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I. LA PRISK DE CONSCIENCE
DU DRAMEESPAGNOL
Jusqu'aux élections législatives de juin 1936, les Espagnols ne partici-
pent pas à la vie politique nationale. Les abstentionnistes du premier tour
à Oran sont plus de 7 000 sur 35 000. Or leurs voix sont primordiales pour
départager les trois candidats, Gatuing (extrême-droite), abbé Lambert
(démocrate national) et Marius Dubois (socialiste)u.
Pour s'attacher les Espagnols, l'extrême-droite lance l'offensive contre
Lambert. L'Écho d'Oran décrit la « terreur en Espagne » 12. A la suite de
Calvo Sotelo, le journal refait « le bilan des crimes en Espagne » : les
incendies d'Églises, de maisons particulières, les grèves générales, les émeu-
tes, les fusillades, les blessés et les morts :
Électeurs oranais, dites-nous, si vous aspirez à cette sorte de tranquillité ? Est-ce
que les candidats du Front populaire oseront vous déclarer que tout va bien dans
la meilleure Espagne. Les promesses du Frente popular — c'est la terreur rouge 13.
Le parti socialiste est indigné par cette vilenie tendant à représenter les
vrais républicains comme des brutes sanguinaires, prêts à tout incendier,
à tout détruire.
Ces faux patriotes, écrit le Semeur, n'ont pas hésité à jeter le discrédit sur une
nation amie et pour servir leur mauvaise cause ils ont osé insulter gravement les
républicains espagnols, les seuls qui dans la péninsule ibérique ont de tous temps
témoigné une vive et agissante sympathie à l'égard de notre pays 1*.
L'appel aux passions modifie quelque peu les positions du premier tour.
Le Front populaire triomphe dans la personne de l'instituteur Dubois. Il
doit sa victoire au renversement des alliances de l'électorat israélite d'Oran
et à la détermination d'une partie de la population espagnole saluant dans
l'avènement du Front populaire une ère de bonheur social 15.
L'hymne espagnol salue le départ du nouveau député pour le Palais
Bourbon, et, depuis l'Espagne, la fédération socialiste d'Alicante applaudit
au triomphe des socialistes en Oranie 16. Elle confirme sa participation
aux fêtes d'Oran avec Vincente Martinez Sansano, président de la Fédé-
ration socialiste régionale et Angel Martinez, de Yayuntiamento d'Alicante.
Depuis 1934, en effet, les liens entre l'Espagne et l'Oranie se sont res-
serrés. Chaque année, les représentants de la ville d'Alicante assistent aux
journées commerciales d'Oran ; en retour les autorités d'Oran se rendent
aux magnifiques fêtes des Fogueras 17. En 1936 pour éviter tout heurt à
l'occasion des fêtes, le maire Lambert s'entretient avec Sportisse (C.G.T.)
et Zannettacci (P.C.) pour que les rencontres restent placées sur le plan
exclusif de l'amitié entre deux nations.
Début juin, la délégation d'Alicante arrive sur le Sidi Bel Abbès en rade
d'Oran. Hymne de Riego et Marseillaise accueillent la délégation présidée
par Carbonel, alcade d'Alicante. Le tourbillon des apéritifs et des vins
d'honneur commence. Le préfet et Mme Rousselot ouvrent le bal franco-
espagnol où brillent les « reines > de la ville amie. Banquet à Canastel,
fête taurine à Eckmuhl. La braderie se prolonge au milieu de l'exaltation
générale 18.
Au moment du départ, le comité oranais du Front populaire prie tous
les camarades de manifester leur sympathie aux amis du Front populaire
espagnol en les accompagnant au bateau. La manifestation a ses imprévus.
Sur les quais, l'Internationale et la Marseillaise s'affrontent en accents dis-
cordants. Des banderoles se déploient : « Les Soviets Partout ! », c Démis-
sion Lambert ! >, « Vivent les Rouges ! ». Le maire fait donner la police.
Première manifestation de désordre et « d'anarchie » post-électorale.
Ulcéré par les manifestations au départ des autorités d'Alicante, au
moment de la fête des sociétés de gymnastique et surtout à l'occasion des
14.Le Semeur,9 mai 1936.
15.Les rapportsde forcede l'électoratd'Orans'établissentainsi: 16000 Françaisd'origineespa-
gnole,7 000israélite,6 000métropolitaine.
Tousles quartiersvotenten majoritépour Duboissauf
Karguentah,fidèleà l'abbé Lambert(cf. Le Semeur,9 mai 1936).
16.Lettre de la Commission ExecutiveSocialisted'Alicante,Le Semeur,13 juin 1936.
17. Oran-Malin,17 avril 1936; discoursde Lambertà la sectiondes AmitiésLambertd'Eckmubl.
Le lecteurtrouveraun recensementdes journauxd'Oraniedans la RevueMaghreb,n* 9, 1970.
18.Echo d'Oran, 6 au 11 juin 1936.
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 479
Puis la stupeur initiale s'estompe au fil des jours 2*. Des lettres d'Alicante
et de Murcie disent la détermination du peuple espagnol de barrer la
route au fascisme 25, Paul Quilici, rédacteur à Marseille-Socialiste, donne la
primeur de son reportage au journal socialiste d'Oran. Il y exprime la
certitude que Franco sera vaincu 2*.
Mais, à la fin de 1936, il faut déchanter. La guerre d'Espagne sera dure
et longue. La Tribune des femmes socialistes mobilise le groupe sur le
thème « de l'aide à nos soeurs espagnoles ». Peu avant Noël, une réunion
d'information se tient salle Jaurès en présence de Gomariz de la Torre,
consul général d'Oran et de Miaja, fils du général défenseur de Madrid.
De jeunes miliciens sont de retour du combat. Léo Palacio, secrétaire des
Jeunesses socialistes, fait le récit des combats autour de Madrid. L'émotion
étreint Jeanne Coulon, secrétaire fédérale adjointe, qui exprime en public
ses doutes sur la politique de non-intervention de la France. Ces doutes se
renforceront au cours de 193727.
31
482 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE
Le Maroc fournit avec Oran les contingents les plus importants. Volon-
taires de Casablanca et républicains de la zone espagnole transitent par
Oujda et Oran. En sens inverse, les Espagnols nationalistes d'Algérie ga-
gnent le Maroc espagnol.
L'Espagne républicaine tente aussi de recruter des indigènes algériens
qui feraient pièce aux Marocains de l'armée de Franco. Les journaux font
état de ces isolés qui se retournent parfois contre le Front populaire. L'ex-
trême-droite les manipule, en réalité, à leur retour, pour dresser un tableau
des horreurs de la guerre « communiste ».
Engagé par le parti communiste qui m'a odieusement trompé, je suis parti clan-
destinement sur le Jaime II caché dans la cale, afin de me battre pour ce qui
étaient alors mes idées.
Le 3 janvier [1937] j'arrive à Alicante d'où je partis le même jour pour Albacete.
On m'a habillé et pendant sept jours, moi qui n'avais jamais subi d'instruction
militaire, l'on m'a fait faire quelques vagues exercices, et, là, on m'a envoyé à
Quatro Caminos, dans le secteur d'Arache. J'ai été incorporé dans la 2e Brigade
Internationale. Ma vie était intenable. Les Musulmans étaient seuls en première
ligne, commandés par une majorité d'officiers russes.
Quant à ma solde, on m'avait promis 10 pesetas par jour, je n'ai jamais rien reçu.
J'ai réussi à fuir cet enfer grâce à mes parents qui ont porté plainte. Et j'ai
dû déclarer que ma mère était gravement malade. Quand j'ai dit cela à Marty,
notre chef instructeur, il m'a injurié et m'a dit : « Tu n'es pas digne d'être un
révolutionnaire » 36.
naux espagnols a un triple but. Sur le plan local elle cherche à regrou-
per les immigrés espagnols dans le combat antimarxiste. Sur le plan algé-
rien elle espère renouer, sinon accroître, les relations avec l'Espagne Nou-
velle. Sur le plan national, elle vise à détruire la politique neutraliste du
Front populaire au profit d'une reconnaissance de Franco, des fascismes
méditerranéens et éventuellement de ceux d'Europe centrale.
Plusieurs courants plus ou moins autonomes fusionnent au sein de
l'extrême-droite oranaise : patriotique, royaliste, colonialiste, promussoli-
nien et surtout antisémite. L'antisémitisme est en effet une constante de la
vie politique oranaise. Il remonte aux âpres disputes autour des terres de
colonisation (vers 1870-1875), culmine lors de la crise de 1898 et se per-
pétue après la première guerre mondiale dans les « Unions Latines » des
maires Molle et Menudier à Oran (1921-1934) et du maire Bellat à Sidi-
Bel-Abbès (1929-1936). En 1934, la liste antisémite d'Union latine d'Oran
demande l'interdiction de toutes les carrières d'État aux Juifs.
Or la nouvelle municipalité d'Oran, née en 1934, d'une réconciliation
entre l'électorat de tendance catholique et antisémite, ne résiste pas à la
secousse de 1936. Le maire Lambert, opportuniste dévoré d'ambition ne
pardonne pas le lâchage des Israélites en faveur du Front populaire. Favo-
rable au fascisme italien, puis espagnol, il se rend en Espagne dans l'été
1937, rencontre des chefs militaires en Andalousie et est reçu par Franco
à Burgos. A son retour, il transforme ses comités électoraux, « les Amitiés
Lambert », en « Amitiés latines ». Convaincu de la victoire de Franco, il
s'efforce de souder le bloc franco-espagnol d'Oran au moyen de ce « parti-
mouvement », plus ouvert à la population espagnole immigrée que le P.S.F.
ou le P.P.F. Contre le Front populaire, il précise après les élections canto-
nales de 1937 le rôle des Amitiés Latines :
général rebelle, avant même que celui-ci ait définitivement triomphé du régime
légal de son pays.
Pour les 200 familles, la victoire de Franco est aussi leur victoire ; leur patrie
n'est pas la France, mais l'Internationale fasciste, leur adversaire possible n'est
pas l'étranger, mais la classe ouvrière de leur peuple 68.
CONCLUSION
Plus que la métropole, plus que le reste de l'Algérie, l'Oranie s'est sentie
concernée par la guerre d'Espagne. Celle-ci a creusé un fossé immense
entre les formations politiques, elle a renforcé l'extrême-gauche et fortifié
l'extrême-droite. Fascisme et antifascisme se livrent une guerre larvée dont
le véritable enjeu est le régime politique en Méditerranée occidentale.
Au moment de la victoire de Franco, les fascistes de souche espagnole
exultent. Une minorité d'entre eux, au nom des droits historiques, s'éveille
au vieux rêve impérial et aimerait voir l'annexion de l'Oranie à l'Espagne
franquiste. Une mise en garde sévère de l'évêché d'Oran met une sourdine
à pareille propagande 60.
Parmi les Français, la division des esprits est encore plus forte. Cest
la consécration des maires Lambert et Bellat dans le clan fasciste. En
revanche, les partisans du Front populaire ressentent une double défaite
après l'échec de l'expérience Blum et la chute de la République Espagnole.
Mais il n'y aura pas de trêve. L'extrême-droite française fournira des recrues
à la Légion anti-bolchevique et ses partisans P.P.F. demeurés sur place
obtiendront la plupart du temps leur amnistie en se faisant enrôler dans
l'armée de Libération. D'un autre côté, les anciens tenants du Front Popu-
laire formeront le tissu vivant de la Résistance qui prendra sa revanche au
moment de l'installation du Comité Français de Libération Nationale 61.
Francis KOERNEB,
Université de Clermont-Ferrand.