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L'Huillier Pierre. Quelques remarques à propos des élections épiscopales dans l'Orient byzantin. In: Revue des études
byzantines, tome 25, 1967. pp. 101-105.
doi : 10.3406/rebyz.1967.1388
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1967_num_25_1_1388
QUELQUES REMARQUES A PROPOS
DES ÉLECTIONS ÉPISCOPALES
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(1) Voir à ce sujet : Socrate, Hist, eccl., VII, 28 et 36, P. G. 67, col. 801 B, 817 BD.
(2) Orat. XVIII, cap. xxxv, P. G. 35, col. 1072 B.
p. l'huillier : À propos des élections épiscopales 103
rectitude de leur foi et l'honnêteté de leur vie, sont dignes d'être promus
à ce rang (3). Mais la Novelle CXXIII publiée en 546 (cap. i) restreint
le corps électoral aux clericos et primates civitatis. Cette clause restrictive
est reprise en 565 dans la Novelle CXXXVII (cap. n). Des trois candidats,
l'évêque ordinant choisira celui qu'il juge le meilleur (4). Telle est la procé
dure constamment rappelée par la législation civile byzantine : elle est
notamment reprise dans les Basiliques (5) et encore citée au xive siècle
dans Yllexabiblos de Constantin Arménopoulos (6).
Le fait d'avoir réservé aux seuls notables locaux le choix préliminaire
des candidats est assurément conforme à la ligne générale de la politique
intérieure de Justinien. Cet empereur était hostile à toute tendance démoc
ratique et on sait qu'il a tout fait pour briser l'emprise des dèmes sur la
vie publique. Or il semble bien que parfois, antérieurement, les dèmes
aient joué un rôle dans les élections épiscopales, comme le rapporte Zonar
as(7). Nous ne savons pas dans quelle mesure cette législation de Justi
nien fut appliquée. Quoique demeurée officiellement toujours en vigueur
durant toute la période byzantine, il est probable qu'elle tomba assez
rapidement en désuétude. En tout cas, Zonaras et Balsamon en parlent
comme d'une chose remontant à un passé lointain. Une autre procédure
était alors universellement appliquée, tout au moins dans le Mima du
patriarcat de Constantinople : lorsqu'un évêché devenait vacant, le métrop
olite convoquait ses suffragants; ceux-ci élisaient trois candidats parmi
lesquels le métropolite faisait son choix (8). Cette procédure combine
curieusement les règles posées par les Pères de Nicée et d'Antioche avec
la législation de Justinien. Il y a l'élection préliminaire de trois candidats
comme l'édictaient les novelles susmentionnées, mais ce sont les évêques
de la province qui font le choix, conformément à la législation conciliaire.
Le pouvoir final de détermination laissé au métropolite rappelle ce que
prévoyait la novelle CXXXVII pour l'évêque ordinant et cela est rattaché
par une interprétation maximaliste de la lettre des canons à ce que ceux-ci
disent au sujet de la prérogative métropolitaine de confirmer les élections
de leurs suffragants (9).
(3) C, I, 3, 41.
(4) Ibid., ut ex tribus personis ita electis melior creetur electione et iudicio creantis.
(5) Liber III, tit. I, 8.
(6) "?te??? t?t??? d??f????, ?'.
(7) < ?? pa?a??? ?? d?µ?? t?? p??e?? ?????t? t??? ep?s??p???. "?t? de st?se?? e?te??e? ??e????t?,
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Comm. au canon 12 de Laodicée (Rh. P., Syntagma III, p. 182).
(8) Voir W. Regel, Analecta Byzantino-Russica, SPb., 1891, p. xxxv. La procédure
décrite par cet auteur pour la métropolie russe était en vigueur dans tout le Mima patriarcal
constantinopolitain.
(9) Nicée I, can. 6 : « ... ?t? e? t?? ????? ???µ?? t?? µ?t??p???t?? ?????t? ep?s??p??, t?? t????t??
? µe???? s???d?? ???se µ? de?? e??a? ?p?s??p?? ». Cf. can. 4 du même Concile et can. 12 de
Laodicée.
104 revue des études byzantines
Cela ne signifie pas que les laïcs n'aient en aucune circonstance joué
un rôle dans la nomination d'un évêque à telle ou telle chaire. Nous savons
qu'il y avait parfois des pétitions en faveur d'un candidat, mais cette
requête n'entrait pas dans le cadre de la procédure canonique, ainsi que
le rappelait très nettement le patriarche Matthieu en 1400 dans sa réponse
au clergé et au peuple de l'archevêché d'Anchialos (10). Comment expli
quer le fait qu'une prescription légale d'une telle importance et, au sur
plus, insérée dans le Nomocanon n'a pas été appliquée? Balsamon justifie
ce rejet en se fondant sur le principe axiomatique dans le droit byzantin
de la supériorité des canons ecclésiastiques sur les lois civiles (11). Or,
déclare-t-il péremptoirement, la législation de Justinien sur ce point,
bien que reçue dans les Basiliques, n'est pas appliquée (?p???t?se) parce
qu'elle est en contradiction avec les canons des Conciles de Nicée, d'An
tioche et de Laodicée (12).
Ainsi nous constatons ce paradoxe : la loi civile sur la participation
du clergé et des notables aux élections épiscopales n'a jamais été abolie
durant toute l'époque byzantine, mais en même temps l'Église la considér
ait comme caduque et donc n'en tenait pas compte. C'est là un exemple
qui nous montre que la symphonie dans les rapports de l'Église et de l'État
n'impliquait pas l'acceptation automatique par l'Église de toutes les lois
civiles concernant le domaine du jus sacrum.
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du patriarche Polyeucte, en 969, elle fut abolie par Jean Tsirniskès et,
comme l'écrit Gédrénus, « τη εκκλησία έχαρίσΟη ή πρότερα ελευθερία » (14).
On peut citer encore à titre d'exemple la décision du synode de 1071
présidé par le patriarche Jean Xiphilin. On y infirma la validité de l'élec
tion de l'évêque de Parnassos due à une lettre de recommandation de
l'empereur romain Diogène au métropolite de Mocissos (15). Donc, sans
nier que des pressions du pouvoir se soient parfois exercées dans les promot
ionsépiscopales, rien n'autorise à prétendre que c'était la coutume géné
rale; c'est pourquoi on peut considérer comme gratuite l'affirmation péremp-
toire de Gasquet qui écrivait « toutes les élections étaient contrôlées par
l'empereur ou par ses délégués et soumises à sa confirmation (16) ».
En résumé, on peut dire que dès le ive siècle s'observe en Orient une
tendance à minimiser le rôle du peuple dans les élections épiscopales.
Dans la mesure où des laïcs y participent, ce sont les notables des cités.
C'est cette coutume que Justinien voulut rendre légale et universelle.
Mais la hiérarchie, en s'appuyant sur le droit canonique, n'a pas accepté
cette loi. Il ne semble pas, d'autre part, que les autorités civiles aient urgé
son application. Sur le plan formel, la légalité de la procédure prévue
par le Corpus juris civilis était d'ailleurs contestable en vertu de l'axiome
juridique admis officiellement en droit byzantin, selon lequel les lois civiles
en désaccord avec les canons ecclésiastiques devaient être tenues pour
nulles et non-avenues (17).
(14) Ed. Bonn, II, p. 381. Voir Dölger, Regesten, n°s 703 et 726.
(15) Grumel, Regestes, n° 900.
(16) De l'autorité impériale en matière religieuse à Ryzance, Paris 1879, p. 187, 190.
(17) C, I, 2, 12.
Nous n'avons pu prendre connaissance à temps pour l'utiliser du travail du P. J. Dar-
rouzès, Documents inédits d'ecclésiologie byzantine. Le traité d'Euthyme de Sardes (op. cit.,
pp. 108-115) montre que déjà alors (ixe siècle?) la participation des laïcs à la nomination
des évêques était généralement tombée en désuétude.