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Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1975/07-1975/09.

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LES RÉPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE
EN ORANIE (1936-1939)

Marqué par deux cent-soixante années de présence espagnole *, l'ancien


préside d'Oran redevient au xrx* siècle, par-delà la zone riffaine, le bastion
avancé de la civilisation hispanique en Afrique du Nord. La conquête
française réalise le rêve de Charles-Quint, ouvre l'arrière-pays et appelle
l'immigration espagnole chassée par la misère et les révolutions intestines 2.
Peu avant les lois de naturalisation, à la fin du xrx* siècle, l'Algérie compte
114 320 Espagnols s. En 1886, l'élément espagnol représente 53% de la
population européenne d'Oran. Cette proportion n'a pas changé en 1936
puisqu'on admet que 100 000 habitants sur les 200 000 que contient la
ville sont d'origine espagnole.
Socialement la colonisation espagnole a progressé dans le sillage de la
colonisation française vers une plus large stratification. Les descendants
des équipes (squadra) de défricheurs et de coupeurs d'alfa ont fait souche
et se sont installés et dans les villes et dans les campagnes *. D'anciens
ouvriers agricoles ont acquis d'importants domaines de 400 à 1000 ha
sur la route de la Senia à Aïn-Temouchent 5 ; d'autres ont créé à Perregaux
et Sidi-bel-Abbès des zones pionnières, riches de plantations d'orangers et
de citronniers, prolongement naturel des provinces du Levant. Sur la côte
Oran, Beni-Saf, Arzew ont attiré pêcheurs et dockers. A Oran même, les
conditions très précaires des familles espagnoles, résidant en ville basse
ou dans les faubourgs, font d'elles un trait d'union entre les populations
d'origine française et arabe.
Politiquement la tension franco-espagnole du xix* siècle s'est maintenue
jusqu'à la Première guerre mondiale, parfois jusqu'à la naissance de la
République espagnole en 1931 6. Mais les luttes confessionnelles ont es-
1 F. BRAUDEL, <Les Espagnolsen Afriquedu Nordde 1492à 1S77», in Revuealgérienne,1928.
2. J. PEREZ,L'Espagnedu XVI' siècle,Paris, 1973,et M. DEVEZE, L'Espagneet l'empireespagnol
sous PhilippeII, Paris, 1973.
3. La populationeuropéenneen Algérie(1873-1881). Etudestatistique,par le Dr R. Riooox,Alger,
1883et R. LESPES, Oran, Etudesde géographieet d'histoireurbaine,Paris, 1938.
4 Témoignages dans TAILLIART (Ch.), L'Algérieet la littératurefrançaise,Paris, 1928.
5. Le Livred'or de l'Oranie(sansdate), vraisemblablement 1926.
6 DECHAUD (E.), Le peuplementespagnolen Oranie,Bull,de la Soc.d'Archéo.et de Géo. d'Oran,
1908,p. 64.
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quissé, les intermariages aidant, un rapprochement entre Français et Espa-


gnols. La recherche d'une nouvelle identité se fait au nom d'une civilisation
commune, d'un héritage de traditions méditerranéennes, de la latinité 7.
Le signe de ce rapprochement à caractère antisémite, sont les « Unions
latines » de Sidi-Bel-Abbès, puis les « Amitiés latines » d'Oran.
Le jeu politique reste assez ouvert et l'intégration des Espagnols peut
se faire au niveau des familles spirituelles. Quelques Espagnols réussissent
leur admission dans la franc-maçonnerie 8, les plus nombreux se groupent
autour de l'Église catholique et de ses oeuvres de bienfaisance 9.
Par la force des choses, le département d'Oran est donc fortement sen-
sibilisé par le drame espagnol. Avant la contre-révolution, les Espagnols
sont divisés en républicains et nationaux. La guerre suscite des dévoue-
ments allant jusqu'au sacrifice suprême. Mais elle divise aussi les Français,
très proches des réalités espagnoles. Le Front Populaire veille à la sécu-
rité du port d'Oran et achemine des secours en hommes et matériel vers
l'Espagne. L'extrême-droite renseigne les Franquistes et mène une active
propagande pour la reconnaissance par la France du gouvernement natio-
naliste. L'acceptation enthousiaste du régime de Franco préfigure pour
l'Oranie l'adhésion souvent fervente à la Révolution Nationale du maréchal
Pétain ">.

I. LA PRISK DE CONSCIENCE
DU DRAMEESPAGNOL
Jusqu'aux élections législatives de juin 1936, les Espagnols ne partici-
pent pas à la vie politique nationale. Les abstentionnistes du premier tour
à Oran sont plus de 7 000 sur 35 000. Or leurs voix sont primordiales pour
départager les trois candidats, Gatuing (extrême-droite), abbé Lambert
(démocrate national) et Marius Dubois (socialiste)u.
Pour s'attacher les Espagnols, l'extrême-droite lance l'offensive contre
Lambert. L'Écho d'Oran décrit la « terreur en Espagne » 12. A la suite de
Calvo Sotelo, le journal refait « le bilan des crimes en Espagne » : les
incendies d'Églises, de maisons particulières, les grèves générales, les émeu-
tes, les fusillades, les blessés et les morts :
Électeurs oranais, dites-nous, si vous aspirez à cette sorte de tranquillité ? Est-ce
que les candidats du Front populaire oseront vous déclarer que tout va bien dans
la meilleure Espagne. Les promesses du Frente popular — c'est la terreur rouge 13.

7 P. CHAUNU, L'Espagnede CharlesQuint,t. 2, les statutsde puretéde sang, p. 469,permettent


de comprendrele rapprochement au xix* siècle.
8. Cahiersde l'ordre, La Franc-maçonnerie à Oran, N" spécial,mars 1931.
9. E. de BELEM a étudiédansun mémoirede maîtrisesoutenuà Toulouse,Les Espagnolsà Oran
1936-1940 ; mais il ne s'est appuyéque sur une partie des journaux: Le Semeuret le Petit
Oranais.L'Echo d'Oran fournit bien plus de renseignements et Oran-Républicain consacrera
à partir de 1937une feuillespéciale,en espagnol,à la guerrecivile.
10.On trouverale détailde l'évolutionde la guerreciviledans M. GAIXO, Histoirede l'Espagne
franquiste,Paris, 1969,et P. BROUÉ et E. TEMIME, La révolutionet la guerred'Espagne,Paris,
1961,ou L. URRUTIA et H. LAROSE, Introductionà l'Espagnecontemporaine, 1971.
II. F. KOERNER, L'extrême-droite en Oranie(1936-1940),Rev. d'Hist. mod. et cont., n" 4, 1973.
12.Echo d'Oran, 29 avril 1936.
13.lbid., 30 avril 1936.
478 BEVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Le parti socialiste est indigné par cette vilenie tendant à représenter les
vrais républicains comme des brutes sanguinaires, prêts à tout incendier,
à tout détruire.
Ces faux patriotes, écrit le Semeur, n'ont pas hésité à jeter le discrédit sur une
nation amie et pour servir leur mauvaise cause ils ont osé insulter gravement les
républicains espagnols, les seuls qui dans la péninsule ibérique ont de tous temps
témoigné une vive et agissante sympathie à l'égard de notre pays 1*.

L'appel aux passions modifie quelque peu les positions du premier tour.
Le Front populaire triomphe dans la personne de l'instituteur Dubois. Il
doit sa victoire au renversement des alliances de l'électorat israélite d'Oran
et à la détermination d'une partie de la population espagnole saluant dans
l'avènement du Front populaire une ère de bonheur social 15.
L'hymne espagnol salue le départ du nouveau député pour le Palais
Bourbon, et, depuis l'Espagne, la fédération socialiste d'Alicante applaudit
au triomphe des socialistes en Oranie 16. Elle confirme sa participation
aux fêtes d'Oran avec Vincente Martinez Sansano, président de la Fédé-
ration socialiste régionale et Angel Martinez, de Yayuntiamento d'Alicante.
Depuis 1934, en effet, les liens entre l'Espagne et l'Oranie se sont res-
serrés. Chaque année, les représentants de la ville d'Alicante assistent aux
journées commerciales d'Oran ; en retour les autorités d'Oran se rendent
aux magnifiques fêtes des Fogueras 17. En 1936 pour éviter tout heurt à
l'occasion des fêtes, le maire Lambert s'entretient avec Sportisse (C.G.T.)
et Zannettacci (P.C.) pour que les rencontres restent placées sur le plan
exclusif de l'amitié entre deux nations.
Début juin, la délégation d'Alicante arrive sur le Sidi Bel Abbès en rade
d'Oran. Hymne de Riego et Marseillaise accueillent la délégation présidée
par Carbonel, alcade d'Alicante. Le tourbillon des apéritifs et des vins
d'honneur commence. Le préfet et Mme Rousselot ouvrent le bal franco-
espagnol où brillent les « reines > de la ville amie. Banquet à Canastel,
fête taurine à Eckmuhl. La braderie se prolonge au milieu de l'exaltation
générale 18.
Au moment du départ, le comité oranais du Front populaire prie tous
les camarades de manifester leur sympathie aux amis du Front populaire
espagnol en les accompagnant au bateau. La manifestation a ses imprévus.
Sur les quais, l'Internationale et la Marseillaise s'affrontent en accents dis-
cordants. Des banderoles se déploient : « Les Soviets Partout ! », c Démis-
sion Lambert ! >, « Vivent les Rouges ! ». Le maire fait donner la police.
Première manifestation de désordre et « d'anarchie » post-électorale.
Ulcéré par les manifestations au départ des autorités d'Alicante, au
moment de la fête des sociétés de gymnastique et surtout à l'occasion des
14.Le Semeur,9 mai 1936.
15.Les rapportsde forcede l'électoratd'Orans'établissentainsi: 16000 Françaisd'origineespa-
gnole,7 000israélite,6 000métropolitaine.
Tousles quartiersvotenten majoritépour Duboissauf
Karguentah,fidèleà l'abbé Lambert(cf. Le Semeur,9 mai 1936).
16.Lettre de la Commission ExecutiveSocialisted'Alicante,Le Semeur,13 juin 1936.
17. Oran-Malin,17 avril 1936; discoursde Lambertà la sectiondes AmitiésLambertd'Eckmubl.
Le lecteurtrouveraun recensementdes journauxd'Oraniedans la RevueMaghreb,n* 9, 1970.
18.Echo d'Oran, 6 au 11 juin 1936.
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 479

premières occupations d'usines, Gabriel Lambert crée alors le « Rassem-


blement National d'Action Sociale », formation de combat contre le Front
populaire 19.
Ainsi, avant que n'éclate la contre-révolution espagnole du 18 juillet 1936,
l'extrême droite et le centre catholique mettent en place les thèmes politi-
ques de leur propagande. Peignant sous les couleurs les plus noires, l'évolu-
tion de la nation voisine, ils annoncent la guerre civile prochaine dans la
colonie et l'emprise du marxisme sur tout le bassin occidental de la Médi-
terranée.
L'idée de violence, de lutte fraticide, d'extermination n'est plus un thème
électoral. Elle correspond à une conviction profonde chez l'extrême-droite
jusqu'à la grande manifestation du 14 juillet où éclate la cohésion de la
société coloniale. Nous pensons que c'est durant ces quelques semaines
(juin-juillet) que naît la détermination de la colonisation de s'opposer à
toute libéralisation du régime politique en Algérie. L'extension du suffrage
politique aux Arabes ne pourrait que renforcer la vigueur de la gauche.
Or, les promesses de la gauche, selon elle, sont doublement dangereuses
en société coloniale *. Cela explique le glissement de tout le centre catho-
lique vers l'extrême-droite et des signes de plus en plus nets de réaction
sociale.
La ville de la Légion, par ex., se couvre d'inscriptions « Viva Espana
Nueva 1 », « Vive le Général Franco ! », « Vive le Roi ! », < A bas les Juifs ! ».
Sous les auspices de Bellat, Roquefère, Fagan, on y organise des quêtes
pour le recrutement de Marocains dans les environs de Melilla. Le vice-
consul républicain Maillol échappe de peu à un enlèvement 21. Depuis la
guerre d'Espagne, « L'Oranie est devenue le champ d'action des fascistes
espagnols qui se croient tout permis » &.
Or maintenant c'est au tour du Front populaire de craindre la guerre
civile et la prise de pouvoir par l'extrême-droite française. On sait que
Franco a déjà visité Sidi-Bel-Abbès. Il n'est bruit que de trafic d'armes.
Les ligues fascistes d'Oranie seraient bien capables d'imiter les généraux
factieux d'Espagne. D'où la motion socialiste :
Considérant l'activité illicite et dangereuse du Rassemblement dit National, et
en particulier des Unions Latines de Sidi-Bel-Abbès, organismes calqués sur des
ligues dissoutes ayant d'ailleurs comme à Mostaganem par ex., fait des démons-
trations en armes.
Estime qu'une lutte de tous les instants doit être menée contre le fascisme...
Demande en outre avec insistance au gouvernement du Front populaire afin
de parer au danger de sédition possible, d'envisager sans le moindre délai, la
collaboration des comités du Front populaire et de l'administration en vue de pré-
parer l'armement des masses populaires pour le jour du déclenchement éventuel
du Coup d'État fasciste 23.
19.Ibtd., 10 juillet 1936.Discoursde Lambertà Aïn-Temouchent.
20. Gatuing,durantsa campagneélectorale,a déjà utiliséces craintes: « Le front dit Populaire
mène à la Révolutionsanglante,le Front RépublicainNationalconduità la réconciliation
des
Françaiset à la Sécuritéde la Patrie(Echod'Oran, 19 avril 1936).
21. G. ESQUER, 8 novembre1942,Paris,avril1946,p. 40 et ss.
22.Le Semeur,du 22 août 1936.
23. Le Semeur,22 août 1936.Lesmêmesthèmessont développés par MarcelRégis,députéS.F.I.O.
Alger,à la Casa de Espana.
480 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Puis la stupeur initiale s'estompe au fil des jours 2*. Des lettres d'Alicante
et de Murcie disent la détermination du peuple espagnol de barrer la
route au fascisme 25, Paul Quilici, rédacteur à Marseille-Socialiste, donne la
primeur de son reportage au journal socialiste d'Oran. Il y exprime la
certitude que Franco sera vaincu 2*.
Mais, à la fin de 1936, il faut déchanter. La guerre d'Espagne sera dure
et longue. La Tribune des femmes socialistes mobilise le groupe sur le
thème « de l'aide à nos soeurs espagnoles ». Peu avant Noël, une réunion
d'information se tient salle Jaurès en présence de Gomariz de la Torre,
consul général d'Oran et de Miaja, fils du général défenseur de Madrid.
De jeunes miliciens sont de retour du combat. Léo Palacio, secrétaire des
Jeunesses socialistes, fait le récit des combats autour de Madrid. L'émotion
étreint Jeanne Coulon, secrétaire fédérale adjointe, qui exprime en public
ses doutes sur la politique de non-intervention de la France. Ces doutes se
renforceront au cours de 193727.

II. LE FRONTPOPULAIREET LA GUERRED'ESPAGNE


Le port d'Oran déploie durant toute la guerre d'Espagne une neutralité
très positive à l'égard de la République espagnole. Matériel, homme? et
dons sont acheminés vers la Catalogne et les provinces du Levant. Plus
qu'ailleurs aussi les formations de gauche, socialistes compris, sont sensi-
bles à l'impuissance de la politique française.
Durant le Front populaire et, aussi, au temps des accords de Nyons
et de Londres, Oran sert de port de transit aux armes, matériel et muni-
tions destinés à l'Espagne républicaine. Situé à 300 km d'Alicante et de
Carthagène, Oran permet aux bateaux de faire la traversée en une nuit.
Les cargos russes venant d'Odessa sont assurés par des Compagnies
anglaises. En cas de danger, une clause du contrat leur ordonne de rejoin-
dre « de préférence un port algérien et Oran en particulier > 28.
En cas d'insécurité, les transbordements ont lieu durant la nuit «air trois
ou quatre navires français. Les caisses d'armes et de munitions sont entre-
posées dans les soutes et recouvertes de charbon. Les départs sont échelon-
nés pour tromper les commissaires du comité de non-intervention.
Les Compagnies locales tirent profit de ce commerce de guerre. Une
tonne de matériel en direction de l'Espagne est payée 250 frs contre 50 frs
en temps normal. Le travail à quai est réalisé par des équipes spéciales
formées de dockers sûrs. Jusque vers la fin de 1937 rien ne transpire sur le
trafic. Après le Front populaire les dockers deviennent plus loquaces et ne
font aucune difficulté devant le reporter de VÊcho iïOran,
L'arrivée dans les ports espagnols est organisée avec beaucoup de minu-
tie comme le prouvent les acheminements de camions-citernes russes,
24. Les Oranaisavaientd'abord demandél'évacuationde tous leurs parentsde la région d'Ali-
cante. Le Sidi Bachirfut dépêchésur les lieuxpar la Compagniedes TransportsMaritimes.
25. Lettresd'EspagnolsdansLe Semeurdes 15août 1936et 3 octobre1936,en particulierPenalva.
commissairegénéraldes arméesde la Républiqueen Basse-Murcie.
26. Le Semeur,3 et 10octobre1936.Ce que j'ai vu en Espagne....
27. Le Semeur,19 décembre1936.
28. L'Echod'Oran, 13et 14août 1938.Enquêtesde F. Ellul.
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 481

arrivés le 28 juillet 1938 par le vapeur anglais StmhàU et réembarqués


sur trois cargos quelques jours plus tard.
Accostage en zone neutre, échange de conducteurs, le plein d'essence,
le survol par avion, tout est prévu jusqu'à l'arrivée à Barcelone.
Mais quelle a été l'ampleur du trafic ? Une notation partielle montre une
augmentation de 250% par rapport au temps de paix.
Nombre de bateaux
Juillet 1935 Arrivées d'Espagne 5 Départ vers l'Espagne 9
Juillet 1938 « « 19 < 17

On ne saurait conclure de là à une ampleur extraordinaire. A la fin de


1937, la propagande électorale veut que le port soit en plein marasme.
Peut-être ne s'agit-il que d'un effort momentané de la flotte russe.
En.tout cas ce trafic est jugé assez important pour que l'extrême-droite
le surveille de très près. En novembre 1937, une sixième perquisition a
lieu chez un chirurgien-dentiste d'Oran, Berge, un des chefs PSF, soup-
çonné d'intelligence avec l'armée de Franco *. Sa femme, arrêtée sur la
frontière algéro-marocaine est en possession de documents destinés aux
nationalistes de Melilla. Ils contiennent le détail du mouvement des ba-
teaux français, anglais, russes, espagnols et le croquis des silhouettes des
navires. Cette découverte au moment de l'affaire de la Cagoule ferait-elle
partie d'un plan de subversion plus général? Nous ne saurions le dire,
bien que les Archives Marocaines laissent entendre la peur d'un putsch
en 1937. En tout cas, l'intervention de l'aviation franquiste a dû y gagner
en efficacité 30. Elle ne saurait pourtant arrêter le passage des hommes.
Le recrutement des volontaires tant espagnols que français s'opère dès
le 22 juillet 1936 au Centra Cultural d'Oran. Le Front populaire n'y est
pas étranger ; ses membres se chargent de conduire les intéressés jusqu'au
bureau de recrutement. Les citoyens espagnols ne perçoivent pas d'indem-
nité, les Français recevraient 25 pesetas par jour. Trois bateaux sont en
partance à Oran et Arzew 31.
Le mouvement devient régulier à partir du mois de septembre 1936
grâce aux appels de fonds pour l'envoi d'hommes en Espagne 32 : des
départs isolés sur le Jaime 11, un contingent pour Alicante sur la Ciudad
di Ibiza, une centaine de volontaires français sur YEl Kantara en direction
de Port-Vendres s3.
L'activité du Centro Cultural est doublée, malgré ses difficultés finan-
cières, par celle du Consulat Espagnol. Parmi tous les volontaires se dégage
la personnalité du Commandant Pasquet. Né à Oran, il s'engage dans les
Brigades Internationales et devient l'agent de recrutement au Maroc fran-
çais et en Algérie3*.

29. 29. L'Echod'Oran, 19 novembre1937.


30. Ibid., 19mai 1937,cas d'attaquesaériennessur des cargoset un chalutierd'Ane*.
31.L'Echo d'Oran, 23 juillet 1936.
32.Ibid., 2 septembre1936.
33.Ibid., 4 septembre,S octobre,20 novembreet 18 décembre1936.
34.E. DEBBLEM, mémoirecité.

31
482 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Le Maroc fournit avec Oran les contingents les plus importants. Volon-
taires de Casablanca et républicains de la zone espagnole transitent par
Oujda et Oran. En sens inverse, les Espagnols nationalistes d'Algérie ga-
gnent le Maroc espagnol.
L'Espagne républicaine tente aussi de recruter des indigènes algériens
qui feraient pièce aux Marocains de l'armée de Franco. Les journaux font
état de ces isolés qui se retournent parfois contre le Front populaire. L'ex-
trême-droite les manipule, en réalité, à leur retour, pour dresser un tableau
des horreurs de la guerre « communiste ».

Engagé par le parti communiste qui m'a odieusement trompé, je suis parti clan-
destinement sur le Jaime II caché dans la cale, afin de me battre pour ce qui
étaient alors mes idées.
Le 3 janvier [1937] j'arrive à Alicante d'où je partis le même jour pour Albacete.
On m'a habillé et pendant sept jours, moi qui n'avais jamais subi d'instruction
militaire, l'on m'a fait faire quelques vagues exercices, et, là, on m'a envoyé à
Quatro Caminos, dans le secteur d'Arache. J'ai été incorporé dans la 2e Brigade
Internationale. Ma vie était intenable. Les Musulmans étaient seuls en première
ligne, commandés par une majorité d'officiers russes.
Quant à ma solde, on m'avait promis 10 pesetas par jour, je n'ai jamais rien reçu.
J'ai réussi à fuir cet enfer grâce à mes parents qui ont porté plainte. Et j'ai
dû déclarer que ma mère était gravement malade. Quand j'ai dit cela à Marty,
notre chef instructeur, il m'a injurié et m'a dit : « Tu n'es pas digne d'être un
révolutionnaire » 36.

On ne saurait démêler ici la part de vérité et de propagande. De même,


il est très difficile d'estimer le nombre de personnes enrôlées dans les années
républicaines. L'extrême-droite fait état de 6 000 engagement dès septem-
bre 1936. C'est une exagération évidente d'autant plus que engagement
ne signifie pas toujours départ**.
Le recrutement de volontaires est officiellement interdit en février 1937 37.
Les nouvelles se font dès lors plus discrètes. On ne relève plus que des
arrivées de cars du Maroc et les volontaires seraient conduits en barque
à la sortie du port.
Beni-Saf, port côtier à peuplement presque uniquement espagnol, est
à la pointe de la solidarité envers l'Espagne républicaine. Dès septembre
1936 il s'y forme une commission de solidarité qui lance un appel à des
fonds et des vaccins. L'argent est envoyé sur Paris 38.
Au fur et à mesure de l'extension des combats, la coordination de l'aide
se fait sentir. En mai 1937, naît le Comité algérien d'aide au peuple espa-
gnol. Il réunit le comité Francisco Ferrer, le Secours Populaire, le Comité
anti-fasciste espagnol et italien, le comité franco-espagnol, etc... 39. L'effort
le plus net est réalisé à Oran par les groupes Jules Guesde et Jean Jaurès

35.L'Echo d'Oran, 21 février1937.Une réunionF.S.F.à Tlemcen.


36.Le Petit Oranals,21 septembre1936.
37.L'Echo d'Oran, 19 février1937.
38.Le Semeur,5 septembre1936.PrésidentJean Tuso.
J9. PrésidentDalaillon; parmi les membresse trouvele nom d'AlbertCamusavecla mention
Maisonde Culture.(Le Semeur,22 mai 1937.)
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 483

(Marine et Hôtel de Ville). Les dons sont centralisés au bar Jeannot. A


plusieurs reprises le consul Gomariz remercie ses amis oranais *>.
Ces appels à la générosité maintiennent en éveil la population oranaise
sensible au sort des victimes de la guerre. Elle vole au secours des enfants
d'Espagne, des enfants de Bilbao 41. Le mouvement de solidarité culmine
lors de la « Journée Nationale de Secours à l'Espagne >, le 25 décembre
1938. Partout, jusque dans les bleds les plus reculés, à Aïn el Arba, à
Mecheria, à Bou Hanifia, des comités locaux sont mis sur pieda.
Mais la générosité seule ne saurait suffire ; aussi le parti dominant du
Front populaire est-il fortement secoué par l'évolution de la guerre d'Espa-
gne. Le drame des Asturies, la proposition d'action commune du Parti
communiste et les articles de l'Humanité ont un grand impact en Oranie.
La conférence du Parti Socialiste, à Bastrana, en décembre 1937, est hou-
leuse. La plupart des assistants sont favorables à l'ouverture des frontières
et les explications du député Dubois sur la vente des armes et le maintien
de la Grande-Bretagne dans l'axe démocratique paraissent bien spécieuses **.
La victoire républicaine de Teruel calme un moment les impatiences.
Au printemps de 1938, les socialistes d'Oran demandent la reprise des rela-
tions commerciales avec l'Espagne, la surveillance étroite de la frontière
menant en zone riffaine et l'interdiction absolue du recrutement en zone
française au Maroc **.
Cest que le parti socialiste est alors doublement menacé et dans son
recrutement et dans son unité. A la base, les Jeunesses Socialistes ne ces-
sent de demander l'unité d'action avec le parti communiste. Le danger
fasciste les renforce dans leur résolution* 5. Chez les aînés, l'exclusion de
la Fédération de la Seine — Marceau Pivert — crée des remous. La libre
discussion ne saurait constituer un cas d'indiscipline et au Congrès de
Royan trois mandats d'Oran vont à la gauche révolutionnaire 46.
Par ailleurs les communistes ne se formalisent plus pour lancer des atta-
ques contre les socialistes. Zannettacci stigmatise les faiblesses du Front
populaire *7 et à la fin de la guerre mondiale les Espagnols créeront leur
propre parti socialiste en Oranie.

III. LE COMBATFRANQUISTE DE L'EXTRÊME-DROITE EN ORANIE


L'extrême-droite d'Oranie naît au lendemain des élections législatives
de 1936 par défi au Front populaire. Elle se lance dans l'action clandes-
tine au profit de l'Espagne franquiste. Sa propagande aidée par les natio-
40.Les dons sont modesteset la gestiondes fondsest à l'occasionde querellesentresocialistes
et communistes à moinsque ce ne soit un prétexte.
41. Févrieret juillet 1937.L'Echod'Oran du 14 juin 1938signale,entre autres, l'arrivéede 82
orphelinssur le paquebotEl Mansouret reçuspar la C.G.T.
42. Bilansde collectes.Le Semeur,29 octobre1938.
43. Le Semeur,6 novembre1937.Articlede L'Humanitédu 25 octobre1937.Propositiond'action
44. Oran-Socialiste,26 mars 1938.
commune.
45. Ibid., 12 novembre1938.
46. Ibid., 18 juin 1938.Départ du parti socialistede Jacquiau,Krihiff,Zemor,Obadia,Ruftt
(cf. n* du 5 novembre1938).
47. Oran-Socialisle,31décembre1938: • Le Front Populaire.Sesfaiblesses
•. VoiraussiJ.P. Rioux,
Révolutionnaires du Front Populaire,Paris, 1973.
484 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

naux espagnols a un triple but. Sur le plan local elle cherche à regrou-
per les immigrés espagnols dans le combat antimarxiste. Sur le plan algé-
rien elle espère renouer, sinon accroître, les relations avec l'Espagne Nou-
velle. Sur le plan national, elle vise à détruire la politique neutraliste du
Front populaire au profit d'une reconnaissance de Franco, des fascismes
méditerranéens et éventuellement de ceux d'Europe centrale.
Plusieurs courants plus ou moins autonomes fusionnent au sein de
l'extrême-droite oranaise : patriotique, royaliste, colonialiste, promussoli-
nien et surtout antisémite. L'antisémitisme est en effet une constante de la
vie politique oranaise. Il remonte aux âpres disputes autour des terres de
colonisation (vers 1870-1875), culmine lors de la crise de 1898 et se per-
pétue après la première guerre mondiale dans les « Unions Latines » des
maires Molle et Menudier à Oran (1921-1934) et du maire Bellat à Sidi-
Bel-Abbès (1929-1936). En 1934, la liste antisémite d'Union latine d'Oran
demande l'interdiction de toutes les carrières d'État aux Juifs.
Or la nouvelle municipalité d'Oran, née en 1934, d'une réconciliation
entre l'électorat de tendance catholique et antisémite, ne résiste pas à la
secousse de 1936. Le maire Lambert, opportuniste dévoré d'ambition ne
pardonne pas le lâchage des Israélites en faveur du Front populaire. Favo-
rable au fascisme italien, puis espagnol, il se rend en Espagne dans l'été
1937, rencontre des chefs militaires en Andalousie et est reçu par Franco
à Burgos. A son retour, il transforme ses comités électoraux, « les Amitiés
Lambert », en « Amitiés latines ». Convaincu de la victoire de Franco, il
s'efforce de souder le bloc franco-espagnol d'Oran au moyen de ce « parti-
mouvement », plus ouvert à la population espagnole immigrée que le P.S.F.
ou le P.P.F. Contre le Front populaire, il précise après les élections canto-
nales de 1937 le rôle des Amitiés Latines :

Pourquoi les Amitiés Latines ?


Seuls les Latins français, d'origine métropolitaine, d'origine espagnole ou d'ori-
gine italienne (comme d'ailleurs les Musulmans (sic) peuvent s'entendre et se
comprendre, parce que seuls ils possèdent politiquement parlant une conscience
individuelle. En face de ces consciences individuelles se dresse un bloc racial
attaché uniquement aux principes de l'Internationale, faisant abstraction de toute
considération d'esprit critique, de jugement, de bon sens pour voter race et voter
international afin de pouvoir dominer demain en profitant de la division des
Latins *8.

Le Manifeste signé par les conseillers municipaux d'Oran est débattu


devant le public par Calderon, le Docteur Maraval et Lambert. Au prin-
temps le nouveau parti inaugure son siège central. Il comprend sept sec-
tions et 5 000 adhérents à Oran. Les Jeunesses latines sont dirigées par
Sauveur Lopez et Camille Botella. Les Amitiés Latines féminines assistent
à des matinées récréatives et des Musulmans font partie de sections « indi-
gènes » ou « de sections de Français d'origine musulmane » <•.

41. L'Echod'Oran, 14novembre1937.


49 Ibid., 3 avril 1939.Ces sectionssont dirigéespar Kadderet Benabou.Quant aux matinées
récréatives,il s'agit d'abord de projectionsde films privés sur la journée du 14 juillet
1936.
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 485

Sur le plan algérien, l'attaque est menée aux Délégations Financières


par Paul Bellat, président de l'Union Latine de Sidi-Bel-Abbès. Celui-ci
incite la colonisation à reprendre ses relations commerciales avec l'Espagne
franquiste. Faisant abstraction de l'ancienne concurrence sur le marché du
vin métropolitain, le délégué financier voit dans le marché espagnol un
débouché pour le blé, le tabac, et le minerai de fer. Inversement l'Espagne
fournirait à l'Algérie de la laine, des peaux brutes et des pyrites 51.
Mais les intérêts de la colonisation algérienne dépendent de la politique
française. Aussi l'extrême-droite combat-elle pour la reconnaissance des
régimes fascistes. Elle prône l'union des trois peuples latins, France-Italie-
Espagne. Elle loue Franco et voit en lui l'homme providentiel qui a « su
rétablir l'ordre et la discipline, le respect de la propriété privée et da. la
personne humaine au milieu du désordre et de l'avachissement des intel-
ligences >.
Au-delà des intérêts purement matériels, tous les élus nationaux deman-
dent, à l'instar du Manifeste des Intellectuels français (Claudel-Goyau,
Madelin) la reprise des relations avec l'Espagne franquiste.
Au moment où la victoire de Franco s'avère de plus en plus évidente, confor-
mément d'ailleurs à nos désirs, il serait utile que tous les intellectuels de l'Afrique
du Nord demandent à leur tour la reconnaissance du généralissime Franco pour
sauvegarder les intérêts français matériels et moraux et pour affirmer une fois de
plus les liens étroits de civilisation, d'amitié et de sang qui unissent ces deux
grands peuples latins 52.
La motion est signée ultérieurement par les hommes du barreau, des
médecins, des notaires, les maires du bled et le groupe du journal L'Oranie
populaire M. Cest un texte qui révèle l'esprit de classe, de caste coloniale
où manque la note prolétarienne, les ouvriers refusant de signer par
< crainte de représailles ».
Tous ces thèmes locaux, nationaux, internationaux sont rassemblés dans
l'interview de Franco à Burgos. C'est l'exposé le plus complet de la doc-
trine fasciste espagnole dans ses rapports avec les puissances occidentales.
Nous ne donnons que quelques extraits par suite de sa longueur :
Franco : Avec la France, nous unissent des liens que nous ne voulons pas rom-
pre et ce que Cervantes appelait « la force du sang » ne nous per-
mettrait pas d'oublier. Je désire sincèrement un rapprochement
avec le pays voisin. J'aspire à ce que notre amitié soit fraternelle
et j'oublie sans effort le grand et continuel préjudice que nous font
vos gouvernements actuels.

Demande : Comment concevez-vous l'Espagne de demain au point de vue social ?


Franco : L'Espagne sera un État national-syndicaliste avec les primordiales ar-
mes de Patrie, Hiérarchie, Fraternité : Tous égaux dans une Espa-
gne grande et libre ; le droit au travail pour tous ; l'aide au frère,
l'intangibilité de l'unité nationale, l'interprétation de l'idée chré-
51. L'Echod'Oran,28 novembre1937.Compte-rendu de la séancedes non-colonsd'Algérie.
52. Ibid., 12 décembre1937.Compte-rendu de la réunionau CasinoBastrana.
53. L'Echod'Oran. Listesd'adhérentsle 5 et 7 janvier 1938.Nous n'avons pu trouveraucun
exemplairedu journaldu P.P.F. à Oran.
486 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

tienne dans les relations sociales, suppression absolue de l'idée de


lutte dans les conventions du travail ; obéissance et respect des
décrets, des lois et des hommes qui représentent l'État... 54.
L'intervention directe de Franco dans la vie politique française ne man-
que pas de créer des dévouements, à la fois chez les Français et les Espa-
gnols : action au grand jour dans le cadre des Unions Latines de Sidi-Bel-
Abbès et de la Croix Rouge espagnole. Celle-ci alimente au moyen de collec-
tes de fonds et de kermesses les hôpitaux espagnols avec la participation des
phalangistes de Melilla. L'action clandestine semble plus importante encore.
Elle est patronnée par la Caméra oficial de Commercio, puis YAsoncncion
Hispano-Francesa de Assistencia Social appelé aussi El Socorro Blanco.
C'est YAssistencia Social qui sert de couverture à la délégation franquiste
dirigée par Baeza Dois, ancien président de la Chambre de Commerce 55.
A partir de la chute du Front populaire, la propagande d'extrême-droite
s'exerce sans retenue. L. Bellat exalte à Radio-Séville l'oeuvre réalisée par
Franco et son hôte, le général Queipo de Llano. Aux Amitiés Latines,
Raoul Follereau propose des voyages organisés depuis Paris en zone fran-
quiste et ouvre une collecte nationale pour la reconstruction des églises.
Les victoires franquistes de 1939 déchaînent l'enthousiasme, un enthou-
siasme d'autant plus indécent qu'Oran accueille chaque jour davantage les
malheureuses victimes du ressac révolutionnaire des provinces du Levant M.
Fête de l'amitié franco-espagnole à Tiaret ; banquet pour la prise de Barce-
lone à Sidi-Bel-Abbès 5T, liesse générale à la nouvelle de la démission du
président de la République Azana et de la reconnaissance du gouverne-
ment de Franco. Et tout cela aux sons de l'hymne des phalanges et aux
acclamations des amis de l'Oranie Queipo de Llano, Beigbeder, le marquis
de Valdicanes et du colonel Bermejo. Des télégrammes de félicitations
vont au général Franco depuis Mascara et Perregaux.
Pendant ce temps, les nouvelles autorités prennent possession de leurs
consulats. Marfyl, ancien maire de Melilla, s'installe à Sidi-Bel-Abbès, Casa
Ponce de Léon devient consul général à Alger et l'ancien agent de liaison
du général Pétain, F. Laminana occupe le poste d'Oran. La ville pavoise
aux couleurs sangre et oro. Dépôt de fleurs aux monuments aux morts, ré-
ception à l'Hôtel de ville5».
A tant de haine déguisée, correspond réditorial désabusé d'Oran-Répu-
blicain qui clôt ce premier chapitre d'affrontement entre les populations
algériennes :
Journée de victoire pour le fascisme, écrit Rougé. Les gouvernements démocrati-
ques de France et de Grande-Bretagne reconnaissent de jure le gouvernement du

54. Ibid., 13 décembre1937.Sur la réalisationde ce programmevoirJ. GEOKOEL, Le Franquisme.


Paris,1970,ou G. HEKMET,
Histoireet bilan,1939-1969, La Politiquedans l'Espagnefranquiste,
Paris. 1973.
55. E. DEBELEM, mémoirecité.
56. Nous n'insisteronspas sur ce chapitredu passagedes Républicains à Oran (La Pasionarla,
p. ex.) ou de leur internementdam les campsalgériens.L'arrivéedes bateauxde réfugiésest
bienrecenséepar E. de Belem,mémoirecité.
37. Oran-Matin.20 février1939.
58. Oran-Matin,V et 2 mars 1939.
REPERCUSSIONS DE LA GUERRE D'ESPAGNE EN ORANIE (1936-1939) 487

général rebelle, avant même que celui-ci ait définitivement triomphé du régime
légal de son pays.
Pour les 200 familles, la victoire de Franco est aussi leur victoire ; leur patrie
n'est pas la France, mais l'Internationale fasciste, leur adversaire possible n'est
pas l'étranger, mais la classe ouvrière de leur peuple 68.
CONCLUSION
Plus que la métropole, plus que le reste de l'Algérie, l'Oranie s'est sentie
concernée par la guerre d'Espagne. Celle-ci a creusé un fossé immense
entre les formations politiques, elle a renforcé l'extrême-gauche et fortifié
l'extrême-droite. Fascisme et antifascisme se livrent une guerre larvée dont
le véritable enjeu est le régime politique en Méditerranée occidentale.
Au moment de la victoire de Franco, les fascistes de souche espagnole
exultent. Une minorité d'entre eux, au nom des droits historiques, s'éveille
au vieux rêve impérial et aimerait voir l'annexion de l'Oranie à l'Espagne
franquiste. Une mise en garde sévère de l'évêché d'Oran met une sourdine
à pareille propagande 60.
Parmi les Français, la division des esprits est encore plus forte. Cest
la consécration des maires Lambert et Bellat dans le clan fasciste. En
revanche, les partisans du Front populaire ressentent une double défaite
après l'échec de l'expérience Blum et la chute de la République Espagnole.
Mais il n'y aura pas de trêve. L'extrême-droite française fournira des recrues
à la Légion anti-bolchevique et ses partisans P.P.F. demeurés sur place
obtiendront la plupart du temps leur amnistie en se faisant enrôler dans
l'armée de Libération. D'un autre côté, les anciens tenants du Front Popu-
laire formeront le tissu vivant de la Résistance qui prendra sa revanche au
moment de l'installation du Comité Français de Libération Nationale 61.

Francis KOERNEB,
Université de Clermont-Ferrand.

39. Oran-RipubUcain, 28 février1939.


60. Max GALLO, Histoirede l'Espagnefranquiste,op. cit., p. 110,et La Guerreen Méditerranée,
Paris, 1971,p. 711 — princip.télégrammede l'ambassadeuren Espagne,Stohrer.
1939-1945,
Lettre pastoralede Monseigneur L. Durand, dans la Semainereligieusedu diocèsed'Oran,
n* 47 du 23 novembre1940.
61.Sur la rivalité de Gaulle- Giraud et ses implicationsalgériennes,voir J.B. DUKOSELU et
A. KASPI,« Considération », in La Guerre
sur la politiqueet la stratégieen Méditerranée
en Médlterrannée,op. cit., p. 373.

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