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SÉLECTION DE JURISPRUDENCE

PROCÉDURE PÉNALE
Jurisprudence

La France, le parquet et les droits de l’homme : l’importune opiniâtreté


de la Cour européenne
Garde à vue - Droit à la sûreté - Garantie judiciaire - Statut et rôle du ministère public - Violation Conv.
EDH, art. 5, § 3 (oui) - Perquisitions - Cabinet et domicile d’un avocat - Droits de la défense - Violation
Conv. EDH, art. 6 et 8 (non)
Du fait de leur statut, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance
à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi
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les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat ». En conséquence, la requérante a été présentée
à un « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », plus de cinq jours après
son arrestation et son placement en garde à vue. Partant, il y a eu violation de l’article 5, § 3 de la Convention.
Si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un
avocat, celles-ci doivent impérativement être assorties de garanties particulières. De telles mesures sont pos-
sibles notamment en cas de constat de l’existence d’indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction.

CEDH, 5e section, 23 nov. 2010, no 37104/06 : Moulin c/ France I3967

« La morale de la fable était simple, finalement : en quelques années de soumission hiérarchique,


les magistrats du parquet avaient cessé d’être des magistrats »
(S. Corto, Parquet flottant, Denoël, 2009, p. 114)

« La CEDH dans sa décision ne L’arrêt Moulin c/ France (4) permet de rétablir la vérité : selon
DR

remet pas en cause le statut du la Cour européenne des droits de l’homme, les magistrats
parquet français. Cela met fin du ministère public ne sont pas membres de l’« autorité
aux interprétations que certains judiciaire ».
ont voulu donner depuis le pre-
mier arrêt de la Cour, le En l’espèce, le 13 avril 2005, alors qu’elle se trouvait au
10 juillet 2008 ». Voilà les tribunal de grande instance d’Orléans, une avocate au bar-
enseignements qu’entendait reau de Toulouse fut arrêtée et placée en garde à vue dans
tirer le garde des Sceaux de le cadre d’une information judiciaire ouverte principalement
Par Olivier l’arrêt de grande chambre des chefs de trafic de stupéfiants et blanchiment des pro-
BACHELET Medvedyev c/ France (1), le jour duits de ce trafic et confiée à deux juges d’instruction. L’inté-
Collaborateur de la SCP de son prononcé. ressée fut alors conduite à Toulouse afin d’assister à la per-
Célice, Blancpain quisition de son cabinet qui se déroula, le 14 avril 2005, en
et Soltner, avocats
Passant sous silence les ma-
aux conseils nœuvres ayant permis d’évi- présence des deux juges d’instruction orléanais. Le lende-
Membre du ter la confirmation du constat main, au terme de sa garde à vue, elle fit l’objet d’un mandat
CREDHO-Paris Sud de violation de l’article 5 de la d’amener et, se trouvant à plus de « deux cents kilomètres »
Convention, en ce que la pri- d’Orléans (5), fut conduite devant le procureur adjoint du tri-
vation de liberté des requérants n’avait pas été contrôlée bunal de grande instance de Toulouse qui ordonna sa
par un membre de l’« autorité judiciaire » (2), le ministre de conduite en maison d’arrêt en vue de son transfèrement
la Justice de l’époque préférait indiquer que « la Cour rap- ultérieur devant les juges d’instruction. Trois jours plus tard,
pelle uniquement les principes qui se dégagent de sa juris- le 18 avril 2005, l’avocate fut présentée aux juges d’ins-
prudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge truction, mise en examen et placée en détention provisoire.
ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par Elle saisit la chambre de l’instruction d’une requête en nul-
la Convention européenne des droits de l’homme, en matière lité d’actes. En vain.
de détention » (3).
Après avoir épuisé les voies de recours internes, l’intéres-
sée saisit la Cour européenne des droits de l’homme en
alléguant ne pas avoir bénéficié de l’assistance de l’avocat
de son choix pendant sa garde à vue. Néanmoins, relevant
que cette situation était due à une erreur de la requérante
(1) CEDH, gde ch., 29 mars 2010, no 3394/03, Medvedyev et a. c/ France : dans la désignation de son défenseur, la Cour de Strasbourg
H. Matsopoulou, Gaz. Pal. 27 avr. 2010, p. 15, I1383 ; D. 2010, p. 1386, rejette ce grief comme manifestement mal fondé.
note J.-F. Renucci ; D. 2010, p. 1390, note P. Hennion-Jacquet.
(2) CEDH, 5e sect., 10 juill. 2008, no 3394/03, Medvedyev et a. c/ France :
Rev. sc. crim. 2009, p. 176, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 2009, p. 600, note
J.-F. Renucci. (4) V. C. Charrière-Bournazel, « France Moulin, la CEDH et la France », Gaz.
(3) « CEDH : arrêt Medvedyev », communiqué de presse de Mme Alliot-Marie, Pal. 30 nov. 2010, p. 12, I3843.
29 mars 2010. (5) C. proc. pén., art. 127 et s.

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Par ailleurs, la requérante dénonçait le déroulement de la n’aurait pas été, elle-même, mise en cause (9). Or, si les
perquisition menée à son cabinet et invoquait, en la matière, dispositions actuelles du Code de procédure pénale pré-

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une méconnaissance des articles 6 et 8 de la Convention (I). voient des règles spécifiques pour les perquisitions et sai-
Surtout, elle affirmait que, détenue durant cinq jours avant sies pratiquées au cabinet et au domicile d’un avocat (10), il
d’être présentée à un « juge ou un autre magistrat habilité par n’est, pour autant, pas nécessaire de justifier spécialement
la loi à exercer des fonctions judiciaires », elle n’avait pas été le recours à de telles mesures, en particulier au regard de
« aussitôt » traduite devant une telle autorité, comme l’exige l’existence de soupçons de participation de l’avocat à l’infrac-
l’article 5, § 3 de la Convention (II). tion.
Une modification des textes semble, déjà ici, s’imposer. Qu’en
I. LE NÉCESSAIRE ENCADREMENT DES PERQUISITIONS est-il du rôle assigné au parquet ?
MENÉES CHEZ UN AVOCAT
II. LE PARQUET N’EST PAS UN « MAGISTRAT HABILITÉ

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En son temps, l’affaire Moulin a eu un fort retentissement
dans la mesure où elle constituait le premier cas de pla- À EXERCER DES FONCTIONS JUDICIAIRES »
cement en détention provisoire d’un avocat sur le fonde- Afin de s’assurer qu’en l’espèce la « garantie judiciaire »
ment du nouveau délit de violation aggravée du secret de prévue par l’article 5 de la Convention avait bien été res-
l’enquête et de l’information judiciaire (6). Certains ont ainsi pectée, la Cour européenne devait vérifier que la requérante
considéré que « la procédure utilisée en l’espèce relève du avait été « aussitôt traduite » devant « un juge ou un autre
mépris le plus élémentaire des droits de la défense et pose magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »
avec gravité la question de savoir si les avocats pourront libre- durant la période litigieuse de cinq jours qui s’était écoulée
ment assurer la défense de leurs clients sans courir le risque depuis son arrestation jusqu’à son placement en détention
d’être recherchés dans le simple exercice de leur mis- provisoire.
sion » (7). En particulier, la perquisition du cabinet de la requé-
En la matière, les juges strasbourgeois refusent d’admettre
rante a été considérée comme une atteinte intolérable aux
que l’intervention des deux juges d’instruction orléanais ait
droits de la défense (8).
été suffisante. Selon la Cour, « la requérante n’a pas été enten-
Saisie de la question de savoir si un tel acte d’investigation due personnellement par les juges d’instruction en vue d’un
était conforme aux exigences européennes, la Cour de Stras- examen par ces derniers des circonstances qui militent pour
bourg rappelle que « des perquisitions et des saisies chez un ou contre la détention, afin qu’ils se prononcent selon des cri-
avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret profes- tères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant » (§ 51).
sionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe Dès lors, seul le procureur adjoint du tribunal de grande
entre l’avocat et son client [...]. Partant, si le droit interne peut instance de Toulouse, à qui la requérante avait été pré-
prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires sentée avant qu’elle ne soit placée en maison d’arrêt sur
dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent impérativement exécution du mandat d’amener décerné à son encontre,
être assorties de garanties particulières » (§ 71). Or, les juges aurait pu être en mesure d’exercer un tel contrôle de la
européens soulignent qu’en l’espèce, « la perquisition s’est privation de liberté. Néanmoins, après avoir insisté sur les
accompagnée d’une garantie spéciale de procédure, puisqu’elle liens unissant le parquet français et le pouvoir exécutif et
fut exécutée en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats, repris de longs passages de l’arrêt de grande chambre Med-
et que les observations formulées par celui-ci ont pu être ensuite vedyev c/ France, la Cour européenne affirme sans la moin-
discutées devant le juge des libertés et de la détention » (§ 73). dre ambigüité que « du fait de leur statut [...], les membres
Par ailleurs, selon la Cour, « la Convention n’interdit pas du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence
d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations sus- d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une juris-
ceptibles de concerner les relations avec leurs clients. Il en va prudence constante, compte, au même titre que l’impartialité,
ainsi notamment en cas de constat de l’existence d’indices plau- parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magis-
sibles de participation d’un avocat à une infraction » (§ 71). trat » au sens de l’article 5, § 3 » (§ 57). Par ailleurs, insistant
Précisément, en l’espèce, « il existait des raisons plausibles sur l’indivisibilité du parquet français, les juges européens
de soupçonner la requérante d’avoir commis ou tenté de com- constatent que « la loi confie l’exercice de l’action publique au
mettre, en sa qualité d’avocate, une ou plusieurs infractions » ministère public » alors que « les garanties d’indépendance
(§ 72). à l’égard de l’exécutif et des parties excluent notamment qu’il
puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure
Par conséquent, la Cour européenne ne relève aucune appa- pénale » (§ 58).
rence de violation des stipulations de la Convention et écarte
le grief développé par la requérante comme manifestement Par conséquent, la Cour considère que la requérante n’a
mal fondé. Il n’en demeure pas moins qu’une lecture a contra- « été présentée à un « juge ou (...) autre magistrat habilité par
rio de cette solution laisse entendre que la Cour de Stras- la loi à exercer des fonctions judiciaires », en l’espèce les juges
bourg aurait certainement constaté une violation des exi- d’instruction d’Orléans, en vue de l’examen du bien-fondé de
gences européennes dans le cas où l’avocate requérante sa détention, que le 18 avril 2005 [...], soit plus de cinq jours
après son arrestation et son placement en garde à vue » (§ 60).
Or, rappelant qu’elle a déjà « jugé qu’une période de garde
à vue de quatre jours et six heures sans contrôle judiciaire
(6) C. pén., art. 434-7-2 issu de la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 d’adaptation
de la justice aux évolutions de la criminalité. Suite à cette affaire, le légis-
lateur a limité la peine encourue pour ce délit afin de restreindre la pos-
sibilité de recourir à la détention provisoire (L. no 2005-1459, 12 déc. 2005, (9) Cette interprétation rejoint d’ailleurs celle faite à propos d’un arrêt de la
relative au traitement de la récidive des infractions pénales). Cour européenne ayant constaté une violation de la Convention en s’appuyant
(7) Communiqué du 19 avril 2005 du président de la Conférence des bâton- notamment sur le fait que l’avocat dont les locaux avaient été perquisiti-
niers, Thierry Wickers. onnés n’était pas lui-même suspecté (CEDH, 24 juill. 2008, André et a.
(8) Lettre du 18 avril, adressée à tous les bâtonniers de France, par le bâtonnier c/ France, no 18603/03, JDI 2009, p. 1007, note O. Bachelet).
de Toulouse, Thierry Carrère. (10) C. proc. pén., art. 56-1.

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allait au-delà des strictes limites de temps fixées par l’article À cet égard, le régime actuel de la garde à vue menée dans
5, § 3 » (§ 61), elle constate une violation de ce texte. l’enquête de police, déjà critiqué pour ce qui concerne les
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droits de la défense, méconnaît ouvertement le droit du sus-


L’arrêt Moulin c/ France permettra donc de convaincre ceux
pect à la « garantie judiciaire », les quarante-huit premières
qui doutaient encore que le parquet ne puisse être qualifié
heures de cette mesure étant placées sous le contrôle du
de « magistrat habilité [...] à exercer des fonctions judiciaires » ministère public. Le projet de réforme de la garde à vue, qui
au sens de l’article 5 de la Convention européenne. Certes, sera discuté devant le Parlement les 10 et 11 janvier pro-
le jour même du prononcé de l’arrêt, le garde des Sceaux chain, n’y changera rien puisque, dans la lignée du Conseil
a annoncé qu’un renvoi de l’affaire en grande chambre allait constitutionnel, qui s’entête à affirmer que le procureur de
être demandé au collège de cinq juges. Néanmoins, dans la la République est membre de l’« autorité judiciaire » (16), il
mesure où la solution ici dégagée correspond à une juris- maintient le rôle joué par le parquet.
prudence traditionnelle de la Cour de Strasbourg (11) et a
déjà été affirmée à l’égard de la France (12), il y a tout lieu Il reste que, selon certains, les standards européens n’impo-
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de penser que cette demande sera écartée et que l’arrêt seraient pas de retirer au procureur de la République le
deviendra très prochainement définitif. contrôle des deux premiers jours de garde à vue. D’une part,
la lecture de l’article 5, § 3 de la Convention permettrait de
Dès lors, le projet de réforme de la procédure pénale – déjà considérer que « le terme « aussitôt » ne veut pas dire sur-
moribond – apparaît compromis. En effet, désignant le par- le-champ » et tolérerait une « relative rapidité ». D’autre part,
quet comme « pivot » de la mise en état des affaires pénales, l’examen de la jurisprudence strasbourgeoise démontrerait
il méconnaît ouvertement la jurisprudence européenne selon que « la CEDH est très nuancée et pas tellement stricte » et
laquelle cette phase essentielle de la procédure doit être qu’elle admet qu’un délai de plusieurs jours sépare l’arres-
confiée à un magistrat indépendant et impartial (13). D’ailleurs, tation du suspect et sa présentation à un juge (17).
avec le même cynisme que celui dont il avait fait preuve
dans l’affaire Medvedyev c/ France (14), le gouvernement fran- Toutefois, cet exposé des exigences européennes apparaît
çais admet lui-même que les exigences conventionnelles ne parcellaire. S’il est vrai que la Cour de Strasbourg admet un
peuvent être respectées qu’avec l’intervention d’un juge possible retard dans la présentation de la personne privée
d’instruction en n’hésitant pas à souligner qu’en l’espèce de liberté devant un membre de l’« autorité judiciaire », c’est
« l’article 5, § 3 de la Convention a été respecté puisque la uniquement lorsque les circonstances de l’espèce l’impo-
requérante a été « aussitôt » [...] « présentée » aux juges d’ins- sent.
truction » (§ 39). Ainsi, la Cour européenne affirme-t-elle que « le contrôle
Bien plus, ce sont toutes les dispositions du Code de pro- juridictionnel lors de la première comparution de la personne
cédure pénale actuel qui, en confiant au procureur de la arrêtée doit avant tout être rapide car il doit permettre de détec-
République le contrôle de la plupart des actes attentatoires ter tout mauvais traitement et de réduire au minimum toute
atteinte injustifiée à la liberté individuelle. La stricte limite de
aux droits et libertés, menés dans le cadre d’une enquête
temps imposée par cette exigence ne laisse guère de sou-
de police, apparaissent contraires à la Convention euro-
plesse dans l’interprétation, sinon on mutilerait, au détriment
péenne puisque, selon la Cour, l’adoption de telles mesures
de l’individu, une garantie procédurale offerte par cet article
requiert que l’autorité décisionnaire soit objectivement et
et l’on aboutirait à des conséquences contraires à la substance
subjectivement impartiale (15).
même du droit protégé par lui » (18).
Elle ajoute que « si la célérité s’apprécie suivant les parti-
(11) V. entre autres CEDH, 4 déc. 1979, no 7710/76, Schiesser c/ Suisse, cularités de chaque cause [...], le poids à leur accorder ne sau-
§ 31 – CEDH, 22 mai 1984, nos 8805/79, 8806/79 et 9242/81, De Jong, rait jamais aller jusqu’à porter atteinte à la substance du droit
Baljet et van den Brink c/ Pays-Bas, § 49 – CEDH, 23 oct. 1990, no 12794/ protégé par l’article 5, § 3 [...], c’est-à-dire jusqu’à dispenser
87, Huber c/ Suisse, § 42 – CEDH, 26 nov. 1992, no 13867/88, Brincat en pratique l’État d’assurer un élargissement rapide ou une
c/ Italie, § 21 et CEDH, 3 juin 2003, no 33343/96, Pantea c/ Roumanie,
prompte comparution devant une autorité judiciaire » (19).
§ 238.
(12) « Le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard Plus précisément, la Cour de Strasbourg indique « qu’il faut
de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la
examiner chaque cas d’espèce, en fonction de ses caractéris-
suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère
public » : CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev c/ France, no 3394/03, tiques particulières, pour déterminer si les autorités ont res-
§ 124. pecté l’exigence de promptitude [...]. Elle rappelle également
(13) « Toutefois, dans la mesure où les actes accomplis par le juge d’instruction que des circonstances exceptionnelles peuvent justifier un délai
influent directement et inéluctablement sur la conduite et, dès lors, sur l’équité plus long avant d’être traduit devant l’autorité judiciaire
de la procédure ultérieure, y compris le procès proprement dit, la Cour estime [...] » (20).
que, même si certaines des garanties procédurales envisagées par l’article 6,
§ 1 de la Convention peuvent ne pas s’appliquer au stade de l’instruction,
les exigences du droit à un procès équitable au sens large impliquent néces-
sairement que le juge d’instruction soit impartial » (CEDH, 6 janv. 2010, (16) Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC, Daniel W. et a. : Gaz.
no 74181/01, Vera Fernandez-Huidobro c/ Espagne, § 111). Pal. 5 août 2010, p. 14, I2572, note O. Bachelet ; D. 2010, p. 1928,
(14) CEDH, 29 mars 2010, no 3394/03, Medvedyev c/ France, § 114. entretien avec C. Charrière-Bournazel ; JCP G. 2010, p. 1714 et s., note
(15) CEDH, 6 janv. 2010, no 74181/01, Vera Fernandez-Huidobro c/ Espa- F. Fournié ; Les Annonces de la Seine no 46, 16 sept. 2010, p. 9 et s.,
gne, § 113. La Cour de Strasbourg a d’ailleurs récemment réaffirmé sa note G. Latour.
défiance à l’égard du ministère public pour ce qui concerne la protection (17) J. Pradel, « Vers une métamorphose de la garde à vue. Après la « décision
des droits et libertés dans le cadre de la phase préparatoire de la procédure pilote » du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et les arrêts de la
pénale en considérant, en matière de perquisitions, que « si le procureur, chambre criminelle du 19 octobre 2010 », D. 2010, p. 2783.
comme tout agent public, est lié par les exigences de l’intégrité ordinaire, du (18) CEDH, 3 oct. 2006, no 543/03, McKay c/ Royaume-Uni, § 33, JDI
point de vue procédural il est une « partie » qui défend des intérêts poten- 2007, p. 701, note O. Bachelet.
tiellement incompatibles avec la protection des sources des journalistes et il (19) CEDH, 29 nov. 1988, nos 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85,
ne peut guère passer pour suffisamment objectif et impartial pour effectuer Brogan et a. c/ Royaume-Uni, § 59 (souligné par nous).
la nécessaire appréciation des divers intérêts en conflit » (CEDH, 14 sept. (20) CEDH, déc., 12 janv.1999, no 37388/97, Rigopoulos c/ Espagne, p. 8
2010, no 38224/03, Sanoma Uitgevers BV c/ Pays-Bas, § 93). (souligné par nous).

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En d’autres termes, comme pour ce qui concerne l’inter- Dans ces conditions, quelle réforme adopter ? Selon cer-
vention de l’avocat (21), la Cour européenne admet que des tains (23), la rupture du lien hiérarchique entre le parquet et

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circonstances particulières puissent retarder la mise en l’exécutif constituerait un moyen efficace de satisfaire les
œuvre de la « garantie judiciaire » en garde à vue, mais refuse exigences européennes. Il est, toutefois, permis d’en dou-
qu’un tel retard soit érigé en pratique systématique. Par ter. En effet, pour considérer que le procureur de la Répu-
conséquent, dans la mesure où le procureur de la Répu- blique n’est pas un « magistrat habilité [...] à exercer des
blique n’est pas un « magistrat habilité [...] à exercer des fonctions judiciaires », la Cour de Strasbourg se fonde, non
fonctions judiciaires », le fait de lui confier le contrôle des seulement sur son absence d’indépendance à l’égard du pou-
quarante-huit premières heures de garde à vue revient à voir exécutif, mais aussi sur son impartialité déficiente dans
retarder de manière systématique la mise en œuvre de la la mesure où la possibilité de déclencher les poursuites fait
« garantie judiciaire », ce qui méconnaît frontalement les partie de ses prérogatives essentielles.
exigences européennes.
Par conséquent, la réforme qui semble véritablement s’impo-

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Pourtant, à l’instar du projet de loi relatif à la lutte contre ser consisterait à transférer l’ensemble des prérogatives du
la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État ministère public portant atteinte aux droits et libertés du
en mer adopté en première lecture par l’Assemblée natio- suspect à un magistrat du siège disposant du temps et des
nale le 25 novembre dernier (22), la réforme de la garde à facilités nécessaires à l’examen du dossier.
vue n’intègre nullement ces standards strasbourgeois.
Un « Habeas Corpus » à la française ? Chiche ! +
***

(21) CEDH, 13 oct. 2009, no 7377/03, Dayanan c/ Turquie, § 33.


(22) Ainsi, le futur article L. 1521-14 du Code de la défense confiera-t-il au (23) H. Matsopoulou, « Plaidoyer pour l’indépendance fonctionnelle des magis-
procureur de la République le contrôle des deux premiers jours des mesures trats du parquet (à propos de l’affaire Medvedyev : CEDH, gde ch., 29 mars
privatives de liberté décidées en matière de piraterie maritime. 2010, no 3394/03) », Gaz. Pal. 27 avr. 2010, p. 15, I1383.

SOCIÉTÉS
La délégation de pouvoirs dans les SAS : un tableau en clair-obscur
Sociétés par actions simplifiées - Représentants légaux - Délégation de pouvoir - Écrit (non) - Dépas-
sement de pouvoir (oui) - Ratification de la mesure (oui) - Licenciement - Cause réelle et sérieuse (non) -
Nullité (non)
L’article L. 227-6 du Code de commerce n’exclut pas la possibilité pour les représentants légaux de la SAS de
déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés tel que celui de licencier les salariés de l’entreprise.
Ne constitue pas un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse celui émanant d’une personne qui ne
justifie pas de la désignation conforme aux statuts d’un directeur général avec délégation du pouvoir de licencier,
pas plus que n’est nul le licenciement émanant d’une personne, signataire de la lettre ayant pour objet celui-ci,
autre que le président de la SAS ou autre que la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour
exercer le pouvoir de licencier.
La délégation du pouvoir de licencier peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui a conduit la
procédure de licenciement, la mesure prise par celui-ci pouvant même être ratifiée par la société dès lors que
celle-ci a manifesté une volonté claire et non équivoque de reprise d’une telle mesure.

Cass. ch. mixte, 19 nov. 2010, no 10-10095 : Sté Whirlpool France c/ Roland X – P+B – Cassation CA Versailles,
5 nov. 2009 – M. Lamanda, prés. ; M. Allix, av. gén. – SCP Piwnica et Molinié, SCP Masse-Dessen et Thouvenin,
av. – Cass. ch. mixte, 19 nov. 2010, no 10-30215 : Sté ED c/ Sébastien X – P+B, Cassation CA Paris, 3 déc. 2009 –
M. Lamanda, prés. ; M. Allix, av. gén. – SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Ancel et Couturier-Heller, av.I3963

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