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SÉLECTION DE JURISPRUDENCE

PROCÉDURE PÉNALE

Jurisprudence
L’inconventionnalité de la garde à vue : le quai de l’Horloge frappé
par le « syndrome du lac »
Garde à vue - Assistance d’un avocat - Notification du droit de se taire - Procès équitable - Violation
Conv. EDH, art. 6, § 1 (oui) - Application dans le temps de la solution (report)
Sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non
à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit,
dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non

ÉDITION PROFESSIONNELLE
équivoque, de l’assistance d’un avocat.
Les règles énoncées ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des
dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juri-
dique et à la bonne administration de la justice. Ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi
devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique
de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011.
Cass. crim, 19 oct. 2010, no 10-82306 : M. S. – FP - P+B+R+I – Annulation partielle sans renvoi CA Agen, 15 mars
2010 – M. Louvel, prés. ; M. Finidori, rapp. ; M. Robert, av. gén. – Me Bouthors, av. – Cass. crim, 19 oct. 2010,
no 10-82902 : M. T. – FP – P+B+R+I – Rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 1er avr. 2010 – M. Louvel, prés. ;
M. Straehli, rapp. ; M. Raysséguier, prem. av. gén. – Me Spinosi, av. – Cass. crim, 19 oct. 2010, no 10-85051 : M. B.
– FP – P+B+R+I – Annulation partielle sans renvoi CA Poitiers, 15 juin. 2010 – M. Louvel, prés. ; M. Straehli, rapp. ;
M. Boccon-Gibod, av. gén. I3465

« Ô temps ! suspends ton vol ... »


Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, « Le lac », 1820

7 octobre 2010 : le parquet timent d’inachevé. Il est vrai que la haute juridiction s’aligne
général près la Cour de sur la jurisprudence de la Cour européenne (4) en affirmant,
cassation conclut à la non- sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne,
conformité au droit à un que la personne gardée à vue doit, d’une part, être informée
procès équitable des régimes de son droit de garder le silence et, d’autre part, « sauf
de garde à vue. renonciation non équivoque » (5), bénéficier de l’assistance
d’un avocat « dans des conditions lui permettant d’organiser
14 octobre 2010 : la Cour
sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, aux-
européenne des droits de
quels l’avocat doit pouvoir participer » (6). Elle va même plus
l’homme constate, pour la
Par Olivier première fois, une violation de
BACHELET ce même droit à l’encontre de
Collaborateur de la SCP la France pour ce qui
Célice, Blancpain (4) V., les nombreux arrêts de la Cour de Strasbourg ayant déclaré contraires
et Soltner, avocats concerne le régime de sa à l’article 6 de la Convention les régimes de garde à vue ne permettant pas
aux conseils garde à vue (1). au suspect d’être assisté par un avocat lors des interrogatoires et d’être informé
Membre de son droit au silence, notamment : CEDH, gde ch., 27 nov. 2008,
du CREDHO-Paris Sud
Ces signes avant-coureurs
no 36391/02, Salduz c/ Turquie – CEDH, 24 sept. 2009, no 7025/04,
laissaient présager un épilo-
Pishchalnikov c/ Russie – CEDH, 13 oct. 2009, no 7377/03, Dayanan c/
gue heureux pour les droits de Turquie : Gaz. Pal. 2 déc. 2009, p. 19, note H. Matsopoulou ; JDI 2009,
la défense, à la hauteur de la loi Constans du 8 décembre p. 967, obs. O. Bachelet – CEDH, 19 nov. 2009, no 17551/02 , Oleg
1897 ayant ouvert aux avocats le cabinet du juge d’instruc- Kolesnic c/ Ukraine – CEDH, 2 mars 2010, no 54729/00, Adamkiewicz
tion. c/ Pologne – CEDH, 29 juin 2010, no 12976/05, Karadag c/ Turquie.
(5) Cette référence renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne selon
Pourtant, comme la décision du Conseil constitutionnel du laquelle toute renonciation aux droits de la défense est conditionnée au
30 juillet 2010 (2), les trois arrêts rendus par la formation consentement libre et éclairé du suspect (v., par ex. : CEDH, 27 févr. 1980,
plénière de la chambre criminelle de la Cour de cassation, no 6903/75, Deweer c/ Belgique). De la sorte, la Cour de cassation semble
le 19 octobre 2010 (3), laissent subsister un désagréable sen- implicitement souligner l’une des insuffisances du projet de loi relatif à la
garde à vue, adopté en Conseil des ministres le 13 octobre 2010, dans ses
dispositions concernant l’« audition libre » (v. O. Bachelet, « La réforme
de la garde à vue ou l’art du faux semblant », Gaz. Pal. 14 sept. 2010, p. 5,
(1) CEDH, 14 oct. 2010, no 1466/07, Brusco c/ France : Gaz. Pal. 19 oct. I2931).
2010, p. 18, I3369. (6) Notons que la Cour de cassation, qui n’était pas saisie de cette question,
(2) Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC, Daniel W et a. : Gaz. ne se prononce pas sur la conventionnalité du contrôle des gardes à vue
Pal. 5 août 2010, p. 14, I2572, note O. Bachelet ; D. 2010, p. 1928, policières confié au procureur de la République. Il n’en demeure pas moins
entretien avec C. Charrière-Bournazel ; JCP G 2010, p. 1714 et s., note que, comme nous l’avons déjà souligné (O. Bachelet, « La garde à vue, entre
F. Fournié ; Les Annonces de la Seine, no 46, 16 sept. 2010, p. 9 et s., note inconstitutionnalité virtuelle et inconventionnalité réelle », Gaz. Pal. 5 août
G. Latour. 2010, p. 14, I2572), l’attribution d’une telle fonction au parquet heurte
(3) Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82306, 10-82902 et 10-85051. frontalement les exigences conventionnelles, notamment énoncées dans le

GAZETTE DU PALAIS - DIMANCHE 24 AU MARDI 26 OCTOBRE 2010 15


SÉLECTION DE JURISPRUDENCE

loin que le Conseil constitutionnel, celui-ci ayant refusé de A. Une solution inappropriée
se prononcer en la matière (7), puisqu’elle considère que de
Jurisprudence

Dans ses trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre cri-


telles exigences doivent également être appliquées aux gar- minelle de la Cour de cassation refuse de faire une appli-
des à vue dérogatoires, « sauf exceptions justifiées par des cation immédiate des droits qu’elle reconnaît au gardé à vue
raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne
l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit repro- afin de préserver la « bonne administration de la justice » et
ché » (8). le « principe de sécurité juridique ». Pourtant, la Cour de cas-
Néanmoins, dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de sation délivre une solution manifestement inappropriée à la
cassation conclut en exacte opposition avec les principes satisfaction de ces objectifs.
qu’elle énonce. Elle annule, en effet, deux arrêts de cham- S’agissant, en premier lieu, de la « bonne administration de
bres de l’instruction ayant fait une pleine application des la justice », le refus d’une application immédiate des droits
droits conventionnellement reconnus au gardé à vue (9) et nouvellement reconnus au gardé à vue s’accorde mal avec
ÉDITION PROFESSIONNELLE

rejette un pourvoi fondé sur la méconnaissance de ces l’article 112-2, 2o du Code pénal selon lequel les disposi-
droits (10). Pour ce faire, les juges du quai de l’Horloge affir- tions relatives aux « formes de la procédure » sont d’appli-
ment que les « règles » énoncées par ces trois arrêts « ne cation immédiate. Or, ce principe traditionnel est précisé-
peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite ment énoncé dans un objectif de « bonne administration de
dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de la justice » afin de garantir aux magistrats un corps homo-
sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité gène et cohérent de règles à appliquer.
juridique et à la bonne administration de la justice ». Par consé- À cet égard, il n’est pas certain que prévoir la mise en œuvre
quent, « ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur différée de droits énoncés par un texte à valeur supra-
de la loi devant, conformément à la décision du Conseil cons- législative et d’application directe en France facilite la tâche
titutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la des magistrats et participe d’une « bonne administration de
garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ». la justice »...
Une telle solution, qui consiste à reconnaître l’existence de De surcroît, le principe de l’application immédiate des lois
droits fondamentaux et à en refuser l’application, contraste de procédure se justifie traditionnellement par l’idée que
singulièrement avec la jurisprudence de la Cour de Stras- les règles nouvelles en la matière sont réputées meilleures.
bourg selon laquelle la Convention européenne ne garantit Un tel principe aurait donc dû être pleinement appliqué dans
pas des droits abstraits et théoriques, mais des droits effec- les arrêts commentés puisque la position adoptée par la
tifs et concrets (11). Cour de cassation consiste effectivement à reconnaître de
nouveaux droits au gardé à vue. La solution s’imposait
À cet égard, les louvoiements de la Cour de cassation (I) ne d’autant plus que la Cour européenne admet que les lois de
parviennent pas à en masquer l’inconséquence (II). procédure s’appliquent immédiatement – y compris
lorsqu’elles sont défavorables au requérant (12) – et affirme

‘‘
que les États ont l’obligation de faire profiter leurs justi-
La Cour de cassation conclut ciables des dispositions nouvelles plus favorables (13).
en exacte opposition avec les principes Pour ce qui concerne, en second lieu, le « principe de sécu-
qu’elle énonce

rité juridique », le refus d’appliquer immédiatement les nou-
veaux droits reconnus au gardé à vue se concilie mal avec
le champ d’application naturel des revirements de juris-
I. LES LOUVOIEMENTS DE LA COUR DE CASSATION
prudence, qui saisissent les situations en cours, et la posi-
Tout en s’efforçant de justifier le report dans le temps des tion traditionnelle de la Cour de cassation selon laquelle « la
effets de sa jurisprudence, la chambre criminelle de la Cour sécurité juridique [...] ne saurait consacrer un droit acquis à
de cassation rend une solution inappropriée (A) dont elle une jurisprudence figée » (14).
dissimule mal la pusillanimité (B). Il est vrai que la haute juridiction s’est autorisée à moduler
dans le temps les effets de ses revirements (15), comme l’a
également fait le Conseil d’État à propos de ses décisions
célèbre arrêt Medvedyev (CEDH, gde ch., 29 mars 2010, no 3394/03, d’annulation d’un acte administratif (16). Néanmoins, une telle
Medvedyev c/ France, § 124). La Cour de Strasbourg a d’ailleurs récem- modulation n’a, pour l’instant, été admise par les juges du
ment réaffirmé sa défiance à l’égard du ministère public pour ce qui concerne quai de l’Horloge que dans le cas où le revirement litigieux
la protection des droits et libertés dans le cadre d’une procédure pénale en
considérant que « si le procureur, comme tout agent public, est lié par les
aurait pour effet de priver le requérant du droit à l’accès au
exigences de l’intégrité ordinaire, du point de vue procédural il est une « par- juge (17) et elle demeure écartée en matière pénale (18).
tie » qui défend des intérêts potentiellement incompatibles avec la protection Il est vrai également que la Cour européenne se montre
des sources des journalistes et il ne peut guère passer pour suffisamment objectif sensible à la problématique de l’application dans le temps
et impartial pour effectuer la nécessaire appréciation des divers intérêts en
conflit » (CEDH, 14 sept. 2010, no 38224/03, Sanoma Uitgevers BV c/
Pays-Bas, § 93).
(7) V. Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC, Daniel W et a., préc. (12) CEDH, 19 déc. 1997, no 26737/95, Brualla Gomez de La Torre c/ Espa-
– Cons. const., 22 sept. 2010, no 2010-31 QPC, Bulent A. et a. gne, § 35.
(8) Cet aspect de la solution dégagée par la Cour de cassation doit être salué. (13) CEDH, 17 sept. 2009, no 10249/03, Scoppola c/ Italie (no 2) : JDI 2010,
De la sorte, en effet, la haute juridiction assure une avancée significative des p. 979, obs. O. Bachelet.
droits de la défense et se conforme à la jurisprudence de la Cour de Stras- (14) V. not. : Cass. 1re civ., 21 mars 2000, no 98-11982 : Bull. civ. 2000, I,
bourg selon laquelle une « restriction systématique » du droit pour le gardé no 97.
à vue d’être assisté par un avocat « suffit à conclure à un manquement aux (15) Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, no 01-10426 : Bull. civ. 2004, II, no 387.
exigences de l’article 6 de la Convention » (v. CEDH, 13 oct. 2009, Dayanan (16) V. CE, ass., 11 mai 2004, no 255886, Association AC !.
c/ Turquie, préc., § 33). (17) V. Cass. ass. plén., 21 déc. 2006, no 00-20493 : Bull. ass. plén. 2006,
(9) Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-85051 et 10-82306. no 15 – Cass. 1re civ., 11 juin 2009 (deux arrêts), nos 08-16914 et 07-14932 :
(10) Cass. crim., 19 oct. 2010, no 10-82.902. Bull. civ. 2009, I, no 124.
(11) V., en particulier, CEDH, 9 oct. 1979, no 6289/73, Airey c/ Irlande, § 24. (18) Cass. crim., 30 janv. 2002, no 01-82593, Bull. crim. 2002, no 16.

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des revirements de jurisprudence. Toutefois, si elle a pu se la procédure lors de la phase de jugement (23). C’est ainsi
prononcer sur cette question en matière civile, c’est pour également que la haute juridiction, sur le fondement du

Jurisprudence
affirmer que « les exigences de la sécurité juridique et de même texte conventionnel, a refusé de faire application d’une
protection de la confiance légitime des justiciables ne consa- règle séculaire (24) qui interdisait au prévenu absent non
crent pas de droit acquis à une jurisprudence constante » (19), ce excusé de se faire représenter par un avocat lors de
qui est en nette opposition avec la solution dégagée par la l’audience de jugement (25).
Cour de cassation. Quant à la matière pénale, la Cour de Pourquoi avoir refusé d’agir à l’identique dans les arrêts
Strasbourg n’envisage les conséquences d’un revirement commentés alors que, non seulement le droit conventionnel
de jurisprudence qu’au regard des droits et libertés du requé- l’imposait, mais aussi les dispositions de l’article prélimi-
rant et n’hésite pas à constater une violation de l’article 7, naire, III, du Code de procédure pénale selon lesquelles
§ 1er de la Convention dans le cas où un tel revirement était « toute personne suspectée [...] a le droit [...] d’être assistée
imprévisible au moment des faits (20). d’un défenseur » ? Le communiqué de presse divulgué par

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En d’autres termes, seuls les revirements défavorables à la la Cour de cassation, concomitamment au prononcé des
personne mise en cause se trouvent prohibés par les exi- arrêts du 19 octobre 2010, apporte un élément de réponse
gences conventionnelles, ce qui n’est pas davantage en en indiquant que « des adaptations pratiques importantes qui
accord avec la position adoptée par la Cour de cassation qui ne peuvent être immédiatement mises en œuvre s’imposent à
consacre, en quelque sorte, la prohibition des revirements l’évidence à l’autorité judiciaire, aux services de police judi-
en défaveur du parquet... ciaire et aux avocats ». En d’autres termes, parce que l’inter-
vention accrue de l’avocat en garde à vue impose la modi-

‘‘
fication des règles et des pratiques actuelles, il faut laisser
Ni la « bonne administration le temps au Parlement de légiférer et aux praticiens de
de la justice », ni le « principe s’adapter, quitte à maintenir en l’état des dispositions
contraires aux exigences européennes et exposant la France
de sécurité juridique » ne s’opposaient à d’innombrables constats de violation de la Conven-
à l’application immédiate tion (26). Mais alors pourquoi ne pas avoir procédé de même
précédemment ? Avons-nous attendu l’intervention de la loi
des droits nouvellement reconnus du 9 mars 2004 avant de permettre à l’avocat du prévenu
au gardé à vue

absent non excusé d’accéder au prétoire des juridictions
répressives alors que le premier constat de violation concer-
nant la France en la matière était intervenu en 2000 ? Évi-
B. Une solution pusillanime demment, non.
Manifestement, ni la « bonne administration de la justice »,

‘‘
ni le « principe de sécurité juridique » ne s’opposaient à l’appli-
cation immédiate des droits nouvellement reconnus au gardé Serions-nous revenus à l’époque
à vue. À dire vrai, comme ce fut le cas pour le Conseil cons- des Parlements de l’Ancien
titutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 (21), il semble
plutôt que ce soit une question de légitimité qui ait justifié
le report de l’application des nouvelles « règles » énoncées
par la chambre criminelle. Pourtant, la situation était loin
d’être inédite. À de nombreuses reprises, en effet, la Cour
de cassation n’a pas hésité à écarter immédiatement l’appli-
Régime ?

La justification réelle du report de l’application des droits
nouvellement reconnus au gardé à vue doit donc être recher-
chée ailleurs, non véritablement sur les terrains de la « bonne
administration de la justice » et de la sécurité juridique, mais
cation d’un texte voté par le Parlement au motif de son incon-
plutôt sur celui de la sécurité publique. Implicitement évo-
ventionnalité.
qué par le communiqué de presse de la Cour de cassation,
C’est ainsi que, sur le fondement de l’article 6 de la Conven- qui fait état d’un risque d’« application erratique, due à l’impré-
tion européenne, la chambre criminelle de la Cour de cas- paration, de règles nouvelles », le fondement sous-jacent de
sation a, à l’encontre des dispositions internes applica- la solution inédite dégagée dans les arrêts commentés réside
bles (22), reconnu au prévenu non assisté par un avocat le très certainement dans la volonté de maintenir la validité
droit inconditionné d’avoir directement accès au dossier de

(23) Cass. crim., 12 juin 1996 (deux arrêts), nos 96-80219 et 95-82735 : Bull.
(19) CEDH, 18 déc. 2008, no 20153/04, Unedic c/ France, § 74 – CEDH, crim., 1996, no 248. Ces arrêts ont d’ailleurs anticipé le constat de vio-
14 janv. 2010, no 36815/03, Atanasovski c/ l’ancienne République you- lation prononcé en la matière par la Cour de Strasbourg : CEDH, 18 mars
goslave de Macédoine, § 38. 1997, no 22209/93, Foucher c/ France.
(20) CEDH, 10 oct. 2006, no 40403/02, Pessino c/ France : JDI 2007, p. 712, (24) Règle implicitement énoncée par les articles 410 et suivants du Code de
obs. O. Bachelet ; in P. Tavernier (sous la dir.), La France et la Cour procédure pénale avant qu’ils ne fassent l’objet de modifications apportées
européenne des droits de l’homme. La jurisprudence en 2006, Bruylant, par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 sous l’impulsion de la jurisprudence
2007, p. 163 et s., note O. Bachelet. européenne (v. CEDH, 23 mai 2000, no 31070/96, Van Pelt c/ France :
(21) Considérant qu’il n’a pas le pouvoir général d’appréciation dont dispose JDI 2001, p. 181, obs. K. Ardault).
le Parlement et qu’il ne peut indiquer les règles à appliquer pour remédier (25) Cass. ass. plén., 2 mars 2001, no 00-81388, Dentico : Bull. ass. plén. 2001,
à l’inconstitutionnalité prononcée, le Conseil a, en effet, décidé de reporter no 6. V., également, pour l’avocat non muni d’un mandat de représen-
l’abrogation des dispositions du C. proc. pén. relatives à la garde à vue de tation : Cass. crim., 23 oct. 2007, no 07-82313 : Bull. crim. 2001, no 251.
droit commun au 1er juillet 2011 afin de laisser le temps au législateur de (26) Certes, l’application immédiate des nouveaux droits reconnus au gardé à
réformer la matière et de prévenir tout vide juridique préjudiciable à l’ordre vue aurait occasionné un surcroît de travail pour les magistrats, les avocats
public : Cons. const., 30 juill. 2010, no 2010-14/22 QPC, Daniel W. et et les forces de l’ordre. En particulier, ces dernières auraient dû se résigner
a., préc. Cette solution a, ensuite, été confirmée à propos de la retenue à abandonner le recours aux formules automatisées du logiciel de rédaction
douanière : Cons. const., 22 sept. 2010, no 2010-32 QPC, Samir M. et des procédures (LRP). Il n’en demeure pas moins que le respect des droits
a. fondamentaux ne saurait être sacrifié, même momentanément, sur le fon-
(22) V. C. proc. pén., art. R. 155, 2o. dement de telles contraintes matérielles.

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SÉLECTION DE JURISPRUDENCE

des procédures en cours et ainsi de prévenir la libération II. L’INCONSÉQUENCE DE LA COUR DE CASSATION
d’individus supposés dangereux.
Jurisprudence

Dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle


De telles considérations ne sont, bien entendu, pas blâma- de la Cour de cassation ne semble pas discerner que la
bles en elles-mêmes, tant il est vrai que la protection de solution qu’elle dégage est, tout à la fois, anachronique (A)
l’ordre public et la garantie de la sécurité des personnes et et contreproductive (B).
des biens constituent des « objectifs de valeur constitution-
nelle » (27). Encore faut-il, toutefois, qu’elles correspondent A. Une solution anachronique
à une réalité. Or, l’examen des incidences pratiques d’une Le premier anachronisme commis par la Cour de cassation
application immédiate des droits nouveaux reconnus au gardé consiste à méconnaître ouvertement la prohibition sécu-
à vue permet de considérer que le risque encouru pour laire des arrêts de règlement posée par l’article 5 du Code
l’ordre public serait très limité. civil (36). Certes, cette prohibition est nuancée par la faculté
Une telle solution n’aurait, tout d’abord, aucune incidence donnée à la Cour de cassation de rendre des « arrêts de
ÉDITION PROFESSIONNELLE

sur les condamnations définitives, la force de chose jugée principe », « contenant un principe d’application générale appelé
s’opposant à leur remise en cause. Ensuite, s’agissant des à régir d’autres cas analogues » (37).
procédures en cours, les dispositions du Code de procédure Il n’en demeure pas moins qu’une telle prohibition demeure
pénale encadrant strictement la mise en œuvre des nullités, nécessaire afin de garantir la séparation des pouvoirs et de
la méconnaissance du droit à l’assistance effective d’un avo- contenir le spectre d’un gouvernement des juges. D’ailleurs,
cat en garde à vue qui n’aurait pas été invoquée in limine litis la Cour de cassation le reconnaît implicitement, dans le cadre
devant le tribunal correctionnel (28), dans le cadre de l’infor- de la nouvelle procédure de question prioritaire de cons-
mation judiciaire (29) ou dans un délai de six mois à compter titutionnalité, lorsqu’elle refuse d’admettre que cette pro-
de l’interrogatoire de première comparution du mis en exa- cédure, limitée aux dispositions législatives (38), puisse
men (30), ne pourrait plus l’être. Enfin, dans les hypothèses s’appliquer à l’interprétation jurisprudentielle des textes
où une telle nullité pourrait être invoquée, elle n’entraîne- contestés (39). Pourtant, dans les trois arrêts commentés, la
rait pas nécessairement la nullité de l’ensemble de la pro- chambre criminelle n’hésite pas à procéder par voie de dis-
cédure et l’élargissement du suspect dans la mesure où la position générale puisqu’elle reconnaît elle-même avoir
jurisprudence est, en la matière, particulièrement restric- énoncé des « règles » dont la prise d’effet est retardée, à
tive en affirmant que la nullité de la garde à vue n’entraîne l’instar de ce que peut faire le législateur dans la déter-
la nullité des actes subséquents que s’ils trouvent leur fon- mination de la date d’entrée en vigueur d’une loi. Serions-
dement unique et exclusif dans l’acte annulé (31). Or, la déten- nous revenus à l’époque des Parlements de l’Ancien
tion provisoire ne pouvant être décidée qu’à l’encontre d’une Régime ?
personne mise en examen (32), c’est-à-dire à l’encontre de

‘‘
laquelle il existe des indices graves et/ou concordants de
participation à l’infraction (33), il est très rare, voire quasi- Une telle neutralisation des textes
ment impossible, qu’elle soit fondée exclusivement sur des européens aura un coût financier


aveux obtenus en garde à vue.
considérable
Et, même si les conséquences de l’application immédiate
des droits nouveaux reconnus au gardé à vue devaient consis- Le second anachronisme imputable à la haute juridiction
ter dans la libération d’un certain nombre de suspects, la réside dans la contradiction de la solution énoncée le 19 octo-
Cour de cassation ne devrait-elle pas les assumer, voire les bre 2010 avec le célèbre arrêt Jacques Vabre du 24 mai
revendiquer, en tant que juridiction suprême de l’autorité 1975 (40). Nous savons que, par cet arrêt, la Cour de cas-
judiciaire « gardienne de la liberté individuelle » (34) ? La pusil- sation a, pour la première fois, affirmé la supériorité du
lanimité manifestée par la haute juridiction dans ses trois traité sur la loi interne, même postérieure audit traité.
arrêts du 19 octobre 2010 n’augure rien de bon. Si d’aven- Trente-cinq ans plus tard, sans justification tangible et sans
ture le projet de loi relatif à la garde à vue était voté en l’état, qu’aucun texte ne l’y autorise (41), la chambre criminelle
alors qu’il est manifestement contraire aux droits et libertés adopte une solution radicalement opposée en conditionnant
fondamentaux – notamment, pour ce qui concerne le régime la mise en œuvre d’une Convention internationale de pro-
de l’« audition libre » – (35), les juges du quai de l’Horloge
auront-ils le courage d’en écarter l’application ? Rien n’est
moins sûr. (36) C. civ., art. 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition
générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».
(37) F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, Précis, 3e éd., 1996, p. 210,
no 224.
(38) Constitution, art. 61-1, al. 1er.
(39) V., par ex., pour ce qui concerne la motivation des arrêts d’assises : Cass.
crim., 19 mai 2010, no 09-83328. Il est vrai, toutefois, que le Conseil
constitutionnel a récemment désavoué la Cour de cassation en affirmant
(27) V. not. : Cons. const., 19 et 20 janv. 1981, no 80-127 DC, loi renforçant « qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable
la sécurité et protégeant la liberté des personnes. a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une
(28) C. proc. pén., art. 385, al. 6. interprétation jurisprudentielle constante confère à [la] disposition [contes-
(29) C. proc. pén., art. 385, al. 1er. tée] » (Cons. const., 14 oct. 2010, no 2010-52 QPC, Cie agricole de la
(30) C. proc. pén., art. 173-1. Crau, cons. no 4 ; Gaz. Pal. 21 oct. 2010, p. 12, I3360, note D. Rousseau).
(31) V. par ex. : Cass. crim., 12 avr. 2005, no 04-86780 : Bull. crim. 2005 (40) Cass. ch. mixte, 24 mai 1975 : Gaz. Pal. 1975, 2, 470, concl. Touffait.
no 125 – Cass. crim., 26 mars 2008, no 07-83814 : Bull. crim. 2008, (41) Contrairement au Conseil constitutionnel qui a pu, dans sa décision du
no 76. 30 juillet 2010, retarder les effets de l’abrogation des dispositions du C. proc.
(32) C. proc. pén., art. 137. pén. relatives à la garde à vue de droit commun sur le fondement de l’article
(33) C. proc. pén., art. 80-1 et 105. 62, alinéa 2 de la Constitution qui dispose : « une disposition déclarée
(34) Constitution, art. 66, al. 2. inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter
(35) V. O. Bachelet, « La réforme de la garde à vue ou l’art du faux semblant », de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date
préc. ultérieure fixée par cette décision ».

18 GAZETTE DU PALAIS - DIMANCHE 24 AU MARDI 26 OCTOBRE 2010


tection des droits de l’homme et des libertés fondamenta- Il est donc, désormais, interdit aux justiciables de contester
les – d’application directe en France – à la survenance d’une l’application qui leur est faite de dispositions dont la non-

Jurisprudence
loi ou, à défaut, d’un terme. conformité aux droits et libertés fondamentaux a été recon-
La hiérarchie des normes se trouve donc totalement ren- nue de manière définitive. Pourtant, conformément à l’arti-
versée, le texte international se trouvant neutralisée par la cle 13 de la Convention européenne, « toute personne dont
loi interne, alors que l’article 15 de la Convention euro- les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont
péenne n’autorise de telles dérogations aux droits et liber- été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une
tés qu’elle énonce qu’« en cas de guerre ou en cas d’autre instance nationale ». Par ailleurs, l’article 6, § 1er de la même
danger public menaçant la vie de la nation [...] dans la stricte Convention précise que « toute personne a droit à ce que sa
mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures cause soit entendue [...] par un tribunal [...] qui décidera [...]
ne soient pas en contradiction avec les autres obligations décou- du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
lant du droit international ». Il importe peu que cette neu- contre elle » et nous savons que la Cour européenne n’admet

ÉDITION PROFESSIONNELLE
tralisation ne soit que temporaire dans la mesure où, par que très restrictivement l’existence d’obstacles dans la sai-
référence au nombre de gardes à vue menées au cours de sine du juge (45). Or, au regard de ce qui a été précédemment
l’année 2009 (42), elle reviendra à nier les droits de la défense démontré (46), il n’est pas possible de considérer que le report
de plusieurs centaines de milliers de personnes. De sur- des effets de l’inconventionnalité prononcée par la Cour de
croît, une telle neutralisation aura un coût financier consi- cassation soit justifié par des « motifs impérieux d’intérêt
dérable, non seulement s’agissant des affaires soumises à général » (47). Privant le gardé à vue du dernier recours qui
la Cour européenne qui donneront lieu à l’octroi d’une satis- lui était ouvert afin qu’il soit remédié à la violation de ses
faction équitable au requérant, mais aussi devant les juri- droits de la défense, la Cour de cassation méconnaît donc
dictions administratives puisque la responsabilité de l’État les exigences conventionnelles (48).
peut désormais être engagée sur le fondement de l’appli- Par ailleurs, en statuant de la sorte, la haute juridiction per-
cation de lois inconventionnelles (43). met une saisine immédiate de la Cour européenne des droits
B. Une solution contreproductive de l’homme par les suspects placés en garde à vue jusqu’à
ce que survienne l’échéance fixée par elle. En effet, jusque-
Il n’est pas ici question d’indiquer en quoi le refus tempo- là, leurs recours devant les juridictions répressives seront
raire d’appliquer les droits nouvellement reconnus au gardé nécessairement voués à l’échec. Or, l’article 35, § 1er de la
à vue est contraire aux droits de la défense, tant cette affir- Convention, qui prévoit la règle de l’épuisement des voies
mation rejoint des développements qui ont déjà été tenus de recours internes préalablement à la saisine de la Cour
ailleurs (44). Il s’agit plutôt d’évoquer les conséquences d’un de Strasbourg, est traditionnellement écarté dès lors que
tel report d’application à l’aune du droit au recours. l’insuccès de la voie de recours est probable (49). Certes,
demeure la possibilité d’engager la responsabilité de l’État

‘‘ La haute juridiction permet


une saisine immédiate de la CEDH
par les suspects placés en garde à vue
devant les juridictions administratives du fait de l’applica-
tion de textes législatifs contraires à une convention inter-
nationale (50), mais ce recours purement indemnitaire ne
saurait être qualifié d’« utile » dans la mesure où il ne per-
met pas de remettre en cause la validité d’aveux obtenus
jusqu’à ce que survienne l’échéance dans le cadre d’une garde à vue contraire aux droits de la
fixée par elle

défense.

En la matière, jusqu’à ce que soient rendus les arrêts com- ***


mentés et malgré la décision du Conseil constitutionnel du Bien que constatant l’inconventionnalité des régimes de
30 juillet 2010, les personnes placées en garde à vue dis- garde à vue, les arrêts du 19 octobre 2010 de la chambre
posaient toujours d’un recours utile en droit interne criminelle de la Cour de cassation vont paradoxalement favo-
puisqu’elles pouvaient soulever l’exception d’inconvention- riser l’accroissement et l’accélération des constats de vio-
nalité de la mesure devant le juge répressif. Le fait que la lation prononcés à l’encontre de la France. Voilà ce qu’il
chambre criminelle se prononce sur cette question le advient des contemplateurs lorsque vient le temps de
19 octobre 2010 est, à cet égard, révélateur. Mais, en retar- l’action. +
dant les effets de son constat d’inconventionnalité, la haute
juridiction signifie que, jusqu’à la survenance d’une loi nou-
velle modifiant le régime de la garde à vue ou, au plus tard,
(45) En particulier, selon la Cour européenne, « les limitations appliquées [au
jusqu’au 1er juillet 2011, les exigences européennes ne pour-
droit au juge] ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière
ront plus être invoquées devant les juridictions judiciaires. ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même
Ceci est d’ailleurs expressément énoncé dans le commu- [...] » (CEDH, 28 mai 1985, no 8225/78, Ashingdane c/ Royaume-Uni,
niqué de presse de la Cour de cassation selon lequel « les § 57).
règles nouvelles ne s’appliquent donc pas aux gardes à vue (46) V. I. B.
antérieures à cette échéance ». (47) V. P. Cassia, « Les gardes à vue « particulières » ne sont plus conformes
à la Constitution », D. 2010, p. 1949.
(48) De la sorte, la haute juridiction prend l’exact contrepied de ses arrêts ayant
admis la modulation dans le temps des effets des revirements de juris-
(42) Le ministère de l’Intérieur a indiqué, le 27 janvier 2010, que le nombre prudence dans l’objectif d’une meilleure garantie du droit d’accès au juge :
de gardes à vue s’est élevé à près de 800 000 en 2009. v. note no 17.
(43) CE ass., 8 févr. 2007, no 279522, Gardedieu. (49) V. par ex. : CEDH, 20 mai 1998, nos 21257/93 à 21260/93, Gautrin et
(44) V. not. : O. Bachelet, « La réforme de la garde à vue : un jeu d’ombre a. c/ France.
et de lumière », Gaz. Pal. 31 janv. 2010, p. 10 et s. (50) V. note no 34.

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