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Robert Carvais
Introduction
Commencer par ne pas définir le droit
Bernard Edelman : « Ma définition du droit »
- 842 : dreit
- Bas latin (VIe siècle) : directum ----> directus « justice, application de la loi »
- VIIIe siècle : « règles, ensemble des lois »
- VIe siècle : verbum directum « paroles juste, principes d’équité, la justice »
Il désigne, au singulier, ce qui est moral et juste
- 1155 : ensemble des lois et coutumes d’un peuple
- début XIIIe : un règlement ou un principe particulier
- fin XIIIe siècle : la connaissance, la science des lois
Dès 1080, au singulier comme au pluriel, ce qui est permis ou exigible selon les
principes d’une morale ou selon la législation (avoir droit, avoir droit à, être
dans son droit).
Puis utilisé dans des syntagmes comme les droits de l’homme (1774) ou avoir le
droit de…
Pas de produits dérivés comme son correspondant latin jus qui a donné
« juridique, justice, juger… » sauf « passe-droit » (1548) et « ayant-droit »
(1835)
A/- Droit objectif / droits subjectifs
Exemples :
- « l’acheteur d’un bien doit en acquitter le prix » Droit objectif
- « Monsieur Martin, libraire, dit que lorsqu’il vend un livre, il a le droit d’en
percevoir le prix » droit subjectif (prérogative individuelle)
Critiques de la distinction :
- décevante par les hésitations sur sa source : révélation divine, emprise
métaphysique, la nature de l’homme dans l’école du droit des gens
(Grotius, Pufendorf, Thomassius, Wolf, Locke, Vattel, Burlamaqui) avec la
mise en avant des principes de liberté, dignité, sociabilité, aptitudes à la
volonté et à la raison, etc.
- décevante par l’incertitude de son contenu : ex du mariage, du respect à
l’égard de la personne humaine.
Critère insuffisant car il n’est pas rare que l’activité de l’Etat ou des
collectivités publiques soit soumise à des règles de droit privé.
I/ Droit public :
- Droit constitutionnel : règles relatives à la forme de l’Etat, la constitution du gouvernement et des pouvoirs
publics
- Droit administratif : règles relatives à l’organisation des collectivités publiques et des services publics,
ainsi que leurs rapports avec les particuliers
- Droit international public : règle les rapports entre les Etats et les compétences des organisations
internationales
Si le droit possède et use de méthodes, c’est qu’il est à la fois une science et une
technique.
- La science du droit : La science n’a pas pour unique but de découvrir des lois
mais de faire progresser la connaissance par l’observations des phénomènes
sociaux. La science juridique se propose, à propos d’une règle quelconque d’en
déterminer son fondement, sa place au sein du système juridique, sa signification
plausible et par conséquent ses effets.
Tout juriste utilise une méthode critique (évitant l’idéalisme et l’illogisme) fondée
sur l’observation tant du phénomène social que du phénomène juridique.
A retenir :
La loi dispose
Le contrat stipule
Le juge décide
2/- Les concepts juridiques sont plutôt des critères imprécis, mous,
souples, bien qu’étant des termes ou expressions les plus importants du
droit, de véritables standards (désigne une norme souple fondée sur un
critère intentionnellement indéterminée) : bonne foi, conciliation des intérêts
en présence, l’intérêt de la famille, la faute, le dommage, l’opération,
l’équipement…
Les mots du droit ne servent pas à décrire mais à agir. Une notion
courante (descriptive au départ) devient donc juridique du jour où la loi lui
attache des conséquences particulières, ce qui oblige alors el juge, avec
l’aide de la doctrine, à la définir en droit.
3/- Les catégories juridiques correspondent à un souci de classification
(rappelez-vous l’ordonnancement juridique)
Personne/Chose
Corporelle/incorporelle
Droits réels/ Droits personnels
Droits patrimoniaux / Droits extra-patrimoniaux
Contrats aléatoires (assurance) / Contrats commutatifs (vente)
1/- La qualification :
Une fois les faits établis, le juriste recherche à quelle catégorie et sous-
catégorie les faits se rattachent, de manière à déterminer quelle est la règle
de droit applicable à cette situation. C’est l’opération de « diagnostic »
juridique que l’on nomme « qualification ».
La qualification se définit ainsi comme l' « opération intellectuelle
d'analyse juridique, outil essentiel de la pensée juridique, consistant à
prendre en considération l'élément qu'il s'agit de qualifier (fait brut, acte,
règle, etc.) et à le faire entrer dans une catégorie juridique préexistante (d'où
résulte, par rattachement, le régime juridique qui lui est applicable) en
reconnaissant en lui les caractéristiques essentielles de la catégorie de
rattachement » (Vocabulaire Juridique Capitant, 7e éd., par G. Cornu).
Pour les juristes, « Différence de nature [égale] différence de régime ».
Et il n’existe que des définitions juridiques à visée pratique, pas d’identité
de nature (ex. la lapin de choux). Mais le droit n’est pas pour autant une
science exacte car manque parfois de clarté et laisse souvent une marge
d’appréciation que les usagers peuvent utiliser sous le contrôle éventuel du
juge.
La qualification, opération logique de « nomination », est contrôlée par le juge.
Certes, la qualification juridique des faits est d'abord réalisée par les
parties dans leur demande et souvent dans deux directions opposées (faute vs
légitime défense). Le juge doit alors restituer l’exacte qualification « sans
s’arrêter à la qualification choisie par les parties » (requalification des
contrats). Et cette qualification est une question de droit et non de fait et relève
de la compétence de la Cour de cassation.
2/- L’interprétation :
Le vocable « interprétation » est un mot emprunté (1160-1174) au latin
classique interpretatio « explication », « traduction », « action de démêler ».
Son évolution est analogue à celle du verbe « action de donner une
signification » d’abord à des songes, puis à des actes, des paroles, etc.
(1440-1475), ensuite « action d’expliquer qqch. dont le sens est obscur »
(1487).
En droit, dans ce même sens, le mot possède trois définitions
extrêmement liées :
- opération qui consiste à discerner le véritable sens du texte obscur, que ce soit
de la part de son auteur même, ou bien de la part d’interprète étranger.
- désigne par extension la méthode qui inspire la recherche
- se dit aussi du résultat de la recherche.
De tout temps, tout texte normatif a nécessité des gloses (Bible, Corpus
Juris Canonici, Torah,, Coran, Corpus Juris Civilis, Code civil, coutumes, etc.).
En France les règles d’interprétation n’ont pas été édictées, mais sont
issues de la pratique et de la doctrine. Trois méthodes se sont succédées :
le texte, l’esprit et la logique juridique.
a/- Première méthode : l’analyse du texte et de la règle (méthode exégétique)
en hommage à l’école qui porte le même nom et à ses auteurs principaux Aubry
(1803-1883) et Rau (1803-1877), Demolombe (1804-1887), Laurent (1810-1887),
Troplong (1795-1869) -, cette méthode d’interprétation d’une règle de droit consiste
en effet à rester très près de son texte. Elle domine au XIXe siècle.
Bugnet (1794-1866) : « Je ne connais pas le droit civil, je n’enseigne que le Code
Napoléon).
le devoir de l'interprète consiste alors, à exploiter la lettre du texte pour retrouver,
en raisonnant, la volonté du législateur. D’ailleurs contrairement à la présentation qui
en est parfois faite, la méthode exégétique ne se ramène pas à l’interprétation
littérale du texte. Bien au contraire, elle tend, au delà du texte, à rechercher
l’intention du législateur, la ratio legis, et donc à faire prévaloir l’esprit de la loi sur la
lettre du texte.
- interprétation grammaticale (usage de la langue et règles de syntaxe)
- interprétation systématique (texte dans son contexte, a son origine dans le
Digeste (1.3.24)) et se trouve dans l’art. 1161 C. civ. à propos de l’interprétation des
conventions : « Toutes les clauses et conventions s’interprètent les unes par les
autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier ». En cas d’obscurité
de la loi, l’interprète dit s’aider des « exposés des motifs » et des « travaux
préparatoires » (publiés au JO).
Déclin de l’école de l’exégèse pour deux raisons :
- tout n’est pas dans la loi
- la méthode est devenue obsolète avec le temps et le progrès
b/- Deuxième méthode : la recherche de l’esprit d’un règle de droit
Souvent associée à l'école dite de la méthode historique de Raymond
Saleilles (1855-1912) ou à l'école de la libre recherche scientifique de
François Gény (1861-1959), cette méthode d'interprétation attribue un rôle
essentiel à la finalité du texte.
Saleilles invite l'interprète à se dégager de la volonté ancienne du législateur et à
utiliser les textes comme s'ils venaient d'être publiés: « au-delà du Code civil
mais par le Code civil ».
Gény va plus loin. Dénonçant le « fétichisme de la loi écrite et codifiée », il
suggère à l'interprète de construire de toutes pièces des dispositions nouvelles
obtenues par une « libre » recherche de la solution juste (la tradition romaniste
médiévale faisait déjà prévaloir l’esprit de la règle sur son texte).
Plusieurs procédés permettent de retrouver cette intention :
- l’interprétation historique
- l’interprétation téléologique (finalité du texte) : extensive et évolutive
- l’interprétation casuistique (ou effective) en fonction des effets pratiques
- Ainsi, l'article 545 du code civil dispose que «Nul ne peut être contraint de
céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une
juste et préalable indemnité ». Mais des textes successifs ont assoupli les
conditions de l’expropriation pour cause d’utilité publique (1921, 1935,
1958). Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relayé par celui de
la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que « tout bien, toute entreprise,
dont l’exploitation a acquis les caractères d’un service public national ou d’un
monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Déjà d'importantes
nationalisations avaient été réalisées en 1944 et 1945. Un nouveau vent de
nationalisations très nombreuses a soufflé à partir de 1981; le vent a tourné
dans le sens de la privatisation de 1986 à 1988 ; après une pause entre 1988
et 1993, il a repris depuis lors : le passage au secteur privé se poursuit de
manière significative sous l'influence du droit communautaire et des difficultés
d'adaptation de ce que l'on appelle, à tort ou à raison, le «service public à la
française ».
b/- Le contrat
- Une philosophie latente inspirait les articles du code civil relatifs aux contrats
: l'autonomie de la volonté. En concluant un accord, les contractants savaient ce
qu'ils faisaient et le faisaient, par hypothèse, de manière autonome, librement. La
liberté contractuelle était un corollaire naturel de l'autonomie de leurs volontés.
S'étant engagés librement, la parole donnée devait être nécessairement respectée.
Par hypothèse, ce qui était contractuel était juste. « Les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (art. 1134, al. 1er C. civ.). Ce
qui était important dans ce texte -qui n'a pas été modifié dans sa lettre- c'est que les
conventions devaient être respectées comme des lois par ceux qui les avaient faites.
Dans l'esprit du code civil, l'effet obligatoire n'avait de sens que dans les rapports
entre les parties qui avaient conclu le contrat; en principe, on ne pouvait promettre
ou stipuler pour autrui.
- De profonds changements ont, depuis lors, affecté cet ensemble. Les uns ont été
réalisés par la seule jurisprudence. Les solutions dégagées à partir du dogme de
l'autonomie de la volonté l'ont été lorsque, sous l'influence d'une considération de
la liberté entendue de manière moins formelle, les tribunaux se sont préoccupés de
défendre les contractants en situation de faiblesse : à cet effet, les tribunaux ont
accru la possibilité de la remise en cause du contrat du fait d'une atteinte à l'intégrité
du consentement ou d'un déséquilibre excessif des prestations : l'inflexibilité de
l'obligation contractuelle assumée a été adoucie ; la garantie réelle de l'égalité a
progressé ; et le rayonnement du processus contractuel, même à l'égard d'autres
que les contractants, a permis d'admettre, en dépit de la loi et dans certaines
conditions, la validité de nombreuses stipulations, ce qui a notamment satisfait des
exigences salutaires en matière d'assurance.
- Il faut d'ailleurs souligner que l'article 1134, alinéa 1er , du Code civil, si puissante
que soit la force obligatoire qu'il attachait à l'engagement, visait expressément les «
conventions légalement formées », ce qui attestait une prééminence de la loi, en
tant que source du droit objectif. Dès 1804, il y avait dans le code civil des
restrictions à la liberté contractuelle. Et l'article 6 du code civil disposait déjà: «
On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mœurs ».
Sur le terrain de la législation proprement dit, l'évolution a consisté à faire
reculer, par des lois de plus en plus nombreuses, le domaine de la liberté
contractuelle : d'abord en combattant des abus de puissance sociale ou
économique, par exemple en droit du travail, en droit des assurances, ou encore, de
manière épisodique puis de manière plus permanente, dans le droit du bail,
urbain ou rural. Le domaine des dispositions impératives n'a cessé de s'étendre dans
la plupart des branches du droit. Et il faut observer que le mouvement n'a pas
seulement été inspiré par des considérations sociales. Des raisons économiques et
monétaires ont aussi favorisé le développement de réglementations impératives liées
au déclin d'une société de type pleinement libéral et aux progrès de préoccupations
de justice sociale.
Un mouvement encore plus profond a affecté depuis quelques décennies le
droit des contrats : le droit de la protection des consommateurs (obligation de
renseignement) et le droit de la concurrence. D’où le télescopage avec le droit
commun des contrats dans cet environnement inspirée par le rapport de masse et
non le rapport interindividuels.
c/- La responsabilité :
- Au début des textes simples inspiraient les règles du Code civil sur la
responsabilité civile extracontractuelle. La responsabilité était fondée sur
l'idée de faute. Et l'article 1382 du code, premier d'une courte série,
exprimait bien la philosophie de la culpabilité et de la réparation en matière
civile : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dom- mage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
- Mais le développement du machinisme a, au siècle dernier, entraîné une
multiplication d'accidents et de dommages souvent graves dont les causes
pouvaient être anonymes, Pour réparer de tels dommages entraînés par
des choses, il fallut une législation spéciale. C'est ainsi qu'une loi du 9
avril 1898 a permis à l'ouvrier victime d'un accident du travail d'obtenir une
indemnité au moins partielle, sans avoir à prouver une faute de
l'employeur.
Le développement de la société industrielle et du progrès technique n'a
pas tardé ensuite à entraîner la multiplication d'accidents du même genre.
Ainsi en a-t-il été quand on a vu se multiplier les accidents d'automobiles.
Pendant longtemps, le législateur a pourtant laissé la jurisprudence adapter
les règles du code civil à ces situations nouvelles et souvent
dramatiques. Et il faut dire que les tribunaux ont fait preuve en la matière
d'une puissance inventive peu commune. Pourtant, il est venu un temps où
cela n'a pu suffire, même si a été bien établie « l'irremplaçable responsabilité
du fait des choses ». Tel a été l'objet d'une loi du 5 juillet 1985 tendant à
l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation
et à l'accélération des procédures d'indemnisation ou la loi du 19 mai
1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (art.
1386-1 à 1386-18 code civil ).
Chapitre 2 : Une histoire du droit administratif
Le droit administratif est né pour désigner, non pas le droit de
l'administration, mais le corps de ses seules règles spécifiques,
destinées à canaliser l’administration dans des activités censées
irréductibles à celles qui forment le commerce des acteurs ordinaires
de la vie juridique.
Dès le Moyen-Age, l’Etat royal, la majesté du prince n’a jamais n'a jamais
légitimé un pouvoir sans limite : sa finalité au service de l'intérêt public lui
assigne des bornes. Ce qui valait pour celui qui devint le titulaire unique de
la souveraineté s'imposa tout naturellement au monde de ses serviteurs.
Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, il existe un droit public qui définit les attributs
de la souveraineté, règle les compétences de ses délégués, fixe le statut
des personnes et des biens publics. Il ne saurait être pour autant question
de droit administratif, comme l'atteste le lexique des anciens juristes où
l'expression n'apparaît jamais. Pour qu’un tel droit « administratif » existe, il
faut que sa fonction se traduise par des actes nettement distingués des
autres expressions de la puissance publique et que les modalités de
l’activité administrative soient fixées par des règles censées s’inscrire dans
une branche différenciée du droit.
- C'est ainsi, d'abord, que les décisions de « police », par quoi se trouvait
désignée la fonction impartie aux futures autorités administratives, qui
consiste à encadrer par des règlements l'activité des hommes, ne
parvinrent jamais complètement à constituer une catégorie spécifique
d'actes parmi ceux qui émanent des responsables publics. Parce que, en
règle générale, les fonctions de police étaient attribuées aux titulaires des
pouvoirs de justice et parce qu'aux yeux des juristes, toute intrusion dans la
sphère des droits privés n'est légitime que si elle est de nature judiciaire, la
police resta dépendante de la juridiction. L'épanouissement du pouvoir
réglementaire du Conseil du roi, la promotion du département des Finances
aux dépens de la Chancellerie et l'autorité croissante de
leurs correspondants provinciaux, les intendants, ne fournissaient en réalité
qu'un décor au vieil Etat de justice. L'apparition des mots « administration
publique », dans les années 1750, révèle la prise de conscience des
mutations de l'État. Les rouages qui la mettent en œuvre sont les
instruments de la « justice retenue » du souverain. Et ces nouveaux
détenteurs d'un pouvoir de « direction » cumulent des attributions de police
et de justice.
3/- Ensuite, nombre de théories que devait accueillir plus tard le droit
administratif prolongent des solutions retenues depuis des siècles. La
distinction en matière de responsabilité, de la faute personnelle et du fait de
service est, par exemple, attestée dans la jurisprudence parlementaire dès
le Moyen Âge. Et, ni le régime de l'expropriation pour cause d'utilité
publique, ni celui propre aux marchés passés par l'État, ni même la
détermination des vices entachant d'irrégularité des actes émanés d'une
autorité publique, ne sont nés de rien après la rupture révolutionnaire.
Les réformes introduites par les Constituants vont possible
l’identification d’un droit administratif.
Le droit administratif a été travaillé par des tensions et a été en butte à des
attaques, qui lui ont valu de traverser fréquemment des passes
difficiles.
Un siècle et demi plus tard, le procès reste ouvert. Alors qu'à la fin du
XIXe s., M. Hauriou, au spectacle de l'extension du droit privé dans le
champ des services publics, diagnostiquait une grave « crise du droit
administratif », les responsables contemporains d'une évolution
analogue pensent œuvrer à l'évacuation d'anachronismes gênants
ayant souvent de prérogatives exorbitantes..
- Des raisons objectives n'ont pas manqué à cette hostilité.
Dès le dernier tiers du XIXe s., d’une part, l'engorgement du Conseil
d'État a entraîné un allongement des procédures tel que le contrôle
juridictionnel est devenu, soit purement symbolique, soit préjudiciable
aux droits des parties. Dans la mesure, d'autre part, où les juges
administratifs se sont longtemps refusés à adresser des
injonctions à l'administration et répugnaient à utiliser des moyens
aptes à vaincre sa désinvolture ; l'effectivité de leurs décisions était
aléatoire.
Pourquoi ?
- L'hégémonie traditionnelle de la création jurisprudentielle a été en effet
victime de l'essor de sources concurrentes. Les lois et les
réglementations d'abord, en se multipliant, ont concouru à la saper.
• Il convient, enfin, de signaler que le vote des lois de finances (lois relatives
au budget et à son exécution) est soumis à des délais impératifs pour le
Parlement (art. 47 Constitution) .il faut que ces lois, essentielles pour la
gestion du pays, soient votées en temps utile.
• Il faut encore ajouter à cette énumération les circulaires. par lesquelles un ministre
donne des instructions à des fonctionnaires pour le fonctionnement du service.
- Les circulaires se voient reconnaître valeur réglementaire, sous certaines
conditions (ajouter à la loi ou au règlement dont l’application est considérée, et être
l’œuvre d’un ministre qui exerce le pouvoir réglementaire dont il est investi). Voir
l’art. 1er du décret du 28 novembre 1983 : « Tout intéressé est fondé à se prévaloir,
à l’encontre de l’Administration, des instructions, directives et circulaires publiées
dans les conditions prévues à l’article 9 de la loi du 17 juillet 1978, lorsqu’elles ne
sont pas contraires aux lois et règlements ». On peut donc les attaquer comme telle
si elles sont illégales (CE 29 janvier 1954, N.-D. du Kreisker).
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000007637421
&dateTexte=
- En revanche, pour la jurisprudence judiciaire, ces circulaires
administratives, quelles que soient leurs caractéristiques propres, sont
dépourvues de tout caractère réglementaire et s' analysent en de simples
mesures d' ordre intérieur à l'administration, n'ayant aucun effet obligatoire à
l'endroit des administrés, et moins encore du juge.
- Cela revient à les considérer, dans tous les cas, comme des documents qui
établissent, pour guider le fonctionnement quotidien d'une administration,
l'interprétation des règles de droit que celle-ci est appelée à mettre en œuvre.
• Les réponses ministérielles. - Une autre pratique de l'Administration, qui
mérite d'être signalée, est celle des réponses ministérielles aux questions
écrites formulées par les parlementaires. Le procédé de la question écrite est
un moyen de contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement : il permet à
tout parlementaire d'obtenir des informations sur les activités et les projets du
Gouvernement. Mais ce procédé a été, très largement, détourné de cette
finalité d'origine pour devenir un moyen « de provoquer une interprétation
officielle du gouvernement sur tel ou tel point de législation [ ...] ».
Dans la formation des règles internationales de droit, l'État n'a pas de place
prééminente, il est un sujet du droit international parmi d'autres, une
personne morale reconnue au sein de l'ordre juridique international.
Les États n'en sont pas moins à l'origine de la plupart des règles
internationales. Les traités et accords internationaux, actes juridiques
conclus le plus souvent entre États, peuvent avoir pour objet d'établir des
règles entre deux ou plusieurs Etats, mais aussi d'instituer des
organisations internationales et parfois même un ordre juridique spécifique,
comme le montre l'exemple de l'Union européenne, qui mérite un examen
particulier.
Le cas le plus simple est sans doute celui du traité bilatéral (conclu entre
deux États). L'objectif vise à établir une règle susceptible de résoudre une
situation particulière, comme la condition des étrangers en France ou la
reconnaissance des jugements nationaux à l'étranger. Mais le procédé a
ses limites, et il est sans doute plus satisfaisant d'établir des règles
communes par traités multilatéraux (conclus entre plusieurs États). La
technique permet d'unifier la règle de droit applicable dans plusieurs États,
dans des secteurs comme les transports, le commerce et ses opérations
(convention de Vienne relative à la vente internationale des marchandises).
Toutefois, elle peut aussi porter sur le droit des personnes et de la famille,
comme le montre la convention relative aux droits de l'enfant signée à New
York le 26 janvier 1990.
Afin de faciliter les relations internationales et l'émergence de règles, les
États ont institué par voie de traité des organisations internationales, au
sein desquelles ils siègent et prennent des décisions. À l'échelon mondial,
la plus connue est sans doute l'Organisation des Nations unies (ONU), qui a
pris la suite de la Société des Nations (SDN) après la Seconde Guerre
mondiale. Citons aussi le cas de l'Organisation internationale du travail
(OIT), dont l'objet est plus spécifique. Ces organisations sont souvent
instituées à la suite d'accords antérieurs. Aux accords commerciaux du
« GATT » s'est ainsi substituée en 1992 une nouvelle organisation :
l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Une fois instituées par voie de traités, il importe de bien comprendre que
les organisations internationales deviennent souvent elles-mêmes
productrices de règles. Ces lois internationales prennent le nom de
résolutions, directives ou recommandations. Ainsi, la Déclaration
universelle des droits de l'homme résulte d'une résolution adoptée par
l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.
Adoption des traités
L'adoption des traités s'apparente à première vue à un accord entre personnes
décidant de créer des règles pour régir leurs relations ou fonder un
groupement. Elle relève à la fois du droit international et du droit
constitutionnel.
La formation des traités obéit aux règles du droit international public, et en
particulier à la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
complétée en 1986, car d'autres entités disposant de la personnalité morale,
comme l'Union européenne ou les organisations non gouvernementales
(ONG), peuvent désormais conclure des traités.
Le droit constitutionnel vise à concilier l'affirmation d'une souveraineté
nationale avec les engagements internationaux. L'adoption des traités et
accords internationaux et leur insertion dans l'ordre juridique français par voie
de ratification sont régis par le titre VI de la Constitution. « Le président de la
République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation
tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification »
(art. 52 Const.). La compétence du président est partagée, et suppose le
contreseing du Premier ministre. Mais il délègue leur négociation.
Quant à la ratification, d'une part, les accords non soumis à ratification
sont des « accords simplifiés » ; ils sont en pratique négociés et conclus par
les ministères concernés, en particulier celui des affaires étrangères.
D'autre part, les traités soumis à ratification requièrent l'accord préalable
du Parlement dans de nombreuses hypothèses :paix, commerce, etc. (art.
53). Le peuple peut également être consulté par un référendum « tendant
à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution,
aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » (art. 11 Const.) .
Mais la ratification peut intervenir bien tardivement.
* Les traités et autres règles de l'Union européenne
La construction européenne
Les institutions européennes au nombre de 4
Le Conseil de l’Union européenne
La Commission européenne
Le Parlement européen
La Cour de justice des Communautés européennes
Les normes communautaires
Processus de formation des normes communautaires :
- préparation des textes par la Commission européenne
- Consultation du Parlement
- Adoption par Le Conseil de l’Union européenne
* majorité qualifiée (évite les blocages)
* unanimité (préserve la souveraineté des Etats)
* Signification
Le juge doit appliquer la loi, règle générale, à un cas particulier : cette application
suppose une adaptation ou une interprétation de la loi, qui ajoute à celle-ci.
* Manifestations
L'interprétation est créatrice si le juge doit, pour l'appliquer :
a. Préciser la loi
- Quand elle ne définit pas un terme ; exemple, « substance » ( art. 1110, C. civ. ) .
- Quand elle utilise une notion vague; exemple, « ordre public » (art. 6, C. civ.) ; faute
(art. 1382, C. civ.).
- Quand son sens n'est pas évident (exemple, art. 2, C. civ.).
b. Compléter la loi
- Quand elle oublie de régir certains rapports de droit ; exemple, le droit des relations
de voisinage.
- Quand elle n'exprime pas formellement un principe ; exemple, nul ne doit s'enrichir
injustement aux dépens d'autrui.
c. Adapter la loi à l'évolution des faits
- Quand les textes existants ne répondent plus aux besoins sociaux ; exemple,
découverte d'une responsabilité sans faute, du fait des choses qu'on a sous sa
garde, fondée sur l'article 1384, al. 1er, C. civ. et dérogeant à l'art. 1382, C. civ.
- Quand l'intervention croissante de l'État justifie un régime spécial ; exemple,
responsabilité de la puissance publique détachée du Code civil.
- Le juge a l’obligation de juger
Ph. Jestaz : « Le contrat est sans doute une petite loi, mais il a sur la loi
proprement dite cette supériorité d’exprimer concrètement le droit en
action. »
Concrètement, la loi qui organise le contrat n’est qu’un squelette. Elle ne
prend vie que lorsque des contrats faits de « chair » sont signés. La loi
serait le cadre du contrat et le contrat permettrait de remplir des blancs qui,
selon la dose d’intervention législative, seraient restreints ou larges.
Certains actes de la pratique vont jusqu’à inspirer le législateur : ex, la
vente d’immeuble à construire réglée par la loi du 3 janvier 1967, inspirée
de la pratique des promoteurs immobiliers et de la pratique des notaires, en
particulier Me Thibierge.
B/- La coutume (les règles de l’art)
Elle est, à la fois, faible ( la plus faible des sources) et forte (en raison de
la notoriété de son auteur).
Position du problème : Deux lois ayant le même objet ont été successivement
en vigueur et ont chacune vocation à s’appliquer à une situation donnée: il
en résulte un conflit entre la loi ancienne et la loi nouvelle, qu’il faut
résoudre en déterminant la loi qui régira effectivement la situation.
Résolution du problème
Article 2 du Code civil : «La loi ne dispose que pour l’avenir; elle n’a point
d’effet rétroactif.»
a) Interprétation classique : la théorie des droits acquis
- La doctrine du XIXe siècle interprète l’article 2 du Code civil en opposant les
droits acquis (auxquels la loi nouvelle ne peut porter atteinte) et les simples
expectatives (que la loi nouvelle peut modifier).
- Critiques : notions délicates à cerner ; esprit conservateur contraire à
l’application des réformes.
b) Interprétation moderne: la théorie de l’application immédiate
- Sous l’influence de Roubier (Les conflits de lois dans le temps, 1929), la
doctrine contemporaine distingue entre la non-rétroactivité de la loi nouvelle
et son application immédiate.
- Mais la loi nouvelle est parfois assortie de dispositions transitoires spéciales
qui fixent alors son application dans le temps, sans recours aux deux
principes généraux de solution.
Sect.1 : La loi n’a pas d’effet rétroactif
Principe induit de l’article 2 du Code civil (A) qui rencontre des exceptions (B).
A/- Le principe de non–rétroactivité
1/- Signification : Une loi ne doit pas être appliquée à des actes ou à des
faits qui se sont passés avant son entrée en vigueur, en vue de modifier ou
d’effacer les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne.
2/- Justification : Exigence de sécurité : la loi ne doit pas remettre en
question les situations réalisées conformément à une loi ancienne; la non-
rétroactivité de la loi pénale est une garantie de la liberté individuelle.
Impératif d’autorité : la loi perdrait toute force si ceux qui lui obéissent
n’étaient pas assurés qu’une autre loi ne reviendra pas sur leur situation.
3/- Portée : La règle de non-rétroactivité des lois est d’ordre public et peut
être soulevée d’office par le juge.
B/- Exceptions au principe de non-rétroactivité
1/- Sources
- Seul le Parlement a le pouvoir de voter des lois rétroactives dérogeant à
l’article 2 C. civ. ; sauf en matière pénale : le principe de non-rétroactivité a
valeur constitutionnelle en droit pénal.
- Le pouvoir exécutif ne peut pas édicter de règlements rétroactifs, car le
principe de non-rétroactivité est une garantie fondamentale des libertés
publiques (article 34 de la Constitution), donc entre dans le domaine de la
loi parlementaire.
- Le juge, soumis au législateur, doit appliquer l’article 2 du Code civil, donc
ne doit pas donner à une loi nouvelle un effet rétroactif.
2/- Les lois rétroactives
- Par disposition expresse : le Parlement peut décider de conférer
expressément à une loi un effet rétroactif ; soit pour faire face à des
situations de crise : exemple, en 1940 et 1944; soit pour élargir la portée
d’une réforme favorable au progrès social: exemple, en 1982 en matière
de filiation naturelle.
- Les lois interprétatives : si une loi intervient pour fixer le sens ambigu ou
obscur d’une loi antérieure, elle rétroagit au jour où la loi ancienne est
entrée en vigueur.
*Condition : la loi doit répondre à des motifs impérieux d’intérêt général.
* Fondement : principe de prééminence du droit (art. 6, Conv. EDH).
- Les lois pénales moins sévères, qui suppriment ou adoucissent une
peine, s’appliquent aux infractions commises antérieurement (art. 112-1, al.
3, C. pén.). Principe de rétroactivité douce (in mitiis).