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Perspectives
Wagner (Banque du Luxembourg):
«la Fed est un danger pour l’économie US»
avec une croissance tout à fait correcte, et l’Europe comme celui du surendettement des ménages-, en
du Sud avec les problèmes que l’on connaît. baissant autant que possible les taux d’intérêt. On es-
Dans la même zone euro, avec la même monnaie, saie de perpétuer, coûte que coûte, les cycles de
on trouve deux régions, deux économies totalement croissance basée sur le recours à la dette, sur la sur-
différentes. Je prévois que cette divergence persis- consommation et sur la hausse des prix.
tera. La baisse des taux décidée lors de la crise des va-
leurs internet, et celle qui a suivi la bulle immobi-
Comment voyez-vous évoluer le problème de la lière, risquent de déclencher d’autres problèmes. Au
dette dans la zone euro? moment où on est prêt à purger certains excès, ces
La situation aujourd’hui, c’est que si les pays d’Eu- derniers s’accumulent et on ne voit plus vraiment
rope du Sud devaient se refinancer, -ils ne le doivent quelle sera la sortie. De ce point de vue, la politique
pas pour l’instant-, ils le feraient à des taux d’intérêt de la Fed me paraît dangereuse.
exorbitants, qui dépassent de loin le niveau de leur De plus, on a l’impression qu’elle est fortement in-
croissance économique. Et donc ils alourdiraient fluencée par les marchés. Une Bourse qui baisse,
leur endettement. c’est toujours considéré comme une catastrophe na-
On ne voit pas très bien comment ces pays pour- tionale aux Etats-Unis. Il faut donc, par tous les
raient s’en sortir. On leur suggère de mettre sur pied moyens, que cela ne se produise pas. Durant la crise,
une politique de rigueur budgétaire extrême. Mais je on avait eu l’impression que c’était la Bourse qui im-
pense qu’on en sous-estime les conséquences. On posait aux autorités leur réaction, alors que ce de-
peut bien sûr réduire les dépenses publiques, impo- vrait être l’inverse.
ser des réductions de salaires etc., mais l’économie Pour ces raisons, et je reconnais que c’est quelque
de ces pays va souffrir, leurs recettes fiscales dimi- part provocateur, j’affirme que la Fed est devenue un
nuer, et leurs déficits budgétaires quand-même s’ag- danger pour la santé économique à long terme des
graver. Le recul du niveau de vie sera important. Etats-Unis. La politique monétaire américaine fra-
Auparavant, les pays du Sud avaient la possibilité gilise l’économie américaine.
de dévaluer. Ce qu’ils n’ont plus aujourd’hui.
A priori, tous ces obstacles pointent, dans le lan- Qu’est-ce qui pousse les Bourses à monter de-
gage d’un économiste, vers une restructuration des puis 6 mois?
dettes. L’histoire financière nous enseigne que Côté fondamental, c’est l’amélioration des bénéfices
lorsqu’on a un problème de dettes qui devient exor- des entreprises, qui a été extraordinaire, qui a dopé
bitant, soit on le résout via l’inflation pour en contrô- la hausse des cours des actions. Côté moins fonda-
ler les coûts, soit on la restructure. mental, c’est aussi la décision de la Fed d’injecter de
Une autre solution serait de dire qu’on ira beau- nouvelles liquidités. À cela, on ajoutera le niveau
coup plus loin dans l’intégration européenne. En plancher des taux d’intérêt, qui pousse les investis-
schématisant, je dirais que c’est l’Allemagne par seurs à chercher désespérément des alternatives aux
exemple qui paierait pour la Grèce. Je ne suis pas cer- placements monétaires ou obligataires.
tain toutefois que l’Allemagne soit prête à aller dans L’amélioration des résultats a été exceptionnelle,
cette direction. dans la mesure où elle a surpassé la croissance éco-
nomique. Cela s’explique par le fait que les entre-
Guy Wagner, Pourquoi l’Allemagne n’est pas sortie de l’euro prises, qui n’ont pas embauché, ont bénéficié de dé-
chef économiste dès les premiers signaux annonçant le problème penses publiques et de mesures de stimulation
auprès de la Banque de la dette de la Grèce? extraordinaires, ainsi que de la vivacité des écono-
de Luxembourg. Parce que ce pays a conscience que les avantages de mies émergentes. D’un autre côté, les entreprises
l’euro l’emportent sur les désavantages. Jusqu’à pré- ont poursuivi leur programme de suppression d’em-
sent du moins. En regard de la croissance que l’Alle- plois, ce qui leur a permis d’améliorer leurs marges
© Emy Elleboog magne connaît actuellement, le deutsche mark se se- qui se situent aujourd’hui à des niveaux historique-
rait fortement raffermi lors de la crise de 2008. Son ment élevés.
Pour le chef économiste, la banque centrale La reprise aux Etats-Unis est-elle appelée à se
confirmer, voire à s’accentuer en 2011?
ancienne monnaie aurait fini par rendre ses expor-
tations moins compétitives. Par ailleurs, l’Allemagne
Mais cette croissance ne va pas se poursuivre au
même rythme (5 % en nominal attendu en 2011).
américaine est sous l’influence des marchés Je pense que la reprise actuelle est très fragile. On ne
le perçoit pas clairement pour l’instant aux Etats-
sait aussi que ses banques sont fortement impliquées
dans la dette des autres pays de la zone euro.
D’autant que l’on peut imaginer que les sociétés vont
se mettre à réembaucher. La hausse des prix des ma-
et évite pertinemment de faire face aux vrais Unis. En tous les cas, il n’y a pas d’amélioration sur le
marché de l’emploi, qui est quand même la condition
La situation pourrait néanmoins se compliquer,
notamment sur le point lié à l’inflation. La politique
tières premières constitue également un élément
qui va contribuer à alourdir leurs coûts. Pour ces rai-
problèmes des Etats-Unis. indispensable pour une véritable reprise. Au-
jourd’hui, cette reprise est tirée par une série de me-
de taux zéro de la Banque centrale européenne pour- sons, je pense que les attentes formulées par les ana-
lystes aux USA pour les bénéfices de cette année
sures qu’on a mises en place au niveau budgétaire et (+14 % en moyenne) peuvent être démesurées par
INTERVIEW
monétaire notamment. La croissance s’élève au-
jourd’hui à 3 ou 4 %.
Sans l’euro, rapport à ce que l’on connaîtra effectivement dans
les prochains mois. Cela pourrait être un risque po-
Marc Collet Ma crainte, c’est que cette reprise ne sera pas dura- le mark tentiel, plus tard dans l’année, pour les Bourses.
S
ble, car les problèmes fondamentaux, structurels de