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Procédure pénale
22 janvier 2010, lors d’un discours du ministre de la Justice et des Libertés : « l’aveu en garde à vue
sera insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation ». Si cette déclaration semble à première
vue dictée par la volonté de se conformer aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme,
elle recèle néanmoins une part d’ombre qui est ici mise en lumière.
ÉDITION PROFESSIONNELLE
L
ors de son discours tenu ambigüe dégagée dans l’arrêt John Murray c/ Royaume-
DR
Doctrine
et des Libertés a élaboré une note, en date du 17 novem- thèse de corroboration obligatoire. Selon le garde des
bre 2009 (8), indiquant que l’absence d’un avocat lors des Sceaux, à l’instar de plusieurs éléments de preuve (13), l’aveu
interrogatoires doit influer, non sur la régularité de la garde
en garde à vue serait en lui-même insuffisant, le juge dési-
à vue, mais sur la valeur probante des déclarations du mis
reux de condamner étant dans l’obligation de corroborer
en cause, les juridictions du fond pouvant considérer, sur
cet aveu au moyen d’une ou d’autres preuves. Il s’agirait
le fondement de la jurisprudence européenne, « que des
là d’une avancée des droits de la défense. Pourtant,
déclarations recueillies au cours d’une garde à vue ne pour-
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aujourd’hui, en garde à vue, l’aveu se trouve nécessaire-
raient fonder à elles seules une décision de condamnation
ment corroboré. En effet, l’article 63, alinéa 1er du Code
pénale » (9).
de procédure pénale dispose que « l’officier de police judi-
L’annonce faite par le garde des Sceaux, le 22 janvier der- ciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde
nier, démontre donc une volonté de pérenniser cette pra- à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une
tique en l’inscrivant dans le Code de procédure pénale. ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a com-
L’objectif apparent de cette mesure est louable : mettre en mis ou tenté de commettre une infraction [...] ». Ceci mon-
conformité la loi française avec les exigences convention- tre bien qu’avant même le placement en garde à vue cer-
nelles et permettre une meilleure garantie des droits de la tains éléments à charge existent à l’encontre de l’intéressé.
défense. Malheureusement, la réalité est tout autre : il Comme le note un auteur, le policier « doit avoir préa-
s’agit bel et bien de contourner la jurisprudence euro- lablement réuni tous [l]es éléments d’enquête avant d’inter-
péenne afin de maintenir les règles actuelles limitant stric- peller et de placer en garde à vue le suspect, phase qui doit
tement l’intervention de l’avocat en garde à vue. intervenir en dernier » (14). Dès lors, prévoir que l’aveu en
garde à vue ne suffira pas, à lui seul, à condamner le sus-
II. L’OMBRE pect n’aura aucun effet concret puisque le juge convaincu
Présentée comme une mesure permettant de mieux garan- par cet aveu pourra toujours asseoir sa condamnation sur
tir les droits de la défense, l’annonce selon laquelle « l’aveu les éléments préexistants à la garde à vue...
en garde à vue sera insuffisant pour justifier à lui seul une
Enfin, l’annonce faite par le garde des Sceaux doit être
condamnation » ne convainc pas et ce, pour plusieurs rai-
critiquée en ce qu’elle est représentative d’une volonté
sons.
farouche de maintenir l’avocat à l’écart des premières heu-
D’abord, cette mesure se révèlera inefficace en matière res – voire, en matière de criminalité et de délinquance
criminelle. En effet, en affirmant qu’aucune décision de organisées, des premiers jours – de garde à vue. C’est qu’en
condamnation ne pourra être fondée sur un aveu tenu en effet, à ce stade de la procédure, la présence de l’avocat
garde à vue, le garde des Sceaux implique la possibilité de constituerait une menace pour l’efficacité des investiga-
contrôler les éléments étayant une telle condamnation. tions ainsi que le note d’ailleurs le rapport du comité
Or, bien qu’elle soit exigée par la Cour européenne (10) et Léger (15). À ce propos, le discours du garde des Sceaux
préconisée par le rapport Léger (11), la motivation des ver- du 22 janvier dernier doit être lu entre les lignes : « en
dicts d’assises demeure encore aujourd’hui inexis- cas de prolongation de garde à vue [l’avocat] pourra assister
tante (12). Comment alors s’assurer qu’une condamnation à toutes les auditions ». Ceci implique donc que la réforme
criminelle ne se fondera pas exclusivement sur les décla- à venir n’envisage nullement de permettre à l’avocat d’assis-
ter son client lors des interrogatoires menés dès le début
de la garde à vue (16), comme d’ailleurs elle ne prévoit pas
(7) V. H. Matsopoulou, op. cit., p. 23.
(8) Note DACG-SDJPG-BPJ du 17 novembre 2009, « argumentaire sur
l’absence de l’avocat en garde à vue – conséquences procédurales ».
(9) La Cour d’appel de Nancy vient d’ailleurs d’adopter une telle position dans 2009, pourvoi no 08-86480, Gaz. Pal. no 314 du 10 novembre 2009, p.
un arrêt du 19 janvier 2010. En effet, se fondant sur les arrêts sus-évoqués 8, H5308, note J.-F. Renucci.
de la Cour de Strasbourg, cette juridiction a refusé de prendre en compte, (13) V., par exemple, les déclarations de témoins protégés qui ne peuvent fon-
sans toutefois les annuler, des procès-verbaux de garde à vue dans une affaire der à elles seules une décision de condamnation : article 706-62 CPP.
de stupéfiants, au motif que les deux suspects n’avaient pu rencontrer leur (14) H. Vlamynck, « Le policier et la garde à vue : remarques et interrogations »,
avocat avant la 72e heure (v., notamment, Le Républicain Lorrain du 23 jan- AJ Pénal 2004, p. 269.
vier 2010). (15) « Afin de protéger efficacement les droits du gardé à vue, certains membres
(10) CEDH, 13 janvier 2009, Taxquet c/ Belgique, req. no 926/05. Il convient estiment nécessaire que l’avocat soit présent dès la première heure et puisse
de noter, toutefois, que cet arrêt a fait l’objet d’un renvoi en grande cham- assister à l’ensemble des auditions du gardé à vue [...]. Toutefois, la majorité
bre, toujours pendant. des membres s’oppose à cette proposition car elle considère qu’il convient de
(11) Rapport du comité de réflexion sur la réforme de la justice pénale, 1er sep- préserver l’efficacité de l’enquête et que les premières investigations s’avèrent
tembre 2009, 11e proposition, p. 37 à 39. souvent déterminantes pour la manifestation de la vérité » (Rapport du
(12) L’article 353 du CPP dispose ainsi que « la loi ne demande pas compte aux comité de réflexion sur la réforme de la justice pénale, 1er septembre 2009,
juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas 5e proposition, p. 18).
de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude (16) Aujourd’hui, la Cour de cassation juge même que l’officier de police judi-
et la suffisance d’une preuve ». V. dernièrement Cass. crim., 14 octobre ciaire n’a pas à attendre que le suspect se soit entretenu avec son avocat
une remise en cause des régimes dérogatoires propres à la exigences conventionnelles imposent donc à l’officier de
criminalité et à la délinquance organisées. police judiciaire, qui décide de retarder l’intervention de
Pourtant, au regard de la position adoptée par la Cour l’avocat, de motiver concrètement sa décision au regard
européenne dans les arrêts précités, qui a d’ailleurs été de raisons impérieuses, de « circonstances insurmonta-
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réaffirmée à plusieurs reprises (17), les règles posées par le bles » (22), faisant obstacle à l’exercice immédiat d’un tel
Code français de procédure pénale apparaissent nette- droit.
ment insuffisantes. En effet, si, depuis la loi no 2000-516 L’affirmation selon laquelle « l’aveu en garde à vue sera
du 15 juin 2000, l’avocat peut intervenir en garde à vue insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation » fait
dès la première heure pour les affaires de droit com- donc figure de pis-aller par rapport au rôle que devrait
mun (18), cette intervention ne consiste pas en une véri- concrètement jouer l’avocat si l’on voulait bien se confor-
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table assistance du suspect, mais en un entretien ponctuel mer aux exigences européennes. Malgré tout, la note minis-
de trente minutes. Or, la formule employée par la Cour térielle précitée du 17 novembre 2009 laisse entendre que
européenne, dans son arrêt Dayanan c/ Turquie, relative cette nouvelle règle permettrait de mettre en adéquation
aux « déclarations incriminantes faites lors d’un interro-
la procédure pénale française avec la jurisprudence de Stras-
gatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat »
bourg en ce qu’elle constituerait la contrepartie suffisante
démontre bien que l’avocat doit, non seulement, pouvoir
au retard de l’intervention concrète de l’avocat en garde
intervenir dès le début de la garde à vue, mais aussi, être
à vue. Pourtant, rien n’est moins vrai. Si l’annonce du
présent lors des interrogatoires (19).
garde des Sceaux permet bien d’intégrer en droit interne
la position de la Cour européenne selon laquelle aucune