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Aux marches de Bretagne, la Légende arthurienne et

le Mont Saint Michel au péril de la mer.

Georges Bertin.

Quand la fée Viviane eut confisqué l'enfant Lancelot à l'affection des siens, le jour de
la mort de son père, le bon roi Ban, la légende raconte qu'Helène, sa mère, « la
reine aux grandes douleurs », prit le voile dans une Blanche Abbaye de nonains (de
nonnes) son fils ayant disparu avec la Dame du lac.

L'enlévement de Lancelot aux palais subaquatiques de la Dame du Lac peut être


référé à une situation mythologique, celle de Thésée, défié par Minos, qui plonge
sous les eaux pour prouver son rang princier et en recevoir l'investiture de la reine
des Néréides, Amphitrite. Comme Viviane, les Néréides étaient nourricières et
éducatrices, dans leurs palais au fond des mers, du jeune mâle princier, le Couros
qui n'était pas élevé par sa mère, mais par les filles de eaux hantant les grottes et les
rivages. L'investiture des princes venait de la mer.

Nous avons rapproché ce fait romanesque d'une légende locale du Mortainais dite
du Tombeau des Amants qui voit deux amants ensevelis par un orage et la mére de
la jeune fille prendre le voile à l'Abbaye Blanche après la mort de son mari. L'Abbaye
Blanche de Mortain, fut une abbaye de moniales comme celle où se réfugient Hélène
et Evaine, se trouve à l'orée de la forêt de Lande Pourrie, qu'emprunte un chemin
montois, dit chemin aux français, qui emmenait les pèlerins jusqu'à Savigny, par la
Terre Gâte, puis vers le Mont Saint Michel. De Mortain à Avranches, les traditions
populaires font en effet état du refuge d'Arthur et Guenièvre à la Fosse Arthour, au
creux de la Sonce, en Saint Georges de Rouelley. Là, les visiteurs peuvent entendre
la légende des amants enlevés par l'eau d'un torrent et qui, s'étant rejoint avant le
coucher du soleil, avaient enfreint l'injonction du génie des eaux.

Quid du Lac de Diane ou de Viviane?


Ce lac est décrit dans le roman arthurien (Lancelot en Prose), il est au pied d'une
colline et n'est "que d'enchantement". A l'endroit où il semblait qu'il y eut un grand lac
profond, la dame avait des maisons fort belles et fort riches et au dessous d'elles
coulait une rivière, petite, très plantureuse en poissons.

Quand Léonce de Payerne et Lambégue iront voir leurs neveux également chez la
Dame du Lac, ils arriveront à une rivière "dont les eaux couraient un peu au dessus
de la forêt". Entre rivière et forêt (la Briosque) "s'étend une belle et grande prairie".
En remontant le cours de la rivière, on aperçoit, à droite, les châteaux de Tarasche et
de Brions, voisins. Arrivés au lac, à la nuit, ils entrent dans le lac et Lambégue
s'étonne du fait que la demoiselle "osait entrer, à cette heure, dans une si grande
étendue d'eau". Parvenu au terme, à l'entrée d'une haute maison, "il regarde autour
de lui, il ne voit plus trace du lac qui lui avait paru tout à l'heure si grand, et son
étonnement est extrême".

Et la Prison de Merlin?

Un texte des Enfances décrit la prison de Merlin (chapitre 6). Viviane vit
également "en la marche de la Petite Bretaigne". C'est là que Merlin en devint
amoureux et vint souvent prés d'elle, de jour comme de nuit. Il lui enseigna les
conjurations dont il sera lui-même victime.

"A la fin, elle sut par lui tant de merveilles qu'elle put s'en jouer (que ele l'engigna) et
l'enferma tout endormi dans une caverne au fond de la forêt périlleuse de Darnantes,
qui touche à la mer de Cornouailles et à la forêt de Sorelois.C'est là qu'il demeura
dans l'état où elle l'a mis..." Et le conte de préciser, pour qu'il n'y aie aucun doute à
ce sujet: "c'était la demoiselle du lac, cellle qui emporta Lancelot dans le Lac". Là
encore les motifs liant le passage de l'eau à la mythologie ne manquent pas.

La Baie du Mont Saint Michel, bien sûr !

Ce lieu nous semble avoir entretenu des liens privilégiés avec la Baie du Mont Saint
Michel comme lieu de retraite possible de Merlin et de Viviane, soit le lac de la dame
du lac.
En effet, une tradition recueillie au début du siécle (Hippolyte Sauvage) concerne la
prêtresse Vélleda dont la chaire (dolmen) est voisin de la Fosse Arthour et
surplombe une falaise, La Grande Noë, qui abrite une grotte où Velleda serait venue
se réfugier aprés avoir été chassée par le christianisme du Mont Saint Michel.

"Elle regrettait, dit la légende, le Mont Belen, (le Mont Saint Michel), où elle avait
passé des jours magnifiques et ses yeux remplis de larmes se fatiguaient à chercher
à l'horizon lointain ce mont témoin de ses premiers sacrifices aux dieux et de ses
premières amours."

Menacée par les romains soudain apparus, un jour qu'elle s'apprêtait à célébrer un
culte druidique, grâce à son art magique, "elle s'évanouit comme un souffle
d'air" tandis qu'éclata sur la montagne un orage qui dispersa la légion.

Au bout du chemin montois, à moins de dix lieues, un autre tueur de dragons, Saint
Michel livre, entre ciel et mer, un combat sans précédent. En face, laTombe
d'Héléne, ou Tombelaine, fut également d'un combat entre le Roi Arthur et un géant
qui dévastait le pays alentour, avait tué la jeune Héléne, et qu'Arthur occit en lui
coupant la tête.

C'est le mythe bien connu du dragon dévoreur de vierges livrées comme épouses et
vaincu par le héros, légende qui conserve la coutume dit Frazer, de livrer une
épouse au dieu de la mer. C'est encore une actualisation du mythe de Cunaill, héros
celte coupable de l'enlévement de Mairné, la fille de Dagda, le dieu druide qui
maîtrise un dragon. Il est aussi celui qui conduit les morts dans l'Autre Monde.
Divinité effrayante.

Rappelons enfin que dans les "Grandes Chronicques", pré rabelaisiennes, le Mont
Saint Michel et Tombelaine ont été créés par Grandgousier et Galemelle, les parents
de Gargantua. En effet, arrivé au bord de la Mer, Grandgousier met son rocher sur la
rive, c'est le Mont Saint Michel, et Galemelle pose le sien un peu plus loin, c'est
Tombelaine. Lorsqu'on sait que Grandgousier a été fait par Merlin de la poudre des
os d'une baleine mâle et du sang de Lancelot et que Galemelle a été créée de même
de la poudre des os d'une baleine femelle et des ongles de Guenièvre, nous pouvons
apercevoir comment, en tant que chronotope, le Mont fonctionne à l'articulation des
deux légendes, des corpus populaires et savants.

La complicité de Merlin et de Gargantua apparaît également dans les Grandes


Chronicques quand on voit Gargantua accomplir de hauts faits d'armes pour le roi
Arthur et y vivre "deux cents ans, trois mois et trois jours" avant d'être emporté en
féerie par Gwin la fée comme Merlin et Arthur eux-mêmes.

En résumé, ces sites normands du Cotentin, de Saint Georges de Rouelley au Mont


Saint Michel via Mortain, entretiennent des rapports médiés par les passages de
l'eau des Enfances de Lancelot du Lac et ce pour plusieurs raisons:

1 - d'abord, à cause de leur position de marches sur un chemin montois, le


chemin "aux français",

En suivant la ligne des châteaux Gannes (cf annexe), on passe de l'un à l'autre,
sorte de chemin sacré qui conduit les pélerins vers ce lieu symbolique entre tous qui
achévera leur Quète, faisant étape d'abbaye en abbaye, ils entendent ce que l'on
raconte inlassablement aux étapes: les légendes locales, les exploits des Chevaliers
de la Table Ronde, vies de saints. Jean-Charles Payen insistait à juste titre sur le
rôle des pélerinages comme lieux de transmission de la culture locale.

2- Ensuite, parce que les lieux de retraite assignés à Viviane et Merlin semblent liés
à la fois à la Légende et à la géographie locales:

- la fontaine de Barenton, n'existe pas seulement à Paimpont, elle se trouve aussi


entre Domfront et Mortain, et l'on montre prés du bourg de Barenton, en forêt
de Lande Pourrie, une fontaine bouillonnante,

- la forêt périlleuse de Darnantes semble pouvoir être rapprochée de celle


d'Avranches, d'abord à cause de la corruption du mot (Flûtre donne Arnantes,
Arventes, Arvences, Arvenches), et note que la fôrêt d'Arvenches, dans Perceforest,
est dite de l'Enchanteur.

- proche de la Mer de Cornouailles, le Mont Saint Michel fait face à la Cornouailles


Britannique qui s'enrichit, au XIéme siécle, d'un Mont Saint Michel fondé par Robert
de Mortain demi-frére du Conquérant. La légende dit qu'il était, aux origines entouré
d'une forêt, Scissy, qui nous paraît pouvoir être rapprochée de celle de Sorelois, qui,
dans le roman, « marchissait » à la Mer de Cornouailles et au royaume de Sorelois.
Des travaux géologiques font en effet mention d'une transgression marine à la
période préhistorique. Reportée mythiquement en 709, elle défraiera les chroniques.
La Baie a d'ailleurs toujours été soumise aux caprices des marées puisque trois
paroisses, qui existaient en 1360, sont aujourd'hui sous les flots. Ainsi la Légende
affirme que dans la Baie du Mont Saint Michel se jetait autrefois le grand fleuve Titus
aux pouvoirs surnaturels dont les rivières actuelles seraient les derniers vestiges.
Une cité aurait été engloutie là, face à Granville, suite à la rivalité d'un roi et de son
gendre, légende proche de celle d'Ys.

On voit ici poindre une parenté avec les épisodes des enfances qui nous montrent
les chevaliers osciller entre leurs visites aux deux reines à l'Abbaye Blanche
(Mortain) et un lac plein d'enchantements, au pied d'une colline, et qui semble, à
certaines heures disparaître mystérieusement, ce qui ne surprendra aucun des
visiteurs de la Baie, habitués à se faufiler sur les grèves entre deux marées dont
l'amplitude peut atteindre 19 kilomètres.

Alors, la description de cette retraite de Viviane où "elle scela Merlin tot endormi
en une cave dedanz la périlleuse forêt de Darnantes", pourrait fort bien avoir été
inspirée par les visiteurs du Mont, lesquels, impressionnés par les récits locaux,
auraient recueilli là légendes et histoires locales telle celle de la fée des
grèves romancée au XIXéme siècle par Jules Sandeau.

Tarasche et Brions les deux châteaux qui gardent l'accés au lac de Viviuane
peuvent être identifiés dans cette région proche du Mont :

- Brions existe à Genêts, c'est aujourd'hui un manoir du XVIème siècle bâti sur
l'emplacement d'une abbaye du XIIème siècle, face à Tombelaine,

- Tarasche ou Therosche, château de marches corrompu en Charosche peut être


lié au mythe de la Tarasque, le dragon bien connu à Poitiers, un château de
marches, Charuel, en Sacey, à l'angle le plus pointu de Normandie et de Bretagne,
sur le Couesnon, serait à revisiter dans ce sens. Il faisait partie d'une ligne de
défense créée par Robert 1er de Normandie pour faire obstacle à Alaind ea
Bretagne. C'est Auvray le Géant, (dont on trouve expréssément trace dans le
Lanzelet d'Ulrich von Zatzikowen et dans le Perslevaus sous le nom d'Anuret), qui
gardait cette ligne et tailla les bretons en pièces sous les murs de Pontorson. Cette
situation de guerre a fort bien pû être reprise dans les récits arthuriens à propos de la
défense de Gaunes. Une légende locale raconte que le seigneur du lieu, Gilber
Malemains, qui participait à une croisade en Terre Sainte, soupirait à revenir à
Sacey. Un inconnu lui promet de l'aider à repasser chez lui s'il lui faisait don de la
première chose qu'il y apercevrait. Se trouvant 24 heures plus tard devant son
moulin, il aperçoit sa fille à la porte de Charuel. Une voix lui dit alors "tourne le
pommeau de ton épée et ta fille sera sauvée". L'ayant fait, l'inconnu s'enfuit dans un
bruit épouvantable et Gilbert fonda sur place un prieuré.

Un autre récit raconte à Charuel une histoire de trahison trés proche des récits des
châteaux Gannes: la jeune fille de la maison alors que le château est menacé par les
troupes du soudard breton Roirick, accepte de se livrer à lui s'il épargne son fiancé.
Roirick accepte le pacte mais après avoir violé la jeune fille, décapite le fiancé .
Prenant la tête du jeune homme, Berthe, se jette à l'eau avec lui. Le passage de
l'eau prend ici un tour dramatique.

- Quant à la Forêt de la Briosque, elle peut être assimilée à la Broise, (Brosius


Rivus), proche de là, à Marcey, affluent de la Sée qui se jette dans la baie du Mont
Saint Michel.

La Baie du Mont Saint Michel, enfin, a conservé une solide réputation de passage
vers le monde des invisibles. D'aprés les traditions locales, on célébre en effet
toujours Samain, la fête des Immortels chez les Celtes, dans cette région. Le Mont
est eneffet considéré comme l'île des morts. Les Trépassés s'y donnaient rendez-
vous le 1er novembre dans ses brumes. En témoigne la coutume observée à Pleine
Fougéres , à 14 kilomètres du Mont, lors des obsèques, de porter le cercueil du
défunt sur une éminence surplombant la baie et de le tourner quelques instants vers
le Mont (cf Marc Deceneux).

- les rapports entre les abbayes normandes et leurs prieurés et fondations Outre-
Manche forment une courroie de diffusion des légendes locales comme des thèmes
de la Matière de Bretagne qui permet de comprendre sa contamination par les
espaces réels et l'imaginaire des lieux où ces abbayes et prieurés sont implantés.

Du Mont à Montlair, forteresse de Gannes.

Après avoir conquis le Banoïc, Claudas de la Déserte, met le siége devant Montlair,
où se tient la femme de Bohort de Gannes, Evaine, qui s'enfuit du château,
franchissant une rivière pour entrer dans la forêt proche et gagner le moutier où se
trouve sa soeur Hélène.

Comme Hélène, elle perd ses enfants ravis par un seigneur félon qui les remet à
Claudas de la Déserte. Comme elle, elle est dans de grandes douleurs. Ses enfants
seront délivrés et confiés à la dame du lac.

Montlair ou Mont sur le Lair, nous semble pouvoir être situé à Saint Hilaire du
Harcouët, à la fois parce que le Lair est un affluent de la Sélune, en amont de la cité
et parce que Saint Hilaire est une cité bâtie sur un site médiéval comme en témoigne
aujourd'hui des vestiges au mur du cimetière.

Outre le fait que dans la transcription des textes médiévaux, Loire et Lair aient pû
être confondus en tant que localisations de la Terre Déserte, (entre Loire et Arsie), la
personnalité de Saint Hilaire lui-même, mort en 367, docteur de l'Eglise, évêque de
Poitiers, n'est pas absente de la Légende Arthurienne puisque deux héros au moins
l'invoquent, avant de combattre, Arthur lorssqu'il combat le dragon et Tristan.

Le passage de l'eau dont il s'agit ici nous paraît délimiter le pays de Gaune situé par
Jean-Charles Payen à la marche de Bretagne, sorte de réduit neustrien qui allait du
Cotentin à la plaine de Caen, confinant avec les pays de Loire, au delà de la Sarthe.

Délimités par les toponymes Gannes et Gaunes, nous trouvons deux de ces
châteaux à chaque fois attachés à une légende de traître:

- Périers en Beauficel, au Nord Ouest de Mortain,

La Haye Pesnel, au Nord d'Avranches, sans parler des toponymes


en Gannes, Gaunes, Ga (s)nerie, qui sont à peu prés bien dispersés sur cette ligne
de marches.
De plus, le texte des Enfances rejoint ici la Légende qui rappelle que la reine Evaine
perd ses enfants du fait d'un seigneur rebelle à Bohort, le thème folklorique de la
trahison se trouvant également dans les textes et sur le terrain.

On le voit, les rédacteurs des romans arthuriens, ceux qui en assuraient la copie et la
recopie dans les Abbayes Normandes, n'ont pas manqué de s'emparer du
légendaire local pour s'en inspirer;

Comme l'avait bien vu notre maître Jean-Charles Payen, le légendaire arthurien est
contaminé par les paysages et situations que ses rédacteurs ont connus.

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