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LA CHUTE: THEORIE DE LA

CRISE ACTUELLE DU CAPITALISME


Du même auteur

« Voie chilienne» au socialisme et luttes paysannes,


Documents et recherches d'économie et socialisme na 10,
Maspéro, Paris, 1977

Analyse macrocomptable et comptabilité nationale,


Collection Exercices et cas, Economica, Paris, 1991, deux
tomes:
Tome l L'outil d'information
Tome 2 L'outil de gestion et de recherche

Théorie générale de la monnaie et du capital, Collection


Innovations économiques, L'Harmattan, Paris, 2003, quatre
tomes:
Tome l La monnaie.' bâtarde de la société, enfant putatif du banquier
Tome 2 Cachez cette monnaie que je ne saurais voir!
Tome 3 La monnaie.' Doctor Maynard and Mr Keynes
Tome 4 Principe d'incertitude généralisée et énergie de la monnaie.' E = Mv2

Macrocomptabilité de la France, Le capitalisme des trente


qnnées de plomb par la comptabilité nationale, Collection
Ecrit-Tic, L'Harmattan, Paris, 2006

Histoires critique des théories moné~aires des économistes,


L'argent contre la monnaie, Collection Ecrit-Tic, L'Harmattan,
Paris, 2007
Patrick Castex

LA CHUTE: THÉORIE DE LA
CRISE ACTUELLE DU CAPITALISME
Taux d'intérêt et taux de profit,
2000-2008 : crise financière ou crise réelle?

L'Harmattan
@
L'Harmattan, 2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan 1@wanadoo.fr

ISBN: 978-2-296-06170-5
EAN : 9782296061705
À ma femme Agnès Rollinger qui,
grâce à ses conseils, a tenté de rendre
compréhensible une théorie et des
analyses ardues...
« Je ne connais pas grand-chose à
Wall Street. mais pouvez-vous me
dire pourquoi toutes ces actions ne
cessent de grimper? Ne devrait-il pas
avoir des liens entre les bénéfices
d'une entreprise. ses dividendes. et le
prix de vente des actions?
- Monsieur Marx. vous avez
encore beaucoup à apprendre sur la
Bourse et le marché des valeurs. »
Groucho Marx, Mémoires capitales

INTRODUCTION

La crise financière (bancaire et boursière{ annoncée par de


nombreuses Cassandre depuis au moins un an , déjà visible l'été
dernier avec celle des subprimes, se solde par un krach boursier,
particulièrement net en janvier et mars 2008. Des rémissions
ont et auront lieu. Les optimistes tentent de rassurer.
« Commencez à racheter! » clame sur trois colonnes à la une
Le journal des jinancei. Et le même journal de nous rappeler,
dans Evangiles et marchéi, la trinité 6,3,1 : à long terme les
actions rapportent en rentabilité réelle, inflation déduite, 6 %
par an, les obligations 3 % et les bons du trésor 1 ~4. Conseil à
suivre ou ne pas suivre: « Pour terminer par les Evangiles: le
monde appartient à la minorité. Quoi de plus minoritaire que
d'acheter quand tout le monde vend, et de vendre quand tout le
monde achète »3. Autre conseil: « ... le plus simple est de faire
ce que Warren Buffet fait quand il a envie de vendre dans une
baisse: aller au cinéma )}.

NB: Les renvois bibliographiques sont donnés avec les dates (date de
publication, date de l'édition utilisée et/ou de la traduction).
I Voir (entre autres...) Castex (2006). On ne parlait pas encore des subprimes
mais déjà de la crise immobilière états-unienne.
2
3 N° 6278, du 29 mars au 4 avril.
« Point de vue» de Charles Gaves. Il aura eu raison pour avril 2008 ; mais
pas pour mai et juin: le rebond d'avril est presque annulé au milieu de juin.
La moyenne pondérée de 6, 3 et 1 % par les parts respectives des capitaux
placés donne en gros le taux moyen de croissance en volume du PIB sur
longue période, au moins depuis un demi-siècle.
7
Les Cassandre sont au coin du bois, mais « la reprise est au
coin de la rue» (Hoover). Après un double plongeon du CAC
401...

Le CAC 40: un "double dip"depuis l'été 2007...

6400
Autour de (, 000
6200
6000
5800
5600
5400
5200
5000
4800
Baisse de 28 % depuis le début de l'été
jusqu'au 17/03/08, rebond en avril.
4600
rechute en mai et juin
4400
~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooooooooooooooo
00000000000000000000000000
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
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0000000000000 00000000
~--~~---~--~-~~--~~~-~~~~-
NMM~~~OO~~O---NMMv~~~~OOOO~--
N- N- N--MN- N- N- N- NN-

Cependant, rien n'est encore perdu. Nous ne sommes plus


dans le monde du Président américain Hoover du début des
années 30. Le « pragmatisme» de la politique monétaire de la
Fed (La Banque centrale, fédérale, états-unienne) tapa fort en
janvier 2008 quand le « monétarisme » de celle de la BCE (la
Banque centrale européenne) ne craignait encore que
l'inflation2. Le premier tapa une deuxième fois très fort fin
mars. Et Bush Junior retrouva encore la politique budgétaire,
jugée cependant trop timide par les boursiers redevenus
brusquement keynésiens, comme après le krach de 2000-200l.
Mais la chute est inexorable. Ses conséquences sur l'économie
réelle peuvent être une véritable récession mondiale avec ses
avatars bien connus. Bref, un nouveau 29 et ses raisins de la
colère. Et dans un monde au ciel géopolitique et économique
chargé.
I On parle souvent d'une crise en double plongeon (<<double dip »).
2 La déclaration de Jean-claude Trichet, le patron de la BCE, affinnant que
son unique tâche était de lutter contre le danger d'inflation (qu'i! n'avait
qu' «une seule boussole », celle contrôlant le niveau général des prix), fit
rechuter les bourses européennes le mardi 22 janvier. Il recommence en juin
en annonçant une possible hausse des taux directeurs en juillet; avec le même
effet sur la bourse... Est-ce un jeu avec le patron de la Fed qui, se sentant
obligé de défendre le dollar, annonce également une possible remontée des
taux? On y reviendra évidemment.
8
La crise réelle ne serait que la conséquence de la crise
financière, comme toujours. Ce n'était pas le cas en 2000 où la
crise réelle de la Nouvelle économie fut la goutte d'eau qui fit
déborder le vase des bulles boursières. C'est cependant
particulièrement vrai pour la crise actuelle, crise bancaire
profonde déclenchée sans aucun doute par celle des subprimes.

* Une crise bien réelle, vieille de près de dix ans, et un


bouleversement géopolitique
Or, les crises financières récentes du début du XXI" siècle
trouvent leur source profonde dans la crise du capitalisme réel,
certes dopée par sa financiarisation galopante où les jeux sur les
taux de profit et d'intérêt mènent le bal. Le troisième choc
pétrolier en est le déclencheur, comme en 1973, mais le terreau
était fertile qui lui permit de se développer.
Le déclencheur: ce choc est apparu début 1999, après un
petit contre-choc en 1998. Un consensus s'était établi depuis le
contre-choc de 1986 autour d'un brut à 18 $ le baril; le prix
passe à moins de 10 $ fin 1998 puis autour de 30 $ de 2000 à
2004. C'est un premier choc. Le mouvement s'est ensuite
accéléré ces trois dernières années, avec au printemps 2008 un
baril à bien plus de 100 $ sur le marché américain et un peu
moins de 100 $ pour le Brent européen, plus de trois fois le
niveau de 2004 (mais heureusement, avec un euro à plus de
1,5 $, autour de 65 E). Comme à la fin des années 70 (premier
choc 1973-1974 et deuxième choc 1979-1980), il y a en fait
deux chocs pétroliers qui se suivent: 1999-2001 et 2004-2008.
Outre les sous capacités de production et la spéculation
financière sur le « pétrole papier », c'est la demande des pays
asiatiques émergents (Chine et Inde pour faire bref) qui dope les
cours.

L.~_~._~rt!.~ll.l!~r~}~J.!!...~!!tL~n $ et € par baril .~.~~ ~


100 100
90 90
80 80
70 70
60 60
50 50
40 40
30
20
10 10
AutoUI. de 18 10
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1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

9
Le mouvement de yo-yo du dollar pel1urbe en effet les
évolutions selon la devise prise en compte. Ce que le graphique
ci-dessus permettait mal de percevoir, sauf en fin de période.

I Le yo-yo du dollar américain: le bond de 1999 à 2001 puis la chute

1,21
I -7,4
1,1 I I

I I
I - 6,9
I ~ par US $ I
I 1
I
FF puis ex-FF'
-64

0,9 I par US $ _
I
I
0,8

0,7

0,6 3,9
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

1- ~---l
L-- ~~~.!du prix du Brent €/ $ par baril, %
20%
Ecart du prix d.u Brent En gros,
10% €/ $ par baril, % de + 20 %
à - 30 %,
0%

-10%

-20%

-30%

-40%
1990 1992 1994 ]996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

De 1990 à 1999, le dollar fluctue certes, mais autour de ce


qui sera sa parité avec l'euro début 1999. Il grimpe ensuite
jusqu'en 2001-2002 pour s'écrouler: il perd plus de 40 % par

10
rapport à l'euro de cette période à début 20081. L'écart du prix
du brut en pourcentage entre le prix en dollars et le prix en
euros est ainsi extrêmement fluctuant.
Le terreau: là où les diagnostics éculés ne perçoivent qu'un
accès de fièvre purement financière, soignable par un peu plus
d'aspirine (plus de transparence, plus de régulation, mais à dose
homéopathique et par autorégulation, bien entendu), on peut y
voir un cancer, plus exactement une maladie génétique qui se
déclenche brusquement dans l'économie dominante: l'empire
américain. L'économie états-unienne fut en outre la seule
économie qui avait profité d'un boom extraordinaire de 1990 à
2000 tandis que les économies européennes, et smiout
japonaise, étaient plongées dans une ~uasi-stagnation ou une
véritable stagnation sur la même période.
La géopolitique peut se résumer par la coexistence, pour le
moment assez pacifique, entre les pays à balances extérieures
des transactions courantes excédentaires et déficitaires3.

I Les balances courantes, déficitaires et excédentaires, % dn l'IB mondial, ]Jar zones I


0.5%

0.0% , -- --,- '-


Zone euro
,0.5%

-1.0% ,
-1.5~o
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_ _ Etats-Unis
.0. - -
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1.0% Pays exportateu.'s de péll'ole

0.5%

, . - Japon
O.O'Yo
ASIc emergente
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,0,5%
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I Fin avri12008, avec un euro à 1,6 $, le dollar aura perdu près de la moitié de
sa valeur depuis son pic.
Z On serait tenté de proposer un parallèle avec la période 1920- I929 où
l'économie américaine avait bondi tandis que l'Europe stagnait.
3 Source FMI, octobre 2007 ; ici en pourcentagedu PIB mondial (48 KG$,
-
milliers de milliards de dollars - en 2006, 57 en 2008). En 2008, le déficit
extérieur américain serait d'un peu moins de 790 G$, l'excédent des pays
exportateurs de pétrole de 380 G$ et celui de \' Asie émergente de 450 G$ ; à

11
Les Etats-Unis se distinguent encore, avec un déficit
extérieur de 1 à 1,5 % du PŒ mondial (entre 3 et 5 % de leur
propre PŒ). La zone euro est proche de zéro mais devient
déficitaire en 2006. Le Japon reste excédentaire, mais avec une
courbe plate. La manne pétrolière et l'industrie des pays
asiatiques émergents font l'excédent, les autres pays devenant
déficitaires en 2006, par le nouveau choc.
L'affrontement économique en deux nouveaux blocs
« Ouest-Sud et Est », avec vases à peu près communicants, est
maintenant une évidence (avec donc la Russie dans le camp des
exportateurs de pétrole). Ceux qui « consomment» plus qu'ils
ne produisent (et empruntent), ceux qui produisent plus qu'ils
ne consomment (et prêtent). Car les déficits et excédents se
traduisent évidemment par des positions et mouvements
financiers.

Résumé des balances courantes, % du PIB mondial


--
0""

Pays excédentaires
J%

----------- Alllrr.' pu)'.'


0%

~ Pal's déficitaires
-
= Flux de dettes
-J"" .. .... ..
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L'abondante liquidité mondiale, plus exactement


l'abondante épargne mondiale (des pays excédentaires) aura
pesé sur les taux « longs» (c'est-à-dire des emprunts à long
terme) à partir de 2004 où l'écart perceptible sur le graphique
ci-dessus s'ouvre nettement. Il fera augmenter les valeurs de
marché des obligations d'Etat américaines et donc baisser les
taux longs américains, malgré la hausse des taux directeurs de
la Fed. A moins que ce ne soit la faiblesse du Dow Jones à la
1
même époque qui explique celle des taux longs... Les fonds

comparer avec le PIB français autour de 2 000 G€, soit 3 000 G$. Mais avec
les mouvements de yo-yo des taux de change, les comparaisons sont délicates.
I On aborde déjà ici des aspects techniques où seul le connaisseur s'y
retrouve: c'est l'un des buts de ce livre de multiplier le nombre de
connaisseurs.., On aborde aussi des questions de fond, en particulier celle de
1'« énigme» d'Alan Greenspan, l'ex-patron de la Fed: comment se fait-il que
les taux longs baissent quand les taux courts augmentent, inversant la « courbe
12
souverains (Sovereign Wealth Funds) n'ont-ils pas sauvé de
quelques faillites bancaires après la crise des subprimes ? Ils
regorgent de pétrodollars ou de dollars; ce sont des fonds
publics. Le premier (ADIA, d'Abu Dhabi) gèrerait quelque
600 KG$ (seulement un peu plus de 1 % du PIB mondiaL..) ; le
second est norvégien (Government Pension Fung - Global),
avec un peu plus de 300 KG$: la Chine avec son China
Investment Corporation n'a que 200 KG$...
C'est d'ailleurs peut-être la baisse du dollar (plus ou moins
parallèle pour toutes les devises) qui explique l'ampleur du
choc pétrolier, du moins après 20041. Comme lors de la crise du
système monétaire international (le SMI de taux de change fixes
établi à la conférence de Bretton Woods en 1944) du début des
années 70, où le dollar avait cessé d'être convertible en or. Les
deux premiers chocs pétroliers en furent, mais avec d'autres
causes, une conséquence. Toutefois aujourd'hui, le dérèglement
monétaire international (source de nombreuses crises de change
et financières) est celui d'un système de change flexible, plus
ou moins (surtout moins...) encadré par des « zones cibles »2.
L'histoire serait-elle en train de bégayer? Avec la même
contradiction, et avec en plus des points de vue (américain et
européen) opposés.

* « Unpoignard planté dans l'âme »...


Si le choc pétrolier inflationniste induit une crise et une
récession, au moins une stagnation, comment relancer
l'économie? Une politique monétaire active risque, en tentant
de juguler la récession, de booster l'inflation (politique de Ben
Bernanke, le patron de la Fed états-unienne). Une politique ne
craignant que l'inflation (politique de Jean-Claude Trichet
amplifiera la récession. Rejouons les Cassandre, en rajoutant un
peu de poésie:
« C'est un poignard planté dans l'âme,
L'amour que j e ressens pour toi,
Si je l'enlève, je me tue,
Sije le garde, je meurs »3.
La crise est donc surtout une crise américaine: crise
financière et réelle en 2000-2001 (éclatement de la bulle de la

des taux» ? On est au cœur du sujet des types de relations entre taux d'intérêt,
taux de profit et valeurs de marché des actions.
I En gros, de 2003-2004 à aujourd'hui, le prix du baril de brut a triplé en
dollars; il n'a donc que doublé en euros et il en est à peu près de même dans
les autres devises.
2 Les Banques centrales peuvent, par leur intervention, tenter de bloquer les
fluctuations entre un plancher et un plafond: les zones cibles. On n'en parlait
plus guère, sauf à la dernière réunion du G8.
Paroles d'une complainte latino-américaine (Punales, Poignards) chantée par
l'ensemble Achalay à la fin des années 60.
13
Nouvelle économie et du Nasdaq), crise bancaire en 2007-2008,
bref crise économique (ralentissement et non pas récession, du
moins jusqu'à maintenant). Elle est donc dans une certaine
mesure la conséquence du boom économique de la Chine et de
l'Inde et du troisième choc pétrolier (le premier expliquant en
partie le second). Elle est surtout une crise d'hégémonie
économique et géopolitique (Irak et Moyen-Orient, Venezuela
et Amérique latine).

* La Chute
Que voulons-nous montrer dans ce livre? La Chutel dont
nous proposons de faire la théorie2 est évidemment celle des
valeurs boursières, mais aussi celle des taux de profit et des
taux d'intérêt. On ne se hasardera pas à penser que cette chute
est définitive3, que le capitalisme sortira enfin en 2008 du
« paradis terrestre» qu'il prétend avoir créé. Il saura
probablement rebondir. Nous allons montrer que les
fluctuations et donc les crises du capitalisme ne sont rien
d'autre que la conséquence des contradictions entre l'évolution
des taux de profit et celle des taux d'intérêt.
Les taux d'intérêt ne sont pas déterminés en dernière
instance par les marchés: marché primaire des obligations ou
marché monétaire avec intervention des Banques centrales. Ils
ne sont fondamentalement qu'un morceau des taux de profit
dans le circuit économique capitaliste, ce qu'Adam Smith avait
parfaitement compris en déterminant le taux d'intérêt long par
le taux de profit moins une prime de risque. L'optique du circuit
macroéconomique des physiocrates français, les premiers
libéraux, suivis par les classiques, Marx et Keynes, est le bon
paradigme, pas celle des marchés interdépendants des
néoclassiques, singulièrement de Walras.
Les « effets» - et non pas la « loi» - de l'offre et de la
demande interviennent certes, de même que la politique
monétaire, mais la vraie « loi» est celle de Smith. James
Kenneth Galbraith (2000) - le fils de l'hétérodoxe John
Kenneth - mentionne l'une des erreurs originelles - selon lui et
bien d'autres - de l'analyse néoc1assique : la détermination des

J
2 C'est celle du péché originel: la Chute avec un grand C.
C'est aussi, plus « scientifiquement» mais avec prudence, celle qui renvoie
à la théorie physique de la chute des corps, sans frottement (dans le vide
socia£) et avecfrottements (dans la réalité sociale). Le vide social est celui des
marchés financiers théoriques, sans crédits bancaires. Les frottements sociaux
sont ceux du crédit bancaire et de la politique monétaire.
3 Voir le livre de Susan George (1999, 2006), Le rapport Lugano, Jusqu'où
ira le capitalisme? Un livre d'avant le déclenchement de la crise. Susan
George fut vice-présidente d'Attac.
14
prix par la « loi» de l'offre et de la demande]. Ce changement
complet de paradigme bouleverse tout; singulièrement la vision
des crises: les « effets» des marchés en général et financiers en
particulier ne tiennent qu'à de la plomberie capitaliste mal
agencée par construction, et avec le moteur de la pompe
interventionniste, au moins à la Keynes, grippé ou mis au rebut.
Cependant, il ne faut surtout pas négliger ces « effets» de
l'offre et de la demande, surtout en ce qui concerne le taux
d'intérêt. Le raisonnement de Smith pour déterminer le taux
d'intérêt ne tient qu'en l'absence du crédit bancaire qui « crée»
de la monnaie, ou du moins accélère sa vitesse de circulation2.
Ce dernier et la politique monétaire qui le contrôle interviennent
sans aucun doute sur le niveau des taux (celui des taux courts,
des emprunts à court terme) et ainsi, en général, sur celui des
taux longs. La détermination des taux longs selon l'approche de
Smith se heurtera donc toujours à l'intervention sociale des
banques.

* Au commencement est la contradiction, fondamentale, du taux


d'intérêt, rentabilité et coût
Selon Smith, le taux d'intérêt n'est fondamentalement
qu'une rentabilité se déduisant du taux de profit: en période de
vaches grasses, le taux d'intérêt devrait être élevé, en période de
vaches maigres, il devrait être faible. Le plus souvent, il n'en
est rien, car le taux d'intérêt, est aussi un coûP pour les
emprunteurs, singulièrement les investisseurs. Et c'est sur ce
coût que la politique monétaire peut intervenir, en dopant ou en
restreignant les crédits bancaires. Si ce coût est faible, il dope
les investissements et ainsi (selon l'analyse keynésienne) le
niveau d'activité et le taux de profit; il permet alors de lutter
I Sa critique de cette « loi» est d'une grande précision: « La théorie
dominante s'appuie sur l'idée que prix et quantités s'établissent par
l'interaction de l'offre et de la demande dans des marchés concurrentiels
libres. Cette idée et nulle autre, qui est au cœur de la pensée économique, est
la source des errements qui font que les économistes ont presque toujours
tort. La présentation des concepts de l'offre et de la demande comme
principes explicatifs universels date de plus d'un siècle (ce n'est pas le cas
pour Adam Smith, David Ricardo, Thomas Robert Malthus, Karl Marx ou
John Stuart Mill). Les principaux protagonistes en sont Alfred Marshall, pour
la tradition anglo-saxonne, et sans aucun doute Léon Walras en Europe
continentale. Au XX' siècle, de grands économistes, tels Keynes, Joseph
Schumpeter et John Kenneth Galbraith, ont tenté de briser le pouvoir de ces
notions dans l'imaginaire de la profession économique. En vain. ... il s'agit
de laisser une métaphore, dont l'idée est née en observant les marchés aux
qoissons pour expliquer une institution humaine intrinsèquement différente il.
Sur le doute concernant la « création monétaire» par le crédit bancaire,
doute devenu parfaitement hétérodoxe depuis une cinquantaine d'années, voir
Castex (2003 et 2007).
3 On montrera qu'il s'agit là d'une illusion, cependant reproduite depuis
l'erreur fondamentale - l'une des erreurs, entre autres... - des néoc1assiques.
15
contre le chômage. Il dope aussi les valeurs boursières:
mécaniquement (on expliquera comment\ mais aussi tout
simplement par le boom de l'activité. Mais, rétroaction, le
boom de l'activité et le boom boursier doit faire augmenter, si
l'on suit, Smith, le taux d'intérêt.. . Les deux aspects
contradictoires du taux d'intérêt, rentabilité et coût, devraient
amener à une autorégulation du capitalisme, au moins aplanir
les cycles. Il n'en est rien, au contraire, on tentera de montrer
pourquoi. Un seul exemple en reprenant l'étonnement de
Groucho Marx: une baisse des taux de profit qui induit (à la
Smith) une baisse des taux d'intérêt longs... dope
(provisoirement...) les valeurs boursières; jusqu'au moment où
la bourse prend conscience de son erreur: bulle puis
éclatement.
La dernière crise, financière et réelle (ou réelle et
financière. ..) commencée en 2000, avec une rémission de 2004
à 2006 et la rechute actuelle de 2007-2008, n'en est qu'un cas
particulier. Les taux de profits baissent depuis au moins près de
dix ans; et ils entraînent dans leur chute les taux d'intérêt.
« L'argent qui fait des petits », profits et intérêts, n'est que le
catalyseur d'une crise réelle. La monnaie n'est pas seulement
cet « argent qui ne fait pas le bonheur mais aide à faire les
commissions »2 ; c'est aussi l'intermédiaire obligé du capital et
de la finance. Toute théorie financière du capital renvoie à la
théorie monétaire3 car la monnaie c'est aussi la monnaie-
finance. Les rentiers, les créanciers frileux qui ont prêté de
l'argent, n'aiment ni la baisse du taux d'intérêt, ni l'inflation.
Les deux rognent leurs revenus réels; la seconde fait fondre
leurs économies quand leurs prêts sont remboursés en argent
déprécié. Il n'en est pas de même pour les héros modernes de la
finance, les actionnaires preneurs de risque: quand les taux
d'intérêts baissent, il sont tout heureux car ils voient donc les
valeurs boursières des actions augmenter. Même quand les taux
de profits diminuent. C'est l'un des paradoxes des signes
annonciateurs de crises boursières qui trouvent le plus souvent
leur source dans la baisse réelle du taux de profit alors que les
actions montent au ciel.
Car les taux de profit (notion qui devra être précisée4, avec
tous ses avatars) déterminent les taux d'intérêt longs. C'est
donc la théorie bien oubliée d'Adam Smith (le premier
I La bourse nous l'indique tous les jours : une baisse (versus hausse) des taux
d'intervention des Banques centrales sur les taux courts fait augmenter (versus
diminuer) les cours.
2 Comme le rappelait le regretté humoriste Pierre Dac.
3 Nous avons déjà abordé le thème de la théorie monétaire; voir Castex (2003
et 2007). Ce présent ouvrage développe des thèses qui y étaient déjà
évoquées.
4 Comme toutes celles qui suivent dans cette introduction.

16
économiste « classique» britannique) que nous développons
par la théorie de la « double spéculation» sur les marchés
financiers actions et obligations. Double spéculation toutefois
perturbée par la création monétaire du crédit bancaire et la
politique monétaire qui déterminent les taux courts.
Perturbation qui permettait à Marx (au milieu et à la fin du
XIXe siècle) de douter de la théorie de Smith. Ce livre reprend
cette théorie et développe celle du « principe d'incertitude
généralisé» 1 des valeurs boursières dont la seule certitude est la
suivante, apparemment paradoxale: quand les taux de profit
baissent, les taux d'intérêt longs baissent et tendent à doper les
valeurs boursières; la politique monétaire intervenant le plus
souvent dans le jeu avec les taux courts.
Il n'est pas question ici de refaire l'inventaire des théories
des fluctuations et des crises, financières et réelles2, mais
d'aborder ces phénomènes par les quelques mécanismes qui
viennent d'être mentionnés. Il ne s'agit toutefois pas seulement
d'un jeu « mécanique» rationnel comme dans la mécanique
newtonienne: l'incertitude suppose des comportements ou des
anticipations apparemment « irrationnels ». Un premier
exemple: on peut être soumis à des il/usions: on prend par
exemple une augmentation de salaire nominal pour une
augmentation de salaire réel3, ou l'on continue à actualiser des
revenus futurs avec un taux d'intérêt ancien alors que celui-ci a
été modifié4. Un second exemple: celui de William Stanley
Jevons, le premier économiste néoclassiç)ue anglais. Dans
« Crises commerciales et taches solaires »5, il estime que les
mouvements des taches solaires détermineraient la production
agricole et les cycles économiques. Il paraît que non; mais la
croyance partagée en cet effet Sun spot induit effectivement des
cycles. Ce sont les anticipations ou prophéties auto-
réalisatrices (self-fulfilling expectations) que l'on retrouve dans
les bulles spéculatives6. C'est le même phénomène qui est à
l'origine de la théorie des bulles rationnelles. Bref, les
« anticipations rationnelles» de la Nouvelle école classique
ultralibérale sont un rêve; on peut, au mieux, comme les
monétaristes avec Milton Friedman, parler d' « anticipations
adaptatives ».
Armé de ces instruments théoriques, on montrera que la
crise économique réelle des taux de profit (en baisse certaine
1 Comme en physique quantique le principe d'incertitude de Heisenberg.
2
Deux « Que sais-je? !I donnent quelques jalons: Flamant (1985 et 1993).
On sera ici avare de quelques autres références.
3
C'est l' « illusion monétaire» du monétariste Milton Friedman.
4 Ce sera notre « illusion de la valeur présente du taux d'intérêt ».
5 En 1878-1879, « Commercial crises and Sun spots !I.
6 Keynes parlera d' « esprits animaux !l, c'est-à-dire plus instinctifs que
rationnels.
17
depuis 1999) est à l'origine de la crise financière commencée
en 2000. Cette conclusion n'a rien d'un scoop en théorie
économique, sauf que l'on insiste beaucoup trop depuis un
temps sur les causes financières de la crise liées aux critiques
Gustifiées) de la globalisation, de la financiarisation, de la
déréglementation et autres affres de la mondialisation induisant
plus qu'auparavant des bulles boursières. On se contente ensuite
de prévoir des retombées réelles de la crise financière.
On n'analysera de près que le cas français, mais l'origine
réelle de la crise n'est pas seulement « endogène », au
capitalisme français, due à sa structure et à sa dynamique
propres. Elle est aussi « exogène », trouvant également sa
source dans la conjoncture et la dynamique mondiales.
Avant de présenter le plan du livre, quelques considérations
complémentaires sont nécessaires.

* Monnaie « insignifiante », mais refuge de la finance


La monnaie, c'est la loi et le signe. La monnaie, c'est en
grec la loi (nomos); on retrouve cette racine grecque dans
numismatique. La monnaie n'est donc pas un bien naturel, mais
une institution, créée par la sociétél. Les mots « monnaie» ou
« money»» ne proviennent pas du grec mais du latin:
« Monnaie, de Juno Moneta, Junon la Conseillère, dans le
temple de laquelle les romains frappaient la monnaie >l C'est
encore une institution. La monnaie actif financier sans risque
(en valeur nominale, mais attention à l'inflation3) est pour les
libéraux, dont les néoclassiques, « insignifiante », « neutre »,
« simple lubrifiant» ou « véhicule» des échanges car dominée
par safonction de transaction. C'est un « voile» qu'i! faut lever
pour démasquer l'économie réelle. C'est alors un bien naturel
presque comme les autres, assurant un troc entre les biens
réels; en aucun cas une institution sociale. En outre, elle ne
peut être une réserve de valeur, car sa thésaurisation serait
irrationnelle, faisant perdre le taux d'intérêt. Ainsi, au « gros
mot» thésaurisation, les économistes et singulièrement Keynes
l'admettant du bout des lèvres, préfèreront « demande de
monnaie» ou « préférence pour la liquidité» : ce qui veut dire
exactement la même chose, en langage « plus poli », mais
source de combien de quiproquos!
I
C'est le point de vue du philosophe grec et premier économiste
Aristote (bien avant J.C., 1965, 1992 et 1990, 1993) : la monnaie est une
« convention », non pas de l'Etat, mais des marchands (ceux du commerce
lointain). Voir Castex (op. cit.).
2 Petit Larousse 1999. L'Encyclopedia Universalis indique « Juno Moneta (de
monere: l'avertisseuse ?)... 1>.S'agit-il des premiers « avertissements» dans
3le Dont
sens de « profit warning» !
la seule cause serait, d'après la théorie quantitative de la monnaie,
['excès de la croissance de la masse monétaire.
18
La monnaie ne pourrait donc être une réserve de valeur?
Légende! Elle peut déjà, quand sa masse augmente, faire
baisser les taux d'intérêt: si le taux d'intérêt est considéré
comme « le prix de l'argent », beaucoup d'offre de monnaie le
fait baisser, pour une demande donnée. C'est le point de vue de
Keynes et des keynésiens, reprenant les mercantilistes du XVI"
au XVIIIe siècle. Une démarche différente donc de celle de la
théorie quantitative de la monnaie qui prétend qu'une
augmentation (excessive) de la masse monétaire ne fait
qu'augmenter le niveau général des prix, les prix relatifs de la
sphère réelle restant inchangés: la monnaie est neutre.
De toute manière, la réserve de valeur de la monnaie reprend
tous ses droits dans toutes les théories financières, même les
plus libérales: au moins celui de refuge, de retour à la liquidité
quand on craint la baisse des cours des titres.

* Que sont les profits, les taux de profit et les taux d'intérêt?
« ça!» dépend pour qui, pour quelle école de pensée
économique.
On se contentera dans cette introduction d'éclairer les
avatars de ces notions à partir d'une illustration numérique. Une
entreprise avec 100 de « capital économique» réalise 10 de
bénéfice d'exploitation, après avoir offert à ses dirigeants, ses
managers, une rémunération de 2 mais avant de rémunérer ses
créanciers. Sa rentabilité économique, son « taux de profit
économique» est de 10 %. Si les 100 sont financés par 60 de
capitaux empruntés, avec par exemple un taux d'intérêt de 5 %,
et 40 de capitaux propres des actionnaires, les' créanciers
touchent 3 (5 % de 60) et les actionnaires 7 (10 - 3), soit une
rentabilité dite financière de 7 /40, soit 17,5 %.
Les différences entre ces diverses notions qui renvoient
toutes à celles de rentabilités (rentabilité économique de
l'entreprise dans son ensemble, rentabilité financière des seuls
propriétaires, taux d'intérêt, avec ou sans prime de risque, des
créanciers) donnent justement ce qui apparaît comme diverses
« primes de risque» sur lesquelles nous reviendrons après avoir
étudié l'effet de levier de l'endettement. On constate
effectivement une « multiplication des petits pains» : rentabilité
financière de 17,5 % avec une rentabilité économique de 10 %
seulement, grâce au taux d'intérêt de 5 %.
On peut également répartir le revenu des actionnaires en
deux parties: d'une part, un taux correspondant au taux
d'intérêt sans risque, ici de 5 % des capitaux propres de 40 qui
donne 2 ; d'autre part, un taux correspondant à leur prime de

I La connotation psychanalytique du « ça » est évidemment volontaire; on y


reviendra.
19
risque d'actionnaires, ici de 12,5 % (5, c'est~à~dire7 ~ 2,
ramenés aux capitaux propres de 40).
En toute rigueur, ce que les néoclassiques nommeront le
« profit pur» concerne à la fois la rémunération du manager
mais aussi la prime de risque des actionnaires: la rémunération
d'une activité de direction et de coordination, celle de
l' « entrepreneur» au sens néoclassique. Au total, le profit pur
néoclassique serait donc de 2 + 5 "" 7. La « juste» rémunération
du facteur capital, non considérée comme du profit par les
néoclassiques (car le capital serait un facteur productif), serait
ainsi de 3 pour les créanciers et de 2 pour la rémunération
théoriquement sans risquel des actionnaires, soit une
rémunération de 5 du facteur capital.
Par contre, le total du profit au sens classique et marxiste (le
capital n'étant pas considéré comme productif, le profit trouvant
sa source dans la partie non rémunérée du travail salarié) est de
12, dont 7 de profit pur (5 + 2) et 5 d'intérêt (3 + 2).

La répal.tition du profit total d'une entrepl"ise entre SeSayant-droits


UneiIIuslratinnnun,ériqucavecuncapha' avanc~K 100
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et deltes des prêteurs 0 '"

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I
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* Considre" ici CluunJeI. ,alaire dlll'DG

Keynes pense on reviendra sur les fondements de cette


~

pensée que les intérêts des créanciers et ceux sans risque des
~

actionnaires sont « indus », étant des rentes de rareté: s'en


déduit sa volonté d' « euthanasie des rentiers ». Par contre,
I Cette absence de dsque est en effet toute théorique: en cas de perte, ils
n'obtiendront rien. Mais il en est de même pour les créanciers en cas de
faillite: si l'entreprise est insolvable, certains créanciers ne seront pas
remboursés et n'auront peut-être pas touché leurs intérêts.
20
pour lui, le profit pur de l'entrepreneur et la rémunération de la
prime de risque des actionnaires, qui peut être considérée
comme rémunérant également une activité d'entrepreneur, sont
des «justes rémunérations» à conserver. Son analyse! se
démarque donc très nettement de celle des néoc1assiques, mais
aussi de celle des classiques et marxistes. Encore une fois, il ne
s'agit ici que d'une approche purement descriptive qui rendra
nécessaire plus loin une analyse critique de cette opposition
entre « rente de rareté àenthanasier}) (pour l'aspect créancier
«s'enrichissant en dormant » des capitalistes) et «juste
rémunération}) des entrepreneurs et actionnaires sous leur
aspect risk taker.

La répartition du profit total d'unccntrcprisc selon Kcyncs


Rcntes de rareté et "jl'stes rémunérations"

Rel1 ft,~, "Justes" Réllluuératious


à "el/fluml/sier" il conserver
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* Les théoriciens de la finance sont-ils plus précis que les


économistes pour définir les diverses rentabilités?
On ne veut pas voir la création du profit quand on est
financier, théoricien ou praticien. Mais pour ce qui est de
théoriser comment s'en accaparer le maximum avec le moindre
risque, une bonne partie des prix Nobel récents d'économie s'en
sont occupés. La théorie financière moderne se soucie en effet
comme d'une guigne de la question théorique de l'origine du
profit, des conditions de sa production: c'est l'affaire des chefs
d'entreprise et de leur gestion technique et sociale. .Elle laisse
les économistes académiques s'étriper sur la question de savoir
si le profit est du travail non payé ou de la productivité naturelle
du capital. Reste donc néanmoins une rentabilité désirée égale
au taux d'intérêt plus une prime de risque, cette rentabilité
désirée jouant le même rôle que le taux d'intérêt des épargnants

I
Celle de la « philosophie sociale» du Keynes (1936, 1979) de la Théorie
générale.
21
prêteurs offrant leurs capitaux: un désir de rentabilité se
heurtant à la rentabilité effective produite par le capital investi
quand il est demandé par les entreprises. Mais on est passé de la
réalité au désir; et bien que Modigliani et Miller et leur
« théorème» démontrèrent à la fin des années 50 du siècle
précédent qu'il fallait repasser à la réalité du taux de rentabilité
effectif, ce qui leur valut deux prix Nobel, depuis un siècle on
continue à ne rêver que des désirs.

* Plan du livre
Le fil conducteur de ce livre est donc le type de relations
qu'entretiennent les taux de profit et les taux d'intérêt pour
expliquer les dynamiques des marchés de capitaux et du
capitalisme réel. Les marchés de capitaux sont les marchés
financiers et les marchés monétaires. Les premiers concernent
les capitaux longsl, caractérisés par les fluctuations des valeurs
boursières, actions et obligations. Les seconds renvoient aux
capitaux courts: le marché monétaire interbancaire et le
marché monétaire élargi ou ouvert aux agents non financiers où
interviennent les Banques centrales. La dynamique du
capitalisme réel intéresse les « trends» (les tendances longues,
non cycliques) et les « ondes longues» d'expansion ou de
dépression (les «Kondratieff») ainsi que les «cycles des
affaires» ou « Business Cycles» courts (les « Juglar »).
On présentera notre démarche en trois parties.
La première partie posera la question, dans l'histoire des
théories économiques, des relations entre taux de profit et taux
d'intérêt, détour préalable incontournable où la question de
l'effet de levier de l'endettement est centrale, surtout quand les
rentabilités pour les investisseurs se transforment en coûts pour
les entreprises. Il s'agit de la question de l'existence ou non
d'une structure de financement (rapport relatif des capitaux
propres et des dettes) optimale (minimisant le coût moyen
pondéré des capitaux). C'est le débat autour du théorème de
Modigliani et Miller.
La deuxième partie abordera les types d'intervention des
taux de profit et d'intérêt dans les théories des trends, des ondes
longues et des cycles des affaires avec les bulles financières;
bref, en raccourci, l'influence des taux d'intérêt et/ou de profit
sur les « crises ». Ces théories privilégient souvent en effet soit
l'aspect réel (avec les taux de profit), soit l'aspect monétaire et
bancaire (avec les taux d'intérêt) alors que c'est la sphère des
marchés financiers qui doit être analysée, liant justement les
I La frontière entre les capitaux longs et courts est fluctuante: pour les longs,
c'est actuellement plus de 7 ans (obligations et assimilées) ; les courts vont de
24 H à deux ans, et le« moyen terme », considéré comme court ou long (c'est
selon...), de 2 ans à 7 ans.
22
taux de profit et d'intérêt. Or, se polariser sur les complexes
mécanismes boursiers n'est pas inutile, mais on en oublie le
principal: fondamentalement, les taux d'intérêt longs ne sont
que les conséquences des taux de profit, par la «double
spéculation» sur les «marchés secondaires » (dits «de
l'occasion») des actions et des actions. Le tout perturbé par le
crédit bancaire et la politique monétaire qui induisent les taux
courts.
La troisième partie abordera la crise actuelle 2000-2008 (et
années suivantes 7) elle-même. On ne refera pas I'histoire du
krach de 2000-2002, histoire éculée; on n'abordera que la crise
des subprimes et celle des LBO (Leveraged Buyingout), ou
rachat d'entreprise par effet de levier. ,
On analysera surtout trois phénomènes. A partir de
l'exemple français, les profitabilités (profits ramenés aux
mesures du niveau d'activité) sont en baisse tendancielle depuis
près de vingt ans et évidentes depuis 1998 ; ce qui n'empêche
pas Je boom de dividendes.
A partir des exemples français et américains, on constate par
ailleurs une double inversion de la relation entre les taux
d'intérêt longs (noté] r) et les valeurs de marché des actions
(notées V). Avant 1998, la baisse (versus la hausse) de r
induisait la hausse (versus la baisse) de V dans le sens r ~ V,
relation décroissante. Après 1998, la baisse (versus la hausse)
de V induisait la baisse (versus la hausse) de r dans le sens V ~
r, relation croissante.
Enfin, en France, la baisse des taux de profit induit celle des
taux d'intérêt longs; et la politique monétaire semble suivre
plus que contrarier cette tendance.

1 On voudra bien nous excuser d'utiliser le plus souvent des notations qui
renvoient aux mathématiques (r, Y, etc.). Ce n'est pas pour faire pédant, mais
une simple commodité qui allège beaucoup le texte. On arrive à s'y faire...
23
PREMIERE PARTIE
TAUX DE PROFIT
ET TAUX D'INTERET

Chapitre I
Théories des taux de profit
et des taux d'intérêt,
sans ou avec liaison

Il existe une extraordinaire diversité des théories des masses


de profit, des taux deI profit et des taux d'intérêt selon les
différents courants de la pensée économique. Proposons tout
d'abord quelques repères chronologiques en constatant en outre
que la liaison entre taux de profit et taux d'intérêt est rarement
évoquée comme fondamentale, sauf par Adam Smith, suivi en
partie mais surtout critiqué par Marx.

* Histoires de taux d'intérêt, non liés2 aux taux de profit


Le grand historien de la pensée économique Pribram (1983,
1986) nous rappelle la diversité des théories qui le définissene.

I
Surtout ne pas confondre « masse de Ii et « taux de Ii profit; détail
fondamental sur lequel nous reviendrons.
2 Ou très peu liés.
3 « L'explication de l'intérêt du capital conçu comme une catégorie
économique fondamentale est l'un des problèmes les plus déconcertants de
l'analyse économique».
25
On trouve chez les mercantilistes, les premiers économistes
interventionnistes, deux effets possibles de l'augmentation de la
quantité de monnaie. Le premier effet, souligné par Jean Bodin
au milieu du XVIe siècle, fonde la théorie quantitative de la
monnaie déjà évoquée: si la masse monétaire M augmente], le
niveau général des prix P augmente; c'est l' « enchérissement
de toute chose », bref l'inflation. Le second effet est que si M
augmente, le taux d'intérêt r baisse: l'argent étant moins rare, il
est moins cher, bonne vieille « loi)} de l'offre et de la demande,
explication de l'époque. Le taux d'intérêt nominal augmentera
peut-être avec l'inflation, mais moins que cette dernière: le
taux d'intérêt réel (après que l'inflation l'eût rogné) baissera,
bien que la démonstration du phénomène n'ait pas vraiment été
faite.
Peu avant Adam Smith, certains libéraux, dont le Français
Turgot, considéraient que r ne s'expliquait pas par la monnaie
mais par des variables réelles, plus exactement financières (le
prix du temps), anticipant la théorie néoclassique.
Les néoclassiques (économistes libéraux dont les écoles
sont nées après 1870) font du taux d'intérêt une variable réelle,
mais déconnectée du taux de profit qu'ils ignorent par
construction de leur modèle. Le taux d'intérêt long réel, à ne
pas confondre donc avec le taux nominal, est déterminé par le
« marché des fonds prêtables)}: l'offre d'épargne des
épargnants, la demande d'investissement des entrepreneurs. Il
existe en fait plusieurs théories «néoclassiques)} du taux
d'intérêt et de la rémunération du capital. Ces différentes
théories s'interpénètrent: celle de la productivité du capital,
celle de l'abstinence et celle de la préférence pour le présent, ou
de l'agio, de Bôhm-Bawerk (néoclassique autrichien de la fin
du XIXe siècle) et Fisher (néoclassique américain du début du
XXe siècle). Le capital est considéré, alternativement et à la fois
comme bien réel et comme monnaie; Wicksell, néoclassique
suédois dissident de la fin du XIXe et du début du XXe siècle,
est le bon exemple de cette interpénétration. Bôhm-Bawerk
refusait le concept de productivité du capital considéré comme
central chez les néoclassiques britanniques (de Jevons à
Marshall) : son « détour de production» expliquant ce qui tient
lieu pour lui de productivité marginale. Avait-il compris la
question du temps ~ui rendait impossible le concept de
productivité marginale? Personne n'en dit rien - à ce que nous

1
Il faudrait dire: augmente trop; c'est en effet un excès de l'augmentation de
M qui induirait une augmentation de P.
2 Voir Castex (2003): la durée du temps sur laquelle sont définies les
consommation et productivité marginales n'est jamais précisée par les
néocIassiques.
26
avons lu; Etner (2000) fait référence à des « raisons
compliquées ».._
Après la crise de 1929, Keynes critiquera ce point de vue,
détenninant le taux d'intérêt, fondamentalement les taux
nominaux courts, par son « marché de la monnaie ». Il reprend
tout bonnement, cependant de façon très sophistiquée, la théorie
mercantiliste du taux d'intérêt. Les économistes ont toujours
hésité, selon Etner, entre l'explication du taux d'intérêt par les
forces réelles (les classiques et néoclassiques), une
«formulation _.. rigoureuse », et l'explication par les forces
monétaires (les mercantilistes, Keynes et les keynésiens): la
«formulation populaire, dont on comprenait très bien la
faiblesse », faisait donc du taux d'intérêt le « prix de l'argent,
son loyer comme on disait vulgairement ». On aura compris où
se trouverait la vérité scientifique selon Etner entre la
formulation rigoureuse et la populaire...
Dans toutes ces conceptions, le taux d'intérêt est la donnée
première et le taux de profit est à peine évoqué. Tous ces
économistes distinguaient peu ou ne distinguaient pas du tout
les taux courts (des emprunts à court terme) des taux longs (des
emprunts à long terme).

* Histoire de profits
L'opposition est nette, non pas entre les libéraux et les
marxistes, mais entre les classiques et marxistes d'un côté,
rejoints en catimini - pour les lecteurs attentifs de la Théorie
générale - par Keynes, de l'autre les néoclassiques et leurs
élèves plus ou moins turbulents, monétaristes et Nouveaux
classiques.
Le profit total (après paiement de la rémunération du travail
improductif, des services, des rentes des ressources naturelles et
des impôts) au sens classique et marxiste, provient du travail
non rémunéré des salariés productifs (de l'industrie et de
l'agriculture) ; il rémunère les apporteurs de capitaux empruntés
et ceux des propriétaires, mais aussi le chef d'entreprise qui
deviendra avec les néoclassiques « l'entrepreneur ».
L'analyse des néoclassiques est tout à fait différente. Si l'on
garde la masse du profit au sens classique ou marxiste, elle se
répartit pour eux en «juste» rémunération du capital (les
intérêts dont une prime de risque) qui n'est pas du « vrai»
profit mais est considéré comme le coût du facteur productif
capital, et le profit « pur» de l'entrepreneur ou surprofit.
Keynes présente une conception à première vue curieuse. Il
se risque à se faire l'adepte de la valeur travail mais est
néanmoins dissident par rapport aux classiques et marxistes: le
profit a bien le travail comme unique source mais est une rente
de rareté qu'il faut faire disparaître pour sa part en intérêt sans

27
risque des capitaux - c'est l'euthanasie des rentiers - et
contrôler pour le profit des entrepreneurs. Il est plus discret sur
la prime de risque des actionnaires.

* Histoires de taux de profit et de taux d'intérêt


Les concepts de profit et d'intérêt chez Smith seraient,
d'après Pribram, mal définisJ. Pribram indique en passant qu'il
arrivait à Smith « de définir le profit comme le montant
excédent la valeur d'échange créée par le travail... » ; c'est en
fait la seule vraie définition de Smith, et Pribram a mal lu
Smith. Le profit chez Smith est sans aucun doute une « plus-
value implicite» qui deviendra explicite chez Marx, seul le
travail étant considéré comme productif. N'en déplaise à
Pribram, il est parfaitement défini, avec la question du pseudo
salaire de surveillance de l'entrepreneur exclu du profit. Et le
taux d'intérêt des prêteurs se déduit du taux de profit, le premier
étant le second moins une prime de risque. Marx ne le suivra
donc que partiellement, et avec des réticences justifiées.
Selon Mill, le dernier classique britannique du milieu du
XIXe siècle, le profit est également décomposé en trois parties:
celle qui rémunère le travail de direction (le «salaire de
surveillance », fondé pour Mill) ; celle qui rémunère le risque,
comme une sorte de prime d'assurance; enfin le taux d'intérêt
des capitaux empruntés. Mill reste proche de Smith, sauf qu'il
inclut dans le profit la rémunération du travail de direction et le
risque, anticipant à cet égard ses successeurs néoclassiques.

* Le génie de la théorie néoc1assique: l'abandon de la notion


même de taux de profit effectivement réalisé pour ne retenir que
la rentabilité désirée
Les néoclassiques fondateurs ignorent ainsi le concept même
de taux de profit pour ne retenir donc que, d'un côté le taux
d'intérêt juste rémunération du capital productif, de l'autre le
profit «pur ». L'entrepreneur est dissocié avec génie des
capitalistes réduits aux seuls prêteurs. Génie d'autant plus grand
que cette absurdité ne sera jamais remise en cause: ce qui est
l'un des thèmes de notre démarche critique. La dissociation
étant accomplie, le taux de profit des capitalistes propriétaires
(dite rentabilité financière) n'avait plus lieu d'être analysé, pas
plus que celle de tous les capitaux, propres et dettes (dite
rentabilité économique). Sauf par la théorie financière
néoclassique récente qui sera bien obligée de retrouver une

I «... le concept de profit appliqué par Smith était loin d'être défini. Il
concernait plusieurs types de revenus allant à l'employeur: le rendement du
capital investi dans l'entreprise. la rémunération des services de création ou
de direction de l'entreprise. ou des connaissances techniques. la
compensation du risque... ».
28
partie de la réalité en ne mentionnant qu'une « rentabilité
financière -lire taux de profit - désirée» : le taux d'intérêt plus
la prime de risque des actionnaires.
Notre démarche sera dans ce chapitre la suivante.
Soit les taux de profit et les taux d'intérêt sont étroitement
liés. Pour Smith, le profit apparaît, le travail (<<productif»...,
donc pas celui à l'origine des services) étant le seul facteur
productif, par le surplus de la valeur produite par le travail de
ces salariés sur les salaires qui leur sont versés. Le taux
d'intérêt qui se déduit du taux de profit est alors une variable
réelle explicable par la théorie de la valeur travail. Soit ils sont
moins étroitement liés: Marx, hésitait à suivre Smith, sauf en
développant la théorie de la plus-value. Il refuse au taux
d'intérêt son caractère de variable réelle découlant du taux de
profit: il avait compris le rôle du crédit bancaire et donc la
détermination en partie monétaire du taux d'intérêt (les taux
courts ).
Soit on refuse la notion même de taux de profit. Les
néoc1assiques déterminent le taux d'intérêt par les forces réelles
du marché des «fonds prêtables» (offre d'épargne croissante
avec le taux d'intérêt se confrontant avec la demande
d'investissement, décroissante avec lui). Le taux d'intérêt
devient à la fois la juste rémunération de l'effort d'épargne des
héros de l'abstinence et le produit (<<productivité marginale»)
du facteur capital considéré comme productif. Le tout géré par
un chef d'orchestre indépendant du capital; l'entrepreneur qui,
recherchant évidemment à maximiser son «profit pur », va
obtenir, par la concurrence un profit pur nul. ..
Soit, enfin, le taux d'intérêt n'est fondamentalement, selon
Keynes et les keynésiens, qu'une variable monétaire expliquée
par le «marché de la monnaie» (offre de crédit bancaire
faiblement croissante avec le taux d'intérêt et demande de
monnaie, en fait thésaurisation, décroissante de ce taux).
L'analyse du taux de profit a également disparu, même si la
masse de profit est pour Keynes une rente indue produite par le
travail !

29
Il - Le classique Smith et Marx: liaison ou
non entre le taux de profit et le taux d'intérêt?

111 - Théorie du taux d'intérêt de Smith, taux de profit


moyen moins prime de risque

* Le profit est pour Smith du travail non payé, et c'est son taux
qui compte, pas sa masse
Pour Smith (1776, 1976) et presque tous les classiques
(Ricardo, Malthus, mais pas Jean-Baptiste Say), les valeurs
d'échange sont expliquées par le travail. Marx ne fera que
reprendre cette théorie, avec quelques aménagements. Les
valeurs s'expriment en monnaie par le « prix naturel» autour
duquel fluctue par « gravitation », le prix de marché. Ce n'est
pas le marché qui explique le prix, c'est la valeur travail; avec
évidemment intervention des «effets» de l'offre et de la
demande (la gravitation).
Adam Smith fut le premier économiste à considérer le profit
comme du travail non payé aux salariés productifs; il écrit en
effet dans sa Richesse des Nations: « ... la valeur que les
ouvriers ajoutent à la matière se résout alors en deux parties,
dont l'une paye leur salaire, et l'autre le profit que fait
l'entrepreneur sur la somme des fonds qui leur ont servi à
avancer ces salaires et la matière à travailler ». Sans drapeau
rouge, le concept de plus-value est implicite chez Smith.
Il est aussi le premier à se rendre compte que c'est moins sa
masse que son taux qui importe: « Il n'aurait pas d'intérêt à
employer ces ouvriers, s'il n'attendait pas de la vente de leur
ouvrage quelque chose de plus que le remplacement de son
capital, et il n'aurait pas d'intérêt à employer un grand capital
plutôt qu'un petit, si ses profits n'étaient pas en rapport avec
l'étendue du capital employé» I. Cette évidence sera oubliée par
la théorie néoclassique qui, niant la notion même de taux de
profit, ne retiendra que le profit dit « pur» de l'entrepreneur,
tendant vers zéro par la concurrence. Chez Smith, la
concurrence entre les capitaux propres des capitalistes tend à
égaliser les taux de profit de chaque branche pour obtenir en
tendance un taux de profit moyen.

I Cette citation est rarement mise en avant quand on présente au jeune étudiant
le génie du fondateur de l'économie politique libérale classique; elle l'a été
en particulier par Henri Denis (1967, 1977).
30
* Le travail de direction de l'entrepreneur ne peut fonder pour
Smith le profit
Mais le profit en général, celui que vont se partager les
actionnaires et les prêteurs, n'est-il pas tout simplement la
rémunération d'un travail: celui de la gestion de l'entreprise,
bref de l'activité qui sera celle de l'entrepreneur néoc1assique ?
Autrement dit, continue Smith, « Ces profits, dira-t-on peut-
être, ne sont autre chose qu'un nom différent donné aux
salaires d'une espèce particulière, le travail d'inspection et de
direction. Ils sont cependant d'une nature absolument différente
des salaires; ils se règlent sur des principes absolument
différents, et ne sont nullement en rapport avec la quantité et la
nature de ce prétendu travail d'inspection et de direction ». En
effet, on voit mal pourquoi le profit en tant que rémunération
d'un travail d'inspection et de direction serait proportionnel aux
capitaux avancés, même s'il est plus fatigant de gérer une
grande qu'une petite entreprise.

* Le taux d'intérêt se déduit du taux de profit des capitalistes


entrepreneurs par une prime de risque
Smith distinguera ensuite le taux d'intérêt r des fonds
empruntés de la rentabilité des fonds propres avancés par les
propriétaires, supérieure au taux d'intérêt d'une prime de
risque. On notera ici rf cette rentabilité maintenant nommée
rentabilité financière des propriétaires; pour faire bref celle des
actionnaires I. On peut donc écrire, en notant Rf la prime de
risque financière des actionnaires de Smith: r = rf - Rf.
Smith ne parle pas d'un risque général qui pourrait expliquer
le profit, ni d'un quelconque talent de l'entrepreneur. Le risque
qu'il évoque n'est que celui qui oppose actionnaires et prêteurs.
A deux niveaux. D'abord, les propriétaires sont rémunérés par
un revenu variable avec la masse des profits (les dividendes des
actionnaires), les prêteurs par un intérêt dont le montant est fixé
lors du contrat. Ensuite, en cas de faillite, les premiers à pouvoir
rentrer dans leurs fonds (au moins partiellement) sont les
prêteurs, les propriétaires ne se partageant que ce qui reste; en
général pas grand chose.
Deux limites se présentent toutefois dans cette théorie. Smith
ne distingue pas les taux longs des taux courts. Il oppose les
capitaux propres CP des actionnaires aux dettes D des prêteurs,
alors que c'est bien le capital économique K dans son ensemble,
financé par CP + D, qui s'accapare le profit, le travail non
payé; il est ensuite réparti entre CP et D. Il n'en reste pas moins
que pour Smith le taux d'intérêt n'est qu'un morceau du profit -
né du travail - rémunérant le capital prêté par les capitalistes

I
Et autres propriétaires de sociétés (SARL, etc.).
31
aimant moins le risque aux capitalistes plus héroïques mais en
manque de fonds propres. Si l'on suit le raisonnement de Smith,
Rf est d'ailleurs moins une prime de risque qu'une « décote de
non risque» pour les prêteurs: r = rf moins décote de non
risque. Si la prime de risque peut être considérée comme
relativement constante, on peut en déduire que le taux d'intérêt
est déterminé par le taux de profit et fluctuera plus ou moins
parallèlement à ce dernier: le taux d'intérêt est donc déterminé
par des variables fondamentales de la sphère réelle, et non plus
par les variables monétaires comme chez les mercantilistes.
Mais Smith fait une petite erreur. C'est donc la totalité du
profit qui est partagé entre les capitaux propres et les dettes: la
rentabilité économique (que nous noterons re) de tous les
capitaux engagés (CP + D) est le «vrai» taux de profit; la
rentabilité financière rf des CP se déduit alors de re et de r, par
la « formule de l'effet de levier ». Et ladite « prime de risque»
de Smith, Rf , n'est qu'un surprofit obtenu par la différence
entre re et r : elle est évidemment variable avec la structure de
financement. Ce Hui ne remet cependant pas en cause l'intuition
géniale de Smith!.
La théorie smithienne du taux de profit anticipe sans aucun
doute celle de la plus-value de Marx, mais l'exploitation des
travailleurs n'est indiquée que de façon discrète. Ricardo, au
début du XIXe siècle sera encore plus discret, insistant plutôt
sur le profit en tant que surplus, revenu résiduel toujours
proportionnel aux capitaux avancés, coincé2 entre les salaires et
la rente foncière pour fonner la valeur travail, « prix naturel»
exprimé en monnaie autour duquel gravite, par l'effet de l'offre
et de la demande, le prix de marché.

112 - Marx un peu pour... mais surtout contre Smith,


par l'intervention des taux courts bancaires
Marx ne reprendra, en la critiquant, la théorie de Smith
qu'après avoir fourbi ses premières armes non pas contre les
classiques, mais contre les utopistes qui pensaient pouvoir
réformer le capitalisme en réduisant sinon en annulant le taux
d'intérêt considéré comme une rente indue de situation.

* Marx contre le réformisme du capitalisme par la baisse du taux


d'intérêt
Marx (1847, 1965) reprochera à Proudhon, dans Misère de
la philosophie. Réponse à la Philosophie de la misère de M.
I Voir plus loin notre critique de la notion de prime de risque par la mécanique
de l'effet de levier et notre théorie de la « double spéculation».
2 « Squeezé ». compressé entre salaires et rente; on y reviendra.

32
Proudhon, de 1847, de confondre propriété et propriété
foncière, donc profit et rente. Il fustigea surtout son utopie du
« crédit gratuit », l'annulation du taux d'intérêt permettant de
réformer le capitalisme et rendant ainsi toute révolution inutile.
Cependant, avant Proudhon, le courant saint-simonien était
déjà à l'origine d'une volonté de réforme par la baisse du taux
d'intérêt. Le mouvement saint-simonien met en avant les
« producteurs» actifs, fondamentalement les artisans et petits
entrepreneurs (( l'industrie»), contre les rentiers «oisifs »,
encore assimilés aux anciens propriétaires fonciers et leurs
revenus assimilés à une rente. En effet, les premiers ont besoin
des capitaux des seconds et sont étouffés par les intérêts des
prêteurs. Comme elle le sera chez Proudhon, la monnaie peut
être un instrument de libération par le crédit à bas coût. Le taux
d'intérêt est le résultat d'un rapport de force entre oisifs et
travailleurs ou producteurs, dans le sens élargi précisé plus
haut; il ne peut s'agir d'un prix d'équilibre statique, surtout au
sens de Say que les néocIassiques reprendront. Le taux d'intérêt
est « un impôt payé par le travail à l'oisiveté ».
On trouve surtout dans le mouvement saint-simonien une
théorie que Keynes reprendra2, par l'intermédiaire du
mouvement des Fabiens, mouvement réformiste britannique de
la fin du XIXe siècle. Il s'agit de la baisse spontanée à long
terme du taux d'intérêt; et la politique monétaire
« progressiste» des banquiers, en développant le crédit
bancaire, fait encore plus baisser le taux d'intérêt. En effet, si
l'épargne est rare, r sera élevé; en créant de la monnaie ex-
nihilo, r devrait baisser. Chez Proudhon également, la monnaie
peut être un instrument de libération par le crédit à bas coût,
sinon gratuit par une « Banque d'échange ».
On trouve les premiers embryons d'une approche de la
monnaie dans les « Manuscrits parisiens» de Marx (1844,
1968) où apparaît déjà la thèse selon laquelle aucune réforme
monétaire ne peut améliorer le capitalisme. Il y reconnaît
néanmoins que le taux d'intérêt a tendance à baisser à long
terme. Le «jeune Marx» croit donc percevoir dans la baisse du
taux d'intérêt les prémisses de la Révolution, comme il percevra
dans celle du taux de profit la cause « technique» de la fin du
capital. Le Marx plus mûr reviendra de façon plus critique sur
cette baisse naturelle du taux d'intérêt. Dans Misère de la
philosophie, Marx attaque donc la conception réformiste de
Proudhon. Cette attaque est reprise dans les Principes d'une
critique de l'économie politique (1857-1858, 1968). Le regain
d'intérêt pour la monnaie est dû à la crise monétaire et
I Voir entre autres, l'article d'Alain Benausse (1999), Les saint-simoniens de
1830 : des précurseurs de la finance solidaire.
2 Keynes en fera en effet l'un de ses chevaux de bataille réformiste.

33
financière de 1857-1859 et au développement de la pensée
proudhonienne. Il y réfute encore l'idée selon laquelle on
pourrait transformer le capitalisme par une réforme du
« changement de la circulation », bref en baissant r, sans
« changement dans les autres conditions de production ainsi
que des bouleversements sociaux ».

* Marx et la « critique de l'économie politique» classique


Mais c'est à partir de la critique de l'économie politique
classique que Marx ébauchera une théorie monétaire et
financière. Il prendra parti contre la Currency school et pour la
Banking schooll. Il y fait de nombreuses références dans le livre
III du Capital, notamment dans le chapitre XVII, Accumulation
du capital monétaire et crises, analysant la crise de 1847. Il
distingue comme Tooke, le principal défenseur de la seconde
école, la monnaie de crédit, « fictive» en fait2, de la « vraie»
monnaie or ou fiduciaire gagée sur l'or, contrairement à
Ricardo. Mais son analyse du crédit, et singulièrement du crédit
bancaire est pour le moins inachevée dans sa critique de l'école
classique.

* Marx et la théorie du taux d'intérêt de Smith: des hésitations,


mais un refus apparemment curieux, cependant en partie justifié
Selon Marx, le taux d'intérêt n'est pas déterminé,
contrairement au taux de profit moyen, par la valeur travail
mais essentiellement par la concurrence. Il reconnaît
évidemment qu'il trouve son origine dans la plus-value: c'est
bien une partie de celle-ci.
La critique de Marx n'est pas claire. Il ne critique pas
explicitement la prime de risque dont rien ne permet de penser
qu'elle serait plus ou moins constante; sa variabilité étant
évidente3. La critique de Marx renvoie implicitement à
l'intervention du crédit bancaire: elle semble donc renvoyer à
l'explication purement monétaire du taux d'intérêt chez les
mercantilistes. Marx hésite néanmoins. D'un côté, l'intérêt du
capital de prêt n'est, répétons-le, qu'une partie du profit. De

I On ne présente pas ce débat fameux qui renvoie fondamentalement à la


théorie monétaire et peu à la théorie financière. Voir par exemple Castex
F003 et 2007).
Voir Castex (2003 et 2007). C'est la question du doute concernant la
« véritable création)} de masse monétaire M par le crédit bancaire. Elle
pourrait n'être qu'une accélération de sa vitesse de circulation v dans la
fameuse identité considéré par la théorie quantitative comme une « équation )},
celle d'Irving Fisher (1911), après John Stuart Mill, Mv = PT, avec P le
niveau général des prix et T le volume des transactions.
3 On verra plus loin que ladite « prime de risque)} ne renvoie en fait qu'à
l'effet de levier de l'endettement et est donc variable avec la structure de
financement.
34
l'autre, la détermination de son taux n'est que la conséquence
de la concurrence. Comment? L'effet de l'offre et de la
demande serait apparemment suffisant pour expliquer, par
gravitation, les écarts entre un r « naturel» au sens de Smith et
le r de marché. Sauf que le crédit bancaire « crée », en offrant
ex-nihilo de la monnaie (donc « fictive» selon lui), une offre de
capitaux qui peut faire baisser r. Retour de fait aux mécanismes
mis en lumière par les saint-simoniens et Proudhon qu'il avait
pourtant pourfendus.
Il s'agit le plus souvent de crédits à court terme et donc de
taux courts; mais ils peuvent influencer (par arbitrage) les taux
longs. Le taux d'intérêt apparaît donc également comme
variable monétaire, comme taux d'intérêt du marché monétaire
dirait-on en termes modernes, en fait comme chez Keynes 1.
Marx distingue en fait implicitement les taux courts des crédits
bancaires des taux longs. Mais implicitement seulement car
l'intérêt est pour lui le résultat d'un rapport deforee entre deux
types de porteurs de capitaux: le capital industriel (ou
commercial) et le capital financier: « ... il n'existe pas de taux
d'intérêt naturel» répète-t-il. Marx considérait les capitaux
financiers comme des capitaux également «fictifs» dont les
rémunérations ne peuvent renvoyer aux forces « réelles» de la
valeur travail qui s'arrêtent au taux de profit, à la plus-value
devenant pour partie rémunération des capitaux réels engagés.
En fait, Marx n'a pas encore théorisé que le capital économique
global était financé par des capitaux propres et des dettes sur un
marché des capitaux; le capitaliste était encore, comme chez les
classiques, capitaliste et entrepreneur: le «capitaine
d'industrie ». Il ne pouvait pas ainsi théoriser l'effet de levier de
l'endettement en distinguant dans les dettes les capitaux nés de
l'épargne et ceux nés de la création monétaire du crédit
bancaire: le « capital-argent» qu'il estime « fictif» est double.
Ce point de vue sera repris gar Rudolf Hilferding (1910,
1970) dans Le capital financier2. Il adresse ainsi la même
critique que Marx à Smith: « Le principe formulé par Adam
Smith, selon lequel" là où l'on peut obtenir un grand bénéfice
avec l'argent, on paiera ordinairement beaucoup pour pouvoir
l'utiliser, et que là où il y a peu à gagner, on en donnera aussi
que très peu" (Wealth of Nations, t. I, ch. IX), ce principe est
très simple, mais non démontré et d'ailleurs faux ».

I
Après Wicksell, analysé plus loin.
2 Hilferding constate « que le montant du taux d'intérêt n'est pas déterminé
par le taux de profit, mais par la demande plus ou moins forte de capital-
argent, demande déterminée à son tour par l'évolution plus ou moins rapide,
l'allure, l'intensité et l'allongement des périodes de prospérité. Quand on
considère des taux d'intérêt anormalement élevés, on s'aperçoit qu'il faut en
chercher la cause dans le système monétaire ».
35
La solution à la question du refus apparemment curieux par
Marx de la théorie de Smith est ainsi simple: il tient compte des
cycles économiques et de l'intervention des crédits bancaires.
Certes, s'il admet que les intérêts versés sont bien une partie du
profit et de la plus-value, les effets de la concurrence font varier
son prix dans la conjoncture: en période de vaches maigres où
les taux de profit s'effondrent, les taux bancaires se tendent par
les risques de faillite des entreprises et des banques prêteuses.
Autrement dit quand les taux longs baissent, les taux courts
bondissent. Marx avait déjà remarqué ce qui deviendra une
théorie contemporaine des signes précurseurs des crises
financières et des crises réelles.

* Marx anticipe néanmoins la critique de la théorie néoclassique


du taux d'intérêt, grâce à la théorie de Smith...
Pourtant, la réticence de Marx envers le taux d'intérêt
variable réelle disparaît dans sa critique géniale de ce qui
deviendra l'un des aspects de la théorie du taux d'intérêt des
néoclassiques : il s'agit dufétichisme du capital à intérêt.
Il concerne la disparition de la marchandise (notée ici M)
dans la circulation productive (avec A comme argent) A-M-A'
se transformant en relation directe A-A', A' moins A étant la
plus-value source du profit. Marx écrit: «... la valeur qui
s'engendre elle-même, l'argent qui enfante l'argent: sous cette
forme, nulle cicatrice ne trahit plus sa naissance ». Ou encore:
« Alors que l'intérêt n'est qu'une partie du profit, c'est-à-dire
de la plus-value, que le capitaliste extorque au travailleur, c'est
maintenant le contraire que l'on constate: l'intérêt semble être
le fruit même du capital, l'élément originel, et le profit, devenu
profit d'entreprise, fait figure de chose superfétatoire,
s'ajoutant accessoirement au processus de reproduction. Voilà
le capital sous sa forme fétiche et le fétichisme du capital dans
toute leur perfection... Pour la théorie vulgaire, qui cherche à
présenter le capital comme la source autonome de la valeur,
cette forme est naturellement une aubaine... ». Cette critique
sera reprise par le marxiste russe Nicolas Boukharine (1919,
1966) dans sa critique acerbe et célèbre de L'économie politique
du rentier.
Cette critique, non pas adressée aux néoclassiques qu'il
ignore mais aux « économistes vulgaires» qui sont leurs
précurseurs, dont les continuateurs de Say, est fondée quand il
critique le fétichisme du capital productif. Mais il le confond
avec le capital argent, ce que ne feront pas les néoclassiques.

36
12 - Théories néoclassiques et absence du taux
de profit effectif: le taux d'intérêt est la seule
rentabilité

121 - Les néoclassiques et les deux approches du taux


d'intérêt! r déterminé par le « marché des fonds prêtables »

* La légende de la « loi» de l'offre et de la demande


Tous les processus perçus par les néoclassiques s'effectuent
sur des marchés en « concurrence pure et parfaite» où les prix
et quantités sont censés s'établir par une « loi» où toute valeur
fondamentale intrinsèque aux produits échangés disparaît. Or, il
n'y a pas de « loi» de l'offre et de la demande, simplement des
« effets» ; voir James Kenneth Galbraith (2000) cité plus haut.
Nous ne développerons pas ici cette critique fondamentale2 ;
nous n'en indiquerons que quelques éléments.
Un «vrai» marché est limité dans le temps et l'espace,
comme la bourse: l'exemple de Walras généralisé sans
vergogne} à tous les marchés, ou les marchés aux poissons,
denrées éminemment périssables. Or se pose la question du
temps de la consommation ou de la production quand les
néoclassiques évoquent les utilités et productivités marginales
décroissantes. En effet, si la satisfaction diminue avec les
quantités consommées, première «loi» de Gossen (1854,
1995), la durée du temps du processus n'est jamais définie.
Manger 10 kg de bonbons d'un coup est peu agréable, mais
pourquoi ne pas acheter ce stock et le consommer pendant un
an?
L'analyse sur chaque marché est celle dite des équilibres
partiels, proposée par Alfred Marshall (1890, 1906) dans ses
Principes d'économie politique. Elle suppose qu'il est possible
d'étudier un marché en oubliant son interdépendance avec les
autres, contrairement à l'équilibre général walrassien. Les prix
déterminés par le modèle walrassien sont des prix relatifs, la
monnaie ne jouant aucun rôle, sauf celui d'expliquer le niveau
général des prix par la théorie quantitative. Les adaptations
entre l'offre et la demande sur tous les marchés, en cas de
déséquilibre, s'effectuent donc par les prix (relatifs) et/ou les
quantités. En cas de surplus d'offre par exemple, les
producteurs peuvent choisir de diminuer les quantités offertes:

I Pour les néoclassiques il s'agit du taux réel, déflaté. Nous continuerons ici à
la noter r par commodité.
2 Voir Castex (2003, tome 1).
3 Car l'une des particularités de la bourse en tant que marché secondaire « de
l'occasion» est que les produits ne sont pas socialement reproductibles.
37
c'est l'adaptation par les quantités que Marshall met surtout en
avant; ils peuvent également choisir de baisser leurs prix: c'est
l'adaptation par les prix que Walras privilégie. Walras semble
avoir raison, car à un moment précis donné où s'effectue le
marché, où se confrontent l'offre et la demande, les quantités
offertes sont fixées. Mais quand la production peut s'adapter à
la demande - ce qui n'est pas le cas le jour même du marché
aux poissons -, ce sont les coûts de production, après variation
des quantités produites, qui s'adaptent à la demande I. Marshall,
encore probablement sous l'influence de l'analyse classique par
l'intermédiaire de John Stuart Mill, reste convaincu que,
fondamentalement, ce sont les conditions d'offre (les coûts) qui
déterminent les prix sur une période longue - il n'est donc pas
très éloigné de la théorie classique du prix naturel et de la
gravitation avec « effet» (et non pas « loi») de l'offre et de la
demande.

* Le taux d'intérêt: un coût d'un côté, une rentabilité de l'autre,


et la légende de l'entrepreneur néoclassique. .. qui n'existe pas !
Toute la théorie financière moderne fondée sur l'approche
néoclassique se résume dans une contradiction fondatrice: la
rémunération du capital est à la fois une rentabilité et un coût.
Une rentabilité pour les apporteurs de capitaux (les épargnants
héros de l'abstinence qui acceptent de ne pas consommer
aujourd'hui pour consommer plus demain); un coût pour
l'entreprise, plus exactement l'entrepreneur dit « producteur »
(le çoût des fonds empruntés pour l'investissement).
A condition d'admettre la légende enseignée depuis plus
d'un siècle par les néoclassiques selon laquelle c'est un
« entrepreneur» qui joue les interfaces entre les épargnants et
l' «entreprise », la théorie du coût du capital comparé à sa
productivité se tient. Si l'on rappelle que l'entrepreneur n'est,
dans une «société anonyme », que le mandataire des
propriétaires du capital, ses mandants, utilisant les capitaux des
prêteurs comme appoint, tout s'écroule: les propriétaires
cherchent bien à maximiser la rentabilité de leurs capitaux
« propres », pas à minimiser le coût d'un capital emprunté
« étranger ». Bref, l'entrepreneur au sens néoclassique,
indépendant du capital, n'existe pas: ce sont les actionnaires les
patrons.

1 Nous avons tenté de démontrer que la demande explique toujours l'offre,


contrairement à la « loi» de Say. C'est encore la question du temps et des
stocks; voir Castex (2003).
38
* Une innovation: la productivité du capital et son coût pour
l'entrepreneur
Pour les néoclassiques, le capital est productif: il produit
une « productivité marginale du capital» par l'investissement.
C'est un aspect positif, une «rentabilité» pour l'entreprise;
mais c'est aussi un coût pour l'entrepreneur car le capital offert
ne l'est pas gratuitement. Le profit pur de l'entrepreneur (la
différence entre le produit et les coûts du travail et du capital)
ne peut être que le résultat d'un monopole passager, d'une rente
de situation éphémère dans l'équilibre de court terme détruite
par la concurrence dans l'équilibre de longue période: quand
les coûts moyens deviennent égaux aux coûts marginaux sous
l'effet de la concurrence, le profit pur disparaît.
Mais que sont la productivité marginale du capital et son
temps d'utilisation? Le capital fixe dure longtemps, il possède
peu de flexibilité naturelle. Qu'à cela ne tienne, la solution
néoclassique est simple: le capital est loué par morceaux: c'est
l'investissement. L'entrepreneur l'utilise, et pour maximiser son
profit le rémunère à sa productivité marginale supposée donc
décroissante pour une échelle de production donnée: il s'agit
des rendements décroissants à l'échelle!. Si r diminue,
l'investissement augmente: c'est la «demande de fonds
prêtables », celle correspondant à l'investissement désiré que
nous noterons ici 1.
On laissera de côté la critique des keynésiens
néocambridgiens, singulièrement de Mrs. Joan Robinson
(autour des années 60), axée sur l'impossibilité de considérer le
capital comme une quantité homogène transformable à tout
moment, d'un coup de baguette magique, pour s'adapter à la
quantité de travail utilisée. La quantité de capital n'est pas de la
jelly, marmelade ou confiture; c'est pourtant ainsi qu'elle est
présentée par les néoclassiques.

* Une autre innovation: la rémunération de l'héroïque épargnant


Comment l'offreur d'épargne choisit-il le niveau de son
« effort », donc de son « coût» ? On consomme et on épargne à
la fois en fonction certes de son revenu mais aussi de ses choix
intertemporels, donc aussi en fonction de r. L'épargne ou
l'offre de capitaux (l'offre de fonds prêtables disent les
néoclassiques), la renonciation à consommer (une sorte de vertu
d'abstinence) est croissante avec r (le prix de la renonciation à
consommer aujourd'hui). L'épargne S (S comme «saving »,
l'anglais pour épargne) est bien un flux de biens réels, un flux
de non consommation; surtout à ne pas confondre avec un flux
I
Si la productivité marginale de l'investissement est croissante (rendements
croissants à l'échelle), son égalisation avec le taux d'intérêt induira un
maximum de perte.
39
d'offre de monnaie, même si l'épargne prend en général une
forme monétaire. Le taux d'intérêt est donc pour l'épargnant
une rentabilité expliquée par le coût de l'effort d'abstinence.

* Le choix du niveau de l'investissement par l'entrepreneur en


fonction du taux d'intérêt
L'entrepreneur choisira ainsi le niveau de son investissement
selon le taux d'intérêt réel désiré par les épargnants. Selon
l'illustration numérique du graphique ci-dessous, il investira par
exemple 200 pour r = 10 % mais 450 pour r = 5 %.
[--i;P~;;d;;;:-ti~.it~;:gï;;~d~~red-;;~iiaI;;tk;;h~~d~T;~I;;;;;;;~d;;:-- i
\5%
] Productivité marginale de I, décroissante
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::; .~ ,..-, Pour r = 10 %. 1=200
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100 200 300 400 500


Investissement I

122 - Les néoclassiques et leur «marché des fonds


prêtables»: fondamentalement le marché primaire (dit
« marché du neuf ») des obligations

* Le marché des fonds prêtables détermine à la fois le « prix»


d'équilibre r et l'égalité des « quantités» I = S
L'épargne S étant croissante, l'investissement I décroissant
avec r, il existe un r d'équilibre stablel où I = S. On parle en
général pour décrire ce phénomène du marché des capitaux. La
confusion est possible avec les marchés financiers dont le
marché (primaire mais surtout secondaire) des titres longs
(actions et obligations) se nomme également marché des
capitaux. Or, il s'agit ici du seul marché primaire des titres de

I
Si l 'f. S, l'équilibre se démontre aisément par la « loi» de l'offre et de la
demande.
40
créance, en général des obligations. La bourse des marchés
actions n'apparaît pas dans ce modèle.
Cet équilibre du marché des fonds prêtables induit la
maximisation de la masse de profit pur de l'entrepreneur. La
démonstration de cette optimisation, de la maximisation de la
masse de profit se trouve dans tous les manuels pour débutants.
[,Lc marché des fonds prêtables et le cas de l'augmentation
~

de l'efficacité ~

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Investisscment I et Epargne S

* Marché des fonds prêtables et amélioration de l'efficacité de


l'investissement: r est bien, fondamentalement, une rentabilité
Le graphique qui précède résume ce marché des fonds
prêtablesl présentant les graphes de I et S ; avec un petit
développement. Si, pour tout niveau de I, la productivité
marginale du capital s'accroît, le graphe de I se déplace vers le
nord (I devenant « plus efficace» : pour tout I, la productivité
marginale est plus élevée) et le r d'équilibre est plus élevé. Rien
que de très banal, car le taux d'intérêt est bien, quoique lié au
désir des épargnants, lié à la productivité du capital.
Résumons: une croissance de l'efficacité du capital se
traduit par celle de la rentabilité de l'entreprise, mais donc aussi
de son « coût» à rémunérer aux épargnants. Pour ces derniers,
il s'agit sans aucun doute d'une rentabilité. Ce qui précède
serait donc d'une grande banalité, si la théorie financière
moderne, à base néoclassique, ne s'entêtait pas à n'y voir
quelquefois que le « coût du capital» ; on y reviendra.

1 Avec des fonctions affines.

41
13 - Keynes et le profit né de la valeur travail,
mais sans évoquer un taux de profit, Keynes et
le taux d'intérêt variable monétaire

131 - La face bien cachée du Keynes radical: la valeur


travail et le profit rente de rareté

* La valeur travail et le profit né du travail


Quelle est la « philosophie sociale» - c'est l'expression
qu'il emploie - de Keynes? Ses sources sont multiples et
variées 1. Il fut un adepte, bien caché, des idées du mouvement
réformisme fabien britannique; et il fut aussi, avec les
classiques et Marx, un adepte méconnu et très radical de la
valeur travail, mais avec une conception très particulière du
profit. Bref, il « mélange» les classiques, Marx et les Fabiens.
Keynes raisonne presque tou~ours, dès le début de sa Théorie
générale, en unités de salaires, donc en valeur travail, pour
mesurer le niveau d'activité d'un pays. C'est vrai qu'il
n'explicite pas les raisons de ce choix dans son Introduction ou
dans sa présentation du principe de la demande effective où
offre et demande globale sont en effet curieusement analysées
en unités de salaires et en fonction de la variable emploi. On
pense qu'il veut montrer que les offres et demandes globales
sont tout simplement liées au niveau de l'emploi; ce qui n'est
pas anormal, puisqu'il s'agit avant tout d'une Théorie générale
de l'emploi... Keynes écrit noir sur blanc, mais seulement au
beau milieu3 de la Théorie générale: (( Au lieu de dire du
capital qu'il est productif, il vaut beaucoup mieux en dire qu'il
fournit au cours de son existence un rendement supérieur à son
coût. Car la seule raison pour laquelle on peut attendre d'un
bien capital qu'il procure au cours de son existence des
services dont la valeur globale soit supérieure à son prix
d'offre initial, c'est qu'il est rare; et il est rare parce que le
taux d'intérêt attaché à la monnaie permet à celle-ci de lui faire
concurrence. A mesure que le capital devient moins rare,
l'excès de son rendement sur son prix d'offre diminue, sans
qu'il devienne pour cela moins productif au moins au sens

I Voir Castex (2003 et 2007)


2 L'unité de salaire est définie par le rapport entre le revenu national en unités
monétaires par an y (y comme yield, rendement ou revenu d'un titre) et le taux
de salaire monétaire (par exemple par heure) w (comme wage), l'unité de
salaire est donc y/w. Ce n'est rien d'autre que y mesuré en heures de travail
par an. Si y = 10 M€/ an et w = 10 €/ h, Y/ w = 1 Mh / an.
Aux pp. 221 et suivantes de Keynes (1936, 1979) pour ceux qui auraient un
doute: Livre IV, chapitre 16 (Observations diverses sur la nature du capitaU,
point Il.
42
physique du mot. Nos préférences vont par conséquent à la
doctrine préclassique [sic, P. C.] que c'est le travail qui
produit toute chose, avec l'aide de l'art comme on disait
autrefois ou de la technique comme on dit maintenant, avec
l'aide des ressources naturelles, qui sont libres ou grevées
d'une rente selon qu'elles sont abondantes ou rares, avec l'aide
enfin des résultats du travail passé incorporé dans les biens
capitaux, qui eux aussi rapportent un prix variable selon leur
rareté ou leur abondance. Il est préférable de considérer le
travail, y compris bien entendu les services personnels de
l'entrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de
production ,. la technique, les ressources naturelles,
l'équipement et la demande effective constituant le cadre
déterminé où ce facteur opère ». Et l'on comprend tout: « ceci
explique en partie pourquoi nous avons pu adopter l'unité de
salaire comme la seule unité physique qui fût nécessaire dans
notre système économique en dehors des unités de monnaie et
de temps ».

* Le profit est une rente de rareté, donc un revenu indu


Keynes nous annonce tout de go que le profit provient du
travail, que le taux d'intérêt est en fait une rente et que seule la
rémunération de l'entrepreneur et de ses assistants - disons les
cadres - en gros le profit pur des néoclassiques et la partie du
taux de profit des actionnaires supérieure au taux d'intérêt sans
trop de risque, est celle d'un travail.
Cette référence de Keynes à la rente pour mieux déprécier le
profit capitaliste trouve sans aucun doute sa source dans le
mouvement socialiste fabien anglais. La Fabian Society est
créée en 1884, un an après la naissance de Keynes et la mort de
Marx; bourgeois éclairés réformistes, ils veulent «allier
l'individualisme et la réforme» : c'est déjà tout Keynes et son
monde. Bernard Shaw, l'historien Sydney Webb et sa femme, le
romancier H. G. Wells du Meilleur des mondes en sont les
principaux penseurs. Sydney Webb en est le principal
théoricien: il n'aimait pas beaucoup la théorie de la valeur
travail et lui préférait celle de l'utilité, mais il utilisa la théorie
de la rente de Ricardo pour tenter de montrer que le profit n'est
qu'une rente de rareté.
Cette conception du profit rente de rareté pose question si,
avec Ricardo et Marx, la rente ne peut être définie que par
rapport à des ressources naturelles non socialement
reproductibles. Mais pour les fabiens, le capital est très
hétérogène, par définition: innovations (au sens de
I Keynes veut dire pré néoclassique, c'est-à-dire classique. Mais pour lui les
classiques étaient surtout ses pères néoclassiques qu'il assimile régulièrement
à ce qu'il nomme donc les classiques.
43
Schumpeter) qui consistent à fuir la concurrence et à inventer la
rareté, grâce à l'intelligence et à I'habileté des entrepreneurs.
Cette habileté et ce talent sont également des ressources rares
non reproductibles.

* La nouvelle lutte de classes de Keynes: tous ensemble contre


les rentiers prêteurs, « à euthanasier »
Keynes nous propose une nouvelle sociologie politique en
rupture avec les néoclassiques l'entrepreneur peut
(techniquement) et doit (justice sociale) être rémunéré. Il l'est
toujours selon lui, contrairement aux néoclassiques à
l'équilibre, car la concurrence de Keynes est toujours
imparfaite, ne serait-ce que pour justement permettre la
rémunération de ces courageux entrepreneurs qui passent
d'ailleurs leur temps à innover pour maintenir leur profit et
celui de leurs mécènes: les actionnaires. L'entrepreneur entre
donc en contradiction sociale avec les rentiers, surtout avec les
créanciers, un peu moins avec les actionnaires dont il est le
mandataire et qui prennent les risques qu'il leur fait prendre,
sous le contrôle des Conseils d'administration et des
Assemblées générales d'actionnaires. Keynes met donc les
entrepreneurs dans le camp des producteurs (comme chez les
saint-simoniens) ; les voilà tous unis pour proposer l'euthanasie
des rentiers. Keynes ne trouve pas de mots assez durs pour
définir leur «pouvoir oppressif»: ce point de vue «... serait
parfaitement compatible avec l'individualisme. Mais il
n'impliquerait pas moins l'euthanasie du rentier et par suite la
disparition progressive du pouvoir oppressif additionnel qu'a le
capitaliste d'exploiter la valeur conférée au capital par sa
rareté. L'intérêt ne rémunère aujourd'hui aucun sacrifice
véritable, pas plus que la rente du sol. Le détenteur du capital
peut obtenir un intérêt parce que le capital est rare, de même
que le détenteur du sol peut obtenir une rente parce que le sol
est rare ». Keynes considère exactement les rentiers du taux
d'intérêt comme les classiques considéraient les rentiers
fonciers. Il est par contre prudent mais ferme avec les
entrepreneurs: il s'agira en fait pour eux «... d'aménager les
impôts directs de manière à affecter au service de la
communauté, sur la base d'émoluments raisonnables,
l'intelligence, le dynamisme et la capacité administrative des
financiers, entrepreneurs et tutti quanti (qui certainement
aiment assez leurs métiers pour que leur travail puisse être
obtenu à bien meilleur marché qu'à présent) ». Et il s'abstient
de toute considération politique envers les actionnaires quant à
la partie de leur revenu correspondant au risque, bien que ces
derniers participent (la plupart du temps comme «sleeping
partners »...) à la direction de leur entreprise. Bref, une partie

44
des actionnaires sont aussi « des» entrepreneurs qui délèguent à
« un» entrepreneur manager. Ils doivent donc également
bénéficier d'un revenu non indu justifié par les « coûts de
l 'habileté et de la surveillance, et d'une allocation
correspondant aux risques». Même si la plus grande partie
d'entre eux s'enrichit également en dormant.
Le taux d'intérêt est donc la seule partie du taux de profit qui
soit une rente indue. On ne retient pourtant de Keynes que son
explication du taux d'intérêt en tant que variable monétaire.
C'est plus technique et moins « philosophie sociale ».
Avant d'aborder cette théorie, il convient de voir l'influence
de r sur l'investissement.

132 - Le taux d'intérêt chez Keynes: il détermine


l'investissement, mais pas tout seul, un peu comme chez les
néoclassiques

Le choix des investissements ressOli chez Keynes de la


comparaison du taux d'intérêt qui n'est pour lui qu'une variable
monétaire et de la rentabilité économique anticipée du capital
additionnel qu'il nomme l'efficacité marginale anticipée du
capital, l'EMAC. Il commence son exposé par une analyse
microéconomique; il ne se pose donc jamais la question de
l'éventuelle circularité entre ces deux « rentabilités» quand il
agrège au niveau macroéconomique. Or cette circularité est
évidente, on le montrera plus loin en développant l'intuition
d'Adam Smith du taux d'intérêt lié au taux de profit par une
prime de risque.
Une technique de choix des investissements en gestion
financière - au niveau microéconomique donc - fondée sur
l'analyse néoclassique, est le calcul de la Valeur Actualisée
Nette de l'investissement, la VAN qui s'appelle aussi quasi-
rente actualisée, discounted cash flow ou Net Present Value, la
NPV. Cette technique s'applique tant aux investissements
physiques qu'aux placements financiers.
En langage littéraire, la notion de VAN est très simple: pour
savoir si un projet est rentable ou non, il s'agit tout simplement
de savoir si l'on gagne ou si l'on perd de l'argent en mettant en
œuvre l'investissement ou le placement projeté; mais il faut
évidemment actualiser les profits futurs avec un taux
d'actualisationI. En fait, c'est non pas le taux d'intérêt r mais la

1 Une unité monétaire gagnée aujourd'hui vaut plus qu'une unité monétaire
gagnée dans le futur, car on déprécie le futur et cette unité monétaire peut être
placée, capitalisée grâce au taux d'intérêt. 1 € capitalisé à 10 % vaut un an
plus tard 1 + 10 % de 1, soit 1,1 . deux ans plus tard 1,1 + 10 % de 1,1, soit
1,12 = 1,21 ; dix ans plus tard 1,lIb = 2,6, etc. Si r est le taux de capitalisation,
45
rentabilité économique désirée (par les « investisseurs» en tant
qu'épargnants) considérée comme le coût du capital qu'il faut
prendre comme taux d'actualisation; on y reviendra. Pour le
moment nous prendrons r, comme Keynes. Grâce à cette
technique d'actualisation, la compréhension de la VAN devient
un jeu d'enfant.
Soit un projet d'investissement de coût initial la rapportant à
chaque période t (t variant de t = 0 à t = n) des profits avant
charges financières, donc des profits économiques futurs Bet.
Les Bet sont des profits bruts, des «cashflows» d'exploitation
(flux monétaires avant comptabiIisation des dotations aux
amortissements), avant ou après impôts, etc., tout ce qu'on veut,
mais surtout avant coût financier de l'éventuel endettement
correspondant, car l'on va justement tenir compte du coût
financier dans le calcul de rentabilité. En raisonnant ainsi, on
applique sans le savoir le « théorème de séparabilité » entre les
décisions économiques et les décisions financières.
La VAN est donc la somme des profits bruts, des «cash
flows» actualisés, moins l'investissement de départ qui
représente évidemment en valeur actualisée... la somme des
amortissements:
t= n
V AN = L Bet (1 + rtt - 10
t=O

La somme totale des cash flows actualisés avant déduction


de la mise initiale est la valeur actualisée (tout court), la VA, qui
est une V A brute, avant amortissements. La V AN mesure donc
le profit économique net dégagé : VA - 10.Si les différents Bet
sont constants à chaque période, soit Be - ce qui est rare, mais
permet des développements théoriques intéressants - la formule
de la VAN se simplifie 1; elle devient:

V AN = Be / r - 10

Dans ce cas, la VAN est une fonction monotone décroissante


qui peut s'annuler une seule fois pour un taux d'actualisation

par exemple le taux d'intérêt, I dans un an vaut I + r et dans n années (I + r)".


Inversement. I gagné dans 10ans vaut aujourd'hui beaucoup moins que 1 : il
vaut 1 / 1,110, 1 /2,6 = 0,39. La solution consiste à actualiser les gains futurs
et le tour est joué, ou presque. Si l'on verse 1 dans n années, sa valeur actuelle
aujourd'hui peut être calculée par 1 / (I + r)", noté également (I + rr" ; en
effet la valeur 1 / (1 + r)" aujourd'hui, capitalisée vaut dans n années le
montant: (I + r)" / (1 + r)" = I. CQFD.
I Car on peut calculer, avec Be constant, la somme 2: Bet (1 + rtt (somme des
termes d'une progression géométrique); elle a peu d'intérêt, mais il est
remarquable qu'elle tende vers 1 / r quant t tend vers l'infini.
46
positif: ce qui définit ce que les gestionnaires depuis Irving
Fisher nomment le Taux Interne de Rendement, le TIR nommé
donc par Keynes l'EMAC. Le TIR et l'EMAC renvoient à un
taux de profit marginal anticipé ou rentabilité économique
marginale anticipée remA. Quel est le taux d'actualisation
inconnu qui annule celle-ci? La réponse est immédiate, avec
Be / r - 10 = 0 :

TIR = remA = Be / 10

Si r < remA, VAN > 0 : on investit; si r > remA, VAN < 0 :


on n'investit pas, si r = remA, VAN = 0: il est indifférent
d'investir ou pas. Autrement dit, par exemple, emprunter à 8 %
pour un investissement qui rapporte 10 % fait gagner de
l'argent, emprunter à 12 % en fait perdre I. On retrouvera cette
idée toute simple, sous une autre forme, avec l'effet de levier de
l'endettement.
Après cette analyse de chaque investissement dans une
myriade d'investissements possibles, l'entrepreneur les classe,
par ordre de TIR décroissant (c'est ce que Keynes nomme la
« courbe d'EMAC »i.
c===_===__ La~~ et I~:rm, outh'-iA.c d~~ey~es___~___~

100
80
VAN = 0
60
définissallt
40 le TIR
z ou EMAC
~ 20
o
-20
-40
-60
0% 5% 10% 15% 20%
Taux d'intérêt r

I Soit un investissement de 100 rapportant 10, donc 10 % jusqu'à l'infini. Son


TIR est évidemment de 10 %; si l' = 10 %, il est indifférent d'investir ou de
placer son argent. Pour I' = 8 %, la VAN est de 10/ 0,08- 100= 25 : on gagne
une VAN> 0, un profit net de 25. Pour l' = 12 %, la VAN est de 10/0,12-
100 = 83,3 : on perd une VAN < 0, une perte nette de 16,7.
2 Cette courbe est peu différente de la productivité marginale des
néoc1assiques, sauf qu'elle est exprimée en taux et non en production
physique réelle. L'avantage de l'analyse de Keynes est qu'il n'y a plus à faire
l'hypothèse de la décroissance de la productivité marginale du capital.
47
Et le choix des investissements globaux revient à égaliser le
TIR avec le taux d'intérêt, exactement comme chez les
néoclassiques.

133 - Le taux d'intérêt chez Keynes: une variable


essentiellement monétaire
En cherchant bien, il existe en effet deux théories du taux
d'intérêt chez Keynes: celle des taux longs en fait peu
différente de celle des néoclassiques; celle des taux courts
déterminés par le marché de la monnaie. C'est cette dernière
que l'on retient en général et qui est présentée ci-dessous; mais
la première, liée à sa conception du profit rente de rareté sera de
nouveau évoquée plus loin.

* La critique par Keynes du marché des fonds prêtables


néoclassique : la circularité des fonction I et S dépendantes de r
Cette critique est double. D'une part, s'il reconnaît que la
demande de fonds prêtables (correspondant à l'investissement)
est bien décroissante avec le taux d'intérêt, il critique l'offre
(l'épargne) comme prix de l'abstinence. D'autre part et surtout,
il pense que la fonction d'épargne est liée à celle de
l'investissement; l'offre dépendant de la demande, on ne peut
plus construire des fonctions d'offre et de demande
indépendantes: le marché des fonds prêtables néoclassiques est
une illusion. Keynes, pas très sûr de lui pour critiquer un poncif
de ses maîtres, oscille en fait entre ces deux critiques.
Première critique: le taux d'intérêt ne peut avoir qu'une
influence indirecte sur épargne et consommation, et le revenu
présente une influence plus marquée; il ne s'agit que d'une
simple « différence d'opinion» avec les néoclassiques. Cette
première critique est timide; au chapitre 15 de sa Théorie
générale (La théorie néoclassique du taux d'intérêt) il la
développe sans grande conviction: « Lorsque nous en venons à
la propension à consommer et à son corollaire, la propension à
épargner, nous sommes plus près d'une différence d'opinion,
car les économistes classiques insistent plus que nous sur le
rôle joué par le taux d'intérêt dans les variations de la
propension à épargner. Mais sans doute ne souhaiteraient-ils
pas nier que le montant du revenu a lui aussi une influence sur
le montant épargné et de notre côté nous n'entendons pas nier
que le taux d'intérêt puisse avoir une certaine influence (peut-
être différente d'ailleurs de celle qu'ils pensent) sur le montant
épargné au sein d'un revenu donné ». Keynes fait référence
avec beaucoup d'astuce et de mystère à ce qui sera appelé plus

48
tard l'effet Keynes, mais on sent qu'i! n'est pas loin de craquer
et de reconnaître l'effet direct du taux d'intérêt sur l'épargne.
Seconde critique: celle de la circularité des néoclassiques
entre investissement, revenu et épargne. Heureusement, son
second argument semble le sauver, c'est pour cela qu'il a
souligné « au sein d'un revenu donné»: « Mais en fait la
théorie classique, outre qu'elle néglige l'influence des
variations du revenul, recèle une erreur positive ». Il vaut
mieux ici expliciter Keynes que le lire. L'investissement ayant
selon son modèle une influence sur le revenu par le phénomène
du multiplicateur (dit) d'investissement2, par des relations de
cause à effet dans le circuit économique (et non une
interdépendance de marché), la fonction d'épargne devient
indéterminée. Il illustre son point de vue par un diagramme. Par
exemple, le déplacement vers le nord-est de la fonction
d'investissement néoclassique décroissante du taux d'intérêt
(réel) r, induit celui de la fonction d'offre d'épargne croissante
avec r, car l'investissement a augmenté le revenu, donc pour
tout taux d'intérêt, l'épargne sera plus élevée: la fonction
d'épargne se déplace vers le sud-est. D'où l'indétermination de
r! Si la théorie du multiplicateur (dit) d'investissement est
bonne - mais elle ne l'est qu'à prix fixes, rigides ou visqueux -
la théorie néoclassique du marché des fonds prêtables est
fausse. On voit que le débat peut encore rester ouvert, la
critique de Keynes étant pour le moins partielle.
Dernier argument synthétique des keynésiens, non évoqué
par Keynes: la contrainte sociale du revenu est largement plus
importante que le taux d'intérêt pour expliquer consommation
et épargne. Il s'agit encore du revenu, mais perçu comme une
contrainte microéconomique de remboursement ou de
placement, la contrainte de liquidité ou contrainte financière
diront les gestionnaires.
* Le risque de taux des obligations
Pour comprendre techniquement le raisonnement de Keynes,
il faut d'abord comprendre la question du risque de taux qui
s'ajoute au risque de défaut, de défaillance de l'emprunteur qui
ne peut ou ne veut pas rembourser.
Il est apparemment tout à fait irrationnel, absurde (selon les
analyses classiques et néoclassiques) de garder un stock

I
C'est faux, au moins au niveau microéconomique : la contrainte budgétaire
joue le rôle du revenu et intervient évidemment sur consommation et épargne.
Il est vrai que cette contrainte est éludée au niveau macroéconomique.
2 Cette mécanique est bien connue; elle ne sera pas rappelée ici. Voir Castex
(2003) pour une critique de l'incompréhension par Keynes lui-même de sa
véritable mécanique.
49
d'épargne sous forme de monnaie thésaurisée!, car on « perd»-
il s'agit d'un manque à gagner ou coût d'opportunité -le revenu
dû au taux d'intérêt. C'est faux selon Keynes: on perd bien sûr
le taux d'intérêt, mais on risque de perdre beaucoup plus si l'on
place son argent de façon risquée.
On affirme souvent que le taux d'intérêt que prend en
compte Keynes est le taux court du marché monétaire alors que
l'analyse néoclassique utilise le taux d'intérêt long des
obligations sur leur marché des fonds prêtables ; il nous semble
que la référence est bien pour Keynes le taux long qui induit le
risque de taux. Sans cette référence, il est impossible de mettre
en avant un risque de taux. En effet, si l'on place sa monnaie en
actifs liquides non risqués - ou très peu risqués - mais peu
rémunérés, la question ne se pose pas ou très peu car les
variations des taux d'intérêt auront peu d'influence sur la valeur
de ces actifs liquides. On va le montrer.
Explicitons et formalisons donc auparavant la question du
risque de taux et des gains ou pertes en capital. On part de la
situation actuelle où le taux d'intérêt est r, connu; on anticipe
pour l'avenir - qui peut être le lendemain - un taux anticipé ra.
Si l'on achète aujourd'hui une obligation de 100 rapportant
5 %, soit 5 par an, le risque de taux est le suivant: la valeur de
marché de l'obligation (à taux fixe) va augmenter ou baisser
selon que le nouveau taux d'intérêt futur anticipé sera inférieur
ou supérieur à celui de la date de souscription. Autrement dit,
même une obligation à taux fixe est risquée, le risque de
défaillance de l'emprunteur mis à part. Pourquoi? Supposons
que le nouveau taux soit de 10 %. Qui achèterait 100 une
obligation qui rapporte un intérêt de 5 alors qu'avec la même
somme on obtient maintenant 10 ! On comprend que la valeur
de marché va tendre dans ce cas vers 50 : acheter 50 une
obligation de valeur faciale 100 rapporte en effet 10 %.
C'est un peu plus compliqué si l'échéance de l'obligation
n'est pas très lointaine. Soit une obligation achetée aujourd'hui
de valeur faciale OF à taux fixe r, le coupon, ce que l'on touche
annuellement, est rOF; pour un taux d'intérêt ra sa valeur de
marché OMserait la somme de ces coupons actualisés jusqu'à la
date de remboursement plus la valeur faciale remboursable dans
n années, également actualisée:
t=n
t n
OM = rOF L (1 + rar + OF (1 + rar
t= 0

I Ou placée à un taux d'intérêt faible mais sans risque (à la Caisse d'épargne


par exemple). Dans la théorie monétaire moderne, les « agrégats monétaires»
incluent, outre la monnaie au sens strict de moyen de paiement, les « actifs
liquides », c'est-à-dire les placements « pas ou peu risqués ».
50
On montre encore très facilement que quand n tend vers
l'infini, OMtend vers rOF / ra. Dans notre illustration, en fait en
cas de rente perpétuelle, notre spéculateur, peu avisé, a donc
subi une perte en capital de 50. Si l'échéance n'est pas infinie,
la valeur OM est supérieure à 50; elle tend vers 100 si
l'échéance tend vers zéro. Autrement dit, les emprunts courts
sont peu soumis au risque de taux.
Supposons au contraire que le taux d'intérêt à la date de
souscription était de 20 %. Qui vendrait 100 une obligation qui
rapporte un intérêt de 20 alors qu'avec la même somme on
obtient maintenant 10 ! On comprend que la valeur de marché
va tendre dans ce cas vers 200 : acheter 200 une obligation de
valeur faciale 100 rapporte en effet 10 %. Le spéculateur, ici
très avisé, a obtenu un gain en capital de 100. On retrouve donc
la dure loi financière suivante: quand le taux d'intérêt
augmente, la valeur en bourse des obligations à taux fixe
baisse; et vice versa. En cas de taux d'intérêt actuel « jugé»
faible, il est risqué d'acheter des obligations car les risques de
remontée des taux sont plus grands que les risques de baisse,
d'où des pertes probables en capital, et vice versa.

* Retour sur l' « effet Keynes»


Keynes reconnaît un effet indirect du taux d'intérêt sur la
consommation et donc sur S. Cette conception permet de
proposer une interprétation toute keynésienne de l'absence de
rationalité des agents économiques. Selon son auteur la baisse
(versus hausse) du taux d'intérêt fait augmenter (versus baisser)
la valeur de marché des obligations à taux fixe; cette
revalorisation (versus dévalorisation) du patrimoine induit une
plus grande consommation et corrélativement une plus faible
épargne (versus plus faible consommation et épargne plus
élevée). On retrouve les conclusions néoclassiques, cependant
au second degré, non plus par l'effet de substitution, mais en
passant par la notion de richesse: la hausse du taux d'intérêt
fait baisser la consommation et donc augmenter l'épargne.
Keynes en déduit qu'en s'appauvrissant ou en s'enrichissant
actuellement, le propriétaire d'obligation consommera moins ou
plus et épargnera plus ou moins. Cependant, le revenu annuel
restera le même, ce qui ne devrait modifier ni la consommation

1 On se demandera plus loin si ce n'est pas en fait le raisonnement inverse qui


est pertinent: c'est parce que la valeur en bourse des obligations varie que les
taux longs fluctuent. Et cette fluctuation n'est peut-être que la conséquence de
celle des taux de profit, comme chez Smith, mais en prenant en compte la
« double spéculation» sur les marchés actions et obligations que Keynes se
refuse à considérer. Mais dans le raisonnement de Keynes, c'est sans aucun
doute le taux d'intérêt la variable explicative et la valeur des obligations la
variable dépendante.
51
ni S. L'obligataire est illusionné par sa richesse présentel. Tout
comme une augmentation de salaire nominale est considérée
comme une augmentation réelle dans l'illusion monétaire
courante selon Friedman renvoyant aux salaires, alors que si
l'inflation est de même niveau, il n'y a pas de variation du
salaire réel, de son pouvoir d'achat.

* Le marché de la monnaie détermine selon Keynes le taux


d'intérêt
Vu du côté de la « demande de monnaie pour motif de
spéculation» (une thésaurisation donc), r ne peut représenter
que les taux longs. Vu du côté de l'offre de monnaie par le
crédit bancaire des banques, c'est plus ambigu: les banques
prêtent à long et à court terme. Cependant l'intervention des
Ban9ues centrales ne peut être qu'une intervention, par ses
taux directeurs et autres instruments, volontariste sur les taux
courts pouvant néanmoins influencer, par l'arbitrage, les taux
longs.
De ce qui précède, on en conclut que pour un spéculateur
« moyen» au niveau microéconomique, les placements sont
croissants avec le taux d'intérêt actuel et ce que Keynes nomme
la demande de monnaie pour motif de spéculation, notée L2, le
phénomène inverse, est décroissante avec le taux d'intérêt.
Keynes généralise au niveau macroéconomique: la demande
globale macroéconomique de monnaie pour motif de
spéculation L2 serait donc décroissante avec le taux d'intérêt r.
Une fois définie L2, il suffit d'y rajouter la demande de monnaie
pour motif de transaction (et de précaution) dite LJ (croissante
avec le revenu national y mais exogène] de r).
On définit ainsi la demande de monnaie totale (bref le stock
de monnaie thésaurisée): L = LI + L2. L'offre de stock de
monnaie du crédit bancaire M doit s'égaliser à L pour assurer
l'égalité de l'offre et de la demande: c'est le marché de stock
de monnaie au sens de Keynes, dit marché de la monnaie. On
insiste sur l'aspect stock, car une interprétation erronée pourrait
considérer ce marché de la monnaie comme un marché de flux
I
Cette question renvoie à la notion de « revenu permanent» de Milton
Friedman: la baisse de r augmente certes la « richesse» (les revenus anticipés
actualisés par le coupon des obligations restant constants) mais pas le revenu
permanent qui est l'intérêt de cette richesse et qui reste inchangé, rayant
baissé. En effet, pour un coupon donné des obligations (voir plus haut) rOF, la
richesse est rOF/ r et le revenu permanent, l'intérêt de cette richesse, rOF = le
coupon! Selon Friedman, l'effet Keynes ne peut apparaître; dans ses
hypothèses, il a raison. Sur cette question et une analyse approfondie de l'effet
Keynes, voir Castex (2003).
2 Sauf l'exception d'une proposition de Keynes, restée lettre morte ou
presque; on y reviendra.
On peut penser que LI varie en fait également avec r : c'est le point de vue
de Baumol et Tobin que nous ne présenterons pas ici.
52
(flux de crédits bancaires nouveaux, flux de demande de
monnaie nouvelle, par exemple pour l'investir). Cette remarque
qui peut paraître anodine, retrouvera sa saveur un peu plus loin.
Insistons donc. Si le stock M croît (spontanément ou, le plus
souvent comme conséquence d'une politique monétaire
expansionniste), r décroît: c'est le fondement de la politique
monétaire keynésienne pour relancer l'investissement et, par le
multiplicateur, le niveau d'activité y et celui de l'emploi
correspondant. On peut ainsi lutter contre la crise et le
chômage.
Le graphique qui suit illustre le phénomène, avec une
illustration numérique et des fonctions affines.

.
Le;;;;~héd;:-ï;; monnaie M = L en fonction de r et-la ,,~litique-';'onétai;~~-i
quand !VIaugmente, r diminue.
\. ..~ ~._. ----.J
15%
I
I
=
-
...
'"
."
10%
I
:t::
..
.."
I
F' s'X,

1\1

0%,
100 200 300 400 500 600 700
Offre de monnaieM avec ÂlVI, demande de mORonic L = L, + L,

Par ailleurs, pour un stock M donné, une croissance (par


exemple) de y fait croître LI, donc Lz doit décroître (pour
respecter l'équilibre du marché de stocks L = M) par un jeu de
vases communicants entre les deux thésaurisations: Lz étant
décroissante de r, r doit croître. C'est le fondement de la
fonction LM (stock de demande de monnaie, c'est-à-dire
thésaurisation L = offre de stock de monnaie M) avec r lié à Y
comme fonction croissante et l'un des fondements du modèle
IS LM, le pont aux ânes des apprentis économistes.
Tout serait parfait si le fondement de la fonction LM n'était
une légende, entraînant avec elle celle du modèle IS LM...
Mais on y reviendra.
53
Il ne faut surtout pas confondre la mécanique du graphique
qui suit (il s'agit donc de la construction de la fonction LM pour
M donnée, avec une variation de y), avec celle du graphique
précédent (celle de la conséquence d'une croissance de M pour
un y donné).
Les deux trouvent néanmoins leurs bases dans l'égalisation
de la somme des deux fonctions de demande de monnaie ou
thésaurisation avec l'offre de monnaie: dans les deux cas il
s'agit toujours du marché de la monnaie.

;
Le marché de la monnaie i\1 L en fonction de r et la construction de la fonction LM :
quand y augmente, r augmente

~ , ~,
15%

L+HI
.: 10% induit par un â.y
'..
.Ii
1:;
:e 00

'"
~
><
::>
...
" 5%

M
I
donné
I
0% --------,
100 200 300 400 500 600 700
Offre de monnaie M, demande de monnaie L; LI + L!

54
Chapitre II
Taux de rentabilité ou de profit au pluriel,
dont le taux d'intérêt:
critique des théories financières

On présentera ici nos critiques fondamentales des théories de


la « corporatefinance»: lafinance d'entreprises sous forme de
sociétés de capitaux.
Il s'agit de la théorie financière moderne de l'entreprise
financée par capitaux (capitaux propres et dettes) émis sur des
marchés de capitaux et financiers. Elle est surtout d'essence
néoc1assique, avec l'entrepreneur au sens néoclassique... qui
est donc une fable. Ces critiques s'adresseront également à celle
des keynésiens avec leur fable de la fonction macroéconomique
de demande de monnaie pour motif de spéculation décroissante
du taux d'intérêt et du marché de la monnaie qui en découle.
Les taux de profit, ou de rentabilité pour éviter le « gros
mot» des classiques et de Marx, sont pluriels, de même que les
taux d'intérêt: rentabilité dite économique de tous les capitaux
engagés, rentabilité dite financière des seuls capitaux propres,
taux d'intérêts des prêteurs, à long ou à court terme. Sans parler
des rentabilités effectives réelles et désirées.
On développera ce chapitre en trois temps.
Premier temps, on reprendra d'abord l'analyse néoc1assique,
à deux niveaux, l'entrepreneur néoc1assique étant, répétons-le,
une légende (certes très tenace), car il n'est dans la réalité que le
mandataire, l'agent des propriétaires des capitaux propres, des
actionnaires dans les sociétés anonymes. En premier lieu, une
analyse simple indique que la maximisation de la masse de
profit pur ne correspond pas, sauf heureux hasard, à la
maximisation de la rentabilité économique effective ou à la
rentabilité financière des actionnaires en absence
d'endettement; quand on ne veut plus cacher que le taux de
55
profit existe bel et bien et qu'il intéresse, évidemment, les
actionnaires. Cette critique s'adresse également à Keynes et aux
keynésiens. En second lieu, le taux de profit qui avait donc
disparu avec les fondateurs est bien obligé de réapparaître dans
la théorie de la corporate finance. Mais on passe alors de la
réalité du profit au désir; il ne s'agit plus d'éclairer la
production du profit effectif et de sa rentabilité en tant que coût
pour les entreprises mais de projeter les phares sur sa répartition
entre les prêteurs frileux et les actionnaires preneurs de risque.
Le taux de rentabilité désiré par les actionnaires se déduit de
celui désiré par les prêteurs sans risque (ou sans trop de
risquel), le taux d'intérêt r, toujours déterminé par le marché
des fonds prêtables (le marché primaire des obligations
fondamentalement). Et la relation de Smith est inversée:
rentabilité « désirée» des actionnaires = r plus une prime de
risque. L'inversion mathématique importe peu, elle est de la
plus haute importance sur le fond: on passe de la réalité au
désir, de rentabilité « effectivement réalisée» -7 r chez Smith à
r -7 rentabilité « désirée ».
Le deuxième temps sera celui de la critique du taux d'intérêt
en tant que variable monétaire de Keynes et des keynésiens. La
fonction de demande de monnaie pour motif de spéculation
décroissante de r est une erreur fondamentale de Keynes, car il
généralise au niveau macroéconomique ce qui est possible à
l'échelle microéconomique, et encore. Le marché de la monnaie
au sens de Keynes est une fable, et avec lui la fonction LM
(demande de monnaie, offre de monnaie) qui fonde le modèle
IS LM (IS fondant la relation entre l'investissement I et
l'épargne S). Cette fable ne perdure, depuis 1937, que grâce au
génie de son promoteur Richard Hicks qui, fondant le modèle
dit de La Synthèse de l'analyse néoclassique et de l'analyse
keynésienne, a de fait rapproché le marché de la monnaie de
Keynes du marché des fonds prêtables néoclassique. Pourquoi
une fable? Indiquons-le immédiatement: car la demande de
monnaie pour motif de spéculation L2, probablement
décroissante avec le taux d'intérêt au niveau microéconomique,
ne peut varier d'un iota avec lui au niveau macroéconomique.
En effet, la spéculation sur le marché des obligations suppose
toujours une contrepartie dans les transactions: un demandeur
de L2 voulant retrouver la liquidité trouvera un « contrariant»
pensant le contraire qui lui offrira du L2 en achetant ses
obligations. Face à cette légende, nous avons proposé notre
modèle statique IS ER (ER mettant en relation l'emploi E
I Le taux d'intérêt sans aucun risque (ou presque...) est celui des titres courts
émis par le Trésor (Bons du trésor). Les taux longs sont plus risqués: ils
inc\uent déjà donc une prime de risque. On supposera ici que r est sans (trop)
de risque, du moins que les obligations sont moins risquées que les actions.
56
mesurant en valeur travaille revenu national et R correspondant
à la rentabilité) se substituant à IS LM.
Le troisième temps est celui de l'opposition entre les deux
types de capitaux: les capitaux propres et les dettes. L'effet de
levier de l'endettement, donc la structure de financement
(rapport relatif des dettes et capitaux propres), expliquent le
taux de rentabilité financière par la rentabilité économique et le
taux d'intérêt des capitaux économiques. Et un nouveau
renversement saisissant apparaît: le taux de profit des
actionnaires, leur rentabilité financière, se transforme de
nouveau pour l'entrepreneur, comme le taux d'intérêt, en « coût
du capital ». Et l'on parle d'un «Coût moyen pondéré du
capital» (CMPC). D'où un «débat mémorable» (pour les
connaisseurs) entre ceux qui pensent qu'il existe une « structure
optimale de financement» minimisant le CMPC et ceux qui
pensent le contraire: Modigliani et Miller, avec leur
«théorème ». Avec l'absurdité d'une minimisation d'un coût
alors que les actionnaires demandent évidemment à leur agent
entrepreneur de maximiser leur rentabilité financière!

57
21 - Critique de la théorie néoclassique et de la
Corporate finance

211 - Le taux de profit économique moyen que les


néoclassiques fondateurs ont tenté de cacher n'est pas
maximisé selon les techniques orthodoxes de choix des
investissements; il en est de même pour les keynésiens

* La question de la maximisation du taux de profit et non pas de


celle de la masse de profit pur de l'entrepreneur-fable
La question de la maximisation de la masse ou du taux de
profit concerne la finance d'entreprise dont le paradigme est la
maximisation de la masse de profit induisant celle de la richesse
des actionnaires et apporteurs de capitaux, c'est-à-dire de la
valeur de marché de l'entreprise. Plus précisément, en terme de
gestion financière, au niveau microéconomique des entreprises,
la théorie néoclassique affirme qu'une seule méthode est
correcte pour évaluer la rentabilité d'un investissement: celle
de la Valeur actualisée nette, la VAN déjà rencontrée, des flux
de «cash» de cet investissement. Dans ce cadre, l'objectif de
gestion des managers, des entrepreneurs non pas indépendants
des apporteurs de capitaux mais leurs simples serviteurs,
revient, pour assurer la maximisation de la richesse des
actionnaires, à maximiser chaque année la masse de profit total,
mais n'assure pas, sauf à l'équilibre de long terme néoclassique,
la maximisation du taux de profit, la rentabilité économique
moyenne (anticipée) que nous noterons reM.
Résumons en quelques mots 1. Avec la technique
micro économique de choix des investissements, néoclassique
ou keynésienne, cet optimum ne peut être directement assuré
que par hasard, bref jamais. Le choix des investissements par le
TIR ou encore par la « productivité marginale en taux» au sens
de Marshalf, que nous noterons ici le taux de rentabilité
économique mar:Pinale anticipée remA, égalisée au taux de
rentabilité désiré, noté reD4, par les investisseurs, maximise
1 Cette proposition, très hétérodoxe, est largement développée dans Castex
FDD3) ; nous la résumons rapidement ici.
Marshall évoque en effet cette notion, différente de la productivité marginale
physique, réelle. Keynes la reprendra en utilisant le TIR de Fisher.
On suppose ici qu'il n'existe que des actionnaires apporteurs de capitaux et
non pas des actionnaires et des prêteurs. Mais l'entrepreneur continue à
considérer la reD de ces actionnaires comme le taux d'intérêt r pour
maximiser la masse de son profit pur (voir plus haut). La question de la
structure de financement avec capitaux propres et dettes est traitée plus loin,
avec l'effet de levier de l'endettement.
4 Il s'agit en fait, répétons-le, non pas de r mais du taux de rentabilité désiré
où est ajoutée à r la prime de risque économique.
58
bien la masse de profit mais pas le taux reM. Le choix du
niveau de l'investissement nouveau pour maximiser reM
correspond à l'égalisation: remA = reM = reMMAx,quel que
soit r : l'optimum recherché par les actionnaires semble ne pas
dépendre de r ; il ne dépend que de remA ! C'est une technique
pour le moins hétérodoxe. Si les actionnaires se fondent,
comme des créanciers, sur l'optimum de la maximisation du
profit pur de leur entrepreneur, avec reAm = reD, le choix est
sous-optimal, sauf hasard donc, pour la rentabilité économique.
Cette approche ne critique que l'équilibre de court terme des
néoclassiques, tant que la concurrence n'a pas fait disparaître
les profits purs des entrepreneurs. Pour l'équilibre dit de long
terme, les deux méthodes de choix des investissements
convergent, le coût marginal du capital s'égalisant à son coût
moyen, ou son efficacité marginale à la rentabilité moyenne. La
recherche directe théoriquement possible de l'équilibre de long
terme ne peut cependant s'effectuer pratiquement. Le
déséquilibre est la règle microéconomique : les quasi-rentes de
Marshall ne disparaissent jamais; aussitôt disparues ici, elles
reparaissent là-bas par la recherche de l'innovation.
Selon Keynes, l'entrepreneur se contente également de
maximiser sa masse de profit pur, le capital restant un facteur
de production I à rémunérer. Mais, contrairement aux
néoclassiques, aucune force de la concurrence n'est mentionnée
ramenant l'efficacité marginale du capital à la rentabilité
moyenne; le profit pur n'a aucune raison d'être nul dans un
éventuel équilibre de long terme. C'est d'ailleurs ce que nous
montre - très confusément - Keynes dans la Théorie générale où
le fondement de l'équilibre de la demande effective est toujours
le profit pur de l'entrepreneur à maximiser - ou à rendre «juste
suffisant» -, rien n'indiquant sa disparition par la concurrence.
Toutefois, le taux d'intérêt r ou la reD, sortis par la grande
porte en tant que coûts, rentrent de nouveau par la fenêtre en
tant que rentabilités. En effet, les investisseurs compareront
toujours leur reMMAxobtenue selon la technique hétérodoxe à r
ou reD du marché: si ces derniers (compte tenu des primes de
risque) sont supérieurs à reMMAx,ils iront voir ailleurs. Enfin,
ce choix théorique hétérodoxe sera modifié par l'intervention de
l'effet de levier; on y reviendra après avoir présenté cet effet et
la question de la « structure optimale de financement» avec la
discussion autour du «théorème de Modigliani et Miller ».
Tous les raisonnements qui suivent se contentent de montrer
que la rentabilité économique n'est pas «socialement»
optimale pour l'ensemble des capitaux engagés si l'on utilise la
méthode orthodoxe de choix des investissements.
1 Sauf quand Keynes se fait brusquement au milieu de la Théorie générale un
adepte de la valeur travail.. .
59
* Première approche simplifiée: « littéraire» et par graphiques
On se placera, à l'inverse des néoclassiques et de Keynes, en
ne considérant qu'un seul type de titres: non pas des
obligations rapportant un taux d'intérêt géré par l'entrepreneur
légendaire indépendant, mais des actions correspondant aux
capitaux investis. Dans ce cas, le capital économique K est donc
en totalité financé par des capitaux propres. Il s'agit ainsi pour
le manager serviteur des propriétaires de choisir un niveau
d'investissement désiré Id s'ajoutant au stock de capital ancien
K, pour maximiser le taux de profit moyen anticipé reM après
l'investissement.
On va supposer, comme les néoclassiques, la décroissance
d'une fonction continue de productivité marginale du capital, en
raisonnant, comme Marshall, en taux (ce qu'il nomme « le taux
d'intérêt net des investissements de capital nouveau»). Au sens
de Fisher ou de Keynes, c'est la « courbe d'EMAC » : on classe
les investissements par TIR, donc par remA décroissante en
fonction de Id.
Supposons une entreprise dont le capital économique actuel
est Ko (supposé inusable) qui rapporte un profit annuel actuel
no constant jusqu'à l'infini, soit une rentabilité économique
actuelle reo = IIo / Ko. Après l'investissement à choisir Id
également inusable (s'ajoutant au capital de la situation présente
Ku) qui induit un supplément de profit anticipé n au profit de la
situation présente IIo, le taux de profit moyen à maximiser est
reM = (IIo + II) / (Ku + Id). II est, selon nos hypothèses, une
fonction croissante à taux décroissant. On ajoute Id sans
modifier l'emploi du facteur travail et le taux de salaire: dans
ce cas, et seulement dans ce cas, le produit ajouté en valeur au
produit initial est le supplément de profit anticipé II au sens où
nous l'avons défini; on supposera également que ce II est
constant chaque année jusqu'à l'infini.
La productivité marginale en taux], c'est-à-dire pour une
variation (supposée ici infinitésimale) dh s'exprime par la
dérivée II'Id = dII / dId, rapport de deux valeurs qui peut
s'exprimer en taux: c'est remA. On constate sur le graphique
suivant que reM atteint un maximum quand il est égal à remA.
L'approche « littéraire» de la démonstration est la suivante.
Pour un investissement supplémentaire Id faible, sa productivité
marginale est très élevée: la rentabilité moyenne est donc
dopée. Plus Id augmente, plus la rentabilité moyenne augmente,
dans un premier temps, mais à taux décroissant. Car, d'une part
la rentabilité marginale diminue, d'autre part, la masse de
I
On prendra pour illustrer notre propos une fonction remA affine
décroissante.
60
capital à rémunérer augmente. Quand reM croissante est égale à
remA (intersection des deux courbes sur le graphique), la
rentabilité moyenne commence à décroître, car la rentabilité
marginale devient inférieure à reM qui est bien reMMax,et la
masse de capitaux continue d'augmenter.

;;
c
'"

.S'.
ë
"
,remA

'"c Optimum: reM max


'"
âj

,,
., quand reM = remA
"
E
~
.",
\.

ci:
.---....-....-...-.....--..-
Inves.isscltlcn' désiré

Si les apporteurs de capitaux propres, comme de simples


créanciers, avaient demandé à leur entrepreneur de maximiser
son profit pur par l'égalité reD = remA, ils lui auraient permis
d'engranger des profits purs maximums, mais n'auraient jamais
maximisé - sauf par hasard - leur satisfaction: quand reD =
remA = reMMax.
Si reD est trop élevée, l'investissement est trop faible et
reM < reMMax ; si reD est trop basse, l'investissement est trop
élevé et l'on retrouve encore reM < reMMax.

----- - ~- - - ------ ----.


reD trop élevé

1-
reD
<J optimum
>

,~
~
<.I
@
~I,;
...

~"
n_ 'k---n-n
I,;
'1,;
...

"
'1,;

"Ci

<:i reD trop bas

1\
'"'
...

Investissement désiré

61
* Seconde approche: la formalisation du choix rationnel des
actionnaires
La rentabilité économique anticipée moyenne reM à
maximiser est donc reM = (TIo+ TI) / (Ko + Id). Pour maximiser
reM, dans la mesure où la productivité marginale du capital est
supposée décroissante, la dérivée de reM par rapport au capital,
en fait par rapport à Id, doit être nulle, en négligeant le
dénominateur de cette dérivée: reM' Id= 0, donc1 :
dTI / dId = (TIo + i1TI) / (Ka + Id) = remA = reM = reM Max

Au maximum de rentabilité économique moyenne anticipée,


celle-ci est égale à la rentabilité marginale anticipée. Dans ce
cas on remarque facilement que le profit pur ou surprofit s:n:est
nul2 pour reMMax.

* Conclusion: des certitudes théoriques, une incertitude pratique


L'intérêt de ces analyses, lorsque l'on veut maximiser le
taux de profit selon nos hypothèses, consiste à montrer que
l'équilibre microéconomique d'une firme peut être obtenu
théoriquement directement dans la courte période, et sans
aucune intervention de r : quand on réussit à maximiser le taux
de profit moyen, le profit pur néoclassique est bien nul.
Cependant, cette démarche ne peut être que toute théorique. Il
faudrait deux conditions pour qu'elle soit opératoire dans la
réalité: d'abord que chaque investisseur connaisse parfaitement
la rentabilité marginale anticipée de ses investissements
nouveaux, ce qui n'est pas évident compte tenu de l'incertitude
radicale du futur, au sens de Keynes, c'est-à-dire non
probabilisable ; ensuite que chaque investisseur connaisse
parfaitement ce qui se passe dans les autres firmes! On
rajoutera plus loin notre « principe d'incertitude généralisé»
tenant à la circularité entre taux de rentabilité et taux d'intérêt.
En effet, si la rentabilité moyenne maximale obtenue après
l'investissement nouveau Id est inférieure à des investissements
alternatifs dans d'autres firmes, les capitaux iront s'investir
dans ces firmes. On retrouve la contrainte de l'information
parfaite; le seul moyen pratique qui permettrait d'approcher
cette connaissance et de réguler les investissements et leur
rentabilité par la concurrence: ce sont les marchés financiers,
mais alors « très efficients ».

I (Ko + Id) dn / dId (no + n) = 0 ; soit dn / dId = (no + n ) / (Ko + Id),


2 En effet, sn est le- profit total (au sens classique) moins la rémunération des
capitaux: sn = no +!ln - reM (Ko + Id). Avec reM = (no +!ln) / (Ko + Id),
on obtient: sn = no + !ln - [(no + !ln) / (Ko+ Id)] (Ko + Id), donc sn = O.
62
Les investisseurs ont donc peu de chance de « taper dans le
mille ». Enfin, il faudra tenir compte de la réalité sociale: les
propriétaires - les actionnaires par exemple - peuvent vouloir
endetter l'entreprise pour jouer sur l'effet de levier et tenter de
maximiser leur rentabilité financière d'actionnaire. On peut
démontrer - c'est encore le « théorème de séparabilité» des
décisions économiques et financières - qu'ils devront: d'abord
maximiser le taux de rentabilité économique; ensuite choisir
une structure d'endettement en jouant sur la rentabilité et le
risque, utilisant l'effet de levier.
Mais on ne peut empêcher les apporteurs de capitaux de
prendre leurs désirs pour la réalité.

212 - Le taux de profit de la Corporatefinance : le «taux


de rentabilité désiré»

Les théories présentées ci-dessous, d'essence néoclassique,


sont celles de la théorie financière récente, dite « moderne »,
née fondamentalement aux Etats-Unis I. Ces innovations
fondamentales de la théorie financière ne nous apprennent rien
de nouveau sur l'origine du profit. La théorie financière n'est
pas une théorie de la production du profit - qui n'intéresse
personne chez les financiers, sauf quelques théoriciens
économistes - mais de sa répartition. Cette méthode a deux
origines, l'une, empirique et déjà ancienne, l'autre théorique,
née des paradigmes de la théorie économique néoclassique.
Trois corpus théoriques relativement autonomes recouvrent
en effet la question de la théorie financière. Les deux premiers
se prétendent sciences de gestion (la finance d'entreprise et la
finance de marché), le troisième science économique (la théorie
financière micro- et macroéconomique). Il est commun
d'opposer lafinance d'entreprise, la corporatefinance2, théorie
qui est censée fonder les décisions de la gestion financière au
niveau de l'entreprise, et la finance de marché, plus globale et
plus tournée vers les comportements des marchés financiers et
de ses acteurs.

I
Il faut absolument lire à ce sujet le livre de Peter L. Bernstein (1992, 1995) :
Des idées capitales. Les origines improbables du Wall Street moderne.
Bernstein est par ailleurs l'auteur de nombreux livres concernant l'histoire de
la finance, dont le récent (1998) Plus fort que les dieux. La remarquable
histoire du risque, fait en conclusion référence à la théorie mathématique du
chaos et de son « effet papillon» en renvoyant à son application en finance.
On pourra lire également avec intérêt un livre français plus récent, de
L. Belze et P. Spieser (2005), Histoire de la finance. Le temps. le calcul, les
Promesses, histoire qui remonte à l'antiquité.
2 On peut lire, en matière de corporate finance le classique anglo-saxon de
Richard A. Brealey et Stewart C. Myers (2000).
63
* La rentabilité et les rentabilités sont censées être liées aux
risques, en sciences économiques comme en sciences de gestion
La base de toute l'analyse est la dialectique du rendement et
du risque. La notion de risque en finance paraît aujourd'hui
banale. Richard Cantillon (1755, 1997) fut probablement le
premier économiste à percevoir le profit incertain, donc risqué,
de l'entrepreneur. Etner (2000) nous le cite: « tous les
habitants d'un Etat sont dépendants; ... ils peuvent se diviser
'"

en deux classes, savoir en entrepreneurs 4 gages incertains, et


tous les autres, à gages certains ... ». A ce risque s'ajoute
l'activité de « coordination», ce qui deviendra le « travail -
avec son éventuel salaire - de surveillance ». Galiani (1751,
1955) considère que le taux d'intérêt peut s'expliquer par le
risque, dont celui de non-paiement.
C'est grâce au calcul des probabilités que la notion de risque
est devenue « scientifique », grâce à Pascal et Fermat au xvœ
siècle. Cette curiosité de grands penseurs désintéressés fut au
départ réservée aux mondanités des jeux de hasard mais
rapidement appliquée aux calculs des rentes viagères, aux
assurances et au commerce maritime international, très risqués.
Tout part d'un jeu et d'un paradoxe « bien connu» : le
« paradoxe de Saint Petersbourg» soulevé par le
mathématicien Nicolas Bernouilli selon lequel la somme misée
pour ce jeu de hasard devrait être infinie. Daniel Bernouilli,
cousin de Nicolas, résolut le problème à partir de I'hypothèse de
l'utilité décroissante de la monnaie avec le patrimoine possédé:
100 gagnés n'ont pas la même valeur - la même utilité - selon
qu'ils s'ajoutent à rien du tout ou presque pour un smicard ou à
une fortune pour un milliardaire. Il faudra attendre le début du
XXe siècle pour que le calcul des probabilités reprenne de la
vigueur, grâce à la physique probabiliste, dont le principe
d'incertitude d'Heisenberg, et à quelques économistes originaux
comme Keynes avec son Treatise on Probability de 1921 et
Knightl la même année.
Le risque renvoie intuitivement à la variation, le plus
souvent perçue à la baisse, d'une variable quelconque (risque
d'un titre financier, risque d'exploitation, etc.). Plus
précisément le risque traduit la possibilité de fluctuation, donc
autant à la hausse qu'à la baisse, de cette variable. Plus
l'amplitude probable des fluctuations est forte, plus Ie risque est
élevé; on parle alors de volatilité. En avenir probabilisable, il
existe des outils statistiques de mesure précise du risqué.
I Frank Knight distingue en même temps que Keynes l'incertitude radicale
non probabiIisable et le risque probabilisable, dans (en français) Risque,
incertitude et profit, de 1921.
2 « Variance» et « écart type », bref les écarts à la moyenne.

64
En finance de marché, tout tourne évidemment autour des
seuls indicateurs qui intéressent les apporteurs de capitaux: les
taux de rentabilité et de rendement, compte tenu des plus- ou
moins-values en capital et du risque.
La théorie financière micro- et macroéconomique aborde la
théorie financière sous un angle encore différent.
Au niveau macroéconomique, Kenneth Arrow (1953) est
l'un des pères de cette théorie néoclassique, avec Gérard
DebreuJ (1959, 1964,1984) qui généralise l'équilibre général de
Walras dans le temps avec marchés financiers. Cette théorie
financière reste donc marquée par les paradigmes néoclassiques
de base, même si ses principaux apports proviennent de
mathématiciens « neutres» ou d'économistes keynésiens
(Modigliani par exemple, l' « inventeur» de la notion de Coût
Moyen Pondéré du Capital, le CMPC ou WACC: Weightened
Average Capital Cost). Les adeptes de la valeur travail,
classiques ou marxistes, pourraient la nommer la théorie
financière du rentier, comme le communiste russe Nicolas
Boukharine se moquait de l'économie néoclassique
autrichienne dans la critique de L'économie politique du rentier.

* La diversification des risques, contre la concentration, et le taux


de rentabilité désiré des actionnaires
La gestion du risque d'un portefeuille de titres consiste à
« ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier» et valut le
prix Nobel à plusieurs chercheurs2.
On peut montrer qu'un portefeuille diversifié a l'avantage,
pour un niveau de risque donné, d'une rentabilité espérée
supérieure, ou pour un niveau de rentabilité donné, de réduire le
risque. Dans la théorie des portefeuilles concernant les actions
dont le père est Harry Markowitz (1959), développée par
William Sharpe (1963), il faut diversifier son portefeuille de
titres: la diversification contre la concentration3.
John Burr Wiliams avait montré en 1938 qu'il était possible
de trouver la valeur intrinsèque d'une action en actualisant ses
dividendes futurs; cette méthode avait déjà été mise en œuvre
1 Bien que Debreu soit d'origine française, il fut américain d'adoption: la
version française est une traduction de l'anglais. Arrow et Debreu obtinrent le
Nobel.
2 La théorie financière connut sa consécration en 1990 quand Markowitz,
Miller et Sharpe reçurent le Nobel d'économie: l'économie devenait science
de gestion.
3 La diversification doit être une « bonne diversification» : le portefeuille doit
être composé d'actions de secteurs dont les évolutions ne sont pas parallèles.
On comprend qu'on aura besoin des deux instruments de base des
statistiques: la moyenne des rentabilités (ou leur espérance mathématique) et
leur dispersion autour de cette moyenne, l'écart-type ou la variance. On parle
donc après Markowitz du « modèle moyenne-variance» ou « espérance-
variance ».
65
par Irving Fisher et reprise par Keynes pour calculer la
rentabilité d'un investissement. II suffit donc de choisir l'action
dont les dividendes futurs sont les plus élevés, donc la
concentration contre la diversification. Keynes affichait aussi
explicitement en 1939 son opposition à la diversification et sa
préférence pour le choix à partir des fondamentaux, c'est-à-dire
de la connaissance des sociétés I.
Markowitz va donc démontrer le contraire et ses travaux
sont à l'origine de développements importants. Le risque
concernant une action spécifique est en fait double: le risque de
marché ou risque systématique; les risques dits spécifiques,
propres à la société émettrice. C'est l'apport de William Sharpe
et de son modèle2. Ce modèle indique que la rentabilité désirée,
exigée par un investisseur (financier) pour un secteur
économique donné, est le taux de l'argent sans risque, rs, plus
une prime de risque, On peut donc écrire, en négligeant les
apports spécifiques « probabilisées » de ce modèle, en notant
rD la rentabilité désirée et R la prime de risque: rD = rs + R.
Au niveau d'une entreprise, c'est cette notion de rentabilité
économique désirée, plus exactement exigée par l'investisseur,
(qui deviendra la notion de coût du capital) qui fonde le taux
d'actualisation utilisé dans les modèles de choix des
investissements économiques des entreprises, et non pas le taux
d'intérêt du marché3. II faudra ainsi comparer la rentabilité des
investissements nouveaux à leur coût, estimé par la rentabilité
exigée par les investisseurs.
On ne sait donc toujours pas quelle est l'origine du profit -
sauf à affirmer que c'est le risque lui-même qui l'explique -
mais on sait maintenant répartir les risques pour maximiser la
rentabilité. On sait également choisir un investissement par la
méthode du TIR, non plus à partir du seul taux d'intérêt, comme
le faisaient les néocIassiques (rejoints à cet égard par Keynes),
mais à partir de la notion de coût (désiré) du capital. Avec la
question que ce choix est selon nous toujours sous-optimal...

I Cette position de boursicoteur, têtu mais volontaire, entre en totale


contradiction avec sa théorie du mimétisme qui s'explique en grande partie
far l'extrême difficulté sinon l'impossibilité de l'analyse des fondamentaux.
Le MEDAFE, le Modèle d'Evaluation Des Actifs Financiers à l'Equilibre
(ou MEDAF Modèle d'Equilibre Des Actifs Financiers). Dans les deux cas, il
s'agit de la traduction du Capital Asset Pricing Madel (CAPM), né de
W. Sharpe en 1963.
3
C'est la reD, la rentabilité économique désirée de l'analyse précédente
concernant la maximisation du taux de profit. Ici c'est soit cette reD de tous
les capitaux K, soit la rentabilité financière désirée des seuls capitaux propres
CP ; on y reviendra. On spécifiera également plus loin le type de prime de
risque R.
66
22 - Contre la fable de la fonction LM et le
modèle IS LM, une tentative d'analyse de la
liaison entre taux de profit et taux d'intérêt par
le modèle IS ER

221 - La fable de la fonction LM et donc du modèle


ISLM

* Le curieux oubli par Keynes des nécessaires « contreparties


dans les transactions}) sur le marché secondaire des obligations
Keynes ne veut pas voir - sauf rares exceptions - la
nécessaire contrepartie monétaire de chaque transaction et
considère une masse moutonnière de spéculateurs mue comme
un seul homme par le mimétisme et la convention. Or, ce
raisonnement de la demande de monnaie pour motif de
spéculation est une fable, un mythe au niveau
macroéconomique. Quel que soit le taux d'intérêt et la valeur de
marché des titres sur le marché secondaire des obligations, il
existe toujours une contrepartie - sauf exceptions rares,
catastrophes et suspension provisoire des cotations - à une offre
ou à une demande de titre. Si un pessimiste vend une obligation
de valeur de marché élevée correspondant à un taux d'intérêt
faible, il y aura toujours un optimiste qui l'achètera en pensant
que le taux va encore baisser. Et inversement.
Que Monsieur Pessimiste donc, jugeant le taux d'intérêt
tellement petit qu'il ne peut que remonter - plus exactement que
Monsieur Pessimiste, jugeant les valeurs de marché trop élevées
risquant donc de baisser - vende ses obligations pour demander
de la monnaie L2 - là, il s'agit d'une « vraie» demande de
monnaie, en flux, au sens de John Stuart Mill - n'empêche pas
Monsieur Optimiste de penser le contraire. Il achète les titres
offerts, en réduisant son L2, c'est-à-dire en offrant un flux de
monnaie, toujours au sens de Mill. Il y a bien véritables flux
d'offre et de demande de monnaie, plus au sens keynésien de
marchés de stocks de monnaie, mais au vrai sens du terme de
marchés de flux de titres. Cependant, ces transactions sur le
marché financier des obligations rendent le stock L2
macroéconomique global invariablel.
Cette erreur de Keynes est probablement à l'origine de son
autre erreur: ne voulant pas voir les nécessaires contreparties
1 Keynes ne soutient sa proposition qu'en ne prenant en compte que ce qu'il
appelle le Ii cas le plus simple. sans transaction N. Et il élude rapidement le
Ii cas général N où apparaissent les nécessaires contreparties dans les
transactions. Nous n'avons ici que résumé très brièvement la question,
fondamentale s'i! en est; voir encore Castex (2003 et 2007).
67
dans les transactions boursières, il théorisera le mimétisme et la
convention qui expliqueraient la dynamique de ces marchés 1.
C'est bien à notre avis la première qui induit la seconde. Nous
sommes convaincus, après relecture attentive de la Théorie
générale, que Keynes avait perçu cette erreur2 ; mais la corriger
aurait évidemment rendu caduque sa tentative de critique du
marché néoclassique des fonds prêtables.

* Le modèle IS LM de Hicks: développement créateur de


Keynes ou trahison?
Le modèle IS LM à prix fixes fut promu peu après la sortie
de la Théorie générale de Keynes, par John Richard Hicks
(1937) dans Ie fameux Mr Keynes and the classics, a suggested
interpretation (M Keynes et les classiques, une proposition
d'interprétation). Hicks tenta de faire une synthèse entre la
vision classique - en fait néoclassique - et celle de Keynes:
c'est le point de départ de l'école de la Synthèse, ou Synthèse
néoclassique.
Et c'est là que l'on va comprendre notre insistance à définir
le marché de la monnaie de Keynes comme un marché de
stocks, Hicks proposant à Keynes un marché de flux: celui,
amendé, des fonds prêtables néoclassiques.
Le modèle originel fut d'abord nommé IS LL3. Il analyse
pour IS la liaison entre le revenu en volume yet le taux d'intérêt
r considéré comme le « taux d'intérêt d'investissement» en fait
très proche du taux d'intérêt naturel de Wicksell4, bref le taux
de profit à long terme. Par contre la liaison (y, r) de LL renvoie
au taux d'intérêt monétaire, toujours au sens de Wicksell4, où le
crédit bancaire est privilégié. L'équilibre IS LL égalise donc de
plus le taux naturel et le taux monétaire5 , donc les taux court et
les taux longs: « Quand elle est ainsi généralisée, écrit Hicks,
la théorie de M Keynes commence à ressembler fortement à la
construction de Wicksell ». Hicks tente ainsi de faire revenir le
Keynes (1936) de la Théorie générale aux conceptions du
Keynes (1930) du Treatise6, Le modèle IS LM vulgarisé
n'effectue pas la différenciation de ces deux taux.
1 Voir la seconde partie de ce livre.
2 Voir encore Castex, op. cit.
3 L'appellation IS LM ne date que de 1949, avec Alvin Hansen; voir Beaud et
Dostaler (1993, 1996). LL renvoie à offre et demande de liquidités.
4 Voir plus loin.
S Notre proposition de modèle IS ER entraîne des conclusions analogues:
l'égalité du taux de rentabilité économique désirée et du taux de rentabilité
économique effectif: voir plus loin.
6 Il s'agit du Treatise on money, de 1930, non traduit en français. Keynes tente
de trouver une théorie de l'inflation différente de la théorie quantitative: c'est,
avec ses « équations fondamentales », la théorie de la « profit inflation» où
les entrepreneurs sont responsables et coupables de l'inflation. Pour une
critique de cette approche, voir Castex (2003).
68
En admettant les « attouchements» du (pseudo) marché des
biens et services et du marché de la monnaie, Keynes semble en
fait à peine trahi par le modèle IS LM qu'il a explicitement
admis, au moins dans un premier temps: «Je l'ai trouvé très
intéressant et, en réalité, je n'ai pratiquement rien à critiquer N.
Pratiquement rien, sauf l'interprétation qui est donnée de sa
théorie du taux d'intérêt, pour deux raisons intervenant à la fois
sur IS et LM.
Sur IS, Keynes considère que les variations de l'EMAC sont
bien plus importantes et significatives que celles du taux
d'intérêt. C'est l'une de ses ruptures fondamentales avec
Wicksell entre le Treatise et la Théorie générale; c'est en
général la seule qui soit mise en avant par les keynésiens
radicaux rappelant l' « inceliitude radicale» de l'avenir selon le
maître, donc l'incertitude de l'avenir concernant la rentabilité
marginale anticipée des investissements. Mais ce n'est là qu'un
détail comparé à ce qui suit.
Sur LM, il voit probablement que l'interprétation de Hicks
de son marché de stock de monnaie s'apparente en fait au
marché des fonds prêtables néoc1assiques: il y reviendra
courant 1937 et 1938 avec son finance motiv, et la polémique
reprendra. Elle fut vite oubliée: les orages de la tempête qui
allait s'abattre sur l'Europe s'accumulaient.
Il n'est pas inutile d'y revenir.

* La demande de monnaie pour motif de financement: le


finance motiv ou «finance N de Keynes en réponse aux
propositions de synthèse de ses collègues, dont Hicks
On trouve dans des écrits de Keynes (juin 1937 et décembre
1938) un motif de financement: lefinance, concernant la
nécessaire détention d'un stock de monnaie thésaurisée
assurant, avant sa réalisation effective, le financement d'un
investissement. Ce finance est assimilé à un motif de
transaction sous la forme du motif d'affaires ou professionnel.
Ce finance reste pourtant mystérieux, il ressemble beaucoup à
la thésaurisation accumulatricel de Marx. Cependant, garder de
la monnaie (obtenue par exemple pour une entreprise par une
cession d'actif), pourquoi pas; mais s'endetter pour ne pas
i,nvestir tout de suite à long terme est plus étonnant, irrationnel.
A moins d'anticiper une hausse des taux d'intérêt; cette
demande de monnaie est d'ailleurs le seul cas répondant à la
fois à une demande de crédit bancaire et à une thésaurisation.
Cette invention de Keynes n'est pas gratuite. Le modèle IS
LM utilise la fonction LM implicite chez Keynes alors que son
1 Voir Castex (2003 et 2007) et plus loin: selon Marx, le capitaliste accumule
en monnaie un « trésor» important avant de le transformer en capital
productif de plus-value.
69
fondateur Hicks avait en fait tenté de revenir au marché des
fonds prêtables néoc1assique. Ce que Keynes ne semble pas tout
de suite avoir perçu. Selon Hicks en effet, le crédit bancaire
s'ajouterait à l'épargne tandis que la demande de monnaie L de
Keynes serait assimilée à la demande de fonds prêtables pour
l'investissement immédiat. Cette « demande de monnaie» est
alors décroissante avec le taux d'intérêt et s'apparente à la
demande de fonds prêtables pour l'investissement, ce ql!i
revient à nier le finance comme un motif de thésaurisation. A
cette demande correspond l'offre de monnaie, l'offre de crédit
bancaire croissante avec le taux d'intérêt, bien que peu
élastique, et ressemblant donc à l'offre d'épargne ou de fonds
prêtables. La théorie monétaire de Keynes devenait en fait, pour
ces critiques, une généralisation du marché des fonds prêtables
néoc1assique, mais avec intervention du crédit bancaire
complémentaire à l'épargne.
Keynes avait probablement enfin compris la manœuvre en
proposant son finance motiv. Certains détracteurs de Keynes, ou
ayant tenté de le récupérer (Ohlin, Robertson et Hicks),
assimilaient ce finance à une simple dem~nde de crédit bancaire
en vue d'un investissement immédiat. Enorme confusion que
Keynes a vertement repoussée dans le débat! sur le finance
motiv: la demande de monnaie est toujours pour lui une
thésaurisation2 et non une demande pour l'investissement
immédiat, au risque de se répéter! Par contre Keynes était plus
gêné par l'assimilation du crédit bancaire à l'offre de fonds
prêtables. En effet, les deux sont croissants, mais faiblement,
avec r; et surtout il est évident que le crédit bancaire se
substitue à l' « épargne préalable ».
Ce quiproquo est tout simplement l'une des origines de ce
qui deviendra l'école de la Synthèse. Synthèse entre d'une part
l'analyse néoc1assique (la demande de monnaie est en fait une
demande de fonds prêtables, pour être investie, dépensée
immédiatement), d'autre part l'analyse keynésienne (c'est une
thésaurisation, une non-dépense). C'est d'ailleurs pour cette
raison que l'outil analytique du modèle IS LM a pu être utilisé
par les libéraux. Sauf que, paradoxalement, c'est en fait Keynes
qui sera suivi et non pas Hicks; le modèle conservera la
dichotomie partielle entre IS et LM, entre la sphère réelle et la
sphère monétaire. Le modèle IS LM est ainsi dès ses origines
une chimère pleine d'ambiguïté: un monstre.

I Ce débat véhément eut donc lieu entre 1937 et 1938 entre Keynes et ses
critiques.
2 La confusion sémantique induite par l'appellation « demande de monnaie»
pour définir la thésaurisation a des effets redoutables: «demander de la
monnaie» fait penser à un désir de dépense immédiate! L'expression
« préférence pour la liquidité» est moins perverse.
70
Ce modèle trahissait donc à sa naissance totalement Keynes
sur ce point précis, mais ses interprétations suivantes ont admis
du bout des lèvres sa conception de la préférence pour la
liquidité. Ce modèle est de toute façon, avec tous ceux qui l'ont
pris pour socle, remis en cause par la fable de LM : le taux
d'intérêt n'est pas, fondamentalement, une variable monétaire
mais une variable bien réelle, les taux longs ne pouvant être que
perturbés par l' « effet» de l'offre et de la demande du crédit
bancaire déterminant les taux courts.

* Keynes et l' « épargne préalable» de Hayek: peut-on assimiler


le crédit bancaire à une offre de fond prêtables ?
Pour Keynes et les keynésiens, l'épargne est la conséquence
de l'investissement, par le processus du multiplicateur; pour
Hayek!, elle doit être préalable à l'investissement. Les deux ont
tort en confondant les flux et les stocks. Hayek a tort car un
stock d'épargne existe en début de période: il n'y a pas besoin
d'un flux d'épargne de la période précédant le flux
d'investissement. Les keynésiens ont tort: ce stock d'épargne
doit exister et il est reconstitué par le flux d'investissement
dopant le revenu national. En absence de stock d'épargne, le
crédit bancaire peut faire l'affaire, les banques étant selon nous
des « machines sociales à déthésauriser». Mais Keynes et la
plupart des keynésiens refusent de faire intervenir la monnaie et
le crédit bancaire directement dans le financement des
investissements: ils restent fondamentalement attachés à la
dichotomie. C'est l'une des raisons de l'opposition de Keynes,
outre son invention dufinance motiv, à Hicks. Cette affirmation
en fera hurler plus d'un, mais c'est une évidence. Keynes
analyse le pseudo marché des biens (demande effective et
multiplicateur dit d'investissement) sans jamais faire intervenir
la monnaie, se bornant à l'inégalité éventuelle entre I et S. La
monnaie n'intervient que par le marché de stocks de... monnaie
avec la légende du L2 macroéconomique décroissant avec r. La
monnaie ne « pénètre» pas la sphère réelle, elle n'intervient
donc que par des « attouchements» : ce sera le modèle IS LM
historique. Eros et la monnaie...
Hicks rompait en fait avec la dichotomie en assimilant, à
juste raison, le crédit bancaire comme substitut de l'épargne
« préalable». En effet, personne, ou donc très rarement, ne
souscrit à un crédit bancaire pour thésauriser la monnaie
obtenue!
Mais Hicks restait néoclassique dans l'âme. Ce sont les
classiques et Marx qu'il faut retrouver pour reconstruire un
modèle néanmoins caractérisé par un équilibre statique: IS ER.
I Voir la deuxième partie de ce livre.
Z Voir Castex (2003 et 2007).

71
222 - De la reconstruction. Un modèle de transition
statique: IS ER (Investissement Epargne, Emploi
Rentabilite')
Contre IS LM, nous avions proposé] de construire un
modèle statique: IS ER. La fonction LM est donc considérée
par nous comme caduque: on la remplace par la fonction ER
présentée plus loin où le taux de rentabilité effective re remplace
le taux d'intérêt r du marché monétaire de Keynes. Comme
dans le modèle IS LM, on raisonne à prix fixes, avec donc les
mêmes contraintes (fondamentalement le sous-emploi), le
revenu macroéconomique étant mesuré par le niveau de
l'emploi, donc en valeur travail, E.
Nous gardions la fonction IS bien qu'elle présentât moult
limites: elle considère le taux d'intérêt r comme seule variable
expliquant l'investissement en négligeant la productivité
marginale anticipée de l'investissement. Notre fonction IS
analyse en fait l'investissement non pas en fonction de r, mais
en fonction de la rentabilité économique désirée reD, r s'en
déduisant, comme chez Smith revisitée, par rID - Re, Re étant
la prime de risque économique. Or, on a déjà montré que rest
lié au taux de profit (théorie de Smith) ; on montrera plus loin
qu'il est possible de développer cette théorie. Par ailleurs,
théoriquement, le choix de l'investissement optimal par une
entreprise n'a pas besoin du taux d'intérêt pour maximiser le
taux de profit moyen des apporteurs de capitaux2. Sauf à
considérer que l'illusion de l'utilisation de r pour le choisir
persiste: ce qui est le cas!
Cependant, justement par l'introduction de la fonction ER,
l'équilibre statique du modèle nous donne directement cet
optimum: quand, à l'équilibre final3, re** = reD**, on peut
montrer que re** est bien le taux maximum de profit.

* La reprise d'IS et la construction de ER


La rentabilité économique désirée reD n'intervient sur le
niveau des investissements que si l'on considère que cette
dernière est seulement un coût4. En notant Re, la prime de
risque économique, ce coût est donc, dans la théorie financière
orthodoxe: reD = r + Re. Pour nous, comme chez Smith, c'est
au contraire r qui devrait être déduit de reD; et la question de la
constance ou du caractère exogène de Re reste posée5.

I Castex, op. cit.


2
Voir plus haut.
3
4
Les deux astérisques ** des deux variables indiquent cet équilibre final.
Or, c'est égalementun taux de profit,de rentabilité,désiré puis effectif!
5
Ces hypothèses ne sont pas plus osées que celles du modèle IS LM.
72
Le revenu national en valeur travail peut se mesurer, comme
chez Keynes, par le niveau de l'emploi E (le y de Keynes). IS
est donc conservée, dans le sens I reD* -7 E* : la baisse de reD*
en tant que coût, fait croître l'investissement désiré Id et, par le
multiplicateur diP d'investissement, E*. La fonction IS
décroissante est transformée, avec le couple (E*, reD*) ou
conservée (E*, r*) pour garder les variables de base d'IS LM.
Après le pile de la pièce, son coût, la face du re ou r: la
rentabilité effective: celle qui se réalise, avec en général une
rentabilité économique moyenne après nouvel investissement
re* =F reD*. La logique est maintenant E* -7 re* : si l'on pense
que le profit n'est que la partie du travail non rémunérée, le
profit, le taux de profit re et le taux d'intérêt r vont croître avec
le niveau d'activité E. Pourquoi? C'est la principale innovation
du modèle: le profit économique (de tous les capitaux engagés,
dont ceux du crédit bancaire) Be est, selon la théorie de la
valeur travail, le revenu ou production nette moins les salaires.
Si west la part des salaires dans la valeur ajoutée nette, le profit
est donc: Be = CI - w) E. On considère dans ce modèle que w
est une donnée exogène; on verra plus loin que tant 1 - w que
w sont relativement stables à long terme, mais très instables
dans la conjoncture.
Il est possible de percevoir les capitaux économiques
engagés K (modifiés par Id), par la somme de leur financement
(capitaux propres CP ; dettes financières de marché, hors
crédits bancaires D ; crédits bancaires CE). C'est donc par le
crédit bancaire que le modèle intègre la monnaie, évidemment
endogène: demandée par les besoins d'investissemene. Le taux
de rentabilité économique effectif re est donc:
re = Be / K = CI - w) E / (C + D + CB)
La rentabilité économique effective re en fonction de E et
CB est évidemment croissante avec le niveau d'activité E. Elle
est décroissante, pour un niveau d'activité donné, avec le taux
de salaire wou, inversement, croissante avec le taux
d'exploitation des salariés, et décroissante avec4 K. On retrouve

1 L'astérisque * signifie que les variables sont déjà pour chaque fonction IS et
ER des équilibres; comme dans IS LM.
2 Voir Castex (2003 et 2007).
3 On supposera que si CB augmente (ou diminue), ce n'est pas pour se
substituer aux autres éléments de K, mais pour l'augmenter (ou le diminuer).
Par exemple, un CB nouveau peut être utilisé à financer un investissement
nouveau, probablement plus en capital circulant qu'en capital fixe.
4 Si l'on intègre Id dans le capital moyen de l'année, K pouvant être approché,
en notant Ki le capital économique initial, par K = (2K; + Id) / 2. On démontre
que la décroissance mathématique de re n'est remise en cause que pour des
cas extrêmes irréalistes; voir Castex (2003).
73
là Smith et Marx où le taux de profit est une conséquence de la
théorie de la valeur travail.
On obtient ainsi la fonction croissante (E*, re*) ou (E*, r*),
Emploi Rentabilité ou ER.

* La confrontation d'IS et ER1dans le modèle IS ER


Le couple reD** (de IS) = re** (de ER) donne l'équilibre
du modèle IS ER qui assure donc l'égalité des désirs et de la
réalité des rentabilités. A priori, ce modèle semble évacuer
totalement la monnaie, évacuant la fonction LM : il serait donc
encore plus dichotomique qu'IS LM ! Pas du tout: la monnaie
pénètre dans la sphère réelle. Car nous assimilons comme Hicks
le crédit bancaire à un substitut des fonds prêtables offerts: un
substitut à l'épargne «préalable ». Comme dans IS LM, les
graphes des fonctions IS et ER ressemblent encore à des
fonctions d'offre et de demande des marchés néoclassiques, les
quantités étant substituées par le volume du niveau d'activité et
le prix par les taux de rentabilité, désirée et effective: il est
difficile de se soustraire aux paradigmes néoclassiques...
Le graphe du mudèle IS ER, iIIuslration numérique

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Niveau d'activilé mesuré en valenr travail et d'emploi E*

Deux importantes conclusions peuvent être tirées de ce


modèle.
La première est que l'égalité du taux de rentabilité effectif
obtenu re** et du taux de rentabilité désiré reD** correspond à
un optimum: le maximum de rentabilité économique.
Pourquoi? Le choix de l'investissement ne maximise la
rentabilité effective moyenne que quand la rentabilité marginale
de l'investissement est égale à cette rentabilité effective
I Par construction, le graphe de ER est toujours celui d'une fonction linéaire
croissante: re = (J - w) E / (C + D + CD) = aE ? Celui de IS est simplement
celui d'une fonction monotone décroissante, ici affine pour simplifier.
74
moyenne. Ce qui cOITespond justement à l'intersection des
graphes de IS et ER en termes de taux: d'un côté reD* est
égalel selon Keynes à la rentabilité marginale (son TIR-EMAC)
de Id et détermine IS; de l'autre côté, la courbe ER donne les
possibilités de rentabilité effective re* croissante en fonction de
E. Quand le reD* de la fonction IS est égal au re* de la fonction
ER, le TIR-EMAC est donc égal au taux de rentabilité
économique effective, au taux de profit économique moyen: on
est à l'optimum. On retrouve la condition d'équilibre de long
terme des néoclassiques correspondant à l'annulation du profit
pur et donc (bien, répétons-le qu'ils ne s'en soucient pas) la
condition de maximisation du taux de profit des propriétaires.

* L'intégration de la monnaie par les crédits bancaires: les


résultats habituels de la politique monétaire sont retrouvés
La seconde importante conclusion est que la monnaie est
directement intégrée, par le crédit bancaire, dans ce modèle en
remplacement de la fonction LM, mais sans la fable du marché
de la monnaie au sens de Keynes, avec la demande
macroéconomique de monnaie pour motif de spéculation
décroissante avec le taux d'intérêt r (ou reD). La possibilité de
thésaurisation semble pourtant disparaître du modèle, la
fonction LM ayant disparu. Il n'en est rien. La thésaurisation
pour motif de transaction n'a aucune raison de disparaître; celle
pour motif de spéculation renvoie maintenant au « refuge dans
la liquidité» sur les marchés secondaires de capitaux. Mais il
est vrai que ces processus ne sont plus intégrés dans ce modèle
d'équilibre statique où le taux de profit effectif s'aligne sur la
rentabilité désirée.
Cependant, la rentabilité effective re* varie avec Be et K
dont le financement peut s'effectuer par crédit bancaire, source
principale de la masse monétaire si l'on croit à la « création»
monétaire par le crédit bancaire; re est ainsi décroissante avec
CB : si il augmente, sans se substituer aux autres éléments du
financement (CP et D), le profit économique se répartit sur une
masse de capitaux plus grande selon l'optique du circuit. Le
graphe de la fonction ER devient moins pentu: il pivote vers le
bas.
En retrouvant le taux d'intérêt au sens de Smith (mais avec
les critiques de Marx) où r = re - Re, on récupère, les
conclusions de Keynes (après les mercantilistes) : une
croissance des crédits bancaires fait décroître le taux d'intérêt
effectif. Cependant, la monnaie est alors endogène, demandée
I Pour Keynes, l'investissement est choisi jusqu'à ce que sa rentabilité (dite
efficacité) marginale anticipée (bref: l'EMAC) soit égale à r; tout comme
chez les néoc1assiques égalisant la productivité marginale (réelle) de
l'investissement au taux d'intérêt (réel). C'est reD qui joue ici le rôle de r.
75
pour financer en partie K. Une politique monétaire, par exemple
favorable au crédit bancaire, qu'elle soit de masse ou de tauxl
(taux courts dirigés par la Banque centrale), fera baisser à terme
les taux longs: on ne peut imaginer phénomène plus
mécanique.
Notre modèle IS ER n'est en fait pas très éloigné dans sa
forme de la conception de Hicks en 1937, admise du bout des
lèvres puis refusé catégoriquement par Keynes. Hicks retrouvait
l'égalité du taux d'intérêt monétaire court et du taux d'intérêt
long avec son modèle IS LL, un peu comme dans l'équilibre
(toujours perturbé) de Wicksell entre le «taux d'intérêt
monétaire» et le «taux d'intérêt naturel »2. Nous retrouvons
l'égalité de la rentabilité économique désirée avec la rentabilité
effectivement réalisée, à partir des approches de Smith et de
Marx (la rentabilité économique comme partie du travail social,
donc du revenu national exprimé en valeur travail). En outre, ce
modèle permet de réconcilier Marx et Smith, ce modèle étant un
modèle statique d'équilibre qui évacue les justes critiques de
Marx quant à la perturbation des équilibres de marché par
l'intervention du crédit bancaire.
Évidemment, cette croissance du crédit bancaire dope
l'activité (E** augmente). Mais par une mécanique différente;
c'est l'équilibre du taux de profit moyen qui est à l'œuvre: en
baissant, il induit par une reD inférieure, considérée comme un
coût, un investissement plus élevé; reD s'adapte au nouveau
taux de profit re, toujours optimum mais en baisse.

Les conséquences de la politique monétaire: les mêmes que dans IS LM

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I Voir la partie suivante.


2
Encore une fois, voir p]us loin.
76
La question des canaux de transmission de la politique
monétaire (pour simplifier: comment les taux courts du marché
monétaire peuvent-ils intervenir sur les taux longs) semble
résolue, mais par une mécanique de circuit économique qui peut
être perturbée par les effets de l'offre et de la demande sur les
différents marchés.

* Une politique budgétaire ou une meilleure rentabilité de


l'investissement: une réinterprétation de l' « effet d'éviction»
Effets d'une politique budgétaire
ou de l'amélioration de la productivité marginale du capital

16% IS après politique budgétaire


14% et/ou meilleure rentabilité de Id
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Niveau d'activité mesuré en valcur travail ct d'cmploi E*

Une politique budgétaire déplace vers le nord-est le graphe


de IS : pour tout reD ou r, E est plus élevé. Et il en est de même
si les investissements deviennent plus rentables: pour tout(e) r
ou reD, Id est plus élevé (comme dans l'analyse néoclassique,
par la croissance de la productivité marginale, ou dans l'analyse
keynésienne par celle du TIR-EMAC). Certes, E** augmente,
mais accompagnée de la croissance de reD** = re**
correspondant au nouvel équilibre. Le fameux «effet
d'éviction» (croissance de r) par la politique budgétaire doit
être réinterprété. Selon le modèle IS LM, la croissance du
« coût» r diminuait l'investissement privé, donc « évincé» en
partie (ou en totalité pour les néolibéraux intégristes utilisant
néanmoins le modèle IS LM) par les dépenses publiques: un
effet négatif de l'intervention de l'Etat. Selon le modèle IS ER,
ces dépenses publiques induisent un effet positif: la croissance
du taux moyen de profit d'équilibre et donc des taux d'intérêt,
longs et courts. Avec toujours, bien sûr, l'effet d'éviction sur les
investissements privés.

77
La croissance de l'efficacité des investissements privés
produit exactement le même effet. Ce qui, répétons-le, est
parfaitement compatible avec l'analyse néoclassique: la
rémunération du capital n'est-elle pas fondée sur sa productivité
marginale? Ils l'oublient cependant quand ils crient haro sur
l'effet d'éviction des politiques budgétaires.
Quelle obsession à ne voir dans le taux d'intérêt qu'un coût
alors qu'il est avant tout (et probablement seulement) une
rentabilité!

* Une dynamisation apparemment impossible


Reste la question de la dynamisation de ce modèle. Dans
l'état actuel de notre recherche, elle paraît impossiblel. On peut
toujours supposer des décalages de période où l'investissement
serait déterminé par la reD de la période précédente2, mais c'est
tout l'équilibre du modèle qui est remis en cause.
Il faudra donc se tourner vers de nouvelles approches, en
particulier sur les conséquences dynamiques de la structure de
financement répartissant le financement du capital économique.
Il faut auparavant préciser, au niveau de l'analyse statique,
ce qu'est cette structure de financement et l'effet de levier de
l'endettement.

J
Le modèle est de toute façon limité, comme IS LM, car il ne tient compte
que fonnellement du type de financement des capitaux économiques K par
fonds propres ou endettement; il ne peut donc pas inclure la dynamique des
marchés de capitaux et la « double spéculation» qui la caractérise.
2 Apparaissent alors de belles fluctuations autoentretenues, mais elles ne sont
que fonnelles.
78
23 - L'effet de levier de l'endettement et les
trois rentabilités: rentabilité économique, taux
d'intérêt, rentabilité financière
Le taux d'intérêt est certes un coût pour les entreprises, le
coût de l'endettement. Mais c'est également une rentabilité pour
les prêteurs. Le prétendu « coût» des capitaux propres n'est en
aucun cas un coût pour les entreprises, car les capitaux propres
appartiennent aux actionnaires qui veulent évidemment
maximiser leur taux de profit, leur rentabilité financière.
Pourtant, la théorie néoc1assique débouche, à partir de la
légende de son entrepreneur indépendant des actionnaires, sur
l'absurdité du « coût des capitaux propres », et donc sur
l'absurdité du Coût moyen pondéré du capital ou CMPC,
moyenne pondérée des « coûts» des capitaux propres et des
dettes.
Ce qui pose la question de l'effet de levier de l'endettement.

231 - L'effet de levier de l'endettement: une simple


identité comptable
L'effet de levier de l'endettement! est avant tout une identité
comptable, mais il peut être perçu comme une analyse de la
rentabilité financière rf des seuls capitaux propres CPo rf
apparaît comme une variable dépendant de la rentabilité
économique effective re de tous les capitaux économiques
engagés K et de r. Ces capitaux économiques sont en effet
financés par des capitaux propres CP et des dettes D (K = CP +
D). La rentabilité financière rf sera donc également influencée
par le taux d'intérêt de l'endettement r et par la structure de
financement mesurée par le levier2 L, le rapport D I CPo

* D'une idée simple à une formule universelle


L'idée de l'effet de levier est extrêmement simple: si l'on
emprunte à 10 % (soit un taux d'intérêt r = 0,1) dans une
entreprise dont la rentabilité économique est de 15 % (re =
0,15), 100 empruntés rapportent 15, coûtent 10 et font donc
apparaître un « cadeau» de 5 : c'est la rentabilité différentielle
re - r. Plus on est endetté, plus est grande cette « multiplication
des petits pains ». Le levier L, ou bras de levier, l'un des ratios
d'endettement, multiplie la rentabilité différentielle pour obtenir

I
Il existe d'autres effets de levier; sans précision, il s'agira toujours dans
cette partie de celui induit par la structure financière, l'endettement.
2 Il ne peut y avoir confusion dans le contexte avec la liquidité que nous avons
déjà noté L.
79
l'effet de levier de l'endettement (re - r) L qui s'ajoute à re pour
obtenir la rentabilité financière des seuls capitaux propres rf.
Cette idée est simple; elle ne pose aucun problème au
niveau microéconomique où le taux d'intérêt est une donnée
pour l'entreprise qui peut donc jouer sur la structure de son
endettement pour choisir une rentabilité financière des
actionnaires, à la limite infinie si la part des capitaux propres
dans le total du financement tend vers zéro. Elle possède
néanmoins à ce niveau deux limites évidentes: d'une part, le
risque pris par les prêteurs va vite faire croître r avec L ; d'autre
part, re peut être si basse que, même pour r faible, un effet
contraire peut apparaître: l'effet de massue. Elle est surtout
difficile à transposer au niveau macroéconomique car rien ne
nous indique que le taux d'intérêt n'est pas une conséquence de
la rentabilité économiquel.
La démonstration de la relation « mathématique» précise
entre les divers éléments mentionnés est élémentaire; on en
laisse le soin au lecteur2 ; la « formule» de l'effet de levier de
l'endettement est la suivante:
rf = re + (re - r) L

Cette formule de l'effet de levier fait de rf la conséquence de


trois facteurs explicatifs: re, donnée intrinsèque; r, qui peut
varier selon le marché et le risque perçu par les créanciers; le
choix de la structure de financement, donc de L. La relation
comptable, la pure « tautologie arithmétique» de la formule de
l'effet de levier, est toujours vérifiée, même si les variables
mentionnées sont liées entre elles: par exemple si le taux
d'intérêt varie avec la structure de l'endettement, etc.

* La correction de l'analyse de Smith: de la notion de « prime de


risque» à celle de rentabilité différentielle
On peut maintenant corriger Smith qui déterminait, on l'a
indiqué plus haut, r par rf - Rf, Rf étant la prime de risque
financière des actionnaires. Nous continuerons à nommer prime
de risque, suivant la tradition, ce qui n'est ~u'une rentabilité
différentielle effective née de l'effet de levier. Dans la mesure
où l'analyse renvoie bien au partage du taux de profit global, la
base du partage ne peut être que la rentabilité économique de
tous les capitaux, donc re (le « vrai» taux de profit de tous les

I Voir plus loin la reprise de la théorie du taux d'intérêt d'Adam Smith


confirmée par la dynamique de la double spéculation sur les marchés
financiers secondaires des actions et des obligations.
2 On la trouve dans tous les manuels de base.
3 Pour ce qui est des rentabilités désirées, il s'agit bien d'une véritables prime
de risque.
80
capitaux engagés). Au niveau macroéconomique, r se déduit de
la rentabilité économique re, par la prime de risque économique
Re = re - r. La formule de l'effet de levier devient donc:
rf = re + ReL.
La rentabilité financière rf n'est plus alors que la rentabilité
économique corrigée par la prime de risque économique Re
multipliée par le levier 1. La prime de risque financière de
Smith se déduit de la prime de risque économiquel :
Rf = (re - r) L = Re (1 + L). Ce n'est encore qu'un différentiel
entre les rentabilités effectivement réalisées rf et r, censé
apparaître comme la prime de risque de Smith.
Le débat qui suit concernant le théorème de Modigliani-
Miller considère re soit comme une donnée intrinsèque - ce qui
est en fait la seule possibilité théorique - soit comme une
moyenne pondérée de r et rf: le CMPC. Il est d'ailleurs piquant
de remarquer que l'inventeur du CMPC est le même qui va
considérer re comme la seule variable explicative. Il s'agit de
Franco Modigliani, plus connu des économistes comme ayant
revisité la fonction de consommation keynésienne, mais qui
obtint son prix Nobel surtout pour avoir dirigé les travaux du
financier Merton Miller.

232 - Les capitaux comme coûts et le CMPC

* Quand la rentabilité se mute en coût des capitaux propres


Le manager se trouve placé, comme l'entrepreneur
néoclassique considéré comme indépendant de ses mandants
actionnaires, « en face» de deux facteurs de production capital
qui sont pour lui, représentant de l'entreprise, des coûts. En
théorie financière, re, rf et r, les rentabilités, « sympathiques»
pour les apporteurs de capitaux, apparaissent bien pour
l'entreprise comme des coûts de financement, des pourcentages
« antipathiques» de rémunération à verser; le fond et la forme
de l'analyse sont donc intervertis. Cette inversion historique
date de l'ère où l'entreprise et ses dirigeants étaient de fait
relativement indépendants des actionnaires; du moins les
dirigeants considéraient-ils les actionnaires et les créanciers
comme des apporteurs de capitaux avec peu ou pas de pouvoir.
On continue à le penser encore, bien que la gouvernance2 ait
profondément modifié le paysage.
La rémunération de l'actionnaire (les dividendes versés et,
éventuellement le résultat mis en réserve) est alors considérée
par l'entrepreneur comme un coût à comparer à ceux des autres
I Avec Rf = rf r, on obtientRf = re + reL - rL - r = re (I + L) - r (I + L) =
-
&re- r)(I + L).
Voir plus loin.
81
moyens de financement. Et sans aucun état d'âme. Mais qui ne
voit pas la particularité des « coûts» des capitaux propres, coûts
pour l'entreprise mais rentabilité pour ses propriétaires! Une
véritable schizophrénie.

* L'évaluation du « coût» des capitaux propres


Restons pour le moment techniques, en feignant de ne pas
apercevoir la faille de départ du raisonnement. Si le coût de
l'endettement est donné directement par le marché, parI r, il
n'en est pas de même du coût des capitaux propres. II en existe
plusieurs méthodes d'évaluation. Le modèle le plus courant est
celui de Gordon et Shapiro (1956) qui actualisent les
dividendes. Mais on peut également - le débat continue -
actualiser les bénéfices, car les mises en réserves appartiennent
aux actionnaires.
Procédons lentement avant de dévoiler les conclusions de ce
modèle. La valeur actuelle V d'un dividende d constant versé
jusqu'à l'infini est, pour un taux d'actualisation assimilé à un
taux d'intérêt r, de V = d I r. Pas besoin ici de mathématiques
financières: quel est le stock de richesse qui rapporte tous les
ans d, non capitalisé, c'est-à-dire non réinvesti dans la richesse,
au taux d'intérêt r ? Evidemment V tel que rV = d ! Cependant,
le taux d'actualisation n'est pas r mais le taux de rentabilité
financière désiré par les actionnaires, rID, égal à r plus la prime
de risque financière désirée et estimée RID, dans la lignée de
ce qui a été présenté plus haut. On a donc V = d I (r + RIDf
L'analyse de Gordon et Shapiro propose un modèle de
croissance exponentielle bien connu qui donne enfin, avec le
taux de croissance des dividendes g assimilé à celui des
bénéfices3 : V = d I (r + RID - g) ou, avec rID = r + RID,
V = d I (rID - g). Cette formule permet de trouver la valeur dite
fondamentale d'une action; on y reviendra.
Cependant, la préoccupation des auteurs est inverse: ils
recherchent le coût du capital spécifique aux fonds propres, rID
I On supposera que r inclut déjà la prime de risque des prêteurs.
2 Si d = 10, r = 6 % et RID = 4 %, V = 10/0,1 = 100. Sans prime de risque, V
aurait bien sûr été supérieure: 10 /0,06 = 166,7.
3 On en retient le plus souvent qu'il est possible de trouver la valeur de
marché d'une finne en divisant le dividende actuel par la différence entre le
taux de rentabilité désiré des fonds propres rID et le taux de croissance des
dividendes g. Connaissant le dividende actuel versé d, jugé représentatif de la
situation « nonnale» de la finne, on en déduit que la valeur de marché des
actions est V = d / (rID - g). En effet, le dividendesera en année n : d (1 + g)",
sa valeur actuelle sera: d (1 + g)" / (1 + rID)". Si l'on actualise les dividendes
jusqu'à l'infini, on aura (il s'agit de la limite habituelle des calculs
d'actualisation) : V = d / (rID - g), si rID > g.
Si d = 10 et rID = 10 %, on obtient pour g = 0, V = 100, le cas habituel sans
croissance anticipée du revenu; si g = 5 %, V passe à 200, avec g = 9 %, V
passe à 1 000. Si g se rapproche de rID, V devient infinie.
82
est donc l'inconnue, V étant la valeur boursière actuelle connue
ainsi que le dividende d. On obtient ainsi, par une géniale
transformation mathématique: rID = d I V + g. Le coût des
capitaux propres est le taux de rendement en dividende du titre
plus le taux de croissance anticipé des dividendes. Plus la
croissance est élevée (celle du dividende et celle de l'économie)
- ce qui est bon pour les profits -, plus le « coût des capitaux
propres» (lire la rentabilité financière désirée) sera élevéee).

* Le CMPC : moyenne pondérée des deux « coûts» des capitaux


ou simplement rentabilité économique intrinsèque?
Le coût du capital dans son acception habituelle, le CMPC,
renvoie à la moyenne des deux rentabilités désirées rID et r,
pondérées par la part des capitaux correspondants CP et D dans
le capital économique K financé par la somme CP + D, les deux
capitaux étant calculés en valeur de marché ou en valeurs
comptables. On gardera ici les notations « rentabilités»
(= coûts) pour ne pas se perdre dans les formalisations.
Soit CMPC = rfD CP I (CP + D) + r D I (CP + D).
Mais après avoir pris leurs désirs pour la réalité, les capitaux
obtiennent des rentabilités effectives rf et r, seule rf pouvant
être différente de rfD. Le CMPC effectivement réalisé se
calcule par la même formule, rf remplaçant rfD. Ce dernier
CMPC n'est alors en fait rien d'autre que la rentabilité
économiquel re, rf étant calculée par la formule de l'effet de
levier: même s'il est calculé comme une moyenne il préexiste à
ri et r.
Deux théories principales s'affrontent. Les uns pensent que
le coût global de financement, le CMPC, est fonction de la
structure du financement; d'autres affirment au contraire qu'il
est indépendant de cette structure: il s'agit du théorème de
Modigliani-Miller, dit « MM ». On aura compris qu'il faut à
chaque fois préciser si l'on parle de rentabilités désirées ou
effectives; ce qui n'est pas toujours fait.

233 - Pour ou contre le théorème de Modigliani-Miller?

* Rentabilités désirées ex ante et rentabilités effectives ex post


Le théorème de Modigliani-Miller (1958 et 1963) est une
évidence si l'on raisonne en rentabilités comptables
(économique, financière et taux d'intérêt des créanciers) réelles,
ex post; les « anti MM» ne peuvent alors que constater
l'absurdité de leur thèse inverse, on va le montrer.

I La démonstration en est élémentaire.

83
Mais il est évidemment possible, en termes de valeurs de
marché et de désirs (de rentabilités ex ante), que les rentabilités
désirées des créanciers et des actionnaires - donc ce qui peut
être considéré comme les deux « coûts» des capitaux propres et
des dettes pour l'entrepreneur mythique indépendant des
actionnaires - tiennent compte différemment du risque amené
par la structure de financement. Le CMPC tenant compte de ces
deux rentabilités désirées peut sans aucun doute être variable
avec la structure de financement... Mais il n'en est pas de
même pour la rentabilité économique réelle qui est intrinsèque à
la production du profit. Dès lors, la rentabilité des actionnaires
considérée comme un coût du capital retrouvera sa réalité de ...
rentabilité effective. C'est elle qui jouera le rôle de variable
d'ajustement. Tout est là: on ne peut pas toujours prendre ses
désirs pour la réalité!

* Il existerait, selon l'analyse traditionnelle, une structure


optimale de financement
Une grande partie des gestionnaires considèrent que le coût
désiré du capital doit donc être séparé en deux, avec une
représentation graphique élémentaire; la variable en abscisse
étant le levier L = D / CPo Premièrement, le coût de
l'endettement lui-même formé de deux éléments: une partie
constante (le taux d'intérêt du marché, sans risque) ; une partie
croissante avec l'endettement quand ce dernier devient trop
importantl (les prêteurs prennent en compte le risque de non-
remboursement, de faillite, qui existe bel et bien).
Deuxièmement, le coût « désiré, ex ante» (que nous persistons
à noter rID) des capitaux propres également formé d'une partie
constante et d'une partie croissante avec l'endettement. Il existe
également un seuil d'endettement qui déclenche cette partie
croissante; avant ce seuil, rID est constante.
Selon ces hypothèses, apparaît une structure optimale de
financement qui n'a donc de sens qu'en désirs de rentabilités:
le CMPC désiré est d'abord décroissant puis croissant.
Pourquoi? Au départ, r et rID étant constants et r < rID, plus
de dettes à coût inférieur fait baisser le CMPC; il atteint un
minimum pour une certaine structure de financement; il croît
ensuite. Donc, selon cette analyse, la rentabilité économique
désirée ex ante reD n'a plus rien à voir - sauf hasard - avec la
rentabilité économique effectivement réalisée ex post et le
CMPC effectif. On confond souvent dans cette analyse les deux
rentabilités économiques où l'on ne mentionne pas la
contradiction. Le CMPC désiré est pris pour la réalité du CMPC
ex post: ce qui revient à dire que les performances intrinsèques
I
Il existe un seuil d'endettement qui déclenche cette partie croissante; avant
ce seuil, r est constant. Voir le graphique.
84
d'exploitation sont modifiées par la structure du financement,
ce qui peut apparaître bizarre sinon absurde! Cette conclusion
abracadabrantesque tient à la définition de rID qui est
incohérente avec l'identité comptable de l'effet de levier
donnant la rf réelle ex post.
Il est vrai que cette analyse suppose le plus souvent, sans s'y
attarder, qu'il s'agit bien de variables ex ante, désirées. Mais
combien de présentations se contentent de mentionner des coûts
du capital sans faire la distinction entre les désirs et la réalité.
On peut vérifier dans tous les manuels; cette distinction n'est
d'ailleurs pas très claire chez Modigliani et Miller eux-mêmes...
Le graphique ci-dessous indique, à partir d'une illustration
numérique, le point de vue de l'existence d'une structure
optimale de financementl.

Il existerait une structurc optimale de financcmcnt minimisant lc CMPC désiré

14"'"
rfDésiré constant puis croissant
-- -- -- -- -
12"';,
--
_- -- -:..puis croissant , .
u
10% -- -- -- -- -- -- ,
,
CMPC Désiré décroissant... ,
é R% ,
,
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" -. - - - -- - -
-1%
r constant puis croissant
~ ."
'"

0""
o L=D/CI' 2 3

* Le théorème de Modigliani-Miller: il n'existe pas de


structure optimale de financement.
Le CMPC est pour « MM » une constante, quelle que soit la
structure de financement, ce n'est que la rentabilité économique
reo Il n'existe donc pas selon eux de structure optimale de
financement. Avant « MM»: le «principe de l'entité»
démontrait déjà le théorème en tant qu'évidence.
Ce théorème est né officiellement aux Etats-Unis par un
article de Modigliani et Miller (1958). Cependant, ce point de
I La construction traditionnelle du graphique, reprise ici, est en fait bourrée
d'astuces ad hoc: rien n'est indiqué sur la concordance pour r et rID du levier
faisant croître les primes de risque après leur constance; rien n'est indiqué sur
les pentes tenant aux deux primes de risque de r et rID. La moindre analyse un
peu plus fouillée indique que l'existence même d'un CMPC désiré minimum
dépend de ces hypothèses.
85
vue fut en fait proposé en 1952 par David Durand: l'entreprise
est une entité dont les capitaux économiques sont les
producteurs du profit; peu importe la structure du financement
de ces profits. Mieux, en 1938 l'Américain John Burr Williams
avait énoncé un principe équivalent. Williams avait en fait tout
compris: la rentabilité est produite par les capitaux
économiques, elle est une production intrinsèque des capitaux
économiques réels et n'a rien à voir avec leur financement. Elle
se répartit entre les capitaux propres et les dettes. Toutes les
théories du risque comme fondement des profits des capitaux
financiers et de la théorie financière moderne auxquelles ont
participé Modigliani et Miller sont implicitement critiquées par
Williams qui n'envisage que les rentabilités ou coût des
capitaux effectifs.
Modigliani et Miller ne vont pas employer ce principe
d'entité pour démontrer leur théorème et la constance de reo
Cette démonstration va s'effectuer grâce à la technique de
l'arbitrage. L'arbitrage consiste à comparer sur deux marchés
le prix d'un actif; si cet actif est de même valeur, il doit avoir le
même prix (<<loi du prix unique »). Or, les imperfections des
marchés peuvent faire apparaître de légères différences; les
arbitragistes profitent de cette différence et, ce faisant,
rétablissent la tendance au prix unique. Les « arbs» dans
l'argot de Wall Street réalisent un repas gratuit, un «free
lunch ».
L'opération d'arbitrage utilise ce que « MM» nomment un
« levier fait maison - home made» : l'effet de levier est bien au
centre de leur théorème. Il va de fait faire de rID l'équivalent de
rf; tout est là, répétons-le. Cette démonstration par l'arbitrage
suppose des hypothèses très restrictives, entre autres, un marché
parfait des fonds prêtables (c'est-à-dire des capitaux, propres et
empruntés) mais aussi un non-risque de faillite (les dettes seront
toujours honorées, même en cas de difficultés de l'entreprise) :
seuls les capitaux propres sont risqués. Dans ces hypothèses on
obtient deux conséquences. Le taux d'intérêt r n'est pas
fonction du taux d'endettement: le marché étant parfait, le taux
d'intérêt est unique et ne comporte pas de prime de risque
propre à l'entreprise. r est de plus supposé toujours inférieur au
coût des capitaux propres rf, la différence mesurant la prime de
risque des actionnaires compte tenu de l'endettement; de plus,
la déductibilité fiscale des charges d'intérêt renforce cette
dernière hypothèse. Au contraire, et compte tenu justement de
cette prime de risque, le coût des capitaux propres rID est
supposé croissant avec le taux d'endettement qui augmente le
risque des actionnaires ou autres apporteurs de capitaux propres
risqués. Plus précisément, le théorème de « MM» suppose que

86
rf est une fonction affine, croissante de L: il s'agit en fait de la
formule de l'effet de levier!
Le graphique ci-dessous illustre ce point de vue. On
supposera que la constance de re est le résultat du principe
d'entité, ou celui de la démonstration par arbitrage, ou, ce qui
va être démontré plus loin mais est déjà dévoilé, une conclusion
simple déjà inscrite dans les hypothèses de « MM».

Se]onle théorème de lVlodigliani Miller, il n'existe pas


de structure optimale de financement
]4%
rf Désiré (et effectif...) croissant
-- -- -- -
-- -- --
i2%

u
10%
__-- -- -- --CMPC Désiré constant
;::. 8"N
"~
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'"
6%
- ----
.....
~ ~
<::> <::>

. . . . . . . . . ...........-...-.
4%
r constant
2"'0

0%
o L=O!CP 2 3

234 - De la schizophrénie du désir et de la réalité au


retour à l'entité
* « MM» sont-ils vraiment sortis de la schizophrénie?
Il faut donc, selon les « anti MM », minimiser le coût du
capital. Le théorème de « MM» aboutit à la conclusion qu'il
s'agissait en fait d'une fausse question, puisque le CMPC est
selon eux constant, quelle que soit la structure de financement
mesurée par le levier. Ils ne vont néanmoins pas jusqu'à se
demander pourquoi la question était absurde, du moins pour ce
qui concerne la rentabilité économique réelle qui est pour eux le
CMPC.
Une vive querelle suit la thèse de « MM» en 1958
considérée comme « révolutionnaire ». Sans le faire exprès, ils
étaient revenus à la conception classique du profit du capital -
ils disaient des capitaux. Ils se refusaient pourtant à franchir le
premier pas, celui des classiques, car leur raisonnement par
arbitrage « cachait» le principe d'entité de leurs prédécesseurs,
de l'unicité du capital. Des classiques à Marx, il n'y avait plus

87
qu'un pas; mais le premier pas non franchi, ils ne pouvaient
franchir le second.
Bref, rien n'indique qu'ils soient réellement sortis de la
schizophrénie.

* La question des marchés parfaits et de l'imposition


Le ciel redevint serein dans les années 70 avec une « théorie
de compromis» : « MM» ont raison dans leurs hypothèses de
marchés parfaits, mais tort si l'on tient compte des coûts
possibles de faillite ainsi que de la fiscalité des actionnaires et
créanciers. Cependant, Miller (1977) revint à la charge; les
études empiriques montraient que les coûts de faillite et la
fiscalité avaient peu d'importance dans le comportement
d'endettement des firmes; et si l'on tient compte de la fiscalité
des investisseurs, on retrouve une parfaite neutralité de la
structure optimale de financement.

* Sortir de la schizophrénie: désir et réalité, toujours, par la


répartition des profits
La question de la minimisation du coût du capital a-t-elle un
sens? Pour ce qui est du coût de la dette, cela ne fait aucun
doute pour l'entreprise; pour ce qui est de la valeur des actions,
c'est plus douteux, pour le moins. En effet, la valeur des actions
sera d'autant plus élevée que les bénéfices attendus par les
actionnaires seront substantiels; autrement dit, le «coût du
capital» des actionnaires sera simplement leur revenu. Une
autre schizophrénie de base de la finance et du concept de coût
du capital: il faut minimiser le coût des capitaux, mais l'un de
ces coûts est le revenu des propriétaires, à maximiser! Toute la
folie - qui dit schizophrénie dit folie - de la théorie financière
est là. Le seul moyen de sortir de la schizophrénie est
d'admettre banalement que le coût du capital n'est pas un coût,
un «moins» pour les actionnaires, mais un « plus»: un
revenu. La notion de coût du capital de « MM» n'est qu'un
nouvel avatar de celle du coût du capital limité au taux
d'intérêt des fondateurs néoclassiques.

* La réalité de la production des profits


Laissons la distribution des profits et la schizophrénie qui
vient d'être mise à jour et retournons à leur production. Le
théorème de « MM» revient à considérer implicitement que le
coût moyen pondéré du financement, le CMPC, n'est rien
d'autre qu'une rentabilité économique intrinsèque qui ne
dépend que des performances d'exploitation de l'entreprise, et
qui donc, logiquement, ne peut pas dépendre de la structure du
financement. Nous proposons de revenir tout simplement à la
logique de la formule initiale, traditionnelle, de l'effet de

88
levier; ce que font d'ailleurs tout simplement « MM» mais qui
est rarement rappelé. Il suffit pourtant de les lire.
On peut en effet traduire la relation rID = « aL + b»
implicite chez la plupart des commentateurs de «MM », en
rappelant que le coût des capitaux propres, censé prendre en
compte le risque associé à la croissance de L, bénéficie tout
simplement de la banale mécanique de l'effet de levier. En fait
« aL» n'est rien d'autre que l'effet de levier toujours positif
dans les hypothèses énoncées, et mesure donc moins un risque...
qu'une rentabilité différentielle multipliée par L. Et « b » n'est
rien d'autre, dans ces hypothèses, que la rentabilité économique
reo Autrement dit, le « théorème» de « MM» ne fait que
traduire la «tautologie arithmétique» de l'effet de levier en
inversant l'analyse: le coût global du financement n'est
constant, quel que soit L, et n'est égal à la rentabilité
économique, que si le coût des capitaux propres est de la forme
supposée pour démontrer le théorème.
Résumons notre interprétation « sociale» de cette question.
La volonté de faire dépendre la rémunération des actionnaires et
des prêteurs de variables différentes (par des « primes de
risque »), n'est qu'un développement, une fuite en avant de la
théorie de la rémunération du capital néoclassique, fondée sur
sa contribution productive. On n'a plus un facteur capital, mais
deux: on n'a plus un capitaliste, mais deux, qui sont en lutte en
avançant leurs risques respectifs. Toujours la lutte de classes,
pardon! Plutôt la saine concurrence sur des marchés risqués.
Les deux doivent être rémunérés grâce aux équations
traditionnelles de la théorie néoclassique, bref, leurs
contributions marginales compte tenu des différents risques.
Pourtant, l' « argent n'a pas d'odeur»: seul le capital
économique K peut, si l'on suit la théorie néoclassique,
« produire» le profit. Smith et Marx considéraient simplement
qu'il s'agissait d'un gâteau à se partager (une plus-value
implicite pour le premier, explicite avec chiffon rouge pour le
second) : pour faire plus soft, la rentabilité économique
intrinsèque se partage entre les actionnaires et les prêteurs.
Le débat sur la vérité ou la fausseté du théorème de
Modigliani-Miller est surréaliste si l'on ne pose pas le problème
en termes de risques dans la répartition mais de production du
profit. Il devient trivial si l'on pense que le risque est le cache-
sexe grossier qui tente d'occulter - avec un certain succès, pour
les aveugles qui refusent de voir: ce qui fait beaucoup de
monde... - l'origine du profit parfaitement expliqué en valeur
travail par Smith, Ricardo puis Marx. Il n'est pas question de
nier le risque] pour la répartition de la rentabilité économique

I Cela fait plus de 225 ans que Smith en parlait dans sa Richesse des Nations.

89
entre les deux ayants droit plus ou moins risqués. Ce que disent
simplement - et très indirectement: ils ne se posent pas la
question d'une critique «sociale» du concept de risque -
Modigliani et Miller, c'est que le profit global, la rentabilité
économique, se partage selon les risques mais qu'il ne peut être
question de définir le profit comme une moyenne pondérée de
rentabilités expliquées par les risques. Ce qui reste en
contradiction, qu'on le veuille ou non, avec le concept même de
CMPC créé par Modigliani, mais est une petite révolution dans
la théorie financière.

* Il existe bien une « structure optimale de financement », mais


pour les actionnaires, par l'effet de levier
On peut montrer qu'une généralisation est possible du
théorème de « MM» dans le cas où le taux d'intérêt est
croissant, avec le risque de faillite.
En effet, le théorème de Modigliani-Miller s'applique
également si l'on supprime cette hypothèse tant décriée. Si rest
croissant avec le taux d'endettement, c'est la rentabilité
financière rf qui atteint un maximum puis décroît, tombe sous re
puis r et peut même devenir négative, par l'effet de massue.
Mais le CMPC effectif, la re, reste évidemment constant( e).
«MM» ont toujours raison. : il n'existe évidemment toujours
pas de structure optimale de financement au sens du débat entre
« MM» et les (( anti MM». Il existe bien par contre une
structure optimale de financement..., mais pour l'actionnaire
qui n'a que faire de minimiser le coût du capital mais cherche à
maximiser sa rentabilité financière effective. Le graphique qui
suit permet de préciser ce phénomène.

La structure optimale de financement existe bicn,... mais pour la rcntabilité dcs


actionnaires. Le CMPC reste évidemment indifférent
à la structure de financcmcnt, mais pas rL..

14%

12% .

....-
....--- -- --- --
-- :-;-,---_.
___ - - - --
~
U 10"'" .....
CMPC Désiré constant ...........

----- - - -
"-
t; 8"" .
......
~

-- - - - -
6% r croissant

.:
4%
,..

0%
0 L~[)/CP 2 3

90
* Retour sur le choix des investissements: orthodoxe ou
hétérodoxe?
On a indiqué plus hautl que le choix de l'investissement
optimal, c'est-à-dire maximisant la rentabilité économique de
tous les capitaux engagés, n'a que faire du taux d'intérêt r (ou
de la reD2) en tant que coût, mais qu'il intervient néanmoins par
l'existence d'un marché des dettes et de leur rentabilité: un
placement alternatif des investisseurs est toujours possible si le
r du marché est supérieur à la reMMax obtenue, en tenant
évidemment compte des primes de risque.
Supposons que les actionnaires décident maintenant de
financer les nouveaux investissements I par dette. Leur choix
va-t-il être influencé par r s'ils veulent maximiser leur
rentabilité financière? Ils choisiront en fait I de façon
orthodoxe en égalisant sa productivité marginale anticipée en
taux remA au taux d'intérêt r. Et ils auront raison... En effet,
dans ce cas, plus r est petit, plus I est grand. Il existe toujours un
I optimal au sens de l'analyse hétérodoxe avec maximisation de
la rentabilité économique moyenne reM, mais cette solution ne
maximise plus la rentabilité financière moyenne rfM qui est
toujours croissante avec I, et donc r, par l'effet de levier.
Bien que I soit en abscisses du graphique ci-dessous en tant
que variable de base, la logique de l'analyses est plutôt la
suivante: r = remA 7 17 reM 7 rfM par l'effet de levier.

...
r = remA ... 4'

~.. décroissante ...


...
rfM
toujours
...
...
...
... ... croissante
.;:

~o
... $4'

"
..
'1:1 #4'
...
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... ... ,pt EL> n
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Effet de levier , = (reM - r)L ...
...
...
~O .. $'
Il
...
" ...
EL<{) '"
"
EL 001)

m .. .. '"
'" '"

Investissement désiré, croissant quand r = remA diminue

I Voir le paragraphe 211 ; on reprend ici les mêmes notations des différentes
variables, mais on fait intervenir des dettes.
2 Ici, nous ne prendrons en compte que r, comme dans l'analyse de la question
qui précède de la structure optimale de financement.
91
Le taux d'intérêt intervient donc directement dans le choix
des investissements si on le considère sous son aspect
rentabilité, par l'effet de levier de l'endettement! donc: même
si la reM n'est pas maximisée, un taux d'intérêt bas réjouit les
actionnaires, au détriment évidemment des prêteurs. Et avec un
dommage collatéral que nous nous plaisons à mettre en relief:
le gâteau de la rentabilité économique reM « à partager» est
évidemment plus petit que reMMax quand r est bas; mais
qu'importe pour les actionnaires puisqu'ils en retireront une
part bien plus importante! Les actionnaires n'ont cure de
maximiser la rentabilité économique de tous les capitaux et
n'envisagent que leur propre satisfaction; leur choix n'est pas
« socialement» optimal pour l'ensemble des capitaux mais l'est
pour eux: ils bénéficient dans ce cas de l'euthanasie des
rentiers. La situation est inverse en cas de taux d'intérêt élevés
ou rfM est très inférieure à r.
Ces deux situations se rencontrent dans l'histoire récente: la
première plutôt pendant les Trente g}orieuses ; la seconde plutôt
pendant les trente années de plomb, mais dans ce cas la sous-
optimalité ne concerne pas seulement les capitaux; on y
reviendra.

* Le retour de l'effet de levier par les « LBO»


Beaucoup d'analystes assimilaient la « perversion» de
l'utilisation de l'effet de levier à celle de l'économie
d'endettemenP (à risque inflationniste élevé) et la « vertu» du
recours aux capitaux propres avec celle de l'économie de
marché de capitaux. « MM» furent également accusés d'avoir,
avec leur théorème, poussé à l'endettement des sociétés. Le
paradoxe de l'économie de marché de capitaux serait pourtant,
pour maximiser les rentabilités financières, de faire tendre les
capitaux propres vers zéro et de revenir à l'endettement; bien
que ce soient les capitaux propres des actionnaires preneurs de
risque qui sont censés être la locomotive de ce type de
financement. Et pourquoi ne pas revenir à l'endettement
bancaire!
Ce fut fait! Le krach boursier de 2000-2003 aura permis de
booster le retour à l'effet de levier, et massivement, par la
technique du LBO, le Leveraged Buyingout sur lequel nous
reviendrons2.
I Un r élevé qui commence à décroître induit donc une reM croissante à taux
décroissant et une rfM qui lui est inférieure, par l'effet de levier négatif (effet
de massue). L'optimum économique maximisant reM correspond toujours à
remA = reM = reMMaxavec effet de levier nul. Pour r = remA < reMMax,rfM
continue à croître quand r décroît; il atteint un maximum (fini) pour r = O.
2 Voir la troisième partie.
3 On reviendra plus loin sur l'opposition entre ce type d'économie et
l'économie de marché de capitaux.
92
DEUXIEME PARTIE
CYCLES MONETAIRES ET/OU REELS,
BULLES BOURSIERES,
THEORIE DE LA
«DOUBLE SPECULATION»

Chapitre III
Ondes longues, tendances longues
et cycle des affaires:
causes monétaires et/ou réelles?

Si l'on ne précise pas, le «cycle économique» est le


Business cycle, le cycle économique court des affaires,
le Jug/art. Mais il existe des cycles plus courts et plus longs.
Les cycles courts dits Kitchin pourraient être dus aux stockages
et déstockages de produits. Le cycle long le plus pertinent est le
Kondratieff. S'agit-il de «crises organiques» (comme les
définit Jean Lescure), c'est-à-dire structurelles, inhérentes au
capitalisme ou de crises conjoncturelles, fussent-elles
longues? Il est également facile d'opposer, comme pour les
causes de l'inflation, les théories monétaires aux théories non
monétaires; en fait l'analyse doit être plus subtile, la monnaie
et le crédit ayant des effets réels transitoires2.

1 De Clément Juglar (1862). Les appellations actuelles ont été définies par
Schumpeter en 1939; voir plus loin.
2 Nous n'aborderons pas ici la théorie des ultralibéraux Nouveaux classiques
du RBC « Real Business Cycle », cycle dû à des chocs exogènes normaux
93
Les théories purement non monétaires mettent en avant le
capital et ses fluctuations par l'investissement; elles sont bien
connues, en particulier celle de John Maurice Clark de
l'accélérateur développant les thèses d'Albert Aftalion qui
voyait dans le délai de production des biens capitaux la cause de
la surproduction. Elle a donné lieu, avec la théorie de
l'oscillateur de Samuelson et Hicks, articulant accélérateur et
multiplicateur keynésien, à une formalisation des cycles
économiques. Mais le profit est le grand absent de toutes ces
analyses traditionnelles.
On abordera donc les ondes et tendances longues ainsi que
les cycles courts. Dans les deux cas, on commencera par les
explications monétaires qui mettent en avant le taux d'intérêt,
pour présenter ensuite les théories réelles qui privilégient le
taux de profit mais également la demande. On reste donc dans
ce chapitre, « englué» dans la dichotomie car nous décrivons
ici les deux principales approches des tendances longues et des
cycles I. On n'exposera évidemment pas ici toutes les théories
traditionnelles des crises, ni leur description (une encyclopédie
en multiples volumes n'y suffirait pas), mais seulement
l'importance de leur double éclairage selon les théories qui
viennent d'être exposées des liaisons entre taux de profit et taux
d'intérêt.
Ce chapitre est développé en trois étapes.
On présentera donc d'abord les tendances longues, à deux
niveaux. Le premier est celui des « Long waves» de Kondratiff
où il est possible de voir intervenir la monnaie tandis que
l'interprétation orthodoxe (celle de Schumpeter) renvoie aux
effets réels des « grappes d'innovations ». Le second est celui
des trends non cycliques: « baisses tendancielles » du taux de
profit et du taux d'intérêt, des classiques à Marx et Keynes.
On se penchera ensuite sur l'intervention de la monnaie et
les fluctuations des taux d'intérêt qu'elle induit: les différentes
théories monétaires du cycle court ou « Credit Cycle », où les
phénomènes réels interviennent cependant. Dans ce cas, la
théorie quantitative de la monnaie est apparemment mise à mal.

dans une économie de marché qui retrouvera spontanément son équilibre... à


condition que l'Etat n'intervienne jamais.
I Ce plan s'explique en outre par le point de vue de Keynes qui a autocritiqué
son Treatise on money de 1930 dans sa Théorie générale de 1936. Il avait en
effet flirté dans son Treatise avec la théorie monétaire du cycle de Wicksell où
l'évolution du taux d'intérêt est centrale. En 1936, reprenant en outre les
vieilles théorie de la sous-consommation, c'est l'insuffisance de
l'investissement qui devient le principal facteur de la crise et ses fluctuations
l'explication des cycles courts. Or, l'investissement est certes choisi en
comparant le taux d'intérêt et j'efficacité marginale anticipée du capital, son
EMAC, en fait le taux de rentabilité marginale, mais c'est la seconde qui
devient le principal facteur explicatif
94
En effet, semble être mise en défaut la neutralité de la monnaie:
elle ne peut influencer la sphère réelle, l'augmentation
excessive de sa masse n'induisant directement que l'inflation.
Serait aussi mise en défaut la dichotomie qui en découle entre
sphère monétaire et sphère réelle. Toutefois, après ces effets
réels, ces «périodes de transition », la théorie quantitative
reprend tous ses droits: une masse monétaire trop importante
n'induit bien à terme que de l'inflation, et des déséquilibres
néfastes, bref des crises.
Enfin, en troisième lieu, on mettra l'accent sur les causes
réelles: soit des fluctuations des taux de profit (Marx) ; soit de
la demande, par la sous-consommation ou l'insuffisance de
l'investissement (Keynes, avec de nombreux précurseurs, dont
certains classiques et singulièrement Malthus).
Dans toutes ces théories traditionnelles, les marchés
financiers ne jouent qu'un rôle de figurant: ils seront abordés
aux deux chapitres suivants.

95
31 « Ondes longues» et « baisses
tendancielles» du taux de profit et du taux
d'intérêt

311 - Kondratieff et les «Long waves»: explication


monétaire ou explication par les innovations?

* Les « cycles longs Kondratieff» et I'hypothèse de l'influence


positive de la masse monétaire sur l'activité
Kondratieff propose son analyse\ publiée à Moscou, en
1925 dans Les grands cycles de la conjoncture selon la
traduction française. Il existerait une corrélation entre les
phases longues d'expansion économique et la hausse des prix-
rajoutons: liée à la croissance de la masse monétaire, soit par
afflux d'or, soit par création monétaire ex-nihilo par le crédit
bancaire. Inversement, il pense détecter une corrélation entre les
phases longues de dépression et la baisse des prix - rajoutons:
due à la baisse de production d'or où à une politique monétaire
plus restrictive. Celiains suggèrent en effet l'hypothèse selon
laquelle les phases de ces cycles longs sont la conséquence de la
forte ou de la faible croissance de la ~roduction de métaux
précieux, du moins jusqu'au début du XX siècle.
Selon Bernard Rosier2 (1998, 2000), l'existence des
mouvements longs aurait été déjà perçue, avant Kondratieff, par
le marxiste russe Parvus et le Français Jean Lescure (1906,
1938) avant la Grande guerre. Au moment où les travaux de
Kondratieff commencent à être connus, le Français François
Simiand (1932), développe une thèse analogue où le niveau des
prix est sans aucun doute l'origine des tendance longues. Rosier
évoque également Gaston Imbe'1 (] 959) qui propose des
mouvements beaucoup plus longs. A ces tendances de très
longue période peuvent être plus ou moins rattachés des cycles
d' « économies mondes» centrés sur une puissance
hégémonique. C'est la thèse de l'Américain I. Wallerstein

I Statistiquement, il emploie des moyennes mobiles concernant le niveau de la


production, des prix et du taux d'intérêt. Certains remettent en cause
l'existence même de ces corrélations statistiques: par exemple, Samuelson
¥ualifia en 1982 les travaux de l'économiste russe de « science fiction ».
] Nous nous y réfèrerons souvent.
Au trend séculaire médiéval, du milieu du XIIIe siècle au début du XVIe
siècle, (avec une phase de prospérité puis de récession), succèdent le trend
mercantiliste (avec les mêmes phases: prospérité au XVIe siècle puis crise au
XVII" et au début du XVIIIe, jusque vers les années 1740), le trend capitaliste
jusqu'à la fin du XIXe siècle, enfin le trend dit « pianiste ii.
96
(1974 et 1979) illustrée en France par les travaux de F. Braudel
(1979(
Nous insisterons donc sur l'existence d'une éventuelle
théorie des cycles longs liés à la quantité de monnaie: c'est une
interprétation des cycles Kondratieff. Le Suédois Gustav Cassel
insistait également (en 1918) sur la liaison entre la
production d'or et les phases d'expansion; ce que ne ferait
pas Kondratieff d'après Rosier. Il n'empêche que la liaison
entre les phases d'expansion et la hausse générale des prix
liée à la forte croissance de la masse monétaire est bien
centrale chez Kondratieff.
Cette théorie est largement refusée par l'orthodoxie: elle
signifierait que la monnaie n'est pas neutre. Car la croissance de
sa masse induit un niveau d'activité élevé (phase longue
d'expansion, ou « phase A»), certes lié à une tendance
inflationniste; sa raréfaction induit un niveau d'activité
stagnant (phase longue de dépression, ou « phase B »), lié à une
tendance déflationniste, ou du moins à une relative stabilité des
prix. Sauf quelques rares exceptions dont Simiand et Rist, le
refus de l'effet positif de l'expansion de la masse monétaire et
des prix fut catégorique, en particulier par le vulgarisateur de
Kondratieff: Schumpeter. Commençons par un argument de la
défense: ceux qui ne voulurent pas reconnaître le rôle, positif
sur l'activité, des afflux d'or de l'Eldorado de 1850 «... sont des
attardés, écrit Rise (1938, 1951, 2002). Les effets dus à l'afflux
de l'or nouveau découvert en 1850 sont trop éclatants, la
prospérité qui en résulte trop universelle pour qu'en dehors des
esprits prévenus par une doctrine a priori [il s'agit évidemment
de celle de Ricardo] personne puisse hésiter un seul instant ».
Cette théorie s'oppose également à celle de Smith3 car les
phases A devraient renvoyer à des taux d'intérêt longs élevés et
les phases B à des taux faibles. C'est en fait l'influence de la
quantité de monnaie qui est alors dominante: soit par l'or dans
la phase de l'étalon or, soit par la création monétaire par le
crédit bancaire et les politiques monétaires avant et depuis sa
disparition. Autrement dit, la théorie de Smith ne tient pas
compte des « frottements sociaux» de la monnaie fondée sur

I Le pôle vénitien jusqu'au milieu du XVII" siècle, puis des Pays-Bas jusqu'au
début du XVIIIe siècle, de la Grande-Bretagne jusqu'à la fin de la Seconde
guerre mondiale - en fait plutôt la Première... - remplacée par les Etats-Unis.
On parlait il n'y a pas si longtemps de la zone Asie Pacifique remplaçant les
Etats-Unis, avec comme pôle le Japon, ses Dragons et ses Tigres. Ce
changement d'hégémonie ne semble plus être à l'ordre du jour, mais ce sont la
Chine et l'Inde qui « s'éveillent ».
2 Rist est un « métalliste » mais cependant farouchement opposé à la théorie
guantitative de la monnaie de Ricardo.
3 Et à notre théorie de la « double spéculation» ; voir plus loin.

97
l'étalon or ou« créée» par le crédit bancaire; et ces frottements
sont séculaires 1.
La théorie de Smith est également mise en défaut par la
constatation d'Alfred Marshall pendant la période de la Grande
dépression (<<Great depression») du dernier quart du XIXe
siècle (<<phase B » du deuxième Kondratieff). Il remarquait que
sur toute cette période les prix baissaient, suivant la quantité de
monnaie disponible relativement au PIB. Pourtant le taux
d'intérêt ne baissait pas alors que les profits étaient malingres,
suivant l'atonie de l'activité. C'était la situation exactement
contraire à celle du début du XIXe siècle (phase A d'expansion
longue du premier Kondratieff) jusqu'à la fin des guerres
napoléoniennes, où le taux d'intérêt nominal était resté assez
bas, le taux réel très faible avec une inflation importante mais
un niveau d'activité et de profit élevé. La forte création
monétaire pour financer la guerre en était l'explication sinon la
cause (théorie quantitative selon Ricardo et la Currency
school). Ou l'effet: hausse des prix par la demande dopée par
la guerre selon la critique de Tooke et de la Banking schaaP.
Au contraire, après 1870, le monométallisme imposé par
l'Angleterre induisant pour les partisans du bimétallisme la
«faim d'or », une politique monétaire de raréfaction de la
monnaie entraînait une hausse des taux... et la phase longue de
dépression. La théorie du taux d'intérêt de Smith était donc
mise à mal, le phénomène correspondant plutôt à celui mis en
lumière par Marx pour, justement, critiquer Smith, mais ici sur
une période longue. Bref, la politique monétaire, expansionniste
pendant les guerres du début du XIXe siècle, récessionniste par
le monométallisme et l'étalon or pendant la Grande dépression
vécue par Marshall, ne pouvait qu'inverser la relation de Smith.
Marshall proposa alors une politique monétaire volontariste de
baisse du taux d'intérêe.
La découverte de Kondratieff donna aussi lieu à un débat
dans le marxisme, notamment avec Trotski, car elle s'opposait
de fait à la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit.
Trotski fut le premier à s'opposer à la notion de cycle et

I On y reviendra au chapitre suivant pour les trente dernières années.


2 Voir par exemple Castex (2003 et 2007).
3
On continue pourtant à enseigner aux étudiants que Keynes est l'inventeur
de la politique monétaire de baisse du taux d'intérêt. On continue également à
leur enseigner qu'il est l'inventeur des politiques budgétaires et de grands
travaux. Or le plan Freycinet en France (et ses équivalents ailleurs, en
Angleterre et en Allemagne), sous l'influence de l'économiste
interventionniste Lescure, finança des chemins de fer, des ports et surtout des
canaux grâce à des emprunts publics, entre 1878 et 1882. Lescure expliquait la
surproduction possible par la généralisation de la surproduction dans le
domaine des biens d'équipement; cette thèse sera à l'origine des travaux
d'Aftalion.
98
préférait le terme d'ondes, repris par Schumpeter. Comme
l'économiste trotskiste Ernest MandelI plus récemment et ses
« systèmes de machines ».

* Les différents cycles Kondratieff sur les XIXe et XXe siècles2


Kondratieff (1925, 1992) perçoit un premier cycle d'un peu
plus d'une cinquantaine d'années, de la fin du XVIIIe siècle
jusqu'au milieu du siècle suivant découpée en deux phases: une
phase d'expansion jusque vers 1815-1820 (avec inflation par la
création monétaire des guerres et/ou inflation par la demande) ;
une phase de dépression qui se termine par la crise cyclique de
1847-1848 (phase où l'Angleterre restreint sa politique
d'émission monétaire). Il perçoit un second cycle, d'un peu
moins d'une cinquantaine d'années, du milieu du XIXe siècle à
sa fin, découpée également en deux phases: une phase
d'expansion jusque vers 1870-1873 (conséquence de
l'Eldorado); une phase de dépression3 (passage au
monométallisme, critiqué par les bimétallistes, qui restreint la
masse monétaire). Il perçoit la première phase d'expansion
(découverte de l'or de l'Afrique du Sud et inflation) du
troisième cycle long (le premier du XXe siècle) qui culmine
avec la Grande Guerre et le début de sa seconde phase de
dépression, soit en 1920, soit en 19304.
Kondratieff aurait en effet pu analyser, s'il n'était pas mort
avant5, le second cycle du XXe siècle, avec l'expansion des
Trente glorieuses jusqu'au milieu des années 70 correspondant
à une inflation rampante puis accélérée (avec une politique
monétaire dite « laxiste» par les néolibéraux et une inflation
par la demande), puis les années de plomb de la fin du siècle
(avec une politique monétaire « de rigueur », insufflée par ces
néolibéraux).

* L'interprétation non monétaire des cycles en général, et du


cycle Kondratieff en particulier, par Schumpeter
C'est donc Schumpeter (1939) qui a vulgarisé l'analyse de
Kondratieff. Pour la première fois, tous les cycles de la très

1
Dans: Long Waves in CapitalistDevelopment: The Marxist Interprétation
de 1980 (cité par Rosier, op. cit.).
2 Cette chronologie varie avec les pays et les critères mis en avant pour
l'établir. Voir Castex (2006) pour le cas français.
3
C'est donc la Grande dépression qu'il ne faut pas confondre avec la crise
des années 1930 où l'expression est reprise.
4
Pour l'économie européenne, singulièrement l'Empire britannique, la
rupture est celle de 1920 ; le boom 1920-1929 est surtout celui des Etats-Unis.
5 Kondratieffn'ajamais théorisé la nécessité pour le capitalisme de renaître de
ses cendres, mais seulement sa possibilité. e'en fut trop pour le stalinisme;
accusé d'être un dirigeant d'un « parti contre révolutionnaire paysan» ; il fut
condamné en 1930 et mourut au Goulag en 1938.
99
courte à la longue durée sont articulés. Schumpeter expliquera
ces cycles par les innovations en « grappes» : des causes réelles
et surtout pas monétaires.

312 - La «crise» tendancielle du capitalisme ou sa


maturité, par la baisse du taux de profit et du taux d'intérêt

Les cycles Kondratieffremettent en cause de façon brutale la


théorie smithienne de la liaison entre taux d'intérêt et taux de
profit: la monnaie (afflux ou « faim d'or ») et donc la politique
monétaire (expansive ou restrictive) semblent centrales et
causes des fluctuations longues. Ce qui suit est aussi en parfaite
contradiction avec l'existence des cycles Kondratieff: il s'agit
de tendances longues non cycliques. Mais ces théories des
tendances à long terme du capitalisme ignorent, tant chez Marx
(pourtant hésitant envers la liaison à la Smith, ayant compris le
rôle du crédit bancaire pour perturber cette liaison) que chez
Keynes (ce qui est paradoxal car sa théorie du taux d'intérêt est
essentiellement monétaire), l'intervention de la monnaie et des
politiques monétaires qui perturbent évidemment les tendances
longues à la baisse des taux de profit et d'intérêt.

* «État stationnaire» des classiques et «euthanasie» des


rentiers fonciers
La théorie de la rente foncière des économistes classiques est
en fait une deuxième théorie d'euthanasie des rentiers, après
celle de la prohibition du prêt à intérêt, et avant la troisième de
Keynes. De fait, la théorie classique n'est qu'une machine de
guerre contre les propriétaires fonciers.
La population étant croissante en tendance selon une
progression géométrique (<<loi de la population» de Malthus)
alors que la production agricole ne croît que selon une
progression arithmétique, les rendements agricoles étant de plus
supposés décroissants, enfin le salaire étant un salaire minimum
de subsistance, le développement économique va faire exploser
la rente foncière: le prix du blé augmentant. En valeur travail,
la part des salaires et de la rente foncière augmente toujours
plus, au détriment du profit capitaliste, donc du taux de profit.
C'est le « profit squeeze» : le profit - dont le taux moyen est
assuré par la concurrence, y compris dans l'agriculture - est
écr3;sé, « squeezé» entre les salaires et la rente.
A long terme, c'est l'état stationnaire des classiques qui ne
peut cependant pas être considéré comme une théorie des cycles
longs ni des crises. En effet, la « croissance zéro» n'est pas une
crise selon les classiques, dits néanmoins « pessimistes» pour
ce qui est du long terme (Ricardo et Malthus) : elle pourrait être

100
combattue par le progrès technique; et même sans ce progrès
technique, le capitalisme de l'état stationnaire serait simplement
un capitalisme arrivé à maturité. Le propriétaire foncier est bien
l'ennemi à abattre: on propose - mais sans grande conviction:
toucher à la propriété privée peut donner des idées
d'élargissement de la mesure! - la nationalisation des sols et la
redistribution de la rente par l'Etat. La liberté du commerce et
l'autorisation des importations agricoles seront en fait une
méthode plus douce d'euthanasie!.
Si l'on suit la théorie du taux d'intérêt de Smith, chez lequel
cependant cette théorie de l'état stationnaire n'est pas présente,
on devrait également percevoir une baisse tendancielle du taux
d'intérêt.

* La baisse tendancielle du taux de profit de Marx, induisant,


mais avec combien d'hésitations, celle du taux d'intérêt
Marx arrive aux mêmes conclusions que les classiques, mais
justement par la prise en compte du progrès technique. Il ne
s'agit pas d'un cycle long mais d'une crise inéluctable qui est à
la base de l'écroulement du système. Cette « loi» marxiste bien
connue ne peut être éludée pour préciser et critiquer la véritable
théorie des crises réelles de Marx: la théorie de la
suraccumulation analysée plus loin.
Notons e le taux d'exploitation ou taux de plus-value, c'est-
à-dire le rapport entre la plus-value PL et le capital variable V
correspondant aux avances en salaires: e = PL I V. Notons n
la composition organique du capital, le rapport entre le capital
constant2 C (avances en capital fixe et en stocks de matières
premières, le capital circulant hors salaires) et le capital variable
V: n = C I V. n mesure en valeur travail l' «intensité
capitalistique », le rapport «capital I travail» au sens
traditionnel. Notons enfin re, le taux de profit ou la rentabilité
économique, le rapport entre PL et le capital total avancé3
C + V: e = PL I (C + V). En divisant numérateur et
dénominateur par V, on obtient l'analyse traditionnelle donnant
re en fonction de e et n :

I L'abolition des « Corn Laws Il en 1846, c'est-à-dire la fin du


protectionnisme agricole, suit de peu le (( Bank Charter Act Il de 1844 qui
scelle la victoire de la Currency shoal (ne pas émettre plus de monnaie
fiduciaire que la monnaie en or) : les libéraux ont pris le pouvoir.
2 Capital constant C signifie que ce dernier (( ne fait pas de petits Il, qu'il
n'est pas productif de profit; capital variable V signifie que c'est la force de
travail payée par V qui fait des petits: la plus-value donnant le profit.
3
C'est en fait plus compliqué, et Marx le mentionne: les rotations différentes
des capitaux, fixes et circulants, font de la « formule» habituelle de Marx du
taux de profit une relation où tous les capitaux « tournent» en une année;
voir Castex (2003).
101
PL/V e
re =
l+C/V 1+0
Si l'on suppose que le taux d'exploitation est constant sur
longue période et que le progrès technique fait augmenter la
composition organique du capital 0, il semble alors évident que
re tend à diminuer à long terme. Marx voit immédiatement les
objections qu'il nomme des contre tendances: en particulier e
peut croître en longue période!. En fait la principale objection à
la baisse tendancielle du taux de profit, évoquée par Marx, est
qu'il n'est pas évident que technique capital/
si le rapport
travail s'accroît bien avec le progrès technique, sa traduction en
valeur C / V = 0 suive le même mouvement: le prix relatif en
valeur travail de C tend à diminuer par rapport au coût de la
force de travail V. C'est d'ailleurs l'une des raisons de la
substitution du travail vivant par le capital constant. Et il n'est
plus du tout sûr que la « loi» soit vérifiée à long terme ni donc
qu'elle soit théoriquement fondée.
On verra plus loin que Marx est très critique envers la
théorie du taux de profit de Smith dans la conjoncture du cycle
des affaires, il semble néanmoins admettre une baisse
tendancielle du taux d'intérêt à long terme.

* La baisse tendancielle du taux d'intérêt selon Keynes et


l' « euthanasie des rentiers»
On trouve donc chez le Keynes de la Théorie générale, la
théorie du profit-rente. Avec les mêmes conséquences que chez
les saint-simoniens, Proudhon et fabiens: « Nous sommes
convaincus que la demande de capital est strictement limitée,
en ce sens qu'il ne serait pas difficile d'accroître l'équipement
jusqu'à ce que son efficacité marginale tombe à un chiffre très
faible ». Il nous explique que l'efficacité marginale du capital,
donc le taux d'intérêt (retrouvant ici son fondement
néoclassique...) va naturellement baisser et tendre vers zéro. Le
processus que pense percevoir Keynes renvoie de manière
contradictoire à celui de la rente foncière de Ricardo et Malthus
qui devait cependant augmenter par la loi des rendements
décroissants2: rien d'étonnant puisqu'il utilise en fait le point
I
Il semble en fait être curieusement constant en tendance; on y reviendra.
2 Il utilise encore le raisonnement marginaliste néoclassique en projetant au
long terme par erreur la théorie de la décroissance de la productivité
marginale du capital pour une échelle de production donnée, donc à court
terme. Il confond ainsi les rendements d'échelle et les rendements à l'échelle:
si les rendements marginaux à l'échelle peuvent en effet être le plus souvent
décroissants (hypothèse ad hoc des néoclassiques), les rendements d'échelle à
long terme sont croissants: il s'agit des économies d'échelle.
102
de vue des fabiens où le capital est assimilé à la terre et le profit
du capital réduit à l'intérêt à une rente. Sauf que chez Keynes,
cette rente est bien décroissante, en éludant d'ailleurs la
question du taux de profit qu'il n'envisage pas, restant à cet
égard néoclassique. On aura remarqué que dans cette analyse de
long terme, Keynes abandonne de fait sa théorie monétaire du
taux d'intérêt qui redeviendrait donc fondamentalement une
variable réelle renvoyant à la théorie néoclassique : il y a bien
deux théories du taux d'intérêt chez Keynes.
Keynes semble donc plagier Marx, seulement dans la forme,
en établissant à nouveau ce que l'on peut nommer une « baisse
tendancielle du taux d'intérêt ». En effet, la hausse de la
composition organique du capital correspond bien à la baisse de
la productivité moyenne du capital. L'inverse d'O, V I C peut
se transformer, en considérant w la part des salaires V dans le
revenu national mesuré en valeur travail E, en (l - w) E I C.
E I C est la productivité « apparente» (ici moyenne) du capital
constant (ce qu'une unité de valeur travail de V «produit»
comme valeur travail): quand cette dernière baisse, [2
s' accroît2. L'analyse de Keynes renvoie donc bien
techniquement à celle de Marx, mais, encore une fois, en isolant
du taux de profit le seul taux d'intérêt.
Bien entendu, les conclusions sociales et politiques de
Keynes sont parfaitement contraires à celles de Marx. Le
capitalisme va-t-il ainsi disparaître, va-t-il sombrer, emporté par
la Révolution prolétarienne? Non, au contraire, il s'agit d'une
transition vers un meilleur capitalisme: « La généralisation de
la rente nous paraît constituer une phase de transition du
capitalisme; elle prendra fin lorsqu'elle aura rempli son
objet ». Et sans révolution: « Le grand avantage de l'évolution
que nous préconisons, c'est que l'euthanasie du rentier et du
capitalisme oisif n'aura rien de soudain, qu'elle n'exigera
aucun bouleversement, étant simplement la continuation par
étape, mais longuement poursuivie, de ce que nous avons connu
récemment en Grande Bretagne ».
Bref, Keynes retrouve les analyses techniques et les
conceptions politiques des saint-simoniens et de Proudhon que
Marx n'aimait guère, par l'intermédiaire de la Fabien Society.

1 En utilisant les notations de notre modèle IS ER (voir plus haut).


2 Selon certaines statistiques sur le très long terme en France, la productivité
du capital (rapport entre le PIB et le stock de capital productif, ici le seul
capital fixe) serait fortement décroissante. Voir Castex (2006) et plus loin.
103
32 Théories du cycle monétaire: la
prépondérance du taux d'intérêt

321 - La variété des théories monétaires du cycle des


affaires
Ces théories du « Credit Cycle» sont nombreuses et
variées; seules les plus importantes (celles de Wicksell, Fisher
et Hayek) seront plus spécifiquement analysées ici. Il faut
néanmoins mentionner quelques approches intéressantes.
Ces théories sont nées (quelques intuitions précédentes
mises à part, dont celle de Marx) avec Wicksell (qui refusait
pourtant que sa théorie fût considérée comme une théorie du
cycle), reprises par Hawtrey (1919, 1935), Alfred Marshall
(1923) et Robertson (1926)... et le Keynes du Treatise on
money en 1930. Ce raisonnement est épousé surtout par Hayek
à la fin des années 20 et développées contre Keynes, qui avait
changé, au début des années 30. Irving Fisher lui-même n'est
plus en 1933 le même qu'en 1911 où déjà sa théorie
quantitative de son Purchasing power ofmoney n'était pas aussi
mécanique que les présentations simplifiées laissent à penser: il
admettait des «périodes de transition» où la croissance de la
masse monétaire par le crédit présentait des effets réels;
évidemment, après cette transition, la théorie quantitative
reprenait tous ses droits 1.
En outre, dans La théorie de l'évolution économique de
Schumpeter (1912,1935), très antérieure à l'analyse des
Business cycles de 1939, apparaît une théorie des cycles des
affaires. C'est une théorie « dualiste », monétaire et réelle,
comme toutes les théories monétaires du cycle en fait: la
monnaie est liée à la dynamique, par le taux de profit et
l'intérêt. Le rôle du crédit est central pour le financement même
de l'innovation, donc des investissements en capital fixe, pas
seulement pour celui du capital circulant courant. Le crédit
apparaît pour financer les innovations, c'est «le complément
monétaire de l'innovation ... le crédit crée bien du pouvoir
d'achat». Mais un danger apparaît immédiatement, si le
« crédit normal» finançant le «flux circulaire» (c'est-à-dire le
capital circulant) permettant un développement économique
équilibré ne peut être inflationniste, le «crédit anormal» en
I On trouvera beaucoup plus tard une analyse aboutissant aux mêmes
conclusions que Fisher, mais par une démarche différente (celle de
l' « illusion monétaire des salariés»), chez le monétariste Milton Friedman:
la monnaie n'est que « neutre », car elle agit transitoirement sur la sphère
réelle, et non pas « super neutre» comme elle le deviendra avec la Nouvelle
école classique.
104
excès risque de distribuer un pouvoir d'achat fictif sans
forcément des biens réels en face si la production ne suit pas
immédiatement la demande. Et l'on retrouve rapidement la
théorie quantitative, avec une {(épar~ne forcée» dont il attribue
la paternité à l'Autrichien von Mises, sans les complications de
Hayek, analysé plus loin. C'est ce que Schumpeter nomme
l' « inflation de crédit ».
Enfin, Hawtrey développe en 1919 une théorie où il
introduit la liaison entre demande de monnaie (thésaurisation)
et taux d'intérêt, anticipant la relation entre demande de
monnaie et taux d'intérêt reprise par Keynes. Son principal
apport nous semble être la liaison qu'il effectue entre le niveau
des stocks et la thésaurisation qu'il nomme, toujours pour éviter
le gros mot de thésaurisation, la {(marge disponible ». Pour
employer notre vocabulaire: à la thésaurisation d'un flux
monétaire de revenu correspondent les variations de stock (pour
Hawtrey en général non désiréesf

322 - Une interprétation des mystères de Knut Wicksell

Wicksell (fin du XIXe et début du XXe siècle) est considéré


comme un néoclassique ; mais il est dissident et ainsi fondateur
de ce qui deviendra l'école suédoise très proche des paradigmes
keynésiens. C'est le précurseur du Keynes du Treatise.
Il prétend réinterpréter les causes de l'inflation par une
démarche non quantitativiste mécaniste; autrement dit par autre
chose que la mécanique purement monétaire de Ricardo, reprise
par les néoclassiques, qui sera formalisée par Fisher selon
laquelle, à certaines conditions, la masse monétaire augmente
-7 mécaniquement le niveau général des prix augmente:
Wicksell met en lumière un processus réel complexe. La
différence que fait Wicksell (1898 et 1901-1906, 1935) entre le
taux naturel et le taux monétaire de l'intérêt, ressemble fort à
celle de Smith et de Marx entre taux de profit ou de rentabilité
économique (toujours re selon nos notations) et le taux d'intérêt
r. Le taux naturel renvoie à la rémunération du capital au sens

1 Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel (Théorie de la monnaie et du


crédit), de 1912. C'est une sorte de « mélange» de Bôhm-Bawerk et de
Wicksell ; Hayek développera ce point de vue.
2
C'est pour cette raison que Hawtrey gênera tant Keynes dans sa Théorie
générale où ce dernier refusera de comprendre ce que signifie la variation de
ce « capital liquide » (les variations des stocks). Pour cette raison, Keynes a
en fait mal compris l'égalité de l'épargne S et de l'investissement I : I est
toujours identique à S, car incluant les variations non désirées des stocks
invendus en cas de surproduction; mais l'investissement désiré Id est alors
inférieur à S. C'est le principe même de la demande effective; voir Castex
(2003 ).
105
néoclassique en absence de monnaie et de crédit, c'est-à-dire
sur un marché des fonds prêtables. Le taux d'intérêt monétaire
apparaît avec le crédit bancaire ou plus généralement quand le
marché des fonds prêtables fait intervenir la monnaie.
Il se refuse donc lui-même à appliquer ses analyses du
déséquilibre aux cycles économiques, courts ou long, mais il est
d'usage de l'y appliquer. La théorie, implicite donc, du cycle de
Wicksell consiste à penser que le cycle économique est dû à des
décalages entre les deux taux!. Idée géniale2, sauf que le « bon
équilibre» est évidemment, comme chez les néoclassiques,
re = r. Les déséquilibres vont profondément perturber
l'économie, en induisant en particulier de l'inflation en période
de boom, puis la crise, la récession avec déflation, la reprise,
etc.
Les causes de la crise seraient donc pour Wicksell
essentiellement monétaires: le laxisme du crédit bancaire. En
phase d'expansion, re > r : les entrepreneurs sont incités à
investir, utilisant en particulier l'aubaine de l'effet de levier de
l'endettement (mécanique non explicitée à l'époque); ce qui
peut conduire à un surinvestissement et un manque d'épargne, r
étant trop faible, compensée par les crédits bancaires. Les prix
montent car on suppose le plein-emploi et un retard de l'offre
par rapport à la demande3. Le processus ne peut s'arrêter que
lorsque apparaît le risque de liquidité ou même d'insolvabilité
des banques par la hausse de r.
On peut penser qu'à la fin de la période d'expansion, r
rejoint re qui s'essouffle et casse ainsi la phase haussière du
cycle. Il y aurait donc un effet de ciseaux entre re et r
schématisé par le graphique qui suit.
La crise se déclenche, et les faillites suivent. D'où les
demandes de crédit non plus pour assurer l'expansion, mais
pour remb0!lrser les dettes, et le taux d'intérêt augmente encore.
Et krach! A l'inverse, à la fin de la dépression, r devenu très
bas, par manque de combattants (c'est-à-dire de demande de
crédits aux banques), permet le redémarrage au moindre
frémissement de la rentabilité économique.
La monnaie devient donc active, mais nocive. Pour éviter la
crise, il faut éviter son point de départ: des taux d'intérêt
bancaire trop bas, donc le laxisme monétaire en période
d'expansion.
I
Le responsable du décalage devant être trouvé essentiellement dans le taux
d'intérêt monétaire et non dans le taux naturel, bien que la thèse inverse
puisse également être mise en avant: ce sera celle de Keynes dans la Théorie
générale, le taux naturel devenant l'EMAC, bref la rentabilité marginale de
l'investissement.
2 Idée déjà entrevue par Marx pour critiquer Smith.
3 L'explication de l'inflation par Hayek, avec les mêmes hypothèses, sera plus
précise.
106
Une interprétation du cycle selon Wicksell : l'effet ciseaux
dn taux d'intérêt "naturel" et du taux d'intérêt "monétnire"

r "naturel" (cad re) croissant puis décroissant

-1:
'"
0'"
c
.' ..
.. La crise puis
'"
S
.. .. .. la récesssioll
.. ..
.. .. ..
'ij
<i
'-::
<;
:: r "monétaire" croissant

Temps

323 - La théorie monétaire du cycle chez Fisher

Irving Fisher (1911) explique ses périodes de transition


mentionnées plus haut par les variations de r qui orientent le
niveau des crédits accordés. De plus, ce sont les effets de
répartition des revenus 1 qui sont à l'origine de la dynamique des
périodes de transition. Autrement dit, l'analyse des périodes de
transition est déjà une théorie monétaire du cycle. Le
mécanisme précis de l'effet de levier n'est pas mis en relief,
mais il se trouve implicitement chez Fisher: les entrepreneurs
font des profits; on ne se trouve plus à l'équilibre où la
productivité marginale du capital est égale au taux d'intérêt. Ce
processus est « cumulatif» (expression déjà employée par
Wicksell) mais est freiné en fin de cycle par le risque
d'illiquidité des banques qui ne peuvent arrêter le processus
qu'en haussant le taux d'intérêt. Et c'est le retournement. Fisher
note que cette hausse du taux d'intérêt va faire chuter les
valeurs de marché des actions; ce qui aggrave les risques des
banques qui manquent déjà de réserves.
Ce processus doit être précisé avec la distinction entre r
nominal et rr réel, analysée par la « relation de Fisher» établie
en 1930, en notant p le taux d'inflation anticipée: rr = r - p. La
hausse des prix fait monter r, mais avec retard. Il est plus

I Avec la hausse générale des prix, les dettes se dévaluent; cette dévaluation
induit des nouvelles demandes de crédits bancaires qui dopent la dette. C'est
l'un des « effets Cantillon» qui suppose une non neutralité de J'inflation sur
la répartition des revenus. CantilIon est un économiste irlandais du début du
XVIIIe siècle qui assure la transition entre J'interventionnisme mercantiliste et
le mouvement physiocrate français qui lui doit la plupart de ses analyses.
107
correct d'écrire, dans l'esprit de l'analyse de Fisher, cette
relation par r = rr + p. En effet, comme néoclassique, il raisonne
directement en taux d'intérêt réel, le taux nominal étant
déterminé par le taux d'inflation anticipé dû à sa théorie
quantitative, donc à son « équation des échanges» Mv = PT, à
ne pas confondre avec sa « relation ».
Les mécanismes de la période de transition sont complexes
et font intervenir les deux types de monnaies, fiduciaire et
scripturale, et leur vitesse de circulation respective avec
Mv + M'v' = PT. Mais le plus important est que l'on peut donc
déjà déceler chez le Fisher de 1911 une théorie monétaire du
cycle des affaires.
L'inflation provoquée par la trop grande expansion du crédit
bancaire dope la croissance, par rr trop bas (effet retard). On
arrive donc à une situation de surconsommation et de
surcapitalisation. À la fin, r rattrape et même dépasse p et l'on
arrive au sommet du cycle. La crise se déclenche car les
demandes de crédits bancaires d'entreprises en difficulté font
augmenter r, des entreprises font faillite et la crise commence,
avec la baisse des prix. Fisher ne fait aucune référence à une
éventuelle baisse anticipée de la demande ou à une baisse des
rentabilités anticipées des entreprises; il n'est pas keynésien!
La cause de la crise n'est que monétaire: le laxisme du crédit
bancaire trouve en fin de cycle sa limite et la cause même de sa
contraction. Selon cette optique, l'Etat peut éviter la crise en
injectant des liquidités. Ce qu'il n'a pas fait en 1929-1930, au
contraire; ce que Fisher regrettera... un peu tard.
Cette théorie, qui se développe de 1911 à 1930, aboutit après
le krach de 1929 à celle de la « déflation par la dette.
Fisher (1933), mentionne le poids croissant de la dette et son
risque: avant (on l'a indiqué) ; mais aussi après le
déclenchement de la crise. Avant, car l'endettement croissant
fait de plus en plus courir de risque aux banques. À la moindre
alerte, on cherche d'un côté le désendettement, de l'autre la
récupération de ses créances: presque toutes les crises
financières commencent ainsi sur les marchés financiers, en
particulier par des faillites bancaires. Mais surtout après, car
selon Fisher - qui se moque donc évidemment de ce qui
deviendra le principe de demande effective de Keynes - les
entreprises vendent à tout prix pour assurer leur liquidité et
rembourser: les prix baissent par une sorte d'excès d'offre, pas
par une contraction de la demande. La crise est déclenchée, et
les prix (et le niveau d'activité) baissent; le poids de la dette
devient de plus en plus lourd par la déflation et un cercle
infernal se déclenche: plus on rembourse la dette, plus son
poids devient élevé, plus l'on est tenté de baisser encore les prix
d'offre pour dégager du« cash », etc.

108
Fisher propose une solution radicale: pour éviter les dérives
du crédit bancaire, il suffit de contrôler drastiquement
l'émission des banques privées en gageant les crédits sur les
réserves des banques. Le crédit ne peut pas dépasser la quantité
de monnaie centrale possédée par les banques: c'est la
« Monnaie à 100 % de Fisher!.

324 - La théorie monétaire du cycle chez Hayek


L'analyse de Hayek n'est pas très différente de celles de
Wicksell et Fisher. Il insistera cependant sur le concept
d' « épargne préalable» pour s'opposer au laxisme bancaire qui
crée, par le crédit bancaire, un ersatz à l'épargne. Le point de
départ de Hayek est l'analyse autrichienne du capital en tant
que «détour de production» de B6hm-Bawerk2, avec
intervention du temps: la période de production, de celle des
biens capitaux à celle des biens de consommation finale en
passant par les biens intermédiaires. Il reprend également les
thèses de von Mises. Hayek présente en fait deux versions de sa
théorie. C'est en général la première sur laquelle est mis
l'accent; la seconde étant quelquefois oubliée ou négligée.
L'œuvre maîtresse où Hayek (1931,1975) présente sa thèse
économique fondamentale, du moins sa première version, est
Prix et production3. Son concept clef est celui de « structure de
production» : en gros les rapports entre les capitaux investis
dans les secteurs de biens de production et de biens de
consommation finale. Les anticipations de profit des
entrepreneurs peuvent modifier cette structure de production,
flexible. Sans perturbation par un excès de crédit bancaire, tout
doit bien se passer, s'autoréguler par la fameuse égalité de
l'épargne et de l'investissement. L'équilibre monétaire, en fait
l'égalité du taux de rentabilité (re encore selon nos notations) et
de r, comme chez Wicksell, est certes rompu si, par exemple,
une épargne supérieure apparaît qui déforme la structure de
production par l'investissement, mais il doit être spontanément
rétabli: on passe d'un équilibre stable à un autre équilibre

I Irving Fisher, IOO% money, de 1935 ; voir également 1. Fisher (1997).


2 Dans La théorie positive du capital, de 1899. Il avait auparavant étudié les
différentes conceptions du capital et de l'intérêt et critiquait le point de vue où
est confondu l'aspect technique de bien d'équipement et l'avance de fonds
pour les acquérir: le capital ne peut être un bien homogène.
En 1929, Hayek avait lancé sa thèse du rôle déstabilisateur de la monnaie
dans Théorie monétaire et le cycle des affaires. Hayek (1929, 1933) Yest alors
salué par Keynes dans son Treatise. Hayek (1931) critiquera par contre le
Treatise... Hayek (1939, 1969) développera sa théorie, en la modifiant un
peu, dans Profits, Interest and Investment et dans sa Pure Theory ofCapital-
Hayek (1941).
109
stable. Pour Hayek comme pour tous les ultralibéraux, ce n'est
pas la création monétaire qui est la cause de l'inflation, mais
son excès. Avant cet excès, la croissance peut être au rendez-
vous, accompagnée par la création monétaire; après l'excès
commence l'inflation.
En cas d'excès de crédit bancaire, ce n'est pas seulement une
hausse générale des prix qui va se produire, selon la conception
« mécaniste» classique et néoclassique traditionnelle. Des
effets réels - autres «effets Cantillon» - mais néfastes vont
apparaître. Les entrepreneurs vont investir plus
(<<approfondissement de la structure de production », c'est-à-
dire accumulation du capital dans les secteurs des biens de
production), par l'intermédiaire de r à la baisse - toujours l'effet
de levier implicite. On produira donc plus de biens capitaux et
moins de biens de consommation. D'où une hausse des prix sur
le marché des biens de consommation par l'effet de l'offre et de
la demande, déséquilibré dans ce secteur, et la baisse des prix
relatifs des biens d'équipement. Le laxisme monétaire entraîne
une expansion qui finit par se casser par une crise de
surinvestissement tandis que la baisse du volume des biens de
consommation induit corrélativement une épargne forcée. Cette
épargne est en fait doublement forcée par les deux phénomènes
suivants qui agissent ensemble: par la structure de production
qui se déforme au détriment de la consommation; par
l'inflation qui fait, qu'avec un revenu courant équivalent, on
consomme moins. L'accordéon qui s'était trop ouvert va se
refermer: c'est le «concertina effect» selon l'expression
grinçante du keynésien Nicolas Kaldor (1942)1.

1 Dans sa seconde version, environ une dizaine d'années plus tard, Hayek
(1939, 1969 et 1941) tient également compte de ce qu'i! nomme, en le
baptisant, \' « effet Ricardo» où les variations du taux de salaire réel font
varier les rentabilités. Rapidement: une augmentation des salaires fait chuter
la rentabilité; on ne développera pas ici l'application qu'en fait Hayek.
110
33 Théories réelles des cycles: la
prépondérance du taux de profit

331 - Marx, taux de profit et suraccumulation

* Marx contre Say, mais pas à cause de la thésaurisation


Si Marx tire à boulets rouges contre l'optimisme de Say et
Ricardo qui le suit, la question de la thésaurisation y est très
accessoire, et explicitement.
La vente n'est pas, comme chez Say, imposée par le fait que
les acheteurs qui ont de l'argent vont vouloir vite s'en
débarrasser pour racheter d'autres marchandises: c'est la « loi »
de Say ou des débouchés. Une lecture rapide laisse à penser que
Marx a mis le doigt sur la faiblesse de la thèse de la neutralité
de la monnaie qui ne peut être conservée pour elle-même. Marx
(1867, 1965) écrit en effet dans Le Capital: « M - A. Première
métamorphose de la marchandise, ou vente. - La valeur de la
marchandise saute de son propre corps dans celui de l'or. C'est
son saut périlleux. S'il manque, elle ne s'en portera pas plus
mal mais son possesseur sera frustré». La loi de Say est donc
fausse, car la vente est loin d'être assurée.
On se tromperait pourtant lourdement, selon Marx, pour
expliquer la crise de surproduction, en restant au seul niveau de
cette évidence. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est la recherche
de l'argent de la part du capitaliste pour réaliser sa plus-value
sous forme de profit monétaire: « Chacun y vend d'abord pour
vendre, c'est-à-dire pour transformer sa marchandise en
argent». L'arrêt dans le processus de circulation de la
marchandise et de la monnaie - la thésaurisation - n'est qu'un
symptôme de la difficulté de la réalisation de la plus-value,
donc des conditions mêmes de production et de réalisation
monétaire de la plus-value. Pour Marx, la thésaurisation est
« une possibilité, mais seulement une possibilité des crises ».
Marx identifie deux types de thésaurisation. La première, non
nommée sinon par l'image de « réservoir anti-débordement »,
assure la fluidité des transactions: c'est ce qui deviendra, chez
les néoclassiques de Cambridge, la « demande de monnaie pour
motif de transaction », reprise par Keynes. La seconde est la
« thésaurisation accumulatrice» également indispensable au
fonctionnement du systèmel. La difficulté de la réalisation de la

1 Voir plus haut le finance motiv de Keynes qui lui ressemble fort, et Castex
(2003). Si les capitalistes n'accumulaient pas de la monnaie quand ils
commandent des biens de capital fixe lourds dont la durée de production est
longue, la demande qu'ils exprimeraient pour les biens de consommation se
heurterait à une offre insuffisante. C'est l'exact complément de la vision de
111
plus-value est le principal symptôme de la crise. Autrement dit,
la crise ne s'explique pas par la thésaurisation qui induit, par la
demande, une surproduction, mais par la recherche de la
réalisation du taux de profit « désiré », par l'offre. En effet, en
cas de crise de surproduction due à la thésaurisation de certains
agents refusant de consommer ou d'investir, les capitalistes
devraient accepter une baisse des prix et donc une baisse de la
masse et du taux de profit; les marchandises en surproduction
pourraient être écoulées, et la question des débouchés résolue.
C'est le génie de la flexibilité néoclassique des prix sur les
marchés, génie qui oyblie le taux de profit qui, d'ailleurs,
n'existe pas pour eux. A la limite, la question des débouchés ne
pose pour Marx que celle du taux de profitl.

* Le cycle et la « théorie» de la « suraccumulation du capital» :


une « théorie» tirée d'un « patchwork» contradictoire de Marx
La théorie de la suraccumulation du capital est une
interprétation à partir de ce que Marx (1867, 1965) expose au
Livre I du Capital au point La composition du capital restant la
même, le progrès de l'accumulation tend à faire monter le taux
de salaire. Elle présente de multiples interprétations, dont ses
rapprochements avec l'anali'se des rapports entre le salaire et le
taux de profit chez Ricardo. Elle est souvent confondue avec la
« loi» de la baisse tendancielle du taux de profit. La baisse
conjoncturelle de ce dernier est due essentiellement à la hausse
des salaires, mais pas seulement. Elle peut être liée à la baisse
tendancielIe du taux de profit, ce que ne propose pas Marx dans
son analyse spécifique de l'influence de la hausse du salaire,
mais le saut est le plus souvent effectué; nous l'effectuerons
aussi. D'autant plus que la question du taux de profit est, on l'a
vue plus haut, centrale dans l'analyse de la crise et de la critique
de la loi des débouchés de Say.
Le taux de profit de la fin du temps du boom diminuerait
pour essentiellement deux raisons. La première se traduirait par
une baisse du « taux d'exploitation », ou « taux de plus-
value» : à cause de la disparition du chômage (de l' « armée de
réserve»), les salaires réels sont dopés et dépassent leur niveau

Hayek où, au contraire, l'économie serait déstabilisée par l'excès de crédit


bancaire, une sorte de déthésaurisation.
I Cette conception de Marx économiste de l'offre rejoint en fait celle de
Keynes économiste de la demande: la demande effective pourrait toujours
être égale à l'offre si les prix étaient parfaitement flexibles à la baisse en cas
de surproduction potentielle. Comme les offreurs refusent les baisses de prix
pour ne pas voir se réduire leurs profits - et même apparaître des pertes -, ils
préfèrent ne pas vendre et contracter leur production à prix fixes. Dans ce cas
apparaît le principe de demande effective keynésien, ce qui engendre la baisse
du niveau d'activité et éventuellement, par des processus cumulatifs, la crise.
2 Par exemple l' « effet Ricardo» de Hayek.

112
naturel de simple reproduction de la force de travail. La
deuxième est le progrès technique et la recherche des gains de
productivité qui ont accru fortement, par les investissements en
capital fixe, le capital constant.
On peut résumer ainsi cette « théorie» de la
suraccumulation :

e (censé décroître)
re (censé décroître plus
1 + Q (censé augmenter, fortement qu'en tendance
par la croissance relative de C, longue)
malgré celle de V)

* Développements apparents: les « théories de la


surcapitalisation»
Selon Rosier, cette théorie auraient trouvé des
développements, outre ceux du marxisme des années 701 : «Le
développement de la théorie et mouvement des coûts:
surcapitaliation Tugan-Baranovski, Aftalion, Lescure,
Wicksell »2.
Selon le marxien russe Tugan-Baranovski (dans Les crises
industrielles en Angleterre, 1894), l'épargne disponible
pendant la période de crise, en baisse, ne se rétablira pas à un
niveau suffisant pendant la reprise. Il y a non pas excès
d'épargne, mais insuffisance pour expliquer la nouvelle crise.
Cette théorie sera reprise par Hayek par l'intermédiaire de
Spiethoff (en 1906) et Cassel (en 1918). Mais Hayek, après
Wicksell, aura compris que cette insuffisance d'épargne était
d'abord comblée par le crédit bancaire et, ensuite, par une
« épargne forcée» (baisse de la consommation finale).
Selon Rosier, Albert Aftalion (en 1908 et 1913) et John
Maurice Clark (en 1917) seraient également des continuateurs
de la théorie de la surcapitalisation. Pour Aftalion, la demande
de biens de consommation oblige à l'investissement, car le
plein-emploi est supposé. Cet investissement commandé lors du
boom de la consommation n'est en fait réalisé que plus tard
compte tenu du délai de construction (<<retard
d'investissement» ou «lag ») : quand ils arrivent, les
investissements sont trop importants par rapport à la demande.
On cesse d'en produire, et, par processus cumulatif, le niveau
d'activité diminue. Clark propose une analyse un peu différente.
I
La théorie du Capitalisme monopoliste d'état (dite du CME), élaborée en
particulier par Paul Boccara et Philippe Herzog, comme support théorique à la
rolitique du Parti communiste français.
Titre d'un paragraphe du livre de Rosier, op. cit.
113
Ce n'est plus la durée de construction de l'investissement qui
importe, mais le « coefficient de capital», rapport entre le
capital économique nécessaire à la production et le produit
intérieur net, coefficient de l'ordre de 3 à 5 (selon la définition
du capital économique pris en compte). Si, en plein-emploi
toujours, le produit intérieur net augmente, le capital va
augmenter en induisant un phénomène d'accélérateur de
l'investissement. Mais la conséquence sera identique: une
surcapitalisation ou surinvestissement à la moindre stagnation.
Cependant, toutes ces théories ne mentionnent pas l'effet de
la hausse des salaires en fin de période de boom: il ne faut pas
confondre suraccumulation et surcapitalisation. Ce n'est pas le
cas de Lescure qui réintroduit (en 1906) la dynamique du taux
de profit expliquée par la différence entre les prix et les coûts,
en expansion plus forte: ceux des matières premières, salaires
et taux d'intérêt, par les fortes croissances des demandes des
facteurs de production correspondants et du capital emprunté.

* Le développement des inégalités en fin de boom: la critique de


la « théorie» de la suraccumulation de Marx
En fin de cycle d'expansion, qu'un certain sous-emploi
persiste (comme le suggère Keynes) ou que le plein-emploi soit
réalisé (comme le pense Marx avec la disparition de l' « armée
de réserve»), l'aspect hausse de la masse et du taux de profit
avant la crise, se traduit par une répartition du revenu
défavorable aux salariés. C'est donc plutôt la question des
débouchés qui se pose (par la demande) que celle d'une
suraccumulation, d'un surinvestissement au sens, de Marx (par
l'offre) et d'une baisse du taux d'exploitation. A l'inverse, en
période de récession, la résistance des salariés à la baisse des
salaires nominaux tandis que les prix s'écroulent, accompagne
la chute de la masse et du taux de profit et tend à rendre
relativement favorable au travail la répartition des revenus, du
moins pour ceux qui gardent un emploi et continuent à
« produire le profit» ; ce qui peut déboucher à terme sur une
reprise par la relance de la consommation puis de
l'investissement. Le taux de profit est toujours la variable
d'ajustement; tout montre qu'il augmente en période de boom
et qu'il ne s'écroule que pendant et après la crise. Sauf que la
crise boursière n'est souvent que le symptôme qui suit avec
retard la crise réelle des taux de profit; mais il n'est pas besoin
de rendre les salariés « responsables et coupables» de cette
baissel.
Marx reste un économiste de l'offre et ne porte que peu
d'attention à la question des débouchés et de la demande

1 Voir la troisième partie.

114
effective, pourtant déjà évoquée avant lui par Sismondi et
Malthus, due à ces déséquilibres dans le cycle. Il l'évoque bien
de temps en temps (( Il arrive un moment où le marché semble
trop étroit pour la production») ; mais c'est toujours le taux de
profit qui prime. La thésaurisation « possibilité de crise, mais
seulement possibilité» peut expliquer que l'excès d'épargne des
capitalistes, dans ce cas thésaurisée, puisse être utile. Mais la
sous-consommation ouvrière n'a rien à voir avec cela.
John Kenneth Galbraith (1961, 1989)1 est à cet égard on ne
peut plus clair: la crise déclenchée en 1929 serait due à la forte
croissance de la production industrielle (croissance de 1919 à
1929 de la productivité du travail de 43 %, ce qui ne fait qu'un
taux moyen annuel de 3,6 %), en particulier automobile, alors
que les salaires augmentaient à peine (la fordisme était loin
d'être généralisé). Les inégalités de revenus étaient criantes
(5 % de la population recevant le tiers des revenus). La
structure financière des sociétés américaines en holdings
accélérait les versements de dividendes, ce qui boostait la
bourse. Les profits et la spéculation boursière en profitèrent, en
consommant en biens de luxe (dont les automobiles), cette
manne financière. Jusqu'au jour où la contradiction est
apparue: le jeudi noir d'octobre 1929.
Lescure (1938) pensait de même, cité par Rosier: « Les
hésitations de la prospérité dans l'industrie automobile ont
précédé le krach. Mais celui-ci a joué un rôle décisif dans
l'évolution de la crise industrielle en faisant disparaître un
élément essentiel de "surconsommation" : les plus-values de
bourse. On ne peut assurément dissocier les phénomènes réels
des phénomènes monétaires ».
Toutes ressemblances avec la situation actuelle seraient
purement fortuites... Sauf que la crise de 1929 ne semble pas
être la conséquence de la baisse du taux de profit2,
contrairement à la crise actuelle, mais celle des phénomènes
présentés par Galbraith. Exactement en opposition avec la thèse
de la suraccumulation de Marx.

332 - Keynes et la sous-demande (insuffisance de


l'investissement et sous-consommation)

* Sminvestissement avant la crise, sous-investissement


(insuffisance d'investissement par rapport à l'épargne) après la
cnse
Les théories monétaires du cycle économique et la critique
de la croissance trop forte de la masse monétaire par le crédit
I
Voir Rosier, op. cit.
2
Voir Isaac Joshua (I 999 et 2006).
115
bancaire au début de la période d'expansion est une pierre dans
le jardin de Keynes dès l'élaboration de ses nouvelles idées, en
pleine crise, entre le Treatise et la Théorie générale. La critique
de Keynes reste gênée contre cette théorie qu'il avait donc plus
ou moins faite sienne dans son Treatise.
Outre des considérations générales sur le cycle des affaires,
son idée-force est unique: dans le couple formé par le taux de
rendement interne de l'investissement, le TIR que Keynes
rebaptise donc EMAC, et le taux d'intérêt, c'est le premier (la
sphère réelle) qui domine le second (la sphère monétaire). Il
évoque certes les fluctuations de la propension à consommer et
de la préférence pour la liquidité: « Néanmoins, c'est au genre
de fluctuations de l'efficacité marginale du capital qu'il faut
surtout attribuer à notre avis, écrit-il, les caractéristiques
essentielles du cycle économique.. notamment la succession
régulière de ses phases et la constance de sa durée, qui justifie
l'appellation de cycle» 1.
Keynes est enfin particulièrement mal à l'aise quand il
reconnaît que sa théorie des crises est en fait peu différente de
la théorie du surinvestissement, liée à celles du cycle monétaire.
« L'analyse précédente [celle des crises selon Keynes, P. C.]
peut sembler conforme à la manière de voir de ceux qui
prétendent qu'un surinvestissement est la caractéristique du
boom, que la lutte contre le surinvestissement est le seul moyen
d'empêcher la crise subséquente, et que, si pour les raisons
précédentes la baisse du taux d'intérêt ne saurait faire obstacle
à la crise, en revanche la hausse de ce taux est capable de
prévenir le boom ». Il y a bien en phase de boom
« surinvestissement» dû à un taux d'intérêt qu'il aurait fallu
augmenter (politique de rigueur contra cyclique). Mais ce
dynamisme s'arrête avec la crise et l'on retrouve bien l'excès
d'épargne sur l'investissement désiré qui contracte la
production et le revenu aboutissant à l'équilibre de sous-emploi
de Keynes. Il considère que le boom assure d'ailleurs rarement
le plein-emploi total et que « ... les illusions se traduisent par
une mauvaise orientation de l'investissement », avec la situation
où « il y a une insuffisance de maisons, mais où personne n'a
cependant les moyens de vivre dans celles qui existent >/
I
Il fait longuement référence à la durée de l'usage des biens d'équipement
ainsi qu'à celle de l'écoulement des stocks en excès du capital circulant.
« Nous voici au cœur du sujet. L'élément temps dans le processus
économique, ... Ii et « ... peut-être une fonction relativement stable de la
longévité moyenne de l'équipement à une époque donnée Ii. Il reprend en fait
les théories non monétaires du cycle d'Aftalion et de Clark ou celle, plus
monétaire, de Hawtrey.
2 Voir un dessin humoristique de Plantu où un travailleur du bâtiment rentre
dans l'abri de son bidonville et dit à sa femme: «je suis licencié car il n Ji a
plus de maisons à construire Ii. Humours grinçants de Keynes et Plantu quand
116
* Les théories de la sous-consommation avant Keynes: à partir
de Sismondi et Malthus
La loi de Say sera vertement critiquée par Sismondi qui
penchera pour une théorie de la sous-consommation et, à
l'intérieur de l'école classique, par Malthus, anticipateur de la
demande effective de Keynes et de la non-neutralité de la
monnaie. Sismondi (1819, 1971) n'est pas à proprement parler
un classique; son ouvrage de base critique le système de libre
concurrence qui a détruit la petite production marchande,
concentré les fortunes et créé un salariat appauvri. Il en déduit
une sorte de surproduction structurelle: le salarié n'est pas
payé pour tout le travail qu'il produitl. De Thomas Robert
Malthus, le non économiste retient surtout le malthusianisme
anti-populationniste. Mais Malthus (1820, 1969) eut, bien plus
tard, des thèses plus progressistes. C'est un économiste
classique critique de ses collègues optimistes; il eut la chance,
avant de publier son principal écrit économique, de constater
des crises (en 1810, 1815 et 1820) qui ont suivi les armistices
puis la paix en Europe. Sa théorie de la surabondance générale
de l'offre, de l'engorgement général (général gluts) est un gros
pavé dans la mare de Say soutenu bec et ongles par Ricardo.
Comme Sismondi, il considère que la demande est limitée
par la misère de la classe ouvrière: « Parce que les travailleurs
reçoivent moins qu'ils ne produisent, la consommation et la
demande suscitées par les gens qui sont employés à des tâches
productives ne peuvent jamais être à elles seules un moteur de
l'accumulation et de l'utilisation du capital ». Il considère,
toujours comme Sismondi, que les capitalistes ne peuvent
combler la différence: ils sont caractérisés par une tendance à
l'excès d'épargne, le but principal de leur vie étant « de
parvenir à amasser une fortune à force d'économie... ». Il en
déduit la notion de demande effective qui sera précisée par
Keynes: « La première chose dont on ait besoin avant même
tout accroissement de capital et de production, c'est une
demande effective de produits, c'est-à-dire une demande faite
par ceux qui ont les moyens et la volonté d'en donner un prix
suffisant ». Cette idée typiquement pré-keynésienne est en fait
ancienne, on la trouve chez le libéral Boisguillebert à la fin du

l'on constate que, plus tard, la crise des subprimes sera la conséquence de la
recherche des profits par les banques pour donner un toit aux pauvres...
I Les salariés étant exploités par la « plus-valeur il, l'ancêtre de la plus-value
de Marx, ils ne peuvent consommer tout ce qu'ils ont produit. C'est oublier la
dépense possible des capitalistes, dont l'investissement. Sismondi considère
cependant que les capitalistes ne pourront investir toute leur épargne,
justement par la limite de la consommation ouvrière. C'est le fondement de la
théorie de la sous-consommation et, fondamentalement, de l'insuffisance
d'investissement.
117
XVIIe siècle, également dans la Fable des abeilles de Bernard
de Mandeville (en 1705) et Lord Lauderdale (en 1804). Cette
théorie de l'excès d'épargne fut reprise par Hobson (en 1889 et
1895).
Par ailleurs néanmoins, il affirme souvent, anticipant
Wicksell et Hayek, que c'est, au niveau macroéconomique,
l'insuffisance d'épargne et l'excès d'investissement qui seraient
la cause de la crise. C'est encore la question du « timing» qui
est en cause: avant et après la crise. Il avance pourtant, à
l'inverse, la thésaurisation en tant que différence entre l'épargne
et l'investissement comme l'une de ses causes; on peut penser
qu'il raisonne bien en flux de revenu monétaires et finit par
pencher plutôt pour un excès d'épargne monétaire: critique
explicite de la loi de Say. Mais cet aspect monétaire reste
élémentaire, lui vaut des railleries et n'est pas
développé. Quand il admet l'excès d'épargne et l'insuffisance
de l'investissement, il anticipe par contre néanmoins les thèses
de Keynes 1.Malthus, anti-libéral ici car soutenant les
propriétaires fonciers, verra dans ces derniers une bouée de
sauvetage de la crise: leur consommation somptuaire
remplaçant (au moins partiellement) les investissements des
capitalistes industriels.

* La théorie du cycle économique des affaires chez Keynes


Keynes se placera dans le même cadre. Il évoque, dans le
cadre des causes de la crise dans la sphère réelle, la baisse de
fortune des propriétaires (qui ne peut qu'aggraver la crise après
son déclenchement) mais aussi les théories de la sous-
consommation de Sismondi et Malthus, développées par maints
pessimistes2. Cet aspect de Keynes concernant la sous-
consommation, très hétérodoxe, est toutefois rarement souligné
comme il le mérite. On préfère voir en lui l'adepte de
l'insuffisance de l'investissement plutôt que celui de
l'insuffisance de la consommation, c'est-à-dire «... des
I « Quand les profits sont faibles et incertains, quand les capitalistes ne
savent pas comment employer avec sûreté leurs capitaux, et lorsque par ces
motifs les fonds passent à l'étranger, en un mot lorsque toutes les
circonstances démontrent qu'il n Ji a point de demande effective de capitaux
dans le pays, n'est-ce pas contrevenir en vain et en pure perte au premier, au
plus important et universel de tous les principes de l'économie politique, celui
de la demande et de l'offre, que de conseiller l'épargne et la conversion en
capital d'une plus grande somme de revenu ».
2 On ne développera pas ici cet aspect de Keynes, bien connu, car ses
références à Hobson, au Major Douglas ou à la Fable des abeiHes de
Mandeville sont explicites. Il y consacre un chapitre entier de la Théorie
générale: le Chapitre 29, Notes sur le mercantilisme, les lois contre l'usure,
la monnaie estampillée et les théories de la sous-consommation. Nous ne
reviendrons pas ici sur la monnaie estampillée et l'utopie de Silvio Gessel;
voir Castex (2003 et 2007) .
Ils
habitudes sociales et une répartition de la richesse qui se
traduit par une trop faible propension à consommer ». Ce n'est
pas le trahir, car s'il reconnaît « que ces écoles en tant que
guide d'une pensée concrète ont certainement raison. ... s'il est
matériellement impossible d'augmenter l'investissement,
l'accroissement de la consommation est évidemment le seul
moyen d'augmenter l'emploi », il préfère la relance par
l'investissement ou, en normand, « que la sagesse serait de
progresser dans les deux directions à la fois ». Il est contre la
baisse des salaires, mais ne précise pas sa p,ensée en prônant
une relance par l'augmentation des salaires 1... Il ne fait pas
explicitement référence au phénomène de changement dans la
répartition des revenus selon les phases du cycle. Négligeant ce
phénomène de lutte économique de classes dans le cycle et bien
qu'adepte des théories de la sous-consommation en général,
Keynes ne peut aboutir à une explication complète des cycles.

1
Il ajoute même un paragraphe sibyllin (le point V du chapitre 22 sur le cycle
économique) où on lit en filigrane une critique de la réduction du temps de
travail. Il pensait aux réformes qui verront le jour avec le Front Populaire
français.
119
Chapitre IV
Les marchés financiers et les bulles:
des mécanismes propres
relativement détachés des cycles réels

On analysera cette question en trois temps.


Le premier consiste à se demander si l'on peut-on définir et
calculer ladite « valeur fondamentale» ou «intrinsèque» de
marché d'une action? On connaît « le» taux d'intérêt actuel,
donné (soit déterminé par les forces réelles du marché des fonds
prêtables néocIassiques, soit par celles du marché monétaire
keynésien: on feint d'ignorer le problème). Ce taux intervient
dans le calcul de la valeur fondamentale des cours des actions,
avec le bénéfice actuel, son taux de croissance annuel anticipé,
et la prime de risque financière désirée par les actionnaires.
Bref, l'économie réelle est bien au cœur des marchés financiers,
mais ce sont des « marchés de promesses ».
Plusieurs théories répondent à la question. Oui; non; avec
des limites pour la « finance comportementale ». Nous
n'étudierons plus en détail que les deux premières réponses
dans les deux temps suivants: oui pour celle des « marchés
efficients », ce sera notre deuxième temps; pas du tout pour
celle de la « finance autoréférentielle » ou du mimétisme, ce
sera notre troisième temps.
Dans toutes ces approches, les valeurs boursières futures
restent indéterminées: une « random walk », une marche au
hasard. Bref, avec ou sans possibilité de détermination de la
valeur fondamentale des actions, la bourse aurait sa dynamique
propre explicable surtout par les comportements des
investisseurs où interviendraient certes le taux d'intérêt et les
taux de profits, effectifs et anticipés, mais sans percevoir que
les premiers sont une conséquence des seconds.

121
41 - La valeur fondamentale des actions existe-
t-elle ?

411 - Une « formule » simple

* Le « PER»
L'instrument de base, la boussole des boursiers est le PER,
(Price Earning Ratio). Le PER, ou multiple, ou coefficient de
capitalisation, est le rapport entre la valeur de marché de
l'action et le bénéfice par action, le BPA (attendu pour l'année
en cours en général), ou, au niveau global, entre la capitalisation
boursière et le bénéfice de l'entreprise. Sauf que cette analyse
est absurde si les bénéfices actuels n'ont rien à voir avec les
bénéfices futurs. Par exemple pour les fameuses Start up de la
E-Economy, la Nouvelle économie dont le krach de 2000 s'est
généralisé à toutes les valeurs boursières.
En notant Bf le bénéfice global ou par action et V la valeur
de l'action ou la capitalisation boursière, PER = V / Bf. Son
inverse approche la rentabilité financière nette effective des
1
valeurs boursières : rf = 1 / PER = Bf / V. Il peut apparaître
absurde d'estimer les bénéfices futurs par le bénéfice actuel. En
effet, le moindre bénéfice annoncé un peu inférieur au bénéfice
attendu fait chuter les cours, c'est le « profit warning », la mise
en garde, l'avertissement. On pourrait en déduire que la bourse,
de par sa nécessaire liquidité - elle est faite pour ça - tend à être
courtermiste, en contradiction avec les fondamentaux qui
supposent la prise en compte du long terme. Ce n'est pas si
absurde: si l'on considère que le bénéfice actuel est « normal »
et s'il est possible d'estimer ensuite son taux de croissance
annuel, le profit warning doit bien faire baisser V. C'est la
question de la détermination de la « valeur fondamentale» des
actions.

* La valeur fondamentale ou valeur intrinsèque


L'analyse de Gordon et Shapiro, déjà rencontrée, nous
donne la « formule» de la cette valeur fondamentale des actions

1 Prenons un exemple. Pour une action de valeur de marché de 500 et un BPA


de 20, le PER est de 25 : on paie l'action 25 fois son bénéfice actuel. Ce qui
peut paraître « cher ». Son inverse ressemble à un taux de rentabilité, ici
l'action rapporte un bénéfice de 4 %, ce qui n'est pas beaucoup. L'inverse du
PER jugé normal est souvent pris comme approximation de la rentabilité
désirée. Si ce taux est de 8 %, le PER normal est de 12,5 : les actions à PER
plus élevé sont chères, il faut les vendre; les actions à PER plus faible sont
bon marché, il faut les acheter.
122
connaissant leur résultatl actuel Bf; le taux de rentabilité désiré
des actionnaires rID, égal au taux d'intérêt sans risque plus la
prime de risque financière désirée RID et le taux de croissance
annuel g anticipé de Bf:
V = Bf / (rID - g) = Bf / (r + RID - g)

Facile 1...Le plus dur est évidemment de connaître ce qui est


parfaitement inconnu, sauf Bf et r. Et encore pour r, on y
reviendra! L'information parfaite devrait permettre
d'approcher toutes ces variables. D'autant plus que si V actuelle
est la bonne, « la bourse ne se trompant ~amais », il vient, à
partir du calcul du PER ou de son inverse: rID = rf + g. La
rentabilité financière désirée est la rentabilité effective
augmentée du taux de croissance anticipé des profits. La seule
inconnue qui reste, mais de taille, est g: l'avenir. Mais à
condition que V actuelle soit bien la bonne... On entrevoit une
première circularité entre le présent et le futur, ajoutée à
l' « incertitude radicale» (au sens de Keynes) de l'avenir.
On peut transformer cette relation en prenant en compte le
bénéfice futur annuel anticipé BfA constant calculé à partir de
Bf et g. On trouve3 BfA = [(rID /(rID - g)]Bf. Le pourcentage
d'augmentation de BfA par rapport à Bf (BfA / Bf - 1) est ainsi
de4 rID / (rID - g). Pour un rID donné, BfA est très sensible à g ;
il en est de même de V :

V = BfA / rID avec BfA = [(rID /(rID - g)]Bf

Il va de soi que V est croissante avec Bf et décroissante avec


rID mais est très croissante avec g ; quand g tend vers rID, BfA
et V tendent vers l'infini.
Avant d'aborder plus en détail, d'une part la théorie des
marchés efficients, d'autre part celle de la finance
autoréférentielle, nous proposons auparavant un tour général
d'horizon en indiquant ce qui peut apparaître comme une
synthèse: la finance comportementale.

I Voir plus haut. Les actionnaires actualisent en fait les flux de cash en
dividendes; mais Modigliani et Miller ont montré que la politique de
distribution était neutre sur les valeurs de marché: on prendra donc les
bénéfices futurs.
2 rf = Bf / V = Bf / [Bf / (rID - g)]
= rID - g, d'où rID = rf + g; ce qui
ressemble au calcul (mais avec le dividende d et non le bénéfice Bf) présenté
plus haut du taux de rentabilité financière désiré de Gordon et Shapiro.
BfA est Ie bénéfice qui, actualisé avec rID, donne V, donc V = Bf / (rID - g)
4= BfA / rID ; d'où l'expression de BfA en fonction du Bf actuel.
Si rID = 5 % et g = 1 %, BfA / Bf= 1,25, soit 25 % d'augmentation.Avec
g = 2 %, on passe à 1,67 soit 67 % d'augmentation; avec g = 4 %, on obtient
une augmentation de 500 %.
123
422 - Deux points de vue opposés et une synthèse?
* L'existence de la valeur fondamentale fonde la théorie
dominante des marchés efficients
La théorie financière dominante concernant les marchés
financiers est celle de leur « efficience ». Elle suppose que, par
une information parfaite, V peut être connue, du moins
approchée de façon « rationnelle ». Cette connaissance ne peut
être « parfaite» puisqu'il s'agit du futur. Cependant, ce futur
(ici seulement celui de g et de RID, le présent étant connu pour
Bf et r) n'est pas choisi au hasard, « psychologiquement », mais
est le fruit d'un calcul de probabilité: c'est 1'« espérance
conditionnelle» tenant compte de toute l'information
disponible renvoyant aux « anticipations rationnelles» de la
Nouvelle école classique. Dans ce cas! «H' la valeur
fondamentale préexiste objectivement aux marchés financiers et
ceux-ci ont pour rôle central d'en fournir l'estimation la plus
fiable et la plus précise. ... l'évaluation financière ne possède
aucune autonomie ... ». Sans connaissance possible de V, il n'y
a pas de marchés efficients.

* Selon la théorie alternative de la « finance autoréférentielle »2,


la valeur fondamentale ne peut être la boussole des spéculateurs
Si le futur, donc le risque, est probabilisable, on sort en fait
de l'incertain pour rester dans l'aléatoire, du «presque certain»
selon Keynes3. Keynes distingue les «prévisions très
incertaines» des« prévisions très improbables »4.La théorie de
l'efficience est ainsi critiquée par la théorie du mimétisme et de
la convention (donc celle de Keynes reprise par André Orléan),
devenue finance autoréférentielle.
Pour Orléan, au départ, était la théorie du mimétisme, mais
éloignée de celle du Keynes de la Théorie générale: elle était
née en France au sujet de la théorie de la nature de la monnaie.
Le livre La Violence de la monnaie d'Aglietta et Orléan
publiée en 1982 a donné lieu à une nouvelle version en 2002 :
La monnaie entre violence et confiance, où s'ajoute donc à la
violence la confiance. Cette nouvelle version complètement
remaniée tentait un pont entre l'analyse mimétique de 1982,
spécifiée à la monnaie, et le concept de dette de vie qui apparaît
1
Les citations qui suivent sont celles d'Orléan (2004) ; on reviendra plus loin
sur d'autres textes de cet auteur.
2 Ou « théories du mimétisme », « de la convention»: le nom reste
indéterminé, ayant beaucoup évolué.
o Tirer à pile ou face donne un résultat « presque certain» : sur 1 000 coups,
il y peu de chance de d'écarter de 50 % de pile et 50 % de face.
4 Il indique: « en disant "très incertaines" nous ne voulons pas dire "très
improbables". Cf notre Treatise on Probability, chapitre 6. Le "poids des
arguments" ».
124
dans les années 90 et est exposée dans l'ouvrage La monnaie
souveraine de 1998 dirigée par nos deux auteurs. Ils appliquent
à la monnaie la sociologie du sacré du philosophe René Girard
(1972) dans La violence et le sacré. L'origine de la violence
humaine se trouverait dans le désir mimétique des objets: on
désire parce qu'il est l'objet du désir de l'autre. Ce mimétisme
ne peut aboutir qu'à la violence et au meurtre (le vol et la
rapine). Le meurtre sacrificiel d'un bouc émissaire peut rétablir
l'unité de la communauté: ce bouc émissaire devient chez nos
auteurs la monnaie, une marchandise sacrifiée, « élue et
exclue» l, Bref, dans la pensée de René Girard, le mimétisme
dépasse largement son acception habituelle de comportement
moutonnier qu'il reprendra en finance: c'est plutôt « L'enfer,
c'est les autres» du Huis clos de Sartre, le rapport conflictuel
aux tiers, que « Je fais comme tout le monde ».
Cette théorie de la monnaie institution (opposée à celle de la
monnaie bien économique naturelle de la théorie orthodoxe)
trouve ses sources dans la théorie de la régulation, où l'on
trouve à la fois, entre autres et au départ, Michel Aglietta2 et
Alain Lipietz. Elle déboucha rapidement sur une théorie des
conventions surtout avec André Orléan. L'école de la
régulation3, ou régulationniste, correspond à l'une des branches
d'un courant très franco-français issu d'un cocktail de
marxisme,. 4 de keynésianisme et d'institutionnalisme
( amencam
" ).
En finance de marché, la théorie du mimétisme reprend donc
une signification plus traditionnelle. La valeur fondamentale
des actions n'est plus une donnée objective; même si elle peut
exister théoriquement, elle ne peut orienter les prises de
décision des agents. C'est l' « opinion majoritaire» qui seule
compte pour déterminer les prix de marché des actions; elle
peut s'éloigner de la valeur fondamentale V. Orléan (2004)
écrit: « .., de quoi cette opinion majoritaire est-elle l'opinion?
... : l'opinion majoritaire a pour objet l'opinion majoritaire
elle-même », d'où les nouvelles appellations de « rationalité
autoréférentielle» ou de « finance autoréférentielle» pour
renommer les comportements mimétiques. Les mécanismes des
marchés financiers sont donc totalement autonomisés par
rapport à ceux de l'économie réelle; par exemple, la baisse des

1 Voir les deux livres et, pour une critique, Castex (2003 et 2007).
2 Il fut l'un des principaux auteurs de l'école de la régulation, avec son livre
publié en 1976 Régulation et crise du capitalisme: l'expérience des Etats-
Unis.
3 On peut citer, entre autres, Boyer (1986).
4 Citons Veblen il y a un siècle et les « radicaux» américains, dont John K.
Galbraith.
125
taux de profit devient un détail pour expliquer un krach
boursier.
Et l'on retrouve la faiblesse du raisonnement de Keynes et
de son « concours de beauté» analysé plus loin. Et l'on revient
à la théorie de la convention du même Keynes, où les croyances
partagées d'un groupe social se polarisent, selon Orléan : sur
des « saillances à la Shelling », ou un « point focal» \ Ie prix de
marché.
Alain Lipietz (1995) estimait que la théorie de la convention
était une déviation de la théorie de la régulation abandonnant
les paradigmes marxistes2 pour les remplacer par des sortes de
mythes. Les mythes dont la principale caractéristique est d'être
« oubliés », refoulés dans l'inconscient collectif. Il critique en
passant le «paradigme du carrefour» où une «convention
intériorisée (et non renégociée à chaque instant)>> celle du
code de la route, évite les collisions. Il note avec humour:
« L'ennui, c'est que le paradigme du carrefour est vieux comme
le monde, et que les anciens n'étaient pas dupes. Sur la route de
Thèbes à Corinthe, un Vieux Mâle rencontre un éphèbe et
anticipe "conventionnellement" sa priorité. Le fils rebelle sans
le savoir tue le père: on en parle encore ». Le vieux mâle, c'est
Laïos, le jeune éphèbe Œdipe.

* Une synthèse possible: la «finance comportementale » ?


L'opposition la plus rude à la théorie des marchés efficients
est apparue depuis quelques années, aux Etats-Unis. Le débat,
noté par Orléan (2004) entre Robert Shiller, l'opposant de la
« Behavioral Finance » (la finance comportementale) à Burton
Malkiel3, l'un des chantres des marchés efficients, dans le
Journal of Economic Perpectives de l'hiver 2003, l'a fait
apparaître au grand jour.
Des limites internes à la théorie des marchés efficients
étaient déjà apparues, par les « bulles rationnelles» qui trouvent
leur origine dans l'autovalidation de croyances partagées par un
grand nombre d'acteurs. Dans la théorie de l'efficience, même
si des spéculateurs irrationnels interviennent, donc en jouant

I L'Américain Thomas Shelling, Nobel d'économie en 2005, est un spécialiste


de l'analyse stratégique, au sens fort du terme (guerre du Vietnam, guerre
froide).
2 En effet, la théorie de la régulation « ...privilégiait les relations verticales
(dominant/dominé) et introduisait un peu de subjectivité et d'agir
communicationnel dans la reproduction conflictuelle des structures, la théorie
de la convention fait le chemin inverse. Elle part de la compétition horizontale
d'individus supposés égaux, et cherche à rationaliser cette compétition autour
de quelques "conventions", ces structures cognitives inventées dans le passé
guis" oubliées" N.
Malkiel (1973, 2001) est ['un des analystes financiers américains les plus
connus.
126
sans le savoir contre le marché, l'intervention des arbitragistes
assurera le retour à l'équilibre. A condition qu'ils n'aient pas
tous la même opinion. Grossman et Stiglitz ont indiqué dès
1980 un paradoxe amusant: si les anticipations sont
rationnelles, le prix de marché est le bon prix; à quoi bon pour
le spéculateur mal informé de se payer une information
coûteuse! Si ce comportement se généralise, le prix n'est plus
le bon!
La finance comportementale va plus loin. Elle commence
par une analyse de comportement des spéculateurs ignorants,
ceux qui ne se fient qu'à des « bruits» (les « noise traders ») et
non à des informations fiables; ils suivent en général le marché.
D'où la « Noise Trader Approach », la NTA qui nie que les
opérations d'arbitrage puissent faire revenir au prix d'équilibre.
D'après Orléan, cette approche renvoie à la rationalité
courtermiste de Keynes (avec la « vieille fille », l'action dont
on veut à tout prix se débarrasser, comme au jeu de cartes du
« pouilleux» 1). Il la nomme « rationalité stratégique» dans le
sens où elle tient compte du jeu des autres acteurs. Elle peut
aboutir pour les investisseurs rationnels à mettre en place des
stratégies courtermistes leur permettant d'empocher de
confortables plus-values au détriment des suiveurs. Mais ces
phénomènes n'ont d'effectivité que si tous les comportements
des ignorants répondent à une même opinion. Ce qui reste à
expliquer. La synthèse de la NT A et des résultats des
chercheurs qui ont tenté d'expliquer ce phénomène ont donné
ce qui est maintenant appelé la finance comportementale, la
Behavioral Finance.
Une autre approche, celle de l' « économie expérimentale »,
aboutit dans ses expériences de marchés boursiers, où pourtant
les acteurs connaissent la valeur fondamentale des actions, à des
bulles qui enflent et éclatent sans noter un comportement
correspondant à ceux de la NT A2. « Il faut se rendre à
l'évidence, écrit Orléan (2004), les bulle spéculatives sont
compatibles avec une parfaite connaissance des données
fondamentales ».

1
On y reviendra.
2 Il s'agit de faire des simulations de marchés avec des cobayes, un peu
comme les jeux en stratégie d'entreprise, pour tenter de tester « in vivo» des
hypothèses théoriques. Pour tous les marchés, sauf les marchés financiers, les
résultats sont probants, par exemple même sans l'hypothèse de concurrence
parfaite.
127
42 - La théorie néoclassique des «marchés
efficients» : la valeur fondamentale des actions
existe mais la bourse est une «marche au
hasard»

421 - De la prévision possible à la prévision impossible


des cours de bourse des actions

* La prévision possible: la « théorie des marées» de Dow


La première théorie moderne des prévisions boursières est
optimiste; la prévision est possible: c'est la « théorie de Dow»
(cofondateur de Dow, Jones and Co en 1882, et de l'indice Dow
Jones). L'idée en est que les fluctuations des cours ressemblent
aux marées: il suffit donc de pouvoir repérer les marées hautes
et basses 1.
Ces analyses fondent ce que l'on appela plus tard les
analyses chartistes, par des graphiques: autrement dit, les
graphiques de l'évolution des cours peuvent permettre de
percevoir les mouvements des marées; on parle maintenant
d'analyse technique. Ces croyances en la prévisibilité des cours
boursiers persistent encore aujourd'hui.

* La prévision impossible: le mathématicien français Bachelier,


dès 1900
À l'inverse de la théorie de Dow, et très tôt,
l'indétermination radicale du futur boursier fut démontrée par le
mathématicien français Louis Bachelier2, en 1900.
Bachelier trouvait dans sa thèse de mathématique une
absence totale de possibilité de prédiction et écrivait, cité par
Bernstein (1992, 1995): « Les événements passés, les
événements présents, et même les événements futurs actualisés
se reflètent dans les prix de marché, mais souvent ils ne
présentent aucune relation apparente avec les variations de
cours... Le marché réagit à lui-même et la fluctuation actuelle
est une fonction non seulement des fluctuations antérieures,
mais aussi de l'état actuel. Ces fluctuations sont déterminées
par un nombre infini de facteurs,' il est donc impossible de
pouvoir les prévoir mathématiquement ». Bachelier faisait en

1 Cette théorie fut reprise par Hamilton jusqu'en 1929 où ce dernier prédit,
dans son éditorial du Wall Street Journal du 21 octobre 1929, le reflux de la
marée (The Turn in the Tide) qui allait se produire quelques jours plus tard.
Mais il avait déjà joué plusieurs fois les Cassandre, en se trompant...
2 On apprend dans le livre cité Histoire de la finance (2005) que les Français
Lefèvre et Regnault avaient déjà introduit une « science de la bourse» et une
théorie financière que Bachelier formalisera.
128
gros référence à ce qui deviendra la théorie des trois stades,
rappelée brièvement plus loin, de l'efficience des marchés: la
faible, la semi-forte et la forte. On peut également trouver là les
prémisses de l'analyse de Keynes des conventions et du
mimétisme étudiés plus loin.
Bachelier estime donc que « L'espérance mathématique du
spéculateur est nulle ». Ceci ne remet pas en cause le fait que la
bourse gagne toujours sur le long terme (le profit ne provient
pas du risque mais du surplus économique dégagé), mais le fait
qu'il est statistiquement impossible en moyenne de gagner plus
que ce trend. Bachelier fait donc référence à ce qui deviendra
l'efficience des marchés: « Clairement, le prix considéré par le
marché comme le prix probable est le prix courant: si le
marché en jugeait autrement, il ne coterait pas ce prix mais un
autre prix plus élevé ou plus bas)/ Ce que l'on nomme
maintenant pour les marchés financiers la marche au hasard,
« the random walk ».
L'effet de la crise à partir de 1929 va doper les recherches
concernant les prévisions boursières, et l'on retrouvera
Bachelier, mais seulement en 1950.

* Les marchés efficients, impossibles à battre


Si les marchés sont parfaits et donc « efficients », la
prédiction est impossible. Toute la théorie financière moderne
suppose un marché parfait ou efficient comme dans la
concurrence parfaite du marché des biens et services mais avec
d'autres conditions: les prix sur un tel marché reflètent toute
l'information disponible; les anticipations sont homogènes,
rationnelles (maximisation de la richesse) et les risques sont
évalués de la même façon par tous les agents.
On définit depuis l'Américain Roberts2 trois niveaux
d'efficience. Lafaible revient à montrer que le passé ne permet
pas de prédire l'avenir, ce qui veut dire que les analyses
graphiques (( chartistes») sont dénuées de fondement. La semi-
forte suppose en plus que l'information actuelle publiée est
parfaitement connue et que les réactions à son changement sont
quasi immédiates. Ce qui veut dire que l'analyse des
fondamentaux (comptes de résultat, bilan, et autres annonces
publiques des entreprises) ne permettent pas de « battre le
marché ». La forte enfin intègre les connaissances plus
difficiles à obtenir, à la limite du délit d'initié.

I
Bachelier, cité par Bernstein (op. cit.). Le hasard est tel que l'amplitude des
fluctuations du marché est proportionnelle à la racine carrée du temps,
exactement comme le mouvement brownien des molécules d'un gaz.
2 En 1967 ; on fait plus souvent référence à Fama, en 1970 ; Fama traite plus
spécifiquement des tests empiriques.
129
Les professionnels ne battent jamais le marché
statistiquement, ce qui correspond parfaitement à la théorie de
l'efficience. Savage et P. A. Samuelson tombèrent par hasard
sur la thèse de Bachelier. Bien que keynésien, Samuelson
n'adhère pas à la théorie du marché boursier « casino» de
Keynes mais admet « qu'il n y a rien de bien net à propos de la
valeur des titres », ce sont des «prix fantômes» et le prix de
marché actuel en est sa meilleure évaluation, si l'accès à
l'information correspond à une situation de marchés efficients.
Samuelson admet, comme Bachelier, que l'espérance
mathématique d'un surprojit par rapport à un trend de
croissance de valeur des titres est bien nulle, mais la croissance
des cours suit en fait en moyenne le taux de croissance
économique. Ce qui revient à affirmer que le rendement réel
moyen espéré se cale sur le taux de croissance de l'économie,
ce qui correspond aux modèles macroéconomiques de
croissance: il y a bien derrière la répartition des profits selon le
risque et les aléas, un taux de profit moyen produit « quelque
part ».

422 - De la concurrence pure et parfaite sans conflits aux


contradictions entre les différents capitaux et les managers
dans la théorie financière « moderne»

* La microéconomie traditionnelle et la « libération des


entrepreneurs» : l' « ère des managers»
Longtemps, la théorie dominante de la firme en terme
d'organisation fut celle de la théorie directoriale ou du contrôle
manageriale. La séparation entre des actionnaires dispersés et
les dirigeants (la séparation de la propriété et du pouvoir)
apparaît pour la première fois dans la littérature moderne en
1933 par le livre de Berle et Means (1933). Cette thèse fut
popularisée en France par John K. Galbraith (1969 en
traduction française) dans Le nouvel état industriel avec son
concept de technostructure (le management ayant pris le
pouvoir).
L'actionnaire ressemble de plus en plus à un vulgaire
créancier rémunéré en dividende « proposé» par les dirigeants
qui ont une grande marge de liberté (la «managerial
discretion»). Ce point de vue correspond en fait à une tentative
de libération des managers qui renvoie au mythe de
l'entrepreneur indépendant des apporteurs de capitaux de la
théorie néoclassique traditionnelle: le manager tente en effet de
maximiser son « profit pur », sous la forme de rémunération de
son « travail d'inspection et de direction» et de son pouvoir, en
général corrélés avec la taille de l'entreprise qu'il gère. Il tente

130
de maximiser en fait sa rémunération liée à son prestige en
gagnant des parts de marché, en diversifiant les activités
(formation de conglomérats). Ce faisant il n'assure pas
obligatoirement la maximisation du taux de profit de ses
mandants ni celle de la valeur boursière de la firme.
Cette thèse fut critiquée « par la gauche» en rappelant que
les propriétaires restent les patrons, par les « contrôles de
minorité» : il suffit de posséder quelques pour cent des actions
ou des droits de vote pour contrôler le Conseil d'administration
si le reste de l'actionnariat est très dispersé. Elle fut aussi
critiquée « par la droite» qui maintient que la gestion doit bien
être « Stockholder-oriented », c'est-à-dire que le but de la firme
est bien la maximisation de la capitalisation des titres de
propriété.

* La « nouvelle microéconomie» néoclassique: la fin de l'ère


des managers, les conflits et la reprise du pouvoir par les
actionnaires matérialisée par la « gouvemance »
Ce qui suit peut paraître hors sujet; il n'en est rien. Il
renvoie à un changement de pratique fondamental qui devrait
ébranler le socle de la théorie néoclassique: l'entrepreneur
indépendant des actionnaires redevient le simple mandataire de
ses derniers. Des théories de la firme sont apparues, toujours
gérées avec les paradigmes néoclassiques, mais dans des
marchés imparfaits et à rationalité limitée, tentant de résoudre
avec les techniques néoclassiques les conflits d'intérêts. Toutes
ces théories débouchent sur la Corporate governance. Cette
approche date, dans sa systématisation, d'une trentaine
d'années, mais trouve différentes sources plus anciennes.
Quant à la théorie de l'organisation hiérarchique d'une firme
complexe (curiosité contraire à la théorie néoclassique de
contrats entre individus qui sont des atomes), tout commença il
y a bien longtemps avec Ronald Coase (1937). Il fallut attendre
les années 1970 pour que les limites de l'analyse néoclassique
de la firme par ses seules relations avec les prix réapparaissent,
avec l'asymétrie d'information de l'américain Akerlof (1970),
des conflits d'intérêts palliés par des contrats incitatifs avec la
théorie des contrats, dont la théorie de l'agence (ou « modèle
principal-agent », mandant et mandataire), la théorie des
signaux, celle des coûts de transaction, avec Williamson
(1975).
En bref, pour ce dernier, approfondissant Coase, la
régulation du système par la hiérarchie et les relations de
pouvoir est plus efficace que celle par le marché qui suppose
des coûts de transaction pour définir chaque contrat
microéconomique, soit ex ante (pour définir les incertitudes de
l'avenir), soit ex post pour vérifier le respect du contrat. La

131
théorie de la rationalité limitée du Nobel américain Simon
(1951; 1955; 1991), dont Williamson tient compte, avait
auparavant jeté une autre pierre dans le jardin néoclassique en
notant les comportements opportunistes des agents
économiques, notamment dans les relations du travail. C'est la
théorie comportementale ou, en anglo-américain, behaviorist.
L'asymétrie de l'information trouve donc sa source dans
l'analyse économique avec Akerlof et son exemple des voitures
d'occasion (des « lemons» en anglo-américain( La théorie des
signaux met l'accent sur cette asymétrie de l'information et
donc sur l'importance de la politique de communication des
dirigeants. La théorie de l'agence met en avant les coûts
(...d'agence) liés aux contradictions résolues par contrat entre
les mandataires ou « agents» (les managers) et les mandants,
ou « principals» - en franglais - (les actionnaires et, dans une
certaine mesure, les créanciers). On aboutit ainsi à différents
traitements théoriques des conflits entre managers et apporteurs
de capitaux et enfin à la « gouvernance ».
Le manager, l'entrepreneur relooké, n'est plus indépendant
des actionnaires. Le renversement « politique» est maintenant
complet: le « coût du capital» pour l'entreprise et ses
managers, avec le débat des pour et des contre le théorème de
Modigliani-Miller, redevient clairement une « rentabilité» pour
les actionnaires qui sont devenus dominants alors qu'ils étaient
dominés dans l'ère manageriale. La reprise en main, surtout aux
Etats-Unis, du pouvoir par les actionnaires (par les fonds de
pension en particulier) remet à l'honneur le bon vieux
capitalisme traditionnel des propriétaires: la théorie du
gouvernement d'entreprise sous forme de sociétés de capitaux,
la Corporate Governance. Cette théorie propose de mettre en
place des instruments de contrôle dans les Conseils
d'administration ou de surveillance ainsi que l'intéressement
des dirigeants.
Il est facile de prétendre, après les affaires Enron, Vivendi et
bien d'autres, dont la gestion bancaire qui a abouti à la crise des
subprimes, que l'efficacité de la méthode reste encore à
démontrer. La régulation capitaliste microéconomique et sociale
par les actionnaires et leur gouvernance pose d'ailleurs celle de
la régulation macroéconomique du capitalisme.

1
Si l'information des acheteurs concernant la qualité du produit est
imparfaite, on aboutit à l' « antisélection» où le prix n'est plus un critère de
choix; cette théorie s'est développé dans l'économie du marché des
assurances.
132
43 La théorie du mimétisme et son
développement: la « finance autoréférentielle »

431 - Le mimétisme selon Keynes

* La théorie financière de Keynes n'est que l'envers de sa théorie


financière, ou plutôt le contraire
La théorie financière de Keynes, celle du mimétisme, n'est
que la conséquence des errements de sa théorie monétaire avec
notamment la «demande de monnaie pour motif de
spéculation ». Cette dernière n'est en effet que l'image - donc à
l'envers, comme dans un miroir - du fonctionnementdu marché
financier secondaire des obligations mais sans voir la nécessaire
contrepartie monétaire de chaque transaction. On aboutit avec
cette erreur originelle à considérer que le fonctionnement
courant des marchés financiers est celui d'une masse
moutonnière de spéculateurs mue comme un seul homme
(<<l'agent représentatif» d'Alfred Marshall: « le» spéculateur
de Keynes) par le mimétisme et la convention. Ces phénomènes
ne font aucun doute, mais ne prennent leur véritable
signification qu'en période de bulle financière ou de krach; ils
ne peuvent selon nous expliquer la mécanique fondamentale des
marchés.
Le comportement mimétique fait penser à celui du
caméléon, à celui qui s'adapte au comportement des autres, au
suiveur, au conformiste social, au moutonnier de l'instinct
grégaire. Bref à tout sauf à des qualités reconnues
universellement. Mais le mimétisme, c'est aussi l'intégration
dans le groupe, le ciment social. Mais il y a plus terre à terre:
dans l'incertitude radicale de l'avenir très incertain, c'est, selon
les adeptes de cette théorie dont le père est sans aucun doute
Keynes, la rationalité de base de la spéculation financière la
moins risquée. En effet, le spéculateur qui n'y connaît rien a
plutôt intérêt à suivre qu'à tirer à pile ou face. Même informé,
le fait de se tromper avec la foule semble psychologiquement
moins risqué que de se tromper tout seul contre le marché.

* Keynes et l' « incertitude radicale»


Keynes raisonne donc toujours pour traiter des choix
d'investissements (physiques ou sur les marchés boursiers) en
terme d'incertitude radicale non probabilisable. Cette
orientation est en totale opposition avec les méthodes de la
théorie financière présentées plus haut qui calculent donc le
risque en avenir probabilisable.
Keynes (1937) a cru bon de revenir sur cette conception
dans sa synthèse réinterprétation de la Théorie générale: The
133
General Theory of Employment. C'est souvent à partir de ce
texte que le concept de théorie globale des marchés - le
contraire de l'équilibre général, somme agrégée de
comportements économiques individuels rationnels - et celui
des anticipations est devenu le centre des analyses des
fondamentalistes keynésiens radicaux. Cette conception de
Keynes peut être rapprochée du manque de rationalité en
général - pas seulement pour ce qui concerne le futur incertain -
des agents économiques. On sait donc depuis Herbert Simon,
déjà rencontré plus haut, que la rationalité est limitée. On y
retrouve la myopie de l'agent économique, déjà fondamentale
chez Keynes; on y retrouve aussi une certaine paresse dans
l'évaluation rationnelle du futur qui demande beaucoup
d'informations et de gros efforts, une adaptation de ses désirs
au principe de réalité, bref des habitudes tenaces. On n'est pas
loin du mimétisme et de la convention des analyses de Keynes
que l'on va présenter.
On attribue à Mark Twain l'aphorisme repris par Sir
Winston Churchill selon lequel « la prévision est difficile...
surtout en ce qui concerne l'avenir ». Pour Keynes l'incertitude
radicale induit des comportements apparemment irrationnels
des agents, dont le mimétisme. Les agents fondent leurs
prévisions sur la croyance que les résultats les plus récemment
réalisés se poursuivront dans l'avenir; c'est ce que Keynes
nomme une convention. Selon le Keynes (1936) de la Théorie
générale « Cette convention consiste essentiellement ... dans
l 'hypothèse que l'état des affaires continuera indéfiniment... ».
Il ajoute immédiatement, heureusement: « ... à moins qu'on ait
des raisons définies d'attendre un changement ». Soit Keynes
oublie dans son raisonnement sa petite remarque, soit ilIa rend
inopérante: « En fait ceux qui cherchent sérieusement à faire
une telle estimation forment souvent une si petite minorité qu'ils
n'ont pas d'influence sur le marché ». Surtout, la recherche de
la liquidité prime dans le jeu boursier et mobilise toute
l'attention des professionnels: comme au jeu du « chat
perché », on peut toujours « faire pouce» entre deux aventures
risquées. C'est le reproche courtermiste que l'on fait à la
spéculation: « les» spéculateurs ne jouent que sur le court
terme, prennent leurs bénéfices s'ils anticipent un retournement
du marché, même sans aucun fondement autre qu'une hausse
jugée trop importante des cours et même s'ils pensent avoir une
idée du long terme. Leurs décisions seront prises non pas en
fonction de ce qu'ils pensent du futur, mais en fonction du
moment présent et des mouvements des moutons de Panurge.
Toute l'ambiguïté du raisonnement du mimétisme réside dans
ce jeu « dialectique» : le jeu entre la difficulté des anticipations
à long terme (peut-être même leur impossibilité théorique) et les

134
contraintes de court terme: la liquidité des marchés. Keynes
éclaire parfaitement ce point de vue. Il existe bien une certaine
rationalité au comportement courtermiste que permet la parfaite
liquidité boursière; celle-ci peut être en contradiction avec les
fondamentaux, elle fait pourtant la rationalité boursièrel,
Keynes préférait un mariage long au papillonnage des
spéculateurs: « Devant le spectacle des marchés financiers
modernes, nous avons parfois été tenté de croire que si, à
l'instar du mariage, les opérations d'investissement étaient
devenus définitives et irrévocables, hors le cas de mort ou
d'autre raison grave, les maux de notre époque pourraient en
être utilement soulagés; car les détenteurs de fonds à placer se
trouveraient obligés de porter attention sur les perspectives de
long terme et sur celles-là seules ». Keynes nous propose là, ni
plus ni moins, que la suppression de la bourse, ce « casino» : le
mariage plutôt que les liaisons éphémères et dangereuses. Mais
dans ce cas, plus de marché de la monnaie, plus de spéculation
possible dont ce marché n'est que l' « envers» : ce sont en effet
les valeurs boursières anticipées qui déterminent la préférence
éventuelle pour la liquidité. Pour une fois, Keynes nous
explique donc clairement le fondement de « l'appel de
liquidité»: l'offre de titres dont on croit qu'ils vont baisser
contre une demande de monnaie.

* La bourse comme « casino» et le « marché foule»


Keynes nous propose l'image de la bourse comme un
casino, alors qu'il s'agit plutôt d'une course de chevaux.

I
« Et cette attitude ne résulte pas d'une aberration systématique, elle est la
conséquence inévitable de l'existence d'un marché financier organisé ... Il ne
serait pas raisonnable en effet de payer 25 pour un investissement dont on
croit que la valeur justifiée par le rendement escompté est de 30, si l'on croit
aussi que trois mois plus tard le marché l'évaluera à 20. Pour l'investisseur
professionnel, c'est donc une obligation de s'attacher à anticiper ceux des
changements prochains dans l'ambiance et l'information que l'expérience fait
apparaître comme les plus propres à influencer la psychologie de masse du
marché. Telle est la conséquence inévitable de l'existence de marchés
financiers conçus en vue de ce qu'on est convenu d'appeler" la liquidité ". De
toutes les maximes de la finance orthodoxe, il n'en est aucune, à coup sûr, de
plus antisociale que le fétichisme de la liquidité, cette doctrine selon laquelle
ce serait une vertu positive pour ces institutions de placement de concentrer
leurs ressources sur un portefeuille de valeurs" liquides". Une telle doctrine
néglige le fait que pour la communauté dans son ensemble il n y a rien qui
corresponde à la liquidité du placement. Du point de vue de l'utilité sociale
l'objet de placements éclairés devrait être de vaincre les forces obscures du
temps et de percer le mystère qui entoure le futur. En fait l'objet inavoué des
placements les plus éclairés est à l'heure actuelle de "voler le départ ",
comme disent si bien les Américains, de piper le public, et de refiler la demi-
couronne fausse ou décriée». La « vieille fille» dans le jeu anglais de snap,
jeu de carte ressemblant à notre « pouilleux ».

135
Le concept de bourse casino chez Keynes, archi cité, est peu
clair. Cette bourse casino devrait être liée au simple hasard; or
le casino ressemble moins à la bourse que cette dernière aux
courses de chevaux où existent des fondamentaux: on joue le
favori (mimétisme), sauf quelques risk takers, l'outsider, et un
ou deux fous, le tocard. Keynes préfère la référence au casino
où pourtant l'aléa absolu ne peut en aucun cas induire le
mimétisme. En lançant le concept de bulle financièrel, il précise
l'opposition entre l'intervention sur les marchés financiers par
le « comportement d'entreprise », lié aux fondamentaux, et le
« comportement spéculatif» au sens dépréciatif du terme qui
l'amène à son image du casino, casino signifiant surtout que
l'on ne place pas pour les revenus attendus mais pour les gains
immédiats en capital2. Le marché devient un « marché foule ».
Le spéculateur jouant contre le marché aura donc
probablement changé la convention; Keynes approche donc la
contradiction fondamentale du marché boursier et est très
critique envers le comportement spéculatif et la rupture de la
convention. Il en arrive à penser, malgré ses travaux sur les
probabilités qu'il cite d'ailleurs dans ce chapitre, que
« Lorsqu'on évalue les perspectives de l'investissement, il faut
tenir compte des nerfs et des humeurs, des digestions même et
des réactions au climat des personnes dont l'activité spontanée
les gouverne en grande partie ». Autre grand classique de la
Théorie générale qui renvoie bien à l'aléa total et au casino.

* Le mauvais exemple du « concours de photographies» ou


« concours de beauté»
Keynes, dans un autre grand classique de la Théorie
générale, penche plutôt pour le mimétisme seul en oubliant
complètement les références rationnelles possibles et donc
probablement diverses des agents, avec son allégorie du
concours de beauté souvent citéé. Ce qui ne colle pas du tout
avec la bourse: dans une situation donnée, la majorité est
I
« Les spéculateurs peuvent être aussi inoffensifs que des bulles d'air dans
un courant régulier d'entreprise. Mais la situation devient sérieuse quand
l'entreprise n'est plus qu'une bulle d'air dans le courant spéculatif. Lorsque
dans un pays le développement du capital devient le sous-produit de l'activité
2d'un casino, il risque de s'accomplir dans des conditions défectueuses ».
Il proposait d'ailleurs de lourdes taxes (une sorte de « taxe Tobin» avant la
lettre), sur les transactions boursières. En effet, seuls les coûts de transaction
(commissions ou coûts fixes des opérations) limitent les mouvements d'aller-
retour.
3 « ... la technique du placement peut être comparée à ces concours organisés
dans les journaux où les participants ont à choisir les six plus jolis visages
parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à celui dont les
préférences s'approchent le plus de la sélection moyenne opérée par
l'ensemble des concurrents... on emploie ses facultés à découvrir l'idée que
l'opinion moyenne sefera à l'avance de son propre jugement ».
136
haussière, la minorité est baissière : où est la «beauté
moyenne» ? Il existe toujours une contrepartie dans une
tendance majoritaire haussière ou baissière et l'on ne peut parler
que d'un mimétisme de la majorité qui ne vit que par son
contraire.

* Critique de la théorie du mimétisme: encore la nécessaire


contrepartie des transactions sur les marchés financiers
La question de la contrepartie dans les transactions
réapparaît évidemment puisque nous sommes maintenant en
train d'étudier l'envers du marché de la monnaie au sens de
Keynes. Le maître n'y aurait-il pas pensé? Si, bien sûr. On
trouve dans la Théorie générale des références explicites à cette
contrepartie 1; sans parler du «cas général» concernant le
marché de la monnaie qu'il a voulu éliminer. Il n'empêche qu'à
court terme, une dichotomie entre les fondamentaux de la
sphère réelle et les comportements de la sphère financière existe
souvent; cela ne fait aucun doute avec les bulles qui gonflent et
éclatent de temps à autre. Mais le mimétisme est insuffisant et
même contradictoire pour constituer le phénomène. Et Keynes
l'a remarqué dans la Théorie générale: « C'est seulement dans
la mesure où un changement dans les informations est
interprété différemment par les divers individus ou affecte
différemment les intérêts individuels que l'on constate sur le
marché des obligations une activité plus grande des
transactions ». Certains2, probablement assez compétents, ont
bien compris ce que voulait dire Keynes quand ils remarquent:
« Si cette explication - [celle du mimétisme, de la convention et
de sa rupture] peut expliquer la variation des prix, elle
n'explique pas celle des volumes de transaction.
L'augmentation considérable des volumes de transaction ne
peut avoir lieu que si les anticipations des uns et des autres sont
différentes, ce qui est le contraire d'un instinct grégaire ». Tout
est dit: Keynes donnait déjà des verges pour battre sa théorie
du mimétisme.
Cette nécessaire contrepartie dans les transactions boursières
était une constante dans l'analyse des précurseurs de l'analyse

I « De même que l'efficacité marginale du capital est déterminée, nous


l'avons vu, non par l'opinion la plus éclairée mais par l'évaluation du marché
telle que la fait la psychologie de masse... et lorsque l'opinion d'un agent
diffère en sens inverse de celle du marché, elle a un motif pour emprunter de
l'argent pour de courtes périodes afin d'acheter des créances à plus long
terme. Le prix de marché se fixe au niveau où les ventes des baissiers
équilibrent les achats des haussiers ».
2 Conseil National de l'information statistique (CNIS), Dichotomie entre
sphère réelle et sphère financière, Groupe de travail sous la direction de
Jacques Pécha et Jacques Bourday, na 4, février 1992; cité par Bouhours
(1993).
137
des mouvements boursiers, tels Bachelier ou plus tard Osborne.
Le premier écrivait en 1900, cité par Bernstein: « ... les
opinions contradictoires concernant les variations du marché
divergent tellement que, au même moment, les acheteurs croient
à une hausse des prix et les vendeurs à une baisse des prix ».
Analysant les travaux d'Osborne de la fin des années 50 et du
début des années 60, Bernstein remarque: « ... en ne réalisant
pas... qu'il se fait l'écho de Bachelier, Osborne affirme que les
prix représentent les décisions prises dans ces moments et -

dans ces moments seulement - où l'acheteur s'attend à ce que le


prix d'une action monte et le vendeur s'attend à ce qu'il
baisse: pour qu'il y ait transaction, il faut une différence
d'opinion. Ceci veut dire que, pour l'ensemble du marché, la
variation attendue des prix est nulle. Le marché montera de x %
ou baissera de x % avec la même probabilité ».

* Pourquoi Keynes a-t-il fait semblant de se tromper?


Tentons un procès d'intention. Nous sommes convaincus
que Keynes avait parfaitement compris les mécanismes
boursiers; le contraire serait curieux. Mais il se rendait
probablement compte qu'en explicitant les contradictions des
agents et les nécessaires contreparties dans les transactions, il
mettrait par terre sa théorie du marché de la monnaie avec L2
macroéconomique fonction de r.
Pourtant, quand il notait (voir plus haut) «pour la
communauté dans son ensemble il n y a rien qui corresponde à
la liquidité du placement », Keynes était en complète
contradiction avec l'analyse de son marché de la monnaie. Il
n'y a en effet rien au niveau macroéconomique qui corresponde
à la liquidité du placement: le jeu ne peut être que celui de
vases communicants! Keynes aurait pu se rendre compte en
écrivant cette vérité - mais ici, cela l'arrangeait pour défendre sa
théorie du mimétisme! - que sa fonction macroéconomique L2
décroissante avec r était peut-être une fable.

432 - La reprise de la théorie du mimétisme ou « finance


auto référentielle » par André Orléan

* Le mimétisme selon Orléan


André Orléan, (1999) dans Le pouvoir de la finance!,
reprend toute l'analyse ainsi que le mot et le concept de
convention de la Théorie générale. On retrouve tout le
raisonnement de Keynes: la rationalité auto référentielle
I
Ce livre est J'aboutissement de nombreux travaux dont on trouve les
références dans Ja bibliographie du livre de Bruno-Laurent Moschetto (1998).
Voir également J'interview d'Orléan (2000).
138
mimétique; les croyances partagées (la convention) ; la règle de
la liquidité financière. La nouveauté par rapport à Keynes, ce
sont les fonds de pension et leur « pouvoir médiatique» fondé
sur la capacité des dirigeants de ses fonds d'imposer, malgré
leur faible poids dans le capital des sociétés, une structure
organisationnelle des firmes (gouvernance et stock options).
C'est le concept d'individualisme patrimonial des actionnaires
minoritaires et de leurs organisations.
Orléan veut aller plus loin que Keynes « qui, écrit Orléan, a
parlé pour la première fois de "conventions financières"».
Mais le maître n'aurait perçu qu'une partie du phénomène (les
« conventions de continuité» ou « de normalité» c'est-à-dire
où les cours varient de façon normale, continue) sans percevoir
les «conventions d'interprétation» qu'Orléan propose de
théoriser!. Au centre de cette conception réside l'absence de
bases solides rationnelles de prévision du futur dans l'incertain
non probabilisable, mais surtout la surdétermination des
comportements boursiers par le courtermisme. Keynes avait vu
la seconde mais, il est vrai, s'en tenait à l'existence de
fondamentaux (rappelons qu'il était pour le choix à partir des
fondamentaux et contre la diversification); il montrait que la
question n'était pas tant la difficulté d'appréhension de la valeur
fondamentale que son éventuelle contradiction avec la
spéculation à court terme.
Orléan estime que la valeur fondamentale ne peut pas être
définie si l'on prend en compte l'incertitude radicale de Keynes.
Il oppose comme Keynes dans le fonctionnement des marchés
financiers, la «valeur fondamentale », l'actualisation des
profits futurs, et la «valeur spéculative ». La première
correspond à la « spéculation d'entreprise» de Keynes. Elle est
axée donc sur la valeur « réelle» de l'entreprise: ses profits
futurs actualisés à un taux difficile à définir; les spéculateurs
sont alors nommés «fondamentalistes ». Il va de soi que la
liquidité du marché permet seule ce type d'intervention.
Contrairement à la « valeur fondamentale », la « valeur
spéculative» n'est plus fondée sur ces anticipations réelles,
mais sur les anticipations des fluctuations elles-mêmes du
marché: c'est là qu'intervient le mimétisme et que se place au
premier rang la liquidité du marché. Dans le premier cas, la
liquidité est un moyen, et les échanges seront rares, car les
fondamentaux ont peu de raison de changer tout le temps; dans
le second cas la liquidité est une fin, car les anticipations de
fluctuations se modifient tout le temps: on cherche à prendre
ses bénéfices, à retourner à la liquidité, seul moyen de prendre
ses bénéfices, même si la spéculation sur la valeur spéculative
I Nous ne développerons pas ici les apports des travaux d'Orléan, sauf en
référence à ceux de Keynes.
139
est en contradiction avec ce que l'on croit être la valeur
fondamentale. Là encore on voit mal l'originalité d'Orléan par
rapport à Keynes.
Encore une fois, l'erreur de la théorie du mimétisme
provient de la considération de spéculateurs agissant toujours
« comme un seul homme ». En 2004, Orléan persiste dans ce
point de vue en écrivant: « ...la rationalité autoréférentielle se
définit comme un cas particulier de rationalité stratégique [au
sens de la NT A, PC] lorsque celle-ci se trouve partagée par
tous [c'est nous qui soulignons, PC] les investisseurs ». Peut-
être jouons-nous sur les mots, car plus loin Orléan se reprend:
« Telle est la clé du raisonnement autoréférentiel. Elle repose
sur l 'hypothèse de d'autonomisation de l'opinion majoritaire en
tant qu'opinion majoritaire [c'est nous qui soulignons, PC] ».
Mais dans sa conclusion, on retrouve: « Pour l'approche
conventionnaliste, la rationalité financière consiste à penser le
prix comme résultant des croyances de tous les participants,
quand tous [c'est nous qui soulignons, PC] les participants
agissent de même ».
Orléan est pourtant conscient, comme Keynes, des limites du
comportement mimétique. Il évoque en effet la contradiction et
les contreparties dans les transactions. Il rappelle, comme
Keynes, que la liquidité n'a pas de sens au niveau global, elle
n'a de sens que dans la spéculation individuelle, ce qu'il
nomme le paradoxe de la liquidité: « ... la préférence pour la
liquidité est un désir contradictoire qui ne peut manquer de se
détruire dès l'instant qu'il est poursuivi simultanément par
tous. La liquidité introduit de ce fait un écart entre la
rationalité individuelle et la rationalité collective ». On
retrouve encore la contradiction dans la théorie du mimétisme
entre le jugement collectif et les opinions individuelles
contradictoires 1.
La théorie des bulles rationnelles, seulement ébauchée par
Keynes, indique que les opérateurs partageant la même fausse
opinion et voyant, quand la bulle se gonfle, cette opinion
réalisée, continuent la convention: la prophétie, l'anticipation
auto réalisatrice. Avec ce panurgisme, chacun est censé se
forger sa propre opinion sur celle des autres et non pas sur les
références à la sphère réelle qui détermine les fondamentaux.
C'est le « marché autoréférent » ou la finance autoréférentielle.
Pourtant Orléan cite bien l'intervention de « contrariants» dans
la spéculation, il est également gêné pour opposer la
« convention de normalité» à la théorie de l'efficience des

1
La reprise de la métaphore du « concours de beauté» de Keynes pour fonder
la théorie mimétique, malgré sa formalisation mathématique, ne nous
convainc guère plus que la présentation originale de Keynes.
140
marchés qui détermine les cours 1. Orléan reconnaît par ailleurs
que la « convention d'interprétation» n'est pas non plus très
éloignée de la valeur fondamentale, sauf que cette valeur est
filtrée par des modèles d'interprétation, des paradigmes qui
peuvent être remis en cause à tout instant.
Ces processus induisent l' « individualisme patrimonial» et
la jinanciarisation. Il s'agit du dernier chapitre avant la
conclusion du livre d'Orléan (1999) renvoyant aux méthodes
d'influence des fonds de pension sur le management des
entreprises dont ils contrôlent en général une forte minorité.
Elle ne passe pas par les Conseils d'administration mais par
l'influence médiatique.
Mais on peut tout aussi bien y arriver à l'aune de la théorie
de l'efficience des marchés.

I « L 'hypothèse d'efficience nous dit que le prix reflète pleinement et


correctement toute l'information disponible à l'instant considéré. Mais quel
sens donner à " pleinement et correctement" ? Si cela signifie pleinement et
correctement relativement aux capacités cognitives des intervenants sur le
marché, alors nous ne sommes pas loin de notre propre analyse et de la
conception keynésienne ».
141
Cha pitre V
Le « principe d'incertitude généralisé» :
la « double spéculation »
sur les marchés financiers,
perturbée par la politique monétaire

On propose donc de montrer en développant la théorie du


taux d'intérêt de Smith par la « double spéculation» sur les
marchés secondaires actions et obligations, que la crise
financière est le plus souvent la conséquence d'une crise réelle
des taux de profit; c'est le premier temps de l'analyse. On doit
partir de la constatation suivante: Keynes ne met pas en
relation explicitement le marché des obligations avec celui des
actions, ou très rarement, comme chez ses pères néoclassiques.
Grave oubli. On peut montrer que la spéculation sur les marchés
financiers n'a de sens que par le couple fondamental
obligations-actions: le taux d'intérêt est déterminé
« spontanément» par la spéculation sur les marchés financiers
secondaires de l'occasion, à partir du taux de profit (de la
rentabilité économique de tous les capitaux)... hors crédit
bancaire et politique monétaire. Ce n'est là que « théorie
pure », sans «frottements sociaux» des banques.
Mais, second temps, ce processus spontané de marché est
évidemment perturbé par l'intervention du crédit bancaire et de
la politique monétaire. Par arbitrage sur les marchés financiers,
la variation des taux courts du marché monétaire - au sens des
échanges de titres entre les banques pour leur refinancement -
induite par l'action des banques commerciales et/ou par la
politique monétaire, pourra avoir une influence sur les taux
longs. Cette politique pourra soit accompagner, soit contrecarrer
les tendances spontanées de l'évolution du taux d'intérêt lié au
taux de profit, à la rentabilité économique. La question des taux
longs, des taux courts et des taux d'intervention des Banques
centrales, où des « gourous» (tels Alan Greenspan)
interviennent, doit donc être posée. Il s'agit des «frottements ».

143
51 - La détermination du taux d'intérêt à
partir du taux de profit par la double
spéculation: la « théorie pure », sans les
« frottements sociaux» des banques « machines
sociales à déthésauriser»

On commencera par une analyse « littéraire ». On continuera


par la prise en compte du « ratio q » de Tobin (rapport entre la
valeur de marché d'un capital et sa valeur comptable) ainsi que
par celui de la « création de valeur actionnariale ». On
terminera par une formalisation considérant constante la prime
de risque désirée par les actionnaires. Ce qu'elle n'est pas:
d'où notre « principe d'incertitude généralisé ».

511 - Dans quel sens faut-il prendre la relation entre le


taux d'intérêt r et la valeur de marché V des titres? r ~ V
(fonction décroissante) ou V ~ r (fonction croissante) ?

* Vision orthodoxe: r -7 V
Le lien de causalité le plus commun, déjà présenté plus haut,
pour lier r et les valeurs de marché V des titres longs
(obligations et actions) est celui qui va de r vers V (r -7 V) : si r
augmente (versus diminue) pour des bénéfices futurs anticipés
donnés des actions, la valeur des actions comme des obligations
diminue (versus augmente), V étant le rapport des revenus
anticipés sur le taux d'actualisation. Pour les obligations, dans
le cas où le remboursement est lointain, cette valeur est le
rapport du coupon, parfaitement connu pour des obligations à
taux fixes, au taux d'intérêt r, en négligeant la prime de risque
sur les obligations. Pour les actions, c'est le rapport des
bénéfices financiers anticipés BfA, difficiles à connaître, et du
taux de rentabilité désiré rID, égal à r plus la prime de risque
1
désirée par les actionnaires : V = BfA / rID.
Dans ce cas, le taux d'intérêt ne peut plus s'expliquer que
par la théorie néoclassique du marché des fonds prêtables2 ou
par celle du taux d'intérêt variable monétaire induit par la
politique monétaire keynésienne. Il est de toute façon exogène
au taux de profit moyen non maximisé selon les techniHues
néoclassiques et keynésiennes de choix des investissements3.
I
On prend ici le bénéfice moyen anticipé qui peut être calculé en fonction du
taux de croissance annuel des profits g à partir du bénéfice actuel Bf; voir
plus haut.
Ou par celle des néoclassiques autrichiens, de Menger à Bohm-Bawerk.
3 Voir plus haut.

144
* Vision nouvelle: V ~ r, mais seulement en « théorie pure»
Mais on peut inverser l'analyse, dans le cadre d'hypothèses
restrictives critiquées plus loin (en particulier l'absence de
crédit bancaire et de politique monétaire). On peut montrer, au
niveau macroéconomique, qu'une variation générale des profits
anticipés BfA, donc des taux de profit, donc des valeurs de
marché des actions VA, influence les valeurs de marché des
obligations V0 et donc r : la causalité va dans ce cas de VAvers
r (V ~ r). Par quel processus? Si, pour un taux d'intérêt r
(provisoirement) donné, est anticipée une brusque augmentation
(versus une brusque diminution) des BfA, la valeur de ces
actions VA augmente (versus diminue), la valeur des obligations
V0 va baisser (versus augmenter) par arbitrage. On délaisse
(versus on se précipite vers) les obligations] pour les actions
(versus on les délaisse); ce qui entraîne une augmentation
(versus une diminution) de r. On en déduit qu'une variation des
taux de profit anticipée induit une variation dans le même sens
de r. Comme chez Smith, mais par la double spéculation sur les
marchés secondaires actions et obligations, et avec des taux de
profit anticipés et effectifs le taux d'intérêt n'est
fondamentalement qu'un avatar du taux d,e profit, ici des
rentabilités financières des capitaux propres. A condition que la
prime de risque désirée par les actionnaires, RID, ne se modifie
pas ou très peu. En effet, rappelons que le taux de rentabilité
désiré par les actionnaires pour actualiser BfA, est
rID = r + RID, et rappelons que BfA se déduit du Bf actuel par
BfA = [(rID f(rID - g)]Bf.

u
2 - v, -",:</(r +RtD)

-
BfA
f>
.

[ pour un r donné,
5-VA"
...
/??

3 - Vo par arbitrage
~
.

/ C--~Zi~oa~~---''')

~
~

4 - Le taux de rendement de va,

/'
1
Si le taux de rentabilité des actions augmente, les obligations deviennent
moins rentables: une majorité les vend; sauf ceux qui ne croient pas au boom
des profits; et il doit y en avoir, sinon pas de contreparties!
145
Le schéma qui précède résume la séquence quand le profit
anticipé augmente; mais une rétroaction, problématique,
apparaît.

* Spéculation théoriquement stabilisante, dans la réalité


déstabilisante
Ce processus devrait induire ensuite une rétroaction, par la
hausse (versus la baisse) de r faisant baisser (versus hausser) la
valeur des actions qui contrarie l'action initiale et présenterait
donc un effet régulateur. Tout boom (versus récession) ferait
hausser (versus baisser) à lafois les profits futurs et r : la valeur
des actions ne pourrait être très instable sur courte période et
n'augmenterait sur longue période que suivant le trend de
hausse de l'activité. Pas besoin d'effet Pigoul pour montrer
contre Keynes que le boom financier et la crise sont
impossibles! La spéculation serait stabilisante, autorégulatrice.
Même théoriquement, si l'adaptation de r est immédiate, le
moindre cycle de BfA induit un cycle de V, car la variation de r
n'est pas proportionnelle à celle de BfA dans la mesure où rID
inclut une prime de risque désirée qui peut être estimée
grossièrement constante, de toute façon non induite par r, du
moins dans un premier temps. Donc, même si les anticipations
des nouveaux niveaux de taux d'intérêt en hausse, corrigeant le
taux de rentabilité désiré des actionnaires, sont rationnelles
sinon parfaites, la stabilisation ne sera pas totale. Le graphique
suivant illustre le phénomène à partir de l'hypothèse d'une
variation cyclique de BfA sur une somme de périodes.

BfA

4 -~ BfA/ riD. ,d'p,,"on immèdi,,,


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I
Une baisse générale des prix dans une éventuelle récession augmente
l'encaisse réelle (masse monétaire corrigée de l'inflation) : les agents étant
plus riches, la demande augmente donc. Et la récession serait donc
impossible! C'est oublier les effets sur les revenus et leur répartition ainsi que
les anticipations: la baisse des prix incite à penser que le mouvement va
continuer; on retarde donc ses achats, ce qui dope la récession.
146
Il n'empêche que l'intervention de la rétroaction de r amortit
le cycle de V para rapport à celui de BfA. Cette stabilisation
relative n'apparaît pas dans la réalité. En effet, comme pour
l' «illusion monétaire» des monétaristes avec Milton
Friedman, il peut exister ce que nous avons nommé l' « illusion
de la valeur présente (sinon passée) des taux d'intérêt ». Et les
cycles boursiers réapparaissent, amplifiée par cette illusion. En
effet, un boom des profits anticipé par les actionnaires d'un
certain pourcentage va se traduire immédiatement par un boom
de V des actions dans une proportion proche (mais non
équivalente, par l'intervention de RID) si le taux d'intérêt r pris
en compte ne varient pas immédiatement. Puis,
progressivement, par les « anticipations adaptatives », toujours
à la Friedman, r va grimper, mais avec retard, faisant baisser V.
Mais au moindre « profit warning» généralisé, on continuera à
utiliser le même r alors que les profits anticipés seront en
baisse, ce qui fera chuter V nettement plus que de raison. Grave
retard d'adaptation, d'autant plus que c'est justement le moment
où les risques de faillite vont peut-être contraindre les banques à
hausser réellement les taux courts (induisant un e{fet de levier
de l'endettement très négatif, un effet de massue). A la fin de la
récession, les taux d'intérêt seront à leur étiage, suivant
l'écroulement des taux de profit. Lors de la reprise, le moindre
frémissement des taux de profit sera actualisé avec ces faibles
taux, toujours avec retard. Et la bulle repartira de plus belle...
Le graphique suivant illustre le processus selon la durée du
retard d'adaptation de r. Plus le décalage de période est
important, plus le processus de rétroaction est déstabilisant].

..
E 14 Retard 1 période
" 12.
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...
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N

1
Ces effets généraux cycliques des retards d'adaptation sont bien connus; il
s'agit des « décalages» de RQbertson (entre les revenus obtenus et leur
dépense) et de Lundberg, de l'Ecole suédoise, (entre la demande globale et
l'offre).
147
512 - Les indéterminations selon le « ratio q» de Tobin et
la création de valeur actionnariale

Il n'est pas courant de rapprocher ces deux analyses, la


seconde (fin des années 80 et début des années 90) étant
beaucoup plus récente que la première (fin des années 60);
nous le proposons ici car le rapprochement est évident.

* Le « ratio q » de Tobin, les valeurs de marché des entreprises et


une technique de choix des investissements
Tobin (1969) proposa des avancées dans le cadre keynésien
permettant d'analyser le marché secondaire des titres. La
monnaie fait partie du patrimoine des agents économiques, c'est
un actif sans risque; le reste du patrimoine est constitué des
actifs physiques représentant pour les entreprises leur capital
économique K financé par des titres (actions pour CP et
obligations pour D). La somme des valeurs de marché de CP et
D, notée ici VKpeut être différente de la valeur comptable de K.
Le ratio ou quotient q (en anglais Tobin 's q) est d'abord une
technique de choix des investissements, bien qu'il se présente
comme le rapport entre VKet K. Ce ratio ressemble au price ta
book ratiol, mais avec des différences notables: d'une part, il
inclut tout le capital économique, financé par capitaux propres
et dettes; d'autre part, le capital économique doit être réévalué
en valeur de remplacement. Le q de Tobin est donc q = VK / K.
q apparaît ici comme un indice d'augmentation de valeur
boursière de la firme par rapport à sa valeur comptable ou q - 1
l'accroissement relatif de valeur boursière. L'équilibre au sens
de Tobin correspond à q = l, quand VK= K.
Les décisions de dépense de monnaie pour acquérir soit des
titres, soit des actifs physiques, dépendent de la comparaison de
leur rendement2. Il s'agit bien dans ce cas du choix des
investissements physiques. Mais la valeur de marché de K, pour
le moment évacuée, va revenir. Une technique de choix des
investissements en gestion financière fondée sur l'analyse
néoclassique, est le calcul de la Valeur Actualisée Nette de
l'investissement, la VAN déjà rencontrée3. Soit un projet de
I
Le rapport de la valeur de marché (le prix de l'action) à sa valeur dans les
livres comptables (<<book»).
2 On n'achètera pas 125, sur le marché secondaire, un titre qui rapporte 10,
soit un rendement anticipé de 8 %, si l'on peut acquérir un actif économique
rapportant le même profit de 10, d'une valeur de 100 dont l'anticipation de
rendement est donc de 10 %.
3 Cependant, on a vu plus haut que ce calcul, fondé sur la théorie
néocIassique, maximise bien la masse de profit mais pas le taux de profit
moyen. Ici, on raisonne en taux de profit moyen: il n'y a plus de hiatus.
148
coût initial K rapportant des profits économiques futurs
anticipés BeA, supposés constants jusqu'à l'infini,
l'investissement K étant « inusable », donc non amorti: BeA
est ici un flux monétaire, un « cash flow» I. La monnaie
dépensée pour acquérir K aurait pu être placée en acquisition de
titres sur le marché financier secondaire; pour rapporter le
même profit, il aurait fallu placer la somme V telle que VreD =
BeA, ou V = BeA / reD2. La VAN, pour un taux de rentabilité
économique désiré égal au taux d'intérêt sans risque plus la
prime de risque économique (rID = r + Re), est dans ces
hypothèses la suivanté: V AN = BeA / reD - K. La VAN
mesure le gain différentiel entre l'investissement physique et le
placement en titres.
On calcule souvent un indice de profitabilité - traduction de
l' anglo-américain « index of profitability» - par Ie rapport que
nous noterons q, car c'est le q de Tobin; on va y revenir. On a
donc: q = (VAN + K) /K si q > 1, VAN> 0 et l'investissement
est rentable; si q < 1, VAN < 0 et l'investissement n'est pas
rentable; si q = 1, VAN = 0 et il est indifférent d'investir ou de
placer sa monnaie en titres. 1 - q = VAN / K mesure le gain
relativement à l'investissement4. La VAN est dans ce cas, on l'a
vu, une fonction monotone décroissante qui peut s'annuler une
seule fois: ce qui définit le TIR, le taux interne de rendement,
également déjà rencontré, qui renvoie à une rentabilité
économique anticipée reA (en général marginale, ici dans notre
analyse, il s'agit de la rentabilité moyenne). On obtient
facilement dans nos hypothèses5 : TIR = reA = BeA / K.
Revenons à Tobin. L'indice de profitabilité n'est rien d'autre
que le rapport entre la valeur du placement en titres donnant le
même BeA et K. On est donc parti du q de Tobin par la
question du choix des investissements, et l'on revient à la valeur
de marché de l'entreprise où l'on a investi K. En effet, on
achètera maintenant les titres financiers correspondant à K pour

I
Ces hypothèses réductrices nous permettent quelques simplifications et
renvoient simplement au calcul des valeurs de marché des titres.
2 V = 10 / 0,08 = 125 : il faut en effet placer 125 pour obtenir, avec un reD de
8 %, IOde profit.
3 Soit par exemple un investissement de 100 qui rapporte chaque année BeA =
10. Si reD = 8 %, la somme des cash flows actualisés est de 125 (10 / 0,08)
donnant une VAN de 25; cet investissement est rentable comparé à
l'investissement en titre de 125 donnant le même profit. On a ici VAN =
V - K. S'il n'avait rapporté que 90, la VAN aurait été de -10 et l'on aurait
perdu ce montant.
Dans l'exemple numérique proposé, on obtient (100 + 25) /100 = 1,25, soit
25 % de gain par rapport à l'investissement.
5 Dans notre exemple, le TIR de l'investissement de 100 rapportant 10 jusqu'à
l'infini est évidemment de 10 %; reA est supérieure à reD (= 8 %) et
l'investissement est donc rentable.
149
une valeur VK = BeA / reD: la boucle du ratio q de Tobin est
bouclée!
Le ratio q selon l'approche précédente peut donc être
interprété comme le rapport] q = reA / reD. Ce qui renvoie à
l'analyse de la création de valeur actionnariale.

* La valeur de marché d'une entreprise et la« création de valeur


pour l'actionnaire»
On peut donc s'aider, pour mieux s'éclairer du hiatus
existant entre la réalité, la rentabilité effectivement réalisée re et
le désir de rentabilité reD des capitalistes, de cette nouvelle
approche de «création de valeur actionnariale ». Il s'agit
maintenant, quand on mentionne la « valeur », de la valeur, la
« vraie »... pour les apporteurs de capitaux: les vrais créateurs
de valeurs en quelque sorte! Ce glissement de sens est encore
plus amusant quand on parle de création de valeur actionnariale,
ou de~ « Valeur Economique Ajoutée pour l'actionnaire2»:
l'EVA,B),Economic Value Added.
Imaginons donc une entreprise (notre illustration précédente)
dont le capital économique investi comptable K = 100
« produit» depuis toujours un profit courant de 8, donc une re
courante en régime de croisière de 8 %, égale à la reD, désir qui
s'était adapté à la réalité. Si elle produit maintenant un profit
effectivement réalisé Be de 10, soit une rentabilité économique
effective re de 10 %, quelle va être la réaction du marché
boursier. Attention, ce dopage des profits ne doit pas être la
conséquence d'un investissement nouveau, seulement celle
d'une amélioration de la gestion avec les mêmes moyens3. Le
CMPC désiré, ou la reD étant de 8 %, l'entreprise bénéficie
ainsi d'un surprojit réel par rapport à ses désirs dont le taux est
de 2 % (re - reD) de K, donc de 2 pour un K de 100. Ce
surprofit revient évidemment aux apporteurs de capitaux (en
fait aux seuls actionnaires4). Ce sont ces 2 - et non pas le taux
1 reA = BeA / K, donc K = BeA / reA, et VK = BeA / reD, donc q
= VK / K =
~BeA / reD) / (BeA / reA) = reA / reD.
V oir Stem (1984), Stewart (1991), Stem, Stewart et Chew (1995). Les
auteurs de ce sigle - Stem et Stewart - ont eu le culot d'y ajouter une
registered mark! Laurent Batsch (1999) s'insurge avec raison contre ce
glissement de sens du mot valeur, sans parler de la registered mark: « Les
mots de la valeur, la valeur des mots» ou « Miller et Modigliani auraient-ils
songé à déposer le « weightened avç,rage cost of capital - le coût moyen
pondérédu capital, le CMPC - WACC~? ».
D'où la complication des calculs réels (il faut éliminer les éléments non
récurrents, l'influence des nouveaux investissements, etc.) qui rendent
nécessaire l'intervention d'un cabinet d'experts... D'où la «registered
mark».
4
Dans cette analyse,on ne distinguepas l'origine du financementde K : c'est
une technique de contrôle de gestion visant à améliorer la rentabilité
économique.
150
de 2 % - que Stern et Stewart nomment I'EVA. Si l'entreprise
n'avait pas obtenu ce surprofit, elle n'aurait couvert que ses
« coûts », dont le coût « normal» du capital; bien entendu, ce
« coût» normal du capital inclut la rentabiJité désirée, exigée
par les actionnaires. On a donc: EVA = (re - reD) K. Si I'EVA
est positive il y a création de valeur pour l'actionnaire, si elle
est négative destruction de valeurl.
En cas de création de valeur, le cours des titres
correspondant VK « doit », selon la théorie, augmenter si l'on
suppose que le surprofit n'est pas transitoire. On peut donc
actuaJiser cette EVA sur les périodes futures au taux
d'actualisation qui est dans l'analyse de la valeur actionnariale
toujours le reD présenP. Il s'agit du surprofit actualisé que
Stern et Stewart nomment la MVA, la Market Value Added, ou
« Valeur Ajoutée de Marché », l'EVA actualisée jus9u'à l'infini
avec le « vieux» taux de reD: MV A = EVA I reD. La valeur
de marché de l'entreprise en bourse est donc4 cette MV A plus
K. Ce n'est rien d'autre, évidemment5, que VK. « Tout ça pour
ça! ». Non, le but de l'analyse est d'expliquer, en termes de
contrôle de gestion, qu'il faut doper re pour faire augmenter les
cours boursiers.

* Les limites de l'analyse EVA-MVA et le retour au q de Tobin


Le fait de garder la même reD pour actualiser les profits
futurs dopés pose question. Au niveau microéconomique dans
lequel intervient la méthode EVA-MV A, elle suppose que seule
l'entreprise concerné bénéficie de l'amélioration: il est donc
fondé de ne pas modifier reD qui se cale à l'équilibre (au sens
de Tobin) sur la rentabilité économique courante du secteur.
Mais en oligopole, le plus souvent la vraie vie des entreprises
concernées par la méthode EVA-MV A, la course aux profits va
induire une course poursuite du « toujours plus », chacun, avec

1 Cette « destruction» - les mots sont très forts - peut apparaître alors que
l'entreprise est parfaitement bénéficiaire. Si par exemple l'entreprise dégage 7
de profit, elle sera rentable - sa rentabilité comptable étant de 7 % - mais
détruira de la valeur pour l'actionnaire qui s'attendait à 8 %. En effet l'EV A
deviendra (7 % - 8 %) x 100= - I.
2 Pour une critique plus approfondie de l'analyse EVA-MV A, en particulier le
problème de la persistance du même reD pour actualiser l'EV A, malgré la
croissance des profits, voir Castex (2003). On va cependant en toucher un mot
ci-dessous.
3
Ici MV A = 2 / 0,08 = 25.
4
Ici elle devrait être de 125 = 100 de K + 25 de MVA. L'analyse
traditionnelle aurait trouvé la même valeur boursière en actualisant à 8 % le
bénéfice réel actuel considéré comme une estimation des bénéfices futurs
constants jusqu'à l'infini: 10 / 0,8 = 125.
5 MVA + K = [(re
- reD) K / reD] + K = reK / reD = BeA / reD.
151
les techniques du « benchmarking» l, tentant de déceler les
causes des bons critères de performance des autres pour
améliorer les siens: les reD de ces secteurs sont alors
rapidement revues à la hausse.
Au niveau macroéconomique qui nous intéresse, la
conservation de la reD ancienne n'a plus de sens. Si toutes ou la
plupart des entreprises bénéficient d'une EVA née d'une
amélioration des profits économiques i1Be, les valeurs de
marché au sens de Tobin vont, avec la reD donnée, devenir:
V = (Be + i1Be) / reD, et q, avec K = Be / reD, va devenir:
q = V / K = 1 + i1Be / Be , avec 1 - q = i1Be / Be

On n'est plus à l'équilibre au sens de Tobin: les valeurs


globales de marché sont trop élevées par rapport à la valeur de
remplacement du K macroéconomique. La reD s'adaptera pour
retrouver l'équilibre, cependant selon le processus de la double
spéculation analysée plus haut: elle ne deviendra pas qreD =
(1+ i1Be / Be ) induisant V = K.
C'est ce que nous allons tenter de préciser maintenant.

513 - Une tentative de formalisation de la double


spéculation, avec prime de risque désirée par les
actionnaires constante

* Au départ un équilibre au sens de Tobin


On se place maintenant au niveau macroéconomique; nos
hypothèses restrictives sont les suivantes. Toutes les firmes,
dont le capital économique total est K, présentent une structure
de financement identique mesurée par L = D / CP; elles
obtiennent la même rentabilité économique re (par l'égalisation
des taux de profit économique par la concurrence). Nous
sommes « en équilibre» statique au sens de Tobin où les
valeurs de marché des capitaux sont égales aux valeurs
comptables. Au départ, toutes les données suivantes se
reproduisaient en effet depuis moins l'infini: il n'existe donc
pas de taux de croissance des profits (g = 0) induits par des
investissements ou des améliorations de la gestion. Le bénéfice
économique de tous les capitaux économiques K (donc financés

I On analyse les performances des entreprises du secteur (performances


techniques, économiques, financières, de gestion des ressources humaines,
etc.) pour tenter d'améliorer ses performances propres. Des cabinets font les
études pour les entreprises ayant décidé de se comparer, J'entreprise
participant au benchmarking obtient la comparaison de ses critères avec ceux
de la concurrence, mais évidemment sans connaître qui sont les meilleurs et
les moins bons.
152
par capitaux propres CP et empruntés ou dettes D, tels que CP +
D = K) est Be ; la rentabilité économique est donc re = Be / K.
La concurrence entre les capitaux est « pure et parfaite », au
sens des marchés efficients. Les actions correspondant à CP et
les obligations renvoyant à D sont cotées en bourse. Les profits
financiers des actionnaires Bf sont totalement distribués en
dividendes. Il n'existe pas de création monétaire par le crédit
bancaire; il n'existe donc qu'un seul taux d'intérêt r : le taux
long. La valeur de marché des actions VA est sa valeur
fondamentale calculée par le rapport entre Bf et le taux de
rentabilité désiré des actionnaires rID = r + RID, RID étant la
prime de risque désirée des actions. Selon cet équilibre statique,
Bf est le bénéfice économique moins les intérêts versésl : Bf =
Be - rD = (re - r À)K. On a donc VA=(re - r À)K / (r + RID). La
valeur de marché des obligations V0 est le rapport du revenu
obtenu divisé par le taux d'intérêt r, soit Vo = r D / r = D
(évidemment !) = ÀK.
Considérons d'abord, selon les analyses traditionnelles, r en
tant que variable exogène: on en déduit alors rID pour une
prime de risque financière RID donnée. On montre facilemene
que rID = r + RID = re + (re - r) L qui n'est rien d'autre que la
rf effective calculée par la formule de l'effet de levier: si la rID
est la rf effectivement réalisée, on se trouve à l'équilibre au sens
de Tobin (VA + V0 = K), les actionnairesayant dans ce cas pris
la réalité pour leur désir. Pour toute autre valeur de rID, VAest
différente de K, supérieure à K si rID < rf, inférieure à K si
rID > rf: déséquilibres au sens de Tobin.

* Le calcul du taux d'intérêt induit par la valeur de marché des


actions à l'équilibre de départ
Revenons à notre approche où V -7 r. Supposons maintenant
la prime de risque RID toujours donnée donc supposé fixe (pour
le moment...) mais r à déterminer, avec toujours rID = r + RID,
pour retrouver l'équilibre au sens de Tobin. Pour un taux
d'intérêt r quelconque, on se trouve en général encore en
déséquilibre au sens de Tobin. Selon nos hypothèses où rest
une conséquence de la rentabilité économique anticipée re, et
pour retrouver l'équilibre où les valeurs de marché sont égales
aux valeurs comptables, il faut VA = (1 - À)K et V 0 = ÀK et
VA + V0 = K. Ainsi, r devient une inconnue induite par re, de

I À mesure la part des dettes dans le capital économique À = D I K. À peut


s'exprimer en fonction du levier L : À= L I (1 + L), L étant le levier DI CPo
0J.1a en effet Be - rD = (Be I Ke - rD I Ke) Ke = (re - r À)K.
2 A l'équilibre au sens de Tobin, VAest égale à CP, avec CP = (1 - À.)K ; V0
étant évidemment égale à D. A cet équilibre, VA = CP = (1 - À.)K. Or,
VA = (re - r À.)K I rID = (I - À.)K, il vient (re - r À.)I rID = (l - À.). En
reprenant À= L I (I + L), on aboutit à notre relation.
153
telle façon que VA= (re - r À)K / (r + RID) = (1 - À)K. Ce r
d'équilibre se trouve facilement: r* = re - RID / (l + L),
décroissant avec la prime de risque].

* Le calcul du taux d'intérêt induit par la valeur de marché des


actions après augmentation anticipée des profits, Bf devenant
BfA
Que se passe-t-il, à partir de cet équilibre, si une
augmentation de rentabilité est anticipée, sachant que le taux
d'intérêt d'équilibre r* des dettes a été obtenu pour notre
équilibre statique depuis moins l'infini. Si re augmente de AreA
anticipé, on peut trouver dans les mêmes conditions un nouvel
équilibre avec le r* + ~r* corres~ondant, en supposant À,ou L
inchangés2. On trouve la solution où Ar* est bien une fonction
croissante de ~reA, avec donc une VA supérieure et une V0
inférieure à l'ancien équilibre4.
Encore une fois, l'ancien taux d'intérêt r*, ainsi donc que
celui de rentabilité financière désirée défini par rID = r* + RID
peuvent persister dans les calculs des investisseurs, compte tenu
de l'illusion de la valeur présente ou passée. Alors VA sera plus
élevé et V0 inchangé: les valeurs boursières globales sont alors
supérieures à K. Ce déséquilibre n'est pas tenable, car la
rentabilité de VAapparaîtra en chute libré : VAbaissera jusqu'à
obtenir le maximum de rentabilité, celle du nouvel équilibre
avec rID = r* + ~r* + RID.
Les conséquences de la double spéculation sont ainsi
formalisées. Sur le papier...

* Marchés financiers « inefficients » et « principe d'incertitude


généralisé»
Ce processus théoriquement possible est dans la réalité
inconcevable: les évolutions des profits anticipés dépendent
I Illustrons avec K = 100,CP = 50 et D = 50, doncÀ= 0,5 ou L = I; Be = 10,
donc re = 0,1, 10 % ; RID = 0,05, 5 %. On en déduit un r* = 0,1 - 0,05 /2=
0,075 soit 7,5 % et rID = r* + RID = 12,5 %. On vérifie que VA= 100 x (0,1-
0,075 x 0,5) / 0,125 = 50, Vo = 50 et VA+ Vo = 100.
2 La nouvelle VA devient (reA + MeA) K / (r* + M* + RID), toujours avec
RID constante, V0 devenant r* À,K/ (r* + M*), avec VA+ V0 = K.
3 Les calculs, pénibles, ne sont pas donnés ici.
4 Reprenons l'illustration. Avec MeA = + 0,02, soit + 2 %, on obtient r* + M*
= 0, 0907 soit 9,07 % qui a augmenté en gros du même pourcentage que reo
On vérifie encore que VA= 100 x (0,12 - 0,075 x 0,5) / (0,0907 + 0,05) =
58,6; Vo = 41,4 et VA + Vo = 100. Avec Bf= 12 - 0,075 x 50 = 8,25, la
rentabilité de VA est alors de 8,25 / 58,6 = 0,141 soit 14,I %, que l'on ne peut
pas retrouver par la formule de l'effet de levier qui ne concerne que les
rentabilités des valeurs comptables.
5
V A= 100 x (0,12 - 0,075 x 0,5) / (0,075 + 0,05) = 93,0 ; V 0 = 50 et VA + V 0
= 143. Avec Bf= 12 - 0,075 x 50 = 8,25, la rentabilité de VAest alors de 8,25
/93 = 0,089 soit 8,9 %, très inférieure à celle de l'équilibre.
154
des secteurs et il existe dans ces secteurs un grand nombre de
firmes. L'efficience des marchés ne peut exister, non à cause du
mimétisme, mais à cause d'une information parfaite impossible
à trouver dans la réalité.
Pour chaque firme, la valeur de marché actuelle des actions,
le taux de rentabilité effectif actuel, le taux d'intérêt et la prime
de risque financière désirée sont évidemment connus: « la
bourse ne se trompe jamais ». Et même si elle se trompe, elle
détermine bien ces variables à chaque instant. Cette spéculation,
régulatrice ou non, rend néanmoins pratiquement
indéterminable la variation exacte de ces variables, par le calcul
à partir des « fondamentaux ». Et, en raisonnant par récurrence,
la première valeur de marché n'était certainement pas la bonne!
Où est l'incertitude encore plus radicale que celle de
Keynes? Pour lui, c'est l'avenir qui est incertain, non
probabiIisable. C'est évident, ne serait-ce que par le taux de
croissance annuel g des profits anticipés déterminant BfA à
partir de Bf; mais aussi par la variabilité de la prime de risque
désirée: sa réalité n'est que le résultat de l'effet de levier de
l'endettement. Pour nous deux contraintes supplémentaires
apparaissent. La première est l'information « réellement»
imparfaite. La seconde, liée à la première, est que si r présent
est connue, même en oubliant l' « illusion de sa valeur
présente », son avenir est radicalement incertain.
En tenant compte de l'illusion mentionnée, le taux d'intérêt
est lui-même à chaque instant indéterminé. On peut donc
généraliser, en le forçant quelque peu, le principe d'incertitude
de la physique quantique de Heisenberg, le taux d'intérêt r
remplaçant l'électron: quand on connaît r, on ne sait pas où il
va ; quand on sait où il va, on ne sait pas ou il est. Ce principe
d'incertitude de Heisenberg, devenu notre « principe
d'incertitude généralisé» aux économies financières, est
empiriquement démontré par la théorie financière moderne.
Même avec la théorie des marchés efficients, on l'a rappelé plus
haut, avec les rapprochements entre les mouvements browniens
et la théorie de la marche au hasard (random walk), reprenant
les intuitions géniales et les démonstrations mathématiques de
Bachelier d'il y a un siècle. Ce qui n'était pas démontré, c'était
l'incertitude radicale de la notion de taux de rentabilité
financière désirée par la circularité à la Smith entre re et
rID = r + RID.
Mais le principe d'incertitude généralisé ne s'arrête pas là.
La fameuse prime de risque RID est en fait parfaitement
instable, contrairement aux calculs de probabilité tentés pour la
déterminerl, et contrairement aux formalisations que nous
I Calculable par des statistiques, des coefficients (3,etc. qui font les délices de
la théorie financière moderne...
155
venons de tenter où nous supposions sa constance. Elle n'est
d'ailleurs pas une prime de risque, sauf au niveau de son
« désir », mais, quand l'on retrouve la « réalité », elle retrouve
sa vraie nature: un simple différentiel de rentabilité effective dû
à l'effet de levier de l'endettement. Et les désirs s'adaptent...

156
52 - La double spéculation est perturbée par le
crédit bancaire et la politique monétaire, entre
autres: les «frottements sociaux »

Si la spéculation boursière sur les marchés actions est


alimentée par le crédit bancaire, qu'advient-il du taux
d'intérêt? Il est rabaissé selon le modèle LM ou, mieux, selon
notre modèle ER, qui résout la question de la répartition entre
niveaux des taux longs et courts. Rappelons que, comme dans le
modèle IS LM original de Hicks (IS LL), le r d'équilibre est à la
fois le taux court et le taux long. Mais IS ER reste encore un
modèle statique d'équilibre, bien éloignée de la réalité.
Si la masse des crédits bancaires augmente immédiatement,
alors que celle des profits anticipés n'augmentera par définition
que plus tard, le taux d'intérêt doit baisser à court terme car la
masse des profits économiques actuels est alors ramenée à une
masse de capital plus élevée. Mais à terme le sens de variation
du taux d'intérêt est indéterminé: les profits futurs vont-ils
augmenter, relativement, plus ou moins que la masse des
nouveaux crédits bancaires? Encore l'indétermination... Donc,
la tendance «spontanée» du libre jeu des marchés et de la
concurrence entre les capitaux est largement surdéterminée par
les interventions de la politique monétaire, exogène au
processus décrit, qui peut l'accompagner ou le contrecarrer.
Les taux d'intérêt courts peuvent augmenter si la politique
monétaire craint une inflation par les actifs et le danger d'une
bulle spéculative (politique monétaire de la Fed en 1998-2000).
La politique monétaire accompagne alors la tendance spontanée
des marchés financiers à la hausse des taux longs et s'ajoute à la
régulation. Toujours sur le papier, car les spéculateurs gardent
en mémoire les anciens taux bas et pensent que les profits vont
monter jusqu'au ciel. D'où les difficultés qu'eut Alan
Greenspan à faire se dégonfler la bulle pour obtenir un
atterrissage en douceur: le « soft landing» fut une peu brutal:
un« quasi-crash» en 2000-2001.
Si, à l'inverse, les perspectives optimistes de rentabilité sont
accompagnées d'une politique monétaire laxiste (pour
accompagner les besoins de financement nés des
investissements nouveaux de la course aux profits), les taux
courts pourront baisser, freinant par l'arbitrage la hausse des
taux longsl ; dans ce cas, par l'effet de levier de l'endettement,
le boom sur les actions sera dopé sans ou avec peu de vases
communicants avec les valeurs de marché des obligations. Dans
I
La valeur de marché des obligations baissera moins que selon la seule
réaction spontanée à la hausse des actions.

157
le cas d'une croissance boursière établie sur des anticipations de
croissance de la rentabilité économique qui se réaliseront, le
boom boursier accompagnera cette croissance (ce fut le cas aux
Etats-Unis avant 1929). Mais attention à ne pas renverser la
vapeur si l'on craint une bulle spéculative finale. Dans le cas
d'une bulle spéculative dès le départ du processus, elle éclatera
rapidement, comme la dernière bulle de la E-Economy en 2000.
Dans les deux cas, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, et la
modification de la répartition des revenus entre le travail et les
capitaux entraînera toujours une crise: celle de la demande
effective de Keynes.

521 - Marchés financiers et crédits bancaires: les


banques « machines sociales à déthésauriser»

* Typologie théorique: financement direct par les marchés


financiers ou financement indirect, intermédié par le crédit
bancaire?
La question du financement est simple: comment financer
ses dépenses? Premier choix: soit en achetant directement à
crédit, soit en tentant d'obtenir de l'argent liquide. Deuxième
choix: on peut soit s'autofinancer, en obtenant des «cash
flows» internes, soit recourir à un financement externe. Il
existe enfin, troisième choix, deux types de financements
externes: le financement indirect par crédit bancaire intermédié
par les banques; le financement direct par les marchés
financiers.
John Hicks est à l'origine, de la typologie théoriquel :
«Economie d'endettement versus Economie de marché de
capitaux». Le premier type renvoie à une économie où le
financement, indirect, est effectué par l'intermédiation du crédit
bancaire. Au contraire, dans le second, le financement est
assuré par mise en relation directe des offreurs et demandeurs
de financement. Economie d'endettement est la traduction de
Overdraft Economy (<<économie de découvert bancaire»)
opposée à économie de marché de capitaux (ou de marchés
financiers), traduction d'Auto Economy, où les «fonds
propres2 » sont mis en avant, bien que le financement de marché
par émission de titres de créances, surtout les obligations, fasse
partie de ce type de financement.

I FOnTIaliséeen 1974, au début de la crise ou de la fin des Trente glorieuses,


par le Britannique John Hicks (1974, 1988) dans La crise de l'économie
keynésienne.
2 Christian Saint Etienne (1987 ; 1990 ; 1998) insiste sur ce qu'il nomme une
économie de fonds propres.
158
Le financement direct est censél s'effectuer par transfert
d'épargne de ceux qui ont trop de monnaie pour leurs besoins
actuels (agents à capacité de financement) vers ceux qui n'en
ont pas assez (agents à besoin de financement). Là aussi deux
possibilités: soit le recours aux prêts, soit celui aux capitaux
propres. Les titres, reconnaissances de dettes et droits de
propriété correspondants, sont soit non négociables sur un
marché, soit négociables sur les marchés de capitaux (pour les
titres longs les marchés dits de capitaux, les bourses, avec les
marchés obligations et actions; pour les titres courts les
marchés dits monétaires). Au financement direct s'oppose donc
le financement intermédié qui s'effectue par le crédit bancaire
ou quand les banques, les Agents Financiers, les AF, achètent
aux Agents Non financiers, aux ANF, des titres sur le marché2.
Avant Hicks, Gurley et Shaw (1960, 1974) opposèrent
théoriquement ces deux types de financement, mettant l'accent
à la fois sur la mutualisation des risques par les intermédiaires
financiers et leur possibilité de création monétaire. On
remarquera tout de suite un problème de vocabulaire qui en dit
long sur les certitudes des économistes de la monnaie:
financement intermédié doit vouloir dire que les banques jouent
le rôle... d'intermédiaires entre les déposants de liquidités et les
emprunteurs. Quand les banques offrent des crédits, on a
l'impression qu'elles prêtent de l'argent en monnaie fiduciaire
déposé par les Agents Non Financiers, les ANF, à capacité de
financement aux ANF à besoin de financement; selon la théorie
monétaire orthodoxe récente, elles sont censées créer toujours
de la monnaie3. Par le crédit bancaire, elles jouent le rôle
d'intermédiaire entre les emprunteurs et... elles-mêmes:
l'intermédiation est donc une « fausse intermédiation » : ce ne

1
Mais cette « épargne préalable» peut provenir d'un crédit bancaire: on
emprunte pour acheter en bourse.
2
C'est de plus en plus ce que font les banques qui se financent sur les
marchés financiers, de capitaux et monétaires, ce qu'on appelle en général la
marchéisation.
3 Elles créent en fait de nouveaux moyens de paiement puisque, dans notre
exemple, le déposant peut faire des chèques d'un montant couvert par son
dépôt (monnaie scripturale) tandis que le bénéficiaire du crédit bancaire peut
dépenser la monnaie fiduciaire obtenue. Une banque peut d'ailleurs prêter de
l'argent qu'elle ne possède pas, c'est son métier, en ouvrant un compte au
bénéficiaire du crédit, donc directement en monnaie scripturale: les crédits
font les dépôts. Est-ce de la « vraie» ou de la « fausse» monnaie? Peut-être
la banque n'a-elle fait qu'accélérer la vitesse de circulation de la monnaie. On
peut penser, répétons-le, que les banques ne sont que des « machines sociales
à déthésauriser» même l'argent qui ne leur est pas offert en dépôt; voir
Castex (2003 et 2007). Leur jeu est risqué, mais il est peu probable que les
déposants en monnaie fiduciaire veuillent tous récupérer en même temps tous
leurs dépôts. La question et les incertitudes de la réponse sont encore
d'actualité à l'aube du troisième millénaire.
159
sont pas les dépôts qui font les crédits (<<deposits make loans»)
mais les crédits qui font les dépôts (<<loans make deposits »).

* Chronologie historique: de la dominance du type


théorique Economie d'endettement à celle du type Economie de
marchés de capitaux
La typologie théorique permet d'appréhender la
périodisation de l'histoire économique, monétaire et financière,
notamment française, depuis l'après-guerre. Les deux types de
financement coexistent toujours, mais sous la dominance de
l'un ou l'autre type. Le passage date des années 70 pour les
Etats-Unis, du milieu des années 80 pour la France, dans les
années 90 pour le Japon et l'Allemagne, encore très marqués
par le rôle des banques. Ce passage n'a rien de naturel: il fut
imposé, de façon démocratique, par les gouvernements devenus
libéraux ou ultralibéraux.
Le principal atout pour les libéraux des vertus de cette
évolution - outre l'amenuisement, voire la disparition de
l'interventionnisme étatique, direct ou indirect - est la lutte
contre l'inflation. D'après les libéraux, la croissance
économique induirait une création monétaire nette en général
supérieure dans une économie d'endettement, à la croissance
économique en volume. Il faut y ajouter au moins deux vertus
« techniques» : d'une part le taux d'intérêt y est théoriquement
plus faible, le circuit étant « direct» ; d'autre part, les marchés
répartissent les risques qui, sinon, sont pris par un nombre plus
restreint de banques].
L'économie réelle est donc un mélange de ces deux images,
sous la dominance de l'une des deux. Le « taux
d'intermédiation» au sens restreint ramène le financement par
crédit bancaire au financement de marché par dette: il a
régulièrement diminué, passant de près de 80 % à la fin des
années 70 à environ 45 % actuellement2.

I
Ce serait, selon les analyses d'Anton Brender et Florence Pisani (2001)
l'explication principale du marasme japonais depuis une décennie.
2 Voir pour une analyse plus approfondie, Castex (2006); ces taux que nous
avons calculé à partir des données de la comptabilité nationale sont supérieurs
aux taux « officiels» publiés par les autorités monétaires ramenant les crédits
bancaires au total des financements de marché: ils passent d'environ 71 % à
moins de 40 % actuellement. Le taux d'intermédiation au sens large qui inclut
la «nouvelle intermédiation» (financement de marché passant par les
banques et les assurances) est plus stable mais en légère baisse.
160
522 - Politique monétaire, taux courts, taux longs et
valeurs des actions

* Les taux d'intérêt peuvent-il vaner sans la «double


spéculation» ?
Il existe une seule possibilité à ce phénomène: la politique
monétaire, et pas n'importe laquelle: celle dont l'instrument est
celui des taux directeurs choisis par la Banque centrale où
d'autres interventions, cependant sur la seule liquidité bancaire.
D'autres instruments de politique monétaire existent, par
exemple l' «open market », pure opération de marché qui
consiste en achats ou ventes par la Banque centrale de titres sur
les marchés financiers. Théoriquement, il peut s'agir de titres
longs, essentiellement des obligations de la dette publique
détenus par les ANF ; Keynes recommandait quelquefois cette
intervention monétaire généralisée allant jusqu'à proposer des
opérations sur les actions. Dans ce cas, la Banque centrale peut
faire augmenter, en achetant en masse et donc en injectant de la
masse monétaire du public, la valeur de marché qes obligations
et faire ainsi baisser directement les taux longs. A l'inverse, en
vendant, en «reprenant des liquidités », en «asséchant la
liquidité» du public, elle fait baisser la valeur des obligations et
augmente, encore directement, les taux longs. Ces instruments
théoriques qui contrôlent donc directement la masse monétaire,
celle détenue par les ANF, correspondent exactement à la
politique d'offre de monnaie, contrôlée par les autorités
monétaires centrales, que prône la théorie keynésienne du
marché de stock de monnaie: c'est la gestion de la masse
monétaire M qui induit les variations du taux d'intérêt (long) r.
Dans ce cas M -7 r. Mais ces opérations ne furent en fait jamais
(ou rarement) effectuées: elles renvoient trop à une ingérence
des Banques centrales, souvent dans les mains de l'Etat du
temps de l'interventionnisme, sur les marchés financiers privés.
On ne retiendra pas cette proposition «révolutionnaire» de
Keynes, même dans la politique monétaire interventionniste.
En fait les opérations réelles dites d'open market concernent
essentiellement sinon exclusivement les titres monétaires courts
des marchés monétaires (interbancaires et ouverts aux ANF),
détenus par les banques commerciales. Les Banques centrales
font alors varier la liquidité des banques, pas celle des ANF
(autrement dit pas la masse monétaire détenue par eux): la
monnaie qu'elles détiennent en réserves, à ne pas confondre
avec la masse monétaire. Il n'y a alors aucune influence directe
sur la masse monétaire M définie par celle détenue par les ANF
(<<résidents» : on ne compte pas la monnaie détenue par les
non résidents, par exemple les touristes). Par contre, l'influence
est indirecte, car les banques plus ou moins liquides pourront

161
prêter plus ou moins et ainsi influencer M. On parle néanmoins
encore de « politique monétaire de masse ».
En Europe de l' « Euroland », le taux d'intérêt est en fait
directement contrôlé (entre une fourchette définie par un taux
plancher et un taux plafond), et c'est donc la liquidité des AF
qui en est déduitel. Le niveau de la liquidité bancaire est en fait
la conséquence d'une «politique de taux» qui, toujours
indirectement, induit M. C'est exactement le contraire du
schéma keynésien où r est induit par M: dans la politique
monétaire habituelle, r ~ M.

* La politique monétariste contre la politique monétaire


keynésienne
Malgré la réalité de la politique monétaire, selon toutes les
théories orthodoxes, celle de Keynes comprise, la monnaie est
exogène: la masse monétaire est le résultat d'un choix
institutionnel; elle est offerte par le crédit bancaire et
contrôlable par la Banque centrale, elle induit le taux d'intérêt.
C'est donc une politique de masse monétaire, le taux d'intérêt
étant la variable cible: pour relancer (ou freiner) l'activité
économique. La politique monétaire keynésienne est une
politique discrétionnaire (à la discrétion des autorités
politiques) et contracyclique.
Tandis que l'on passait de la dominance de l'économie
d'endettement à celle de l'économie de marché de capitaux, on
est passé de cette politique à la politique monétariste de règle
voulant seulement juguler l'inflation: il ne faut pas que la
croissance de la masse monétaire soit supérieure à celle de
l'activité économique anticipée en volume. Les Banques
centrales, évidemment indépendantes, doivent annoncer, selon
Milton Friedman, ce taux de croissance et s'y tenir. Les deux
faces du même Janus libéral en termes monétaires. Dans ce
cadre, les politiques monétaires ont profondément évolué: le
monétarisme a pris le pouvoir pour éviter tout excès.
Directement par une politique de masse monétaire, on tente de
réduire sa croissance pour casser l'inflation, quitte à faire
grimper les taux d'intérêt réels à des niveaux induisant de
graves récessions2. Ce furent des échecs cuisants: la vision
monétariste feint d'ignorer, selon le postulat néoclassique dit
1
Il ne s'agit d'ailleurs pas de véritables opérations de marché, avec achats ou
ventes fermes de titres, mais de « prises en pension» (technique de la Banque
centrale européenne) où les titres sont des sortes de gages de liquidités
fournies ou épongées.
2 Au début des années 80 aux Etats-Unis, en fait dès 1979 sous l'influence du
patron de la Fed de l'époque: Paul Volker (le prédécesseur de Greenspan),
avant la présidence de Reagan. Au début des années 90 en Europe, par la peur
de l'inflation en Allemagne suite à la réunification, et pour préparer le passage
à l'Euro; mais dans ce dernier cas par une politique de taux.
162
« d'homogénéité », l'effet de la variation de la quantité de
monnaie sur le taux d'intérêt réel (comme sur toute variable
réelle). Pourtant ce dernier aura tellement bondi en 1980-1981
aux Etats-Unis, en 1991-1992 en Europe, que ce qui devait
arriver arriva. Certes un contrôle strict de l'inflation, mais
surtout une hausse des taux réels induisant la baisse des
investissements, de l'activité et la hausse du chômage. Cet effet
par la demande expliquant sans doute la désinflation; pas la
mécanique quantitativistel !

* Du radicalisme de quelques keynésiens au «pragmatisme»


américain actuel
Certains opposants radicaux de Keynes, avec la monnaie
endogène, pensent au contraire que les banques ne font que
répondre à la demande de crédit du public: la quantité de
monnaie est une conséquence de l'activité économique elle
même, c'est le sens de l'expression monnaie endogène. C'est de
plus le niveau des taux d'intérêt qui explique celui de la masse
monétaire (politique de taux). La politique monétaire peut être
menée «sans monnaie »2: par le contrôle direct du taux
d'intérêt.
Le contrôle de l'inflation mais aussi du niveau d'activité et
de l'emploi peut s'effectuer par une fonction de réaction des
Banques centrales. S'agit-il d'un retour au keynésianisme,
paradoxalement dans l'une de ses visions radicales, ou d'un pur
« pragmatisme» typique de la direction de la Fed états-unienne
par Greenspan et son successeur? La plus connue des fonctions
de réaction est la « règle de Taylor », de l'économiste américain
J. B. Taylor (1993), qui fixe le taux d'intérêt à choisir rT (avec
T comme Taylor) en fonction du taux d'intérêt réel neutre3 rN,
plus l'inflation anticipée PA. On y rajoute deux réactions aux
deux sources possibles d'inflation (ou de déflation...): c'est là
que le pragmatisme rompt avec le monétarisme. La première
renvoie à l'inflation par la demande, pierre dans le jardin
monétariste qui ne considère l'inflation que comme phénomène
purement monétaire (excès de création de monnaie): Taylor
insère ainsi, en plus, de rN + PA, 50 % de la différence entre
l'écart de la croissance en volume du PIB noté Y à sa tendance
quand les capacités sont pleinement utilisées YPEG Enfin,
I Ces remèdes de cheval prirent néanmoins le plus souvent la forme plus
douce de la désinflation compétitive où le but à peine caché était le
rétablissement des profits au détriment des salaires (avec le fameux
« théorème de Schmidt », ('ex-chancelier social-démocrate allemand, selon
lequel « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les
emplois d'après-demain) ».
2 Creel et Sterdyniak (1999) dans La politique monétaire sans monnaie.
3 Sans inflation et sans déséquilibre, rT = rN.

163
seconde réaction, est additionnée à la formule, 50 % de l'écart
entre l'inflation observéep et l'inflation objectif admise PO'
rT = rN + PA + 0,5 (y - YPEc)+ 0,5 (p - PO)

Cette relation consiste donc à choisir le taux d'intervention


en fonction des deux variables économiques inflation et
croissance du PIB (y - YPECétant défini comme « output gap»)
selon ses préférences pour l'inflation ou le niveau de l'activité
et de l'emploi. Il vaut peut-être mieux revenir à une politique
discrétionnaire - lire contracyclique, régulant par le taux
d'intérêt l'activité économique - que garder une politique de
règle à la Milton Friedman où le seul objectif est la lutte contre
l'inflation, quel que soit le taux d'intérêt qui s'en déduit.
Dans ce cas, les taux d'intérêt courts de ce qui ressemble à
un marché monétaire, mais très régulé par la Banque centrale,
peuvent alors varier indépendamment des transactions sur le
marché obligataire. Et seuls les « canaux de transmission» des
taux courts vers les taux longs feront, par arbitrage, varier la
valeur des taux longs des nouvelles obligations émises.

523 - Théories et pratiques des relations entre taux


d'intérêt, taux de profit et cours boursiers: première
approchel

* V -7 r : relation inconnue des théoriciens modemes


La théorie financière moderne semble ignorer totalement
l'existence et la prédominance depuis une dizaine d'années2 de
la liaison V -7 r. Un exemple de cet aveuglement: le livre de
Brender et Pisani (2001). On s'attend, au paragraphe intitulé
Des taux d'intérêt des obligations aux cours boursiers, à ce que
la question soit au moins posée. Que nenni! Ces deux auteurs
écrivent seulement: « Le cours des actions, rappelons-le, est
étroitement lié à celui des obligations ... Le lien entre marché
des obligations et marché boursier est clair: toutes choses
égales par ailleurs, une baisse du cours des obligations ou une
hausse du taux d'intérêt implique une baisse du cours des
actions... [et vice versa] ... Les mouvements de taux d'intérêt
ont donc toute raison d'affecter les indices boursiers.
L'évolution des seconds reflètent, pour une part, l'information
contenue dans celle des premiers ». Parfait résumé de la théorie
du taux d'intérêt (réel) par le marché néoclassique primaire des
fonds prêtable pris comme une évidence, et en oubliant le
I L'approche principale sera effectuée dans la troisième partie de ce livre pour
les trente dernières années en France.
2 Voir plus loin donc.

164
marché secondaire. Comment peut-on être à ce point aveuglél et
ressasser les litanies ancestrales des néoclassiques qui ne voient,
erreur que répéta Keynes, que le marché des obligations et
préfèrent se crever les yeux devant la dominance du marché des
actions. Comment peut-on garder des œillères ou des lunettes
noires, quand, depuis 1998, les taux longs suivent presque
parfaitement le niveau des cours des actions dans le sens
V ~ r! Cet aveuglement n'est plus du domaine de la théorie
économique et financière, mais du divan des psychanalystes...

* Quelques repères théoriques dans I'histoire de la pensée


économique ancienne concernant la liaison entre les taux
d'intérêt, les taux de profit et les valeurs de marché des actions:
des contradictions non résolues
Le premier économiste à trouver une relation positive entre
le taux d'intérêt et la rentabilité est Petty qui, par ses statistiques
ou « arithmétique politique» à la fin du XVII siècle, à partir de
la rente foncière, voit une liaison qui permet de préfigurer
l'indétermination du taux de rentabilité désiré par les
investisseurs et de la valeur de marché des actions2.
Cantillon semble également considérer une liaison positive
entre le taux d'intérêt et la valeur des titres. Selon Etner
toujours, Cantillon remarque qu'en cas de spéculation sur les
titres (en 1720 sur les actions de la Compagnie de la Mer du
Sud), on emprunte à n'importe quel taux et cette « demande de
monnaie» fait croître le taux d'intérêt (par une approche encore
mercantiliste ).
Par contre Turgot anticipe (bien que compagnon de route des
physiocrates), à partir d'un raisonnement mercantiliste qui sera
repris par Keynes, et/ou d'un raisonnement pré néoclassique, la
« baisse tendancielle du taux d'intérêt» que l'on trouve avec
des nuances et des effets contraires chez Marx. Encore d'après
Etner, « C'est, écrit Turgot, l'abondance des capitaux qui
anime toutes les entreprises, et le bas intérêt de l'argent est tout
à la fois l'effet et l'indice de l'abondance des capitaux ».
I
À moins que cet aveuglement ne réponde au désir des actionnaires qui
réclament - en opposition à leurs collègues nouveaux obligataires - que les
Banques centrales « fassent quelque chose» pour relancer les cours boursiers:
Il Coupez les taux l, Cut, cut 1». Par contre les anciens obligataires ont
également intérêt à ce que les taux d'intérêt diminuent, ce qui dope la valeur
de marché des obligations anciennes...
2 Selon Etner (2000), Petty raisonnait en considérant que la rente de la terre
devait faire vivre une génération d'environ 20 ans; ce qui revenait en gros à
un taux de capitalisation de 5 % qu'il assimilait au taux d'intérêt. La valeur de
la terre en tant que capitalisation d'une rente sera reprise, pour tout capital
induisant des revenus, par les classiques. En effet, le prix de la terre s'élèvera
pour un taux d'intérêt donné, si s'élève la rente foncière prévue dans l'avenir;
inversement, le taux d'intérêt devrait suivre la rentabilité de la terre et le prix
de celle-ci rester constant.
165
C'est en France qu'une théorie non monétaire des crises
apparut; il s'agit de l'embryon d'une théorie financière de la
crise: celle de Clément Juglar (1862), déjà entrevu. Juglar
décrit les crises mais explique également le boom par le bas
taux d'intérêt qui permet d'emprunter pour spéculer sur les
actions et détermine en passant la quantité de monnaie. Le point
principal mis en valeur n'est plus la politique monétaire ou le
laxisme naturel des banques qui créeraient trop de monnaie,
comme le montrera Wicksell, mais les forces réelles de
l'économie par l'intermédiaire des marchés financiers. Il met
presque à l'endroit ce que Keynes passera son temps à mettre à
l'envers: pour Keynes c'est l'offre de monnaie, pour un
comportement de demande donné, qui fera varier le taux
d'intérêt, alors que sa demande de monnaie pour motif de
spéculation est bien « l'envers» du marché financier limité aux
seules obligations. Pour Juglar, le bas taux d'intérêt est liée à la
spéculation et détermine la masse monétaire, mais il ne déduit
pas vraiment le taux d'intérêt de la spéculation sur les marchés
boursiers: il en reste ainsi à la relation r -7 V.
Alfred Marshall pensait-il également à une détermination du
taux d'intérêt par autre chose que la simple productivité
marginale du « capital nouveau» ? Ce n'est pas impossible. Il
élabore, selon Pribram (1983, 1986), en 1887, à la fin de la
Grande dépression, une théorie selon laquelle le taux d'intérêt
peut influencer le niveau des prix: « Pour Marshall, écrit
Pribram, l'évolution des prix dépend directement du mouvement
du taux d'escompte, le taux d'escompte moyen dépend du taux
d'intérêt moyen, et ce dernier est exclusivement déterminé par
la rentabilité des affaires ». On ne peut trouver meilleure
défense du point de vue de Smith et de notre point de vue:
Marshall reprend en fait, de par ses influences classiques, la
théorie du taux d'intérêt dépendant du taux de profit - « la
rentabilité des affaires» avec donc taux de profit ~ V ~ r.
Le « paradoxe de Gibson» est probablement la principale
référence au débat r -7 V ou V -7 r. Ce paradoxe est le suivant,
souligné par Keynes qui lui attribue ce qualificatif, Gibson
l'ayant mis en valeur: logiquement, un taux d'intérêt bas doit
relancer l'activité, et inversement. Or après 1850, le taux
d'intérêt est relativement élevé par rapport à la croissance et
l'activité en hausse; de même pendant la dépression longue de
la fin du XIXe siècle, le taux d'intérêt est relativement bas,
toujours par rappol1 à la croissance - peut-être sous l'influence
des politiques monétaires contracycliques proposées par
exemple en Angleterre par Marshalll - et rebondit avec
l'expansion qui recommence en 1895. Pour Gibson et son

I Cependant, Marshall jugeait le taux d'intérêt anormalement élevé...


166
paradoxe: taux de profit ~ V ~ r. On retrouve là les
contradictions entre le mouvement spontané des taux d'intérêt,
à la Smith, et l'intervention des politiques monétaires. Mais les
mouvements longs des taux d'intérêt que semble percevoir
Gibson sont contraires à ceux perçus généralement, par exemple
par Kondratieff qui correspondent mieux au point de vue
keynésien qu'à celui de Smith.
La théorie économique enseignait au contraire - et continue
au début du troisième millénaire - que le taux d'intérêt bas
correspondait aux phases d'expansion et le taux élevé aux
phases de dépression, par l'aspect coût de r. L'énigme devient
facile à résoudre si l'on comprend l'influence très « classique»
du taux de profit sur le taux d'intérêt, donc de la hausse de la
valeur des actions qui induit celle de r; elle reste une énigme
pour les néoclassiques et Keynes qui ne voient dans le faible
niveau du taux d'intérêt que la cause de la hausse de
l'investissement et de celle de la valeur des titres. L'énigme
persiste évidemment, par la double nature de r: coût et
rentabilité,. mais se résout par la dialectique du couple formé
par la mécanique théorique de la double spéculation sur les
marchés financiers et lesfrottements sociaux du crédit bancaire.

* Qui domine, depuis soixante ans, de la double spéculation où


V ~ r où de la politique monétaire où r ~ V ? Ça dépend encore
Toute la question est évidemment de distinguer les périodes
où r ~ V de celles ou, au contraire, V ~ r domine. On le
tentera donc dans la partie suivante pour la France et les Etats-
Unis; on en reste ici à un niveau essentiellement théorique.
Mais il semble évident que sur longue période (de 1945 à la fin
du siècle), le schéma keynésien correspond à celui du dernier
cycle Kondratieff: V ~ r, sans aucun doute.
Pendant les Trente glorieuses, les taux d'intérêt réels étaient
bas et les taux de rentabilité corrects, malgré un partage de la
valeur ajoutée favorable aux salariés. La bourse existait certes,
mais son rôle dans l'économie d'endettement était mineur,
sinon négligeable. Car les politiques monétaires keynésiennes
correspondaient à une volonté politique d'euthanasie des
rentiers. Pendant les trente années de plomb, du début des
années 80 jusqu'à la fin du XXe siècle, il y a inversion de la
conjoncture économique et des politiques monétaires. Les taux
déterminés par la politique monétaire en général
« monétariste », et donc élevés (sauf chez le « pragmatisme»
américain des années 90 et suivantes), ont induit une croissance
molle et un chômage élevé. L'inflation forte de 1975 au début
des années 80 avait porté les taux longs nominaux à un niveau
très élevé; la désinflation compétitive leur permis une baisse,
mais seulement à partir de 1992-1993, quand les politiques

167
monétaires se furent assouplies. Quant aux taux de profit dont il
faudra préciser l'évolution, il s'agit de savoir s'ils sont liés ou
non au taux d'intérêt: les premiers induisent les seconds.
Le mélange des deux liaisons rend difficile la vérification
empirique statistique du sens des relations de cause à effet.
Gibson semblait l'avait perçue dans le « bon sens» : théorique.
Mais en contradiction avec les tendances des cycles
Kondratieff; Marx et Hilferding (1910, 1970)1 voyaient aussi
plutôt l'effet inverse pour fonder leur dénégation de la liaison
de Smith entre taux de profit et taux d'intérêt, pour refuser au
taux d'intérêt son origine réelle: ils avaient vu les frottements.
Enfin, les marchés financiers sont encore plus compliqués:
la substitution entre actions et obligations n'est évidemment pas
la seule possible, il est possible, répétons-le, d'emprunter par
crédit bancaire pour acheter des actions et de rembourser les
crédits en les revendant, etc. L'euphorie des actions peut
gagner bizarrement une partie du marché des obligations si
l'arbitrage n'est pas direct, et autres complications: le marché
de l'or valeur refuge ou les taux de change. Par exemple, début
2008, la forte baisse du dollar états-unien peut entraîner une
réticence aux achats des obligations américaines par les
économies qui regorgent de dollar (la chinoise, par ses
exportations, les pays pétroliers, grâce à la manne financière
née du troisième choc). On demandera ainsi un taux d'intérêt
élevé pour compenser le glissement prévu de la devise
américaine: la hausse des taux longs pourra alors accompagner
une baisse des taux de profit et des valeurs boursières si la crise
se prolonge. Et l'on retrouvera r (à la hausse) -7 taux de profit
et V (à la baisse) !

* Premières vérifications empiriques des liaisons entre r, taux de


profit et V : encore des énigmes
De toute façon, l'éventuelle relation V -7 r ne vient donc, à
notre connaissance, à l'esprit de personne; surtout pas des
tentatives de vérification empirique sur des séries statistiques.
Pas un mot dans le monument de Hower et Silla (1963, 1996) A
History of Interest Rates (Une histoire des taux d'intérêt) où
pourtant leur évolution est analYsée depuis la plus haute
antiquité en passant par le Moyen Age.
On constate d'ailleurs - malgré la prohibition des prêts à
intérêt. .. - une baisse assez régulière des taux réels du XIIIe
siècle (autour de 8,5 %) jusqu'au milieu du XVIe (autour de
4 %), une remontée ensuite jusqu'à la fin du XVIr, puis une
tendance de baisse régulière jusqu'au début du XXe (autour de
2,2 %). Ce qui confirmerait la théorie des saint-simoniens, de

I Voir plus haut.

168
Proudhon, dans une certaine mesure de Marx et enfin de
Keynes, de la baisse du taux d'intérêt sur très longue période.
Selon Bénassy-Quéré (1998), « Le lien négatif entre les taux
longs et le cours des actions en France» est à peu près vérifié
depuis une quinzaine d'années, sauf pendant les périodes de
forte expansion (1986-1988). Cette période correspondait
comme par hasard à la bulle et à la crise de 1987.
Autre question: empiriquement, le taux d'intérêt présente en
fait une influence réelle sur l'investissement bien plus faible
que les approches néoc1assique et keynésienne ne lui en
accordent au niveau théorique. Ce qui peut étonner les
orthodoxes mais nous sied parfaitement: le taux d'intérêt est à
la fois un coût et une rentabilité; mais surtout une rentabilité...
Les modèles économétriques utilisés constatent cependant
une certaine sensibilité de l'investissement au taux d'intérêt
réel. Selon J. B. Taylor!, une augmentation d'un point du taux
d'intérêt réel fait diminuer à court terme l'investissement de 0,2
à 0,9 % selon les pays; mais à moyen terme, la sensibilité passe
à environ - 4 % dans la plupart des pays, probablement par les
effets récessionnistes généraux qui agissent indirectement sur
l'investissement. C'est donc la politique monétaire qui prend
encore le dessus sur la liaison à la Smith. Un modèle de la Fed
indique qu'une augmentation d'un point du taux d'intérêt
(nominal à court terme) fait baisser l'investissement d'environ
0,2 à 0,3 points selon les pays la première année, un peu plus la
seconde année et presque rien la troisième année. Qui croire?
Mais, contre ces corrélations négatives, mais contradictoires,
dues aux phénomènes de demande, par l'intermédiaire de
l'investissement, apparaît une corrélation positive à long terme
du taux d'intérêt et de la croissance, par l'offre. C'est donc le
« paradoxe» de Gibson. Paradoxe apparent; en effet en longue
période, les taux d'intérêt réel longs sont censés se rapprocher
du taux de croissance économique en volume, élevés en phase
d'expansion, faibles en phase de récession ou de stagnation.
C'est ce type de liaison positive qui est mis en avant dans les
modèles de croissance; ces modèles se heurtant au phénomène
souvent dominant des taux courts de la politique monétaire!
On peut donc s'étonner de cette remarque suivante du livre
de Bénassy-Quéré (op. cit.) notant une corrélation positive « à
l'encontre de la théorie» entre le taux d'investissement (le ratio
FBCF / PIB) et le taux d'intérêt réel en France comme aux
Etats-Unis de 1985 à 1997 ; ce « défi économétrique » n'est pas
expliqué. L'effet de l'accélérateur d'investissement où ce
dernier augmente en période d'expansion beaucoup plus vite
que la demande globale - si l'on est en plein-emploi des

I
D'après Agnès Bénassy-Quéré (op. cit.).
169
capacités - ainsi que les politiques monétaires restrictives qui
font grimper le taux d'intérêt en cas de surchauffe économique,
expliquent en partie ce paradoxe.

* De quelques lueurs théoriques anciennes expliquant les


énigmes: le taux d'intérêt coût et le taux d'intérêt rentabilité
Ce qui est néanmoins étonnant, c'est que cette corrélation se
vérifie sur une période d'une quinzaine d'années et est en
contradiction avec les modèles mentionnés plus haut. Ce « défi
économétrique» peut donc être facilement levé si l'on
abandonne la vision unilatérale du taux d'intérêt comme seul
déterminant de l'investissement, comme coût, si l'on pense à sa
rentabilité anticipée, bref au taux de profit au sens classique ou
marxiste. En poussant le bouchon plus loin, il n'est pas interdit
de penser que, malgré les recommandations théoriques
(erronées) que les gestionnaires sont censés utiliser, le choix des
investissements ne s'effectue que peu selon le taux d'intérêt et
beaucoup selon les perspectives de rentabilité futures, elles-
mêmes liées aux rentabilités actuelles. On retrouverait à la fois
le point de vue de Keynes qui privilégie à r le TIR-EMAC et le
nôtre, par l' « illusion de la valeur présente », non plus du taux
d'intérêt, mais du taux de profit.
Car le taux d'intérêt dont la hausse (versus la baisse)
provoque la chute (versus la hausse) de l'investissement et, par
l'effet de la demande, celle du niveau d'activité et des profits,
est induit en même temps par l'offre, par le taux de profit qui
est lié à l'activité. La « règle d'or» de l'accumulation du
capitall néoclassique2, fondée sur l'offre, indique - sous des tas
d'hypothèses - que le taux d'intérêt réel r est égal au taux de
croissance économique g, lui-même égal au taux de croissance
de la population ou de l'emploi e cumulé à celui du progrès
technique t : r = g = e + t. Dans ce cas, le paradoxe apparent
disparaît: une forte croissance induit un taux d'investissement
croissant et un taux d'intérêt en hausse. On retrouve le point de
vue classique du taux de profit et de la prime de risque de
Smith: plus la croissance est forte, plus le taux de profit est
élevé, et avec lui le taux d'intérêt.
Cette règle semble se vérifier grossièrement, toujours selon
les données fournies par Bénassy-Quéré (ibid.), dans la plupart
des pays sur le dernier quart de siècle. Et aucun «défi
1
Il s'agit essentiellement des travaux de Solow concernant les modèles de
croissance.
2 On retrouve également la liaison positive entre taux d'intérêt (taux de profit)
et taux de croissance dans les modèles de croissance keynésiens, d'Harrod-
Domar (ou Harrod et Domar) à Joan Robinson, en passant par Kaldor ou
Kalecki. Mais la vision est souvent plus pessimiste sur la possibilité d'une
croissance équilibrée et régulière, singulièrement chez Robinson avec son
Il âge de plomb ii.

170
économétrique » n'est mentionné. Elle est presque parfaitement
vérifiée aux Etats-Unis (2,9 % de croissance moyenne annuelle
du PIB de 1970 à 1996 pour un taux d'intérêt réel annuel
moyen de 2,8 %) et au Royaume-Uni (respectivement 2,2 % et
2,3 %). La France présente sur la même période une croissance
moyenne annuelle du PIB de 2,5 % mais un taux d'intérêt réel
moyen de 3,5 %; pas si mal pour les rentiers au pays du
prétendu laxisme monétaire, il est vrai transformé en rigueur
monétaire sur la plus grande partie de la période analysée.
On verra plus loin que, pour la France, un écart béant (où
r réel> g) apparaît effectivement entre le début des années 80
et la fin des années 90, singulièrement entre la fin des années 80
et le début des années 90. Ce qui explique l'écart moyen de plus
d'un point en faveur du taux réel depuis 1970. Ce sont
évidemment les politiques monétaires de rigueur qui sont en
cause; elles ont induit des taux de rentabilités économiques et
financières inférieures au taux d'intérêt longs nominaux
(jusqu'en 1996). Bref, échec sur les deux tableaux: faible
croissance, chômage et faibles rentabilités, sauf celle des
rentiers: une politique économique des rentiers.
La règle d'or, avec ses exceptions qui la confirment, milite
donc en faveur du taux d'intérêt rentabilité. Les modèles
keynésiens « néocambridgiens » de croissance (notamment de
Kaldor et Robinson) mettent en avant la demande et sont,
répétons-le, plus pessimistes sur les possibilités de sentiers de
croissance réguliers de l' « âge d'or », indiquant à l'inverse une
possibilité d' « âge de plomb» : les trente années de plomb...
Les modèles économétriques les plus courants fondent
l'investissement dans son aspect conjoncturel sur le modèle
d'accélérateur flexible où la demande est le principal argument.
Mais la profitabilité au sens de Tobin (et Malinvaud)l est
également un argument des fonctions d'investissement; on
aboutit à des modèles accélérateur-profit. Et l'on retrouve
l'étroite corrélation entre le taux d'accumulation et le taux de
profit, aussi étroite que celle entre le taux de croissance et celui
de l'investissement2.
La question de la liaison entre le taux d'intérêt et
l'investissement est donc à revisiter si on pense que la
croissance induit des taux de profit et donc des taux d'intérêt
élevés alors que les taux d'intérêt élevés sont censés casser à la
fois investissement et croissance. La seule solution à ce
dilemme et qui en est le moteur est la dynamique du cycle
économique et des politiques, dont les politiques monétaires.
I Voir Castex (2003).
2 Voir Jean-Marie Le Page (1991) et ses références à une étude de l'INSEE, in
Rapport sur les comptes de la nation, 1988. Mais les données de l'analyse ont
plus de vingt ans : il faudra les actualiser.
171
« On peut observer beaucoup,
simplement en regardant! » 1

TROISIEME PARTIE
LA CRISE FINANCIERE DE 2000-2008:
CONSEQUENCE
DE LA CRISE REELLE DEPUIS 1999

Combien pèsent les marchés financiers?


Les actions sont négociées, après leur émission sur le
marché primaire, sur le marché secondaire de la bourse
compartiment actions. Les Etats-Unis représentent environ2
30 % de la capitalisation boursière mondiale (et environ 25 %
du PIB) ; suivent le Japon avec plus de 7 %, le Royaume-Uni
avec près de 7 %, la France avec plus de 4 % talonné par Hong
Kong et l'Allemagne. La Chine pourrait représenter 5 à 6 % et
l'Inde près de 3 % de cette capitalisation boursière.
La capitalisation boursière américaine est donc un peu
supérieure au niveau de son PIB3; mais les transactions
annuelles sur le marché secondaire (NYSE + Nasdaq) tournent
autour de dix fois le PIB. Les émissions nouvelles sur le marché
primaire par les sociétés non financières, nettes des rachats de

I Remarque du prix Nobel de physique Leon Lederman; ou reprise de Lénine


« l'âme vivante du marxisme: l'analyse concrète d'une situation concrète ».
2 Source: Conférence de Michel Vigier pour la société d'expertise comptable
Syndex, mars 2008. Compte tenu de la volatilité des cours, il ne s'agit ici que
d'ordres de grandeur. Voir également Pastré et Vigier (2003).
3 19 KG$ (milliers de milliards de dollars) pour le regroupement du NYSE
(New York Stock Exchange) et d'Euronext avec un PIB des Etats-Unis autour
de 14 KG$. La capitalisation boursière dans le monde tournerait autour de 50
à 60 KG$ (en gros le PIB mondial), avec des émissions annuelles moyennes
sur le marché primaire depuis le début des années 90 d'environ 4,5 KG$ :
moins de 10 % de la capitalisation actuelle.
173
leurs propres actions par ces sociétés l, sont de l'ordre de
seulement 2 % du PIB en Zone Euro (3 % entre 1999 et 2001,
presque rien entre 2002 et 2005) et de - 1 % aux Etats-Unis, par
Ie buy back, (- 5 % en 2006 et 2007).
La rotation des actions sur le marché secondaire est de
l'ordre de plusieurs fois le PIB, les émissions nouvelles de
quelques pour cent du PIB : les transactions sur les valeurs de
l' « occasion» écrasent celles sur le « neuf ». On voit mal un
taux d'intérêt déterminé par ce marché primaire, fût-il fondé sur
la productivité marginale du capital: c'est la double spéculation
sur les marchés secondaires actions et obligations qui fait le
poids.
Les émissions de dettes (obligations et autres véhicules, dont
la tritrisation des crédits bancaires2) représentent annuellement
depuis 2004 30 KG$ au niveau mondial: cinq fois les émissions
d'actions. Pendant les années 90, le niveau était trois fois plus
faible.
Les marchés précédents sont les marchés de capitaux longs;
les autres marchés financiers sont les marchés monétaires et des
changes.

1
Il s'agit du il buy back il pennettant surtout de doper les cours boursiers:
moins d'action pour le même dividende à distribuer.
2 Voir plus loin.

174
Chapitre VI
La crise bancaire des subprimes
et ses effets sur les LBO

On ne présentera donc en premier lieu que la crise bancaire


des subprimes considérée comme un accident purement
financier, conséquence des politiques monétaires laxistes et de
leur retournement. Ses conséquences réelles crèvent les yeux,
par la contagion sur les marchés bancaires, boursiers et
monétaires et un possible « crédit crunch» (restriction des
crédits bancaires). Mais aucune référence à l'économie réelle
qui en est la cause profonde: la course aux profits dans une
phase où les taux de profit baissent.
En second lieu, on dévoilera la technique du « LBO », du
« Leveraged Buyingout» que nous traduirons en français par
« Reprise d'entreprise boostée par effet de levier », ou
REBEL. Cette technique s'est développée de façon extravagante
sur les cendres de la première alerte financière de 2000-2003.
La méfiance envers la bourse, les taux d'intérêt au plus bas, des
perspectives de profits peu réjouissantes sur des entreprises
quelquefois en bonne santé mais marginalisées dans des
secteurs ou des niches que les grands groupes ont choisi de
délaisser: tous ces facteurs ont fait bondir une véritable
martingale. Avec elle, on peut gagner à tous les coups (ou
presque...), même avec des taux de rentabilité économique
simplement correct mais n'atteignant pas les « 15 % minimums
exigés» par la bourse avant le krach de 2000. Cette martingale,
on l'aura compris, est celle de l'effet de levier qui renvoie
encore aux relations du taux de profit et du taux d'intérêt.

175
61 - La crise financière des subprimes et la
crise bancaire 1

611 - Le développement des crédits immobiliers «aux


pauvres », apparemment sans risque, par la« titrisation »...

* Le boom de l'immobilier en particulier aux Etats-Unis


Les bas taux d'intérêt qui ont suivi la crise boursière de 2000
à 2003 ont permis un boom de l'immobilier, pas seulement aux
Etats-Unis mais singulièrement dans ce pays. Ce bas niveau des
taux est soit la conséquence de la chute des taux de profit
induite par la crise réeIle après 2000 (en fait une stagnation de
l'activité plus qu'une récession), soit ceIle de la baisse des taux
directeurs de la Fed pour lutter contre l'éclatement de la buIIe
boursière, soit les deux à la fois...
Le cas des subprimes (<<subprime mortgages» ou prêts
hypothécaires à «sur risque») est particulier. C~tte crise
(subprime mortgage meltdown) fut déclenchée aux Etats-Unis
en 2006 par un krach des prêts hypothécaires à hauts risques.
EIle fut révélée au monde début 2007. Cependant, eIle ne se
transforma en crise bancaire, financière et boursière mondiale
qu'à partir de l'été 2007 et surtout début 2008.

* Que sont ces subprimes ?


Ce sont des prêts immobiliers aux ménages qui, dans des
conditions normales de marché, ne pourraient accéder à la
propriété compte tenu de leur capacité de remboursement
insuffisante induite par leurs faibles revenus: en un mot des
prêts aux « pauvres» ; ce qui partait d'un bon sentiment... En
langage plus technique des personnes « aux scorings de crédit
insuffisants »... On leur offre des taux très attractifs mais
variables et avec une « surprime» de risque, tenant compte de
leurs faibles revenus, taux effectifs bien cachés par un faible
taux d'appel (maintenu sur une période de 1 à 3 ans) et sur une
période de remboursement longue.
Le taux révisable est indexé sur le taux directeur de la Fed;
il est majoré d'une « super prime de risque» (<<subprime »2)
qui peut être très élevée. Certains prêts sont nommés « Ninja» :
« No income, no job or asset» (pas de revenu, pas d'emploi ni
d'actif à mettre en garantie). Pour les banques, le risque de
I
Ce rapide aperçu est le fruit de quelques lectures de journaux et revues et de
quelques parties de surf sur la Toile. On a négligé les articles rassurants,
privilégié les approches critiques et retenu en particulier les articles de
Frédéric Lordon (2007). On a également utilisé la conférence (op. cit.) de
Michel Vigier.
2 Les crédits immobiliers « normalement risqués» sont les crédits « prime ».

176
défaut (non remboursement du crédit) est donc élevé par
construction. Mais dans un marché immobilier en boom,
d'ailleurs boosté par ces opérations, la récupération des
liquidités ne semblait a priori pas poser de problème: les
banques apparaissaient garanties par la vente des logerpents
hypothéqués. Ce marché s'est largement développé aux Etats-
Unis à partir de 2001, dopé donc par la chute des taux directeurs
de la Fed.
Au milieu 2007, un peu moins de la moitié (47 %) du stock
de prêts immobilier états-uni en concernait les crédits bancaires
ordinaires (<<prime conventional »), 20 % les classes moyennes
aisées (<<jumbo »), le reste, soit un tiers, les prêts aux « pauvres,
dont seulement 10 % du total en subprimes au sens strict (le
reste concernant les logements de type HLM ou assimilé) : tous
les crédits à risque ne sont pas des subprime, mais le risque
s'étend maintenant aux autres catégories.

* La « titrisation» des crédits immobiliers


Les banques, pour se refinancer, ne gardent pas leurs crédits
immobiliers: ils les titrisent, c'est-à-dire transforment les
crédits bancaires non négociables de leur actif en titres
négociables I sur les marchés, lesquels vont donc se promener
partout. Les banques «structurent» ces crédits en « véhicules
de financement », en petits paquets de titres obligataires offerts
sur les marchés financiers. Le risque se dilue, et les banques se
refont donc en plus des liquidités leur permettant de continuer à
prêter. C'est un avantage selon la théorie financière libérale:
des créances non négociables deviennent liquides, améliorant la
diversification des portefeuilles et disséminant les risques.
Vertu toute théorique: ce n'est vrai qu'à condition que
l'évaluation de la « qualité» du « gisement initial» (les crédits
bancaires) reste correcte. Ce phénomène se développe pour les
crédits bancaires depuis le début des années 90 et se généralise
depuis le début du millénaire.
Ces titres récupèrent évidemment les risques de défaut mais,
en contrepartie, présentent des rendements élevés qui les
compensent pour l'investisseur ayant peu d'aversion au risque
(en particulier les Hedge funds), mais aussi les Fonds de
pension pour doper à la marge leurs rendements. Ces titres
« structurés» sont offerts par tranches homogènes de couple
risque-rentabilité. On les nomme « RMBS » (Residential
mortgage backed securities, titres adossés à des crédits
immobiliers hypothécaires). Début 2007, le marché des
créances immobilières titrisées aurait atteint un volume
I
Il s'agit également, en partie, d'une astuce des banques pour contourner les
« ratios prudentiels» de la réglementation de « Bâle Il » : en vendant leurs
crédits titrisés, ils récupèrent des liquidités et peuvent ainsi prêter encore.
177
comparable à celui des bons du trésor américains; on précisera
plus loin cette importance. En outre, ces opérations de titrisation
vont être réitérées. Certains investisseurs vont émettre des titres
dérivés des titres RMBS déjà dérivés des crédits bancaires. Ce
sont les CDO (Collateralised debt obligations), avec plusieurs
tranches de risque: de la tranche supérieure la moins risquée
dite « Investment grade» à la tranche la plus risquée dite
((
Equity» ou plus clairement (( toxic waste» (déchet toxique).
On a noté plus haut l'explosion des émissions de dettes, dont
les obligations ordinaires. La titrisation elle-même (Asset-
Backed Debt) tourne annuellement dans le monde (en fait
anglo-saxon), de 2004 à 2007, autour de 7 KG$ (9 KG$ en
2006): 1,5 fois les émissions d'actions. Ces émissions étaient
presque inexistantes au début des années 90 mais ont
régulièrement augmenté: 1,5 KG$ en 1997, 3,5 KG$ en 2003.
Environ la moitié de ces émissions concerne les prêts
hypothécaires (c'est-à-dire les Mortgage-backed debts).
L'Europe (essentiellement le Royaume-Uni) ne compte que
pour une faible part (en 2006 autour de 0,6 KG$).
La dette financière des Etats-Unis représente actuellement
plus de 100 % de son PIB, elle est donc supérieure à sa
capitalisation boursière. Ce sont les banques qui en sont
essentiellement créancières: les crédits bancaires titrisés par les
unes étant souvent rachetés par les autres.

612 - ... puis le retournement

* L'effet de la remontée des taux directeurs de la Fed


Mais quand les taux des crédits bancaires remontent, en
2004-2006, par la tension sur les taux monétaires voulue par la
Fed] pour lutter contre le danger d'un nouvel emballement
boursier, et par la relance du taux de profit, les taux et donc les
remboursements s'alourdissent. Les défauts de remboursement
conduisent les banques à faire vendre les logements acquis et
hypothéqués. Ce qui renverse dès 2006 la tendance du marché
immobilier2. Et les banques ne retrouvent pas leur liquidité;
mais continuent de plus belle la chasse aux bénéficiaires de
subprimes, avec des commissions juteuses pour les
intermédiaires. . .
Ce type de prêt passe de 120 G$ en volume en 2001, 200 en
2002 et 600 en 2006. L'encours des prêts immobiliers aux
Etats-Unis aurait atteint en 20068,4 KG$ (plus de quatre fois le
I La Fed a progressivement relevé son taux directeur de 1 % à 5,25 % entre
2004 et 2006.
2 Le marché immobilier américain a perdu en moyenne aux alentours de 20 %
de début 2006 à l'été 2007.
178
PIB de la France et plus de la moitié de celui des Etats-Unis),
dont 10 % pour les subprimes au sens strict, environ 1 KG$, et
trois fois plus pour les crédits immobiliers aux « pauvres» en
général: bref entre 1 et 3 KG$ de crédits à risque... En flux de
nouveaux prêts, les subprimes auraient représenté en 2006 près
du quart des prêts immobiliers.
Que la Fed augmente d'un iota ses taux directeurs et
l'édifice s'écroule. Les nouvelles acquisitions se font plus rares
et la bulle immobilière commence à se dégonfler, les
« pauvres» bénéficiaires des crédits subprimes ne pouvant
assurer leurs échéances sont contraints de vendre; et la plus-
value attendue se transforme en moins-value, répercutée sur les
banques. Les quarts de point supplémentaire de relèvement de
taux d'intérêt par la Fed peuvent sembler infimes; sauf qu'à
l'autre bout de la courbe des risques, le taux des crédit
immobilier aura pu doubler, passant de 6 % à près de 12 %,
avec un effet direct sur les mensualités: 14 % des emprunteurs
subprimes sont ainsi défaillants au premier trimestre 2007. De
un à trois millions d'Américains pourraient devoir vendre leur
habitation.

* L'aveuglement des agences de « rating », puis leur panique


Les agences de « rating» (les grands: Moody's, Standard &
Poors, Fitch) évaluant les risques des titres d'emprunt, n'ont
rien vu venir. Ou ont fait semblant. Il est vrai que près de la
moitié de leur chiffre d'affaires en 2006 concernait l'évaluation
de ces produits structurés. « C'est qu'il est difficile, écrit
Lordon (2007), quand on est si proche de la finance, et
qu'accessoirement on vit à son crochet, de crier "casse-cou"
quand tout le monde s'en met plein les poches...
Catastrophiquement procycliques là où elles devraient être
contracycliques, les agences laissent faire à la hausse... et se
mettent, paniquées, à réviser dès que le retournement s'amorce,
contribuant ainsi à le changer en effondrement ». La bulle ne se
dégonfle plus, elle éclate.
Jusqu'en décembre 2006, les indices des prix des « subprime
RMBS » se tenaient autour de 100, avec un petit effritement dès
novembre pour les nouveaux prêts obtenus en 2006. En juillet
2007, les prix de marché avait chuté de moitié; en janvier 2008
le RMBS des titres aux «ratings» les plus bas (<<BBB et
BBB- » ) valait entre 15 et 25 % de sa valeur d'origine.

179
613 - ... et la contagion

* De la crise bancaire à la cd se boursière


Au moindre cri d'alarme, la contagion se répand comme une
grippe. Plus personne ne veut plus acheter les CDO, les dérivés
de crédits subprime et prime: leur valeur sur les marchés
s'écroule. La contagion est rapide sur les marchés actions quand
ceux-ci prennent conscience (fin août 2007 et surtout début
2008) que la crise bancaire est profonde. Les crédits bancaires à
haut risque sortis par la porte de la tritrisation reviennent par la
fenêtre: les fonds de gestion des banques traitent évidemment
des produits structurés dérivés de ces crédits et spéculent sur les
marchés actions. Les provisions pour risque s'accumulent (sur
les titres dérivés des subprimes mais aussi sur les actions), et les
banques font face à des problèmes de liquidité.

* L'aggravation de la crise bancaire: 1'« assèchement» du


marché interbancaire
Soluble quand tout va bien par le refinancement sur le
marché interbancaire, le risque est devenu tellement grand que
ce dernier s'assèche. La Fed a beau baisser, et de façon brutale,
les taux directeurs, cette mesure n'empêche pas les taux courts,
en particulier le taux au jour le jour, l' « overnight », de se
tendre, par le brusque saut de la prime de risque. Il en fut de
même pour les durées plus longues. En Europe continentale, le
taux de refinancement interbancaire à 3 mois est en général
supérieur au taux directeur de la BCE de 0,15 % à 0,20 % (en
langage financier « de 15 à 20 points de base») : c'est la prime
de risque (spread en anglais) du marché interbancaire. Fin
2007, ce spread frôlait les 100 points de base: 1 %.
La forte hausse, à partir du mois d'août 2007, des taux à
court terme auxquels se refinancent les banques, constitue un
vrai risque pour leur équilibre financier: « L'envolée des taux
du marché du refinancement bancaire ... , devenus supérieurs
aux taux des prêts sans risque à long terme, [constitue] une
situation intenable pour les établissements financiers », écrit le
15 septembre un journal spécialisé. En effet, certaines banques
en arrivent à emprunter à des taux élevés pour refinancer des
crédits qu'elles ont accordés précédemment à des taux
moindres.
D'autres sources de refinancement étaient disponibles pour
les banques, en particulier l'émission de « papier commercial»
(ABCP, Asset-backed commercial paper, titres à courts termes
adossés à des actifs financiers, dont les dérivés de subprimes).
Grâce à ces ressources, les banques pratiquaient la
transformation de ces crédits à court terme à taux bas en crédits

180
à long terme à taux plus élevés (encore un effet de levier), par
des «conduits» ou «véhicules ~> particuliers, les SIV
(Structured investment vehicles). A la première alerte, le
refinancement par ABCP devenait impossible, de même que le
refinancement sur le marché interbancaire garanti par ces actifs.
Tous les secteurs financiers liés à la multiplication des petits
pains par l'effet de levier entrent en crise, en particulier le
secteur de la Private Equity et singulièrement les opérations de
LBO. On y reviendra.
Le passage de la crise bancaire à l'économie réelle est
rapide: les crédits à l'économie se raréfient, malgré la baisse
des taux directeurs de la Fed (pas de la BCE...). Dans un monde
en «surliquidité» (plutôt en sur épargne, répétons-le), la
liquidité bancaire s'effondre!

* La difficile évaluation des pertes au niveau mondial dues à la


crise des subprimes
Il n'existe en fait aucune évaluation fiable, car les marchés
dérivés de la titrisation sont en fait bloqués! En voici une, avec
répartition en p'ourcentage des 600 G$ de pertes évaluées
« prudemment» I.

Immobilier
d'entreprise Immobilier
17% résidentiel hors
SIV subprimes
("V éhicules")
17%
sur ABC?
13%
~""
""

Crédits à la Subprimes
8%
41%

LBO Sur un total de 600 G$


4%

I Celle de EXANE BNP PARIBAS, début 2008, sur la base d'une « mild and
short recession ». Une note précisait: « en cas de récession plus sévère (et/ou
de dégradation plus forte de l'immobilier), les pertes pourraient être plus
sévères ». En avril 2008, le FMI évalue les pertes totales à près de 1 000 G$,
environ 2 % du PIB mondial ou le tiers du PIB français...
181
614 - La folie des banques, pas la folie des politiques
monétaires

* La « mauvaise» politique monétaire de la Fed, « laxiste» puis


ne répondant pas au désir des spéculateurs en accusation? Ou la
folie des spéculateurs?
La crise actuelle serait, pour les libéraux, la conséquence
structurelle du laxisme monétaire de la Fed états-unienne et de
son gourou Alan Greenspan. Trop de baisse des taux auraient
induit le processus des crédits subprimes. C'est faux! ! Certes,
la gestion pragmatique de Greenspan avait fait chuter les taux
directeurs après 2000; mais ils remontèrent ensuite pour
contrecarrer la nouvelle bulle boursière: c'est cette remontée
qui a enclenché la crise des subprimes. La crise serait aussi, à
l'inverse, la conséquence conjoncturelle de la politique de son
successeur Ben Bernanke. Ben Bernanke n'est en effet pas
intervenu en début de crise par la baisse générale des taux
directeurs (sauf par des injections massives de liquidité et la
baisse du taux d'escompte), car son intervention serait apparue
comme une caution aux errements bancaires, Et les spéculateurs
de regretter « Magic Greenspan ».
La crise des subprimes, ce n'est pas la faute aux bas taux
d'intérêt, c'est la faute aux aventures des banques, certes
permises par les bas taux, et déclenchée ensuite par leur hausse.
Bien sûr, comme chez Wicksell, Hayek, Fisher et les autres, si
les taux« monétaires» étaient restés « à l'équilibre» égaux aux
taux « naturels» (voir l'analyse et le vocabulaire de Wicksell),
rien ne se serait passé. Les financiers qui auraient bien vu leurs
pertes nationalisées dès l'été 2007, n'avaient donc pas de mots
assez durs contre Ben Bernanke qui, contrairement à Alan
Greenspan, n'avait pas immédiatement «coupé» les taux
d'intérêts. Il a beaucoup attendu, pour faire respecter une
« morale» financière probablement, mais en mésestimant le
risque systémique global. Il n'est donc intervenu massivement
que début 2008.
On ne suit pas Lordon qui, curieusement avec les libéraux,
affirme « .., que cette longue tolérance monétaire aux excès de
la finance n'a pas été complètement étrangère à la formation et
à l'accumulation des risques qui crèvent aujourd 'hui telles des
bulles >?,
1 «... imagine-t-on l'état de l'économie mondiale après l'effondrement de
2000 si la Fed n'avait pas décidé d'agir avec détermination» écrivent
Fitoussi et Laurent (2007).
2 On le suit mieux dans sa prévision de la fin d'été 2007. « Quant à M
Bernanke, il semble pour l'heure plutôt d'avis de laisser les opérateurs les
plus imprudents supporter les conséquences de leur inconséquence. Mais il ne
faut pas s 'y tromper. Cette position du banquier central n'est tenable que si
les défaillances demeurent localisées. Qu'elles "coagulent" et précipitent un
182
* Accepter ou punir l' « aléa moral» ?
La « faute aux aventuriers de la banque », c'est la question
de l' «aléa moral» et des « externalités ». L'expression aléa
moral ou «hasard moral» est la (mauvaise) traduction de
l'anglais « moral hasard» (déjà peu clair). II s'agit en fait d'un
« risque comportemental» au détriment d'autrui, comportement
qui induit des « effets externes» ou « externalités négatives ».
Tentons de traduire. Dans sa signification générale, la
question de l'aléa moral renvoie à une situation
d' « incomplétude de l'information» dans un contrat entre un
mandant (dit « Principal») et le mandataire (dit « Agent» : on
aura reconnu la théorie de l'agence). Le comportement d'aléa
moral a été repéré dans les contrats d'assurance: un « assuré
tout risque» aura un comportement plus risqué qu'un non
assuré, au détriment de l'assureur. Pour le cas particulier qui
nous intéresse, l'externalité négative est que des faillites privées
des banques commerciales peuvent se transformer en crise
générale. L'aléa moral est le risque comportemental de ces
banques qui se sentent couvertes par l' «assurance» du
Banquier central (qui baisse ses taux et agit en tant que
« prêteur en dernier ressort ») en cas de danger de faillite, pour
éviter une crise générale. Quand tout va bien, on privatise les
profits, quand tout va mal, on nationalise les pertes.
Ledit aléa moral, le risque comportemental au détriment
d'autrui, n'a que peu de rapport avec la question morale au sens
le plus banal. Quelques beaux parleurs s'y sont laissé prendre
en confondant moral et aléa du même nom 1... Mais quand
même, l'aléa moral porte peut être un nom que l'éthique ne
jugerait approprié... Punissons donc les banques fauteuses de
troubles: qu'eUes fassent faillite! C'est en gros la position de
Lordon: une critique acerbe des méfaits de la spéculation
financière qui rejoint la morale commune, la « morale
déontologique ». Et qui propose des solutions: la forte
régulation. Mais pour d'autres, les « conséquentialistes », le
danger économique et social de la punition est trap grand:
l'action publique doit certes prendre en compte les règles, mais
aussi les conséquences de leur application.

« risque de système ii - c'est-à-dire, par effet domino, d'effondrement général


-, et il n'aura pas d'autre choix que d'intervenir, et massivement ii. On le suit
encore: « C'est bien là d'ailleurs le plus insupportable dans les méfaits de la
finance, toujours encouragée à aller trop loin, c'est-à-dire au-delà du seuil où
les autorités ne peuvent plus se désintéresser de ses infortunes et doivent
plonger pour lui sauver la mise - la parfaite prise d'otages ii. Avec un Etat
providence pour les preneurs d'otages.
Nous ne dénoncerons pas ici le principal. On peut le trouver sur la Toile...
183
* Une seule solution: la régulation à l'ancienne
Dans un artic1e\ Lordon (2007) précise sa pensée,
notamment en proposant «Une politique monétaire
"dédoublée" pour contrer la spéculation ». Les Banques
centrales ne disposent en effet que d'un seul taux d'intérêt
directeur pour deux objectifs. Le premier objectif est
d'influencer l'économie réelle avec un r faible en tant que coût
et une bonne courbe des taux, « normale », avec taux courts
inférieurs aux taux longs. Restons keynésiens: pour assurer une
croissance forte, le plein-emploi, et pourquoi pas l'euthanasie
des rentiers. Le second objectif, parfaitement contradictoire
avec le premier selon Lordon, serait de freiner l'euphorie
spéculative; ou au contraire d'éviter la crise boursière2.
Lordon propose donc, entre autres mesures de régulation, de
dédoubler le taux d'intérêt3. Cette proposition peut apparaître
totalement utopique. Elle l'est dans notre monde d'économie
capitaliste de marché déréglementée et financiarisée. Pourtant,
elle l'était moins quand une grande partie des taux longs étaient
« bonifiés », subventionnés, Bref, du temps de l'économie avec
Etat providence. Une autre proposition est de séparer le
refinancement des banques commerciales par la Banque
centrale entre celui des crédits à l'économie à un taux
« économique» et celui des crédits à l'activité de marchés à un
taux « spéculatif ». Et pourquoi pas revenir à la séparation entre
les banques de dépôt (et de crédits à court terme) et les banques
d'affaires, d'investissement financier. Ce qu'a fait après le
krach de 1929, nous rappelle Lordon, le New deal de Roosevelt
avec le Glass Steagall Act. Bref, un retour à la régulation du
bon vieux temps des Trente glorieuses, avant la loi bancaire de
1984 et même les réformes bancaires de la fin des années 60.
Ce serait la moindre des réformes; qui la fera?

I Sur le site Internet du Monde diplomatique,


2 « On sait le choix, écrit Lordon (op, cit.), qu'a fait la Réserve Fédérale sous
la présidence d'Alan Greenspan: la croissance réelle et la bulle financière.
Mais c'est un calcul à courte vue et qui est voué aux heurts d'un stop and go
qu'on croyait disparu depuis les années 1970, mais qui revient sous une autre
forme: pendant la croissance la bulle bat son plein... jusqu'à l'effondrement
spéculatif dans lequel peut se trouver entraînée l'économie réelle par le canal
de la contraction du crédit lorsque les banques, mitraillées de mauvaises
créances, arrêtent brutalement les frais et pour tout le monde ».
3 Lordon propose en effet: « Un dédoublement de l'instrument (le taux
d'intérêt), dont on réserverait chaque déclinaison à un groupe d'agents
spécifiques: un taux pour l'économie réelle, un taux pour les amateurs de
montagnes russes spéculatives? Rien n'empêcherait dès lors de conserver un
premier taux d'intérêt dit "économique" pour les agents de l'économie
productive, et d'en attribuer un second dit "spéculatif' à l'usage exclusif de la
finance de marché ». Ou comment « Frapper la finance, préserver
l'économie ».
184
62 - La crise des LBO et de l'effet de levier

621 - Le LBO, ou REBEL: une technique «rebelle »,


développée surtout après la crise boursière de 2000-2003,
mais en grave crise depuis la crise bancaire de 2007-2008

* Le LBO (Leveraged Buyingout) est un cas particulier mais


dominant du « Capital investissement»
On parle souvent de capital transmission par LBO, le rachat
s'effectuant avec peu de capitaux propres (CP) et beaucoup
d'endettement, de dettes (D), le plus souvent par crédit
bancaire, quelquefois par levées de fonds sur les marchés
obligataires.
On oppose le financement coté en bourses (ou « Corporate
finance») au financement non coté, le « Capital
investissement », ce que les anglo-saxons nomment «Private
Equity» : Capitaux propres «privés », par opposition à
capitaux propres nés de l'appel public à l'épargne. Il ne doit pas
être confondu avec le capitalisme des entreprises appartenant à
des capitaux familiaux ni avec les «Fonds de pension ». Le
LBO n'est qu'une forme particulière de ce capital
investissement qui renvoie aux entreprises capitalistes non
cotées en bourses mais dont le financement s'effectue par
recours à du capital financier organisé (CP et D).
Le private equity doit lui-même être distingué d'autres
institutions financières. Les Fonds de pension gèrent les
retraites par capitalisation 1 ; ils investissent surtout dans des
entreprises cotées, mais sans volonté de contrôle, cependant
aussi (pour répartir les risques), dans des obligations et les
dérivés de subprimes. Les Hedge funds, ou Fonds spéculatifs
investissent sur un horizon à court terme, le plus souvent sur
des actions, mais en général également sans volonté de contrôle
des entreprises, ils sont également censés jouer sur
l' « arbitrage» sans trop de risque.
Le capital investissement est formé de la séquence suivante
correspondant au cycle de vie des entreprises: Capital risque
(qui concerne les débuts de vie des entreprises) ; Capital
développement (pour les entreprises déjà en croissance, avec
fort potentiel) ; « REBEL », LBO donc (pour les entreprises en
phase de maturité mais qui font face à des problèmes
économique et/ou de financement) ; Capital retournement
(pour les entreprises en difficulté, souvent en phase de déclin,
I Les retraités sont dans ce cas des rentiers; mais pas plus que les retraités de
la retraite par répartition. Dans les deux cas, ces « rentiers» ont néanmoins
travaillé: ils ne sont pas à « euthanasier », Les « réformes» des retraites par
répartition s'en occupent...
185
mais avec possibilité de rebond). La technique du LBO est la
principale branche du capital investissement (en gros,
actuellement en Europe, les deux tiers du capital
investissement). Les entreprises de capital investissement, dont
celles qui mettent en place les LBO, sont soit des sociétés
indépendantes, soit des filiales de banques ou de compagnies
d'assurance. Elles lèvent des fonds propres! mais elles
s'adressent également aux banques pour un financement par
dette. L'horizon des opérations est le moyen terme (de 3 à 7 ou
8 ans).
La technique du LBO est en effet « rebelle », pour quatre
raisons dont les trois premières sont liées. Elle est en décalage
avec la dominance de l'économie de marché de capitaux, car
elle retrouve l'intermédiation du crédit bancaire. Elle n'est ainsi
pas soumise aux règles d'information imposées en cas de
financement sur les marchés publics organisés (singulièrement
par capitaux propres) : les bourses. Elle est par conséquent non
soumise aux obligations d'informations du public en général,
dont ses salariés. Elle est enfin, un substitut aux marchés
financiers depuis la crise boursière de 2001-2003 ; mais se
trouve elle-même en crise depuis la crise bancaire des
subprimes.

* Une technique rebelle à la généralisation de l'économie de


marché de capitaux, par son retour à l'économie d'endettement
par l'intermédiation du crédit bancaire
Il s'agit bien d'une rébellion, car le libéralisme préfère, on
l'a déjà indiqué, l'économie de marché de capitaux (propres) à
l'économie d'endettement (par crédit bancaire). Dans la
première, rappelons-le, les entreprises trouvent leurs capitaux
par financement direct, sans l'intermédiation du crédit bancaire.
Ce n'est le cas dans les LBO que pour la partie capitaux propres
(minoritaire dans le financement) ; cependant ce n'est qu'un
marché financier « privé », de gré à gré. Dans la seconde, les
entreprises trouvent leurs capitaux par financement indirect, par
l'intermédiation du crédit bancaire: c'est le cas dans le LBO
pour la partie financée par dette (très majoritaire donc dans le
financement ).

* Une technique rebelle, par l'absence d'information financière


publique
L'organisation des marchés financiers suppose un certain
niveau d'information (dite transparence) et de contrôle de la
part des gérants et gendarmes de ces marchés (par exemple en
I En France à travers des FCPR (Fonds Communs de Placement à Risque),
des FCPI (Fonds Communs de Placement dans l'Innovation), des FIP (Fonds
d'Investissement de Proximité).
186
France l'AMF, l'Autorité des marchés financiers qui a absorbé
l'ex-COB, Commission des opérations de bourse). Or les
opérations de LBO sont par nature très rebelles à cette
transparence et au contrôle car, ne faisant pas appel à l'épargne
publique mais aux banques et à des apporteurs de capitaux
risqués non cotés, elles n'y sont pas (encore) soumises 1.
Cet inconvénient de non-transparence pour le public n'en est
pas un pour les apporteurs de capitaux propres, car ces derniers
se connaissent bien au sein du private equity; et le secret des
affaires reprend tous ses droits.
Qu'en est-il pour la part dominante du financement: le
crédit bancaire? La question de la transparence se pose
théoriquement peu: les actionnaires des banques sont censés
savoir lire leurs bilans; sauf l'évaluation des dérivés de la
titrisation et les engagements hors bilan... Il s'agit donc plus
d'une question de contrôle que d'information. Or, la
réglementation bancaire est déjà forte en termes institutionnels;
elle devrait donc pouvoir contrôler indirectement les opérations
de LBO. Cependant, la régulation des risques de liquidité et
d'insolvabilité est globalement laissée à des ratios prudentiels
recommandés par les accords de Bâle (<<Bâle I» complété par
« Bâle II »), en particulier des ratios de fonds propres (fonds
propres I dettes ou sur crédits). On préfère l'autorégulation à la
régulation administrative...

* Une technique rebelle à l'information des salariés


Le LBO est aussi une technique rebelle par l'absence
d'information pour les salariés leur rendant complètement
opaques ces opérations de rachat qui, souvent, se soldent par
des restructurations et des licenciements. Les exemples sont
nombreux où un groupe coté mais racheté, ayant communiqué
de façon précise (car obligatoire...) son activité, ses résultats,
ses équilibres financiers, ses rentabilités par secteurs d'activité
et géographiques, fait complètement disparaître cette
information après rachat par LBO. Les exemples sont aussi
nombreux où une opération de LBO sur une société ou un
groupe non coté (ou qui n'est plus coté) est décrite de la façon
la plus succincte par le management, ancien ou nouveau, lié à
ce type de rachat.

I Cependant, au Royaume-Uni, de loin dominant en Europe pour ce type de


financement, une réforme de l'obligation d'information est en cours suite à la
crise des subprimes. D'autres pays suivent, dont les très libéraux Pays-Bas. La
question de l'approfondissement de la réglementation se pose en fait partout.
En France, seul le groupe parlementaire du Parti communiste avait proposé
une commission d'enquête parlementaire et des réformes donnant des
pouvoirs accrus à la CDC, la Caisse des dépôts et consignation.
187
Certains syndicats, comme la CFDT, qui ne s'opposent pas
par principe aux opérations de LBO, revendiquent néanmoins
cette transparence pour les salariés. Il s'agit au moins d'avoir
accès aux plans de développement ou « Business Plans », d'agir
sur l'environnement juridique (garantir par la loi l'information)
et de faire émerger l'idée d'une « RSE et DD « (Responsabilité
sociale de l'entreprise et Développement durable) dans les
LBO). Ils proposent également une meilleure réglementation
des banques, une notation extra financière des investisseurs,
notamment en vue du placement de l'épargne salariale.
D'autres sont plus offensifs, comme la CGT et le « Collectif
LBO» qui en émane. Ils sont opposés par principe aux LBO et
n'y voient que le nouvel avatar du capitalisme du XXI" siècle.
Ces opérations, par la « tyrannie» de la recherche du « cash» à
tout prix, se solderaient surtout par des restructurations (lire
dégraissages et licenciements), une vision courtermiste, une
pression élevée sur les salariés et le management, pour le plus
grand profit des apporteurs de capitaux.
La « vérité» est à rechercher, de façon critique, entre ces
deux tendances.

* Le choc de la crise actuelle


Cette technique est néanmoins en pleine crise financière
depuis l'été 2007.
Le développement accéléré Gusqu'en fin 2007) des LBO
n'est en fait que le résultat de la crise boursière déclenchée en
2000 : la méfiance envers les marchés financiers a fait se
tourner les investisseurs vers le private equity en général et le
LBO en particulier. Cependant, au niveau mondial, les LBO
s'étaient déjà développés avant 20001 : ils représentent environ
30 % des fonds d'endettement levés par regroupements de
banques (crédits dits « syndiqués»). Dans le même temps, la
baisse des taux d'intérêts rendait attractif, par l'effet de levi~r
de l'endettement, le recours au financement bancaire. A
l'inverse, avec la crise bancaire de l'été 2007, les taux courts
bancaires se sont fortement relevés; surtout, le refinancement
des banques sur le marché monétaire fut complètement bloqué.
Deux des opportunités qui avaient fait le bonheur des
opérations de LBO (bas taux d'intérêt et perspectives
économiques correctes) sont donc en train de se transformer en
menaces; à la méfiance envers les marchés financiers boursiers
s'ajoutent celle des investisseurs en LBO. Ce tarissement des
sources de financement, singulièrement bancaires, va sans
aucun doute freiner le développement ou le redressement
d'entreprises saines ou en difficulté financière.
1 Un peu moins de 200 G$ en 1995, autour de plus de 500 G$ de 1998 à 2000,
chute à 400 G$ en 2001 mais bond régulier jusqu'à plus de 1 800 G$ en 2007.
188
622 - Les acteurs et les mécanismes économiques et
financiers d'un LBO

* Les acteurs et les capitaux engagés


Six acteurs fondamentaux interviennent dans un LBO,
organisés selon le schéma qui suit: l'entreprise Edite « cible»
qui est cédée ou rachetée par LBO, son management M, entrant
en relation avec un fonds d'investissement FI qui crée une
société Holding H, propriétaire de E. Le financement de H est
assuré par deux types de capitaux: d'une part des capitaux
propres CP détenus par un Investisseur I en capital risqué, avec
participation du fonds d'investissement FI et du Management
M ; d'autre part des dettes D trouvées en général chez une
banque B. Un septième acteur, nouvel investisseur NI,
interviendra à la « sortie », lors de la revente (à un industriel, à
un financier, mise en bourse, au ... LBO secondaire).

Le rôle de mise en relation par le FI de I, M et B


... pour créer /l, propriétaire de E reprise en LBO

(
,,""... ...
""" FI.: ,I
--- ...
I
B
:: ~I I
CI'& COIl$eil
"" 1 De/le.,(D) I
"..
1
... - -- I

CRÉATION DE H
...... .....
.....
.:
.
'\
..
~ /
". E' repri."elll.BO
'

....... ..'
h... h..............................

Le FI joue un rôle central, pas seulement de mise en relation


mais aussi de « partenariat» avec le M de E, également
étroitement surveillé par B ; FI est (grassement) rémunéré pour
ses différents « conseils ». Les financements peuvent être plus
complexes, avec des fonds intermédiaires entre CP et D (fonds
dits « mezzanines »). L'investisseur en CP peut prendre
plusieurs formes: les Fonds de pension diversifient leurs
portefeuilles en plaçant une partie de leurs actifs rapportant,
mais avec un risque supérieur, une rentabilité dopée par l'effet

189
de levier; les Hedge funds n'hésitent pas non plus à intervenir
en période faste.
K est le capital économique correspondant à la valeur du
rachat de Epar H en LBO. K peut être différent de la valeur
fondamentale de marché avant restructuration et nouveau
Business Plan, car l'entreprise rachetée E peut être « en
difficulté ». Cependant, ce n'est pas toujours le cas: les
difficultés peuvent n'être que des difficultés de financement
(endettement important mais ne remettant pas en cause la
rentabilité économique). CP sont les capitaux propres totaux
amenés essentiellement par I, mais aussi par FI et M. D est la
dette bancaire, avec D = K - CP ; elle peut être remboursée « in
fine» (ce qui était d'ailleurs de plus en plus courant dans les
opérations de LBO). Le levier L est le rapport D I CP ; il va
évidemment jouer de façon considérable sur les rendements des
apporteurs de CPo

* Les rentabilités financières des capitaux propres de l'opération


Le taux interne de rendement (TIR) des capitaux propres et
les rentabilités comptables nettes sur la durée de l'opération
sont les principaux critères de performance.
Le TIR des CP est le seul réel critère de rentabilité; il tient
compte de l'actualisation des flux de trésorerie ou « cash
flows» obtenus après la revente: profits de la cible E versés en
dividendes à H moins les intérêts versés à B, plus le produit de
cession à NI. C'est la rentabilité financière annuelle moyenne
des capitaux propres engagés. Ce taux renvoie à un taux moyen
net annuel de rentabilité et peut être comparé au taux de
rentabilité désiré par les investisseurs.
Les rentabilités comptables nettes sont les ratios profits nets
dégagés (profit de la cible E versés en dividendes à H moins les
intérêts versés à B plus la plus-value de cession à NI) ramenés
aux capitaux propres CPo On constate alors deux doubles
« effets de boostage » de la rentabilité comptable nette des
capitaux propres d'un LBO: « effets économiques» et « effets
de levier financier ».
L'effet économique est lui-même double. Le capital
économique K de E et de H présente d'abord une rentabilité
économique comptable nette de l'activité. Mais K est également
rémunéré par la plus-value de cession. Cette rentabilité
économique totale est ensuite boostée par les effets de levier.
Une opération de LBO présente en fait deux effets de levier.
Le premier effet de levier est celui, traditionnel, de
l'endettement jouant sur la rentabilité de l'entreprise cible E
par les dividendes versés; il joue sur la holding H endettée
auprès de B. Ce premier effet de levier va d'abord permettre à
la holding H, très endettée, de multiplier la rentabilité

190
économique de E pour obtenir sa rentabilité financière. Le
second effet de levier est la conséquence de la plus-value à la
revente; il va, pour les mêmes raisons, multiplier la « survaleur
économique» de revente (la différence entre la valeur de
revente V au nouvel investisseur NI et la valeur K du capital
économique de E rachetée par H)... et s'ajouter au premier.
Sans les deux effets de levier, l'opération de LBO aurait peu
d'intérêt: H non endettée ne recevrait que la rentabilité
économique et la survaleur économique, sans multiplication...
D'où la martingale du LBO, à condition que r soit petit.

623 - Les « surperformances » théoriques des LBO

* Le LBO et ses ratios clés


Le premier ratio caractéristique des LBO, sans compter le
levier fiscal du montage entre la cible E et la holding H, est sans
doute l'effet de levier de l'endettement. Il dépend, on l'a vu, de
la structure de financement, donc du levier, de la rentabilité
économique et du taux d'intérêt. Souvent de l'ordre de 1 il Y a
quelques années (50 % de D et 50 % de CP), il atteignait
souvent 4 (80 % de D et 20 % de CP) en 2006 et 2007.
Le deuxième ratio pris en compte est la capacité de
remboursement de H, donc la capacité de E à générer des flux
de cash versés en dividendes à H puis reversés, en tout ou
partie, en intérêts et remboursements à B. On appelle
« multiple» dans les opérations de LBO le rapport entre la dette
D et le « flux de cash» dégagé annuellement. Ce « cash flow»,
si l'on se cantonne à la seule activité d'exploitation, est nommé
en français l'Excédent brut d'exploitation (EBE) et en anglo-
saxon Ie Earning Before Interest, Taxes, Depreciation and
Amortization (EBITDA): le profit avant intérêts, impôts et
amortissements. Plus le rapport D / EBITDA est grand, plus
longue sera la durée de remboursement de la dette.
Le troisième ratio clé, résumant mais précisant les deux
précédents, est donc le TIR qui reste l'objectif final de
rentabilité d'un LBO (à condition que le risque de non-
remboursement de la dette ne se soit pas manifesté...). La
culture dominante du cash dans les LBO met souvent au second
plan la rentabilité des capitaux mis en œuvre comme critère de
performance suivi régulièrement. Pourtant, cette rentabilité
économique est boostée par les investissements qui dépensent
du cash mais augmentent la plus-value finale de l'opération. Il
ne fait aucun doute qu'une contradiction, somme toute bien
classique, apparaît fondamentale dans les opérations de LBO:
celle entre la rentabilité, dopée par la plus-value de revente et le
risque de non remboursement par l'investissement du « cash ».

191
* Le LBO serait la structure d'organisation capitaliste la plus
performante, selon la théorie de l'agence
Certaines analyses considèrent le LBO comme la structure
de gestion la plus efficace des entreprises capitalistes. Cette
proposition a plus de vingt ans; elle est due à M. Jensen (1986),
l'un des grands théoriciens américains de la finance. Elle
renvoie à la théorie de l'agence rencontrée plus haut. La
structure de financement (rapport des capitaux propres et des
dettes) peut, selon cette théorie, influencer l'efficacité de la
gestion et notamment les choix des investissements pour les
actionnairesl. Le LBO en est le meilleur exemple car à la
théorie générale de l'agence s'ajoute celle du «free cashflow»
ou cashflow libre.
De quoi s'agit-il? Une partie du cash flow est utilisé pour
les investissements jugés rentables, c'est-à-dire dont la
rentabilité est supérieure ou égale au « coût du capital»
(CMPC). Le remboursement aux prêteurs étant en général
contractuel; on considère donc que le free cash flow est la
partie du cash flow qui peut être distribué aux actionnaires:
c'est sa partie « libre ». En effet, avec par exemple un CMPC de
10 %, pourquoi distribuer 100 aux actionnaires si ces 100
investis peuvent rapporter 15 %! Autrement dit: «Deux tu
l'auras valent mieux qu'un bon tiens », avec le risque afférent.
Précisons le « multiple» mentionné plus haut, c'est en fait le
rapport entre D et le cash flow libre qu'il faut prendre et non
pas D / EBITDA. En 2000, ce multiple était le plus souvent de
l'ordre de 5 ans, il serait en 2006-2007 de 10 ans selon Noël
Goutard (2007) : «Comme l'on dit : beaucoup de liquidités
chassent peu de proies ».
Le cash flow libre est distribué par l'entreprise cible E à ses
actionnaires, la holding H, qui rembourse les banques. On
retrouve la contradiction mentionnée plus haut entre le montant
des investissements dans E qui doivent augmenter la valeur de
l'entreprise lors de sa revente et les contraintes de versement de
dividendes pour rembourser la dette. Il y a donc en fait deux
exigences « tyranniques» du LBO, celle de la rentabilité, celle
du cash, facteur de risque de faillite. D'après Jensen néanmoins,
la contrainte du remboursement de la dette, l'épée dans le dos
du risque de faillite, va booster l'efficacité de la gestion des
managers. Il y aurait alors là la meilleure des gouvemances où
les managers, les banquiers et les apporteurs de fonds propres
seraient les plus soudés. Cependant, d'après une étude de
Standard & Poor's (S&P), la moitié de l'échantillon de 36
I Rappelons qu'il existe bien une structure optimale de financement
maximisant la rentabilité financière des actionnaires mais qu'i! n'existe par
contre pas, selon le théorème de Modigliani et Miller, de structure optimale de
financement minimisant le CMPC.
192
opérations analysées en Europe n'aura pas atteint ni ses
objectifs de croissance des revenus, ni ceux de remboursement
de la dette. S&P voit dans cette seconde évolution le principal
facteur de risque, notant que le multiple D I EBITDA serait
passé de 5,2 en 2005 à 6,6 en 2007 - une évolution nettement
moins marquée que celle indiquée plus haut par Goutard. Ce qui
est plus préoccupant, c'est que les créanciers auraient été plus
arrangeants en 2007 que lors des années précédentes sur les
ratios d'alerte contractuels (dit « covenants ») imposant le
remboursement par anticipation de la dette. Or, de plus en plus,
les dettes étaient remboursées « in fine» et non amorties sur la
durée de vie du LBO; ce qui multiplie encore les risques.
Il est vrai néanmoins que les TIR des opérations de LBO ont
toujours été supérieurs à ceux des autres opérations financières.
Avec une moyenne de 18 % de 1996 à 2004, et le creux général
de la crise boursière, les opérations de capital investissement
surperformaient sans aucun doute. Mais à quel risque...

* Le poids économique des sociétés françaises en LBO


Il est loin d'être négligeable. Selon divers recoupements, son
poids tournerait actuellement autour de 5 % tant en terme
d'emploi (autour de 1 M sur 17 M dans le secteur privé) qu'en
terme de contribution à la valeur ajoutée.
Comparé au poids des sociétés du CAC 40, ce n'est pas un
nam.

Evaluation grossière du poids des entreprises de LBO en Frnnoe


10% 9% Probablementaulour de 5 %
en terme de Valeurajoutée

6%
5%

0%
Chiffre d"affaires LBO I PIB Emploi LBO I Emploi secteur privé

Evaluation grossiére du poids des entreprises de LBO


80% comparè à celui du CAC 40

Les entreprises en LBO sont un peu moins 60%


60% de deux fois plus intsnsives en travail que
celles du CAC 40

40% 33%

20%

0%
Chiffre d'affeires LBO I Chiffre d'affaires Emploi LBO I Emploi CAC 40
CAC40

193
* Le poids social des LBO
L'AFICI (le « MEDEF» du capital investissement) est à
l'origine d'une étude dont l'échantillon analysé semble
représentatif; les conclusions de cette étude sont cependant
critiquées par les « anti LBO ». Les opérations de LBO
concernent très majoritairement des PME: près de 70 % des
entreprises en LBO entre 2003 et 2005 réalisent un chiffre
d'affaires inférieur à 50 ME ; plus de 80 % ont un effectif
inférieur à 500 salariés.
La croissance annuelle moyenne du chiffre d'affaires des
entreprises sous LBO est de 5,6 % contre 0,7 % pour la
moyenne nationale et 2,5 % pour les 50 plus grandes
entreprises. Pour 2006, la croissance est de Il,1 %, contre
5,7 % pour les sociétés du CAC 40. Cette croissance est plus
due à une hausse des effectifs (4,1 % en moyenne annuelle,
contre 0,6% pour la moyenne nationale et 0,8 % pour les 50
plus grandes entreprises) qu'à celle des gains de productivité.
En 2006, la croissance des effectifs sous LBO serait de 6,6 %,
contre 1,6 % pour l'emploi du secteur privé en général et
- 0,4 % pour les sociétés du CAC 40. Les entreprises sous LBO
auraient créé des emplois même dans les régions à cet égard
sinistrées (Nord et Est).
Les autres critères de performances sociales seraient
également à l'avantage des LBO. La progression moyenne des
salaires serait de 3,3 % par an dans les entreprises sous LBO
contre 2,9 % pour la moyenne nationale. Les taux moyens
d'absentéisme (5,1 % avant les LBO et 4,6 % après) et de
turnover (12 % avant et 10 % après) y sont nettement plus
faibles. Les dépenses de formation ramenées à la masse
salariale sont en croissance, mais bien légère (2,15 % avant le
LBO, 2,35 % après). Pour 13 % des entreprises sous LBO, le
temps de travail a été diminué.
Enfin, 55 % des salariés des entreprises intéressées se
déclarent favorables à l'opération de LBO qui les a affectés,
35 % se déclarent neutres, seulement 10 % y sont défavorables:
4 % reprochent surtout « de ne pas y avoir participé» (comme
investisseurs intéressés aux bénéfices) ; 4 % sont « inquiets ou
ne comprennent pas» ; 2 % le rejettent « par principe ». Il est
vrai que l'opération de LBO aura sorti l'entreprise cible,

I Association Française des Investisseurs en Capital. Elle a confié au cabinet


Constantin Associés une étude sur l'emploi et l'impact social du LBO en
France. Il s'agit d'un complément à l'analyse sur (( Le poids économique et
social du Capital Investissement en France» de novembre 2006. (( L'objectif
est de fournir une analyse objective sur l'évolution des conditions sociales des
entreprises sous LBO et de les comparer à la pratique des entreprises
françaises ». Les performances données ici concernent, sauf mention
contraire, la période 2003 à 2005.
194
souvent en difficulté, de perspectives encore moms
réjouissantes.

624 - « La fête est finie... »1

* La fin des TIR de rêve, par la hausse des taux


Les TIR exceptionnels (de 35 à 50 %, mais, on l'a vu, avec
une moyenne très inférieure), c'est fini. Les taux moyens vont
probablement retrouver ceux de la bourse, mais avec drapeaux
en berne pour les deux investissements: les rentabilités
financières à plus de 15 %, c'est fini, dans les deux cas. On
« exigera» moins. Ces taux étaient permis par l'effet de levier
de l'endettement exceptionnel, avec les bas taux d'intérêt, mais
les banques assèchent les crédits car elles ne peuvent plus les
titriser sur les marchés financiers: plus personne n'en veut, ou à
vil prix; la « syndication» consistant à répartir les risques est
ainsi bloquée.
Les opérations avec peu ou sans garanties pour les banques,
très prisées dans la période d'euphorie (<<covenant light» ou
« covenant free»), sont maintenant passées de mode. Passé de
mode également, le remboursement d'une grande partie de la
dette in fine. En effet, dans l'euphorie, les banques acceptaient
ce deal qui allégeait d'autant les remboursements par la Holding
aux banques (<<amortissement» de la dette, par exemple d'un
175par an pour un crédit de 5 ans). L'opération de LBO pouvait
ainsi attendre la plus-value de cession pour rembourser: seuls
les intérêts devaient être servis.

* Des ratios de levier revus à la baisse...


Avant la période d'euphorie, l'EBE (ou l'EBITDA) devait
en général permettre de rembourser la dette en cinq ans.
Pendant l'euphorie, le ratio D / EBE, le « multiple », pouvait
donc atteindre 6 à 7, quelquefois 10. On va revenir à des ratios
plus « raisonnables », et donc à des TIR plus proches de taux
« raisonnables », à peine mieux qu'à la bourse... qui est
d'ailleurs en train de plonger.
On s'approche donc peut-être de l'effet de massue. «La
dette fut un exceptionnel levier de performance pour les fonds,
mais elle pourrait se transformer en unformidable accélérateur
de pertes» est la conclusion de l'article sonnant la fin de la fête.
« L'impact de la croissance reste, à ce stade une grande
inconnue» avoue Eddie Misrahi, président de l'AFIC. On a vu
plus haut que la croissance des profits était centrale pour le
succès d'un LBO. Les difficultés des opérations de LBO sont
I
C'est le titre évocateur d'un article paru dans Les Echos, Enjeux de
novembre 2007 (par Anne-Laurence Fitère).
195
donc devant nous, en 2008 : des entreprises ayant du mal à
rembourser leur dette pourraient être reprises par de vrais
« rapaces» se nourrissant de cadavres, les fonds de
retournement spécialistes de reprises d'entreprises « en
difficulté ».
« L 'hécatombe pourrait être néanmoins de toute autre
ampleur si la crise financière se propageait à l'économie
réelle» : autre conclusion de la fin de la fête.

196
Chapitre VII
Les profits peuvent-ils aller mal
quand la bourse va bien?

La première approche sera celle de l'analyse fouillée de


l'exemple français des Sociétés non financières (SNF). Elle
permettra de montrer que la baisse de leurs « profitabilités »1,
déjà perceptible tendanciellement dès le début des années 90,
après la forte reprise qui a suivi les deux premiers chocs
pétroliers, s'accélère depuis le début du troisième choc pétrolier
en 1999. On serait étonné que le cas français ne puisse se
retrouver, avec des particularités, dans les autres pays
capitalistes développés.
La crise des profitabilités précède donc la crise boursière et
financière déclenchée en 2000. Par contre, si, d'un côté, tout va
mal depuis 1998 pour les SNF, le fond de l'économie réelle,
tout va encore au mieux pour les dividendes des actionnaires...
Seconde approche: les types de liaisons entre les taux
d'intérêt et les valeurs boursières dont l'évolution est mesurée
par celle de l'indice CAC 40. Un biais semble apparaître: les
actions cotées ne représentent qu'une infime partie des SNF ; et
le CAC 40 que nous utiliserons pour évaluer V une faible partie
des sociétés cotées. Et avec beaucoup de sociétés
internationalisées, dont le groupe pétrolier Total, la première
capitalisation d'Euronext, grandement influencé par le boom
pétrolier depuis 1999. Ce biais n'est qu'apparent: l'indice
boursier français le plus large (le SBF 250) évolue de façon
presque identique au CAC (voir le graphique qui suit).
Depuis 1989, le boom boursier ne faisait aucun doute (avec
des soubresauts), malgré des profitabilités en stagnation: un
I Une profitabilité, généralement appelée « taux de marge» (mais avec divers
avatars), raJ1lène un profit à un flux d'activité (ventes ou production, « valeur
ajoutée»). A ne pas confondre avec une rentabilité, un profit ramené à un
stock de capital.
197
rêve et une belle contradiction à la Marx tendance Groucho...
Le bond est fantastique de 1995 à 2000, il est vrai accompagné
d'une certaine reprise des rentabilités financières. La réalité
reprend ces droits depuis 2000, avec un premier plongeon du
CAC 40 ou du Dow Jones en 2000-2003, un rebond de 2003-
2004 à 2007 (les Etats-Unis étant en retard sur l'Europe), un
second plongeon en 2007-2008 (mais qui n'atteint pas l'abîme
de début 2003) : encore un « double dip ».

Courbes reconstituées de deux indices boursiers français depuis 15 ans

CAC 40

1993 1995-1996 2000-2001 2003 2007-2008

On vérifiera qu'à partir de la fin du XXe siècle, c'est bien la


hausse, versus la baisse, de la valeur des actions qui expliquent
la hausse, versus la baisse, des taux d'intérêt longs: V ~ r.
Auparavant, sur le long terme avant 1998-1999, c'était plutôt la
hausse, versus la baisse, des taux longs qui expliquaient la
baisse, versus la hausse, de la valeur des actions: r ~ V. Bref,
un double renversement de la liaison.
La politique monétaire et l'inflation perturbaient fortement,
jusqu'au début du XXI" siècle, la liaison établie par Smith. On
la retrouve donc depuis une dizaine d'année. Est-ce la
conséquence de la libération des marchés financiers (mais elle
aura mis le temps à se réaliser...) ? Est-ce la conséquence de la
crise réelle et financière elle-même? Où les Banques centrales
ne font-elles que suivre sur cette période, les tendances du
marché, malgré le volontarisme évident de la Fed, suivi en
freinant des quatre fers par la BCE ?

198
71 - Profitabilités en stagnation puis en baisse,
boom des dividendes

711 - De quelques précisions de vocabulaire et première


approche

* Le jargon de la comptabilité nationale


Quelques mots sont nécessaires à propos du jargonl de la
comptabilité nationale, ou macrocomptabilité, avec les sigles
correspondants.
Il s'agit d'abord du vocabulaire concernant la production et
la répartition du revenu entre travail et capitaux engagés.
La Valeur ajoutée brute (VAB, approche du Produit intérieur
brut, le PIB) rend compte du flux de richesse produite; c'est la
production (P) moins les consommations intermédiaires (CI)
nécessaires à cette production et produites par d'autres
entreprises... ou importées. Cette richesse se partage selon deux
types de répartition.
Première répartition: la « répartition primaire» entre les
deux facteurs, considérés comme productifs, le travail et le
capital. Donc, d'une part, la Rémunération des salariés (RS/,
d'autre part les «profits économiques» de tous les capitaux
économiques engagés K, financés par deux types de capitaux:
d'un côté les capitaux ou fonds propres CP apportés par les
propriétaires (pour faire rapide les actionnaires dans les sociétés
anonymes), de l'autre les dettes D.
On doit distinguer les profits économiques bruts des profits
économiques nets. Le profit économique brut est mesuré par
l'Excédent brut d'exploitation (EBE) déjà rencontré. Le profit
économique net est l'Excédent net d'exploitation (ENE) : c'est
l'EBE moins la consommation de capital fixe (CCF),
appellation des macrocomptables pour les dotations aux
amortissements des «microcomptables ». La comptabilité
nationale indique bien ces CCF mais les «oublie» dans la
séquence d'analyse de la production, répartition et dépense des
revenus. Pourquoi? D'une part, elles ne correspondent pas à

I
Ces nouveaux mots du jargon sont ici identifiés en italique.
2 Les données présentées ici trouvent essentiellement leur source dans les
publications de l'INSEE: Institut National des Statistiques et Etudes
Economiques; ces données ont été retraitées par nous. Compte tenu des divers
«changements de base », elles ne doivent être prises que comme des
approches statistiques des phénomènes. Voir Castex (2006),
Macrocomptabilité de la France, Le capitalisme des trente années de plomb;
elles sont ici revisitées et actualisées.
3 Mais aussi les impôts liés à la production nets de subventions d'exploitation,
pour une part faible mais non négligeable.
199
des sorties effectives ou potentielles de monnaie. D'autre part,
ce sont des charges évaluées selon les durées de vie estimées
des actifs immobilisés et leur répartition dans le temps puis
« dotées» dans le compte de résultat. Leur montant n'étant
donc que la conséquence d'un choix comptable, il est plus
prudent de raisonner en valeurs brutes 1.
Les profits économiques rémunèrent donc tous les capitaux
engagés, avant impôts sur les bénéfices. Ils sont ensuite répartis
entre les deux types d'apporteurs de capitaux: les intérêts nets
versés pour D, les dividendes et autres revenus de la propriété
pour CPo Il s'agit encore d'une répartition primaire, mais des
profits économiques entre les deux types de capitaux apportés.
La différence entre les profits économiques et ces affectations
est le Solde des revenus primaires, profits économiques
conservés par les entreprises, solde brut dans la séquence
proposée par la comptabilité nationale.
Apparaît ensuite la « répartition secondaire» des revenus,
avec essentiellement les prélèvements en impôts sur les
bénéfices2 ; il reste le Revenu disponible égal pour les sociétés à
leur Epargne; encore soldes bruts selon la comptabilité
nationale.
Il faut également insister sur le partage des profits entre
capitaux propres et dettes.
La distinction entre soldes bruts et nets doit sans aucun
doute être effectuée: on ne peut se contenter des seuls soldes de
profits bruts, malgré les biais qui les caractérisent, car ce sont
les profits nets qui vont en dividendes dans la poche des
actionnaires ou en « réserves ». Nous proposons une distinction
supplémentaire, malheureusement non mise en relief par la
comptabilité nationale: celle entre la répartition des profits
économiques entre D et CP, avec l'apparition des profits dits
« financiers».
Les profits financiers n'appartiennent qu'aux propriétaires
des CP, bref aux actionnaires. Le profit financier brut est la
« Capacité d'autofinancement» (CAF), terme incontournable
du jargon de la gestion financière non calculée par la
comptabilité nationale. C'est l'EBE moins tous les transferts
aux prêteurs, au fisc (et divers\ mais avant les dividendes nets3
versés aux propriétaires. Le profit financier net ou « Résultat
net» (RN) est la CAF moins la CCF.

I
2
La VAB répond au même choix.
Et d'autres petits mouvements, dont indemnités moins primes d'assurances
et prestations mo ins cotisations sociales.
3
Il s'agit des dividendes versés par les SNF moins les dividendes qu'elles
reçoivent, entre maisons mères et filiales dans les groupes. Ces dividendes
nets sont versés aux ménages actionnaires (et autres propriétaires), aux
banques, etc.
200
Ces profits financiers sont ensuite, soit distribués en
dividendes et autres revenus de la propriété, soit conservés dans
les sociétés. Ces profits conservés sont donc, pour les profits
financiers bruts, l'Epargne brute (EB), nommée par les
gestionnaires « Autofinancement» ; pour les profits financiers
nets, il s'agit de l'Epargne Nette (EN), nommée par les
gestionnaires le « Résultat net conservé ». L'EB est ensuite
investie en « capital fixe» ou Formation brute de capital fixe
(FBCF) et en variation des stocks; le solde est nommé la
Capacité (si positif) ou le besoin (si négatif) de financement!.

* Les profitabilités, brutes et nettes


Les profitabilités sont à la base des rentabilités mais ne sont
pas les rentabilités! Il ne faut pas confondre profitabilités et
rentabilités des capitaux. Au risque de se répéter, les premières
renvoient au rapport d'un flux de profit quelconque sur le flux
de niveau d'activité, en général mesuré par la VAB. Les
secondes ramènent un flux de profit au stock de capitaux
investis correspondant.
Les profitabilités « économiques », brutes ou nettes, sont en
général calculées, en macrocomptabilité comme en gestion
financière2, par les ratios EBE3 et ENE / VAB. Les profitabilités
« financières », brutes ou nettes, sont en général calculées par
les ratios CAP et RN / VAB. Les tableaux qui suivent donnent
l'analyse traditionnelle de la comptabilité nationale selon la
séquence qu'elle propose, ainsi que les deux analyses de la
gestion financière, en soldes bruts et nets, pour les seules SNp4.
On y a adjoint les principaux taux de profitabilité qui vont nous
intéresser.
Les deux années 1998 et 20065 n'ont pas été choisies
simplement à titre d'illustration. 1998 est en effet la dernière
année du boom économique réel après la crise de 1993, deux ou
trois ans avant le krach boursier de 2000-2001.

)
À ne pas confondreavec la capacitéd'autofinancement.
2 La gestion financière parle néanmoins plutôt de « taux de marge
opérationnelle» en ramenant l'EBE mais le plus souvent l'ENE aux ventes et
nonàlaVAB.
3 Ledit « taux de marge» calculé par la comptabilité nationale, et sur lequel
toute la communication est centrée, est le taux EBE / VAB.
4
Les SNF sont les entreprises marchandes sous forme de sociétés, à
l'exclusion des sociétés financières (SF), c'est-à-dire les banques, assurances
et autres institutions financières, et les entreprises individuelles. Ces
entreprises (en général PME, Petites et moyennes entreprises, ou TPE, Très
petites entreprises), n'étant pas sous forme juridique de sociétés, sont
comptabilisées avec les ménages. La VAB des SNF compte pour plus de la
moitié du PIB.
s 2006 est la dernière année publiée par l'INSEE dans ses Comptes de la
nation; on connaîtra les résultats de 2007 à la fin du printemps 2008.
201
L'analyse des ratios bruts des SNF par la comptabilité nationale,
avec un seul taux de "profitabilité"
Exemples de 1998 et 2006 % de la VAB

Années 1998 2006 Var. points


p 235% 252% 16%
- CI -135% -152% -16%
=VAB 100% 100% 0%
- RS et divers -67,6% -69,3% -1,7%
= EBE, "taux de marge" 32,4% 30,7% -1,7%
+ Intérêts reçus 5% 5% 1%
+ dividendes et divers revenus reçus 8% 14% 6%
- Intérêts versés -8% -8% 0%
- dividendes et divers revenus versés -14% -23% -10%
= Solde brut des revenus primaires 22,5% 17,8% -4,7%
- Impôts et divers -6% -7% -2%
= Epargne brute 16,8% 10,3% -6,5%
- FBCF et divers -17% -18% -2%
= C(B)F 0,3% -8,2% -8,4%

-CCF -17,1% -15,2% 1,9%

L'analyse des ratios bruts des SNF par la gestion financière,


avec deux taux de "profitabilité"
Exemples de 1998 et 2006 % de la VAB

Années 1998 2006 Var. points


p 235% 252% 16%
- CI -135% -152% -16%
=VAB 100% 100% 0%
- RS et divers -67,6% -69,3% -1,7%
=EBE,
"profitabilité économique brute" 32,4% 30,7% -1,7%
+ Intérêts reçus 5% 5% 1%
- Intérêts versés -8% -8% 0%
- Impôts et divers -6% -7% -2%
= Capacité d'autofinancement, CAF,
"profitabilité financière brute" 23,2% 20,1% -3,0%
- dividendes et divers revenus versés nets -6% -10% -3%
= Autofinancement = EB 16,8% 10,3% -6,5%
- FBCF et divers -17% -18% -2%
= C(B)F 0,3% -8,2% -8,4%

-CCF -17,1% -15,2% 1,9%

202
L'analyse des ratios nets des SNF (seulement à partir des profits)
avec deux taux de "profitabilité"
par la gestion financière, exemples de 1998 et 2006 % de la VAB

Années 1 998 2 006 Var. points


p 235% 252% 16%
- CI -135% -152% -16%
=VAB 100% 100% 0%
- RS et divers -67,6% -69,3% -1,7%
- CCF -I7,1% -15,2% 1.9%
=ENE,
''profitabilité économique nette" 15,3% 15,4% 0,2%
+ Intérêts reçus 5% 5% 1%
- Intérêtsversés -8% -8% 0%
- Impôts et divers -6% -7% -2%
= Résultat net, RN (approche),
"profitabilité financière nette" 6,1% 4,9% -1,1%
- dividendes et divers revenus versés nets -6% -10% -3%
= Résultat net conservé (approche) -0,3% -4,9% -4,6%

L'investissement du résultat net conservé n'a pas de signification en gestion


financière: ce Il'estpas UII flux potelltiel de mOllllaie

* Les principaux taux de croissance et les cycles économiques,


longs et courts
La croissance de l'activité est mesurée traditionnellement
par celle de la VAB. Les taux moyens annuels de croissance en
volume de la VAB des SNF caractérisent deux phases typiques
du dernier cycle long Kondratieff. La fin des Trente glorieuses
est celle d'une croissance annuelle très forte, de 7 % (fin de la
phase A du dernier cycle Kondratieff). Les années qui ont suivi
le premier choc pétrolier de 1973-1974 puis le deuxième de
1979-1980, les trente années de plomb, présentent des taux en
chute libre, autour de 2,5 % pendant la crise pétrolière, 2,7 %
pendant le contre-choc pétrolier de 1986 à 1998 et seulement
2 % depuis 1999 (phase B). Mais des cycles courts Juglar
apparaissent nettement au sein de ces deux phases, d'une durée
proche de la décennie.

203
Taux annuels de variation en volume de la VAB des SNF

12%

10%

8% Reprise
1983-1989
6%

4%
,
: 2%
I 0%
-2% "Crise "aise"
2001-??
pétrolière" 91-96
1
-4%
ON~~~ON~~~ON~~~ON~~~ON~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
I
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~NNNN I

Ces évolutions s'analysent en tenant compte à la fois de


celle de la production P et des CI.
Les cycles de P correspondent en gros à ceux de la VAB,
mais avec quelques différences 1.Le cycle du taux de croissance
annuel en volume des CI est également très marqué, et avec des
fluctuations plus amples2. Les prix du brut, influençant ceux des
CI, sont, on l'aura compris, les causes principales de ces
évolutions.
L'évolution des CI va donc venir perturber, surtout après
1998, les bases traditionnelles de l'analyse du partage de la
VAB entre travail et capital, avec le « taux de marge» habituel
des comptables nationaux EBE / VAB.
La VAB se partage donc ensuite entre la rémunération du
travail RS et les profits bruts d'exploitation; l'EBE.
Les cycles du taux de croissance annuel en volume de la
rémunération des salariés RS3 (déflaté ici par l'indice des prix
du PIB) confirment le cycle Kondratieff et les Juglar. Mais à
partir de 1999, le taux de croissance moyen annuel de la RS est
supérieur à celui de la VAB : 2,5 % contre 2 %. Ce qui pourrait
laisser penser et dire que les salariés sont «responsables et
I
P augmente un peu plus que la VAB après 1999 : ce sont les cycles des CI
qui sont à l' œuvre pour expliquer ceux de la VAB, singulièrement depuis
1998. Bref, les conséquences du troisième choc pétrolier.
2 Outre les cycles indiqués plus haut, on constate des différentiels de variation
avec celles de la VAB et de P. Le taux moyen de croissance des CI est plus
faible à la fin des Trente glorieuses que celui de la VAB ; il lui est équivalent
pendant la crise des deux chocs pétroliers; il lui est inférieur pendant la
période qui a suivi en 1986 le contre-choc pétrolier; enfin, il lui est très
supérieur à partir de 1999.
3 Et impôts sur la production nets des subventions d'exploitation.

204
coupables» de la dégradation des profits pendant la crise du
tournant du XXIe siècle. C'est en fait un peu plus subti1...

Taux de variation en volume de la RS (et divers) des SNF

112%
T
ilO% +
I
8% +
,
6%
t
4%
t
t-++-,
-::
-4% ~
ON~~~ON~~~ON~~~ON~~~ON~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
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Taux de variation en volume de l'EBE des SNF

112% T
I
-
10% -;
8% -
1
\
I
6% I
\
I \
,i 4% I

2%

0%
l

1-2%
1-4%
I ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~g8~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
I

NNNN

Les fluctuations du taux de croissance annuel en volume de


l'EBE sont très amples, le profit économique formant un solde
qui encaisse à court terme tant les embellies que les périodes
difficiles. Il encaisse par exemple de plein fouet la crise
actuelle: le taux annuel moyen de croissance en volume de
l'EBE n'est que de 1,5 % (pire que pendant la crise de 1975 à
1985, avec 1,8 %) contre 4,4 % pendant la période du contre-
205
choc pétrolier. Plus rien à voir en tout cas depuis les trente
années de plomb avec le taux de 7,2 % de la fin des trente
glorieuses.

712 - Le partage de la valeur ajoutée et les taux de


profitabilité : analyse à long terme

* Le « taux de marge» traditionnel et la description du passage


de l'EBE à la CAF
La description statistique ne pose guère de problème, les
continuels « changements de base» de l'INSEE mises à part.
Le « taux de marge» EBE / VAB semble à long terme
fluctuer autour d'une constante: le partage est d'environ un
tiers pour l'EBE et deux tiers pour la RS et impôts nets sur la
production. Cette constante, dite « constante de Bowley», avait
déjà été remarquée vers 1900 pour l'Angleterre du XIXe siècle
par le Britannique Bowley. Elle est confirmée en France pour le
XXe siècle par les travaux de Thomas Pikettyl (1994, 1997 et
2001).
Sur le graphique suivant, à peine perçoit-on le creux de
1975-1985 et l'amélioration de la période post 1986 comparée à
celle de la fin des trente glorieuses. Cependant, ce qui est vrai
en tendance de très long terme ne l'est plus dans la
conjoncture; et quelques points de VAB représentent des
montants considérables au niveau économique et social.

Evolution à long terme du partage de la VAB des SNF

1~~~.JJ
mmll!PUIII~
~ ::~% J Immiiim!!!!!m
~ 60% Impôts sur la production
1
~ net, de ,nbvention,

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20% ij
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Rémunération des salariés
10%
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ON~~OOON~~OOON~~OOON~~OOON~~ "
~~~~~~~~~~oooooooooo~~~~~oooo
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
NNNN

I En particulier par son travail publié en 2001 : Les Hauts revenus en France
au 20e siècle: inégalités et redistribution, 1901-1998.
206
Nous avons tenté l'analyse au niveau global français (EBE
de l'économie / PIE) depuis 19491. On retrouve la constante de
Bowley, avec des taux supérieurs à ceux des SNF compte tenu
de l'EBE des entreprises individuelles (en fait « revenu mixte »)
qui inclut la rémunération du travail de l'entrepreneur.
Compte tenu de l'échelle des ordonnées, la « constante» de
Bowley apparaÎt... très fluctuante avec deux creux profonds:
au début des Trente glorieuses; entre 1975 et 1985.
Approche de l'évolution du "t,lUXde marge" de l'économie nationale:
(EBE + revenu mixte) II'IB, 1949 à 20M,

BoolII de la Tendance ù lu
37% fill 136"/01136% 1 136%1 baisse depuis
des Trellte 1989...
36% glorieuses

35%

34%

33%
... àpeiue
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1998

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00
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~ ~ 0 M ~
8

On reviendra plus loin de façon plus approfondie sur


l'analyse des différents taux de profitabilité dont le « taux de
marge» traditionnel n'est que l'un des avatars.

* L'affectation des profits bruts de tous les capitaux: de l'EBE à


la CAF
L'EBE des SNF est donc affecté d'abord aux prêteurs
(intérêts nets), aux propriétaires des CP (dividendes et autres
revenus de la propriété), à l'Etat en impôts sur les bénéfices et
en divers mouvements.
L'une des caractéristiques les plus criantes de l'évolution de
cette affectation est le double mouvement suivant. D'une part,
les dividendes reçus et versés entre SNF maisons mères et
filiales (par construction égaux au niveau macroéconomique)
qui étaient presque inexistants avant le début des années 70,

I Voir Castex (2006).

207
augmentent ensuite puis explosent après la crise de 1993.
D'autre part, les intérêts nets versés aux banques et ménages
(hors les intérêts entre mères et filiales donc) sont en hausse
jusqu'au milieu des années 90 puis se tassent. Encore par un
double effet: en premier lieu, jusqu'au milieu des années 90,
par la hausse du taux d'endettement et des taux d'intérêt (qui
soit suivent l'inflation, jusqu'en 1986, soit, avec la désinflation,
sont dopés par les politiques monétaires de rigueur à la fin des
années 80 et au début des années 90) ; en second lieu, par la
baisse du taux d'endettement et des taux d'intérêt ensuite.

Les transferts de profits à partir de "EBE, avec les mouvements de dividendes


entre sociétés mères et filiales, 'x. de la V AB

25%

20% l
15%

10%

5%

0%

-5% IDdivers
m impôts sur les bénéfices
-10% - 1:1intéréts nets versés
1:1dividendes et divers revenus versés aux sociétés mères

-15%
J ID - dividendes et divers revenus reçus des filiales

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~8~~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
NNNN

Les transferts de profits à partir de ('EBE et la CAF, 0;',de la VAB

35%

30%

25%

20%

15%

10%

5%

0%
ON~~OOON~~OOON~~OOON~~OOON~~
~~~~~~~~~~OOOOOOOOOO~~~~~OOOO
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~OOOO
NNNN

208
Le partage de l'EBE pour obtenir la CAF apparaît ci-dessus,
après annulation des dividendes versés entre mères et filles. La
fluctuation de la part de l'EBE dans la VAB apparaît déjà plus
clairement avec ce premier zoom, ainsi que la plus forte
fluctuation de la CAF ramenée également à la VAB.
Il faut cependant aller plus loin que l'analyse du seul « taux
de marge» EBE / VAB pour comprendre l'évolution des
diverses profitabilités.

713 - La discrète rupture des taux de profitabilité bruts


et nets depuis dix ans: les salariés sont-ils « responsables et
coupables» de la baisse des profitabilités depuis 1999 ?

* La fluctuation des taux de profitabilités brutes, la relative


stabilité de 1989 à 1998 puis la baisse depuis dix ans
Commençons, en développant un peu la tradition de la
comptabilité nationale, par les taux de profitabilité bruts.

Evolution à long terme des taux de profitabilité bruts: EBE I VAR et CAF I V AB

35% 33.0%

-
p2.4%1
293% 129.8% l r "-- ~
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-# ~-- -.#..- ...~--. -. - ... .. .
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15% f
'. ~...~!",,~, - 'Les moyennes des ''Trente années de plom~
10% ... '#
sont supérieures de trois points
CAF/VAB 110.6%
1 à celles de la fin des ''Trente glorieuses",
5% mais la baisse l'st sensible depuis 1998

0%
o N '<t 'D 00 0 N '<t 'D 00 0 N '<t 'D 00 0 N '<t 'D 00 0 N '<t 'D
00 00 00 00 00 cr-. cr-. cr-. cr-. cr-. 0 0 0 0
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cr-.~~~cr-.cr-.cr-.cr-.~cr-.cr-.cr-.~cr-.cr-.cr-.~cr-.cr-.cr-.oooo
NNNN

Les deux profitabilités brutesl, l'économique (EBE / VAB)


et la financière (CAF / VAB), plus ou moins parallèles,
s'écroulent et rebondissent selon la conjoncture: écroulement
après les deux chocs pétroliers, rebond par le passage de la
politique de relance keynésienne à celle de la rigueur ou de

1 Seul le premier, le « taux de marge}) fait, rappelons-le, partie des traditions


macrocomptables... On remarquera que le boom à partir de 1962-1963, perçu
par le ratio (EBE global + revenu mixte) / PIB apparaît peu pour les SNF.
Biais statistique ou réalité?
209
l'austérité vers 1982-1984 puis le contre-choc de 1986. Le
niveau des trente années de plomb est légèrement supérieur à
celui des Trente glorieuses. Depuis 1999, la remarquable
embellie des années 90, par rapport à l'abîme de 1982, s'est
muée en baisse, certes discrète mais bien réelle. Malgré les
discours sur les profits fabuleux (et biens réels) des sociétés du
CAC 40 : le bosquet des leaders cache mal la forêt des sans-
grade.

* Les salariés sont-ils «responsables et coupables» de cette


baisse?
À l'origine de l'accélération des volontés de « réformes»
(contre-réformes libérales), circule l'idée, on l'a déjà évoquée,
selon laquelle les salariés seraient responsables et coupables
depuis une décennie de la baisse des profitabilités, comme lors
de la crise de 1975-1985.
Ce n'est pas le cas, malgré l' « évidence statistique ». Certes,
le « ratio» RS / VAB est en hausse depuis 1998 et EBE / VAB
en baisse; mais il faut se méfier des ratios 1.C'est le troisième
choc pétrolier à partir de 1999 qui est en fait à l'origine de cette
chute. La hausse des coûts pétroliers a fortement plombé la part
de la VAB dans la production en gonflant la part des CI : perte
de trois points depuis 1998. Une partie du revenu produit a ainsi
été transféré aux pays producteurs de pétrole, ce qui rend dans
ce cas peu significative l'information donnée par la hausse du
ratio RS / VAB. On perçoit bien les deux choçs successifs
(1999 puis après 2004) par l'évolution du ratio CI Energie / CI.
Le troisième L'lwc pétrolier (uprès le petit contre-chuc de 1998)
est lu C'lIIse principule de lu h'lIIs"" de CI/l'...
et de la buisse corrélutive de VAR / P J 998

65%
+ 3 points
60% CI ff"
~~~I
55% 5,5%

50% . 5,0%

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40% VABif" -- -- -- -- _ . 4,0%

-
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3 points ~:l.7%
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N
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8N 8
N ~ 8
N
8
N

I «...qui, comme les bikinis, donne des idées mais cachent l'essentiel il: l'un
de mes professeurs, avant mai 1968.
210
Les salariés ne sont « ni responsables ni coupables» de la
chute depuis 1998 des taux de profitabilité bruts. Le
responsable est le choc pétrolier et la dynamique de l'économie
mondiale. Si l'on calcule la part de la RS et des profits bruts en
les ramenant à la production P, on constate que la part des
salaires est en baisse. Mais les profitabilités économiques et
financières brutes, EBE et CAF ramenés à P sont également en
baisse. La somme des points perdus par les salaires et les
profitabilités correspond] au gain de points des CI dans P.

La baisse de la rémunération des salariés dans la production:


les salariés ne sont ni responsables ni coupable..
de la baisse de la part des profits depuis 1998

29%
l RS / P perd Il,9 points de 1998 à 211116.
dons /0 continnité des années précédentes

~ , , RS/P
-...
I

28%
~,~
'27,0%'
~., - .'
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'" ~'" '" N N N N N N N
i
La baisse dcs profitabilités économiques et financièrcs brutcs dcpuis 1998 :
EBE et CAF ramenés à P

14% 13 8%1I
EBEI pl.'

" /~
r%
13%
9,9%
~, 10%

12% .. ..
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.. .. ..
,
..
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........
..
..
"-
CAF/P
. I'
112.2%

9% -
r- .

... .. ..
EBE /P /Jerd 1.6 /Joints de 1998 à
~11% CAF / P perd 1.9 points sur la même . 8%
en rupture avec les tendances 8,0%
'"
précédentes
10% 7%

-
C() 0 N M
<-- 0>- <n '0
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0>- 0>- 0
N
0 0
N
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N
0
N
'" '" N N N

I
À la petite différence près de la part des impôts nets sur la production.
211
Pour ce qui est des profitabilités nettes, sur la courte période
depuis une dizaine d'années, on trouve une évolution
comparable à la précédente des ratios ENE / P et RN / P.

Lu buisse des profitubilités économiques et finuncières nettes depuis 1998 :


ENE ct RN ramcnés il P

9% 5%
ENE / P perd 1,8 poil/ls dc 1998 à
r7,9% I RN / P perd 2 poil/ls sur lu même
8%
~ ...el/ ruplure uvee les lel/dul/ces précédelttes
4%

-
ENE/I/ "'....
," .. RN IP
7%
~ [~~~~J
.. .. ..
_ ... .. ..161%1
3%

6%
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5% 1%
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'" '" '" '" o o o o o o o
'" '" '" '" N N N N N N N

Sur plus longue période depuis 1960, les deux profitabilités


ENE / VAB et RN / VAB, encore plus ou moins parallèles,
s'écroulent et rebondissent selon la conjoncture. Mais la chute
en fin de période est plus accentuée compte tenu de la hausse de
la consommation de capital fixe (CCF) dans la VAB et l'EBE
réduits par les CI pétrolières.

L'importance de la CCF dans la V AB et l'EBE

64%
, 62%
I::: I
14% .
_I" -../,/ /- 60%
58%
- 56%
Fortes croissances 54%
13% l- de 1998 il 2006 52%
CCF/VAB
- 50%
12% 48%
46%1
[
11% 44%
42%
CCF I EBE
110% 40%
1

ON""''>DOOON''''''>DOOON''''''>DOOON''''''>DOOON.",.'>D
'D'>D'>D'>D'>Dr--r--r--r--r--oooooooooo",,,,,,,,,,,,,oooo
",,,,,,,"'''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''0000
NNNN

Plus généralement, la hausse tend ancielie de la CCF


amoindrit l'écart positif entre les profitabilités nettes de la
période des trente années de plomb et celle des Trente
212
glorieuses. N'en déplaise aux économistes «critiques» qui
opposent ces deux périodes en mettant les phares sur la forte
baisse de la part des salaires dans la VAB, et le bond corrélatif
des profits (bruts. ..), l'écart n'est pas criant pour les
profitabilités nettes entre les deux périodes. On est par contre
obligé de reconnaître que les tentatives du libéralisme pour
doper les profits se heurtent à des inerties sociales fortes que la
volonté de « réforme» tente de combattre.

Evolution à long terme des taux de profitabilité nettes


mesurés par les profitabilités économique et financière nettes

20% 173%
18% '
16%
14%
12% 19,4%1
10%7,7% ~
8%
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~
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0%
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.6% sont supérieures de un point
.8% J 1-44%I
" à cellesde la findes "Trenteglorieuses".
.10% J maisiiIbaisseestsel/sibledepuis1998
ON~~OOON~~OOON~~OOON~~OOON~~
~~~~~~~~~~oooooooooo~~~~~oooo
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
NNNN

En outre, si une baisse tendancielle depuis 1989 apparaît


bien pour la profitabilité mesurée par ENE / VAB, elle est
moins évidente, pour le moins, pour RN / VAB : ce ratio était
en forte hausse depuis la crise de 1993 jusqu'au pic de 1998,
mais la chute fut plus sévère ensuite. Ce sont essentiellement la
baisse des taux d'intérêt et le désendettement] qui expliquent la
forte amélioration de RN / VAB avant 1998.
Le boom boursier de 1995-2000, et la reprise après 2004 (il
est vrai grâce aux politiques monétaires et budgétaires états-
uniennes), est en partie le résultat de jeux sur les distributions
de dividendes qui ont dopé la bourse et, depuis 1999, caché la
chute des profitabilités2: les profitabilités nettes n'ont pas
rebondit entre 2004 et 2006.
I On y reviendra avec la tentative de quantification de l'effet de levier de
l'endettement sur toute la période analysée.
2 ... et celle des rentabilités des capitaux.

213
714 - Le boom des dividendes et ses effets, pervers ou non

Tout allait bien pour les profits de 1994 à 1998, et tout allait
très bien pour les dividendes reçus par les actionnaires. Tout va
mal pour les profits depuis 1999, mais tout va encore très bien
pour les dividendes.

* L'effet ciseaux des salaires et des dividendes


Le relatif équilibre des années antérieures à 1989 entre
salaires et dividendes versés est rompu. A part lors de la crise
de 1993, les actionnaires (il est vrai plus nombreux, en nombre
comme en valeurs des actions possédées) se goinfrent: les
salaires en volume (hors inflation) ont été multipliés par 1,6
entre 1982 et 2006, les dividendes par 5,3... Le rapport
dividendes / salaires bruts, auparavant autour de 10 %, passe à
15 % à la fin des années 90 et à 20 % en 2006.
L'effet ciseaux des salaires et des dividendes nets versés.
indices de volume (Indices 100 en 1960)

I 100
De 1960 à 1988. les salaires bruIs augmenlent
1000 comme les dividendes: il sonl mullipliées par 3,
Indices
suil prés de 4 % eu muyeune annnelle :
900 mais ies saiaires slagnent Jlarlir de 1980 Dividendes nets
800 " versés

700 De ]988 à 2006.les salaires bruts ne ,ont


mulliJlliés que par 1,7 (2,9 % par an) alors
600 ClueiI's divideudes sont ,"ulllJlliés Jlar
(7,2 % par an) 3" 488
500
400
................ Indices
300
200 ...... . .. . salaires
bruts
100
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" " " " " " " "'"''''

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~R.R.R.R.

Le rapport dividendes nets versés / salaires bruts

20%
EXJllos;nn
à Jlarlir du milieu
15% des années 90

10%
9 %
5°a

0%
@~~~~~~~~~~~~~~~~~~~g88~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
NNNN

214
* Profits distribués et profits conservés
Le résultat net conservé ramené à la VAB tend ainsi à
fortement diminuer depuis une vingtaine d'années (sauf avant la
crise de 2001), et devient négatif à partir de 2004, retrouvant les
affres de la première crise pétrolière.

Lc résultat nct conscrvé, négatif lors de la Pl'cmièrc crise pétrolière, est en chute
depuis 1998 et redevient négatif par le bond des dividendes, en % de la VAB

~~~ RN IVAB
8% . '. . . . ..
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V AB
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,
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VAB
-12% J
~~~~~R~~~~~~~~~~~~~~888~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
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L'évolution du "pav out" ratio: dividende net I RN

200%
183% A partir de 2004,
167% payout
150% très> J00 'Yo
133%
117%
. -. -u ___u
--- --.
__uu__ _.u __ __- __ __- u ___ u __u
100% -- --- -- - -- -- ---- -- - -- -
Annècs dcRN < 0
83%
67%
50%
~
33%
17%
0% ,
~~"""""'"
~~~~~R~~~~~~~~~~~~~~888~ """"""'"

- - --
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~oooo
NNNN

Le taux de distribution (ou «payout» ratio), c'est-à-dire le


ratio dividendes versés / RN, était stable (autour de trois quarts
de RN) jusqu'à la fin des années 90. Il bondit depuis, les fonds
de tiroir (les « réserves» de RN distribuables) ayant été vidés.
215
On fauche le blé en herbe; or les dividendes non distribués sont
censés être plus rentables pour l'actionnaire, étant investis (ou
remboursant les dettes) que le flux de cash versé: «deux tu
l'auras vaut mieux qu'un bon tiens ».
Ou les actionnaires sont débiles en votant la récupération de
leur cash, ou ils comprennent que les rentabilités futures ne sont
pas réjouissantes: « un bon tient vaut mieux que peu de choses
tu auras »1. Pas tout à fait: l'évolution récente de la dynamique
de l'investissement ne fait pas apparaître une chute de
l'accumulation du capital depuis 1998, au contraire. Au niveau
macroéconomique, ce que les SNF donnent d'une main, ils la
reprennent de l'autre par des augmentations de capitaux
propres. Ils continuent donc en fait à investir: les fortes
distributions jouent néanmoins leur rôle de dopage de la valeur
des actions; ce qui permet de faciliter les augmentations de
capital.
Cependant, ces mouvements d'aller-retour entre les SNF et
leurs actionnaires s'expliquent également par le développement
du rôle des marchés financiers: certaines entreprises distribuent
et investissent peu, d'autres investissent en augmentant leurs
capitaux propres; autrement dit, les actionnaires opèrent
constamment une réallocation de leurs capitaux.

Ln bnisse tendaucielle des taux d'investissement


(nvec I = FRCF + vnriation des stocks) :
II VAB et II EB (ou II Autofinancement)

30% 260%
,
l , 1/ ER ou II
I Autofinancement
(inverse du "tanx 220%
25% d'autofinnncemcnt", EB
., /I)
180%
20%
140%

15% I/VAB
("tnux d'investissement") 100%

10% 60%
ONY~OOONY~OOON~~OOON~~OOON~~
~~~~~~~~~~oooooooooo~~~~~cooo
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~coco
NNNN

I
C'est la théorie du free cash flow (cash flow libre) déjà entrevue: les
actionnaires ne se distribuent le « cash flow» (bénéfice avant amortissements)
en dividendes que si les bénéfices éventuellement conservés n'augmentent pas
leur rentabilité future.
216
Réallocation probable des capitaux certes, mais le taux
d'investissement, part de la VAB investie en capital fixe (en
gros les « machines », mais aussi les terrains, les logiciels, etc.)
et en stocks \ est cependant en baisse tendancielle depuis trente
ans. Il est passé d'environ 25 % à la fin des Trente glorieuses à
environ 18 % depuis les trente dernières années, avec un creux
à 10 % lors de la crise de 1993. Le petit rebond après 1998 doit
en outre être relativisé car la VAB se tasse sur cette période.
Pourtant, les sociétés de services remplaçant les industries
devraient être moins gourmandes en « machines»; ce n'est
cependant pas le cas, on y reviendra.
Ces investissements représentaient environ deux fois
l'autofinancement à la fin des mêmes Trente glorieuses, mais
seulement autour de 1,3 fois ensuite pour remonter à 1,4 fois en
2005 et 1,8 fois en 2006. Le biais possible de ce ratio est
évident: c'est l'autofinancement en chute qui le dope!

I Dans le jargon donc: Formation brute de capital (FBC)


= Formation brute
de capital fixe (FBCF) plus ou moins variation des stocks.
217
72 - La double inversion de la liaison entre les
taux d'intérêt longs nominaux r et les valeurs
de marché des actions V

Rappelons que si la valeur de marché des actions augmente,


pour une rentabilité financière désirée rID donnée, par
anticipation de hausse des profits, la valeur de marché des
obligations va baisser par arbitrage. Ce qui entraîne une
augmentation de leur rendement. Ces rendements ne sont rien
d'autre que les taux longs r du marché: V -7 r. Bien entendu,
les spéculateurs doivent tirer plus vite que leur ombre pour
bénéficier de cette opportunité; car évidemment, à la fin du
processus, les retardataires vendent leurs obligations à bas prix
et achètent les actions à haut prix! Cependant, rappelons-le
encore, on doit sortir des hypothèses théoriques où seuls
existent les marchés financiers secondaires actions et
obligations, sans intervention du crédit bancaire.
Mais la relation traditionnelle inverse r -7 V est également
possible. Lequel de ces deux processus théoriques
contradictoires possibles, r -7 V ou V -7 r, est-il dominant dans
la période des trente dernières années?

721 - À long terme r ~ V: vérification empirique pour


la France
En France, de 1971 à 1998, la corrélation négative entre V
(mesurée par le CAC 40 et sa reconstitution avant 19872) et les
taux d'intérêe longs r se vérifie sans beaucoup de doute.
Mais des anomalies apparaissent souvent, singulièrement
lors des bulles boursières et de leur éclatement, par exemple
avant et après 1987 et après 1999. On aura compris que pour
ces anomalies, V -7 r, car la corrélation est positive entre V et r,
ce qui est impossible dans le sens r -7 V. Une anomalie aussi
intéressante est celle de la période 1992-1995 où la forte chute
de r (passant de 10 % à 7,5 %) correspond à une légère
diminution de V. Cette anomalie n'a rien à voir avec un
I « Buy low, sell high and go golf» n'est-elle pas la devise des bons
spéculateurs.. .
2 Le CAC 40 a été mis en œuvre après le krach de 1987. Mis en place par la
Compagnie des agents de change, d'où le « CAC », il signifie maintenant,
après la disparition des agents de change, Cotation assistée en continu... Pour
l'analyse de long terme, nous avons évidemment « inflaté » le CAC 40.
3 Il s'agit des taux nominaux, avant leur érosion par l'inflation qui donne les
taux réels (voir plus loin): en effet, les spéculateurs jouent avec les taux
nominaux de rentabilité des actions.
218
processus spontané de marché: elle tient au revirement de la
politique monétaire européenne (plus exactement à celui de la
politique de la Buba, la Deutsche Bundes Bank, suivie par la
France et l'Europe) : la fin de la folie des taux directeurs élevés.

A long terme r -> JI, dans le sens d'une fonction décroissante (France) I
--~ --- ----
18000 --:t6%j
Mills les lillisolls positives
17000 lie solll pliS si rllres .. 14%1
.,
16000
I
., , 12%1
,
15000 , 10%

14000
.., , ' 8%
,
3000 6%
V: CAC 40 inflaté , ..
, - ..,
2000 - 4%
1

-
11000 +- - - .. _ - .. _ _ - - r : Taux d'intérêt 2%
longs nominaux
0
-- - - - - -- - - - - -- - - - 0%

--
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~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~
I
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'"

722 - Par contre, depuis 1999 le phénomène s'inverse


parfaitement... en France comme aux Etats-Unis

* Une tendance nette en France depuis 1999...

I En France, depuis 1999, V --> r, dans le sens d'une fonction croissante

1"7000
flo Lia/mIlS lIégal/ve.r
I V: CAC 40
. "I milieu
seulement
10114 à Jin lOli5
de
1

16% ' 6000i


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I r: Taux d'intérêt
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13% ,
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2% -+ -+- +- I 20001
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ê L ê ~ J
219
Une rupture fondamentale apparaît en effet en 1998-1999,
avec la fin de la bulle boursière, son éclatement, la nouvelle
bulle et son nouvel éclatement.
On trouve encore des anomalies, mais dans l'autre sens,
surtout de 2003 à fin 2005 où le CAC 40 est en hausse quand r
reste relativement stable ou en baisse.

* .. .confirmée au milieu 2007 et au début de 2008, par


l'éclatement de la nouvelle buUe
En France, depuis juillet 2007, les variations de Vinduisent celles de r

5,4% . 6000
5,2% /",* ~ 5800
,,. '.. "-\
5,0% ' ..
'"""
\,' ,":",,'JI' '."\.,..\,l' ~--
oJ \ 5600
4.8% 'II '," '\, 5400
4,6% \ V: CAC 40 5200
4,4% 5000
4,2% 4800
4,0% 4600
3,8% 4400
r- r- 0r-
oo 00 00 00 00
0, 0r- 0r- 0r-, 0 0 0 o, o
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"
.... '" .J- v..
'" '" '"
'"

En effet, la liaison positive entre V et r depuis la crise


boursière de l'été 2007 et le début de 2008 est on ne peut plus
claire. Par la même mécanique, depuis fin mars le rebond
boursier se traduit par un rebond de r, avec un parallélisme
presque parfait. Il est vrai que r diminue moins que V jusqu'en
janvier 2008 : les tensions sur les taux courts interbancaires dus
à la crise bancaire dont la gravité avérée est l'une des causes du
krach boursier, avec des perspectives encore plus probables
d'aggravation de la crise réelle, y sont sans doute pour quelque
chose. Tensions fortes que la politique monétaire de la Fed ne
parvient pas à endiguer, malgré ses deux baisses phénoménales
de début 2008 (deux fois 1,75 %) ; mais toujours avec le silence
assourdissant de la BCE.
Ces tensions perturbent les phénomènes spontanés de la
double spéculation sur les marchés actions et obligations. Mais
qui oserait encore affirmer que c'est la dynamique propre,
pendant cette période, du marché obligataire qui déterminerait

no
les taux longs ou que ces derniers ne sont que le reflet des taux
courts!

* Cette rupture est confirmée par le cas américain


Il en est de même aux Etats-Unis, mais avec une volatilité
moins grande de l'indice Dow Jones (traduit ici en CAC 40
pour faciliter la comparaison). On remarquera d'ailleurs la
relative stagnation de Wall street en 2004 et 2005 alors que le
CAC 40 rebondissait nettement.
Les taux longs sont en outre relativement stables depuis le
milieu 2006, avec une petite baisse et un rebond, malgré le
relèvement des taux courts, tandis que le Dow Jones grimpait
fortement Uusqu'au milieu 2007...). Les achats d'obligations
d'Etat par les excédents de dollars à l'étranger ont fait grimper
leurs cours et détendu les taux.

Aux Etats-Unis égalcmcnt depuis près de 10 ans, V --> r,


avcc une volatilité boursière moins forte ( u'cn Euro e

7% 7000
r : tanx d'intérêt Dow Joncs
nominaux longs (traduit en indice CAC
6% 40\ 6000

S% 5000

4% 4000

3% 3000

2% 2000
0 N M V') \C t- 00
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0 0 o o 0
'"
'" I: ~~C: C: C: C:
~~'"
....., ....., ...., .....,
~'" ....., ....., ....., ...., ...., .....,
'" '" '" '" '" '" '" '"

* Première tentative d'explication du retournement


La bulle puis son éclatement avec la crise semblent doper le
processus de la double spéculation, comme lors de la crise
boursière de 1987 (anomalie à r -7 V). Les taux longs sont bien
devenus une conséquence des taux de profits anticipésl. La
liaison V -7 r ne met en fait en relation que les taux de profits
anticipés, par l'intermédiaire de V. Est-ce également le cas pour
les taux de profit effectifs, déjà réalisés?

I On constatera d'ailleurs que J'anomalie rencontrée entre 2003 et fin 2005


pour la liaison V -7 r correspond exactement au passage de J'éclatement de la
première bulle à la naissance de la seconde.
221
Contrairement à la période longue 1978-1998, la politique
monétaire semble ne pas contrecarrer le processus de la double
spéculation; elle pourrait même apparaître procyclique. Ce qui
suppose que l'on se penche également sur cette question.

222
Chapitre VIII
Liaisons ou contradictions entre
taux de profit, taux d'intérêts longs
et taux d'intérêt courts?

Les taux d'intérêt longs semblent une conséquence des taux


de profit économiques; et les deux sont en baisse tendancielle
depuis plus de vingt ans, et singulièrement depuis 1998.
Cependant, les taux directeurs sont intervenus pour tenter
d'enrayer le boom puis la crise depuis la même date. Ils n'ont
fondamentalement fait que suivre le mouvement spontané de la
double spéculation. Pourtant il ne s'agit pas ici de se faire
l'apologue des néolibéraux qui prétendent que les politiques
d'intervention ne sont que procycliques. On constate en effet de
temps en temps des « grands écart»: d'une part, entre les
valeurs boursières et les taux courts (l' « énigme» qu'Alan
Greenspan décela en 2005) ; d'autre part, entre les taux courts
et les taux longs «( inversion de la courbe des taux»
annonciatrice de crise). Les politiques monétaires restent en
partie efficaces: elle peuvent à la rigueur tenter de soigner la
crise, elles ne peuvent la prévenir.
Et l'on retrouve le point de vue de Keynes: pour lutter
contre une crise grave, il faut mettre en œuvre une politique
budgétaire ambitieuse. Les américains le font (encore leur
pragmatisme), les européens s'y refusent (encore leur
monétarisme ).

223
81 En France, les taux d'intérêt longs
semblent une conséquence des taux de profit
économiques, les deux en baisse tendancielle
depuis plus de vingt ans, et singulièrement
depuis 1998

La théorie de Smith se vérifie-t-elle ? Cela dépend encore de


la période analysée. Les statistiques récentes concernant la
France et les SNF permettent d'éclairer partiellement et de
préciser les données de ce débat. Il faut d'abord analyser
l'évolution de la structure de financement (importance relative
des capitaux propres et des dettes financières nettes) des
sociétés analysées.

812 - La financiarisation des SNF

Cette dernière doit être mise en relation avec l'évolution des


taux d'intérêts nominaux et réels.

* Taux d'intérêt nominal et taux d'intérêt réel, le cas des taux


longs
Le taux d'intérêt réel rr peut être approché, on l'a indiqué \
par la «relation de Fisher» qui, pour un taux d'inflation p,
donne, avec r le taux nominal: rr = r - p. Avant 1980, les taux
longs réels étaient nuls et même négatifs, à cause de l'inflation.
Ils ne redeviennent positifs qu'après cette date par la hausse
brusque des taux longs2 alors qu'apparaît la désinflation. Ils
culminent à un palier autour de 6 % entre 1987 et 1995, puis
s'érodent très régulièrement pour atteindre 1,5 % en 2006 (r à
4 % et p à 2,5 %).

1 Voir plus haut. Le calcul exact renvoie à un calcul d'indice tel que 1 + r,
=
(l + r) / (l + p), mais la relation de Fisher, évidemment plus simple, est une
bonne approche pour des petits taux.
2 Résultat, rappelons-le, de la politique monétaire états-unienne d'ultra rigueur
(lutte monétariste « intégriste» contre l'inflation) de la fin des années 70 et du
début des années 80 qui a fait exploser les taux, courts et longs. Cette
politique fut à l'origine de l'une des plus graves crises économiques et
financières américaines, exportée dans le monde entier: elle fit certes baisser
l'inflation, mais en brisant la demande et en dopant le chômage. Elle fut
rapidement abandonnée pour une politique moins intégriste. Mais il faudra
attendre la crise financière de 1987, premier fait d'armes réussi d'Alan
Greenspan, pour que la politique monétaire états-unienne redevienne
pragmatique.
224
r long nominal, inflation et r long réel

16%
r nominal
14%
12%
10%
8%
t
6%
4%
2%
0%
-2%
-4%
\0 \0 00 0 N \0 \0

--------------
N 00 0 N '<t 00 0 N
'<t 00 00 '<t
00 00 00 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0 0 0'<t 0
t"-
0\ t"-
0\ t"-
0\ t"-
0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0 0 0 0
N N N N

* La financiarisation des SNF, sans aucun doute


Les sociétés non financières... se financiarisent, et à deux
niveaux.
D'abord, la part des capitaux économiques K (capital fixe,
stocks et divers, réévalués, c'est-à-dire en valeurs de marché)
dans le total de l'actif des bilans, est en baisse depuis trente ans
alors que celle des actions (et autres droits de propriété), tant à
l'actif (participations dans des filiales et trésorerie placée en
actions) qu'au passif (fonds propres sous forme d'actions) est
en hausse, sauf depuis 2000, par l'éclatement de la bulle. On
notera cependant un creux pour les seconds et un palier pour les
premiers entre 1991 et 1995 : effet de la crise de 1993.

La financiarisation des sociétés non financières (% du total des bilans) I


180%l,
I
I
I
!70% ~ I
l
160% ' ~ .i
I

50% ~
40%
1
l_
Actions au passif

/,
/
'\ /
/ \
,,
'- -_ *\ /
~ ~'
/'

30%
--~
_ _ _ ~

120%i "'
_ /' ~
,"
~

110% ~. -
_ _ _ _
~ - Actions à l'actif
I:
' 0% l,
"","
. , , II
"
OOO\O-N~'<t~\Ot"-OOO\O-N~'<t~\Ot"-OOO\O-N~'<t~\O '"
t"-t"-ooooooooooooooooooOOO\O\O\O\O\O\O\O\O\O\ooooooo
1
0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0\0000000
I NNNNNNN

225
La baisse relative des dettes financières nettes D et la hausse relative des capitaux
prores CP après la rupture du début des années 90

._~--
----- - l
140%~- CP / (CP + Dj 85%1

i _
- --
80%'
35% I /"
../ 75%
T/ ......
I 30% 70%

125% + 65%'

i 20% D / (CP + Dj 60% '

t 55%
1

115% -i 1 1 1 1 1 ++ 1 1 Il! 1-+--+---1-+-[-1 I--+--+--+-+--t-


50%1
II ~~~~~~~~~~
_
OOON~'-O
'"
'"
-NNNN
0
0
0
0
0
0
0
0
- .--.-

Ensuite, un cycle apparaît, moins visible dans l'analyse


précédente sauf par les actions du passif. La part des capitaux
propres CP nets du passif (actions passifs plus réserves moins
actions actifs) dans le total CP + D, après une baisse relative
jusqu'au milieu des années 90, est en fOlie hausse alors que
celle des dettes financières nettes des créances D se contracte,
après une hausse; d'où un ratio d'endettement, le fameux levier
(gearing en anglais) L = D ! CP qui grimpe puis chute.

Evolution du Icvicr dc l'endettcmcnt L : la rupturc du début des années 90

50%
144,8%1
45%
40% L = D / cr
35%
30%
Paradoxa/e/llellt, le lel'ier (Jimillue
25% qualld les taux d'intérêt diminllellt
20%
00 o00 N ~ DO o N ~ DO o N
r-- DO DO DO
'" 00 '" o o o o
'" '" '" '" '" o o o o
'" '" '" '" '" '" '" '" '" '" '" N N N N

* Le retournement, apparemment paradoxal, du levier au début


des années 90. . .
La principale rupture s'effectue donc en 1993-1994,
paradoxalement au moment même où les taux d'intérêt
nominaux et réels fondent et où les profits, en baisse depuis le
pic de 1989 car touchés par la glissade jusqu'à la crise de 1993,
226
vont rebondir: la course aux fonds propres est lancée, dopée
par la bulle financière qui s'annonce.

* ... mais le paradoxe n'est qu'apparent


Rappelons-le, les valeurs boursières V stagnent en France de
1990 à 1995 tandis que les taux longs diminuent fOliement. Ce
qui est en complète contradiction à la fois avec r ~ V et V ~ r.
C'est tout simplement la politique monétaire de l'époque qui
« perturbe» notre « double spéculation» seulement
envisageable dans un monde ... sans politique monétaire! Cet
épisode a déjà été évoqué, mais il faut y revenir. Il s'agit du
passage de la politique monétaire de rigueurl depuis la fin des
années 80 à une politique plus souple qui n'a pourtant pas évité
la crise de 1993 déclenchée par la première.
Mais pourquoi un paradoxe seulement apparent? Pour les
SNF demandeuses de capitaux, il aurait été judicieux, avec la
forte baisse de r, de recourir de plus en plus à l'endettement,
pour doper les rentabilités financières des actionnaires par
l'effet de levier. Mais pour les investisseurs en bourse, les
obligations devenaient chères avec des taux de rendement (taux
d'intérêt longs) en baisse: ils se tourneront donc vers les
actions, quitte à laisser de côté un effet de levier juteux. De
plus, le retournement des taux d'intérêt courts pouvait n'être
jugé que provisoire; le risque d'effet de massue était toujours
suspendu au-dessus des entreprises qui en avaient grandement
pâti. Et le boom boursier s'est déclenché, en parfait accord avec
le bond des profits. Jusqu'en 1998. Le risque de bulle a été pris,
en voulant éviter le risque de l'endettement: encore une liaison
créatrice entre taux de profit et taux d'intérêt.

813 - Les rentabilités économiques et financières nettes


des capitaux: baisse tendancielle ou conjoncturelle du taux
de profit économique net?

Cette première approche calcule les rentabilités en ramenant


les profits économiques nets2 (ENE) et financiers nets (RN) aux
valeurs réévaluées données directement par la comptabilité

I
La réunification de l'Allemagne et ses dangers d'inflation a entraîné une
politique monétaire de hauts taux d'intérêts, suivie par la France dans le cadre
de la préparation du passage à l'euro: c'est l' « époque de Maastricht».
2 Nous n'analyserons ici que les rentabilités économiques et financières nettes,
celle qui intéressent directement les apporteurs de capitaux, malgré le peu de
fiabilité des calculs des profits nets ENE et RN.
227
nationale. Ces valeurs sont proches des valeurs de marché! ; on
y reviendra plus loin.

* La rentabilité économique nette, en érosion tendancielle depuis


1989, mais surtout en baisse depuis 1998, par l'érosion de la
profitabilité et surtout par la chute de la productivité du capital
La rentabilité économique nette re = ENE I K apparaît en
baisse, avec des fluctuations, depuis le pic de 1989 (il est vrai
après l'abîme de la crise pétrolière des deux premiers chocs...).

La baisse de la "productivité apparente" du capital VAB / K cst surtout à l'originc


de la baisse du taux de rentabilité économique nette EIVE / K (en valeur de marché)
depuis 1998

20% Profitabilité économique nettc ENE / VAB 0,45


18%
i.t: 16%
.....
0,40
~ 14%
~.. 12% i.t:
0,35
~ 10%
~ 8%
~
;;.;
:;.J 6%
;Z 0,30
:;.J 4%
2% = Rcntabilité économique IIctte ENE / K
0% 0,25
00 0 N <t 00 0 N <t 00 0 N <t

-----
00 00 00 cc

--- -- -
'" 00 0\ 0\
'" 0\ 0 0 0 0'"
t--
0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0- 0-
0\ 0\ 0\ 0 0 0 0
0- 0- 0-
N N N N

C'est l'érosion de la productivité apparente du


capital économique VAB I K qui en est la cause profonde,
surtout après 1998 : elle passe de 0,37 en moyenne du milieu
des années 80 à 1998 à un peu plus de 0,25 en 2006. Cette chute
se cumule avec l'érosion de la profitabilité économiqué. En
2006, la rentabilité économique nette (autour de 4 %) est ainsi
près de quatre fois plus faible que la profitabilité
correspondante (autour de 16 %).

I
Les méthodes de réévaluation ont varié selon les changements de base de
l'INSEE. Ce qui affaiblit tous les résultats des analyses; mais on ne possède
pas de séries plus fiables.
La tautologie arithmétique ENE / K = ENE / VAB x VAB / K prétend
expliciter deux facteurs de la rentabilité: c'est la formule « Du Pont de
Nemours », promue depuis des lustres par le groupe chimique américain et
fort utilisée en gestion.
228
L'érosion de la productivité apparente du capital, surtout
depuis 1998, signifie la croissance de son inverse, le coefficient
de capital K / VAB. Autrement dit, l'accumulation du capital
est plus forte que la richesse qu'elle crée. Et ce mouvement, très
net depuis 1998, est une tendance en fait à l' œuvre depuis 1989.
On ne peut pas ne pas penser à la baisse tendancielle du taux de
profit de Marx, au moins depuis près de vingt ans, induite par la
croissance de la composition organique du capital.

* Les mêmes conclusions se déduisent de l'approche marxiste,


par l'érosion du « taux d'exploitation» largement compensée par
la hausse de la composition organique du capital
La composition organique est approchée ici par le rapport
entre le stock de capital économique K et le flux annuel de
rémunération des salariés RS 1.K / RS est en hausse tendancielle
et bondit depuis 1998: elle explique surtout la baisse
tendancielle de la rentabilité économique depuis 19892.

Les évolutions des approches du "taux d'exploitation" ENE / RS


et de la "composition organique du capital" K / RS
expliquent celle du taux de profit ENE / K (en valeur de ma."ché)

30% 6
"Taux
d'exploitation
~ "

~
~
20% 5
r:LJ
... 0:
'"
~ ~
~ 10% 4
Z
~

- Rentabilité économiquc ncttc ENE / K


0% 3
co 0 N <t \0 co 0 N .",. \0 co 0 N <t

-----------
r-- co co co co co 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0 000 '"
0',0\0\0\0'0\0' 0\ 0\ 0\ 0\ 0 000
N N N N

I Pour Marx, c'est le rapport, en valeurs travail, entre le stock de capital


constant (machines et matières premières), dit « capital constant C », et le
stock de salaires avancé en début de période, dit « capital variable V ». Notre
approche ramène un stock à un flux de RS : c'est la notion de rotation des
capitaux (évoquée précisément par Marx) mentionnée plus haut,
singulièrement le rapport entre le stock V avancé et le flux de salaires de la
période, qui rend le problème délicat.
On a encore une tautologie arithmétique: (ENE / RS) / (K / RS) = ENE / K.
Mais elle peut être considérée comme une analyse des deux facteurs
influençant la rentabilité.
229
Le taux d'exploitation des salariés ENE / RS (après une
remontée remarquable depuis les profondeurs de 1982) était en
légère baisse de 1989 à 1993 puis rebondissait; il est en
contraction nette et régulière depuis 1998. La théorie de la
suraccumulation du capital de Marx, où, rappelons-le, la baisse
du taux d'exploitation s'ajoute à la hausse de la composition
organique pour faire baisser le profit dans la conjoncture,
pourrait apparaître vérifiée pour la dernière crise. Ce n'est pas si
sûr, bien que la lecture du graphique semble l'imposer, pour
deux raisons.
La première est que l'évolution est donc parfaitement
inverse de 1993 à 1998, lors de la phase du petit boom réel qui a
suivi la crise de 1993 : hausse du taux d'exploitation, stagnation
à la baisse de la composition organique, et donc hausse
conjoncturelle du taux de profit. L'évolution de 1998 à 2006
semble donc plus la conséquence de la crise que sa cause.
D'autant plus que l' «armée de réserve» n'a pas disparu
pendant cette période, malgré quelques effets cosmétiques
récents (baisse officielle d'environ un point du taux de
chômage). On retrouve néanmoins, une hausse de la
composition organique (ou, ce qui est équivalent, une baisse de
la productivité du capital); les deux s'expliquent cependant
plus par une baisse du taux de croissance de la VAB due au
troisième choc pétrolier que par des investissements massifs. Le
processus n'est donc pas celui de la fin des années 60: la
hausse de la composition organique du capital où la baisse de sa
productivité était apparue dès 19691 comme une cause profonde
de la crise, près de cinq ans avant le déclencheur immédiat que
fut le premier choc pétrolier.
La seconde raison de la remise en cause de la théorie de la
suraccumulation comme cause de la crise est, on l'a vu plus
haut, que le ratio taux d'exploitation EBE / RS cache la « non
responsabilité et la non culpabilité» des salariés dans la baisse
des profits, due essentiellement au troisième choc pétrolier qui a
obéré à la fois la part de RS et de l'EBE dans la production.
D'autant plus que les très hauts revenus croissants des managers
inclus dans la RS induisent à la hausse des inégalités entre les
salaires petits et moyens d'un côté, élevés de l'autre. La théorie
de la suraccumulation reste encore ainsi une hypothèse
hasardeuse quant à la responsabilité de la croissance de la part
des salaires dans la VAB ou de la décroissance du taux
d'exploitation.
Il n'empêche que la hausse tendancielle de la composition
organique est remarquable depuis trente ans et est une
explication structurelle de la tendance à la baisse des taux de

I Voir, entre autres, Castex (2006).

230
profit. De toute façon, les capitalistes éprouvent les plus
grandes difficultés à la compenser en augmentant le taux
d'exploitation, sauf de 1982 à 1989, mais après un remarquable
étiage. On a probablement plus affaire, pour ce qui est de la
rentabilité économique (le « taux de profit» économique de
tous les capitaux engagés) à des cycles qu'à une « baisse
tendancielle » (hypothèse de Marx) sur le très long terme. On se
gardera de trancher la question pour la période qui nous
occupe; toutefois, la tendance à l'augmentation de la
composition organique du capital ne doit pas être balayée d'un
revers de main sur les trente dernières années. Elle fut
simplement contrecarrée par les fluctuations du taux
d'exploitation.
Bref, l'analyse de Marx n'est pas à écarter; elle se vérifierait
d'ailleurs 1 à très long terme (sur deux siècles), malgré toute la
prudence induite par l'incertitude des séries statistiques sur le
temps long.

* La rentabilité financière nette des valeurs de marché


Ramenant le résultat net (RN = CAF - CCF) aux seuls
capitaux propres des actionnaires, elle évolue de façon assez
différente de la rentabilité économique nette, car elle est
soumise à l'effet de levier de l'endettement où jouent à la fois le
niveau des taux d'intérêt et l'endettement relatif.

Les cvc\es de la rentabilité financière nette: rf = RN / CP*

7%
6%
5%
Belle reprise
4% ((près 1982
3%
Cycle wrIes 10 dernières almées... 3,2%
2% ...UI'ce ch Ifte
J% très sévère

0% , , , , , , , , , , , 1998
depuis , , , , ,
00 o N <:j- 00 o N <:j-
-J% ~ 'D
00 'D o o o 'D
o

-
00 0-, <:J, 0-,
<:J, <:J, 0-, 0-, 0-, 0-, <:J,
'" 0-,
'" o o o o
N N N N
-2%

Elle est nulle ou négative lors du creux de 1981-1983 et les


cycles sont plus marqués que ceux de la rentabilité économique
nette: en particulier la crise de 1993 apparaît plus profonde
(hausse des taux d'intérêt et endettement croissant), et la reprise

I
Voir encore Castex (2006 et 2007).
231
jusqu'en 1998 plus visible (pour les raisons inverses). C'est
l'effet de levier qui est en effet à l'œuvre.

814 - Les corrélations entre, d'une part, la rentabilité


économique nette re et la rentabilité financière nettes rf et,
d'autre part, les taux d'intérêt longs r, dépendent
étroitement de la période analysée, d'abord de 1988 à 2006
* Valeurs réévalués (proche des valeurs de marché) et
valeurs non réévaluées (proche des valeurs comptables en
« coûts historiques»
Il faut préciser avant tout comment sont valorisés les
capitaux (économiques, financés par CP + D, ou seulement
propres, CP). Les valeurs de marché représentent en général le
double (avec de fortes fluctuations) de celle des valeurs
comptables: on parIe des price ta book ratios mentionnés plus
haut, rapports entre les prix des actifs et leur valeur dans les
livres comptablesl. Ces price ta book tournent autour de 2: 1,7
pour K et 2,4 pour CP, mais avec de fortes fluctuations, surtout
par les cycles des valeurs de marché des actions (3,3 lors du pic
de 2000, 2 lors du creux de 2003).

Les "priee to book ratio" des capitaux économiques et financiers


(valeurs de marché / valeurs comptables)
~-~---
13,5 ,

,
130 CP marché / CP comptable
I

1
,i
2,5
I

I
---" ~ . . . ---. . --. . ----. --. .~
~

I:::
K marché / K comptable
I

!1,O! ,---, , -,--


~,~

00 0 N 00 0 N
00 0\ 0\ '1"
0\ 'D
0\ 0\ 0 0 0'1" 0'D
0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0 0 0 0
I
N N N N

I
Cet écart devrait s'amenuiser avec les nouvelles normes comptables
internationales appliquées en France (dites IFRS, « International Financial
and Reporting Standards il : Normes internationales financières et de rapport
de gestion) où les postes comptables ne sont plus évalués en « coûts
historiques il mais en «juste valeur il, proche des valeurs de marché.
232
* re et r: la forte corrélation et l'effet ciseaux avec retournement
au milieu des années 90
La corrélation est très élevée entre re et r depuis 1988,
cependant, l'inversion entre r et re ne s'effectue qu'en 1996-
1997, avec auparavant un effet de levier négatif.

Lc tnux d'intérêt longs r ct Ics rcntubilités économiqncs ncttcs re sont étroitcmcnt


corrélés. surtout dcpuis 1998 ; suns doutc dnns Ic scns re --> ,.

13% Coe!fidellls de mrrélo//IIII : près lie 70 %


12% ." rc comptablc
11% . --. . . , - -. - -.
. .' .
10%
- -.' .' -.
9% ' -. --
8%
7% . ...
... "'
6%
5%
4% rc dc marché
3%
00 - ~ - 0 N M V ~ ~ ~ 00 ~ 0 N M V ~ ~

------------
00 00 ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ 0 o 0 0 0 0 0
~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ 0 o 0 0 0 0 0
N NNNNN<,I

Les rentabilités économiques brutes et nettes re (en valeur de


marché et comptables) sont donc en baisse depuis plus de vingt
ans (mais avec un rebond après la crise de 1993) ; elles sont très
corrélées à r, singulièrement depuis 1998. On ne retrouve pas
les niveaux des taux de re désirés par les plus gourmands des
grands groupes du CAC avant 2000, les fameux « 15 %» en
rentabilité comptable, mais on s'en approchait en 1988 et 1998,
avec cependant des taux de marché d'environ la moitié compte
tenu du price to book ratio.
La re de marché ne dépasse r qu'à partir de 1996 ; ce qUI
n'est pas sans importance.
* rf et r : corrélation plus faible mais même retournement
Les corrélations sont plus douteuses avec les rentabilités
financières rf, sauf pour celle en valeur de marché, et surtout
depuis 1998. Les taux de rêve furent dépassés en 1989 et avant
le krach de 2000 pour les rentabilités financières comptables,
avant les périodes de vaches maigres. Encore une fois, si les rf
comptables apparaissent toujours juteuses, avec des creux à à
peine moins de 10 %, les rf de marché sont bien plus faibles (cf.
encore le price to book ratio), tournant sur longue période
autour du niveau des taux longs: inférieures avant 1996, à
peine supérieures après.
233
La constatation des fortes fluctuations de rf permet de
corriger l'approche d'Adam Smith et de comprendre pourquoi
les rf sont mal corrélés à r. On l'a indiqué plus haut au niveau
théorique: c'est en fait la rentabilité économique re qui est à la
base des taux longs r, pas les rentabilités financières qui sont
influencées par la structure de financement et l'effet de levier
de l'endettement.
L'analyse empirique consolide ce point de vue.

Le taux d'intérêt longs l'et les rentabilités financières If


sont moins étroitement corrélés

20%
18% rf
16%
14% /\ awc r
12%
rLl~
10%
8% "_-IIi

6%
4%
2% rI dr mardll' PCII de corrélatio/l (/J'cc r, mufà
~
partir {lc 2006
0%
00
00
C\
00
0
0\
-
0\
N
0\
~
C\
v
0\
~
0\
~
0\
~
0\
00
C\
C\
0\
0
0
~
0
N
o
~
0
v
000
~ ~

-----
0\ C\ 0\ C\ 0\
~ ~ - - - - -
0\ 0\ C\ 0\ C\ 0\ 0\ 0
N
0
N
o
N
0
N
0
N
0
N
0
N

* L'effet de levier de l'endettement: le retournement au milieu


des années 90
Les rentabilités financières se déduisent donc des
rentabilités économiques par la fameuse formule de l'effet de
levierl. Les rf constatées devraient correspondre à cette
formule; ce n'est pas tout à fait le cas, mais pas loin2 !
L'effet de levier corrigeant re pour obtenir rf, le différentiel
entre la rentabilité économique re et le taux d'intérêt r multiplié
par le levier L, donc (re - r )L, apparaît toujours négatif avec la
rf de marché constatée. Avec la rf théorique, on constate le
passage d'un effet de massue à un effet de levier positif, ce
passage ayant lieu vers 19953. Depuis la fin des années 80,
I Rappelons-le: rf = re + (re - r)L, avec L (le levier) = D / CPoL'effet de
levier est (re - r) L : le différentiel multiplié par le taux d'endettement.
2 On a calculé les valeurs théoriques de rf en fonction de l'effet de levier avec
les r et leviers L constatés: les rf théoriques sont de fait peu différentes des rf
constatées, supérieures en moyenne de 0,7 %.
3 Beaucoup n'ont pas vu tout de suite le retournement. Ainsi le groupe Total
communiquait encore à cette époque, alors que son re était en redressement et
234
l'effet de levier est négligeable, malgré les fluctuations du
levier constatées plus haut. Ce n'est pas le levier L lui-même
qui est négligeable: il augmente jusqu'au milieu des années 90
puis diminue en restant néanmoins important. C'est le
différentiel de taux re - r qui tend vers zéro: tout simplement
car les taux d'intérêt longs se calent sur les rentabilités
économiques de marché, avec une prime de risque proche de
zéro induisant un effet de levier proche de zéro !
Notre redécouverte de la corrélation étroite entre re et r, et
en fait entre rf et r quand les marchés financiers sont libéralisés
n'est pas un scoop en ce qui concerne la corrélation: l'arbitrage
sur les marchés financiers interdit un décalage entre les taux de
rendement des obligations et ceux des actions, à la prime de
risque près. Ce qui est plus étonnant, c'est la tendance à
l'égalisation des taux longs sans (trop de) risque et de la
rentabilité économique effectivement réalisée, la « prime de
risque économique» disparaissant. Mais si l'on suppose que la
prime de risque n'existe que dans les désirs « ex ante» des
apporteurs de capitaux, qu'elle n'est qu'un différentiel effectif
« ex post» dû à l'effet de levier, le paradoxe disparaît: les
actions ayant tellement augmenté, le différentiel tend vers zéro!
La « prime de risque existe» encore, mais seulement par
rapport aux rentabilités comptables.
La corrélation entre re et r ne fait donc aucun doute sur les
dix dernières année: Smith revisité par notre interprétation par
la double spéculation auraient donc raison. Pas si vite:
corrélation n'est pas raison. Les orthodoxes pourront toujours
prétendre que re = r + Re ; et avec Re la prime de risque
économique tendant vers zéro! Sauf à être convaincu que le
taux d'intérêt n'est qu'un morceau du profit global dans un
circuit macroéconomique et non le résultat d'un équilibre des
marchés microéconomiques.
Mais ce renforcement de la théorie de Smith et de celle de la
double spéculation n'apparaît qu'entre 1988 et 1998, surtout
après cette date: auparavant, la corrélation entre re et r
n'existait pas plus (au contraire) que celle entre r et les valeurs
de marchés V analysée plus haut.

r en chute (un peu comme tout le monde), sur la nécessaire baisse de son
« taux d'endettement », facteur de risque. Il versait un maximum de
dividendes en actions et non en cash (pour renflouer ses fonds propres et
ménager sa trésorerie, bref pour baisser son ratio D / CP). Brusquement, mais
avec deux ans de retard, il communiqua sur son « levier» (son « gearing »),
facteur de dopage des bénéfices des actionnaires. Il ne versait plus ses
dividendesen actionset commençaitune politiquede rachat (<<buy back ») de
ses propres actions (pour diminuer ses capitaux propres, booster son levier et
augmenter le bénéfice par action). Virage à 180 degrés...
235
815 - L'absence de corrélations entre, d'un côté les
rentabilités économiques re et financières nettes rf et, de
l'autre, les taux d'intérêt longs ravant 1988, corrélations
retrouvées ensuite: les perturbations de la double
spéculation par l'inflation et les politiques monétaires

L'effet de levier, selon les rf nettes de marché, constatée ou


théorique, était fortement négatif de 1975 à 1985, car les taux
d'intérêt nominaux atteignaient des sommets, poussés par
l'inflationl. Il n'y a donc pas de corrélation sur cette période
entre re et rf d'une part, r d'autre part; elle est même
parfaitement négative en début de période, jusqu'en 1983. La
corrélation apparaît brusquement entre re et r à partir de la fin
des années 80 mais reste faible, quoique croissante, entre rf et r.
Elle n'est donc évidente qu'à partir de 1998; ce qui explique le
retournement de la liaison entre r et V à la même époque.
Uu elTet de levier (rI' - re) constaté toujours négatif, mais faible à partir du milieu
des années 90

8%
7%
6%
5%
4%
3%
2%
1%
0%
-1%
-2% .. .. n:m"",hé~ENE/CMO
-3%
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. .. Elr.. du lev;', rf -
-5% con'''''=
00 o00 N
00
...
00 00
00
00
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r-- "" a-.
a-. a-. a-. a-. a-. a-. a-. '" 0 0 0
'" '" __~_<::!._
'" '" N N

Un effet de levier théorique (rf théorique -


re) très négatif, puis légèrement négatif
jnsqu'au du milien des années 90, puis positif mais proche de zéro ensuite

8%
7%
6%
5%
4%
3%
2%
1%
0%
-1%
-2%
-3% _rfthéorique=re +(re -r)L
-4%
-5% - Effet de levier théorique = (re -r) L
00 o N ... -::> 00 0 N ... -::> 00 0 N ... -::>
r--
00 00 00 00 00 0 0 0 0
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'" '" '" '" '" '" '" '" '" '" '" N N N
'"

I Depuis 1987, avec une inflation autour de 2 %, r réel se rapproche de r


nominaL
236
Le graphique suivant, « en sifflet et en ciseaux », illustre le
phénomène: rf (théorique ici) se rapproche de re car re se
rapproche de r. Le retournement date du milieu des années 90
où, enfin, les rentabilités deviennent supérieures à r: le
capitalisme se remet à marcher sur ses jambes. Et,
paradoxalement, la crise se déclenche.

Les rentabilités économiques et financières nettes et les taux longs sur la période
1978-2006 : aucune corrélation apparente, sauf cnfin de période

16%
14% .. .. rc marché
12% -rfthéoriquc
10% -rlong
8%
6%
4%
2%
0%
-2%
00 o N ~ oD 00 o N ~ oD 00 o N ~
r-- 00 00 00 00 00 ~ ~ ~ ~ ~ o o o o'"
~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ o o o o
N N N N

Le graphique qui suit précise les coefficients de corrélation


entre les taux de profit re et rf théorique de marché et r, calculés
sur toute la période à partir d'une année donnée, avec 1978
comme année de base. De 1978 au milieu des années 80, la
corrélation est négative. Le retournement de 1984 à 1986 est
frappant pour la corrélation entre re et r, mais il faut attendre les
années 90 pour celle entre rf et r.

Les coefficients de corrélation entre les rentabilités économiques et financières de


marché et les taux longs: le retournement des années 90 et les très fortes
corrélations en fin de période

100%
80%
~ .. .. .. .. .. ..
60%
40% /
20% ;
0%
-20% ;
,
-40% .. .. .. .. .. .. Coefficient de corrélation Te marehé ! r
-60%
-80% -
Coefficient de corrélation rf théorique i r
-100%
00 o
00 N
CO ~
CO
00 o N ~ CO o
r--
~ ~ ~ ~ '"CO
~
CO
~
~
~
~
~
~
~
~
'" 0- o
o
0'\ 0-
N

237
Apparaissent en fait desdites primes de risque (différences
entre les rentabilités re et rf théorique d'un côté, r de l'autre)
très négatives jusqu'au milieu des années 90, moins négatives
jusqu'à la fin des années 90, positives mais peu élevées et
tendant vers zéro ensuite. Il y a un « avant» et un « après» le
milieu des années 90. En France donc, cesdites primes de risque
que chacun voyait évidemment positives dans ses désirs (et
dans la théorie financière...) auront donc passé leur temps dans
le rouge jusqu'il y a plus d'une dizaine d'année!
Pendant les trente glorieuses, les rentiers prêteurs frileux
étaient enthanasiés, pour le plus grand bonheur des salariés et
des entreprises. Pendant les trente années de plomb, du moins
jusqu'à la crise à partir de la fin du XXe siècle, les entreprises et
les actionnaires héros preneurs de risque furent euthanasiés par
les rentiers. Sans parler des salariés et chômeurs. . .

Lesdite.~ "primes de risque", plus exactement les différences entre les rentabilités
économiques et tinancières de marché et les taux longs

6%
4%
2% l
0%
-2%
-4% ..
-6% ~
-8%
-10%
-12%
-14%
-16%
-18%
00 o N '<:t 00 0 N '<:t
00 0 N '<:t
r-- 00 00 00 00
'" 00 0\ 0\ 0\
'" 0\ 0 o o o
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0\ 0\ 0\ 0\ 0\ 0\ '" 0\ 0 o o o
'" '" '" '" N N N N

Mais les actionnaires avaient un gros lot de consolation: le


boom boursier. Qu'importe le taux de profit si les gains en
capital sont au rendez-vous, pour longtemps. Encore une
schizophrénie; qui se termine par une douche froide: les
rentiers et actionnaires risquent de se retrouver tous les deux
euthanasiés par la crise. Et les salariés et chômeurs paieront
encore les pots cassés.
La politique économique ultralibérale et monétariste, en
France puis en Euroland, au moins jusqu'au milieu des années
90, est-elle « responsable et coupable» de ce gâchis? Ce n'est
pas tout à fait l'objet de cet ouvrage. Mais on doit envisager sur
la période récente l'articulation des mouvements spontanés des
taux longs et ceux des taux directeurs des Banques centrales.

238
82 - Taux longs, taux courts, taux directeurs et
taux du marché monétaire la politique
monétaire peut à la rigueur tenter de soigner la
crise, elle ne peut la prévenir

821 - Taux longs et taux courts d'intervention des


Banques centrales

* Selon la théorie financière dominante, les taux longs seraient la


conséquence des taux courts, donc des taux directeurs
Une objection évidente à la réinterprétation de Smith de la
théorie du taux d'intérêt par la double spéculation boursière est
que la bourse est évidemment sensible à la politique monétaire:
les frottements sociaux des « banques machines sociales à
déthésauriser » influencées par la politique monétaire
perturbant la théorie. On revient évidemment à la liaison
orthodoxe habituelle r -7 V ?
Et les taux longs suivent, théoriquement plus élevés que les
taux courts car les prêts longs sont plus risqués. La théorie
financière de l'explication des taux longs par les taux courts est
en fait un peu plus subtile, mais elle induit la même conclusion:
les taux longs ne peuvent s'expliquer qu'à partir des taux
courts; autrement dit les taux de base seraient bien les taux
courts.
Cette « transmission» des taux courts vers les taux longs
s'effectue encore par l'arbitrage: si l'on peut emprunter à court
terme à 5 %, pourquoi les taux à long terme seraient-ils très
éloignés de 5 %, à la prime de risque près tenant au risque lié à
la durée de l'emprunt. Bref, les taux longs ne seraient qu'une
conséquence des taux courts, donc influencés par la politique
monétaire; c'est tout simplement la théorie de Keynes de la
détermination de r par le marché monétaire. Et le gourou
Greenspan, l'ex-patron de la Fed en aura joué à loisir avec sa
politique monétaire pragmatique.
Mais il existe des exceptions... : il est des périodes où la
hiérarchie des taux (et la « courbe des taux» correspondante)
s'inverse, inversion annonciatrice de crise! Mais l'explication
orthodoxe est toujours monétaire: une politique de lutte contre
l'inflation augmente fortement les taux courts, par
l'intervention des taux directeurs. Face à cet « effet
d'annonce », les anticipations d'inflation sont à la baisse.
Compte tenu de cette anticipation, les taux longs nominaux
baissent. Et la hiérarchie des taux s'inverse. CQFD. Et le signe
annonciateur de crise, pourtant constaté avec de très rares
exceptions, reste en fait théoriquement inexpliqué.
239
Cette théorie se refuse évidemment à envisager la théorie
revisitée de Smith d'une autonomie des taux longs par rapport
aux taux courts, r étant une variable réelle déduite du taux de
profit par la double spéculation. Il ne vient à l'esprit de
personne que la crise est peut-être tout simplement annoncée
par la baisse de la rentabilité économique induisant celle des
taux longs! Cependant (que c'est compliqué !...), les taux de
profit ne sont pas indépendants de la politique monétaire! Une
politique de rigueur anti inflationniste faisant augmenter les
taux courts est souvent un déclencheur de crise, comme, par
exemple, peu avant 1929 et à la fin des années 70 et au début
des années 80 aux Etats-Unis, avant 1993 en Europe. C'est
alors le processus keynésien qui est à l'œuvre, selon la vision r
~ V... qui peut ensuite induire V ~ r. Incertitude généralisée?

* Et si les taux courts ne faisaient fondamentalement que suivre


les taux longs depuis le milieu des années 90 ?
On entend d'ici les hurlements des orthodoxes: encore un
délire hétérodoxe! Attendez. Revenons sur notre « avant» et
notre « après» mentionnés plus haut.
Avant. En France, les taux d'intérêt nominaux longs
« anormalement hauts» induisaient donc le plus souvent
jusqu'à la fin des années 90 une action négative sur les cours
boursiers des actions: les taux d'intérêt se présentaient
essentiellement comme un coût pour les entreprises; et notre
théorie de la double spéculation développant l'analyse du taux
d'intérêt par Smith ne pouvait s'appliquer. Pourquoi des taux
anormalement hauts? Deux causes qui se sont succédées:
l'inflation (de 1975 à 1985) puis les politiques monétaires de
rigueur (de 1985 à 1992). Et pendant ce temps, les taux de
profit, d'abord en déprime (de 1975 à 1985), ne rebondissaient
qu'insuffisamment (de 1985 à 1989), pour rechuter, justement à
cause des politiques de rigueur monétaire (de 1989 à la crise de
1993).
Après. Puis la relation s'est inversée: une inflation
maîtrisée, des politiques monétaires plus souples, la première
étant à l'origine des secondes. Les variations des valeurs de
marché des actions induisaient une variation de r dans le même
sens; il est vrai surtout après 1998, sous l'influence de la crise
réelle. Et malgré la persistance des politiques monétaires du
pragmatisme états-unien, plus ou moins suivies par la BCE.
En fait, ce furent des politiques d'accompagnement des
mouvements spontanés des marchés financiers. Nous ne
remettons pas ici en cause les sages politiques monétaires
d'Alan Greenspan et de son successeur Ben Bernanke,
maintenant souvent accusés d'être à l'origine de la crise
actuelle. Greenspan géra efficacement la crise boursière de

240
1987, et le boom boursier de 1995-2000, contraint cependant
d'utiliser des hausses de taux directeurs de plus en plus visibles
pour s'opposer à la folie de la bulle boursière: l'atterrissage en
douceur qu'il souhaitait fut un peu rude, par la particularité de
la bulle de la Nouvelle économie. Greenspan a en outre sauvé
(provisoirement?) le capitalisme mondial depuis la fin des
années 90. Puis il remonta les taux d'intérêt courts aussitôt que
s'annonçait la nouvelle bulle vers 2004, suivi par Ben
Bemanke. Mais force est de constater que ces politiques
monétaires ne sont bien en fait depuis 1995, que
l'accompagnement volontariste des forces spontanées du
marché, l'effet d'annonce des taux directeurs rendant
simplement visible pour les spéculateurs ce qu'ils voyaient très
mal, la tête dans le guidon des actions sans regarder l'évolution
des taux longs, laissés dans les mains des amateurs
d'obligations moins risquées.
Voulant lutter contre le gonflement de la bulle (de 1997 à
2000), puis contre son éclatement (de 2000 à 2003), les
politiques monétaires ne firent en fait qu'accompagner les
forces du marché: taux d'intervention élevés dans le premier
temps quand la bulle se gonflait en induisant la hausse des taux
longs; taux d'intervention à la baisse, comme les taux longs
suivant le marasme boursier. Et le même cycle sur 2004-2007
puis 2007-2008.
Est-ce à dire que les politiques monétaires ne sont que pro
cycliques, donc inutiles sinon perturbatrices? Notre
« hétérodoxie» ne reviendrait-elle pas à simplement retrouver
l'ultralibéralisme des monétaristes et des Nouveaux classiques?

822 - L'efficacité des politiques monétaires persiste, mais


avec combien de limites et d'énigmes

* Les taux directeurs d'intervention et leurs limites, le cas de la


BCE
Définissons d'abord ces « taux directeurs ».
Les taux directeurs de la BCE, ceux qui orientent les taux
courts (rCT) du marché monétaire définissent un tunnel qui
encadre théoriquement les taux du marché monétaire,
principalement interbancaire. Le « refi », le taux directeur de
refinancement (base de la communication de la BCE) est en
gros une moyenne entre le taux le plus bas (celui des dépôts des
banques commerciales à la BCE) et le plus haut (celui des prêts
au jour le jour de la BCE à ces banques commerciales). Les
interventions de la Fed sont un peu différentes mais
comparables.

241
Une forte hausse des risques de refinancement interbancaire,
comme depuis la crise des subprimes, peut très bien voir les
taux interbancaires bondir et sortir du tunnel, car ces différents
taux supposent des primes de risque « normales ». Une marge,
un «spread» considérable peut donc apparaître entre ces taux
directeurs et les taux interbancaire quand les risques de faillite
sont tels que le marché interbancaire est asséché. On l'a vu, la
seule politique qui reste aux Banques centrales est
d' « injecter» directement des liquidités, c'est-à-dire de prêter
aux banques devenues illiquides, les politiques de taux devenant
inefficaces ou même dangereuses car risquant de doper
d'inflation par les coûts. Ce que firent BCE - qui n'a toujours
pas touché au niveau de son refi - et Fed depuis juillet 2007, et
à plusieurs reprises.

Les taux directeurs de la BCE et le "refl"

"Refi" BCE

I
1%
I
Taux des dépôts à la BCE au jour le jour
0% I
0\ o N M <r) \0 00
0\ o o o o 'T
o o o ot- o
0\ o o o o o o o o o
N N N N N N N N N

* Le différentiel positif entre les taux longs et les taux courts


En Europe, le refi est en effet inférieur aux taux longs, bien
que s'en rapprochant quelquefois, singulièrement en 2007 et
2008 : on n'est pas loin de l'inversion de la hiérarchie des taux.
Le refi est le plus souvent décalé dans le temps par rapports
aux taux longs. Il suit en fait avec grand retard les taux longs
quand la bulle s'enfle jusqu'en 2000; il ne réagit que
tardivement à la crise boursière du printemps 2000 alors que les
taux longs avaient anticipé la baisse dès janvierl. Ils les
précèdent par contre après son éclatement en 2001 et 2002 : il
faut attendre le milieu de 2003 pour que le minimum du refi qui
a chuté à 2 % paraisse efficace sur les taux longs. Ce qui

J
Voir plus haut les corrélations positives entre r et V depuis 1999.
242
signifie qu'une politique monétaire de baisse drastique des taux
pour contrer une crise déjà déclenchée n'est pas inutile, d'autant
plus que les taux longs ont nettement moins diminué que le
CAC 40 après l'éclatement de la bulle1.
La politique monétaire états-unienne fut beaucoup plus
réactive, et dans les deux sens; on ne la détaillera pas.
Cependant des énigmes se font jours, des deux côtés de
l'Atlantique.

Taux longs, et taux courts ,CT dirigés par la BCE (son ",efi")

6%

5% -
retard rCT......
surr(Lll -.
4%
. . retard
r(L
T)
-..
3%..
-
. surrCT
11111111I1111
..
.- Bonne
corrélation
"Refi"BCE:rCT _
2% -~-;-,--,----,--
-
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r(LT)etrCT
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N M .". on 'Ci 00
'" o o o o o o o t"-
O o
'" o o o o o o o o o
'" N N N N N N N N N

* L'énigme ou « conundrum» d'Alan Greenspan pour les Etats-


Unis, et le cas européen
L'inversion de la hiérarchie des taux eut lieu aux Etats-Unis
en 2006, et avec l' « énigme d'Alan Greenspan» déjà décelée
début 2005: les taux longs américains restaient
« anormalement» bas malgré les hausses successives des taux
d'intervention de la Fed, après leur baisse pour contrer le krach
de 2000-2001, pour éviter donc un second boom boursier qui
avait toutes les « chances» de se transformer en krach; ce qui
arriva en 2007-2008...
Cette énigme s'expliquait pourtant facilement si l'on suit
notre théorie, car Wall Street stagnait sur cette période, étant
probablement sensible à cette politique monétaire: V en
stagnation -7 r stagnane. Ici théorie et frottements se
conjuguent. L'énigme européenne, peu ou pas remarquée, est
un peu différente. Du milieu 2003 à fin 2005, les taux longs
I Voir également plus haut.
2 Contrairement à l'Europe (voir plus haut les mouvements du Dow Jones et
du CAC 40) où la BCE n'augmenta ses taux directeurs, toujours avec retard,
que fin 2005 : ce qui dopa les bourses actions européennes dès fin 2003.
243
continuaient leur baisse alors que les taux directeurs restaient
scotchés à 2 %, ce qui renvoie néanmoins à l'énigme de
Greenspan. La principale énigme en Europe, déjà évoquée, est
le retour sur cette période de la liaison négative entre r et Y ;
r -7 Y, dans le sens d'une fonction décroissante. En effet, la
bourse avait rebondi en Europe, peut-être soumise à l'effet
retard des bas taux directeurs. Mais on ne peut ignorer
l'autonomie relative du marché des obligations: une forte
demande, non liée à la spéculation sur les actions, peut faire
monter leurs cours et donc baisser les taux longs. On va
retrouver cette explication pour les Etats-Unis.
Les optimistes voulurent voir dans l'inversion américaine
(moins nette en Europe) une exception, explicable par moult
facteurs. Dont la forte demande des obligations d'Etat états-
uniennes par les pays asiatiques exportateurs qui regorgeaient
de dollars, et les faibles anticipations d'inflation: la théorie
néoclassique traditionnelle selon laquelle le taux d'intérêt n'est
que la conséquence du marché primaire des obligations. Pas
question d'anticiper une crise: il est des exceptions (très
rares. ..) à cette règle.
Ces optimistes se sont encore trompés: la crise de 2007-
2008 est bien là. La baisse tendancielle des taux longs n'est
bien que la conséquence de la baisse réelle des taux de profit,
probablement aux Etats-Unis comme ailleurs.

244
CONCLUSION

Nos conclusions seront différentes de celle du rapport de


2004, intitulé Les crises financières!, du Conseil d'analyse
économique (CAE), création du gouvernement Jospin maintenu
après les changements politiques. En toile de fond se trouvent
les crises internationales (crises jumelles bancaires et de
change) qui ont précédé la crise boursière de la Nouvelle
économie de 2000. Les auteurs sont plutôt des économistes fort
critiques du capitalisme et partisans d'un certain
interventionnisme, mais fort édulcoré. Interventionnisme
surtout dominé par la théorie néoclassique des cas
d'interventions quand le marché ne peut s'équilibrer
spontanément (externalités et biens publics ici), avec quelques
échappées plus keynésiennes. Ce que résume l'Introduction de
Christian de Boissieu2 : « Dans cette affaire, il n'est guère
besoin de justifier l'intervention de l'Etat (au sens large, y
compris des banques centrales indépendantes), tant les
externalités sont foisonnantes, et tant la stabilité financière est
devenue, à côté de la stabilité monétaire, un bien public
désormais mondial sous l'effet de la globalisation financière
... ». S'y ajoutent l' « appel à une meilleure transparence de
l'information» mais aussi « la nécessité pour la politique
monétaire de mieux prendre en compte, à côté de son objectif
de stabilité des prix, la stabilité financière et les prix des actifs
financiers, immobiliers... », nouveau bien public. Manière fort
élégante de tenter de convaincre les intégristes monétaristes3 en
prenant en compte, outre l'inflation «ordinaire », celle dite
« par les actifs» (financiers et immobiliers).
I Robert Boyer, Mario Dehove, Dominique Plihon en sont les auteurs; au
rapport proprement dit sont adjoints des commentaires et des compléments,
dont celui d'André Orléan, analysé plus haut.
2 Il est le vice-président du CAE, son président étant le Premier ministre.
3
C'est là que monsieur Trichet, le patron de la BCE ne sera pas d'accord qui
vient de nous rappeler que les Banques centrales n'ont qu' « une seule
boussole ii. Et que pense-t-iI des « Banques centrales indépendantes ii en tant
qu' « ...interventionde l'Etat (au sens large... ii?
245
Dans ce rapport, les crises sont analysées surtout dans
l'optique des crises bancaires selon les théories monétaires du
cycle, mais sans jamais s'y référer explicitement (sinon par l'un
de ses avatars récents: l' « accélérateur financier ». Les
phénomènes de contagion se réfèrent par ailleurs plus ou moins
directement à la théorie du mimétisme ou de la finance
autoréférentielle d'André Orléan.
Selon ces auteurs, la fragilité financière est due à « un
emballement du crédit qui déclenche un mécanisme
d'accélérateur financier qui se propage à différents
marchés... ». Selon l'analyse par l'accélérateur financier, les
outils utilisés sont plus sophistiqués que ceux de Wicksell ou de
Hayek asymétrie d'information entre la banque et
l'emprunteur, comportement stratégique de ce dernier et aléa
moral, risque de faillite en cas de « choc» défavorable, en
particulier sur la productivité, sur la croissance réelle de
l'entreprise emprunteuse. Les anticipations sont rationnelles,
emprunt aux outils de la Nouvelle école classique (NEC) des
analystes néokeynésiens l, avec des conclusions fort proches des
modèles ultralibéraux de la théorie des cycles réels, des Real
Business Cycles (RBC). Les crises financières, d'origine
monétaire donc, seraient d'autant plus graves que leur
procyclicité entrerait en résonance avec celle des autres actifs.
Le crédit bancaire serait toujours procyclique, tant dans les
phases d'expansion que dans celles de récession2. Cette
procyclicité est renforcée par les biais psychologiques et
institutionnels renvoyant aux apports de la finance
comportementale et de l'économie expérimentale où les
phénomènes passés continuent à influencer la perception du
futur.
Que penserait Keynes, après son autocritique du Treatise
(fondant sa Théorie générale), de cet aboutissement des
néokeynésiens? Il s'agit en effet de simples reprises des
théories du Crédit Cycle: « Old wine in new bottles» (Du vin
vieux dans de nouvelles bouteilles) pour reprendre la critique de
Milton Friedman envers ses successeurs de la NEC.
La crise réelle, par exemple la baisse du taux de profit,
comme cause des crises financières semble en dehors des
paradigmes de l'analyse. Ce n'est pas notre point de vue. Les
banques et la politique monétaire interviennent sans aucun
doute sur les taux d'intérêt et les taux de profit quand le taux
d'intérêt est considéré comme un coût, selon le circuit
keynésien par l'intervention de la demande. Mais c'est oublier
I Ben Bemanke a participé aux recherches sur Ie « Financial Accelerator »,
dès 1999.
2 Le modèle d'accélérateur financier retrouve les conclusions du Fisher de
1933 de la déflation par la dette.
246
que le taux d'intérêt est aussi une rentabilité déduite du taux de
profit selon le point de vue de Smith retrouvé par la théorie de
la double spéculation sur les marchés actions et obligations.
C'est cette contradiction fondamentale qui est à la base de
notre travail et de nos conclusions.

* Proposition d'un changement de paradigmes


Selon les néoclassiques, le taux d'intérêt est donc déterminé
par le marché primaire des obligations (le marché des fonds
prêtables): c'est une variable réelle. Mais pas un mot du
marché secondaire. Pas un mot non plus du taux de profit, sauf
la masse de profit pur et sauf, un siècle après les fondateurs, les
rentabilités désirées par les épargnants: le taux d'intérêt plus
une prime de risque. La « loi» de l'offre et de la demande est
une légende: c'est la plomberie d'un circuit économique que
les économistes doivent étudier, non pas des marchés qui
n'existent que pour les « marchés aux poissons» du fils
Galbraith, avec certes des « effets» de l'offre et de la demande.
Les seuls marchés véritables sont ceux des titres, actions,
obligations, titres monétaires: l'exemple que Walras généralise
par erreur aux biens et services. Ce sont ces marchés financiers
qui répartissent les rentabilités entre les différents apporteurs
de capitaux (CP et D), répartition « perturbée» par le crédit
bancaire. Mais la production des rentabilités s'effectue dans le
circuit macroéconomique. Même si l'on croit à leur efficience,
les valeurs de marché des actions et des obligations ne sont que
des marches au hasard, des random walks. Et l'entrepreneur
néoclassique indépendant des actionnaires est une autre
légende: avec celle-ci, le choix des investissements ne
maximise jamais le taux de rentabilité économique moyen qui
est la cible des capitalistes; sauf par hasard au niveau
microéconomique et à l'équilibre théorique de long terme,
quand le profit pur aura disparu. Mais le profit pur néoclassique
doit inclure, outre le revenu des managers, celui des
actionnaires sous leur aspect « entre-preneur» de risque, après
avoir déduit de leur rentabilité financière le taux d'intérêt sans
risque. Avec la théorie néoclassique (comme d'ailleurs avec
celle de Keynes), les investisseurs utilisent un outil erroné pour
choisir leurs investissements dans les entreprises. Et depuis près
d'un siècle et demi! Cette erreur ne persiste que parce que les
investisseurs continuent à croire à cette légende, ne voulant pas
remarquer la circularité du taux d'intérêt: coût et rentabilité.
En oubliant que Keynes évoquait également un taux
d'intérêt fondé sur la productivité marginale du capital qu'il
voyait baisser à long terme, selon lui, le taux d'intérêt est
essentiellement une variable monétaire déterminée par son
marché de la monnaie. Autre légende: la demande de monnaie

247
pour motif de spéculation décroissante du taux d'intérêt au
niveau macroéconomique; Keynes feignait de ne pas
comprendre que la spéculation sur le seul marché secondaire
des obligations supposait une nécessaire contrepartie dans les
transactions. Ce qui rend caduque sa théorie du mimétisme ou
de la finance autoréférentielle d'Orléan pour expliquer la
dynamique boursière: il y a bien des «effets» mimétiques,
mais pas de « loi» mimétique.
Pour les néoclassiques, le taux d'intérêt est le taux long,
mais il est possible de passer des taux courts aux taux longs en
généralisant l'offre et la demande de fonds prêtables aux
emprunts courts. Mais quid du crédit bancaire qui « crée» de la
monnaie? Pour Keynes, c'est selon: le taux long quelquefois
(dans son analyse de l'investissement et de la spéculation), le
taux court et/ou long (pour fonder son marché de la monnaie
qui suppose la spéculation sur les obligations longues...). Un
doux mélange toutefois résolu par le modèle IS LM originel de
Hicks; à condition d'assimiler l'offre de crédit bancaire à de
l'épargne préalable longue et la demande de monnaie (une
thésaurisation) à une demande de fonds prêtable pour
l'investissement immédiat, sans l'autre légende de Keynes du
finance motiv. La science économique moderne est d'une
rigueur redoutable avec son modèle IS LM canonique à prix
fixes (devenu à prix variables et utilisé comme outil par presque
tous les économistes) fondé, soit sur une légende (LM déduite
de la demande de monnaie macroéconomique - thésaurisation -
pour motif de spéculation décroissante avec r), soit sur un
quiproquo.. .
Selon Smith réinterprété, le taux d'intérêt n'est qu'un sous-
produit du taux de profit économique (et non pas de la
rentabilité financière des propriétaires) : le taux de profit moins
une « prime de risque », en fait le taux de profit moins l'effet de
levier de l'endettement, éminemment variable avec la structure
de financement. On sait, depuis le théorème de Modigliani et
Miller, qu'il n'existe pas de structure optimale de financement
minimisant la légende du coût moyen pondéré du capital: les
taux de profit (dont le taux d'intérêt) sont des rentabilités pour
les apporteurs de capitaux, même s'ils peuvent apparaître
comme des coûts pour les entreprises. Mais que sont les
entreprises, sinon des institutions dominées par les actionnaires
héroïques et les prêteurs plus frileux, bref les capitalistes!
Mais que faire avec la théorie de Smith des deux taux
d'intérêt, longs et courts?
Marx avait raison d'hésiter face à la théorie de Smith, car si
le taux d'intérêt est bien un « morceau» du taux de profit, il
peut fiuctuer par l' «effet» de l'offre et de la demande,
l'épargne pouvant être substituée par le crédit bancaire. Les

248
banques sont des « machines sociales à déthésauriser », même
la monnaie thésaurisée par les agents non financiers. Force est
effectivement de constater le miracle de la « création
monétaire », ou de l'accélération de la vitesse de circulation de
la monnaiel par le crédit et le refinancement par l'émission de
monnaie centrale de la Banque centrale prêteuse en dernier
ressort. Sans ce miracle, le capitalisme serait resté dans
l'enfance.
Seule la théorie de la « double spéculation », développant en
l'amendant la théorie de Smith, peut expliquer la détermination
du taux, d'intérêt qui reste bien un sous-produit des taux de
profit. A condition de tenir compte, en développant Marx, de
l'intervention du crédit bancaire et des gourous de la politique
monétaire le contrôlant, dans les mains de Banques centrales
indépendantes ou agents directs de l'Etat. Bref, la théorie ne
fonctionne que dominée par les frottements sociaux.
Le taux d'intérêt long r est déjà soumis, comme la valeur de
marché des actions V, au « principe d'incertitude généralisé »,
par la circularité de V calculée par r, mais avec V ~ r ~ V ! r,
mais également V, deviennent l'électron du principe
d'incertitude de Heisenberg en physique quantique. Mais
r ~ V par la politique monétaire: l'incertitude devient
« radicalement» radicale! Autrement dit, malgré tous les
efforts scientifiques, l'économie restera politique.

* La cause des crises: monétaire ou réelle?


Deux paradigmes s'opposent, pour les mouvements longs
tendanciels ou les vagues Kondratieff comme pour les cycles
Juglar des affaires.
Selon les théories du cycle monétaire ou du Credit Cycle,
c'est la création monétaire qui induit la baisse du taux d'intérêt
monétaire, produit de l'inflation puis un retournement. Si la
hausse des taux peut s'expliquer en fin de période d'expansion,
par un risque bancaire croissant, la baisse des rentabilités doit
être recherchée dans la sphère réelle: le surinvestissement ou
l'épargne forcée (Hayek) sont des explications insuffisantes.
Les théories réelles des crises mettent surtout en avant les
taux de profit: état stationnaire des classiques Ricardo et
Malthus, baisse tendancielle du taux de profit de Marx et les
différentes crises de suraccumulation. Cependant, Keynes, après
Malthus, insiste sur le rôle de la demande (sous consommation
et sous investissement) mais croit percevoir, après les saint-
simoniens, Proudhon et les fabiens, une« baisse tendancielle »
du taux d'intérêt.

I
Le doute persiste, sauf pour J'orthodoxie dominante depuis une trentaine
d'années.
249
La « vérité» des crises semble se trouver au carrefour de la
sphère monétaire et de la sphère réelle, étroitement imbriquées
et non dichotomisées. Selon deux mécanismes. Le premier
concerne la baisse de la demande qui ne peut s'expliquer sans la
thésaurisati on de certains agents (entreprises et ménages)
induisant une déthésaurisation équivalente d'autres agents (les
entreprises qui voient leurs stocks invendus se gonflerl). A
l'inverse, une déthésaurisation dopant la demande, boostée par
le crédit bancaire, fait fondre les stocks non désirés des
entreprises, ce qui induit pour elle une thésaurisation2. Le
second mécanisme est celui des marchés financiers et de
capitaux: avec notre double spéculation où « l'argent» sous sa
forme monnaie est l'intermédiaire obligé des échanges. Et la
monnaie, cette « insignifiance, simple lubrifiant, voile» est bien
plus que cela: la recherche du refuge de la liquidité est
incontournable en cas de crise, c'est-à-dire pour chaque
spéculateur individuel, tous les jours3. Sans parler de «la»
crise. Toutefois, celle-ci est toujours d'origine réelle: la baisse
des taux de profit.

* La crise réelle depuis la fin du XXe siècle


Il a donc fallu attendre la fin des années 90 pour que la
libéralisation financière et la détermination de r dans le sens
V -7 r dominent les effets de la politique monétaire, elle-même
dominée au niveau mondial par le pragmatisme américain.
Notre analyse concernant l'inversion des liaisons entre Vet r à
la fin du XXe siècle ne résout pas la question empirique: il est
possible de penser que la «bonne liaison à la Smith» ne
correspond qu'à des phases de bulle et de leur éclatement (ce
qui était déjà perçu dans les « anomalies» du temps long). Cette
liaison pourrait à nouveau disparaître; par exemple avec un
retour en force des politiques keynésiennes si les politiques
monétaires restaient impuissantes. Keynes le répétait: des bas
taux d'intérêt ne suffisent pas à relancer l'investissement si les
taux de profit anticipés sont pessimistes; ou « on ne fera pas
boire un âne qui n'a pas soif»... Et rien de tel que de bonnes
perspectives pour relancer activité, emploi, taux de profit... et
taux d'intérêt. Et vice versa.
La crise financière n'est, comme toujours, que le symptôme
apparent de la crise réelle des taux de profits selon une optique
I
Ces entreprises ont donc plus déthésaurisé pour payer leurs facteurs de
production que les flux de cash correspondant à leur ventes ne leur ont permis
de re-thésauriser: elles déthésaurisent donc en mouvements nets. Sur cet
aspect non développé ici, voir Castex (2003 et 2007).
2
C'est-à-dire des flux de cash entrants supérieurs aux flux de cash sortants
pour rémunérer les facteurs de production.
Dans le jeu boursier, comme « à chat perché », on peut toujours se sortir
d'un mauvais pas en retrouvant la liquidité: « dire pouce ».
250
« de l'offre» ; mais aussi, selon l'optique « de la demande» qui
freine, par la croissance des inégalités de revenus entre travail et
capital, l'expansion du niveau d'activité, obéré dans les pays
riches par la ponction de la rente pétrolière des pays
exportateurs de pétrole.
Avec un paradoxe évident. La crise des subprimes et des
LBO est évidemment une crise bancaire analysable, avec ses
conséquences, selon la théorie monétaire du cycle. Mais c'est
un gros arbre qui cache la forêt: la bulle immobilière et des
LBO n'est que la conséquence de la première alerte, bien
« réelle» (déclenchée par le pavée dans la mare de la Nouvelle
économie) de 2000-2001 où les taux de profit formaient la
vague de fond. La crise financière commence souvent par une
crise bancaire: c'est le cas en 2007-2008, pas en 2000-2001 où
la bulle Internet puis le « Il septembre» furent des éléments
perturbateurs d'une crise réelle à ses débuts. Quand la crise
réelle s'annonce, mais avant l'éclatement de la bulle boursière,
les taux des crédits bancaires augmentent sur le marché
monétaire par l'augmentation des risques de défaillance des
emprunteurs.
La seule politique monétaire quand s'annonce une crise,
pour contrer la hausse des taux bancaires, serait de baisser
rapidement les taux courts. Avec deux contraintes. Quand le
marché monétaire interbancaire est presque asséché, comme
aujourd'hui avec les risques collatéraux des crédits subprimes
« titrisés» se promenant dans la nature, cette intervention peut
être un cataplasme sur une jambe de bois: malgré la baisse des
taux directeurs, les risque de défaillance sont trop élevés pour
qu'elle se traduise dans les taux cOUlisinterbancaires. Ce serait
de plus aller droit dans le mur: cette politique est impossible
car elle doperait la bulle selon la réaction traditionnelle des
spéculateurs! Certes, elle évite le krach; mais c'est peut-être
reculer pour mieux sauterl.
Les Banques centrales ne peuvent réguler les dérèglements
capitalistes quand une crise s'annonce. Rajoutons: elles doivent
attendre le bain de sang pour, éventuellement, agir!

I
À maintes reprises depuis l'été 2007, les Banques centrales ont injecté des
liquidités sans baisser à la fois leurs taux directeurs, ou en baissant des taux
particuliers peu médiatisés. C'est un symptôme de panique, comme
l'intervention de «prêteur en dernier ressort» pour éviter des faillites
bancaires, ou comme la nationalisation de la Northern Rock britannique, après
son sauvetage par la Banque d'Angleterre. Sans parler de petites banques en
faillites achetées pour une bouchée de pain par les plus grosses, recapitalisées
par les Fonds souverains...
251
* Taux de profit, taux d'intérêt, crise
Une cause de fond est donc à l'origine de ces phénomènes:
la contradiction de la double nature du taux d'intérêt qui est à la
fois un coût et une rentabilité. C'est un coût pour les
investissements: sa baisse par la politique monétaire
(interventionniste keynésienne) permet la relance en cas de
récession après le déclenchement de la crise en dopant les
investissements (et la consommation). Bien que le choix des
investissements n'ait pas besoin des taux d'intérêt pour
maximiser la rentabilité économique (pour obtenir l' « optimum
social» de l'ensemble des capitaux), le taux d'intérêt intervient
toujours par l'existence de l'alternative entre l'investissement et
le placement. Et par l'effet de levier, les actionnaires
bénéficient de l'euthanasie des rentiers, même, pour des taux
très bas, quand le choix induit une rentabilité économique
inférieure à l'optimum: malgré la diminution du gâteau taux de
profit économique, les actionnaires en obtiennent une plus large
part; et y gagnent donc quand les rentiers y perdent.
Par ailleurs, choisir l'investissement en égalisant le taux
d'intérêt (plus exactement donc la rentabilité économique
désirée) à la productivité marginale du capital en taux (pour les
néoclassiques) ou au TIR-EMAC (pour les keynésiens)
maximise bien la masse de profit pur de l'entreprise (profit pur
de l'entrepreneur néoclassique et des actionnaires!). Et c'est
cette masse de profit2, après effet de levier, qui, actualisée,
détermine la valeur fondamentale des actions. Or, les
spéculateurs choisissent le plus souvent le rêve des gains en
capital (celui des plus-values boursières) que la réalité de leur
taux de profit moyen effectif. Rappelons néanmoins (après
Bachelier et Samuelson) que l'espérance mathématique des
plus-values est nulle à long terme au niveau macro économique,
la rentabilité économique des capitaux se calant sur le taux de
croissance de l'économie en volume. Cependant, les
actionnaires preneurs de risque bénéficient sur le long terme
d'un bonus par rapport aux apporteurs de capitaux moins
risqués: c'est la règle des « 6 % pour les actions, 3 % pour les
obligations, 1 % pour les titres monétaires »3. Empiriquement,
le risque paie en moyenne; ce qui amoindrit les théories de
Bachelier et Samuelson mais est conforme à la théorie de Smith
ou à celle de la double spéculation, par l'effet de levier de
l'endettement.

I
Différence entre le profit économique total et les intérêts servis, dont ceux
correspondants aux capitaux propres.
2
Ou le dividende versé: on a déjà évoqué la controverse.
3
On peut penser, répétons-le, que le taux de profit économique est une
moyenne pondérée de ces différentes rentabilités, correspondant donc en gros
au taux de croissance de l'économie en volume.
252
Il n'empêche que le rêve de plus-values et les désirs de
rentabilités financières élevées à l'origine des bulles retrouvent
vite la réalité des taux de profits effectifs. Et la bulle éclate.
Mais le taux d'intérêt est aussi et surtout une rentabilité dont
le niveau est la conséquence du taux de profit et de la
dynamique boursière sur le double marché secondaire des
actions et obligations. Et Keynes trouve ses limites, répétons-
le: r n'est pas fondamentalement déterminé par le marché
monétaire mais par le taux de profit, comme chez Smith. Les
« bons coups» des spéculateurs anticipant une hausse des
profits risquent de se métamorphoser en « mauvais coup », par
la hausse de r rétroagissant sur V. Rarement pour eux dans le
court terme car ils continuent à raisonner selon rCT -7 V, en
ignorant V -7 r. Autre mauvais coup: quand la bulle éclate, les
taux longs chutent et les banques tendent les taux courts sur le
marché monétaire pour répondre à la baisse des taux de profit
augmentant les risques de défaillance des emprunteurs... et
leurs propres risques. Ce fut l'une des critiques, fort justifiée, de
Marx à la théorie de Smith; mais il ne distinguait que très mal,
comme Keynes, les taux courts et les taux longs.
Apparaissent alors de nouvelles contradictions: celle entre
les taux courts et les taux longs, celle des taux directeurs tentant
de contrarier le pessimisme des banques... Et ce n'est pas
facile, La Fed le tente début 2008, mais sans grand succès; la
BCE faisant le mort.
Cette contradiction des deux aspects du taux d'intérêt est
également à envisager sur le temps historique. Pendant les
Trente glorieuses et bien après, le taux d'intérêt était
fondamentalement un coût. Il n'avait rien à voir avec les
rentabilités et était déterminé non pas par les marchés financiers
mais par les politiques monétaires, « laxistes» puis «de
rigueur ». En effet, pendant la première période, de gloire, le
taux d'intérêt volontariste, orienté par les Banques centrales
« keynésiennes» et dans les mains de l'Etat, était faible ~t
dopait la croissance, selon l'optique par la demande. A
l'inverse, pendant la période qui a suivi, jusqu'au début des
années 90, quand le taux d'intérêt des Banques centrales
devenues « monétaristes » et indépendantes de l'Etat
(singulièrement la BCE, contrairement au pragmatisme de la
Fed, après le monétarisme de la fin des année 70 et du tout
début des années 80) augmentait par une volonté de lutte anti-
inflationniste, il freinait la demande et donc l'activité.
Toutefois, la politique monétaire n'est pas seule en cause
pour expliquer l'inversion de la dominance des deux aspects du
taux d'intérêt: celle de coût se transformant en celle de
rentabilité. C'est fondamentalement la libéralisation, et
singulièrement la libéralisation et la globalisation des marchés

253
financiers (objectifs des Etats et non pas contrainte
« naturelle », contrairement au discours idéologique dominant)
qui transforme le taux d'intérêt en tant que coût en taux
d'intérêt en tant que rentabilité. Pas complètement, car les
politiques monétaires (et budgétaires) orientent encore le niveau
d'activité, du moins grâce au pragmatisme états-uni en ; mais il
semble que depuis une dizaine d'années, ces politiques suivent
fondamentalement l'évolution spontanée des marchés
financiers. Le volontarisme perdure toutefois, mais avec
combien de mal, dont l'énigme de Greenspan!
Malgré ces contradictions, les politiques monétaires et les
effets de la financiarisation, tous les taux d'intérêt, longs et
courts, restent une part du « gâteau taux de profit », même si ces
parts fluctuent avec les effets de l'offre et de la demande sur les
marchés financiers. On penche plutôt, on l'aura compris, vers la
théorie de la valeur travail de Smith, développée par Marx, et
du profit part non rémunérée du travail des salariés. La crise
n'est pas que financière, elle est fondamentalement réelle, car le
profit est « réellement» extorqué aux salariés productifs, la
sphère financière n'assurant que sa répartition entre les
différents types de capitaux. La dominance, selon la théorie
marxiste, du « capital financier» sur le « capital industriel»
doit être revisitée dans cette optique.
Keynes notait déjà en 1936 les limites de la politique
monétaire en cas de crise grave: il est par nature difficile de
jouer avec les deux faces de Janus des taux d'intérêt. Ce jeu est
d'autant plus difficile dans la conjoncture actuelle proche de la
stagflation où disparaît le dilemme entre l'inflation (et la
relance économique) et le chômage. Avec le troisième choc
pétrolier maintenant avéré, le danger de stagflation nous ramène
à une possible impasse dans laquelle le premier choc nous
poussa il y a plus de trente ans. Baisser les taux directeurs, donc
augmenter la masse monétaire par le crédit bancaire pour
relancer la demande, pourrait doper l'inflation. Avec ou sans
théorie quantitative de la monnaie des libéraux: l'inflation par
la demande des keynésiens est une autre courroie de
transmission. Les hausser pour freiner la seconde pourrait
ralentir la première. Il en est peut-être de même pour les
politiques budgétaires qui, si elles veulent soutenir la demande
effective, risqueraient de relancer l'inflation par la demande...
On en parle encore peu, mais on en reparlera. Seul Trichet et la
BCE ont, pour le moment, opté pour ne regarder que la
boussole de l'inflation, la « reprise étant au coin de la rue ».
Qui peut affirmer définitivement que la politique européenne
est mauvaise, compte tenu du danger d'inflation, surtout avec
l'embellie de la fin de printemps sur les marchés financiers. Les
Cassandre continuent cependant à susurrer que le pire reste

254
possible: les américains n'auraient pas tort... Pourtant, les
politiques interventionnistes, même si elles renaissent de leurs
cendres, sont comme le poignard de l'amouf...

* La mesure de « l'efficacité de la lutte de classes des rentiers»


en France par l'écart entre le taux d'intérêt et le taux de
croissance (1' « E-ic ») et la très forte corrélation de l'E-ic et du
taux de chômage
Ce titre sibyllin et l'E-ic doivent être explicités.
D'après la théorie économique, le taux de rentabilité
économique réel et le taux d'intérêt réel (r moins taux
d'inflation) que nous noterons cependant ici «i », pas
seulement pour revenir à notre langue maternelle, doivent donc
se caler à long terme sur le taux de croissance annuel en volume
du PIB que nous noterons ici « c» comme croissance. C'est cet
écart (donc « E ») entre «i» et «c» que nous baptiserons
l'E-icl; et c'est une mesure de «l'efficacité de la lutte de
classes des rentiers », en points favorables ou défavorables à
ces capitalistes contre les salariés. L'E-ic est en France le plus
souvent très positif sur les trente dernières années: le match fut
gagné sur cette période par les épargnants héros de l'abstinence,
sauf 1999-2000 et surtout depuis 2004 où l'E-ic positif
s'amenuise et tend vers zéro. Il était par contre largement perdu
à la fin des Trente glorieuses: le hic pour eux, avec un écart très
négatif. Le retournement, brusque, dû surtout à « i », date de
1980-1981.
Taux de croissance du PIB "c" et taux d'intérêt long réel "1" :
l'écart entre "i" et "c" oul'E-ic

L'E-ie > 0 L'E-ie


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N
0
'"
0
N

I Nous avons évité l'anglais qui aurait donné Gap entre r et g, ou G-rg...
C'est un peu grinçant et à connotation policière; et l'écart entre i et c, l'E-ie,
fait penser au hic de la politique économique après les Trente glorieuses...
Selon un dictionnaire: il Hic: ... Fam. Nœud, principale difficulté d'une
affaire: voilà le hic! ». Un peu d'humour ne fait jamais de mal...
255
Attention, ce «critère de performance» ne peut être
généralisé aux actionnaires, car on a vu que les taux de
rentabilité économiques et financiers nets étaient inférieurs à
« i » sur la période des trente années de plomb. A l'inverse, les
(beaucoup plus rares) actionnaires ne s'en sortaient pas si mal
dans la période précédente, grâce à la politique keynésienne et
singulièrement la politique monétaire de taux bas.
On note souvent une corrélation entre le taux de croissance
économique et le niveau de l'emploi (mesuré ici par 1 - taux de
chômage au sens du BIT - Bureau international du travail - en
France). Elle est en fait statistiquement correcte, sans plus.

Une certaine corrélation entre le niveau d'emploi E et le taux de croissance "c"


dcpuis quarante ans

10% 98%

8% Coefficient 96%
-",
de corrélation de 62 %
CIl
CI
6% 94%
'"
.. ""
'I;;
"' "E.
'ë"'... 4% - 92% =
...
CIl
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..0- "c" -E
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0
0
0
N
0
0
N
0
'"
0
N
86%

On retrouvl( évidemment l'effet des politiques monétaires (et


budgétaires). A la politique keynésienne des années de vaches
grasses pour l'économie dans son ensemble (forte croissance),
correspond un niveau élevé de l'emploi (ou un faible taux de
chômage). ,Années de vaches grasses, mais pas pour tout le
monde... A l'inverse, les politiques de rigueur qui ont suivi
induisent un niveau plus faible de l'emploi correspondant à un
taux de croissance en gros divisé par deux; des années de
vaches maigres. Mais pas pour tout le monde...
L'E-ic permet d'aller plus loin que cette analyse critique
traditionnelle. Et l'on comprend mieux, pour ceux à qui cela
aurait échappé, le «pas pour tout le monde»: la croissance
économique ou la quasi-stagnation «générale» présente des
256
effets de répartition des revenus et des effets sur le niveau de
l'emploi.
Encore une légende à pourfendre: celle selon laquelle on ne
peut bien partager que ce qui a été bien produit; les
« partageux» (en général les plus pauvres) ayant du mal à
comprendre cette « évidence ». Tout montre au contraire,
depuis plus d'un demi-siècle, que les « antipartageux » étaient
euthanasiés par le boom et ont à l'inverse bénéficié de la
croissance molle. On comprend mieux pourquoi les apporteurs
de capitaux préfèrent la vision dite « stockholders» (celle des
porteurs d'actions ou plus généralement de titres financiers) à
la vision « stakeholders » (celle des porteurs d'enjeuxlou des
parties prenantes). Selon la première vision, les marchés en
général et financiers en particulier sont les garants de l'optimum
économique (au sens de Paréto, en oubliant que cet optimum
n'assure pas forcément la justice sociale2). Selon la seconde
vision, il faut organiser avec un consensus social le partage des
revenus, en utilisant la technique de la production-répartition
des « surplus de productivité )}.
Laissons de côté une analyse fine de l'évolution des
inégalités en s'en tenant au rapport entre l'E-ic et le taux de
chômage. Honni soit qui mal y pense, mais la corrélation est
étroite, très très étroite, entre le bonheur des épargnants et le
malheur des salariés depuis les trente années de plomb. Et, bien
sûr, inversement auparavant. Double malheur depuis trente ans:
le premier pour les chômeurs, le second pour les revenus de
ceux qui ne sont pas au chômage et qui ne bénéficient pas des
rentabilités des rentiers qui s'enrichissent en dOlmant. Il paraît
en effet que les revenus des capitaux augmentent un peu plus
que les revenus salariaux...
La corrélation est en effet étonnamment remarquable entre
l'E-ic et le taux de chômage sur longue période4 : l'E-ic
fortement négatif à la fin des Trente glorieuse correspond à un
taux de chômage faible (mais loin d'être nul). Le renversement
est on ne peut plus précis: 1980-1981 : le chômage continue
son petit bonhomme de croissance, mais l'E-ic devient positif,
très brusquement. Le petit boom de la seconde moitié des
années 80 fait baisser l'un et l'autre; ensuite, le chômage
I Enjeu au sens des mises des jeux de société.
2
D'où les interventions de l'Etat (impôts de redistribution et subventions)
admises par l'économie néoclassique dite du bien être (la Welfare
Economies) ; interventions à ne pas confondre avec celle de {'Etat Providence
des keynésiens.
3 Cette technique eut son heure de gloire pendant les Trente glorieuses. Qui en
parle encore? Sauf quelques tentatives, par exemple de la CFDT, vites
avortées.
4 Nous ne sommes remontés que jusqu'à 1967, et avec des données estimées
pour « i » avant 1971 : notre courage de chercheur avait trouvé ses limites.
257
apparaît comme une conséquence, avec plusieurs mois de
retard, de l'E-ic. La politique monétaire de grande rigueur de la
fin des années 80 jusqu'en 1992 a entraîné la crise de 1993 ; son
assouplissement et la relance qui a suivi jusqu'à la crise
boursière de 2000 a induit une forte baisse du chômage. La
crise de 2001 à 2003 ayant cassé la croissance a dopé l'E-ic et
le taux de chômage. Depuis 2003, l'écroulement de l'E-ic
tendant vers zéro et devenant même légèrement négatif (par
celui de« i» suivant celui des taux de rentabilité...) n'a que
peu d'effet sur le taux de chômage. La crise est bien là. « On
peut observer beaucoup, simplement en regardant! ».
Il est d'autres «ratios» mesurant la lutte des classes
(inégalités, rapport salaires dividendes, etc.), mais ce dernier
résume bien, au cœur de notre sujet, la situation des trente
années de plomb et son aboutissement.

La corrélation est très, très étroite entre le taux de chômage et l'E-ic :


le bonheur des uns et le malheur des autres...

8% 16%
7% L'E-ic> 0 15%
6% Coefficient de corrélation de 14%
5% 88 %! 13%
4% 12%
3% 11% ~
L'E-ic 10% ;!
": 2% 9%
ïi 1% <0 ,:5
0% 8% -e
"
;:';-1% 7% .!j
:'-2% 6% ~
-3% L'E-ic 5% ~
-4% --> 0 4%
-5% Taux de chômage 3%
- 2%
-6%
-7% 1%
-8% 0%
r-- o M <n oc ~ r-- 0 M
r-- r-- '"
r-- '"
r-- 00
'" 00 00 0'\ 0 o o'"
'"
0'\ 0'\ 0'\ '" '" 0 o o
'" '" '" '" '" '" '" '"
'" '" '"

Il ne faut cependant pas s'étonner de cette corrélation


étroite; peut-être un peu plus du coefficient de corrélation très
élevé. Elle correspond simplement au point de vue keynésien.
Quand les rentiers perdent le match, les salariés profitent des
vaches grasses, avec peu de chômeurs; quand ils gagnent le
match, ils profitent cependant des vaches maigres et les salariés
qui travaillent se serrent la ceinture, devenant quelquefois
« nouveaux pauvres ». Tandis que les chômeurs, malgré leurs
indemnités (responsables de ce chômage selon les

258
ultralibéraux...) rejoignent 1'« armée de réserve» qui est
vieille comme le capitalisme.
De méchantes langues pourraient plagier le titre de
Boukharine: L'économie politique du rentier. Ils évoqueraient
alors « la politique économique du rentier» pour caractériser la
politique monétariste qui a dominé la période des trente années
de plomb. On en connaît même qui rajouteraient: la politique
économique du social-libéralisme...
Les deux périodes caractérisant l'E-ic sont on ne peut plus
claires; elles indiquent en outre que la théorie de Smith est
largement dominée par les fameux frottements de la politique
monétaire. Ceux-ci semblent disparaître depuis 1999. Il est
piquant de remarquer que l'E-ic moyen des quarante dernières
années est proche de zéro et que la crise du début du XXI"
siècle semble rétablir l'équilibre tendanciel entre « i » et « c »,
conformément à la théorie économique traditionnelle.
L'E-ic : évolution depuis quarante ans: une moyenne nulle,
conformément à la théorie économique, mais deux périodes bien marquées

8%
7% L'E-ic> 0
6%
5% L'E-Îe
4% 2,8%
3% --> 0
2%
\ 0,6%
1%
0% ~£ fl[1i!1!Oru:èI!Uiliili'
-1%
-2% -0,1%
-3% -4,4%
-4%
-5% -iii1-L'E-ic : moyenne sur quarante ans
-6%
-7% L'E-ic < 0 ... L'E-ic : moyenne par période
-8%
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N N N

* Les « working richs », ou « les riches qui travaillent»


Michel Husson (2008), montre que le modèle états-unien de
forte croissance était fondé sur la consommation des « riches ».
La part du revenu global des 10 % les plus riches atteignait en
2006 50 %, exactement comme avant 1929, (contre 40 % à la
fin de la Première guerre mondiale et autour de 33 % de 1945 à
1975). Cette très forte croissance s'accompagne du déficit
extérieur et est la conséquence de l'effet de richesse (boom des
actions, boom immobilier... du moins jusqu'en 2007). Les
américains - mais pas tous donc - consomment près des trois
259
quarts du PIB américain (71.6 % en 2008 contre 67,1 % en
1998) ; et le PIB américain représente donc un peu moins du
tiers du PIB mondial. La croissance mondiale (dont la chinoise
et l'indienne) est nourrie par cette goinfrerie. Husson en déduit
que ce modèle est intenable, malgré la forte baisse du dollar.
En effet, plus généralement, de nouveaux riches profitent
également de la dernière période. Certains cessent d'en
profiter: les actionnaires dont le taux de rentabilité en
stagnation depuis vingt ans puis en baisse depuis 1999 était
cependant compensé par les plus-values boursières en capital,
avec le désagréable creux de 2000 à 20oi. C'est fini (sauf le
petit rebond depuis fin mars; mais pour combien de temps ?).
Les « working richs » continuent néanmoins d'en profiter; tous
les responsables du « travail d'inspection et de direction» ne
gagnent pas plusieurs centaines de SMIC par mois, comme les
patrons du CAC 40, mais leur vie reste belle. Et pas seulement
aux Etats-Unis, toujours à l'avant-garde du progrès où est né ce
concept de working richs, ceux-là qui sont peut-être
« responsables et coupables », on l'a déjà noté (mais trop
discrètement), de la croissance de la part de la rémunération des
salariés dans la valeur ajoutée depuis 1999. Bien que rangés
dans le camp du travail contre les rentiers par Keynes, ils
semblent rester peu convaincus par ses recommandations que
l'on rappelle: il s'agirait en fait pour eux «... d'aménager les
impôts directs de manière à affecter au service de la
communauté, sur la base d'émoluments raisonnables,
l'intelligence, le dynamisme et la capacité administrative des
financiers, entrepreneurs et tutti quanti (qui certainement
aiment assez leurs métiers pour que leur travail puisse être
obtenu à bien meilleur marché qu'à présent) ».
Ces dites « classes moyennes» (dont ne font pas partie les
conducteurs de TGV et les professeurs certifiés de
l'enseignement secondaire, n'en déplaise à François Coppé)
tirent les marrons du feu. Aidés en France par un
« Omniprésident » qui leur a offert un beau « cadeau fiscal ».

* Un changement de paradigmes de la théorie économique est-il


possible « grâce» à la crise?
Le troisième choc pétrolier et la croissance industrielle
fantastique des pays émergents est à l'origine de la crise
actuelle du capitalisme, commencée il y a près de dix ans. Elle
aura peut-être la même conséquence que deux des précédentes
sur la théorie économique. Celle de 1929 a renversé la théorie
libérale néoclassique et promu la théorie interventionniste
keynésienne. Celle de 1975 eut l'effet exactement inverse, par

1
Voir le graphique de la page 198.
260
les contradictions qui viennent d'être mentionnées des
politiques monétaires et budgétaires en conjoncture de
stagflation. La crise qui se développe depuis près de dix ans
aura peut-être les mêmes effets sur la pensée économique, mais
dans l'autre sens.
On l'espère; on peut malheureusement en douter. On
recommande à cet égard la lecture de Comment les économistes
se sont trompés de James Kenneth Galbraith (2000). « De quoi
alors s'occupe la science économique moderne? écrit-il, Il
semblerait que ce soit surtout d'elle-même... ». La fin de
l'article est géniale. Se référant à Lord Kelvin, l'inventeur du
zéro absolu - et peut-être pas seulement en physique... - qui
affirmait, il y a un plus d'un siècle, que les objectifs de la
physique étaient définitivement atteints, le XXe siècle ne
pouvant apporter que quelques détails, James K. Galbraith
rappelle que cinq ans plus tard apparaissait la relativité
restreinte puis la mécanique quantique. Il termine: «Si une
révolution théorique avait lieu, ces économistes seraient-ils
capables de la reconnaître? on peut en douter. Avoir raison ne
compte pour pas grand chose dans ce club ».
On aura noté l'utilisation du conditionnel pour rapprocher la
crise actuelle de celle de 1975-1985. La situation est en effet
différente aujourd'hui de celle de la fin des Trente glorieuses,
une fenêtre restant peut-être ouverte. Depuis plus de trente ans,
les économies occidentales ne sont pas en plein-emploi, malgré
les artifices des calculs du chômage dans les pays présentant
actuellement une vitrine correcte, et ne sont pas bénéficiaires de
taux de croissance élevés. Un choc inflationniste par les coûts
pétroliers (et des matières premières) peut être largement
amorti: il le fut depuis 1999, il n'apparaît que depuis que le
baril frôle ou dépasse les 100 $, avec en plus le boom des prix
de produits agricoles 1.
Voilà la fenêtre, mais très grillagée. En absence d'efficacité
certaine des politiques monétaires, une seule solution existe
encore.. ., iconoclaste pour le néolibéralisme dominant
(quoique.. .) : le retour aux bons vieux déficits budgétaires à la
Keynes. Ce qui n'effraie pas les américains va faire hurler les
européens, de gauche comme de droite, qui ont définitivement
enterré le keynésianisme : il ne s'agit plus de dépasser la limite
de 3 % du PIB pour le déficit budgétaire mais maintenant
d'atteindre zéro. Quel aveuglement!

I
Il ne manquait plus que les émeutes de la faim pour compléter le sombre
tableau: une crise financière, l'Irak, l'Afghanistan et l'Iran, le Moyen-Orient,
le Pakistan, Ben Laden, Chavez et Poutine, les tibétains et les chinois... plus
une crise frumentaire. Il ne manquerait plus qu'un rigolo dise « S'ils n 'ont
plus de SMIC, qu'ils mangent leurs stocks-options! Ii.
261
On attend donc de nouveaux Keynes et de nouveaux
Roosevelt. Ou alors, comme en 1968, « une seule solution... »
pour lutter contre l' « horreur économique» 1 et libérer
I'humanité, toute I'humanité.

* La Chute ici, le rebond là-bas, et la révolution?


Si Chute il y a ici pour les pays capitalistes matures, sinon en
phase de déclin, elle est en grande partie due au boom
extraordinaire des pays émergents de là-bas, singulièrement la
Chine et l'Inde et leurs près de trois milliards d'habitants. Par
l'intermédiaire du troisième choc pétrolier, mais surtout par leur
extraordinaire dynamisme.
La crise du capitalisme du « Centre» n'est probablement pas
que celle du taux de profit en baisse, baisse tendancielle ou
seulement conjoncturelle due à ce qui se passe là-bas? Elle est
donc due au développement du capitalisme à la « Périphérie ».
L'analyse marxiste du sous-développement, dite « Centre-
périphérie », des années soixante-huit est sans doute un héritage
qu'il faut renier: les pays capitalistes sous-développés dominés
se sont développés! D'abord en Extrême-Orient, grâce en
grande partie au Japon, avec ses « Dragons» et ses « Tigres»
(de la Corée - du Sud... - à la Malaisie). Mais quel soixante-
huitard adepte de la « GRCP» (la « Grande Révolution
Culturelle et Prolétarienne» pour ceux qui auraient oublié)
aurait pu admettre que le capitalisme pas encore sorti par la
grande porte serait rentré par la fenêtre « du communisme le
plus pur» ! Le hippie ou baba cool « faisant la route» de l'Inde
quarante ans après y trouvera encore de la misère mais ne
reconnaîtra pas le pays.
Le développement capitaliste en Chine est pour le moins
particulier... Il est en partie endogène, même si une importante
partie de la production industrielle nouvelle est destinée à
l'exportation. Il est aussi le résultat des délocalisations et des
investissements étrangers. La Chine s'est éveillée; mais quand
le prolétariat chinois s'éveillera... La Chine est probablement le
maillon faible du capitalisme mondial, comme celui du
capitalisme despotique russe d'avant 1917. Des Cassandre
(encore !), lui prédisent un krach boursier et bancaire et pensent
d'ailleurs que les taux de croissance sont surestimés. Mais on
peut aller plus loin que cette approche financière et
économique.

1 Référence à L 'horreur économique de Viviane Forrester (1996), après La


Violence du calme, de 1980.
262
En Russie, ce furent les ex-féodaux « modernistes» et le
Tsar lui-même, par l'abolition du servage (en 18611) qui
tentèrent le développement capitaliste, avec les capitaux
étrangers (les emprunts russes). Mais ce développement fut
surtout dopé par la libération de la paysannerie quand Lénine2
comprit qu'elle formerait le gros de l'armée révolutionnaire et
que le développement capitaliste russe serait fondamentalement
endogène. En Chine, ce sont les ex- « communistes» qui sont
devenus capitalistes despotiques, faisant passer leur fusil de
l'épaule gauche à l'épaule droite, comme dans la Russie
actuelle. Dans les deux cas, on peut se référer à la théorie du
« mode de production asiatique» de Marx, développé par Karl
Wittfogel3 (1957, 1964), où le « despotisme oriental» donne
une transition capitaliste bien particulière. Rappelons que
Wittfogel finit par caractériser l'URSS stalinienne comme un
capitalisme despotique d'Etat.
Mais malgré le développement de mégalopoles comme
Shanghai, « les campagnes encerclent encore les villes ». Quel
est l'avenir: la Commune de Shanghai écrasée comme en 1927
ou la Longue marche qui a suivi et finit par conquérir le pays en
1949 ?
Rosa Luxemburg (1913, 1969), toujours opposée à Lénine,
en particulier sur la question de l'impérialisme, voyait au
contraire dans la question des débouchés extérieurs le talon
d'Achille du capitalisme: ce dernier est contraint par les
débouchés de sa production. Quand le monde entier sera
capitaliste, il ne pourra plus survivre: il n'y aura plus
d' «extérieur»! C'est sa «vision catastrophiste» de la
Révolution. C'est grâce aux débouchés extérieurs de la
production chinoise que le capitalisme s'y développe. Suffirait-
il d'attendre?
Mais le problème n'est évidemment pas qu'économique et
géopolitique. Revenons « au centre ».

I Au même moment eut lieu aux Etats-Unis la seconde révolution dopant le


développement capitaliste (la guerre de Sécession) et la Révolution Meiji au
Japon. Avec la Russie, trois pays émergents. ,
2 Lénine (1893) l'avait entrevue dans l'un de ses premiers textes (A propos de
la question dite des marchés) en affirmant que le capitalisme pouvait se
développer de façon endogène en Russie: la question des débouchés dans un
pays arriéré et à population très pauvre ne se posait pas. D'autres textes plus
connus développeront cette position, en particulier Le développement
capitaliste en Russie, où Lénine s'appuie sur les schémas de la reproduction
du capital de Marx, schémas vertement critiqués par Rosa Luxemburg (1913,
1969) qui reproche à Marx de reprendre de fait la loi de Say, en négligeant en
particulier le rôle de la monnaie. Mais Lénine ne comprit vraiment qu'après la
Révolution de 1905 qu'i! fallait s'appuyer sur la paysannerie pour gagner la
Révolution « prolétarienne ». Voir Castex (1971; 1975; 1977 ; 2003).
3 Le despotisme oriental. Etude comparative du pouvoir total.

263
* Liberté, servitude, libido, risque
Jean-Jacques Rousseau, dans Les Confessions, notait:
« L'argent que l'on possède est l'instrument de la liberté,. celui
que l'on pourchasse est celui de la servitude ». Servitude des
exploités, mais aussi servitude des bénéficiaires, éphémères, des
booms boursiers. Selon Bernard Maris (1999), pour Keynes le
capitalisme ne serait qu'un exutoire de l' « abondante libido» :
pourquoi est-on capitaliste? dit Keynes, parce qu'on n'a pas eu
la chance, d'être un artiste, un savant, un écrivain; faute de
mieux, on se fait capitaliste, « ...et il vaut mieux exercer son
despotisme sur son compte en banque que sur autrui» se résout
Keynes. Maris, entraîné par son lyrisme, corrige néanmoins le
tir: « Certes, sauf que le capitalisme, tout facétieux et joueur
qu'il est, fait travailler les autres ».
Ce jeu plein de libido des capitalistes va très loin; son risque
aussi va très loin. Si l'on suit Georges Bataille (1933), qui
reprend de façon créatrice les thèses de Marcel Mauss (1923-
1924, 1993) sur le don, ce risque dépasse la seule volatilité des
profits des investisseurs se transformant quelquefois en pertes,
retrouvant la pratique primitive du « potlatch» 1. Celui qui étale
sa richesse de façon ostentatoire2 attend en fait un contre don de
valeur supérieure. Mauss lui-même, rappelé par Bataille,
indique que « L'idéal serait de donner un potlatch et qu'il ne
fut pas rendu ».
En langage moderne, le don attend sans aucun doute le
contre don: l'investissement en capital attend sa reproduction
plus un profit ou un intérêt. Mais il existe le risque de ne pas
retrouver ce contre don, lié à la notion de risque de perte selon
l'approche de Bataille, connotant probablement un fantasme de
mort3. Le jeu économique ne serait qu'un ersatz du jeu
guerrier: « Une sorte de poker rituel, àforme délirante, comme
source de la possession. Mais les joueurs ne peuvent jamais se
retirer fortune faite: ils restent à la merci de la provocation. La
fortune n'a donc en aucun cas pour fonction de situer celui qui
la possède à l'abri du besoin. Elle reste au contraire
fonctionnellement, et avec elle le possesseur, à la merci d'un
besoin de perte
. 4démesurée qui existe à l'état endémique dans un
groupe SOCia»I .
Eros et Thanatos: on passe facilement du bling-bling à la
mort. Mort que l'on retrouve chez Keynes dans la volonté
I Selon Mauss en effet, dans son Essai sur le don, le don et le contre don sont
des rites centraux des sociétés archaïques. Dans la pratique du potlatch, le don
est apparemment gratuit, montrant cependant le rang et le prestige du
donateur. Souvent, cette richesse est d'ailleurs détruite.
2 « La consommation ostentatoire» de WebIen (1899, I969) dans sa Théorie
de la classe de loisir, s'appelle maintenant l'effet « bling-bling ».
3 Ou un complexe de castration si on lit BatailIe entre les lignes.
4
C'est BatailIe qui souligne.
264
d' « euthanasie des rentiers ». Cette obsession (car s'en est
une), cette volonté de mort sur autrui, viendrait peut-être d'une
éventuelle névrose obsessionnelle si l'on en croit Freud (1907,
1974) dans L 'homme aux rats, la diagnostiquant sur un patient
en 1907, bien avant de connaître Keynes qu'il n'analysera
pas... Une autre caractéristique de cette névrose est, selon
Freud, celle de l'an~oisse de l'incertain: l'incertitude,
« radicale» de Keynes. Freud note le premier aspect, la
volonté de mort: « ... un trait de superstition chez notre
malade, je veux parler de la toute puissance qu'il attribue à ses
pensées, à ses sentiments et aux bons et mauvais souhaits qu'il
pouvait faire. On serait tenté de déclarer qu'il s'agit d'un délire
dépassant les limites d'une névrose obsessionnelle ». On ne
peut donc s'empêcher de penser à la volonté de mort que
Keynes voue aux rentiers.
Freud envisage également le second aspect, l'incertitude:
« Un ... besoin psychique commun aux obsédés ..., est celui de
l'incertitude dans la vie, du doute. La formation de l'incertitude
est une des méthodes dont la névrose se sert pour retirer le
malade de la réalité et l'isoler du monde extérieur La
prédilection des obsédés pour l'incertitude et le doute devient
chez eux une raison d'appliquer leurs pensées à des sujets qui
sont incertains pour tous les hommes et pour lesquelles nos
connaissances et notre jugement doivent nécessairement rester
soumis au doute. De pareils sujets sont avant tout la paternité,
la durée de la vie, la survie après la mort... )}. Or Keynes est
l'un des premiers économistes à avoir mis en avant l'incertitude
absolue, radicale, après sa thèse sur les probabilités de 1921. La
monnaie est pour lui le meilleur moyen de se protéger contre
cette incertitude, car elle est non risquée - en valeur nominale,
si on laisse de côté l'inflation - contrairement aux titres
financiers. La psychanaljse est riche d'enseignements sur la
monnaie et le capitalisme.
On peut se demander si l'aveuglement des spéculateurs n'a
pas quelque chose à voir avec l'aveuglement œdipien, encore
un complexe de castration.
Sans parler de l'aveuglement des théoriciens de l'économie.

I Voir Castex (2003 et 2007). Freud rappelle qu'en allemand, rat se dit
il Ratte» et dividende ou remboursement il Rate» (comme en anglais
« rate »). Il oublie de mentionner il Rat », conseil, avis et il Rdtsel », devinette,
énigme.
2 Considérations théoriques de L 'homme aux rats.
3 Par exemple les rapports de l'argent et de la merde, celui des rapports de la
névrose obsessionnelle, en fait la fixation selon Freud au stade sadique-anal,
et du despotisme capitaliste perçu par les psychanalystes allemands (et le plus
souvent juifs) sous la pression de l'analyse du cas nazie. Voir Castex (2007).
265
Au moment même où nous effectuons les dernières
corrections des épreuves de ce livre, Ben Bernanke de la Fed
commençait à s'émouvoir du danger d'inflation tandis que
Jean-Claude Trichet de la BCE annonçait une possible hausse
des taux directeurs en juillet. Il est vrai que le troisième choc
pétrolier, méprisé par la plupart des économistes, rappelons-le,
jusqu'en fin d'année 2007, devient un « super-choc »" avec le
pire peut-être devant nous: 150 $ le baril en juillet? A quand
les 250 $ annoncés par le Russe Gazprom ?
Mais la Fed semble en outre répondre à la BCE : une hausse
des taux directeurs en Europe (taux actuellement déjà deux fois
plus élevés que les taux américains) ne peut qu'accélérer le
plongeon du dollar, toujours parfaitement en relation (inverse)
avec les prix du brut en dollars... Que le dollar plonge comme
récemment (1,58 $ par euro) et le brut explose; que le dollar se
redresse et le brut s' effritte.
A ce premier jeu du chat et de la souris s'ajoute donc celui
entre la BCE et la Fed qui, avec le Trésor états-unien, tente le
sauvetage du dollar. Qui tirera le premier des deux patrons des
deux Banques centrales? Le tout sous les yeux probablement
narquois des pays émergents et pétroliers avec leurs réserves en
cette ex-devise forte.
Les bourses qui s'étaient reprises depuis fin mars (belle
embellie «confirmée» en France par la surprise des
performances économiques du premier trimestre 2008),
recommençaient à replonger, avec des dangers de récession de
plus en plus évidents aux Etats-Unis.
La quadrature du cercle pour lutter contre La Chute est
vraiment d'actualité.

266
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272
SOMMAIRE

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE
TAUX DE PROFIT ET TAUX D'INTÈRÊT 25

Chapitre I Théories des taux de profit


et des taux d'intérêt, sans ou avec liaison 25

Il - Le classique Smith et Marx: liaison ou non


entre le taux de profit et le taux d'intérêt? 30
III -Théorie du taux d'intérêt de Smith,
taux de profit moyen moins prime de risque 30
112 - Marx un peu pour... mais surtout contre Smith,
par l'intervention des taux courts bancaires 32

12 - Théories néoclassiques et absence du taux de profit effectif:


le taux d'intérêt est la seule rentabilité 37
121 - Les néoclassiques et les deux approches du taux d'intérêt r
déterminé par le « marché des fonds prêtables » 37
122 - Les néoclassiques et leur « marché des fonds prêtables » :
fondamentalement le marché primaire (dit« du neuf») des obligations 40

13 - Keynes et le profit né de la valeur travail, mais sans évoquer


un taux de profit, Keynes et le taux d'intérêt variable monétaire 42
13 I - La face bien cachée du Keynes radical:
la valeur travail et le profit rente de rareté 42
132 - Le taux d'intérêt chez Keynes: il détermine l'investissement,
mais pas tout seul, un peu comme chez les néoclassiques 45
133 - Le taux d'intérêt chez Keynes:
une variable essentiellement monétaire 48

Chapitre II Taux de rentabilité ou de profit


au pluriel, dont le taux d'intérêt:
critique des théories financières 55

21 - Critique de la théorie néoclassique et de la Corporate finance 58


211 - Le taux de profit économique moyen que les néoclassiques
fondateurs ont tenté de cacher n'est pas maximisé selon les techniques
de choix des investissements; il en est de même pour les keynésiens 58
212 - Le taux de profit de la Corporate finance:
le« taux de rentabilité désiré» 63
22 - Contre lafable de lafonction LM et le modèle IS LM,
une tentative d'analyse de la liaison entre taux de profit
et taux d'intérêt par le modèle IS ER 67
221 - La fable de la fonction LM et donc du modèle IS LM 67
222 - De la reconstruction. Un modèle de transition statique:
IS ER (Investissement Epargne, Emploi Rentabilité) 72

273
23 - L'effet de levier de l'endettement et les trois rentabilités:
rentabilité économique, taux d'intérêt, rentabilité financière 79
231 - L'effet de levier de l'endettement: une simple identité comptable 79
232 - Les capitaux comme coûts et le CMPC 81
233 - Pour ou contre le théorème de Modigliani-Miller? 83
234 - De la schizophrénie du désir et de la réalité au retour à l'entité 87

DEUXIEME PARTIE
CYCLES MONETAIRES ET/OU REELS, BULLES BOURSIERES,
THEORIE DE LA « DOUBLE SPECULATION» 93

Chapitre III Ondes longues, tendances longues


et cycle des affaires: causes monétaires et/ou réelles? 93

31 - « Ondes longues il et « baisses tendancielles il


du taux de profit et du taux d'intérêt 96
-
311 Kondratieff et les ({ Long waves» :
explication monétaire ou explication par les innovations? 96
312 La ({ crise» tendancielle du capitalisme ou sa maturité,
-
par la baisse du taux de profit et du taux d'intérêt 100

32 - Théories du cycle monétaire: la prépondérance du taux d'intérêt 104


321 - La variété des théoriesmonétairesdu cycledes affaires 104
322 - Une interprétation des mystères de Knut Wicksell 105
323 - La théorie monétaire du cycle chez Fisher 107
324 - La théorie monétaire du cycle chez Hayek 109

33 - Théories réelles des cycles: la prépondérance du taux de profit 111


331 - Marx, taux de profit et suraccumulation III
332 - Keynes et la sous-demande (insuffisance de l'investissement
et sous-consommation) 115

Chapitre IV les marchés financiers et les bulles:


des mécanismes propres relativement détachés
des cycles réels 121

41 - La valeur fondamentale des actions existe-t-elle ? 122


411 - Une ({formule» simple 122
422 - Deux points de vue opposés et une synthèse? 124

42 - La théorie néoclassique des « marchés efficients il :


la valeur fondamentale des actions existe
mais la bourse est une « marche au hasard ii 128
421 - De la prévision possible
à la prévision impossible des cours de bourse des actions 128
422 - De la concurrence pure et parfaite sans conflits
aux contradictions entre les différents capitaux et les managers
dans la théorie financière ({moderne» 130
43 - La théorie du mimétisme et son développement:
la «finance autoréférentielle ii 133
-
43 I Le mimétisme selon Keynes 133

274
-
432 La reprise de la théorie du mimétisme
ou « finance auto référentielle » d'André Orléan 138
Chapitre V Le« principe d'incertitude généralisé» :
la « double spéculation» sur les marchés financiers,
perturbée par la po litique monétaire 143
51 - La détermination du taux d'intérêt à partir du taux de profit
par la double spéculation, : la « théorie pure », sans les « frottements
sociaux» des banques « machines sociales à déthésauriser » 144
511 - Dans quel sens faut-il prendre la relation entre le taux d'intérêt r
et la valeur de marché V des titres? r -> V (fonction décroissante)
ou V -> r (fonction croissante) ? 144
512 - Les indéterminations selon le « ratio q » de Tobin
et la création de valeur actionnariale 148
513 - Une tentative de formalisation de la double spéculation,
avec prime de risque désirée par les actionnaires constante 152

52 - La double spéculation est perturbée


par le crédit bancaire et la politique monétaire:
les« frottements sociaux» 157
521 - Marchés financiers et crédits bancaires:
les banques « machines sociales à déthésauriser » 158
522 - Politique monétaire, taux courts, taux longs et valeurs des actions 161
523 - Théories et pratiques des relations entre taux d'intérêt,
taux de profit et cours boursiers: première approche 164

TROISIEME PARTIE
LA CRISE FINANCIÈRE DE 2000-2008 :
CONSÈQUENCE DE LA CRISE RÉELLE DEPUIS 1999 173

Chapitre VI La crise bancaire des subprimes


et ses effets sur les LBO 175

61 - La crise financière des subprimes et la crise bancaire 176


611 - Le développement des crédits immobiliers « aux
pauvres », apparemment sans risque, par la « titrisation »... 176
612 - ... puis le retournement 178
613 - ... et la contagion 180
614 - La folie des banques, pas la folie des politiques monétaires 182
62 - La crise des LBO et de l'effet de levier 185
621 - Le LBO, ou REBEL: une technique « rebelle »,
développée surtout après la crise boursière de 2000-2003,
mais en grave crise depuis la crise bancaire de 2007-2008 185
622 - Les acteurs et les mécanismes économiques et financiers d'un LBO 189
623 - Les « surperformances » théoriques des LBO 191
624 - « Lafête est finie... » 195

275
Chapitre VII Les profits peuvent-ils aller mal
quand la bourse va bien? 197

71 - Profitabilités en stagnation puis en baisse, boom des dividendes 199


7 I I - De quelques précisions de vocabulaire et première approche 199
7 I 2 - Le partage de la valeur ajoutée et les taux de profitabilité :
analyse à long terme 206
7 I 3 - La discrète rupture des taux de profitabilité bruts et nets
depuis dix ans : les salariés sont-ils« responsables et coupables»
de la baisse des profitabilités depuis 1999 ? 209
714 - Le boom des dividendes et ses effets, pervers ou non 214
72 - La double inversion de la liaison entre les taux d'intérêt longs
nominaux r et les valeurs de marché des actions V 218
72 I -À long tenne r -> V : vérification empirique pour la France 218
722 - Par contre, depuis 1999 le phénomène s'inverse parfaitement...
en France comme aux Etats-Unis 219

Chapitre VIII Liaisons ou contradictions entre taux


de profit, taux d'intérêts longs et taux d'intérêt courts? 223

81 - En France, les taux d'intérêt longs semblent une conséquence des


taux de profit économiques, les deux en baisse tendancielle depuis plus de
vingt ans, et singulièrementdepuis 1998 224
8I 2 - La financiarisationdesSNF 224
8 I 3 - Les rentabilités économiques et financières nettes des capitaux:
baisse tendancielleou conjoncturelledu taux de profit économiquenet? 227
814 - Les corrélations entre, d'une part, la rentabilité économique
nette re et la rentabilité financière nettes rf et, d'autre part,
les taux d'intérêt longs r, dépendent étroitement de la période analysée,
d'abord de 1988 à2006 232
815 - L'absence de corrélations entre, d'un côté les rentabilités
économiques re et financières nettes rf et, de l'autre, les taux d'intérêt
longs r avant 1988, corrélations retrouvées ensuite: les perturbations
de la double spéculation par l'inflation et les politiques monétaires 236
82 - Taux longs, taux courts, taux directeurs
et taux du marché monétaire: la politique monétaire peut
à la rigueur tenter de soigner la crise, elle ne peut la prévenir 239
821 - Taux longs et taux courts d'intervention des Banques centrales 239
822 - L'efficacité des politiques monétaires persiste,
mais avec combien de limites et d'énigmes 241

CONCLUSION 245

BIBLIOGRAPHIE 267

SOMMAIRE 273

276
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