il avait donné à
Israël ses préceptes qui sont source de vie, il lui avait enseigné ses
sabbats comme la marque de. l'action sanctifiante qu'il voulait exercer
sur lui (6). Inutile : à ses idolâtries de la vallée du Nil, auxquelles il

(1) Ez., XVI, 9-14. — (2) Ez., xx, 5, 6. — (3) Ez., >;xm, 2-i. Dans ce passage, le langage
de Yahweh trouve son explication dans la reconnaissance de la légitimitéde la polygamie
en Israël. — (4) Ez., xvi, 15-22. — (5) Ez., xx, 7, 8; xxiii. 19. Ni Osée, ni Jérémie ne par-
lent de ces idolâtries d'Egypte. — (6) Ez., xx, 10-12, 19, 20, 21.
36« REVUE BIBLIQUE.

demeure attaché (1), il ajoute des résistances directes à son Dieu (2).

En vain Yahweh menace-t-il de ne pas conduire le peuple en Pa-


lestine (S^i; en vain fait-il entrevoir au terme des prévarications les
tristesses de lexil (i) en vain donne-t-il des lois qui ne sont pas
;

bonnes, des ordonnances de mort qui entraîneront les horribles sa-


crifices des premiers-nés (5). Israël s'obstine, et la seconde génération

du désert est aussi insensible que la première (G). A plusieurs re-


prises, dans la terre des pharaons comme dans les grandes solitudes,
le Très-Haut avait songé à répandre son courroux sur les fils de
Jacob et à les exterminer (7) mais, pour l'honneur de son nom, pour
;

ne point paraître impuissant à réaliser les desseins qu'il avait formés


et publiés, montré miséricordieux et compatissant (8). Et c'est
il s'est

ainsi qu'il a introduit Israël en Terre Promise. L'arrivée en Canaan


fut marquée par une recrudescence d'infidélité; plus que jamais,
Israël sentit les affinités qui le rapprochaient des races auxquelles il

venait disputer leur sol. Ce fut l'époque de ces désordres sans nombre,
de ces adultères répétés que le premier oracle semble décrire avec

(1) Ez., XX, m\ 18'', 24''. — (2) Ez., XX, 13, 16". — (3) Ez., x\, 15. — (4) Ez., xx, 23.

(5) Ce texte est difficile. Le vers. 25 paraît être un nouvel exemple de


Ez., XX, 25, 26.
cette imprécision avec laquelle on conlbnd souvent, dans l'Ancien Testament, ce que Dieu
ordonne positivement et ce qu'il se borne à permettre et à tolérer. C'est ainsi que, d'après
Michée, fils de Yemla, Yahweh ordonne a un esprit de tromper Achab en se faisant esprit
de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes (I Reg., xxn, 20-23). De même Isaïe
reçoit de Yahweh
l'ordre d'endurcir le peuple (Is., vi, 10). D'ans ce dernier cas, il s'agit
seulement d'abandonner le peuple aux conséquences de son péché, de son aveuglement

volontaire, de son obstination. La même pensée inspire les paroles que Yahweh dit à
Ézéchiel. Ce ne sont pas les lois qui, en elles-mêmes, sont mauvaises, inapte.s à entrete-
nir la vie; au contraire, le propre des lois divines c'est d'assurer la vie à ceux qui les
pratiquent (Ez., xx, 11, 13, etc.). Mais Yahweh a permis que, dans leurs apostasies, les
Israélites regardent comme venant de lui des coutumes de mort, en réalité issues du
fond pa'ien de leurs âmes; il a permis qu'ils s'y astreignent comme à des ordonnances
divines, alors qu'ils refusaient d'observer celles qui leur eussent procuré la vie; il a permis
sans doute aussi qu'ils interprètent en ce sens des ordonnances authentiques qui avaient
une autre portée. L'exemple allégué est celui des sacrifices des premiers-nés qu'au nom
de Yahweh, le prophète lui-même condamne en plusieurs endroits (xvi, 20, 21; xx, 31";
xxii, 3'', etc.). Ces sacrifices, en vigueur dans la plupart des religions sémitiques, étaient

souvent olïerts par les Israélites au Moloch ammonite. Mais il paraît bien (ju'ils les of-
fraient aussi, notamment dans la vallée de Toiiheth, à Yahweh lui-même. De là l'indignation
de Jérémie attestant que le Dieu d'Israël n'avait jamais rien ordonné de semblable (vu, 31 ;

28i' (Vulg.
XIX, 5). On pouvait toutefois entendre en ce sens les ordonnances d'Ex., xxii,
29''j; xxxiv, l<). Une telle exégèse était manifestement fausse (cf. Ex., xxxiv, 20''«); mais

c'est à elle sans doute qu'Ézécliiel se réfère. On a souvent rapprociié ce passage de la


parole de saint Paul : « La Loi est intervenuepour faire abonder la faute » (Rom., v, 20).
Mais le principe de l'Apôtre est d'une ampleur beaucoup plus grande et d'une application
bien plus étendue que celui du prophète.
(6) Ez., XX, 18-21". — (7) Ez.. xx, 8'', 13'', 21''. —(8) Ez., xx, 9, li, 17, 22.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 307

complaisance (1), Non seulement dons divins servirent à parer


les
la courtisane (2); mais, voyant que l'empressement de ses amants
ne répondait pas à l'ardeur de son désir insatiable, elle s'efloreait
de les attirer en leur donnant en présent ce qu'elle avait reçu de son
époux (3). C'est en ces termes que le prophète flétrit celle de toutes
les prévarications qui lui paraît la plus grave : les hauts lieux (i).
Us ont couvert tout pays (5 mais ils ont été particulièrement
le ,

nombreux à Jérusalem; il y en avait sur toutes les places et dans tous


les carrefours (6). Or, au regard d'Ézéchiel qui était bien informé,
ces sanctuaires étaient les centres de toutes sortes d'abominations.
On y une grossière idolâtrie, à l'instar de celle qui désho-
pratiquait
norait la terre de Canaan; on s'y prosternait devant des images
d'hommes (7) et, parmi les sacrifices et olirandes qu'on y présentait,
figuraient les victimes humaines, les premiers-nés (8). Ce n'est pas
tout. Là se donnaient rendez-vous les divinités de toutes les nations
avec lesquelles Israël formait des combinaisons politiques. Le premier
oracle et l'allégorie le marquent clairement en effet de telles alliances :

entraînent toujours des compromissions religieuses. Ézéchiel n'a pas


de peine à énumérer ces désordres dont l'histoire d'Israël est rem-
plie. Il semble tout d'abord que le souvenir de l'Egypte ait eu pour
conséquence le culte des divinités importées de la vallée du Nil. Le
peuple leur est demeuré profondément attaché (9) il n'a pas com- ;

pris que les maux causés par les Philistins étaient la peine de cette
idolâtrie, et il s'est laissé priver d'une part des dons divins sans
changer de conduite (10); il a toujours continué de regarder avec
sympathie vers la terre des pharaons (11). Cependant le cours des
événements a amené l'épouse infidèle à prêter attention aux Assy-
riens; elle s'en est aussitôt éprise et a tout fait pour les attirer i'12). Ici
l'allégorie fait une distinction qui ne figure pas dans le premier ora-
cle. Des deux sœurs, ce fut d'abord Oholah qui entama avec Ninive

ces relations politico-religieuses. Yahweh l'en châtia en la livrant à


ces Assyriens eux-mêmes (13). De cette terrible issue, Oholibah aurait
dû tirer une leçon. Elle ne l'a pas fait et, à la suite de Jérémie (li),
Ézéchiel la signale comme étant déjà, de ce chef, plus coupable que
sa sœur. Dès le premier oracle, il avait établi cette comparaison ( 15)
et n'avait pas hésité à dire que Samarie n'avait pas commis la moitié
des péchés de Jérusalem (16i; il est allé bien plus loin, déclarant

(1) Ez., XVI, 15-34. — (2) Ez., xvi, 15-21. — (3) Ez., xvi, 30-34. — (4) Ez., xvi, IG: \x,
29. — (5) Ez., XX, 28. — (6) Ez., xvi, 23-25, 31. — (7) Ez., xvi, 17. — (8) Ez., xvi, 20, 21.
— (9) Ez., XVI, 26; xxiii, 3. — (10) Ez., xvi, 27. — (11) Ez., xxiii, 19. — (12) Ez., xvi, 28.
— (13) Ez., xxiii, 5-10. — (14) Jer., m, 6-iv, 2. — (15) Ez., xvi, 47, 52. — (16) Ez., xvi, 51.
3fi8 REVUE BIBLIQUE.

Jérusalem plus répréhensible que Sodome elle-même, dont Yahweh


rindifFérence
avait surtout châtié l'orgueil, le luxe, l'immoralité et
vis-à-vis des malheureux (1). Oholibah a donc, à son tour,
subi le

charme des Assyriens (2) puis elle s'est prostituée aux Chaldéens,
;

qu'elle avait elle-même appelés (3). A la façon des courtisanes, elle


se dégoûtait bientôt de ces nouveaux amants qui se
succédaient sur

son sein (4). Elle gardait toujours des sympathies pour les Égyptiens
et, en la personne de Joachim et de Sédécias, elle est retournée
vers

eux (5). Formes diverses d'une passion insatiable, d'une irréductible


obstination!..
Est-il dès lors surprenant que Yahweh se détache de l'épouse in-

fidèle et comment .Jérusalem ne porterait-elle pas l'opprobre de sa


conduite si honteuse ? Puisqu'elle a marché dans la voie de sa sœur,
Oholibah doit boire la môme coupe profonde, pleine de désolations;
il la lui faut vider, pour la briser ensuite et réduire en morceaux (6).

Les instruments de punition seront, nous l'avons dit, les amants


eux-mêmes; les Chaldéens, nous déclare l'allégorie, délaissés par
sympathie pour l'Egypte, s'avanceront avec une armée puissante
pour exécuter le jugement et accableront Oholibah de mauvais trai-
tements; ils la dépouilleront de ses parures, lui raviront ses lils et ses

filles (7). Et, sous l'image des peines réservées aux femmes adultères :

réunion de l'assemblée du peuple, exposition et nudité humiliante,


lapidation, glaive, peine du feu, il décrit les phases diverses du
châtiment de Juda et de Jérusalem (8). Il insiste sur la démolition
des hauts lieux et le pillage (9).

Rien, en dans la conduite présente qui rachète un si lamen-


effet,

table passé. C'est ce que marqne, dans le deuxième oracle, l'appel


qu'Ézéchiel adresse à la maison d'Israël, l'invitant à ne pas continuer
de de se prostituer à lamanière des pères (10). C'est ce
se souiller et
qu'accentue bien davantage encore cette autre prophétie dans laquelle
Ézéchiel est appelé à juger la Ville- de-sang (11). De nouveau il réunit
tous divins (12), parmi lesquels une place à part est faite à
les griefs

l'idolâtrie et aux rites sanguinaires dont elle est trop souvent l'occa-
sion (13). Ce.sont ces crimes qui, plus que les autres, hâtent le temps
de la malheureuse cité, qui vont en faire la honte et la risée des
nations (14). L'heure du jugement est imminente; seul il pourra

(1) Kz., XVI, 'i8-50. — Ez., xxiii, 11-13. — (3) Ez., xvi, 2<) xxiii, 14-17''«. — (4) Ez.,
(2)

;

xxiii, ITi'.i. — (5) Ez., XXIII, 18-21. — (6j Ez., xxiii, 31-35. — (7) Ez., xxiii, 22-27.

(8) Ez., xxiii, 28-30, 45-49; xvi, 35-38, 40-42. — (9) E/.., xvi, 39".ï-« ; xxiii, 28-30. — (10) Ez.. xx,
30, 31. — (11) Ez., XXII. —(12) Ez., xxii, 2-13. Toucbaiil les divers reproches que iormule
le prophète à cet endroit, vide infra, p. 402-405. — (13) Ez., xxii, 4. — (14) Ez., xxii, 3*?,

4*T\ 5.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 369

anéantir la prévarication, et bientôt les habitants seront dispersés


parmi les nations, semés dans les divers pays (1). Le prophète les
compare aux chargé le métal précieux; puis, fai-
scories dont est

sant allusion à une métaphore énergique qu'ils aimaient à employer,


il déclare que la capitale sera pour eux le fourneau dans lequel on

jette l'argent et l'or pour les fondre et les épurer (2). L'allusion à
l'incendie de la Ville Sainte était des plus nettes.
Dans l'allégorie, Ézéchiel lui-même avait été invité à prononcer le
jugement, tant la cause était claire (3). Il importait en ellct que la
leçon profitât aux ceux-là surtout qui pouvaient être tentés
exilés, à

d'imiter la conduite des pères et dont, au second oracle, Yahweh dé-


clare, à propos des anciens réunis autour du prophète, qu'ils ne sont
pas dignes d'entendre une réponse à leurs consultations (4). C'est pour
le fils de Buzi l'occasion de protester contre une pensée qui hantait
certains esprits de son entourage : « Nous serons comme les nations,

comme les autres familles de laterre, servant le bois et la pierre (5)1... »

Il n'en peut pas être ainsi; Israël ne saurait être comme les autres

peuples, rendant à ce point inutiles les privilèges que Yahweh lui a

accordés, les faveurs dont comblé. Aussi, viendrait-il à s'obs-


il l'a

tiner dans cette pensée, qu'à main forte, à bras étendu, à courroux
répandu, Yahweh lui imposerait son autorité (6). S'il le fallait, il
le rassemblerait des pays où il est dispersé et le mènerait au

désert des peuples (7). Il entrerait en jugement avec lui comme il le

fit avec ses pères au désert d'Egypte; il le ferait passer sous sa

houlette pour l'inspecter, comme


chaque soir le berger, il le fait

courberait sous la discipline de l'alliance; quant aux rebelles, après


les avoir séparés, il les tirerait du pays où ils sont étrangers.... mais
non pour les faire revenir en la terre d'Israël (8).
C'est ainsi que toutes les pages d'Ézéchiel aboutissent à la ruine
de Jérusalem et à la fin de Juda; on dirait chez lui une idée fixe.
L'influence de cette prédication devait être grande sur l'àme juive;
elle y créerait des sentiments d'une inépuisable vitalité. D'ores et
déjà, les Judéens qui consentent à écouter le voyant n'ont-plus que
desregards indifférents, sinon aigris, pour la capitale actuelle et
pour la terre de Palestine. Jérusalem, en particulier, est la cité qui

(l>Ez., XXII, 13-16. — (2) Ez., xxii, 17-22. — (3) Ez., xxiii, 36-400-., 42. — (4] Ez., xx,

30, 31. Noter, ici encore, l'allusion très claire aux fautes commises en terre d'exil, môme
par les chefs du peuple, — (5) Ez., xx, 32. — (6) 34, 35^ Le
Ez., xx, 33. — (7) Ez., xx,

« désert des peuples » ne vient ici que comme terme de comparaison


avec le « désert du

pays d'Egypte » on peut d'ailleurs y voir une allusion au grand désert syrien.
;
(8) Ez., —
IX, 35''-39.
370 REVUE BIBLIQUE.

provoque le mécontentement divin, la cité maudite de laquelle

Yahwelî s'éloigne en détournant ses regards comment les ;


disciples

fidèles du Dieu des pères mettraient-ils leur complaisance en la ci-

tadelle de la révolte, de la désobéissance à ces volontés qui sont tout


le programme de leur vie? Or la Jérusalem de Palestine — comme
toute cité terrestre — présentera toujours ce caractère ;
elle le pré-
sentera après comme avant Texil, elle le présentera d'autant plus que
plus sensibles et plus exigeants seront les regards qui la contemple-
ront; on y verra toujours des justes en plus ou moins grand nombre;
mais la plupart du temps le mal l'emportera sur le bien. Aussi
jamais plus les Judéens de l'exil, les Juifs de la restauration ne se con-
tcnterout-ils de la Jérusalem du présent toujours ils aspireront vers
:

une cité idéale qu'ils s'efforceront d'abord de réaliser ici-bas, mais


dont ils finiront par n'attendre que pour les cieux le complet épa-
nouissement.
.\ son tour, la prédication de la solidarité du présent avec le passé,

des générations actuelles avec les anciennes, devait laisser des traces
profondes dans les esprits. Le premier résultat serait d'amener les
exilés fidèles à admettre la chute de cette ville, la ruine de ce pays
dont ils auraient détaché leurs cœurs, de les faire s'accoutumer à
cette idée et s"y résigner; il serait désormais entendu que, exception
faite d'un petit nombre de justes, la génération palestinienne actuelle
expierait, avec sespropres crimes, les fautes séculaires. D'autre part,
aux fidèles —
à ceux de l'exil notamment il faudrait, par leurs —
vertus, leurs mérites, leurs souffrances, contribuer présentement à
atténuer la rigueur des châtiments divins. Seule la captivité ari'ête-
rait ce courant funeste des responsabilités. A une condition encore.
La génération actuelle aurait pu, par une conversion radicale; se
dégager du fardeau qui pesait sur elle et arrêter la catastrophe.
L'application, par analogie, du principe éclairerait l'histoire des
tenq)S postexiliens. Seule une vie nationale de tout point conforme à
la volonté de Dieu assurerait l'œuvre de la restauration. Le désordre
persévérerait-il en Juda ou viendrait-il à y renaître, que la colère
divine y sévirait à nouveau, plus terrible même que par le passé; de
nouveau, la loi de solidarité relierait au passé les générations pré-
sentes et empêcherait la réalisation des promesses; de nouveau le
vieux diction retrouverait son a[)plication : « Les pères ont mangé des
raisins verts et les dents des fils en sont agacées (1) ». La communauté
postexilienne devait vivre de ces principes et de ces convictions.

(1; Jer., xxM, 2'J; E/.., xvm, 2.


LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 371

Et pourtant du vieil adage Yahweli devait par la bouche d'Ézé-


chiel déclarer qu'il était périmé : « Je suis vivant, dit le Seigneur
Yahweh vous n'aurez plus lieu de répéter ce proverbe en Israël.
:

Toutes les âmes sont à moi; Tâmc du fds comme l'àme du père
est à moi; l'âme qui pèche sera celle qui mourra (1) ».
On ne saurait méconnaître l'opposition qui existe entre ces deux
attitudes du prophète. Divers critiques l'enregistrent au passif d'Ézé-
chiel, en plaidant en quelque sorte les circonstances atténuantes; ils
insistent, comme par une sorte de compensation, sur la grandeur et
la fécondité de chacune de ces idées, prise à part, [l en coûte quand
même de mettre au compte d'un prophète de pareille envergure une
contradiction pure et simple, et il est tout naturel de se demander si
ces deux séries de déclarations portent sur le même objet. Au sujet
du principe de solidarité aucun doute n'est possible; il est posé en
vue des événements qui doivent se dérouler immédiatement, de la
ruine de Jérusalem et de la déchéance de Juda. On est en conséquence
porté à penser que c'est en vue d'une autre perspective que le pro-
phète condamne le vieux proverbe. Ici toutefois les précisions sont
des plus nécessaires. Même dans le châtiment de Jérusalem, Yahweh
gardera les règles de la plus stricte justice. Une fois sans doute, Ézé-
chiel parle de l'épée qui, dans une même œuvre d'extermination, con-
fondra le juste et le méchant (2) mais on est en poésie et il s'agit
;

avant tout de mettre en relief la rapidité du fléau divin se déchaînant,


inéluctable, universel, sur le pays coupable. Quand le prophète fait
de l'exposition, il s'exprime avec une grande précision. C'est pour
déclarer sans doute que, en vue de fins spéciales, il peut laisser échap-
per des méchants (3) mais c'est surtout pour affirmer que, quelle que
;

soit la gravité du fléau, il épargnerait des justes tels que Noé, Daniel

ou Job (4). Pareillement, dans la vision de l'an 6, l'homme vêtu de


lin doit marquer au front ceux qui ont gémi sur les fautes du peuple
afin que les messagers du châtiment se gardent de les frapper (5).
Mais il importe de le remarquer en ces divers textes le prophète laisse
:

nettement entendre qu'à Jérusalem et en Juda, les justes en question


sont des êtres exceptionnels, qu'en revanche la masse du peuple est
coupable, n'a rien fait pour se désolidariser des générations précé-
dentes, qu'en conséquence elle n'a. qu'à se courber sous le fléau qui

(1) Ez., XVIII, 3, 4. — (2) Ez., xxi, 8, 9. — (3) Ez., xiv, 21-23. — (4) Ez., xiv, 12-20. —
(5) Ez., IX, 3'', 4, 6'.i, 11.
3^2 REVUE BIBLIQUE.

doit châtier leurs fautes. Rien n'indique dès lors que ce soit en vue
des circonstances présentes, en faveur de toute la génération actuelle,
des Judéens de Palestine et de ceux de Chaldée, qu'Ézéchiel veuille
abolir l'ancien dicton.
Mais nous nous heurtons à une opinion des critiques, consé-
ici

quence secondaire, il est vrai, mais réelle de cette théorie radicale-


ment fausse qui reporte après la ruine de Jérusalem tous les docu-
ments de l'espérance messianique, les oracles notamment qui
figurent dans les livres des prophètes préexiliens. Au dire de Kraetz-
schmar, par exemple, Ézéchiel aurait été avant ,587 tout entier à
l'annonce de la grande catastrophe. Si, à l'occasion, il avait repris à
son compte l'idée d'un petit reste de peuple survivant au châtiment,
c'eût été en passant, sans se préoccuper de décrire le sort réservé à.
ces privilégiés, moins encore de les préparer à leur avenir. Ce serait
seulement après la ruine de Jérusalem qu'il aurait envisagé l'œuvre
de la restauration; il aurait même, au début de cette seconde phase
de son ministère, été favorisé d'un nouvel appel, comparable à la
vision inaugurale de l'an 5. Dès lors il faudrait regarder comme apo-
cryphes, ou au moins comme mis
en mauvaise situation par les rédac-
teurs, tous les oracles messianiques qui figurent dans la première
partie du recueil de notre voyant. En vérité, pas plus que la théorie
générale à laquelle nous venons de faire allusion, nous ne saurions
accepter l'application que l'on en fait au cas d'Ézéchiel. D'abord, que
ridée d'une restauration de Juda fût dès ce moment présente à l'es-
prit du voyant de l'exil, on ne saurait en douter. Sans parler de ses
oracles antérieurs (1), Jérémie marque nettement, dans ses réponses
et discours de la cinquième année (2), que Babylone aura, elle aussi,
son temps, que des nations nombreuses et des grands rois l'assujetti-
ront; il fixe à soixante-dix ans ce temps qui marquera aussi le terme
du malheur de Juda, la fin de ses épreuves, le signal du renouveau
des bénédictions divines et du retour en terre de Palestine. Car c'est
aux déportés, c'est-à-dire aux compagnons d'Ézéchiel, que Jérémie
tient ce langage (3).; et le fils de Buzi ne saurait l'ignorer. On sait,

d'autre part, quel rôle le prophète d'Anathoth (^i) et celui des rives du
Chobar (5) attribuaient aux captifs, et très spécialement à ceux de 598,
dans les réalisations futures. N'est-il pas dès lors tout indiqué que,
vivant au milieu de ces captifs, témoin aujourd'hui de leurs présomp-
tions et demain de leurs découragements, le prophète se préoccupe

(1) .1er., m, i:)-18, 21-2.5; iv, 1, 2, 27: xviii, 8, 9; xxv, 12-14; elc. — (2) Jer., xxvii, 7
xxix, 10-14. — (3) Jer., xxix, io-14. — (4) Jer., xxiv, 5-7. — (-î) Ez., xi, 14-21.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 373

d'estomper, par quelques rayons d'espérances, les sombres couleurs


du tableau de l'avenir immédiat? Aussi, sauf des raisons
qu'il trace
spéciales, valables pour tel cas particulier, nous ne nous croyons nul-
lement autorisés à retirer de leur contexte les oracles messianiques
renfermés dans la première partie du livre d'Ézéchiel.
En même temps qu'il fondait sur les exilés les espérances de
de les leur faire partager et de les préparer
l'avenir, qu'il s'eli'orçait
à les réaliser, le voyant ne pouvait fermer les yeux pour ne pas
voir les désordres qui se donnaient libre cours dans son entourage;
il ne pouvait pas ne point remarquer l'obstination dont faisaient
montre nombre de ses compagnons de captivité. Dès lors, il devait
le saisir, à la lumière des révélations divines, et il devait le déclarer :

les espérances n'étaient pas pour tous les exilés, elles n'étaient pas
pour ceux qui renouvelaient en terre de Ghaldée les prévarications
qui avaient attiré les suprêmes châtiments sur le malheureux pays
de Juda. Le devoir d'un chacun était, en conséquence, de se rendre
digne de prendre sa part de Tœuvre à accomplir. Or c'est en ce
sens que nous parait le mieux s'expliquer la condamnation du vieux
proverbe et la manière dont elle est développée. Aussi bien, dans
un oracle postérieur à celui d'Ézéchiel, .lérémie à son tour déclare
périmée la vieille formule du principe de la solidarité des générations
successives (1). Mais, à cet endroit, le contexte est des plus clairs :

c'est évidemment en vue de de la restauration que


l'avenir et
s'exprime le fils d'Helcias. Alors même que le voyant de l'exil don-
nerait à ses déclarations une portée plus générale, il ne nous parait
pas douteux qu'il les formule, lui' aussi, en vue de préparer les exilés
à leurs destinées futures. On comprend sans peine l'opportunité
d'une telle prédication. Une des conséquences qu'assez facilement
l'on tireraitdu principe de solidarité, c'est que les actes de l'in-
dividu n'avaient que peu d'importance. Sauf à se mettre, non sans
quelque présomption, dans cette élite restreinte qu'une justice
éminente garantirait du châtiment, à quoi bon s'efforcer de prati-
quer la loi de Yahweh s'il fallait inéluctablement se courber sous
le poids de l'iniquité séculaire, s'il fallait du moins assister impuis-
sant au déclin et à la ruine de son peuple? Q'iestion qui, sur les
lèvres des indifférents ou des tièdes, servirait d'argument pour
rejeter les remontrances du prophète, qui, dans la bouche des fer-
vents, traduirait un naturel découragement. Il importait, dès lors,
après avoir rappelé le principe, d'en limiter les applications. Valable

(1) Jer., XXXI, 27-30.


3-4 REVUE BIBLIQUE.

les exécutions terribles du


présent, applicable à la masse des
pour
Judéens de Palestine, il était abrogé
pour l'avenir et n'avait plus
d'exil, chacun décidait avant tout
de sens en Chaldée. Sur la terre
« Celui qui pèche, c'est lui qui mourra; le fils
de son propre sort :

ne portera rien de l'iniquité du père et le père ne portera


rien de

l'iniquité du fds; la justice du juste sera sur lui et


la méchanceté du

méchant sera sur lui (1). « On pouvait ainsi détacher ses regards du
passé; on n'avait plus rien à en redouter. On pouvait en revanche
contempler l'avenir; la race juste qui serait le point de départ de
l'Israël nouveau serait uniquement constituée par les individus qui

s'attacheraient à la loi de Dieu. dépendrait d'un chacun dès lors,


Il

non seulement d'assurer son propre salut, mais de contribuer à


l'avenir national; à ce dernier point de vue, la valeur individuelle
l'emporterait, et de beaucoup, sur le privilège de la race. La ma-
nière dont prophète développe le nouveau principe mérite à son
le

tour d'attirer l'attention. Non seulement il déclare que l'homme juste


\dvra (2), mais sans que son fils coupable puisse bénéficier de sa
justice (3); que, d'autre part, le fils juste n'aura point à porter la

peine des fautes paternelles va beaucoup plus loin; il déclare


(i). Il

qu'à tout moment il dépend d'un chacun de changer, par sa con-


duite, la sentence portée sur lui. Que le méchant se* convertisse, et

de ses transgressions Ton ne se souviendra plus (5) qu'au contraire, ;

le juste s'écarte de la bonne voie, et l'on oubliera tout le


bien qu'il
aura fait (6). Vues et perspectives capables, etcourage de soutenir le

de ceux qui trouvaient pénibles les chemins de l'observance, et de


secouer la torpeur des indifférents qui gardaient au fond de leur
cœur quelque sensibilité aux choses de Dieu. Aussi bien le prophète
terminait-il son exposé par un de ces appels à la conversion qui
trouvaient leur meilleure explication dans les perspectives qui s'ou-
vraient sur l'avenir « Détournez-vous et convertissez-vous de tous
:

vos péchés, et l'iniquité ne deviendra pas votre ruine. Rejetez loin


de vous les transgressions que vous avez commises faites-vous un ;

cœur nouveau et un esprit nouveau. Pourquoi mourriez-vous, maison


d'Israël? Car je ne prends point plaisir à la mort de celui qui meurt,
dit le Seigneur Yahweh convertissez-vous donc et vivez (7) ».
;

De telles convictions sur la valeur individuelle des Ames, sur la


préparation d'un avenir qui lui était cher ne devaient pas demeurer
inaclives dans l'àme d'un prophète; elles ont pour complément natu-

(1) Ez., XVIII, 20. — (2) Ez., xMii, 5-9. — (3) Ez., xviii. 10-13. — ('<) Ez-, xMn, l'i-l'J.

— [b) Ez., xviM, 21-23, 27, 28. — (6) Ez., xviii, 24-26. — (7) Ez., wiil, 30-,,32.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 37C

rel une action apostolique dont l'objet serait d'amener ceux qui se
laisseraient persuader à conformer, par une invincil)lc persévérance
ou un retour sincère, leur vie à l'idéal qu'il leur prêchait. De fait,
personne ne doute que telle ait été Tattitude d'Ézéchiel à partir de .587.
On fait état en ce sens de cette sorte d'appel qui prélude à la
deuxième phase de sa carrière (1). A cette date, le prophète a cons-
cience d'être établi comme une sentinelle sur le pays, afin d'y sur-
veiller les mouvements d'un chacun et de lui transmettre la parole
de Yahweh (2). Il a non moins vivement conscience de la grave
responsabilité qui, de ce chef, pèse sur lui ; se sentant pasteur d'àmes,
il a mission, sous peine d'engager son propre salut, de
sait qu'il
dire à chacun ce qui peut le maintenir dans la bonne voie ou l'y
ramener (3). On remarquera avec soin que ce nouvel appel est accom-
pagné d'un résumé des principes d'individualisme que nous venons
d'exposer (4) cette constatation a son importance pour la solution
;

de la difficulté qu'il nous faut aborder.


Il est tout naturel, en effet, de se demander si c'est seulement au

"début de la seconde partie de sa carrière qu'Ézéchiel a senti cette


vocation au ministère pastoral. A prendre les textes tels qu'ils se pré-
sentent à nous, la réponse à cette question ne saurait être douteuse;
de Buzi aurait été consacré pasteur dès le premier début de sa
le fils

mission prophétique, exactement sept jours après la grande vision


inaugurale Seulement, à cette date et sur la terre d'exil, à l'adresse
(5 .

de captifs soustraits aux maux prédits à Jérusalem et aux Palestiniens,


l'apostolat individuel ne se pouvait concevoir qu'en fonction de la
préparation de l'avenir. En conséquence, les critiques qui croient
devoir reporter après 587 toute préoccupation de ce genre sont-ils
enclins à émettre des doutes sur l'authenticité de la péricope à laquelle
nous faisons allusion. La théorie est facilement esquissée. Le morceau
en question se relie assez maladroitement à celui qui le suit (6), ce qui
n'est pas une anomalie dans les recueils prophétiques; d'autre part,
on trouve étrange que rien ne nous renseigne sur la manière dont
Ézéchiel suivit cette direction divine, sur les raisons qui l'amenèrent à
changer d'attitude. De là à conclure à une interpolation, il n'y a qu'un
pas. Cette "péricope ne ferait que reproduire celle qui raconte le nou-

(1) Ez., xxxm, 1-20. — (2) Ez., xxxiii, 2-9. — (3' Ez., xxxm, 6, 8. — (4) Ez., xxxni,
12-20.— (5) Ez., m, 16-21.
(6) Ea réalité, le vers. 22 présente un trait qui n'est pas toujours rendu par les versions
et qui crée un véritable tieurt : main de Yahweli fut
« Et la là sur moi ». Il est incontes-
table que le mot 2^17 trouve son explication, non dans les vers. 16-21, mais dans le

vers. 15,
,

376 • REVUE BIBLIQUE.

vel appel dont le de Buzi fut gratifié au lendemain de la ruine de


fils

Jérusalem; elle a été insérée après la vision inaugurale par un rédac-


teur préoccupé de rendre sensible dès l'abord tout le développement
de la carrière du voyant. Il faut la supprimer et reporter l'indica-
tion chronologique qui la précède au début de l'oracle qui la suit (1 ).
Cette argumentation ne nous parait nullement convaincante, et
nous continuons d'ajouter foi à la synthèse chère aux anciens et à un
nombre respectable de modernes. C'est dès le début de son ministère,
et en présence des exilés de 598, qu'Ezéchiel se sentit appelé à préparer
l'avenir par un apostolat tout individuel. Quoi qu'il en soit du lien
de la péricope avec son contexte se laisse aisé-
littéraire, le lien réel
ment percevoir. La vision inaugurale, comme dans le cas d'Isaie et
de Jérémie, aboutit à un aperçu général des jugements que le pro-
phète devra proférer sur le peuple (2). A s'en tenir à cette vision, le
fils de Buzi devrait exposer ces sentences à la façon de ses prédéces-
seurs, c'est-à-dire par des discours destinés à tout son entourage.
Mais à des circonstances nouvelles doivent s'adapter des procédés
nouveaux. De là les déclarations complémentaires qui tracent au
voyant la méthode apostolique et pastorale
méthode à suivre ; c'est la

selon laquelle il adaptera ses jugements aux besoins de chaque àme


en particulier (3). Il n'y avait pas à nous dire que le prophète se
soumettrait à la direction divine; d'autre part, cette sorte de minis-
tère ne devait pas être marquée par de nombreuses vicissitudes, sus-
ceptibles d'être conservées dans le détail. On est plus curieux de
savoir pourquoi le voyant abandonna cette manière de procéder. Sur
ce point encore, le texte ne donne pas satisfaction entière à notre
curiosité. indique assez clairement toutefois une première raison,
Il

quoi(jue d'une façon implicite. Le milieu n'était pas encore mùr pour
cette expérience; Ézéchiel rencontra de l'opposition, une opposition
qui semble avoir été, sinon générale, du moins fort importante.
Comme il est dit dans la péricope suivante, si le prophète ne doit
plus « sortir au milieu deux », s'il ne doit plus « être pour eux un
censeur maison rebelle (4.), c'est qu'ils parti-
», c'est qu'ils sont une
cipent aux dispositions générales de la maison d'Israël. Et c'est ce
qui cxpliijue, aux yeux du voyant, cette infirmité providentielle —
cause matérielle de son abstention sur laquelle le texte se plaît à —
insister et qui désormais le retiendra à peu près constamment dans
sa demeure (5). l\cnoncera-t-il pour autant au ministère dont son

(1) « (m, IG") Et il arriva à la lia de sept jours (22°) et la main de Yahweh fut lu sur
moi. » — {2j Ez., II, 2-1II, 11. _ (3; Et., m, 16-21. — (4) Ez., m, 25'', 2(i. —
(5) Ez., m,
24-27.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 377

Dieu lui a tracé le plan? Pas le moins du monde. Il attendra seule-


ment riieure où Yahweli le délivrera de son inlirmité. Et de fait, un
second appel
lien très explicite est établi entre cette délivrance et le
qui suit les événements de l'année 587(1). Mais, même pendant la
période d'infirmité, alois qu'il ne pouvait sortir de chez lui, qu'il
ne pouvait faire parvenir à son entourage que des messages géné-
raux, voulut lui faire connaître les principes qui avaient à l'origine
il

dirigé son ministère apostolique et qui auraient continué de le faire :

de là l'importante synthèse (2) qui a été le point de départ de ces


remarques. Synthèse dans toute la force du terme, car elle résume,
à n'en pas douter, nombre d'entretiens du prophète avec ceux qui
venaient le consulter.
Qu'il les rappelât à chaque captif en particulier ou qu'il les résu-

mât à l'adresse de tous, Ézéchiel posait, ici encore, des principes qui
devaient avoir un lointain et immense retentissement. Jusqu'à cette
date, c'était l'unité nationale qui avait surtout compté; les individus
étaient au second plan, enveloppés tour à tour dans les bénédictions
et les anathèmes à l'adresse de l'ensemble. C'en est fait de cette
subordination. L'individu vaudra désormais par lui-même. Dès main-
tenant et même sur la terre de Palestine, il dépendrait d'un chacun
de se désolidariser de la perversité universelle et du châtiment qui
la doit punir. A plus forte raison, sur la terre d'exil chacun peut
suivre sa voie en toute indépendance et sans avoir à craindre le
contre-coup de ce qui se passe en Palestine; chaque individu peut
travailleren vue de ses propres intérêts. Il y a plus. Si l'on regarde
vers l'avenir, c'est la destinée du peuple qui se trouve subordonnée
aux individus; ceux-là seuls pourront travailler efficacement à la
restauration nationale que leur justice individuelle rendra dignes de
ce privilège, et la restauration nationale ne s'opérera avec toute la
splendeur attendue que dans la mesure où il se trouvera un groupe
de justes assez important pour la procurer. Ces pensées seront la
grande consolation de ceux qu'affligera, même après l'exil, la per-
versité persistante de la masse du peuple et qui y verront l'expli-
cation des délais divins et de leurs propres déceptions. Au moins
pourront-ils se dire qu'ils ne négligent rien de ce qui peut amener
les heureux avènements après lesquels le véritable Israël soupire;
à défaut de ces grandes réalisations, dont ils auraient tant de joie à
être les témoins, ils auront au moins la certitude de sauver leur âme
propre.

(1) Rapprocher, dans Ez., xxxiii, les vers. 1-20 et les vers. 21, 22. — (2) Ez., xviii.

UEVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 25


378 REVUE BIBLIQUE.

VI

V aurait intérêt à relever ici et à synthétiser les espérances


Il

cm'Ézéchiel faisait, dès cette époque, briller au regard de ses audi-


teurs fidèles; ce serait toutefois nous exposer à des redites. Mieux
vaudra, lorsque nous résumerons les promesses qui se feront jour,
si nombreuses, après 587, noter avec soin les traits qui remontent

jusqu'à la période qui fait en ce moment Tobjet de notre étude. En


revanche, nous ne saurions nous dispenser d'examiner les règles de
vie que le voyant donnait à ses disciples et d'en rechercher Torigine.
On les trouve en plusieurs endroits. Les directions générales se fout jour
à peu près dans tous les oracles, toutes les fois que le prophète adresse
des reproches au peuple et censure sa conduite. Les indications plus
précises figurent d'abord dans ces trois grands oracles consacrés à
montrer, par l'analyse du péché séculaire, la lourde responsabilité qui
pèse sur la génératiou présente; ensuite dans la récapitulation des
crimes de la Ville-de-sang. On trouve encore d'utiles précisions dans
le grand exposé des principes de la justice individuelle. Dans tous
ces discours, le programme est indirect ou négatif; il procède par
manière de condamnation des désordres, ou, comme ou a dit, de
catalogues de péchés [Sûndenkatalog y Berthollet).
Si l'on songe à la continuité de l'enseignement prophétique, si
l'on se rappelle plus particulièrement encore ce que nous avons dit de
la dépendance d'Ézéchiel par rapport à ses prédécesseurs, on devra
s'attendre à retrouver dans les écrits du fils de Buzi beaucoup de
traits qui leur seront communs avec les recueils antérieurs de visions.

C'est, en effet, ce qui arrive, surtout quand le voyant de l'exil s'en


tient à ces protestations d'ordre général dont jusqu'alors on s'était
volontiers contenté. Quand, par exemple, s'en prenant à l'entourage
même de Sédécias, il censure les fautes des princes et des grands, nous
les montrant (fui répandent le sang, exercent la rapine, pressurent
les faibles, on croit entendre un écho à peine affaibli des grandes
voix du huitième siècle (1). De même, lorsqu'il formule de semblables
anathèmcs contre ceux qui sont en ciiarge ou reproche aux magis-
trats de recevoir des présents corrupteurs (2), lorsqu'il réprouve les
désordres auxquels s'abandonne la masse du peuple, son immora-

(1) Cf. Ez., XXII, 6, 25, d'une part, et, de l'autre, Am., ii, 6-S .'); m, O'-r, 10; m, 3-6(?) ;

Os., VII, 3-7; IS., I, 23(?); m, 14, 15(?).


(2) Cf. Ez., XI, 2, 6; xxii, 12% 27, d'une part, et, de l'autre, Am.. n, 6-8; v, 10, 11, 12'',

lô'.i; VI, 3-6; Viil, i-0; Is., i, 23; ni, li, 15; Mi., il, 'i, 9; UI, 1-3, (Ml"«.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 379

ralité, ses cruautés, ses vols, sa dureté envers l'étranger (1). Pour
plusieurs de ces thèmes de jugements, il faut, entre autres références,
renvoyer à un tableau d'ensemble des prévarications nationales qui
est tout à fait à la manière des inspirés des âges précédents (2). Il
n'y a pas à être surpris de constater des rapprochements plus nom-
breux avec les prophéties de Jérémie. Il y en a de caractéristiques :

telle l'accusation d'associer avec la fréquentation du Temple toutes


sortes de crimes et d'idolâtries (3) ; tels encore les anathèmes contre
les faiix voyants (4).
Toutefois, même
eu ces censures, certaines formes d'expression
permettent des rapprochements avec un autre groupe d'écrits ins-
pirés, nous voulons dire avec les diiférents codes législatifs du Pen-
:

tateuque. C'est ce qui arrive par exemple, lorsque Ézéchiel parle des
vexations envers l'étranger (5), le pauvre (6), le malheureux, l'orphelin
et la veuve (7), de l'accueil fait aux présents corrupteurs (8), de
l'intérêt et de l'usure (9). 3Iais les rapprochements deviennent beau-
coup plus frappants à propos d'un certain nombre de détails con-
crets du programme de notre voyant.
Le Livre de la Loi renferme, nul ne l'ignore, trois codes princi-
paux le code de l'alliance, le code deutéronomique, le code sacer-
:

dotal, dont l'élément fondamental est la Loi de Sainteté. Sans même


aborder le problème de l'authenticité et du développement de ces
législations, on. peut faire les trois remarques suivantes que l'in- :

fluence du Code de l'alliance est manifeste dès les premiers temps


de la royauté indi\'ise, et même auparavant; que celle du Deuté-
ronome est particulièrement sensible à partir de sa découverte en
622 et de la réforme qui s'ensuivit; que le Code sacerdotal fut par
excellence le document régulateur de la communauté juive d'après
l'exil. Il est inutile d'ajouter que ces trois législations renferment

nombre d'éléments communs, de même fonds et de même expression.

(1) Cf. Ez., via, 17'"''; ix, 9=v ; xxii, 6, 9»\3, 11, 12'', 29, d'une part, et, de l'autre, Os.,
1''.
IV, 1-4, 11, 14; vit,

(2) Cf. Ez., XXII, 24-31, d'une part, et, d'autre part, Is., v, 8-24.

(3) Cf. Ez., xxni, 38, 39, et Jer., vu, 8-10.


(4) Cf. Ez., XIII, 1-16; XXII, 28, d'une part, et, de l'autre, Jer., ii, 8''; \iv, 13-16; xxiii,

9-40; XXVlï, 14, 15, 16-22; XXVIII; XXIX, 15-23.


(5) Ez., XXII, 7^3, 2"J'J3; cf. Ex., xxii, 20 (Vulg. 21); xxiii, 9; Deut., x, 1!); xxiv, 17; xxvii,

19; Lev., xix, 33.


(6) Ez., xxu, 29'"^ (wiii, 12"=<); cf. Deut., xv, 7, 8.

(7) Ez., XXII, l^;cL Ex., xin, 21-23 (Vulg. 22-24); Deut., xxiv, 17; xxvii, 19.

(8) Ez., xxn, 12>; cf. Ex., xxiii, 8; Deut., xvi, 19.
(9) Ez., xxn, 12''' (wiu, 8^'^ 17»?); cf. Ex., xxii, 2i (Vulg. 25); Deut., ixill, 20, Jl

(Vulg. 19, 20); Lev., x\v, 36, 37.


380 REVUE BIBLIQUE.

On ne trouve que peu de traits, dans le programme d'Ézéchiel,

qui ne puissent être comparés qu'avec le Code sacerdotal. C'est le


cas néanmoins pour les reproches concernant la calomnie (1), les
rapports du mari avec sa femme pendant la période des règles (2),
l'inceste du beau-père avec sa belle-fiUe (3). Il y aurait à ranger
dans la même catégorie quelques énoncés d'allure plus générale.
Le reproche fait au peuple de mépriser ce qui est saint (4), par
exemple, rappelle les préoccupations de sainteté qui remplissent la
législation centrale du Lévitique (5) ; de même le blâme adressé aux
prêtres pour leur négligence à distinguer entre ce qui est saint et

ce qui est profane (6), On les condamne encore parce qu'ils n'en-

seignent pas au peuple à reconnaître ce qui est pur et ce qui est


impur (7) or une autre section du Code sacerdotal mérite d'être
;

appelée par les critiques Loi de pureté [Reinheitsgesetz) (8). A


noter encore ces formules « Les prêtres font violence à la Loi...
:

je suis profané au milieu d'eux (9) ». Il est à remarquer que la


plupart de ces rapprochements sont avec la Loi de sainteté. Les
autres censures visent la violation de préceptes communs à deux
codes ou aux trois en même temps. Sont condamnés par le Code sacer-
dotal et le Deutéronome : TincestG du fils avec une des femmes
de son père qui ne sont pas sa mère (10), avec une fille de son père
née d'une autre mère (il). Les trois législations sont d'accord avec
Ézéchiel pour proscrire le mépris des parents (12) et de l'étranger (13),
l'adultère (l'+), l'usure et l'intérêt (15). Elles condamnent toutes trois
encore la violation du sabbat (16) mais l'insistance avec laquelle le fils ;

de Buzi revient sur ce sujet, la manière dont il s'en exprime suggèrent


surtout des rapprochements avec la Loi de sainteté. Seuls le Code
de l'alliance et le Deutéronome parlent des égards pour l'orphelin et

1) Ez., xxii, 9"; cf. Lev., xix, IG"». — (2) Ez., xxn, 10'' (xvili, 6''?); cf. Lev., xviii, 13:
XX, 18; [xv, 24]. — (3) Ez., xxii, 11"? ; cf. Lev., xviii, 15; xx, 12. — (4) Ez., xxu, 8° (« mes
choses saintes » et non « mon sanctuaire »). — (5) Lev., xvii-xxvi. — (6) Ez., xxii, 26''r.

— (7) Ez., XXII,


26"S. — (8) Lev., xi-xv. — (9) Ez., xxn, 26^''»?.

(10) Ez.,xxn, 10'; cf. Deut., xxiii, 1 (Vulg.-xxii, 30): xxvii, 20; Lev., xviii, 8; xx, 11.

(11) Ez., XXII, 11''; cf. Deut., XXVII, 22; Lev., xviii, 9, Il ; XX, 17.

(12) Ez., xxu, 7"«; cf. Ex., xx, 12 ; xxi, 17 ; Deut., v, 16 ; xxvii, 16 ; Lev., xix. 3"«; xx, '.(.

(13) Ez., xxu, T1-; cf. Ex., xxii, 20 (Vulg. 21); xxiii, 9; Deut., x, 19; xxiv, 17; xxvii, 19;
Lev., XIX, 33, 34.
(14) Ez., xxn, 11»» (xviii, 6''', \\H, 15''); cf. Ex., xx, 14; Deut., v, 17'' (Vulg. 18;; xxu,

22; Lev., XX, 10.


(15) Ez., xxn, 12"'' (xviu, S"', 17">); cf. Ex., xxu, 2'i (Vulg. 25); Deut., xxiii, 20, 21 (Vufg.
19, 20); Lev., xxv, 36, 37.

(16) Ez.,xx, 12, 13, 16, 21,24; xxil, 8, 26; xxni, 38 ; cf. Ex., xx, 8-11; xxni, 12; [xxxiv, 21];
Deut., V, 12-15; Lev., xix, 3"?, 30"-: xxvi, 2"« (en son tenant à la seule Loi de sainteté).
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 381

]a veuve du danger des présents corrupteurs (2), de l'obliga-


(1),
tion de rendre avant le coucher du soleil le manteau pris en gage au
pauvre (3),
On ne saurait être surpris de relever des affinités entre le pro-
gramnic d'Ézéehiel et le Code de Talliance; il n'y a vraiment pas à
insister sur ce sujet. Ce n'est point, d'autre part, le moment de
préciser les rapports des exigences du prophète avec la législation

sacerdotale; cette question gagnera à être étudiée d'un trait à pro-


pos de la seconde phase de la mission du grand voyant. Mais il
y a tout intérêt à bien saisir les points de contact avec le Deuté-
ronome.
Ce serait une vive satisfaction pour notre esprit que de procé-
der en ces sortes de rapprochements avec une rigueur toute mathé-
matique, de constater par exemple que, toutes les fois qu'Ézéchiel
rappelle un précepte commun à deux des codes ou môme aux trois
ensemble, sa terminologie est uniformément conforme à celle de
l'un d'entre eux. n'en est rien. Sur quatre cas de rappro-
De fait, il

chement avec les trois codes à la fois, aucune similitude littérale


avec le Deutéronome, tandis qu'on peut en relever une avec le Code
sacerdotal seul, une autre avec le Gode sacerdotal et le Code de
l'alliance (Y). Sur deux cas de rapprochement avec le Deutéronome
et le Code sacerdotal, on ne peut articuler aucune ressemblance

21-23 (Vulg. 22-24); Deut.. xxiv, 17; xxvii, 19.


(1) Ez., XXII, T^ cf. Ex., XXII,

(2) Ez., xxii, 12-^; cf. Ex., xxni, 8; Deut, \vi, 19.

xvHi, 7^P, 12-T, 16'?; cf. Ex., xxii, 25, 26 (Vulg. 26, 27); Deut.,
xxiv, 12, 13.
(3) Ez.,
Dans Ézéchiel, opprimer l'étranger se dit p^^î?? 1^7^ 13^ (xxii, 7) ou IfinTN
(4)

Dans Code de l'alliarice on a r\y^n (Ex., xxn, 20 fV'ulg. 21]) et 15


ipxyy (xxii, 29). le "^f

Dans Deutéronome "15 "OS^J^Z nrsn (Deut.,


ynS (Ex., XXII, 20 [Vulg. 21]; xxiii, 9). le :

XXI.V, 17; XXVII, 19). Dans la Loi de sainteté : r\m 15 (Lev., xix, 33). — Dans Ézéchiel,

mépriser père et mère se dit : ^^jDn DNi IN (xxii, 7-). Dans le Code de l'alliance :

Deutéronome nbpH (Deut., xxvii, 16). Dans la Loi de


b^p (Ex., XXI, 17). Dans le :

sainteté : SSp (Lev., xx, 9). - Dans Ézéchiel, commettre V adultère se dit ny.\S-riX

ou HTiin nt/7 inn n-JN-nx (xxn, ll). Dans le code


i<DT3 ïiny-l (xvm, 6, 11, 15)

(Ex., xx, Dans le Deutéronome ï]X3 ^Deut., v, 17" [Vulg. 18]) et


de l'alliance : =]N'3 14). :

SD^T (Deut., xxn, 22). Dans la Loi de sainteté inVl riwNTIî;? =]NJ
Sy3-nSs?n n-^^ix-D'i :

(Lev., XX, 10). — Dans Ézéchiel, prendre usure et intérêt se dit np"? nl2inl "jUJ:

T^^^ {^2Vrhy ''iz; (Ex., xxn, 24 [Vulg. 2.5]).


(XXII, 12"«). Dans le Code de l'alliance :

^'^'"'^- ^'"' ^"""^^


^^^''^' ^^'"' ^^ ^^^^- ''
Dans le Deutéronome :
-r^XD! {T\^r\ii))
Y^^
sacerdotal : n^Sinl "jUJJ (inhtD) np.H (Lev., xxv, 36).
382 REVUE BIBLIQUE.

textuelle avec le premier, on en peut signaler une avec le second (1).


Enfin sur trois cas de rapprochement avec le Code de Falliance
et le Deutéronome, on peut mentionner, à côté d'une
formule à peu
près indépendante, une similitude parfaite avec les deux textes
lée-islatifs à la fois, puis une similitude parfaite avec l'ordonnance du

Code de l'alliance non sans un rapport plus large avec celle du Deuté-
ronome (2). La raison de cette apparente anomalie est facile à donner.
Eu réalité, le prophète ne fait pas de citations proprement dites.
Les principes sur lesquels il fonde ses jugements lui viennent, à la
vérité, des textes législatifs mais de ces textes il s'inspire plus qu'il
;

ne cherche à les reproduire; ou. s'il les reproduit, c'est, comme


feront tels de ses par exemple, sans
successeurs, un Zacharie (3)
s'astreindre à une répétition servile. Les cas où Ton peut établir
un rapprochement littéral sont, avant tout, ceux de formules plus
ou moins stéréotypées et techniques; l'on sait que ces terminologies
sont plus fréquentes qu'ailleurs dans le Code sacerdotal.
C'est donc en une autre manière qu'il faut poursuivre la compa-
raison et c'est plutôt d'une question d'esprit général qu'il s'agit. On
peut dire qu'au point central de sa polémique, le fds de Buzi se ren-
contre avec tous ses prédécesseurs dans le prophétisme. Les uns et les
autres n'ont eu qu'une fin en considération assurer la dignité du :

culte divin. Mais vers ce acheminés par des sentiers


but ils se sont
différents. Au huitième siècle, il s'agissait surtout d'inculquer au
peuple une vérité qui nous semble aujourd'hui très claire, mais qui
n'était pas lumineuse au même degré pour les esprits d'alors, à savoir

(1) Dans Ézéchiel, l'inceste commis parle fils avec la femme de so.i père (qui n'est pas sa

mère) est ainsi exprimé : nSfl 2N 7\'r\V (Ez., xxii, 10='). Dans le Deutéronome :
=^^9 «iSm

l'i^K (sans parler de la formule directe lUN nurN-rx Wph , Deut., xxm, 1 [Vulg. xxii, 30],

ou llnx rr^TN^ny ^Z'à, xxvu, 20). Dans la Loi de sainteté : r]hs, [DX nliy'l] nx rTCJ
(Lev., xvui, G; XX, 11). — Dans Ézéchiel, lincesle avec la sœur paternelle s'expiime par
n:!r Ti2N-n2 inriN-nx (xxn, 11''). Dans le Deutéronome Tizx~nn innx~aî; 2wU;
:

(Deut., XXVII, 22). Dans la Loi de sainteté : nl'^ [IJI^NTIZ [l]nnx n^i* (Lev., xviu, 9; et

nmrjTN nxiT vnx-na, Innx'nx npS (Lev., xx, 17).

(2) Dans Ézéchiel, opprimer la veuve et l'orphelin se dit n:i~ Hj-^SnT Din^ (xxn,
:'). Dans le Code de l'alliance :
~:" nin^l HJ^^Sn (Ex., ixii, 21 [Vulg. 22]). Dans le

Deutéronome : HIdSkT nini[~"ia] CSÛ'C .TlSH (Deut., x\iv, 17; xxvn, 19). — Dans

Ézéchiel, recevoir des présents (corrupteurs) se dit npT "Hw (xxn, 12^); de même dans

le Code de Deutéronome (Deul ., \\ i,


l'alliance (Ex., xxiii, 8) et le 19). — Dans Ézéchiel, rendre
12"?).
le gage (pris sur le pauvre auquel on prête) se dit 3''^n [^i^l*] 'IIU (xviii, 7"?,

De même dans le Code de l'alliance [Ex., -xxn, 25 [Vulj;. 2f)]). Dans le Deutéronome:
'ci2>n-rx 2irr; rcn (Deut., xxiv, i3). — (3) Cf. zach., vu, 4-14.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 383

({Lierélémcnt fondamental de la religion de Valiweh résidait dans la


perfection de la vie morale. Tour à tour Amos (1) et Osée (2) dans le
royaume du Nord. Isaïe (3) et Michée (4) en pays do Juda développent
ce thème et y reviennent. Sans doute leur zèle n'est pas moindre pour
écarter l'idolâtrie. Mais, à en juger par la rareté relative de leurs allu-
sions, il semble qu'autour d'Amos (5), d'Isaïe (6) et de Alicliée (7), ce
désordre n'ait régné qu'en des cercles assez restreints. 11 redevient,
au contraire, caractéristique du milieu où vécut Osée (8) et s'y rattache
à la décomposition générale du pays de Samarie en ces derniers jours
de son histoire et à l'heure de son agonie. Ce qu'il faut remarquer
davantage, c'est l'attitude de ces voyants relativement aux sanctuaires.
Ils les condamnent à un double titre. D'abord, parce qu'ils sont des

centres, ici d'idolâtries proprement dites, là de déviations honteuses


dans le culte de Yahwch. Ensuite, parce que le culte extérieur, si
régulier et si expurgé qu'il soit, devient cause d'illusion pour le peuple
qui s'en contente. Mais, en présence de cette sentence, tous les sanc-
tuaires sont mis au même rang, sans qu'aucun privilège puisse être
constaté c'est, sans nul doute, que tous sont au même niveau à ce
;

point de vue particulier de la prévarication. Quand Amos (9) et


Osée (10) font le procès des sanctuaires chers à Israël, ils n'ont pas
un mot de réserve en faveur de .Jérusalem. Isaïe (11), qui ne parle
pas des hauts-lieux, s'exprime sur Temple en des termes d''un le
parallélisme frappant avec ceux qu'emploie Amos dans ses anathèmes
contre Béthel et Dan, Galgala et Bersabée. Bien plus, après avoir
parlé des fautes de la maison d'Israël et déclaré que le péché de
Jacob c'était Samarie, Michée n'hésite pas à poser cette question
et à Ivii donner une réponse « Quels sont les hauts-lieux de Juda?
:

N'est-ce pas Jérusalem (12)? En Juda toutefois, une polémique, dont


»

on pourrait dire qu'elle revêtait un caractère plus pratique et plus


positif, semble avoir établi une distinction très" marquée entre le
Temple et les autres lieux de culte. C'est du moins ce que permet de
supposer la réforme d'Ézéchias (13). Cette réforme s'étend, il est vrai,

(noter vers. 6), 21-25 (noter vers. 24).


(I) Ara., V, 4-6 — (2) Os., \i, 4'', 6. — (3) Is., i,

10-17 (noter vers. 16, 17). —


(4) Mi., vi, 6-8 (noter vers. 8). — ''51 \m., v, 26(?); viii,

14(?). — (6) Is., Il, 6, 8'', 20. — (7j Mi., i, 7(?).

(8) Os., n, 7 (Vulg. 5), 9 (7), 10 (8), 14 (12), 15 (13), etc. On notera toutefois que, dans
le langage d'Osée, le de Baal (même au pluriel) semble employé pour désigner
nom
Yahweh lui-même et ses statues, tels qu'on les honore dans les sanctuaires.
(9) Am., IV, 4, 5; V, 4, 5, 21-2.">: vu, 9; viii, 14; ix, 1.

(10) Os., IV, 13-19; V, 1-7; VI, 8, 9; viii, 4'-6, 11, 13; ix, 10; x, 5-8; XI, 2; xiii, 1, 2.

(II) Is., I, 10-17; cf. Am., v, 21-25. — (12) Mi., i, 5. — (13) II Reg., xviii, 3, 4 : II

Cliron., xxix-xïxi.
384 REVUE BIBLIQUE.

à tous les sanctuaires; mais, tandis que le Temple purifié demeure (1),
les hauts-lieux sont purement et simplement supprimés (2) non ;

seulement le privilège inamissible du Temple est reconnu, mais seul


il le garantit de l'anathème prononcé contre les autres sanctuaires.
A en juger par les événements extérieurs, cet anathème n'allait pas
avoir d'effet durable, etManassé le réformerait bientôt (3). Il ne devait
pourtant pas être oublié. Au septième siècle, Jérémie va naturelle-
ment concentrer toute son attention sur le royaume de Juda; les
sanctuaires de Samarie n'auront plus aucun intérêt pour lui. Mais,
dès le début de son œuvre, le prophète d'Anathoth se souvient de la
réforme opérée par Ézéchias; il dénonce les désordres qui s'étalent
sur les hauteurs et à l'ombre des bois sacrés (k) il y revient avec plus ;

de vigueur après la découverte du Deutéronome (5). Avant comme


après ce coup de théâtre, ses attaques semblent menées plus à fond
que celles de ses prédécesseurs; l'intervention d'Ézéchias lui a per-
mis d'entrevoir des solutions radicales sur lesquelles Amos et Osée
ne paraissent pas avoir compté. Une autre remarque toutefois doit
attirer davantage l'attention. Dans tout le cours de sa polémicjue
contre les hauts-lieux, Jérémie apparaît avant tout comme le conti-
nuateur des prophètes du huitième siècle. Ce qui le frappe dans les
sanctuaires, ce n'est pas la concurrence qu'ils font au temple hiéro-
solymitain; rien, du moins, qui dans ses "écrits souligne ce point de
vue ;
comme Amos, Osée, Isaïe et Michée, il insiste avant tout sur les
crimes, les idolâtries et les illusions dont les hauts-lieux sont le centre
ou l'occasion (6). D'autre part, il reprend, à propos du Temple et
du culte qui s'y développe, les griefs qu'Isaie formulait en ses polé-
miques; il insiste à nouveau sur la fausse sécurité dont une religion
purement extérieure peut être l'origine (7). Si l'on tient compte d'un
des oracles les plus remarquables du temps de Joachim, il semble que
la prééminence assurée au Temple par la réforme de Josias lui paraisse
accroître le danger de semblables illusions (8) aussi éprouve-t-il le ;

besoin d'envoyer voir à Silo ce qui peut advenir d'une demeure


authentique de Yahweh cpiand ses adorateurs se contentent de la
fréquenter sans réformer leurs mœurs (9). Il y a plus. Bien que lîls
d'un prêtre de Jérusalem et initié dès sa jeunesse aux liturgies du
grand sanctuaire, le voyant d'Anathoth ne semble, même après ()2-2,
jîorter qu'un intérêt secondaire à ce lieu qu'au dire du Deutéronome,

(1) II Reg., xvm, V. — (2) II Reg., wiii, 4". — (.3) II Reg., xxi, 3-7; II Cliron., xxxiii,
3-7.— (4)Jer., II, 20, 23; m, 6, 21, 23. — {:>] Jet., XI, 13: XVII, 1-4. — (6) Jer., il, 23,
25i-

28; m, 2, !», 24; vu, 16-19; Vin, 10-12; xi, 10. 12, 13; etc. — (7)Jcr., vu, 21-23. — (8) Jer.,
VII, 1-11. — (9) Jer., VII, 12-15.
I/AME JUIVE Ad TEMPS DES PERSES. 383

« Yahweh a choisi pour y habiter, pour y faire habiter son nom 1) )>.

S'il parle volontiers des désordres qui s'y commettent, rarement il

dit un mot qui en mette en relief les privilèges, pas même quand il

prêche la fidélité à la loi deutérojiomique (2). Aucune de ses paroles


authentiques qui soit l'expression certaine de sa sympathie pour cette
demeure divine en revanche, un langage qu'on serait tenté de
(3) ;

dire dégagé pour annoncer au peuple la disparition de l'arche aux


temps futurs : « On ne s'en souviendra plus, on ne la regrettera plus,
on n'en fera plus une autre Ci-) ».
Ces remarques étaient nécessaires en vue d'une intelligence plus
complète de l'attitude d'Ézéchiel. Ce qui s'y remarque tout d'abord,
c'est l'attention prêtée au Temple. Le prophète revient à plusieurs
reprises sur ce sujet, et c'est d'autant plus frappant que le caractère
synthétique de ses oracles est moins favorable à ces sortes de répéti-
tions. La première fois qu'il articule des griefs de détail contre les
« fils de rébellion », il commence par leur reprocher d'avoir « souillé

mon sanctuaire par toutes tes infamies et toutes tes abominations (5) » ;

à elle seule déjà, cette faute suffirait à motiver des arrêts desquels
toute pitié et toute compassion seraient exclues (6). Sur ces infamies
il ne manquera pas de s'expliquer. Occasionnellement il reprendra
le thème de Jérémie et reprochera aux Judéens de venir au sanctuaire
après s'être rendus coupables des forfaits les plus graves, ici, après
avoir immolé en leurs sacrifices sacrilèges des multitudes de victimes
innocentes (7). Mais il approfondira davantage le sujet. Une de ses
visions (8) les plus importantes est consacrée à l'exposé des outrages
qu'inflige à Yahweh, dans l'intime même de ses parvis, la pénétra-
tion de toutes sortes d'idoles, formes diverses du syncrétisme le plus
complexe. Nous l'avons déjà dit : les turpitudes qu'il dénonce sont
bien celles de l'époque de Sédécias; mais, d'autre part, nombreux
sont les points de contact entre sa description et le tableau que le
livre des Rois (9) nous retrace des désordres favorisés par Manassé
et réformés par Josias. On a l'impression très nette que le prophète
et le pieux roi, non seulement sont en présence du même spectacle,
mais le jugent d'après le même idéal. A l'un et à l'autre, c'est le

(1) Deut., XII, 5, 11, 18; XIV, 23; etc. Si, une fois (.1er., vu, 30), il rappelle ce privilège
du Temple, dans un mouvement d'indignation à la pensée des désordres et des idolâ-
c'est
tries dont la demeure divine elle-même est le théâtre (cf. Ez., viii). (2) Jer., xi, 1-10. —
(3) Des paroles telles que .Ter., viii, 19; xiv, 9; xvii, 12, ou bien ne se rapportent pas

directement au Temple, ou bien ne marquent pas une sympathie vraiment spéciale du

prophète pour la demeure de Yahweh. — (4) Jer., m, 16, 17. — (5) Ez., v, IP?. — (6) Ez.,

V, 11>'. — (7) Ez., XXIII, 38, 39; cf. Jer., vu, 9, 10. — (8) Ez., viii. — (9) II Reg. xxm, 4-

24; II Chron., xxsiv, 33.


386 REVUE BIBLIQUE.

Deutéronome, c'est Tesprit du Livre de ralliance qui inspirent la même


haine salutaire des idoles, de toutes les idoles, quelle qu'en soit la
provenance; ce sont les f)rescriptions si précises de la législation
promulguée en 622, ce sont les exhortations si pressantes renfermées
dans les homélies préliminaires. iNul doute qu'il ne faille dès ici

reconnaître l'influence de ce grand document.


Elle n'est pas moins sensible dans la manière dont le fils de Buzi
parle de la demeure divine elle-même. Sans doute Jérémie, dans le
grand oracle du Temple, sous le règne de Joachim, avait donné du
relief à « cette maison sur laquelle mon nom a été invoqué » et s'était
indigné à la pensée qu'on en eût fait une « caverne de voleurs (1) ».
Mais, outre que cette appellation eût pu n'exprimer que des rapports
assez extrinsèques de Yall^^eh avec le Temple, le trait est, sinon
unique, du moins passager. Dès l'abord, par la bouche d'Ézéchiel,
Yahweh parle tout simplement de « mon sanctuaire (2) », comme
s'il n'y en avait aucun autre. Dans un des oracles suivants, il l'appelle

son trésor, son bijou caché, qui devrait être à l'abri de toutes les
profanations (3); c'est parce que les fils d'Israël l'ont souillé, parce
que, par leurs crimes, ils ont attiré, comme exécuteurs du châtiment,
des hommes de violence qui y pénétreront pour le souiller encore (4),
c'est pour ces raisons que des fils d'Israël Yahweh détourne les
regards (5). Plus tard le Très-Haut dira tout simplement « ma mai- :

son (6) ». Mais c'est surtout dans la vision de l'an G (7) que le pro-
phète exprime admirablement l'attitude de Yahweh vis-à-vis du sanc-
tuaire de Sion. Tout d'abord il y rencontre la « gloire de Yahweh »,
telle qu'il l'a vue dans la plaine (8), et il semble qu'elle y soit comme

en sa résidence propre. La première fois que Yahweh prend la parole,


c'est pour parler de « mon sanctuaire » celui-ci est sa vraie demeure ;

et il ne faudra rien moins que toutes les grossières abominations de


la maison d'Israid pour le contraindre à s'en éloigner (9). L'une des
plus grandes injures qu'on puisse lui faire, c'est de dire en ce lieu,
même après le désastre de 598, peut-être même après la disparition
de l'arche (10), qu'il n'est plus là pour voir ce qui se passe, qu'il a
abandonné le pays (11). Et, comme pour protester contre un pareil
langage, le récit parle aussitôt et à trois reprises consécutives de la
maison de Yahweh (12). D'autres traits sont peut-être plus remarqua-
bles encore. C'est du Temple, comme de s;i demeure sainte, que

(Ij Jer., MI, 11; cf. vers. 30. — (2) Ez., v, ll^i. — (3) Ez., vu, 22•^ — (4) Ez., \ii, 22''.

— (5) Ez., >ii, 22"'. — ((;)Ez., x\iii, SO"-. — (7) Kz., vui. — (8) Ez., viu,4.— (9) Ez., vni, (>"?.

(10) Il est eo effet possible, bien que moins probable, que l'arche ail été emportée par
Nabuchodonosor des le siège de :m. —(11) Ez.. \iii, 12''; ix. 0''. —
(12) Ez., vin, l'i, 10.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 387

Vahweh surveille et signale les violences et les idolâtries qui rem-


plissent tout le pays (1); de là, qu'il prononce ses arrêts de colère
inattendric (2) de là, qu'il préside à rexécution de la sentence, qu'il
;

en règle Tordre et les modalités c'est là que les ministres du châti-


;

ment viennent rendre compte de leur besogne (3). Le Temple


lui
est la 'cour de justice de Yahweh, une sorte de succursale du ciel. Si
d'abord il s'est irrité en entendant dire qu'il avait abandonné le pays,
c'est qu'un tel langage constituait une anticipation. Mais l'heure va
sonner où il sera conforme à la vérité. Yahweh n'a plus rien à faire
avec les ruines de la ville Le moment
et les cadavres des morts l'ï).

est venu où, contraint en quelque sorte par les abominations d'Israël

et leurs conséquences, il va quitter le Temple. Il ne s'éloignera qu'à


regret de cette demeure où il réside depuis les temps anciens (5).
Mais, en la quittant, abandonnera la capitale, il abandonnera aussi
il

sans doute le pays; expulsé de sa demeure, il n'a plus ^de lien avec
la terre d'Israël.
par rapport au Temple de Jérusalem
Telle est l'attitude d'Ézécliiel :

telle, qu'elle marque vraiment une orientation nouvelle dans la pro-


phétie, un véritable point de départ. Désormais, dans Aggée (G),
Zacharie (7), Malachie
sans parler d'Is., xl-lxvi (9), le Temple
(8),
occupera une place que ne lui donnaient pas les voyants d'avant
l'exil. Or, est-il besoin de le noter? cette sympathie du prophète est en
corrélation aussi étroite que possible avec les principes du Deutéro-
nome. Ici, en temple de Jérusalem est bien par excellence le
effet, le

sanctuaire de Aahweh la loi la plus fondamentale de ce code a pour


;

but de lui assurer une situation, non seulement prépondérante, mais


tout à fait exclusive (10). Au Temple, et là seulement, Yahweh donne
rendez-vous à ses fidèles pour tous les actes religieux n'ayant pas un
caractère absolument intérieur et privé (11). C'est le seul lieu où l'on
puisse présenter les sacrifices et offrandes de toutes sortes, apporter
ses dîmes, les prémices des fruits du sol et les premiers-nés du trou-
peau, accomplir ses vœux (12). C'est là qu'après avoir remis aux prê-
tres les parts qui leur reviennent et celles qui doivent être consumées
en l'honneur de Yahweh, on organise, avec ce qui reste des victimes,
ces repas sacrés dans lesquels les membres de la f^imille se réjouissent
devant le Très-Haut (13); c'est là que trois fois par an, à l'époque des

(1) Ez., ^Tii, 17. — (2) Ez., VIII, 18. — (3) Ez., ix; x, 1-8. — (4) Cf. Ez., xi, 7. — (5) Ez.,

i\, 3; X, 18, 19; xi, 22, 23. — (6) Agg., i, 4-11, 14; il, 3-9, 15-19. — (7) Zacli., I, 16, 17

III; I\, 6'-10'; VI, 12-15; vui, 2, 3, etc.; ix, 8; xiv, 16-19. —(8) Mal., I, 6-14; m, 1-4, 6-12.

— (9) Is., XLiv, 28; lvi, 1-8; etc. — (10) Deut., xii, 5. — (11) Deut., xii, 6-28. — (12) Deut,
XII, 6-28; XIV, 22-27. — (13) Deut., xii, 12; xiv, 26, 27.
388 REVUE BIBLIQUE.

grandes fêtes, on doit se présenter devant Yahweh (1). Centre unique


de la religion, le Temple est d'autre part le chef-lieu delà justice; des
tribunaux y fonctionnent afin de décider en dernier ressort les litiges
trop épineux pour être tranchés aux portes des villes (2). Il n'est pas
jusqu'aux formules dont se sert le législateur pour désigner le
Temple qui ne soient dignes d'attention. C'est « le lieu que Yahweh,
votre Dieu, choisira parmi toutes vos tribus jiour y mettre son nom et
en faire sa demeure (3) » et, avec des variantes de détail, cette
;

expression revient à maintes reprises (4). N'est-ce pas là traduire en


toutes les manières possibles la pensée résumée dans les expressions
laconiques « mon maison », du livre d'Ézéchiel?
sanctuaire », (c ma
N'est-il pas évident que le sanctuaire dans lequel, à en juger par la
grande vision de l'an 6, Yahweh réside comme chez lui, prononce ses
jugements, qu'il quitte lorsque, contraint par les crimes du peuple, il

se sent obligé d'abandonner la Palestine et Jérusalem, n'est-il pas


évident que ce sanctuaire est de tout point identique avec celui que,
d'après le législateur, ce même Yahweh
a choisi pour y faire habiter
son nom? De part et d'autre, les pensées, les préoccupations sont sem-
blables ; il est impossible de méconnaître l'influence que le livre de la
Loi découvert sous Josias exerce sur le voyant de l'exil.

Nous le disions il n'y a qu'un instant : Non seulement le Deutéro-


nome assure au sanctuaire de Jérusalem la préséance, mais il exclut
tous les autres lieux de culte. A tout prix il faut détruire les autels et
emblèmes des païens de Canaan (5). Il ne suffirait pas d,'en enlever
les idoles abominables pour consacrer ensuite ces « hauts-lieux » au
vrai Dieu ; à plusieurs reprises d'ailleurs, Yahweh répudie l'introduc-
tion d'usages et de pratiques similaires dans son propre culte (6). A
une époque où les sentiments polythéistes tenaient une place si
grande dans les âmes, où, même en gardant un nom unique pour la
désigner, il était comme instinctif de partager la divinité, on ne pou-
vait trop multiplier les mesures les plus rigoureuses pour maintenir
le culte du vrai Dieu à l'abri de si pernicieuses infiltrations. Ce n'était

pas trop d'exiger l'unité de sanctuaire pour exprimer plus claire-


ment l'intransigeante unité du Dieu qui y résidait, pour assurer
l'étroite surveillance qui devait bannir du culte les pratiques con-
traires à la plus stricte orthodoxie. Josias le comprit et, fidèle exécu-
teur de la Loi divine, il employa tout son zèle à la destruction des hauts-
lieux. Ils étaient innombrables; au dire de Jérémie, l'adultère s'était

(1) Deul., \vi, 1-17. — (2) Deiil.. xvii, 8-13. — (3) Deul., \ii. 5. — (4) Deul., mi, 11,
14, 18, 21, 2(\; XIV, 23, 24, 2.-); xvi, 2, 6, 11, i:., 16; etc. — (5) Deut., MI, 5, 2.-); Ml, 2, 3.
— (6) Deut., XII, 4, 29-31; XIV, 1, 2; \\l, 21-22; etc.
LAME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 389

étendue sur toute colline élevée et sous tout arbre vert (1). Il décla-
rait ailleurs à .luda Autant tu as de villes, autant tu as de dieux, et
: «

autant il y a de rues à Jérusalem, autant vous avez dressé d'autels à


une infâme idole (2). » De fait Josias, après avoir purilié le Temple, fit
détruire, par tout le pays de Juda et même sur le territoire de l'ancien
l'oyaume du Nord, non seulement les sanctuaires consacrés aux dieux
étrangers, mais ceux-là aussi qui avaient été érigés en l'honneur de
Yahsveh (3). Or de cet exclusivisme, de cette horreur pour tout lieu
de culte autre que celui de Jérusalem, les traces sont partout dans
les oracles d'Ézéchiel. Dès le premier cycle de prophéties, les
« infamies » (i) qui souillent le Temple sont à n'en pas douter des
hauts-lieux en l'honneur des divinités païennes : sortes de chapelles
érigées dans les parvis et assimilables à celles que l'on rencontre dans
les cours des temples égyptiens et qui, au grand titulaire du naos
principal, associent, pour la satisfaction des fidèles, un groupe par-
fois imposant de dieux et de déesses. L'appel aux montagnes d'Israël
motive avant tout le châtiment divin par le culte des sanctuaires
locaux (5). Ceux-ci transparaissent encore dans les « abominations » (6)
dont parle l'oracle sur la Fin imminente ce sont les « lieux saints » (7) ;

que l'ennemi doit ravager. Les hauts-lieux du Temple reviennent dans


la solennelle vision de l'an 6 (8). 3Iais surtout les oracles dans les-
quels Ézéchiel insiste sur la solidarité de la génération présente par
rapport à celles du passé, dénoncent les sanctuaires locaux comme la
faute principale à expier. A vrai dire le premier de ces oracles .ne
formule guère que ce grief; c'est la forme prépondérante de la
prostitution et de l'adultère dont Israël s'est rendu coupable (9).
Après les crimes propres au séjour en Egypte et aux migrations du
désert, le deuxième oracle signale les hauts-lieux comme la prévarica-
tion caractéristique de l'installation en Palestine (10) les allusions sont ;

claires qui, dans l'apologue d'Oholah et d'Oholibah, se rapportent au


même forfait (11). Nouveaux anatlièmes, dans la prophétie récapitula-
toire des crimes de Jérusalem, contre ceux qui répandent le sang en
l'honneur des idoles et qui « mangent sur les montagnes (12) ». Cette
dernière formule revient encore, dans la liste des fautes à éviter, au
grand programme de la justice et de la rétribution individuelles (13).
Ici encore on peut remarquer un double parallélisme, soit avec le

contenu du Deutéronome, soit avec la réforme accomplie par Josias.

(1) Jer., II, 20, 23; m, 6, 13; etc. — (2) Jer., xi, 13. — (3) II Reg., xxm, 4-24. — Ez.,
(4)

V, 11. — (5) Ez., VI, 2-5; 6-10,13, 14. — (6) Ez., vu, 3, 8. — (7) Ez., vu, 24. — (8)Ez., vni, 5,

10-12, 14, 16. — (9) Ez., XVI, 15-42. — (10) Ez., xx, 28, 29. — (11) Ez., xxm, 7, 8, 12, 17,

19, 30, 37, 39, etc. — (12) Ez., xxil, 4, 9'''^ — (13) Ez., xviil, 6'«, iU, lâ^-'-.
390 REVUE BIBLIQUE.

Ce double parallélisme présente même legrand avantage de préciser


le sens des paroles du prophète. A ne lire que les oracles d'Ézéchiel,
en eifet, il serait assez difficile d'analyser la différence qui le sépare
de Jércmie; seule sa sympathie pour le sanctuaire pourrait être
relevée comme un trait distinctif, pourrait permettre de conclure
qu'il rejette tous les autres lieux de culte. Il semble difficile, en effet,
de découvrir un texte portant la condamnation du haut-lieu ut sic,
en tant qu'atteint par la seule loi de l'unité. Un seul passage se prê-
terait à cette interprétation « Encore en ceci vos pères m'ont ou-
:

tragé par leur infidélité, leur infidélité envers moi. Quand je les eus

fait entrer dans le pays que j'avais juré de leur donner, partout. où ils

ont vu une colline élevée et un arbre touffu, ils y ont offert leurs

sacrifices et présenté leurs offrandes qui excitaient ma colère; ils y


ont apporté leurs parfums d'agréable odeur et y ont répandu leurs
libations (1) semble bien qu'il s'agisse d'un culte rendu à Yahweh
». Il

et se bornant aux actes spécifiques —


.sacrifices, offrandes, parfums,

libations, —
qui comptent parmi les plus légitimes; encore pourrait-on
concevoir quelque hésitation du fait de la mention des « sacrifices qui
excitent ma colère », Le reste du temps, les hauts-lieux sont con-
damnés à cause du culte qu'on y rend aux idoles infâmes (2) même ;

dans le programme de justice individuelle, on parlera de « lever les


yeux vers les ordures de la maison d'Israël immédiatement après
»

avoir parlé de « manger sur les montagnes (3) ». C'est que la diffé-
rence est grande entre un législateur et un prophète. D'essence, le
premier vise les cas abstraits d'essence, ; le second est l'homme d'un
miheu nettement spécifié et se place de la façon la plus concrète en
présence des circonstances qui l'entourent. Pour celui-ci, il n'ya pas
de haut-lieu in abstracto. Il n'y a que les hauts-lieux tels qu'il les a
vus en terre de Juda, centres d'idolâtrie, rendez-vous de tous les
syncrétismes, souvent véritables panthéons associant, dans la pro-
miscuité la plus suspecte, les divinités d'Egypte avec celles d'Assyrie
et de Ghaldée, les dieux et déesses de Syrie avec ceux de Phénicic, les
baals de Canaan avec Vahweh d'Israël (i). D'après ce qui se passait
au Temple (."3), on peut augurer de ce qui pouvait exister en pro-
vince, plus loin encore de tout contrôle d'orthodoxie. L'on s'ima-
gine quelque chose d'analogue, toutes proportions gardées, à ce que
l'exploration découvre à Pétra. Sur les nombreux pics et cimes qui

i\) Ez., \\. 27, 28. — 2) Ez., VI, 4, 6; \vi, 17, 33; xxil, •!, 4; etc. — (0) Ez., XMii, (V, 15".
(4) Ez., MIK .5, 1(1-12, 14, l(i; xvi, 26, 28, 29; XXIll, 5, S, 11, 12, 14, 19: etc.
(••.) Ez., Mil; cf. H Keg., XXI, 3-7; xxiu, 4-21.
LAME JUIVE XV TEMPS DES PERSES. 391

dominent le cirque où se développait la ville, se dressent les autels


élevés à leurs protecteurs célestes par les trafiquants, de toute race
etde tout culte, qui fréquentaient la célèbre métropole du commerce
nabatéen; le haut-lieu de Dusarès ne se distingue des autres que par
la majesté de sa situation, l'ampleur grandeur de son enceinte et la
de ses stèles. Vahweh ne pouvait consentir à ces mélanges outra-
geants. D'autre part, son culte lui-même était dans les hauts-lieux
contaminé par toutes sortes de pratiques indignes de son caractère.
Des statues (1), en prétendant le représenter, limitaient sa présence et
humiliaient sa majesté sous le revêtement de monstrueux symboles :

n'avait-il pas réprouvé toute espèce d'image sculptée ou fondue (2)?


Autour des autels qu'on érigeait en son honneur, se dressaient des
emblèmes de tout point semblables à ceux qui fourmillaient dans
les sanctuaires païens et tout à fait propres à égarer le peuple.
Ézéchiel mentionne, en ce contexte, semble-t-il, des colonnes so-
laires (3) le Deutéronome signale pour les anathématiser les stèles de
;

pierre [massêb^àh) et les poteaux de bois {'aèêrôh) (4). Les sacrifices


qu'on lui offrait ne différaient en rien de ceux que l'on présentait aux
fausses divinités. De ces victimes, une espèce lui causait un particulier
déplaisir : lui, qui avait arrêté l'admirable mouvement d'obéissance
d'Abraham s'apprêtant à immoler Isaac (5), pouvait-il agréer ces
offrandes de premiers-nés qui allaient à assimiler ses volontés aux
caprices d'un Moloch (6)? Enfin comment le Dieu éminemment moral
aurait-il toléré les honteuses prostitutions auxquelles Ézéchiel fait de
transparentes allusions (7) et que le Deutéronome mentionne d'une
façon tout explicite (8)? Dans les hauts-lieux dont Yahweh était le
titulaire, impossible de reconnaître le Dieu des pères, le Dieu de
Moïse; on n'y trouvait, comme partout ailleurs, qu'un immonde Baal.
C'étaient ces considérations qui avaient motivé les proscriptions du
législateur deutéronomique ; c'étaient ces spectacles, tels qu'il avait
pu au cours de sa jeunesse, qui, sur la terre d'exil, provo-
les voir
quaient les anathèmes du fils de Buzi. Mais, dès la période qui nous
occupe, c'étaient tous les hauts-lieux qu'il condamnait, parce qu'au-
cun d'eux ne faisait exception au tableau qu'il en traçait, parce qu'au
moins aucun d'eux n'était à l'abri du danger de pareilles dégénéres-
cences. C'était donc, indirectement, le haut-lien ui sic qu'il anathé-
matisait; comme le législateur deutéronomique et à sa suite, il ne

(1) Cf. I Reg., XII, 28, 29, les veaux d'or de Béthel et de Dan. — (2) Ex., xx, 4, 5; Deut.,
IV, 1.5-19; V, 8, 9. — (3) Ez., VI, 4. — (4) Deut., xvi, 21, 22. — (ô] Gen., xxii, 1-14. —
(6) Ez., XVI, 20, 21 ; XX, 26, 31; xxii, 3, 4. — (7) Ez., XM, 16, 25, 26, 28, 29, 30-34; etc. —
(8j Deut., xxiii, 18, 19 (Vulg. 17, 18).
392
REVUE BIBLIQUE.

lieu de culte cligne de Yahweli, le


voulait plus conoaitre qu'un seul
temple de Jérusalem.
explicite que le Deutéronome
Le Code sacerdotal n'est pas moins
il la suppose admise et ne s'in-
touchant l'unité de sanctuaire mais ;

C'est pourquoi, à raison des rudes


quiète plus des hauts-lieux ^1).
polémiques qu'il engage en cette première période de son ministère,
directe du
Ézéchiel doit être considéré comme étant en dépendance
relevé ces ressem-
code découvert sous Josias. Lorsqu'on a une fois
blances fondamentales, il est aisé d'en souligner un certain nombre
d autres, plus secondaires, sur lesquelles elles projettent leurs lu-
mières. Nous ne nous y attarderons pas.
Au premier plan des ressemblances de fonds, on pourrait noter
ridée d'alhance. Le prophète n'y revient guère en cette phase de
son

ministère; mais il en parle d'une façon explicite à propos de la


première rencontre de Yahweh avec son peuple (2). On ne saurait
dire que le principe de solidarité, sur lequel Ézéchiel aime à
s'appesantir, provient du Deutéronome; si on l'y trouve, en effet,
c'estdans le texte du Décalogue (3), et on peut en lire l'énoncé tout
pareil dans le prologue du Code de l'alliance (4). Il en va
autrement
du principe de la justice et de la rétribution individuelles. Celui-ci
est formulé en propres termes dans le grand
code législatif. Sans
doute c'est à propos des jugements humains un juge doit, en pro- :

nonçant sa sentence, n'avoir en vue que le cas concret qui lui est
soumis, la personne concrète qui est amenée à son tribunal ni les ;

pères ne doivent expier pour leurs fds, ni les fils pour leurs pères (5).
Mais on le sait les jugements humains ne tirent leur valeur que de
:

leur conformité avec les arrêts divins. Bien que sous-entendu dans
un texte où il s'agit surtout des décisions contingentes de la justice
Il semble
terrestre, ce principe est présent à îesprit du législateur.
bien que énoncés que Jérémie l'empruntera; il n est pas
c'est à ces
douteux qu'Ézéchiel s'en inspire dans ses aperçus d'une si grande
précision théorique et pratique.
Nombreuses sont à leur tour les affinités de style que les critiques
se sont plu à souligner dans leurs comparaisons des deux
écrits ils ;

n'ont pas mancjué d'établir les listes parallèles qui peuvent éclairer
ce sujet (6).
ressemblance de
Nous signalerons un point où cette ter-

minologie présente un spécial intérêt. Qu'il s'agit des données élc-

(1) Cf. Lev., XVII, 3-9. — (2) Ez., xvi, 8. — (3) Dout., v, !>, 10. — (4) Ex., xx, 5, 6.

(.)) Deut., XXIV, i(j. — (6) Cf. par exemple celle qui ligure dans S. Driver, An Inlroduc-
tion to Ihe Literature of thc Old Testament, 1' édition, p. 99-102 (à propos du Deutéro-
nome).
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 393

mentaires de la loi naturelle communes


liommes ou de cet à tous les
héritage de traditions qui se transmettait en Israël de génération en
génération, les prophètes du huitième siècle et du septième sem-
blaient, dans leurs reproches au peuple, faire avant tout appel aux
principes de moralité qu'ils savaient inscrits au fond des cons-
ciences de leurs auditeurs; dans l'une et l'autre espèce d'ailleurs, ils

n'hésitaient pas à voir les résultats des révélations dont les pères
avaient été favorisés. Avec Ézéchiel, les formules sont différentes.
Chez lui le devoir s'exprime surtout sous forme d'ordonnances et de
lois (1); il aime à rappeler les préceptes que Yahweh a donnés aux
ancêtres dès les origines de la nation (2). Ce sont ces décrets qui sont
principe de vie et c'est en les observant qu'Israël peut s'assurer le
salut (3). D'autre part, dès le désert, le péché d'Israël a consisté dans
le mépris et l'inobservation de ces commandements [\). Les infidélités
du peuple choisi se sont perpétuées dans le cours de son histoire (5)
et c'est pour les expier qu'il est aujourd'hui condamné à de si sévères
châtiments (6). En conséquence, ceux qui, en vue de l'avenir, veulent
se désolidariser du passé doivent avant tout se préoccuper de mettre
à exécution les lois divines (7) leur observation apparaît synonyme
;

de la pratique du droit et de la justice (np"ïl i23ra nXjV) dont il est


question en ce même contexte (8 ! . Or les termes employés pour désigner
les ordres divins — jugements (''•csï:''2) et décrets (a^pn, nipn) (9)
— sont ceux-là même qui figurent, comme en titre et exergue, au
début de la partie législative du Deutéronome
ne (10); la rencontre
saurait être fortuite. On sait d'ailleurs qu'à maintes reprises, ce docu-
ment revient soit d'une manière générale, soit à propos de telle ordon-
nance particulière, sur le caractère bienfaisant, vivifiant de la Loi,
sur les bénédictions dont elle est la source pour la vie présente (11).
Sans qu'il soit nécessaire d'insister davantage, on peut, en toute
vérité et malgré les abus que divers critiques ont faits de cette épithète,
qualifier Ézéchiel de « deutéronomique » il est de l'école qu'ont ;

suscitée la découverte et la mise en pratique du grand code trouvé


au Temple par Helcias. Comme beaucoup de ses contemporains,
comme beaucoup de membres du clergé en particulier, il a étudié
.cette loi sainte pendant son séjour à Jérusalem, il en a médité les
enseignements, il s'en est assimilé la doctrine; le moment venu, il

(1) Ez., V, 6, 7, 8. — (2) Ez., xx, il. — f3) Ez.,,xx, 11, 13, 21. — (4) Ez., xx, 13, 16,

18-21. — (5) Ez,, V, 6, 7, 8. — (6) Ez., 'y, 8-10. — (7) Ez., xvm, 9, 17-r. — (8) Ez., xviii,

5, 17-ï. — (9) Ez., V, 6, 7, 8. — (10) Deut., XII, 1. — (11) Deut., xii, 25, 28; xitl, 17, 18

XIV, 29; XV, 4-G, 18; XVI, 20; etc.


REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 2G
394 REVUE BIBLIQUE.

pour donner son revêtement personnel aux messages


s'en est inspiré
que Dieu le chargeait de communiquer au peuple. Mais nous ne
voulons pas nous arrêter à cette constatation, si intéressante qu'elle
soit. Nous entendons plutôt nous en servir comme de l'indice d'un

autre fait qui va plus directement à notre sujet. Ézéchiel n'était pas
seul dans son cas; parmi ses compagnons de captivité, y en avait il

d'autres qui, comme lai, avaient dès leur jeunesse pris cette loi en
amour, qui, comme lui, l'avaient étudiée et méditée, qui, comme lui,

en avaient alimenté leur Leur nombre s'aug^menta encore au


vie.

cours de l'exil, sous l'influence de l'exemple du voyant et de sa pré-


dication. Ce n'est pas trop de dire quïmmense fut le rôle de ce code
dans la formation de l'esprit, de l'âme, des exilés. Il est difficile, sans
aucun doute, de préciser ce rôle dans les détails; d'autres codes ont,
en effet, exercé tour à tour leur action, qui présentent avec le Deu-
téronome trop de points de contact pour qu'il soit possible de dis-
cerner avec exactitude la part d'influence qui revient à chacun d'eux.
Mais, à s'en tenir aux lignes générales, on peut déjà recueillir de
précieux renseignements; ils nous permettent de voir se dessiner ou
s'ébaucher nombre de traits caractéristiques de la future société juive
postexilienne.
Comme les autres législations du Pentateuque, le Deutéronome
traite à la fois des relations des Israélites entre eux et de leurs rap-
ports avec Dieu. Un haut ordonnances
souci de justice domine les
concernant les attitudes que les fils de Jacob doivent garder les uns
vis-à-vis des autres; on le reconnaît aux prescriptions qui ont pour
but d'assurer le respect de la vie humaine (1) et de la propriété (2j.
Mais ce qui davantage attire ici l'attention, ce sont les préoccupations
d'humanité, qu'elles aient pour objet les membres de la société en
général (3), ou qu'elles visent ceux qui ont un plus grand besoin de
protection la femme (4), l'esclave (5), le mercenaire (6), le pauvre (7),
:

l'orphelin, la veuve, l'étranger (8), le prisonnier de guerre (9). La


fidélité à ces principes introduira dans les relations de la future
société un sentiment de sympathie, ne trouvait pas d'aifection, qu'on
au môme degré dans l'antique vie nationale. On sera en présence
d'une véritable communauté, mieux encore d'un^ famille, dont tous
les membres auront déjà les uns vis-à-vis des autres cette attitude

(1) Deut., XVI, 18-26; XVII, 8-13; xix, 11-13, 16-21; x\l, 1-9. — (2) Dcul., \ix, Ki, 15-21;
XXV, 1316. — (.3) Deut., XXV, 1-3. — (4) Deut., xxi, 15-17, 18-21; xxii, 13-21, 22, 23-27,
28-2»; XXIV, 1-4, 5; xxv, 5-10. —
(5) Deut., xii, 12; XV, 12, 13-17; xvi, 11, l'i. (6) Deut,, —
xxrv, 14, 15. —
(7) Deut., xv, l-fi, 7-8, 9-11; xxiii, 20-21 (VuIr. 19-20); xxiv, 6. 10-13, 19-22.
— (8) Deut., XIV, 29; XMV, 17, 18. — (9) Deut., x\i, 10-1 4.
LAAIE JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 395

de fraternité, cet esprit de solidarité, ces préoccupations de secours


mutuel qui, dans la suite, constitueiout l'un des traits les plus
caractéristiques du Judaïsme. La formule qui exprimera à la perfec-
tion la nature de leurs rapports sera celle-là même qu'ils aimeront
à chanter lorsqu'ils se trouveront réunis pour les grandes panégyries
du Temple « : Qu'il est bon, qu'il est doux pour des frères d'habiter
ensemble (1)! » Ils ne garderont quelque dureté et rigueur que pour
les étrangers qui ne demanderont pas à se fixer au milieu deux.
Toutefois, c'est surtout au point de vue religieux que nous nous
plaçons en cette étude, et les constatations à faire sur ce terrain ont
une importance capitale. Ce n'est pas en vain tout d'abord qu'à la
suite du Deutéronome, Ézéchiel témoigne à tant de reprises de son
horreur pour l'idolâtrie. La leçon était pratique sur la terre d'exil et
d'une portée immédiate. Les idées du temps, nous l'avons déjà dit,
rendaient dangereux le séjour en pays étranger. Dans leur manière
de se représenter la divinité, les Sémites insistaient d'instinct sur les
liens qui unissaient les dieux au
y revenaient plus volontiers,
sol, ils

semble-t-il, que sur ceux qui rattachaient aux habitants eux-mêmes


leurs protecteurs célestes. Dès lors, en quittant son pays, on quittait
un peu ses dieux; en entrant dans les royaumes voisins, on avait le
sentiment plus ou moins vague de devoirs à rendre à leurs divinités
tutélaires. Nombre d'entre les compagnons d'Ézéchiel devaient se
laisser conduire par ces idées, au détriment de ce qu'il y avait de
plus fondamental dans la religion de Yaliweh. Si les exilés les plus
dociles à la voix du prophète avaient au fond de l'àme des convictions
plus élevées, on pouvait craindre quand même que les tendances
naturalistes entretenues par de lointains atavismes vinssent à re-
prendre peu à peu le dessus. Le danger était d'autant plus redou-
table que les pompes des cultes babyloniens étaient aptes à exercer
un réel prestige sur les imaginations des fils d'Israël, à leur faire

sentir ce qu'il y avait de pénible en leur situation, à eux qui, sur la


terre étrangère, ne pouvaient même chanter les cantiques de Sion (2).
Une crise pouvait s'ensuivre et il importait de la prévoir. A cet égard
la prédication d'Ézéchiel allait avoir sa grande efficacité, comme
l'aurait plus tard la lecture des magnifiques exhorta+ioas renfermées
dans Is., xl-lv (3). Il n'est pas douteux, non plus, que la Lettre de
Jérémie [k) ne corresponde à merveille aux préoccupations des
hommes de Dieu qui, se sentant appelés à diriger le peuple, voyaient

1] Ps. cxxxiu, 1. — (2) Ps. c\xxMl, 4. - (3) Cf. Is., xl, 18-20; xu, 6, 7, 21-29 ;
xlii

17; XLiii, 8-13; XLiv, 6-8, 9-20; XLVi; XLViii, 3-6, 12-16. — (4) Bar., vi.
396 REVUE BIBLIQUE.

croître l'iniportaiice de leur action à mesure que la prolong-ation de


Texil rendait ces périls plus menaçants. Mais on peut dire que toutes
ces influences avaient pour fondement et soutien principal celle du
Deutéronome. Les résultats, d'ailleurs, n'en devaient pas être restreints

au présent, ils étaient appelés à avoir dans l'avenir un immense reten-


tissement. On peut affirmer que c'est au Deutéronome, d'une façon
sinon exclusive au moins très particulière, que la communauté du Ju-
daïsme, formée en Chaldée, puis transplantée en Terre Sainte, dut
cette horreur de l'idolâtrie qui jamais plus ne se démentit. Cela ne
veut pas dire qu'après l'exil le culte des faux dieux disparut com-

plètement de la terre de Juda (1). Mais, de même qu'en Chaldée,


svmpathiser avec les divinités babyloniennes équivalait à s'exclure
du srroupe fervent en qui s'incarnait la préparation de l'avenir, de
même, en Palestine, témoigner de la faveur pour les baals locaux
ou pour ceux des peuples voisins, pactiser en quelque manière avec
les coutumes païennes (2) équivaudrait à sortir par une véritable
apostasie du rang des serviteurs de Yahweh. La communauté post-
exilienne ne devait jamais plus connaître les atteintes de l'idolâtrie
et du paganisme.
Elle devait concentrer tout son culte sur Yahweh et elle saurait

d'une manière très précise où le chercher. De nouveau, commenté


par Ézéchiel et ses autres chefs, le Deutéronome lui tracerait la
voie. En lui inspirant une profonde aversion pour les hauts-lieux, il
par les
l'attacherait liens les plus étroits au seul sanctuaire de Jéru-

salem. De cet attachement les déportés prirent déjà très vive cons-

cience lorsque, s'éloignant de la capitale, ils aperçurent pour la


dernière fois les pylônes du vénérable édifice. Mais ces sentiments
ne firent que s'accroître sur la terre étrangère. C'est cet amour qui,

jusqu'à la dernière heure, illusionna nombre d'exilés au point de ren-


dre leurs esprits inaccessibles à cette idée que la ruine pût atteindre
la seule demeure que le vrai Dieu eût ici-bas. C'est cet amour qui,

en 587, inspira à ces captifs la môme tristesse, leur arracha les

mêmes plaintes et les mêmes lamentations (3) qu'à ceux qui là-bas
avaient vu tomber les murailles et brûler les charpentes. Mais la
sympatlde désolée pour le passé n'absorba pas entièrement les puis-

Lxv, 1-7, 11 etc.


Ci) Cf. Is., tvil, 3-13; ;

(2) On
qu'à l'époque
sait des Machabées, les Juifs puritains traitaient à peu prés comme
des païons ceux de leurs congénères qui favorisaient l'introduction des coutumes helléni-
ques en pays de Judée (cf. I Mach., i, 12-10, 45, 55, 5G; etc.). —
(3) Lam., i, 4, 10; ii,

t>, 7 ; etc.
L'AME JUIVE AU TEMPS DES PERSES. 397

sances de cet amour. On pensa


au premier plan des
à l'avenir et,

restaurations futures, on mit la réédification de la sainte demeure


de Yahweh (1). De même qu'en s'aclieminant vers la Terre Sainte, les
croisés oubliaient toutes les contingences de la politique pour ne
songer qu'à délivrer le tombeau du Christ, de même les exilés, dans
la pétition qu'ils adresseraient à Cyrus et dans l'usage qu'ils feraient
du décret libérateur, ne songeraient qu'à relever « la maison de Dieu
qui est à Jérusalem (2) ». Jusqu'à sa destruction par Titus, lamour
du Temple de toute la piété juive et, le forfait con-
serait à la base
sommé, ce serait encore cet amour qui amènerait les fils d'Israël en
pleurs devant les suprêmes restes de l'enceinte sacrée.
Enfin, ce que l'on peut encore attribuer à l'influence du Deutéro-
nome c'est l'origine, le commencement de la religion de la Loi.
Désormais, le droit, le devoir, la justice vont se présenter à l'àme
des Juifs avant tout sous forme de fidélité à des préceptes, d'ob-
servation des commandements divins. Dès lors, l'un des premiers
indices de la dévotion consistera à étudier ces manifestations de la
volonté d'en haut, à les approfondir, à les adapter aux diverses con-
tingences de la vie quotidienne afin d'en mieux assurer l'exécution.
D'autre part, la vie religieuse des Judéens de l'exil et de la restau-

ration revêtira une modalité qui, pour n'être pas entièrement nou-
velle, acquerra une importance auparavant inconnue; ce sera, avant
tout peut-être, une obéissance, une scrupuleuse fidélité à observer la
lettre de ces commandements dans lesquels on verra l'expression
exacte de la volonté de Yahweh. Cette transformation, pour secondaire
qu'elle soit, paraîtrait inquiétante ,si ou
elle allait à la destruction
même à l'altération des sentiments qui jusque-là avaient présidé aux
manifestations de la piété, à l'exécution de la parole divine. Mais il

n'y a pas à craindre, à cette date, que la lettre tue l'esprit qui vi-
vifie. Le Deutéronome est à ce point pénétré de ce que l'on appelle

l'esprit prophétique qu'il ne risque, en aucune manière, de faire


dévier la religion vers un légalisme étroit et tout extérieur. Pour le
moment au moins, c'est l'âme tout entière, intelligence, cœur,
volonté, qui se porte et se meut au service de Yahweh. Ceux-là seuls
peuvent y trouver trace d'altération par rapport au sentiment reli-
gieux le plus authentique, pour lesquels toute religion d'autorité est
condamnable, quel que soit l'esprit qui l'anime.

(1) Is., XLIV, 28.


(2) Esdr., I, 2-4, 5; m, 8-13; iv, 1-5; v, 1-vi, 18; Agg., i, 4-11, 14; il, 1-9, 15-19; Zach., i,

16; III, 9; IV, 6''-10*; VI, 12-15.


398 REVUE BIBLIQUE.

VII

Il est àpropos de procéder à une récapitulation et, tout en s'ex-


posant à d'inévitables répétitions, de saisir, dès leur première appa-
rition, l'ensemble des traits les plus fondamentaux de Tàme juive.
C'est bien à cette heure, en effet, qu'ils se constituent et se fixent.
1°) Les Judéens fidèles qui évoluaient autour d'Ézéchiel ne vivaient

guère pour regardaient vers l'avenir. Ils s'appuyaient


le présent. Ils

pour le faire sur ce qu'ils lisaient dans les écrits prophétiques anté-
rieurs à leur âge les voyants du huitième siècle n'avaient-ils pas
:

déclaré que, malgré la rigueur des châtiments, Yahweh n'aban-


donnerait pas, n'accablerait pas entièrement son peuple, qu'à l'heure
de la justice succéderait à bref délai celle de la miséricorde? En des
termes dont bientôt nous préciserons le sens, .lérémie et Ézéchiel ne
faisaient autre chose qu'appliquer ces annonces aux circonstances
présentes, sans en rien retrancher. Aussi, dès qu'en 598 Nabuchodo-
nosor eut regagné Babylone, les exilés qu'il avait emmenés avec
Jéchonias commencèrent-ils à supputer la date à laquelle Yahweh
rétablirait son peuple à Sion, Des espérances à bref délai, telle
devait être, les heures de spécial abattement mises à part, la pre-
mière note de la mentalité qui s'élaborait en Chaldée et que les ra-
patriés transporteraient en Palestine.
2°) L'intensité même et l'euipressement de cette attente rendraient

plus vive et plus pénible la sensation des désillusions. Or, celles-ci


commencèrent dès la première heure. Non seulement la catastrophe
(le 598 ne marqua point le terme du châtiment; elle ne faisait

qu'inaugurer les interventions de la justice. Des maux bien plus


terribles allaient fondre sur la capitale et sur le peuple. Or, ce serait
à maintes reprises, dans la suite des temps, qu'au plus fort de leurs
espoirs, les Juifs verraient de nouveau les désastres s'abattre sur leur
malheureux pays. Chaque fois l'épreuve serait dure, vivement sentie ;

chaque fois elle provoquerait dans les âmes des questions angois-
santes. Mais la discussion même et la solution de ces problèmes abou-
tiraient toujours à épurer leur religion *et à élever le niveau de leur
foi.

3") Interprétant d'instinct, à la lumière de la révélation, à raison


aussi du vieux fonds d'idées sémitiques qui subsistait en leur âme,
les maux et les calamités en forme de châtiment, les exilés fidèles
prêtèrent d'abord une vive attention au péché dont les désastres
nationaux étaient la punition. Ils prêtèrent attention à leurs propres
L'AME JUIVE AL TEMPS DES PERSES. 399

péchés. Mais, sans fausse humilité, ils reconnurent aisément que


leurs défaillances personnelles n'étaient pas telles qu'elles dussent
attirer les coups répétés de la justice divine. Mais le péché, ils le
voyaient dans toute l'histoire de la nation. Sans peine d'abord ils
prenaient conscience de l'énorme poids d'iniquité qui, s'étant accu-
mulé pendant les siècles, pesait sur la génération présente. Ils cons-
tataient en même temps que leurs contemporains ne faisaient rien
pour rompre avec ce sombre passé et pour s'en désolidariser. La
remarque pour ce qui concernait les .ludéens demeurés
était facile
en Palestine; Jérémie et Ézéchiel étaient là pour dénoncer les tares
qui excluaient des promesses ces indignes fils de Jacob. Mais, même
en terre de captivité, nombreux étaient ceux qui, insensibles aux
châtiments dont ils étaient les victimes, perpétuaient les fautes des
ancêtres. C'est ainsi que du péché devenait obsédante en l'es-
l'idée
prit des disciples des voyants. Elle tiendrait à jamais une grande
place dans l'àme juive, parce qu'à jamais l'élite aurait à relever
une immense différence entre son idéal et la réalité.
k°) L'idée de faute a pour corrélatif celle d'expiation et de péni-

tence. Or la détresse qui avait accompagné la première chute de


Jérusalem, les calamités de l'exil, les souffrances qui seraient la consé-
quence de l'état précaire dans lequel vivraient d'abord les rapatriés,
ne pouvaient que constituer un milieu particulièrement propice au
développement de ces idées. De fait, elles s'implantèrent fortement
dans les âmes des exilés et dans celles des Juifs qui, revenus au pays,
eurent le souci de préparer une brillante restauration d'Israël. On
accepta d'abord l'épreuve pour l'expiation de ses fautes personnelles,
et il ne semlîle pas qu'à l'origine du moins, on ait pensé que. par ses

propres souffrances, on pouvait satisfaire pour les péchés d'autrui.


Mais, en se soumettant au châtiment voulu par Dieu, en se résignant
à en subir toutes les extrémités, on faisait tout ce qui dépendait de soi
pour rendre aussi efficace que possible l'exécution des arrêts divins :

n'était-ce pas le meilleur' moyen d'en assurer l'efficacité et de hâter,


en faveur de la nation, l'heure où la justice apaisée céderait le pas à
la miséricorde et au pardon? Ces sentiments et les attitudes qui en
étaient la conséquence allèrent se fortifiant et se propageant dans la
mesure même où le sentiment du péché individuel et national grandit
et s'accentua dans les cœurs. Bientôt d'ailleurs cette première forme

de l'expiation ne suffirait plus. Aux effusions intimes et aux manifes-


tations extérieures de la pénitence s'adjoindraient des actes liturgiques
à la vertu propitiatoire desquels les rapatriés auraient la plus vive
confiance. Les sacrifices expiatoires occuperaient dans la liturgie
400 REVUE BIBLIQUE.

postexilienne une place qu'on ne leur connaissait pas auparavant.


5°) Les anciens prophètes l'avaient déjà déclaré le salut d'Israël :

ne se réaliserait point masse du peuple châtié pour son obs-


par la ;

tination, il n'en survivrait qu'un petit reste auquel passerait l'héritage


des promesses On pouvait toutefois
(1). hésiter sur le sens de ces
oracles et se demander jusquà quel point ils n'étaient pas condition-

nels. Isaïe parlait bien d'un incurable aveuglement (2) ; si pourtant


Juda venait à montrer docile à la parole de Dieu,
se ressaisir, à se
était-il quand même et pour toujours sous le coup de Fanathème (3)?
Dès les premiers temps de l'exil, l'illusion était devenue impossible;
rien n'avait eu raison de l'endurcissement du peuple. Il était évident

qu'il n'y avait plus à compter sur la masse. Or Jérémie et Ézéchiel


avaient nettement proclamé que cette masse perdue et condamnée'
était avant tout constituée par les Juifs demeurés en Palestine
après 598. C'était donc en terre d'exil qu'il fallait chercher le petit
reste sur lequel reposaient les espérances. Les captifs avaient de ce
chef le devoir de se désolidariser de la masse et, sans défaillance, de
se préparer à l'accomphssement de leur destinée. Il était d'une
grande opportunité qu'ils s'affermissent dans cette attitude. Après le
retour en Palestine comme avant le départ, les bonnes volontés se
heurteraient perpétuellement au péché de la masse, au péché qui
compromettrait l'œuvre de Dieu, qui empêcherait l'ensemble de la
nation de participer aux bénédictions annoncées par les prophètes.
Toujours les fidèles ne formeraient qu'un groupe restreint au sein du
peuple. Obligés de se désolidariser des attaches ancestrales elles-
mêmes, ils constitueraient, au milieu de l'Israël selon la chair, le
véritable Israël, l'Israël selon l'esprit, l'Israël des promesses et des
bénédictions.
6°) Mais, de nouveau, le seul fait d'apparteni rau groupe des exilés
n'assurait pas une place certaine dans le petit reste dont avait parlé
Isaïe. Ézéchiel était là pour le déclarer : la participation active ou
passive à l'œuvre du salut n'était plus l'affaire d'une collectivité,
d'une famille. Ceux-là seuls y seraient admis qui
n'était plus l'affaire
s'en rendraient dignes par une conduite de tout point conforme à la
volonté divine. De là cette préoccupation qui, en des temps encore
lointains, dégénérera en scrupule, de se conformer au bon plaisir
divin. De là cette piété profonde, sincère même en ses déviations, qui

(1) Is.. VI, 13'?; cf. MI, .3; X, 20-22; etc. - (2) Is., m. 9-13''".

(3) L'atlilude d'Isuie lui-même lors de l'invasion de Sennachérib invitait à poser de


scmblaliles lucstions.
CAME JUIVE AU TEMPS DÇS PERSES. 401

sera l'une des caractéristiques les plus frappantes des Ames convain-
cues.
7") Cette piété aura ses caractères très particuliers. Inspirée prin-
cipalement par le Deutéronome, elle aura pour fondement un tel

attachement au vrai Dieu qu'à tout jamais, il écartera le péril


d'une compromission quelconque avec l'idolAtrie et ses pratiques.
Par ailleurs, elle s'exprimera surtout en forme d'obéissance, par une
fidélité chaque jour croissante aux préceptes de la Loi, de la Loi
deutéronomique avant tout, mais aussi de tous les codes à l'étude
desquels les exilés, puis les rapatriés, appliqueront successivement
leur esprit.
8°) La similitude des fins à réaliser et la poursuite d'un idéal tout
pareil auraient suffi à établir entre les exilés fidèles les liens d'une
étroite fraternité ; la nécessité de faire face à l'opposition, au moins
tacite,de la masse n'aurait pas manqué d'aviver encore ce sentiment.
L'esprit même du Deutéronome concourut à accroître l'intimité de ces
rapports et à imprimer au Judaïsme ce caractère familial qui en sera
l'une des notes les plus dignes d'attention au regard de l'étranger.
Bientôt cet esprit de fraternité s'exprimera en une organisation cfui,
au milieu de la nation, aboutira à la constitution d'une véritable
communauté religieuse, d'une véritable Église. Mais inutile d'anti-
ciper sur le cours normal des événements.
9°) Tout pénétré de piété, ce groupe fidèle mettait au premier plan
des vicissitudes historiques ce qui concernait la religion. Le Deuté-
ronome orientait les préoccupations dans la direction du Temple.
Dès 598, les âmes pieuses gémissaient des profanations dont il avait
été l'objet lorsque Nabuchodonosor en avait retiré les ustensiles
sacrés. de retourner bientôt à la montagne sainte et,
Leur désir était
porteurs des trésors que le monarque chaldéen leur aurait restitués,
de rétablir le culte divin dans toute sa splendeur. Le jour était loin
où ces rêves s'accompliraient; tout autres seraient les réalisations

immédiates.
10°) C'est du Temple qu'au regard des exilés et conformément à des
oracles déjà anciens devait étendre sa souveraineté sur
(1), Yahweh
son peuple avant de la faire rayonner sur l'univers tout entier. Hélas!
jusqu'à cette heure, et même en Israël, et même à Jérusalem, le
gouvernement divin n'avait obtenu que des résultats imparfaits et
éphémères. Jamais les fidèles serviteurs de Yahweh n'auraient pu se
contenter d'aussi maigres résultats. La Jérusalem actuelle ne pouvait

(1) Is., Il, 2-4.


402 REVUE BIBLIQUE.

leur suffire; de très bonne heure, ils s'habituèrent à aspirer vers une

Jérusalem future, capitale parfaite d'un Israël parfait. Ces aspirations


ne trouvèrent jamais leur pleine réalisation. Pas plus après l'exil
qu'auparavant, la terre de Palestine ne vit le complet épanouissement
du règne de Dieu annoncé par les voyants. Mais les fidèles conti-
nuèrent d'attendre et d'attendre encore. Quand leurs espérances leur
parurent définitivement supérieures à ce qu'étaient susceptibles de
produire les mouvements de l'histoire humaine, ils escomptèrent des
bouleversements cosmiques qui auraient pour terme le renouvelle-
ment des cieux et de la terre. Quand il fut é^vident que la terre ne
pourrait être le lieu du triomphe complet et indiscuté du Très-Haut,
ilsorientèrent leurs regards vers le ciel et l'éternité. Pendant ce temps
et au milieu de ces fluctuations, l'Esprit de Dieu préparait la véri-
table réalisation de l'œuvre prédite par les prophètes.
Telles étaient, au moins quant aux grandes lignes, les dispositions

qui allaient s'accentuant dans l'esprit et le cœur des exilés entre les

deux sièges de Jérusalem. Il est facile de reconnaître en ces idées et


ces sentiments les premiers linéaments de l'âme juive. Des événe-
ments d'une immense importance contribueraient à les préciser.

[A suivre.)
J. TOUZARD.
LES SYMBOLES DE DAMEL

S'il est un livre qui ait une réputation de symbolisme, c'est celui

de Daniel. La statue aux éléments hétérogènes, l'arbre abattu dont


on ne laisse subsister que animaux qui s'entre-déchi-
la racine, les

rent et les cornes belliqueuses sont dans toutes les mémoires. Au-
cune de ces narrations pittoresques ou pathétiques ne nous a été
transmise dans un but purement historique ou littéraire. Leur intérêt
réside essentiellement dans leur signification symbolique, à saveur
de parabole.
Le lecteur ne s'attend pas à trouver ici un commentaire détaillé, qui
nous entraînerait en de nombreuses digressions étrangères à l'objet
de cet article. On se bornera à résumer la physionomie générale de
chaque symbole, et l'on mettra un soin particulier à en dégager la
signification symbolique. Encore est-il que cette tâche se trouve déjà

aux trois quarts remplie par l'auteur sacré lui-même qui a pourvu
chaque symbole d'une longue explication. En maints endroits ces
commentaires ne laissent rien à désirer. L'auteur écrit les noms
propres en toutes lettres, ou bien il décrit les personnages avec une
telle exactitude qu'on ne saurait s'y méprendre. Il est des cas cepen-
dant où ses indications ne sont pas aussi précises. Et c'est alors que
les exégètes se hâtent de reprendre leur hberté, en nous offrant les
solutions les plus variées. On s'efforcera ici d'apporter quelque lu-
mière en ces points controversés, en les étudiant à la lumière des
principes qui régissent l'exégèse symbolique.
On étudiera d'abord grandes visions des chap. ii, vu et
les trois

VIII, qui, se rapportant au même sujet, demandent à


être exphquécs

par la même méthode. Viendront ensuite les svmboles du chap. iv


sur l'arbre abattu et celui du chap. v sur l'inscription de Baltasar.

1. La statue aux éléments hétérogènes : ii.

Symbole. —
Contentons-nous d'un simple résumé destiné à en
rappeler les grandes lignes. La deuxième année de son règne. Xabu-
404 REYLE BIBLIQUE.

chodonosor vit en songe une statue géante, dont les éléments divers
frappèrent vivement son attention. Elle avait la tête d'or, la poitrine
et les hras d'argent, le ventre
et les cuisses d'airain, les jambes de

fer les pieds de fer amalgamés. Soudain, voici qu'une


et d'argile

pierre se détache spontanément de la montagne et vient frapper la


statue dans sa partie la plus faible, aux pieds de fer et d'argile.
Aussitôt, la statue entière de s'écrouler. Dans sa chute, tous ses élé-
ments, or, argent, airain, fer, argile, sont pulvérisés, puis dispersés
au vent comme la balle des aires, tandis que la pierre devient
grande comme une montagne et remplit la terré entière (ii, 31-35).
Symbolisme. —
Daniel, qui dévoile le songe au monarque, lui en
découvre également la signification. Les quatre éléments dont se
compose la statue, or, argent, airain et fer amalgamé d'argile, re-

présentent tout autant de royaumes. L'or de la tête, Daniel le dit


sans ambages, c'est Nabuchodonosor. L'argent de la poitrine, l'airain
des cuisses, le fer des jambes désignent d'autres royaumes qui se
supplanteront à tour de rôle', mais dont la puissance et la force de
cohésion iront en diminuant, ainsi que l'indiquent leurs symboles
respectifs. Le dernier de ces quatre royaumes sera remplacé à son
tour par un royaume suscité de Dieu, c qui ne sera jamais détruit,
et dont la domination ne passera point à un autre peuple » (v. i4).
La tâche des exégètes commence où finissent les explications de
Daniel. Elle se révèle surtout laborieuse, dès qu'il s agit de déter-
miner royaumes symbolisés par l'argent, le fer et l'amalgame
les
de fer et d'argile. En somme, les exégètes ne sont d'accord que sur
le royaume de Nabuchodonosor. Partout ailleurs, grande complica-
tion de systèmes. Qu'on en juge. Pour les uns, le second royaume est
celui des Mèdes, le troisième celui des Perses, le quatrième celui
d'Alexandre, bientôt partagé entre les Ptolémées et les Séleucides.
Pour d'autres, second royaume est l'empire médo-perse, le troi-
le
sième celui d'Alexandre et de ses successeurs, le quatrième celui des
llomains. Pour d'autres enfin, le second est le médo-perse, le troi-
sième celui d'Alexandre, le quatrième celui des Séleucides et des

Ptolémées.
Tout bien pesé, c'est à ce dernier système qu'on croit devoir se
rallier dans cette élude. C'est, en effet, la combinaison qui s'impose,
si l'on établit deux choses l"que le deuxième royaume doit être
:

collectivement celui des Médo-Perses 2° que le quatrième ne saurait


;

être celui des Romains. Si Ton fait la preuve de ces deux points, il
suit naturellement que le troisième royaume est celui d'Alexandre,
et le quatrième celui des rois de Syrie et d'Egypte.
LES SYMBOLES DE D,\MEL. 405

Le second royaume est collectivement celui des Mcdo-Perses. Il


1*^

ne semble pas que les anciens aient jamais contesté cette affirmation.
Toute l'école de saint Jérôme et de Théodoret, qui voyait les Romains
dans le quatrième royaume, et les Macédoniens dans le troisième,
identifiait logiquement le deuxième avec les Médo-Perses (saint
Jérôme) (1) ou du moins avec les Perses (Théodoret). La distinction
des Mèdes et des Perses, avec la préoccupation de les assimiler à deux
éléments de la grande statue, a vu le jour en ces dernières années.
Elle est proposée entre autres par Behrmann (2), Driver (3), Marti (i)...
Il peut être intéressant de connaître les raisons alléguées. Si le livre

de Daniel, observe Driver, nous représente parfois les Mèdes et les


Perses comme un seul peuple (v, 28; vi, 8, 12, 15; viii, 20), d'autres
fois il nous les montre comme deux royaumes différents; il a soin
par exemple de distinguer le règne de Darius le Mède (v, 31 vi, 1, ;

2, 15, 25, 26; ix, 1) et celui de Cijrus le Perse (vi, 28; cf. x, 1).
N'est-ce pas encore Daniel qui insiste sur la différence des deux cornes
(viii), et qui nous laisse entendre que celle des Perses était sensible-

ment plus grande que celle des Mèdes? A ces remarques Marti en
ajoute une autre tirée de la vision de la statue elle-même. Le deuxième
royaume, observe-t-il, est plus petit que le premier, et sans doute
plus petit que le troisième, dont il est dit qu'il « dominera sur toute
la terre » (ii, 39). Ces données ne conviennent-elles pas exactement aux
royaumes des Mèdes et des Perses? N'est-ce pas d'ailleurs le livre de
Daniel qui donne comme successeur au Mède Darius le Perse Cyrus?
Ces faits sont partiellement exacts, mais ils contiennent aussi cer-
taines confusions, cause de malentendus. Daniel parle bien à plu-
sieurs reprises de. Darius le Mède et de Cyrus le Perse. Mais il ne
signale par là que la diversité des races, laquelle demeure indiscu-
table. Jamais ne nous présente ces deux peuples comme constituant
il

deux royaumes différents. Ou bien ils ne forment qu'un même tout


indivis, ou bien ils ne se distioguent que comme les deux parties d'un
même tout; par exemple, lorsqu'on nous dit que l'ours dresse l'un de ses
côtés (vu, 5), que le bélier a une corne plus haute que l'autre (vni, 3). .

La distinction des races n'est pas un obstacle à l'unité du royaume,

(1) (Regaum Jérôme, Medorum videlicet atque Persarum, quod argenti


aliud), écrit saint

habet siinilitudinem, minus priore et majus sequenti (in ii, 39); cf. Théodoret, P.] G.,

t. LXXI, coL 1304.

(2) Das Buch Daniel


(Handkommentar de Nowack), 1894, p. 16. Cependant Behrmann
est encore hésitant.
(3) The Daniel (The Cambridge Bible), 1900, p. 28, 29.
BooJ, of

(4) Das Buch Daniel (Kiirzer Uand-Commentar), 1901, p. 15.


406 REVUE BIBLIQUE.

de même que la distinction des parties ne nuit pas à Funité du tout.

Par là même s'évanouissent les difficultés de Driver et de Marti.


Dès ne s'oppose à ce que les raisons positives, favorables
lors, rien

à l'uiiitc symbolique de l'empire médo-perse, reprennent toute leur


valeur. Elles seront exposées plus longuement ci-après. Rappelons
seulement ici qu'un auteur doit s'expliquer, dans la mesure du pos-
sible, par lui-même, et que, s'il a exprimé quelque part sa pensée

dans toute sa clarté, il faut projeter cette lumière sur les parties
restées plus obscures. Or, d'après les déclarations autorisées de
Daniel lui-même (viii, 20), la Mnlie
forment qu'un
et la Perse ne
royaume, symbolisé par le même animal, un bélier à deux cornes
(vm, 3). La déclaration est explicite. Il n'y a pas lieu de supposer,
sans preuves, que la pensée de l'écrivain a oscillé sur un élément
symbolique de cette importance. Ou n'est donc pas fondé à croire
que les Mèdes et les Perses aient d'abord joué deux rôles indépen-
dants dans son symbolisme, et constitué à ses yeux deux çoyaumcs
distincts. Plus on étudie Daniel, plus on se convainc de l'unité admi-
rable qui préside dans tout son ouvrage au développement du sym-
bolisme. Le chap, ii, avec sa vision inaugurale, ne fait pas exception.
Concluons avec saint Jérôme, Théodoret, et généralement les inter-
prètes catholiques, que le deuxième royaume doit être identilîé avec
l'empire médo-perse.
Le quatrième royaume ne saurait être celui des Ro?nains. Plus

encore que la question précédente, l'identification du quatrième


royaume offre matière à controverse. On- connaît déjà l'opinion qui
a eu le plus de vogue depuis nos jours. Saint
l'antiquité jusqu'à
Jérôme, Théodoret, Maldonat, G. a Lapide, Calmet, Trochon, Vigou-
reux, Knabenbauer, Crampon... identifient le quatrième royaume
avec l'empire romain. Par contre, les critiques, Behrmann, Driver,
Marti..., qui ont distingué le royaume mède et le royaume perse, se
voient contraints de grouper dans le quatrième symbole l'empire
d'Alexandre de ses diadoques, syriens et alexandrins. D'au-
et celui
tres auteurs enfin, à la suite de l'Oratorien lloubigant, réservent au
seul Alexandre le troisième royaume, et ils attribuent collectivement
le quatrième aux Séleucides et aux Ptolémées. C'est le système au-
quel on croit ici devoir se ranger. Cette position paraîtra justiliée,
dès qu'on aura montré que le quatrième royaume ne saurait être
celui des Romains.
Dom
Calmet en exposait déjà les raisons avec beaucoup de sagacité
et une visible sympathie, bien qu'il estimât préférable de suivre
dans son commentaire l'opinion la plus commune. 11 écrivait u Si ce :
l.ES SYMBOLES DE DANIEL. 407

quatrième empire n'est pas celui des Romains, ce ne peut êtie que
celui des rois d'Egypte et de Syrie. Tous les caractères que lui donne
Daniel, conviennent à ces deux royaumes (1) ». l*ai'mi ces caractères
le savant Bénédictin relevait :
1° la « dureté, marquée par le fer,
qui désigne la violence et la cruauté de ces monarques envers le
peuple de Dieu »; 2° les destitutions de généraux de princes^, con-
et
formément à ces paroles : « Ils briseront et mettront en pièces tous
les autres empires » 3° « les divisions continuelles qui régnèrent
;

entre ces deux empires, et le mélange de bonnes et de mauvaises


qualités dans les princes qui succédèrent à Séleucus et à Ptolémée » ;

« les efforts que firent ces princes pour se réunir par des mariages
"i-"

et des alliances, et l'inutilité de leurs desseins... ».


Dom Galmet écrivait encore « Si l'on compare cet endroit de :

Daniel avec ce qui est dit ci-après aux chapitres vu, 7 et viii, on
22,
remarquera aisément que prophète dans tous ces le endroits n'a eu
qu'un même objet et n"a voulu marquer qu'une môme chose, et
que toutes les circonstances de la prophétie ne peuvent commo-
dément s'expliquer que de l'empire des Séleucides et de celui des
Lagides (2) ».
Les critiques venus depuis le dix-huitième siècle n'ont eu qu'à dé-
velopper ces arguments pour donner toute sa force à leur interpré-
tation, Comme on le voit, ces raisons peuvent se ramener à deux
chefs : 1° ladu quatrième royaume, tracée par Daniel,
description
convient aux royaumes des Séleucides et des Lagides beaucoup mieux
qu'à l'empire romain; 2*' cette identification respecte davantage les
lois universelles du symbolisme.
La première preuve n'a guère besoin de longs développements.
Le chap.'ix, 5-i5, qui nous raconte en détail les multiples intrigues
des cours d'Antioche et d'Alexandrie, constitue le meilleur com-
mentaire du chap. II. On peut y voir à quel point l'histoire coïncide
avec la vision. En revanche, l'histoire souffre violence, dès qu'on
essaie de ramener l'empire romain aux proportions du quatrième
royaume. Voici, par exemple, le commentaire de saint Jérôme « Le :

quatrième royaume, qui manifestement se rapporte aux Romains,


est désigné par le fer qui brise et dompte tout. Mais ses pieds et

ses orteils sonten partie de fer et en partie d'argile, ce qui se vérifie


de nos jours de la manière la plus éclatante. Si, dans le début, il
n'y eut rien de plus résistant que l'empire romain, il n'y a rien à

(1) Commentaire littéral sur Daniel, 1730, p. 583.

(2) Op. cit., p. 384.


408 REVUE BIBLIQUE.

la fm de plus faible, puisque, dans nos luttes intestines aussi bien


que dans nos guerres contre les différentes nations, nous avons besoin
du secours des barbares (1) ».

Cependant, qu'on ne s'y méprenne point, les divergences sont en


core plus frappantes que les analogies. Le texte sacré ne dit pas que
le royaume, d'abord résistant, ira
s'affaiblissant dans la suite, comme

le pensent les partisans de l'opinion précitée. Il nous le représente


ayant conjointement la solidité du fer et la fragilité de l'argile (v. ki
et 42). D'ailleurs, si le prophète n'avait voulu parler que de la fra-
inhérente aux institutions humaines et prédire un affaiblisse-
"•ilité

ment à longue échéance, sa description conviendrait-elle à l'empire


romain qui, à lui seul, a duré plus que les empires de Nabuchodo-
nosor, de Cyrus et d'Alexandre tout ensemble? Que l'on remarque —
en outre le v. 43 « Si tu as vu le fer mêlé avec l'argile, c'est qu'//5
:

seront mêlés par des semences cV homme, et ils n'auront pas de


cohésion l'un avec l'autre, de même que le fer ne s'allie pas avec
l'argile ».D'où viennent' ce pluriel inattendu ils seront mêlés, et ce :

curieux complément jjcir des semences d'homme, et ces pronoms


:

particularisés l'un avec Vautre? Ces mots ne désignent pas ici des
:

masses populaires anonymes, les sujets quelconques d'un empire


contractant entre eux des alliances matrimoniales. Cela se fait par-
tout, et le prophète n'aurait pas eu besoin de le noter en particulier
du quatrième royaume. Il s'agit de deux groupes nettement déter-
minés [Vun avec l'autre), essayant de s'unir, de s'allier par des
mariages, et ne réussissant par ces vaines entreprises qu'à mieux
accentuer leur irrémédiable incompatibilité. On chercherait vaine-
ment ces deux groupes distincts dans l'empire romain, tandis qu'on
les trouve tout naturellement dans les Séleucides et les Lagides. Le
chap. XI de Daniel lui-même nous les montre combinant sans cesse
de nouvelles alhances matrimoniales, interrompues par des guerres
implacables.
L'autre série de preuves, avons-nous dit, se fonde sur les lois

générales du symbolisme.
1° C'est un fait constant que les prophètes expriment volontiers
une même pensée au moyen de plusieurs symboles. Pour marquer la

ruine prochaine de Jérusalem, Jérémie allait cacher sa ceinture sur


les bords de l'ouady Fara et il brisait sa gargoulette dans la vallée

(t) In h. l. Dans La Sainte Bible de Crampon (traduction), on lit au sujet du v. 40 :

« Les Jambes de fer qui lui sont attril)uées vers. 33, se rapportent sans doute à la pre-
mière période de son Jiisloire (de l'empire romain), périoiie de force irrésistible; dans la

seconde période, celle du fer uni à l'argile, à la force se joindra la faiblesse ».


LES SYMBOLES DK DANIEL. 400

de Ilinnom. Pour prôtlire la même catastrophe, Ézéchiel se chargeait


de chaînes, dessinait d'étranges croquis sur les briques d'argile,
restait de longs mois sur le côté, s'astreignait à un régime alimen-
taire des plus sévères, rasait tous ses cheveux qu'il utilisait pour
de mystérieuses pratiques, sortait nuitamment de sa maison par une
brèche de la muraille, contenait sa douleur à la mort de sa femme.
Avant eux, pour marquer l'infidélité d'Israël, Osée avait contracté des
mariages, déshonorants et donné des noms symboliques aux enfants
de sa première femme. — ne serait donc pas surprenant que Daniel
Il

eût consacré plusieurs symboles au même sujet ou à des sujets


analogues.
2° Cette possibilité théorique se change en probabilité pratique,
lorsque les symboles en question paraissent construits de la même
manière, et qu'ils ont, pour ainsi dire, un air de famille. C'est le cas
pour symboles des chap. ir, vu et vin. Qu'on en juge par le
les
simple rappel de leur dessein général. Au chap. ii figurent quatre
royaumes s'éliminant à tour de rôle, dont le quatrième surtout se
fait remarquer par sa brutalité (fer) en même temps que par ses

divisions et sa fragilité (fer et argile). Ce royaume doit lui-même


être remplacé parun royaume indestructible, qui subsistera à
jamais. Le chap. vu met en scène quatre bêtes, extraordinaires, bien
redoutables toutes les quatre, mais surtout la quatrième, qui est
« terrible, eftrayante et extraordinairement forte », armée de grandes

dents de fer (le fer, ici encore), qui dévore et brise tout (exactement
comme le fer de la statue), qui est hérissée de dix cornes, puis d'une
onzième dont les méfaits ne peuvent se décrire avec des expressions
humaines. Mais voici qu'à son tour cette « bête est tuée, et son corps
détruit et livré au feu » (vu, 11); et l'on voit s'avancer avec les
nuées comme un Fils d'homme qui reçoit « domination, gloire et
règne », et sa « domination est une domination éternelle qui ne
passera point, et son règne ne sera jamais détruit » [ibid., 14). Ce
deuxième symbole a évidemment une étroite affinité avec le pre-
mier. Entre autres choses, on ne peut s'empêcher de noter, d'une
part, les ressemblances de la quatrième bête avec le fer et Vargile
de de l'autre, l'analogie du royaume accordé au Fils
la statue, et,
d'homme avec le royaume issu de la petite pierre. Ce n'est pas —
tout. Le chap. viii évoque d'autres bêtes symboliques un bélier qui, :

d'après le texte, représente l'empire médo-perse, un Jeune bouc qui


symbolise le de Javan (Grèce), Alexandre. La corne unique du
roi
bouc est bientôt remplacée par quatre cornes, et l'une de ces der-
nières donne ensuite naissance à une petite corne qui mène une
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. \V. 27
410
REVUE BIBLIQUE.

guerre farouche contre peuple de Dieu, son sanctuaire et son


le

çyj^g A lire cette vision sans idée préconçue, il devient évident


que la pelite corne du chap. viii est à identifier avec la onzième
l'autre, d'après les termes
corne du chapitre précédent. L'une et
mêmes du récit (vu, 24-; viii, 23), réprésentent un roi à l'orgueil
démesuré, qui persécute le peuple et la religion de Jahvé. Le
chap. VIII annonce clairement (v. 9) que ce roi appartiendra à l'une
des dynasties qui doivent se partager l'hi'ritage d'Alexandre. Plus
précis encore, le chap. xi (21-45) ne laisse plus de doute à cet égard.
Ce redoutable potentat n'est autre qu'Antiochus Épiphane, le ter-
rible persécuteur des Juifs à l'époque machabéenne.
Saint Jérôme et ses partisans reconnaissent qu'aux chap. viii et ix
la petite corne et Vhomme méprisé désignent Antiochus Épiphane.
Mais ils n'osent appliquer le même système d'interprétation aux
chap. Il et VII. C'est le seul néanmoins qui rende aux visions de Daniel
une cohésion forte et harmonieuse.
3" Il est une dernière remarque d'une portée générale qui trouve

ici son application. Lorsque V horizon


historicité d'un prophète est

circonscrit d'une manière précise, on ne saurait sans anachronisme


élargir davantage ce champ de vision. Non certes qu'on puisse fixer
des limites à l'Esprit de Dieu et à son action prophétique Dieu reste ;

lointain. Néanmoins,
libre de révéler à ses messagers l'avenir le plus
il n'a pas coutume de révéler
tout Favenir à chacun de ses prophètes.

A l'un révélera le schisme des dix tribus, sans lui découvrir l'his-
il

toire des deux royaumes séparés. A un autre il annoncera la dépor-


tation des Juifs en Chaldée, sans lui apprendre à quelle époque l'exil
doit finir. A un montrera l'avenir d'Israël sous la domi-
troisième il

nation des Perses, sans l'instruire des événements qui se produiront


à l'époque des Machabées. A un quatrième il révélera les circons-
tances qui marqueront la venue du Messie et la fondation de son
royaume. A celui-ci il peut découvrir les grandes lignes de l'histoire
ecclésiastique, aux yeux de celui-là soulever un coin du voile derrière
lequel se préparent les grandes catastrophes eschatologiques. S'il est
criminel de restreindre arbitrairement la portée des révélations dont
le Saint-Esprit a favorisé ses prophètes, davantage permis
il n'est pas

de faire entrer dans leur champ de vision des événements dont l'Es-
prit n'a pas jugé à propos de les instruire. L'exégète constate
l'oracle

prophèti(iue, il en note la réalisation; mais il doit s'en tenir avec un


religieux resi)ect aux termes mêmes de la prédiction, sans y mêler
des prophéties de sa façon.
Or, s'il y a une chose certaine, c'est que, dans les chapitres les
LES SYMBOLES DE DANIEL. 411

plus clairs de Dani(>l, la perspective historique se termioc à la mort


d'Antiochiis Épiphane. Il en est ainsi au chap. viii, 25, où Ton voit
que \a. petite corne est brisée; au chap. ix, où, d'aprôs Tinterpréta-
tion qui semble de beaucoup la plus vraisemblable, la destruction
finale s'abat sur le dévastateur (npitr, souvent traduit à tort le dé-
vasté), c'est-à-dire encore sur Antiochus Épiphane; au chap. xi, où
l'histoire si détaillée des Sélcucides et des Lag-ides s'arrête brusque-
ment à ces mots qui visent toujours Antiochus : « Puis il arrivera à
sa fin' et personne ne lui viendra en aide » (v. 45). Il est enfin très
remarquable qu'à la mort d'Antiochus Épiphane succède immédia-
tement la grande vision des événements eschatologiques (xii).
Par contre, on observe que nulle part, dans le livre, il n'est fait
explicitement mention des Romains et de leur empire. Bon nombre
de commentateurs, on l'a vu, découvrent cette mention dans la vision
de la statue et dans celle des quatre grandes bétes. Mais on con-
viendra que pas un mot du texte ne suggère ni ne favorise cette
interprétation, laquelle est nettement contredite par tout le contexte
historique de l'ouvrage.
Il semble que de tels faits autorisent la conclusion suivante :

Les deux visions du début, comme toutes les autres, s'appliquent


respectivement aux Ptolémées, aux Séleucides et à Antiochus Épi-
phane.
4" Mais alors, demandera-t-on peut-être, pourquoi Daniel ne s'est-il

pas expliqué plus clairement dans ces deux premières visions, aussi
clairement que dans les suivantes?
Formulée de la sorte, cette question témoignerait d'une certaine
inexpérience exégétique. Il suffit de se rappeler les oracles les plus
célèbres pour savoir que les prophètes n'ont pas tout découvert, n'ont
pas tout vu, n'ont pas tout dit dès la première fois, sitôt qu'il leur
était donné de contempler un mystère. L'Esprit de Dieu semble avoir
constamment suivi à leur égard une méthode de révélations pro-
gressives. Tantôt il leur montrait l'avenir en gros, dans un ensemble
où les détails demeuraient encore vagues et confus; tantôt il leur
découvrait un détail dans toute sa lumière, puis un autre, sans leur
montrer comment le second se rattachait au premier, et comment
tous les deux s'intégraient dans l'ensemble. La révélation totale se
compose de ces aperçus fragmentaires, qui s'éclairent les uns les
autres et se complètent. Qu'on se souvienne des grandes prophéties
de l'Emmanuel et du Serviteur de Jahvé.
En l'espèce, il n'y a pas lieu de s'étonner que l'histoire des Séleu-
cides ne soit qu'à peine esquissée dans la première vision de Daniel (ii).
412 REVUE BIBLIQUE.

qu'elle se précisegraduellement au cours des chap. vu et viii, pour


être ensuite, eu quelque sorte, racontée ex professa au chap.
xi.

Cette gradation prophétique semble avoir été la loi constante de tous


les voyants.
Concluons Dans la vision de la statue (Dan. ii), le fer mêlé d'argile
: ,

ne saurait symboliser l'empire romain; il représente uniquement et


en bloc les Lagides et les Séleucides, héritiers immédiats de l'empire
d'Alexandre. Le fer des jambes présage leur redoutable tyrannie;
le mélange du fer et de l'argile dans les pieds figure leur manque

de cohésion, source de faiblesse et cause de ruine.


Cette solution prépare celle qui convient à la pierre qui, détachée
sans cause apparente de la montagne, vient frapper la statue et en
réduit tous les éléments en poussière. Saint Jérôme, suivi encore ici
par un certain nombre d'interprètes catholiques, pense que la pierre
symbolise Notre-Seigneur dans sa naissance virginale, qui brise tous
les royaumes, devient une grande montagne et remplit toute la terre :

In fine... abscissiis est lapis, Domhms atque Salvator, sine manibiis,


id est, absque coitn et humano semine, de utero virginali, et con-
tritis omnibus regnis, factus est mous inagnus, et implevit universam
terram (1).
incontestable que le symbolisme de cette fin de vision est en
Il est

rapport direct avec le royaume messianique. Est-ce à dire que la pierre


représente directement le Sauveur en personne? Voici quelques
raisons d'en douter. 1" D'après le contexte général, la pierre doit
représenter un royaume plutôt qu'un roi. Sans doute l'or qui forme
la tête de la statue représente Nabuchodonosor (ii, 38), mais ce roi
chaldéen figure surtout ici comme type de toute sa dynastie,- témoin
ces mots du verset suivant : Après, toi, il un autre royaume.
s'élèvera
En tout cas, l'argent et l'airain symbolisent clairement des royaumes
(v. 39) plutôt que des individus (2). — 2° C'est encore l'interprétation
suggérée par le texte à propos de temps de ces
la pierre : « Dans le

rois, le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais dé-


truit... )) (v. hk). Si Daniel avait en vue un roi considéré sous un
aspect personnel, ne semble-t-il pas qu'il s'exprimerait d'une autre
manière? Il dirait par exemple « Le Dieu du ciel suscitera un roi :

qui ])risera les autres royaumes et dont l'empire sera éternel ». La

(1) lu h. l.

(2) On verra ci-dessous que, dans les symboles de Daniel, le roi a d'éfroiles alFinilés
avoc le royaume, au point que le prophète parle indilTiTCminenl de l'un ou de l'autre,
surtoi'l lors(|u'il s'a^^il de l'éj>0(]ue messianique. Néanmoins, dans le symbole actuel, il

semble bien que l'idée de royaume accajiare le relief du discours.


LliS SYMBOLES DE DANIEL. 4i;î

couleur tout impersonnelle de son langage indique qu'il pensait


avant tout à un royaume.
La pierre de montagne ne désignait donc pas directement le
la
Messie, fondateur du royaume de Dieu; elle représentait le royaume
lui-même, royaume émané de la puissance divine qui doit évincer
les royaumes terrestres, en sul)stituant à leur caducité son éternité
inébranlable. Cette fin du symbole est certainement messianique,
comme le croyait saint Jérôme. Mais elle vise moins la personne clu

Messie que son œuvre, moins le roi que le royaume.


C'est ce qu'ont bien compris notamment C. a Lapide et Dora Calmet.
« Ce royaume, écrit ce dernier, est celui de .lésus-Christ, comme le
sens propre des paroles du texte le montre assez. Il est désigné par
cette pierre qui se détache de la montagne, sans la main d'aucun
homme, et qui brise l'argile, le fer, l'airain, l'argent et l'or. Ce
divin royaume est d'une nature fort différente de celle des royaumes
dont on a parlé ci-devant (1) ».
En résumé De môme que la statue se composait d'éléments hété-
:

rogènes, or, argent, airain, fer et argile;


et de qu'une pierre de la montagne, ayant frappé les j)ieds
même
de la statue, réduisit en poudre tous ces éléments,
ainsi le monde verra successivement éclore quatre empires dont
la force et la cohésion iront en diminuant. L'empire de Nabucho-
donosor sera remplacé par celui des Médo-Perses, l'empire des Médo-
Perses par celui d'Alexandre, l'empire d'Alexandre par celui des
Séleucides et des Ptolémées; ce dernier, à son tour, sera anéanti par
le royaume de Dieu, « dont la domination ne passera pas à un autre
peuple », et qui « subsistera à jamais » (2).
Combien une telle vision devait encourager les Juifs au milieu de
leurs terribles épreuves nationales!

(1) Op. cit., p. 587, 588. Encore est-il (jue Dom Calmet passe insensiblement, dans la

suite, de l'idéede royaume à celle de roi.


(2) On aura sans doute
remarqué dans ce symbole un défaut d'analogie entre le sym-
la statue restent tous amal-
bole et la réalité. Les éléments hétérogènes qui composent
d'argile, tandis que les royaumes
gamés jusqu'à ce que la pierre vienne frapper les pieds
facile de voir que cette
s'éliminent au fur et à mesure de leur apparition. Mais il est
conçoit pas sans toutes
divergence tient à la nature du symbole choisi. Une statue ne se
la poitrine d'argent avait éliminé la tête d'or,
lé ventre d'airam
ses parties intégrantes. Si
on n'aurait plus eu de statue; on n'aurait eu qu'une masse
informe...
la poitrine d'argent,
traduire la réalité des royaumes.
Le symbole de la statue se prêtait donc imparfaitement à
défectuosité dans la
Néanmoins, l'image demeure très frappante, et, malgré cette légère
concordance, elle conserve une réelle beauté.
414 REVUE BIBLIQUE.

2. Les quatre bêles et le fils d'homme : vu.

Symbole. —
Dans une vision nocturne, Daniel aperçoit quatre
grandes bêtes qui montent de la mer. La première est comme un lion
(n''ix3), avec des ailes d'aigle. La seconde ressemble à un ours

(2"S niaT) : elle dresse un de ses côtés et tient trois côtes dans sa
gueule. La troisième est comme un léopard (l-DJ^), avec quatre ailes
d'oiseau sur le dos et quatre têtes. Enfin, la quatrième est telle qu'elle
ne peut se comparer à aucun être de la création; elle est « terrible,
effrayante et extraordinairement forte », avec de grandes dents qui
brisent et dévorent tout. Elle a dix cornes, et même elle en a bientôt
une onzième, qui arrache trois des cornes précédentes; sa bouche
profère de grandes choses, elle livre aux saints une guerre sans
merci et l'emporte sur eux durant un certain temps.
Après quoi, un vieillard (textuellement un ancien des jours) -a])-
paraît sur un siège, avec une majesté ineffable, environné de ser-
viteurs en nombre infini qui s'empressent à ses ordres. La quatrième
bête est mise à mort, sans doute avec toutes ses cornes, et le voyant
aperçoit un être semblable à un homme (textuellement comme un
fils d'homjne) qui reçoit du vieillard la domination éternelle.

Symbolisme . —
Daniel demande l'explication du symbole. On lui
répond que les quatre bêtes représentent quatre rois (v. 17). Comme
il désire des renseignements particuliers sur la quatrième bête et ses
onze cornes, on lui apprend que cette bête figure un royaume; les
dix cornes représentent autant de rois de ce royaume; un autre roi,
représenté par la onzième corne, doit se lever après eux, il al)attra

trois de ses prédécesseurs et opprimera les saints du Très-Haut u?i

temps, dés temps et une moitié de temps. Mais, à son tour, ce tyran
sera anéanti et les saints du Très-Haut posséderont la domination
éterneHe (2V-27).
Daniel se tient pour satisfait de ces explications. Les commenta-
teurs, poussant plus loin la curiosité, cherchent à mettre des noms
propres sur tous ces personnages : tâche légitime, mais ardue.
L'exposé qui accompagne ci-dessus le symbole du chap. ii permet
de prévoir les principales opinions qui vont ici encore se faire jour.
Ce sont les mêmes qu'au symbole précédent. Saint Jérôme et ses
partisans identifient les quatre bêtes avec les Chaldéens, l«s Médo-
Perscs, les Grecs d'Alexandre et les Romains. Les critiques modernes^
Hchrmann, Driver, Marti, préfèrent les identifier respectivement avec
les Chaldéens, les Mèdes, les Perses, Alexandre et ses diadoques.
LES SYMBOLES DE DA.MEL. 4lo

D'autres enfin, Hoiibigant, Calmet..., les identifient avec les Clial-


déens, les Médo-Perses, Alexandre et les Séleucides. Une fois encore,
c'est ce dernier système que l'on adopte ici.

Afin de procéder méthodiquement, voyons les raisons pour les-


quelles on ne saurait donner son assentiment aux deux premiers
systèmes. Nous commencerons, comme ci-dessus, par l'opinion la
plus récente, celle de Belirmann, de Driver et de iMarti...

l'* La seconde et la troisième b<He ne sijmbolisent pas respectivement


les royaumes des Mèdes et des Perses.
Voici comment les auteurs précités énoncent leur thèse. « Il n'y a
pas de doute, écrit Behrmann, que le royaume d'Alexandre ne soit
représenté sous les traits de la quatrième bête, comme au chap. ii

il l'était par les jambes de la statue (1) », ce qui revient à dire


que
les deux bêtes précédentes symbolisent les Mèdes et les Perses. Driver
l'écrit en toutes lettres. La deuxième bête, ce sont les Mèdes, dont

l'esprit agressif est figuré par le côté dressé, et la voracité par les
trois côtesdans la gueule de l'ours. La troisième bête n'est autre
que Cyrus, et ses quatre cornes sont les quatre quartiers de la terre
conquise par le puissant monarque (2). Par suite, la quatrième bête
représente Alexandre et les royaumes issus de son empire. — Marti
constate à son tour que le chap. vu est très apparenté au chap. ii.
« En général, écrit-il, la signification ne fait pas de doute les quatre
:

royaumes sont comme au chap. ii le babylonien, le mède, le perse


et le grec (3) ».
Il faudrait répéter ici les raisons alléguées au symbole précédent
pour prouver que les empires mède et perse ne sont, au point de vue
symbolique, qu'un seul et même royaume. Puisque la vision du
chap. vin les unit formellement, l'analogie symbolique suggère de
ne point les séparer dans les visions précédentes.
Le même principe nous invite à interpréter les détails du symbole
à la lumière du commentaire authentique fourni par le chap. viii.

Voiirs qui a deux côtés, dont Vwn plus élevé que l'autre (vu, 5), rap-
pelle manifestement le bélier k deux cornes, dont l'une est plus haute
que l'autre (viii, 3). Et comme les deux cornes du bélier symbolisent
le royaume mède et le royaume perse, celui-ci plus puissant que
celui-là, il est tout naturel que les deux côtés de l'ours aient la même
signification. Pareillement l'ours qui tient trois côtes dans sa gueule
(vir, 5) est à rapprocher du bélier qui donne de ses cornes dans

(1) Op. cit., p. 45.

(2) Op. cit., p. 82, 83.

(3) Op. cil., p. 48.


416 RKVUE BIBLIQUE.

trois directions différentes, vers Foccident, le septentrion et Je midi


(viii, 4) ;
et il est tout naturel que ces deux bêtes symbolisent la
même réalité, c'est-à-dire l'empire médo-perse (viii, 20). Autant cette
interprétation paraît satisfaisante, autant les hypothèses issues du
symbolisme dualiste semblent artificielles et lointaines. Si l'ours de
la vision a l'un de ses côtés plus bas que l'autre, Marti l'explique par
l'infériorité des Modes au regard des Perses. Si l'ours a trois côtes

dans sa gueule, Driver y voit uniquement l'image de sa voracité...


Toujours d'après l'analogie symbolique, on pourrait faire ressortir
les ressemblances qui existent entre le léopard, troisième bête de la
vision présente (vu, 6), et le jeune bouc du chap. viii. Le léopard a
quatre têtes et quatre ailes d'oiseau, de même que la grande corne du
bouc donne naissance à quatre autres cornes. Puisque le jeune bouc
est le symbole d'Alexandre (viii, 21), le léopard ne saurait repré-
senter le royaume perse, comme le veulent les critiques allemands.
Ces diverses raisons, dont on appréciera la convergence, permet-
tent de conclure que la seconde bête de la vision (vu) symbolise col-
lectivement l'empire médo-perse. Par suite, la troisième bête sera la
figure d'Alexandre.
A propos du léopard, figure d'Alexandre, on pourrait se demander
si les quatre têtes et les quatre bêtes désignent les royaumes des dia-
doques en tant que déjà constitués ou comme n'ayant encore qu'une
existence virtuelle. C'est la deuxième solution qui semble la plus
probable, précisément parce que les ailes et les têtes sont encore sur
la bête. donc pas encore de persomialité distincte (1).
Elles n'ont
Partant, les royaumes ne sont encore qu'en puissance. De fait, la
quatrième bête ne représentera qu'un des royaumes issus du grand
empire grec.
T La quatrième hvte ne représente ims V empire romain. On sait
déjà que saint Jérôme a fait bénéficier cette opinion du poids de son
autorité. Pour lui, comme le fer et l'argile du chap. ii, la quatrième
bête désigne l'empire romain. A la fin du monde, inconsummatione
mundi, les dix rois se partageront cet empire, et « un onzième roi se
lèvera, faible d'abord, qui vaincra trois des dix rois, à savoir ceux
d'Egypte, d'Afrique et d'Ethiopie. Ceux-ci mis à mort, les autres sept
se soumettrontd'eux-mêmes au vainqueur ». Et le vainqueur, « c'est
l'homme dépêché, le fils de perdition, qui aura l'audace de s'asseoir

(I) On rtMoaniucra quaii cliap. suivant (viii, 8), les (|iialre cornes n'ont pas non plus
une siliialion bien définie. Elles succèdent, il est vrai, à la grande (ornc brisée, mais on
les croirait encore sur la Icle du bouc, puisqu'on n'a pas encore dit que celui-ci ait été
mis à mort.
LES SYMBOLES DE DANIEL. 417

dans temple de Dieu et de se donner comme Dieu » (1). Telle est


lo

également l'exégèse de Tliéodoret (2). Les partisans de saint Jérôme


et de Théodoret tiennent pour acquis deux points de cette solution :

l'identification de bète avec l'empire romain, et celle de la onzième


la

corne avec l'Antéchrist (Trochon, Knabcn}3auer, Crampon). Mais


quelques-uns se séparent des deux grands exégètes en ce qui touche
l'identification des dix rois. Pour Trochon, le nombre dix est « le
symbole d'un tout défini et déterminé » d'après Crampon, les dix ;

cornes « signifient la multitude d'États auxquels donna naissance la


dissolution de l'empire romain » (3). D'autres, au contraire, tels que
Maldonat, C. a Lapide, maintiennent intégralement les positions de
saint Jérôme et de Théodoret.
Mais déjà, au quatrième siècle, une solution différente avait été pro-
posée. Porphyre avait soutenu que la quatrième bête désignait les
quatre successeurs d'Alexandre, et il avait cherché dans ces quatre
dynasties dix rois particulièrement cruels, dont il avait dressé la liste.
La série se terminait sur un onzième nom, celui d'Antiochus Épi-
phane. —
Tout n'est pas exact dans les combinaisons de Porphyre;
cependant il semble que, pour une fois, il ait eu raison sur le point
essentiel, qui est l'identification de la onzième corne avec Antiochus
Épiphane. Les preuves sont celles qui ont été exposées au symbole
précédent. On pourrait y ajouter la pleine concordance de vu, 25, 26
avec l'histoire du tyran, telle, par exemple, qu'elle est racontée
XI, 31-36 : « Il proférera des paroles contre le Très-Haut, il oppri-
mera les saints du Très-Haut, et formera le dessein de changer les
temps et la loi, et les saints seront livrés en sa main jusqu'à un temps,
des temps et une moitié de temps... » (25). Antiochus Épiphane pou-
vait d'ailleurs passer pour le onzième roi des Séleucides, si l'on met-
tait en tête de la liste Alexandre, l'ancêtre illustre :

1. Alexandre le Grand (336-323)


2. Séleucus I Nicator (312-280)
3. Antiochus I Soter (280-261)
4. Antiochus H Théos (261-247).
5. Séleucus II Callinicus (246-226)
6. Séleucus Céraunus
III (226 222)
7. Antiochus III le Grand (222-187)
8. Séleucus IV Philopator (186-176)
9. Héliodore (176)
10. Démétrius I Soter (176) (4).

(1) la VII, 8. —
Op. cit., coL 1420.
(2) —
(3) La Suinte Bible, note sur vu, 7.

(4) Voir dans Driver [op. cit., p. 102) diverses autres listes.
418 REVUE BIBLIQUE.

Mais, demandera-t-on, comment expliquer qu'Antiochus Épiphane

ait abattu trois de ses prédécesseurs? Betirmann et Marti répondent


que, dans l'opinion des Juifs, Aniiochus Épiphane était responsable
de la mort de ses trois prédécesseurs Séleucus IV, son père, empoi-
:

sonné par Héliodore, Héliodore lui-même et Démétrius, fils de Séleu-


cus. Cette explication n'est pas absolument invraisemblable. En
voici

cependant une autre qui, si elle est fondée, aura l'avantage d'écarter
définitivement cette difficulté.
Le V. 8 est traduit d'ordinaire : « Je considérais les cornes, et voici
qu'une autre corne, petite, s'éleva au milieu d'elles, et trois des pre-
mières cornes furent arrachées par elle » (Crampon), et l'on entend
ces trois cornes de trois rois, prédécesseurs d'Antiochus Épiphane, qui
auraient été éliminés par lui. Mais n'y a-t-il pas une confusion autour
de ce mot (Kniaip) premiers, antérieurs? Le terme en lui-même et le
contexte immédiat donneraient sans doute à croire qu'il s'agit de pré-
décesseurs au sens habituel du mot, ayant occupé le trône d'Antioche.
Mais la suite montre que le vocable a un sens plus vague, plus indé-
terminé, et qu'en somme il ne désigne que des rois antérieurs à Épi-
phane, étrangers à la Syrie et détrônés par le terrible monarque. Le
V. 20 dit seulement que trois rois seront abattus par la corne, sans
marquer d'autre relation entre le tyran et ses victimes; le v. 24^ an-
nonce lui aussi en termes généraux que le potentat humiliera trois ((

autres rois ». N'est-ce pas également le sens du v. 24"? Nous y

apprenons que les dix cornes sont les dix rois d'un royaume , et

que la petite corne, venue après eux, est elle-même un onzième


monarque qui « abattra trois rois ». Ces derniers mots ne désignent-
pas les exploits du onzième monarque, après son élévation au trône?
ils

Comme ses prédécesseurs ont déjà disparu au moment où il ceint le


diadème, ne sont plus en état d'être déposés par lui. Son humeur
ils

guerrière aura donc à s'exercer contre d'autres adversaires. Une —


précieuse indication de viii, 9 vient appuyer cette explication. Il y est
dit « De l'une d'elles (les quatre cornes du bouc) sortit une corne,
:

l)ctite; mais elle grandit beaucoup vers le midi, vers l'orient et

vers le pays glorieux ». Ces accroissements réalisés aux dépens de


l'Egypte (midi), de Babylone et de la Perse (orient) et de la Judée


(pays glorieux), ne coïncident-ils pas avec le triomphe remporté sur
les trois rois? L'analogie symbolique nous invite une fois de plus à
le penser.
La quatrième bête n'est donc pas l'empire romain. Cette interpré-
tation se réclame de patrons plus recommandables que Porphyre.
Théodorct comptait parmi eux « des maîtres de la piété ». Sans par-
LES SYMBOLES DE DANIEL. ,10

1erdu P. Houbigant (1), voici en quels termes sympathiques Dom Cal-


met la présente « Quel([ues anciens, écrit-il, et plusieurs nouveaux
:

l'entendent (la quatrième bête) des rois successeurs d'Alexandre le

Grand..., principalement de ceux qui ont régné dans la Syrie et dans


l'Egypte et qui ont eu le plus de part aux ailaires des Juifs... Nous
proposerons ici succinctement l'hypothèse de ces interprètes..., sans
prétendre pour cela détruire le système qui entend le quatrième
empire de l'empire romain, et qui est le plus communément reçu
parmi les interprètes (2), » Mais, par la suite, chose assez curieuse,
le savant Bénédictin n'expose guère plus que le système des a nou-
veaux », si bien qu'à le lire, il devient évident qiie cette interpréta-
tion a conquis son assentiment.
Le Fils d'homine. — Pour la complète intelligence de ce symbole,
il reste à parler de l'être mystérieux, appelé « comme un fils
d'homme », qui, dans la vision, succède aux «juatre bêtes. Cette
expression parait d'abord très étrange, surtout on la sépare de son si

contexte. Elle cesse de l'être, lorsqu'on la compare avec les noms des
autres bêtes symboliques qui figurent dans la vision. Aucune de ces
dernières n'est franchement assimilée à un lion, à un ours ou à un
léopard; elles sont comme un lion, comme un léopard, elles ressem-
blent à un ours. Et la chose se conçoit, puisque ce ne sont que des
animaux imaginaires, n'ayant d'autre réalité que celle des visions
ou des rêves. La même raison explique la préposition comme dans
l'expression coîiime un d'homme; car le
fils fils d'homme n'est, lui

non plus, qu'un être de rêve ou de fiction; ce n'est pas un homme


véritable; il n'en a que la ressemblance, comme les hommes que
nous voyons en songe (3). —
Quant à la tournure fils d'homme, ce
n'est qu'une locution poétique pour dire un homme. Mais, tandis que,
dans Ézéchicl, cette expression marquait Finiirmité de la nature
humaine en face de la majesté divine, ici elle dénote la supériorité
du nouveau royaume sur les royaumes antérieurs qui n'étaient repré-
sentés que par des animaux fabuleux. La même supériorité ressort
encore du fait que le fis d'homme reçoit l'investiture dans les hau-
teurs, en présence du Très-Haut, tandis que les quatre bêtes étaient
montées de la mer et n'avaient pas dépassé la' terre. Enfin, le nou-
veau royaume l'emporte sur tous les autres par l'éternité de sa durée,
ainsi que par l'universalité de sa domination.
Ici vient se greffer une question vivement discutée parmi les exé-

gètes. En définitive, que représente ce fils d'homme? Comme il est

(1) Cité par Calraet. — (2) Op. cit., p. 651.

(3) Au chap. suivant (viii, 15), Daniel aperçoit encore comme une figure d'homme.
420 REVUE BIBLIQUE.

manifestement en relation avec le royaume des saints du Très-Haut,


les questions peuvent se circonscrire. Représente-t-il le royaume des
saints du Très-Haut, ou bienune personnaHté indépendante?
a-t-il

est-il, par exemple, le roi de ce royaume? Les anciens commentateurs

et, encore aujourd'hui, la plupart des exégètes catholiques, adoptent

ce deuxième sentiment, tandis que la plupart des critiques non catho-


liques défendent résolument le premier. « D'après l'explication
authentique des vv. 18, 22, 27, écrit Marti, il est impossible d'inter-
préter celui qui ressemble à un homme autrement que du peuple des
saints du Très-Haut, c'est-à-dire des Juifs fidèles (1). »
Essayons à notre tour d'appliquer à ce problème les principes
d'exégèse symbolique préconisés dans cette étude. A cet effet, dis-
tinguons le symbole de son application. Que dit V énoncé du symbole?
Uniquement ceci : un fils d'homme s'avance avec les nuées vers le
vieillard et reçoit en sa présence la
domination éternelle (vu, 13, 14).
Jusque-là, la signification de ce mystérieux personnage demeure
indécise. En soi, il pourrait être la représentation symbolique d'un
individu comme le symbole d'une collectivité. Que dit ï application?
Pour le savoir, nous avons à consulter finterprétation directement
assig-née au fils d'homme, et celle qui concerne les quatre bêtes de
la mer. Au sujet de ces dernières, nous lisons dans le texte massoré-
tique : « Ces quatre bêtes très grandes, ce sont quatre rois qui s'élè-
veront de la terre » (v. 17). Au lieu de rois, les Septante et Théodo-
tion portent quatre royaumes, et c'est l'interprétation que la suite
du texte propose
expressément pour la quatrième bête « Les dix :

cornes signifient que dix rois se lèveront de ce royaume » (v. 24).


La quatrième bête est donc un royaume, et qui possède toute une
série de rois. N'est-ce pas également l'interprétation suggérée par
l'analogie symbolique du chap. ii (vision de la grande statue) et du
chap. vin (le bélier et le bouc)? — Venons à l'interprétation directe du
personnage des nuées. Nous devons constater que, dans tous les ver-
sets qui traitent de lui, il n'est plus question que des saints du Très-
Haut recevant le royaume : « Mais les saints du Très-Haut recevront
le royaume » (18); « la corne faisait la guerre aux saints et l'empor-
tait sur eux, jusqu'à "ce que vînt le vieillard, et que le jugement fût
donné aux du Très-Haut, et que vint le temps où les saints pos-
saints
sédèrent le royaume » (21, 22); « le règne, la domination et la gran-
deur des royaumes qui se trouvent sous les cieux furent donnés au
peuple des saints du Très-Haut... » (27).

(\) Op. cit., p. 52.


LES SYMBOLES DE DÂMEL. 421

Tels sont les faits. D'après les principes ordinaires de l'exégèse sym-
bolique, voici quelle en est la conclusion. Comme Daniel ne mentionne
dans son application qu'une collectivité, à savoir le royaume des saints

du Très-Haut, le fils d'homme représente cette collectivité, ce royaume.


Plusieurs commentateurs, qui paraissent s'être rendu compte de
la fermeté de ces conclusions, essaient de les infirmer en montrant
que le fils d'homme ne saurait symboliser qu'un individu, nettement
distinct de la collectivité qu'est le royaume. Le d'homme, disent-
fils

ils, é'avance avec les nuées, dans les hauteurs, tandis que le peuple
des saints est sur terre, victime de la persécution d'Antiochus Épi-
phane. Le fils son investiture en présence du Vieil-
d'homme re(;oit

lard, c'est-à-dire toujours dans les hauteurs, tandis que le peuple des
saints la reçoit à l'endroit où il se trouve, c'est-à-dire encore sur
terre. — Reconnaissons-le, ces raisons, si elles étaient fondées,

seraient décisives en faveur de la distinction préconisée. Pour qu'elles


fussent fondées, il faudrait que le symbole nous présentât simulta-
nément le peuple sur terre et le fils d'homme sur les hauteurs; mais
ilne nous montre ces deux tableaux que successivement C'est uni- .

quement lorsque la quatrième bête est tuée (v. 11), c'est-à-dire lors-
que la redoutable corne elle-même est abattue, que la vision du fils
d'homme se déroule dans les cieux. Qui ne voit dès lors que le même
peuple, après avoir été persécuté sur terre, peut très bien monter
symboliquement dans les airs pour y recevoir la royauté, récompense
de son triomphe (1)?
Au surplus, ilune chose
faut noter : les nuées ne figurent que
dans le symbole proprement dit (v. 13, li), jamais dans l'applica-

tion, où le peuple des saints reçoit la royauté, sans spécification du


lieu. C'est que les nuées n'étaient qu'un élément parabolique, ayant
pour but de marquer la transcendance du triomphe réservé au fils
d'homme. Cet élément n'avait pas à reparaître dans l'application, où
l'onne s'occupe plus que des réalités positives.
il semble bien que le fils d'homme est le symbole
dr.
Concluons :

royaume des saints, tout comme les quatre bêtes sont le symbole de
quatre royaumes, chaldéen, médo-perse, macédonien et syrien.
Est-ce à dire que le sentiment de saint Jérôme et de Théodoret,
partagé par de nombreux auteurs catholiques, soit erroné ou pure-
ment accommoda tice? Bien au contraire, il rentre lui aussi dans le

sens littéral, tel qu'il a été défini. Et ceci n'est pas une gageure,

humiliations d'Israi-l
(1) Daniel insiste (vv. 21, 22, 25, 27) sur ceUe antithèse entre les
et son triomphe.
422 REVUE BIBLIQUE.

émanant d'un extrême de conciliation. C'est la simple consta-


désir

tation de certains faits relevés dans ce groupe de


symboles très com-
plexes. On aura remarqué la place que Daniel fait à tous ces rois
dans cette série de royaumes. S'il a soin de nous expliquer que les
éléments de la statue (chap. ii), les bêtes de la mer (vfi) ou celles de
la terre (vin) sont avant tout la figure de royaumes, il est amené à
identifier expressément quelques-uns de ces symboles avec certains
rois. Pour ne pas sortir du chap. .vu, mentionnons seulement les dix

rois symbolisés par les dix cornes de la quatrième bête (v. 24), et
Antiochus Épiphane, représenté par la onzième corne (1). Il y a plus.
Lorsque l'histoire d'un royaume se résume dans l'histoire de l'un de
ses monarques, Daniel parle indistinctement du roi ou du royaume,
passant avec facilité de l'un à l'autre; c'est le cas de l'empire chal-
déen personnifié en quelque sorte en Nabuchodonosor C'est toi qui :

es la tête d'or (ii, 38); après toi un autre royaume (39)...


il s'élèvera

Il peut arriver même que le royaume ne compte qu'un seul roi, ce

qui est le cas de l'empire à' Alexandre ; l'identitication est alors com-
plète, et Daniel peut écrire « Le bélier à deux cornes..., ce sont les
:

rois de Médie et de Perse; le bouc velu, c'est le roi de Javan » (viii,


20, 21).
Or, si les rois occupent une telle place dans les royaumes de Daniel
au point de s'identifier avec eux, est -il surprenant que, dans le

royaume des saints, une place de choix pour le personnage


il y ait

éminent qui devait en être l'unique roi? Car le royaume des saints,
de l'avis unanime^ n'est autre que le royaume de Dieu, dont le Mes-
sie devait être le fondateur. Ce roi s'identifiait avec son royaume,

bien plus que Nabuchodonosor avec l'empire chaldéen, bieii plus


qu'Alexandre avec l'empire macédonien. Il devait être unique comme
son royaume, permanent comme lui, universel comme lui.
11 suit de là que le symbole qui désignait le royaume des saints

pouvait s'appliquer en même temps à son roi; en d'autres termes,


que le sens littéral du vocable fils d'homme était susceptible d'em-
brasser à la fois le royaume messianique et le Messie.
L'auteur, il est vrai, applique surtout cette appellation au royaume
messianique. Mais les principes de son exégèse, tels qu'ils ressortcnt
des faits précédemment analysés, réclament que le même symbole
convienne littéralement au président de ce royaume. Et, à tout pren-
dre, c'est surtout la personnalité individuelle du roi que l'auteur
avait en vue dans la scène du couronnement sur les nuées, plutôt

(1) cr. aussi vu, 17, où TM porte : Ces quatre bêtes, ce sont quatre rois...
LES SYMBOLES DE DANIEL. 423

que personne collective du royaume, Funo étant d'ailleurs le repré-


la
sentant, la personnification de l'autre. Un royaume ne reçoit la cou-
ronne que sur la tète de son roi; il faut également un chef pour rece-
voir au nom du royaume « domination, gloire et règne ». Les symboles
de Daniel ne laissent rien soupçonner de l'anomalie sociale d'un
royaume sans roi, ou du moins sans chef visible. Tous les royaumes
qui défilent dans les visions de ce livre, royaume des Chaldéens ou
des Médo-Perses, des Grecs ou des Syriens, ont à leur tête des rois en
chair et en os. Ilen être semblablement du royaume des saints.
doit
C'est ce qu'a bien compris la tradition juive. Quelques-uns de ses
docteurs, les plus sages et les plus éclairés, paraissent même avoir
identifié le fih d'homme avec le Messie. Au deuxième siècle de notre
ère, comme certains rabbins soutenaient que les sièges préparés
auprès du Vieillard n'étaient que pour les attributs divins, la justice
et la bienfaisance, R. Aqiba, esprit libéral et sympathique, contem-
porain du fameux Bar-Cochéba, osa proclamer que l'un des sièges
était pour le Vieillard et l'autre pour David, c'est-à-dire pour le
Messie (1). — C'est aussi un fait notoire que le Sauveur est résolu-
ment entré dans de l'identification personnelle, d'abord lors-
la voie

qu'il s'est approprié ce vocable en s'appelant le Fils de l'homme,


ensuite lorsqu'il a annoncé qu'il viendrait un jour avec les nuées :
« Désormais vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la

puissance, et venant sur les nuées du ciel » (Mt., xxvi, 64). On —


comprend que la tradition chrétienne ait suivi des indications si

autorisées; effectivement, elle a toujours pensé que le ftls d'homme


de Daniel était le fondateur du royaume de Dieu, Notre-Seigneur
Jésus-Christ.
On pourrait peut-être résumer toute cette discussion en disant que
le sentiment des critiques modernes relève davantage les déclarations
explicites du symbole, et que l'opinion ancienne s'est appliquée sur-
tout à en dégager l'esprit et le sens concomitant.
C'est pourquoi, Ton demande quelle est en définitive la significa-
si

tion du fils d'homme, il faut répondre D'après les explications de :

Daniel lui-même, le fils d'homme est le symbole du royaume des


saints; mais il est également, au sens littéral, le svîubole du souve-
rain de ce royaume.
Le sentiment des critiques serait erroné, s'il excluait le roi du symbo-
lisme plénier du royaume. On compléterait l'opinion des anciens

(1) Pour ce que pour l'étude des textes des paraboles d'Hénoch
fait, ainsi et du IV« livre
d'Esdras, cf. P. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, p. 2a.5, 89...
,

424 REVUE BIBLIQUE.

exégètes, en reconnaissant que le symbolisme du royaume occupe


une place prépondérante dans les explications autorisées de Fauteur.
Résumons le symbole :

De même que Daniel assiste en vision à un défilé de quatre bHes,


dont la quatrième surtout lui parait « terrible, effrayante et extraor-
dinairement forte » ;

et de même qu'après la mort de cette dernière, un homme apparaît


au milieu des nuées, qui reçoit à jamais « domination, gloire et règne »
ainsi quatre royaumes s'élèveront de la terre, dont le quatrième
surtout se distinguera par sa cruauté et sa tyrannie à l'égard des
saints du Très-Haut;
mais son triomphe sera de courte durée; le Messie viendra, « et le
règne, la domination et la grandeur des royaumes qui se trouvent
sous tous les cieux seront donnés (en sa personne) au peuple des
saints du Très-Haut; son règne est un règne éternel, et toutes les
puissances le serviront et lui obéiront )> (vu, 27).
Sur de Daniel, cette vision devait produire une impres-
les lecteurs

sion incalculable, supérieure même à celle du premier symbole (la


grande statue). Le livre inspiré leur offrait, dans un raccourci puis-
sant, un magnifique cours d'histoire. Les royaumes humains passent
et se remplacent ils préparent la voie à l'empire divin qui ne con-
:

naîtra pas de fin. Les rois de la terre peuvent se changer en tyrans, en


persécuteurs, en bourreaux leur domination n'aura qu'un temps.
:

L'heure vient où les saints du Très-Haut seront amplement dédomma-


gés de leurs souffrances. Les vaincus connaîtront enfin le triomphe;
les opprimés jouiront de tous les bienfaits de la liberté les esclaves ;

recevront en partage la gloire, le règne éternel et la domination- uni-


verselle. Quel stimulant les Juifs durent puiser dans ces visions, aux
tristes heures d'Antiochus Épiphane! Hien n'émousse l'acuité des souf-

frances comme la certitude de leur fin prochaine. L'épreuve est à


moitié surmontée le jour où l'on est sûr qu'on en triomphera. Un
temps, des temps et un demi-temps de tribulations! Et puis, le
royaume de gloire avec son roi immortel ! Après le règne des bêles, le

règne du Fils d'homme!

3. Le bélier et le bouc : viii.

Symbole. — Il suffit de le Sur les bords


rappeler à grands traits.
de rOulaï, Daniel aperçoit un bélier à deux cornes, de grandeur iné-
gale; l'animal Irappait de ses cornes dans la direction de l'ouest, du
nord et du midi, et personne n'était capable de lui résister. Mais voici
LES SYMBOLES DE DANIEL. 42."^

qu un jeune bouc, qui n'avait qu'une seule corne, attaque le bélier


et le teiTasse. Bientôt la scène change
corne du bouc victorieux se
; la
brise et quatre autres cornes s'élèvent à sa place. A son tour, l'une
de ces dernières donne naissance à une antre corne qui attire désor-
mais l'attention du voyant. D'abord toute petite, elle ne tarde pas à
grandir aux dépens du sud, de l'ouest et du pays glorieux; elle s'at-
taque avec un orgueil éhonté à Dieu lui-môme, à son culte, à son
peuple. V! iniquité du désolateur
profanation du sanctuaire dure-
et la
ront deux mille trois cents soirs et matins; après quoi, le sanctuaire
sera puriiié ànouveau (1-14).
Symbolisme. —
Gabriel explique le symbole à Daniel. Le bélier à
deux cornes, ce sont les rois de Médie et de Perse le bouc à la grande
;

corne, c'est le roi de Javan (Alexandre); les quatre cornes issues de


la précédente seront les quatre royaumes qui doivent se partager
l'empire du jeune conquérant; enfin, la petite corne doit être un roi
au dur visage, qui prospérera par ruse, et ravagera le peuple des
saints, jusqu'à ce qu'il soit brisé à son tour... (15-26).
Cette fois, les indications du texte sont tellement formelles et pré-
cises que les commentateurs se trouvent forcément d'accord. Les an-
ciens commentateurs, saint Jérôme, Théodoret, et les auteurs catholi-
ques. Maldonat, G. a Lapide, Galmet, Vigoureux, Trochon, Knaben-
bauer, Grampon..., se rencontrent avecexégètes protestants,
les
Behrmann. Driver, Marti..., pour dire que le bélier est l'empire médo-
perse, le boilc, Alexandre, que
quatre cornes représentent les
les
royaumes de Macédoine, de Thrace, de Syrie et d'Egypte, enfin que
la petite corne n'est autre que le trop fameux Antiochus Épiphane.
On se souvient que ces données si concrètes nous ont déjà servi à dé-
terminer la signification des éléments de la statue et des bé[es de la
mer. Dom Galmet écrit cette fois avec beaucoup d'assurance « Ge :

passage est parallèle aux versets 8 et 28 du chap. vu et ne dit que la


même chose (1) ».
Tout le mondereconnaît aussi maintenant que les versets 9-13 du
chap. viii décrivent les méfaits d'Antiochus Épiphane. Seule la donnée
chronologique du v. ih jusqu'à
matins divise encore les
''2300 soirs et

commentateurs. Ge n'est pas le lieu de traiter à fond cette délicate


question. Les exégètes anciens prenaient ce chifl're pour un total de
jours entiers, soit une somme de six ans et quelques mois. De nos
jours, on préfère le considérer comme un total de soirs et de matins
en prenant pour unité chacun des deux sacrifices quotidiens. Ce pro-

(1) Op. cil., p. 669. 670.


REVUE r.IBUnlE 1918. — N. S., T. XV. 28
426 REVUE BIBLIQUE.

cédé réduit de moitié la durée effective de la persécution, en la ra-


menant à 1150 jours, soit trois ans, deux mois et dix jours.
Ce chiffre est un peu inférieur à la durée historique de la persécu-
tion d'Antiochus Épiphane, qui se prolongea environ trois ans et
demi (ce qui donnerait comme chiffre théorique 1278 jours). Mais le
point de départ du calcul semble avoir été, non les premières mesures
persécutrices du tyran (juin 168 mais la profanation du temple
,

(décembre de la môme année). Depuis cette date jusqu'à la nouvelle


dédicace, décembre 165, on compte trois années ou 1005 jours. En y
ajoutant la différence entre ce chiffre et le chiffre symbolique, soit
55 jours, nous arrivons à Tannée 16i, au cours de laquelle Antio-
chus Épiphane mourut (1).
Cette solution a l'avantage d'harmoniser les données chronologi-
ques du présent symbole avec les autres données de Daniel (vu, 25;
XII, 11), qui assignent à la persécution d'Antiochus une durée de

trois ans et demi. Le but de cette vision, comme celui des visions
précédentes, était d'encourager les Juifs en leur montrant la fin
prochaine du persécuteur.

4. Le songe rie l^ arbre : iv.

Symbole. — Nabuchodonosor eut un songe qui le troubla profon-


dément. Il vit un arbre magnifique qui touchait au ciel, étendait ses
branches jusqu'aux extrémités de la terre, abritait sous son feuillage
rempli de fruits les oiseaux du ciel et les hôtes des champs. Mais voici
que, sur l'ordre d'un ange, l'arbre doit être abattu ses branches ;

seront coupées, son feuillage secoué, ses fruits dispersés, ainsi que
les animaux qui s'abritaient à son ombre. Seule la racine de l'arbre
pourra rester en terre, mais liée par de fortes chames de fer et d'ai-
rain.
Ici le voile allégorique se déchire (\\ 12''), et l'on nous laisse entre-

voir le personnage représenté par l'arbre, toutefois sans nous livrer


encore son nom. Ce personnage demeurera parmi l'herbe des champs,
se mouillera de la rosée du ciel, vivra en compagnie des animaux.
Son cœur d'homme sera changé eu un cœur de bote, « et sept temps
passeront sur lui », jusqu'à ce que les hommes reconnaissent le sou-
verain domaine du Très-Haut (1-14-).

Symbolisme. —
Après un temps de réllexion et quelques formules
préliminaires de protocole, Daniel aborde franchement l'intcrpréta-
tion. L'arbre magnifique, c'est Nabuchodonosor au faîte de sa gloire

(1) On ignore la date précise de sa luort.


LES SYMHOLES DE DANIEL. 427

etde sa puissance. L'arbre coupé sigiiilie que le monarque sera chassé


du milieu des hommes et vivra au milieu des animaux, mangeant
de l'herbe comme les bœufs, se mouillant de la rosée "du ciel, et
« sept temps passeront sur
jusqu'à ce que tu saches que le Très-
toi,

Haut a tout pouvoir sur la royauté des hommes ('22 après quoi, )^
;

l'empire lui sera rendu.


Un an après, ajoute le récit, tandis qu'il se complaisait en la
magnificence de sa capitale, Nabuchodonosor « fut chassé de la société
des hommes, il mangea de l'herbe comme les bonifs, et son corps
fut mouillé de la rosée du
jusqu'à ce que ses cheveut crussent
ciel,

comme [les plumes des] aigles et ses ongles comme [ceux des}
oiseaux » (30). « A la fin des jours », Nabuchodonosor leva les yeux
vers le ciel et recouvra l'usage de la raison (31).
Comme on le voit, l'application du symbole a été faite très exac-
tement par l'auteur inspiré; elle est d'une telle clarté qu'on ne sau-
rait y rien ajouter.
Au point de vue de la contexture symbolique, cette vision procède
à la manière des allégories, comme d'ailleurs toutes les visions précé-
dentes. Elle est expliquée trait pour trait; chacun des symboles par-
tiels s'encadre dans la réalité correspondante, de même que, dans une

allégorie, chaque métaphore s'adapte à la réalité qui lui correspond.


On relève en outre ici un phénomène avec lequel l'étude des allé-
gories nous a déjà familiarisés. Au v. 12, le prophète abandonne
brusquement le terrain métaphorique pour parler sans figure du
sujet qu'il veut illustrer. J'ai signalé ailleurs un exemple très frap-
pant de cette brusque déchirure des voile? allégoriques : c'est le
magnifique tableau de la vigne dans Isaïe, v, 6 :

V. -5. Eh bien! je vais vous dire, moi,


ce que je veux faire à ma vigne... :

6. Elle ne sera ni taillée ni bêchée :

les ronces et les épines y pousseront;


aux nuages je défendrai
de verser sur elle la phiiè^ {\)\

Par ces derniers mots, il devient évident que le maître de la viene


n'est autre que Jahvé (2). De même, dans la vision de Nabuchodono-
sor, il apparaît visiblement au
12 que l'arbre n'est que la figure
v.

d'un être vivant. Cette solution de continuité dans la trame de l'allé-


gorie s'explique quelquefois par l'impatience qu'éprouve l'auteur

(1) Trad. Condaniin.


(2) Cf. Introduction aux Paraboles, pp. 115-120.
428 RKVUE BIBLIQUE.

de descendre dans le domaine de la réalité, comme c'est le cas pour

la viene d'Isaïe. Il semble que, pour^la^vision de l'arbre, il y ait une


raison beaucoup plus simple, à savoir l'impossibilité où l'allégoriste
s'est trouvé soudain de présager l'avenir au moyen de son allégorie.

Comment la racine pouvait-elle à la fois demeurer cachée en terre ^i

exposée, cUms tlierhe, à la rosée du ciel? Gomment signifier surtout

que la raison allait être enlevée à :Nabuchodonosor? Il n'y avait dès


lors C£u'iin parti à prendre : abandonner les métaphores et parler
sans figure. C'est ce qu'a fait l'auteur inspiré. La vision est sans doute
un peu moins élégante, mais elle est plus claire, et c'est ce c^ui importe
avant tout. Existe-t-il encore aujourd'hui des critiques cjuise hâte-
raient de crier à la retouche malhabile de rédacteurs postérieurs,
s'ils relevaient un exemple aussi singulier dans les paraboles de
l'Évangile?...

5. Mané, tliécel, phares : \.

Sipnbole. — Durant un festin nocturne, pendant lequel Baltasar


avait poussé l'impiété jusqu'à profaner les vases sacrés de Jérusalem,
des doigts humains écrivirent sur la chaux de la muraille des signes
mystérieux. Les sages sont aussitôt mandés. Us ne réussissent pas à
déchiffrer l'inscription; encore moins arrivent-ils à Tinterpréter.
Daniel est introduit. Après un assez long exorde sur les châtiments
infligés à Nabuchodonosor et le peu de fruit quen a retiré son fils

Baltasar, il lit couramment l'écriture et en donne l'interprétation. Ces


versets doivent être traduits avec soin.
25. Et voici l'écriture qui a été tracée : (i\Pnê', m^nô', i'qêl ou-
phaisin) [tout] compté une mine, un sicle et deux demi-mines.
:

2(). Et voici le sens de ces mots M'' né [mine) : Dieu a compté (m^'ndh)
:

ton royaume, et il y a mis fin. 27. T^qél [sicle) il a été pesé [teqilta) :

dans les balances, et il a été trouvé en déficit. 28. P'rés [demi-inine) :

Ton royaume a été divisé [f/risath) et donné aux Mèdes et aux Perses...
Les commentateurs ont cherché bien des fois les raisons pour les-
quelles les sages de (^haldée|ne réussirent pas à déchiffrer l'inscrip-
tion. Toutes les hypothèses ont été émises. Ou a sui)posé que ces
mots étaient procédé cryptographique dit athhasch,
écrits d'après le
dans lequel la première lettre (a, aleph) a pour équivalent la der-
nière (th, tau), la seconde (b, beth) Favant-dernière (ch, chin), et
ainsi de suite; ou bien que l'écriture en était verticale au lieu d'être
horizontale rabbins); ouîbicn que toutes ces lettres étaient déplacées
comme dans les anagrammes, ou simplement écrites à rebours, de
LES SYMBOl^ES DE DANIEL. 't29

gauche à di'oite... Quelle est la véritable explication? On ne sait.

Constatons seulement que, dans un récit ayant pour but de mettre


en relief la supériorité de Danielfet du vrai Dieu sur les sages et leurs
fausses divinités, il était naturel que les Chaldéens échouassent dans
une entreprise où Daniel devait parfaitement réussir.
Quelle était au juste la'teneur du texte déchiffré? Entre l'araméen et
les versions, on relève des différences appréciables. L'araméen porte

deux fois le mot initial 7n'nê, tandis que les versions (Septante, Théo-
,dotion,' Peschitto, Vulgate) ne l'ont qu'une fois. En outre, les ver-
sions grecques et la Vulgate lisent Mane, Thecel, Phares {[jry.Tr„ Oez-èX,
o7.pz;) au lieu de m^né, fqêl et pharsin, ce qui est également le texte

de la Peschitto. Jusqu'à ces dernières années, on pouvait hésiter dans


son choix entre la lecture de l'araméen et celle des Septante. Mais
aujourd'hui, après la découverte de M. Clermont-Ganneau dont il
sera parlé ci-dessous, l'hésitation ne semble plus permise. Le texte
araméen, en raison même de sa complexité et tout spécialement de
sa vocalisation, est jugé antérieur à celui des versions. Il n'était

peut-être plus entièrement compris, que la tradition orale et textuelle


en conservait encore précieusement la teneur. De telles formes ne
sinventent pas le texte araméen a toute chance d'être authentique.
:

— Disons ici que, si le premier m^nê' n'est pas une glose, il doit
signifier compté, tout bien compté, comme le suggère Haupt.
Symbolisme. —
Jusque vers la fin du siècle dernier, on regardait
les trois mots mystérieux m^nê, t'qèl, p°rès comme des participes
passifs, ayant respectivement la signification de compté, pesé, divisé.
N'était-ce pas l'interprétation qui seipblait proposée par Daniel en
personne? M^iu- : Dieu a co^npté ton royaume; tq<'l : il a été pesé;
p^rês : il a été divisé...
Depuis une trentaine d'années, une autre interprétation s'est fait
jour, qui corrige en partie la précédente et en partie la complète.
Le mérite principal en revient à M. Clermont-Ganneau (1). En 1878,
le savant orientaliste lut le mot p^rës, demi, sur un poids du Brilish

Muséum équivalant à une mine faible ou demi-mine.


Il proposa dès lors de regarder les trois mots de Tinscription

comme des noms de poids une mine, un sicle (2) et deux demi-mines.
:

(1) Mané, Théccl, Phares et le festin de Ballasar (extrait du Journal asiatique), 1886.
(2) Sur le sens du deuxième mot, M.
Clermont-Ganneau n'était pas encore bien fixé.
« Theqel, écrivait-il, est ou un troisième nom de poids (celui du sicle), ou le verbe pesé

d'où est tiré le nom du sicle » (art. cit., p. 25). II proposait même d'unir à ce mot le vav
qui précède pliar'^sin, pour en composer le verbe taq'lu (1;pr). Le tout aurait donné la
])hrase suivante Pour chaque mine, ils ont pesé deux pheras.
:
430 REVUE BIBLIQUE.

Cette opinion, après avoir été combattue par Behrmann, a été rejn^se

et fortifiéepar Driver, Marti, d'antres encore. Telle qu'elle se présente


aujourd'hui, on peut dire, non seulement qu'elle a conquis droit de
cité, mais encore qu'elle s'impose à la bienveillante attention des exégè-

tes, comme fournissant de ce texte l'explication la plus satisfaisante.


On doit reconnaître d'abord mots de rinscription avec leur
que les
vocalisation actuelle m^nê', t'qêl, pharsin, ne sauraient être consi-
dérés comme des participes passifs, du moins les deux derniers il —
faudrait t'qil, p'risin ou p^rcs —
Ces mots ne peuvent être que des
.

sul)stantifs: et depuis que p'^rés a été identifié avec la demi-mine —


d'autres découvertes sont venues confirmer celle de M. Clermont-
(Janneau (1) — , il faut les regarder définitivement comme trois noms
de poids : mine, sicle ei demi-mi) te. Behrmann s'étonnait que le sicle,

valeur moindre, figurât entre deux valeurs plus fortes, et il voyait là


une objection sérieuse à la solution nouvelle. Haupt a parfaitement
justifié l'ordre du texte par la signification de ces valeurs. Le chap. v

met en scène Nabuchodonosor, Ealtasar et les Médo-Perses. Il y a tout


lieu de voir dans la mine le symbole de Nabuchodonosor, dans le
sicle celui de Baltasar, dans les deux demi-mines celui des Médo-

Perses. Ce dernier mot serait au. duel pour marquer la dualité de la


monarchie (2); cependant, les deux demi-mines équivalent à la mine,
parce que nouveau royaume ne
le le cédera en rien à l'ancien em-
pire de Nabuchodonosor.
Tel aurait été le sens matériel de l'inscription mystérieuse.
y en avait un autre, superposé au premier, comme, dans les
Il

rébus, le sens véritable se superpose au sens matériel et apparent.


Daniel le découvre en prenant le radical des verbes d'où sont formés
les substantifs déchiffrés : m'nd//, il a compté; f^qai, il a pesé; p^rav,
il a divisé. A la vérité, il ne suit pas un procédé philologique très
rigoureux; il mot pharsin en pyés pour lui
a modifié le troisième
donner la môme forme qu'aux deux autres. En outre, m^ne', qui
pourrait être considéré comme un participe passif, n'est pas expliqué
comme tel; tandis que t'^qêl et p'^rês, qui ne sont pas des participes,
sont peut-être expliqués comme s'ils l'étaient. Ces anomalies sug-

gèrent à Marti l'hypothèse que les vv. -ili-^S seraient une tentative
pour donner un sens à l'inscription qui n'était plus comprise (3).
Mais il est peu croyable que les vocables mystérieux aient été con-

(1) un., 1916, 622; 1918, 286.


(2) On ajoutera ce nouveau fait aux symboles dualistes île l'empire médo-perse :

l'durs à deux côtés, le bélier à deux cornes.,


(3) Op. ci/./p. 25.
LES SYMBOLES DE DANIEL. 4?,1

serves sans leur explication, ou qu'on en ait laissé perdre la signifi-


cation réelle. Les versets 26-28 ne peuvent se séparer du v. 25. Mieux
vaut expliquer les anomalies grammaticales en disant que, après
tout, Daniel ne faisait pas à Baltasar et à sa cour une leçon de philo-
logie. Après avoir déchijQFré l'inscription, il en reprenait successive-
ment chaque terme, en déclarant la signification comminatoire que
le Seigneur y attachait. Que, pour ces déclarations, il se servît du
prétérit ou du participe; qu'il eût l'air de donner à ces substantifs
telle où telle forme verbale, peu lui importait. Il allait à l'essentiel

et négligeait l'accessoire.
L'essentiel, c'était unmort pour l'empire de Baltasar. Ce
arrêt de
royaume a été compté; il a été j:)esé aux divines balances et trouvé
en déficit; il va être partagé et donné aux Médo-Perses.
Le récit ajoute que, cette même nuit, l'oracle s'accomplissait;
l'empire chaldéen s'effondrait dans une sommaire tragédie.
Le symbole actuel nous rappelle un des sens les plus ordinaires
de la hidâh ou énigme sémitique (1), bien que la Bible ne présente
point de cas exactement analogue à celui-ci. On songe naturellement
aux deux énigmes de Samson :

De celui qui mange est sorti ce qui se mange,


Du fort est sorti le doux 'Jug., xiv, 12).
Avec une mâchoire de rosse, je les ai rossés (xv, 16).

Mais la première n'est qu'une vulgaire devinette; la seconde serait


plus rapprochée de notre symbole, si, au lieu de faire lui-même ce
jeu de mots, Samson eût laissé deviner qu'il avait battu les Philistins,
en écrivant quelque part le mot âne, ou simplement en affichant les
restes de la mâchoire victorieuse.
L'inscription de Baltasar était donc à double sens. Celui qui par-
venait à la déchiffrer ne devait pas s'arrêter au sens apparent :

mine, sicle, demi-mines; il devait aller jusqu'au sens réel compté, :

pesé, divisé. Encore est-il que la difficulté se compliquait d'une


extrême concision. Ces trois verbes pouvaient tout signifier, puisqu'ils
ne précisaient rien. A supposer que les devins chaldéens eussent
réussi dans la première lecture, ils auraient pu encore échouer dans
la seconde. C'est dire qu'il fallait au prophète le secours du Très-

Haut pour lire et interpréter cet oracle.


Fontarabie.
Denis Buzy S. C. J.

(1} Cf. Introduction aux Paraboles, pp. 79-85.


MÉLANGES

LA VIE DE JÉSUS D'APRÈS RENAN

Le plaisantin que devint Renan à la fin de sa vie se plut à dire :

« Un ouvrage bien complet ne doit pas avoir besoin qu'on le réfute.

L'erreur de chaque pensée doit y être indiquée, de manière que


le lecteur saisisse dun coup d'œil les deux faces oppos'ées dont se
compose toute vérité (1). »
Lorsqu'il composait la Vie de Jésus, Ernest Renan (2) était certes
déjà imbu de cette philosophie accommodante qui sait concilier les
contradictions. .Mais il de ce détachement de ses
était fort éloigné

opinions qu'il affecta plus tard. Il se proposait bien plutôt de rendre


à son siècle la religion pure qui fut celle de Jésus, et ayant cru le
retrouver parlant encore sur les collines de Galilée ou dans sa barque
sur le lac, il esquissa son image dans des heures d'enthousiasme.
L'art avait dépouillé Texég-èse des lourds vêtements dont l'avait

affublée le climat de la Germanie, et l'avait revêtue d'une, blanche


tunique orientale. Le succès tint du prodige, et l'engouement dure
encore.
Ce n'est guère l'usage de discuter entre exégètes les positions de
Renan. Les spécialistes ne le prennent pas très au sérieux. Cepen-
dant Vie de Jésus a atteint sa cinquante-deuxième édition, et il
la

faut y ajouter les cent vingt éditions de la Vie populaire. Les autres
œuvres de Renan n'ont point eu cette popularité.
Et si certains savants plus appliqués ont été plus loin dans le

(Il Le prclre de Xémi, p. vu.


(•>; Ernest Renan, né à Tréguier en 182:5, quitta en 1845 Séminaire de Saint-Sulpice
le

avant d'avoir reçu les ordres majeurs. En 18G(i il était en Orient, oùil écrivit la Vie de

Jésus, publiée en 1803, Paris, Michel Lévy frères, in-8° de 'i62 pp. —
Nous avons sous
les yeux la cinquante-deuxième édition, reproduction de la treizième, « revue et corrigée
avec le |)lus };rand soin » Préf., p. un quatre ans après la première édition. C'est à cette
édition que renvoient toutes nos références qui n'ont pas d'autre désignation.
MÉLANGES. 433

mépris de la tradition, ils n'ont pas obtenu pour cela seul la faveur
du public. Il moralement laide, ait des
faut donc que cette œqvre,
({Lialitcs qui la font aimer. Au moment où FAllcmagne semlde avoir

épuisé le cycle des combinaisons imaginables pour expliquer le fait


de Jésus, on voudrait savoir quelle fut la solution d'un esprit très
ouvert, très pénétrant, disciple des critiques allemands, comme il
ne pas caché, mais demeuré très français par un certain sens des
l'a

réalités concrètes et par un instinct de la mesure qui l'a préservé des


outrances systématiques de ses maîtres d'Outre-Rhin. Il ne serait

pas suffisant de dénoncer Renan à l'opinion française comme un


Boche. S'il l'avait été complètement, Paris ne l'aurait pas tant goûté.
Au moment où a paru la Vie de Jésus, ce qui a profondément ému
les catholiques, ce fut la négation de sa divinité, négation tellement
tranchante qu'elle se posait comme un résultat acquis et ne prenait
pas la peine de discuter. Des évèques, des prêtres, des laïcs même
ont pris la défense de la foi. Si longtemps après, nous éprouvons
encore la même impression douloureuse, mais nous ne voulons pas
refaire ce qui a été bien ['ait. Renan n'a pas voulu condescendre à
cette controverse. Le temps n'est plus de l'y engager. Mais le temps
a fait son œuvre et a classé la Vie de Jésus comme lune des nom-
breuses tentatives manquées de résoudre ce qui, en dehors de la foi,
est une énigme insoluble et vraiment un signe de contradiction. Il
ne peut être sans intérêt de savoir pourquoi cet effort a échoué
comme les autres. Il avait tant de chances de succès, l'accumulation
des travaux préparatoires par tout un siècle, l'eltet de surprise dans
une exposition prestigieuse, les ressources de la science et les charmes
de l'art! Et pourquoi ne pas noter aussi ce qu'il y avait de juste dans
cet examen historique, ce qui peut encore servir de défense à l'apo-
logie, en marquant des bornes à l'arbitraire?
C'est ce que voudraient entreprendre les notes qui suivent. Ce
n'est point un examen critique complet. Le seul moyen de le pour-
suivre serait d'annoter un texte que nous n'avons pas le droit de
reproduire. Nous indiquerons seulement les dispositions antécédentes
dans l'esprit de l'auteur, car elles imposaient la méthode de l'ouvrage
et même sa principale grandes lignes de la
conclusion, puis les
critique littéraire et de la méthode historique avec leur application
soit à la mission et à la personne de Jésus, soit à ses miracles.
1

43 REVUE BIBLIQUE.

I. Les dispositions axtkcédextes (1). Parti pris négatif


KT ASPIRATION POSITIVE.

C'est dès le début, et dans raffirmation de sa méthode, que Renan


tient à se distinguer des écoles allemandes. En fait, la Vie de Jésus
n'a été traitée en Allemagne, au xix" siècle, que par la théologie.
Le xviii"' eu Torientaliste Reiniarus; mais les théolo-
siècle avait
giens lavaient récusé comme « déiste ». Sans doute ces théologiens
ne ressemblaient guère aux nôtres. Leur émancipation allait jus-
qu'à écrire l'Évangile d'après Hegel, et ce fut le cas de Strauss. Mais
ils demeuraient plus ou moins attachés à l'évangélisme protestant,

et, soucieux de ne pas rompre avec l'Évangile, ils en éliminaient


ce qui leur paraissait intolérable au monde moderne. Bruno Bauer,
lui, avait rompu en visière avec tout le cliristianisme traditionnel.
Mais c'était encore du dogmatisme, celui de la haine. Renan ne
veut entendre parler d'aucun dogme, de quelque nature qu'il soit :

« Le théologien a un intérêt, c'est son dogme. Réduisez ce dogme

autant que vous voudrez il est encore pour l'artiste et le critique


;

d'un poids insupportable... Proclamons-le hardiment : Les études


aux origines du christianisme ne diront leur der-
critiques relatives
nier mot que quand elles seront cultivées dans un esprit purement
laïque et profane, selon la méthode des hellénistes, des arabisants,
des sanscritistes, gens étrangers à toute théologie, qui ne songent
ni à édifier ni à scandaliser, ni à défendre les dogmes ni à les ren-
verser (2). »
Nous souhaitons sincèrement que ceux qui ne sont pas chrétiens
abordent les origines du christianisme dans cet esprit, pourvu qu'ils
soient aussi dans la disposition d'admettre le surnaturel, sïl est

attesté sérieusement. Mais Renan était bien éloigné de cette indiil'é-

rence Pour faire l'histoire d'une religion, il est nécessaire, pre-


: «

mièrement, d'y avoir cru (sans cela, on ne saurait comprendre par


([uoi elle a charme et satisfait la conscience humaine (3) en second ;

1 La philosophie de Renan a été très bien jugée par M. Gabriel Séailles dans son
livre Ernest lienan. Essai de Riofiraphie psycholojiique, Paris, 1895. Voici la conclusion
:
:

•' Avec un égoïsine d'enfant, il eulraniera le inonde dans les métamorphoses de sa nature
mobile et capricieuse; il ne pourra faire un pas sans déi)lacer l'axe du monde il ne sor- ;

tira pas de lui-même » (p. 74).


^
(2; P. X.
(3) P. civ. Le scrupuleMais M^' Dupanloup a noté un autre son
est touchant. « C'est :

encore à propos de l'infortuné Lamennais que M. Renan a écrit que ceux qui sortent du
sanctuaire, et qui font la guerre an dogme qu'ils ont servi, ont dan* les coups qu'ils lui
portent M/te sûreté de main que le laïc n'atteint Jamais, un caractère particulier de
MÉLANGES. 43^

lieu,de n y plus croire dune manière absolue; car la foi absolue est
incompatible avec l'histoire sincère (1). » Notez d'abord quel rang
de choi^ il se décerne par sa situation d'ancien séminariste mais ;

notez aussi que la négation absolue antécédente ne peut pourtant


pas garantir l'impartialité. Or, si Renan a assez souvent changé
d'opinions, il est un point sur lequel il n'a jamais varié. Il a eu son
Credo auquel il a tenu sans jamais fléchir, c'est la négation du sur-
naturel, par où il ne faut pas seulement entendre les miracles, les
prophéties, les sacrements, mais encore l'existence d'un Dieu distinct
du monde. Il a rejeté l'athéisme, comme trop mal porté, le déisme
comme une conception trop étroite, et s'il a cru qu'un esprit supé-
rieur ne devait pas plus se ranger au panthéisme, c'est parce
non
qu'il se réservait d'employer le mot de Dieu, comme « Catégorie de
l'idéal ».
D'ailleurs ces discussions sur le déisme panthéisme sont bon-
et le

nes pour de « petits esprits ». « Les hommes qui ont le plus hautement
compris Dieu, Çakya-Mouni, Platon, saint Paul, saint François d'As-
sise, saint Augustin, à quelques heures de sa mobile vie, étaient-ils

déistes ou panthéistes? Une telle question n'a pas de sens (2). » Mais
s'il lui paraissait digne de lui de planer au-dessus de ces questions

se sont usés les « petits esprits » de Hegel, qui cepen-
de Spinoza et

dant comptaient pour lui, car il eût récusé Descartes et Bossuet, Pas-
cal et saint Thomas d'Aquin, Renan n'en a pas moins clairement
énoncé sa conviction du devenir de Dieu, sous une pure forme orien-
« L'humanité fait du divin, comme l'araignée file sa toile (3).
»
tale :

Lors donc que, rejetant « le surnaturel particulier », il prétend main-


tenir « le surnaturel général », il cède seulement à ce parti j^ris de
conserver des mots cathoKques dans un sens proprement hégélien. Il
a dit de Feuerbach qu'il n'était pas athée, mais plutôt religieux, et que
s'il était athée, il l'était à la dévotement et
façon des Allemands, <(

avec une sorte d'onction {k) ». Plus tard il s'est moqué de lui-même et
de cette onction. Mais au début, il ne riait pas. Il se croyait une mis-
sion, et n'était point tendre pour le catholicisme qu'il avait quitté. Il

froide)! r et d'assurance... Vaudace d'un familier » {Avertissemeyit à la jeunesse et aux

pères de famille sur les attaques dirigées contre la religion pav quelques écrivains de nos
jours, Paris, 186-3, p. tlO, citant Essais, p. 141, 142).
(1) P. civ.
(2) P. 78.
(3) Job, XL. L'œuvre universelle de tout ce qui vit étant de faire
En termes de prose : «

Dieu parfait... la raison... prendra un jour en main l'intendance de cette grande œuvre et,
après avoir organisé riiunianité, organisera Dieu » [L'aoenir de la science, p. 37).
(4) Liberté de penser, t. VI, p. 347.
436 REVUE BIBLIQUE.

le croyait irrémédiablement perdu : « Les temples du Jésus réel


s'écrouleront; les tabernacles où l'on croit tenir sa chair et son sang
seront brisés. Déjà le toit est percé à jour, et l'eau du ciel vient

mouiller la face du croyant agenouillé (1). »


donc dans la disposition de l'historien qui ne songe « ni à
Était-il
défendre les dogmes, ni à les renverser »? Tous ses propos philoso-
phiques témoignaient d'une assurance hautaine, d'une conviction
absolue Dieu était au terme de l'activité humaine, comment serait-il
:

intervenu dans l'histoire? Son esprit laïc et profane supposait néces-


sairement la négation du dogme chrétien et de Dieu, sauf l'emploi
équivoque d'un vieux mot un peu lourd peut-être, mais qui a pour lui
((une longue prescription le supprimer serait dérouter l'humanité
:

et se séparer, par le langage, des simples qui adorent si bien à leur


manière (2) »,
Le langage ne répond donc pas à la pensée, au moins lorsq.ue
Dieu est nommé. Il était nécessaire de rappeler ces textes.. Avant de
lire cette Vie de Jésus où une sincérité affichée tient tant de place,

distinguant la conscience de l'homme moderne de celle de l'oriental,


la sincérité de Jésus, puisqu'il faut le dire, de celle de son historien
critique, il faut peser encore ce reproche de Renan à Lamennais, qui
« ne comprit pas ce qu'il y a d'ironie dans un certain respect (3) ».
Des esprits élevés, fort libres, mais qui ne goûtent pas tous les
genres de plaisanterie l'ont remarquer, tout comme les apolo-
fait

gistes catholiques « Il y a peut-être quelque chose d'excessif,


:

— écrit M. Séailles dans ce même ton ironique et nuancé, « à —


prêter des intentions à un Dieu qui n'existe pas. Renan abuse de la
mythologie; il fait des êtres avec des mots (4). » M^'' Dupanloup avait
dit plus simplement « Il parle comme vous et ne pense pas comme
:

vous (5). »

Tout le monde est d'accord sur ce point Renan a exclu Dieu de


:

ITiistoire, et en a parlé comme s'il


il existait. Que pouvait signiher lo

mot de religion? Sur ce point aussi il a été suffisamment clair. Dieu


étant « la catégorie de l'idéal », la religion était la part d'idéal à
laquelle les âmes sacrifient. Pour lui c'était la science, pour les autres
c'était ce qu'ils aimaient. A la fin de sa vie il a donné de cette religion
une formule brutale « Le moyen de salut n'est pas le même pour
:

(1) Liberté de penser, t. III, p. 'j70.

(2) Éludes.... p. 419.


(.{) Essais.... p. 187.
('») Ernest l!eii(tn,\). 282, n. 2.
[b) Avertissement, p. ir».
MÉLANGES. 437

lous. Pour Fun, c'est la vertu; pour l'autre, l'ardeur du vrai; pour un
autre, l'amour de pour d'autres, la curiosité, l'ambition, les
l'art;

voyages, le luxe, les femmes, la richesse; au plus bas degré, la mor-


phine et l'alcool; la plus dangereuse erreur, en fait de morale sociale,
est la suppression systématique du plaisir (l). »
Paroles peu dignes de ses cheveux blancs! Est-ce à dire qu'alors
il a levé le masque et révélé le fond de sa pensée ancienne? Son

parti pris de parler comme les autres, sans penser comme eux,
était-il simplement de l'hypocrisie? Sûrement non, car un simple
hypocrite aurait marché sans frémir vers le sacerdoce, comùie un
Paul de Gondi, futur cardinal de Retz. D'où vient donc cette atti-
tude à laquelle il s'astreignait alors, de se dire religieux, et même
chrétien, véritable disciple de .Jésus?
Était-ce persistance au fond de l'àme du sentiment religieux, reste
de tendresse envers le Dieu qui avait réjoui sa jeunesse? Mais puisque
ce Dieu n'existait pas! Dès sa sortie du séminaire Renan est devenu,
ce qu'il fut toujours, un adepte convaincu de la science. La science
fut, à lui, sa catégorie de l'idéal. S'il l'a colorée de religiosité,
était-ce seulement pour ne pas verser dans l'incrédulité grossière?
Peut-être, et il répugna toujours à cette nature si fine et si nuancée,
de se joindre au groupe des libres-penseurs qui avaient par surcroît
le tort de vider leur verre en l'honneur du Dieu des bonnes gens de
Déranger. Mais il eût pu s'isoler. Son affectation religieuse ne fut
pas assurément non plus prudence diplomatique, nécessaire dans un
temps où la voix des évêques était entendue du pouvoir, car il fit
tête à l'orage, et encourut la disgrâce impériale avec dignité.
Il faut donc qu'il y ait eu dans son esprit assez d'indécision pour se

contenter de notions très vagues, et dans son caractère assez de fer-


meté pour qu'il n'ait jamais consenti à renier tout ce qui avait été
sa pensée. Il savait, certes, combien il changeait, mais il se raidit
sur un certain fond, et, son idéal réduit à n'être plus que vague
le
amour de la vérité, il put prétendre qu'il lui était toujours demeuré
fidèle. Pourquoi conserva-t-il toujours les mots de Dieu, de religion,
et même, dans cette dernière abjection épicurienne, de « faire son
salut )), sinon pour ne pas en avoir le démenti? Et c'est aussi pour
cela qu'il persévéra dans son admiration officielle pour Jésus. A
mesure qu'il descendait la pente qui entraînait le philosophe de
l'idéal vers des encouragements à la débauche ([u'Épicure eût désa-
voués, le désaccord était plus profond et plus choquant entre ses

(1) Feuilles di' tachées, p. 382.


43st REVUE BIBLIQUE.

toasts folâtres et son sérieux d'antan. Au début, et mrme lorsqu'il

écrivait la Vie de Jésus, Renan croyait encore à la religion pure de


lïdéal, et en rattachait l'origine a Jésus-Christ.
il

'
Sinaulier état d'ànie, stssurément, énigme pour des Français, et qui
ne s'explique que par son adhésion à la théologie allemande du
temps où il quitta le séminaire. Il a pris soin de nous dire que sa foi
a été détruite par la critique historique, non par la philosophie.
Avec plus d'un écrivain catholique, M. Séailles refuse de l'en croire.
« La vérité est qu'en 18i3, à la fin de son séjour à Issy, alors qu'il

ne savait ni l'hébreu ni l'allemand, qu'il n'avait lu ni Gésénius ni


Ewald, il avait trouvé dans sa seule raison une ennemie redoutable
de sa foi (1). » Et certes on dira volontiers avec M. Cognât que
<(riiébreu est encore plus innocent que la femme de son émancipa-
tion intellectuelle (2) ». Mais Renan a pu lire en français la Vie
de Jésus par Strauss que Littré venait de traduire.
Sans déroger à son merveilleux talent, on peut dire qu'il n'avait
pas la tête philosophique. Son impertinente prétention de dominer
les problèmes où s'épuisent les grands génies n'est qu'un aveu d'im-
puissance. Des objections philosophiques l'ont ému. Mais c'est, sem-
sous une forme qui essayait de se concilier avec la religion,
ble-t-il,

qui renonçait à la foi positive des chrétiens sans abjurer Jésus-Christ.


Kant le rassure par sa morale. Mais il ne lui conserve pas Jésus-Christ.
Et il V tient encore : « J'ai étudié l'Allemagne et j'ai cru entrer dans
un temple. Tout ce que j'y ai trouvé est'pur, élevé, moral, beau et
touchant. mon âme, oui, c'est un trésor, c'est la continuation de
Jésus-Christ. Leur morale me transporte, ah! qu'ils sont doux et
forts! Je crois que le Christ nous viendra de là. Je considère cette
apparition d'un nouvel esprit comme un fait analogue à la naissance
du christianisme... La France me parait de plus en plus un pays
voué à la nullité pour le grand œuvre de renouvellement de la vie
dans l'humanité... Jésus-Christ n'est nulle part (3'). » Cette vie nou-
velle, c'est, n'en doutons pas, la vie hégélienne à laquelle Strauss
avait donné Jésus-Christ, comme type de l'union de Dieu avec
l'homme. Renan va définitivement quitter le séminaire parce qu'il a
perdu la foi, il va entrer dans le monde avec une foi nouvelle qui
luipermet de parler de Dieu et de la religion, de se dire chrétien.
Ce n'est pas pure plaisanterie lorsqu'il affirme « que le monde sera

(1) Ernest Kenan, \>. 17.


1'
{'>) Cilé par M. Siîdilles, p.

,:i) Sourenirs, p. 385.

i
MELANGES. '
439

éternellement religieux et que le christianisme, au sens large, est


le dernier mot de la religion (1)... ».

Par ce reste de sentiment religieux, d'une nature très moderne,


presque autant que par sa négation tranchante du surnaturel, il
manquait au programme du pur historien qu'il prétendait être. I^e
protestantisme libéral, disait-il, était incapable d'écrire la Vie de
Jésus parce qu'il contenait encore trop de dogme. Kenan ne s'est
pas aperçu que lui-même avait un dogme, le dogme de la religion
pure, sans autels, sans prêtres, sans observances, non point telle
que l'avaient prêchée les déistes, mais telle que pouvait la conce-
voir un hégélien préoccupé de développer et d' « organiser Dieu ».
C'est même une thèse, et c'est la thèse de la Vie de Jésus. « Chris-
tianisme » est ainsi devenu presque synonyme de « religion ». « Tout
ce qu'on fera en dehors de cette grande et bonne tradition chré-
tienne sera stérile. Jésus a fondé la religion dans l'humanité, comme
Socrate y a fondé la philosophie... Jésus a fondé la religion absolue,
n'excluant rien, ne déterminant rien si ce n'est le sentiment (2)... o
((Aucune révolution ne fera que nous ne nous rattachions en religion
à la grande famille intellectuelle et morale en tête de laquelle brille
le nom de Jésus. En ce sens, nous sommes chrétiens » (3)... Il le

répéta à chaque instant, sans prendre la peine de beaucoup varier


ses formules : « Un culte pur, une religion sans prêtres et sans pra-
tiques extérieures, reposant toute sur les sentiments du cœur, sur
l'imitation de Dieu, sur le rapport immédiat de la conscience avec le
Père céleste, étaient la suite de ces principes (4). » « C'est par l'at-
trait d'une religion dégagée de toute forme extérieure que le chris-
tianisme a séduit les âmes élevées (5). » Jésus « fonda le culte pur,
sans date, sans patrie, celui que pratiqueront toutes les âmes élevées
jusqu'à la fin des temps (6) ». « C'était la religion pure, sans pratiques,
sans temple, sans prêtre; c'était le jugement moral du monde décerné
à la conscience de l'homme juste et au bras du peuple (7). »
On le voit, cela tourne à l'idée
bien quelque chose comme
fixe. C'est
un dogme, le complément positif de la négation du surnaturel, et
il serait étrange que ce dogme, à démontrer, puisqu'il n'est pas

(1) Questions contemporaines, p. 337.

(2) Vie de Jésus, p. 'i62.

(31 P. 463.
(4) P. 89 s.

(5) P. 119.
(6) P. 244.
(7) P. 29(5. Ce « bras du peuple » vient à propos pour répondre au mépris de l'iiumanité
qui devenait excessif.
440 REVUE BIBLIQUE.

Thistorien. A vrai dire,


révélé n'ait pas influé sur le travail libre de
Renan insiste peu sur ce que sa position renferme d'affirmation. Sa
formule, on a pu le constater, est surtout négative; elle exclut le
culte et le sacerdoce. Il s'était inspiré de l'idée
hégélienne du deve-
jjip vieille comme Heraclite. La possibilité de concilier les con-

tradictoires agréait à sa fantaisie. Mais il n'avait ni accepté résolu-

ment dans l'Idée, antérieure aux faits,


l'identité des contradictoires

ni agréé la conséquence pratique d'Hegel qui avait donné à l'Idée


une consistance déjà massive dans l'État prussien. Celle de Renan
était aérienne, insaisissable, incorporelle, de sorte que la religion
elle-même devait être dépourvue de tout soutien extérieur. C'est dire
que sa religion pure était individuelle. Et c'est bien ainsi qu'en France
on l'a comprise et goûtée. Qui donc parmi nous, Français, s'est soucié
sérieusement de coopérer à la formation et à l'organisation du divin?
Mais on se souvenait encore de Voltaire et- de la religion naturelle.
A cette religion sèche et sans poésie, Renan prêtait un charme. A
sa manière il conciliait Voltaire et Rousseau. Son exclusion rigide
du surnaturel, des mystères, des miracles, donnait satisfaction au
penchant trop réel des Français pour des conceptions nettes, fussent-
elles dépourvues d'élévation et de profondeur; le sentiment moral
comblait les désirs du cœur. Malheureusement Renan, dès cette
époque, était sensiblement au-dessous de Rousseau dans son respect
sincère de la « sainteté » de l'Évangile. Ce n'est point la « sainteté »

que respire la Vie de Jésm. Tel qu'il était, cet idéal était le sien, et
c'est celui qu'il proposait à son temps, dans l'espérance proclamée
bien haut, sincère alors, de conserver de la reUgion ce qu'elle a
d'absolu et d'éternel, ou plutôt d'utilité relative et à venir... du
moins pour les simples. Or ce dessein n'est pas sans analogie avec
celui du protestantisme libéral. seulement un degré plus bas
Il est

dans la dose de christianisme. Mais ce n'est qu'une question de


degré. Résolu à rejeter le surnaturel et à regarder Jésus comme
le fondateur de « sa » religion, il s'exposait à méconnaître ou à
déformer résolument le passé. Renan n'était pas l'historien désinté-
ressé qu'il prétendait être. Ajoutons, pour ne pas omettre une nuance,
ce qui serait grave à son propos, que l'inflexilnlité des principes fui
toujours tempérée chez lui par la libre fantaisie, sauf cette aversion
pour le surnaturel qui fut pour ce Rreton l'assise de granit inébran-
lable. VA c'est par là qu'il échappa à de système qui expose à
l'esprit

une chute totale plus d'une construction allemande conduite eu toute


rigueur, l/hisloire n'a pas moins horreur des affirmations contradic-
toires que la philosophie, mais, si elle sait mesurer ses forces, elle
MÉLANGES. 441

demeure modeste dans ses affirmations, et bien souvent se refuse à


affirmer. Renan, lui, regardait les contradictions comme des manières
alternatives d'atteindre la vérité. C'était excessif. Mais nous aurons à
constater que son tact d'historien l'a souvent préservé de sacrifier des
opinions qu'un esprit plus rigide eût exclues pour sauvegarder l'unité
de son œuvre.

IL '
— La critique littéraire des évangiles. Autres sources.

Ce n'est pas le chapitre le plus original de Renan. Ou plutôt il s'y

montre plus personnel dans que dans la préparation ses conclusions


de ces conclusions. En dépit des apparences, on peut faire preuve
d'originalité, disons si l'on veut de pénétration, en analysant les
rapports des évangiles entre eux pour en déduire le caractère de leur
composition ; c'est la critique littéraire qui servira de base à la criti-

que historique. Au moment où Picnan écrivit, ce travail était depuis


longtemps sur le chantier en Allemagne. Il ne jugea pas à propos
de le recommencer surtout en ce qui concerne les trois premiers
évangiles, ou évangiles synoptiques. Il a dû exposer plus en détail,
pour la défendre, la position spéciale qu'il a prise dans la question
du quatrième évangile (1).
Strauss avait fait fausse route avec sa théorie sur la rédaction des
évangiles. compris (2), et l'a compris d'autant mieux que
Renan l'a

r « hypothèse de Marc » gagnait plus de terrain en Allemagne. C'est


dans la préface de la 13" édition qu'il a écrit « Marc me semble de :

plus en plus le type primitif de la narration synoptique et le texte


le plus autorisé (3). » Mais il ne s'est pas soucié de reprendre en
détail l'analyse de Weisse, et c'est incontestablement au courant
dominant dans l'exégèse libérale qu'il s'est rattaché, au moment de la
réaction contre Strauss et Rruno Rauer.
Comment conçoit-il l'origine des trois premières biographies du
Sauveur, si l'on peut donner ce nom
aux synoptiques? Le préjugé
s'affirme sans fard : « Que les Évangiles soient en partie légendaires,

(1) Nous ne parlons ici des évangiles que comme base de la' Vie de Jésus, non du

volume de Renan, intitulé les Évamjiles et la seconde génération chrétienne.


:

(2) P. xxxviii, en note Les grands résultats obtenus sur ce point n'ont été acquis
: «

que depuis première édition de l'ouvrage de M. Strauss. Le savant critique y a, du


la

reste, fait droit dans ses éditions successives, avec beaucoup de bonne foi ». La seconde
phrase n'est pas exacte. Strauss a légèrement atténué dans sa troisième édition de la Vie
de Jésus sa négation de l'authenticité du IV" évangile, mais il n'a jamais rétracté son
opinion sur la dépendance et le caractère secondaire de Marc.
(3) P. XIII.

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 29


442 REVUE BIBLIQUE.

c'est ce qui est évident, puisqu'ils sont pleins de miracles et de surna-


turel (1). » Même ce tribut payé au parti pris rationaliste ne suffit pas.
Il faut encore céder à
l'engouement pour les créations populaires :

« La plus belle chose du monde est ainsi sortie d'une élaboration


(tbscure et complètement populaire (2). C'est-à-dire sans doute que les
)>

évangiles sont, comme le voulait Strauss, l'œuvre de la communauté?


.Von, Renan a pour accepter sans caution cette ima-
l'esprit trop lin

gination de la critique. Il en résulte, il est vrai, que son affirmation


sur l'élaboration complètement populaire demeure tout à fait en
l'air. Car ce n'est pas la prouver que d'alléguer les changements

introduits après coup dans le texte des évangiles déjà rédigés. En ce


temps, dit Renan, k l'esprit était tout; la lettre n'était rien (3) ».
Alors pourquoi expliquer l'élaboration populaire des évangiles parce
que « Le pauvre homme qui n'a qu'un livre veut qu'il contiemie
:

tout ce qui lui va au cœur. On se prêtait ces petits livrets chacun :

transcrivait à la marge de son exemplaire les mots, les paraboles


qu'il trouvait ailleurs et qui le touchaient (i) ».

L'attachement à l'esprit n'empêchait donc pas l'attachement à la


lettre? Et en effet le peuple chrétien manifesta dès l'origine un extrême
désir de savoir ce que .lésus avait dit et fait, et c'est bien pour satis-
faire ce désir que sont nés les Évangiles. Seulement on s'informait
auprès de ceux qui avaient vu, et qui se trouvaient être les chefs de
la communauté, ceux qui prêchaient et enseignaient. Ce fut aussi
leur rôle d'écrire.
Aussi bien Renan n'a pas fait difficulté de reconnaitre dans le
deuxième évangile les souvenirs de Pierre. La page fait honneur à
son sens critique; elle conserve sa valeur contre des négations beau-
coup plus osées « Les détails matériels ont dans Marc une netteté
:

qu'on chercherait vainement chez les autres évangélistes. Il aime à


rapporter certains mots de Jésus en syro-chaldaïque. Il est plein
d'oi)servations minutieuses (5) venant sans nul doute d'un témoin
oculaire. Rien ne s'oppose à ce que ce témoin oculaire, qui évidem-
ment avait suivi .lésus, qui l'avait aimé et regardé de très près, qui
en avait conservé une vive image, ne soit l'apùtrc Pierre lui-même,
comme le veut Papias (6). »

(1) p. XLMII.

(2) P. LM.
(3) P. I.M.

(4) Même l'age !

11 est vrai qu'ailleurs (p. ui) Marc est « bref jusqu'à la sécheresse »!
(5)

{(]) P. lAVMlI.

i
MELANGES. 443

Et cependant Renan ne second évangile pour l'évan-


tient pas noti'e
gile primitif de Marc. Il en donne une raison à double fin qui ne
peut prouver à la fois que le premier cvang-ile et le second ont été
profondément remaniés. Après les critiques allemands, il regarde le
premier évangile comme une biographie ajoutée aux Discours ou
Logia, recueillis par l'apôtre Matthieu, le moins homme du peuple
du groupe apostolique. Et sans revenir ici sur cette question des
Logia, nous pouvons concéder que le premier évangile n'est pas à
tout le moins dans son état primitif, puisqu'il a été traduit de l'ara-
méen. Or Renan raisonnait ainsi « Dans l'état actuel des textes.
:

l'Évangile selon Matthieu et l'Évangile selon Marc offrent des parties


parallèles si longues et si parfaitement identiques, qu'il faut suppo-
ser, ou que le rédacteur définitif du premier avait le second sous
les yeux, ou que le rédacteur définitif du second avait le premier
sous les yeux, ou que tous deux ont copié le même prototype (1). »
Cela nous laisse le choix. Et si première hypothèse, il
je choisis la
est clair que je ne puis rien déduire des deux autres qui n'ont plus
d'application. Renan ii'a donc pas le droit de conclure « Ce qui :

paraît le plus vraisemblable, c'est que, ni pour Matthieu, ni pour


Marc, nous n'avons les rédactions originales, que nos deux premiers
Évangiles sont des arrangements, où l'on a cherché à remplir les
lacunes d'un texte par un autre... Celui qui n'avait dans son exem-
plaire que des discours voulait avoir des récits, et réciproquement (2). »
Réciproquement? Mais puisque le Marc primitif, celui de Papias, avait
des des discours (As-zOév-a yj TrpaxOsvTa), qu'avait-il à emprunter
faits et

au Matthieu araméen ou grec? Et à supposer que Marc ait consulté


une rédaction de discours, hypothèse très difficile à vérifier et dont
Renan n'a pas entrepris l'étude, n'a-t-il pas pu aboutir du premier
coup au résultat que nous connaissons? L'unité littéraire de Marc
n'est guère moins assurée que celle du quatrième évangile. On sait
d'ailleurs que la critique actuelle n'est plus tellement certaine que le
premier évangile ne contenait que des Discours. Mais puisque Renan
n'a rien fait pour établir le caractère secondaire du Matthieu grec,
nous n'avons pas à poursuivre la discussion.
Comme littérateur, attaché surtout au troisième évangéliste,
il s'est

en qui il a reconnu une allure plus personnelle, on dirait presque


un confrère dans Fart d'écrire. Ce n'est point là, à coup sûr, un être
fictif, anonyme et populaire. Sa personnalité est même si accentuée,

que Ptenan, sans hésiter, lui attribue aussi les Actes des Apôtres. Il a

(1) p. LU.
(2) P. un.
444 REVUE BIBLIQUE.

écritpas très longtemps après le siège de Jérusalem, et il est posté-


riem' aux deux premiers évangélistes. Nous sommes loin des dates
que postulait la critique de Strauss, et Renan peut figurer à cette
fois parmi les défenseurs de la tradition.
Il aboutissait donc à une vue d'ensemble sur les synoptiques.
D'abord les deux premiers qui ont revêtu successivement deux états
différents l'état documentaire original, premières rédactions qui
:

n'existent plus, puis l'état de simple mélange où les documents ori-


ginaux sont amalgamés sans aucun effort de composition, sans qu'on
voie percer aucune vue personnelle de la part des auteurs (Évangiles
actuels de Matthieu et de 3Iarc). Luc inaugure une nouvelle méthode.
Il représente l'état de combinaison, de rédaction voulue et réfléchie,
où l'on sent l'effort pour concilier les différentes versions. Ce troi-
sième état comprend, c'est à la lettre, l'Evangile de Luc, les évangiles
de Marcion, de Tatien, etc. (1).
Quelques réflexions s'imposent. Ne chicanons pas sur ces rédac-
tions qui n'existent plus, car, si on les a seulement amalgamées,
n'existent-elles pas encore à l'état de fusion (2)? Renan met au début
ce qui fut au terme, l'amalgame de Tatien. Et peut-on dire que, à
la différence de Luc, les deux premiers évangélistes n'ont aucune vue
personnelle? Le premier n'aurait-il pas eu l'intention de prouver que
les prophéties ont été réalisées en Jésus, le second de prouver par ses
miracles qu'il était Fils de Dieu? Notre remarque est d'autant plus
désintéressée que le simple mélange sans vues personnelles semble
promettre plus de candeur. Mais enfin on peut avoir un but et le
poursuivre honnêtement. Luc est assez mal caractérisé, même comme
écrivain. Renan voit dans ie troisième évangile « l'œuvre d'un homme
qui choisit, élague, combine (3) ». Il choisit et il élague, soit, et l'on
n'aura donc pas le droit de dire que le Marc primitif ne contenait
pas ce que Luc n'a pas non plus. Mais il combine? Il a fait effort pour
concilier les différentes versions? Sont-ce donc celles que nous con-
naissons? Mais assurément il ne dépend pas de Matthieu. Sont-ce des
versions que nous ne connaissons pas? Alors qu'en savons-nous? Et
cette comparaison de Luc, qui concilie, avec Marcion! A-t-il combiné
celui-là, pour être mis entre Luc et Tatien? C'est bien plutôt celui
qui élague, et qui a élagué, pour autant que nous sachions, le seul
texte de Luc. N'est-il pas étrange de mettre Tatien au troisième rang-
dans cette série? Lui a combiné, c'est incontestable ! Mais l'Église n'a

(1) p. I.XXXVll s.

(2) C'est d'ailleurs ce qui est dit à la p. i.i\.

(3) P. \ii\.
MÉLANGES. 445

pas admis cette combinaison. Et dans (]uelle vue l'avait-il donc faite?
Les critiques ne seraient pas fâchés de le savoir.
Les combinaisons conciliantes de Luc pourraient bien n'être qu'une
réminiscence de Baur. Renan a autre chose à lui reprocher. Quelques
sentences sont « poussées à l'excès et faussées », et par ailleurs « il

émousse les détails pour tâcher d'amener une concordance entre les
différents récits ». Exemple du premier cas Luc a fait dire à Jésus
: :

« Celui qui ne hait pas son père et sa mère », etc. Le. xiv, 26);
parole trop dure pour le « Charmeur » de Galilée, mais où les cri-
tiques reconnaissent le son primitif, atténué par Matthieu (x, 37),
sauf à l'expliquer par l'opposition toujours très crue dans les langues
sémitiques. Dans le second cas de prétendue concordance, Luc (iv, 16)

s'écarte de rapprocher de Matthieu. Le principal grief


Marc sans se
contre Luc, son parti pris de faire des avances aux pécheurs, n'est
pas mieux établi; c'est ainsi qu'il aurait transformé la scène de l'onc-
tion des pieds de Jésus en une scène de pardon". Enfin, il a dans le <(

récit des derniers temps de Jésus quelques circonstances pleines d'un


sentiment tendre et certains mots de Jésus d'une rare beauté, qui ne
se trouvent pas dans les récits plus authentiques, et où l'on sent le tra-
vail de la légende (1). » Ce qui est bien de Renan ici, c'est ce soupir
du critique obligé de sacrifier des mots d'une rare beauté.
Qui l'y contraint? Ces exécutions brutales sont le fait d'un radical,
déterminé à exclure tout ce qui est postérieur à son concept des
deux premiers évangiles, comme suspect d'être adventice et imaginé.
Mais Renan n'en est pas là. Avec une rare pénétration, il a signalé
beaucoup d'endroits où la tradition suivie par Luc se concilie, sans
effort apparent, sans aucun indice d'esprit de système, avec l'expo-
sition du quatrième évangile (2). Le dernier mot sur Luc ne nous
laisse pas moins perplexes. C'est, nous dit-on, un « harmoniste », « un
correcteur à la manière de Marcion et de Tatien », et cette phrase qui
se plaît à grouper des extrêmes est vraiment un non-sens. Mais néan-
moins « C'est un biographe du premier siècle, un artiste divin qui,
:

indépendamment des renseignements qu'il a puisés aux sources plus


anciennes, nous montre le caractère du fondateur avec un bonheur
de trait, une inspiration d'ensemble, un relief que n'ont pas les deux
autres synoptiques (3). »

Renan s'est montré beaucoup plus traditionnel dans son apprécia-


tion du quatrième évangile, moins dépendant des critiques allemands

(1) p. LXXXVI.
(2) p. 213, note 1. ,

(3) P. LXXXVU.
446 RE\UE BIBLIQUE.

et moins systématique qu'eux. Se sentant en désaccord avec une


opinion qui lui imposait beaucoup, il a tenu à donner ses raisons. On
ne s'attend pas à ce que sa position ait été nette, et s'il crut devoir
céder peu à peu au mouvement qui emportait tout en Allemagne, ce
fut plutôt une concession de forme. Apparemment il était trop mal
porté de soutenir, même avec beaucoup d'atténuations, l'authenticité
du quatrième évangile. D'après la première édition de la Vie de Jésus,
cet évangile est en somme de l'apôtre Jean, bien qu'il ait pu être
rédigé et retouché par ses disciples, A partir de la iZ" édition, ce
n'est plus l'ouvrage de Jean, fils de Zébédée. Il lui a été attribué par
quelqu'un de ses disciples, vers l'an 100. L'essentiel, peut-on dire en
envisageant la question du point de vue de l'historien, était de main-
tenir le caractère traditionnel des récits. C'était d'abord exclure
l'opinion inaugurée par Strauss, un moment abandonnée par lui,

puis reprise, dominante dans la critique indépendante, qui fait du


quatrième évangile un ouvrage de pure théologie, une allégorie sous
les apparences de l'histoire, écrite vers le milieu du second siècle.
Ainsi, pour le sens historique des faits, Renan demeurait d'accord avec
l'opinion catholique, mais il niait que les discours du quatrième
évangile représentassent la pensée de Jésus.
Et cependant tout n'était pas à rejeter dans les discours et tous les
faitsne relevaient pas de l'histoire. C'est un des points où Renan's'est
réservé le plus de liberté, en nuançant le plus soigneusement ses
contradictions.
de bonnes raisons pour motiver son changement? Si la
Avait-il
tradition Historique remonte à Jean, il est bien dans un certain sens
l'auteur de l'évangile, d'autant que la première édition ne .lui attri-
buait pas la rédaction proprement dite. Et même après s'être corrigé,
Renan n'admettait pas l'existence du presbytre Jean, distinct de l'a-
pôtre d'exphquer pourquoi la tradition était
(1). Il s'interdisait ainsi

si ferme sur le nom de Jean. Il lui faut la récuser de deux manières :

en contestant tout à fait arbitrairement l'authenticité de l'épitre de


de saint Ignace où l'on
saint Poly carpe et des passages des épitres
trouve des allusions au quatrième évangile (2), puis en imaginant
que Jean, fils de Zébédée, étant tombé dans un état de faiblesse où
il fut en quelque sorte à la merci de son entourage, un secrétaire

(13 P. Lwii, note 1. Le presbytre Jean aurait été inventé pour attribuer l'Apocalypse à
un autre que .Tean. Dans le texte de Papias, les mots r, xî 'Iwàvvri; auraient été inlcr|)olés.
C'est un conji droit à la théorie reprise par M. Harnack; mais absolument rien ne favorise
l'hypothisr d'une interpolation.
(2) P. Lxiv, noie 2; p. i.xv, note 3.
MELANGES. 447

put profiter de cet état pour faire parler selon sou style celui que
tout le monde appelait par excellence « le Vieux » (ê TcpîîojTspcç) (1).
Il une indélicatesse fort peu pieuse
paraissait gentil d'imaginer —
envers un vieillard; —
aux origines du quatrième évangile, et il n'y
avait pas à s'en scandaliser « Ce ne serait pas la seule fois qu'un
:

livre d'abord hérétique aurait forcé les portes de l'Eglise orthodoxe


et y serait devenu régie de foi (3). » D'ailleurs cette affirmation n'a-
vait besoin sans doute ni d'un essai de preuve, ni même d'une insi-
nuation Un indice bien choisi fixe l'écrit avant l'an 100 « Passé cette
! :

date, on ne concevrait plus que l'auteur se fût affranchi à ce point


du cadre des « Mémoires apostoliques (3). » Seulement ce raisonne-
ment va plus loin. Même à cette date on n'aurait pas reçu un livre
qui plaçait l'histoire de Jésus dans un cadre si différent de celui des
synoptiques, s'il n'eût été composé par un témoin oculaire, ou du
moins confirmé par une très haute autorité, qui alors ne pouvait être
que Jean, dernier survivant des Apôtres. Et si on ne l'avait pas reçu
à ce moment, encore moins l'aurait-on reçu depuis. La notice de
Papias n'est qu'une coupure d'Eusèbe. De ce qu'elle ne parle pas du
quatrième évangile, Renan n'a pas le droit de conclure rondement
que Papias ne le connaissait pas (i). Le reproche fait à Marc de
n'avoir pas suivi l'ordre exact des faits n'émane point d'un défenseur
de l'ordre de saint Matthieu, cela ressort du texte, et ne pouvait éma-
ner d'un défenseur de l'ordre de Luc, qui est celui de Marc. Il faut
donc qu'on ait mis en présence l'ordre de Marc et l'ordre de Jean.
Or l'ordre de Marc est en somme sacrifié, puisqu'il est excusé. C'est
très probablement ali profit de l'ordre du quatrième évangile que
Papias s'est prononcé.
C'est donc sans aucun appui dans la tradition que Renan a ima-
giné aux origines du quatrième évangile Jean, fils de Zébédée, ayant
assez de mémoire pour transmettre la tradition des faits, et un disci-
ple employant ce canevas pour broder des nouveautés doctrinales.
Son sens historique l'a bien servi dans l'appréciation des faits :

« Le canevas historique du quatrième évangile est, selon moi, la vie

de Jésus, telle qu'on la savait dans l'entourage immédiat de Jean.


J'ajoute que, d'après mon opinion, cette école savait mieux diverses

(1) P. LXXII.
(2) P. LXXV.
(3) P. LXXV.
(4) D'autant que, d'après Eusèbe, Papias s'était servi de témoignages tirés de la première
épître de Jean. Renan chicane Eusèbe, « mauvais juge en une ([uestion de critique »
(p. i.xv, note 4). Mais c'était une question de fait.
.

448 REVUE BIBLIQUE.

circonstances extérieures de la vie du fondateur que le groupe dont


les souvenirs ont constitué les Évangiles synoptiques (1). »
A soutenir cette proposition, on s'exposait à être pris en pitié ou
tourné en ridicule par toute la (iermanie critique. Renan le savait,
mais il ne s'en est pas dédit, et il a ajouté à sa 13^ édition un appen-
dice spécial pour donner ses preuves. Il est vrai qu'y renoncer leût
obligé non pas à revoir et à corriger sa Vie de Jésus, mais à la
refaire en entier, puisqu'elle est construite sur les bases du quatrième
évangile. Nous n'en sommes pas moins tenus à rendre hommage à
l'indépendance de son caractère et à son tact littéraire. II n'a pu se
résoudre à ranger l'évangile selon saint Jean dans la catégorie des
apocryphes, tous parfaitement étrangers à l'histoire et à la géo-
graphie, indifférents aux réalités concrètes, ni dans la catégorie des
ouvrages allégoriques, car l'allégorie se décèle par elle-même, et il
est impossi])le de découvrir le sens allégorique d'un très grand
nombre de récits. On peut lire aujourd'hui encore avec profit cette
discussion de plus de soixante pages. Il faut toujours demander :

« Qu'importait à un ou d'Alexandrie ce détail


sectaire d'Asie Mineure
topographique (2)? » Même Renan prend assez rudement l'offensive :

« Les écrits vraiment allégoriques des premiers siècles, l'Apocalypse,

le Pasteur d'IIermas, la Pisté (^sic) Sophia, ont une bien autre allure.

Au fond tout ce symbolisme est le pendant du mythisme de M. Strauss :

expédients de théologiens aux abois, se sauvant par l'allégorie, le


mythe, le symbole. » Et ce trait assez piquant « Ce sont les partisans :

de l'explication allégorique qui, dans ce cas, jouent le rôle des


Alexandrins. Ce sont eux qui, embarrassés du quatrième évangile, le
traitent comme Philon traitait la Genèse, comme toute la tradition
juive et chrétienne a traité le Cantique des cantiques (3). >^

C'est très net; mais si le quatrième évangile renferme une tradition


historique supérieure à celle des synoptiques, l'auteur les connais-
sait-il, ou ne les connaissait-il pas? Il semble qu'un critique n'ait que
le choix entre ces deux liypothèses contradictoires. On pouvait aussi
ne pas prendre parti. Renan a hésité. Quand il plaide l'authenticité
des faits, il de croire que Jean a voulu protester contre les
est tenté
récits évangéliques qui circulaient, qu'il fut en particulier froissé qu'on
ne lui accordât pas dans l'histoire du Christ une assez grande place.
Jean l'apotre aurait môme eu un système sur la composition de

(1) P. I.XXX,
(2) p. 482.
(3) p. 509.
MÉLAINGES. 449

iMarc(l\ Puis, dans sa conclusion définitive Rien ne prouve que le


: «

rédacteur du quatrième évangile eût, en écrivant, aucun des Evan-


giles synoptiques sous les yeux (2). »
Sous les yeux, ce n'est pas la question. Mais les connaissait-il? C'est
ce que Renan n'ose exclure « Si l'auteur du quatrième évangile a
:

lu quelque écrit de la tradition synoptique, ce qui est très possible,


il au moins qu'il ne l'avait pas sous les yeux quand il écri-
faut dire
vait (3). » Sous les yeux? encore! Mais il importe peu pour sa déter-
mination à écrire. Si Jean l'apôtre a, plus probablement, connu les
évangiles antérieurs, comment auraient-ils été inconnus de son dis-
ciple, esprit sans doute plus curieux et plus érudit? Aussi Renan
donne-t-il enfin comme une conclusion ferme « Que l'auteur du
:

quatrième évangile, quel qu'il soit, a écrit pour relever l'autorité d'un
des apôtres, pour montrer que cet apôtre avait joué un rôle dans des
circonstances où les autres récits ne parlaient pas de lui, pour prouver
qu'il savait des choses que les autres disciples ne savaient pas('i-). »

Quoi qu'il en soit de ce point, la comparaison s'imposait entre les


récits des synoptiques et ceux du quatrième évangile. Ordinaire-
ment il ne s'agit que de l'ordre des faits, et il n'y a pas grand' chose
à reprendre au libre choix de l'exégète. Par exemple on ne saurait
reprocher à Renan d'avoir placé dès le début de la carrière de
Jésus l'expulsion des vendeurs du Temple; c'est encore la combi-
naison que des exégètes catholiques préfèrent. Mais c'est se contre-
dire que de changer d'appréciation sur le caractère général des
évangiles synoptiques pour mieux défendre le quatrième. Soutenir
que personnages ne sont pas des types, mais des êtres histo-
ses
riques en chair et en os, cela est fort bon, mais cela n'obhgeait pas
à poursuivre « Ce sont bien plutôt les synoptiques qui ont le tour
:

idyllique et légendaire (5). » L'idylle, on sait assez qui l'a inventée.


Et ailleurs quand c'est le quatrième évangile qui a le dessous, on
nous dira « qu'il n'a pas la sincérité, la naïveté absolue de Matthieu
et de. Marc (6) ». Puis encore « Nous voyons, en général, les synop-
:

tiques céder ainsi maintes fois au désir de l'arrangement, procéder


avec un certain art (7). » La synthèse de ces qualités assez difficiles
à concilier sera que chez les synoptiques tout « est combiné naive-

(1) p. LXXX.
(2) P. LXXVI.
(3) P. 530.
(4) P. 536.
(5) P. 500.

(6) P. 526.
(7) P. 518.
450 REVUE BIBLIQUE.

ment pour l'effet (1; ». On ne sera certes pas tenté de donner de la

naïveté à cette critique.


Elle n'est pas seulement subtile à l'excès, elle est franchement
emportée par le préjugé dans deux cas très caractéristiques. Ce sont
l'institution de
la scène de l'Agonie au jardin de- Gethsémani, et
l'Eucharistie. Il y a dans le quatrième éA angile un passage qui parle
du trouble de Jésus, trouble associé à la glorification du Sauveur
par une voix d'en haut (Jo. xii, 27). « N'en doutons pas, » dit Renan,
avec tous les critiques depuis Strauss, « c'est le parallèle de l'agonie
de Gethsémani. » Après quoi, il préfère l'ordre de Jean, qui place
l'épisode plusieurs jour.^ avant la Passion. Pourquoi? parce que,

c'est la raison principale, —
pour admettre l'ordre des synoptiques.
<(

il faudrait supposer que Jésus savait avec certitude


le jour où il mour-

rait » parce que « la critique historique sera toujours pour la version


;

la moins dramatique » (2). En fait, il suffirait pour expliquer l'Agonie


que Jésus ait eu le pressentiment de sa mort prochaine; la seule
perspective d'une certitude surnaturelle fait perdre à Renaii son sang-
froid. Sans cela il eût reconnu que de T Agonie,
le « dramatique »

c'est-à-dire l'appréhension de la mort, l'abattement de Jésus, la


prière en apparence inutile, étaient des circonstances que les fidèles
pouvaient être plus tentés de cacher que d'inventer. Aucihi critique
n'a suivi Renan. Tous proclament à Tenvi que le parti pris du qua-
trième évangile éclate dans tout son jour, qu'il a rayé de l'épisode
ici

l'humiliation et qu'il a rehaussé en gloire un trouble passager. Mais


soit que Jean ait fait allusion à une épreuve distincte de l'Ame du
Sauveur, soit qu'il ait transposé ailleurs quelque chose de la scène
de Gethsémani, suffisamment connue par les synoptiques, on .voit sa
sincérité à mettre en relief la nature humaine du Fils de Dieu. De
toute façon, il n'y a pas lieu de sacrifier un fait affirmé par la tradi-
tion synoptique, auquel on ne peut opposer que le silence du qua-
trième évangile.
Nous ferons le raisonnement à propos de l'institution de
même
l'Eucharistie. Parce que le quatrième évangile n'y fait pas allusion à
la dernière Cène, il faut rayer de l'histoire, non pas l'institution de

l'Eucharistie, qui aurait eu lieu plusieurs fois plutôt qu'une! mais


de la Passion. Cette omission est « un trait
cette institution à la veille
de supériorité » sur les synoptiques. J'ose dire que nous savons déjà
pourquoi. « Prétendre que Jésus réserva pour le jeudi soir une si

(1) P. 523.
(2) P. .M8.
MÉLANGES. 4;H

importante institution rituelle, c'est accepter une sorte de miracle,


c'est supposer qu'il était sûr de mourir le lendemain. Quoique Jésus

(il est permis de le croire) eût des pressentiments, on ne


peut, à

moins de surnaturel, admettre une telle netteté dans ses prévisions (1). »
Le surnaturel! Casse-cou! Mais vraiment les pressentiments, cette —
fois il nous est « permis d'y croire », — les pressentiments suffiraient.
La tradition des synoptiques est ici corroborée par saint Paul (2). En
présence de cet accord, que peut signifier le silence de Jean? Renan :

« Le quatrième évangéliste, si préoccupé des idées eucharistiques,

qui raconte le dernier repas avec tant de prolixité, qui y rattache


tant de circonstances et tant de discours, ne connaît pas ce récit. C'est
la preuve que, dans la secte dont il représente la tradition, on ne
regardait pas l'institution de l'Eucharistie comme une particularité
de la Cène (3). » Alors pourquoi la donnée des synoptiques et de
saint Paul? Parce qu'après la mort d'une personne chère, « on rap-
proche en quelques heures les souvenirs de plusieurs années ;4) ».
Cela pourrait expliquer comment le quatrième évangile a mis sur les
lèvres de Jésus à cette heure solennelle tant de discours. Cela n'expli-
que pas du t«ut comment la tradition ancienne a placé à la veille
de la mort un rite qui y fait expressément allusion, et un discours
fait pour cette circonstance. Et précisément parce qu'il avait à la
dernière cène tant de discours, le quatrième évangéliste a pu estimer
superflu de reproduire des termes solennels dont le texte était con-
sacré, et qui étaient déjà à leur place dans la tradition écrite. Suppo-
sons qu'un critique lise encore « Comme on crut, dès les premières
:

années de l'Église, que le repas en question eut lieu le jour de


Pâques et fut le festin pascal, l'idée vint naturellement que l'institu-
tion eucharistique se fit à ce moment suprême (5). » Ce critique se
croirait obligé de retourner la proposition Comme on savait que
:

l'Eucharistie avait été instituée à la dernière Cène pour remplacer


l'immolation de l'agneau, on en vint à donner à cette Cène le carac-
tère pascal —
s'il ne l'avait pas déjà! Et quelle était donc cette secte

cfui ne regardait pas l'institution de l'Eucharistie comme « une parti-

cularité de la Cène » ? Ne lisait-on pas, à Éphèse, les Épîtres de saint


Paul? Mais on avait bien d'autres idées dans cette secte ! « Pour le qua-

(1) p. 518.
(2) I Cor. XI, 23-25.

(3) P. 401.
(4) P. 399.
(5) P. 400.
452 REVUE BIBLIQUE.

trième évangéliste, le rite de la Cène, c'est le lavement des pieds (1). »

Cela nous assure-t-il au moins que ce fait est historique?


Tout de même la préférence serait ici choquante, et le lavement
des pieds, pratiqué par Jésus dans quelques circonstances », fut
((

lui aussi, sans plus de raison, rapporté à la veille de sa mort (2). Le


quatrième évangile ne vaut que par son silence et pour donner un
démenti aux autres. Or ce serait assez, pour expliquer le silence du
quatrième évangéliste sur l'Eucharistie, en même temps que l'ad-
dition du lavement des pieds, d'admettre ce à quoi Renan a fini par
se résoudre, « qu'il écrivait pour prouver qu'il savait des choses que
les autres disciples ne savaient pas (3) », ou plutôt n'avaient pas
dites. S'il eût voulu les démentir sur un point aussi grave, le silence
n'eût pas suffi.
Mais enfin, sachons gré à un critique si hésitant d'avoir distingué
si fortement quatrième évangile de ces ouvrages où l'on écrivait
le

uniquement ad prohandum. Son érudition très étendue lui a permis


de conclure « Rien ne ressemble moins à la biographie d'un éon;
:

ce n'est pas ainsi que l'Inde écrit ses vies de Krischna, raconte les
incarnations de Vischnou. Un exemple de ce genre de composition,
dans les premiers siècles de notre ère, c'est la Pisté Sophia attribuée
à Valentin. Là, rien de réel, tout est vraiment symbolique et idéal.
J'en dirai autant de 1' « Évangile de Nicodème », composition arti-
ficielle, toute fondée sur des métaphores. De notre texte à de pareilles

amplifications y a un abîme (4)... »


il

Ces paroles étaient dures à la critique en vogue; tous les disciples


de Renan l'auraient sans abandonné, s'il n'avait été plus
doute
coulant sur l'article des discours. Et nous devons reconnaître qu'aussi
la difficulté est plus grande, parce que ces discours ne sont pas dans
le ton de ceux des synoptiques. Est-ce une raison pour déclarer qu ils

ne sont pas vraiment des discours de Jésus, représentant sa pensée,


ses entretiens avec Nicodème et la Samaritaine, ses discussions avec
les Juifs, ses épanchements avec ses disciples? Non, évidemment, car
un disciple a pu retenir d'autres accents du même Maître, comme
il a placé sa biographie dans un cadre ditférent. Celui qui préfère

ce cadre est mal venu à en rejeter les discours.

(1] P. 401.

(2) P. 401.

(3) P. 530.
(4) P. 480. II est vrai qu'entraîné par son jeu de bascule, Renan continue : « Et, s'il

lallait à tout prix trouver l'analogue de ces arnpiificalions parmi les Évangiles canoniques,
ce sérail dans les synoptiques bien plus que dans notre Évangile qu'il faudrait le cher-
cher. » Personne ne l'a-t-ildonc contraint à tenir cette gageure?
MÉLANGES. 4o3

Mais ces discours sont écrits dans la langue de l'auteur de l'évan-


gile, au point que, dans le cas particulier d'un discours de Jeau-
Baptiste, des interprètes catholiques se sont demandé si tout le dis-
cours était du Baptiste, ou si Jean, fils de Zébédée, ne s'était pas
substitué à lui sans en aviser le lecteur (1). Cette objection de l'unité
du style est plus grave et moins grave. Plus grave, parce que
l'argument prouve bien une intervention de l'écrivain; moins grave,
parce que cette intervention a pu ordinairement se réduire au style.
Allons plus loin. Des critiques catholiques, soucieux de défendre
l'inspiration des livres saints dans un sens très strict, n'ont pas refusé
de reconnaître dans les discours du quatrième évangile une cer-
taine élaboration de la pensée de Jésus. Dans ce cas aussi on dis-
tingue la substance de ce qui n'est qu'un mode.
Benan adopté une solution beaucoup plus radicale, quoiqu'il
a
l'ait, à son habitude, tempérée par des restrictions.
Il nous l'avons déjà dit, prononcé le gros mot d'hérésie. Sans y
a,

tenir beaucoup d'ailleurs, puisqu'il n'a pas essayé de fournir la moin-


dre preuve. Plus loin le reproche s'adoucit « Nous sommes ici en :

pleine métaphysique philonienne et presque gnostique !'-2). » En


même temps ces « discours de Jésus, tels que les rapporte ce pré-
tendu témoin, ce disciple intime, sont faux, souvent fades, impos-
sibles (3) ». Ils ne sont pas de Jean, parce que « le grec dans lequel
l'évangile est écrit n'est pas du tout le grec palestinien que nous
connaissons par les autres livres du Nouveau Testament (4) ». Ils ne
sont pas de Jésus « Ce n'est pas par des tirades prétentieuses, lourdes,
:

mal écrites, disant peu de chose au sens moral, que Jésus a fondé son
œuvre divine (5). » Enfin ce « ne sont pas des pièces historiques »,
et on en voit la preuve dans leur « parfaite harmonie avec l'état

intellectuel de l'Asie .Mineure au moment où elles furent écrites (6) ».


Sans doute personne n'a poussé l'irrévérence envers le docte
membre de l'Institut jusqu'à s'informer des caractères du grec pales-
tinien, qu'il se flattait de connaître par les autres livres du Nouveau
Testament. Même après le renouveau des études sur le grec hellé-
nistique, on serait fort embarrassé de les définir. Et l'on n'est pas
beaucoup plus avancé sur l'état intellectuel de l'Asie Mineure à cette

;i) Jo. m, 31-36; cf. m, 16-21.


(2) p. 539.
(3j Ici.

(4) M.
(5) P. LXIX.
(6) P. LXXI.
t54 REVUE BIBLIQUE.

époque. Renan cite Cérinthe, qui ne figure dans l'histoire de l'Église


que comme l'adversaire réfuté par Jean. C'est tout ce que le qua-
trième évangile a de gnostique. Quant à la métaphysique philo-
nienne, c'est, osons le dire, une expression vide de sens à propos du
quatrième évangile.
Dans Philon, il y a, sinon une métaphysicjiie cohérente, du moins
une affectation constante de philosophie, une connaissance incontes-
tahle de divers systèmes qu'il amalgame comme il peut entre eux et
avec la Bible. Le quatrième évangile débute par une page sublime,
et contient beaucoup de paroles sublimes. Mais ce n'est point là de la
métaphysique. La métaphysique est l'étude des causes suprêmes
d'après les lumières de la raison. Le quatrième évangile pénètre
jusqu'à l'intérieur de Dieu, mais d'après la révélation du Fils. Quelques
écrivains modernes, comme pour éviter le mot de religion, le rem-
placent par celui de métaphysique. Un chrétien et un libre penseur
n'ont pas, dit-on, les mêmes opinions métaphysiques. Mais Renan n'a
pas voulu parler ce langage des journaux. Les discours de Jésus dans
le quatrième évangile sont la plus haute expression de la révélation,

sans la moindre apparence de syllogisme ou de catégories, ou de dia-


lectique transcendante. Renan n'y a rien vu d'utile au sens moral.
Cela étonne. Car alors il prétendait encore sérieusement ce qu'il a dit
à la fin en plaisantant, que la morale et la religion étaient insépa-
rables. La morale de Jean est fondée sur une foi religieuse, certes,
mais cette foi conduit à l'action. Le gnosticisme était réfuté d'avance
par une seule parole du quatrième évangile « Celui qui fait la vérité, :

vient à la lumière (1). » Et tous les discours sont sur ce ton. Ils parlent
beaucoup de vérité, de lumière, d'amour. Mais aimer, c'est accomplir
les commandements (2).

Et que les discours soient mal écrits, ce ne serait qu'affaire de style,


non d'authenticité, et voici Renan lui-même qui l'avoue « Cela ne :

veut pas dire qu'il n'y ait dans les discours de Jean d'admirables
éclairs, des traits qui viennent de Jésus 3). » L'un de ces traits, c'est

la parole à la Samaritaine sur « le culte pur, sans date, sans pa-


trie (V) ». Si ce mot est authentique, quoique si éloigné de la pratique

(1) Jo. m, 21.


(2) .lo. \iv, 21.

'3) P. LXX.
Cl) P. 244. Il que cette atDrmation ne pouvait demeurer sans atténuation ni
est vrai
explication. On lit « Si .lésus n'a jamais prononcé ce mol divin, le mot
ailleurs (p. 494) :

n'en est pas moins de lui, le mot n'eût pas existé sans lui. » Et voilà tout le inonde
d'accord.
MÉLANGES. 455

ordinaire du Maître, on ne voit pas bien pourquoi on serait plus


sévère pour tant d'autres.
Si bien qu'on nous propose une comparaison. Les discours « sont
en quelque sorte les variatiojis d'un musicien improvisant pour son
compte sur un thème donné. Le thème, au cas dont il s'a.^it, peut
n'être pas sans quelque authenticité; mais, dans l'exécution, la fan-
taisie de l'artiste se donne pleine carrière (1) «. Bien, mais tout —
dépend du thème donné. Si ce thème, comme cela est de toute évi-
dence, mission du Fils de Dieu, on pourrait
est l'incaruation et la

peut-être se mettre d'accord sur l'expression de variations, au sens


musical... Mais ce n'est pas ce qu'entend Renan, qui finit par refuser
l'authenticité du thème. Naturellement il a prévu l'objection : Pour-
quoi accorder tant de crédit au quatrième évangile sur les faits, -et si

peu sur La même tradition, fidèle à rapporter les faits,


les doctrines?
est-elle indig-ne de croyance quand elle redit l'enseig-nement du Maitre ?
Il a répondu par des comparaisons de valeur très inégale. « Les

discours insérés par Salluste et Tite-Live dans leurs histoires sont


sûrement des fictions en conclura-t-on que le fond de ces histoires
;

est également fictif (2)? » —


Mais ces discours sont des morceaux
d'apparat, des pièces d'éloquence, qui ne ressemblent en rien aux
paroles de Jésus, mêlées à ses actes, et assez improprement nommées
discours. Ceux de ces « discours qu'on attaque le plus, parce que
)>

Jésus y parle de sa divinité, sont des dialogues avec les Juifs. De sorte
que Renan était beaucoup plus dans le vrai en reprenant la compa-
raison de Xénophon et de Platon, tous deux interprètes^de Socrate.
Mais c'est pour sacrifier presque entièrement Platon. « Pour exposer
l'enseignement socratique, faut-il suivre lesDialogues de Platon
ou les Entretiens de Xénophon? Aucun doute à cet égard n'est
possible; tout le monde attaché aux
Entretiens et non aux
s'est
Dialogues. Platon cependant n'apprend-il rien sur Socrate? Serait-
il d'une bonne critique, en écrivant la biographie de ce dernier, de
négliger les Dialogues? Qui oserait le soutenir (3i? »
Je ne sais ce qu'avait décidé la science au temps où écrivait Renan,
et je pas davantage ce qu'elle statue aujourd'hui. Mais il suffît
ne sais
d'avoir lu les Entretiens et les Dialogues pour affirmer que tout So-
crate n'est pas dans Xénophon. Cet honorable officier de cavalerie
avait une aptitude assez médiocre pour la philosophie, et son Socrate
ne s'élève pas au-dessus d'une honnête et médiocre banalité intellec-

(1) p. LXXVIU.
(2) P. 520.
(3) P. LXXIX.
4b6 REVUE BIBLIQUE.

tuelle.Qui croira que Platon ait été sous le charme de cet homme, s'il
n'y avait rien eu de plus en lui? Aurait-il prêté sa dialectique péné-
trante, la finesse de son ironie et ses Idées divines au porte-parole
du simple bon sens? Sans exagérer l'importance d'une comparai-
son, il résulte bien de celle-là qu'il y a plus à tirer du quatrième
évangile que des détails luographiques.
Et la fidélité dans les détails biographiques va-t-elle sans la vérité
de l'histoire? Peut-être, en elîet, un portrait comme celui que Taine a
tracé de Napoléon, malgré tant de traits exacts, ne donne-t-il pas une
image aussi complète que tel résumé en quelques lignes. Encore est-il
que cet aspect de la personne n'est pas inventé, les détails authenti-
ques doivent être ajustés quelque part dans une physionomie totale.
Et il faut faire la part de l'esprit de système dans le brillant écrivain.
Le quatrième évangile n'y met point tant d'art ni de malice. Aussi
l'on ne saurait dire avec Renan que si les renseignements matériels
du quatrième évangile sont « plus exacts que ceux des synoptiques,
sa couleur historique l'est beaucoup moins (1) ». La tradition johan-
nine, telle que Renan en fait cas, remonte directement ou indirecte-
ment à un témoin oculaire. Comment aurait- elle gardé le souvenir
précis de tant de menus faits (2), et aurait-elle oublié « la physio-
nomie générale » (si Ton peut dire) d'un Maître adoré?
Il faut toujours répéter les sages paroles de M. Wallon « Le docteur
:

Strauss traite les évangélistes comme il ferait de copistes ayant à re-


produire l'œuvre unique d'un même peintre. Les évangélistes sont les
peintres, et leur tableau varie parce que leurs personnages se meu-
vent (3). »

Renan a raison contre les allemands lorsqu'il refuse


rationalistes
d'accepter leur dilemme ou s'en tenir purement et simplement aux
:

faits et à l'ordre de Jean, témoin oculaire, ou voir dans le quatrième

Évangile une création totale de la théologie dans un cercle de chré-


tiens d'Éphèse. Pourquoi Jean n'aurait-il pas, lui aussi, disposé les
faits et les discours sans suivre toujours une stricte chronologie? Et si

le savant français a cédé à l'esprit de système en exagérant la dilTé-

rence entre les faits et les discours, à tout prendre, il n'a manqué ni

de tact historique, ni de courage en faisant un usage si constant du


quatrième évangile « Toute personne qui se mettra à écrire la vie
:

de Jésus sans théorie arrêtée sur la a aleur relative des Évangiles, se

(1) P. r>M.
(2) Car Renan en garde beaucoup, tout en rejetant des « traits qui ne peuvent aA'oir une
valeur sérieuse : i, 40; ii, 6; iv, 52; v, 5. 9; vi, 9. 19; xxi, 11 » (p. i.xviii, note 2).

(3) De la croyance due à l Évangile, 2' éd., pari. II, ch. w.


MEI.ANGES. 457

laissant uniquement guider par le sentiment du sujet, sera ramenée


dans bien des cas à préférer la narration du quatrième Évangile à
celle des synoptiques... plusieurs traits de la Passion, inintelligibles
chez les synoptiques, reprennent dans le récit du quatrième Évangile
la vraisemblance et la possibilité (1). »

D'ailleurs, il s'est abstenu de toute enquête sur l'ordre de Marc, sur


la dépendance de Luc par rapport à Marc, sur les relations de Mat-
thieu avec les deux autres, toutes questions qui étaient déjà traitées
en 1863', et depuis 18G8 il n'a pas changé une ligne à son croquis,
vraiment trop sommaire, de la composition des évangiles. Son siège
était fait.
Il faut assurément le louer de cet « abîme » qui sépare les évan-
giles canoniques des évangiles apocryphes : « Ce sont de plates et
puériles amplifications ne met pas dans cette catégorie, et
(2). » Il

avec raison l'Évangile selon les Hébreux, ni l'Évangile selon les


,

Égyptiens. Mais il est bien étrange qu'il les range dans un même
groupe avec « les Évangiles dits de Justin, de Marcion, de Tatien ».
Les deux premiers, nous dit-on, furent l'Évangile des ébionim, c'est-
à-dire des petites chrétientés de Batanée. Cela ne peut être le cas de
l'Évangile selon les Égyptiens. En revanche, il est très juste de dire
que « pour l'autorité critique, à la
ces Évangiles sont inférieurs,
rédaction de l'Évangile de Matthieu que nous possédons (3) ». Et
derechef ce jugement ne s'accorde guère avec ce qui est dit ailleurs
des « simples et douces familles chrétiennes de la Batanée chez les-
quelles sest formée la collectioû des Aôvta (4) », d'autant qu'ailleurs
encore, les discours ont été « recueillis par l'apôtre Matthieu (5) ». Ces
« petits comités » de Batanée, « très purs, très honnêtes », nous

offrent le contraste le plus parfait avec la tradition du quatrième


évangile, car elles « pouvaient à la fois avoir très bien conservé le

timbre de la voix du maître, et être fort mal renseignées sur des cir-
constances biographiques auxquelles elles tenaient peufG) ». L'op-
position n'est qu'amusante entre ce petit monde très conservateur,
indifférent aux faits, et la secte d'Éphèse, école de dévelo^Dpement
théologique très attachée aux faits et à l'ordre des faits. Bappelons
que les communautés de Batanée n'ont pu avoir d'autorité spéciale

(1) P. LXXVII.
(2) P. LXXXMII.
(3) p. LXXXIX.
(4) P. 502.
(5) P. LIV.

(6) P. 502.
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. •
30
458 REVUE BIBLIQUE.

que représentaient des chrétiens de Jérusalem, partis de la


si elles

ville sainte peu avant l'an 70.


Les « Logia » existaient alors! Tout ce
qu'on peut attribuer à ces comités très purs, c'est le remaniement
du premier évangile jugé inférieur à notre Matthieu canonique.
Renan ne s'est point expliqué sur la valeur de .losèphe, mais on
voit qu'elle lui en impose. Il sert de pierre de touche de la véracité
des Évangiles, et de critère souverain pour les discussions topo-
graphiques, même dans ses descriptions, dont l'exagération saute
aux yeux, et qui sont si souvent inexactes (1).
Pourtant le critique a très bien noté le « vernis de banalité (2) » qui
efface dans Josèphe ce qui a trait aux croyances messianiques, et
« qui fait ressembler tous les chefs de sectes juives à des professeurs
de morale ou à des stoïciens ».
Le disciple de Pallas-Athéné ne pouvait dissimuler sa répugnance
pour la rédaction du Talmud. Mais il lui attribue beaucoup d'auto-
rité. D'après lui, les dates ici ne font rien, quoi que puissent en

penser des personnes habituées à n'accorder de valeur à un docu-


ment que pour l'époque même où il a été écrit. De tels scrupules
seraient ici déplacés. L'enseignement des Juifs depuis l'époque asmo-
néenne jusqu'au ii'' siècle fut principalement oral « Il ne faut pas :

juger de ces sortes d'états intellectuels d'après les habitudes d'un


temps où l'on écrit beaucoup (3). » —
Sans doute, et nous en demeu-
rons d'accord, nous demandons même qu'on s'en souvienne à propos
des évangiles. Car si 200 ap. J.-C, si les
la Michna, rédigée vers l'an

Talmuds de Jérusalem et de Babylone qui n'ont rédigé leur cjemara


ou complément de la Michna que vers Fan 500, reproduisent fidèle-
ment les sentences de Rabbins antérieurs à l'ère chrétieune-, cela nous
rassure sur la conservation des paroles de Jésus.
Renan a donc mis à profit les ouvrages rabbiniques pour con-
naître la pensée des anciens maîtres, et il a même avancé qu'avec
des maximes plus anciennes on pourrait recomposer la morale évan-
gélique presque tout entière (4). Mais il a eu trop bon esprit, ou sim-

Lxxxiv Luc « commet des erreurs... de topographie ». En note « Coinp.


(1) p.
:
:

Luc, \xiv, 13, à Jos., Vil, VI, 6 (édit. Dindorf »). C'est la difficile question d'Emmaiis, que
Renan n'a évidemment pas étudiée de près. Cf. sur l'identilication certaine do Capliar-
nahum et de ïell Ilum, le doute justifié par .losèphe (p. l'iT, note;.
(2) P. 108, note.
(3) P. xi.vi.
(4) On ne se cliarge pas de concilier cette appréciation avec celle-ci « La science
P. 88. :

du docteur juif, du sofer, ou scribe, était purement barbare, absurde sans compensation,
dénuée de tout élément moral (p. 'IX"^). Et eu note
») « On en peut juger par le Talmud.
:

écho de la scolastique juive de ce temps. »


MÉLANGES. 4o9

plement assez d'esprit, pour ne pas tenter


gageure d'un parallé- la
lisme poursuivi dans le détail. Il n'eût pas réussi, à en juger par le
seul échantillon qu'il en donne « Pour la justice, (Jésus) se conten-
:

tait de répéter l'axiome répandu Ne fais pas à autrui ce que tu ne


:

voudrais pas qu'on te fit à toi-même (1). » La distraction est assez


forte, car les passages cités en note, Mt. vu, 12; Le. vi, :31, contien-
nent le précepte sous la forme positive, beaucoup plus exigeante, de
faire aux autres ce qu'on voudrait qu'on vous fit. On nous dit « Ce :

n'est pas l'ancienne Loi, ce n'est pas Talmud qui ont conquis
le et
changé le monde (2). » Pourtant, était-ce assez, pour marquer la
supériorité de l'Évangile, de parler d'un accent plein d'onction, et
de la poésie du précepte qui le fait aimer? A moins que cette onction
ne soit celle de l'Esp rit-Saint, cette poésie, l'Incarnation du VerJDe.

III. — La méthode historique.

Avec sa théorie sur la composition et les rapports des iisansiles


entre eux, Pienan pouvait encore écrire une histoire, Goethe a dit que
le passé est un livre scellé de sept sceaux (3), et cela est vrai pour
tout le monde. Quand ajoute que l'esprit des temps est au fond
il

le propre esprit de ces Messieurs dans lequel se mirent les temps, il


constate cette loi que toute histoire est dans une certaine mesure
une interprétation. Mais il y a tout de même deux manières bien
différentes d'interpréter le passé. Le culte doit point du document ne
aveugler entendu, et l'historien doit tendre de tous
le critique, c'est

ses efforts à tracer une image des faits anciens, une phvsionomie et
non point des traits isolés et sans vie. Mais il faut qu'il soit assez
absorbé par son œuvre pour se perdre de vue, et que le miroir des
temps ne lui renvoie pas sa propre image En d'autres termes, il y a
une histoire réaliste, objective, impersonnelle, et une histoire où
l'auteur se retrouve à toutes les lignes, avec sa conception de la vie,
ses passions et ses préjugés. Or vraiment bien étrange q»e
il est
Brunetière (i) ait placé Renan dans la première catégorie, parce
qu'il a écrit à une époque de réaction contre le romantisme et l'indi-
vidualisme, et qu'il a procédé avec une allure scientifique. M, Séailles
a vu beaucoup plus juste : « L'histoire des origines du Christianisme

(1) p. 86.
(2) P. 88.
(3) Faust. I, 223 et s.

(4) Le XIX' siècle.


460 REVUE BIBLIQUE

est une confirmation par les faits des thèses chères à Renan (1). » Les
thèses, eu effet, paraissent; mais il faut aller encore plus au fond. Ce
qui se laisse voir derrière les thèses, c'est le talent et la personne
même de l'auteur. Et pourquoi ne pas le dire? C'est ce qui en fait
l'attrait et c'est même temps ce qui inspire
en aux croyants un dégoût
qu'ils n'éprouvent pas, au même degré à lire des attaques plus
violentes. L'attrait, car l'esprit de Renan, très ouvert, très souple,
capable de tout comprendre, disposé à admirer tout ce qui s'impose
à l'admiration, détaché de tout préjugé, mais respectueux de ce qui
est beau et noble, avec une onction de piété, ne peut manquer
d'exercer urte séduction sur les bonnes Ames. 31ais lorsqu'on a com-
pris l'ironie qui sourit de cette onction, les insinuations malveillantes
qui dégradent le respect, la passion qui frémit sous cette sérénité
apparente, et le froid parti pris qui tranche tout, on souffre de voir
se pencher sur toute cette histoire, jusque sur la face adorable de
Jésus, l'ombre de celui qui ose encore l'appeler son ami. Non.
M. Séailles n"a point exagéré en notant que Renan « a voulu que
Jésus lui renvoyât sa propre image et il s'est surtout complu à cette

image (2) ». N'était-ce pas l'avouer que de prêter à Jésus je pré- —


viens le lecteur que c'est un blasphème —
le sourire désabusé du

mandarin Nous ne comprenons pas le galant homme sans un peu


: «

de scepticisme... Tandis que Jésus posséda au plus haut degré ce que


nous regardons comme la qualité essentielle d'une personne distin-
guée, je veux dire le don de sourire de son œuvre, d'y être supé-
rieur, de ne pas s'en laisser obséder, Paul ne fut pas à l'abri du
défaut qui nous choque dans les sectaires, il crut lourdement (3). »
Mais il faut voir les choses de plus près.
Nous pouvons très bien, avec les apologistes du xix' siècle, distin-
guer dans les évangiles deux aspects. Le catholique les vénère comme
inspirés. C'est de foi. Et dès lors il ne peut les traiter comme des
livres ordinaires. Mais précisément parce qu'il a conliance dans leur
véracité comme livres saints, il ne s'efi'raie pas qu'on les soumette à
l'examen de la critique. D'ailleurs, c'est un fait que les critiques
incrédules en abordent l'étude sans aucun respect du divin qui est en
eux. Noussommes convaincus que cette étude peut avoir son utilité,
parce que nous sommes convaincus que les évangiles prouvent, à
toute àiue probe, à tout esprit droit, la mission divine de Jésus-
Christ. Nous demandons seulement que les conditions d'une étude

(1) P. i:n.
(2) Eriiesl lienon, p. 137.
f3i L'AnléclirixI. p. m.
MÉLANGES. 461

historique soient observées. D'après ces conditions, nous ne pouvons


nous étonner qu'on ne tire pas du simple examen des évangiles toutes
les conclusions qui découlent de leur caractère inspiré, car ce carac-
tère ne ressort pas avec évidence des textes, fùt-il entrepris avec
la grâce de lEsprit-Saint, quoi qu'en ait dit l'ancien protestantisme.
C'est ainsi que nous ne pouvons exiger que le critique établisse

avant tout l'harmonie entre les textes et les déclare exempts de toute
erreur. Les appréciant comme des documents humains, il sera per-
suadé 'd'avance qu'ils contiennent Terreur, comme tous les autres, et
il les traitera comme tels, essayant de faire le départ entre Terreur

et la vérité, selon la valeur des documents eux-mêmes. Ce sera à


nous de les défendre. Mais avant de l'entreprendre, nous avons autre
chose à faire, c'est de nous abriter, pour ainsi dire, et provisoire-
ment, derrière les règles du jeu.
Quelques erreurs de détail, à supposer qu'elles paraissent plus
vraisemblables au premier examen, quelques contradictions appa-
rentes dont la solution certaine ne peut être fournie, n'autorisent
pas à récuser la valeur des documents sur les points où leur témoi-
gnage s'impose.
Il fallait répéter ces choses banales, parce que Renan n'a jamais
fait la distinction. <c S'il dans Tacite ou dans Polybe
y avait, » dit-il, «

des erreurs aussi caractérisées que celles que Luc commet à propos
de Quirinius et de Theudas, on dirait que Tacite et Polybe se sont
trompés (1). » Nous renvoyons aux commentaires pour Texplication
de ces cas (2), et les théologiens les pèseront en conscience, mais
enfin, si Tacite et trompés, ce qui a pu arriver même
Polybe se sont

à Thucydide, on n'en conclura pas que leurs ouvrages soient légen-


daires. Et Ton avouera que si Renan n'a pas trouvé d'autre erreur
historique dans le troisième évangile et dans les Actes, Luc ferait
encore assez bonne figure comme historien. En définitive, comme
théologiens, nous devons prouver que les faits allégués ne sont pas
incompatibles avec la notion catholique de l'inspiration. Mais obligés
de nous contenter parfois de solutions probables, nous ne pouvons
nous étonner de voir les critiques soutenir d'autres solutions qui leur
paraissent plus probables. Ce serait alourdir à l'excès l'examen d'un
ouvrage comme la Vie de Jésus que de discutei lous les points où
Renan a rejeté le témoignage des évangélistes. Nous posons seule-

(1) P. VII s.

(2) Sur le recensement de Quirinius, cf. Revue


biblique, 1913 ;
Theudas figure seule-

ment dans un discours de Gamaliel (Act. v, 36).


462 REVUE BIBLIQUE.

ment la question générale : Qu'en pensait-il comme documents his-

toriques, quel crédit leur a-t-il accordé?


Nous savons déjà qu'il les regardait comme légendaires, c'est-à-
dire comme remplis d'histoires fausses, car ils parlent sans cesse de
miracles, et le miracle n"a jamais existé. On n'est pas plus net : Ce
«

n'est pas parce qu'il m'a été préalablement démontré que les évan-
eélistes ne méritent pas une créance absolue que je rejette les
miracles qu'ils racontent. C'est parce qu'ils racontent des miracles
que je dis Les Évang"iles sont des légendes; ils peuvent contenir
: <>

((de riîistoire. mais certainement tout n'y est pas historique (1). »
Malgré tout, c'est précisément ce qui est en question. D'ailleurs
Kenan s'est vivement défendu de raisonner sur ce point en philo-
sophe. Il n'est qu'historien et le déclare très haut. Il rejette les

miracles parce qu' on n'en a jamais vu )>, et les évangélistes


«

disent qu ils en ont vu (saint ,Iean), ou que les jjersonnes qu'ils ont
consultées en ont vu (saint Luc), ou ils les racontent sans sç mettre en
scène, mais avec la conviction absolue que des faits surnaturels ont
été accomplis au grand jour et en présence de témoins irrécusables
(sairit Matthieu et 'saint Marc). Il était donc indispensable de se pro-

noncer sur la valeur du témoignage des évangélistes.


Ce ne sont point des historiens au sens ordinaire, nous le savons,
puisqu'ils ne racontent pas une suite de faits de l'ordre politique ou
militaire, en observant soigneusement les circonstances de temps et
de lieu. Et l'on peut dire que nous connaissons mieux par Thucydide
ce qui se passa à Athènes durant les premières années de la guerre du
Péloponèse que ce qui se passa en Judée sous Ponce-Pilate. Mais ce
n'est pas non plus la question. Les évangélistes ont concentré leur
attention sur une seule ligure, et l'on peut presque dire sur l'action
religieuse de Jésus, la prédication du règne de Dieu qui l'a mani-
festé comme le Messie et l'a conduit à la mort. Connaissons-nous
mieux Périclès ou Nicias ou Alcibiade que nous ne connaissons Jésus?
Cela dépend évidemment de la valeur des évangélistes comme témoins
de cette vie.
Voici ce qu'a imaginé Supposons qu'il y a quinze ou
Renan : «

vingt ans, trois ou quatre vieux soldats de l'Empire se fussent mis


chacun de leur côté à écrire la vie de Napoléon avec leurs souvenirs.
il est clair que leurs récits offriraient de nombreuses erreurs, de

fortes discordances. L'un d'eux mettrait ^Vagram avant Marengo;


l'autre écrirait sans hésiter que Napoléon chassa des Tuileries le gou-

(1) P. VI.
MELANGES. 463

vernemcnt de Robespierre; un troisième omettrait dos expéditions de


ici plus liante importance. Mais une chose résulterait certainement
avec un haut degré de vérité de ces naïfs récits, c'est le caractère du
héros, l'impression qu'il faisait autour de lui. On peut en dire autant
des Évangiles (1:. ••

Tout est faux dans ce parallèle. Renan parle de soldats, par où il

entend des soldats du peuple, de vieux grognards. Comment au-


raient-ils pu connaître le héros qu'ils n'avaient jamais vu de près?
Ils auraient été, tout au plus, l'écho d'une légende, de la légende du

petit caporal, familier avec les soldats. Ce qui manquerait le plus


à ces récits, c'est précisément le vrai caractère du héros, et je ne
sache pas que ni Taine, ni Vandal aient consulté de pareils témoins
pour sonder l'âme de Ronaparte. A peine garderaient-ils la lueur, le
reilet d'une auréole. Où sont donc ces anciens soldats qui ont eu la

prétention d'écrire la vie de Napoléon avec leurs souvenirs? On a


publié, il est vrai, des récits de soldats sortis du peuple qui ont raconté
telle campagne. C'est en vain qu'on y chercherait la biographie du
général en chef. En revanche, beaucoup de détails paraissent être
rigoureusement vrais; ces braves gens disent ce qu'ils ont vu; Napo-
léon traversait leur horizon dans une gloire; s'il les a approchés, ils
ont été éblouis.
Les évangélistes, eux, directement ou indirectement, reproduisent
concédé par Renan. Or
les souvenirs des Apôtres. Ce point capital est
c'était bien le moment de s'éclairer des coutumes orientales. Aucune
intimité dans nos pays au climat rigoureux, avec la vie moderne où
chacun \at chez soi, ne peut donner une idée de la vie commune
menée par dormant
Jésus avec ses disciples, vivant sous le ciel bleu,
souvent aux étoiles mangeant ensemble dans une barque ou dans
,

les champs le pain préparé au foyer improvisé qui les groupait tous.
La conversation était ininterrompue, si ce n'est quand le Maître s'écar-
tait pour prier, échange incessant de questions et de réponses, avec

des étonnements qui attiraient des reproches, des préjugés qui tom-
baient, peu à peu, à mesure que les esprits s'ouvraient, après que les
cœurs s'étaient donnés. L'image du Sauveur n'avait pas pénétré toute
faite, créée par la renommée aux cent voix, elle s'était formée peu à

peu dans des âmes de bonne volonté, mais constamment contrariées


par un esprit si différent du leur! Ce sont ces disciples, de plusieurs
années, —
Renan l'enseigne, —
ces amis, lentement imbus de la
doctrine qu'ils devaient ensuite prêcher, qu'on compare à la foule

(1) p. LXWIX s.
464 REVUE BIBLigUE.

anonyme des soldats que Napoléon entraînait dans ses batailles! Il


n'y a d'analogie que sur un point. Les victoires ont enthousiasmé les
fidèles grognards; les miracles ont convaincu les disciples (1),
Pourtant Renan s'est plaint, avec sa douceur ordinaire, qu'on lui
ait reproché son scepticisme. « Loin d'être accusé de scepticisme, je

dois être rangé parmi les critiques modérés, puisque, au lieu de


rejeter en bloc des documents affaiblis par tant d'alliage, j'essaye
d'en tirer quelque chose d'historique par de délicates approxima-
tions (2). »
Et il est certain, en efTet, que, comparé à Strauss, — sans parler de
Bruno Bauer, —
Renan fut un historien modéré, plus modéré même
que ceux du protestantisme libéral, qui en général ne tenaient aucun
compte du quatrième évangile. Mais précisément parce qu'ils ont
afiFecté plus de sévérité que lui dans le choix des documents, ils se

croient plus assurés de serrer de près la vérité historique. Et il leur


est certes plus aisé d'aboutir à un portrait qui ne soit pas dépourvu
d'une certaine unité psychologique. Peu de documents, mais il fau-
dra en tenir compte l'historien n'a plus le droit de s'en écarter. C'est
;

bien assez qu'il les ait triés arbitrairement! Moins arbitraire comme
critique, disposant ainsi d'un matériel plus étendu, Renan entend bien
l'employer à sa guise. On ne peut pas dire qu'il manque ici de fran-
chise, puisqu'il s'en est ouvert au public, mais il manque certaine-

ment de ne pas se compromettre auprès des


netteté. Très soucieux de
sceptiques, et désireux cependant de tirer une histoire agréable à
lire d'une légende si belle, il nous invite à apprécier l'art de ses
(( délicates approximations après nous avoir interdit d'y croire.
»,

Eu 1863, quand parut la Vie de Jésus de Renan, la réaction contre


la Vie de Jésus de Strauss avait abouti à une histoire refaite sur des
ruines accumulées, et Strauss lui-même y donna les mains en écri-
vant en 186i sa Vie de Jésus j^our peuple allemand. Renan notait le

modestement « M. Strauss suppose le caractère individuel de Jésus


:

plus effacé pour nous qu'il ne l'est peut-être en réalité (3). » Réserve

(1) 11 ne faut |)as se lasser de dénoncer le cercle vicieux de la critique de Strauss,


adoptée si largement jiar Renan. Il écrit : « Aucun grand événement de l'histoire ne s'est

passé sans donner lieu à un cycle de fables « (p. 250). Soit, mais on lit ailleurs « 11
:

n'est pas de grande fondation qui ne repose sur une légende î) (p. 264). Essayez donc après
cela d'écrire l'iiisloire! Et sur quoi repose la légende? Sur la tortue qui porte le monde?
Ou sur rien? « Sa légende était ainsi (?) le fruit d'une grande conspiration toute spon-
tanée, et s'élaborait autourde lui de son vivant » (p. 2.50). Pas d'effets sans cause, —
disaitRenan, et c'est pourquoi il a fini par recourir à la dissimulation; la conspiration
spontanée devient le complot des compères. Ohl en toute bonne foi! —
(2) P. v.
(3) P. xxxvui, note 2.
MÉLANGES. 465

plus que timide ! Strauss avait gratifié « la communauté « de tout le

génie qu'il refusait à son Maitre. Renan comprit qu'il y perdrait son
héros, ou pour mieux dire son sujet. L'erreur l'avait séduit un
moment, et si sa confession n'est pas très circonstanciée, son repen-
tir est l'expression du bon sens français Quand' je conçus pour la
: «

première fois une histoire des origines du christianisme, ce que je


voulais faire, c'était bien, en ellét,.une histoire des doctrines, où les
hommes n'auraient eu presque aucune part. Jésus eût à peine été
nommé; on. se fût surtout attaché à montrer comment les idées qui se
sont produites sous son nom germèrent et couvrirent le monde. Mais
j'aicompris, depuis, que l'histoire n'est pas un simple jeu d'abstrac-
tions, que les hommes y sont plus que les doctrines. Ce n'est pas une
certaine théorie sur la justification et la rédemption qui a fait la

Kéforme c'est Luther, c'est Calvin. Le parsisme, l'hellénisme, le


:

judaïsme auraient pu se combiner sous toutes les formes; les doctrines


de la résurrection et du Verbe auraient pu se développer durant des
siècles, sans produire ce fait fécond, unique, grandiose, qui s'appelle
le christianisme. Ce fait est l'œuvre de .Jésus, de saint Paul, des
apôtres dont l'école d'histoire des religions voudrait
(1). » C'est ce
nous faire douter de nouveau. Vers 1863, on ne songeait pas en
Allemagne à atténuer l'action humaine de Jésus.
Mais Renan n'eût pas été Renan, s'il n'eût mis quelque sourdine à
cette déclaration. Il ne voudrait pas passer pour crédule. Aussi
revient-il à peu près au point où enpremier Strauss. Que
était le
peut-on savoir de certain sur Jésus? « Il a existé. Il était de Nazareth
en Galilée. 11 prêcha avec charme et laissa dans la mémoire de ses
disciples des aphorismes qui s'y gravèrent profondément. Les deux
principaux de ses disciples furent Céphas et Jean, de Zébédée. Il fils

excita la haine des Juifs orthodoxes, qui parvinrent à le faire mettre


à mort par Pontius Pilatus, alors procurateur de Judée, il fut crucifié
hors la porte de la ville. On crut peu après qu'il était ressuscité... En
dehors de cela, le doute est permis (2). » Et ce doute ne porte pas
sur des points de médiocre importance « Se regarda-t-il comme le
:

Messie?... S'imagina-t-il faire des miracles? Lui en prèta-t-on de son


vivant?... Quel fut son caractère moral, etc. (3). »
Donc la vie de Jésus tenait en quelques lignes, et on eût pu l'écrire
« quand même les Évangiles n'existeraient pas ou seraient menson-

(1) P. c.
(2) P. XVI.
(3) P. XYl.
4G(. REVTJE BIBLIQUE. ^_

gers 1
1) », mais un Renan n'y eût pas pris grand plaisir. Cette pré-

caution prise contre les sceptiques, ou cette satisfaction accordée à son


droit souverain de soutenir le pour et le contre, il se résout à écrire
une véritable histoire, aussi certaine en somme que toute autre, et
il s'appuie sur les évang-iles, puisqu'il a soin de noter les points où il

récuse leur autorité. D'où lui est donc venue cette assurance?
Tout d'abord de son voyage en Orient. C'est là. peut-on dire, le
srand leurre auquel s'est pris un public facile à contenter. Quand ou
a vu rOrient, la Palestine en particulier, avec les yeux d'un critique,
ou au juste ce que vaut le surnaturel et comment il s'est imposé
sait

à la crédulité un peu lourde de l'Occident. Pienan s'est exprimé avec


plus d'élégance, et a parlé sans badinage d'une révélation « A la :

lecture des textes, j'ai pu joindre une grande source de lumières, la


vue des lieux où. se sont passés les événements... J'ai traversé dans
tous les sens la province évangélique j'ai visité Jérusalem, Hébron
;

et la Samarie presque aucune localité importante de l'histoire de


;

Jésus ne m'a échappé. Toute cette histoire qui, à distance, semble


llotter dans les nuages d'un monde sans réalité, prit ainsi un coi^ps,

une solidité qui m'étonnèrent. L'accord frappant des textes et des


lieux, la merveilleuse harmonie de l'idéal évangélique avec le pay-
sage qui lui servit de cadre furent pour moi une révélation. J'eus
devant les yeux un cinquième Évangile, lacéré mais lisible encore,
et désormais, à travers les récits de Matthieu et de Marc, au lieu
d'un être abstrait, qu'on dirait n'avoir jamais existé, je vis une
adnairable figure humaine vivre, se mouvoir (2). « Un apologiste îm-
jifudent serait tenté de traduire dans son style donc la connaissance
:

do l'Orient moderne confirme la Bible. 3Iais cette traduction ne serait


guère attentive au sens caché des mots, ni surtout aux applications
qui seules peuvent leur donner un sens précis.
Qu'a donc appris Renan en Orient, qui lui ait été une révélation
ou un cinquième évangile?
C'est bien, en effet, en reprenant contact avec les lieux et les monu-
ments que l'histoire reprend des forces et redevient réaliste, lorsque
1 essor de l'imagination l'a trop rapprochée des nues. En particulier

1 accord de la topographie avec les textes établit leur véracité sur


un point important; lorsque certains détails n'ont pu être connus
de loin ni imaginés, c'est donc que les auteurs ont été témoins ocu-
laires ou qu'ils sont tout proche de la tradition.
Renan ne s'est point trop préoccupé de ces études minutieuses. Il

(1) P. XVI.
<">: V. xcix.
MÉLANGES. 467

y aurait du pédantisine à le lui reprocher; cependant son affirmation


était si formelle ! Ses tentatives de retrouver la trace des lieux anciens
se réduisent à fort peu de choses, et n'ont guère abouti. L'identité de
Ca[)harnahum et de Tell Hum lui parait plus que douteuse (1), quand
de bonnes raisons l'appuyaient, même avant la découverte récente
d'une splendide synagogue. Au contraire lire loutta la ville de .Tuda
dont parle Luc (i, 39) n'est qu'une combinaison de bibliothèque
faite d'après Robinson (-2). Puisque Renan est allé à llé])ron, il
n'eût pas dû placer près de Ramat el-Khalil (3) l'endroit où Jean
baptisait. Les eaux sont rares sur ce point du plateau d'Hébron, et
le nom d'Aenon aurait dû lui faire admettre l'opinion de saint .ïé-

rôrae, qui plaçait Salim dans la vallée du Jourdain, au sud de Beisan.


C'est comme philologue qu'il a fait valoir pour l'authenticité (telle
quil l'entend) du quatrième évangile, les noms de Ainon et de Si-
char (4). Cependant il dit très bien à propos de ce dernier nom :

« Un de Palestine ayant passé souvent à l'entrée de la vallée de


juif
Sichem a pu seul écrire cela » ce sont les v. 3-6 de Jo. iv. Mais pour-
;

quoi écrire aussitôt « les versets 5-6 ne sont pas exacts (5) »? Au-
:

jourd'hui encore on peut écrire « le site de Dalmanoutha est tout à


:

fait ignoré (6) ». Mais il n'était pas juste de conclure de cette igno-

rance : « Les récits que Matthieu possède en commun avec Marc


offrent des fautes de copie témoignant d'une médiocre connaissance
de la Palestine (7). » Et cela, d'abord parce cfu'une hirondelle ne fait
pas le printemps, ensuite parce que MArAAAX (Mt. xv, 39) ne
peut être une altération de AAAMANcjQx (Me. vni, 10), enfin parce
qu'au contraire Dalmanoutha pourrait bien n'être qu'une erreur de
copiste (8). Enfin Renan aurait dû être plus affirmatif pour retrouver
Chorozain aux ruines de Kersah, et moins sûr de la leçon Gergésa,
(9)
qu'il place à Koursi (10), où il est impossible de placer l'épisode du
possédé Légion et de ses porcs.

Il) p. 146.
(2) P. 99.

(3) P. 105.
(4) P. 492 et 493.
Le puits de la Samaritaine est bien le Bir-Iakoah. Les Gref"^ qui l'ont acquis vé-
(5)
oemraent l'ont nettoyé et on a constaté qu'il était profond de plus de 100 mètres. Puteus
altus est (Jo. iv, 11), trait que Renan n'eût pas manqué d'alléguer en faveur du quatrième
"évangile.

(6) P. 146.
(7) P. i.\xxii.
(8) Cf. Vie de Jésus, p. 146, note 3 et le Commentaire de Marc à cet endroit.
(9) P. 146.
(10) Ou Kersa, mais non Gersa, p. 151, note 1.
468 REVUE BIBLIQUE.

Encore une fois, on n'a pas l'intention de disputer sur la topograpliie


de Renan, qui en valait une autre lorsqu'il écrivait, mais seulement
de constater qu'il n'y a pas attaché grande importance; il se décidait
d'après Thomson ou Robinson; ce nest pas de là que sont venues
les lumières.
La révélation n"est pas venue non plus de ce que les Allemands
nomment vaguement Farchéologie, réunissant dans ce mot la con-
naissance des usages et des monuments. De monuments anciens il
n'y a en Galilée c{ue des synagogues, que Renan a datées avec raison
du II" ou du m" ne s'en est donc pas servi pour
siècle ap. J.-C. Il

élucider les textes. Silence aussi sur beaucoup de détails intéres-


sants comme les constructions en Galilée, les usages des pêcheurs,
les filets qu'ils emploient, les vents qui soufflent sur le lac. Aucun
rapprochement ne fait comprendre comment une pierre pouvait être
roulée pour ouvrir l'entrée d'un tombeau. Et n'est-ce pas un contre-
sens que de traduire antichambre (1) la cour (2) où Pierre ge chaufi'ait
avec les serviteurs du grand prêtre? Le prétoire est censé près du
Temple, peut-être par une docilité excessive envers la tradition. Le
Temple, ce point cardinal de rarchéologie palestinienne, n'est ni
expliqué, ni décrit. On pourra placer le Golgotha au nord-ouest, ou
à l'est, où l'on voudra, plutôt qu'au lieu choisi par Constantin (;i).
Rien de tout cela n'intéresse l'historien philosophe. Encore une fois
d'où est venue la lumière?
C'est d'abord, il nous l'a dit, du paysage. Renan l'a décrit sobre-
ment, en artiste. M. Schweitzer ne l'a pas compris. Pour lui, c'est
une énigme C|ue l'art français, si apte par la peinture à saisir la
nature dans son admirable réalité, ne l'ait vue dans la poésie qu'au
travers des impressions personnelles, d'une manière artificielle, et
comme il dit, lyrico-sentimentale (i). Renan, comme Lamartine,
comme Loti, se serait contenté de brosser des décors pour encadrer
ses thèmes lyriques.
Il faudrait nommer encore Chateaubriand, et le groupe serait de

taille à se défendre. Laissons là la peinture, pour ne pas répéter une

fois de plus le mot trop ressassé d'Amiel « Un paysage est un état


:

d'Ame. » Comment l'écrivain pourrait-il animer un tableau sans


mêler à la description des lieux le sentiment que lui inspire et leur
beauté et les souvenirs qu'ils rappellent? Et lorsque l'impression res-

(1) p. 408.
(2) Jo. XVIII, 15, aj/ri.
(:{) P. 429 s. avec les notes.
(4) Gescliichle der Leben-Jesii-Forschung, p. 181.

I
MELANGES. 469

sentie esten harmonie avec celle qu'ont dû éprouver les anciens, —


Jésus lui-même, —
que manque-t-il au charme du tableau? Avec des
mots, l'écrivain serait trop inférieur au peintre pour rendre des
lignes et des couleurs; mais ni les lignes, ni les couleurs n'existent
sans les yeux, et l'àmc a le droit de voir dans la nature plus qu'elle
ne saurait donner sans elle (1). Lisez : « Ain-el-Haramié, la dernière
étape, est un lieu mélancolique et charmant, et peu d'impressions
égalent celle qu'on éprouve en s'y établissant pour le campement
du La vallée est étroite et sombre; une eau noire sort des
soir.

rochers percés de tombeaux, qui en forment les parois. C'est, je crois,


la « Vallée des pleurs », ou des eaux suintantes, chantée comme une

des stations du chemin dans le délicieux psaume lxxxiv, et devenue,


pour le mysticisme doux et triste du moyen âge, l'emblème de la vie.
Le lendemain, de bonne heure, on sera à Jérusalem; une telle attente,
aujourd'hui encore, soutient la caravane, rend la soirée courte et le
sommeil léger (2). »
Avouez qu'on ne pense guère, bercé par ce rythme, à chicaner
l'auteur. Jésus voyageait donc en caravanes sous la tente? Sans quoi
il eût dû éviter ce lieu désert. Est-ce bien vallée des pleurs, que
voulait dire le psalmiste, ou vallée des baumiers ou même « lieu très

sec »? Telles seraient les objections du famidiis Wagner à Faust. Mais


qui aurait le courage de rompre le prestige qui amène toute la terre,
cette valléede larmes, à l'horizon d'une vallée où a dormi Jésus, la
veille de son entrée à Jérusalem!
Pourtant il faut quelquefois choisir entre la critique et la poésie.
Le paysage ne rend pas toujours ce qu'on lui- a prêté. Lisons encore :

« Les environs, d'ailleurs, sont charmants, et nul endroit du monde

ne fut si bien fait pour les rêves de l'absolu bonheur. Même aujour-
d'hui, Nazareth est un délicieux séjour, le seul endroit peut-être de
la Palestine où l'âme se sente un peu soulagée du fardeau qui l'op-
presse au milieu de cette désolation sans égale (3). » Croyez-vous?
Sancho Pansa n'y aurait pas vu de si belles choses, et à l'abri de son
masque et de son bon sens, je demande si l'aspect riant de Nazareth,
comme celui de plusieurs autres villages, ne vient pas de ce que la
population est demeurée chrétienne? Quant aux environs, ce sont

(!) Renan savait qu'il possédait « l'art de peindre la nature par des traits moraux » et

non par « les entassements de petits traits matériels « {Souvenirs d'enfance et de jeu-
nesse, éd. Nelson, p. 185). Voulait-il se distinguer de M. Pierre Loti?
(2) P. 71 s.

(3) P. 28. De même, p. 68 : « En aucun pays du monde, les montagnes ne se déploient


avec plus d'harmonie (?) et n'inspirent de plus hautes pensées » (!!!).
4:o REVUE BIBLIQUE.

toujours les mêmes arbres et les mêmes collines, dirait notre Sancho,

et plus d'un coin de Galilée n'est pas moins propice à toutes les varié-
tés du rêve. Et pour les rêves de l'absolu bonlieur, n'est-il pas étrange
qu'ils soient nés à Jérusalem? Jérusalem et la Judée, c'est pourtant
l'ombre épaisse à côté de la lumière, « la triste Judée, desséchée
comme par un vent brûlant d'abstraction et de mort (1) ». Ne serait-

ce pas plutôt, desséchée par le vent qui souffle des rives surchauffées
de la mer Morte? et n'était-ce pas assez du désert de Juda pour attris-
ter la Judée, sans y mêler méta-
les abstractions? Faisait-on de la
physique religieuse dans toute la Judée, et les environs d'Hébron ne
sont-ils pas aussi enchanteurs que ceux de Nazareth? Et enfin,
n'est-ce pas au désert qu'on soupire après les eaux vives, et faut-il
s'étonner que des rêves apocalyptiques de bonheur absolu soient sor-
tis de la triste Judée, comme un triomphe sur la mort?

Gais ou sombres, fallait-il changer les paysages en systèmes? Fran-


chement, il y a là un peu d'enfantillage.
Pourtant Renan a pris son thème fort au sérieux, et voici ce qui

lui donne quelque chose de spécieux. Dans la Galilée, le ciel était


clément, les ombrages frais, la vie facile. C'est dans un tel pays seu-
lement que Jésus a pu prêcjier le détachement des choses de la terre,
la confiance en la Providence, l'incurie, véritable défi aux lois éco-
nomiques qui régissent nos contrées moins favorisées. Et personne ne
nie que le Sauveur ait emprunté ses images, ses comparaisons, ses
paraboles, au sol où il vivait, aux habitudes de ses compatriotes, au
ciel qui, le matin et le soir, se colorait de rose. Mais il faut ajouter
que la Galilée n'avait inspiré à personne des conseils de perfection,
et que cette perfection évangélique a pu être transplantée dans des
climats plus rigoureux. C'est que ces conseils venaient de l'âme du
Sauveur et de la charité ardente qu'il avait pour son Père et pour
les hommes, charité qui dès le jour où il leur a prêché le règne de
Dieu, s'est exprimée en un appel à la pénitence. Renan, lui, a joui
beaucoup, en artiste supérieur, de l'exquise beauté d'un printemps
de Galilée. Il a goûté cette nature au moment où elle est douce à
l'homme, parmi les lauriers en fleurs et sur les eaux tranquilles du
lac. Il l'a comprise comme une invitation à la joie, et il y a pris son

inspiration. C'est bien dans ce sens qu'il faut dire « Toute l'histoire
:

du christianisme naissant est devenue delà sorte une délicieuse pas-


torale i^i. »

(1) P. 30.
(2) P. 70.
MELANGES. 'wl

Telle fut la nouvelle révélation, et qui s'étendit jusqu'au carac-


tère des habitants de deux contrées, opposées comme la lumière et les

ténèbres, la joie et la mélancolie : la Galilée et la Judée. On sait enfin

pourquoi Jésus prêchait autrement que Jean « Laissez l'austère :

Jean-Kaptiste dans son désert de Judée, prêcher la pénitence, tonner


sans cesse, vivre de sauterelles en compagnie des chacals. Pourcfuoi
les compagnons de l'époux jeùneraient-ils pendant que l'époux est
avec eux? La joie fera partie du royaume de Dieu (1). » Pourtant il
y a joie et joie. La révélation sait les discerner : « Cette vie contente
et facilement satisfaite n'aboutissaitpas à l'épais matérialisme de
notre paysan, à la grosse joie d'une Normandie plantureuse à la ,

pesante gaieté des Flamands. Elle se spiritualisait en rêves éthérés,


en une sorte de mysticisme poétique confondant le ciel et la terre (2). »
Et voilà bien, en effet, la joie distinguée, telle que Renan pouvait
l'approuver, du moins au temps où il était si fort monté contre
Béranger, et ses chansons épicuriennes... C'est très séduisant, ce qui
ne veut pas dire que ce soit sérieux. Pourtant cela s'appuie sur les
monuments « Aux ruines qui restent de son ancienne splendeur,
:

on sent un peuple agricole, nullement doué pour l'art, peu soucieux


de luxe, indifférent aux beautés de la forme, exclusivement idéa-
liste (3). » Ces raines sont sans doute quelques débris de canaKsa-

tion, qui décèlent en effet un peuple agricole à l'archéologue éclairé.


Qu'il fût peu doué pour l'art, on peut le dire de tous les Juifs. Les
Galiléens étaient donc indifférents aux beautés de la forme, et, pé-
cheurs et paysans, s'ils avaient été soucieux du luxe, ils auraient été
embarrassés d'en faire les frais.. Et sûrement, en Galilée comme
ailleurs, les riches cherchaient à se mettre à leur aise. Le seul point
qu'il eût fallu démontrer, c'était l'idéalisme exclusif de ce peuple.
Renan a négligé de montrer comment il ressortait des ruines (i). A
coup sûr ne ressort pas des évangiles, même chez les disciples de
il

Jésus. Ce qu'on trouve chez eux, avec des aspirations très pratiques
et assez vulgaires, c'est un sentiment profond des droits de Dieu qui
élève toujours les âmes; mais ce sentiment ne régnait-il pas davan-
tage à Jérusalem?
X défaut de monuments, Renan eût pu interroger plus longuement
Josèphe sur le caractère propre des Galiléens (a); mais sans doute

(1) p. 70.
(2) P. 69 S.

(3) P. 69.
(4) Par un contraste sans doute avec celles de la Judée?
(5) P. 68 :Les Galiléens passaient pour énergiques, braves, laborieux.
'( » En note :

Jos. B. J., III, m, 2.


472 REVUE BIBLIOLE.

l'idylle se serait enfuieau contact de ces natures énergiques, très


laborieuses, très soucieuses de bien-être, même dans l'emportement
de leur rêve religieux, car leur religion était fortement empreinte
d'esprit national et d'espérances de bonbeur terrestre et même plan-
tureux. Est-ce donc d'après ce qu'il a vu sur place de ses yeux que

Renan s'est forgé ses Galiléens chimériques? Mais qui sont les Gali-
léens d'aujourd'hui? Les gens de Nazareth (1) ressemblent plus à
ceux de Bethléem en Judée! — —
qu'aux pauvres misérables, bru-
nis, noircis par le soleil, à la fois indolents et violents à leurs heures,
qui rôdent au bord du lac. Au temps de Josèphe, il y avait beau-
coup plus d'arbres, et la culture était plus soignée. Mais Josèphe,
amateur des traits accusés et des couleurs vives, n'a-t-il pas exagéré
le contraste entre les rives de la mer Morte, sombres et sinistres,
avec des arbustes rares dont les fruits se réduisent en poussière, et
la végétation luxuriante des bords du lac de Tibériade? Où il y a de
l'eau et de la chaleur, les céréales elles-mêmes atteignent la hauteur
des arbustes, et nous avons passé à cheval, au sud de la mer Morte,
dans des maïs que nous dépassions à peine de la tète. Les pauvres
Bédouins qui campent sous la tente, nullement doués pour l'art,

peu soucieux du luxe, indifférents aux beautés de la forme, ne sont


pas pour cela exclusivement idéalistes. Les riverains de Tell Hum ne
sont guère moins pillards, et le goût du brigandage est assurément
le trait le plus persistant dans cette partie de la Galilée, autour de

la petite cuvette brûlante qu'est le lac pendant Fêté. H est vrai

que, d'après Renan, « le brigandage, qui était très enraciné en Gali-


lée,donnait beaucoup de force à cette manière de voir (2) », c'est-à-
dire à ce sentiment « essentiellement galiléen » qui respirait l'in-
différence à l'égard des richesses. Jésus prêchait des convertis! Alors
ils ne ressemblaient guère à ceux qui les ont remplacés sur ce sol !

Certes, nous ne prétendons pas qu'il n'y ait rien de nouveau en


Galilée, ni dans le pays, ni dans les gens! Mais ces changements,
beaucoup plus profonds que ne pensent les partisans convaincus de
l'immuable Orient, exigent du critique beaucoup de circonspection.
Renan a-t-il assez connu ces contrées, et la relation mystérieuse
entre l'Orient ancien et l'Orient islamique et chrétien du xix'' siècle,.
pour avoir le droit d'écrire : « Pour bien saisir cela, il faut avoir

été en Orient (^) »?

(1) Ne pas oublier que la riante Nazareth a rebuté le Sauveur, qui a dû se réfugier au
bortl du lac.

(2) P. 178.
(.J) P. 512.
MÉLANGES. 473

Plusieurs de ses observations sont justes. Il a noté très finement


qu'il n'y a pas en Orient une diflerence trop fAcheuse entre le riche
et le pauvre surtout dans les campagnes. Tous jouissent du même
ciel, plus clément que le nôtre, et des mômes biens, car la civilisa-
tion n'y a pas créé des besoins factices. Les fruits de la terre, dont les
riches se contentent, ne peuvent être refusés aux pauvres. De là une
égalité sinon plus cordiale, du moins plus réelle et x)lus exigeante
que chez nous.
Voicji un joli trait : « En Orient, la maison où descend un étranger
devient aussitôt un lieu public. Tout le village s'y rassemble les :

enfants y font invasion; les valets les écartent; ils reviennent tou-
jours (1). » Il en a toujours été ainsi, car le fond de la nature a peu
changé, et les conditions économi([ues de la vie dans la Palestine
d'aujourd'hui ressemblent plus à ce quelles étaient au temps de Jésus
qu'à ce qui se pratique en France. On voit quelle lumière ces mœurs
répandent sur les scènes évangéliques.
Et voici qui ne pouvait être aperçu sansbeaucoup de perspicacité.
Le lecteur goûtera ces lignes que je ne voudrais pas déflorer en les
glosant « L'éducation scolaire trace chez nous une distinction pro-
:

fonde, sous le rapport de la valeur personnelle, entre ceux qui l'ont


reçue et ceux qui en sont dépourvus. Il n'en était pas de même en
Orient, ni en général dans la bonne antiquité. L'état de grossièreté
où reste, chez nous, par suite de notre vie isolée et tout individuelle,
celui qui n'a pas été inconnu dans ces sociétés, où la
aux écoles, est

culture morale et surtout l'esprit général du temps se transmettent


par le contact perpétuel des hommes. » L'Orient moderne va nous
aider à comprendre ce que la connaissance littéraire de l'Orient ancien
laissait déjà supposer « L'Arabe qui n'a eu aucun maître est souvent
:

néanmoins très distingué; car la tente est une sorte d'académie tou-
jours ouverte, où, de la rencontre des gens bien élevés, nait un grand
mouvement intellectuel et même littéraire (2). »

Voilà qui est bien, quoique trop flatteur. Il fallait seulement ne


pas oublier ce point dans l'examen de la question johannine. Jean,
fils de Zébédée, était-il tellement dépourvu de culture qu'il n'eût pu

écrire le quatrième évangile, faute d'avoir fréquenté dans sa jeunesse


les écoles hellénistiques? Mais c'est déjà quelque chose que Pienan ait
fait état de ces conditions de l'Orient actuel (3), et (ju'il en ait accordé

(1) p. 197.
(2) P. 33.
(3) Cela ne va pas sans exagération. Après avoir dit que Jésus ne fut pas ce que nous
appelons un ignorant, Renan conclut que dans cet état social l'ignorance « est la condition
KEVIE EIBUOIE 1918. — N. S., T. X\ . ,31
474 REVUE BIBLIQUE.

lebénéfice à Jésus. L'argument, encore une fois, est légitime, parce


quil s'oppuie sur un état social traditionnel en Orient.
Mais ce n'est pas encore à ce propos que Renan a prononcé, non
sans emphase « Pour bien saisir cela, il faut avoir été en Orient (1). »
:

De quoi s'agit-il donc enfin? De grave de toutes.


la question la plus

On veut expliquer le miracle sans trop recourir à Fimposture, mais sans


l'exclure tout à fait. L'Oriental vient à point pour autoriser une con-
tradiction psychologique : « En Orient, la passion est l'âme de toute
chose, et la crédulité n'a pas de bornes. fond de On ne voit jamais le

la pensée d'un Oriental; car souvent ce fond n'existe pas pour lui-
même. La passion, d'une part, la crédulité, de l'autre, font l'impos-
ture ('2). Et sans doute on peut arriver à l'imposture par une crédu-
'>

lité passionnée. Mais ce n'est pas le plus court chemin. Ceux qui savent

le mieux tromper ne sont pas d'ordinaire ceux qu'il est le


les autres

plus facile d'égarer. Et vraiment l'Orient est si peu l'explication de


cette psychologie tortueuse, que Renan, aussitôt après, se jette sur
les arguments qui ont servi à convertir les barbares. Puis pour prou-
ver que « entre la vérité générale d'un principe et la vérité d'un petit
fait, l'homme de foi n'hésite jamais », voici l'histoire de la sainte

ampoule et du sacre de Charles^ (.'î); ailleurs le miracle de la Salette,


avec sa référence bibliographique [k), puis à la cantonade, la colombe
de Clovis, les vertus de l'oriflamme, la mission surnaturelle de Jeanne
d'Arc (5). Sommes-nous toujours en Orient?
Au fond il faut prouver ceci : « Le fanatisme est toujours sincère
dans sa thèse imposteur dans le choix des moyens de démonstra-
et

tion (6). » A parler très doucement, ce « toujours » est de trop. Voltaire


l'entendait autrement. Son Mahomet était imposteur dans ses procédés
de démonstration sans être sincère dans sa thèse. Au surplus on ne
voit pas que le mélange de fanatisme et d'imposture soit réservé à
l'Orient. On en pourrait citer des échantillons tout proche de nous.
Mais ce qui certes est rare partout, c'est que l'amour dominant de la

lies iiraades clioses et de la j;rande originalité » (p. 34). C'est trop: car Mahomet lui-inôme
n'a agile l'Arabie qu'au mojen de (|uelques grandes idées dont sa forte imagination avait

été saisie. Le dessein de Renan était d'expliciuer sans l'ombre du surnaturel la doctrine
sublime de .lésus. De môme il relève les Ajiùlres, simples pécheurs : « Celti^ profession
n'avait pas l'exlrémL' humilité que déclamations des prédicateurs y ont atlacln-e, pour
les
mieux relever le miracle des origines chrétiennes » (p. IGG).
(1) P. 512.
(2) P. .512.

(3) P. 51:3.

(4) P. XWM.
(5) P. \xi\.
(r,; p. r.i'>.
.MELANGES. 475

vérité s'allie ù la facilité du mensonge. Or, ce qu'il fallait à Renan,


c'étaient des âmes qui fussent à la fois candides et peu scrupuleuses,
ouvertes, loyales, désintéressée», et ne répugnant pas à la dissimula-
tion pour réussir. II ne pouvait oublier « le caractère réel et l'inno-
cence naïve du mouvement ijaliléen ». Il fallait allier cette innocence
avec riniposture, désignée par euphémisme : " l'illusion consciente
d'elle-même Pour pénétrer cette énigme, ce n'était pas trop de
».

forcer le secret du harem oriental « C'est aux sensations fuyantes de


:

l'àme d'une femme d'Orient qu'il faut demander ici des analogies.
La passion, la naïveté, l'abandon, la tendresse, la perfidie, l'idylle
et le crime, la frivolité et la profondeur, la sincérité et le mensonge,
alternent en ces sortes de natures et déjouent les appréciations abso-
lues (1). » Eh ! sans doute, et il y en a de telles en Occident, si nous
en croyons les histoires. Mais qu'ont de commun ces mœurs de mé-
lodrame avec l'idylle et les Ijraves gens de Galilée? Et après tout est-
ce à ses observations personnelles que Renan doit ce joli type, ou ne
serait-ce pas plutôt au théâtre romantique de la Porte Saint- Martin?
L'être rusé et sensuel tel que les conteurs arabes comprennent la
femme n'a point ces profondeurs de tragédie.
Ce que le lecteur français voudrait savoir, c'est si l'Oriental est
vraiment plus crédule que Pour ma part je réponds non, sans
lui.

hésiter, et je parle du Français du xx" siècle, car je crois qu'une cer-


taine défiance, qui est au fond de son caractère, empêche l'Oriental
de croire à cesénormités que notre crédulité accepte si bénévolement.
Quoi qu'il en soit, s'il lui arrive de mentir pour soutenir l'opinion
qu'il a embrassée, il sait aussi bien que nous qu'il ment, et c'est pur
effet de style —
assez médiocre cette fois —
si Renan n'a pu pénétrer

le fond de sa pensée « car souvent ce fond n'existe pas pour lui-


:

même ». Cet homme d'Orient, étant homme, pent seulement essayer


de se faire illusion sur ce que « la nécessité n'a pas de loi », mais
cette maxime n'est pas venue de Palestine pour justifier un manque
de .foi. Un Oriental qui affirmerait un faux miracle serait aussi cons-
cient de son mensonge qu'une fausse stigmatisée dans un de nos cou-
vents. Sur ce point, l'Orient actuel n'a rien à nous apprendre sur
l'Orient ancien. Ni l'un ni l'autre ne sont en dehors des conditions
essentielles de l'humanité, toujours les mêmes et en tout lieu.

On dans quelle mesure très restreinte l'Orienta été jxour Renan


voit
une révélation. Le mirage du printemps galiléen a créé l'idylle
galiléenne pour en exclure le miracle il a imaginé en sus un orien-
;

(1) p. 516.
476 REVUE BIBLIQUE.

tal romantique. Quelques-unes de ses vues sont justes, mais il a


néeli-'é les minuties de l'archéologie, pour lesquelles
il n'avait évi-

demment aucun goût —


on le voit môme dans sa Mission de Phénicie,
qI qui auraient importuné ses lecteurs. Il n'avait point
découvert

un cinquième évangile. Il fallait toujours en revenir aux quatre


évans-iles et s'en servir comme de documents. Puisqu'ils étaient si

peu solides, comment construire rhistoire?


beaucoup plus que l'Orient, a été le principal évangile. C'est
L'art,
comme écrivain que Renan fut original mais cette intervention hardie
;

de l'art, si elle fit la beauté du livre, en fit-elle un livre d'histoire? L'ef-


fet de sentiment à produire sur le gi-and public n'a-t-il pas nui à la
recherche unique de ce que fut le passé? Les Allemands, avons-nous
dit, rognaient davantage sur les textes, mais ils n'osaient pas
traiter le

reste trop librement. Ce n'était qu'une apparence, car les matériaux


étaient ainsi taillés d'avance pour être employés selon le plan conçu
par leur fantaisie. Mais ils leur demandaient la permission, comme
toujours, très poliment. Puisque Marc était reconnu comme le témoin
le plus ancien et le plus sur, on s'en tenait à son ordre, comme
cadre
de la vie de Jésus. Renan devait tenir compte du quatrième évan-
gile où la succession des faits est bien différente. Son scepticisme
eût pu le servir dans cette occasion, et ro,n conçoit un historien de
la vie de Jésus suivant, dans l'ordre des faits, tantôt saint Jean, tan-
tôt tel ou tel des synoptiques. Puisque aucun d'eux n'attache assez
d'importance à la succession chronologique des faits pour nous impo-
ser son ordre, on serait même tenté de les récuser tous les quatre.
Un historien aurait donc le droit strict de faire ses réserves. Mais

il ne saurait aller au delà d'un point d'interrogation, car quelles


chances aurait-il de prouver un ordre des faits qui se heurterait à
l'accord si peu fréquent des quatre évangiles? Et si l'accord est cons-
taté sur un point d'importance majeure, il faut bien s'incliner.
Du droit de l'art, Renan a tout osé contre les règles de la méthode
historique. 11 lui fallait où l'avait réduit
sortir de l'incertitude

son injuste dépréciation des évangélistes. Le seul moyen, pour un


philosophe imbu du système de Hegel, était de retrouver l'Idée.
Peu importe la mince qualité des détails, s'ils sont expressifs de
l'Idée « Ces détails ne sont pas vrais à la lettre, mais ils sont vrais
:

d'une vérité supérieure; ils sont plus vrais que la nue vérité, en ce
sens qu'ils sont la vérité rendue expressive et parlante, élevée à l.i
hauteur d'une idée (1). » Et il prétend bien cependant parler au nom

(1) P. \<;i.
MÉLANGES. 477

de riiistoire : « L'historien n'a qu'un souci, Tart et la vérité (deux


choses inséparables, l'art gardant le secret des lois les plus intimes
du vrai) (1). » Union féconde Heureux ! celui à qui ce secret est révélé 1

Kenan nous l'a communiqué, c'est le sentiment d'un organisme


vivant, qu'il « pour guide dans l'agence-
n'a pas hésité à prendre
ment général du récit (2) ». En d'autres termes Dans les histoires : <(

du genre de celle-ci, le grand signe qu'on tient le vrai est d'avoir


réussi à combiner les textes d'une façon qui constitue un récit logi-
({ue, vraisemblable, où rien ne détonne... » « On aurait l'esprit
général de l'œuvre, une des façons dont elle a pu exister (3). »
Comment cet historien ne s'est-il pas aperçu que la dernière petite
clause gâtait tout? Supposons qu'en efiet rien ne détonne. Nous
avons une garantie que les choses ont pu se passer de la sorte, c'est
une des combinaisons possibles. Est-ce la seule? Même en soutenant
contre Boileau que le vrai doit être vraisemblable, tout ce qui est
vraisemblable n'est pas vrai pour cela.
AUéguera-t-on que, dans une matière aussi compliquée, l'arrange-
ment d'une vie d'après des textes, qui n'ont' pas été rédigés pour un
accord, est une réussite telle qu'elle exclut toute chance d'erreur? Cela
peut être, mais alors ne faudrait, ni " solliciter les textes » (4), ni
il

les contredire ouvertement, même lorsqu'ils sont d'accord. Et c'est


ce dont Pienan ne s'est pas privé, au nom de l'organisme vivant qu'il
avait conçu. En quoi consiste donc enfin cet oraanisme?
C'est une conception du développement de la prédication de Jésus
analogue à celui qu'a suivi .Mahomet. —
Laissons Mahomet, car l'ordre
chronologique des sourates du Corail est toujours matière à conjec-
tures. Voici l'hypothèse qui servira de conducteur « Il n'y a pas fil :

grand abus d'hypothèse à supposer qu'un fondateur religieux com-


mence par se rattacher aux aphorismes moraux qui sont déjà en
circulation de son temps et aux pratiques qui ont de la vogue; que,
plus mûr et entré en pleine possession de sa pensée, il se complaît
dans un genre d'éloquence calme, poétique, éloigné de toute con-
troverse, suave et libre comme le sentiment pur: qu'il sexalte peu à
peu, s'anime devant l'opposition, finit par polémiques
les et les fortes
invectives (5). » Et sans doute cela est proposé avec tous les doutes,


(1) P. IX.
(2) P. cil.

(3) P. CI.

(4) Renan pense " que les textes ont besoin de l'interprétalion du goût, qu'il faut les
solliciter doucement jusqu'à ce qu'ils arrivent à se rapprocher et à fournir un ensemble où
toutes les données soient heureusement fondues » (p. ci s.).
(5; P. cm.
478 REVUE iBlBUQL'E.

réticences, Préserves, où se complaît Renan, mais enfin c'est bien


d'après grandes lignes qu'est bâtie la Vie de Jésus, -^ans cette
ce-s

partition, elle n'existerait pas. Les trois périodes sont constamment


distinctes, celles des innocents aphorismes, ou la pastorale de Galilée,
les belles prédications seconde période, la politique
morales de la

décidée du révolutionnaire. Et peut-être en effet peut-on rencontrer


dans riiistoire quelque exemple d'une semblable évolution. Mais
qui empêche de concevoir qu'un jeune l'évolution n aire se soit assagi
avec le temps, au point d'en venir à d'innocents aphorismes?
Les cas où le sentiment religieux fait d'abord explosion, pour se
contenir ensuite dans un calme peut-être plus divin, ne sont-ils pas
nombreux dans l'histoire? Si saint François a toujours prononcé
d'innocents aphorismes, n'a-t-il pas inauguré fortement sa révolu-
tion contre ceux qui s'opposaient à sa pauvreté volontaire?
Et enfin ni les conjectures ni les comparaisons ne servent ici à grand'-
chose. Il faut savoir ce que disent les documents. Renan avait le droit
de placer la vocation des disciples avant l'emprisonnement du
Raptiste, puisque c'était l'ordre du quatrième évangile, mais il ne
pouvait, sans abdiquer son rôle d'historien, supposer et raconter toute
une période du ministère public de Jésus avant son baptême. Le
point le plus ferme de la tradition évangélique, c'est que le baptême
du Sauveur inaugura sa mission. Et il fallait plus de sans-gêne
encore pour écrire cette période imaginaire avec des traits que les
évangélisles ont placés très tard, dans des circonstances très caracté-
risées. Mais Renan tenait à une période, la plus exquise de toutes,

avant l'influence austère du Quant au changement .du char-


Raptisfce.

meur en « révolutionnaire » et en « géant sombre », sans parler —


de l'exagération, —
il s'appuie en effet sur un changement dans le

ton, car les entretiens familiers en Galilée avec des disciples n'exi-
geaient pas la fermeté, disons la véhémence des discussions avec les
.luifs. Mais, d'après saint Marc (1), le Sauveur s'irrite dès ses débuts en
(ialilée de la dureté des Pharisiens, et, d'après le quatrième évangile,
que Renan préfère sur ce point (2), l'expulsion des vendeurs du
Temple eut lieu dès le début du ministère à Jérusalem. Le i^évolution-
naire entrait donc déjà en action. L'Idée est mauvaise conseillère
<]uand elie prétend régir les textes et en extraire la vérité qui lui
convient. Sans ces transpositions, l'idylle galiléenne s'évanouissait, et
c'était la création de Renan, son rêve d'Orient. C'est toujours ce qui

(1) Me. III, 5.

(2) P. 488, en parfaite contradiction d'ailleurs avec p. 21'», noie 1.


MÉLANGES. t"?'^

fait Initérêt du livre, — pour ceux qui n"en sentent pas Tmconve-
nance. Mais la ci-ilique s'est montice aussi sévère que le sens moral
et religieux pour cette contrefaçon de l'histoire : personne ne l'a prise
pour une pièce de bon aloi.
Énuniérer toutes les violences ou les douces sollicitations faites aux
textes pour extraire un « esprif général » de la Vie de Jésus, serait
discuter déjà le thème de la prédication ou du royaume de Dieu.
Nous y reviendrons. Sur ce point, Renan obéissait à un principe nette-
ment perçu. Il lui fallait nécessairement ou suivre les textes ou les
manipuler s'ils étaient contraires à l'Idée. On comprend moins aisé-
ment la raison d'un autre procédé d'art, tout à fait arbitraire, pour-
suivi avec une persévérance qui déconcerte. Les évangélistes ont mis
dans un relief singulier certaines scènes, ou du moins les ont racon-
tées comme des faits particuliers dont le souvenir s'était conservé, ou
pour leur importance, ou pour la leçon qu'ils renfermaient. Prendre
leschoses de cette façon, c'eût été reconnaître le caractère historique
des récits. C'est à quoi le critique ne consent qu'à demi. Mais l'artiste
n'entend pas priver' son tableau de ces traits pittoresques. Alors il
généralise, ou pour parler plus exactement, il multi-plie. Il met au
pluriel ce qui est au singulier. On a beaucoup reproché à saint Mat-
thieu d'avoir vu deux aveugles à Jéricho où Marc et Luc n'en con-
naissent qu'un, à Marc d'avoir raconté deux multiplications des pains.
C'est à chaque instant que Renan fait une habitude de ce qui n'eut
lieu qu'une fois, et cela est si étrange qu'il faut citer.
« Un groupe d'hommes et de femmes, tous caractérisés par un.

même esprit de candeur juvénile et de naïve innocence, adhérèrent à


lui et lui dirent : « Tu es le Messie ». Comme le Messie devait être fils

de David, on lui décernait naturellement ce titre, qui était synonyme


du premier. Jésus se le laissait donner avec plaisir, quoiqull lui
causât quelque embarras, sa naissance étant toute populaire (1). w

Aucune citation, et pour cause, car tout le petit croquis est fait d'ima-
gination, ou plutôt l'auteur a anticipé, multiplié et placé en Galilée,
eu l'attribuant à des groupes candides et naïfs, la confession de
l'aveugle de Jéricho et les acclamations du jour des Rameaux.
Saint Marc a beaucoup insisté au contraire sur le -secret messianique
et le soin que prenait Jésus d'éviter des hommages inopportuns. Quel
produira après cela la confession de Pierre? Comment se peut-il
ellet

que « le premier, Simon avait reconnu Jésus pour le Messie ("2) »?

(1) p. 137.
(2) P. 164.
480 REVUE BIBLIQUE.

« On disait qu'il conversait sur les montagnes avec Moïse et Élie (1). »

Cette fois les textes relatifs à la Transfiguration sont cités, et cet on-
dit populaire, qui multiplie à plaisir un entretien si extraordinaire,
dispense sans doute d'expliquer le fait.

« Il allait volontiers aux divertissements des mariages. Un de ses


miracles fut fait, dit-on, pour ég'ayer une noce de petite ville (2). »

,<^ ce sera tout sur les noces de Cana. Jésus assistait si souvent aux
mariages, qu'il a sans doute trouvé d'autres moyens de les égayer.
Une vraie perle « Il parcourait ainsi la Galilée au milieu d'une fête
:

perpétuelle. Il se servait dune mule, monture en


bonne et si Orient si

sûre, et dont le grand œil noir, ombragé de longs cils, a beaucoup de


douceur. Ses disciples déployaient quelquefois autour de lui une
pompe rustique, dont leurs vêtements, tenant lieu de tapis, faisaient
les frais. Us les mettaient sur la mule qui le portait, ou les étendaient
à terre sur son passage (3). » En note : Matth., xxi, 7-8. — Il faudrait
une candeur galiléenne pour ne pas s'apercevoir que Renan s'amuse,
que Matthieu parle d'une ànesse et de l'avènement messianique à
l'entrée de Jérusalem. Quand le moment viendra de raconter ce fait,

le lecteur aura on ne sait quelle impression de déjà vu... On se rap-


pellera la mule, monture si bonne, en Orient!
« Des femmes venaient verser de l'huile sur sa têteparfums et des

sur ses pieds. Les disciples les repoussaient parfois comme impor-
tunes (4). » —
Distinguons si l'on veut la pécheresse de Luc (vu) et
la femme qui vint oindre Jésus avant sa Passion mais Renan n'a vu ;

dans cette action qu'une même scène, transformée par Luc, ami des
pécheurs, en une scène de pardon. Alors pourquoi ce pluriel, et en
Galilée ?

Les enfants « faisaient autour de Jésus comme une jeune garde


pour l'inauguration de son innocente royauté, et lui décernaient de
petites ovations auxquelles il se plaisait fort, l'appelant « fils de
David Hosanna! et portant des palmes autour de lui (5) ».
», criant :

— Encore un emprunt au triomphe de Bethphagé, mais il fallait bien


trouver quelque part, et dans les évangiles, des traits qui permet-
traient d'écrire « Pendant que la joyeuse Galilée célébrait dans les
:

fêtes la venue du bien-aimé, le triste Jean, dans sa prison de Machéro,

s'exténuait d'attente et de désirs. » — Merveilleux contraste 1 et

(1) P. 170.

(2) P. lO.V
(3) P. 197.

(4) P. 198.
(5; P. 198.
MÉf. ANGES. 481

n'est-ce pas trouvé d'enrichir la joyeuse Calilée d'un trait emprunté à


Judée? Quel artiste! mais quel critique
la triste !

De Marie, sœur de Marthe « Souvent, assise : aux pieds de


Jésus (l)-.. »

De Jésus Souvent il citait le passage d'Isaïe (2)... »


: «

« Il s'asseyait souvent sur hv mont des Oliviers... Jérusalem...

s'écriait-il dans ces moments d'amertume (3)... »

Nous avons déjà dit comment le lavement des pieds n'eut pas lieu
avant la dernière cène, mais en revanche souvent dans d'autres cir-
constances, et l'Eucharistie fut un rite pratiqué par Jésus aussi souvent
que l'on voudra, pourvu que ce ne de sa mort. soit pas la veille

Enfin voici arbitraire, et qui n'est pas sans


un trait doublement
projeter une ombre sur la pureté de Jésus « Il protégeait ceux qui :

voulaient Thonorer. Aussi les enfants et les femmes l'adoraient. Le


reproche d'aliéner de leur famille ces êtres délicats, toujours prompts
à être séduits, était un de ceux (jae lui adressaient le plus souvent
ses ennemis (4). Ces lignes figurent dans la Vie populaire (5), natu-
j)

rellement sans aucune référence. Que peut penser le lecteur, can-


dide ou non, si ce n'est que ce reproche revient souvent dans les
évangiles? La grande édition renvoie en note à un seul texte (Le.
xxiii, 2), dans la dénonciation des Juifs à Pilate; encore ce grief

est-ilune addition de Marcion, qu'aucun éditeur critique n'a pris sur


lui d'introduire dans le texte. D'après la variante latine à cet endroit
(Le. XXIII, 5) le reproche a un caractère religieux Jésus détourne- :

rait les femmes et les enfants des baptêmes et purifications (6). Dans
le contexte de Renan, on peut penser à autre chose, soupçonner que
si le reproche était à ce point fréquent, il se fondait bien du moins

sur des apparences !

Quand les évangélistes mettent sur les lèvres de Jésus des paroles

(1) p. 354.
i2; P. 234.
(3) P. 355.
(4) P. 198.
(5) P. 116.
(ttj Dans y a deux additions au v. 2 -^a-. xaxa>,jO'-To: --j, vûjaov -/.ac xo-j; Tipof/jxaç
le grec, il :

après fi[J.(T)V, et xat a7roffTpc:povi:a Ta; yjvatxa; xai Ta xexva après Sioôvai. La première addi-
tion est trop spéciale pour être proposée par les Juifs à Pilate, et on s'explique bien que
Marcion ait fait reprocher à Jésus par les Juifs d'avoir rejeté la loi et les prophètes. Et si
la seconde addition a un caractère moral, Marcion, blâmé sévèrement pour son inconduite,
n'aurait-il pas été tenté d'exposer le Sauveur à la même accusation? Dans le latin l'addi-
tion se trouve à la fin du nostros et uxores avertit a nobis, non enim bapti-
v. 5 : et filios

zantur sicut [et] nos [nec se mundant], ce qui confirmait l'abrogation des usages juifs par
le Sauveur.
482 REVUE BIBLIQUE.

semblables au fond, mais dont l'expression diflere, plutôt que d'ad-


mettre un certain flottement dans la tradition, des commentateurs
timoi'és nous disent deux discours difï'érents. Les critiques ne
: ce sont
leur ont pas ménagé les sarcasmes. Que pensent-ils du caprice souve^
rain avec lequel Renan joue des textes? Est-ce de l'histoire ou du
roman historique? Et si c'est un romaa, a-t-il seulement réussi à
tracer du héros un portrait vraisemblable?

IV. — La mission et la personne de Jésus.

Il faut enfin aborder le point décisif, ce qui concerne le rôle et la


prédication de Jésus, son caractère et sa personne.
Renan a parfaitement compris Tillusion de l'exégèse libérale, ré-
gnante dans les universités de théologie en Allemagne vers l'an 1863.
Peut-être d'ailleurs ne s'y est-il bien reconnu qu'après avoir public

la Vie de Jésus, car c'est dans la préface décisive de sa 18" édition


qu'il a rompu en termes exprès avec cette méthode.
Écrire la Vie de Jésus-Christ en glissant sur les miracles, en atté-
nuant du Maître sur sa mission comme Messie, comme
les affirmations
chef du règne de Dieu à venir, sa certitude du ca.ractère surnaturel et
de Fimmiaence de ce règne, c'était se rendre la tâche trop aisée. On
esquissait les traits d'une personnalité remarquable, ferme dans son
attitude, sans trop de mystère dans sa doctrine; on la situait dans le
cadre d'une histoire suivie et vraisemblable, le tout destiné à l'édili-

cation des consciences au -sein du protestantisme moderne allemand.


Au nom de l'histoire, le critique français a protesté contre -ce qu'il

lui plaisait d'appeler l'œuvre de la théologie, et qui était plutôt une


tentative du naturalisme pour se substituer sans bruit et graduelle-
ment à en la révélation. Il reprocha à ces théologiens d'être
la foi
encore asservis au dogme, semblables à un oiseau à qui l'on a coupé
quelques plumes, et pourtant —
il faudrait dire partant de pro- —
poser des solutions très sceptiques, parce qu'ils les proposaient à un
public récalcitrant au merveilleux.
Lui, comme critique, et comme historien, seradonc complctenient
le lils (le l'air (1). Il n'hésitera pas à prêter à Jésus des miracles, ou
plutôt l'intention d'en faire, des prétentions messianiques, des théo-
riesapocalyptiques décevantes .sur le règne de Dieu. On en pensera
ce qu'on voudra. Mais, nous l'avons déjà dit, ce libre oiseau, s'il avait
toutes ses plumes, conservait un fil à la patte, puisque Jésus devait

(1) p. X el wu.
MÉLANGES. 483

demeurer le fondateui' de la relii;ion pure Aussi Renan


. a-t-il affronté

plus de difficultés, mais il ne s'est dégagé ni des hésitations, ni des


contradictions. Et certes les hésitations sont légitimes en un pareil
sujet, et les nuances y sont exigées. Mais les contradictions ne ré-
solvent rien au jugement des personnes de bon sens, ni celles de
Fauteur, plus ou moins dissimulées dans des propositions confuses,
ni celles qu'il lui faut loger dans l'âme du héros de son histoire. Elles
se résument toutes dans une contradiction suprême. Le Jésus des
libéraux pouvait être admiré, parce qu'il n'avait pas de prétentions
surhumaines. Le Jésus des catholiques est adorable, parce qu'il est
vraiment, comme il le disait, le propre Fils de Dieu. Le .Jésus de
Kenan, quil voudrait admirer encore, qu'il propose à l'admiration,
ne devrait lui inspirer que du mépris ou de la pitié; c'est à peine si
un état d'esprit spécial dû à la situation de son temps et de son pays
permettent à son avocat de plaider les circonstances atténuantes.
Voyons d'abord la mission que Jésus se donnait et le rôle qu'il pré-
tendait jouer.
A certainsmoments, Renan réduit plus encore que l'école libérale
la personne de Jésus « Tel voudrait faire de Jésus un sage, tel un phi-
:

losophe, tel un patriote, tel un homme de bien, tel un moraliste, tel un


Sciint. Une fut rien de tout cela. Ce fut un charmeur (1). » A ce compte

il serait resté fidèle à la prédication idyllique du royaume de Dieu. Et

en effet, c'est bien tout ce qui devait rester de son œuvre « L'œuvre :

essentielle de Jésus fut de créer autour de lui un cercle de disciples


auxquels il inspira un attachement sans bornes, et dans le sein des-
quels il déposa le germe de sa doctrine (2). » Un germe, c'est peu, et
ce srerme ne contient aucune doctrine « Jésus a fondé la religion
:

absolue, n'excluant rien, ne déterminant rien si ce n'est le senti-


ment (3). » Voilà bien le Jésus de ce théologien plus que libéral qu'était
Fienan, celui qu'il aurait préféré, mais il fallait bien tenir compte du
Jésus de l'histoire, qui se nomme dans l'Église Jésus-Christ, et qui
avait donc eu à se prononcer sur la question du Messie.
D'après les synoptiques, Jésus a longtemps tenu secrète sa qualité
de Messie; il a consenti d'être traité comme tel au triomphe de
Bethphagé, il s'est confessé Messie et Fils de Dieu devant le Sanhé-
drin. D'après Renan, Jésus se complut à être nommé Messie en
Galilée, mais ne voulut pas parler devant ses juges « S'il faut en :

croire un récit, le grand-prêtre l'aurait adjuré de dire s'il était le

(1) P. xxra.
(2) P. 459.
(3) P. 462.
4Si REVUE BIBLIQUE.

Messie; Jésus l'aurait confessé et aurait même proclamé devant l'as-

semblée la prochaine venue de son règne céleste (1). » Ce sont trois


récits, et non un seul, qu'il en faudrait croire (2), mais Renan objecte :

« Le quatrième Évangile ne sait rien d'une pareille scène (3). » C'est


de ce côté qu'il penche, et même il excuse le Sauveur « Le courage :

de Jésus, décidé à mourir, n'exige pas cela. Il est plus probable


qu'ici, comme chez Hanan, il garda le silence (i). >^ — Alors pour-
quoi a-t-il été condamné? — Ses juges ne cherchaient que des pré-
textes. — Soit! Encore fallait-il en alléguer.
Mais enfin Jésus s'est dit le Messie. Qu'entendait-il par là?
En de grâce 1863, Jean Weiss n'avait pas encore inauguré le
l'an
système du messianisme eschatologique, plus ou moins conséquent,
mais on se préoccupait déjà de savoir ce qu'entendait Jésus par le
royaume de Dieu, et Ton savait bien qu'il l'associait aux fins dernières.
On se demandait déjà si Jésus avait eu l'intention de fonder un règne
de Dieu moral et spirituel, ou s'il attendait l'apparition imminente
d'un règne de Dieu surnaturel.
Les deux choses peuvent et doivent s'unir. D'après l'explication
catholique il n'y a pas contradiction, puisque le règne de Dieu moral
et spirituel devait précisément être inauguré par cette intervention
divine qui fut la résurrection du Christ et la mission du Saint-Esprit.
Ily a cependant une difficulté. C'est de discerner dans les paroles de
Jésus ce qui s'entend du règne de Dieu sur la terre et du royaume de
Dieu qui est le ciel, ce qui marque la fondation du règne, coïncidant
avec le rejet du peuple juif et la ruine de Jérusalem, et ce qui se
rapporte à la consommation de toutes choses à la fin des temps. C'est
une difficulté, disons-nous, soit parce que les perspectives des deux
événements paraissent confondues, soit parce que les mêmes symboles
sont employés dans les deux cas. Et ce clair obscur était dans la nature
des choses, car Jésus était le dernier des prophètes, et continuait d'une
certaine façon leur prédication. l*our eux, le messianisme était non
seulement dans mais il marquait la iin des temps; leurs
le lointain,
révélations n'allaient point au delà. Jésus-Christ a incontestablement
distingué les temps, mais il n'a point changé la langue. La pieuse
impatience des croyants a fait le reste, car ils ne pouvaient d'aboi'd
concevoir que le fondateur du règne de Dieu sur la terre n'y prési-

(1) P. 409.
(2) Mt. XXVI, 64; Me. xiv, 62; Le. xxu, 69.
(3) Même page, note 4.
4) P. '(09 S.
MÉLANCES. 48;;

dàt pas sur la terre; il leur fallut s'ha])ituer à la suppléance de son


Esprit et à sa présence spirituelle.
Mais il est impossilile d'admettre que Jésus a eu en vue un règne
spirituel, une régénération s'opérant pour les hommes et par les

hommes, qu'il a été le plus éclairé et le plus puissant des réforma-


teurs religieux, prévoyant et dominant l'avenir, et qu'il a prêché en
même temps une intervention de Dieu destructrice de la nature elle-
même, et qui ferait disparaître ainsi le terrain d'expériences où devait
croître la morale nouvelle.
C'est cependant cette gageure que Renan a entre^jris de gagner.
Deux solutions sont proposées, sans doute au choix, car elles sont
contradictoires. Une première manière, plus timide, suppose que les
deux conceptions ont été successives dans la pensée du Maître. Kenan en
suppose bien trois, mais la première, celle du règne de Dieu à l'usage
des doux et innocents (ialiléens, se rattache aisément à celle du règne
spirituel. Ce fut vraiment celle de Jésus, l'autre ne fut qu'une erreur
tardive et passagère. Le texte est formel et il faut le citer tout entier :

« Dans les derniers temps de sa vie, Jésus crut, à ce qu'il semble, que
ce règne allait se réaliser matériellement par un brusque renouvle-
lement du monde. Mais sans doute ce ne fut pas là sa première pen-
sée. Lu morale admirable qu'il tire de la notion du Dieu père n'est
pas celle d'enthousiastes qui croient le monde près de finir et qui se
préparent par l'ascétisme à une catastrophe chimérique : c'est celle

d'un monde qui veut vivre et qui a vécu : « Le royaume de Dieu est
« parmi vous ceux qui cherchaient avec subtilité des
», disait-il à

signes extérieurs de sa venue future. La conception réaliste de l'avè-


nement divin n'a été qu'un nuag'e, une erreur passagère que la
mort a fait oublier (1). »

Mais la contradiction ne tarde guère Une révolution radicale,


: «

embrassant jusqu'à la nature elle-même, telle fut donc la pensée


fondamentale de Jésus (2). » Ce fut sans doute aussi la première
pensée qu'il annonça ouvertement après son baptême, c'est-à-dire
quand son enseignement devint « public et suivi « Le royaume de :

Dieu » allait venir, et c'était lui, Jésus, qui était ce « Fils de l'homme »

que Daniel en sa vision avait aperçu comme l'appariteur divin de la


dernière suprême révélation... L'application que s'en
et faisait Jésus
à lui-même était donc la proclamation de sa messianité et l'affirma-

tion de la prochaine catastrophe où il devait figurer en juge (3)... ».

(1) p. 83.
(2) P. 123.
(3) P. 134, 135, I.ÎS.
48G REVUE BIBLIQUE.

Il de se contrerUre plus nettement encore.


était cei3endaiit possible

Le règ-ne de Dieu démocratique n"a pas beaucoup arrêté la pensée de


.lésus. Il reste le royaume .de Dieu « accomplissement littéral des

visions apocalyptiques relatives au Messie » et « le royaume des


Ames ». Quant à ces « deux conceptions du royaume de Dieu, Jésus
paraît toujours les avoir gardées simultanément (i) ». En se contre-
disant lui-même, Renan introduit la contradiction dans la pensée du
Sauveur. D'ailleurs en triomphe « Les deux parties de son sys-
il :

tème, ou, pour mieux dire, ses deux conceptions du royaume de Dieu
se sont appuyées l'une l'autre, et cet appui réciproque a fait son
incomparable succès (2). » Paroles qui se justifient très bien si les
deux cc*nceptions se complètent, comme dans la tradition catholique,
mais nous demandons ici, avec le Renan de tout à l'heure, si la morale
de Jésus est celle d'un illuminé qui croit le monde près de Unir?
Ce scrupule ne tient pas. Au contraire « C'est parce qu'elle était :

à double face que sa pensée a été féconde. La chimère n'a pas eu


le sort de tant d'autres qui ont traversé l'esprit humain, parée qu'elle
recelait un germe de vie qui, introduit, grâce à une enveloppe fabu-
leuse, dans le sein de l'humanité, y a porté des fruits éternels. »
Une jolie phrase! le critique sait bien que cela ne tient pas. Il sef-
fraye, et cela est presque comique, de passer pour un apologiste ;

il que juste « Et ne dites pas que c'est là une interprétation


n'a été :

bienveillante, imaginée pour laver l'honneur de notre grand maître


du cruel démenti infligé à ses rêves par la réalité. » Le bon apô- —
tre que ce dernier des apôtres du grand maître! La péroraison est
un appel à Pardonnons-lui son espérance d'une apoca-
la pitié : «

lypse vaine, d'une venue à grand triomphe sur les nuées du ciel. »
Lt en somme on ne sait plus bien si Jésus était si sûr de son affaire :

" Peut-être était-ce là l'erreur des autres plutôt que la sienne (3)... »

En somme tout pourrait se terminer par un non-lieu. xMais que deman-


dait de plus l'exégèse libérale?
Comme do Jésus avait une double face, son action était
la doctrine
à deux fins « Jésus se proposa de créer un état nouveau de l'huma-
:

nité, et xo\ PAS SEULEMENT de préparer la fin de celui qui existe ('*). »
C'est très spirituel, ou plutôt ce serait très amusant dans un vaude-
ville. Ce « non pas seulement » serait délicieux, s'il n'était mépri-

sable, non pas seulement à propos de Jésus et de l'Evangile, mais

(1) I'. 2S.3.

(2) P. 28;i.

{-.i) P. 293 ss.

(4) P. 295.
iMÉLAXGES. 487

dans lin livre d'histoire quelconque. Ces gentillesses s'efiacent devant


cette parole : « Cette morale prétendue des derniers jours s'est trou-
vée être la morale éternelle, celle (jui a sauvé rhumanité(l). » Mais
rend-elle un son loyal?
Car ce balancement continue à nous Ijerccr ou à nous ijerner? —
— pendant des pages, la chanson module Tantistrophe après la
strophe, les images flottent devant les yeux, leurs couleurs se com-
plètent dans une lumière adoucie... Maintenant nous savons ce que
c'est que le royaume de Dieu : « Le mot favori de Jésus reste donc
plein 'd'une éternelle beauté. Une sorte de divination grandiose
semble en ceci avoir guidé le maître incomparable et l'avoir tenu
dans un vague sublime, embrassant à la fois divers ordres de véri-
tés (2). » Qui ne serait flatté d'avoir compris? Le tonnerre de la pré-
dication, évangélique peut-il encore réveiller ceux qui ont absorbé
cette morphine?
Pour ceux qui ont encore quelque confiance dans le bon sens, ils
s'arrêteront aux lignes lucides « Qu'il y eût une contradiction entre
:

le dogme d'une fin prochaine du monde et la morale lialntuelle de

Jésus, conçue en vue d'un état stable de l'humanité, assez analogue


à celui qui existe en effet, c'est ce qu'on n'essayera pas de nier (3). »

Le problème que la critique indépendante a posé n'est donc pas


résolu. Car ce n'est rien faire que d'embarquer dans une contra-
diction la fortune du christianisme {ï). « Le monde veut à la fois
changer et durer. » Eh! sans doute, et c'est ce que lui proposait
Jésus. Mais il ne pouvait sérieusement proposer de changer à un
monde qui ne devait pas durer. L'aumônier de la Roquette n'invite
pas le condamné à changer de vie, mais à se préparer à la mort.
Les eschatologistes auront beau jeu de ces atermoiements.
En revanche, exposés que nous sommes au débordement de leurs
affirmations très tranchantes, il ne nous déplaira pas de noter que la
fantaisie d'un Renan a cependant frôlé des bornes, et de rappeler
l'éloge qu'il fait de la morale éternelle de Jésus, véritable fondateur
de l'Église « Ce qui prouve bien, du reste, que Jésus ne s'absorba
:

(1) p. 2;i5.

(2) P. 301.
P. 130.
(3)
Je ne vois que l'ombre d'un argument, une prétendue analogie « Les sectes millé-
:
(4)

naires de l'Angleterre présentent le même contraste, je veux dire la croyance à une pro-

chaine lin du monde, et néanmoins beaucoup de bon sens dans la pratique de la vie », etc.

(p. 130, note 3). Mais autre chose est de continuer


son traiu de vie, avec la crainte plus
ou moins certaine de la (in du monde, autre chose la mission qu'on se donnerait d'an-
noncer la lin du monde et de lui prêcher une morale nouvelle et durable.
488 REVUE BIBLIQUE.

jamais entièrement dans ses idées apocalyptiques, c'est qu'au temps


même où il en était le plus préoccupé, il jette avec une rare sûreté
de vues les bases d'une Église destinée à durer (1). »
Les choses en sont même arrivées à ce point que nous devrons lui
savoir gré de n'avoir pas fait de Jésus un Messie révolutionnaire. Il

s'estamusé à nous un instant « Un mouvement qui


le faire craindre :

eut beaucoup plus d'influence sur Jésus fut celui de Juda le Gaulo-
nite ou le Galiléen(2). » Mais tout s'explique : (( Le sage Jésus, éloi-
gné de toute sédition, profita de la faute de son devancier, et rêva
un autre royaume et une autre délivrance (3). » Donc lucus a non
hicendo. Et pour le dire en passant, c'est ainsi qu'il faut entendre
cet agréable paradoxe « Avec ses énormes défauts, dur, égoïste,
:

moqueur, cruel, étroit, subtil, sophiste, le peuple juif est cependant


l'auteur du plus beau mouvement d'enthousiasme désintéressé dont
parle l'histoire (4) »??? Entendez : par Jésus,
que Jésus soit et « loin
le continuateur du judaïsme, ce qui caractérise son œuvre, c'est la
rupture avec l'esprit juif (5) ».
Ce sont là jeux de princes... de la critique, et qu'on jugerait
sévèrement ailleurs. Mais puisqu'on les écoute, tirons encore avan-
tage d'une affirmation, fortement soutenue au cours de l'ouvrage,
contre ceux qui ne voient en Jésus que le dernier prophète d'Israël,
et le prophète du judaïsme apocalyptique. Ceux-là, les tenants de
l'eschatologie conséquente, sont convaincus que tout le monde s'en-
tendait alors sur la notion apocalyptique du règne de Dieu. Renan
leur a répondu d'avance : « Ce règne de Dieu sur la terre prêtait
naturellement aux interprétations les plus diverses. Pour plusieurs,
c'était le règne du Messie ou d'un nouveau David; pour la théologie
juive, le « royaume de Dieu » n'est le plus souvent que le judaïsme
lui-même, la vraie religion, le culte monothéiste, la piété (6). »
En prêcbant le royaume de Dieu, Jésus n'était donc pas un simple
écho. Il annonçait une oHivre nouvelle, il mêlait et fondait d'anciens
pressentiments dans l'unité de sa pensée. Il dominait son temps et
l'avenir. Qui était-il donc enfin?
Un sage, disait l'école libérale, une Ame religieuse, le génie même
de la religion; un prophète illuminé, disent aujourd'hui les cschato-

(1) P. 302.

(2) 1'. (J3.

(3) P. 64.
(4) P. M.
(5) P. 471.
(r.) p. 82 s.
MÉLANGES. 489

logistes; non' pas même un Renan, un charmeur, qui


saint, d'après

devint un révolutionnaire religieux, un géant sombre, et, hélas! un


faiseur de miracles, ce qui ne saurait aller sans dissimulation.
C'est ici le point le plus répugnant de la tâche d'un critique catho-
lique. Faisons vite (1). Le charmeur n'eut qu'un temps. Il fut le héros
de la pastorale galiléenne. « Son caractère aimable, et sans doute
aussi une de ces ravissantes figures qui apparaissent quelquefois dans
la race juive, faisaient autour de lui comme un cercle de fascina-
tion (2)... » C'est « par sa beauté pure et douce » que Jésus «calma
l'organisation troublée (3) » de Marie de Magdala. Renan sait d'ailleurs
qu' « il fut sans doute plus aimé qu'il n'aima (4) ». « Ces bons Gali-
léens n'avaient jamais entendu une parole aussi accommodée à leur
imagination riante. On l'admirait, on le choyait (5)... » Le royaume de
Dieu allait venir; le mot de paradis résumait le rêve de tous « un :

jardin délicieux où l'on continuerait à jamais la vie charmante que


l'on menait ici-bas (6) ». Le « charme » revient souvent, et aussi la
gaieté. Les disciples autour de Jésus sont une troupe « gaie et vaga-
bonde (7) », « sa douce gaieté s'exprimait sans cesse par des ré-
flexions vives, d'aimables plaisanteries (8) ».

(1) C'estpourquoi je signale seulement en note l'étrange position de Renan sur les
frères du Seigneur. Les vrais frères de Jésus ne furent pas ceux qu'on pense, car il admet
avec saint Jérôme que Jacob, Joseph ou José, Simon et Jude, nommés par Marc (vr, 3) et
par Matthieu (xni, 55), sont des cousins germains, fils de Marie, sœur de la Mère de Jésus,
et de Cléophas. Même il avance que « l'expression de « frères du Seigneur » constitua
évidemment, dans l'Église primitive, une espèce d'ordre parallèle à celui des apôtres »
(p. 26, note). On ne peut rien dire de plus fort pour prouver
que « frères » ne devait pas
être pris dans le sens propre, ce qui n'empêcha pas Renan de prêter à Jésus des frères et
des sœurs. Mais « leur nom était inconnu, à tel point que, quand l'évangéliste met dans

la bouche des gens de Nazareth l'énumération des frères selon la nature, ce sont les noms
des fils de Cléophas qui se présentent à lui tout d'abord » (p. 27, phrase omise dans l'édi-
tion populaire). Ce tour de force n'est pas pour étonner, mais l'arbitraire est tout de même
trop évident.
(2) P. 84.
(3) P. 158.
(4) P. 76.
(5) P. 143 s.

(6) P. 200.
(7) P. 173.
(8) P.196. —
Cet étalage de la gaieté est d'autant plus choquant que Renan posait
alors pour une tristesse austère. Est-ce du Moïse de Vigny ou de lui-même qu'il a dit :

« Celui que Dieu a touché est toujours un être à part; il est, quoi qu'il fasse, déplacé

parmi les hommes » [Essais de morale et de critique, p. 200). Il était alors grand
admirateur de la sévère morale allemande « Le vice égrillard, la coquetterie de l'im-
:

moralité, la gentillesse du mal, voilà le péché français par excellence, voilà la petitesse,
voilà le ridicule dont le Français croit se laver par son air dégagé et son éternel sourire »
[Questions contemporaines, p. 4GG, cité par M. Séailles, ouvr. cité, p. 249).

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 32 .


490 REVUE BÎBLIQUE.

Ce charmant charpentier, ces « belles créatures » qui l'entourent


et qui l'adorent, ces Galiléens candides sont-ils une création de Fart?
M. Schweitzer les compare aux figures de sainteté qu'on vend sur la
place Saint-Sulpice. Comparaison déplaisante dans la bouche d'un
Allemand, car plus d'un de ces types joli cœur qu'on propose à
notre dévotion nous est venu de Germanie. Mais enfin c'est bien la
même impression de fadeur. Ce parfum vient de l'Orient, comme les
pastilles du sérail. La science historique perd sa dignité, à solliciter

par ces bergeries sentimentales l'acquiescement du public. L'histo-


rien qui a conscience de son devoir évoque la figure ardente de ce
Jésus, allant de ville en ville et prêchant, parce qu'il était venu pour
cela. Il prêchait, certes, le royaume de Dieu « Le règne de Dieu :

est proche; faites pénitence (1). »

Ce furent ses premiers mots selon les synoptiques, après le Bap-


tême. Renan qui a créé de toutes pièces un enseignement anté-
rieur (2) nous renverrait à l'influence de Jean, qui prêchait la péni-
tence.
Mais on ne voit guère en quoi consista cette influence, et c'est

(( par la marche naturelle de sa propre pensée » que le délicieux

moraliste devint « le révolutionnaire transcendant (3) ». Ce qui pré-


cipita surtout cette marche un premier séjour à
naturelle, ce fut
Jérusalem, dont l'âpre aspect se détache dans un violent contraste
sur la claire vision du lac. L'opposition ne pouvait être plus mar-
quée entre un culte hérissé de pratiques, dirigé par des prêtres,
et la pure religion du Père. Jésus fut donc heurté de tout ce qu'il
voyait au Temple, rentra en Galilée ayant complètement perdu
il «

sa foi juive, et en pleine ardeur révolutionnaire (4) ». Mai? ce voyage


à Jérusalem était-il donc le premier, et d'où vient que les impres-
sions du Maître y furent si nouvelles et si fortes? Il ne faudrait pas
demander à l'auteur de s'appuyer sur des textes. La parabole des
vieux habits et des vieilles outres est placée par les synoptiques en
Galilée, dès le début du ministère; saint Jean place au début de la
première entrée à Jérusalem l'expulsion des vendeurs du Temple.
Le chapitre des « premières tentatives à Jérusalem » n'a donc que la

(1) Me. I, 14.

(2) Voici son unique raison -.


« Mais s'il est vrai, comme ils (les synoptiques) le disent,

que Jean reconnut tout d'abord Jésus et lui (it f;rand accueil, il faut su|)i)oser ([ue .Tésus

(•tait d('j;\ un niaîlrc assez renommé » (ji. 109, note 1). Cette supposition est contraire aux
quatre évani-iles, et autorisait-elle à créer une période en prenant les textes dans celles
qui ont suivi?
(3) P. 120.
('i) V. 245.
MÉLANGES. 491

valeur d'un symbole, et nous ne songeons pas à nier que l'abrogation


de la loi juive ait été dans la logique de la mission de Jésus; nous
constatons seulement qu'il ne Ta pas comprise de la manière ni au
moment qu'imagine son historien.
Ce qui plus grave encore, c'est que ce changement du moraliste
est
délicieux en révolutionnaire l'obligea à devenir thaumaturge. Et cela
aussi est absdument contraire aux sources. Les miracles commencent
en Galilée, y sont nombreux dès les premiers jours du mniistère
ils

public. iNous reviendrons sur les explications que Renan en a données.


Une de ces explications l'oblige à attenter à la sincérité du Sauveur.
Il a osé le flétrir en l'accusant de dissimulation, en même
temps
qu'il le défendait ou plutôt l'excusait, et l'on ne sait ce qui est le
plus odieux, du réquisitoire en réticences ou de l'apologie perfide.
On a parlé des droits de la critique. Si les âmes pieuses sont frois-
sées de la grande édition de la Vie de Jésus, disait-on, tant pis
pour elles. Ce n'est pas pour elles que Renan a écrit; il avait bien
le droit d'exposer à un public éclairé ce qui résultait de ses études.
Mais il ne s'en est pas tenu là « J'ai cru devoir extraire de la Vie
:

de Jésus un petit volume où rien ne pût arrêter les âmes pieuses


qui ne se soucient pas de critique (1)... »
Et il n'estime pas nécessaire d'avertir ces âmes pieuses,. qu'elles

seront blessées dans leur foi chrétienne, ou la perdront à le lire.


Qu'a-t-il donc voulu faire? Sans doute ménager ceux qui regardaient
le Christ comme un saint? Il leur présente « un Christ en marbre
blanc... un Christ taillé dans un bloc sans tache, un Christ simple

et pur comme le sentiment qui Mon Dieu!


le créa (2) ». Il ajoute : «

peut-être est-il ainsi plus vrai. Qui sait s'il n'y a pas des moments
où tout ce qui sort de l'homme est immaculé? Ces moments ne sont
pas longs; mais il y en a (3). » Et sans doute ces moments n'ont
guère duré dans la vie de Jésus. Il lui fallait réussir. « Concevoir
le bien, en effet, ne suffit pas; il faut le faire réussir parmi les

hommes. Pour cela, des voies moins pures sont nécessaires (4). »

Bref, Jésus dut se résoudre à faire des miracles.


L'insinuation est-elle moins malhonnête parce qu'elle s'enveloppe
de formules équivoques et embrouillées? Cela veut dire Jésus a eu :

recours à la dissimulation, et le christianisme est le résultat de ses

(1) p. XXVI, note 1.

(2) Éd. populaire, p. v s.

(3) Éd. pop., p. VI.

(4) Éd. pop., p. 46.


492 REVUE BIBLIQUE.

mensonges (1). —
Oh! Renan ne l'a pas écrit en ces termes! C'est —
pour ces sortes de cafardises qu'on emploie le mot Tartuffe! :

Revenons à la Vie de Jésus où tout a été dit « sans une ombre d'ar-
rière-pensée (2) ».

Voici l'excuse générale que l'auteur a trouvée applicable à son


grand maître. « Les consciences troubles ne sauraient avoir la net-
teté du bon sens. Or, il n'y a que les consciences troubles qui fondent
puissamment... L'état des documents ne permet pas de dire en quel
cas rillusion a été consciente d'elle-même. Tout ce qu'on peut dire,
c'est qu'elle l'a été On ne peut mener durant des années
quelquefois.
la vie de thaumaturge, sans être dix fois acculé, sans avoir la main
forcée par le public... On commence par la naïveté, la crédulité,
l'innocence ateolue on finit par des embarras de toute sorte, et, pour
:

soutenir la puissance divine en défaut, on sort de ces embarras par


des expédients désespérés Jeanne d'Arc n'a-t-elle pas plus d'une
(3)...

fois fait parler ses voix selon le besoin du moment? Si le récit de la

révélation secrète qu'elle fit au roi Charles VU a quelque réalité, ce


qu'il est difficile de nier, il faut que cette innocente fille ait présenté
comme l'effet d'une intuition surnaturelle ce qu'elle avait appris par
confidence (4). »

Comme on ne peut toujours se fâcher, notons seulement la dis-


traction de l'historien. La révélation secrète faite par Jeanne est si peu
un expédient désespéré, qu'elle ouvre sa mission. C'est par là qu'elle
s'est acquis de l'autorité. Et c'est de la même façon que les miracles
de Jésus lui ont attaché ses disciples. Plus d'une religieuse folle
de vanité a essayé de d'embarras par l'imposture de révéla-
sortir
tions fausses. L'Inquisition surtout en Espagne —
avait le mauvais —
goijt de ne point les déclarer innocentes. Que Renan ajoute encore
l'exemple du Rab. Mais le docte membre de l'Académie des Inscrip-
tions avait-il besoin du suffrage d'un aventurier? Une sorte de franc-
maçon que la foule avait thaumaturge,
érigé en prophète et en
eût été pour un peu entraîné par sa propre légende à faire des
miracles, « si le gouvernement persan ne l'eût soustrait à l'influence

(1) Encore a-t-il écrit « Quand nous aurons fait avec nos scrupules ce ([u'ils firent avec
:

leurs mensonges, nous aurons le droit d'être pour eux sévères... Le seul coupable en pa-
reil cas, c'est l'humanité qui veut tHre trompée « (p. 264). La seule rélicence dans ce cas,

c'est que Jésus n'est pas nommé dans la page (omise dans la Vie populaire), mais il est
imjjossible de ne pas opposer sa hardiesse dans le mensonj^e à la « limidc iionnélelé » de
Renan. Lindulgence après cela n'est que suprême et ironique dédain.
(2) Kd. pop., p. IV.

(3) C'est exaclemenl la pensée de Voltaire.


('il ]\ XXV.
MELANGES. 493

de ses disciples », « Cet homme, >• ajoute Renan sans rire, « m'a dit
qu'ayant failli devenir propliète, il savait comment les choses se pas-
saient, et qu'elles avaient bien lieu comme Je les avais décrites dans la
Vie de Jésus (1). » Jésus aurait presque préféré, lui aussi, ne pas faire
de dupes. C'est un des aspects de la plaidoirie donc permis : « Il est

de croire qu'on lui imposa sa réputation de thaumaturge, qu'il n'y


résista pas beaucoup, mais qu'il ne fit rien non plus pour y aider,
et qu'en tout cas, il sentait la vanité de l'opinion à cet égard (2). » Les
coupables étant si nombreux, on absoudra le complice. Mais tout de
même ce dédain supérieur de l'opinion est bien conscient de lui-
même! —
Cette explication ne vous suffit donc pas? Alors supposez
que Jésus était de bonne foi. Il agissait même, non plus pour réussir,
mais par simple bienveillance « Convaincu que l'attouchement de
:

sa robe, l'imposition de ses mains, l'application de sa salive, fai-


saientdu bien aux malades, il aurait été dur, s'il avait refusé à ceux
qui souffraient un soulagement qu'il était en son pouvoir de leur
accorder (3). » Comment enfin Jésus aurait-il été coupable de l'illu-
sion consciente d'elle-même, puisqu'il était complètement dans l'illu-
sion? (c Bien plus, une de ses opinions^ le plus profondément enraci-
nées était qu'avec la foi et la prière l'homme a tout pouvoir sur la
nature (4). » Alors que lui reproche-t-on?
Il eût été fâcheux de priver les âmes pieuses de ces choses édifiantes.
Elles figurent dans l'édition populaire. Dans on dit aux gens
l'autre
instruits qu'en somme ces questions ne se posent pas en Orient. « Pour
nous, races profondément sérieuses, la conviction signifie la sincérité
avec soi-même. Mais la sincérité avec soi-même n'a pas beaucoup
de sens chez les peuples orientaux, peu habitués aux délicatesses de
l'esprit critique (5). » — Evidemment le populaire n'aurait pas com-
pris comment il faut être formé aux délicatesses de la critique pour
être sincère —à la façon de Renan.
L'oriental Jésus a-t-il été plus loyal dans le témoignage qu'il s'est
rendu à lui-même? Car Jésus s'est déclaré Fils de Dieu. Sans doute,
dit l'exégèse libérale, et il était en effet le meilleur fils de ce Père,
il avait conscience de lui être le plus tendrement uni. C'est simple,
mais c'est vraiment trop simple pour cette tragique histoire. Les mes-

(1) p. 274, note 2.


(2) P. 276.
(3) P. 271.
(4) P. 267. Et encore : « Le merveilleux n'était pas pour lui l'exceptionnel ; c'était l'é-
tal normal » (p. 43).

(.5) P. 262.
494 REVUE BIBLIQUE.

sianistesne s'étonnent pas non plus; ils croient savoir que Fils de
Dieu était alors simplement synonyme de Messie; Jésus s'est fait illu-
sion, comme tant d'autres. Renan a mieux compris les conditions
posées par les textes. Les deux écueils à éviter sont de réduire un
terme aussi auguste à une affirmation banale, ou bien de l'entendre
à la lettre, ce qui, pour le critique incrédule, impliquerait un orgueil
touchant à la ou une imposture caractérisée. A défaut d'une
folie,

bonne solution, Renan nous ofi're le choix entre plusieurs. Voici un


Jésus très raisonnable « Il se croit plus qu'un homme ordinaire,
:

mais séparé de Dieu par une distance infinie. Il est fils de Dieu; mais
tous les hommes le sont ou peuvent le devenir à des degrés
divers (1). » Un théologien libéral ne saurait mieux dire. Un histo-
rien doit constater autre chose. Jésus « ne prêchait pas ses opinions,
il se prêchait lui-même (2). « Ce serait excessif pour un homme vul-

gaire. « C'est l'orgueil pour ceux qui ne voient dans l'apparition


nouvelle que la fantaisie personnelle du fondateur; c'est le df>igt de
Dieu pour ceux qui voient le résultat. Le fou côtoie ici l'homme ins-
piré; seulement, le fou ne réussit jamais. Il n'a pas été donné jus-
qu'ici à l'égarement d'esprit d'agir d'une façon sérieuse sur la marche
de l'humanité {'S). » Cette réflexion générale est fort bonne; elle a été
jugée offensive des oreilles pieuses, et exclue de l'édition populaire,
sans doute à cause de cet orgueil si mal excusé par le résultat (Y).
Renan d'avoir évité l'exégèse fantaisiste des
Félicitons d'ailleurs
libéraux qui placent au baptême le moment où Jésus a pris cons-
cience de son titre de fils de Dieu : « La première pensée de Jésus,
pensée tellement profonde chez lui, qu'elle n'eut prolmblement pas
d'origine et tenait aux racines mêmes de son être, fut qu'il était le
fils de Dieu, l'intime de son Père, l'exécuteur de ses volontés (5). »

Jésus en effet s'estimait très haut. « Le titre même de prophète ou


d'envoyé de Dieu ne répondait plus à sa pensée. La position qu'il s'at-

(1) r. 253.
(2) P. 79.
(3) P. 80.
(4) Cependant on lit dans la Vie populaire : <( Jésus s'envisageait depuis longtemps avec
Dieu sur le pied d'un (ils avec son père. Ce (jui chez d'autres serait un orgueil insuppor-
table ne doit pas chez lui être traité d'attentat » (éd. pop., p. Ijl). — Je ne voudrais pas
tourner moi aussi au blasplième, mais j'oserai dire que l'orgueil choquerai! moins l'hislo-
rieu à propos d'une puissante ])ersonnalité que la vanité puérile « Il se laissa donner un
:

titre sans lequel il ne pouvait espérer aucun succès. II finit, ce semble, par y prendre plai-
sir, car il faisait de la meilleure grâce les miracles qu'on lui demandait en l'interpellant

de la sorte » (p. 248). Parle-t-il dans un journal mondain d'un candidat à l'Académie, ou
de Jésus, lils de David?
(5) P. 122.
MKLANGES. 495

tribuait était celle d'un être surhuiiiain (1). » Cette fois les prétentions
de Jésus ont donc grandi avec temps? Mais ne chicanons pas sur
le
ces vétilles. Gomment excuser un tel orgueil, —
autrement que par
le résultat, —
si la prétention du Christ n'est pas légitime? Ici l'Orient

n'a rien à nous dire, car le Juif était par excellence l'adorateur du
Dieu unique. Mais Jésus avait « une haute notion de la Divinité, qu'il
ne dut pas au judaïsme (2) », il n'était ni déiste, ni panthéiste. Et au
fait, sommes-nous bien sûrs que Jésus n'était pas d'avance hégélien?

« Dans sa poétique conception de la nature, un seul souffle pénètre

l'univers; le souffle de l'homme est celui de Dieu... L'idéalisme trans-


cendant de Jésus ne lui permit jamais d'avoir une notion claire de sa
propre personnalité. Il est son Père, son Père est lui. Il vit dans ses
disciples; partout avec eux; ses disciples sont un, comme lui
il est
et son Père sont un. L'idée pour lui est tout (3)... » C'est comme —
pour les miracles. Est-il étonnant que Jésus ait fait des miracles, puis-
que tous les hommes avaient le pouvoir d'en faire? Il était fils de
Dieu, mais cela ne tirait pas à conséquence, puisqu'un seul souffle
anime l'univers. Il était bien inutile après cela de revenir à l'accusa-
tion de fraude Le besoin que Jésus avait de se donner du crédit
: «

et l'enthousiasme de ses disciples entassaient les notions contradic-


toires (4). »
C'est donc Reimarus ou Voltaire qui reparait. Renan tenait d'eux
une carte dont il n'a pas voulu se défaire. Cette fois il a parlé net :

« J'ai voulu que mon livre gardât sa valeur, même le jour où l'on

arriverait à regarder un certain degré de fraude comme un élément


inséparable de l'histoire religieuse.:. Par réaction contre les expli-
cations brutales du xviii^ siècle, ne tombons pas dans des hypothèses
qui impliqueraient des effets sans cause (5). » La critique allemande
répugnait à dire que « tous les collaborateurs d'une légende sont à
la fois trompés et trompeurs ». Elle respectait la sincéritédu Christ.
Mais qui sait? on reviendrait peut-être à Voltaire. Et Renan savait
bien qu'il y conduisait. Il fallait seulement éviter d'être brutal. Mais
on peut être brutal avec des gants de velours; l'ironie la plus fine et
la plus élégante, quand elle se mêle d'être onctueuse, accuse plutôt
qu'elle ne dissimule la perfidie. Jamais Renan ne traita l'histoire avec
plus de sans-gêne que par cette imagination d'un Jésus qui n'est ni

(1) P. 256.
(2) P. 77.

(3) P. 254. Citations de Jo. x, 30; xvii, 21.


(4) P. 262.

(5) P. XXV et xxvii.


496 REVUE BIBLIQUE.

déiste, ni panthéiste, plutôt panthéiste cependant, si ce n'est lorsqu'il


a prêté au Sauveur le besoin « de se donner du crédit ».

Et pourtant il afTectait de présenter au lecteur le vrai Jésus de


l'histoire, tel qu'il le comprenait, purement homme, mais un grand
homme, d'une hauteur morale et religieuse incomparable. A-t-il
réussi à tracer un caractère, je ne dis pas sans défauts, puisqu'il les
insinuait si complaisamment quand il disait toute sa pensée, et même
dans son Christ en marbre blanc, mais enfin un caractère d'homme
qui soit en harmonie avec lui-même et avec son œuvre? Ce Jésus
est-il vraisemblable? est-il vraisemblable qu'il ait fondé la religion
pure comme la voulait Renan?
Les traits les plus divers ne sont pas toujours incompatibles. On
peut être un charmeur et, sous le choc de la contradiction, devenir
« rude une personne exquise peut avoir ses mouve-
et bizarre (1) » ;

ments d'humeur et de colère (2). Et l'on ne s'étonnerait pas non plus


qu'un jeune démocrate soit ambitieux et qu'il fasse des concessions à
l'opinion.
Mais voici qui ne se tient pas debout. Cette candeur cette pureté, cette ,

grandeur morale, cette aspiration vers du Père, ne peuvent la sainteté


se rencontrer avec la dissimulation, et ce mot que Renan n'écarte pas
sans l'avoir suggéré, la jonglerie (3). On ne comprend pas qu'un en-
fant de Dieu, qui se croit éclairé d'en-haut, qui s'offre à la mort pour
son œuvre, sachant que cette mort sera le salut des hommes, que ce
Messie de l'immolation volontaire (4) ait pratiqué de petites manœu-
vres pour se faire valoir, et se soit résolu, pour réussir, à des artifices
qu'il méprisait. Et si l'on usurpe un titre surhumain, si l'on se croit
un avec Dieu, dans un temps où ni Hegel ni Nietzche n'existaient
encore, et où tout Juif fidèle courbait le genou devant le seul vrai
Dieu, on n'est pas éloigné de la folie (5).

(1) p. 332.

(2) Renan — rjui l'eût cru? — est transporté d'adiniralion pour les invectives de Jésus
aux Pharisiens : « Traits incomparables, traits dignes d'un (ils de Dieu! Un Dieu seul sait
tuer de la sorte « (p. 347).

(3) « Il est impossible surtout de savoir si les circonstances choc[uanles d'eflorls, do


trouble, de frémissement, et autres traits sentant la jonglerie, sont bien historiques »

(p. 269); en note : Le. viii, 45-46; Jo. xi, 33-38. Notez qu'en bonne logique les larmes de
.Jésus (.To. XI, 34) feraient partie de ces stratagèmes. El 11 faut le remercier de faire grâce à
Jésus — quoi qu'il faille penser des évangélistes!
(4) « Pour lui il se confirmait dans la pensée qu'il allait mourir, mais que sa mort sau-
verait le monde » (p. 384).
(5) «Nous admettrons donc sans hésiter que des actes qui seraient maintenant considérés
comme des traits d'illusion ou de folie ont tenu une grande place dans la vie de Jésus »
(p. 277). Et il est dit de l'abnégation chrétienne quelle « eut pour fondateur non le fin et
MELANGES. 497

La folie a toujours été impuissante. La dissimulation pas toujours.


Mais dans l'ordre moral, elle n'a jamais abouti qu'à la ruine des âmes
et au déshonneur. Et enfin, si tel est le portrait de Jésus, si ses pa-

roles ardentes, son zèle pour Dieu, si franc et si pur voilaient par
instants une pensée tortueuse si sa bonté qui répandait les miracles
;

était subordonnée au succès; si sa morale risquait d'échouer quand


on découvrirait son mensonge, Renan peut-il encore le nommer son
grand maître*
Le simple sens commun ne saurait se contenter de ces amusements
de surhomme, la psychologie proteste contre de pareilles combinai-
sons, l'histoire n'a jamais constaté de semblables phénomènes. Et la
critique discerne aisément le vice de cette construction.
Renan s'est servi du quatrième évangile non seulement pour les
faitsde l'histoire, mais aussi pour pénétrer dans les rapports de Jésus
avec son Père. Il a utilisé les derniers discours, surtout le ch. xvii,
« qui expriment bien un côté de l'état psychologique de Jésus, quoi-

qu'on ne puisse les envisager comme de vrais documents histori-


ques (1) ». —
Encore une gageure, et comment voulez-vous qu'on le
prenne au sérieux? Enfin il a employé saint Jean pour décrire l'état
psychologique de Jésus. Mais alors il fallait s'attendre à voir Jésus
affirmer son unité avec son Père, c'est-à-dire sa divinité. Ils obéis-
saient à un instinct plus sur, ceux qui, résolus à réduire Jésus aux
proportions humaines, fermaient inflexiblement la porte à saint Jean.
Renan a cru qu'il réussirait encore ce paradoxe à force de nuances,
d'atténuations, de prodiges d'équilibre. Il a été le seul à tenter le
coup. Toute la critique estime qu'il' a échoué, et que pour réduire les
affirmations de Jésus, il faut encore retrancher bon nombre de traits
des synoptiques. Mais a-t-on le droit de se rendre la tâche si aisée? Et
suffit-il d'un homme pour remplir une tâche divine? Je voudrais

seulement prier ceux qui ne croient pas, et qui pensent avec Renan
qu'il faut essayer de^ résoudre la question telle que la posent les textes,
d'essayer ce qu'ils appelleront, s'ils le veulent, l'hypothèse de la di-
vinité de Jésus. Aussitôt les contradictions disparaissent, parce qu'un
Dieu avait le droit de demander l'amour au degré suprême, parce
qu'il n'a pas trompé les hommes en mettant sa pui^^ance au service de
sa bonté, parce qu'il n'a pas usurpé en se disant égal au Pèxe. Alors
ilsaborderont avec un esprit moins hostile l'étude des miracles qui
ont prouvé aux disciples la mission du Fils de Dieu.

joyeux moraliste des premiers jours, mais le géant sombre qu'une sorte de pressentiment
grandiose jetait de plus en plus hors de l'humanité » (p. 325).
(1) P. 254, note 4.
498 REVUE BIBLIQUE.

V. — Les miracles.

Nous n'avons pas de Jésus aux mi-


à revenir sur la participation

racles. Naturellement il n'en a fait aucun. Mais il a certainement


consenti à faire ce qui pouvait passer pour tel. D'ailleurs c'était peu
de chose, et il ne s'y est mis que tard et à contre-cœur, de sorte que
sa culpabilité est diminuée par la nécessité de réussir, et même par
son ignorance des lois de la nature. Il n'a été que complice. Nous ne
revenons pas sur cette édifiante plaidoirie.
Mais enfin, si l'on parle comme tout le monde, il y a des miracles
dans l'Évangile , on ne peut songer à le^, éliminer, ils n'ont pas
tous été inventés après coup. Renan tient beaucoup à reconnaître ce

fait,parfaitement exact, que des miracles ont été racontés par des
témoins oculaires (1). Strauss n'avait donc pas compris toutes les
vraies données du problème; cette négation des miracl.es est une
opinion pieuse de la théologie qui tient à en innocenter Jésus. Restait
à expliquer comment des témoins oculaires ont raconté des miracles
qui n'en étaient pas. Renan n'a pas diminué la difficulté; selon sa
méthode appel pour la résoudre à toutes les solur
favorite, il a fait

lions fournies jusque-là par la critique allemande.


Il commence par déblayer le terrain en retranchant bon
nombre
de miracles. En somme il n'était pas tenu par son système à les
mettre tous sur le compte des témoins oculaires. Strauss avait tort de
n'y voir ordinairement qu'une combinaison de souvenirs et de textes,
de mettre toujours en œuvre la verve créatrice de la communauté.
Mais cette explication pouvait être la bonne. La préface de lal3'' édi-
tion enseigne que « sur cent récits surnaturels, il y en a quatre-
vingts qui sont nés de toutes pièces de l'imagination populaire (2) ».
La proportion est forte; d'ailleurs l'auteur s'est abstenu soigneuse-
ment de reprendre les fastidieuses démonstrations de Strauss, dont
aussi le caractère artificiel était trop évident (3).
Quand miracle est de tout premier ordre, comme la résurrec-
le

tion de Lazare, il faut bien que la réalité se réduise à rien, que la


confusion soit presque totale. Renan insiste beaucoup sur l'impor-

(1) p. 505. « Écartons absolument une idée fort répandue, d'après laquelle un témoin
oculaire ne rapporte pas de miracles. »
(2) P. XXI.
« La critique de détail des textes évangéliques , en particulier, a été faite par
(3)

M. Strauss d'une manière qui laisse peu à désirer » (p. xxxviii). commode, Son livre est «

exact, spirituel et consciencieux, quoique gâté dans ses parties générales par un système
exclusif » (p. xxxvni, note 2).
MÉLANGES. 499

tance du fait, engagé dans de Jésus avant sa Passion on croi-


la vie ;

rait qu'il va le déclarer historique (1). Pour résoudre cette


énigme,
ce n'est pas trop de Strauss uni à Reimarus. Il y a eu confusion
entre le Lazare de la parabole du mauvais riche et Simon le Lépreux,
frère de Marthe et de Marie. Les deux sœurs proposèrent à Jésus une
résurrection comme le prodige le plus capable de frapper l'incré-
dulité hiérosolymite. Jésus refusa : « Lazare reviendrait, pouvait-il
ajouter, qu'on ne le croirait pas. » « Plus tard, il s'établit à ce sujet

de singulières méprises. L'hypothèse fut changée en un fait (;2). )>

Les raisonnements du critique allemand, difliciles à suivre, sont égayés


de comparaisons. Vous jugez Marthe et Marie peu scrupuleuses :

« Supposez une dame légitimiste réduite à aider le ciel à sauver Joas.

Hésitera-t-elle (3) ? » — Craignait-il qu'on ressuscitât Charles X?


Nous avons encore vingt pour cent de miracles à expliquer. Sur <(

la masse de faits surnaturels racontés par les Évangiles et les Actes,


j'essaie pour cinq ou six de montrer comment l'illusion a pu naî-
tre (4). » —
Paulus avait été plus courageux; son exemple ayant
servi de leçon, Renan tient l^eaucoup à ne pas encourir « le ridicule

de Paulus », dont le tort principal avait été de se poser en


théologien. Un critique profane peut et doit faire ces sortes d'hypo-
thèses (5). — Que ne On pourrait juger
les a-t-il faites plus souvent?
de leur efficacité. Je n'ai pas compté les cinq ou six cas pour les
Évangiles et les Actes. Voici pour la multiplication des pains Nous :

sommes au désert », et Renan, qui a vu les lieux, aurait dû savoir


«

qu'aux bords du lac on n'est pas proprement dans un désert (G).


Quoi qu'il en soit « Grâce à une extrême frugalité, la troupe sainte y
:

vécut; on crut naturellement voir en cela un miracle (7). Était-ce


donc si naturel de changer en miracle un fait si naturel? » Le brave
Paulus avait du moins amené des chameaux chargés de provisions !

L'auteur de tant d'œuvres subtiles avait trop d'esprit pour courir


souvent un pareil risque. nous devait cependant une théorie
Il

générale. Des seize pages —


réduites à trois dans la Vie populaire
— qui composent le chapitre des miracles, le plus grand nombre
est charitablement employé à disxulper Jésus. Il reste peu de place

(1) p. 506-516.
(2) P. 373.
(3) P. 5t6.
(4)- P. XXI.
(5) P. XXI, note 1.

(6) Mt. XIV, 13, parle d'un lieu désert.


(7) P. 205.
500 REVUE BIBLIQUE.

pour en venir au fait. En somme « presque tous les miracles que


Jésus crut exécuter paraissent avoir été des miracles de guérison (1) ».
Une nature discrète comme celle de Renan ne pouvait s'embarrasser
des pharmacies portatives et des recettes d'oculistes avec onguents
appropriés qui encombraient la critique allemande (2). Tout cela est
remplacé par la phrase célèbre Qui oserait dire que, dans beau-
: ((

coup de cas, et en dehors des lésions tout à fait caractérisées, le con-


tact d'une personne exquise ne vaut pas les ressources de la pharma-
cie? Le plaisir de la voir guérit. Elle donne ce qu'elle peut, un
sourire, une espérance, et cela n'est pas vain (3). » Et voilà pour- —
quoi votre fille — n'est plus muette.
Mais les fous sont-ils sensibles au sourire? Pourquoi pas? A la con-
dition de ne rien exagérer, et de connaître l'Orient De nos jours, en : «

Syrie, on regarde comme fous ou possédés d'un démon (ces deux idées
n'en font qu'une, medjnoim) des gens qui ont seulement quelque
bizarrerie. Une douce parole suffît souvent dans ce cas poui* chasser
le démon (i). » —
Voire, et les coups de courbache sont encore plus
efficaces, car on qualifie medJROun quiconque veut faire à sa tête. Mais

on voit aussi en Syrie des fous furieux enchaînés dans les vestibules
des couvents ou des églises, qui se montrent aussi réfractaires aux
coups qu'aux douces paroles. C'est de ces égarés, et des cas les plus
redoutables que les Évangiles ont parlé (5). Ils ne se seraient pas donné
la peine d'épiloguer sur le vocabulaire des moukres. Notre brave La
Palice eût dit aussi : « Un simple sorcier n'eût pas amené une révo-
lution morale comme
que Jésus a faite (6). » Mais il n'y suffît pas
celle
non plus d'être une personne exquise. Pas d'effets sans cause. Renan
le savait, et il a eu recours au grand moyen, quoique discrédité, de

l'imposture, sauf le nom, trop sévère pour son indulgence.


C'est surtout dans la préface de la 13^ édition et dans l'appendice
sur le quatrième évangile, qu'il s'est exprimé aussi crûment que le
permettait sa convention de ménager les termes et les personnes.
Voici la recette définitive du miracle « Un miracle, en d'autres termes,
:

suppose trois conditions 1° la crédulité de tous; 2" un peu de com-


:

(1) P. 270.
[1) On est donc très étonné de lire dans les ronsidérations finales sur Jésus : « Les lois
en vigueur de nos jours sur l'exercice illégal de la médecine eussent sulli pour lui fermer
la carrière » (p. 473).

(3) P. 271.

(4) P. 274.
(5) Mt. VIII, 28, etc.
(6) P. 278.
MELANGES. oOl

plaisance de la part de quelques-uns; 3° l'acquiescement tacite de


l'auteur principal (1) ».

Et c'est là, encore une pensée intime de Renan. Cette théorie


fois, la

dispensait des autres. Sans doute il n'aura pas voulu rayer des pages
plaisantes et qui pouvaient faire leur efiet. Un habile avocat adresse
son paquet à chacun des juges ou des jurés. Et sa philosophie entre-
voyait une vérité dans la lueur dégagée par les contrastes et même
par les contradictions. On conclura avec M. Séailles « A donner :

toutes les explications possibles, il par n'en donner aucune (2). »


finit

En définitive quelques petits miracles ne sont pas de trop pour


échapper à un grand miracle : « Le plus grand miracle eût été qu'il
n'en fit pas (3). » — C'est sérieux?

La Vie de Jésus de Renan marque une date dans l'histoire des idées
religieuses en France. Ce fut comme l'avènement de l'exégèse parmi
le grand public. Et cette exégèse venait d'Allemagne. Il y avait pres-

que exactement un siècle que Reimarus avait scandalisé violemment


sescontemporains en faisant du christianisme le résultat d'une fraude,
non point par une boutade comme en France, mais en faisant appel
à l'érudition orientale. Le protestantisme, plus ou moins croyant,
avait préféré recourir à l'explication naturaliste du surnaturel. Après
l'exégèse mythique de Strauss, qui réduisait Jésus à n'être qu'une
sorte de fantôme, l'Allemagne avait de nouveau interrogé les sources,
reconnu des bases historiques solides, et écrit la vie du sage et reli-
gieux Jésus.
C'est à ce moment que Renan ne recommence pas des
intervient'. Il

études critiques qu'il juge achevées; cependant il ne s'attache à


aucun système. Il a plutôt la prétention de les supplanter tous par
une synthèse hardie, mais harmonieuse. L'érudition allemande est
à la base, rien de plus. La construction est bien son œuvre, et il lui a

donné un souffle vivant d'enthousiasme en l'écrivant sur les collines

de Galilée. Si la conception est française, combien plus la forme, si


nette dans la discussion littéraire, si pittoresque, si animée, si concrète
dans les tableaux! Si bien que, en s'emparan* d'un seul coup des
savantes préparations allemandes, Renan barra, dit-on, le chemin
à l'invasion germanique. C'est un reproche dans la bouche de

'
(1) p. XXVII.

(2) Ernest Renan, p. 137.

(3) Vie de Jésus, p. 279.


ti02 REVUE BIBLIQUE.

M. Scllweitzer; d'autres en feront honneur à Renan.


Les choses se

sont-elles passées comme l'expose le distingué critique? C'est un


fait

d'avant-euerre qui nous avait échappé, mais les Allemands avaient


conscience de semer leur grain en terre de France.
Ce n'était encore qu'une semence, dit M. Schweitzer, répandue par
l'école théologique de Strasbourg, les Reuss, les Colani, les Réville,

les Scherer, avec de Michel Nicolas de Montauban et


la collaboration

de Gustave d'Eichthal. Nefitzer, le rédacteur du Temps, les soutenait


dans le monde littéraire parisien. La « Revue germanique « était leur
alliée. Or Renan « en publiant trop tôt et trop superficiellement les
pensées de l'école critique, anéantit son tranquille travail (1) ». Et
sans doute c'était gêner la pénétration en France de la culture
rehgieuse allemande toute crue. Mais y aurait-elle jamais acquis
tant d'empire sans le charme que lui prêta l'enchanteur breton?
M. Schweitzer manque de Après avoir lu Renan, les plus
gratitude (2).

studieux voulurent remonter à ses sources. La semence, qu'il avait


piétinée, assure M. Schweitzer, ne s'en trouva que mieux. Moisson ou
ivraie? Nous ne nions pas la présence de quelques bons grains, mais
combien d'ivraie déposée dans le champ du père de famille!
La séduction de l'œuvre est incontestable ;
tout le monde est d'ac-

cord sur les qualités de l'écrivain. L'érudition est précise et ferme, sans
nuire aux idées générales qui semblent sortir naturellement des faits.
Le cadre historique est bien tracé c'est la Judée dans la fermentation
;

messianique, en face de la stabilité romaine, avec des jours sur


d'autres grands mouvements religieux, comme l'Islam ou le
Rouddhisme. Toute l'histoire d'ailleurs est appelée en témoignage
devant le lecteur. Les abtis du fanatisme religieux, des exemples
étonnants de crédulité, les perspectives d'une religion plus pure,
tiennent le lecteur en suspens. Il penchera du côté où il verra une
chaude sympathie pour la beauté et la vertu, des ménagements,
même pour le mensonge, poussés jusqu'au scrupule de le désigner
par son nom. L'auteur mettait à prolit et communiquait largement les
richesses d'une haute culture, et sa connaissance de l'ancien Orient.
moderne entrait en scène, et à ce qu'il semble pour la
L'Orient
première fois dans une Vie de Jésus. Chateaubriand, si fervent pour

(1) Geschichle der Lebcn-Jcsu-Forschung p. 190.


,

(2) D'après M. Séailles« Jamais il n'avait hésité à proclamer la supériorité de la race


:

germanique, jamais il n'avait cessé de proposer en modèle à la France ses théories, ses
vertus, ses exemples. En un sens son idéalisme se confondait avec l'idée de la sujirématie
intellectuelle de rAllemagne, car c'est d'elle surtout qu'il espérait la rénovation par la
science, l'accélèialion du monde vers Uicu w [Erncsl Jtenan, p. 259).
MÉLANGES. 503

Athènes et pour Sparte, était rlemeuré froid à Jorusaleiii. Lamartine


avait presque oublié la Bible. Avec Renan, l'Esprit des anciennes
histoires animait les paysages,^ la terre tressaillait sous les pas de
Jésus, les lys de Galilée s'inclinaient devant lui, le ciel même s'en-

tr'ouvrait comme au temps de Jacob, et les étoiles scintillaient

joyeusement sur son sommeil. Ce fut un enchantement.


Pour la première fois aussi un sujet d'édification était abordé par
un historien critique.
Le' critique avouait trèshaut les incertitudes et les hésitations de
l'historien, mais imposait d'autant plus aisément les conclusions d'une
étude si prolongée, si consciencieuse, si soucieuse de ne rien affir-
mer de trop, lorsqu'il disait d'un air tranquille : « Jésus naquit à
Nazareth... son père Joseph... »
Pour qui au courant de la science allemande, les conclusions
était

critiques étaient modérées. On eût dit l'auteur dépositaire et respon-


sable d'un incomparable trésor littéraire. Épris de la naïve beauté
des deux premiers évangiles, il n'était point insensible à la séduction
plus étudiée du troisième. Même de ce quatrième évangile, si dure-
ment traité par Strauss, il ne voulait rien abandonner, que des
discours ennuyeux, et encore savait- il y trouver des perles! Com-
bien il lui répugnait de croire à la mauvaise foi des écrivains !

Cette largesympathie s'attachait surtout à la personne de son


héros. Pour un peu il aurait demandé pardon de sa partialité, tant
il se sentait décidé à l'élever aussi h^ut qu'il est possible, hélas! à

l'humaine nature. Comment accuser d'hostilité un critique assez


porté à l'admiration pour excuser des actes malhonnêtes? Vraiment,
s'ilne croyait plus, il avait tout fait pour croire, et pour rester fidèle
à son ancien idéal.
Mais, tout de même, il a montré trop de zèle. Oserons-nous parler
d'insincérité (1)? Ce serait l'imiter que de voiler ce reproche pour
le faire pénétrer plus sûrement.
Dans l'ordre de la pure histoire, il faut plus probablement dire
hésitation, oscillations d'un esprit qui avait entrepris de concilier
l'inconciliable. Il ne pouvait à la fois ruiner le crédit des évangiles
synoptiques et s'en servir pour construire une histoire solide, écrire
cette histoire quand il était disposé à sacrifier les faits à l'impression
esthétique, faire marcher ensemble l'érudition et la fantaisie, l'ad-

(1) M. Schweitzer n'hésite pas : « insincérité va du commencement du livre


Une grande
à la fin », op. laud., p. 192, et il jugement deLuthardt
cite le « Il lui manque la cons-
:

cience morale ». On ne voudrait pas citer des Allemands contre un autre, mais Renan les
a tant admirés !
504 REVUE BIBLIQUE.

miration dénigrement. Alors que 'toute TAllemagne se consu-


et le

mait à fixer le développement historique de Jésus, c'était se moquer


du monde que d'écrire toute une partie de son ministère, ignorée
des sources, en prenant librement ses traits dans les sources. Et ce
pas assez d'en faire deux parts, l'une gaie pour les débuts du
n'était
« charmeur », l'autre plus grave pour la révolution du géant <<

sombre ». Il se permettait encore de généraliser des épisodes pour


donner plus de couleur à sa pastorale! Jésus n'était qu'un homme,
et à certains moments il était vraiment Fils de Dieu. Il avait toujours

eu conscience d'être le Messie du royaume, et ce fut une erreur pas-


sagère de sa pensée. Toutes les contradictions se heurtent, et l'on
hésite à s'en prévaloir, tant il est clair que l'auteur les a voulues et
qu'il s'amuse à ces jeux de style.
Il s'amuse! et cependant il ne sourit même pas, ou il sourit les
lèvres pincées. Car il sent bien que la question est grave, que son
tribunal de lecteurs n'a pas envie de rire, et il a conscience de l'ame-
ner à un verdict de condamnation. Qu'il ait été de bonne foi dans sa
négation de la divinité du Christ, il se peut. Dieu seul est juge. Mais

il est responsable comme écrivain. Il est impossible de le lire atten-

tivement sans se dire qu'il n'est pas sincère dans son admiration
pour le Christ dont il a étudié si minutieusement le caractère. Il l'a
admiré, il l'a aimé au séminaire; il croyait encore l'aimer quand il
a quitté l'Église. Quand il a écrit sa vie, s'il a éprouvé par moments
quelques impressions de l'ancien attachement, il était résolu à sacri-

fier mêmeson honneur d'homme. Il l'excuse, et ses excuses ne sont


pas franches, elles ne portent pas sur les accusations, ou elles les
laissent subsister. Il trahit son client. C'est, dira t-on, tout ce que
peut faire le défenseur d'une cause perdue. Mais qui a pris plus de
soin de la perdre? En desservant Jésus, il gagnait devant l'opinion
la cause de son infidélité.

Et que signifie cet adieu ému sur la tombe de Jésus qu'il croit avoir

scellée à jamais? « Repose maintenant dans ta gloire, noble initia-

teur. Ton œuvre est achevée; ta divinité est fondée (1). »


Le bon billet! —
Mais si c'est une plaisanterie, ce n'est donc point
un mensonge l'ironie ne dissimule la pensée qu'à ceux qui ne savent
;

pas lire. —
Soit! mais le peuple ne comprend pas l'ironie. Pourquoi
la Vie populaire, en faveur des unies pieuses?
Étrange livre, d'un charme subtil et pervers, qui froisse les cœurs
droits.

(1) P. 440.
MELANGES. oOS

Comment la France, à l'esprit net, au cœur droit, a-t-elle été si

sensible au charme? un symptôme fAcheux (1).


Il faut le dire, c'est
Et le plus triste, c'est que la grande popularité de Renan lui est venue
lorsque, après s'être moqué de tout le monde, il s'est moqué de lui-
même. On a oublié qu'il était un curé raté, lorsqu'il l'a crié sur les
toits, ou Ton a trouvé amusant qu'il le dise. Toutes les réticences

calculées passaient, grâce à cette bonhomie. Le dilettantisme était à


la mode, et le dilettantisme, si ce n'était l'œuvre de Renan, il en était
du moins le parfait modèle.
Donc une société superficielle et légère, trop légère pour nier avec
fermeté, a goûté avec la passion qu'elle pouvait y mettre, avec l'en-
train d'un caprice, une négation qui plaisamment doutait d'elle-même.
Elle n'a connu qu'un Renan dilettante, l'invitant au plaisir, et elle
s'est beaucoup amusée en le lisant, sans se demander s'il ne s'amusait

pas d'elle. Elle n'a pas compris la passion véritable, dominante et


constante qui l'animait dans sa négation du christianisme, passion
qui ne se concilie pas seulement avec ce scepticisme, qui en est
plutôt le secret. Car un historien, d'ordinaire, tient aux solutions qui
lui ont coûté des veilles laborieuses. Renan a beaucoup travaillé, et
il a de ne tenir à rien. Et il ne tient à rien en effet, s'il s'agit
l'air

des événements et de leur ordre, des caractères et de leur vraisem-


blance, de ce qui est l'histoire, en un mot. Toutes les solutions lui
sont bonnes, et il n'y en aura jamais assez, pourvu qu'elles induisent

(1) C'est le jugement de M. Séailles : « L'ironie qui le porte à se moquer de lui-


même et des autres, l'indécision qui ne lui permet aucune affirmation qu'il ne soit
tenté de contredire, l'espèce de fantaisie abstraite vers laquelle tend sa philosophie
sans logique, tout ce qui le condamne à l'impuissance
vaut les applau- est ce qui lui
dissements de cette pour laquelle il professait jadis un si pro-
société superficielle
fond dédain » [Ernest Renan, p. 297). Et, pour le dire en passant, je voudrais bien
que M. Séailles me permît d'éditer son livre, ad usum Delphini! J'en conseillerais la
lecture à tout le monde. Il suffirait d'en retrancher quelques phrases qui ne me paraissent
guère d'accord avec les vues principales. Car je ne vois pas bien comment ce distingué
philosophe a pu louer Renan de son œuvre destructrice « Il sait comment naissent et se
:

forment les mythes et les légendes « (p. 336), après avoir dit si nettement « l'œuvre me :

paraît manquée » (p. 136). D'après M. Séailles « On ne lui (à Renan) épargna ni la ca-
:

lomnie, ni l'outrage; c'est un genre où excellent les hommes d'Église » (p. 136). Qu'il lise
l'Avertissement de Ms' Dupanloup L'évêque d'Orléans ne s'est attaqué qu'aux doctrines
!

de ses adversaires « Leur caractère personnel n'est pas en cause » (p. 81). M. Séailles
:

n'a assurément ni outragé, ni calomnié, mais c'est bien lui qui a écrit « De ses blas- :

phèmes pleins d'onction et de son sensualisme mystique,. Renan compose un mélange de


haut goût » (p. 312) « N'y a-t-il pas quelque chose d'odieux dans l'attitude
de ce
vieillard qui s'amuse des problèmes douloureux quand, de son aveu, il n'a à
les plus
apporter à l'humanité que des raisons d'être plus méchante et plus basse qu'il ne l'a
prise » (p. 306). J'entends bien qu'il a distingué dans Renan les deux attitudes de la jeu-
nesse austère et de la vieillesse grivoise, mais la Vie de Jésus laissait entrevoir cette
ilifformité du sens moral que Renan a depuis étalée sans vergogne.
REVUE BIBLIQUE 1918. N. S., T. XV. — 33
1506 KEVUE BIBLIQUE.

le lecteur à conclure qu'il n'y a pas de surnaturel, et que lui Renan


ne donc pas trompé.
s'est

La France verra sans doute longtemps encore des efforts aussi dé-

cidés à arracher Jésus-Christ de nos autels. Rendue à son libre génie,


elle ne se plaira plus, nous l'espérons, à la négation ironique et

déloyale sous les apparences du respect.

Fr. M.-J. Lagrange.

II

RECHERCHES SUR LA CHRONOLOGIE DE LA VIE


DE NOTRE-SEIGNEUR {Suite) (1)

LES INDICATIONS DES ÉVANGILES SUFFISENT-ELLES A DETERMINER


l'année DE LA PASSION?

Ce problème a été examiné à bien des reprises, et les solutions


diverses qu'il a reçues ont plutôt servi à embrouiller les termes dans
lesquels on le posait, si bien qu'aujourd'hui on s'accorde d'ordinaire
à le déclarer insoluble. Chaque auteur, à son tour, a fait valoir telle
ou telle considération qui lui paraissait péremptoire; mais le plus
souvent ses raisons n'ont convaincu que lui seul, et, tùt ou tard, une
impitoyable critique a affaibli, sinon ruiné, par ses objections pré-
cises, la valeur de l'un ou l'autre des arguments qu'il proposait.
Nous reconnaissons donc que la matière est délicate, difficile. Il
nous a semblé pourtant que l'examen de certains faits, insuffisam-
ment remarqués ou interprétés suivant des opinions préconçues, pou-
vait éclairer ce problème complexe et peut-être fournir de nouveaux
éléments de solution Nous voudrions,
(2).

après avoir fixé approximativement le calendrier des mois et des


saisons au temps de Notre-Seigneur,
établir autant que faire se peut la succession et la date relative des
voyages et des séjours qui constituent la trame de la vie publique
du Sauveur,
(1) Voy. suprà, p. 215 ss.
(2) Nous n'avons en aucune manière la prétention de vouloir donner ici de l'inédit.
Car qui pourrait se piquer de connaître à loud une littérature aussi vaste que celle de la
question qui nous occupe?
MÉLANGES. . S07

et au cours de cette vie pul)lique, certains événe-


rechercher si,

ments n'invitent pas à choisir, pour les situer chronologiquement,


telles années à l'exclusion de telles autres ;

la comhinaison des résultats obtenus suffira peut-être à déterminer


Tannée de la Passion.

1'

Calendrier des années W> à 36.

La vie publique du Sauveur se place sous le g-ouvernement de


Ponce Pilate on sait, en effet, que ce procurateur, devant qui Notre-
:

Seig-neur comparut le jour de sa Passion, était déjà en fonctions au


moment oii saint Jean-Baptiste inaugura sa prédication.
Pilate fut renvoyé à Rome dans les commencements de la légation
d'A. Vitellius, propréteur de Syrie (1). Vitellius se trouvait à Jérusa-
lem pour la Pâque de l'an 36 il était arrivé à Antioche, d'aj)rès
;

Tacite (2), vers l'automne de l'an 35 la destitution du procurateur se :

place dans les premiers mois de l'an 36, sinon à la fin de Fan 35.
Pilate gouvernait la Judée depuis dix ans (3). Il avait succédé à
Valérius Gratus, dont les fonctions, inaugurées peu après l'avènement
de Tibère, avaient duré onze ans (4). Les débuts du gouvernement
de Pilate tombent donc vers la fin de l'an 25 ou dans les premiers
mois de l'an 26.

Pour fixer approximativement le calendrier des mois et des saisons


au temps de Pilate, nous devons nous inspirer des coutumes men-
tionnées dans les écrits rabbiniques coutumes qui furent précisées—
plus tard, lors de l'établissement définitif des règles du calendrier juif.
Voici un certain nombre de textes qui mentionnent ces coutumes :

l^j. Sanhédrin i, 2 (cf. j. Maaser scheni v, 6). Lettre dictée par


« Rabban Gamaliel et les Anciens, [lorsqu'ils étaient] assis sur une

marche de la montag-ne du temple », donc vers 35-55.


« A nos frères les exilés de Babylone, les exilés de la Médie. les exilés de la

Grèce et les exilés d'Israël dans les autres pays, puisse votre salut augmenter!
Je vous fais savoir que les brebis sont encore faibles, que les poussins sont jeunes,
que l'époque de la maturité n'est pas arrivée; il m'a d^onc plu, ainsi qu'à mes
collègues, d'ajouter à cette année trente jours » (.5).

(1) JOSÈPHE, A. J. XVIU, 4, 2.

(2) Annales \i, 32.

(3) A. J. xvm, 4, 2.

(4) A. J. xvm, 2, 2.

(5) Traduit par J. Derenbourg, Essai sur l'histoire de la Palestine, 1867, p. 242 n.
508 REVUE BIBLIQUE.

2° j. Rosch haschana ii, 5 (7).

R, Qrispa, au nom de R. Yohanan, dit qu'un jour l'année fut déclarée embolis-
mique par trois pâtres de bœufs. Le premier dit Au mois d'Adar, la température :

doit être assez avancée pour que les céréales mûrissent et que la floraison des arbres
commence. Le deuxième dit En ce mois, le froid diminue tant qu'en présence
:

même du fort dit. A cette époque, le


vent d'est, ton haleine l'échautfe. Le troisième
bœuf est transi de froid au matin, tandis qu'à midi, il va à l'ombre du figuier se
détendre la peau par suite de la chaleur. Or, cette année, nous ne voyons aucun de
ces signes-là. — Et les sages, à cet avis, déclarèrent l'année embolismique (1).

3° j. 5anAeWrm 1, 2, guemara.
On rend l'année embolismique en raison de trois signes distinctifs : pour la

maturité attardée du blé, pour défaut d'équinoxe et pour les fruits des arbres non
mûrs. Pour deux de ces indices en retard, on adopte l'intercalation d'un mois,
mais non pour un seul Si l'un des indices était le défaut de maturité du blé,
on s'en réjouissait. Selon R. Siméon b. Gamaliel, on était aussi content d'ajourner
le mois de nisan pour coïncider avec l'équinoxe.
Dans trois provinces où ces indices seraient survenus, on intercale le mois embo-
lismique en Judée, en Pérée et en Galilée; pour deux de ces provinces qui se
:

trouvent en retard, on adopte l'intercalation, non pour une seule...


On ne déclare l'année embolismique que si la plus grande partie du mois se
trouve défectueuse (16 jours); selon R. Juda, il faudrait qu'il manque plus que
2/3 du mois, soit 21 jours... R. Samuel b. Wehman dit Au cas où l'équinoxe :

surviendrait le 16 nisan, on rendra l'année embolismique de façon à pouvoir offrir


Vomer dans la partie du mois qui se réfère à la nouvelle période équinoxiale. —
R. Yossé dit au contraire L'embolisme a
: lieu lorsque la période de l'équinoxe
d'hiver s'achèverait au jour même de Pâques. — R. Mathnia explique l'autre avis
(de R. Juda) : selon lui l'embolisme a lieu si au solstice d'été il manquait 21 jour^,
de façon à ce que la prise du loulab (cérémonie qui devra être accomplie le 15 tisri)

soit célébrée lorsque l'équinoxe de tisri a déjà commencé (2).

h" ]. Rosch haschana i, 2, guemara.

... le mois de tisri est celui où coïncident à la fois la fête, la révolution d'an
(équinoxe), la récolte et la fln d'année; au mois de tebet, il y a bien un solstice,
mai^ pas de fête, ni de récolte, au mois de nisan, il y a aussi un équinoxe et une
fête, mais pas de récolte; enfin en tammouz, il y a un solstice et la récolte, mais

pas de fête tandis qu'en tisri seulement toutes ces circonstances sont réunies (3).
;

5" j. Pea V, 1, guemara.

On a enseigné : On ne rend pas l'année embolismique, ni si elle est une septième


année agraire, ni si elle est la suivante ou huitième, mais on choisit pour cela une

des autres années de la période cependant si le tribunal l'a déclaré ainsi, ce sera
:

admis pour tous. Toutefois, dit R. Mena, cela n'avait été dit qu'en principe, lorsque

(1) Trad. Schwalj, VI, p. 80.


(2) Trad. Schwab, X, p. 235.

3) D'après Scbwab, VI, p. 61.


ME[ANGES. o09

les aimées de la vie étaient uniformes (que chacun cultivait la terre en paix) ;

mais depuis qu'elles ne le sont pas (qu'Israël est dépossédé), il est indifférent que
ce soit en la septième année ou une des autres.
On a aussi enseigné, chez R. Gamaliel, que l'addition d'un mois erabolismique
avait lieu dans l'année qui suit la septième ou repos agraire (1).

A ces divers textes il convient de joindre deux documents fort


importants sur la succession des travaux agricoles en Palestine, et
sur la correspondance de ces travaux et des saisons avec le calendrier
juif. Le plus ancien de ces documents est le calendrier agricole de
Gézer qui remonte au vi" siècle avant notre ère et qui a été longue-
ment étudié parle P. Vincent dans la Revue biblique (2). — L'autre,
le plus récent, est le calendrier rabbinique de la Tosephta.

Points de dki'aut Calendrier


Calenduieh agricole
Dates correspondantes DE LA
DE Ge/.er Tosephta
dk.s mois kt des saisi ins

l'iaine et littoral Haut pays

l"^^"' au 13 septembre 1" au 15 seplembr»


1*^' au 15 octobre 1-' au 15 octobre deux mois :
tisn
récoltes tardives
l"'' au 1"> novembre
Semailles marcliesvan
deux mois :

i<="" au 15 décembre f
au 15 décembre semailles kislev

l""' au 15 janvier 15 au 31 janvier Hiver tebeth


deux mois :
1'='^
au 15 lévrier végétation printanière sebat
l-^'' au 13 mars Froid adar
un mois :

coupe (lu lin


nisan
1^' au 15 avril 15 au 30 avril
un mois :

moisson de l'orge Moisson


l"'' au 15 mai
un mois : iwar
moissons dans leur tota-
lité
!«' au 15 juin 15 au 30 juin si van
deux mois :

1" au 15 juillet fruits spéciaux, vendange Fruits d'été tammouz

un mois :
ab
!«'• au 13 août vers le 15 août fruits d'été (figues)
Chaleur loul
i" au 15 septembre l"'- au 15 septembre

Consultons maintenant la table des nouvelles lunes astronomiques


pour les années 26 à 36.
Pour identifier avec quelque vraisemblance les mois du calendrier juif
— essentiellement agricole —
aux lunaisons astronomiques corres-
pondantes, qui, chaque année, on le sait, présentent une différence de

(1) Trad. Schwab, II, p. 60.

(2) Revue biblique, 1909, pp. 243-269.


510 REVUE BIBLIQUE.

11 jours avec les lunaisons de l'année précédente, il faut avant tout


déterminer vers quelle date pouvait tomber approximativement le
15 nisan.
Le balancement de la gerbe sainte, de l'orner, se faisait le 16 nisan :

ce jour-là devait tomber après l'équinoxe de printemps qui, au temps


de Notre-Seigneur, correspondait au 23 mars (au 22 dans les années
bissextiles).
Dans ces conditions 1" nisan ne pouvait guère coïncider qu'avec
le

l'un des vingt-neuf jours compris entre le 8 mars et le 6 avril.


Les tableaux ci-dessous ont été dressés en vertu de ce principe :

le premier est établi (1) d'après le système indiqué à la fin de notre


première partie; le second donne les néoménies astronomiques.

NÉOMENIES DU CALENDRIER JUIF.

Jlois 20-27

1" nisan
\er ijyar
!«' si van

l" tammouz
le' ab

l'"- eloul
l'"' tisri
marcliesvan
I" kislev
i" tebeth
l" sebat
\" adar
I"' veadar

1"^ nisan
1"' iyyar
1=' si van

1" tammouz
1" ab
I" eloul
1" tisri
l"marchesvan
1" kislev
1" lebeth
1" sebat
l*"^ adar

1" veadar
MELANGES. 511

20

Chronologie relative de la Vie jmblique.

Le cadre chronologique du quatrième évangile. Ce cadre com-


I.

prend six fêtes juives, dont cinq sont bien déterminées :

1" Jésus quitte la Galilée pour monter à lérusalem, « à l'approche

de la Ppique », Jo. ii, 12.


2° Autre voyage àJérusalem, au tempsde « lafcte des Juifs », Jo. v, 1.
3° Multiplication des painsen Galilée, peu avant la Pàque, Jo. vi, 4.
i" Jésus monte à Jérusalem pour la fête des Tabernacles, Jo. vu, 2.
5° Autre séjour à Jérusalem au temps de la fête de la Dédicace,
Jo. X, 22.
G" Passion, la veille de la Pâque juive.
Nous verrons plus loin, p. 520, quelle hypothèse on peut faire au
sujet de l'identification de « la fête des Juifs » de Jo. v, 1.

II.Les notes chronologiques des synoptiques. Ainsi qu'on l'a sou-


vent observé, par les termes qu'ils emploient et par les faits qu'ils
rapportent, les trois synoptiques laissent entendre que la Vie
publique a compris plusieurs Pâques tel le récit des épis froissés,
:

épis mûrs d'après saint Marc (ii, 23), —


tel aussi le texte du second

évangile confirmant l'indication de saint Jean sur le temps de la mul-


tiplication des pains : « Ils les firent asseoir sur l'herbe verte » (Me.
VI, 40).

On pourrait aussi, avec certains commentateurs, voir dans la para-


bole du figuier stérile depuis trois ans (Luc une allusion au
xiii, 6)

temps écoulé de la Vie publique du Sauveur à ce moment, Jésus :

aurait déjà prêché trois ans, ou plutôt aurait été dans la troisième
année de son ministère, il allait encore attendre un an et le figuier
serait arraché (xiii, 9).
Dans le même chapitre de son évangile, saint Luc parle des Gali-
léens dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices
(xiii, 1). Or le procurateur ne venait à Jérusalem qu'au temps des

fêtes, et c'était également au temps des fêtes que l'on montait sacri-
fier au Temple. On serait amené de la sorte à voir dans Luc xiii, 1

une allusion à une fête juive.

III. Le cadre agricole de saint Luc, Il est fort remarquable que,


parmi les nombreuses paroles du Sauveur que cite saint Luc, toutes
celles qui ont quelque rapport avec les choses de la nature soient
512 REVUE BIBLIQUE.

disposées suivant l'ordre des saisons. Un tel arrangement peut diffi-

cilement être l'elFet du hasard, surtout chez un auteur « qui s'est


appliqué, comme il le dit lui-même, à connaître exactement toutes
choses depuis l'origine et à en écrire le récit bien ordonné ».
Entrons dans quelques précisions :

à) La section 56 se place chronologiquement à la suite


iv, 14-viii,

des chapitres m
et iv de saint Jean dès lors, si l'on tient compte de ;

Jo. IV, 35 (1), on est amené à situer au début du printemps les pre-
miers événements qu'elle rapporte or cette date se trouve confirmée :

par l'épisode des épis froissés (vi, 1-G) qui eut lieu aux approches
de la moisson. —
Le sermon sur la montagne (vi, 20-4-9), au moment
duquel nous voyons une grande multitude se presser autour de Jésus
(vi, 17), suppose terminés les travaux de la moisson et de la vendange ;

après la rentrée des orges et des blés, après la récolte des figues et
des raisins, les paysans galiléens disposent de quelques loisirs, dont
ils peuvent profiter pour venir entendre « celui dont la renommée
se répandait de plus en plus » c'est justement le temps de l'année
:

où la comparaison de l'arbre et de ses fruits (vi, 43-44) est le plus de


saison. —
Le chapitre viii, 5 et suiv., où se trouve rapportée la para-
bole du semeur, nous conduit jusqu'en automne.
b) Les chapitres ix, 57 à xiii, 21 racontent un voyage vers Jéru-

salem, dont il semble assez difficile au premier abord de déterminer


la durée : ici encore, nous recueillerons des indications précieuses,
sinous cherchons à interpréter et à situer chacun des faits agricoles
que le texte évangélique mentionne à intervalles plus ou moins
rapprochés.
L'allusion aux travaux du labourage (ix, 62) fixe le point de départ
de cette section vers la saison des semailles (de novembre à janvier),
mais sans nous dire s'il s'agit du début ou de la fin de cette période.
— Un peu plus loin, le verset sur la moisson (x, 2) rappelle le con-
texte du discours prononcé à la suite de l'entretien avec la Samari-
taine (Jo. IV, 35-38) et nous invite à le situer dans un cadre analogue,
c'est-à-dire en janvier. — Les réflexions que le divin Maître met dans
la bouche de l'homme riche (xii, 16-21) nous transportent en pleine
récolte, vers avril, —
au temps où les lis des champs (xii, 27) sont
les plus beaux, —
et cette date est encore confirmée par les paroles
sur les signes du temps (xii, 54-56), qui ont dû être prononcées vers
les derniers jours de la seconde pluie. — Le chapitre suivant, dont

(1) « Encore quatre mois avant la moisson.


MELANGES. :jl3

les premiers versets (xiii, 1-5) mentionnent une fête juive (1), se
continue par la parabole du figuier stérile (0-9), qui se place natu-
rellement au moment de l'année « où l'on vient chercher du fruit »,
soit en juin-juillet; — enfin la comparaison du grain de sénevé
devenu grand (xiii, 18-19) suppose l'arrière-saison,

IV, L'ordre logique et tordre chronolor/ique dans les sijnoptiques.


M. Lévesque a montré, dans un travail récent dont nous avons déjà
parlé (2), que la catéchèse orale primitive avait schématisé en quelque
sorte lesévénements de la vie publique du Sauveur suivant un plan
quadripartite le baptême, la Galilée, le voyage à Jérusalem, la
:

dernière semaine.
De ces quatre parties la première et la dernière, Tune très brève,
l'autre fort longue, sont les seules qui présentent chez les trois synop-
tiques un vrai parallélisme
La troisième, relativement courte chez saint Matthieu et saint Marc,
comporte des développements originaux chez saint Luc, qui n'a rien
voulu négliger des matériaux rassemblés par lui sur les divers
voyages du Sauveur vers Jérusalem cependant cet évangéliste, pour
:

ne pas briser le cadre de renseignement traditionnel, juxtapose ces


voyages (ix, 51~xiii, 21; xni, 22-xvii, 10; xvii, 11-xix, 27) et se
contente de séparer le récit qu'il fait de chacun d'eux par un verset
caractéristique (ix, 61; xiii, 22; xix, 28).

Quant à la seconde partie, celle qui parait constituer le centre de


la Vie publique, elle est conçue par chacun des trois auteurs sacrés
d'après un point de vue différent et racontée suivant une méthode
spéciale. — Néanmoins, malgré de sensibles divergences et d'impor-
tantes omissions, qui s'expliquent toutes par le but particulier de
chaque évangéliste, les trois récits aboutissent indépendamment les
uns des autres à nous donner une image identique de l'ensemble.
Dans les trpis synoptiques, en effet, le ministère galiléen comporte
trois phases diÛ'crentes, trois aspects successifs, trois moments,
pourrait-on dire, dont chacun découle logiquement des circonstances
du précédent :

a) phase vraiment publique, des grands miracles et des grands


discours, comprenant une période d'admiration bienveillante, voire
intéressée, et une période d'hostilité de plus en plus manifeste;
b) phase des avertissements et des leçons, pendant laquelle Jésus

(1) Donc la Pentecôte, si l'on tient compte des faits agricoles qui encadrent cette mention.
(2) Revue pratique d'Apologétique, V août 1916, pp. 513 et suiv.
514 REVUE BIBLIQUE.

semble se retirer progressivement, non sans toutefois essayer, quand


il en a l'occasion, de ramener vers lui par ses paroles ou ses actes les

esprits hésitants ou mal informés;


c) phase des entretiens intimes avec les apôtres.

Chose curieuse, dans les trois évangiles, les trois phases que nous
venons d'énumérer sont distinguées l'une de l'autre au moyen des
mêmes faits; ces faits ont une signification profonde, une valeur
symbolique et réelle tout à la fois, qui déterminent le sens et la
portée de la section qu'ils inaugurent. Ainsi entre la première et
la seconde se place la mission des disciples, prélude des dernières
tentatives du Sauveur pour ramener à lui « les brebis perdues de
la maison d'Israël »; de même, entre la seconde et la troisième, la
confession de saint Pierre, qui prépare les apôtres à la Passion et
les affermit dans leur disposition de suivre le maître jusqu'au bout.
En tout ceci, la logique paraît suivre de bien près la chronologie,
si même elle ne se confond pas avec elle car le récit bien ordonné :

de saint Luc avec ses allures historiques (1) montre clairement que
l'évangéliste, tout en adoptant un cadre tout fait, ne le considérait
nullement comme artificiel.

Un problème plus complexe de la chronologie du pre-


est celui
mier évangile. Saint Matthieu, on l'a noté depuis longtemps, s'efforce
avant tout de faire œuvre logique il veut prouver sa thèse mes-
:

sianique, et il s'attache en conséquence à grouper convenablement


tous les éléments dispersés dans la catéchèse primitive, si bien qu'il
lui arrive plus de détacher de leur contexte véritable pour
d'une fois

les transporter au milieu d'un autre discours ou d'un autre récit,


telles paroles ou tels faits qu'il juge utiles à sa démonstration.
Est-ce à dire qu'il se soit complètement affranchi de la chrono-
logie? Certainement non : les nombreux passages
où ses récits (2)
se succèdent dans le môme ordre que ceux de saint Marc et de saint
Luc, en sont une preuve. Mais il y a plus. Dans la première partie du
ministère galiléen, il semble que, dans bien des cas, les faits et les
discours rapportés dans les différentes subdivisions soient respecti-
vement rangés dans un ordre assez rapproché de celui qu'a adopte
le troisième évangéliste, donc dans un ordre chronologique (3).

(1) Deux récits toutefois paraissent faire exception : la visite à Nazareth (iv, 14-.'J0) et la

mission des apôlres et des disciples (ix, 1-11 et x, 1-24). Nous en reparlerons plus loin.
(2) Voir en particulier les seconde et troisième partie du ministère galiléen Matt. ix, 35- :

XI, 30; Aiv, 13-x\i, 12 rapproché de Me. \i, G-viii, 26 et de Luc ix, 1-17; Malt, xm, 13-xmii,

35 rapproché de Me. sui, 27-i\, 49 et de Luc i\, 18-51.


(3) Ainsi, pour le premier séjour à Capharnaiim, Matt. viii, 14-17 rapproché de Me. i, 29-
MÉLANGES. 51o

Combinaison des données synoptiques avec les données joJian-


V.
niques (1). —
1° Débuts de la Vie publique. Ue cette période, les synop-

tiques ne rapportent que deux faits le Baptême et la retraite de


:

Notre-Seigneur au désert.
Le quatrième .évangile nous fournit de précieux compléments :

sans s'astreindre à reprendre par le menu les événements rapportés


par ses devanciers, le disciple ])ien-aimé se contente d'une brève
allusion au baptême (i, 32) et s'étend avec complaisance sur divers
détails, dont il a gardé le souvenir précis, et qui devaient lui être
chers, puisqu'il en avait été l'heureux témoin.
Après avoir rapporté le premier témoignage de Jean « Voici :

l'Agneau de Dieu... » —
mention précieuse au point de vue chronolo-
g-ique à cause de l'allusion visible qu'elle fait aux cérémonies de l'Ex-
piation (10 tisri =
fin septembre ou début d'octobre) il nous — •

raconte sa propre vocation, celle d'André, celle des premiers dis-


ciples, et nous conduit directement à Cana en Galilée où eut lieu le '<

premier des miracles » que fit le Sauveur (ii, 11); puis il conclut :

(' Jésus descendit ensuite à Capharnaûm, avec sa mère, ses frères et


ses disciples; mais ils n'y demeurèrent que peu de jours » (ii, 12).

2° Séjour en Judée. A l'approche de la Pàque, Jésus monta à Jéru-


salem (Jo. II, 13).
L'expulsion des vendeurs du Temple et l'entretien avec Nicodème
sont les deux seuls faits sur lesquels l'évangéliste insiste ; tout le
reste, miracles et enseignements, n'est indiqué qu'en jDassant (m, 2 et
II, 23). On ignore pendant combien de tempsSauveur séjourna à le
Jérusalem mais on sait qu'après avoir quitté cette ville, il parcourut
;

u la terre de Judée » (Jo. m, 22) (2). —


Au temps des chaleurs (août-
septembre), alors que Jean est remonté à Aenon, près de Salim,

34 et de Luc iv, 38-41; pour le second séjour, Malt. \, 1-17 rapproché de Me. n, 1-22 et

de Luc V, 17-36. De même, les parties primitives du sermon sur la montagne dans saint
Matthieu (v, 3-12, 38-48; vu, 1-5, 15-27] se succèdent conformément au schéma de Luc
(VI, 20-49}.

(1) Les recherches dont nous résumons ici les résultats ont été entreprises
y a bien il

des années déjà. Nous avons été heureux, en lisant le tjravail si précis de M. Lévesque. de
constater que. dans bien des cas, nos conclusions se rapprochaient de celles auxquelles il
était parvenu (par exemple sur les voyages de Luc ix, 51-xix, 27); nous avons cru pou-
voir utiliser pour le plus grand profil de ce travail telles considérations particulièrement
intéressantes (date de la Pàque, discours cités par Luc). Nous n'insisterons que sur les
points où il manière de voir du savant professeur et la nôtre.
y a divergence entre la
(2) 11 n'est pas impossible qu'à cette occasion il ait poussé jusqu'aux confins de l'Idu-
mée (cf. Me. m, 8). Voir en ce sens Folard, Vie de N.-S., I, p. 204.
516 REVUE BIBLIQUE.

« parce qu'il y avait là des eaux abondantes « (Jo. m, 23) (1), Jésus est
toujours en Judée, il y g-agne même un grand nombre d'adhérents,
que ses disciples baptisent en son nom.
Le différend sur la purification, que le quatrième évangile men-
tionne ensuite, est l'occasion d'un nouveau témoignage en faveur du
Christ; mais les termes qu'emploie l'auteur sacré (m, 23", et surtout
III, 30) laissent supposer que l'arrestation du Précurseur suivit de près

cet incident.
A cette nouvelle, dit S. Matthieu, « Jésus se retira en Galilée » (iv, 12 ;

cf. Me. 1, nous apprend que pour s'y


14) et S. Jean rendre il traversa
la Samarie (Jo. iv). On était au temps où la campagne blanchissait
déjà pour la moisson, quatre mois avant la récolte (iv, 35), en décem-
bre-janvier le séjour de Notre-Seigneur en Judée avait duré environ
:

huit mois.

Première mission en Galilée. Un assez grand nombre de Gali-


30

léens avaient été à Jérusalem les témoins étonnés des grandes choses
que Jésus avaient accomplies pendant la Fête (Jo. iv, i5). En revenant
dans leur pays en avaient parlé et, comme bien l'on pense, leurs
ils

récits avaient suscité une certaine émotion... Les uns pleins de con-
fiance se sentaient tout prêts à accueillir et à honorer le nouveau pro-
phète; les autres préféraient se tenir dans une prudente réserve et
laisser venir les événements après tout, ce Jésus dont on fait tant de
:

discours était-il bien celui qu'ils connaissaient, le fils de Joseph? —


Nous trouvons le reflet exact de ces dispositions contradictoires dans
les premiers qui nous sont rapportés de cette importante période
faits

de la Vie publique la guérison du fils de l'officier royal (Jo. iv, 40-


:

54), d'une part; et d'autre part, la visite de Jésus à Nazareth (Mtt. iv,

13; Luc IV, 16-22).


Laissant Nazareth, Notre-Seigneur vint demeurer à Gapharnaum
(Mtt. IV, 13 et suiv.; Luc iv, 31) et en fit le centre de ses missions à
travers la Galilée, pendant près d'une année, depuis janvier jusqu'au
temps des semailles (2).
Nous n'avons pas à entrer de ces missions; tout le
ici dans le détail

monde est d'accoid sur leur économie générale et ce que nous en


avons dit pp. 511 et 512 suffit au but que nous nous proposons ici.
Le seul fait sur lequel il nous paraisse opportun d'insister est la

(1) Jeaa s'était éloigné de Béthanie probablement parce que les cbaleurs de l'été avaient
abaissé les eaux du Jourdain et qu'ainsi l'ablution était devenue diflicilc sur les rives du

fleuve.
(2) Voir plus haut p. 512.
MELANGES. l'Ai

date de la vocation définitive de Pierre et d'André, de Jacques tt de


Jean.
Deux raisons semblent exiger que cet appel se soit produit avant
le voyage de Notre-Seigneur en Judée d'abord, S. Jean signale à :

plusieurs reprises, au cours de ce voyage, la présence des disciples


autour de leur Maître (ii, 22; m, 22; iv, 1-2, 8, 27); d'un autre côté,
les détails circonstanciés qu'il donne sur certains incidents (la parole
sur le Temple, ii, 18-21 ; le second témoignage du précurseur, m, 23-
36; l'entretien avec la Samaritaine, iv, 1, 42) font supposer qu'il était
lui-même présent et par suite déjà attaché à la personne du Sauveur.
rend à ces raisons, on constate tout aussitôt qu'il est fort
Si l'on se
malaisé de séparer le récit de la vocation des divers incidents qui
l'encadrent, et que par conséquent on se trouve entraîné bon gré,
mal gré, à situer tout ou partie des événements de Gapharnaûm au
temps du premier retour de Jésus en Galilée.
Cette première difficulté est fort grave, car comment échapper au
risque de faire des coupures arbitraires? — Puis, si l'on admet que le
ministère galiléen à peine inauguré fut brusquement interrompu par
une longue absence de Notre -Seigneur, comment donner de cette
interruption une explication plausible (1)? Enfin, si vraiment il y —
a eu une première manifestation à Gapharnaûm avant le voyage à
Jérusalem, comment rendre compte de l'état des esprits au moment
du retour 'de Jésus? Tous ces embarras cessent, au contraire, si le
premier séjour à Gana et à Gapharnaûm n'a correspondu à aucune
manifestation proprement dite (2), et l'on n'a pas besoin de créer de
coupure factice au milieu des récits si vivants et si bien enchaînés de
Me. I, 14-39 et de Le. iv, 31-v, 11; la vocation définitive des quatre
apôtres eut lieu au temps marqué par le second et le troisième évan-
gile (3).

4° Reti^aite de Jésus. Mission des ajiôtres et des disciples. C'est un

(1) L'attitude des gens de Nazareth (Luc i\ , 23-30) — combien invraisemblable pour une
première entrevue! — ne suffirait pas à expliquer le brusque départ de Jésus, si bien
accueilli à Gapharnaûm.
(2) Sauf, bien entendu, la manifestation toute privée des noces où « Jésus révéla sa
gloire ».

(3) Saint Marc et saint Luc ne prétendent nullement d'ailleurs que Jésus ait été jusqu'à

ce moment un inconnu pour Pierre, André, Jacques et Jean. Les récits de Me. i, 29-34 et
de Luc IV, 38-41 prouvent au contraire, conformément aux indications du quatrième évan-
gile,que Jésus était déjà en relations avec la famille de Simon-Pierre; et rien n empêche
que l'un ou l'autre des apôtres, ou même que plusieurs d'entre eux, se soient trouvés avec
Jésus en Judée l'année précédente, soit qu'ils l'aient accompagné depuis son départ de
Galilée, soit qu'ils l'aient rejoint en venant à Jérusalem à l'occasion d'une fête.
518 REVUE BIBLIQUE.

/aitdigne de remarque que la grande mission de Galilée se termine


chez saint Matthieu et saint Marc par une visite du Sauveur à Naza-
reth et dans les environs (Mtt. xiii, 53-58; Me. vi, 1, 6). Cette visite —
eut peu de succès; les deux évangélistes s'accordent pour nous dire
que Jésus trouva dans des dispositions plutôt hostiles
ses compatriotes

à son égard « Il était pour eux une pierre d'achoppement » (Mtt. viii,
:

57); « ils se scandalisaient de lui » (Me. vi, 3). De tels sentiments de-
vaient tôt ou tard aboutir à une malveillance complète et même, pour
peu que les esprits fussent échauffés, à de véritables violences le pas- :

sage de saint Luc iv, 23-30 (1) trouve donc ici sa place logique et
forme la conclusion naturelle du récit de saint Marc et de saint Mat-
thieu.
Immédiatement après cet événement pénible (2), le Sauveur semble
disparaître pour un temps l'évangile après avoir mentionné la mis-
:

sion des douze apôtres et celle de soixante-douze disciples (3) raconte

(1) Ainsi quemontré M. Lévesque {Remie pratique d'Apologétique, 1" août 1916,
l'a

p. 524-526), saint Luc a fondu ensemble les deux réceptions faites à Jésus dans sa ville
«

natale...; il a réuni dans un même discours les paroles prononcées par Jésus à son double
passage à Nazareth. La nécessité de ne signaler i|u'un seul retour, pour être fidèle à la
catéchèse primitive, lui a fait adopter* ce procédé. Il rapporte bien ce que Jésus a dit dans
la synagogue de cette ville, mais il ne distingue pas les situations difi'érentes des deux
parties du discours... ». La première visite à Nazareth suivrait de peu les noces de Cana
et la seconde aurait eu lieu après le voyage en Judée.
Toutefois, à notre sens, le savant professeur ne tient pas sullisamment compte, dans la
solution qu'il adopte, de l'indication fournie par le quatrième évangile sur l'état d'esprit des
Galiléens au moment du retour de Jésus dans leur pays : « ils l'accueillent parce qu'ils
ont vu tout ce qu'il avait Jérusalem pendant la Fête » (Jo. iv, 45), è5é?avTo a^TOv
fait à :

ceci est fort éloigné de Matt. xiii, 57, de Me. vi, 3 et surtout de Luc iv, 23-30 et ne peut
convenir à la situation que supposent ces passages.
Quant au verset précédent de saint Jean (iv, 44), « Jésus avait déclaré qu'un prophète
n'est pas honoré dans sa patrie », nous y voyons un jugeriient d'ensemble sur le ministère
galiléen et ses résultats. L'évangéliste ne voulait pas reprendre ce qu'avaient écrit ses
trois devanciers touchant cette période de l'activité du Sauveur comme il ne pouvait pas
:

non plus ne rien en dire, il a cru suffisant d'en exprimer brièvement la conclusion dou-
loureuse avant de raconter les deux ou trois faits qui rentraient dans le cadre de son livre.

Pour nous, deux visites à Nazareth appartiennent à la grande mission de Galilée; la


les
première se place au début de cette période,, et la seconde en marque la fin.
(2) Chez les trois synoptiques la résurrection de la fdle de Jaïre (Matt. ix, 18-26; Me. v,

21-43; Luc VIII, 40-56) précède de peu la mission des Douze (Matt. x, 1 et suiv. Me. vi, ;

6-13; Luc IX, 1-6) que nous trouvons lapprocliée chez saint Marc et saint Luc des souj)-
çons d'Hérode (Me. ,vi, 14-2'J; Luc ix, 7-9; cf. Matt. xiv, 1-12); cliez saint Luc ces faits se
suivent sans intervalle ; chez saint Marc, l'intervalle existe et il est occupé par le récit de
la visite à Nazareth
(vi, 14-20); chez suint Matthieu il n'y a pas d'intervalle entre la visite

a Nazareth soupçons d'Hérode (xiii, 54-58 et xiv, 1-12).


et les

(3) Si l'on rapproche les divers textes qui concernent ces deux missions, on constate
qu'elles ont eu lieu vers le même temps, dans des circonstances presciue identiques, et
(lue les intéressés ont reçu des avis analogues. Cf. en ce sens : LévesqijK, Revue pratique
d'Apologétique, 15 août 1916, p. 611.
MÉLANGES. 519

presque aussitôt leur retour, nous laisse ignorer à peu près tout de
et
l'activité de Jésus entre ces deux moments.

La comparaison des trois synoptiques nous fournit cependant


trois indications dont les deux dernières pourraient bien nous rendre
compte de la situation particulière dans laquelle se trouvait alors
Notre-Seigneur :

a) mention d'une mission de Jésus dans les villes dont les apôtres
étaient originaires (Matt. xi, 1).

6)' reproches aux villes (Matt. Xj^O-Si; Luc x, 13-15).


c) craintes d'Hérode au sujet de Jésus Matt. xiv, 1-12; Me. vi, li-
29; Luc IX, 7-9).

Tout d'abord — ce rapprochement s'impose — les reproches adres-


sés aux villes sont dans le prolongement exact des incidents de Naza-
reth en outre, les craintes d'Hérode supposent tout à la fois un
;

certain temps écoulé depuis la mort de Jean et un renouveau d'activité


de la part du divin Maître on peut donc admettre en toute vrai-
(1) :

semblance que l'exécution du Précurseur fut synchronique des


mépris et des violences qui ont marqué la fm de la grande mission
de Galilée; et Notre-Seigneur a dû prendre occasion de ces événe-
ments pour restreindre ses prédications, se recueillir, et faire agir à sa
place les auxiliaires qu'il avait rassemblés : de la sorte, il continuait
son œuvre, sans bruit, par l'intermédiaire de ces ouvriers obscurs et
zélés qui ne porteraient bmbrag-e à personne et il donnait en même
:

temps un grave avertissement aux aveugles volontaires qui fermaient


les yeux pour ne pas voir les grandes choses qui se passaient autour
d'eux. Cette période de recueillement n'aurait d'ailleurs duré qu'un
temps assez court, du mois de novembre au mois de janvier environ.

5° Voyage en Judée. Aussitôt après le retour des apôtres et des


disciples et peut-être pour se soustraire à la curiosité inquiète
d'Hérode, Jésus entreprend un long voyage dont les chapitres x, 25-
XIII, 21 (2) de saint Luc permettent de se faire une idée suffisante.

(1) Aux yeux du tétrarque, Jésus semble être un personnaf^e inconnu, qui reprend à son
profit l'œuvre du Précurseur; sans doute, jusqu'à ce moment les esprits dédaigneux ou
superficiels n'avaient prêté aucune attention aux missions du Sauveur en Galilée; ou s'ils
en avaient connaissance, ils n'avaient vu dans tout ce qu'on leur rapportait qu'une réper-
cussion lointaine des scènes qui s'étaient déroulées sur les bords du Jourdain.
(2) La section ix, 52-x, 24, qui sert d'introduction à ce voyage et où se trouve rapportée
la mission des 72 disciples, est un curieux témoignage de la manière dont saint Luc conce-

vait la mise en ordre de seS||natériaux : il savait que cette mission avait eu lieu dans des

conditions à peu près identiques à celles qui avaient entouré la mission des Apôtres
(cf. l'instruction aux disciples, Luc x, 2 et suiv. et l'instruction aux apôtres, Matt. x, 7
^^20 REVUE BIBLIQUE.

Il
aux premiers beaux jours, vers février,
part, à ce qu'il semble,
et par Béthanie (x, 25-42).
et ea°-ne la Judée en passant par Jéricho
Aux environs de Pâques, il séjourne... il séjourne sinon à Jérusalem
même, moins dans les environs immédiats
rlu tout dans le cha- :

pitre XI suppose la grande \dlle et ne se comprend que dans ses rues,


sur ses places ou près du Temple.
Un peu plus tard, Jésus paraît circuler hors de Jérusalem et même
à une certaine distance de la ville c'est alors qu'on vient lui annoncer
;

que Pilate a mêlé le sang des Galiléens à celui de leurs sacrifices (xiii,
1-5, fête de la Pentecôte?). —
Les paraboles suivantes, comme nous
l'avons dit, nous conduisent jusqu'après la récolte des fruits, tout à la
fin de l'été (Paraboles du figuier stérile, xiii, 6-9, du sénevé devenu
grand, xiii, 18-19).
Le chapitre v de saint Jean raconte certainement des faits qui se
sont passés à Jérusalem pendant ce voyage mais « la fête des Juifs » ;

à laquelle il fait allusion restant indéterminée, il est difficile de se


"prononcer pour Pâques plutôt que pour une autre fête. Toutefois —
l'allusion à « la lampe qui brûle et luit » (v, 35) fait penser à la fête
des Tabernacles ou même à celle de la Dédicace {tol ow-a) à un ;

autre point de vue, les desseins homicides des Juifs (v, 18) supposent
la fin plutôt que le début d'un séjour en Judée.

Seconde 7nission en Galilée. En rentrant en Galilée (Jo. vi, 1) le


6"

Sauveur ne parait pas avoir repris immédiatement ses courses aposto-


liques sans doute il continuait, comme par le passé, à soulager les
:

misères et les infortunes qu'il rencontrait sur sa route, saint Jean


nous l'atteste formellement (vi, 2), mais il se préoccupait en même
temps de trouver un lieu tranquille où il pourrait consacrer quelques
jours « à l'instruction et à la formation de ses apôtres » (1). « Jésus —
monta sur la montagne et s'y assit avec les disciples », écrit saint Jean
VI, 3; et les trois synoptiques précisent en nous le montrant « au
désert, à l'écart » près de Bethsaïde.
première multiplication des pains, peu avant
C'est alors qu'a lieu la
la Pâque (Jo. vi, '+), et dès le lendemain Notrc-Seigneur reprend la
série de ses enseignements (discours sur le pain de vie, Jo. vi, 26-05).
Les synoptiques sont assez brefs sur ce séjour en Galilée; à peine

et suiv.), ri pourtant il la sépare de cette mission dont elle est le complément logique

et chronologique, uniquement parce qu'elle n'a pas eu son point de départ en Galilée.
C'est du moins l'ilinéraire que suppose la parabole du Bon S#narilain, qui a pour théâtre
la route de Jérusalem à Jéricho {\, 25-37).

(1) Lkvesmie. Ucvnc p7-ali(/>ie d'Apologétique, 1" octobre 191G, p. lo.


MÉLANGES. 321

si saint Matthieu et saint Marc mentionnent deux ou trois faits saillants

qu'ils situent en Phénicie (Matt. xv, 21-28; Me. vu, 2i-30;, dans le
territoire de la Décapole (Me. vu, 31-.'n) et non loin du lac de Génésa-
reth (seconde multiplication des pains, Matt. xv, 29-38; Me. viii 1-9).
Aussitôt après ce dernier miracle, Jésus traverse la mer et débarque
à Dalmanutha, dans la région de Magedan (Matt. xv, 39; Me. vin, 10).

7" Voyages à travers la Judée et la Pérée. A l'approche de la fête

des Tabernacles (septembre-octobre) .Jésus se voit sollicité de monter


à Jérusalem, on voudrait qu'il s'y manifeste solennellement et fasse

ainsi la preuve de sa mission.


Mais le Sauveur juge le moment inopportun il laisse donc ses :

frères et ses disciples prendre le chemin de la Ville Sainte et reste en


Galilée; « toutefois quand ses frères furent partis, lui-même monta
aussi à la fête, non pas publiquement, mais en secret » (.Jo. viii, 10).
La solennité était déjà à moitié écoulée, lorsqu'il arriva à l'impro-
viste et se mit à enseigner nous connaissons par saint Jean (vu, 11-
:

X, 21) le détail de ses paroles et de ses actions pendant ces quelques


jours.
De la fête des Tabernacles à celle de la Dédicace, deux mois se
passent dont on ne sait rien (1). « Il n'est pas vraisemblable que
permis au Sauveur de séjourner dans la capitale
l'hostilité juive ait

au delà des jours de la solennité les pèlerins Galiléens, en rentrant


:

chez eux, réduisaient le nombre des partisans du Ghrist et laissaient


la partie belle à sesennemis « (2).
Il est donc fort probable que Jésus quitta la Judée; mais comme

rien n'indique qu'il ait regagné la Galilée, on est conduit à supposer


qu'il séjourna dans les environs du Jourdain, en Pérée c'est d'ailleurs :

ce que suggère le verset un peu obscur de saint Jean x, iO (3i.

Après la Dédicace le Sauveur s'éloigne définitivement de Jérusalem,


il n'y reviendra plus que pour y être reçu solennellement (Luc xiii,

(1) a voulu placer dans cet intervalle un retour en Galilée dont on ne saurait rien
On
(car les passages de Matt. xvi, 1-12 et Me. yiii, 11-21 se rattachent étroitement à la seconde
multiplication des pains) et le « second voyage vers Jérusalem » (Luc xiii, 23-\vn, 10). —
Mais dans cette hypothèse comment rendre compte de l'exclama»;-.':! douloureuse sur
Jérusalem ou Jésus ne reviendra plus (Luc xiu, 34)? —
comment expliquer que dès le
début de ce voyage, on se trouve à proximité de la Ville Sainte (car ces mêjnes versets
34-35 impliquent le voisinage immédiat de Jérusalem)?
LÉVESQUE, ibid., p. 13.
(2)
Après la Dédicace, Notre-Seigneur « revint au delà du Jourdain dans le lieu où
(3)
Jean avait commencé à baptiser ». —
Mais cette expression « revint « pourrait aussi bien
viser le séjour fait par Jésus dans cette région au début de sa vie publique, Jo. m, 22 et suiv.
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 34
522 REVUE BIBLIQUE,

35\ pour y souffrir et y mourir. Et il reprend le chemin de la —


Galilée, en passant par la Pérée on était alors à la fin de décembre
:

ou au début de janvier (1).


Toute la section de saint Luc xiii, 23-xvii, 10 parait correspondre
à ce voyage de retour (2\
8° Dernier séjour en Galilée. Ici les trois synoptiques se rejoignent
et se suivent pas à. pas (Matt. xvi, 13-xviii, 35; Me. viii,
27-ix, 49;

Luc IX, 18-50) tous les faits qu'ils rapportent sont nettement enchaî-
;

nés et supposent que la fin de la Vie publique approche : confession

de saint Pierre, première annonce de la Passion, Transfiguration,


seconde annonce de la Passion, entretiens intimes accompagnant ces
divers événements, tout cela nous amène à la conclusion si énergique-
ment formulée par Lorsque furent accomplis les jours où
saint Luc : «

il devait être enlevé, Jésus s'affermit dans l'intention d'aller à Jéru-

salem » (ix, 51).

9'^Dernier voyage vers Jérusalem. En se rendant à Jérusalem Jésus


côtoie la frontière de Samarie et de Galilée (Luc xvii, 11); puis tout
en continuant ses enseignements (Matt. xix, 1-xx, 16; Me. x, 1-31;
Luc XVII, 11-xviii, 30), en renouvelant aussi ses prophéties sur la pas-
sion (Matt. XX, 17-19; Me. x, 32-3i; Luc xviii, 31-3i), il arrive près du
Jourdain (Matt. xix, 1 Me. x, 1) et dans la région de Jéricho (Matt. xx,
;

29-34; Me. x, 46-52; Luc xvm,


35-xix, 27); c'est alors (3) qu'on vient

lui annoncer la maladie de Lazare et qu'il va à Béthanie ressusciter


son ami (Jo. xi). Après cet éclatant miracle, il se retire pendant queU
que temps dans la direction du désert, à Éphrem (Jo. xi, 54); enfin, la
Pâque approchant, il regagne Béthanie (Jo. xii, 1-11) et fait son entrée
solennelle à Jérusalem la grande semaine commence.
:

Chronologie absolue de la Vie jmbliquc.

I. La date du baptême de Notre-Seigneur. La vie publique de


Notre-Seigueur est inaugurée par son baptême. Les évangélistes ne

(1) Cf. la note agricole de Luc xvii, 7.

(2) Le verset xm, 2:> serait simplement destiné à expliquer comment au verset xni, 34

Jésus se trouve dans le voisinage de Jérusalem ; il correspondrait en fait au brusque

départ vers la Judée, avant la fête des Tabernacles, et aux prédications inteniK-diaires

entre cette fête et la Dédicace.


(3; Au moment du repas de Béthanie, avant la Pâque, un grand nombre de
six jours

Juifs « ai>prenant que Jésus était là, y allèrent, non pour Jésus seulement, mais aussi
pour
voir Lazare quil avait ressuscité (Jo. xii, D).
). —
Ces paroles indiquent que la résurrection
de Lazare était un fait récent et que le séjour de Jésus à Éphrem avait été de courte-durée.
MÉLANGIiS. 523

fournissent aucun renseignement sur la date précise de cet événement ;

nous savons seulement qu'il eut lieu au temps de la prédication de


.Ican-Baptiste. Le dél)ut du ministère du Précurseur est placé par
saint Luc (iii.l) « en l'an XV de Tibère César, Ponce Pilate étant procu-
rateur de Judée; Hérode tétrarque de la Galilée; Philippe son frère
tétrarque de l'iturée et du pays de Trachonitide; Lysanias, tétrarque
de l'Abylène; sous grands prêtres Anne et Caiphc '>.
les
Auguste est mort le 19 août de l'an 767 de Rome d'i- ap. J.-C.) la ;

quinzièrhe année de Tibère (1) correspond donc strictement à :

19 août 781 U. G. (= 28 J.-G. —


19 août 782 U. G. (= 29 J.-G.).
Toutefois on peut se demander si les années des empereurs romains
étaient comptées en Judée à partir de leur avènement ett'ectif ou bien
si l'an II courait à partir du 1^' janvier suivant on aurait alors ; :

an XV =
1" janvier-31 décembre 781 U. G. 28 J.-G. =
D'autre part, l'usage juif assignait le 1 nisan comme point de dé- "^

part aux années des rois et des tétrarques mais on ignore s'il comptait ;

pour l'an I d'un roi le surplus de la dernière année de son prédéces-


seur ou s'il le faisait commencer seulement au 1" nisan suivant. Josè-
phe use du second mode de supputation; les indications fournies par
les monnaies appuient plutôt le premier. On aurait :

a„ XV = ^-^f
avril
781 U. G. (28
^
J.-C.) — ^^^ 782 avril
V. G. (29 J.-G.)

an XV = ^^
avril
782 U. G. (29
^
J.-C.) — '^
avril
783 U. G. (30 J.-G.)

On ne peut tireraucune indication des autres notes chronologiques


de saint Luc : Ponce Pilate fut procurateur de l'an 26 à Fan 36; Hé-

(1) Beaucoup d'auteurs en prenant dans un sens trop strict l'indication de saint Luc (ui,

23) sur l'âge de Notre-Seigneur au moment de son baptême, ôxjzl ètwv xptâ/.ovta, et aussi
en recourant sans raisons décisives au texte de saint Jean ii, 20 sur les travaux du
Temple, ont été amenés à inventer une association pleine et entière de Tibère à l'empire
en l'an 11 après Jésus-Christ (= 764 U. C.) —
association dont la date aurait servi de point

de départ au comput des années de règne de ce prince.

Ils mettent en avant deux ou trois témoignages assez peu explicites (Suétone, Tibère,
14-22; Dion, i.v Annales i,
pass.; Tacite, 3; cf. Mon. Ancyr.). L'interprétation qu'ils leur

donnent est d'autant plus suspecte que les expressions dont on fait état se retrouvent
ailleurs appliquées à des situations analogues et nous obligeraient pour être logiques à
admettre d'autres associations « pleines et entières » parfaitement inconnues de l'histoire.
En outre, il n'v a pas un seul texte établissant formellement que les années de Tibère
ont jamais été comptées, en quelque endroit de l'empire. même en Egypte, où d'ordi-—
naire on tenait compte de ces associations, à un autre —
moment... à un autre moment
que celui de la mort d'Auguste.
Enfin, et ceci est très grave, l'antiquité chrétienne tout entière a entendu l'an XV de
Tibère de 781-782 U. C. (= 28-29 après Jésus-Christ;.
S24 REVUE BIBLIQUE.

rode Antipas régnait depuis l'an i av. J.-G. et devait être dépossédé
sous Caligula; Philippe mourut ran XX de Tibère selon Josèphe (•=
787-788 U. G. = 34-35 J.-C); Caïphe fut grand prêtre de l'an 26 à
l'an 36 ; et l'on ne sait rien des dates extrêmes du règne de Lysanias (1 ).

Du fait que le ministère de Jean-Baptiste commença en l'an XV de


Tibère peut-on déduire nécessairement que Notre-Seigneur ait été

baptisé la même
année?
Il est remarquable que les anciens Pères aient placé en cette
même quinzième année de Tibère le baptême de Notre-Seigneur; à
dire vrai, rien dans le texte de saint Luc ne s'y oppose formellement ;

mais les divers récits évangéliques seml)lent bien indiquer que le


baptême a eu lieu un temps notable après les débuts du ministère
de Jean (2).
Le baptême de Notre-Seigneur doit donc être placé dans l'année
781 U. C. 28 après J.-C. =
ou dans l'une des années suivantes.

IL L'année de la première Pâgue. Au temps de la première Pàque,


saint Jean rapporte la réflexion suivante des Juifs : « Ce temple a été
bâti en quarante-six ans et tu le rebâtirais en trois jours! » (ii, 20).
« Les Juifs, écrit M, Jacquier (3), voulaient dire qu'on le bâtissait

depuis 46 ans, ce qui est marqué d'ailleurs par l'emploi de l'aoriste ;

nous savons en effet que le temple ne fut terminé que vers le com-
mencement de la guerre juive. »

D'après Josèphe (4), les travaux commencèrent l'an XYIII dllérode


= 734-735 U. C. = 20-19 av. J.-C; la quarante-sixième année de la
reconstruction du Temple nous conduit à l'an 779-780 de Rome =
26-27 ap. J.-C.
Et l'on raisonne de la manière suivante : Jésus était alors dans la
première année de la Vie publi(|ue; il avait donc été baptisé l'année
précédente. —
première Pâque tombe en 26-27, le baptême doit
Si la
tomber en 25-26 (= 778-779 U. C).
Cette conclusion, on le voit, ne s'accorde pas avec celle que nous

(1) Les rares textes épigraphiques qui mentionnent ce prince permettent de situer son
règne vers 26-30 après Jésus-Christ sans plus.
(2) Jean Bapliste apparaît l'an XV de Tibère-, il est évident que les foules ne se sont pas
ébranlées du jour au lendemain, à plus forte raison les pharisiens et les sadducéens; Jésus
n'apparaît que lorsque Jean est un prophète reconnu et écouté, quand il a précisé son
rôle de iirécurseur.

(3) lliatoirc des livres du Xouveau Testament, I, p. II.

(4) A. J. XV, II, i.


MÉLANGES. 525

avons exposée ci-dessus; il importe par conséquent de préciser ce


que l'on peut tirer de Jean ii, 20.
Tout d abord, que faut-il penser du sens de l'aoriste olxocoy.rfi-ri'i doit-
on traduire « ce temple a été construit en quarante-six ans », ou
bien ce temple est en construction depuis quarante-six ans »?
« — •

La première de ces deux traductions est la plus conforme aux habi-


tudes de la langue grecque; et c'est, croyons-nous, celle qui s'im-
pose. — La seconde
, n'a pour qu'un emploi identique du même
elle

mot dans I Esdras v, 16; et encore convient-il de remarquer que le


sens d'oly,oooi):r,(irt dans ce dernier passage est précisé par le contexte,

•Aot-làizo TCTS ÏMç TSJ vjv M-ACOO[J.rfirp -m', or/, i-^kir:^y^^ (1).

En second lieu, le témoignage de Josèphe est-il absolument sur?


On en peut douter, puisque dans un autre passage (2) cet auteur
indique pour la date de la restauration du temple l'an XV d'Hérode
(= 23-22 av. J.-C. — 731-732 U. C). On le voit, cette variante com-
plique le problème au lieu de le résoudre.
Enfin — de ne rien préjuger de
et cette solution aurait l'avantage
l'exactitude de l'une ou l'autre affirmation de Josèphe rien ne — ,

prouve que le temple n'ait pas été complètement restauré au bout


de quarante-six ans plus tard, on aurait fait de nouvelles construc-
;

de celles-là que parlerait Josèphe lorsqu'il écrit que


tions, et ce serait
la restauration du temple fut achevée la veille de la guerre.
Le texte de saint Jean serait matériellement exact, mais l'on n'en
pourrait rien tirer au sujet du temps de la première PâqUe de la
Vie publique; l'évangéliste énoncerait un fait passé, sans dire com-
'

bien de temps s'est écoulé depuis {3j.

IIL L'année de la mort de saint Jean Baptiste. Le précurseur était


mort lorsque Jésus se rendit à Jérusalem pour assister à la « fête des
Juifs »; Ille erat lucerna ardens et liicens, lisons-nous dans le qua-
trième évangile (v, 35).

Nous savons par ailleurs que les Juifs ont considéré (4) l'exécution

La principale raison que l'on apporte en faveur de la deuxième traduction provient


(1)

d'un texte de Josèphe suivant lequel le temple n'aurait été achevé que sous Agrippa
II,

peu de temps avant la révolte. Nous y répondons plus bas. —


(2) B. J. I, 21, 1.
On arriverait à la si, avec certains Pères, on entendait les quarante-
même conclusion
(3)
six ans de la construction du second temple sous Cyrus, Cambyses et Darius les anciens :

chronographes croyaient [à tort] que Cyrus avait régné 30 ou 31 ans depuis la prise de
Babylone les 9 années de Cambyses, les 7 mois du pseudo-Smerdis et les 6 premières
;

d'A-
années de Darius, ajoutées aux 30 ou 31 ans de Cyrus, font bien 46 ans (cf. Clément
lexandrie, Strom. I, 21; Chronicon paschale; Chron. Alexandr.; etc.).

(4) Josèphe, A. J. xviii, 5, 1.


526 REVUE BIBLIQUE.

de Jean comme le « crime » d'Hérode, tellement que la défaite des


troupes du tétrarque par Arétas leur parut un châtiment de Dieu :

or, selon les conceptions des anciens, le rapport de cause à effet est
le plus souvent appliqué à deux faits consécutifs si la victoire d'Arétas:

se place, comme on peut le déduire du texte de Josèphe, après l'arri-


vée de Vitellius en Syrie (automne 35), après le voyage dHérode et
de Vitellius en xAIésopotamie (été 36), donc à la fin de Tété ou dans
l'automne de l'an 36, il est malaisé de croire que la mort du précur-
seur ait pu la précéder de 7 ou 8 ans; il semble plutôt qu'on doive
la situer dans les trois ou quatre années précédentes,

L'année sabbatique. Bien souvent on a cherché à appuyer


IV,
l'hypothèse si fragile d'un avènement de Tibère à l'empire en l'an
lia du raisonnement suivant la prédication de Jean Baptiste
l'aide :

a provoqué de grands mouvements de foules; de tels mouvements


n'étaient guère possibles en dehors d'une année sabbatique; donc
les premières prédications de Jean en Tan XV de Tibère, et par —
suite le baptême du Sauveur, —
se placent dans Tannée sabbatique

qui va de l'automne 26 à l'automne 27 ap. J.-C.


Ne pourrait-on pas, avec plus de justesse, appliquer ce raisonne-
ment au temps du ministère de Notre-Seigneur? D'autant que dans
toute la durée du ministère il y a une année, une seule (1), où sont
mentionnées des foules particulièrement nombreuses l'année des —
deux multiplications des pains.
Et comme
de Fan 28 à l'an 36 il n'y a qu'une seule année sabba-
tique, celle qui s'étend de l'automne 33 à l'automne 3V, on serait
amené à faire coïncider avec elle l' avant-dernière année de la vie
publique.
Une autre considération permet peut-être de confirmer cette ma-
nière de voir. Chaque année sabbatique était suivie d'une année
dite de Rémission (2). « Après chaque septième année, à l'époque de
l'année de Rémission, à la fête des Tabernacles, quand tout Israël
viendra se présenter devant Yah^Yeh... tu liras cette loi devant tout
Israël, de sorte qu'ils l'entendent » (Deut. xxxi, 11 et suiv.)

Notre-Seigneur a piôclié cette année-là coinnio les précédentes; celle année-là comme
(1)

les précédentes, ses auditeurs l'ont accompagné dans la campagne, sur les montagnes, « au
désert ». —
Jamais avant celte année-là les foules n'avaient été assez nombreuses pour
causer qncl(|ue Inquiétude au sujet de leur subsistance.
(2) L'année de rémission comme l'année sabbatique s'étendait d'un automne à l'autre:

elle suivait immédiatement cette année-là, mais sans comporter comme elle de repos
agraire : la lecture de la Loi était comme un renouvellement de lalliance de Dieu avec
son peuple au début de chaque période de sept ans.
MliLANGES. 527

Saint Jean nous apprend que Jésus se trouvait à Jérusalem pour la


fête des Tabernacles, en l'année qui précéda sa mort, par suite, si
notre conjecture est exacte, au début de l'année de Rémission or, :

les chapitres vu à x où saint Jean relate les discours prononcés alors


par Notre-Seigneur, sont ceux des Évangiles où il est fait le plus
d'allusions à Moïse et à sa Loi (vu, 19, 22, -23; viii, 5, 17); en outre,
et indépendamment de cette constatation toute matérielle, l'ensemble
des faits rapportés dans ces chapitres correspond bien au caractère
(1 1

spécial que présentait la fête des Tabernacles au début d'une année


de Rémission.

V. La date de la dernière fête des Tabernacles. Les précisions que


le quatrième évangile donne sur certains incidents du séjour à Jéru-
salem au temps de la dernière fête des Tabernacles, seraient fort
utiles, si l'on connaissait avec certitude les règles en vertu desquelles
était établi le calendrier juif au temps de Notre-Seigneur,
D'après saint Jean, Jésus arrive à l'improviste au milieu de la fête
(vu, ^14), donc le quatrième ou le cinquième jour, le 18 ou le 19 tisri;
il enseigne publiquement jusqu'au dernier jour « qui est le plus
solennel» (vu, 37), puis pendant un, deux ou trois jours (2) il continue
à parler et à agir (vu, 44-viii, 59); enfin, un jour de sabbat, il
guérit l'aveugie-né (ix). Si nous nous reportons au tableau de la
page 510 nous voyons que le 22" jour de tisri tombait :

un samedi, en l'an 29;


un jeudi, en l'an 30;
un lundi, en l'an 31;
un dimanche, en Fan 32;
un vendredi, en Tan 33;
un mardi, en l'an 3i;

Dans premier cas (29), le 22 tisri était séparé du samedi sui-


le

vant par 6 jours; dans le second (30), par 1 jour; dans le troisième
(31), par 4 jours; dans le quatrième (32), par 5
jours; dans le sixième

(34), par 3 jours.


Le troisième et le sixième cas (31 et 34) paraissent correspondre le
mieux aux données de saint Jean: or, il se trouer justement c[ue

Voir surtout les rédexions des Pharisiens (vu, 47 sq.j, l'épisode de la femme adultère
(1)
(vm, 3-11) et même la guérison de l'aveugle-né (ix, 29).
(2) Le dernier jour de la fête semble
déjà passé, mi, 44, puisque saint Jean mentionne
à ce moment une tentative d'arrestation de Jésus et un conciliabule de ses ennemis et il ;

semble difficile que les événements et les discours du chapitre vm se soient succédé dans
une même journée.
o98 REVUE BIBLIQUE.

Tune de ces deux années nous a déjà été suggérée par d'autres con-
sidérations, ce qui est un nouvel argument en sa faveur.

YI. Ve-aclar. Quel que soit l'arrangement que l'on adopte pour
concilier les données synoptiques avec les données johanniques, on
est amené à constater que les dernières semaines du ministère public
de Notre-Seigneur sont singulièrement pleines.
Si nous prenons comme point de départ le dernier séjour à Caphar-
naûm (iMatt. xvn, 24-27), nous relevons successivement le départ :

pour Jérusalem, en passant près de la frontière de Galilée et de


Samarie (Luc xvii. 11); le voyage vers le Jourdain et Jéricho, com-
portant un séjour notable dans cette région (Matt. xix, 1-xx, 16; Me.
X, 1-52; Luc xvii, 20-xix, 27); l'excursion à Béthanie, pour la résur-
reetion de Lazare (Jo. xi); lé voyage à Éplirem où Jésus demeure
quelque temps (Jo. xi, 54), enfin le retour à Béthanie six jours avant
la Pâque (Jo. xii, 1).
Tous les événements que nous venons de mentionner sont certaine-
ment postérieurs au l*" jour du mois d'adar, au cours duquel on
percevait le didrachme, et antérieurs au 8 nisan, 6" jour avant la
Pàque (1) même en supposant que l'impôt ait été payé par le Sauveur
;

dans la première semaine d'adar, Tintervalle d'un mois qui reste


jusqu'au 8 nisan suffit-il à rendre compte d'une manière vraisem-
blable des voyages et des séjours connus?
Nous ne le pensons pas, et cette observation nous autorise à pré-
sumer que, cette année-là, il y eut très probablement un mois embo-
lismique. D'après le calendrier que nous avons dressé, le mois de
Ve-adar ne fut intercalé, au temps de Pilate, que trois années seule-
ment en : 29, en 32 et en 35.

'
40

Sohitio)! proposée cl réponse aux objections.

Les principaux événements de la Vie publique se dateraient comme


il suit :

septembre 30 Baptême de Notre-Seigneur


hiver 30-31 Début de la Vie publique,
mars-décembre 31 Premier voyage à Jérusalem et séjour
en Judée,
décembre 31 -janvier 32 Passage en Samarie.
(Ij II l'allail, en effet, « que le prélèvement à opérer sur le trésor en vue des prochains
sacrilices put èlre effectué en son temps, le 1" nisan « (j. Scheqalim i, 1 : cf. ni 1).
MELANGES. 529

janvier-novembre 32 Première; mission en Galilée,


novembre 32-janvier 33 (Retraite de Jésus) Mission des apôtres et
des disciples,
février-décembre 33 Long- voyage vers Jérusalem,
janvier-septembre 3ï Second séjour en Galilée,
septembre 3i Bref séjour à Jérusalem pour la fête des
Tabernacles,
septembre-novembre 34 (Séjour en Pérée).
fin novembre 3ï Bref séjour à Jérusalem pour la Dédicace,
décembre 3i-janvier 35 Voyage vers la Galilée,
janvier-février 35 Dernier séjour en Galilée,
février-mars 35 Dernier voyage à travers la Sa marie et
la région du Jourdain.
3 avril 35 Arrivée à Jérusalem.
Notre-Seigneur aurait souffert le vendredi 8 avril de Tan 35 (1).

A ce
système on peut faire deux objections principales la première :

prétend s'appuyer sur l'ensemble de la chronologie des temps aposto-


liques; la seconde met en avant l'âge du Sauveur et la date de sa
naissance : nous les examinerons l'une après l'autre.

I. La chronologie des tetiips apostoliques . L'objection se présente


de la manière suivante :

« Si la Passion a réellement eu lieu en Fan 35, il ne s'est pas écoulé


16 ans entre la mort du Sauveur et le concile de Jérusalem (en l'an
51 ap. J.-C.) : un si court espace de temps ne suffit à expliquer d'une
manière satisfaisante le prodigieux développement de l'Eglise pen-
dant cette période. »
A ceci nous répondrons d'abord que nous sommes en présence d'une
institution d'origine divine; que le développement de l'Eglise a été
de tous les temps un miracle admirablement organisé par la Provi-
dence, et que Dieu, dans l'exécution de ses œuvres, n'est pas obligé
de se conformer aux méthodes et aux raisonnements humains. •

Nous ajouterons ensuite que, bien loin de s'opposer à notre conclu-


sion sur la chronologie de la Vie publique, les données authentiques
que l'on possède sur les débuts de l'Église viennent plutôt la con-
firmer et l'appuyer de nouveaux arguments.

En effet, à lire les premiers chapitres du livre des Actes, on a

(1) Cette date est l'une de celles auxquelles nous étions parvenus à la fin de la pre-
mière partie de ces recherches.
530 REVUE BIBLIOUE. >

l'impression qu'aussitôt après la Pentecôte l'Église naissante s'est


épanouie subitement et avec un succès extraordinaire.
Saint Luc, il est Ni'ai, procède par tableaux, et ne prétend en
aucune façon retracer dans tous ses détails cette marche victorieuse;
mais les tableaux qu'il trace sont tels, qu'il est impossible, à moins
d'en déformer complètement la perspective, de les faire rentrer dans
tout système qui supposerait une évolution lente ou une éclosion
tâtonnante.
En pour tout dire en un mot, il ne semble pas
d'autres ternies, et
qu'il se soit écoulé un long temps entre la Pentecôte et la conversion
de saint Paul. La persécution dont fut victime saint Etienne apparaît
comme une réaction violente, et suppose un important mouvement
de conversions, tout à fait en rapport avec ce qui nous est dit des
premiers moments de la prédication apostolique.
Et comme la conversion de saint Paul parait luen devoir être fixée
aux environs de l'an 36 ou 37 (1), nous nous trouvons amenés une
fois de plus à rapprocher de l'an 35 la fm de la vie du Sauveur.

D'autres indices empruntés au livre des Actes appuient encore cette


conclusion.
Le grand prêtre devant qui comparait saint Etienne n'est pas
nommé, tandis qu'on a eu soin, en racontant les deux premières
arrestations des apôtres, de dire qu'ils avaient été menés devant
Caïphe : donc probable que la déposition de ce grand prêtre
il est
(datée par Josèphe (2) de la venue de Vitellius à Jérusalem pour la
Pâque de l'an 36) doit se placer entre la deuxième comparution de
saint Pierre devant le Sanhédrin et le martyre de saint Etienne.
D'autre part, l'exécution de saint Etienne suppose des circonstances
particulières « Le saint diacre est jugé régulièrement et devant un
:

tribunal juif; il subit la peine marquée par la Loi sans qu'il faille,
comme pour Jésus, obtenir la ratification du procurateur. Après ce
premier acte de la persécution, Saul reçoit du Sanhédrin pleins pouvoirs
pour emprisonner, torturer, mettre à mort les chrétiens; en un mot,
l'autorité romaine, toute-puissante jusqu'alors, apparaît tout h coup
énervée. » Un seul fait, d'après M. Fouard (3), peut expliquer ce chan-
gement soudain : la mort de Tibère le 16 mars 37: — mais on pourrait
(1) La ili'tnonstration on a été faite et bien faite dans plusieurs travaux spéciaux à la

suite de récentes découvertes (cf. en particulier, Brassac, Revue biblique, janvier et avril

1913, pp. 36 et 207.


(2) A. J. xviii, 4,3.

(3) Fouard, Saint Pierre, p. 469.


MÉLAiNGES. o31

dire aussi : la destitution de Pilate par Yitcllius au début de Fan 36 (1),

On insistera peut-être une antique tradition suivant


: « Il existe

laquelle la dispersion des apôtres eut lieu douze ans après la mort
du Sauveur; saint Pierre ayant gouverné rÉfilise Romaine durant
vingt-cinq ans, il est fort vraisemblable que la dispersion initiale des
Douze provoquée par la persécution d'Agrippa, vers l'an V2 or, de
fut :

Fan 35 à Fan 'i-2, on compte sept ans et non pas douze. »


Deux textes mentionnent cette tradition :

L'un se trouve dans Eusèbe (2) qui l'attribue à Apollonius, écrivain


de la fin du second siècle... eii ce wç r.apalô^zMc -rbv So^r^pa or^avj è-/.

T.pS(S-B^xyvfx'. xo\q ajTCu xr.z^-ôhO'.ç 1-'. owcsy.a. Itcîi.v [j.t, -/o>p'.3-6r,v7.'. -.f,:

IcpoujaXVjj..

Le second se lit dans Clément d'Alexandrie (3) qui le place dans la


boucbe de saint Pierre sr.j-.v b né-rpo; : z'.prj.é^y.'. -rbv Kopiiv t:C;
à-OffTÔÂoiç. 'Eàv y-àv oùv f)^K^^or^ tou 'lapa-/;'/. ;j.î:avc-^:ja',, o'.x ~z\j ovît».a-ic jxcu

'::',(7-sy£',v kn\ tov ©sbv, àsEOr^scv-ra', ajTW al âj^-ap-iai. Ms-à co)cez.a srr^ ïz€iJ)rf~z

tlç, ~z-t 7.6cT[;.ov, \}:^^ z\q sï""/]* cù/. •^7.0'j<7a[j.£V.

On remarquera que ce dernier texte, plus ancien et plus complet,


est aussi moins précis : il n'indique pas le point de départ des
douze ans.
Tandis qu'Apollonius semble mettre ce point de départ au moment
même de l'établissement de l'Église, Clément n'exclut nullement Fin-
terprétation qui ferait remonter ce même point de départ jusqu'au
début du ministère de Notre-Seigneur.

II. L'âge de Notre-Seigneur et la date de sa naissance.


« Jésus étant né sous le règne d'Hérode (mort Fan 4 av. J.-C). aurait
eu en Fan 35 tout près de 40 ans, une telle assertion n'est pas conci-
liable avec- les données traditionnelles sur l'âge de Notre-Seigneur. »
Mais tout d'abord en quoi consistent ces données traditionnelles? de
qui proviennent-elles? Est-ce des Pères de l'Église? — Certes non, car
il n'y a point d'époque où plus qu'à Fàge patristique, on ait autant
varié sur cette question qui intéressait si peu la foi.

Tandis que la majorité des anciens auteurs ecclésiastiques fixe à

Ce n'est pas l'avis de tous les critiques


(1) « Etienne a péri au cours d'une émeute,
:

déclare II. Goguel {Essai sur la Chronologie pavlinienne, R. H. Rel. LXV, p. 289;, et un
telmouvement né d'une explosion de fanatisme, n'est ])as plus invraisemblable, sous le

rude gouvernement de Pilate que sous l'administration plus douce de Marcellus. »


(2) Hist. ecclés. v, 18.
(3) Stromala, vi, 5; P. G. ix, 264.
532 REVUE BIBLIQUE.

durée de la vie de Notre-Seigneur (2;,


trente ans exactement (1) la

quelques Pères prononcent pour évaluer cette même durée


le chiffre

de trente-trois ou trente-quatre ans (3) d'autres, et


non des moindres,
;

saint Jean Chrysostome et saint Irénée,


vont plus loin, et parlent de
quarante de quarante à cinquante ans (5)
(i) et même
Peut-on dès lors parler sérieusement de Tradition sur l'âge de
Notre-Seigneur?

On dira encore :

« Une indication précieuse sur Tàge du Sauveui' se trouve dans


l'Évangile : Saint Luc affirme qu'au moment de son baptême Jésus
était âgé d'environ trente ans, yS:. y.\)-lç -^v 'T/jdCJç àp-/i;j,£vc; wcrsî stwv
Tpta/.cv-a (Luc m, 23). —
Si Notre-Seigneur est né au temps du recen-

sement de Quirinius (Luc ii, 2) et sous le roi Hérode (Luc i, 5;


Matt. 11, 1), il aurait eu en l'an 30, date que vous assignez à son
baptême, 35 ou 3(5 ans. Peut-on raisonnablement dire d'un homme
de 35 à 36 qu'il a u environ trente ans? »
Ici nous demandons la permission de distinguer, d'examiner quel
et

sens il convient d'attribuer à wjsl t? r.à/.:vTa, d'après les seules données


évangéliques (G),

a) suivant que l'on tient compte de l'indication de saint Matthieu

(il, 1) et de saint Luc (i, 5) sur la naissance de Jésus au temps du roi


Hérode,
b) suivant que l'on associe à cette indication la note de saint Luc (ii, 2)

sur le recensement de Quirinius.


a) D'après saint Matthieu Luc (i, 5) Jésus naquit dvant
(ii, 1) et saint

la mort du roi Hérode (qui se place entre septembre 5 et avril '4 av.
J.-C), donc au plus tard en l'an 5 avant notre ère;
il fut baptisé après le début de la prédication de Jean, donc
après
Tau XV de Tibère (28-29 ap. J.-C.) :

(1) Us réduisent par conséquent toute la Vie publique à une seule année et ils croient :

trouver un argument en faveur de leur système dans Luc iv, 19.


(2) Les auteurs combattus par saint Irénée,
Adv. Haer. ii, 22; Migne, P. G. mi, 7-81;
— Ci-ÉMENT dAlexandkie, Slromala, i, 21 P. G. viii, 884, v, 6;
;

OniciiNE, In Malt. 78;

P. (j. XIII, 1727; in Luc 32, P. G. ibid. 1883; Tertullien, —


Adv. Judaeos, 8; P'. L. ii.
615, etc.
(3)Saint Hippoi.yte, In Daniel 4: P. G. x, 645; —
OiuciiNE, In Malt., 40; P. G. xiii,
1G56; —
Eisi;BE, Chronique ad ann. 33; —
Saint Epiphane Haeres. i, 1, 20; ii, 1,51;
P. L. XLI. 273, 930.
(4) Saint Jean Chrysostome, Homil. in Joan. xv (i.vi); Migne, P. G. ux, 304.
(5) Saint Iuénée, Adversus Haereses n. 22, Migne, P. G. mi, 781 sq. cf. les anonymes ;

cités par saint Algistin, De Doctrina christiana, xxviii, 42: P. L. xxxiv, 55-56.
(C) Nous tenons à faire remarquer «lue nous ne prétendons nullement aborder, dans le

présent travail, le problème dilficile de la date de la Nativité.


MÉLANGES. 533

donc, à s'en tenir à ces données certaines, ùi-v. -.^^x/.zr.y. doit cerUtine-
ment s'entendre d'un nombre d'années supérieur à :

5 H- 28 = 33 ang
b) D'après l'interprétation la plus communément admise, Marie et
Joseph vinrent à Bethléem mi temps oïi Qiiiriniiis fit son premier
recensenient ; ce recensement eut lieu avant la mort d'Hérode, donc au
temps de première légation de Quirinius en Syrie (entre
la les années
11 et 9 avant notre ère (1);
dès ayant été baptisé après le début de la prédication de
lors, Jésus
* Jean, doncaprèsl'an 28-29, cotîi -:p'.a-/.:v-a, doit certainement s'entendre
d'un nombre d'années siipérieur à :

10 + 28 = 38 ans
ou 9 28 = 37 ans
-4-

Quoi qu'il en soit du verset de saint Luc ii, 2


de l'interprétation (2)
sur le recensement, il n'en reste pas moins que, d'après les données
certaines de l'Évangile, Jésus avait au moment de son baptême pUis de
33 ans.
Et comme il n'est pas vraisemblable que Notre-Seigneur soit né la
de la mort d'Hérode, ni
veille qu'il ait été baptisé le lendemain de la
première prédication de Jean, il avait, suivant toutes probabilités, et
d'après le contexte de l'évangile, de 34 à 35 ans au moment de son
baptême.
On aurait mauvaise grâce à nous reprocher un écart d'un an : si

peut s'entendre de 34-35 ans, on ne voit


wasl Tpiaxov-a il pas pourquoi
ne s'entendrait pas de 35-36 ans; —
ce léger élargissement de l'ex-
pression de saint Luc serait d'ailleurs beaucoup moins grave que tous
les expédients imaginés pour faire correspondre l'an XV de Tibère à
l'an XI ou XII de ce même prince.
Comme l'a dit Bossuet avec tant d'à propos : « Qu'il faille mettre de
quelques années plus tôt ou plus tard la naissance de Notre-Sei-
gneur, et ensuite prolonger sa vie un peu plus ou un peu moins, c'est
une diversité qui provient autant des incertitudes des années du
monde que de de Jésus-Christ. Et quoi qu'il en soit, un lecteur
celles
attentif aura déjà pu reconnaître qu'elle ne fait rien à la suite ni à
l'accompHssement des conseils de Dieu. Il faut éviter les anachronis-

(1) Cf. Revue biblique, 1913, p. 648. L'étude attentive du texte de Josèphe montre que
Sentius Saturninus était légat de Syrie dès la lin de l'an 9; Quirinius ayant été consul
ordinaire dans la première moitié de l'an 12, sa légation tombe nécessairement entre le
l" juillet 12 et le milieu de l'an 9.

(2) On sait que le P. Lagrange, à la suite de plusieurs critiques et exégètes, est disposé
à traduire : « ce recensement eut lieu avant que Quirinius ne fût gouverneur de Syrie ».

Cf. Revue biblique, 1" janvier 1911, p. 80.


534 REVUE BIBLIQUE.

mes qui brouillent l'ordre des affaires et laisser les savants disputer
des autres (1). »

III

OPIMONS ET TRADITIONS ANCIENNES SUR LA DATE DE LA PASSION.

Il pas possible, pour le sujet qui nous occupe, de parler d'une


n'est
((tradition » des Pères. Jamais, en effet, les anciens auteurs ecclésias-
tiques n'ont attaché une particulière importance à la détermination
de la date de la Passion; ils s'en tenaient aux données des Évangiles
et les mentionnaient en passant, sans beaucoup chercher à les préci-
ser; il leur suffisait de savoir que le Verbe de Dieu s'était incarné et
qu'il nous avait rachetés au prix de son sang; tout le reste, à leurs
yeux, n'était que curiosité superflue, zspispYo-rÉpov, ou peu s'en fallait.
Les considérations mystiques et symboliques les intéressaient da-
vantage; combinaisons et les rapprochements de chiffres leur
les

paraissaient pleins de significations profondes, et c'est en ce sens


qu'ils ont commenté la plupart de nos textes. Toutefois, comme ces
rapprochements et ces combinaisons que font les Pères reposent sur
des opinions reeues de leur temps, sur de vieilles traditions orales,
et même sur des textes écrits aujourd'hui disparus, il a paru utile de
les rapporter, à la fois pour y recueillir les débris anciens qui peu-
vent y être mêlés, et pour montrer comment ont pu se former les
systèmes qualifiés aujourd'hui de « traditionnels ».

|0

L'année de la Passion.

Divers auteurs des premiers siècles ont été amenés à indiquer Van-
née de la mort du Sauveur beaucoup l'ont fait plus ou moins expli-
:

citement, en prenant comme points de départ de leurs calculs des


événements tantôt antérieurs (début de la prédication de Jean Bap-
tiste; commencement et durée de la Vie publique de Notre-Seigneur)

et tantôt postérieurs (ruine de Jérusalem) à la date qu'ils voulaient


préciser; d'autres ojit voulu retrouver dans des chroniques anciennes
le souvenir des phénomènes physiques qui avaient marqué le jour de

la Passion; d'autres enfin ont bâti sur les conclusions de leurs pré-

décesseurs des systèmes chronologiques plus ou moins complets.

(1) Discours sur l'histoire universelle, I, ép. x.


MELANGES. 53S

I. Intervalle entre le début de la Vie publique el la Passion. A peu


d'exceptions près, Fantiquitc chrétienne s'est accordée à réduire à
une seule année la durée totale du ministère du Sauveur.
Parmi les auteurs, les uns, comme Clément d'Alexandrie ''1), Ori-
gène (2) et saint Augustin (3), mentionnent expressément cette durée;
les autres, comme Tertullien (i) et Lactance (5), l'indiquent implici-
tement, en disant, par exemple, que Jésus fut crucifié l'an XV'' de
Tibère.
Ceux d'entre eux qui exposent les motifs de leur manière de voir
s'appuient principalement sur le texte de S. Luc iv, 19 : praedicare
annum Domini acceptum, qu'ils interprètent strictement : tels, par
exemple, hérétiques que réfute saint Trénée, duodecimo autem
les
mense dicunt eum passum, ut sit anno uno post baptismwn praedi-
cans;et ex proplieta tentant hoc ipsum confirmare : scriptiun est
enim : Vocare annum Domini acceptum... (6); tel aussi, quoique d'une
façon moins affirmative, Origène, dans son commentaire sur saint
Luc praedicare annum Domini acceptum. Juxta simplicem intelli-
:

gentiam aiunt uno anno Salvatorem in Judaea evangelium praedi-


casse, et hoc esse quod dicitur : praedicare annum Domini acceptum
et diem retributionis... (7).
D'autres ajoutent à ce texte des considérations symboliques : ainsi
les360 sonnettes de la robe du grand prêtre correspondraient aux
360 jours de la Vie publique (8).

L'opinion contraire, — celle qui, s'appuyant. sur l'évangile de


S. Jean, attribue deux ou trois ans au ministère de Notre-Seigneur, —
a été défendue surtout par saint Irénée (9) au ii" siècle au iii° siècle, ;

elle est indiquée par deux ou trois Pères (10) ce n'est qu'à partir du ;

(1) Stromal. i, 21 : P. G. viii, 884; — v, 6 etc.


[1],In Lucam, 32; P. G. xiii, 1883.
(3) De civ. Dei, xviii, 54.

(4) Adv. Judaeos, 8; P. L. ii, 615.


f5'; De div. hist. i\, De vera Sapient. et Relig. 10; P. L. m, 474.
\î-;) Adv. haer. u, 22, i; P. G. vu. 781.

(7) M Lucam, 32; P. G. xiii. 1883.


(8) Clément (I'âlexandrie. Stromata, Des considérations du même
\, 6: P. G. ix. 152.
ordre inspirent trop souvent les conclusions des Pères pour de« questions où le symbo-
lisme n'a rien à voir; par exemple, quand ils formulent leur opinion sur l'âge que pouvait
avoir Notre-Seigneur au moment de sa mort tel origène {In Matth. 78; P. G. xni, 1727),
:

ai un statuerunt ei XXX stateres, tantani ei donationem cou stit» entes, quantos annos
Salvator pereg rinatus fuerat in Iwc mnndo.
(0) Adv. Haeres. ii, 22, i; P. G. vu, 780 sq.
(10) Saint Hu'poi.yte. In Daniel i; P. G. x, 645.
Origène, dans un texte dont nous parlerons plus loin, n'est pas opposé à cette opinion,
536 RKVUE BIBLIQUE.

iv'' siècle qu'elle devient opinion commune, lorsque Eusèbe et S. Jé-

rôme l'exposent systématiquement dans leurs chroniques.

Les ténèbres et le tremblement de terre du jour de la Passion. Les


II.

phénomènes physiques qui, d'après les Évangélistes, ont marqué le


jour de la Passion, sont assez extraordinaires pour avoir dû attirer
l'attention des annalistes profanes. Ainsi ont pensé certains auteurs
chrétiens des premiers siècles; et ceux d'entre eux qui ont examiné
cette question s'accordent à identifier les événements consécutifs du
Crucifiement avec ceux qu'enregistrait dans son livre des Olympia-
des le chroniqueur Phlégon.
Le texte le plus complet est celui que nous fournissent Eusèbe et
Syncelle dans leurs chroniques (1 ).
Malheureusement la date de ces faits nous échappe complètement :

selon Jules Africain, de la 2% selon Eusèbe, saint Jérôme et


il s'agit

Syncelle, il s'agit de la k° année de la 202« olympiade (= 30/31 ou


32/33 J.-C); et surtout, peut-on identifier le phénomène extrana-
turel survenu lors de la Crucifixion, au temps de la pleine lune, avec
le phénomène naturel qu'est r« échpse « mentionnée par Phlégon.

III. Intervalle entre la Passion et la ruine de Jérusalem. Sur la


durée de cet intervalle, il existe deux opinions divergentes, qui se
présentent à nous dans des conditions particulièrement intéressantes.
L'une, en effet, parait se réclamer cVune tradition apostolique; et
l'autre prétend supputer exactement le temps écoulé (jours, mois et
années) entre la mort du Sauveur et la destruction du Temple.

La première de ces opinions est mentionnée à la fois par O'rigène,


par Eusèbe et par saint Jérôme et tous trois la signalent à propos de
:

l'interprétation des 70 semaines de Daniel.


Voici le texte d'Eusèbe (2), qui est à la fois le plus complet et le
plus précis :

Oloa oï -/.'A xW-q^f elç Tr^v é6oo[j.âoa Tr,v « cuvaixoiaaaav oia6r,/.r,v ::oXaoï? »

puisqu'il énumère [in Malth. praediculionis Domini fere annos très; mais nous
40)
venons de voir qu'il trouvait également tout simple d'interpréter Luc iv, 19 d'une prédi-
cation d'une seule année.
(1) Voici le texte de Syncelle : rm S' êtsi t-?; a[i' '0),u[Ji7rtâ5oç èyé^n-o £x),3n|it; r,>io'j liEyicrir,

TÛ)-/ è7vo)(T[X£v(ov TtpoTspov, xat vù| wpa ev-tt, t?,; r^\i.içicnç ÈyÉviTO loffTï xal àffxépa; Èv oupavô)
çavrivai, i7£ï(j|xd; ts (xéya; xKTà Bt6-jviav xà no'/là Nixaîa; xaT£ffTpÉ({;aTo. Selon Jli.es Afiucain.
ïhallos aurail lui aussi mentionné cette « éclipse » (P. G. x, 89). — Cf. sur le même sujet,

UuicÈNE, in Malt. 134 (P. G. \iii, 1782) et Teutui.i.ien, Apolog. 21 (P. L. i, 4ol^.

(2) Ecloyac propheticae, m, 4G; P. G. xxii, 1189.


MÉLANGES. 537

Xcvoç "Kocphvr, Tov ^jj^-avra -wv â-osToXiov -/psvsv sic é65o[;.r,/,ov-:aîT(av auv-
Tîiveiv, èv ^ xh '/:i\Ç)'j^(\).y. Tr^ç Kaivîj; AiaOY;/.-rj; or/.é-t svl, âXÀà tîoaXoÎç eôvsff'.

7.r,pu)jOèv s'.ç 'Tcaaav àv£OJva;j.toOY] rr;v o'.y.oj;Aî'v^v. Kaî vip ojv Ix iCn ?(jtc-

pitov Set'y.vj'rai 'Iwâvvr,; 6 tou Kupiou ,y-aOr,TY;; jj.£Tà r^v àvâX'/j'I/iv aù-oy
£is7',v £-i5'.oj; ;'
(J-iXP'- yip "?;? Tpaiavoj Xôyo; £)jîi T:apas;,£tva', ajTbv 3^cr'-"

Xî'laç' y.a-râ ts -auTTjV rJ;v ov(\-^(r^<si^> r^pbl-qkz^t z-u)^ àv tw •^[/,f'(j£t -raJr^ç t-^?

èv âîxaiT'.v ï^oo\).y.loc, r,p(l-^ Oujia xal a-ovor;, v.'A i\ Xîy2;j-îvov ^ofXuYlJ-a "^^5?

£pY;[^-wc£a);; la":"/; iv tÎ-w â^uo. Ta y^^'' "^^^ "^? "^^ SwT'^po? -/jl^-wv âva-
a"rât7£0)ç Iki ty]v JjTârrjV /.a^à OjîJ-aj'.avbv ~oXiop"/,(av sic £Tï; '::£vt£ y.al

Tptây.ov-ra (jUV':£(v£'/ :z'-£p av ^{bioi'o ~%z àzoosG£((j"/;;; £8oo[J.a$o? to •/i;j.i(7'j' '6t£

y.ai '::av-£Xï3 tyjv 5ià -rrupo; oOopàv y.zl y,a-«!Ty.as'J;v toï zâXai '.spsj /.al aY'-O'J

v£w 7:£7:ovG5toç £7:tff(paY''T[;.a £ÎX"r;9£...

Ainsi, la dernière des 70 semaines prédites par le prophète corres-


pondrait à 70 ans, et ce serait en son milieu que tomberait « l'abo-
mination de la désolation »; les 35 premières années iraient du
« retranchement du Christ », c'est-à-dire de la Passion, à l'an 70, date
de la destruction du Temple; et les 35 dernières, la demi-semaine —
où « le pacte [de la nouvelle Alliance] sera confirmé pour beaucoup »,
— partiraient de l'an 70 pour aller jusqu'à la mort de saint Jean
l'Évangéliste, au temps de Trajan.
Eusèbe, remarquons-le, ne nomme pas l'auteur de cette curieuse
explication. — Saint Jérôme
en la signalant n'est pas plus expli-(1)

cite il renvoie simplement à Eusèbe


;
Haec Emebius; et tout en di- :

sant qu'il n'est pas complètement opposé à cette opinion, opinionem


quam ex 'parte non reprobo, il conclut fort judicieusement Sed ne- :

scio quomodo siiperiores hebdomadas septem et sexaginta duas, per


septenos annos, et hanc imam per denos, idest, septiiaginta annis, pos-
simus accipere
Origène (2), en termes d'ailleurs obscurs, paraît s'en attribuer la

(1) In Danielem ix-, P. L. xxv, 547.


(2) In Matt. 40; P. G. xiil,
1656-8.
Voici comment Origéne rend compte de la demi-semaine écoulée depuis la Passion jus-
([u'à la ruine du Temple : « In dimidio autem septimanae, id est in tribus et senis de-

cadis annorum, sublatum est sacrificium altaris, id est in XXV anno= si autem opor- . ;

tet et de temporibus aliquid dicere, dicimus quoniam in chroiiicis Phlegontis cujusdam


dicitur (si tamen debemus et hune quasi vera dicenlem de templo suscipere) quoniam
circa XL""° annum a XV° anno Tiberii Caesaris facta est destructio Jérusalem et templi
quod fuit in ea. Deduc ergo praedicationis Domini fere annos très, et tempus resurrectio-
nis ipsius, quando per dies XL apparens illis docebat eos de regno Dei, et invenies for-
sitan plus minus quoniam circa dimidium septimanae, computans per decadas annorum,
est completum quod dictum est tolletur sacrificium meura et libatio, quando et super
:

templum abominatio desolatio est facta, quae desolafio usque ad tempus consummationis
manebit. »

REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 35


538 REVUE BIBLiQUE.

paternité : si autem oportet et nos pauca, secundum quod nobis vi-


detur, exponere de hoc loco... Mais un texte de répîfre de Bar-
nabe (1) pourrait fort bien se rapporter à la même interprétation,
qui dès lors devrait être considérée comme contemporaine, ou peu
s'en faut, de la fin de Fàg-e apostolique.
Quoi qu'il en soit de la valeur intrinsèque de l'explication proposée
au sujet de la en demeure pas moins que, dans les
70*' semaine (2), il

premiers siècles, une opinion ancienne évaluait à 35 ans le temps


écoulé entre la Passion et la ruine de Jérusalem.

La seconde opinion (3) est toute différente pour elle, la mort du :

Sauveur a précédé de 42 ans la destruction du Temple.


Le texte le plus important est sans contredit celui de Clément
d'Alexandrie.
'EY£Vvr^6r( ce o Kùp'.cç rj[J.ôv xw oyoïM xal s'./.cc-tîo stsi, cts tt^wtov ày.ÉAîi»-

(jav àTTOYpaçYJç vevéaOai et:! Aù^ouctiu. Oti oè tcSt aÀTjQéç kaiu' ev t(T)

EjaYY£>a'w tw -/.aTà Aoyxav y-YP^~'^3''- cjto);* e-rei ci TzsvTey.aioîy.â-w ï-jv.

Tiêepicu KatŒapcç, kyé^e~o pyjjjia Kupîou èzi 'Iwâvvr,v, -bv Zayapiou uliv. Kal
TcaÀiv èv TÛ aÙTw" -^v êè T/jcrouç £pyô[A£voç £7:1 xb pà-rrmtxa (î)ç ItoW A . Kai
OTi èvtauxbv i.».ivcv eoet a'jxbv y/zipû^ai, y.ai touto YéypazTa', cjxwç* 'Eviauxbv

cey.xbv Kupiou y.*r)pijçai àzéc-TîùiV ;j.s. TcDtc y.at 5 TrposriTYjç £Ï7:£, xx'. xb

EùaYYé^>i-'''- nevxsy.aiBsy.axw vuv è'xci TtSspîiy, /.ai ::£vxr/.ai5sy.xxw AitYOti-

îjxc'J* ouxw TTAYjpcuvxai xà xpiây.cvxa I'xy], £0).; gO e'-aOôv. As eu cà IzaOîv,

(1) XVI, C : yÉYpaTTTai yàp v.oci êa-rai, t^ç égôo[;.à5o; (7-jvTe).o-j|X£VTi; otxoSoiJ.r|67ia£Tai vao;

Osoy...

(2) Pour Origène (Le.) semaines équivalaient aux 4900 ans écoulés depuis Adam.
les 70
Il est curieux de constater que les 70 seuiaines comptées à partir des travaux de
Néhé-
mie, sous Artaxerxès I, en lan XX (= 448 7 il s'agit sûrement, .\éh i, 1; n, 1 [mais
:
non
pas V, 14], de l'an XX du 2' jubilé depuis la dédicace du second temple) nous conduisent
à la mission d'Esdras en l'an VII d'Artaxerxès II, en 399/8; et que les 62 semaines sui-
vantes (62 7 X =434) ont pour point d'arrivée l'an 35 ap. J.-C. Outre cette mention de —
la 20° année sous Artaxerxès (il ne peut s'agir d'une année de règne, du moment que kis-

lev, puis nisan appartiennent à la même année), il existe mi moins trois textes chronolo-

giques faisant commencer leur compul à dos dates toutes séparées de lan 517 6 par 50 ou
un multiple de 50 :

a) un auteur judéo-alexandrin auquel se réfèrent Joséphe, Théophile d'Antioche et Clé-


ment d'Alexandrie, situe la dédicace en 567/6;
h) selon les rabbins, Alexandre soumit la Judée « en l'an 34 des Perses », 333/2 4- 34 =
367/6;
c) selon les mêmes rabbins, les Grecs régnèrent 18ô ans, les Asmonéens 103 ans, les
Hérodes 103 ans, jusqu'à la ruine de l'an 70 ce qui nous ramène à l'an 317 (>;
:

les années 567 6, 517 6, 467/6, 367/6, 317/6 marquent toutes l'an I d'un jubilé.

(3) Clément «'Alexanduie, Stromata i, 21; P. G. viii, 884; Ti:rti;i,likn, Adv. Ju- —
daeos, i\: P. L. ii, 016; —
ORiciiNE, Contra Celsum, 4: P. Q. xi, 1056; In Jeremiam, —
14; P. G. xu), 420.
MELANGES. 539

YjiJ.Épa', r. FivovTai CUV «5' sj'ô Kûptc^ k-^vr/rfirt eo)ç Kc|ji.6gou tî/.sut^ç,

-y. zâvTa aTY) ly.aTOV èvv£v/;/,ovTaTî'7-aîa, [j/ç/ s-.ç, •/jij.spa', IF'.

Nous avons ;

Intervalles Ans

De la Nativité ;i la Passion :

De la Passion à la lluine de .icrusalem :

De la Ruine de Jérusalem à la mort de Commode

Total vrai :

Total indiqué par Clément :


.

540 REVUE BIBiLIQUE.

Ce qui donne les dates suivantes :

Mort de Commode 31 décembre 192.


Ruine de Jérusalem .-.. 18 août ou'18 juillet 70.
Passion 18 mars ou 18 avril 28
Nativité 18 mars ou 18 avril 2 av. J.-C.
Autre Dans un autre passage (1), Clément donne pour
difficulté :

l'intervalle qui s'étend de la ruine de Jérusalem à la mort de Com-


mode 121 ans, 6 mois et 24 jours, àr.o OôeaTcaffiavou ewç t^ç Ko[j.6co!j
TsXsuTvjç £'jpia-/,£tai sty; PKA ,
[j.'^vs; E , ''fi\).épyx KA .

De toute manière, il y a une erreur de copiste dans le chiffre des


années, A au lieu de B; il y en a une autre dans le chiffre des mois,
car jamais le mois d'ab n'a correspondu au mois de juin.
On pourrait être tenté de restituer :

evr, PKB' H-Yîvsç A^? E') -/ji^ipai KA'


ans : 122 ; mois : 4 (ou 5) ;
jours : 24-

Soit, pour la ruine de Jérusalem :

7 août ou 7 juillet 70
et pour la date de la Passion :

7 avril 28 ap. J.-C.


Mais une telle restitution est tout artificielle.

Remarquons, en terminant, que nous n'avons pas rendu compte du


chiffre de 13 jours mentionné dans le total; et que les dates obtenues
pour la Passion ne coïncident avec aucune de celles que cite Clément
dans le même chapitre des Stromates, pas plus d'ailleurs que la date
trouvée pour la ruine de Jérusalem ne coïncide avec la date réelle de
cet événement.

Le jour de la Passion.

De bonne heure, et dès avant la fin du i" siècle, on notait très


exactement le nom des évoques, la date de leur anniversaire, et le
temps de leur épiscopat la liste romaine, bien que fort altérée (2),
:

remonte jusqu'à saint Pierre, qui siège 25 ans, de 42 à 07. —


Les autres églises avaient aussi leurs catalogues épiscopaux; Eusèbe,
dans son Histoire ecclésiastique, nous a conservé ceux d'Autioche,

(1) Slromntn xxi, 1; P. G. vin, 877.

(2) Ici, nous faisons allusion à l'ordre incertain de la succession des trois ou quatre pre-
miers papes, et surtout aux chillres divergents donnés pour la durée d'un même pontificat.
MELANGES. o4i

d'Alexandrie et de Jérusalem; toutefois, en recopiant ces catalog-ues,


il n'a pas transcrit les chilt'res que contenaient ses sources, peut-être
parce que certains lui semblaient déjà altérés.
Nous trouvons une preuve de l'existence de ces chiffres, d'abord
dans les points de repère fournis par VHistoire ecclésiaslique elle-
même (1), ensuite dans les dates indiquées par les chroniques
d'Eusèbe et de saint Jérôme (2), enfin dans les chronologies et tra-
ditions souvent contradictoires (|ue nous ont conservées plusieurs
auteurs plus ou moins récents (3) toutes ces données, cela va sans
:

dire, auraient besoin d'être examinées et critiquées; mais il est —


impossible quelles aient été inventées de toutes pièces.
La liste d'Antioche remontait à Evodios, et celle de Jérusalem à
saint Jacques le Mineur. Or, pouvait-on inscrire ces noms en tète
de chacune des deux listes sans rappeler brièvement les origines
illustres des églises dont elles résumaient l'histoire, d'une part le
séjour de saint Pierre dans la capitale de la Syrie, et d'autre part
l'épiscopat collectif des Apôtres dans là Ville Sainte? Était-il possible
de mentionner ces faits essentiels sans indiquer leur rapport chrono-
logique étroit avec mort de Notre-Seigûeur, avec
la^. la Pentecôte,
avec la dispersion des Douze?
Toutes ces considérations nous autorisent à penser, croyons-nous,
qu'il a dû exister une tradition ancienne sur le jour de la Passion, et
que cette tradition a dû être conservée, de préférence, en Palestine
ou dans les régions voisines.
Mais on sait par quelles révolutions ont passé tous ces pays au
temps des guerres juives rien d'étonnant dès lors à ce que la tra-
:

dition primitive, même là où l'on avait tout intérêt à la conserver


précieusement, ait pu être altérée, perdue ou reconstituée. Et ceci
suffit à nous expliquer le grand nombre de traditions divergentes

sur le jour de la Passion nous en avons relevé, seulement pour les


:

quatre premiers siècles, une dizaine, dont on peut voir le tableau à


la page suivante.

Par exemple, le martyre de saint Jacques le Mineur situé peu après la moit de Fes-
(1)

tus, au temps du pontificat d'Ananos, n, 23.


(2) Ainsi, dès la fin du i" siècle, à Alexandrie, Abilius devient évêqu-^ en 85, et Cerdon

en 98, et au ii" siècle, à Antioche, Héron succède à saint Ignace en 108; etc.
(3j Telle la tradition, rapportée par saint Grégoire le Grand, des sept années d'épisco-

pat de saint Pierre à Antioche.


REVUE BIBLIQUE.
MELAiNGES. 543

ont encore pu être modifiées en vertu de conceptions symboliques ou


mystiques.
Certains à'-a; (1) ou certains doublets (2) peuvent être attribués à
des fautes de copistes.

nous nous demandons dans quel pays de préférence on a été assez


Si
curieux pour avoir le souci de noter et de rechercher les dates
anniversaires de la vie de Xotre-Seigneur, une réponse nous vient tout
de suite à l'esprit ces curieux ne peuvent être que ceux dont parle
:

Clément, ce sont les Alexandrins.


Bien mieux, si nous cherchons à nous faire une idée du calendrier
égyptien, nous constatons l'existence, non pas d'un, mais de deux
modes de supputation sensiblement difi'érents.
L'année égyptienne commençait au 1"' Thoth; 1" Thoth, en le
l'an 30 av. J.-C, correspondait au 31 août julien; en l'an 29, il
coïncidait avec le 30 août; et tous les quatre ans il avançait d'un jour
sur l'année julienne.
En 26 avant J.-C, Auguste résolut de remédier à cet inconvénient :

il décida que l'on introduirait chaque quatrième année un 6^ jour


épagomène, de que le 1"^ Thoth correspondrait au 29 août dans
sorte
les années ordinaires et au 30 août dans les années bissextiles.
Malheureusement, les particuliers continuèrent en beaucoup d'en-
droits à utiliser Tancien calendrier avec son année vague de 365 jours
(12 mois de 30 jours -+- 5 jours épagomènes), et dans leurs calculs,
le 1" Thoth continua, comme par le passé, à avancer d'un jour tous
les quatre ans.
Examinons, à de ces données; la date la plus traditionnelle de
l'aide
la Passion, celle de presque tous les Pères depuis le m" siècle, le —
25 mars, VIII des calendes d'avril, 29 Pliamenoth du calendrier
égyptien (3).
Nous constatons que, de dans lequel
l'an 32 à l'an 35, intervalle
doit se situer la Passion, l'année vague égyptienne (dont le l*"" Thotb
correspondait au 15 août julien) avait une différence de 11 jours avec
l'année commune 1""
Thoth correspondait au 29 août julien).
(dont le
De l'an 32 à l'an 35, le 29 Phamenoth (25 mars) de l'année vague
correspondait au 13 Pharmuthi (8 avril) de l'année commune.
Ainsi se trouverait confirmée, par la tradition du 25 mars, la date

(1) Telle la date du 18 mais, qui, d'après saint Épiphane, ne se rencontre que dans
([uel(iues exemplaires des Acta Pilati (n° 8).

(2) Doublets possibles : XII et XIII des calendes d'avril (n"" 1 el 9).

(3) iX° 4 de notre tableau.


544 REVUE BIBLIQUE.

que nous avions proposée pour la Passion. —


Ainsi se trouverait expli-

quée cette date traditionnelle du 25 mars pour la Passion, et la date


connexe (1) du 25 décembre pour la Nativité.

On dira peut-être que c'est hasard ou pure hypothèse.


Mais cette hypothèse se vérifie d'une autre manière.
D'abord elle rend compte mieux que toute autre restitution du
calcul de Clément d'Alexandrie sur la ruine du Temple.
En effet :

la mort de Commode en 192 (31 décembre =5


tybi de l'année com-
mune) correspond au 11 Athyr (= 7 novembre) de l'année vague (2);
la ruine de Jérusalem en 70 (4 ou 5 août =
1 1 ou 12 mesori de l'année

commune) correspond au 18 ou 19 epiphi (= 12 ou 13 juillet) de


l'année vagué (3).
Ce qui donne les intervalles suivants (en plaçant, selon le système
[inexact] de Clément, l'année de la Passion en l'an 28) :

De la mort de Commode à la ruine du temple:

De la ruine du temple à la Passion

De la Passion à la Nativité

Total
MÉLANGES. 345

Les chiffres auraient été altérés de la manière suivante :

Texte primilil"

i" intervalle
2« intervalle :

3'= intervalle :

Total
546 REVUE BIBUQUE.

et constatant, hors d'Egypte, des traditions qui semblaient dis-

tinctes de celle qu'ils avaient reçue, ils ont entrepris de la corriger;


ils ont calculé, tout comme nous lavons fait plus haut, la ditlérence

qui existait entre les deux computs en rannée de la Passion. Mal- —


heureusement cette année ne leur était connue que par un calcul
faux dont nous avons parlé ailleurs ils croyaient qu'elle coïncidait
:

avec l'an 28, si bien que calculant sur l'an 28 (bissextile, donc, avec
un jour supplémentaire après le 5" jour épagomène [= 28 août' de
l'année commune), ils ont trouvé une différence de 12 jours (29 août
de l'année commune =
17 août de l'année vague) qui, du 25 mars,
les ramenait au 6 avril.

Les plus anciennes tables pascales, — celles qui furent dressées au


m' siècle, —sont fort imparfaites. Tandis que certains computistes,
avec saint Hippolyte (1), adoptent un cycle de 16 ans, d'autres, à la
suite de Denys d'Alexandrie, se rallient à un canon de 8 années (2);
au temps de saint Cyprien, quelques Africains (3) modifient le cycle
de saint Hippolyte et s'efforcent, sans grand succès d'ailleurs, d'en
corriger les défauts
Ce n'est qu'à la fin du siècle, en 276, qu'Anatole de Laodicée (i)
crée son cycle de 19 ans, ébauche du cycle perfectionné et presque
exact des siècles postérieurs.
Tous ces divers systèmes, tables, canons ou cycles, avaient le très
grand inconvénient de n'être exacts et de rester vraiment pratiques
que fort peu d'années. Rien n'est plus instructif à cet égard que de
rapprocher les chiffres proposés par les divers auteurs, pour les com-
parer ensuite à ceux qu'indiquent les computistes modernes et les

astronomes.
Mais la connaissance de ces inexactitudes nous permet de
même
nous rendre compte comment ont pu être trouvées certaines dates
proposées pour la Passion de Notre-Seigneur.
Les anciens computistes, en dressant leurs tables pascales, se lais-
saient guider par une double préoccupation ils voulaient tout à la :

fois se rapprocher des réalités astronomiques, et rester fidèles aux tra-

ditions vénérables de la primitive Église.

(1; Mijine, P. G. \, 875-876.


(2) Mif;ne, P. L. n, 1023 si|.

(3) EusicBE, Jfisl. Kccl. VII, 20.

t'O Migne. P. G. \. 219.


MÉLANGES. 547

Cliacim, en produisant son œuvre, s'imaeinait de bonne foi avoir


découvert une règle sûre, également valable pour toutes les années,
possibles, et s'appliquant aussi bien aux pAqucs juives du temps de
Moïse qu'aux pâques chrétiennes de l'avenir — Dès comment
(1). lors,

résister à la curiosité bien légitime de rechercher dans détails les la


date de Passion
la celle de
et. Résurrection, — de vérifier
la don- les

nées « traditionnelles » sur ce sujet, — voire de les corriger, puisque,


méthode sûre.
croyait-on, on disposait d'une
Malheureusement la méthode n'était rien moins que sûre; malheu-
reusement aussi on avait sur l'année de la mort de Jésus-Christ des
idées préconçues, qui auraient suffi à faire dévier, loin de la solution
vraie, les meilleurs systèmes; en sorte que tout ce travail de chrono-
logie rétrospective n'a abouti qu'à brouiller un peu plus une question
déjà passablement compliquée, en fournissant de nouvelles dates,
qui passaient plus ou moins tôt pour « traditionnelles ».
Ainsi le De Pascha computus, en reconstituant la suite des anciennes
pàques, fixe la Passion au V des Ides d'avril (= 9 a^ ril) de l'an 28 ;

par un procédé analogue, saint Ilippolyte remonte jusqu'en l'an 29,
et constate, au moyen de sa table pascale, que la lune tombait W
cette année-là le VIII des calendes d'avril (= 25 mars) de même, ;

le canon d'Anatole de Laodicée, prolongé jusqu'au temps de Notre-

Seigneur, fournit pour l'an 28 (comme pour l'an 35) la même date,
VIII des calendes d'avril (= 25 mars)
Ces divers cycles fourniraient encore vendredi 21 mars ^321 et
le

le vendredi 18 mars [35] (Canon de saint Hippolyte); le vendredi 6

avril [31] (Canon Africain) toutes dates qui se trouvent dans notre
:

tableau (n°* 1,8 et n'ëmpèche de penser que les canons


6). Piien

perdus de Jules Africain et de Denys d'Alexandrie, que d'autres


systèmes plus anciens aient pu servir à « reconstituer « les dates du
14 et du 20 avril ('n"^ 2 et 3).

Il est fort possible que, ces résultats une fois atteints, on ait cherché
à les étayer par des considératious symboliques et mystiques C'est :

lorsqu'on s'est trouvé en présence de dates « traditionnelles » diver-


gentes, c'est à ce moment-là seulement, croyons-nous, qu'on a fait
intervenir, pour renforcer la valeur d'une opinion ou d'un système, tel
rapprochement plus ou moins ingénieux. Comme on l'a remarqué

(1) Voir par exemple le De Pascha Computus, P. L. i\, 1023 sq.


548 REVUE BIBLIQUE.

justement, la coïncidence du solstice d'hiver inatalis Soiis invictî)


avec le 25 décembre a pu rendre populaire la fête romaine de la
Nativité; de même, la coïncidence de l'équinoxe officiel du printemps,
date traditionnelle de la Création, avec le 25 mars, a certainement
contribué à affermir l'opinion qui plaçait ce jour-là la Passion du
Sauveur.
Les esprits subtils trouvaient ainsi, ouvert devant eux, un vaste
champ d'investigations qu'ils ne se sont pas fait faute d'explorer.
C'est à cet ordre d'idées que doivent se rattacher, pour une part,
plusieurs de nos dates, celles des 18, 20, 21 et 23 mars, toutes voi-
sines du temps de l'équinoxe. — Tandis que la plupart des Occiden-
taux, suivant la tradition officielle de Rome, le plaçaient au 25 mars,
les Orientaux, avec les Alexandrins^ le fixaient, d'après les données
exactes de l'astronomie, au 23 du même mois; certains auteurs, il est
vrai, s'en tenaient à la date dans laquelle le soleil entrait dans le
signe du Bélier, et commettaient ainsi une erreur plus ou moins
considérable, allant parfois jusqu'à quatre jours et demi, selon le

temps où ils écrivaient.

On conçoit, d'après ces brèves données, rapprochements que les


symboliques ont pu, tout comme d'autres procédés, déformer et
modifier une opinion au lieu de la fixer d'une manière invariable. —
Nous avons vu comment les Montanistes du temps de Sozomène justi-
iiaient leur Pàque du 6 avril; nous pourrions citer d'autres textes
analogues; qu'il nous suffise de renv^oyer, à titre d'exemple, aux
trop longues mais instractives réflexions de l'auteur africain du
De Pascha compiUus, au sujet de la date de la Nativité (1) : c'est
un modèle du genre.
*

C'est donc à juste que nous parlions d'opinions sur la date de


titre
la Passion les Pères qui ont été amenés à donner leurs avis sur cette
;

date ne l'ont fait qu'en passant, et guidés le plus souvent par des
considérations d'ordre apologétique ou symbolique, par consé- —
quent sans le moindre souci de garantir l'exactitude chronologique
de ce qu'ils avançaient.
Et de là vient que les rares auteurs anciens qui se sont risqués à
ébaucher des systèmes complets, que les curieux qui ont prétendu
indiquer les jours elles mois de la Nativité ou de la Passion, abou-

(I) Migne, P. L. iv, 1023 sq.


MÉLANGES. 549

tissent chacun de leur côté à des résultats opposés, et à première vue


irréductibles.
Devons-nous, à cause de cette diversité, regarder toutes les données
fournies par les Pères, comme des combinaisons factices, établies sur
des bases fragiles? —
Nous ne le pensons pas il nous a semblé :

qu'en recherchant, dans la mesure du possible, l'origine de chacune


de ces combinaisons, on pourrait assez facilement éliminer celles qui
sont artificielles et déterminer celles qui méritent d'être étudiées.
Nous avons ébauché cette étude, et nous croyons, est-ce une —
illusion? — avoir retrouvé quelques linéaments traditionnels se
référant à l'an 35 et au 8 avril (1).

Dijon, juin 1917.

M. Chaume.

(1) On pourrait résumer comme il suit l'histoire delà date — traditionnelle au m' siècle
— du 25 mars 29 :

a) à une époque ancienne, postérieure de peu à la mort de saint Jean,


on sait que l'Évangile a été prêché à Israël pendant douze ans;
on évalue à 35 ans l'intervalle entre la Passion et la ruine du Temple ;

on conserve à Alexandrie l'indication du 13 Pharmuthi de l'année commune (8 avril) =


29 Phamenoth de l'année vague (25 mars) pour le quantième delà Passion.
b) vers le milieu du second siècle, en vertu de considérations d'ordre mystique ou
symbolique, on en vient à admettre à peu prèS' partout que la Vie publique n'a duré
qu'wn an; et l'on en conclut logiquement que la Passion a eu lieu en l'an XV de Tibère,
donc en l'an 29; dès lors,
on attribue aux seuls apôtres les douze années de prédication en Israël;
on augmente de 6 ou 7 ans l'intervalle écoulé entre la Passion et la ruine de Jérusalem
(= 40 à 42 ans) ;

on rectifie l'équivalence 13 Pharmuthi = 29 Phamenoth (devenue inexacte pour


l'an 29), mais en prenant comme point de départ le quantième (populaire) de l'année
vague :

29 Phamenoth de l'année vague (25 mars) = 11 Pharmuthi de l'année commune


(6 avril).
c) au temps des premiers computistes (début du me siècle) l'opinion fixant la Passion

au 25 mars 29 se trouve consolidée par le résultat concordant de diverses tentatives de


chronologie rétrospective, sans qu'on puisse dire si ce résultat doit être attribué à un
calcul artificiel ou au seul hasard.
La date du 18 avril 29, fournie par les Acta Pilati, et considérée par le P. Prat comme
primitive [Recherches de Science religieuse, janvier 1912, p. 100), pourrait être (sauf
le cas d'une erreur de copiste) un compromis entre le système de chronologie rétrospec-
tive de saint Hippolyle et les deux traditions de l'an 35 d de l'an 29. (En effet, selon
saint Hippolyte, la 14' lune pascale de l'an 35 tombait le 18 mars).
CHRONIQUE

POUR LA COXSERVATION DE JERUSALEM.

On se souvient des informations répandues dans le public au cours


des trois premières années de la guerre à propos de certaines trans-
formations opérées à Jérusalem au préjudice de l'esthétique démo-
:

lition de quelques sections de rempart, création de boulevards


extérieurs, percement de grandes artères à travers la vieille cité,
alignements de magasins modernes avec enseignes partie allemandes,
partie hébraïques, toutes choses capables d'émouvoir un amateur
de pittoresque. Évidemment, pour lancer de telles nouvelles, le
correspondant des Centraux, dont notre presse s'était faite l'écho, ne
devait être qu'un reporter de passage, ignorant le pays avant les
événements actuels et privé par conséquent d'un élément essentiel de
comparaison. Les rues dont l'aspect alTreusement moderne l'avait
frappé, comme celle qui longe le rempart occidental, existent depuis
plus d'un quart de siècle. A vrai dire, les changements issus des
circonstances présentes n'affectent que l'extérieur de la ville, tels
que l'élargissement et l'aplanissement de chemin de Nikêphourieh
entre la gare et la route de Jaffa, ainsi que l'amélioration de routes
au nord et à l'ouest en vue de faciliter la circulation des véhicules de
guerre. Le transit intensif qui en résulte a l'inconvénient, en ces mois
de sécheresse, de soulever une poussière continuelle qui dépose une
grisaille uniforme sur rouge des toits, sur le plomb des coupoles
le
et des clochers, s'attaquant même aux teintes feuille morte des véné-
rables nmrailles. La pluie seule pourra rendre à Jérusalem les belles
couleurs que nous admirions jadis.
Quand on regagne la Ville Sainte après quatre années d'absence,
on éprouve une véritable satisfaction à constater que Jérusalem n"a
pas soufl'ert de la guerre. Je parle non de la population, qui a eu sa
part des maux communs à l'humanité militante, mais des grappes
d'habitations qu'enserre la ligne harmonieuse des remparts. Djomâl
Pacha lui-même avait été séduit par la beauté de cette enceinte aux
jours de sa domination éphémère, à tel point qu'il avait conçu le
projet de lui rendre sa splendeur originelle en supprimant le délilé
si banal d'échoppes et de bureaux adossés à la muraille entre la Porte
CHRONIQUE. 5al

de JafFa et l'angle nord-ouest de la ville. En attendant la réalisation

de ce dessein qui se heurtait à de grosses difficultés matérielles, le

général ottoman lit disparaître la fontaine turque que le mauvais


goût du comité Union et Progrès avait érigée au pied de la citadelle,
à l'entrée de la ville, en mémoire de de 1908. Moins
la révolution
heureuse fut l'amélioration imaginée à la Porte de Damas que l'on
voudrait voir se dresser dans son austère nudité. Les boutiques de
cacabuettes et de limonade qui la flanquaient naguère n'ont pas
reparu; mais pourquoi les avoir remplacées par une frondaison qui
jure avec le caractère du monument? Nous espérons du gouvernement
actuel, que le possible sera fait pour ramener mimosas, pins, faux-
poivriers, au clos de Saint-Ktienne d'où une administration de gueux
les avait impudemment extraits.
Quelques décisions prises en vue de maintenir son cachet à l'ag-
glomération hiérosolymitaine nous laissent bien augurer du sens
éclairé de M. le colonel Storrs, gouverneur militaire de la ville. L'ar-
bitraire, si souvent fatal au bon goût en matière d'architecture,
imposant aux générations suivantes le fardeau de monuments laids
ou chancelants, sera exclu du programme. Un Conseil vient d'être
créé, sorte de Commission pour la conservation de Jérusalem. Toute
réparation, toute construction nouvelle à l'intérieur des murs sera
surveillée, contrôlée, de crainte qu'elle n'apporte une fausse note
dans rharmonie de l'ensemble conforme aux tra-
et qu'elle ne soit

ditions locales, sans préjudice des améliorations exigées par l'hygiène


et le confort moderne. Plus d'une fois les projets soulèveront des
questions épineuses. Aussi a-t-on voulu que chacun ait la faculté
d'exposer ses vues, ses réclamations, ses objections. A côté du gou-
verneur qui dirige lui-même les débats et de son architecte attitré,
M. le major Richmond, figure un délégué de chaque groupe intéressé :

Custodie franciscaine, communauté grecque du Saint-Sépulcre, cou-


vent arménien, mosquée d'Omar, colonie américaine, colonie israé-
lite, municipalité. En même temps que l'élément français, j'ai l'hon-

neur de représenter à ce Conseil l'École biblique et archéologique de


Saint-Étienne. Les réunions sont mensuelles et se tiennent en français.
Des réparations au Haram ech-Chérif sont à 1 étude. Il est assez

probable que sous peu la « Porle de Jaffa » subira des retouches de


nature à lui restituer sa physionomie primitive. La brèche ouverte
devant Guillaume II en 1898 serait de nouveau fermée par l'^vant-
înur crénelé, victime d'un vandahsme servile, mesure qui ne man-
querait pas de portée symbolique. Puisse la tour de l'horloge, en
style de fera cheval, rejoindre dans le néant la brèche prétentieuse
552 REVUE BIBLIQUE.

et le sébil turc rasé par Djemâl Pour produire tout son


! effet, l'édicule

d'une vieille porte de ville orientale doit avoir de l'air. Chaque


porte s'ouvrait jadis sur une place intérieure, où se tenaient quelque
marché et la réunion des oisifs. La carte de Màdabâ nous a révélé le
rond-point de la Colonne auquel introduisait la porte septentrionale
qui a gardé parmi les indig-ènes le nom
de Bdb el-'Amoifd.
significatif

La petite place maintenant bien réduite par le bazar des bouchers à


l'intérieur de la « Porte de Sion » s'est appelée jusqu'ici Souk el-
Djema, c'est-à-dire « Marché du vendredi ». Au moyen âge,, la
« Porte de Jaffa connue alors sous le nom de « Porte de David »,
»,

donnait « sur une grant place où Ion vendoit blé », dont le souvenir
s'est perpétué dans les appellations contemporaines de Meidân et de

Souk el-Beidhar (place —


marché aux céréales). A cet isolement des
portes, l'esthétique gagnait autant que la facilité des transactions.
Il s'impose donc à tout projet de rénovation de dégager avant tout les

portes des amoncellements de décombres ou des constructions para-


sites qui sont venues s'y accrocher d'une manière intempestive.

LE MUR DE BETHLÉEM.

La démolition du mur qui masquait le. chœur de la basilique de


Bethléem constitue déjà un avantage sérieux dans cette voie de res-
taurations intelligentes. Nous n'avons pas à narrer ici comment a été
provoquée cette mesure qui fera époque dans l'histoire du sanc-
tuaire. Il de savoir qu'elle n'a d'autre origine qu'une affaire
suffira
de bon goût offusqué par ce contre-sens de mauvais bâtisseur (1).
En se reportant à notre ouvrage sur Bethléem, on trouvera la période
approximative qui dota la basilique de cet élément étranger. Cette
muraille était certainement postérieure au moyen âge. La persistance
de quelques graffites et écussons des Xif et xiii* siècles tracés sur les
colonnes aux endroits mômes noyés dans la maçonnerie prouve la
date relativement récente de cette construction. Plusieurs l'assignent
à la restauration grecque de 1842. Peut-être lui donna-t-on alors
une plus haute élévation. En tout cas, elle est antérieure à cette
époque. « Cette nef, écrivait Chateaubriand en 180G, est séparée des
trois autres branches de la croix par un mur, de sorte qne l'église
n'a plus d'unité. » Le Père Ladoire faisait la môme constatation
en 1719 u Le chœur est plus élevé que la nef de quatre marches;
:

Le lerlour se rendra compte de la diflérence existant entre les deux étals de la basi-
(1)

lique en lonfronlanl les deux photographies communiquées obligeamment par M. l'abbé


G. Bretocq, mobilisé à Bethléem (Fig. 1 et 2).
CHRONIQUE. 55:î

il en est séparé par une haute muraille. » Plus explicite, le Père


Nau décrit en ces termes cet état de choses en 167't : « l.e chœur
est séparé de la nef par une muraille que les Grecs ont fait bastir,

pour en estre plus maistres, et jouir plus en repos de la sainte


grotte qui est dessous. Il est plus élevé que le plain pied du reste de
l'Église, à la hauteur de trois degrez. Les mcsmes Crées y ont fait

faire des sièges pour leurs Prestres, et un autel à leur mode. Les >)

plans du P. Horn (1732), de Bernardino Amico (159G), et d'un Ano-


nyme de la fin du xvi" siècle enregistrent, outre ce mur de sépara-
tion entre le vaisseau et le transept, une autre muraille courant sur
les côtés nord et sud de l'esplanade surélevée du chœur qui de cette
façon aurait été tout à du sanctuaire sans les portes
fait isolé du reste
de communication qu'on y avait ménagées. En parlant du chœur
dont il admire l'étendue, fra Niccolô da Poggibonsi (13i6) semble
faire allusion à cette clôture munie d'ouvertures « è d'intorno mu- :

rato e ha tre porti, all'oriente, e a mezzo giorno, e alla tramontana ».


Le chœur était donc muré tout autour et avait trois portes, lune à
l'est, l'autre au midi, la troisième à l'occident. Les plans mentionnés
plus haut en ajoutent une quatrième au nord. Au temps du royaume
latin, le chapitre des chanoines réguliers affecté au service du sanc-
tuaire possédait vraisemblablement des stalles alignées aux deux
côtés du chœur avec un retour sur le côté occidental dont l'entrée
était munie d'une grille. Ainsi l'exigeait l'usage des Latins que nous
retrouvons suivi au chœur du Saint-Sépulcre. Ces stalles étaient-elles
de bois ou de pierre? Se trouvaient-elles adossées à une cloison bâtie?
Le silence des documents ne nous permet pas de le décider. Au
XIV* siècle, fra Niccolô ne nous en parle que pour signaler leur déla-
brement « le sedie del coro sono guaste ». Nous croyons retrouver
:

une survivance de cette installation canoniale dans la clôture men-


tionnée par ce témoin et par les plans postérieurs. Mais il y a loin de
cette enceinte, qui devait par ses modestes proportions s'harmoniser
avec le reste de l'église, au mur aveugle barrant la jonction des nefs
et du transept jusqu'à une hauteur supérieure à cinq mètres, et sur

toute la largeur du vaisseau. Tout au plus pourrait-on assigner à


une date antérieure à celle de la partie haute de la muraille la partie
inférieure jusqu'à deux mètres environ au-dessus du pavé. Gotovic en
effet ne donnait en 1598 qu'une hauteur de sept pieds et la ligne
lui
que l'on peut encore voir dans les photographies de ce mur paraît
indiquer suffisamment deux époques dans cette construction (Fig. \, a).
Aux temps byzantins l'esplanade rectangulaire située au-dessus
de la crypte de la Nativité formait la solea de la Basilique. On dési-
REVUE BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 36
534 REMJE BIBLIQUE.

Fig. 1. — Bethléem. La basilique scindée p;ir le mur postiche.

gnait en elïet sous le nom de solea (^wAsa) dans les églises byzantines
l'espace compris entre la nef et le bêina (plate-forme délimitée par
l'abside, où se trouve l'autel). Cet espace était réservé à l'usage des
chantres et des lecteurs, ou aux moines dans les sanctuaires desservis
par eux. Séparée du lieu saint par une clôture où s'ouvraient trois
portes, la solea n'était pas nécessairement close sur les autres côtés.
Mais elle se trouvait parfois entièrement fermée par des balustrades
de bois ou de marbre. De chaque côté, ou quelquefois au milieu,
s'élevaient sur quelques marches un ou deux ambons d'où Ton faisait
les lectures liturgiques.
La scliolacantorum de la Basilique de Saint-Clément à Rome, avec
sa clôture de marbre et ses ambons, nous donne une idée parfaite
de ce que pouvait être une solea à l'âge d'or byzantin. On sait que
cette clôture provient de la basilique primitive où elle avait le
même emploi et qu'elle date du vi" siècle. La solea du Martyrium
et celle de l'Anastasis nous sont signalées dans le Ti/piam du

Saint-Sépulcre (vers SOO). L'emploi des cancels comme barrières du


chœur do quelque autre lieu saint ressort assez clairement du récit
d'Ethérie. Quelques fragments et montants de cancels ont été décou-
verts à l'Eléona, ainsi que dans les ruines de l'église de Saint Eulhyme,
CHRONIQUE. Ko5

Fig. 2. — Bethléem. La basilique depuis la suppression du mur postiche.

consacrée en 428. On peut donc, à propos de la restauration de


Bethléem, envisager la possibilité d'établir un cancel de style appro-
prié tout autour de l'esplanadedu chœur, si l'on ne tient pas à laisser
cet espace dépourvu de clôture. En tout cas le morceau de mur
tronqué avec sa terminaison en escalier sur la gauche ne peut être
que provisoire. De peur de compromettre la solidité de l'édifice, on a
renoncé à abattre les murailles qui tiennent les basses-nefs à l'orient.

MONT DES OLIVIERS. RUINE DE LA GROTTE DE l'ÉLÉONA.


T03IBEAU ET MOSAÏQUE.

Parmi les lieux saints théâtre de nos recherches, il en est un qui


devait attirer spécialement nos pas, je veux parler du sanctuaire
du Mont des Oliviers connu sous le nom d'Éléona. Le couvent des
Carmélites ayant servi longtemps de cantonnement ^ des troupes
turques, pouvait-on espérer que les vestiges de la vénérable église
constantinienne laissés à découvert fussent respectés? Les tranchées
de fouilles sur l'esplanade du Credo ont été comblées, de manière
que le plan de Féghse est aussi méconnaissable qu'avant l'explo-
ration de 1910. Mais où les déprédations sont venues confirmer
nos craintes c'est à la crypte mise à jour dans le cloitre du Pater.
556 REVUE BIBLIQUE.
t

que
La grotte de l'enseignement du Sauveur n'est plus marquée
par un trou béant dans lequel glissent les terres environnantes.
Tout l'appareil de labsidiole, les montants des deux entrées,
les

marches d'escalier, des fragments même du rocher, en un mot tout


ce qui figure cà la planche XXXVI de Jcrusalem nouvelle, a été
brutalement arraché. Ces matériau.v ont servi à la construction
d'une cuisine de campagne qui s'adosse au mur septentrional du
terrain du Credo, où ils demeurent très reconnaissables. Cette des-

Fig. 3. — Hypogée byzantin au sanctuaire du Pater.

truction donne par conséquent à nos photographies et à nos relevés


un prix inestimable.
Les rigueurs de la clôture n'existant plus par le fait du dépari
des Dames Carmélites,nous a été loisible de faire le plan d'un
il

tombeau situé à l'intérieur du monastère et de relever une mosaïque


conservée dans le jardin. Pratiqué dans la pierre tendre et humide
nommée nàry, le tombeau est d'un travail assez rudimentaire. Les
décombres qui ro])struent en grande partie empêchent de s'y mou-
voir à Taise et d'en tracer un plan complet. Les chambres ou les
loculi quisemblent s'ouvrir en d et en c (fig. 3) sont inaccessibles.
Aux gravats se mêlent des ossements et des tessons. On accède dans
la chambre funéraire qui sert de vestibule par une cheminée de
k mètres de hauteur environ, fermée à demi par une dalle [e).
CHRONIQUE. 557

L'autre dalle qui permettait de fermer totalement la descente a dis-


paru. Peut-être portait-elle l'inscription qu'on dit avoir été déro-
bée par l'ouvrier qui découvrit le tombeau. Le haut de la cheminée
est formé par la bâtisse du couvent. La petite saillie rocheuse
(/)

Fig. 4. ~ su«T DES Oliviers. Pavement d'un oratoire b'-iaïUiii.

que l'on remarque sur la paroi de ce passage laisse voir une croix.
Le même signe est reproduit à l'intérieur du caveau sur un car-
touche sommairement taillé. Cette sépulture appartenait sans doute à
l'une des fondations monastiques qui avoisinaient l'Éléona.
558 REVUE BIBLIQUE.

Quant à la mosaïque que représente la figure 4, elle se trouve à


120 mètres du cloître du Pater, dans le jardin du couvent, sur la
déclivité est-sud-est du Mont des Oliviers. Elle forme actuellement
le pavement d'un oratoire rustique dédié à saint Élie, appuyant
s'

au plan d'une des terrasses cultivées du clos. Une large marge de


cubes blancs longeant l'encadrement noir n'est plus visible qu'à
l'ouest et au nord, à cause de l'empiétement de la chapelle moderne
au midi. La partie historiée dont nous donnons un spécimen est
intacte. L'ensemble du pavag-e existant mesure 6", 30 de long sur
4™ de large. La chapelle actuelle s'ouvre à l'est, point vers lequel la
mosaïque est parfaitement orientée. Aussi bien pensons-nous que
l'entrée primitive de la salle dont elle formait le sol se trouvait à
l'occident et qu'à Forient il devait y avoir une abside, maintenant
détruite. Le dessin ne manque pas d'élégance avec sa guirlande de
grenades ou de bouquets rouges sertis dans du noir. Un détail à
noter et qui a son importance est que ce dessin se retrouve dans les
mosaïques de la basilique de Saint-Étienne. Il n'y a de différence
qu'entre les croix qui font le centre des médaillons, et pour les
dimensions. Les losanges de lamosaïque eudocienne sont exacte-
ment de la moitié plus petits que ceux de la mosaïque en question,
lesquels ont 0",86 en diagonale. Le rapport des cubes de l'une et de
l'autre est à l'avenant. Les deux mosaïques sortent donc de la même
école sinon de la même main. Cette conclusion est rendue plausible
par les relations qui ont existé entre les travaux d'Eudocie fonda-
trice de Saint Etienne et ceux de sainte Mélanie fondatrice des
monastères de l'Éléona. Parmi les créations de cette dernière nous
avons noté {Jérusalem nouvelle, p. 386 s.) trois oratoires dont deux
possédaient des reliques du Protomartyr. Eudocie voulut assister à la
dédicace du petit martyrium élevé par Mélanie en 438. Cette
mosaïque appartiendrait à l'un de ces oratoires. Tout ceci confirme
l'hypothèse que nous avons formulée sur la situation du couvent
de femmes fondé par Mélanie la Jeune [op. c, p. 389). Au même
édifice il faut rapporter une grande mosaïque blanche qui s'étend à
20 mètres du cloître du Pater au sud et que recouvre actuellement
une couche de terre d'un demi-mètre.
Jérusalem, 14 septembre 1918.

F. M. Abkl, 0. P.
RECENSIONS

Nos quatre Évangiles, leur composition et leur position respective,


étude suivie de Quelques procédés littéraires de saint Matthieu, parE. Le-
vesque, professeur d'Écriture sainte au Séminaire Saint-Sulpice, pp. vin-352, Beau-
chesne, 1917.

M. Levesque vient de réunir en volume une série d'articles publiés dans la Revue
pratique d'Apologétique et la Revue biblique. En cédant aux « sollicitations nom-
breuses " de ses premiers lecteurs, il vient d'enrichir d'un bon livre la collection
française des études exégétiques. On ne passe pas de longues années dans la lecture
assidue et l'enseignement de l'Evangile sans amasser tout un trésor d'observations
personnelles, voire de solutions inédites. M. Levesque commence à nous faire part
de ses richesses. On ne peut que l'en remercier, en formant le vœu que ce premier
volume soit bientôt suivi de plusieurs autres. L'exégèse catholique ne pourra qu'y

gagner. Une pensée éminemment traditionnelle dans le fond, qui a su bénéficier des
progrès réalisés par autrui et qui s'est accrue de son apport personnel, une diction
qui vise moins à l'éclat qu'à une lumineuse simplicité, une piété contenue et fervente,
ce sont des qualités assez belles pour rendre la lecture d'un volume attrayante et
profitable. Si. au surplus, on peut dire de ce travail qu'il fait réfléchir, c'est l'éloge

le plus flatteur qu'on puisse décerner à un livre, alors même que la réflexion condui-
rait parfois le lecteur à des conclusions différentes : c'est encore servir la vérité que
de stimuler les recherches.
Je ne crois pas me tromper en disant que le but principal de l'auteur est de nous

signaler certaines voies, nouvelles ou rajeunies, pour harmoniser plus sûrement et


plus complètement les quatre Evangiles. Nous aurions ainsi des travaux d'approche,
et, par endroits, une introduction immédiate à une synopse, que, du reste, M. Levesque
promet quelque part de nous donner un jour. Il écrit dans sa préface « Le récit :

johannique et le récit synoptique sont, l'un comme l'autre, un témoignage. Le tout est
de bien saisir leur plan avant d'essayer de les harmoniser. Si les concordes tentées
entre les deux récits sont restées jusqu'ici artificielles et peu satisfaisantes, c'est qu'on
ne s'était pas rendu compte d'abord du vrai plan des trois premiers évangiles. La
clef de la narration synoptique c'est la division quadripartite :nous avons cherché à la
mettre en évidence. D'autre part, un des buts du IV*^ Évangile... est de nous
apprendre à lire les synoptiques. Ces deux plans, une fois bien compris, feront recon-
naître que le fossé qu'on suppose creusé entre les synoptiques et le IV*" Évangile est
plus facile à combler qu'il ne semble communément, que les deux et l'on verra

récits, de but si différent, peuvent cependant marcher de pair sans se heurter et


s'éclairent mutuellement » (p. vrii).

Division quadripartite chez les synoptiques, et, chez le quatrième évangéliste,


dessein a d'expliquer » et de « compléter ses devanciers » (p. 82), telles semblent
560 REVUE BIBLIQUE.

être les deux idées maîtresses de l'ouvrage. Elles méritent de retenir notre attention.
D'abord la divisio7i quadripartite. M. Levesque y revient à plusieurs reprises sans
se lasser. « Pour encadrer les événements de la vie publique du Sauveur, écrit-il, les

trois synoptiques ont adopté le même plan général : le baptême, la Galilée, le voyage
à Jérusalem, la dernière semaine dans la Ville sainte terminée par la mort et la

résurrection. Cette division quadripartite, ils l'ont prise c la même source, la caté-
chèse orale. Ils l'ont religieusement gardée et sous aucun prétexte ils n'ont voulu la
briser, bien qu'elle eût ses inconvénients au point de vue historique » (pp. 50.52).
Tout n'est pas nouveau dans ces remarques. Ce qui l'est davantage, c'est le relief
qui leur est donné et la manière dont elles sont utilisées pour la solution de certaines

difficultés historiques. On lira avec intérêt et profit les pages consacrées à l'étude de
cette question, notamment les pp. 63-77.

Parfois cependant, on se demande si le savant auteur, sollicité par les avantages


de la division quadripartite, n'a pas un peu trop accentué la note. La catéchèse
primitive avait certainement un cadre bien précis; elle avait aussi un plan, qui est à
peu près celui qui nous est décrit. Mais on hésite à croire que le plan eût cette
rigueur schématique; et, ce qui justifie l'hésitation, c'est précisément la comparaison
des deux premiers synoptiques avec le troisième. M. Levesque écrit : « Dans ce plan
quadripartite, suivi scrupuleusement par saint Matthieu, la seconde section consacrée
au ministère galiléen est un hortus conclusus qui ne permet pas de sortie au dehors
jusqu'au dernier voyage à Jérusalem qui forme la troisième section... » (p. 302). Hortvs
conclusus ! n'est-ce pas beaucoup dire.? Des sorties, saint Matthieu en pratique formel-
lement quelques-unes; par exemple, l'excursion au pays de Gérasa (vm. 28 ss.), le

voyage dans les districts de ïyr et de Sidon (xv, 21 ss.), la tournée à Césarée de
Philippe (xvi. 13 M. Levesque a relevé ces mêmes faits dans saint Marc, en
ss.).

notant que, deCapharnaiim, « partent une série d'excursions dans les différentes direc-
tions de la contrée avec retour régulier au point de départ » (p. 44). Cette fois, la
formule est rigoureusement exacte mais elle montre que le jardin fermé a bien
-,

quelques issues, et que l'on en sort, puisqu'on y revient.


Dans saint Luc, au contraire, les portes restent hermétiquement closes. Il n'est fait
d'exception que pour la très rapide excursion de Gérasa. Exception, encore cet inci-
dent ne l'est-il qu'à demi, car saint Luc a bien soin de noter que le pays des Gérasé-
niens est juste en face de la Galilée, (riTt; irszh àvT(-£pa t-TIç Va.\(ka.[a.i, vm, 2fi). et
qu'ensomme, ce n'est guère s'écarter que d'aller jusque-là. Puis, comme si. tout de
même, cette circonstance ne levait pas le scrupule du méthodique historien, il se
hâte de ramener le Sauveur sur l'autre rive; en sorte que l'événement se passe avec
une rapidité cinématographique : le divin Maître débarque en vue de Capharnaûm.
sur la rive orientale; à peine a-t-il mis pied à terre, que le possédé accourt; Jésus le

guérit; les porcs se jettent dans le lac; frayeur des bergers; curiosité des habitants;
pétition pour que le Maître s'en retourne chez lui. De fait, « s'étant rembarqué, il

s'en retourna » (vm, 37).


Cet épisode est le seul regard que saint Luc se permette hors du pays de Caphar-
naiim. L'excursion de Tyr, il l'ignore; il ne signale pas davantage la tournée sur les
frontières de la Décapole (Me, vu, 31); et, s'il raconte la confession de saint Pierre,
c'est en supprimant toute donnée géographique qui permettrait de se croire à Césarée
de Philippe.
Cela, M. Levesque a raison de le dire, c'est de la méthode, du système. Mais le
procédé n'était-il pas plus élastique dans les deux premiers Évangiles.'
La manière de saint Luc est non moins apparente dans la troisième section de la
RECENSIONS. o61

division quadripartite {vot/agedfGalih'e à Jérnsdlcni). Avant lui, dans saint Matthieu


et dans saint Marc, cette section a des contours très vagues, très imprécis, si bien
quelle ne semble qu'un fragment, un alinéa de la grande section précédente (minis-
tère galiléen). Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les deux premiers Évan-
giles. Lorsque le divin Maître quitte la Galilée, saint Matthieu ne nous annonce

point qu'il se rend à Jérusalem ; il dit seulement qu'il se porte sur les confins de la

Judée, dans la Pérée (\im, 1). Et lorsque, enfin. Jésus monte à la Ville sainte fxx, 20 ,

c'esten droite ligne, sans même faire de halte à Jéricho, qu'il passe de la Transjor-

dane à Bethphagé (xxi. 1), laquelle est déjà un faubourg de la capitale. Saint Marc
reproduit exactement ces mêmes données (x, 1, 32, 46; xi, 1)...
Saint Luc arrive; et soudain, ces linéaments imprécis deviennent un tableau
consistant, le grand tableau des roi/ayes jx, .51-xix, 48), si bien analysé par
M. Levesque. Cette fois, la section possède une physionomie très distincte, et elle ne
le cède ni en dimensions ni en importance à aucune autre section de l'Evangile. Pour
la constituer, saint Luc a groupé les récits de plusieurs pèlerinages, que sa conception
historique l'empêchait de placer ailleurs.
Mais si, de ce groupement, c'est lui, saint Luc, qui est responsable, ne serait-il pas

aussi pour quelque chose, pour beaucoup même, dans la division quadripartite

attribuée à la catéchèse primitive?


La catéchèse, telle du moins qu'elle se reflète deux premiers synoptiques,
dans les

comprenait seulement trois divisions bien tranchées préparation du ministère,


: la

avec le baptême et la tentation; le ministère, envisagé comme s'exerçant hors de la


Ville sainte, et spécialement en Galilée: la consommation dit ministère à Jérusalem.
Au fond, catéchèse tripartite.
Avec saint Luc, elle devient franchement quadripartite : il donne à la deuxième
section des frontières plus rigoureuses, on pourrait dire, en reprenant le mot de
M. Levesque, qu'il donne au jardin son mur de clôture et il crée presque de toutes ;

pièces la troisième section. Son esprit méthodique, habitué à l'analyse et à Vanatomie,


exigeait des divisions très nettes; peintre délicat et précis, il voulait que ces
portraits tinssenten des cadres irréprochables. N'est-ce pas lui encore qui, écrivant
les Actes des apôtres, dressera pour l'activité de ces premiers missionnaires un
plan

analogue à celui du ministère de Jésus ?


Ces précisions n'ôtent rien à la valeur pratique des solutions que M. Levesque
dégage du plan quadripartite. Le grand avantage que nous procure la connaissance
de ce plan, c'est de nous expliquer la présence de certains faits et discours dans un
contexte qui, primitivement, n'était pas le leur ;
par suite, d'autoriser l'exégèse à les
replacer dans leur véritable cadre historique. Supposons un fait arrivé à Jérusalem ou
sur le chemin de Jérusalem vers le début de la vie publique. Ce fait, l'évangéliste a
toujours la liberté de l'omettre. Mais, s'il l'insère, il devra le plier au plan quadri-
partite et le placer dans la section galiléenne. Un lecteur méprendranon averti se

sur la date de l'événement; si on est au courant du procédé évangélique, on com-


prendra que la pas toujours solidaire de la place qu'il occupe.
date d'un fait n'est

— Mais voici des exemples concrets empruntés à M. Levesque. « L'examen des cinq
grandes instructions du premier évangéliste, écrit-il, nous a révélé en chacune d'elles
des additions, rattachées au fond de ces discours, mais tirées de paroles que le
Sauveur a prononcées en d'autres circonstances... C'est que. étant donné le plan du
premier Évangile, saint Matthieu ne pouvait faire entrer ces enseignements complé-
mentaires qu'en les rattachant à des discours de la période galiléenne ou au grand
discours eschatologique de la dernière semaine. Toutes ces additions proviennent,
562 REVUE BIBLIQUE.

en de discours qui n'ont pas été prononcés en Galilée et qui sont antérieurs à
effet,

la dernière semaine passée à Jérusalem » (p. 300).


Pour préciser encore, étudions le Pater. Saint Matthieu le localise dans la section
galiléenne, au cours du sermon sur la montagne (vi, 9-13); saint Luc l'attribue à la
troisième section — Voyages de Jésus —
(xi, 1-4). Cette prière n aurait-elle pas été

enseignée deux fois, en des circonstances difTérentes ? C'était l'opinion préférée des

anciens interprètes, qui, à vrai dire, n'eu entrevoyaient guère d'autre. M. Levesque
n'estime plus cette hypothèse recevable. Le Pater n'a été prononcé qu'une fois, et il l'a

été, comme l'indique saint Luc, durant le premier voyage delà troisième section, en un
certain endroit, qui « pourrait bien être le mont des Oliviers sur le chemin de Béthanie
à Jérusalem » fp. 67). « Saint Matthieu, fidèle au plan quadripartite, ne trouvait pas
où placer ces leçons importantes sur la prière. Il les a tout simplement fait entrer
dans le sermon sur la montagne » (p. 69).

On aperçoit maintenant la métliode de M. Levesque. Appliquant ces mêmes pro-


cédés d'investigation à la troisième section de saint Luc (ix, 51-xix, 48), il y
discerne le récit, non pas d'un voyage unique, comme on l'a cru longtemps, mais
bien de trois voyages différents, marqués chacun par une reprise suggestive de la
narration : Or Jésus s'acheminait vers Jérusalem, ix. -îl ; xiii, 22; xvii. 11. Dans le

troisième voyage, saint I-.uc rejoint partiellement la narration de saint Matthieu et de


saint Marc; mais, dans les deux premiers, il n'a pas de synoptique-, ces chapitres
ix-xvii lui appartiennent en propre, ils sont de sa composition. « Le troisième évan-
géliste, dit M. Levesque, paraît y avoir placé tout ce qui s'est passé hors de la
nous
Galilée, antérieurement au dernier pèlerinage. Car ces chapitres ne peuvent se rap-
porter au même voyage, puisque deux fois on y aboutit au terme qui est Jérusalem.
Ils concernent donc deux voyages précédents. Pour les raconter, sans briser le plan
quadripartite consacré par la catéchèse, saint Luc a eu recours à un curieux procédé,
qui consistera à raconter les faits, mais en s'abstenant de donner les indications de
temps et de lieu, qui pourraient marquer trop ouvertement la présence de Jésus aux
environs de Jérusalem, ou à Jérusalem même, avant la dernière semaine » (p. 66).

Cette analysedu plan quadripartite témoigne d'une grande pénétration. Le recen-


seur se fait un de le reconnaître, M. Levesque a certainement
très agréable devoir
raison dans le fond et pour l'ensemble. Est-ce à dire que personne ne différera d'avis
sur les détails.' On risquera par exemple de trouver bien précise, trop précise, la
reconstitution chronologique et géographique de ces divers itinéraires, celle du
premier voyage en particulier (ix. ôl-xiii, 21). Elle nous est ainsi présentée.
Jésus se propose d'abord de traverser la Samarie. Rebuté à l'un des villages-fron-
tières, il revient sur ses pas dans la direction de Capharnaùm (x, 3-14); il passe par
la Pérée, arrive à Jéricho, où il prononce la parabole du bon Samaritain (x, 30),
monte jus(|u'à Béthanie (x, 38) et gagne enfin la Ville sainte. « Les incidents et les

enseignements des chapitres xi et xii ont leur situation marquée à Jérusalem plus
que partout Avec le chapitre xiii, nous voici de nouveau sur le
ailleurs » (p. 67).
chemin du retour (xiii, 1-.5). « Probablement faut-il assigner au retour de la Ville
sainte la guérison de la femme courbée depuis dix-huit ans (xiii, 10-17) et les deux
paraboles du sénevé et du levain (xrii, 18-21) » (pp. 71, 72).
Ces précisions, je le crains, risquent de laisser plus d'un lecteur sceptique. S'il est
avéré que saint Luc fait allusion à divers pèlerinages, qui nous assure qu'il a voulu
dresser pour chacun un carnet de route méthodique? S'il l'avait voulu, l'aurail-il
pu, étant donné le désintéressement professé par les compagnons de Jésus et la pre-
mière génération chrétienne pour les minuties de la chronologie? S'il l'avait pu, nous
RECENSIONS. ri63

aurait il présenté ces épisodes sous la forme chaotique qui les caractérise? Qu'on
relise le récit de ce premier voyage fix-xrri); on n'y relève pas une indication pré-
cise. Pour les données de lieu, passe encore, s'il est vrai que le plan de l'évangéliste
lui Imposait ces réticences systématiques. Mais cette raison n'est plus valable pour
les indications de temps. Et cette fois, il semble bien que, si l'évangéliste n'a pas
dressé au moins une chronologie relative, en disant par exemple ensuite, te soir, le
:

lendemain, quelques jours aprùs..., il mesure de le faire. Il se pourrait,


n'était pas en
après tout, que saint Luc ait visé à sauver de l'oubli moins des récits de voyages,
complets et bien ordonnés, que les épisodes notables des divins pèlerinages.
Dès
lors, sommes-nous certains que ces épisodes se sont passés dans l'ordre adopté par
le récit inspiré? Le plan quadripartite lui-même est ici impuissant à nous renseigner

et à dissiper nos doules. Le plan quadripartite peut justifier le transfert d'un mot
ou d'un acte dans une autre section il est impuissant, par lui-même, à Oxer le
;

cadre général d'un système chronologique.


A plus forte raison, sera-t-il impuissant à en régler les détails. M. Levesque croit
cependant pouvoir atteindre à ce résultat; il entreprend, par exemple, d'assigner à
chacun des voyages de saint Luc une date précise. Grâce à un calcul assez délicat
de dates et de faits, il fixe le premier voyage (Le, ix, 51) à la fête des Tabernacles,
en la deuxième année de la vie publique, et le second (Le, xiri, 22) à la même fête
de la troisième année...
Mais déjti, M. Levesque appelle ici au secours du plan quadripartite le second
principe sur lequel iffonde sa synopse, à savoir la valeur chronologique du quatrième
Évangile. L'ouvrage du savant professeur de Saint-Sulpice marque une vigoureuse
réaction contre V interprétation symboliste de saint Jean qui, du reste, « n'a eu que
l'éclat d'un feu follet » et qui « est actuellement à peu près abandonnée » (p. vu).
Non seulement M. Levesque regarde cet Evangile comme historique, mais encore —
et c'est ici la nouveauté de sa position — il le prend systématiquement comme
guide chronologique et géographique des trois premiers Évangiles, bien que, à
l'occasion, il recoure également aux synoptiques pour expliquer saint Jean. A vrai
dire, les exégètes catholiques ont toujours plus ou moins pratiqué ce procédé de
concordance, très commode en raison de sa simplicité ; mais M. Levesque est sans

doute le premier à lui donner ce relief et ce rôle prépondérant. « Un des buts du


IV» Évangile..., écrit-il dans la préface, est de nous apprendre à lire les synopti-

ques » (p. VIII). Ailleurs, il développe sa pensée : « Le récit synoptique était alors

(vers la fin du premier siècle) certainement connu de tous les fidèles. Avec sa divi-
sion quadripartite, simple et commode pour un enseignement élémentaire, on ne
pouvait suivre en détail un ordre complètement historique. On savait sans doute à
quoi s'en tenir, à l'origine, sur cette disposition. Mais à mesure qu'on s'éloignait des
événements..., on risquait fort de se méprendre à moins qu'un tciiinin autorisé ne
vint rectifier l'apparence du récit synoptique. Aussi en même temps qu'il cherchait à

appuyer son témoignage, en lui donnant un cadre réel, saint Jean était amené
par là même à expliquer et à compléter ses devanciers, '^e n'est pas, sans doute,
qu'il ait prétendu marquer toutes les fêtes juives auxquelles Jésus aurait assisté à
Jérusalem, ni qu'il ait voulu donner chacun des points de repère permettant de faire

concorder, en tout point, son récit avec celui des synoptiques. Non, ce n'est pas
pour satisfaire la curiosité des historiens qu'il a donné des indications chronologi-
ques. Il trace les grandes Hgnes et n'entre pas dans les détails. Il lui suffit de bien
établir ses propres récits et d'écarter l'objection qu'on aurait pu lui faire, en se pla-
çant au point de vue de la disposition synoptique. Mais ce quil foÂt nouî aide à
g64 REVUE BIBLIQUE.

mieux lire les trois premiers Évangiles et nous permet de faire entrer leur narration

dans son cadre » (pp. 81-83) (Ij.


Ces dernières paroles rendent bien la pensée de l'auteur. Il est persuadé que le
quatrième Évangile lui fournit un cadre, cadre d'histoire, surtout de chronologie
et de géographie. Ce cadre, il ne le discute pas; convaincu
de sa rigoureuse exacti-
tude, il l'établit, y fait entrer la narration des synoptiques. De
il le dispose et //

ce chef, il y a dans son ouvrage plus décent pages qui pourraient s'intituler De con-
sensu Evanrjelistarum, où le quatrième Évangile joue le beau rôle de trait d'union
et de conciliateur. On ne peut que renvoyer le lecteur à l'étude de ce chapitre

(pp. 91-206); on ici de signaler quelques points où les positions


se contentera
de M. Levesque soulèveront probablement certaines objections.

Telle est, par exemple, la durée du ministère de Notre-Seigneur. M. Levesque


n'ignore pas que, ces dernières années, la question a été reprise par divers exégètes
catholiques et que plusieurs d'entre eux se sont prononcés pour une durée de deux
ans et demi. Quant à lui, il se prononce résolument pour une durée de trois ans et
demi. La première raison qu'il en donne est que saint Jean mentionne ou suppose
quatre Pâques, ce qui porte à plus de trois ans la durée du ministère. Trois de ces
Pâques sont mentionnées expressément; la quatrième n'est que supposée. Non pas
que M. Levesque identifie avec la solennité pascale la fête de v, 1 (lopxr) twv. 'louoa-'ov,
sans article); il y voit plutôt la fête de la Dédicace. Mais, à son avis, nous sommes
déjà au cours de la seconde année, car un mot de ce discours Jlle erat lucerna ar- :

dens et lucens (v, 35) ferait allusion à la mort de saint Jean-Baptiste, laquelle « nous
rapporte à une période plus avancée du récit synoptique » (p. 113). Par là, se trouvent
exclues les dates de Pâques et de la Pentecôte, et nous arrivons « à la fête des Ta-
bernacles de la deuxième année » (p. 114).
Que ? On estimera peut-être que la base en est discu-
vaut cette première raison
table. Le mot de Jésus
nécessairement une oraison funèbre, et ne convient-il
est-il

pas au Précurseur emprisonné aussi bien qu'au Précurseur décapité? Il suppose la


(in du ministère de Jean, voilà tout; mais son ministère edectif s'acheva le jour où

il fut jeté dans les cachots d'Antipas. Ce fait dut se passer quelques mois seulement
après la première Pâque. — Mais, alors même que Jean-Baptiste aurait été déjà déca-
pité à l'époque de ce discours (Jo., v), il resterait encore à établir que cette page

du quatrième évangile est à sa vraie place chronologique entre la Pâque du


chap. II, 13 et celle du chap. vi, 5. Car enfin, pourquoi l'évangéliste, si lidèle à

nommer toutes les autres solennités, omet-il le nom de celle-là toute seule (v, 1)?
On a dit qu'il s'agissait des Purim et que saint Jean se faisait scrupule d'en parler,
parce que cette fête manquait de décence, ou que les lecteurs hellènes auraient été
choqués de ce vocable hébreu. Mais les Septante n'avaient ils pas déjà acclimaté
dans le monde judaïsant terme Phurim sous la forme <l»ooupa(? El la traduction
le
0'. y.lr^p'ji eût-elle plus effarouché les Grecs que îj ay.rivor:r,Y:a, traduction de Snh/ioih
ou Tabernacles ? Et puis, malgré le caractère légèrement carnavalesque de la solen-
nité, celle-ci avait des origines trop nationalistes pour que personne songeât à la

rayer de la série des réjouissances sacrées. — Bref, le silence gardé par saint Jean
sur le nom semble dû uniquement à l'état de sa mémoire. L'apôtre se
de la fête
souvenait du du discours et du lieu, mais les circonstances de temps s'étaient
fait,

effacées de son esprit, et il ne parlait plus que d'wne fête en général. Les exégètes
cherchent à deviner quelle était cette fête. Mais ce calcul, l'évangéliste aurait pu le

(1) c'est moi qui souligne.


RECENSIONS. 565

faire aussi bien que nous. S'il n'est pjs arrivé à un résultat, c'est que cela ne lui
était guère possible. Le mieux sera donc d'interpréter le fait eu lui-même, abstraction
faite du temps. En tout cas, il ne semble pas prudent de prendre la mention de

cette solennité imprécise comme l'un des jalons assurés d'une clironologie. Ceux qui
agissent ainsi supposent établi que saint Jean suit une chronologie rigoureuse. JN'y
a-t-il pas dans cette supposition l'appareuce au moins d'une pétition de principe.'

Les remarques qui précèdent ont surtout la portée d'un argument ad hominem,
pour montrer que l'épisode du chap. v a pu se passer soit après la première Pàque,
soit après la seconde, et même que la fête innomée pourrait s'identifier avec l'une

des solennités, Pâque, Tabernacles, Dédicace, mentionnées ailleurs par saint Jean.
La seconde raison alléguée par M. Levesque en faveur des trois ans et demi de
ministère est énoncée comme il suit : « Réduire à deux ans et demi la vie publique
de Jésus-Christ ne permet pas de trouver un temps de séjour en Galilée assez pro-
longé pour rendre raison du sentiment de la catéchèse primitive regardant celte
période comme la partie la plus considérable de son ministère » (p. 89). On pour- —
rait répondre que le sentiment des premières communautés où se forma la caté-

chèse avait quelque chose de relatif et de subjectif; on pourrait même renvoyer le


lecteur aux que M. Levesque fait valoir au premier
excellentes considérations
chapitre pour expliquer la formation de la catéchèse hiérosolymitaine les chré- :

tiens de la Ville sainte préféraient les discours et les miracles ayant eu un autre
théâtre; ces miracles convenaient mieux au but poursuivi; ces discours étaient plus
intelligibles, etc. —
Puis enfin, mieux vaut ne rien exagérer. M. Levesque pense
que, durant les huit ou neuf mois qui ont suivi la première Pàque, Jésus est resté « à
Jérusalem et en Judée ou sur les bords du Jourdain » (p. 88). A Jérusalem, il ne semble
pas que le séjour ait été très prolongé, le divin Maître ayant pu quitter la ville

après l'octave pascale. L'épisode du baptême en Judée ne requiert pas non plus un
long espace de temps (iv, 1, 2). Et, entre ces deux épisodes, se place une donnée
chronologique qui ne manque pas d'intérêt : « Après cela, Jésus et ses disciples vin-

rent en terre de Judée », [j.z-a Tau^a t,ÀO£v... (ni, 22). S'il vint en Judée, le diviu

Maître a pu venir de Galilée aussi bien que de Jérusalem. C'est dire qu'un séjour en
Galilée pourrait convenablement se placer entre la première Pâque et l'époque où
les disciples de Jésus administraient le baptême. Dès lors, nous
aurions de quoi

garnir un peu plus la période galiléenne du ministère.


Voici encore quelques faits particuliers, à propos desquels M. Levesque donne au
quatrième Évangile la préférence sur les synoptiques. L'épisode des vendeurs du

temple a déjà une littérature. Effectivement, il pose un cas des plus intéressants.

C'est un des rares faits qui soient racontés à la fois par les quatre Évangiles. Mais,

chose curieuse, tandis que saint Jean le place tout au début du ministère (ii, 12 ss.),

les trois synoptiques le relèguent à la fin, durant la semaine sainte. De là, des ques-

tions qui se posent depuis des siècles : Y a-t-il eu deux épisodes? S'il n'y en a eu

qu'un, à quelle date s'est-il passé, au commencement ou à la fin de la vie publi-

que? Jadis, on croyait généralement eu deux expulsions des vendeurs.


qu'il y avait

De nos jours, certains interprètes n'en admettent plus qu une. M. Levesque est de ce
nombre. « De tels événements, écrit-il, ne se passent pas deux fois avec les mêmes
particularités et les mêmes paroles » Mais, grâce à la prépondérance accordée à
.

saint Jean, il place l'épisode unique au début du ministère, à l'époque de la pre-


mière Pâque. « Un tel acte d'autorité, dit-il, se comprend au début de son minis-

tère... Trois ans plus tard, ses ennemis voulurent en tirer parti contre lui ; les té-

A trois ans de distance, on comprend ces oublis et ces con-


moins se contredirent.
366 RE\TJE BÎBIJQUE.

fusions, tandis que, dans le cas contraire, on s'expliquerait mal chez les ennemis si

peu d'attention et de mémoire » (p. 57). Ces raisons sembleront peut-être fragiles.
Les partisans des deux expulsions continueront sans doute à distinguer les deux épi-
sodes. Quant à ceux qui n'admettent qu'une seule expulsion, ils estimeront que,
pour brouiller les souvenirs d'un ramassis de témoins, d'une autorité et d'une mo-
ralité très discutables, il n'était pas besoin d'un intervalle de trois ans; il suffisait

de quelques jours ou de quelques beures. On peut se demander également si, à trois


ans de distance, de pareils témoins se fussent souvenus de ces paroles, et si, dans
tout le ministère de Jésus, on n'aurait pu relever à sa charge des faits plus acca-
blants. En outre, un tel épisode placé ostensiblement au début du ministère, dans
la capitale même, dans l'enceinte du temple, sous les yeux des prêtres jaloux, n'eût-
il pas attiré l'attention sur la messianité du Sauveur, au point de gêner le tranquille
développement de sa mission? Il n'y avait sans doute dans cet acte rien de spécifi-
quement messianique. n'en est pas moins vrai que les disciples y virent (Jo.,
Il ii,

17) l'accomplissement d'une prophétie messianique : Zelus Homus tux comedit me


(Ps. Lxix, 10; Vulg. Lxviii). Les prêtres étaient en mesure de faire la même appli-
cation. Us auraient pu aussi bien se rappeler la prophétie de Malachie annonçant que
le messager de lahvé viendrait purifier le temple (m, l ss.). Or, des intuitions pré-
maturées, de la part des pharisiens susceptibles et envieux, pouvaient avoir de fâ-

cheuses conséquences au point de vue messianique. C'est peut-être une rais'on de plus
pour préférer l'ordre chronologique des synoptiques à celui de saint Jean. Et, en dé-
finitive, s'il n'y a pas eu deux expulsions, le contexte des synoptiques semble plus
conforme à la réalité. C'est plutôt saint Jean qui a déplacé l'épisode, parce qu'il
faisait moins attention à serrer de près sa chronologie qu'à mettre en relief la valeur
juridique d'un témoignage.
Une difficulté non moins célèbre, c'est celle de saint Jean-Baptiste baptisant le

Sauveur. Pourquoi le Précurseur hésitait-il à lui baptême (Mt., m, 14),


conférer le

puisque, d'après Jo., i, 31, il ne le connaissait pas encore? M. Levesque propose une
solution nouvelle. « D'après saint Matthieu (m, 6) et saint Marc (i, .5), écrit-il, les
juifs qui baptême de pénitence confessaient leurs péchés. En se dis-
demandaient le

posant à recevoir le même baptême, Jésus a donc dû faire une confession, non certes
de ses propres péchés (puisqu'il était... sans péché), mais une confession en rapport
avec sa mission... En se présentant devant le Baptiste, chargé des péchés de son
peuple, .lésus dut sans doute rappeler quelques passages du serviteur de Jahveh
(Is., LU, 13-Liii), comme ceux-ci : « Le serviteur de Jahveh pour justifier la multi-
tude se charge de leurs iniquités. Dieu a fait tomber sur lui l'iniquité de nous tous.
Il se résigne comme Vafjneau conduit à la boucherie... » Une confession d'un tel
caractère fit comprendre à Jean-Baptiste que le Saint de Dieu était devant lui »

(pp. 93-95). — Seulement, si Jean-Baptiste comprit ainsi les choses, d'autres aussi
durent les entendre de même; et alors, c'en serait fait de l'économie du secret mes-
sianique... — N'ayant pas de péchés personnels à confesser, Jésus ne fit sans doute
pas de confession. Tout monde n'en faisait pas; en
le faisait qui voulait et dans la
mesure qu'il voulait. Comment donc Jean connut-il Jésus (Mt.^? Plusieurs Pères
ont supposé qu'il le connaissait déjà, et la chose n'est pas tout à fait improbable.
A défaut de la connaissance naturelle, resterait toujours Vinstinct surnaturel, sup-
posé également par un très grand nombre d'auteurs. Mais alors, conmient le
quatrième Evangéliste dit-il que Jean ne le connaissait }yisy Je répondrais ; Il ne le
connaissait pas juridiquement ; il n'avait pas de sa connaissance une preuve, im
urgumenl juridique, de nature à constituer un témoignage. Quelques instants après,
RECENSIONS. ">07

la descente du Saint-Esprit lui fournissait le témoignage souhaité, « et j'ai vu, et j'ai

témoigné que celui-là est le Fils de Dieu » (ï, 34). Le recenseur se réserve de développer
cette solution dans une vie de saint Jean-Baptiste qui attend, pour paraître, des
jours meilleurs. Ici encore, c'est donc le souci juridique qui l'emporte, dans le qua-
trième Evangile, sur la préoccupation chronologique.
Pour ne pas allonger démesurément ces notes, je ne signalerai qu'une autre har-
monisation du plus haut intérêt. Il s'agit du jour de la dernière Cène. Jésus a-t-il fait

son dernier repas le 13 nisan, comme semble le dire saint Jean, ou le 14, comme
paraissent l'indiquer les synoptiques.' On ne sera pas étonné de voir M. Levesque
donner encore la préférence au quatrième Évangile. A son avis, le divin Maître a
anticipé la Pàque; il l'a mangée le soir du 13 (commencement du 14, selon la manière
juive de compter les jours), et il est mort le 14, quelques heures avant la manduca-
tion de la Pàque légale.
Cette solution paraît séduisante, tant qu'on s'en tient au quatrième Evangile.
L'embarras commence dès qu'on s'eflbrce de ramener les synoptiques à la chrono-
logie de saint Jean. Voici d'abord la première difficulté qui se présente à l'esprit.
Les synoptiques racontent que les préparatifs de la Pâque se firent le premier
jour des azymes, c'est-à-dire le 14 nisan. Ces préparatifs n'arrivent-ils pas trop
tard, si le Maître a déjà mangé la Pâque
du 13? M. Leves-
la veille au soir, le soir

que essaie de tourner la difficulté en disant que le 14 commençait en réalité le soir


du 13, ce qui est exact, Il poursuit Jésus « avait passé toute la journée du 13 sans
:

manifester ses intentions au sujet de la Pâque. Vers l'heure habituelle du repas du


soir, lorsque, le jour tombant, commençait le 14 nisan, les apôtres lui demandèrent

enfin où il voulait qu'on lui préparât la Pâque. Sans doute... ne comptaient-ils


s'asseoir à la table pascale que le soir suivant » (p. 165). C'est alors que les événements
se précipitent. Jésus envoie Pierre et Jean vers un de ses disciples secrets, avec ce
message — c'est la traduction de M. Levesque — : Le temps presse pour moi, je
vais faire la Vaque che:- toi avec mes disciples. Les apôtres comprennent alors, on
hâte les préparatifs, et, le soir même, « Jésus prit avec ses disciples son dernier
repas, sa dernière Pâque » (pp. 166, 167).
Mais le repas ne fut-il pas bien précipité? Le soir du 13, à la tombée de la nuit, il
n'y avait rien de fait. Soudain, il faut tout préparer, et ce sont deux apôtres, Pierre
et Jean (Le, xxii, 8), qui doivent se charger de tous les préparatifs. Je ne parle pas
du Cénacle qui pouvait se trouver en état; mais il fallait tuer l'agneau et le rôtir, il

fallait préparer les azymes, le haroseth et autres condiments. Si les deux apôtres
délégués n'ont commencé leur besogne qu'au début de la nuit, les convives n'ont pu
se mettre à table qu'à une heure assez avancée (1), et tout se trouve à l'étroit dans
un espace de temps très limité le repas, la Cène, l'action de grâces, les discours,
:

le trajet du Cénacle à Gethsémani, et la très longue agonie du divin Maître. Vrai-

ment, le temps moral semble manquer pour faire toutes ces choses avec le calme, la
dignité et la perfection convenables.
On remarquera en outre que les synoptiques mettent un certain intervalle entre
les préparatifs et le repas. Le soir venu, disent saint Matthieu et saint Luc, Jésus se

mit à table avec les douze, à<\loi<; y£vop.6vri?. Le soir, ô<l(a, c'est la première veille de
la nuit, et ce sont aussi les premières heures du jour légal. Mais, si l'on se met à table

Les évangélistes disent qu'on se mit à table le soir venu, ô'^taç Sa 'y£vo[A£VYi<; (Mt., xxvi, 36;
(1)
Me, XIV, il), a l'heure accoutumée (Le, xxii, 14). Ces données sont-elles compatibles avec le
retard postulé par le système en question? Quelque diligence qu'aient laite les apôtres, purent-
ils commencer le repas pendant la o^'îa, ou première veille de la nuit?
S68 REVUE BIBLIQUE.

le soir venu, c'est donc que les préparatifs ont été faits avant cette heure-là. C'est
comme si nous disions on ût les préparatifs au jour marqué, et, le lendemain^ on
:

se mit à table.
Enfin, qu'on veuille bien me permettre de faire observer que la traduction : Le
temps presse pour moi ne semble pas rendre avec exactitude les mots ô zaïpo; [j.ou
èyyjç êa-tv, qui signifient mo7i temps est proche, mon heure est proche. Rien dans
:

cette phrase qui équivaille à un désir A'anticiper la Pâque.


On le voit, M. Levesque résout l'énantiophanie pascale en ramenant les synopti-
ques à saint Jean, en replaçant les premiers dans le cadre chronologique du
dernier. Je n'oserais prédire à ce système une meilleure destinée qu'à tant d'autres
hypothèses du même genre. Sans doute n'a-t-on pas encore trouvé de solution
entièrement satisfaisante. La trouvera-t-on jamais? Il faudra du moins se souvenir
que les synoptiques et saint Jean se sont placés à deux points de vue différents : les

synoptiques ont eu à cœur de nous montrer que Jésus a mangé l'agneau pascal, et
saint Jean que cet agneau pascal, c'était Jésus lui-même. Tous les quatre font de
l'histoire, mais ils ne la conçoivent ni ne l'écrivent de la même manière.
Les observations qui précèdent feront toucher du doigt ce qui paraît être le
point faible du système, très solide dans l'ensemble, élaboré par M. Levesque. Le
docte professeur a beaucoup de confiance en la chronolofjie de saint Jean, confiance
qui, à l'épreuve, semble infirmée par les faits. Du reste, qu'on ne se méprenne
pas sur ma pensée. Je dis avec M. Levesque que le quatrième Evangile est un récit
historique, tout comme les synoptiques, et je m'associe au requiescai in pace que,
en passant, il prononce sur la tombe de Vinterprélat km symbolique. Je ne dis pas

non plus que la chronologie fasse défaut à saint Jean. Maissemble qu'on ne il

puisse prendre pour de la chronologie tout ce qui en a l'apparence. Il semble que,


dans l'esprit du quatrième évangéliste, le souci de mettre chaque fait à sa place
matérielle, ne soit pas toujours prédominant, et que d'autres préoccupations vien-
nent parfois se mêler à celle-là, ou même prendre le pas sur elle, par exemple le
souci juridique de mettre en relief des témoif/nages. Conception très haute, très
historique aussi à sa manière, mais dont l'exégète doit tenir compte, et dont il doit
prévoir les conséquences.
En somme, ne peut-on s'aider du quatrième Évangile pour organiser, sous forme
d'histoire suivie, les matériaux amassés par les synoptiques? Oui, certes. Mais je ne
crois pas qu'on puisse indistinctement le prendre pour guide en fait de chronologie,
de géographie, partant, en fait d'histoire.

La synopse que nous promet M. Levesque ne ressemblera pas à celle de son


confrère, M. Brassac, qui juxtapose simplement le quatrième Évangile aux trois
synoptiques, sans proposer un essai de combinaison. Dans la synopse de M. Leves-
que, saint Jean sera intimement mêlé aux synoptiques; il servira de fil conducteur
pour débrouiller leur chronologie confuse et dater leurs péricopes incertaines.
Encore une fois, il y a du bon, du très bon dans ce système. Faisons des vœux seu-
lement pour que cette « concorde » soit, dans la mesure du possible, dégagée de
quelques hypothèses plus caduques, afin que, dans le futur édifice, tous les élé-
ments soient de première qualité.
toiilarabic.

Denis Buzv S. C. J.
RECENSIONS. -109

Christ's Teaching concerning Divorce in the New Testament, an exege-


tical stiidy by Rev. Francis E. Gigot, I). I).. prolessor of Sacred Scripture in St.
Josepii's Seniinai-y, Youkers, N. Y., in-8'^ de 282 pp. New York, Cincinnati, Chi-
cago, Benziger Brothers, 1912.

Monsieur l'abbé auteur d'une excellente Introduction à l'Ecriture


b'v. Gigot,
Sainte (l), revient sur l'épineuse question du divorce dans le Nouveau Testament. 11
a réuni dans un beau volume et considérablement augmenté des études publiées
jadis sur ce sujet dans la New
Tant de solutions ont été proposées
Yo)'k Itcview.

pour résoudre le problème de l'harmonie des textes, que l'on aborde avec un cer-
tain scepticisme tout nouvel essai, —
mais, malgré tout, ces essais intéressent tou-
jours à cause de la difficulté même.
Le volume de M. Gigot se présente élégamment dans la reliure toile bleu foncé
de Vlntroduclion. Comme l'Introduction, cette étude est remarquable par la clarté
de l'exposition et par l'examen minutieux des textes bibliques. Malheureusement on
n'y trouve pas la même sobriété; ici les répétitions sont vraiment trop fréquentes,
c'est ainsique cette monographie a atteint près de 300 pages, alors que l'auteur n'a
envisagé que le côté biblique du problème. Ce défaut doit être attribué, croyons-
nous, à l'origine du volume. Le côté patristique a été examiné avec grand soin par
M. Max Dernier (2) dont le nom ne figure pas dans la bibliographie de M. Gigot.
La question, nous le répétons, est une des plus difficiles du N. T. le Gard. Caje- ;

tan dans le commentaire sur saint Matthieu, et même son implacable censeur
A. Catharini Politi, dans ses Aunotntiones in comin. Cojetani (3), ont admis que
d'après les textes de saint Matthieu, Notre-Seigneur avait permis le divorce avec
second mariage darfs le cas d'infidélité de la femme. C'est la doctrine des Éghses
orientales séparées et des différentes sectes protestantes; tandis que l'Eglise catho-
lique enseigne, comme étant la doctrine évangélique et apostolique, l'indissolubilité
absolue du lien conjugal (4). Tel a été aussi, conclut M. Denner (5), l'enseignement

de l'immense majorité des anciens exégèles, qui ont interprété les textes difficiles de
saint Matthieu à la lumière des textes clairs de Marc, Luc et Paul.
Dans l'A. T., Moïse avait toléré le divorce en.le soumettant à certaines formalités :

« Lorsqu'un homme aura pris une femme et l'aura épousée, si elle vient à ne pas

trouver grâce à ses yeux, parce qu'il a découvert en elle quelque chose de repous-
sant (nn niTi?), il écrira pour elle une lettre de divorce, et, après la lui avoir remise

en main, il la renverra dans sa maison. Une fois sortie de chez lui, elle s'en ira et
pourra devenir la femme d'un autre homme. Mais si ce second mari la prend en
aversion, lui écrit une lettre et que, la lui ayant remise en main, il la renvoie de sa
maison-, ou bien si ce second mari qui l'a prise pour femme vient à mourir, alors le

premier mari, qui l'a renvoyée, ne pourra pas la reprendre pour femme après quelle

a été souillée, car c'est une abomination devant Jéhovah, et tu n'engageras pas dans
le péché le pays que Jéhovah, ton Dieu, te donne pour héritage. » Beul. 24,
M
(trad. Crampon).
Cette loi suppose l'usage de la répudiation et n'en est cerlaiuement pas la défense

(1) Cf. RB.y niOi, p. 150; 1907, p. 286.


(2) Die Ehescheiduncj im Neuen Testcmente. Die Auslegung der neutestamentlichen Schrifttexte
iiber die Ehesclieidung; bai den Vatern. — Pader))orn, Scliôninsh. 1910.

(3) 1-ugduni, 1542, pp. 500-510.


(4) Conc. de Trente, Sess. XXIV, can. 7. — Sur ce décret voir A. Vacant dans lo Dict. de Thcol.
cath., t. I, col. 498 sv.
(5) Op. laud., p. 161.
RU;Vb'E BIBLIQUE 1918. — N. S., T. XV. 37
J370 REVUE BIBLIQUE.
t

— quoi que dise M. Gigot. Moïse la tolère et y pose trois conditions l'homme doit :

coDsi^ner à la femme renvoyée un acte de répudiation {libellus repudii); défense lui


est faite de reprendre cette femme après qu'elle a connu un autre homme; enfin il
faut une raison suffisante au renvoi, cette raison est exprimée par les mots riTO

'\y^ littéralement, nudité de quelque chose, euphémisme pour impudicité, probable-


ment adultère (1).

Sur le sens des deux premières conditions il n'y a pas de difficulté : l'acte de
divorce garantissait la liberté de la femme, la défense de la reprendre fermait la

porte aux récriminations de regrets tardifs. Ces deux conditions invitaient le mari à
bien réfléchir avant de répudier sa compagne.
Mais les mots "in T\T\'j ne sont pas clairs. D'où les discussions. Schammaï
(i^'' s. av. J.-C.) les entendit de l'infidélité conjugale, et c'est probablement le sens du
législateur ;
Hillel au contraire, vers la même époque, les entendit dans un sens
beaucoup plus large : un dîner mal préparé, la rencontre d'une femme plus belle, et

voilà l'épouse à la porte (2). Entre les écoles rivales des deux fameux rabbins la dis-

cussion était toujours fort animée sur ce point très pratique, et la question va être
soumise à Jésus.

Qu'est-ce que Jésus a enseigné sur ce point?


Le désaccord entre l'Église catholique d'une part et les Églises Orientales et les
sectes protestantes de l'autre provient des textes de saint Matthieu.
Avant d'exposer la solution de M. Gigot, nous croyons qu'il sera utile de bien
déterminer d'abord l'état de la question en mettant sous les yeux du lecteur les
principaux textes du N. T. se rapportant à notre sujet. Ces textes sont les suivants :

Matth. 5, 31-32-, 19, 3-9; Me. 10, 2-12; Le. 16, 18; I Cor. 7,*10-12, 39.
Le premier témoignage eu date est cehii de saint Paul dans la première ép. aux
Corinthiens, vers 54. Nous plaçons ensuite saint Marc avant saint Matthieu. Celui-ci,
il est vrai, a composé le premier recueil des
discours et gestes du Christ, c'est le —
mieux attesté de la tradition néo-testamentaire mais il a écrit patrio, hebraeo
fait le ;

sennone, et nous n'avons plus cet original. Or la version grecque actuelle de Mat-
thieu semble avoir été faite sous l'influence et à l'aide du deuxième évangile; cette
liypothèse est assez généralement admise aujourd'hui même chez les catholiques.

D'après la Commission Biblique il suffit de sauvegarder l'identité substantielle entre

le Matthieu araméen et la version grecque actuelle (3).

Saint Paul connaît la loi de Jésus, et les chrétiens de Corinthe aussi: ils savent
que Jésus enseigné l'indissolubilité du lien conjugal. IMais cet idéal a bientôt subi
a

l'épreuve de la vie réelle très imparfaite. Un frère a répudié son épouse. Que doit
faire la femme? Saint Paul répond « Quant aux personnes mariées, j'ordonne, non
:

pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari; — si elle

en est séparée, qu'elle reste sans se marier ou qu'elle se réconcilie avec son mari;
pareillement que le mari ne répudie point sa femme... La femme est liée aussi

(1) Ou objecte que la peine de mort est portée contre les


adultères (I.ev. 20, lO; Ueut. 22, 22).
Nous sommes enclin à croire que cette sentence extrrme n'atteint que les adultères pris en
flagrant délit, cf. Ueut. 22, 22; c'est bien le cas de Suzanne (Dan. 13) et de la femme adultère
du quatrième évangile (8, 'i-o). La même distinction se retrouve dans le Code de llammourabi
dans les paragraidiès 12!) et 131 au % 129 il est exiiresscnienl question du cas de llagranl délit,
;

alors • on les liera et jettera à l'eau »; au 131 au contraire il ne s'agit que d'une accusation
'J

d'adultère et le délit est expressément nie, alo'rs la femme - jurera par le nom de Dieu, et elle
relouriura à sa maison » (trad. V. Scheil).
(2). Cf. 8ciiin;i.K, Gcscliichle..., M (4" éd.', pp. inc-'i".
(3) Cl. décrets delà Com. Diblique, 20 juin l'.Ml et 1912, dubium V.
lŒCENSIONS. ail

longtemps que vit son mari; si le mari vient à mourir, elle est libre de se remarier
à qui elle voudra. » I Cor. 7, 10-11, 39.
Loi générale personnes mariées doivent vivre sous le même toit; la femme
: les

ne peut pas quitter son mari, et le mari ne peut pas répudier son épouse.
Mais si une femme a été renvoyée par son mari, que faire? Ce cas semble s'être
présenté à Corinthe-, il fallait donc trouver et appliquer ici une solution dans le sens
de la doctrine du Christ.
Dans ce cas, répond saint Paul, que la femme se réconcilie avec son mari, ou
qu'elle reste sans se marier. Voilà bien la simple sepamtio ihori, séparation de
corps et de biens; tandis que
le divorce au sens complet du mot, suivi de mariage,

est absolument défendu. La femme est liée tant que vit son mari... C'est là le pré-
cepte du Seigneur et non le mien, remarque saint Paul; il savait bien qu'une
pareille rigueur allait effrayer les convertis de Corinthe.
Les textes de Marc 10, 2-12 et de Matthieu 19, 3-0 sont parallèles; nous
y
entendons l'enseignement direct de Jésus. Ayant appris sa sévérité sur ce point, les
Pharisiens viennent lui demander
un homme de répudier sa femme;
s'il est permis à
ils attendent une réponse négative et espèrent ainsi le mettre en opposition mani-
feste avec IMoïse. Mais Jésus en appelle de la loi de Moïse au plan primitif du Créa-

teur; il en appelle de Moïse narrant le fait de la création, à Moïse tolérant le


divorce des Israélites à cause de la dureté de leurs cœurs. Les Pharisiens voulurent
opposer Jésus à Moïse; Jésus au contraire oppose les Pharisiens à Moïse et au Créa-
teur. — Nous transcrivons ici ces deux textes d'après la traduction de Crampon :

Marc 10, 2-12 Matlh. 19, 3-9.


2.—Les Pharisiens l'ayant abordé lui deman- 3. —
Alors les Pharisiens l'abordèrent pour
dèreot s'il était permis à un mari de répudier le tenter; ils lui dirent : « Est-il permis à un
sa femme c'était pour le mettre à l'épreuve,
: homme de répudier sa femme pour quelque
3. —
Il leur répondit « Que vous a ordonné
: motif que ce soit ? »
Moïse? » 4. — Il leur répondit • N'avez-vous pas lu
:

i. —Ils dirent Moïse a permis de dresser


: .< que le Créateur, au commencement, « fit un
un acte de divorce et de répudier. •> « homme et une femme, et qu'il dit: o. — A
5. —
Jésus leur répondit « C'est à cause de : « cause de cela, l'homme quittera son père et
la dureté de votre cœur qu'il vous a donné < sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils de-

cette loi. G. —
Mais au commencement de la « viendront les deux unesnule chair » (Gen.
1,
création « Dieu fit un homme et une femme. '27; 2, 24). 6. —
Ainsi ils ne sont plus deux,
« 7. —A cause de cela, l'homme quittera son mais une seule chair. Que l'Iiomitre ne séjjare
« père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et donc jjas ce que Dieu a uni. •
« les deux ne feront qu'une seule chair • (Gen. 7. — Pourquoi donc, lui dirent-ils. Moïse
.<

1, 27; 2, 2i). 8. —
Ainsi ils ne sont plus deux, a-t-il prescrit de donner un acte de divorce et
mais ils sont une seule chair. 9. Que l'hom- — de renvoyer la femme? »
me donc ne sépare pas ce que Dieu a uni. » 8. —Il leur répondit « C'est à cause de la
:

10. —Lorsqu'ils furent dans la maison, ses dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis
disciples l'inlerrosérenl encore sur ne sujet, de répudier vos femmes au commencement
:

et il leur dit H. : —
« Quicon([ue répudie sa il n'en était pas ainsi.— •). Mais je vous le dis,

femme et eu épouse une autre, commet un celui qui renvoie sa femme, si ce n'est pour
adultère à l'égard de la première. impudicité, et en épouse une autre, commet un
12. —
Et si une femme répudie son mari et adultère; et celui qui épouse une femme ren-
en épouse un autre, elle se rend adultère. > voyée, se rend adultère. »

A côté de l'identité du fond, deux différences sont à noter entic ces textes paral-
lèles. D'abord dans la question : d'après saint Marc, les Pharisiens demandent en
général s'il est permis à un homme de répudier sa femme; cette question ferait sup-
poser que les Pharisiens avaient en vent de la rigueur de Jésus, et qu'ils voulaient
le mettre publiquement en contradiction avec Moïse; — d'après saint Matthieu au
contraire les Pharisiens demandent si cela est permis pour n'importe quelle raison ;

cette question-ci fait manifestement allusion à la discussion agitée entre les écoles
5572 REVUE BIBLIQUE.

d'Hillel et de Schammaï. Or les Juifs ne Houtent pas de la légitimité du divorce;


Moïse, nous l'avons vu, le tolère; ils discutent seulement sur le motif qui doit le
se place immédiatement
légitimer. Jésus fait abstraction de cette querelle d'école et
au-dessus de Moïse de la loi mosaïque il en appelle au plan primitif du Créateur
:

pour enseigner l'indissolubilité absolue du lien conjugal...

A la venons de noter dans la question des Pharisiens, corres-


différence que nous
pond une seconde différence dans la réponse du Maître; tandis que, d'après saint
Marc, il défend en termes catégoriques le second mariage des époux divorcés, d'a-
près saint Matthieu, au contraire, il semble excepter le cas d'adultère; l'adultère,
comme la mort, briserait le lien conjugal « Celui qui renvoie sa femme, si ce n'est :

pour impudicité, en épouse une autre, commet un adultère... »


et donc, si quel- —
qu'un renvoie sa femme en cas d'impudicité et en épouse une autre, il ne commet
pas d'adultère. La conclusion semble évidente. Jésus opterait pour la sentence de
Schammaï. Mais c'est là précisément la condamnation de celte exégèse : car la Loi

rentrerait par elle dans l'Évangile, et y aurait contradiction manifeste non seule-
il

ment avec les textes cités de saint Paul et de saint Marc, mais avec le contexte même
de saint Matthieu car le raisonnement de Jésus, en appelant de Moïse au Créateur,
:

aboutit nécessairement à l'indissolubilité du mariage. Cependant la difficulté du


texte précité de saint Matthieu reste entière et demande une solution directe.
Nous rencontrons la même difficulté dans le recueil des logia du Seigneur, qu'est
le discours sur la montagne selon saint Matthieu « Il a été dit aussi « Quiconque : :

« renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de divorce. » Et moi, je vous dis Qui- :

conque renvoie sa femme, hors le cas d'impudicitr, la rend adultère; et quiconque


épouse la femme renvoyée, commet un adultère. » Matth. 5. 31-32.
Avec ce comparez Luc 16, 18, qui semble parallèle, et où est enseignée l'in-
texte
dissolubilité absolue « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, com-
:

met un adultère; et quiconque épouse la femme renvoyée par son mari, commet un
adultère. »

Nous avons donc :

I Cor. 7, 10-11, 39 : séparation de corps et de biens;


Me. 10, 2-12 = Matth. 19, 3-9 : te.xte historique ;

Luc. 16, 18 = Matth. 5, 31-32 : logion.

Nous avons déjà indiqué la difficulté des textes de Matthieu. Le Cardinal Caje-
tan la fait bien ressortir quand il écrit dans son commentaire de saint Matthieu,
chap. V : Contextus invitât ad intelligendum de dimissione totali quoniam de :

illa constat legem loqui, dicentem, qui dimiserit uxorem det illi libellum repudii :

et illam corrigit ad litteram Jésus : excepta fornicalionis causa. Lex vêtus latum
reliquit campum causis dimittendi uxorem : Jésus restringit adeo, ut solam causam
fornicationis cxcipiat... Hic est planus litterae sensus. Le P. Corluy écrit de même :

Fatendum est seiisum obvium Matthaei, si solus esset, favere scnteutiae... Graecorum
et Protestantium(l).
Comment résoudre cette difficulté?
D'après .S. Jérûme (,2) l'exception ne permet que le divorce incomplet. Nidius

(1 Spicilcfiium dMjmutic.obUdicum, II. p. WS.


(a) In .S. Mutth. xi"\, il; /'. L., '2(i, col. IK».
IIKCKNSIONS. 573

pateret divortlis aditus, nisi causa, écrit Dom Calinet, in qua


una excepta adulterii
tamen a quidem secedere integrum esset, a conjugio non esset (1).
thoro
D'après 5. Augustin (2) au contraire il n'y a pas même d'exception... Quand
N.-S. dit « Quiconque renvoie sa femme, si ce n'est pour impudicité... » il refuse
:

tout simplement de considérer le cas de divorce pour cause d'adultère... Le Cardinal


Bellarmin a trouvé pour cette solution une bonne distinction scolastique Optima :

est S. Augustin! (respoasio) ubi docet S. Matlbaeum vel potius Dominum apud Mat-
thaeum accepisse illud : AV.s;' oh fornicntionein, négative, non exceptlve... (:i;. Et
Théod. Zahn, qui ne craint jamais ni les opinions anciennes ni les opinions singu-
lières, écrit de même
Audi hier (Matth. X[X) wie 5, 32, nimmt Jésus den Fall des
:

durch UnzuchtdesWeibes erfolgten tatsiichliclien Bruclis der Elie, von seinem Urteil
auss, ohne zu sagen, was zu geschehen habe und zu urteilen sei (4).
in diesem Fall
Plus subtile encore est la solution de 5. Thomas. Dans cette phrase « Quiconque :

renvoie sa femme, si ce n'est pour impudicité, et en épouse une autre... », l'excep-


tion n'alfecte que le verbe précédent « exceptio illa quse est in verbis Domini, :
,

refertur ad dimissionem uxoris(.5) ». Cette opinion est admise par M. Lesêtre dans
le Dict. de la Bible : « Saint Matthieu serait en contradiction formelle avec eux
(saint Marc, saint Luc et saint Paul) si l'incise {excepta foraicationis causa) portait

à la fois sur les deux verbes : dmiserit et duxerit, ce qui signifierait que l'infidélitô

conjugale est le seul cas autorisant le divorce et le second mariage... .Mais la con-
tradiction disparaît si l'efTet de l'incise est restreint au premier verbe. Le sens est
alors : « Celui qui renverra sa femme (ce qui n'est permis qu'en cas de fornication)
et qui en épousera une autre, commet l'adultère (6j. »
Ces solutions multiples, — ou, si l'on veut, ces variations apologétiques prouvent
déjà par leur variété seule l'insuffisance de l'une ou de l'autre réponse en particu-
lier : chacune d'elles est possible, il est vrai ; mais aucune n'est pleinement convain-
cante. Contre celle de saint Jérôme, on fait remarquer qu'elle interprète des paroles
adressées aux Juifs avec la mentalité chrétienne. Jamais les Juifs n'auraient pu com-
prendre que la répudiation de la femme avait pour conséquence le célibat forcé, puis-
qu'ils pratiquaient licitement la polygamie. P'ailleurs il doit y avoir rapport entre
la question et la réponse. Or les Juifs interrogent Jésus sur le divorce complet, cela
est évident; la réponse de Jésus doit donc porter sur le divorce complet : si cette
réponse permet de renvoyer !a femme dans le cas d'adultère, elle permet de con-
voler à d'autres noces. — Dans la solution de saint Augustin on suppose gratuite-
ment que l'exception affecte l'intention — occulte — de celui qui parle, et non
l'objet ou l'action dont il est parlé. Au lieu de lire : celui qui renvoie sa femme., si
ce n'est en cas d'adultère, etc.; on lit : celui qui renvoie sa femme, j'excepte on je
ne considère pas le cas d'adultère... — Enfin contre la solution de saint Thomas,
admise par les deux Dict. de la Bible et de Théol. cath., on fait valoir une subtilité.

Cette solution dit donc que dans cette phrase : qui diiniserit ux. suam, excepta
fornic. causa, et aliam duxerit, l'incise exceptive ne porte que sur le premier verbe;
— on fait remarquer au contraire que si elle porte sur le p.cuiier verbe, elle porte
ipso facto sur le second dont le sujet complet est : celui qui renvoie sa femme en

(1) Comment, litt. in S. Script., t. F, p. ii . Dissertatio de divortiis, p. 366 (trad. Mansi, Lucae,
1730).
(2) De conjugiis adullerinis ad Pollenlivm. c. ix P. L., 40, col. 437. ;

(3) De Matfimonio, 1. I, cap. \\i (éd. Col. Agripp., 111, col. 1356-13o7).
(4) Das Evangelium des Matthàus (3), Leipzig, 1910, p. 588-389.
(5) IV Sent. dist. \xxv.
(6) D. B. V., II, Divorce, coi. 1448; item Dict. Tti. cath., I, col. 473.
574 . REVUE BIBUQUE.

dehors du cas d'adultère... Cette solution de saint ïliomas est cependant la plus pro-

bable; nous y revenons plus loin.


Puisque la doctrine de l'indissolubilité absolue est sûre (rappelons-nous les textes
de saint Paul, de saint Marc et de saint Luc); puisque d'autre part il faut interpré-
lumière des textes clairs, nous revendiquons pour ces dif-
ter les textes obscurs à la
férentes solutions une valeur apologétique relative, tant qu'on n'aura pas trouvé une
solution meilleure.
M. Gigot ne souffle pas mot de ces solutions traditionnelles. Celle qu'il propose
peut cependant se ramener à la première. Il va même plus loin que saint Jérôme,
puisqu'il introduit le divorce incomplet ou séparation de corps et de biens jusque
dans la loi du Deutéronome, et c'est en partant de ce principe qu'il conclut au
divorce incomplet dans les textes de saint Mattbieu.
Jésus, dit M. Gigot, se prononce contre le divorce, mais non contre Moïse (p. 17);
il met sa loi, non pas au-dessus de la loi de Moïse, mais au-dessus de ses interpré-
tations pharisaïques. Moïse en effet n'est pas moins opposé au divorce complet que
Jésus, puisqu'il qualifie l'union avec un (lutre homme une souillure adultère (an
adulterous défilement) et une véritable abomination devant .Tahveh (p. 18). Jésus
ramène donc ses auditeurs au vrai sens de la loi mosaïque ; il affirme que cette loi
ne tolérait que la séparation de corps et de biens, et cela seulement dans le cas
d'adultère (p. 28 sv.). Dans les paroles de Jésus, rapportées par Matthieu, il ne peut
donc aussi être question que de divorce incomplet.
Voilà donc le point de vue de M. Gigot... A notre avis il prouve vraiment trop,
or qui nimis prohat, nlldl probat; et a priori il est bien dangereux, pour un
apologiste catholique, de s'appuyer sur des principes qui ne sont admis ni par les
catholiques ni par les protestants. Car nous croyons que M. Gigot est absolument
le seul à voir dans la loi du Deut. 24, 1-4 une défense du divorce complet. Pour
prouver cette thèse il invoque deux arguments 1. Le second mari est toujours
:

appelé kl'ix (homme), pinxn t;\sn {l'autre homme) ; seul le premier est appelé et

reste rh'J'l (v. 4) : le maître ou mari de cette femme (pp. 173 et 267); — 2. Le
mariage avec cet autre homme est expressément appelé une souillure (v. 4) : an
adidterous défilement, traduit M. Gigot, qui ajoute au texte l'adultère.
Ces arguments ne nous semblent pas concluants : - 1. Le mot tjix peut désigner
un mari légitime aussi bien que S"2; un seul exemple suffira ici : au Lév. 21, 7

défense est faite aux lévites d'épouser une femme séparée de son homme, c'est-à-dire
de .son mari (nUJ''iXp nu?n5). D'ailleurs le mot ^'J2 maUre n'est pas plus un terme :

technique pour désigner le mari que le mot uJ'iN homme, comme le montre claire- :

ment le texte même du Deut. 24, 1-4 où le ba'al est déterminé par l'adjectif prc-
mier, et le 'isch par l'adjectif autre ou second donc premier et second mari; c'est
:

bien la traduction de Crampon. — 2. Le second argument ne nous semble pas plus

fort. Les mots : après qu'elle a été souillée (riNIZ'iSn) ne désignent pas du tout an

adidlerous défilement, mais sont tout simplement une circonlocution naturelle pour
désigner les relations sexuelles; tous ces actes sont appelés souillure dans l'A. T.,
et ils entraînent en effet une souillure lévitique. La traduction de M. Gigot n'est
donc pas exacte. De même les mots suivants du verset 4 car c'est : une abomination
devant Jahreh, ne portent pas sur le second mariage, comme le dit le même exégète,
mais sur le retour défendu de la femme à sou premier mari après qu'elle a contracté
un autre mariage. La connexion de ces mots avec les mots suivants [et tu n'engage-
ras pas etc..) est une preuve manifeste de ce sens.
RECENSIOiNS. o7îi

D'ailleurs il que le divorce complet était permis


est évident par tout l'Ancien Test,
chez Nous venons de voir que les Lévites ne pouvaient pas épouser une
les Israélites.

femme répudiée (Lev. 21. 7)-, cette loi suppose donc que les profanes pouvaient
l'épouser légitimement. Naturellement cette seconde union n'était pas fort honorable:
la femme répudiée était moins qu'une veuve. Le second mariage comme la répudia-
tion étaient tolérés et soumis à certaines conditions et restrictions, comme nous
l'avons vu. C'est ce que Notre-Seigneur dit clairement lui-ménïe quand il ufBrnie que
Moïse avait permis le divorce aux Israélites à cause de la dureté de leurs cœurs. Jésus
place donc sa loi de l'indissolubilité du mariage au-dessus de la loi de Moïse. — La
solution dé M. Gigot ne dissipe donc malheureusement pas la difficulté des textes de
saint Matthieu.
Les exégètes non-catholiques modernes proposent une autre solution, qui sacrifie
l'iuerrance doctrinale de l'Ecriture. Us sont obligés de reconnaître que Jésus a ensei-
gné l'indissolubilité absolue du mariage, et en cela les protestants contredisent for-
mellement la doctrine officielle de leurs Églises; nous pouvons citer ici //. Oort,
W. C. Allen, Plummer, HoHzmann, Zalni, Weiss dans leurs commentaires respectifs
de saint Matthieu, A. Loisy dont nous citerons tout à l'heure les paroles, liobertson-
Plummer (1), A. Harnack (2), P. Feine (3) etc.. Ces auteurs sont unanimes à attri-
buer l'incise exceptive en question à l'auteur même du premier évangile, qui l'aurait
insérée sous l'influence d'un usage reçu chez lés judéo-chrétiens. Voici les paroles de
Loisi/ : « Jésus condamne absolument le divorce. Dans la circonstance historique
où il a traité ce problème, il a consacré en termes formels l'indissolubilité du
mariage (4) ». « L'exégèse protestante défend l'interprétation des Grecs, qui est
bien le sens naturel du passage, mais qui a toute chance de n'être pas celui de Jésus...
En réalité, la Loi, par cette exception, rentre dans l'Évangile et le supplante... Il

est très remarquable que, dans les passages parallèles des deux autres Synoptiques,
aussi bien que dans saint Paul, l'exception d'adultère n'est pas mentionnée. Cette
circonstance confirme l'idée d'ime interpolât mi rédactionnelle, que suggère déjà le

texte de Matthieu considéré en lui-même (5) »... « Le rédacteur jugea que le mari
olîensé avait le droit de renvoyer sa femme et d'en prendre une autre. Cest proba-
blement ce que l'on croi/ait autour de lui. L'Eglise catholique en refusant d'admettre
aucun cas de divorce, a maintenu le principe établi par Jésus (6) »... Nous retenons
l'aveuqui n'est certainement pas inspiré par un préjugé dogmatique mais nous ;

devons observer aussitôt que cette hypothèse d'interpolation rédactionnelle, allant


jusqu'à la falsification de l'enseignement de Jésus, mine par sa base l'autorité de la

parole inspirée, — et pourquoi encore croire à l'inspiration divine de la parole


sacrée, nous l'accusons d'erreur? Loisy l'a vu nettement, quand il dit que l'Église
si

catholique enseigne l'indissolubilité en sacrifiant le sens historique des textes de


saint Matthieu. « Il ne pouvait en être autrement, écrit-il, en des temps où l'on ne
concevait pas qu'un évangéliste pût exprimer moins fidèlement qu'un autre la pensée
du Christ. » Laissons Loisy réfuter sa propre témérité ; dans ses Études Bibliques (7)

il écrivait très bien : « La vérité divine, pour se manifester aux hommes, s'est incar-

(1) I Corinlhians, pp. liO-ltl.


(2) Spriiche und Reden Jesu, pp. 43-44; 101.
(3) Die Théologie des A. Test., (2), p. 42.

(4) Év. Siinopt., I, p. .jT".


(5) Loc. cit., p. 579.

(6) P. 580.
(7) 1894, pp. (iSG'j.
b76 REVUE BIBLIQUE.

née comme le Verbe éternel. Le Fils de Dieu nous est devenu semblable rn tout
« sauf le péché ». De même. la Bible ressemble en toutes choses à un livre de l'anti-
quité qui aurait été rédigé dans les mêmes conditions historiques, à l'exception du
seul défaut qui la rendrait impropre à sa destination providentielle; et ce défaut
sérail l'enseignement formel d'une erreur qvelconque pré.'ientée comme vérité divine. »

Or les Protestants devraient sauvegarder l'absolue inerrance doctrinale de la Bible


avec un soin plus jaloux que les Catholiques, puisque c'est l'unique règle de leur foi.

Nous ne pouvons donc pas admettre l'hypothèse d'une interpolation rédactionnelle


allant jusqu'à fausser l'enseignement authentique de Jésus. Autre chose serait de
dire que les évangélistes rapportent d'une manière assez libre les paroles de Jésus,
ou qu'ils les adaptent souvent à leur milieu et à leurs lecteurs; mais l'inspiration
divine de l'Écriturenous impose d'admettre une conformité substantielle entre l'en-
seignement oral et l'enseignement écrit de Notre-Seigneur. Avant de clore cette —
recension. déjà trop longue, mais dont la longueur sera excusée par l'importance du
sujet, nous voudrions ajouter quelques brèves réflexions qui mettront peut-être la
doctrine catholique dans une lumière plus vive.
Jésus a certainement enseigné l'indissolubilité absolue du lien conjugal; seule la
mort brise ce lien qui unit l'homme et la femme en une seule chair. Les textes évi-
dents de Paul, Marc et Luc, le raisonnement de Notre-Seigneur au.ch. 19 de Mat-
thieu comme au ch. 10 de Marc obligent modernes même les exégètes protestants

à le reconnaître. D'ailleurs on ne comprend guère comment l'Apôtre, écrivant une


vingtaine d'années seulement après la mort de Jésus, aurait pu faire admettre une
doctrine aussi rigoureuse, si une seule exception, qui semblerait bien excusable,
avait été tolérée par le Maître. Il est au contraire bien plus probable que cette
exception aurait ouvert la porte à d'autres exceptions estimées équivalentes, comme
c'est malheureusement le cas chez les Protestants, qui rappellent sur ce point Ilillel

le large (1).

Pour résoudre la difficulté des textes de IMatthieu, on n'a peut-être pas assez tenu
compte de leurs différences on les a trop souvent traités comme un seul et on leur
;

a appliqué une seule solution. Nous croyons que c'est un tort, parce que les deux
textes sont différents et que, même du point de vue critique, ils se présentent dans
des conditions absolument différentes.
Matlh. 19, 3-9, parallèle à Marc 10, 2-12, est un texte historique, dont le sens
est déterminé par les circonstances. Matthieu et Marc représentent ici une double

recension d'un seul discours de Jésus; ils doivent donc s'éclairer mutuellement:-
Matlh. 5, 31-32 est un logion purement doctrinal, abstrait de tout revêtement his-
torique. C'est un principe de la morale chrétienne, qui doit être compris à la lumière
de l'enseignement historique de Jésus et de la doctrine des Apôtres. Ce logion,
comme le texte de saint i'aul, suppose l'enseignement de Jésus et son application
dans la vie concrète des premières communautés chrétiennes. Par conséquent Matth.
19, 3-9, parallèle à Marc 10, 2-12, doit être lu avant Mutth. 5, 31-32; et ce
logion-ci doit être compris à la lumière de I Cor. 7, 10-11.
A. — 3Iatth. 19, 3-9 comparé à Marc 10, 2-12, a deux expressions propres :

a) V. 3 y.a-à :iaaav aiTi'av : i^our quelque motif que ce soit; et P) V. 9 ;j.rj è;:i ;iopv£!a
ou bien (comme au ch. 5, 32) -apexToç Xéyou 7uopv£(a; si ce n'est jwur impudieilé. :

La première expression est d'une authenticité incontestable et rappelle manifeste-


ment la discussion agitée entre les écoles rivales d'IIillel et Schammaï. A priori on

[i) Clr. Ilastings' Dicl. of llie Hihle, lll. 27.;.


RECEiNSlONS. 377

attend que Notre-Seigueur fera abstraction de cette querelle de rabbins. Quant à


saint Marc, il omet les paroles parce qu'il écrit pour des lecteurs romains que ces
questions domestiques juives ne pouvaient guère intéresser.
Nous avons au contraire des raisons très sérieuses pour douter de l'autbenticité
de l'incise exceptive.

1. — textes parallèles (Mattb. 19 et Me. 10) fait naître


La comparaison des deux
a priori soupçon d'une interpolation, qui s'impose avec d'autant plus de vraisem-
le

blance que le contexte exclut toute exception car Jésus en appelle précisément de :

l'exception de Moïse à l'absolue indissolubilité voulue par le Créateur.


2'. —
Ce premier soupçon est confirmé de fait par l'incertitude qui règne dans la
tradition littéraire touchant la forme de cette clausule. — Nous n'insisterons pas
sur témoignage des anciens écrivains; car la présence de l'incise exceptive au
le

ch. 19 de Matthieu est attestée par tous les manuscrits bibliques connus, et au
chap. 5 son authenticité ne peut pas être révoquée en doute du point de vue cri-
tique. Ces écrivains ont donc rencontré cette incise, sinon au chap. 19, du moins
au chap. 5. Remarquons cependant que TerlulUen (1), voulant prouver contre Mar-
cion l'accord entre Moïse et le Christ dans la question du divorce, invoque le chap. 5
et non le chap. 19. TertuUien ne semble donc pas avoir connu l'exception dans le

texte historique qui nous occupe.


Tous les manuscrits bibliques connus ont donc l'incise au ch. 19, mais dans une
double forme. Les uns, comme s* et C (pour ne citer que les plus importants), lisent
[AT] £7:\ Kopv'J-x; les autres, par exemple'B et D, lisent au contraire, comme au ch. 5,

irapexTo? Àdyou r.opyda.;. A ne considérer que les données de la tradition littéraire on


ne peut se décider ni pour l'une ni pour l'autre de ces deux leçons, comme le
remarque le R. P. Knabenbauer lui-même quamvis accurata verborum forma :

certo definiri nequeat. Le soupçon contre l'authenticité de l'incise exceptive est donc
confirmé par l'incertitude de sa forme quarc, écrit le même exégète, nliqui addi-
:

tamenfum ob 5, 32 hic insertum smpicati sunt et alii verba haec delenda esse puta-
runt (2).

Or un texte dont la lecture varie de manuscrit à manuscrit, est beaucoup plus


sujet à caution qu'un texte ferme et uniforme qui manque par hasard dans quelques
manuscrits : la variété infirme l'authenticité.
3. — Le doute s'accentue quand on peut indiquer l'origine de cette glose flot-
tante et incertaine. Comme on l'a on a complété
fait dans tous les textes parallèles,

ou chargé le texte historique du chap. 19 d'après le logion doctrinal du chap. 5.


Nous ne citerons qu'un seul exemple, tout à fait analogue à celui-là, où les manus-
crits les plus anciens lisent dans saint Matthieu une difficulté empruntée au texte
parallèle de saint Marc. Au ch. 13, 32 de saint Marc nous lisons « Pour ce qui est :

de ce jour et de cette heure, nul ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ni le Fils,

mais le Père seul » ; le texte parallèle de Matthieu 24, 36 (considéré généralement


comme authentique) n'a pas les mots : ni le Fils, qui furent le grand cheval de

bataille des Ariens. Or des manuscrits aussi importants que .>?, B, D ont transporté
la difficulté de saint Marc dans saint Matthieu.
Dans le cas du divorce au ch. 19 de saint Matthieu la glose a joui d'une faveur

d'autant plus grande qu'elle semblait mieux répondre à la question des Pharisiens.
Ceux-ci demandèrent s'il était permis de renvoyer sa femme pour n'importe quelle

(1) Contra Marc, 1. IV, cap. xxxiv.


{2) In Matthaeum ad h. 1., U, p. 14-2-143.
578 REVUE BIBLIQUE.

répondu: Non, si ce n'est dans le cas d'adul-


7-aison; d'après la glose Jésus aurait
parti pour Schamraaï? Et la loi supplanterait l'Évangile?
Et Jésus aurait pris
tère...

Mais Jésus a toujours évité ces discussions, et il a placé son Évangile au-dessus de

la loi!

Au chap. 19, 9 de Matthieu nous considérons donc l'incise exceptive comme une
glose empruntée au texte parallèle du chap. 5,32-, c'est ainsi que la plupart des
exégètes considèrent la dernière moitié du v. 9 du ch. 19 [et celui qui épouse une
femme renvoyée, .se rend adultère) comme empruntée au même texte du ch. 5.

Si ces arguments ne convainquent pas le lecteur, il pourra s'en tenir à la solution

de saint Thomas en supposant que Matthieu a réuni en une seule phrase très concise

une double réponse de Jésus. Les Juifs avaient demandé s'il est permis, pour n'im-
porte quelle raison, de renvoyer sa femme. Notre-Seigneur répond d'abord directe-
ment « Non, cela n'est permis que dans le cas d'adultère »... Ensuite généralisant
:

cette défense il ajoute : « Et en tout cas il n'est jamais permis à un homme de


prendre une autre femme ». Il n'y aurait donc pas de rapport intrinsèque entre
les deux parties de cette réponse c'est la solution de saint Thomas étayée sur une
:

hypothèse critique.
B. —Matthieu 5, 32. — Ici la lecture est ferme et la tradition littéraire unanime
à proclamer l'authenticité des mots : napir-zàz X^you îiopveiaç.

Quel en est le sens?


Nous sommes en présence d'un texte doctrinal, d'un principe de la morale
ici

chrétienne, qui doit être compris d'après l'enseignement de Jésus et de l'Apôtre.


Les textes historiques examinés ci-dessus ont conservé, pour ainsi dire, la parole
vive de Jésus enseignant l'indissolubilité absolue du lien conjugal.

Mais au sein de la communauté chrétienne dut bientôt se présenter le cas où la


vie commune devint impossible; pour les Judéo-chrétiens en particulier, auxquels
s'adresse le premier évangile, il dut paraître impossible de vivre sous le même toit
avec une épouse infidèle.
Que faire dans ce cas? L'Évangile répond : « Quiconque renvoie sa femme, hors le

cas d'impudicitè, la rend adultère. » femme, comme les-


Ne répudiez pas votre

Juifs l'ont fait jusqu'ici en lui donnant un acte de répudiation. Qui répudie sa femme,
la pousse dans l'abîme et porte la faute de sa mauvaise conduite, à moins qu'elle
ne
soit déjà infidèle. En tout cas jamais une femme répudiée ne peut licitement con-

tracter un autre mariage, la phrase suivante est générale et absolue : « Quiconque


épouse une femme renvoyée, commet un adultère. »
H faut donc, conclut saint Paul, que la femme séparée reste sans se marier ou
qu'elle se réconcilie avec son mari. — Voilà bien clairement le divorce incomplet ou
separatio thori, et ainsi nous rejoignons la sentence de saint Jérôme : « sic priorem
dimittere jubetur, ut secundam prima vivente non habeat ». Selon le texte de saint
Matthieu on pourrait dire : la femme peut être renvoyée dans certains cas, par
exemple en cas d'adultère, mais jamais elle ne pourra devenir l'épouse légitime
d'un autre homme.
On pourrait même avec M. Gigot, que Notre-Seigneur, tout en pla-
admettre ici

çant sa loi au-dessus de la loi de Moïse, condamne la fréquence du divorce chez les
Juifs de son temps. Ceux-ci se crurent à l'abri de tout reproche et en règle avec la
Loi, quand ils avaient donné à leur femme répudiée un acte de divorce : « Il a été

dit aussi : Quiconque renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation »

(Matth. 5, 31).
Jésus condamne ce préjugé; il n'a donc à considérer «lue le mari capricieux et
KECENSIOxNS. S"î)

trop large : « Et moi, je vous dis Quiconque renvoie sa femme, hors le cas d'im-
:

pudicilé, la rend adultère » (Matth. 5, 32»). Donc dans le cas d'adultère on peut
la renvoyer.
Mais le lien du mariage subsiste même dans ce cas : la femme est liée tant que
vit son mari et vice versa. Notre-Seigneur ajoute donc en termes généraux considé-
rant maintenant la femme répudiée « et quiconque épouse la femme renvoyée,
:

commet un adultère » (Matth. 5, 32''). Cest la solution de saint Thomas.


Nous concédons que, dans cette dernière phrase, la femme renvoyée poKrruil être
celle qui a été renvoyée Iiors le cas d'adul.lèrc (d'après v. 31') et que celle-ci reste-

rait liée, non celle qui a été inGdèle. Mais — sans insister sur la prime accordée au
crime dans ce cas — cette interprétation contredit manifestement l'enseignement
un principe d'honnêteté comme d'exégèse rationnelle, que
historique de Jésus. C'est
les textes obscurs ou douteux doivent être compris à la lumière des textes clairs.

Tout auteur veut être compris avec cette bienveillance que nous supposons dans nos
rapports de chaque jour.

Rome, Collège Angélique.


,
F. J.-M. VosTÉ, 0. P.
BULLETIN

Décret du Saint Office. — Feria IV. die ô iunii t!)18. — Proposito a Sacra Con-
gregatione de Seminariiset de Studiorum Universitatibus dubio : Utriim tuto doceri
possiot sequentes propositiones :

I. Non constat fuisse in anima Christi inter Iiomines degentis scientiam, quam ha-
bent beati seu comprehensores.
II. Nec certa dici potest sententia, qurc statuit animam Christi nihil ignoravisse,
sed ab initio cognovisse in Verbo omnia,* praîterita, prsesentia et futura, seu orania
quse Deus scit scientia visionis.

III. Placitum quorumdam recentiorum de scientia anima; Christi limitata, non est
minus recipiendum in schoiis catholicis, quam veterum sententia de scientia univer-
sali;

Emi ac Rmi DD. Cardinales in rébus fidei et morum Générales Inquisitores,


prœhabito veto DD. Consultorum, respondendum decreverunt : Négative
Insequenti vero Feria V eiusdem raensis et anni, in solita audieotia R. P. D. As-
sessori S. O. impertita, facta de his Ssmo D. N. Beuedicto Papai XV relatione,
Sanctitas Sua resolutionem Emorum PP. approbavit, confirmavit et publicari raan-
davit.

Datum Roniic, ex aedibus Sancli Oflicii, die " iuuii 1918.

Aloisius Caste LLANO, 5. R. et U. I. Notarim.

Ce décret du Saint-Office, qui regarde aussi les exégètes, recevra parmi nous l'ad-

hésion de l'esprit et du cœur, la déférence et l'obéissance qui lui sont dues.


Le mystère de l'Incarnation est un mystère d'anéantissement, mais aussi d'éléva-
tion divine. Jésus a déclaré qu'il était un avec son Père. Cette union appartenait à
la nature divine, mais elle était donc perçue daus la nature humaine. Sans la vision

béatifique on ne comprend pas comment Jésus a pu avoir pleinement conscience


d'être le Fils de Dieu. Il est vrai que cette science de vision, embrassant le passé,
le présent et l'avenir, est difficile à concilier avec toute l'attitude du Sauveur d'après

les saints Évangiles. Disons même que le secret de ce mystère nous échappe. Trop

souvent nous sommes obligés de confesser notre ignorance quand il s'agit de l'union
ineilable de Dieu avec ses attributs et de la nature humaine avec ses faiblesses, dans
la personne de Jésus-Christ. 11 nous faut bien admettre que sa Toute-Puissance n'a
pas empêché sa mort. Pourquoi ne pas admettre que sa science béatifique n'a pas
empêché le progrès de cette science acquise reconnue par saint Thomas, et que le

décret du Saint-Office n'a sûrement pas condamnée en la passant sous silence?


Nulle part, quoi qu'en dise une certaine critique, nous ne voyons naître ni même
se développer en Jésus l'idée de sa Filiation divine. Nous expliquons cette conscience
par la vision béatifique. Mais nulle part non plus, lorsqu'il traite avec les hommes.
BULLETIN. 381

sauf ce qui regarde sa Personne, il ne fait appel à une science autre que celle

qu'eût pu posséder un prophète de son temps. C'est quil voulait être complètement
homme avec les hommes. L'exégèse n'a donc pas à sortir de la sphère où il lui a
plu de se renfermer. Nous devons penser, par respect pour sa sincérité, que sa
science acquise lui permettait de s'étonner, d'admirer, et(;., comme
nous devons
penser, par respect pour ses affirmations, qu'il ne prononçait pas une vaine parole
en disant quelque chose du secret de son union avec son l'ère (cf. RU.. \8W>. p. 1-33 ss.,

et Commentaire de s. Marc 13, 32). .^

Généralités. —
La Sociétc biblique de Paris (protestante) publie une bible du
centenaire, dans un format in-folio. C'est une traduction nouvelle, avec des intro-
ductions et des notes. La deuxième livraison est consacrée aux evangilef! synopti-
ques (1). Elle est l'œuvre de M. Maurice Goguel, professeur à la Faculté libre de
théologie de Paris, sauf une petite notice sur le peuple juif au temps de Jésus, due
à M. Louis Randon. M. Goguel a esquissé dans une introduction générale ses vues
sur la formation du Nouveau Testament. On peut y mesurer le chemin parcouru
depuis quatre cents ans. C'est un adieu définitif du protestantisme aux théories de
Luther sur la valeur exclusive de l'Ecriture comme règle de foi, et il est assez

piquant que cela soit dit à l'occasion du centenaire de la Réforme. Ce qui est admis
de la fixation du Canon par le double principe de l'origine apostolique et de l'autorité
traditionnelle des églises n'est point éloigné de ce qu'on soutient dans nos écoles.
Il y a seulement une tendance marquée à ne point tenir compte du principe d'auto-
rité et d'unité, ce qui conduit l'auteur à des propositions comme celle-ci « L'évo- :

lution qui a donné naissance à cette théorie a été toute spontanée » (p. 3). Comme
si l'unité de foi portant sur tant d'écrits avait été faite toute seule en tant d'en-
droits. La phrase ne gagne pas à être répétée dans la même page : ;< L'évolution dont
nous venons d'indiquer quelques-unes des phases principales, s'est faite en général
d'une manière toute spontanée ». Le recours à « l'instinct » n'explique rien, à
moins qu'ilne suppose déjà l'unité.
Une seconde introduction, propre aux trois synoptiques, revient plus longuement
sur la naissance de la tradition évangélique. Le problème synoprtique est résolu par
l'hypothèse des deux sources, l'évangile de Marc, et les Logia. Marc, qui écrivit vers
l'an 6-5, aurait usé du recueil des discours qui peut être attribué à l'upôtre Matthieu.
Matthieu et Luc, écrivant de l'an 80 à l'an 100, se seraient servis et de Marc et des
discours.
Aucune discussion n'est entreprise des raisons données par M. Harnack pour la

composition plus ancienne de ces deux évangiles. Dans une courte note sur la chro-
nologie de la vie de Jésus, M. Goguel accepte l'an 4 avant notre- ère pour la date de
sa naissance, et place la Passion à la Paque de l'an 28. Il est assez étrange qu'il ne
parle pas en cet endroit de la durée du ministère. Mais ailleurs (p. 17 s.), il recon-
naît, d'après le seul examen des synoptiques, et donc sans tenir compte du qua-
trième évangile, que Jésus a dû venir plusieurs fois à Jérusalem.
Le texte qui sert de base à la traduction est celui d'' ?testle, mais à l'occasion
d'autres leçons sont admises, avec l'indication des autorités textuelles. La traduction
vise plus à l'élégance qu'à une stricte reproduction des modalités du texte. Les

(1) La Sainte Bible, traduction


nouvelle d'après les meilleurs textes avec introductions et
notes. La Bible du centenaire, Deuxième livraison (!'<= du tome IV), Les évangiles synoptiques.
Folio de 128 pp. Tout l'ouvrage est au prix de souscripUon de 70 francs (payable d'avance). A la
Société biblique de Paris, 1918.
582 . REVUE BIBLIQUE.

passages ajoutés pour la clarté sont entre crochets.


Dans tel cas où le sens est
indiquer en note
douteux, le mot est remplacé par des points (Me. 14, 72), sauf à
les sens proposés.
Les passages empruntés à l'Ancien Testament sont imprimés en italiques. Les
endroits parallèles sont indiqués avant chaque paragraphe ou péricope, et
de plus,

pour saint Matthieu et saint Luc, on indique en marge la source littéraire, Marc ou
les discours, ou bien le caractère singulier du passage.
Les notes sont, ou bien une justification de la leçon acceptée ou le signalement de
la leçon écartée, ou bien contiennent des explications
philologiques, historiques,

réelles, théologiques. Une troisième série de notes renvoie à l'Ancien Testament pour

les passages cités, et un quatrième étage note les endroits parallèles supplémentaires.

Tout cet apparat est bien loin cependant de constituer un commentaire, et n'occupe
qu'une place restreinte en bas des pages où le texte sacré ligure en grosses lettres.
Il semble que de toute l'œuvre soit condensé dans ces quelques lignes
l'esprit :

« Les évangiles ne sont pas un document impassible; ils


présentent une expérience

vivante, qui peut à son tour devenir génératrice d'expériences et conduire les âmes à

quelque chose d'infiniment plus précieux qu'une connaissance scientifique, à la com-


munion avec l'âme même de Jésus » (p. 22). Nous voudrions applaudir, si ces expé-
riences n'excluaient l'action divine inspiratrice, et si l'âme de Jésus n'était dépouillée
de sa divinité. M. Goguel, tout en disant nettement que Jésus était lils de Joseph,
s'est abstenu cependant de recevoir dans son texte de saint Matthieu (1, 16) la leçon
du syriaque sinaïtique. Il est plus malaisé d'entendre ce qu'il dit de Luc. Cer-
tains critiques ont prétendu que Luc avait ajouté à sa soitrce araméennc les
versets

1, 34 s. qui énoncent clairement la conception surnaturelle. C'est une conjecture


fausse, mais qui est nette. D'après M. Goguel, ces versets sont une addition « desti-

née à introduire dans l'évangile de Luc l'idée de la naissance surnaturelle » (p. 91),
« Au reste, divers passages de Luc, notamment la généalogie (3,
23-38),
et il ajoute :

supposent que Joseph est réellement le père de Jésus ». Et à la généalogie, il faut


supposer que le v. 23 a été altéré après coup.
Encore n'est-ce pas assez : il faudrait rayer 1, 37, « rien n'est impossible à Dieu ».

Tout cela n'est guère critique.

Le Dictionnaire apologétique de la Foi catholique continue à publier des articles


d'articles
qui touchent à nos études. Dans le fasc. xiii on remarquera la belle série
sur Marie, Mère de Dieu, aussi remarquables par l'expression de la piété que par
le

théologiquement et historique-
souci constant de se placer sur un terrain solide,
ment. L'article Loretle, du R. P. d'Alès, est un peu décevant. La discussion du fait
est évitée, et remplacée par un renvoi aux ouvrages pour ou contre.
Parmi ces
derniers on eût pu nommer la description des fouilles du R. P. Prosper Viaud,
gardien du sanctuaire de Nazareth (1). Quoique le docte franciscain ait aussi évité
de se prononcer, on voit très clairement, quand on parcourt les lieux avec ses
explications, que ses découvertes excluent la présence de la Santa. Casa à Naza-
reth '2). En insistant sur les termes de la Bulle de Jules II, le R. P. d'Alès a
omis
de signaler l'étrange lapsus qui assigne Bethléem comme le point de départ de
la translation.

Le fasc. xiv s'étend assez longuement sur le Modernisme, et renvoie aux articles

et ses deux cdliscs do l'Annonciation et de Sainl-Josepli, Paris,


Nazanlli Picard. litlO.
(1;
C'est bien ainsi que l'ont compris les Pères de l'Assomption, dans leur puide
(2)
La Pales-
tine, cf. nif., v.nn, p. lua, note.
BULLETIN. rj83

des Études sur ce point. Il contient aussi un bel article sur Mimclc, par M. de
le

Tongiiédec. Ce nous est une occasion de signaler le livre très remarquable du même
auteur : Introduction à l'étude du merveilleux et du miracle (1).

Il ne faut point s'étonner que le grand nom de saint A-Ugustin suscite encore des
partisans à l'bj'potbèse d'un double sois liUrral dans VEcrilure Scintc.
Le R. P. Nicolas Assouad, des Frères Mineurs, avoue que tous les exégètes catho-
liques modernes se prononcent d'une seule voix pour l'unité du sens littéral. Cepen-
dant il tient pour ce qu'il nomme la polysémie (2). Son travail comprenait trois parties.
La- guerre en a interrompu l'impression ; seule la première partie a été donnée au
public. Nous ne saunons entrer dans la discussion qu'il a entamée. Eu pareil cas les
exemples ont beaucoup de force. A ceux qui soutiennent la polysémie, on a coutume
de demander où se trouvent dans la Bible ces doubles sens? Le R. P. Assouad nous
indique le premier verset : In principio creavit Beus coelum et terram... et Spiritus
Dei ferebatur super aquas. Il mysterium in praesenti scrip-
ajoute : Si SS. Trinitatis
tura —
sicut firmissime credimus —
signiûcatur et revelatur, hoc sane neque mystice
neque syinbolice significatur et revelatur, ut nonoulli omnino perperam arbitrât!
suut, sed plane ad litteram, licet adumbratim tantura et subobscure (p. 66).
On voit le raisonnement. Le premier verset allusion aux trois personnes
fait

divines. Ce ne peut être au sens donc au sens littéral. La conséquence


spirituel, c'est

n'est pas rigoureuse, et le principe ne repose sur rien, quoique l'auteur emploie
ces expressions biea étranges et assez incohérentes, firmissime credimus, et ensuite
adumbratim tantum et subobscure. Et il en est souvent ainsi dans la brochure.
Car le R. P. ne se contente pas d'un ou deux passages; c'est constamment qu'il

voit dans l'Écriture un double sens littéral. Par exemple ce qui est dit de la

Sagesse, de la femme Par exemple, M. Lesêtre ayant dit que la femme


forte, etc.

forte était d'après la tradition juive le symbole de la loi et de la sagesse, d'après les
Pères l'Église, d'après saint Bernard la Très Sainte Vierge, d'après d'autres le portrait
de l'âme fidèle à Dieu, le R. P. Assouad lui objecte, et très justement, qu'il est impos-
sible de trouver ici des sens typiques proprement dits. Et il conclut à des sens litté-

raux. Il suffisait de parler de sens accommodatices, de larges analogies, du goût des


anciens de revêtir leurs pieuses pensées d'expressions scripturaires.
Attendons pour comprendre mieux la thèse qu'elle ait été complètement exposée,
mais prions déjà l'auteur, puisqu'il en appelle à la tradition, d'alléguer dans l'anti-
quité chrétienne un pareil usage de la polysémie. L'autorité doctrinale de l'Écriture

n'a jamais été comprise de la sorte dans les conciles, et l'on peut estimer dangereux
d'ouvrir aussi largement la porte à l'équivoque.

Nouveau Testament. — Le Rev. Plummer


donné à la collection.
A. avait déjà

Cambridge greek Testament for Schools and Collèges un commentaire sur l'évangile
selon saint Jean, souvent réédité. Le commentaire du second évangile n'aura pas
moins de succès (3). Dans cette collection, après les chapitres d'introduction figure
le texte grec en entier. Puis le commentaire suit, corapicuaut séparément des notes

(1) In-8° de xvi-4Gl pp. Paris, Beaucliesne, 1916.

(2)Polysema sunt sacra Biblia. disputatio in illam lierraeneuticam legein olim receptissimam
sed et recipiendain qua monemur (juod saepius etiam secundum litteralem sensum in una
littera scripturae plures sint sensus. Auctore Fr. Nicolao Assouad., 0. F. M. Lect. S. Scriplurae,
in-8° de ix-84 pp. S'-Maurice en Suisse, U)l7.
(.S) The Gospel according to St Mark, édiled ijy the Uev. A. Plummf.k, M. A., D. D. etc. witir
maps, Notes and Introduction, petit in-8" de Lv-3y2 pp. Cambridge, 191 i.
584 REVUE BIBLIQUE.

de critique textuelle et des notes explicatives. Les éditeurs doivent avoir leurs rai-
sons. Cependant on ne comprend pas l'importance donnée à la critique du texte,
alors que les autres notes sont si sobres. Il est douteux que les étudiants puissent
apprécier les raisons du choix. Disons, pendant que nous sommes sur ce terrain, notre

étonnement que M. Plummer renvoie jusqu'au siècle iv" siècle, les \'' ou du moinsau
versions syriaques contenues dans le ms. Cureton et le ras. Lewis du Sinaï (p. lui).

L'introduction est un monument remarquable d'érudition historique et de bon


sens critique. L'auteur observe très finement que, sans la tradition, il n'y aurait
aucune raison d'attribuer le second évangile à Marc, mais le texte à lui seul dépo-
serait de ses accoiotances avec l'enseignement et les souvenirs de saint Pierre
(p. xix). Sur la personne de Marc, on trouve tout ce qu'on peut tirer de la combi-
naison des textes du Nouveau Testament, avec cette remarque ingénieuse que
peut-être, en le recommandant aux Colossieus (4, to), saint Paul voulait réparer
l'impression que pouvait avoir laissée la défection de ce compagnon, telle qu'elle
est racontée dans les Actes (15, 37-39).
L'enseignement de Pierre est donc la principale source de l'évangéliste. il a sans
doute connu l'ouvrage désigné par la lettre Q {Logia},, puisqu'il est beaucoup plus
ancien, mais il ne s'en est pas servi. Il eût eu plutôt le dessein de faire quelque
chose de plus complet. Ou ne voit chez lui aucun esprit de système, aucun parti
pris de controversiste : « H ne décrit pas le Messie ni ne l'interprète-, sa grandeur
étant suffisamment démontrée par ses actes et par ses paroles » (p. xxvi). D'ailleurs
il a pris plaisir à raconter, et il l'a fait avec le caractère et le charme d'un réaliste.

M. Plummer pense que les arguments destinés à mettre en relief deux ou trois ré-

dactions dans le second évangile n'ont pas assez de poids pour être mis sous les

yeux des étudiants.


Cependant il n'admet pas l'authenticité au sens strict de la finale longue. 11 suppose
que peut-être Marc a été interrompu par la persécution. On avant l'an 70,
était

plus près de l'an 70 que de l'an O.'i. Un exemple de la fine psychologie du Rev.

Plummer Renan, : Loisy, avec tant d'autres, ont vu une complète contradiction entre
les mots de Jésus dans Marc 9, 40 et dans Mt. 12, 30 == Le. 11, 23. En réalité il
y a parfaite harmonie « Si nous ne sommes pas sûrs que d'autres sont contre le
:

Christ, nous devons les traiter comme s'ils étaient pour lui si nous ne sommes pas ;

sûrs que nous sommes de son côté, nous avons lieu de craindre que nous ne soyons
contre lui » (p. 225).
On voit combien il était exagéré de regarder l'Angleterre tout entière comme
envahie par l'exégèse allemande radicale. M. Plummer n'ignore rien de la tempête
d'opinions qui a fondu sur les livres du Nouveau Testament. 11 n'en est point ému.
Il a bien voulu dire que parmi les commentaires non anglais, il n'en a pas vu
d'égal à celui du P. Lagrange (p. vu), qu'il tient pour être ofgreat excellence, espe-
clally in his crUicism of Loisy (p. lvi).

Assurément le nouveau Commentaire de saint Matlhieu, par M. M'^Neile (1), ne


donne pas toute satisfaction aux principes exégétiques de l'Eglise catholique. ]\Iais
il faut cependant noter combien il s'écarte du rationalisme et du subjectivisme que

l'Allemagne s'est crue au moment d'imposer à l'Angleterre. On peut presque dire


qu'il fournit une base solide à notre apologétique.

(1) The Gospel accarilind lo SI Mallhcir, llie greek loxl wilh introduclton. notes, anil indices

l)y Alan lUisli M'Ncilc, 1). I>., lellow, dean, and theological IccUircr ol Sidney Siissex collège, Cam-
Itiidge, and examining chaplain lo Uie loid ImsIio]» dl' Oxlord, 8" de xxxiv-i'iS p|). Londres,
Maciiiillaii, I'.»15.
BULI.1:T1N. ;-,85

Le premier évaiii^ile est présenté comme un document historique sérieux. Les


miracles font partie de Thistoire de Jésus et conviennent à sa personnalité unique
qui est celle du Fils de Dieu, incarné pour salut
a fonde l'Ei^iise.
le du monde, qui
Le convaincu de ces points ne fera sans doute pas difficulté de reconnaître cette
lectevu-

Église dans l'Église catholique romaine. M. M' iNeile ne rejette pas les paroles dé-
cisives du Christ : h Tu es Pierre, et sur cette pierre etc.
». Il objecte seulement que

si donc comme individu, et non comme ('vè(iue


cette pierre était l'Apotre, c'était
de Rome. Mais qui prétend que le pécheur galiléen était alors évèque de Rome ? Il
s'agissait bien en effet de sa personne présente, avec les fonctions que la promesse
du Christ contenait pour l'avenir. Que si M. M' Neile, peu confiant dans cette échap-
patoire, ep vient à expliquer « cette pierre » par la confession de 1'
Vpôtie, vt-rité
fondamentale sur laquelle repose l'Église, on le priera seulement de relire le texte
en pensant à l'araméen, et de nous dire si « cette pierre » peut être autre chose que
le nommé Pierre dans un contexte si limpide. Le savant théologien de Cambridge a
donc rendu un sérieux service aux études exégétiques et à IKglise, même romaine,
(]uoique ses intentions n'aillent pas jusque-là. adver- On est assez porté, parmi les
saires de bloquer contre nous tous ceux qui ne pensent pas sur tout
l'Eglise, à

comme nous. Nous avons bien le droit de constater qu'une exégèse très étudiée con-
damne des conclusions qu'on présente comme le résultat assuré de la science.
Nous nous distinguons nettement de ceux qui attribuent au Christ une science
bornée aboutissant à des propositions plus ou moins fausses, mais ce n'est pas une
raison pour nous priver du concours qu'ils apportent à la révélation et au chris-
tianisme.
Il fallait dire ces choses avant de préciser les points où se tient M. M' Neile et pour
justifier nos réserves comme notre adhésion.
L'auteur a réduit son Introduction au minimum. Il en résulterait une grave
lacune dans un Commentaire catholique, puisque nul encore n'a discuté pleinement
jCS raisons tendant à nier que le premier évangile soit une traduction et à prouver

au contraire qu'il a suivi le fil de Marc et s'est servi de son texte, en adoucissant
certains points pour une opinion plus ombrageuse. M. M'Neile. étant sans doute
convaincu par les arguments tant de fois avancés, en particulier par Sir J. Hawkins,
dans ses Horae m/nopticae, pouvait renvoyer à cet ouvrage et au commentaire de
iM. Allen. On ne peut guère lui demander ce que personne ne saurait raisonnable-
ment entreprendre, de déterminer en quoi consistait exactement le texte araméen
comprenant une collection de Paroles de Jésus avec des cadres historiques qu'il ne
refuse pas d'attribuer à l'apôtre saint Matthieu. Mais pourquoi cet ouvrage arameen
n'aurait-il pas renfermé les allusions à l'Ancien Testament, destinées à prouver que
Jésus est le iMessie? C'est de quoi M. M'jNeile aurait dû nous donner de bonnes rai-
sons, puisqu'il distingue en cela deux sources. En somme la difficulté littéraire du
premier évangile est toujours dans la révision qu'il a subie en passant de l'araméen
au grec. Ses rapports avec le second évangile comme source utilisée, avec le troi-
sième évangile comme utilisant un même document, demeurent mystérieux.
M. M' Neile n'a point voulu s'occuper de ce problème difficile. Il n'y a quà lui don-
ner acte de son but, exégèse du texte et sa portée liistoricjue.

Encore est-il que le mot d'histoire ne doit pas être pris trop strictement, puisque

les évangiles « ne sont pas des biographies » et que « la Chronologie est un problème
encore insoluble ». Du moins l'auteur a soin de ne pas mettre les synopti{iues en
contradiction avec le quatrième évangile sur la durée du ministère du Cl)rist. Les
synoptiques ne parlent que d'une Pâque, mais supposent deux années; la tradition
KEVLE BIBLIQUE 1918. N. S., T. XV. — 38
;;8G REVUE BIBLIQUE.

joliannine mentionne trois Pâques, qui ne fout pas plus de deux ans et demi. L'élé-
ment miraculeux est affirmé très nettement. La conception virginale n'est point une
addition au dogme M. M' Neile montre qu'elle n'a pu être inventée ni par
primitif.

des judéo-chrétiens d'après le célèbre oracle d'Isaïe reproduit dalis saint Matthieu
(1, 28), ni par des païens.
A l'objection du silence de répond que ce silence n'est pas aussi
saint Paul, il

absolu qu'on le prétend, car l'enseignement de Paul aux Galates sur l'adoption
(4. l-7j « est plus facile à comprendre s'il suppose la naissance virginale » (p. 13).
De même pour la résurrection. D'après M. M' Neile « certains détails dans les récits
synoptiques sont franchement incompatibles », mais « le fait de la résurrection est

indépendant de ces difficultés » (p. xiv). C'est de la même façon qu'il traite les
récits de l'enfance, mais en insistant beaucoup plus sur le caractère légendaire de
l'épisode des Mages et de la fuite en Egypte. Il est à propos de dire que la réalité
de Faction surnaturelle de ne dépend pas de ce point. C'est, dirait-on. préci-
.Jésus

sément parce qu'il a été reconnu comme le Messie à cause de ses miracles, que l'en-
fance de Jésus a été entourée d'une auréole qui assimilait ses destinées à celles
d'Israël. La position n'aurait peut-être rien d'illogique dans l'ordre de la critique
historique. Mais la doctrine de l'inspiration exige un autre examen. Et nous pouvons
objecter à l'auteur qu'il n'explique pas suffisamment les récits de saint Matthieu par
une adaptation de l'histoire de Moïse et d'Israël à Jésus. Il est sur un terrain plus
solideen regardant la généalogie comme un titre d'origine davidiqûe. « Tout l'objet
de Matthieu était de montrer, en face des calomnies courantes, que la généalogie
du Messie était d'ordre divin et légalement correcte » Cp. 6).
Dans l'état des controverses, on veut savoir quel parti adopte un commentateur
sur le règne de Dieu ou des cieux. C'est aussi ce que-M. M'Neile a le plus longue-

ment envisagé dans l'Introduction. Avec les eschatologistes il admet une opinion
juive régnante sur l'imminence du règne de Dieu, venant à la manière d'une catas-
trophe, et, ce qui est plus grave, Jésus se serait servi des mêmes termes que tout le

monde. Mais il aurait modifié l'opinion commune de quatre façons. D'abord le règne
de Dieu est spirituel. De plus Jésus affirme sa distinction unique comme Fils de
Dieu. C'est lui qui, comme Fils de l'homme, marquera l'avènement du règne de

Dieu. Et ce sera par sa mort, acceptée pour racheter le monde. Quoique ces points
ne soient pas exprimés avec la clarté qu'on peut exiger aujourd'hui, après des dis-
cussions si précises, on voit combien M. M' Neile est éloigné de la rigu.eur des
eschatologistes conséquents. On ne voit même pas pourquoi il affirme que la parou-

sie du Messie n'a pas eu lieu, car on pourrait, avec les éléments qu'il fournit, cons
tater l'avènement du règne de Dieu tel que Jésus l'avait donné à entendre, et cest
bien une première parousie, accompagnée d'une catastrophe pour le peuple juif. Au
point décisif où eût pu se montrer l'influence de M. Schweitzer, le commentateur
se

dérobe judicieusement à son étreinte « Vous n'en finirez pas avec les villes d'Israël
:

jusqu'à ce que vienne le fils de l'homme » (Mt. 10, 23i, ne doit pas s'entendre de la
première mission des Apôtres. Matthieu a mis dans le même discours des textes dont

la perspective est dillerente.


C'est plutôt lorsqu'il est question de la conscience de Jésus, que le savant anglais

est trop dépendant des conceptions arbitraires du protestantisme libéral allemand.


Quand on admet que Jésus est Fils de Dieu au sens propre, peut-on écrire que « la
pleine conscience de la filiation semble lui être venue à son Baptême » (,p. XM\>
'

La critique historique ne saurait avoir la prétention de le prouver.


Le texte grec commenté est celui de Westcott et Hort. Quelques variantes impor-
BULLETIN. ^^87

tautes sont indiquées. L'auteur a cuuipris qu'il uy civait pas lieu de reprendre pour
ses lecteurs toute la question textuelle. Le commentaire est placé sous le texte en
deux colonnes. Le tout est extrêmement net et élégant.

Il n'est pas très facile du dernier ouvrage de M. VV. M. Ramsay


de traduire le titre

sur saint Paul The leachin;/ of Paul in tenues of Ihc preseal bay (1). Veut-il parler
:

seulement d'une transposition de la doctrine sous une forme nouvelle? Ce serait déjà
une tentative ardue, car les idées anciennes se moulaient en partie dans des formes
anciennes. Ou veut-il encore montrer la coïncidence de la religion de Paul avec
certaines vues religieuses de nos jours? Il risquerjiit beaucoup de trahir les deux
parties.' L'intention de M. Ramsay est évidemment de reproduire la pensée de Paul
sans l'altérer, mais telle qu'elle lui est apparue dans le cadre de sa vie studieuse.
C'est une œuvre d'ardente sympathie, car le savant moderne ressent profondément
l'impulsion du génie de Paul: et cependant il n'est pas de ceux qui le grandissent
au détriment de Jésus. Ses connaissances, très rares à ce degré, du monde gréco-
oriental, lui donnent un avantage que n'ont pas eu maints exégètes de cabinet. Mais
le plus modeste d'entre eux avait à son service l'accumulation des travaux anté-
rieurs. En les négligeant, en déchiffrant les textes de Paul comme des inscriptions
découvertes en Asie Mineure, M. Ramsay s'est exposé à un échec. 11 n'a été donné
jusqu'à ce jour à personne de retrouver par ses seuls efforts cette synthèse de l'en-
seignement paulinien qui existe déjà dans la tradition catholique. Par exemple,
M. Piamsay a très bien vu l'importance de la foi dans le système de Paul. Mais ni les

sacrements, baptême ne figurent dans sa table des matières TEucharistie'prend


ni le :

quelques lignes, comme un rite traditionnel qui n'a aucune attache avec l'enseigne-
ment de l'Apôlre. Aussi n'est-ce pas dans ces pages générales, dans ce que nous
continuons à nommer théologie — terme sans doute suranné! — que l'on trouvera

beaucoup de lumières. Leur intérêt est de mettre dans un très haut relief un Paul
homme d'action, haïssant l'idolâtrie telle qu'on la pratiquait autour de lui, ^pas-

sionné pour le bien, tel qu'il est en Jésus, et parce que c'est la « Voie » qui conduit à
Dieu 2), un génie pratique, qui n'a point emprunté à l'hellénisme ses spéculations,
mais son goût de la liberté individuelle et de l'éducation morale, en un mot, un
Paul « dans les termes k d'un anglais « du temps présent ». C'est encore une grande
figure, mais ce n'est pas tout l'Apôtre, et surtout ce n'est pas tout son enseignement.

Tel qu'il est, ce livre peut servir dantidote à certaines analyses érudites venues de
la Germanie. L'autorité de M. Ramsay nous est surtout précieuse lorsqu'il nie
vigoureusement l'influence des mystères païens sur la religion chrétienne. Non que
Paul ait ignoré l'existence et les pratiques des mystères il les a condamnés. C'est :

une des plus intéressantes contributions du savant romaniste et de l'explorateur


intrépide, que l'explication d'un passage de l'épitre aux Colossiens (2, 18) par les
inscriptions de Notion et la disposition du sanctuaire découvert à Antioche de Pisi-

die. On disait d'un initié, après qu'il avait reçu l'initiation, qu' > il entrait », « se

mettait sur un certain pied » {hz^i-i-j-:-.^). C'était à la fois l'acte matériel d'entrer

8o de \iii-4j" pp. « in New York l'niversity ., en 19i0. Kdité en I9l;{,


The Deems lectures
(1)
2= éd.en l'reparatory
lUli- Trois parties ((uestions;
: The Thouylit of l'aul: Suljsidiary (|uestions.
Voici les titres de ces appendices Allocution de Paul à la Cour de l'Aréopage à Athènes; Rap-
:

ports de saint Paul avec les mystères grecs; La théorie que Paul était épileptique: L'hymne de
l'amour céleste (I Cor. 13); L'emprisonnement et le procès supposé de Paul à Rome 'Act. 28): La
date de l'Épitre aux Galates; L'usage du mot « mystère » dans les Épitres; Dr. Deissmann sur les
Kpîtres de Paul comme littérature.
>,"2; Ou ne voit pas trace dans M. Ramsay de la justification au sens luthérien.
588 ÏIEVUE BIBLIQUE.

dans une salle où se tenait le dieu sur son trône, et le symbole d'une vie nouvelle.
Paul met les Colossiens en garde contre ces actes symboliques où l'on réalise ce
(juon a d'abord vu (a É6pa/.£v èjjLêaxsuwv).

M. Ramsay nous paraît moins beureux lorsque, poussant à ses dernières consé-

quences sa tbéorie qui transforme les Pisidiens en dalates, il admet une date très

ancienne pour l'épitre aux Galatcs, si ancienne que l'épître serait, comme le voulait
M. Valentin Weber, antérieure au concile de Jérusalem. Titus n'aurait pas été con-
Paul nie absolument, mais il s'y serait soumis de
traint à la circoncision, puisque le

lui-même, ou, en galant bomme, il se serait éloigné pour n'être point un sujet de
(juerelle. L'épître serait l'œuvre d'un jeune bomme, auquel la vie enseigna ensuite

à faire des concessions... Tout cela est peu vraisemblable. — On s'attendait bien à voir
M. Ramsay joindre sa protestation à celle de M. SeligmùUer, contre ceux qui font
de Paul un épileptique. Il n'a pas manqué de montrer combien cette imputation est
contraire à l'observation médicale comme à la psychologie du grand Apôtre. Ligbt-
foot ne lui a donné son appui que parce qu'il a ignoré la vraie et affreuse nature de
l'épilepsie qui passait alors pour une incommodité des grands génies. M. Ramsay
croit que Paul était atteint de la malaria d'Asie Mineure.

La prédication n'entre pas dans le programme de la Revue, mais elle ne peut signaler
qu'avec sympathie les efforts des prédicateurs pour distribuer aux fidèles la subs-
tance de l'Évangile. Ils ne font que se conformer en cela aux désirs exprès de
S, Sainteté Benoit XV. L'exemple est d'autant plus autorisé quand les discours sont
tenus dans la Basilique de Saint-Pierre à Rome, et d'autant plus ellicace quand ils

sont animés d'un souffle vraiment chrétien, avec ce ton plus pénétrant et plus assuré
que donne la méditation des paroles de Jésus. En traitant du règne de Dieu (1), le
R. P. Cordovani, O. P., n'ignorait pas que le sujet attirait spécialement l'attention
des exégètes les plus récents, et il a pris connaissance de leurs travaux. Mais, comme
il convenait à la chaire, il a évité les discussions et proposé aux âmes, si profondé-
ment secouées par la grande guerre, les perspectives consolantes du royaume de
Dieu, inauguré sur la terre par le christianisme et consommé dans la vie éternelle

auprès de Dieu. Tout le monde peut apprécier l'accent convaincu de ces paroles
ardentes. De bons juges sont sensibles à la pureté et à la grâce de la langue.

M. CI). Bruston, de la faculté protestante de Montauban, admet que les chapitres


10 à 13 de \d(lenxi<}me êpilrc aux Corinthiens (2 ne sont pas la conclusion naturelle
Mais au lieu d'y voir la lettre il admet
sévère dont parle l'Apôtre,
de cette épître.

cinq épitres aux Corinthiens, la première et la troisième seraient perdues: nous


aurions les trois autres, la seconde épître canonique étant formée de la quatrième et
de la cinquième. Ces points sont discutés, ainsi que la question de l'incestueux,
surtout à propos d'un ouvrage posthume de M. Georges Godet (3), lils de Frédéric
Godet, le célèbre théologien neuchàtelois.

\ous n'avions point encore signalé la traduction des Odes de Salomon par M. Brus-
ton. Il a donné à son étude, qui comprend une introduction et des notes, ce titre :

di Dio, Kome, I!)I8. 1.cs dix-sepl cliapilros de ce livre représentent la doctrine de


(\i.Il reijiio
la station (|uadragésimale de I!il8.
Ci) Les trois r/jUrcs de l'a/jolre Paul nu.v Corinlhiens. ennservées par ri:sliso, élude critiiiue
et liistori(|ue, par Cli. Bp.iston. doyen lionoraire, in-8" de M
pp. Paris, lisclibaclier, 1!»1".
{3' G. (iuDKT, La seconde cpiire aux Corinllticns, comnienlairo publié par Paul Comtesse fils,
Keufliâlel, VM't.
bul[i:tin. o«o

Le*- plu^ anciens cantùjues chirtiens (1). titre qui pourrait dérouter par son vague.
M. Bruston opine donc comme M'-'" Batifïoi (2 que les O'A's- sont purement d'origine
chrétienne, et s'il y trouve « une certaine analogie avec le gnosticisme » (p. 26), il

admet en même temps que l'auteur n'était p;is gnostique et " combat nu contraire
vivement le gnosticisme ». C'est ce (|u'on r:ura peine à concéder.

Ancien Testament. —
Journal of hibllcal Lilcralure (mars à juin
Dans le

19t7 M. Morris .lastrow, Jr.. essaye de ramener la critique de l'Ancien Testament


.

à tenir un certain compte de la tradition ;:î;. Il l'invite du moins à rechercher les


causes' qui ont constitué la tradition telle qu'elle est. Tant qu'elle n'a pas fourni
demeure au-dessous de sa
cette explication, la critique tâche. En d'autres termes,
après une période où son œuvre a été surtout négative, il souhaiterait qu'elle cons-
truisît avec les matériaux gisant sur le sol. L'intention est bonne, mais M. Jastrow
estime toujours trop pas assez la tradition. Il lui plait de reconnaître
la critique, et

Moïse comme Hébreux,


le législateur des et, en effet, sans ce fondement, toute la

tradition est inexplicable. Il ajoute que le Déealogue doit être son œuvre, et il essaye
de montrer, par des arguments critiques, que les Commandements répondent en
effet à l'état social des Hébreux, à la condition d'ailleurs de prendre le sabbat pour
la période de la pleine lune. Mais, sans parler de ce point spécial, ne serait-il pas
possible de prouver que plusieurs lois ont un aspect plus ancien, ne fût-ce que la
défense de cuire le chevreau dans le lait de sa mère? Si l'on prend de telles liber-
tés avec la tradition, on doit renoncer à trouver nulle part un point ferme pour
bâtir. Les critiques ne sont pas unanimes dans la. destruction, ils le seront beau-
coup moins encore dans la reconstruction.
Dans Je mêmeM. Ryle présente une nouvelle solution du problème du
recueil,
Pentateuque (4) qui n'aboutirait à rien moins qu'à renverser tous les résultats de la
critique sur les différents auteurs du Pentateuque. Daprès ses recherches, outre
certains termes généraux, lois, paroles, alliance, témoignage, on trouve dans le
Pentateuque des termes spéciaux pour désigner certaines catégories de l'ordre légis-

latif. Les «jugements (ni'i23r^) s'entendent des décisions transmises par la juris-
«

prudence: ils sont relatifs aux différends dès hommes entre eux ou dans leurs rap-
ports avec la société- Les « statuts » (û!ipn sont des règlements de droit positif
qui déterminent ce qui est bien et ce qui est mal, ou plutôt ce qui est permis et ce
qui est défendu. Les commandements (mirai sont des principes fondamentaux d'où
découlent des obligations morales. Ces trois catégories distinctes sont assez naturel-
lement présentées sous des formes différentes les jugements sont rédigés brièvement,
:

comme un répertoire utile à la mémoire-, les statuts sont décrits plus longuement,
par exemple ce qui regarde le Tabernacle et les cérémonies-, les commandements
auront plutôt la forme brève des jugements. Toutes ces lois pourront aussi être
l'objet d'exhortations pour en inculquer la pratique. Et l'on note
encore que chacune

de ces formes devra avoir un vocabulaire différent.


qni ^a beaucoup surpris,
Ces préliminaires établis, M. Kyle aboutit à ce résultat
que la
que les nouvelles catégories qu'il a discernées correspondent aux documents
critique a constitués et attribués à des auteurs différents. Ainsi le document JE

des notes, par Cli. Hms-


Traduits sur la seconde cdilion syriaque avec une introduction et
(1)
TON, doyen honoraire. in-8° de 0) pp. Paris, Fisclibacher, l'JI-2.

Les. Odes de Salomun, une œuvre chrétienne de l'an


10u-l->(). tra-
(2) I LApoiîRT et P. B.vTiFKOi.,
Paris. Gahalda, l'Jll.
(luction'française et introduction lnstori(|ue. ln-8» de vin^i2i pp.
Conslructive éléments In the critical sludy of the Old Testament.
(3
[i A new solution of the Pentateuchal problem.
o90 REVUE BTBLiyUE.

(lahviste et Élohiste^ se compose de textes relatifs aux jugemeots et aux commande-


ments. Le document P (Code sacerdotal} se compose de la description des statuts.

Le Deutéronome exhorte à la pratique de toutes ces lois. Arrivé à ce point, M. Kyle


se défend de conclure qu'il a renversé la théorie documentaire, mais il n'est pas

éloigné de le penser. En tout cas, déclare-t-ii, ce n'est donc pas la seule hypothèse
qui rende compte des faits. Elle a même cette infériorité sur la nouvelle solution
qu'elle est ohligée d'introduire un élément nouveau, celui de la dilTérence des
auteurs; or « une théorie qui opère sans appeler à son aide un élément hypothétique
est plus prohable que celle qui y fait appel » (p. 47^
Ce serait à merveille si M. Kyle avait vraiment tenu compte des éléments du pro-
blème et répondu à la principale, à la seule question posée le Pentateuque, il le :

constate une fois de plus, et c'est l'évidence des textes et de la tradition, se compose

de textes législatifs qui n'ont pas été promulgués dans le même temps. Toute la
question est de savoir quel intervalle sépare ces codes ou ces lois. Les critiques
croient voir entre les jugements et les commandements (soit le Code de l'alliance),

la prédication de la Loi entière soit le Deutéronome), et les statuts soit le Code


sacerdotal), le rapport qui existe entre des lois retouchées, complétées au cours d'un
temps assez long. Si leurs observations sont justes, il faut nécessairement admettre
des rédactions attribuables à des auteurs différents. M. Kyle n'a fait qile rendre plus
probables ces différences de rédaction il est au pied du problème à résoudre. On
:

sait que la discipline catholique n'en inlerdit pas l'étude dans une mesure compa-

tible avec la tradition.

Notons encore dans la même revue, même numéro, un article de M. John


P. Peters sur le culte de Tammuz ;i), nommé en toutes lettres dans Ézéchiel (8, 1-1).
M. Peters connaît très bien le climat de la Babylonie et il a essayé d'en tirer ime
explication du culte de Tammuz ou Adonis. On ne saurait dire qu'il y a réussi. Le
mois babylonien de Tammuz est le mois qui va de la mi-juin à la mi-juillet. C'est
le moment où l'inondation du Tigre et de l'Euphrate atteint son maximum. Et cepen-

dant Tammuz-Adonis est le grain, semé dans le limon, après la fin de l*inondation.
c'est-à-dire au plus tôt eu septembre, et pleuré lorsqu'il est enseveli dans la terre.

La coïncidence donc loin d'être parfaite. Mais s'il fallait sacrifier un point, ce
est
serait du nom du mois qui peut tenir à des causes astronomiques.
l'explication
Il faut tenir solidement au fait que les jardins grecs d'Adonis ont leur prototype
dans les semences jetées dans le limon et parfois brûlées aussitôt par le soleil encore
trop ardent. Ceux qui parlent si aisément de la résurrection d'Adonis suivant immé-
diatement la lamentation pourront méditer le doute prudent de M. Peters « Appa- :

remment le Tammuz qui était pleuré comme mort fut aussi un objet de joie comme
quelqu'un qui devait ressusciter. Mais ce n'est pas si clair, ni si les réjouissances
suivaient immédiatement la lamentation, ou après quel intervalle? Elles sont indi-
quées dans quelques-unes des liturgies de Tammuz, mais c'est tout ce que nous
pouvons dire » (p. 108i. Si Tammuz est le grain, comme nous le croyons avec
M. Peters, pleuré quand on l'ensevelit en terre, la résurrection ne peut être que l'ap-
parition de l'épi, ce qui suppose bien un long intervalle.

La llciuc a parlé plusieurs fois du système de M. \aville sur l'origine de l'Ancien


Testament. Le Pentatcufjue écrit en langue et en écriture babyloniennes, traduit en
araméen par Esdras. Les prophètes écrivant en langue et en écriture araméennes.

(1) T/ic Worsfiijj of Tammuz.


BULLE UN. ^^-^I

Cet ensemble traduit ensuite en judéen. c'est-à-dire dans le patois de Jérusalena, et


écrit en écriture carrée, transformation de l'écriture araraéennc. Tout cela a été
répété dans les Schiveich Lectures do li)l.> 1 . Le point nouveau c'est remploi
de rhypothèse de M. Evans sur l'origine crétoise de l'alphabet pliénicien. D'après
M. Naville, l'alpliabet crétois s'est insinuô en Phénicie, puis dans le royaume
d'Israël, tandis qu'en Judée les prophètes demeuraient fidèles à l'alphabet araméen.
Mais en donnant cet appui à sa théorie. M. Xaville énonce plus clairement une opi-
nion que nous avions entrevue, mais qu'il nous paraissait dur de lui imputer, c'est
que l'alphabet phénicien et l'alphabet araméen sont distincts à l'origine .
Or c'est

une lourde erreur, qui pèse lourdement sur une conception d'ailleurs si insoutenable.
Sur trois lectures, M. Naville en a consacré une entière à l'examen de l'hypothèse de
Wellhausen sur les origines du Pentateuque. C'est sans doute qu'il veut donner sa
théorie comme le salut, et le seul, de l'opinion conservatrice. Les choses n'en sont
pas là.

M. A. Marmorstein a repris dans la Theolorjisch Tijdschrift (2) l'étude des fragments


dits Sadocides, publiés naguère par M. Schechter (3). Tandis que les savants Israé-
lites étaient généralement d'accord avec les autres pour assigner à ces
fragments une
dae assez élevée, M. Marmorstein place au xi'' siècle l'éclosion de cette secte et de

ses écrits. Il estime qu'à cette date il se produisit un mouvement de rapprochement


entre les Qaraïtes et les Riibbanites, et que les célèbres fragments sont une tentative
de fusion en faisant droit à certains points de la morale Qaraite. L'écrit serait à la
fois une sorte de protocole conciliant et une polémique ardente
contre certains

hérétiques juifs qui parurent alors. Le plus ancien serait Chiwi Albalchi, qui admit
un intermédiaire entre Dieu et le monde il eut des adeptes, si bien qu'au commen-
;

cement du xr^ siècle on en vint à tenir des propos fort libres, dans le goiit de Vol-
les hérétiques
taire, contre la Bible et les grandes flgures d'Israël. Mais tandis que

du du x« siècle avaient
[X'' et été réfutés par les Qaraïtes comme par les fjaoaun, le

mouvement du xF siècle, qui s'attaquait lui aussi à la toute-puissance, à la science,

à la justice de Dieu, n'aurait pas suscité d'adversaires


— si ce n'est précisément le

document relatant la fondation de la secte de Damas.


11 faut savoir bon gré à M. Marmorstein des renseignements
qu'il nous donne sur
son adversaire Qaraïte Daniel Alkumissi, dont il a étudié
Chiwi Albalchi et sur le

les fragments sortis de la Genizah du Caire et déposés au Brilish Muséum. Mais il

ne t.emble pas avoir établi sa thèse.


que l'adversaire visé par le document de la nouvelle alliance
Il croit pouvoir établir
de Damas, l'homme d'ironie, le libre penseur, est Chiwi ou plutôt un de ses imita-

teurs du xi^ siècle. Pour le rapproche du document certains passages de


prouver, il

étroite, ou rien
Daniel, réfutateur de Chiwi, oii rien ne suggère une dépendance très
plus anciens. Les
ne marque des auteurs contemporains, à l'exclusion d'auteurs
la même depuis
ressemblances s'expliquent par la même atmosphère, mais elle était
le document damascé-
bien longtemps. Et il est toujours loisible de supposer que
plus récents. Assurément
nien a pu exercer une certaine inQuence sur les auteurs
Chiwi un libre penseur, mais aucun trait du document ne le
a été par excellence
désigne même par ses erreurs, ni lui ni ses adeptes.

NAvn.i e, D. C \...LL.V>.,\).
{V: The british Academy. The lext of the old Testament, by EDOLUio
Universily Geneva, Foreign Associaie of the insUUite ol Fiance,
LiU. F. S. A. Piofessor at the ol'

in-g" de viii-8-2 p. Loudon, -1916.


(2) Eine unbekannte Juedische Sekle,
année 1918, p 92-12-2.
(.3) Cf. Revue biblique, 1912, |).
243-240, 321-360.
,

;i92 REVUE BIBLIQUE.

JM. Marmorstein croit aussi pouvoir prouver que la jurisprudeuce du document est
postérieure au Talmud. M. Bùchler, une très grave autorité, a été beaucoup plus
réservé. De ce qu'on signale au x*^ ou au xr' siècle quelques-uns des points de la
jurisprudence du document, il ne s'ensuit pas qu'ils datent de cette époque, et dans

certains cas M. Marmorstein constate qu'ils étaient connus depuis longtemps. Sa


position ressemble à celle du bûcberon qui scie la branche sur laquelle il est assis. .

Il insiste sur le regain de popularité des apocryphes juifs au xi® siècle pour tracer |
l'esquisse des préoccupations de ce temps d'après ces textes; c'est confesser que les
usages en question étaient antérieurs, et pourquoi le document damascénien ne
refléterait-il pas la première impression produite par lesdits apocryphes? Cela est

surtout plausible pour la question du Messie. Le document rejette avec mépris le


Messie fils de David. M. Marmorstein trouve à grand'peine deux indices ti'ès légers
d'une attente, au xi*" siècle, d'un Messie fils d'Aaron. Dans les Jubilés et dans les I
Testaments, cette tendance beaucoup plus claire. Peu importe ici le silence du
est

Talmud, que par exemple il n'ait pas combattu les attaques contre la polygamie chez
les Juils. Le Talmud est muet sur beaucoup d'autres questions vitales, réservant sa
salive pour bavarder sur de menues controverses.
Si les preuves de M. Marmorstein sont peu solides, sa conjecture. est en elle-même
peu vraisemblable. Qu'il y ait eu au xi'^ siècle des tentatives de rapprochemeuts entre
Qaraites et Rabbanites, qu'il y ait eu. cà et là, des contamination^, cela est dans la

nature des choses. Encore est-il qu'il n'a fourni aucun indice d'une conciliation par
concessions réciproques dans le domaine religieux. Et le document de Damas n'a

nullement l'allure d'un protocole d'arrangement. 11 attaque avec violence un parti,


un seul, et fonde une secte pour se dérober à son joug. C'est toute sa préoccupa-
tion. El puisque tant de savants distingués ont donné des raisons pour une origine
plus ancienne de la secte — qui sest elle-même datée de quelque manière —
M. Marmorstein aurait pu leur faire l'honneur de discuter ces raisons.

Ce n'est pas le titre qui plaira le plus dans la grammaire hébraïque du R. P. Bo-
naventure Ubach, professeur au grand collège international des Bénédictins de
saint Anselme à Rome. Lerjisne Toram? (1). Si j'apprends l'hébreu, ceu'est pas seu-
lement pour lire la Torah, qui n'est que le Pentateuque, et c'est bien aussi l'intention
de l'auteur qu'on lise tout l'Ancien Testament hébreu.
Il a voulu sans doute accentuer dans le titre même son dessein de rendre l'étude
de l'hébreu très pratique. Trop souvent ses élèves n'y ont vu qu'une culture de.
luxe, leur permettant de déchilfrer quelques textes, sans les mettre en état de les
posséder familièrement. D'où son dessein de faire suivre toutes ses explications
d'exercices dont le but est d'apprendre à la fois le sens des mots et l'application
des règles. L'ouvrage sera divisé en deux volumes. Kous n'avons dans le premier
que la phonétique et la morphologie. Les principes sont exposés très clairemeut,
dans un très bon ordre, et en somme d'une façon complète de sorte que cette gram-
maire, une fois apprise, pourra toujours servir d'un utile mcmento.
Mais c'est une question de pédagogie qui reste ouverte, de savoir si quelques no-
tions philosophiques ou même physiologiques sur la nature des lettres, le résultat
de la combinaison des sons, etc. ne seront pas plus utiles à la mémoire de l'élève

que des listes d'exemples. Sûrement, à propos de la syntaxe, l'auteur reviendra sur

(1) Lcf/isnc Toram? Grammatica practica linguae liebraitae seininariis si'liolisque puhlicis
lacconunodata. auctore 1). B. litAc ii, 0. S.
1$. Vul. I. l'iionologiani cl Morphologiam coniplectens,
n-«" (le \ii-21i PI). simi|)til)iis Mouastcrii It. M. V. Monlisserrali, I9ls.
BULI.KTl.N. 593

la distinction et la portée des temps. Mais quelques indications n'auraient-elles pas


aidé à comprendre comment, après avoir parle seulement du parfait et de l'impar-
fait, on rencontre tout à coup le nom de futur (p. 61)? Il est vrai qu'en somme rien
ne peut suppléer l'enseignement oral, qui trouvera une excellente base dans l'ouvraiïe
du R. P. rbach. La netteté de l'impression ne laisse rien à désirer; la beauté du
papier est a rendre les pauvres écrivains jaloux.

Babylone. ^ Le splendide bloc de diorite sur lequel est gravé le code de Ham-
mpurabi malheureusement pas intact. Quelques lignes ont été effacées, qui con-
n'est
tenaient de 35 à 40 articles. Le grand législateur n'avait pas manqué de dresser
d'autres exemplaires officiels de ses lois. Mais pouvait-on espérer une autre découverte
aussi heureuse? Cela n'est point nécessaire, et l'on sait maintenant que les écoles de
droit possédaient des exemplaires portatifs. L'obligation imposée aux Israélites de
copier la loi de Moïse reçoit ainsi une certaine illustration. Une tablette provenant
des fouilles de Nippour, aujourd'hui au musée de Pennsylvanie, faisait partie d'im
de ces recueils. C'est un exemplaire d'étude, de forme carrée, mesurant 0"',2.j de
côté. D'après l'estimationdu P. Scheil, le code entier pouvait être contenu sur une
demi-douzaine de tablettes semblables. Outre des parties déjà connues par l'exem-
plaire étalon du Louvre, la tablette de Pennsylvanie renferme à peu près le quart de
ce qui manquait. Les dispositions relatives au prêt à intérêt et aux sociétés ont fait
l'objet des études de M. Cuq, qui leur a consacré un important mémoire (D.
Le droit de Hammourabi était déjà si perfectionné qu'il sollicitait la compétence
d'un romaniste aussi distingué.
Cependant, à cette haute époque, l'argent n'était pas aussi nettement distinct
comme valeur d'échange qu'il l'est de nos jours. Comme il n'était pas monnayé, mais
pesé, il était presque assimilé à d'autres objets qui se consomment par le premier
usage : « On peut faire un prêt d'argent remboursable en blé, oignons ou briques;
un prêt de laine ou d'huile remboursable en argent » (p. 7). Bien plus, le législateur

imposait au créancier de recevoir en paiement d'une somme d'argent du blé ou


même un champ avec ses fruits, si l'emprunteur ne pouvait se libérer autrement.
L'intérêt était considéré comme légitime. Cependant le législateur avait fixé un
maximum, si l'objet prêté était du blé, 20 pour cent si c'était
oS pour cent de
l'argent. D'ailleurs, il ne menaçait pas l'usurier qui aurait dépassé ce taux de peines
bien graves. Il perdait sa créance si l'emprunteur refusait de payer, mais les intérêts
usuraires une' fois payés étaient acquis. Il s'était d'ailleurs efïbrcé de dépister les
fraudes destinées à dissimuler le taux excessif de Tintérêt. De plus, il exonérait -le

débiteur de la charge de l'intérêt « lorsque l'orage a inondé son champ et emporté


la moisson, ou bien lorsque, faute d'eau,le grain n'a pu germer ». D'après notre

droit, issu des principes romains sur le mutuum, le prêt de consommation a pour

effet de rendre l'emprunteur propriétaire de la chose prêtée; « c'est pour lui qu'elle

périt de quelque manière que cette perte arrive » (Code civil, art. 1893). a La loi
babylonienne se place à un autre point de vue elle coaoïùere le prêteur comme une
:

sorte d'associé » (p. 60). Il semble que cette manière de voir résout la principale

difficulté opposée au prêt d'argent avec intérêts par le droit canonique. Car l'intérêt
n'est plus qu'une part du bénéfice. La disposition favorable à l'indigent confirme
ce que M. Cuq a reconnu être la conception babylonienne de l'intérêt " l'intérêt est :

(1) Les nouveaux fragments du Code de Hammourabi sur le prêt à ialércl et les sociétés,
extrait des Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, tome XI.I, in-4" de ll'J pp.
Paris, 1918.
r,n REVUE BIBLIQUE.

une part du croît du capital. Lorsque, sans la faute de remprunteur, par suite d'un
cas de force majeure, il n'y a pas de croît, le prêteur ne peut exiger l'intérêt
de l'année » (p. 60).

L'illustre maître a retrouvé de l'association dans un cas qui nous fait


le principe

songer à la parabole des talents. Cette fois, l'avantage est pour celui qui a avancé
de l'argent. Lu négociant confie de l'argent à son commis et le charge de le faire
fructifier par des opérations de toute nature. Le commis aura sa part des béné-

fices, selon l'accord conclu par les parties. Mais « si le commis déclare qu'il n'a

réalisé aucun bénéfice au cours de son voyage, il est tenu de payer au négociant
le double de l'argent qu'il a reçu. C'est la peine de sa négligence ou de son
incapacité. Il est présumé en faute et ne peut demander au négociant de partager
avec lui la perte qui en résulte » p. 93). En présence de cette antique disposi-
tion du droit babylonien, le maître de la parabole évangélique ne nous paraît plus
si sévère.
En même temps qu'il nous initie aux subtilités ingénieuses du droit babylonien.
JM. Cuq nous fait connaître le prix relatif des denrées, prix extrêmement variable. 11
lui que
paraît le législateur « est resté fidèle à sa déclaration écrite dans le préam-
bule du Code : « Pour empêcher le puissant d'opprimer le faible, j'instituai dans la

contrée le droit et la justice. » Entendons-le d'une humanité qui tendait à éviter de


multiplier la servitude pour dettes, non à la supprimer, et qui permettait d'acheter
pour 5 sicles d'argent une fille à son père, pour être la seconde femme du mari,
l'esclavede sa première femme.
Des comparaisons érudites donnent de l'agrément à une étude aussi ardue. Qui
se rappelle que l'arrêté du i;> thermidor an IV '6 août 179G^ fixait à 750 myria-
grammes de froment l'indemnité annuelle allouée aux membres de l'Institut? Qui ne
croirait que cela se passait « dans des temps très anciens » ?

Le mémoire de M. Alfred Boissier sur La situât loti du paradis terrestre (I)


ne prétend pas conduire le touriste ou le pèlerin au site même de l'Eden. Regardant
le problème géographique comme insoluble, et n'essayant pas de serrer de près
lestermes du texte de la Genèse pour découvrir le sens de l'écrivain sacré, il se
contente de noter quelques points intéressants. Calvin est cité comme ayant eu
.(le premier?) l'idée d'exphquer les quatre fleuves de deux fieuves, le Tigre et l'Eu-
phrate, réunis en un seul et ensuite séparés de nouveau. Son texte est curieux :

« Or ce n'est pas chose obscure ne difficile à entendre, comment ce fleuve a été


divisé en quatre chefs. Car ce sont deux fleuves qui s'assemblent en un et puis se :

séparent en diverses parties. Ainsi en leur conjonction ou confluence, ce n'est


(la'iuifleuve, duquel il y a deux chefs et deux conduicts d'en haut et deux vers
la mer, quand ils recommencent à se séparer encore plus loing (2) ». Mais n'en
déplaise au réformatem- de Genève et à Huet, évêque d'Avranches. qui adopta la
même interprétation reprise de nos jours sous diverses formes par quelques assyrio-
logues, cette interprétation a quelque peu rationalisé la description de la Genèse.
Dans la nature les rivières et les fleuves se confondent en un seul cours; on ne
volt pasune source former quatre fleuves. Et l'on a donc cherché dans la nature
une combinaison qui pût cadrer avec le texte. Mais en r('alité aucune ne cadre.

(11 Le Glnbo, organe de la Société de Géographie <le Genève, t. I-V, l>H(i.


(2» Commentaire Oc M. Jean Calvin xnr le l'rcitiier lAvre de Moyse, dit Genèse, clicz Jean
(lérard, lu.')'», p. 33.
BULLETIN. -i^-'

ce uest que le Nil se partage eu plusieurs bras. Seulement est-il prouvé


qu'en
si

décrivant le jardiu miraculeux de l'Éden, l'auteur sacré cherchait ses traits daus
la nature, telle qu'on la connaissait de son temps? .M. lleuzey a depuis longtemps
^

déjà (1) signalé « le Symbole du vase jaillissant ». Des statues assyriennes décou-
vertes à Khorsabad. par Victor Place, représentent des divinités coillées de tiares
et qui serrent contre leur poitrine un vase d'où jaillissent quatre Ilots. Après
M. Heuzey, M. Boissier voit dans ces quatre Ilots « les représentants symboli(iués
authentiques du lleuve L'expression est cependant un peu
paradisia<iue » (p. liJ).

trop précise. Du vase sortent quatre bandes ondulées dont deux remontent sur
les

épaulés et deux descendent directement pour se confondre dans une grande frange

au bas du vêtement. Peut-on en conclure que les Assyro-Babyloniens plaçaient dans


la nature ou au Paradis une source donnant naissance à quatre fleuves? Ont-ils
possédé, même empruntée aux « Sumériens », l'idée d'un Paradis? On peut en
douter, même après la publication du texte de M. Laugdou. Et la vue de ces
statues n'eût certainement pas suffi à faire naître l'idée d'une source commune
aisée
à quatre fleuves. Quant au texte hébreu, ce serait se donner une tâche trop

que de traduire avec Segond « il se divisait en quatre bras ». L'évéque d'Avranches


:

disait plus exactement : « il se divisait et était en quatre testes (2) «. Des têtes

ne sont pas des bras, et pour les Arabes aujourd'hui encore, la tète d"un fleuve
c'est la source {Ras el-'Ain). Il faudrait donc se demander si la Genèse ne
décrit

pas un fleuve qui se disperse, c'est-à-dire disparait pour reparaître sous la forme
de fpiatre fleuves sortant du Paradis. :Mais ce n'est point le moment d'analyser le
eillnu, signi-
texte. On a depuis longtemps rapproché l'hébreu 'eden de l'assyrien
fiant d'après F. Delitzsch « dépression, contrée basse ». Depuis, M. King (3) a
publié un document qui parle d'un district à'Edina, d'un canal Edina,
auquel

une ville donné son nom. Cette ville, située à l'extrême sud de la
Edina aurait
Babvlonie, sur les bords du gblfe Persique. a-t-elle quelque rapport avec l'Eden
biblique? Avant de se prononcer là-dessus, M. Boissier ajoute aux points de
com-
paraison le Qu-edin de la stèle des vautours. « A transcrire Gu-edin en
hébreu,

on obtient la lecture Gan-Eden, le waiv pouvant facilement être


:
pris pour un
noun Mais cela n'est vrai que de l'écriture carrée, .non de l'ancienne écriture,
».

et qui croira qu'une tradition comme celle de l'Éden a une origine


pour ainsi dire
livresque? Non, les traditions hébraïques ont plus d'originalité. Il n'y a pas
non
d'une ville
plus grand fond à faire pour situer le pays d'Havila sur l'existence
nommée Hawilum (4) dans une tablette de cuivre qui provient de la^ région de
Samarra. Au contraire, on constate que le bcdolakk est le même mot que l'assyrien
hudidhu, mais le bdi-llunn se trouvait dans une zone trop vaste pour que
cette

essence résineuse aide à fixer le site du Paradis. Au surplus, puisque M. Boissier


bien
ne prétend pas nous y conduire, il faut lui savoir gré de certaines indications
que
groupées, tout en réservant son adhésion sur certains rapprochements
plus

douteux, comme celui d'Adam et de Triptolème.

Palestine. — M. Munier, i.'ibliothécaire au musée égyptien du Caire, a bien voulu

(1) Les origines orientales de l'art, Paris, -1891, p. 169.

(2 Cité par M. Boissier, p. '«.


..,'., ,-. .

Babylonian Boimdary-Stones and Mémorial Tablets in the Brilish Muséum,


,
edite.l by
:3)

L, W. King, M. k., Londres, 1!112, p. 76 ss.


Tliureau-Dangin,
(4) Restitution matérielle de la Stèle des Vautours, par Léon Heuzey et F.

P ris, 1909, p. 46.


596 REVUE BIBLIQLE.

nous communiquer une copie un peu plus complète des deux inscriptions de la

mosaïque de Chellal (1), qui lui avait été remise par un officier anglais.

+TONAETONNEONAAS'IAEI...
MHCANOTEOCIGOT' HMCONE...
KAiO0EO(l)IA^ fEGOPriOCOn (2;...
NAPIOCENTGÛ BÎÔT ETEIKATA...

YMEMAP
IAKAN
lAAIO
KETOON
AAGOAE
VTOY
HGOC
TONNE
OC
Dans uue nouvelle du 30 mai 1!»18, notre aimable correspondant nous
lettre,

informe qu'il n'a pu obtenir aucune photographie « On m'a assuré que le capitaine
:

Briggs qui avait fait la découverte, entendait se réserver la priorité de la publication


et que son article paraîtrait très prochainement dans une revue anglaise avec un fac-
similé en couleur. >'

M. Munier ajoute « On m'a montré, il y a un mois, une photographie dune


:

autre mosaïque, mal conservée, découverte à Ascaloa; elle ne renferme qu'un mé-
daillon dans lequel figure une inscription grecque que je n'ai pas eu la permission
de copier. »

M. Hogarth, du British Muséum, attaché à l'État-Major anglais de Palestine, sans


avoir aucun titre officiel, est chargé de veiller sur toutes les antiquités de Palestine.

Variétés. —
Académie des Inscriptions et Belles -Lettres, Comptes rendus,
année 1817. novembre-décembre. Le morceau le plus important de ce liulletin est
une notice sur la vie et les travaux de M. Gaston Maspero, par M. René Cagnat, (lui
lui a succédé comme secrétaire perpétuel de cette académie. C'est un hommage bien

diï à la mémoire du grand égyptologue. On le signale ici d'autant plus volontiers que

les circonstances ne nous ont pas permis de déplorer en son temps la perte doulou-

reuse qu'a faite la science française et d'exprimer au maître disparu une sincère
gratitude. M. Cagnat a rappelé dans les jeunes années de M. Aiaspero une certaine
ferveur de libre pensée: elle avaitfait place avec le temps à une large sympathie

pour tous ceux qui travaillent sérieusement. L'Ecole biblique de Jérusalem avait
attire son attention, et il se montra fort libéral envers sa bibliothèque. Ceux qui en
venaient étaient toujours accueillis avec uue bienveillance particulière au Musée de
K-asr en-ls'il. Il était un admirable représentant de l'esprit français, très comprehen-
sif, avec le don, si rare chez les philologues, de saisir vivement les réalités. Son

1, /»/>'., \'.\\-. |). .-.(j!t ss.

(2) CeUe lellre - serait-elle la première de TtpEoSj-îpo:, "écrit enabrrgé/ Mais que faire de ce
<l"ii suit? Ou bien serait-ce un TtpwToSojxsvapio;?
BULLETIN. o'J7

regard ouvert aux usages de l'Egypte moderne, plus atteutil' encore aux furnies des
objets antiques, savait lire dans les textes la vie d'autrefois. En même temps,
homme d'action, du Musée égyptien du Caire le plus parfait des Musées,
il a fait
celui qui représente le mieux le développement d'une longue histoire. C'est aussi le
seul qui possède un catalogue monumental déjà très avancé, assez illustré pour
donner au dehors quelque idée des richesses sorties des fouilles. Il a initié le gr<ind
public à la vie de l'Orient ancien dans son Histoire des peuples de l'Orient. Pour
l'Egypte surtout, c'est un tableau incomparable, tracé d'après les monuments plus
que d'après les livres, et auquel absolument rien en Allemagne ne peut être com-
paré. Et si l'on sait tirer parti des notes, on sera renseigné sur les questions que se
pose l'érudition, on aura en mains les éléments nécessaires pour les résoudre —
I quand
prodigieux
elles peuvent
était
l'être, — car
l'amoncellement de richesses que
^L Maspero était de ceux qui savent douter.
lui avait fourni le sol, qu'il s'atta-
Si

chait à ces choses, les pénétrait, les comparait, les mettait en action, et il ne se

plaignait pas s'il lui restait peu de temps pour discuter des hypothèses. 11 ne nous
appartient pas de résoudre la grave controverse qu'il a soutenue contre l'école alle-
mande de Berlin sur le caractère de la langue égyptienne que M. Erman a traitée
un peu à la façon d'une langue sémitique. L'esprit égyptien, dans toutes ses mani-
festations, est si éloigné de la précision, de la netteté, aussi de la rigidité sémitiques,
qu'on serait étonné si la langue pouvait s'analyser avec la même rigueur. Quoi qu'il
en soit de ce point particulier, Maspero a cherché passionnément le secret de lEgypte.
Uniforme et monotone pour ceux qui, bercés, et presque endormis aux flots du Nil,
n'aperçoivent que des palmiers et des sables, elle a changé au cours de sa longue
histoire, elle a toujours été variée dans ses diverses provinces, et seul le grand égyp-
tologue a pu analyser ces nuances délicates, pour avoir tenu dans ses mains et sou-
vent les manifestations de son art. A-t-il pénétré avec autant de sûreté aux bords
mystérieux où elle promenait son rêve nonchalant, mêlant ensemble le divin et les
du Nil et dans les champs de l'au-delà, exprimant l'indicible
êtres, la vie sur les rives
par mélange de l'homme et de l'animal, raisonnant à perte de vue sur les dieux
le

et leurs existences? Lui-même, en puissant réaliste, ne l'aurait pas afQrmé. Cependant

sur ce domaine aussi il a posé un principe solide, en cherchant l'énigme des combi-
naisons théologiques dans la fusion de cultes d'abord distincts. Tout ce qui était trop
systématique lui déplaisait, et c'est peut-être pour cela que son o'uvre sera à conti-
nuer, mais non à refaire. Entre l'Egypte pharaonique ou ptolémaique et l'Egypte
moderne, il n'affectait pas d'ignorer l'Egypte chrétienne. C'est sans doute par ses
conseils qu'un de ses (ils, M. Jean Maspero, s'était fait une spécialité des papyrus
grecs. La mort de ce tombé au champ d'honneur, a sûrement hâté la sienne.
(ils,

Le même bulletin contient (p. 484 ss.) une communication de M. le comte Alexan-
dre de Laborde sur quelques manuscrits à peintures des bibliothèques de Petrograd.
Qu'on nous permette de relever Les louaiiyes Monseigneur saint Jehan VEvanfjè-
:

liste. Un un maître en divinité de l'ordre des Frères prêcheurs, vers


livre qu'a fait

1370. Ouvrage mystique en prose que M, de Laborde croit inédit. Et encore Les :

Epistres de saint Je7-osmes, sm- \élia. Au folio l v^ on lit Le frère Anthoyne du Four, :

docteur en théologie de l'Ordre des Frères prescheurs, par miseracion divine evesque
de _^Iarseille, a bien voulu eu ensuivant ses prédécesseurs translater de latin en
français les epistres sequentes par le commandement de madicte souveraine dame
Anne de Bretagne, Royne de France et duchesse de Bretague.
Année 1918. Bulletin de janvier-février. Séance du 22 février « Au nom de :

M. François Thureau-Dangin, son confrère mobilisé, le P. Sclieil lit un travail sur un


598 REVUE BIBLIQUE.

lot de tablettes acquises récemment par le Musée dii Louvre, tablettes du xiv siècle
avant notre ère, appartenant à la collection dite à' El-A7namt( Les documents en .

écriture cunéiforme font partie de la correspondance échangée entre les rois


d'Egypte, Aménophis III et Aménophis IV. et les gouverneurs des pays de Syrie et
de Palestine plus ou moins indépendants, plus ou moins vassaux de l'Egypte. Ce
nouvel appoint à la collection d'El-Amarna ajoute de très intéressants détails à ce

qu'on savait déjà de l'état politique et militaire de la Syrie et de la Palestine vers


1400 avant J.-C. » (p. 104 s.).

Même séance. M. Clermont-Ganneau olïre à l'Académie de la part de l'auteur,


M. Cowley, bibliothécaire de la Bodleian Lihrary, un ouvrage en deux volumes inti-
tulé The
: Samaritan Liturgy. « C'est une œuvre considérable qui a coûté à l'au-
teur de longues années de recherches et de travail. Il a relevé ou déchiffré et trans-
crit en caractères hébraïques courants, et commenté tous les manuscrits rentrant
dans son sujet qui se trouvent dispersés dans les principales bibliothèques et collec-
tions publiques au Vatican, au Bi'itish Muséum, à Oxford, Manchester, Paris,
:

Berlin, Gotha, etc. La matière première ainsi recueillie, et élaborée avec une rare
érudition, formeune masse imposante de 880 pages d'impression compacte de textes
originaux. Elle constitue le second volume. C'est un véritable Corpus linn'f/ieum i
comprenant les hymnes, prières, oraisons, etc., employées dans les divers oltices et
cérémonies. Le premier volume est consacré tout entier à une introduction des plus
remarquables, où l'auteur expose et discute les principales questions d'ordre philo-
logique, historique et religieux soulevées par l'étude approfondie de ces documents
rendus ainsi accessibles à la critique scientifique » (p. 110 s.}.
TABLE DES MATIERES

ANNÉE 1918

N°' 1 et 2. — Janvier et Avril.

Page»
I. AL<;rSTL\. PELAGE ET LE SIEGE APOSTOLIQUE (111-117). — M-" Ba-
tif f ol â

IL NOTES SUR LES PSAUMES. — E. Podechard 54)

III. LES SENTENCES DU SEIGNEUR EXTRACANONIQUES (LES AGRAPHA». —


I IV.
E. Jacquier

LES SYMBOLES DE ZACHARIE, — R. P. D. Buzy


'^S

130

Y. 3IÉLANGES.. — 1° Notes sur les recensions hésychienne et hexaplairc du


livre deNéhémie (II Esdras), G. Bardy.— 2" Le premier dictionnaire de
la Bible, R. P. Abel. — 3° Keclierches sur la chronologie de la vie de

Notre-Seigneur. M. Chaume. — 4" Saint Jérôme reviseur du Nouveau Tes-


tament. E. Mangenot. — 5" La- revision de la Yulgate par S. Jérôme,
R. P. Lagrange l'*-

YI. RECENSIONS. - Jean Juster, Les juifs dan» l'empireromain iR. P. La-
grange. — G. .Joudet, Les ports submergés de l'ancienne île de Pharos
(Fr. R. S. ) rr. -58

\TI. BULLETIN. — Textes et éditions. —Nouveau Testament. — Peuples voisins.


— Correspondance, ~6*J

N"' 3 et 4. — Juillet et Octobre.

I. NOTES SUR LES PSAUMES. — E. Podechard '^'-'T

H. L'AME JUIVE AU TEMPS-DES PERSES (suite). — J. Touzard 33(i

111. LES SYMBOLES DE DANIEL. — R. P. D. Buzy 1*'3

lY. MÉLANGES. — 1° La vie de Jésus d'après Renan, R. P. Lagrange. —


Recherclies ^ur la clironoloi;ie de Notre-Seigneur. M. Chaume. ..... 132
gOQ TABLTi DES MATIERES.
Pages

Y. CHROXIQLE. — Pour conservation de Jérusalem. —Le


la mur de Betliléeni.

— Jlont des Oliviers. Paiinede la grotte


de l'Éléona. Tombeau et mo-
saïque. R. P. F.-M. Abel •''"

YI. RECENSIONS. — Levesque, Y'os (luatre Évan;/Ues, leur composilwa el


E.

leur position respective (R. P. D. Buzy).



F. E. Gigot, Christ's Tea-

chincj concerning Divorce in the Ncio Testament (R. P. J. M. Vosté)... 559

YII. BULLETIN. — Décret du Saint-Office. —


Généralités. — Nouveau Testa-
ment. — Ancien Testament. —
Babylone. —
Yai-iétés 5s(i

Le Gérant : J. Gabalda.

Typographie Finnin-Didot cl C''. — l'nris.


TABLES GÉNÉRALES
DU VOLUME XV (nouvelle série)

1918

TABLK DES RECENSIONS ET BULLETINS

Al.KS {d"). Loretto iDiction. apologét.i. .^S'i

Asis ot Pai.acios. Logia et Agrapha Domini .Jesu apud Moslemicos scrip-


tores, asceticos praesertim, usitata, fasc. I. (P. ().). 278
AssuuAD-(R. p.). Polj'sema sunt sacra Biblia. 58ti

BoissircR (AllVofl). La situation du Paradis Terrestre. 591


Box (G. II.). The Apocalypse of Abraham. 27U
British Musoiim. The Codex Alexandrinus (Photogr. Fac-similé), Part. I

Genesis-Ruth. 209
Bruston (Ch.). Les trois épîtres do l'apùtre Paul aux CorintliiiMis. ."jSS

Gagnât (René). Notice sur la vie et les travaux de M. G. Maspero. 590


Charles (R, IL). The Book of .lubilees. 271
The Apocalypse of Baruch. '275

The Ascension of Isaiah. 270


CORDOVANI (R. P.). Il regno di Dio. 588
CujioNT (Franz). Études syriennes. 288
C^^ Les nouveaux fragments du Code de Ilarnmouralii
.'j9:|
sur le prêt à intr^rét et les sociétés,

Ff.rrar (\V. .1.). The Assumption of Moses. 275

Gampert (Auguste). Les « 480 ans


de I Rois, v[, 1. 281
Gigot (Francis E.). Christ's Teaching concerning Divorce in tlie X. T. 509
Godet (G.). La seconde é'pître aux Corinthiens. .588

GoGLEL (Maurice). La Sainte Bible, traduction nouvelle. .581

Grenfell and Ilu.vr. The Oxyrhynciius Papyri, Part. XII. 285

IIUNT. Voir Grenkei.i,.


Husbaxd (Wellington). The Prosecution of .lesus, its Date, History and
Legality.

.James (M. R.). The biblical Antiquities of Philo. 270


.Tastrow (Morris Jr). Constructive éléments in thc criticai study of the Old
Testament. 589
.Joudet (G.). Les ports submergés de l'ancienne ile de Pharos. 207
Juster (.Jean). Les .Juifs dans l'empii-e romain. 258

Kyi.e. A new solution of the Pentateuchal problem. .589

Levesque (E.). Nos quatre Évangiles, leur composition et leur posi-

tion respective. —Quelques procédés littéraii-es de


saint Matthieu. 5.59

Margous (Max L.). The story of Bible translations. 269


KEVLE RIHI.IOUE.
n TAIÎI.K r>ES RECExNSIONS ET BULLETINS.

Marmorstf.in. Eino unbekaniitc Jiiodisrlip Sokto (Thool. Tijdscli.). T/U

Me Neii.f. (Ilugh). The Gospel according to St Matthew. 581


Naville. The lext of Ihe old Testament. .591

Oesterley and Box. Translations of early Documents, a séries of texts


important for the study of Christian origins. . 271
Oesteri.ev. The Wisdom of Salomon. 27P,

Peters (Jolin P.)- The Worship of Tammuz. .590

Pl.UMMER (A.)- The Gospel according to St Mark. .583

Ramsay (W. m.). The teaching of Paul in ternis of the prosent Day. 587
Rico (M. Revilla). La Poliglota de Alcalâ. 276

SCIIEIL (R. P.). Le (^bryas de la Cyropédie et les textes canéifoi'uies.


Contrat bal)ylonien à légende araméenne.
La promesse dans la prière babylonienne.
Les Habiri au temps de Rim-Sin.
Le terme put Eîti ullulu en Droit babylonien.
Le cylindre dTsre-il. —
Textes funéraires.
Nouveaux renseignements sur Sarrukin 285-288

Thackeray (St-J.).
The Letter of Aristeas. 274

Truyoi.s (Foriiandez)
Estudios de Critica textual y literaria. Fas'c. I : Brève
introduccion a la critica textual del A. T. 281
Fasc. II : 1 Sam. i. 15, Critica textual. 283

Ubach (R. P.). Legisne Toram? 592

Williams (Liikvn'i. The Hebi-e\v-Chrislian Messian, or the IM-esentation of


the Messian to the.Jews in the Gospel according to
St Jlatthew. 279

lABLE ALPHABETIQUE
DES MATIÈRES PRINCIPALES.

Accent et alternance des syllabes dans la Ancien Testament : critique texinellc.

poésie hébraïque, 302. 281 ss.


Agraphaen — tirés du N. T.,
général, 93: Ange de Jahvé dans Zacharie, 146, 158.

95: — des mss. du N. T., 90-100; — des Anglaise, nouvelle trathiction de la Bible.

évangiles apocryi>iies, 101-107; — de^ 270 s.

actes apocrypiies, 107-110; — des papy- Antiochus Épiphane dans Oanici. III. 417.

rus, 110-119; —des écrivains ecclésias- 425.


tiques, 119-135; — des écrivains arabes, Antiquités bibliques dites de Philon, 276.
278 s. A|tocalypse d'Abraham, 276.
Aigle : symbole funéraire, 288. Apriès, 356.
Alcalâ (Polyglotte d'), 276 s. Aristée, lettre d' (trad. anglaise), 274.
Alexandre, symbolisé dans Daniel, 106, Arpenteur dans Zacharie, 153-157.
414, 410. Artifices de Renan, 476 ss.
Alexandrie : découverte de l'ancien i)ort, .\rtisans dans Zacharie. 151 s.
207. Assomiilion de Moïse (édit. anglaise).
Alexandrinus (codex) : fac-similf 269.
, 275.
Ame juive entre les deux sièges de .léru- Augustin (Saint) et le Siège apostolique :

salem. 337 ss.: — en exil. 398-102. 5 ss. : — et l'épître aux Romains, 7, 15,
TAlU.b: AMMIABKilQUK DES MATIKUKS l'IlINCIl'ALl- S. III

— et le don de la loi, 8; — ot la priiiiaiiié Di'iioiiibiemcnt des Juifs au i


"
siècle, 261.
romaine, 32 s. Deiitcronomc : le Temple et leshauts lieux
Babyloiic : son cliâtiment, 1 19, l').',, 183.
d'après le, :î83-391 ;
- et Ezéchicl, 392-

Baltasat- dans Daniel, 128-431. 397.

Baptême des entants, d'après S. Augiisliii,


Diaspora, 2<)1 s.; — origine du culte dans
13, 15; de Jésus, 50<J. — la D., 348.

Baruch, apocalypse de (édit. anglaise), 275. Dictionnaire de la Bible : le premier et le

Bélier symbole dans Daniel, 121- 12<j.


:
second, 2(X)-214.
Bêtes (quatre) dans Daniel, 41 1-119. Diospolis : concile de, 41.5„23 s.

Bethléem dt-molitiou du mur posticJie,


:
Divorce dans le X. T., 569 ss.

552-554. Eden : situation, 595.


Bouc : symiiole dans Daniel, 421- 12(5. Égypti.' : jugement de Dieu en, 284.

Caelestiiis : sa doctrine, 10, 21. Épha dans Zacharic, 174-178.

Calendrier Épitres de S. l'aul' : quelques observations


di- 2t) à otj ap. J.-Ch., 507-510;
calendrier juif, 235 ss.; — juif réformé, sur les, 291 ss.

211. Évangiles : leur position l'espective, 5.^9-

Calmcl son Dictionnaire de la Bible,


561 ; — leur crititiue par Renan, 441-451 ;

204 ss.
:

— leur valeur historique d'après Renan,


Candélabre 462 ss.
: symbole dans Zacharic, 165-
171.
Évangiles apociyphes d'après llcnan, 457-
Captivité des Juifs, 118. 459; — E. selon les Hébreux, 101-ia5.

Cartilage concile de 411, 11 s.; — de 416,


Ézéchiel : son milieu, 398 s. ;
— ses vi-

26, 45, 51.


:

sions, 346 s.; — première phase de sa


Cavaliers dans Zacliarie I, 14U-149. mission, 348 — ss. ; son infirmité, 350;
:

Césure dans le vers hébreu, 313 s.


— ses oracles contre Jérusalem, 363-371;
Chaldéens châtient Jérusalem, 368.
— deuxième phase de sa mission, 363-
371; — et
:

Chars (quatre) dans Zacliarie, 178-183.


Temple de Jérusalem, 385; le

Chellal mosaïque à inscription, 506.


:

— et Deutéronome, 392-397; et
le lalégi.s-
lation Israélite, 379-382; — et la réforme
:

Chevaux dans Zacharie, 142-149.


morale, 383 s.
Chronologie de l'Exode à Salomon, 281 :
;

— des w et \" siècles av. J.-Ch.; 217- Faux prophètes, 342, 355.
224; — du i" siècle ap. J.-C, 224-229; Fils de l'homme dans Daniel, 419-424.
— de la vie du Christ, .506 ss., 529; — Fçrtune (double) divinité sémitique, 290. :

.des évangiles, 511-515, 564; — des temps Funéraires textes babyloniens, 287. :

apostoliques, 529.
Gaïonas : juge des repas, 290.
pouvoir des
Clés,
37 s.
: d'après S. Augustin,
Gobryas — Gubaru, 286.
Code de Hammourabi : nouveaux ti-ag- llabiri, 286.

ments, 593. Hauts-lieux dans Israël et Juda, 267, 352,


Codes (les trois) dans la Thora, 379. 38-1, 391.
Codex Bezae ses additions, 97 s. :
Hesychius : sa recension de Néhémie,
Combinaison de la chronologie johannique 1%-199.
et de celle des Synoptiques, 515-522. Hexaplaire : recension de Néhémie, 192 ss.

Cornes symbole dans Zacharie, 149-153;


: Idolâtrie dans le Temple de Jérusalem,
— dans Daniel, 418. 360, 385, 391.
Couronnement du grand prêtre dans Za- Individualisme dans Ezéchiel, 371, 377.
charie, i83-191. Initiation aux mystères, 587.
Critique textuelle de l'A. T., 281 ss. Innocent I" : sa réponse aux Africains sur
Cyrille Lucar et l'Ale.xandrinus, 269. le pélagianisme, 1.5, .53.

Daniel : prophétie des Semaines, 536 s. ;


— Israël : ses prévarications, 364-369.

symboles propliétiques, 403-431. Jean (S.) l'Apôtre sa valeur historique, :

Date de la Passion, 534-546; des visions — 563; — son évangile d'après Renan, 446,
de Zacharie, 140. .547, 476, 497.
iV TABLE ALPHABETIQUE DES MATIERES PRINCIPALES.

Joréiiiie sou rôle à i)ai-tir de 508, 540 ss.


:
— Nabuchodonosor dans Daniel, 404, 412,

et les captils de Babylone, 342-345. 427 s.

Jérôme sa révision du N. T. d'après


(S.) :
Néhémic : recensioii héz3'chienne et hexa-

lil. llangenot, 244-253. d'après le P. — plaire, 192-199.

Lagrange, 254-257. I^éoménie : base de la chronologie, 230 ss;


Jéi-usalein : sa reconstruction dans Zacha- — dans la Michna, 231.
rie, 154-156; son Temple d'après les — Oliviers (deux) dans Zacharie, 165-171.
prophéties, 383-385: d'api-ès le Deu- — Orient apprécié paj" Renan, 466, 476.
téronome, 386 ss. Comité pour la con- — :

Originel (péché) d'après saint Cyprien et


servation de J., 550-552; ruine de la — saint Jérôme, 17, 20.
:

grotte de l'Éléona, 555; — tombeau et


Oro.se et le pélagianisme, 22.
mosaïque byzantine au Mont des Oliviers,
556-558. Palestine Rxipports des Juifs et des chi"é-
:

Jésus :
— durée de son
son âge, 531 ;
tiens en, 261 ss.

ministère, 564; — sa science, 580; — son Papyrus : d'Oxyrhynque nouvellement


procès, 264, 277; — sa personnalité d'a- publiés, 285; —
contenant des Agrapha,
près Renan, 488 — sa mission d'après ss. ;
110-119.

Renan, 483. *» Pâque : date de la, 348, 567.

Josèphe documents juridiques, 260 s.


:
Paradis terrestre : essai de localisation,

Josué, le grand prêtre, dans Zacharie, 595.

158-161, 169, 171, 183, 189. Parallélisme son rôle dans la poésie :

Jour de la Passion, 540 s.


hébraïque, 297-307 dans les prophètes, ;

Jubilés : livres des (édit. anglaise), 274. 306, 311 ;
— non essentiel, 306; — dans
Jugement de Dieu en Égj'pte, 284. un .seul vers, 305; — dans vers et disti-

Juifs dans l'empii'e romain, 258 ss.


: ;
— tiques, 312.

leui- nombre au V' .siècle; leur situa- — Paras ou demi-mine, 286, 430.
tion au début de l'ère chrétienne, 261. Paul (S.) d'après Ramsay, 588.
:

— et le manichéisme, 260; sectes, — Paysages palestiniens dans Renan. 468-


279. 470, 503.

Juive, Ame à l'époque de la Captivité, Pelage : sa doctrine, 10 s., 23. — et le con-


336 ss.
cile de Diospolis, 25 ;
— condanmé par
Juridiction des tribunaux juifs, 264 s. Rome, 50.

Lamentations. : parallélisme dans les, 308 Pentateuque : nouvelle théorie sur sa com-
ss. })Osition, 589 s.

Pèi'es de l'Église citant les .Vgra])]ia. 119-


Luc : sou jjlan, .561 s. 135.
Pharos découverte de l'ancien i>ort, 267.
:

Jlané, tliécel, phares, 428-431.


Pierre (S.)': sa primauté selon saint Augus-
.Manichéisme et judaïsme, 260.
tin, 35.
Mai'c d'après Renan, 411 ss.
: com- ;
— Piscine de David à Jérusalem, 118.
menté par Plummer, 584; (inale non — Polémi(|ue entre Juifs et cjirétiens, 259,
authenli(iue, 100.
263.
Masi)ero G : notice sur sa vie et ses œu-
Polyglotte d'AIcahï, 276.
vres, 596.
Procès de Jésus, 264, 277.
Massorétique texte traduit en anglais,
270 ss.
:

Psaumes ; parallélisme, 31(1 ss. ;


— ps. I,

l'ylhmc, 64-66; commentaire, 67-73; date,


Matthieu : origine de .son évangile, 279;
— commenté par 3Ic Neile, 585.
74.
Psaume m : rythme, 75; comment. 76-
]Médo-i)erse, empire dans Daniel, 405, 415.
Méthode historique de Renan, 459-466.
80; occasion et date, 81-82. — iv, 83-92;

Métrique hébraïque, 59 .ss.


— v, 319 ss.

Mileve concile, 28, 47, 51.


: Règne de Dieu (ou des cieux) 586, 485. :

Miracles de Jésus d'après Renan, 491-498. Renan et les Allemands. 438-440, 501 —
: ;

•Mosaïques : du .Mont des Oliviers, 557; — sa philosophie, 435-441 ;


— son plan de
de CJiellal, 596. la Vie de Jésus. 177: — cai'aclère de
TABLE ALPHABETIQUE DES MATIERES F-RINCIPALES.

son oHivre, 501-5CHi; — ol l'OritMit, lti(), Strauss (."t Renan), 4:;8, 141, 116, 161,498.

17H; — et les miracles, lUl-lDH; — ot les Svmbolisme (hins Zacharie, 116-149, 150 s.,

«h-aiigiles, 411 ss. \m, l(J8, 173, 175, 181, 189.

Synoptifjues d'après Renan, 441-445.


Rome : de la chrétienté, ll-lo;
tète

principe de son autorité d'après saint Tammuz : son culte, 590.
Augustin, 32: —
autorité issue de l'au- Temple de Ji'rusalcm : d'après les prophé-

torité des Écritures, 2',); — primauté ties, 38:3-385; — son importance à par-
d'après Innocent I", 48-50; — recours à, tirde .Josias, :387, 396; figuré par le —
13 s. candélabre de Zacharie, 169.
Rouleau volant : symbole 'dans Zacliarie, Tombeau byzantin au Mont des Oliviers,
171-171. 5:J6.

Traductions nouvelles de la iiible, 269, .582.


Rythme dans la poésie hébraïque, (il ss.

Sadocides, 591. Unité de sanctuaire chez les Juifs, :388 s.

Sagesse de Salomon (V'dit. anglaise), 27:5. Usure chez les Babyloniens, 59:5 s.
Samuel cas de critique textuelle, 283.
:
Vendeurs du Temple, 565 s.
Sanhédrin sa juridiction, 264, 277.
:
Vers hébreu distinct du parallélisme, ;jOO s.

Science du Christ, 5S0.' Vers de cinq accents, 312; — de quatre


Sectes juives, 279, 591. accents, 316.
Sédécias, 338, 356, 301. Versification hébraïque, 302 ss.
Séleucides dans Daniel, 407, 412, 417.
Vie de Jésus par Renan, 432-506.
Sennaar dans Zacharie, 175 ss.
Vœu chez les Babyloniens, 286.
Sens de l'Écriture, 583.
littéral (double)
Zacharie le prophète son obscurit.-, 1:36;
Sentences du Seigneur extracanoniques? :

— sa date, 294. — explication de i. 7 à


93 ss.
140-149; — de n, 1 à \, 149-1. w; -
Septante leur valeur, 283
: s. 17,

son autorité d'après de H, 5 à 9, 153-157;- de m. 1 à o,


Siège apostolique
saint Augustin, 5
:

ss., 52. 1.57-165;- de iv, 165-171 ;


— de v, l a 4,

171-174; - de v, 5 à 11, 174-178; -de


Simon (Richaidj, auteur du premier dic-

tionnaire de la Bible, 201 ;


son œuvre, VI, 1 à 8, 178-183; - de vi, 9 à 15, 18:3-

-203 ss.
16:3-165, 169, 186,
Songe de l'Arbre : symbole dans Daniel, Zorobabel dans Zachai'ie,
189-191.
426 s.

Statue : symbole dans Daniel, 403-413.

ERRATA

p. 20 4, lii'e hérétique au lieu de ('hretique.


P. 124,
l.

I. 10, — Ô£ —
5dxiiJ.ot 5àS 6xt(ioi.

P. 485, 1. 19, — renouvellement — renouvUeuient.

P. 555, 1.
— terminent tiennent.
BS Revue biblique

R3
t. 27

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