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Société d'histoire moderne et contemporaine (France). Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954). 1973/10-1973/12.

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L'EXTRÊME DROITE EN ORANIE (1936-1940)

Connu pour son républicanisme ardent 1, à l'avant-garde du sursaut


national et anti-impérial de 1870 2, le département d'Oran change de visage
politique sous la III* République. Il se retranche peu à peu derrière un
conservatisme satisfait en même temps que se constitue la grande propriété
viticole (1880-1900). Obstruction à la politique libérale des gouverneurs
généraux 3 et affrontements autour de la mairie d'Oran sont les seuls
moments où l'intérêt politique dispute la place aux statistiques rassurantes
des productions et exportations de vin. Oran est le premier port de l'Algé-
rie en 1930.
La crise mondiale ne rompt pas cette harmonie malgré l'aggravation
des clivages politiques. Une partie du prolétariat espagnol rejoint la S.F.I.O.
et le parti communiste replié sur Sidi-bel-Abbès et les ports de Beni-Saf
et Oran. La communauté israélite se livre à une subtile politique de bas-
cule entre la droite libérale et la S.F.I.O. Les sections Croix de Feu assis-
tent à de très officielles inaugurations de monuments. Le 6 février 1934
n'a que peu de répercussion à Oran.
Les élections de mai 1934 renforcent encore cette impression. La trois-
sième force constituée autour de la « Liste d'action démocratique et de
progrès social » vient largement en tête. L'abbé Lambert est élu maire
d'Oran, à l'unanimité. Ses remerciements vont à la sagesse de ses conci-
toyens déchirés par treize années de luttes confessionnelles. Quant aux
musulmans, ils se tiennent sur une prudente réserve pour ne pas faire les
frais des discordes européennes.
Mais les thèmes futurs apparaissent en filigrane. La S.F.I.O. ne voit
sur sa droite que des formations réactionnaires « de fascisme municipal
plus ou moins larvé ». La « Liste antijuive d'union latine » s'inquiète de son
côté du « spectacle affligeant » de la France et propose d'interdire toutes
les carrières de l'État à des juifs. Pour l'instant, son président Ph. Navarro,
avocat, ne recueille que 10 % des voix 4.
Or 1936 est un coup de tonnerre dans le ciel colonial. De municipale la
politique accède au plan national avec le regroupement de toutes les ten-

1. R. VILLOT, La Vie politique à Oran de ta monarchie de Juillet aux débuts de la


111'République (1831-1S81),Oran, 1947.
2. Ch.-A. JULIEN,Histoire de l'Algérie contemporaine, La conquête et le début de
la colonisation (1827-1871),Paris, 1964.
3. Ch.-R. AGERON, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919),Paris, 1968,
ex. du gouverneur général Jonnart, t. II, p. 1208 sq.
4. L'Écho d'Oran, n° du 6 au 13 mai 1934 sur les élections municipales.
L'EXTRÊMEDROITE EX ORANIE (1936-19W) 569

dances d'extrême droite au nom de la prépondérance française. Les


nuances des partis d'extrême droite relèvent maintenant de variations sur
trois thèmes :
— en France, refonte totale des institutions de la République avec
l'affirmation du principe d'autorité ;
— en Algérie, refus de toute réforme profonde, malgré les apparences
démagogiques, au nom de la tutelle coloniale ;
— en Méditerranée, entente avec les fascismes pour une lutte sans fai-
blesse contre l'abcès communiste aboutissant dans la pratique à une vérita-
ble croisade anti-marxiste et anti-juive.
Tous ces thèmes se fondent peu à peu, sous l'effet de la guerre d'Espa-
gne, et en automne 1937 l'extrême droite oranaise (P.S.F., P.P.F. Amitiés
latines) présente un front uni antisémite contre les formations du Front
populaire. Ce front se maintiendra jusqu'au printemps 1938 où les impéra-
tifs de Défense nationale et l'échec du Front populaire orientent le chef
du P.S.F., le colonel de la Rocque, vers des positions plus souples.
Pourtant, l'atmosphère suscitée par la bataille politique « prédestine »
l'Oranie à une acceptation enthousiaste de la Révolution nationale 5.

I. — LA MONTÉEDE L'EXTRÊMEDROITE(JANVIER-MAI1936)

Les premiers signes de la fièvre électorale apparaissent au début de


1936. Groupements, fédérations et mouvements se réunissent à un rythme
inconnu jusqu'alors. Les passions mêlées d'ambitions fébriles percent au
jour. Dans une mise en garde sévère le délégué du Mouvement social
pour l'Algérie, le commandant Debay, avertit qu'aucune candidature ne
peut se réclamer des Croix de Feu et qu'aucune instruction d'ailleurs n'a
été donnée jusqu'à ce jour de la part du colonel de la Rocque 6.
Mostaganem est alors le sanctuaire de la mystique du chef. Le com-
mandant Pujol et le capitaine Cochelin reçoivent un appui actif du Dr Ben-
tami, porte-parole des Croix de Feu auprès des milieux musulmans. Début
février, une grande réunion s'y tient en présence des présidents des Volon-
taires nationaux. Les sections féminines du Mouvement social sont mises
en place. L'union sacrée se scelle au milieu des discours et des professions
de foi. Une seule devise : « Famille, Travail, Patrie ». Marseillaise et chant
des Croix de Feu répondent, par-delà la rue, à la manifestation parallèle
des Amis de l'U.R.S.S. 7.
5. Sur l'extrême droite en Algérie, on trouvera quelques Indications dans Ch.-A.
JULIEN,L'Afrique du Nord en marche, Paris, 1952, p. 136-138et M. KADDACHE, La Vie
politique à Alger de 1919à 1939,Alger, 1970.Il faut les compléter par des histoires sur
l'extrême droite en France : R. RÉMOND, La Droite en France, de 1915 à nos jours,
Paris, 1954et J. PLVMYÈNE et R. LASIEHRA, Les Fascismes français 1923-1963,Paris, 1963.
6. L'Écho d'Oran, 21 janvier 1936.
7. L'Écho d'Oran, 3 février 1936. La Rocque a été sous-lieutenant à Mostaganem
en 1909. Durant 27 ans il a vécu dans le bled sud-oranais et marocain. Il connaît le
dialecte algérien et ses partisans lui accordent une grande confiance dans l'appréciation
des problèmes algériens. Ses liens avec le capital algérien sont nets dans « l'affaire
Barthel » {cf. REY-GOLDZEIGUER, « Quelques témoignages pour une étude du parti
communiste algérien de 1934à 1937», p. 31-41, dans La Méditerranée de 1919 à 1939,
Colloque de Nice, 1969).
570 REVUE D'HISTOIRE MODERXEET COXTEMPORAIXE

A Oran, les Croix de Feu commémorent l'anniversaire du 6 février 1934.


Entouré de Soulier, président des Volontaires nationaux, et de Blazy, pré-
sident du Mouvement social français, le capitaine Richard dépose, dans
le calme, une gerbe au Monument aux morts 8.
Un appel ultérieur invite tous les républicains nationaux de l'Oranie
à se regrouper en vue de la campagne électorale. Ils auront à cceur
« d'édifier une république unie et réconciliée, souveraine, libérée des insuf-
fisants et des malpropres » 9.
Contrôlées par les notabilités les campagnes de l'Oranie semblent néan-
moins devoir procéder dans le calme au renouvellement législatif. Elles
mettent leur confiance en des hommes qui ont gravi le cours des honneurs
algériens : mairie, conseil général, délégations financières, Conseil supérieur.
Le combat, loin de se situer sur un plan idéologique, se borne à la défense
traditionnelle de la colonisation.
René Enjalbert, dans la 2' circonscription (Aïn-Temouchent, Tlemcen),
compte sur l'appui des élus. Adjoint au maire de Temouchent, délégué finan-
cier depuis quinze ans, sa profession de foi mentionne bien « une répu-
blique restaurée », mais parle avant tout le langage de la terre : défense du
blé, du vin, du crédit agricole, de la petite colonisation, mutualité et coopé-
ration. Croix de guerre et Légion d'Honneur sont une garantie pour les
Croix de Feu. Une vague étiquette de « concentration républicaine » l'op-
pose au candidat du Front populaire, A. Valleur, de l'Union socialiste,
maire de Tlemcen 10.
Paul Saurin compte sur la tradition familiale et ses lauriers récents
pour en imposer à son électorat. Candidat « d'Union nationale et répu-
blicaine » de la 3* circonscription (Mascara-Relizane-Mostaganem), il est
jeune député depuis 1934. Membre de la Commission de l'Algérie et des
Colonies, de la Commission aéronautique, de la Commission de la marine,
de la Commission internationale de la viticulture, il peut s'enorgueillir de
« deux ans d'aide et de protection » pour son fief n. Mais tant de titres ne
sauraient suffire à la nouvelle droite. Son ascension ne serait-elle pas liée
à son appartenance à la franc-maçonnerie ? Calomnie, légende, se récrie
Saurin qui voit se dresser contre lui un candidat national indépendant,
Marcel Bellier, directeur de La Nouvelle Oranie 12. Qu'à cela ne tienne :
que M. le député sortant s'engage sur le programme parlementaire, corpo-
ratif à l'italienne et souscrive aux six points suivants :
« 1. Dissolution de la franc-maçonnerie qui mène la France à la ruine et
interdiction" dans la rue des cortèges révolutionnaires avec drapeaux rouges
et chants obscènes à la Patrie et à la Religion ".

8. L'Écho d'Oran, 7 février 1936.


9. L'Écho d'Oran, 21 février 1936.
10. L'Écho d'Oran, 21 janvier 1936.
11. L'Écho d'Oran, 22 avril 1936. Il est instructif de lire la profession de foi de
Saurin en 1934 pour se rendre compte du nouveau climat créé par les Idées d'extrême
droite. Il n'y a plus les mentions de flls de déporté de 1848 et de descendant des
victimes du 2 décembre. Qu'est devenu « l'adversaire résolu des théorie subversives
d'une poignée d'exaltés » ? L'Écho d'Oran, 5 avril 1934.
12. Bibliothèque Nationale de Paris : Le fichier note la parution du Journal à
partir de 1933.
L'EXTRÊMEDROITE EX ORANIE (1936-19W) 571

2. Fin immédiate de l'admission temporaire de blés exotiques.


3. Établissement d'un programme de relèvement de l'agriculture.
4. Allégement des impôts et réduction des charges de l'Etat.
5. Abrogation immédiate du pacte franco-soviétique et des sanctions contre
l'Italie.
6. Surveillance stricte des industries et du commerce des armes et du matériel
de guerre » 13.
Par-delà les Croix de Feu, le Front paysan de l'Oranie pose à son
tour ses exigences. Hostile au Front populaire, il voit dans le programme
anticolonialiste de la gauche l'abandon des foyers en Algérie et le retour
des fermiers comme chômeurs en France 14. Trois points lui tiennent à
coeur : défense de la propriété individuelle, adaptation de l'enseignement et
protection de la production agricole1B.
Selon toute probabilité, les candidats Saurin et Enjalbert ont donné des
orages aux Croix de Feu. Dans une réunion extraordinaire, tenue à Blida,
La Rocque, sur la recommandation du capitaine Richard, les a désignés
comme les défenseurs de « la vraie France »le. En vertu de quoi le can-
didat Bellier retire sa candidature devant Saurin. L'Écho d'Oran chante
les mérites du jeune capitaine Enjalbert 17 et Le Petit Oranais révèle « l'as-
cension d'un fripouillard vers la fortune et la gloire », celle de son concur-
rent, Albert Valleur, le candidat des Loges 18.
A vrai dire, la campaqne électorale n'atteint de virulence que dans la
première circonscription Oran-Ville et Campagne. Face aux formations du
Front populaire la droite est divisée. La bourgeoisie traditionnelle soutient
le maire d'Oran, Gabriel Lambert, qui s'aopuie sur les sections des Amitiés
Lambert (organisations municipales) et le journal Oran Matin* 9.
L'extrême droite s'est choisi un leader en la personne de Marcel Gatuinq,
nrand mutilé de guerre, patronné pour les lecteurs modérés par L'Echo
d'Oran 2° et pour les électeurs à complexion chaude, par Le Petit Oranais.
Elle fait montre d'une rare combativité. Elle multiplie les réunions. Aidé
par M* Sarrochi, Gatuing paie de sa personne, à Oran. dans les quartiers
suburbains, dans le bled. Antiparlementaire, adepte du fascisme italien, très
emporté au début de sa campagne, il se heurte en ville à la contradiction
communiste, mais reçoit un accueil enthousiaste dans les villages de
colonisation.

13. L'Écho d'Oran, 11 avril 1936.


14. L'Écho d'Oran, 14 avril 1936.
15. L'Écho d'Oran, 19 avril 1936.
16. L'Écho d'Oran, 22 avril 1936. Article : « Un important meeting à Saint-Charles ».
Les déplacements de La Rocque se font à bord d'un avion piloté par Hermoz.
17. L'Écho d'Oran, 26 avril 1936,Enjalbert né à Ain-Kial, études & Oran, capitaine
à 26 ans.
18. Le Petit Oranais, 24 avril 1936.
19. Le conseil d'administration d'Oran Matin est formé de Cbarriand, Perret, Gay
et Boutrée.
20. L'Écho d'Oran, 19 avril 1936. M. Gatuing est né le 3 avril 1896 à Hostaganem
d'une famille d'origine pyrénéenne arrivée au début de la colonisation. Études en
Algérie. Service militaire sur le front français et le front d'Orient, Blessé à la face à
Douaumont. 1928 Conseil Général. 1932 Délégué financier.
5/2 REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

Mais cette campagne électorale fondée sur de solides rancunes mêle


assez rapidement thèmes nationaux et locaux. Son caractère sordide ne
l'élève pas au-dessus d'une campagne municipale élargiea. L'écueil pour
l'extrême droite est le maire Lambert confiant dans son électorat catho-
lique et israélite partiellement réconcilié depuis 1934 et qui se refuse à la
division de l'opinion en deux blocs hostiles, les républicains nationaux et
le Front populaire. Or l'extrême droite s'attend jusqu'au dernier moment à
un désistement ; ne l'ayant pas obtenu, elle salit le maire d'Oran qui
n'apparaît plus que comme un « escroc » de bas étage 22. Face à ces accu-
sations, G. Lambert résiste, prône une « république démocratique et
sociale », traite Gatuing de fauteur de troubles et de désordres et fait
donner ses amis :
« Vous êtes — ou tout au moins ceux qui vous patronnent — sont des
hommes d'extrême droite qui n'aspirent qu'à une seule chose : voir un jour
la France gouvernée par un dictateur, que ce dictateur s'appelle le duc de
Guise ou le comte de Paris.
Et l'on ne peut douter de cela, M. Gatuing, quand on voit les hommes du
Petit Ocanais ou les Volontaires nationaux qui vous accompagnent dans toutes
les réunions portant aux revers de la veste les insignes à fleur de lys ou à
croix gammée » 23.
Mais l'opinion centriste, sollicitée par des mots d'ordre tranchants, ébranlée
par la décision de l'évêché (suspension de l'abbé Lambert) ou soumise
aux consignes du Consistoire, est tentée par des choix extrêmes. L'électorat
catholique dans un réflexe nationaliste risque d'être sensible à la symbo-
lique des couleurs M et les Israélites aux promesses humanistes du chef de
la coalition du Front populaire, Léon Blum. Dans l'un ou dans l'autre
cas, la trêve raciale n'aura été que de courte durée en Oranie.
Effectivement, le soir du premier tour de scrutin, les trois candidats
de l'extrême droite arrivent en tête. Saurin est élu dans la 3* circonscrip-
tion. Enjalbert est assuré du triomphe sur A. Valleur. L'arithmétique
électorale, répartissant de façon presque égale les voix sur les trois candi-
dats, aboutit à une situation inextricable à Oran.
L'abbé Lambert est effondré devant le résultat. La communauté israélite
— les résultats du bureau de vote de l'Hôtel de Ville sont là pour le
prouver — l'a lâché en faveur du candidat socialiste Marius Dubois 25. Les
analyses de l'extrême droite se confirment donc, mais Lambert, en dépit
de ses déclarations, maintient sa candidature. Gatuing mise dès lors sur les

21. Oran Matin, 21 avril 1936. L'abbé Lambert accuse particulièrement les Fouque,
les Bourland, les Peyrat, les Manonnl de ne pas lui pardonner son succès aux élections
municipales et son alliance avec les Israélites. La liste oranaise républicaine de défense
des intérêts locaux était menée en 1934 par Bourland.
22. Les critiques les plus virulentes portent sur la politique de l'eau potable à
Oran et sur un emprunt dans une banque parisienne. On trouvera les photocopies
dans Le Petit OranaU.
23. Oran Matin, 24 avril 1936. Article signé par A. Calderon, président d'honneur
des Amitiés Lambert.
24. Slogan de L'Écho d'Oran répété dans plusieurs numéros : « Voter aujourd'hui
pour Gatuing, Enjalbert, Saurin, c'est assurer la victoire du drapeau tricolore sur
le drapeau rouge ».
2:>.Oran Matin, 28 avril 1936. Les rapports entre Lambert et l'évêché apparaissent
dans La Semaine religieuse d'Oran des 11 janvier et 18 avril 1936.
374 REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

absentionnistes, les néos, les Espagnols. Les horreurs de la guerre d'Espa-


gne ne sauraient les porter vers des positions tièdes 26. Il essaie aussi de
mordre sur l'électorat catholique de Lambert « qui donne l'exemple scan-
daleux de l'intérêt strictement et bassement personnel ». Enfin auprès des
milieux modestes, l'extrême droite recourt à l'arme raciste qui a toujours
si merveilleusement réussi à Oran :
« La France aux Français
Ouvriers latins, tous debout !
Ouvrier latin ! Vas-tu accepter de subir la domination juive ?
Lambert, hier, à Bastrana a fait appel aux Juifs pour obtenir dimanche la
majorité.
Lambert depuis son arrivée à l'Hôtel de Ville a mis les services municipaux
entre les mains des Juifs.
Lambert les a nommés surveillants et chefs de chantier, tandis qu'il t'a laissé
les travaux pénibles.
Dubois est l'homme des Juifs.
Le socialisme dirigé par le juif Léon Blum est devenu le refuge des socialistes
révolutionnaires.
Ouvrier latin,
Avec Lambert et avec Dubois, les Juifs seront tes maîtres.
Ouvrier latin,
Tous unis contre les Juifs.
Tous unis contre Lambert et Dubois
au cri de la France aux Français
Votez pour Gatuing ». (L'Écho d'Ocan, 30 avril)

Le résultat prévisible sort des urnes le 3 mai. Enjalbert est vainqueur


dans la 2e circonscription. Le candidat S.F.I.O. l'emporte à Oran (Dubois
11 586 ; Gatuing 9 440 ; Lambert 8 440).

II. — LE RASSEMBLEMENT
NATIONALD'ACTIONSOCIALE(JUIN-SEPTEMBRE1936)

L'éclipsé du maire Lambert n'est que de courte durée. Dès juin, à la


faveur de l'explosion sociale, il lance le Rassemblement national d'action
sociale (R.N.A.S.) qui fait du 14 juillet une journée de réconciliation des
diverses tendances de l'extrême droite. Cette nouvelle formation prenant
appui sur les élus nationaux s'engage à enrayer l'avance communiste en
milieu musulman. En liaison avec les Unions latines, elle sert d'abri aux
ligues dissoutes jusqu'à la création du P.S.F. et du P.P.F.
« Appel aux nationaux démocrates !
Le 14 juin, le Front populaire défilera. Il défilera pour exalter sa victoire
aux élections législatives. Il défilera en France. Il défilera à Oran...
A la manifestation du 14 juin, nous opposerons notre manifestation du 14 juillet.
Le 14 juillet, nous défilerons dans Oran et nous prouverons que le nombre
des nationaux qui suivent le drapeau tricolore écrase le nombre des égarés
qui suivent le drapeau rouge.

26. L'Écho d'Oran, 29 avril et 30 avril. Titres : « Terreur en Espagne » et « Bilan des
crimes en Espagne ».
L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-WiO) 575

Ce jour-là, les nationaux républicains oublieront leurs querelles pour com-


munier uniquement dans l'amour de la Patrie française et de l'ordre. »
Abbé Gabriel Lambert, maire d'Oran 27.
Vingt mille personnes défilent le 14 juin 1936 et manifestent leur con-
fiance au gouvernement du Front populaire. Sur l'itinéraire boulevard
Molle-Place d'Armes-Rue d'Arzew-Place de Victoires se succède l'impo-
sant cortège : les pionniers communistes, la Ligue internationale contre l'anti-
sémitisme et le racisme, les Jeunesses socialistes, les Faucons rouges, le
Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, la Ligue des
combattants pour la paix, les syndicats, les intellectuels antifascistes... 28 Des
défilés identiques ont lieu à Tlemcen, Mostaganem, Mascara. A Sidi-bel-
Abbès, une contre-manifestation aux cris de « Vive l'Armée », « Vive la
France », se solde par une trentaine de blessés.
Puis surviennent les grèves qui paralysent Oran. De jour en jour la
liste des établissements touchés par le mouvement s'allonge : les autocars
Ruffié, les ateliers Renault et Citroën, les magasins de curiosités Darmon,
la Cie de Dragage ; les minotiers, les 2 000 dockers. Les premières occupa-
tions de bureaux ont lieu à la Compagnie de Compteurs Lebon. La peur
sociale, plus que les élections législatives, soude l'extrême droite.
« Appel aux Oranais contre le fascisme rouge.
Oranais, le fascisme est dans notre ville.
Le fascisme gagne de jour en jour... c'est la mort à brève échéance de toutes
les libertés républicaines.
Finie la liberté de travail, finie la liberté de réunion, de circulation, finie la
liberté du propriétaire de disposer de sa propriété. Les rouges sont là. Ils sont
les maîtres. Ils commandent. La rue est à eux : liberté du geste, liberté des
cris. Les industries sont à eux. Ils s'installent partout. De gré ou de force.
Il faut céder devant eux.
Oranais, Oranaises courageux ! l'heure est venue de l'organisation défensive...
J'entends défendre l'Algérie contre ceux qui préparent la noyade de tous
les Français, leur expulsion !
A l'organisation rouge s'oppose l'organisation tricolore.
Faites-vous inscrire au Rassemblement national d'action sociale... »
Abbé G. Lambert 29.
Les journées du 26, 28 et 30 juin sont de véritables journées d'émeute.
Des groupes d'individus investissent la ville, on tire sur les automobiles,
des bagarres éclatent autour du quartier israélite. Il y a un tué. L'extrême
droite accuse les rouges, le Front populaire, les services du nettoiement
de la ville armés par le maire 30. Devant cette agitation les adhésions
affluent passage Clauzel, siège du R.N.A.S. Parmi les premiers inscrits,
l'armateur Ambrosino, la commune de Misserghin, l'avocat M" Gerbaud
et les chefs des groupements nationaux dissous. Le comité directeur du
R.N.A.S. se constitue autour de son président Lambert, vice-présidents

27. L'Écho d'Oran, 11 Juin 1936.


28. Le Semeur, organe hebdomadaire de la Fédération S.F.I.O. de l'Oranle et des
organisations syndicales, 20 juin 1936.
29. L'Écho d'Oran, 26 juin 1936.
30. Intervention du sénateur Roux-Freisslneng devant le Sénat, le 29 février 1937
et articles du journal Le Semeur, 26 et 30 juin 1936.
576' REVVE irillSTOlHE MODEHXEET COSTEMPOHAIXE

Gatuing, Gerbaud, Dr Anduze, secrétaire Virazels et trésorier Kruger. Une


réunion des maires nationaux est convoquée à l'Hôtel de Ville d'Oran
pour le 31 juin 31. Parallèlement, un banquet des Unions latines se tient
à Sidi-bel-Abbès. Les conférences de Raoul Follereau, de retour du pèleri-
nage traditionnel au tombeau du Père de Foucauld, sont l'occasion de
bruyantes réconciliations, de tirades antisémites mêlées, selon certains
témoignages, aux hymnes allemands et italiens 32. Pareilles prises de posi-
tions, vite colportées et amplifiées, redonnent confiance aux représentants
de la colonisation. Dans une motion commune les maires d'Oranie :
« — demandent au gouvernement de faire respecter la liberté de travail,
l'ordre dans les rues, le droit de propriété et des libertés publiques en général ;
— ne sauraient tolérer que le drapeau tricolore ou la cocarde tricolore ou
le chant de la Marseillaise puissent être considérés comme une provocation
et réclament des punitions exemplaires contre quiconque insultera le drapeau
bleu blanc rouge ;
— s'élèvent avec indignation et réprouvent de toute leur âme de Français
les insultes exprimées dans la rue à des officiers ou militaires de l'armée
française en uniforme... ;
—• ne sauraient tolérer que l'expression de leur sentiment national soit
considérée comme attitude factieuse ou comme adhésion au fascisme.
Vive le drapeau tricolore !
Vive la République !
Vive la France ! 33 ».
Puis c'est la croisade à l'intérieur des terres, avec des conférences à
Misserghin (lre réunion), à Mostaganem, à Bou-Tlélis.
Pareille agitation inquiète le gouvernement qui destitue le maire d'Oran
de ses pouvoirs de police et, sur place, les socialistes ne seraient pas
fâchés d'un renouvellement complet du conseil municipal.
« Télégramme, Salengro, ministre de l'Intérieur, Paris
Signalons maire fasciste Oran organise avec éléments associations dissoutes
véritable ligue factieuse se livrant provocations continuelles aux cris " Vive
Hitler, à bas les Juifs ". Incidents graves déjà arrivés, d'autres plus graves
en perspective ... Autorités passives. Demandons enquête sérieuse. Dissolution
ligues en formation. Sanctions sévères.
Section socialiste 34 ».
Or, loin de s'apaiser, le ton monte car l'extrême droite veut faire du
14 juillet la journée démonstrative de sa supériorité sur le Front populaire.
Elle y réussit. En face du cortège du Front populaire (12 000 à 20 000 per-
sonnes suivant les estimations) se dresse le défilé du rassemblement national
groupant 50 à 60 000 personnes. Oranais de la ville, des faubourgs,
Musulmans, Délégations des campagnes et le Comité du rassemblement
national entouré de 400 élus.
« Eclatante revanche du 14 juillet. Digne réaction contre la lamentable mani-
festation du Front populaire dans laquelle le drapeau tricolore était écrasé

31. L'Écho d'Oran, 30 juin 1!)36.


32. L'Écho d'Oran, 11 Juillet 1936et Le Petit Oranais, 17 Juillet. On relèvera parti-
culièrement dans ce dernier Journal la réconciliation de P. Peyrat avec Lambert.
33. L'Écho d'Oran, 2 Juillet 1936. Motions des maires d'Oranie.
34. Le Semeur, 4 juillet 1936.
L'EXTRÊMEDROITE E\ ORAME (1936-19*0) 577

par des loques rouges... On sait maintenant que dans notre département le
drapeau des trois couleurs est toujours le drapeau de la France » 35.
Le maire d'Oran chante à son tour sa revanche sur les élections légis-
latives en l'accompagnant des mots d'ordre de l'extrême droite 36. Les
adhésions débordent maintenant le cadre des villages suburbains jusqu'à
Turenne, Zemmorah, Sainte-Barbe-du-Tlélat. Legrand et Oued Imbert
créent des comités R.N.A.S. A la fin du mois de juillet, Lambert annonce
que 95 % à 97 % des municipalités se sont regroupées au sein du mou-
vement 37. Les radicaux seraient ébranlés et disposés, en maints endroits,
à rejoindre la nouvelle formation.
Les diverses réunions, à Mascara, à Relizane, à Tiaret permettent de
préciser l'orientation du Rassemblement. Formation de lutte anti-marxiste
dirigée contre le Front populaire, le R.N.A.S. se définit avant tout négati-
vement. Il n'a pas de positions doctrinales précises. Fait d'amalgame
d'hommes si divers, qui se sont combattus hier encore, il entend se démar-
quer du fascisme de tendance hitlérienne, tout en laissant une large liberté
philosophique à ses membres. Au contact des élus de l'Oranie, il place
par-dessus tout le souci de la prépondérance française :
« Le Rassemblement est le groupement de toutes les forces d'ordre unies
contre le F.P. pour assurer et consolider la prépondérance de la France en
Algérie.
Le Rassemblement n'élimine aucun élément national et n'est dirigé contre
aucune race ni aucune religion.
Il place par-dessus tout l'amour de la Patrie symbolisée par les trois couleurs.
Si, comme geste de ralliement, le R.N.A.S. a choisi la moin ouverte, ce n'est
pas par sympathie pour Hitler qu'il entend combattre pour assurer l'indépen-
dance du pays, mais pour répondre par une main largement tendue au geste
de haine du poing »3S.
Le mouvement R.N.A.S. atteint son apogée lors de la réunion au stade
municipal d'Alger. Régis, Fossati, Devaud et Lambert sont les vedettes du
jour 39. Cette manifestation, par son organisation, ses thèmes, ses outrances
verbales prépare en quelque sorte la venue des partis d'extrême droite de
France, le Parti social français et le Parti populaire français. L'abbé Lam-
bert grâce au R.N.A.S. a atteint un de ses objectifs, la reconquête d'Oran
et sa percée dans le département.
Mais, à y regarder de plus près, le R.N.A.S. est aussi une réplique à
la Fédération des élus musulmans qui se sont réunis, le 7 juin 1936 à
Alger pour élaborer la charte revendicative 40. Nul doute qu'à travers
« l'abcès communiste » le R.N.A.S. n'entende combattre la propagation des
« idées subversives » dans les milieux musulmans.

35. Le Petit Oranais, 15 juillet 1936.


36. Oran-Matln, 16 juillet 1936.
37. Oran-Matin, 30 Juillet 1936.
38. Oran-Matin, 26 juillet 1936. On conviendra que le choix de ce salut est plus
que curieux. Il sera assimilé par toutes les formations de gauche au salut hitlérien.
39. Oran-Matln, 9 et 10 août 1936.
40. M. KADDACHE, op. cit., p. 299.
38
573 REVUE D'HISTOIREMODERNEET COSTEMPORAIXE

« Oui, on est en train de tuer l'Algérie française, s'écrie Lambert.


On essaie d'embrigader les" fils de l'Islam qui n'ont qu'un seul drapeau...
On va jusqu'à leur dire : Jetons les Français à la mer et nous resterons
les maîtres de ce pays ".
Alors, fils de France, fils de l'Espagne héroïque, alors Musulmans qui aimez
la France, comprenez-vous pourquoi des hommes qui peuvent diverger d'opi-
nions se sont groupés pour ne penser qu'au devoir qu'ils ont à remplir ? »
(Applaudissements frénétiques.)
Le Dr Bentami sous une autre forme demande instamment à ses conci-
toyens d'éviter la tentation d'une alliance Fédération des élus-Front
populaire :
« Je suis, moi, pour le drapeau tricolore parce que des milliers et des milliers
de mes frères musulmans sont morts pour le défendre.
Je suis pour le drapeau tricolore parce que c'est lui qui nous a apporté la
liberté et parce que ce drapeau c'est pour nous, musulmans, la possibilité
de faire aboutir nos revendications dans le calme » 41.
Le Front populaire est, en effet, la dernière chance offerte à la France
pour régler le problème algérien dans une relative sérénité, mais tous les
efforts de l'extrême droite tendront à le saboter à la base. La contradic-
tion est perçue par tous les hommes clairvoyants dès l'été 36 :
« Vous savez ce que je dis, moi, maire socialiste de Beni-Saf, en mon nom
et au nom du parti qui connaît les misères de ceux que vous exploitez en
payant 4, 6 ou 8 francs par jour, vous n'êtes pas des nationaux, comme vous
le prétendez, vous êtes des féodaux comme vos ancêtres qui ont combattu la
Révolution de 1789» 42.

III. — LE P.S.F. ET LE P.P.F. EN ORANIE. LA BATAILLEAUTOURDU PROJET


VlOLLETTE (SEPTEMBRE1936-JUILLET 1937)

La création des deux partis d'extrême droite, P.S.F. et P.P.F., corres-


pond au besoin de la colonisation de porter le débat algérien devant l'As-
semblée nationale. Fortement appuyés par le R.N.A.S. ils mobilisent les
opinions algérienne et métropolitaine autour du projet Blum-Viollette. Sur
le plan local, le P.P.F. entre aussi en conflit avec la C.G.T., ce qui lui
vaut l'adhésion massive du patronat de combat rural et urbain.
La naissance du P.S.F. en Oranie est liée à un contretemps qui expli-
que, en partie, la lenteur de sa formation. Le groupe P.S.F. se réunit le
24 septembre 1936 sous la direction de Vallin, délégué à la propagande
au Grand Café d'Oran. Il est assisté de tous les ténors Croix de Feu du
département : le commandant Debay, le capitaine Richard, Gatuing, Bon-
homme, Ruiz. On acclame Berge et Leforestier « injustement incarcérés »
pour trafic d'armes. Tous les lieux communs de défense contre « l'idéologie
asiatique » sont ressassés devant quelque 2 000 auditeurs. Les inscriptions
et adhésions au P.S.F. sont reçues au siège, 44, rue Alsace-Lorraine et le
démarrage du parti ne saurait faire de doute 43.
41. Oran-Matln, 18 juillet 1936. Lambert, Gatuing et Bentami à Mascara. « Magni-
fique » réunion présidée par A. Catroux.
42. Le Semeur, 11 juillet 1936.
43. Oran-Matln, 25 et 29 sept. 1936.
580 REVUE D'HISTOIREMODER\E ET COXTEMPORAIXE

Or les jours suivants on apprend successivement l'interdiction du P.S.F.


au Maroc, les suites judiciaires de l'affaire du Parc des Princes et les per-
quisitions au siège du P.S.F. à Alger 44. Comment s'étonner dès lors que
le nouveau parti ne fasse que figure de groupuscule lié et étroitement
subordonné au R.N.A.S. ? 45
Bien plus spectaculaire est la percée du P.P.F. dont le programme est
exposé, le 25 novembre 1936, au Champ de Mars à Alger, par Doriot lui-
même 46. Sa tournée en Oranie (Tiaret, Mostaganem, Sidi-bel-Abbès) est un
vrai triomphe. Entouré d'Arrighi, responsable du parti en Algérie, Fossati,
secrétaire fédéral d'Alger, et du fils du général Maudhuy, Doriot se livre
à un procès en règle du communisme. Il met en garde les Musulmans contre
toute tentation de suivre le P.C. « qui leur fait miroiter la possibilité de
faire aboutir un nationalisme algérien » 47. Devant 15 000 personnes à
Oran, il expose une fois de plus les objectifs du P.P.F. avec cette adjura-
tion, en guise de conclusion à l'intention des Musulmans :
« Frères Musulmans, n'allez pas vous jeter dans les bras de Staline pas
plus que dans ceux de Hitler et Mussolini ! Votre attachement à la France
a été scellé de 1914 à 1918 dans les tranchées près de nous» 48.
Le style direct du tribun promettant d'organiser « l'empire des 104 mil-
lions de Français » plaît aux Oranais. La première réunion P.P.F. a lieu
à la Brasserie Guillaume Tell sous la direction de Queyrat, Virazels,
Vidal. Aïn-Temouchent, Arzew, Saint-Denis-du-Sig, Rio-Salado sont prêts
à organiser des sections. La propagande P.P.F. doit commencer sur le
champ dans les faubourgs ouvriers et dans les campagnes par les « soldats
actifs » du parti 49.
Moins de deux semaines plus tard, Marion à Bône et Henri Barbe, en
Oranie, reprennent la campagne de Doriot. Anciens communistes, ils met-
tent en place les sections P.P.F., créent des sections d'entreprise afin de
« purger la France de tout germe communiste ». En vue des combats poli-
tiques futurs, ils font des ouvertures aux Musulmans et reçoivent à Oran
le concours du premier adjoint musulman, Zine ben Tabet. La conférence
inaugurale au Casino Bastrana est suivie d'une prise de contact avec le
département, à Tlemcen, à Saïda, à Sidi-bel-Abbès et à Mascara 50.
Et dans la foulée, avec une hâte incroyable, le P.P.F. réunit son Con-
grès à Alger. 124 délégués représentant 6 000 adhérents se groupent le
2 janvier 1937 autour de Marion, délégué à la Propagande et Barbe,

44. Oran-Matin, 27 sept., 11 et 16 oct. 1936.


45. L'Écho d'Oran, 6 nov. Article 2» réunion du P.S.F.
46. Oran-Matin, 26 nov. 1936.
47. Oran-Matin, 28 nov. et 29 nov. 1936.
48. Oran-Matin, 30 nov. 1936. Cette position purement nationaliste au début du
P.P.F. est établie par les recherches de D. WOLF,Doriot, du communisme à la col-
laboration, Fayard, 1970.
49. Oran-Matin, 6 déc. 1936.
50. Oran-Matin, 23 au 30 déc. 1936. Le Parti compterait alors 5 000 adhérents en
Oranie, soit l'immense majorité du P.P.F. d'Algérie.
L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19M) 581

secrétaire général du Parti. Il était temps. Le parti P.P.F., véritable machine


de guerre contre le projet Blum-Viollette, est en place 61.
Le projet gouvernemental Blum-Viollette comporte deux aspects : l'ac-
cession à la citoyenneté française de l'élite musulmane (21 000 personnes)
et l'exercice des droits politiques par les indigènes. La querelle essentielle
tourne autour de l'exercice des droits politiques. Le projet est plein de
dangers aux yeux de la colonisation, car il est le premier pas vers la sub-
version des Français par les Algériens 52. Aussi essaie-t-on de rejeter tous
les Musulmans vers le collège électoral spécial, le 2* collège, créant pré-
cisément entre les deux communautés un fossé irrémédiable qu'on préfère
à une lente assimilation, dernière garantie contre les revendications
nationalistes 53.
La contre-attaque de l'extrême droite européenne se développe à partir
du Conseil général d'Oran. Un contre-projet Saurin aboutit à un premier
projet de loi 64, repris en février 1937 par Doriot 65.
En effet, le projet Blum-Viollette déclenche une obstruction systéma-
tique qui voile l'égoïsme colonialiste dans une phraséologie de bons senti-
ments à l'égard des « braves Musulmans ». Dès ce moment apparaissent les
aspect de la « politique du ventre » qui l'emporteront, après 1945, sur les
principes élémentaires de justice humaine et sociale.
Motions du P.P.F. et des maires d'Oranie se conjuguent pour faire
reculer le gouvernement du Front populaire :
Motion du Ier congrès du P.P.F. réuni à Alger les 2 et 3 janvier 1937:
« Le P.P.F.
— s'élève énergiquement contre le projet Blum-Viollette, première étape vers
la création d'un collège électoral dans lequel l'influence française ne pourrait
plus s'exercer ;
— proteste contre cette première et grave atteinte au principe même de la
souveraineté nationale dans les trois départements d'Algérie ;
— dénonce le projet gouvernemental comme un instrument de division entre
les musulmans d'une part et d'autre part de division qui ne sert que les
menées et l'agitation antifrançaise du Parti Communiste, agent de l'étranger ;
— proclame la nécessité de donner d'abord le pain, la paix et l'instruction
aux masses laborieuses. Elever le niveau d'existence des millions de tra-
vailleurs algériens a plus d'importance aux yeux du P.P.F. que l'octroi des
droits politiques à une minorité d'électeurs favorisés » 66.

51. L'Écho d'Oran, 4 janvier 1937. Les secrétaires départementaux sont Fossati
(Alger), Mongosi (Constantine) et Vidal (Oran). La délégation de l'Oranie est composée
de Zine ben Tabet, Cazaubau, Zoublr (Oran), Assouli (Bel-Abbès)et Havard (Tlemcen).
,">2.Ch.-A. JULIEN,L'Afrique du Nord en marche, op. cit., p. 124.
53. Sur le projet Blum-Viollette vu par les Musulmans, voir R. MONTAGNE, « La fer-
mentation des partis politiques en Algérie» in Politique étrangère, avril 1937, p. 124
sq.
54. L'Écho d'Oran, 20 oct. 1936et 1er janvier 1937.Voeuque soit instituée une repré-
sentation parlementaire des indigènes algériens élue par le collège électoral prévu par
la loi du 4 février et le décret du 6 février 1919.
55. Proposition de loi N» 1804de Doriot sur la représentation des indigènes : Art. I.
« 11 est créé dans les trois départements d'Algérie un collège électoral musulman pour
tous les Français qui entendent conserver le bénéfice du statut personnel ».
50. L'Écho d'Oran, 4 Janvier 1937.
582 REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

Ce même sentiment « démocratique » est partagé par la Fédération des


maires d'Oranie, réunie le 5 janvier 1937 à l'Hôtel de ville d'Oran. Cent dix-
huit communes sur 130 rejettent la dernière grande tentative gouvernemen-
tale de politique d'assimilation, tant désirée par la bourgeoisie musulmane :
Motion de la Fédération des maires d'Oranie 57 :
« 1° proteste avec énergie et indignation contre les allégations injurieuses et
calomnieuses du soi-disant Congrès musulman tendant à représenter les maires
d'Oranie comme "
des Nationaux Fascistes ", ennemis des indigènes et dési-
"
reux de les maintenir toujours en esclavage et de les exploiter davantage " ;
4° constate que le projet Viollette — fait qui échappe à beaucoup de métro-
politains — est appuyé et soutenu en Algérie par tous les extrémistes révo-
lutionnaires
" nation qui combattent l'influence française et aboutit à créer l'idée d'une
" destinée
algérienne à se séparer de la France ;
6° repousse le projet Viollette parce que la mise en application de ce projet
est susceptible d'entraîner des troubles graves en Algérie et de provoquer
ou d'aviver les haines de race ;
9° désireuse de prouver aux indigènes qu'elle entend les faire participer effi-
cacement à la vie politique française dans un sentiment de collaboration étroite
et de vraie fraternité, approuve pratiquement le projet Saurin qui demande
une représentation directe des indigènes au Parlement français, représentation
élue par un collège électoral indigène à raison de trois députés par dépar-
tement... ».

Une délégation de quinze maires d'Oranie se rend à Alger pour défendre


la motion. Elle est en pleine communion d'esprit avec les autres maires
d'Afrique du Nord qui repoussent à l'unanimité moins deux voix (Zavaco
et Baretaud) le dernier effort libéral de l'ancien gouverneur d'Algérie,
Maurice Viollette 58.
Parallèlement à l'action des élus, le P.P.F., lié au patronat d'Algérie
intervient en force pour décapiter la C.G.T. La maison Ducros, Algé-
ronaphte, la Société des Produits chimiques licencient les délégués de la
centrale ouvrière et renvoient le personnel qui refuse la carte P.S.F. ou
P.P.F. Poussés à bout, les syndicats déclenchent la grève générale, le
25 janvier 193759. C'est le moment attendu par l'extrême droite pour une
intervention de grand style. Ouvriers et sections P.P.F. assurent la pro-
tection des usines, aux ateliers Ruffié, chez Savignon, à la Compagnie
Lebon. Les sections d'entreprises se forment. A la première réunion de la
section P.P.F. d'Oran il est fait mention de 2 000 adhérents à Oran-Ville et

57. L'Écho d'Oran, 6 janvier 1937.


58. L'Écho d'Oran, 15 janvier 1937. Les maires d'Afrique du Nord demandent une
étude, commune par commune, des répercussions du projet Blum-Viollette, d'où la
commission d'enquête présidée par le député de la Martinique Lagrosillière.
59. Le Semeur, n° spécial du 25 janvier 1937. Télégramme à Blum, président du
Conseil, Paris : « Syndicats Oran ont décidé grève générale... suite refus patronat
appliquer loi congés payés, délégués ouvriers, conventions collectives (Stop) Ouvriers
cégétistes chassés ateliers. Embauchage Grands Travaux exclusivement fait par P.P.F. »
Signé Dubois.
L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19M) 583

5 500 dans le département 60. En mai, 19 sections d'entreprise protesteront


contre la révocation de Doriot par le ministre de l'Intérieur, Dormoy 61.
Dans le reste du département les mitraillages réciproques se multiplient,
à Mostaganem, à Perregaux. A Bel-Abbès, le militant P.P.F. Manchon
tombe sous les balles communistes et devient le « premier martyr » de
l'extrême droite 62. Les sections P.P.F. de Bordeaux, Nice, Clermont-
Ferrand, Saint-Denis expriment leurs condoléances. L'enterrement suivi par
10 000 personnes et 9 sections P.P.F. d'Oranie, dûment structurées, est
l'occasion d'un nouvel appel à l'union de toute l'extrême droite :
« Aujourd'hui, comme hier, notre mot d'ordre reste celui de la constitution
en Algérie du Front de la Liberté contre les anarcho-communistes. Doriot
vaincra... > 63.
La fédération Algérie-Tunisie du P.S.F. répond à cet appel par une
demande de dissolution du P.C. dont les menées « sont doublement dan-
gereuses en Algérie » 64. Le P.S.F. en effet s'est aussi constitué en force
politique en Algérie et en Oranie. Messes commémoratives au moment de
la mort de Mermoz réunions politiques au plateau Saint-Michel et tournées
de propagande avec Vallin, Creyssel, Fourcault de Pavant, membres du
comité exécutif, l'ont peu à peu imposé 65. Les sections se créent à Oran,
mais sans hâte dans le bled, à Rio-Salado, à Laferrière, à Mostaganem, à
Mazagran, à Aboukir. C'est que le parti fait double emploi avec le Rassem-
blement national d'action sociale en dépit de la liberté d'affiliation donnée
par l'abbé Lambert 66. D'ailleurs le P.S.F. semble préférer l'action clandes-
tine, particulièrement le renseignement au profit de l'Espagne franquiste
(affaire Berge).
En tout cas pareilles passions, annonciatrices d'autres orages méditer-
ranéens, ont leur aboutissement sur la scène politique parisienne. L'orches-
tration algérienne est coordonnée avec un parfait ensemble. Roux-Freis-
sineng dénonce avec force au Sénat les menées antifrançaises. L'abbé
Lambert court les antichambres ministérielles et multiplie les interviews
tonitruantes sur la fin de la souveraineté française en Algérie 67. La Gauche
démocratique et radicale indépendante (Saurin, Enjalbert) est convaincue
d'avance du bien-fondé des démarches de la Délégation des maires d'Algérie
menée par Abbo. Et Doriot dépose la proposition de loi Saurin, légèrement
remaniée, pour faire plus de bruit.

60. L'Écho d'Oran, 19 février 1937.


61. L'Écho d'Oran, 29 mal 1937. La composition du bureau fédéral du P.P.F. est
la suivante : Vidal (secrétaire), Sansano, Haye (secrétaires adjoints), Flllls (trésorier
général), Tremelat (Trésorier-adjoint), Lopez (archiviste), Sonntag, Zine ben Tabet et
Zoubir, assesseurs.
62. L'Écho d'Oran, 26 février 1937.
63. L'Écho d'Oran, 28 février 1937.
64. L'Écho d'Oran, 2 mars 1937.
65. L'Écho d'Oran, 27 et 28 janv. 1937.
66. L'Écho d'Oran, 6 déc. 1936. Article Intitulé : « Le R.N.A.S. et les différents
partis politiques ».
67. L'Écho d'Oran, 2 février 1937.
58* REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

La partie est pratiquement gagnée au début d'avril quand le sous-


secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Auband, déclare au terme d'un voyage
d'information en Algérie : « Il est urgent d'opérer un redressement, c'est une
question de poigne » 68.

IV. — BARRAGECONTRELE COMMUNISME


: LE TEST DES ÉLECTIONSCANTO-
NALES(OCTOBRE1937)

La campagne d'opinion à Paris, et les coups d'arrêt à la C.G.T. dans


les villes ne sauraient suffirent pour arrêter la progression du Front popu-
laire. La question algérienne est avant tout une question agraire. Il faut
donc éviter l'adhésion du prolétariat rural — des journaliers des grands
domaines en particulier — au programme de la charte revendicative ou du
Front populaire, en donnant une teinture sociale aux partis d'extrême
droite. Les élections cantonales d'octobre 1937 sont l'occasion d'une mobili-
sation générale des esprits et d'un nouveau décompte des voix. Y a-t-il
progression ou régression du Front populaire ?
Le congrès d'Alger du P.P.F. avait lancé le slogan « Pain, Paix et
Instruction aux musulmans », mais ce n'est qu'en mars 1937 que le parti
découvre les campagnes à la suite des manifestations de Mercier-Lacombe
où plus de 10 000 ouvriers agricoles se rassemblent pour demander une
augmentation des salaires 69. C'est l'émoi, la vision de troubles sur les
fermes. Sous le coup des événements, les sections P.P.F. de Lourmel et
de Rio Salado mettent en chantier un plan d'action sociale qu'Arrighi pro-
pose comme base de discussion aux représentants qualifiés des colons du
département :
« 1. Salaire minimum de 12 F/jour aux laboureurs indigènes.
2. Augmentation générale des salaires de 10%.
3. Engagement d'employer de façon continue des ouvriers sédentaires attachés
à la ferme.
4. Protection de la main-d'oeuvre nationale et priorité à la main-d'oeuvre
locale » 7".

Les sections P.P.F. des campagnes se mettent alors en place, et leurs


bureaux, autant qu'on puisse le voir, comprennent des représentants des
trois communautés : Français, Musulmans et Espagnols.
Mais le feu est mis aux poudres par trois députés socialistes de France
qui parcourent les campagnes oranaises du 1er au 9 avril 1937 en compagnie
de Marius Dubois. Les déclarations de Max Lejeune, Augustin Malroux
et van Tielcke soulèvent des critiques véhémentes de toute l'extrême droite
et concentrent toute l'attention sur les problèmes agricoles.

68. L'Écho d'Oran, 10 avril 1937.Déclaration recueillie dans Le Matin d'Alger.


69. Ces manifestations ont été précédées de grèves, dès 1936, dans la région d'Aln-
Temouchent (cf. H. LAUNAY, Les Paysans algériens, 1963 repris par J. BBRQVB, Le
Maghreb entre les deux guerres, op. cit., p. 315).
70. L'Écho d'Oran, 1er, 2 3 et 4 mars 1937.
L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19*0) 585

« Ministre Intérieur Paris


Suis partisan liberté de parole, mais estime intolérable que députés socialistes
puissent préparer troubles graves en Oranie en traitant les colons de spo-
liateurs et en promettant aux indigènes que le gouvernement leur rendra la
terre qui leur a été volée... Ces déclarations sont confirmées par article où
Malroux déclare Oranie s'éveille à socialisme après un siècle de servage.
Abbé Lambert 71 ».
Ce télégramme est suivi d'une avalanche de protestations, du R.N.A.S.,
des députés Saurin et Enjalbert, de la Fédération des maires, des délégués
financiers et conseillers généraux réunis une fois de plus à l'Hôtel de
Ville d'Oran. Vilipendant « l'attitude criminelle » du député Marius Dubois,
les représentants de l'Oranie :
« Considérant que ces excitations perpétuelles, outre qu'elles constituent une
insulte à la mémoire des pionniers de l'Algérie, sont de nature à provoquer
un véritable fossé entre les divers éléments de la population et à entraîner en
même temps qu'une atroce guerre civile la perte de la prédominance française.
Demandent au gouvernement de prendre de toute urgence les mesures légales
nécessaires pour faire respecter l'autorité et le prestige de la France... » 72.
Au même moment, le sénateur Roux-Freissineng demande audience
auprès du gouverneur général Le Beau. Il l'entretient des grèves récentes,
des affrontements sanglants (14 blessés à Oued-el-Kheir, 2 morts aux
Abdellys), indices, selon lui, d'une «offensive de grand style» de la part
des communistes. Outré par la propagande de la S.F.I.O. il traduit au
gouverneur général « l'émotion intense que ce langage impie avait immédia-
tement causé au sein de la population » et lui fait « envisager les consé-
quences funestes — par l'état d'esprit d'abord qu'il devait créer chez les
indigènes, par les répercussions qu'il entraînerait chez les Français et spé-
cialement chez les colons particulièrement menacés » 73.
Que se passe-t-il en réalité dans les campagnes ? Toutes les forma-
tions politiques : comités du Front populaire, Fédération des élus musul-
mans, P.P.A. et républicains nationaux se disputent la clientèle électorale.
Mais au-delà, nous ignorons tout. Y eut-il, comme promis, des augmenta-
tions de salaires ? Distribue-t-on, suivant les suggestions de la section
P.P.F. de Tiaret, des lots communaux et domaniaux disponibles aux Musul-
mans particulièrement nécessiteux ? 74. Peut-être, mais les journaux du Front
populaire laissent entendre que pour parer au danger, la colonisation pra-
tique avant tout la politique du pire et favorise la tendance nationaliste
du Parti populaire algérien pour torpiller la politique réformiste du Congrès
musulman :
« La collusion entre les dirigeants de l'ex-Étoile nord-africaine devenue P.P.A.
et nos partis fascistes de Doriot et de de la Rocque a été abondamment
démontrée par la presse. Qu'il nous suffise de dire à présent que le P.P.A.
s'est distingué par sa lutte contre le Front populaire, ... son accord avec
toutes les municipalités fascistes qui lui accordaient des salles et l'aidaient

71. L'Écho d'Oran, 14 avril 1937.


72. L'Écho d'Oran, 21 avril 1937. Article : « La souveraineté française en péril ».
73. L'Écho d'Oran, 20 avril 1937.
74. L'Écho d'Oran, 24 avril 1937.
5S6 REVUE D'HISTOIRE MODERNEET CONTEMPORAINE

dans sa propagande et le gros capitalisme qui exige de ses ouvriers une


carte P.P.A. ou P.P.F. et enfin ses gros déplacements d'effectifs, ses dépenses
somptueuses. Messali a servi la cause du fascisme contre ses propres frères
indigènes » 7B.
Rencontre tactique momentanée, évidemment, mais qui explique que
l'été oranais n'est pas la traditionnelle période de démobilisation des esprits.
L'anniversaire de la création de P.P.F. est l'occasion de rencontres, de
pique-niques au milieu des vignes des propriétés. Les dames royalistes
convient à des apéritifs et des matinées dansantes à Sidi-bel-Abbès et
Tlemcen. L'Action nationale fête la libération de Maurras avec le concours
de tous les partis nationaux 76. Le meeting de de la Rocque à Oran, le
30 juin 1937, donne un second souffle au parti P.S.F. Mostaganem fête
l'adhésion de son 700e P.S.F. Et les candidatures antimarxistes s'élaborent
sous le signe de la coopération des partis d'extrême droite. Le Front de
la Liberté 77 est constitué dans la pratique à défaut d'un accord formel sur le
plan national 78.
La campagne pour le renouvellement du Conseil général débute à la mi-
septembre. Un comité de coordination antimarxiste, après quelques jours
de confusion investit jour après jour les porte-drapeau de l'idée nationale.
La coloration des professions de foi des candidats est plus nettement poli-
tique. La traditionnelle politique des chemins vicinaux est reléguée à
l'arrière-plan au profit du combat idéologique. Le ton est donné une fois
de plus par le maire d'Oran, auréolé d'un prestige nouveau depuis son
entrevue avec Franco à Burgos :
« Eh bien, Messieurs les Rouges, proclame-t-il, vendus à Moscou, vendus
aux métèques, laissez-moi vous le dire : « Vous ne passerez pas » ; le Peuple
d'Oran s'est ressaisi, le peuple d'Oran rejette votre dictature, votre anarchie,
vos scandales, votre volonté d'asservissement.
Le Peuple d'Oran votera National 79 ».
Dans la pratique, les bagarres, les jets de pierre, les agressions à carac-
tère raciste se multiplient. Toute la politique du Front populaire est passée
au crible avec ses aspects négatifs. Les slogans, les tracts, les inscriptions
fleurissent. Des hommes nouveaux surgissent pour faire échec aux com-
munistes et socialistes dans leurs bastions les plus inexpugnables. Les
appels au sentiment national, à l'intérêt le plus immédiat et à la violence
dominent :
« La victoire soclalo-communisme, ce serait bientôt
Le Drapeau rouge
A la mairie d'Oran. >

75. Le Semeur, 2 oct. 1937. Même icho chez TILLION(G.), Les Ennemis complé-
mentaires, Paris, 1960, p. 160.
76. L'Écho d'Oran, 14 juillet 1937. Les principaux chefs royalistes d'Oran sont
Sicard et M*Barisain. Cf. aussi la manifestation du 26 novembre 1938 avec Maxime
Real del Sarte.
77. Sur le Front de la Liberté voir P. MÂCHEFER, « L'Union des droites », Revue
d'Bist. mod. et contemp., Janv.-mars 1970, p. 112-126.
78. L'accord comprend le R.N.A.S., le P.P.F. et le P.S.F.
79. L'Écho d'Oran, 12 octobre 1937.
L'EXTRÊMEDROITE EN ORAN1E (1936-19*0) 587

« Électeur crache ton mépris à la face de tout félon qui


pour des raisons inavouables
trahit la cause nationale. »
« Ce qu'ils ont fait de la paix sociale
en un an de Front populaire
5000 grèves
350 émeutes
39 morts
980 blessés
Sans compter les morts et les blessés des bagarres et émeutes d'Algérie, de
Tunisie et du Maroc > 80.
Le thème fondamental est, évidemment, l'Algérie française qui se con-
fond si bien avec l'Algérie des intérêts :
< En Algérie, peut-on lire, plus qu'ailleurs, parce que le prestige français
est mis en cause, parce que la propagande ignoble des agitateurs peut amener
des troubles sanglants, parce qu'une terre fécondée par le travail et le sang
de nos pères peut nous être disputée, il faut enrayer les ravages incessants
du marxisme... Comment le gouvernement peut-il rester neutre devant ce péril
qui nous prépare un avenir plus qu'inquiétant ?» 81
Le premier tour de scrutin est un vrai triomphe pour l'extrême droite.
Onze sièges emportés contre un au Front populaire, cinq en ballottage.
Une consolation pour la gauche, Gabriel Gonzalès et Bachterzi sont victo-
rieux dans les circonscriptions musulmanes de Béni-Saf et Aïn-Témouchent.

Résultats des élections cantonales*®


Premier tour
Circonscription Nom de ,.él p T^ des voix
du département
1" Palikao Vautherot R.N. 849/1300
9* Misserghin Rey R.N. 826/1004
11* Saint-Denis-du-Sig .. Dr Bernère R.N. 459/773
15* Aboukir Saurin R.N. 976/900
17* Inkermann Reboul R.N. 427/455
19- Nemours Blanc R.N. 727/1075
21* Frenda Lebon R.N. | 363/363^
25' BoukaneBs Chanfreau R.N. ! 771/777
17* Prudon Payri R.N. 720/723
29* Oran-Karguentah .... Lambert R.N. 3 592/6019
31' Oran-Berthelot Sarrochi R.N. 2156/4148
33* Tiaret Viniger F.P. 908/913

Le P.P.F. exulte et commente en termes passionnés sa victoire fi2 ; la campa-


gne pour le scrutin de ballottage redouble d'intensité. Les réunions sont
particulièrement fiévreuses. Tout est bon pour remuer les hésitants et les
abstentionnistes : les événements sanglants du Maroc, un télégramme de

80. L'Écho d'Oran, 17 octobre 1937.


81. L'Écho d'Oran, 16 octobre 1937. Article : « SI l'Algérie veut rester française ».
82. L'Écho d'Oran, 18 oct. 1937.
588 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

félicitation du général espagnol Queipo de Llano, l'inflation des prix, la


situation catastrophique du port d'Oran :
« A Oran-Marine
Voter pour les Rouges
c'est voter pour la grève presque continue sur les quais
c'est voter pour la ruine du port d'Oran
Ouvrier de la Marine, est-ce là ton intérêt ?» 83.
Mais, contrairement aux espoirs de l'extrême droite, le 2e tour de
scrutin voit le retour en force du Front populaire. Quatre sièges sur les
cinq sont remportés par la gauche, le bureau du Conseil général restant
toutefois aux mains de la colonisation.
Nul doute pourtant que ces consultations, véritables combats de gla-
diateurs, ne détériorent complètement l'atmosphère politique du départe-
ment et n'accroissent les forces de l'extrême droite. Le premier Congrès
fédéral du P.P.F. d'Oranie se réunit peu avant Noël à Sidi-del-Abbès.
Fort de quarante sections et de H 800 adhérents dont 77 % sont des
modestes travailleurs, il représente une force contre-révolutionnaire impor-
tante hantée par l'exemple obsédant de l'Espagne 84. Français clairvoyants
et Musulmans tentés par le nationalisme savent depuis quelques mois que
la France gaspille ses dernières chances en Afrique du Nord :
« L'exemple de Franco l'obsède [La féodalité algérienne]
Cette obsession la tuera ou tuera l'Algérie.
La France en décidera.
Si la question ne l'intéresse pas, elle laissera faire.
Sinon elle agira immédiatement, sans quoi ce sera la gangrène.
La gangrène : c'est-à-dire l'insolence et la hardiesse accrues de ceux qui
sont armés contre la Patrie, la révolte des officiers avec comme corollaire,
l'intervention des puissances à l'affût des territoires que nous serions " inca-
pables d'administrer ".
Laisser faire ou temporiser ? qui ne voit où cela mène ? c'est la perte de
l'Algérie » 85.

V. — L'ATTRAITDESFASCISMES
(1936-1939)

Mouvements et partis de structure fascistes, R.N.A.S., P.P.F., P.P.S. et


Amitiés latines prennent en Oranie une couleur méditerranéenne. Attentifs
aux régimes politiques environnants, ils empruntent leur idéologie d'abord à
l'Italie, modèle d'intégration sociale, puis à l'Espagne franquiste, exemple
de combat anticommuniste sous le signe de la collaboration musulmane. La
composition sociale de l'Oranie (6 000 électeurs israélites à Oran) les
oriente aussi vers un antisémitisme non exempt quelquefois d'admiration
pour l'Allemagne.

83. L'Écho d'Oran, 23 et 24 oct. 1937.


84. L'Écho d'Oran, 21 décembre 1937.
85. Le Semeur, 24 avril 1937. Article signé par Léon Carmlllat.
L'EXTRÊMEDROITE EN ORANIE (1936-19iOJ 589

Le maître à penser de cette Oranie fasciste est le maire d'Oran,


Gabriel Lambert, impulsif, passionné, dévoré d'ambition qu'il aimerait porter
sur le plan national. Ses voyages en U.R.S.S. en 1935, en Italie en 1936,
en Espagne en 1937 et en Allemagne en 1938, traduisent son itinéraire spi-
rituel, ses curiosités et les rapports de force dominants dans l'électorat
oranais 86.
Jusqu'au 14 juillet 1936, date du regroupement des formations d'extrême
droite, le thème fasciste n'apparaît que rarement. L'extrême droite vit du
souvenir du passé, des sacrifices de la guerre de 1914-1918. L'apaisement
des querelles raciales, depuis 1934, prolonge encore la trêve municipale. Le
terme de « fasciste » est plutôt appliqué à l'extrême gauche, au « fascisme
rouge ».
L'admiration pour l'Italie est le produit du voyage de Lambert dans la
péninsule, en été 1936. Mussolini est le chef idéal, fils du peuple, fidèle à
ses origines. Ses meilleurs défenseurs seraient les ouvriers : : « Je puis
affirmer, ici, écrit Lambert, que Mussolini a fait plus pour les ouvriers
que notre régime démocratique, même en tenant compte des réformes du
F.P. » 87.
Et d'énumérer les contrats collectifs, la semaine de 40 h, les loisirs des
ouvriers, les augmentations de salaire.
Il se pourrait aussi que le R.N.A.S., mouvement de structure assez lâche
d'abord, ait suivi l'organisation du parti fasciste italien. Le R.N.A.S. a son
hymne, Le Front de la France, ses formations de jeunes, ses sections
de quartiers 88.
Pareille orientation explique la facilité d'adaptation de Lambert et sa
collaboration avec les partis d'extrême droite. Pourvu que ces partis ne le
gênent pas dans son rôle politique à Oran, qu'ils lui laissent les honneurs
de chef d'orchestre dans le combat antimarxiste et Lambert facilitera leur
implantation en ville et dans les campagnes. Sur le fond, sur le problème
social, il y a accord avec le P.P.F. Le vieux capitalisme a vécu, il faut que
son visage, comme en Italie, se transforme au service du peuple :
« La révolution fasciste... n'a pas été une révolution pour défendre le capi-
talisme, mais bien pour assurer du travail au peuple, en même temps que
la grandeur de la patrie. L'an dernier, au cours de mon voyage, c'étaient les
enfants du peuple, les paysans, les ouvriers qui me faisaient l'éloge dithy-
rambique de leur chef alors que les capitalistes, les industriels que j'interro-
geais, ne manquaient pas de faire des réserves sur l'action du fascisme » 89.
Or, une révolution d'un genre identique, selon Lambert, s'est réalisée
en Oranie depuis le 14 juillet 1936. Industriels et propriétaires terriens,
conscients de leurs responsabilités, ont consenti des efforts en faveur de
leurs ouvriers. Inversement les ouvriers du Front national prennent à

86. G. ESQUER, 8 novembre 1912, Paris, 1946. Le récit du voyage de Lambert aurait
paru sous le titre Allemagne 1938, p. 40.
87. L'Écho d'Oran, 26 septembre 1936.
88. L'Écho d'Oran, 5 novembre 1936. Première audition de l'hymne du R.N.A.S.
89. L'Écho d'Oran, 18 mal 1937. Discours de Lambert à Rio-Salado.
590 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

coeur leurs devoirs : respect, obéissance, travail consciencieux. Et cette


révolution doit se poursuivre dans les campagnes en faveur des ouvriers
agricoles musulmans pour gagner la bataille contre le Front populaire.
La conquête de l'Ethiopie est une justification, a posteriori, de la conquête
politique extérieure du Front populaire :
Toutefois, l'Italie ne sert pas seulement de base de discussion sociale.
La conquête de l'Ethiopie est une justification, à posteriori, de la conquête
de l'Algérie, du droit de l'Europe de disposer des peuples à civilisation
arriérée. Pareil point de vue engage l'extrême droite à attaquer toute la
politique extérieure du Front populaire.
« Les journaux du F.P. l'ont tellement insultée [Italie] et sous la pression
des marxistes le gouvernement a pratiqué une telle politique... que l'Italie
s'est tournée du côté de l'Allemagne. La France est de plus en plus isolée » 9°.

Le deuxième congrès nord-africain du P.P.F., tenu à Alger en novembre


1938, insiste sur la constitution d'un front des pays méditerranéens. Doriot,
entre autre, se prononce pour une alliance avec l'Italie et l'Espagne
nationaliste, alliance qui serait par la suite élargie aux pays fascisants d'Eu-
rope centrale, Pologne et Hongrie 91. Ces dispositions demeurent jusqu'aux
manifestations antifrançaises de Tunisie et d'Italie : celles-ci soulèveront
l'indignation de toute l'extrême droite, résolue à défendre l'intégrité de
l'Empire français 92.
A vrai dire, le thème italien est éclipsé depuis l'automne 1936 par les
événements d'Espagne. Oran, dont la moitié de la population est formée de
descendants espagnols (100 000 sur 200 000 habitants), a noué des liens
étroits avec Alicante : liens d'amitié entre deux villes qui se retrouvent au
moment des grandes fêtes, liens de parenté entre une colonisation d'artisans,
d'ouvriers agricoles, de gros colons aussi et une métropole brusquement
déchirée par la guerre civile. Flux et reflux des réfugiés du Rif, change-
ments de fonctionnaires du Consulat ont leur répercussion en ville. Franco
n'est pas un inconnu à Sidi-bel-Abbès où le maire Bellat, président des
Unions Latines et membre de la Chambre franco-espagnole de Paris, le
soutient par la propagande et par l'argent. Par ailleurs, députés du Frente
Popular et combattants des Brigades internationales sont fêtés par les
dockers du port. La division de l'Espagne trouve son reflet en Oranie 93.
On ne s'étonnera donc pas que gauche et droite trouvent des arguments
dans le conflit tout proche. Dès septembre 1936, Vallin, du Comité exécutif
du P.S.F., exalte la résistance de Tolède : « Je les salue au nom de notre
chef, comme je salue le leur, le général Franco » w.

90. L'Écho d'Oran, 13 oct. 1937. € Le Front populaire, c'est la guerre».


91. L'Écho d'Oran, 14 nov. 1938. Exposé de la politique extérieure de Doriot.
92. L'Écho d'Oran, 9 au 11 déc. 1938.
93. Oran-Uatln, 22 mars 1938 .
94. L'Écho d'Oran, 6 déc. 1936.
L'EXTRÊME DROITE EN ORANIE (1936-19M) 591

Aux Unions latines, Raoul Follereau prêche la réconciliation des Fran-


çais sous le signe de Gabriele d'Annunzio, de Mussolini et de Franco. Enfin,
devant les maires d'Oranie regroupés au sein du R.N.A.S., Lambert lance
cet encouragement, leitmotiv de trois années de campagnes électorales :
« Il faut que par-delà la mer, le peuple national d'Espagne sache que si
le gouvernement [français] doute ou critique son action, le coeur des bons
Français — ils sont nombreux — sont à côté du cceur de l'Espagne qui
veut retrouver ses libertés, sa foi et montrer son vrai visage au monde civilisé
(applaudissements frénétiques) » 95.

L'année 1937 est l'année de l'affrontement incertain. Trafic d'armes,


renseignements sur le port d'Oran et enrôlement de troupes fraîches pour les
premières lignes du combat alimentent la chronique de la politique étran-
gère 96. Il arrive que des miliciens musulmans, de retour d'Espagne, soient
produits dans les réunions électorales pour stigmatiser comme en France, le
«boucher d'Albacete », André Marty 97.
Le cas de Sidi-bel-Abbès est hautement instructif. Lucien Bellat y
exerce une autorité incontestée sur la majorité de la population. En octo-
bre 1937, ses hommes de main tentent d'arrêter Maillol, vice-consul répu-
blicain, pour le livrer aux franquistes de Melilla. Bella organise aussi des
souscriptions pour Franco qu'il rencontre à plusieurs reprises, ainsi que les
généraux Suner et Beigbeder 98. Avec son fils Paul, l'intellectuel de la
famille, il ne manque pas une occasion de faire l'apologie des régimes de
force. L'atmosphère de la ville la fait surnommer le « Petit Berlin » ".
Au moment de l'enquête du « nègre » Lagrosillière, de Beaumont,
député de la Cochinchine, de Clermont-Tonnerre, député de la Somme, et
Temple, député de l'Aveyron, tiennent la tête d'affiche des réunions
d'extrême droite et nourrissent sans fard les rêves putschistes :
« Près de vous une nation voisine lutte farouchement pour conquérir sa
liberté ; et là, une fois de plus, les deux races latine et musulmane sont fra-
ternellement unies parce que toutes deux sont guidées par ces trois mots
qui sont à la fois une ligne de conduite et un état d'âme : Famille, Religion
et Patrie» 100.

Mais le meilleur agent électoral est Franco lui-même. Interviewé à Bur-


gos, il apporte son appui moral à l'extrême droite au début de la campagne
électorale de 1937 et fait de Lambert l'incarnation du combattant anti-
communiste de l'Oranie :

95. L'Écho d'Oran, 7 nov. 1936.


96. L'Écho d'Oran, 24 nov. 1937. Arrestation de M"" Berge, épouse d'un chef P.S.F.
97. L'Écho d'Oran, 21 février 1937. Réunion P.S.F. à Tlemcen, cf J. GRANDMOUOIN,
Histoire vivante du Front populaire, Paris, 1966.
98. L'Écho d'Oran, 23 août 1938. Sur Beigdeder, voir HALSTBAD, « Un Africain
méconnu, le colonel J. Beigheder » in Rev. d'Hltt. de la 2* guerre mond., janvier 1971.
99. G. ESQUEB, op. cit., p. 44.
100. L'Écho d'Oran, 27 avril 1937. Déclaration de de Clermont-Tonnerr-.
592 REVUE D'HISTOIREMODERNEET CONTEMPORAINE

« Je connais très bien les sentiments de l'Algérie et j'ai suivi avec une grande
attention le redressement national de l'Oranie. Ma joie a été grande de
constater que beaucoup d'enfants d'Espagne aujourd'hui Français ont contribué
à cette oeuvre salutaire. Je sais combien les habitants d'Oranie ont suivi
avec intérêt et amour notre mouvement de sauvetage {salvacion) national
et je leur dois une grande reconnaissance...
Portez mon salut aux nationaux d'Algérie. Dites-leur qu'en travaillant pour
l'Espagne j'ai conscience de travailler pour eux, pour leur tranquillité et pour
éloigner d'Europe les folies sanglantes du communisme. Oui, dites bien mon
affection particulière aux nationaux d'Oran et d'Oranie » 101.

Les implications des campagnes électorales, les réticences du prolétariat


espagnol et le monolithisme des votes des Israélites aboutissent, en novem-
bre 1937, à la création des Amitiés latines, mouvement-parti dont le carac-
tère antisémite (« anti judéo-communiste») est de plus en plus accentué 102.
L'agonie du Front populaire et l'avance victorieuse de l'Espagne fran-
quiste soulèvent, en effet, une immense vague d'antisémitisme. Elle coïncide
avec les premières mesures du fascisme italien dont on se plaît à souligner
l'opportunité. Composition des ministères du Front populaire, vieilles études
religieuses, incidents locaux, tout sert d'aliment pour attiser le feu raciste.
L'assimilation bolchevique-sémite est « démontrée à plusieurs reprises ».
« L'Europe antisémite », « la question juive en Roumanie », « l'influence
juive révolutionnaire de la franc-maçonnerie », sont les titres-choc du Périr
Oranais. L'Écho d'Oran fait une propagande forcenée par l'image en faveur
de l'Allemagne hitlérienne. Ce climat est entretenu par les élections aux
Délégations financières et les tournées conférences des Unions latines et du
Comité de la prépondérance française. Jean Renaud, ancien chef de la
« Solidarité française » (redevenue « le Faisceau français » ), parcourt le
pays au cri « A Mort le péril juif ! » Un autre chef national, René Bar-
thélémy d'Alger, lui apporte un soutien enthousiaste. Ce qui est en cause,
c'est le décret Crémieux qui accorde la citoyenneté française aux Israélites.
Après Fossati, Doriot demande au deuxième congrès P.P.F. d'Alger la
révision du décret en même temps que la dissolution du Parti com-
muniste 103.

101.L'Écho d'Oran, 17 sep. 1937. Conférence au Casino Bastrana.


102.L'Écho d'Oran, 14 nov. 1937. Comité-directeur des Amitiés latines : Maraval,
Duché, Ambrosino, Bayle, Botella et Calderon, secrétaire-général.
103.L'Écho d'Oran, 14 nov. 1938.
L'EXTRÊMEDROITE EX ORANIE (19:16-1940) 593

CONCLUSION

A la veille de 1940 un courant d'opinion favorable aux régimes de force


est perceptible dans toute l'Oranie. Les dernières hésitations sont balayées
par les interventions anglaises à Mers-el-Kébir et Dakar. Le salut ne saurait
venir que de la fidélité totale envers les chefs qui ont entrepris la tâche
« de sauver et de rénover » la Patrie 104. De Gaulle n'est qu' « un colonel
gonflé de vanité », « un démolisseur de la souveraineté française » et « un
traître »ioe.
L'adhésion totale à la Révolution nationale est facilitée par le message
d'octobre du maréchal Pétain, doublé de la loi du 7 octobre 1940, abrogeant
le décret Crémieux 106. Dans l'attente de la destruction complète de la
Grande-Bretagne, l'extrême droite penche vers la collaboration avec les
Allemands :
« Nécessité de la collaboration franco-allemande : oui, nécessité physique :
nous sommes occupés ; nécessité morale : fiasco total (et quel lâchage criminel
en pleine défense !) de notre système d'alliance avec l'Angleterre. Nécessité
géographique : depuis combien de lustres sommes-nous en guerre contre le
même pays, notre voisin immédiat, sans arriver jamais à un règlement public !
avons-nous essayé un accord pacifique fondé sur des économies complémen-
taires ? Non et pourquoi ? Parce que l'Angleterre nous a aveuglés.
Le Maréchal est d'accord. Il en prend la responsabilité » 107.

Pourtant au-delà de ces événements qui ont marqué le glissement de


l'extrême droite vers le fascisme, une étude des racines politiques des mou-
vements politiques exigera un approfondissement à d'autres niveaux quand
les archives ouvriront leurs dossiers : quels ont été les rapports entre
l'administration coloniale et les partis d'extrême droite ? entre l'armée et les
partis fascistes (Catroux-Esteva-Giraud) ? Quel a été l'impact de la propa-
gande nationaliste française sur la société musulmane (grande bourgeoisie,
marabous, ouvriers agricoles ?) Quel a été aussi le jeu du P.P.A. ? Quelles
ont été les visées de l'Espagne ? Quelle a été la force des groupements pha-
langistes en Oranie ? Enfin, y a-t-il continuité entre les manfestations
d'extrême droite de 1936-1942 et l'O.A.S. ? Le repli sur l'Espagne est-il
une simple coïncidence géographique ? 108.

104. L'Écho d'Oran, 14 octobre 1940. Déclaration de l'amiral Jary.


105. L'Écho d'Oran, 10 nov. et 15 nov. 1940 (affaire du Gabon).
106. L'Écho d'Oran, 9 oct. et 12 oct. 1940.
107. L'Écho d'Oran, 5 déc. 1940.
108. On ne peut souscrire aux affirmations d'Yves COURRIERS quand il parle du
« républicanisme » des généraux putschistes alors que leurs réunions secrètes ont été
laissées aux soins du gendre de Franco ; cf. Les Feux du désespoir et Le Monde,
16 septembre 1971.
89
H'M HEVLE D'HISTOIRE MODER\E ET COSTEMPUHAISE

Ce danger d'une nazification des partis d'extrême droite est entrevu par
La Rocque qui s'en alarme dans un article paru dans Le Petit Journal 109.
Cette prise de position jointe aux réticences du P.S.F. local de constituer
un Rassemblement national algérien aboutissent à une polémique violente
et à l'éclatement de l'unité de l'extrême droite. Le P.S.F. fera désormais
cavalier seul en vue d'une réconciliation des Français devant le danger de
la seconde guerre mondiale no.

Francis KOERNER,
Rabat.

109.Le Petit Oranais, 14 avril 1938.


110. Oran-Matin, du 8 mai au 23 mal 1938. On y trouve tout l'historique de
l'échec du Front de la Liberté. L'antisémitisme de La Rocque s'accommode néan-
moins, en Algérie, d'une exclusion totale des juifs de la vie politique (cf. Compte
rendu du 1er congrès P.S.F. à Constantine, en octobre 1938).

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