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Pierre L'Huillier

Quelques remarques à propos des élections épiscopales dans


l'Orient byzantin
In: Revue des études byzantines, tome 25, 1967. pp. 101-105.

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L'Huillier Pierre. Quelques remarques à propos des élections épiscopales dans l'Orient byzantin. In: Revue des études
byzantines, tome 25, 1967. pp. 101-105.

doi : 10.3406/rebyz.1967.1388

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1967_num_25_1_1388
QUELQUES REMARQUES A PROPOS
DES ÉLECTIONS ÉPISCOPALES

DANS L'ORIENT BYZANTIN

Comme l'indique le titre de cette brève communication, je n'entends


nullement aborder l'ensemble du problème historico-canonique des élec
tions épiscopales en Orient durant l'époque byzantine; je voudrais seul
ement attirer l'attention sur quelques points relatifs au rôle des laïcs dans
ces élections parce qu'à ce sujet on trouve souvent exprimées des inexacti
tudes et des jugements trop peu nuancés.

***

Il convient d'abord de remarquer que l'Église des premiers siècles n'a


pas connu une procédure unique, invariable et nettement déterminée
quant à la participation du peuple chrétien aux élections épiscopales.
Tantôt le clergé et les laïcs de l'évêché vacant proposaient aux évêques
ordinants un candidat; les évêques ratifiaient ou non le choix. Tantôt
on trouve la procédure inverse : le synode des évêques choisissait un can
didat et, s'il n'y avait pas d'opposition du clergé et du peuple, l'élu était
consacré. Dans ce dernier cas, le rôle du clergé et du peuple apparaît davan
tagecomme un témoignage en faveur du candidat qu'un choix propre
mentdit.
Au ive siècle, avec la paix de l'Église, se produisirent des conversions
nombreuses au christianisme; d'où une certaine baisse du niveau de la
conscience religieuse et une plus grande difficulté pratique pour recueillir
le consensus populaire, dans les élections épiscopales.
Dès cette époque, il apparaît qu'on s'est parfois passé du consentement
populaire. Cela ressort avec évidence du canon 18 promulgué par le Concile
d'Ancyre (314) qui traite du cas d'évêques canoniquement promus, mais
qui ne sont pas acceptés dans les diocèses pour lesquels ils avaient été
nommés ( « ?atasta???te?, ?a? µ? de????te? ?p? t?? pa?????a? e?e???? e?? ??
???µ?s??sa? »). Cette question est reprise un peu plus tard au Concile
d'Antioche (probablement tenu en 330) : le canon 18 parle d'évêques
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ordonnés et qui ne peuvent prendre leur fonction à cause de l'opposition
du peuple.
On peut, à ce sujet, citer le cas bien connu de Proclus qui avait été
désigné par l'archevêque Sisinnius de Constantinople pour occuper le
siège métropolitain de Cyzique (ca. 426). Mais les habitants de cette ville
déniant à l'archevêque de Constantinople le droit de désigner leur évêque
n'acceptèrent pas cette nomination et élirent un ascète du nom de Dalma-
tius, de sorte que Proclus ne pût prendre possession de sa chaire. Ulté
rieurement d'ailleurs il fut choisi comme archevêque de Constantinople (434).
Cela ne se fit pas sans difficulté, car certains considéraient ce choix comme
illicite parce que contraire à la règle ecclésiastique interdisant la transla
tion d'un évêque d'un siège à un autre et ce, quoique Proclus n'eût jamais
effectivement occupé le siège de Cyzique (1).
La législation du Concile de Nicée concernant la procédure de promot
ion à l'épiscopat est muette sur le rôle des laïcs (can. 4 et 6). Ce silence
sera ultérieurement interprété comme excluant cette intervention. Même
absence d'allusion au rôle des laïcs dans le canon 19 du Concile d'Antioche
où la procédure édictée par le Concile de Nicée est précisée. Cela ne signifie
pas que cette participation populaire était tombée alors en complète
désuétude. Mais il est incontestable qu'il y a, dès le ive siècle, une tendance
à en minimiser la portée, en évitanl, consciemment de l'inclure comme un
élément constitutif de la procédure canonique. Par ailleurs, un change
mentse produit : tandis que dans le christianisme ancien, c'était l'assem
blée ecclésiale qui manifestait son choix ou son approbation, à partir
du ive siècle, dans la mesure où les laïcs auront un rôle effectif dans le
choix des évêques, ce ne seront le plus souvent que les notabilités locales.
Parfois aussi la foule entendait imposer un candidat. Très significatif
apparaît à ce propos un passage de l'uvre de saint Grégoire de Nazianze.
Ce Père remarque tristement que les élections épiscopales dépendent
malheureusement soit de l'influence des gens riches et puissants ( «e?p???t?t???
te ?a? d??at?t?t??? »), ou bien de l'action irraisonnée de la populace (2).
Notons que le Concile de Laodicée (milieu du ive siècle?) dans son
canon 13 interdit aux foules (t??? d?????) de prendre part aux élections
des ecclésiastiques.

***

L'empereur Justinien voulut réglementer et uniformiser la procédure


d'accès à l'épiscopat. D'après son Code, l'élection primaire doit être faite
ab Us qui in ea civàaie habitant. Ils présentent trois candidats qui, par la

(1) Voir à ce sujet : Socrate, Hist, eccl., VII, 28 et 36, P. G. 67, col. 801 B, 817 BD.
(2) Orat. XVIII, cap. xxxv, P. G. 35, col. 1072 B.
p. l'huillier : À propos des élections épiscopales 103

rectitude de leur foi et l'honnêteté de leur vie, sont dignes d'être promus
à ce rang (3). Mais la Novelle CXXIII publiée en 546 (cap. i) restreint
le corps électoral aux clericos et primates civitatis. Cette clause restrictive
est reprise en 565 dans la Novelle CXXXVII (cap. n). Des trois candidats,
l'évêque ordinant choisira celui qu'il juge le meilleur (4). Telle est la procé
dure constamment rappelée par la législation civile byzantine : elle est
notamment reprise dans les Basiliques (5) et encore citée au xive siècle
dans Yllexabiblos de Constantin Arménopoulos (6).
Le fait d'avoir réservé aux seuls notables locaux le choix préliminaire
des candidats est assurément conforme à la ligne générale de la politique
intérieure de Justinien. Cet empereur était hostile à toute tendance démoc
ratique et on sait qu'il a tout fait pour briser l'emprise des dèmes sur la
vie publique. Or il semble bien que parfois, antérieurement, les dèmes
aient joué un rôle dans les élections épiscopales, comme le rapporte Zonar
as(7). Nous ne savons pas dans quelle mesure cette législation de Justi
nien fut appliquée. Quoique demeurée officiellement toujours en vigueur
durant toute la période byzantine, il est probable qu'elle tomba assez
rapidement en désuétude. En tout cas, Zonaras et Balsamon en parlent
comme d'une chose remontant à un passé lointain. Une autre procédure
était alors universellement appliquée, tout au moins dans le Mima du
patriarcat de Constantinople : lorsqu'un évêché devenait vacant, le métrop
olite convoquait ses suffragants; ceux-ci élisaient trois candidats parmi
lesquels le métropolite faisait son choix (8). Cette procédure combine
curieusement les règles posées par les Pères de Nicée et d'Antioche avec
la législation de Justinien. Il y a l'élection préliminaire de trois candidats
comme l'édictaient les novelles susmentionnées, mais ce sont les évêques
de la province qui font le choix, conformément à la législation conciliaire.
Le pouvoir final de détermination laissé au métropolite rappelle ce que
prévoyait la novelle CXXXVII pour l'évêque ordinant et cela est rattaché
par une interprétation maximaliste de la lettre des canons à ce que ceux-ci
disent au sujet de la prérogative métropolitaine de confirmer les élections
de leurs suffragants (9).

(3) C, I, 3, 41.
(4) Ibid., ut ex tribus personis ita electis melior creetur electione et iudicio creantis.
(5) Liber III, tit. I, 8.
(6) "?te??? t?t??? d??f????, ?'.
(7) < ?? pa?a??? ?? d?µ?? t?? p??e?? ?????t? t??? ep?s??p???. "?t? de st?se?? e?te??e? ??e????t?,
d?a t??t? t??? ?p?s??p??? e??st?? epa???a? t? pe?? t?? ep?s??p?? ?atast?se?? a?et??? ??f?sµata >
Comm. au canon 12 de Laodicée (Rh. P., Syntagma III, p. 182).
(8) Voir W. Regel, Analecta Byzantino-Russica, SPb., 1891, p. xxxv. La procédure
décrite par cet auteur pour la métropolie russe était en vigueur dans tout le Mima patriarcal
constantinopolitain.
(9) Nicée I, can. 6 : « ... ?t? e? t?? ????? ???µ?? t?? µ?t??p???t?? ?????t? ep?s??p??, t?? t????t??
? µe???? s???d?? ???se µ? de?? e??a? ?p?s??p?? ». Cf. can. 4 du même Concile et can. 12 de
Laodicée.
104 revue des études byzantines
Cela ne signifie pas que les laïcs n'aient en aucune circonstance joué
un rôle dans la nomination d'un évêque à telle ou telle chaire. Nous savons
qu'il y avait parfois des pétitions en faveur d'un candidat, mais cette
requête n'entrait pas dans le cadre de la procédure canonique, ainsi que
le rappelait très nettement le patriarche Matthieu en 1400 dans sa réponse
au clergé et au peuple de l'archevêché d'Anchialos (10). Comment expli
quer le fait qu'une prescription légale d'une telle importance et, au sur
plus, insérée dans le Nomocanon n'a pas été appliquée? Balsamon justifie
ce rejet en se fondant sur le principe axiomatique dans le droit byzantin
de la supériorité des canons ecclésiastiques sur les lois civiles (11). Or,
déclare-t-il péremptoirement, la législation de Justinien sur ce point,
bien que reçue dans les Basiliques, n'est pas appliquée (?p???t?se) parce
qu'elle est en contradiction avec les canons des Conciles de Nicée, d'An
tioche et de Laodicée (12).
Ainsi nous constatons ce paradoxe : la loi civile sur la participation
du clergé et des notables aux élections épiscopales n'a jamais été abolie
durant toute l'époque byzantine, mais en même temps l'Église la considér
ait comme caduque et donc n'en tenait pas compte. C'est là un exemple
qui nous montre que la symphonie dans les rapports de l'Église et de l'État
n'impliquait pas l'acceptation automatique par l'Église de toutes les lois
civiles concernant le domaine du jus sacrum.

** *

Il faut maintenant essayer de déterminer la cause de cette opposition


résolue à la participation des laïcs aux élections épiscopales.
La participation des masses à ces élections avait été souvent, à la fin
de l'antiquité, une cause de troubles. D'ailleurs, comme nous l'avons vu,
la législation de Justinien l'écartait. Mais restait le danger de voir les déten
teurs du pouvoir, les « pa?ad??aste???te? », comme les appelle Balsamon,
contrôler entièrement ces élections, ce qui aurait constitué une infraction
notoire au droit canonique (13). En fait, cela aurait conduit purement
et simplement à la nomination des évêques par le gouvernement impér
ial. Or l'Église s'est efforcée de garder dans ce domaine sa liberté. Si elle
a dû accepter cette intervention pour la nomination aux grands sièges
primatiaux, elle n'a pas accepté l'extension de ce contrôle à l'ensemble
des chaires épiscopales. On connaît la tentative du basileus Nicéphore
Phocas pour imposer son contrôle à toute promotion épiseopale. La loi
qu'il promulgua en ce sens fut fort mal reçue et sur la demande instante
(10) Fr. Miklosich-J. Müller, Ada et Diplomata, t. II, Vienne, 1862, p. 345-347.
(11) Nomocanon en XIV titres, scolie au chap, ????? du titre I, Rh. P. I, p. 60.
(12) Ibid.
(13) Balsamon, Réponse à la question 61 de Marc d'Alexandrie, Rh. P. IV, p. 493.
p. l'huillier : À propos des élections épiscopales 105

du patriarche Polyeucte, en 969, elle fut abolie par Jean Tsirniskès et,
comme l'écrit Gédrénus, « τη εκκλησία έχαρίσΟη ή πρότερα ελευθερία » (14).
On peut citer encore à titre d'exemple la décision du synode de 1071
présidé par le patriarche Jean Xiphilin. On y infirma la validité de l'élec
tion de l'évêque de Parnassos due à une lettre de recommandation de
l'empereur romain Diogène au métropolite de Mocissos (15). Donc, sans
nier que des pressions du pouvoir se soient parfois exercées dans les promot
ionsépiscopales, rien n'autorise à prétendre que c'était la coutume géné
rale; c'est pourquoi on peut considérer comme gratuite l'affirmation péremp-
toire de Gasquet qui écrivait « toutes les élections étaient contrôlées par
l'empereur ou par ses délégués et soumises à sa confirmation (16) ».

En résumé, on peut dire que dès le ive siècle s'observe en Orient une
tendance à minimiser le rôle du peuple dans les élections épiscopales.
Dans la mesure où des laïcs y participent, ce sont les notables des cités.
C'est cette coutume que Justinien voulut rendre légale et universelle.
Mais la hiérarchie, en s'appuyant sur le droit canonique, n'a pas accepté
cette loi. Il ne semble pas, d'autre part, que les autorités civiles aient urgé
son application. Sur le plan formel, la légalité de la procédure prévue
par le Corpus juris civilis était d'ailleurs contestable en vertu de l'axiome
juridique admis officiellement en droit byzantin, selon lequel les lois civiles
en désaccord avec les canons ecclésiastiques devaient être tenues pour
nulles et non-avenues (17).

Archimandrite Pierre L'Huillier.


Communication présentée lors du XIIIe Congrès international
des études byzantines.
Oxford 1966.

(14) Ed. Bonn, II, p. 381. Voir Dölger, Regesten, n°s 703 et 726.
(15) Grumel, Regestes, n° 900.
(16) De l'autorité impériale en matière religieuse à Ryzance, Paris 1879, p. 187, 190.
(17) C, I, 2, 12.
Nous n'avons pu prendre connaissance à temps pour l'utiliser du travail du P. J. Dar-
rouzès, Documents inédits d'ecclésiologie byzantine. Le traité d'Euthyme de Sardes (op. cit.,
pp. 108-115) montre que déjà alors (ixe siècle?) la participation des laïcs à la nomination
des évêques était généralement tombée en désuétude.

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