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Le droit dans la Cité

Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles


2008-2009

Robert Carvais
Introduction
Commencer par ne pas définir le droit
Bernard Edelman : « Ma définition du droit »

Section 1 : Les distinctions du droit

Section 2 : Les fondements du droit

Section 3 / Les méthodes du droit


Section 1 : Les distinctions du droit

- 842 : dreit
- Bas latin (VIe siècle) : directum ----> directus « justice, application de la loi »
- VIIIe siècle : « règles, ensemble des lois »
- VIe siècle : verbum directum « paroles juste, principes d’équité, la justice »
Il désigne, au singulier, ce qui est moral et juste
- 1155 : ensemble des lois et coutumes d’un peuple
- début XIIIe : un règlement ou un principe particulier
- fin XIIIe siècle : la connaissance, la science des lois
Dès 1080, au singulier comme au pluriel, ce qui est permis ou exigible selon les
principes d’une morale ou selon la législation (avoir droit, avoir droit à, être
dans son droit).
Puis utilisé dans des syntagmes comme les droits de l’homme (1774) ou avoir le
droit de…
Pas de produits dérivés comme son correspondant latin jus qui a donné
« juridique, justice, juger… » sauf « passe-droit » (1548) et « ayant-droit »
(1835)
A/- Droit objectif / droits subjectifs

Exemples :
- « l’acheteur d’un bien doit en acquitter le prix »  Droit objectif
- « Monsieur Martin, libraire, dit que lorsqu’il vend un livre, il a le droit d’en
percevoir le prix »  droit subjectif (prérogative individuelle)

Critique de la distinction : certaines prérogatives sont édictées dans le but


d’une gestion rationalisée de la vie sociale et n’ont pas uniquement de
résonnance personnelle.

Droit objectif : « ensemble de règles de conduite socialement édictées et


sanctionnées qui s’imposent aux membres de la société »

Droit subjectif : « prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit


objectif qui permet à son titulaire de faire ou d’interdire quelque chose dans
son propre intérêt, ou parfois dans l’intérêt d’autrui.
B/- Droit positif / Droit naturel
Le droit naturel ou jusnaturalisme désigne le droit juste, qui découle de la
nature, supérieur au droit positif appliqué effectivement à un moment
donné dans un pays donné. Ce droit exprime un ensemble d’exigences, de
valeurs, un devoir-être, alors que le droit positif considère l’ensemble des
comportements comme être.
Ecole du droit naturel
Aristote (384-322 av. JC)
Thomas d’Acquin (1225-1274)
Kant (1724-1804)
Ecole du droit positif
Hobbes (1588-1679)
Ihéring (1818-1892)
Kelsen, Durkheim, Duguit, etc.
Aujourd’hui : réconcilier le juste avec le droit positif; conserver des valeurs à
l’ordonnancement juridique concret et actuel de la Cité, d’autant que le droit
n’est pas créé ex nihilo. Les créateurs du droit sont garants des principes
externes à la sphère juridique.
3 conséquences quant aux maîtres de la Cité (qui doivent respecter des
principes fondamentaux) , aux sujets de la Cité (qui peuvent désobéir
civilement) et aux juges de la Cité (qui peuvent interpréter le droit).
Exemple type : Antigone de Sophocle (vers – 440)

Critiques de la distinction :
- décevante par les hésitations sur sa source : révélation divine, emprise
métaphysique, la nature de l’homme dans l’école du droit des gens
(Grotius, Pufendorf, Thomassius, Wolf, Locke, Vattel, Burlamaqui) avec la
mise en avant des principes de liberté, dignité, sociabilité, aptitudes à la
volonté et à la raison, etc.
- décevante par l’incertitude de son contenu : ex du mariage, du respect à
l’égard de la personne humaine.

Néanmoins, le droit naturel rend compte de certaines réalités intuitives.


Le droit naturel, présent dans les mentalités car c’est ce que la règle
juridique paraît exiger dès que la spécificité humaine est en jeu.
- certains éléments appartiennent à la mentalité juridique universelle
- il se présente parfois comme instrument de contestation du droit positif.
- il lui arrive même d’inspirer le droit positif.
Conclusion : si le caractère obligeant (coercitif) de la règle de droit résulte de
ce qu’elle est l’expression d’une volonté politique, cela n’est acceptable que
par ce que la règle de droit s’inspire des valeurs fondamentales de l’être
humain.
C/- Droit privé / Droit Public : Summa divisio du droit
Schéma simpliste qui voudrait y voir l’opposition de la collectivité à l’individu.

- Différence d’objet :Le droit privé prend en considération les particuliers et


réglemente les rapports, économiques ou non, qui s’établissent entre eux :
le mariage, les contrats (de vente, de prêt, …), les successions… Au
contraire le droit public vise à organiser l’Etat et ses collectivités publiques
et régir leur action et leurs relations avec les particuliers.

Critère insuffisant car il n’est pas rare que l’activité de l’Etat ou des
collectivités publiques soit soumise à des règles de droit privé.

- Différence de finalité : c’est un critère double.


*La règle de droit public recherche la satisfaction de l’intérêt général
ou utilité publique (difficile à distinguer de l’intérêt individuel)
* Elle assure l’exercice de la puissance publique. Il est le droit
propre à l’Etat et aux collectivités publiques, agissant en tant que puissance
publique, et, comme telle, investis d’un pouvoir de commandement
prééminent qui les soustrait aux règles applicables aux particuliers. Ce
critère est déterminant car il fournit une justification au particularisme du
droit public (pouvoir d’action d’office, ordre juridictionnel administratif).
En définitive, la distinction peut-être formulée de la façon suivante : d’un côté,
le droit privé rassemble les règles qui s’appliquent aux rapports entre les
particuliers et qui assurent prioritairement la sauvegarde d’intérêts
individuels. De l’autre, le droit public regroupe les règles qui organisent
l’Etat et les collectivités publiques ainsi que celles qui régissent les relations
établies par celles-ci et par celui-là, pris comme expression de la puissance
publique, avec les particuliers.

Pourtant deux critiques et un avantage de la distinction :


- Distinction idéologique et institutionnelle de l’Etat bourgeois : Elle serait
conservatrice. L’impératif au droit public, le consentement au droit privé.
- Distinction qui tend à masquer l’unité du droit, expression d’un projet
politique.
- Distinction qui est un simple instrument utile de classification, surtout
depuis l’apparition et le développement des branches spécialisées du droit;
mais deux limites : elle présente deux volets complémentaires du droit; elle
n’est qu’un schéma d’orientation.

Branches du droit : « ensembles cohérents et autonomes de règles adaptées


à un secteur déterminées d’activités. »
Schéma incomplet d’ensemble des branches du droit entendues comme des ensembles cohérents et
autonomes de règles adaptées à un secteur déterminé d’activités :

I/ Droit public :
- Droit constitutionnel : règles relatives à la forme de l’Etat, la constitution du gouvernement et des pouvoirs
publics
- Droit administratif : règles relatives à l’organisation des collectivités publiques et des services publics,
ainsi que leurs rapports avec les particuliers
- Droit international public : règle les rapports entre les Etats et les compétences des organisations
internationales

II/ Droit privé :


- Droit civil : règles relatives aux personnes, aux biens, à la famille, aux contrats, à la responsabilité
- Droit commercial : règles applicables à l’exercice de la profession commerciale

III/ Droits mixtes :


- Droit pénal : règles qui déterminent les faits répréhensibles et leurs sanctions
- droit processuel : science comparative fondée sur le rapprochement des procédures en droit privé, pénal,
administratif… et l’étude des thèmes communs à tous les procès.
- droit social (droit du travail et de la sécurité sociale) : réglementation des rapports entre employeurs privés
et salariés à l’occasion du travail et entre les assurés, les assujettis et les organismes de sécurité
sociale.
- droit international privé : organise les rapports entre les ressortissants qui relèvent d’Etats différents
- droit communautaire : règles matérielles uniformes applicables dans les Etats membres de l’Union dont
les sources primaires sont constituées par les traités d’institutions et la partie dérivée par les règles
établies par les institutions communautaires en application des traités.

branches détachées du droit administratif :


finances publiques, droit fiscal, libertés publiques, droit de l’environnement, droit de l’urbanisme
branches détachées du droit civil et du droit commercial :
droit rural, droit des assurances, droit des transports, droit de la propriété intellectuelle, droit de la banque et
de la bourse, droit de la régulation, droit de la consommation, droit de la construction
D/- Droit et fait = Acte et fait juridique
Le critère de la distinction entre ces deux catégories repose sur la prise en
considération du rôle, ou de l'absence de rôle, de la volonté de la personne
dans la détermination des effets de droit produits par l'événement
considéré.
Tandis que l'acte juridique (contrat de vente) est un acte volontaire accompli
pour déterminer des conséquences juridiques choisies, le fait juridique
(accident de la circulation) engendre de telles conséquences
indépendamment de la volonté du sujet qu'il concerne. D'un côté, la volonté
individuelle est le principe générateur des effets de droit. De l'autre, c'est la
loi qui les détermine directement.

1/Définitions de l’acte juridique :


L'acte juridique est une décision prise en vue de produire des effets de droit ou,
si l'on préfère, de modifier l'ordre juridique. Il est une manifestation de
volonté destiné à produire valablement des effets juridiques admis par
autrui, et ne se distingue guère d'une règle de droit dont il constitue le
support formel.
Or, les actes de droit public sont des sources du droit objectif et non des droits
subjectifs.
L'acte juridique est un acte volontaire, spécialement accompli par une
personne pour produire, dans le cadre et les conditions du droit objectif des
effets de droit dont la nature et la mesure sont précisément déterminées par
sa volonté.
a/ Les conventions sont des actes juridiques qui s'appuient sur un
accord de volonté réalisé entre deux personnes ou plus et destiné à
produire des effets de droit à l'égard de ces personnes, et d'elles seulement
en vertu du principe dit de l'effet relatif.
- Elles peuvent créer des droits réels (usufruit, servitude, etc.)
- Elles peuvent engendrer des obligations (contrats de droit privé ou
de droit public)
- Elles peuvent prendre pour objet ou manipuler des droits déjà
constitués (déclarer ou reconnaître un droit préexistant par une
transaction; transmettre un bien par vente, donation, etc.)
- Elles peuvent assurer l’extinction d’un droit (remise de dette, dation
en paiement, etc.)
b/ Les actes juridiques unilatéraux sont des actes volontaires par
lequel une personne, de sa seule volonté, détermine des effets de droit. En
droit public, nomination de fonctionnaire, réquisitions de biens pour le
service, autorisation de bâtir. En droit privé, testament, reconnaissance, etc.
- Elles peuvent déclarer un droit ou une situation préexistante
- Elles peuvent provoquer l’extinction d’un droit (testament)
Un acte juridique unilatéral peut-il être générateur d’obligations ?
c/ Les actes juridiques collectifs : pas de critère décisif
- Les actes juridiques collectifs (décisions majoritaires de
groupements)
- Les conventions collectives
Distinction quant à leurs effets qui sont également collectifs (en dérogation
au principe de l’effet relatif des conventions (Principe en vertu duquel les
contrats n’ont de force obligatoire que dans les relations des parties
contractantes entre elles, et non à l’égard des tiers auxquels il ne peuvent,
en règle générale, ni nuire, ni profiter).

Balde (1327-1400) : « Le droit naît du fait » (ius ex facto oritur)

2/ La notion juridique de fait


Tout ce qui n’est pas du droit relève du fait.

a/ Les faits juridiques (aptes à produire des conséquences de droit)


se caractérisent par l'impuissance des personnes à en modeler les effets
selon leur volonté: ce sont des événements qui, volontaires ou non,
engendrent des effets de droit directement déterminés par la loi. (fait de
l’homme ou de la nature). Mais la notion de fait juridique reste imprécise 
D’où une classification imparfaite selon leurs effets juridiques:
- Faits générateurs de statut (naissance, filiation, majorité, aliénation
mentale, décès)
- Faits attributifs ou extinctifs de droits patrimoniaux (décès, délits,
quasi-délits, quasi-contrats, la prescription).

Prescription : Mode d’acquisition ou d’extinction d’un droit, par


l’écoulement d’un certain laps de temps (d’un délai) et sous les conditions
déterminées par la loi.

- Faits correctifs de régime juridique


La force majeure s'entend d’un événement extérieur à la fois imprévisible
et irrésistible qui se trouve à l'origine d'un dommage ce peut être un fait de
l'homme - telle l'imprudence tout à fait inopinée d'un tiers - ou un fait de la
nature - par exemple, une tornade ou une plaque de verglas.
La fraude est, plus que la force majeure, difficile à définir précisément. Elle
désigne un détourne- ment de la règle de droit consistant dans la mise en
œuvre de règles juridiques pour en tirer un profit illégitime.
L’apparence : La jurisprudence admet, en effet, que, sous certaines
conditions, une situation juridique donnée peut être privée de ses effets
naturels, pour tenir compte de ce que cette situation a pu être ignorée, ou
mal interprétée par les tiers.
Inopposable : Se dit relativement à une personne, d’un acte ou d’un droit
dont cette personne est fondée à ignorer ou à faire écarter les effets.

b/- Le fait matériel (caractérisé par son extériorité au droit)


Ce sont des données bruts qui constituent la chair du droit (faits de
l’espèce) car ils sont fabriqués et construits par les personnes juridiques.

Cette distinction du fait et du droit permet de justifier l’emprise du


droit sur le fait. Le fait est conçu par les juristes comme le miroir du
droit.
Section 2 : Les fondements du droit
Les finalités du droit qui se trouvent à l’extérieur du droit rendent plus
complexes les fonctions du droit.
Finalités traditionnelles : justice, ordre, progrès
Finalités révolutionnaires : liberté, égalité, fraternité, propriété absolue
art 544 C. civ. : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de
la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé
par les lois ou par les règlements »
XIXe siècle : nouvelles exigences : droit au travail, à la santé, à la sécurité, à la
solidarité.
XXe siècle : le mouvement s’est amplifié : protection du consommateur, de
l’environnement, meilleure qualité de vie, etc.
Il a fait l’objet de nombreuses critiques (abus des « droits à »; télescopage
entre droit à l’égalité et à la différence; le droit doit-il tout prévoir ?; Faut-il
brusquer l’évolution des mœurs ? Égalité des hommes et des femmes;
politique américaine des quotas, affirmative action américaine).
Le droit se doit d’être la médiation entre le juste et le sage, la recherche
d’une harmonie. Au-delà des querelles, il convient de comprendre
l’ambivalence du droit en termes d’axiologie (théories des valeurs éthiques)
et de raison.
D’où deux propositions incontournables :
A/- Droit et société
Le droit est-il avant tout toujours une nécessité de la vie en société ? A priori
oui
Il existe pourtant des sociétés sans droit (Chine), même si la mondialisation et
les lois du marché les contraignent à rejoindre les sociétés juridiques
occidentales.
Ainsi, mêmes les sociétés les plus réticentes finissent par s’organiser autour
d’un droit. Les liens entre droit et société sont étroits.

1/- Pas de droit sans société (ibi societas , ubi jus)


Le droit suppose l’existence d’une société et des membres qui la
composent (Robinson Crusoé). Le droit est porteur d’un ordre social et
juridique. Il énonce les valeurs de la société (respecte de la parle donnée;
obligation de réparer un dommage). Il n’est pas seulement un ordre au sens
de commandement (ordo), mais au sens d’ordonnancement (ordinatio). Il a
donc une portée politique indéniable consistant à aménager aux mieux les
intérêts de chacun.
Ex. Le contrat social de J.-J. Rousseau, le contenus des constitutions,
Platon : « Edifions en théorie une cité dont nous nous supposerons les
premiers fondateurs » (Les Lois).
Le droit est fait pour nous et par nous.
L’Etat apparaît comme une forme juridique essentielle des sociétés humaines,
mais celui-ci n’a pas le monopole du droit qu’il doit partager avec la société civile.
Des individus et des groupes sociaux s’organisent juridiquement à côté des
Etats, et parfois contre eux.

2/- Pas de société sans droit (ubi societas, ibi jus)


Le phénomène juridique apparaît dès qu’il existe une société. Il faut régir les
rapports de ses membres et arbitrer leurs différends.
Existe-t-il pour autant des sociétés qui ne seraient pas juridiques ? Existe-t-il du
social en dehors du droit ? (querelles de juristes et sociologues qu’il faut
dépasser). Il importe de constater la diversité des sociétés organisées par le
droit. Les sociétés tendent à s’organiser en des ordres juridiques (joueurs
d’échec, sportifs, Eglise).
L’histoire du droit montre la lente construction des Etats en ordre juridique
interne. Les formes des ordres juridiques varient (fédérations d’Etats pour les
Etats-Unis et l’Allemagne ; communautés régionales autonomes pour l’Espagne ;
ordre juridique communautaire pour les Etats membres de l’Union européenne ;
ordre juridique international pour la Société des Nations ; ordre juridique mondial
avec l’OMC, la Cour pénal internationale ou la régulation récente de la finance.
L’ordre social créé par les systèmes normatifs est un ordre immatériel de
notions et de représentations qui ne peut exister et fonctionner sans la
croyance des hommes.
B/- Droit et justice
2 sens au concept de justice : matériel et intellectuel

1/- Droit et procès :


Les rapports du droit et de la justice sont troublants.
A Rome, le droit a pour objet la justice (Celse, 2e s. avant JC, « Le droit
est l’art du bon et du juste », Jus est ars boni et aequi). Les droits n’existent
que dans la mesure où ils faisaient l’objet d’une protection juridictionnelle,
d’une action en justice.
Aujourd’hui, l’instance en justice - le procès - constitue l’essence même et
la principale originalité du droit. D’ailleurs, n’est du droit que ce qui a
vocation à se débattre devant le juge, ce qui est plaidable. La justice
remplace la violence du règlement de compte, le combat sauvage, même
lorsqu’elle était accompagnée de procédés de preuves des plus barbares
comme les ordalies (les jugement de Dieu) ou la question (torture à peine
voilée). Le combat est remplacé par la « joute » verbale des avocats.
Lors de l’instance, le droit ne s’applique pas comme un dogme, mais
comme un instrument de raison (on y discute son sens, sa portée, la façon
de l’adapter). Le juge dit le droit et non exécute les prescriptions de la
loi. Le juge se doit d’être impartial.
Le procès devient le critère du droit, même quand il n’a pas lieu. Cela
signifie que la menace du procès a suffi. Le juge en apaisant les différends
exprime cette valeur suprême qu’est le droit (par opposition à la force).
Même si la Constitution feint de le considérer comme une simple
« autorité », le pouvoir judiciaire n’est pas un vain mot. Le juge d’ailleurs
statue « au nom du peuple français ».

2/- Droit et idée du juste :


Le droit est-il pour autant conforme à l’idée du juste ? (voir le statut des juifs
sous Vichy, celui des indigènes dans les colonies, etc.) Entre les positions
extrêmes de la dictature et de la véritable démocratie, entre le cynisme et
l’angélisme, le droit occupe une palette de situations variées plus ou moins
justes.
D’ailleurs le justice n’est qu’une idée, avec les forces et les faiblesses
inhérentes aux idées, mais l’idée du juste est un fait scientifiquement
observable.
Le contenu du juste est difficile à cerner puisque c’est une notion
paradoxale et circonstancielle. (Aristote a bien légitimé l’esclavage des
barbares ; l’idée des droits de l’homme si tant est qu’elle soit universelle a
mis un certain temps à émerger du droit). La difficulté consiste souvent à
choisir entre deux valeurs opposées également respectables (liberté de
la presse / respect de certains secrets). En général le choix dépend du
système de valeur en cours à un moment donné et donc de leur hiérarchie.
Posons 4 jalons à partir des demi-certitudes qui ont fini par s’imposer.
- En raisons de vertus de la discussion, le droit est un objet de
controverse.
- La justice progresse par a contrario en dénonçant les injustices. Elle
se définit en creux tout au long des injustices commises.
- A défaut d’un droit idéalement juste, du moins faut-il que le droit
imparfait dont on dispose soit le même pour tous.
- Dans les cas d’application où la loi apparaît injuste, le juge n’aura
qu’à faire jouer l’équité.
Section 3 : Les méthodes du droit

Si le droit possède et use de méthodes, c’est qu’il est à la fois une science et une
technique.
- La science du droit : La science n’a pas pour unique but de découvrir des lois
mais de faire progresser la connaissance par l’observations des phénomènes
sociaux. La science juridique se propose, à propos d’une règle quelconque d’en
déterminer son fondement, sa place au sein du système juridique, sa signification
plausible et par conséquent ses effets.
Tout juriste utilise une méthode critique (évitant l’idéalisme et l’illogisme) fondée
sur l’observation tant du phénomène social que du phénomène juridique.

- La technique du droit : L’application du droit est une réflexion à partir de faits


pour remonter à la règle de droit qui lui est applicable. Le juriste doit connaître le
droit, mais surtout raisonner de façon logique. Il peut le faire soit à l’occasion d’un
contentieux, soit en amont avant tout litige. Trois missions incombent au
technicien du droit (structuration, rationalisation et adaptation), tout en devant
essayer d’éviter trois effets pervers (déformation, occultation, rigidité).
Ainsi le droit est souvent têtu – je dirais conservateur -. Il est souvent freiné par
les professionnels. Ses réformes sont rarement révolutionnaires, mais feutrées.

Art ou science, le droit possèdent des mécanismes de trois ordres : linguistique,


intellectuel ou simplement technique.
A/- Le langage du droit : vocabulaire, concepts et catégories

1/- Le vocabulaire juridique :

- A côté d’un vocabulaire spécifique (emphytéose, usucapion, antichrèse,


synallagmatique, nantissement, irréfragable, préciput), il emprunte souvent
à la langue commune en en déformant le sens (lésion, garde, réserve,
mystique, liquider).
Le vocabulaire spécifique est limité et conserve sa formation latine ou
grecque. Les juristes font également grand usage d’adages et de
locutions latines :
Fraus omnia corrumpit, La fraude corrompt toute chose;
Nemo auditur propriam turpitudinem allegans, Nul n’est recevable à
invoquer sa propre turpitude
Res perit domino, La perte d’une chose est pour le propriétaire
Mais également en français :
Qui ne dit mot consent
La plume est serve, la parole est libre
Ce vocabulaire a l’avantage d’être précis (usage d’un dictionnaire
recommandé). Trois exemples (meubles / immeubles; minute / expédition /
grosse; ayant-cause / auteur).
- Le langage juridique est une véritable langue (10 000 termes
juridiques).
Synonymes : bail = location = louage
à juste titre = à bon droit
collectivités territoriales = collectivités locales
justes motifs = cause légitime d’une résiliation, d’une révocation
Faux synonymes : contrat ≠ convention
fonctionnaire ≠ agent public
Polysèmes (mots à sens multiples) : inventeur
Antonymes (mots de sens exactement opposés) :
prescriptible ≠ imprescriptible
discrétionnaire ≠ contrôlé
Homophones (mots de même prononciation, mais d’orthographe différente)
prêteur ≠ préteur

A retenir :
La loi dispose
Le contrat stipule
Le juge décide
2/- Les concepts juridiques sont plutôt des critères imprécis, mous,
souples, bien qu’étant des termes ou expressions les plus importants du
droit, de véritables standards (désigne une norme souple fondée sur un
critère intentionnellement indéterminée) : bonne foi, conciliation des intérêts
en présence, l’intérêt de la famille, la faute, le dommage, l’opération,
l’équipement…

Philippe Jestaz : « [ces notions] jouent ce rôle indispensable d’assouplir le


système, d’en corriger les aspérités, bref d’introduire l’équité. Contrairement
à ce qu’on croit, la justice est beaucoup moins raide que l’informatique ».

Cependant toute définition juridique est fonctionnelle. Il ne s’agit pas de


répertorier les choses de façon scientifique et d’après ce qu’elles sont, mais
de façon pratique et en vue d’obtenir un certain résultat social.

Les mots du droit ne servent pas à décrire mais à agir. Une notion
courante (descriptive au départ) devient donc juridique du jour où la loi lui
attache des conséquences particulières, ce qui oblige alors el juge, avec
l’aide de la doctrine, à la définir en droit.
3/- Les catégories juridiques correspondent à un souci de classification
(rappelez-vous l’ordonnancement juridique)
Personne/Chose
Corporelle/incorporelle
Droits réels/ Droits personnels
Droits patrimoniaux / Droits extra-patrimoniaux
Contrats aléatoires (assurance) / Contrats commutatifs (vente)

Cette catégorisation aide au raisonnement juridique © Ch. Larroumet


B/- Le raisonnement juridique : syllogisme, logique et constructions de l’esprit ou les
mécanismes intellectuels du droit
Il est pratiqué dans le cadre du contentieux certes, mais aussi au cours de
simples réflexions juridiques, hors situation conflictuelle, afin de trouver les
bases juridiques correctes, les mieux adaptées à la réalisation d’une opération
choisie.
Il s’agit d’analyser la façon dont s’opère l’application d’une règle de droit
positif. La forme syllogistique répond-t-elle seule à cette interrogation ?
Non. Il existe deux réponses : la logique formelle et la logique fonctionnelle.

1/ Le syllogisme juridique ou la logique formelle :

Définition du syllogisme en logique : deux propositions sont formulées : l’une,


générale et impersonnelle, est dite la majeure (tous les homme sont mortels) ;
l’autre, particulière ou d’espèce s’appelle la mineure (Socrate est un homme). Le
rapport logique de l’une à l’autre proposition permet de dégager une troisième
proposition nommée la conclusion (Socrate est donc mortel).
Définition du syllogisme en droit : la solution pratique d’un problème juridique
nécessiterait un raisonnement syllogistique : la règle de droit en serait la majeure
(qui cause un dommage doit réparation : art. 1382 C. civ.) ; les faits seraient la
mineure (Paul a cassé le nez de Jean en lui donnant un violent coup de poing) ; la
solution serait la conclusion (Paul doit dédommager Jean).
Cette pratique idéale est pourtant très réductrice. Bien souvent les cas
sont souvent plus complexes et les juristes partent de la solution qu’ils
désirent, pour sélectionner des éléments des faits et une règles de droit qui
sont autant d’arguments en leur faveur. Le raisonnement syllogistique est
alors inversé, car le juriste part de la conclusion pour remonter jusqu’à la
majeure. Le raisonnement est alors davantage un procédé rhétorique
qu’un procédé logique. Cette déformation est fréquente chez le législateur
en raison de considérations sociales et/ou politiques, voire chez le juge pour
des raisons sécuritaires.

Syllogisme juridique ou inversé ? Les juristes, comme les artistes, sont


des constructeurs. Ils transforment le donné pour en faire le construit,
selon François Gény (1861-1959). Le donné est constitué des faits, des
pratiques sociales, mais aussi des valeurs, de la morale. Le construit est ce
qui transforme le donné, « un ensemble de procédés ou de moyens
pratiques, qui représente la part spécifique de l'art ou du métier dans le Droit,
et que l'on peut appeler sa technique ».
2/- La logique fonctionnelle :
Les juristes utilisent plutôt une logique fonctionnelle. Car le droit n'a pas pour
finalité d'établir la validité d'une proposition, mais d'aboutir à un certain résultat dans
la recherche duquel entrent des arguments de justice et d'opportunité, l'intention du
législateur, la cohérence avec d'autres solutions, etc.
Le droit repose donc sur une logique mélangée. D’ailleurs en droit, n'importe quelle
thèse peut être soutenue.

3/- Les constructions juridiques savantes : théories et fictions


- Les théories : En droit il existe deux types de justifications :
* l’exposé des motifs (justifications de fait) fournit toutes les bonnes raisons
de promouvoir un certain résultat.
* la théorie : est une construction de l'esprit propre à justifier le résultat
souhaité au regard de la technique juridique. Exemple : Soit une convention franco-
allemande sur le divorce, signée par les deux ministres des affaires étrangères et
ratifiée par les Parlements respectifs des deux pays. Le but visé, en ce qui nous
concerne et sous réserve de réciprocité, est que les juges français appliquent cette
convention de préférence à la loi française lorsqu'un ménage franco-allemand vient à
divorcer. On peut songer à le justifier techniquement grâce à l'idée que, ratifiée par le
Parlement français, la convention a la valeur d'une loi française. Mais cette théorie
se révèle exécrable (elle conduit à une erreur et une absurdité). il faut recourir à une
autre théorie selon laquelle l'Etat, en tant que sujet de l' ordre international,
prend des engagements qui prévalent sur les lois de l'ordre juridique interne.
Autre exemple de théorie :
Dans le cadre du contrôle de constitutionalité a posteriori par les
juridictions administratives et judiciaires, il convient de distinguer les
lois des autres règles juridiques.
Pour les lois votées par le Parlement, les juridictions sont
appelées à se prononcer par voie d’exception et non d’action,
c’est-à-dire qu’une décision peut refuser de l’appliquer sans pour
autant juger la loi contraire à la constitution, ce rôle étant réservé au
Conseil constitutionnel.
En revanche, pour les autres règles, les juridictions ordinaires
devraient pouvoir les contrôler puisque le Conseil constitutionnel
n’est pas compétent. Or le Conseil d’Etat refuse d’exercer un tel
contrôle de constitutionnalité lorsque les actes administratifs sont
pris en application de la loi parlementaire. C’est la théorie de la loi
écran : la loi ferait écran à ce qu’un contrôle de conformité à la
Constitution soit normalement exercé par le juge administratif.
Sinon, le juge devrait se prononcer sur la conformité d’une loi à la
Constitution, ce qui ne serait pas de sa compétence.
Autre exemple de théorie : celle des droits acquis (cf. application
de la loi dans le temps)
- Les fictions :
La fiction est une variante de théorie qui repose sur une dénégation délibérée
de la réalité, mais toujours en vue d'aboutir à un résultat considéré comme
souhaitable.
Définition : c’est un artifice de technique juridique (en principe réservé au
législateur), « mensonge de la loi » (et bienfait de celle-ci) consistant à faire
« comme si », à supposer un fait contraire à la réalité, en vue de produire
un effet de droit ».
Le mécanisme est souvent annoncé par les expressions « est réputé… »,
« est censé… » (« Nul n’est censé ignoré la loi »)
Ex : faire comme si l’enfant conçu était né afin qu’il acquiert un droit, comme si
le représenté était l’auteur même de l’acte accompli en son nom par son
représentant, etc.
* fiction poétique musulmane (présomption de paternité d’un enfant conçu
15 ou 18 mois après le départ à la guerre du père)
* fiction typique (rétroactivité permet de remonter le temps)
* fiction astucieuse [présomption : « conséquence que la loi ou le juge
tire d’un fait connu (par ex. la date de naissance et celle du mariage) à un
fait inconnu (par ex. la paternité) dont la vraisemblance est rendu
vraisemblable par le premier ». La présomption peut être simple,
irréfragable ou mixte].
Les fictions ne valent pas en soi, mais par l’usage qu’on en fait.
C/- Les mécanismes techniques du droit : qualification et interprétation
Plusieurs techniques sont utilisées pour appliquer la règle de droit au cours du
raisonnement juridique : analyse, distinction, présomption de fait (de
l’homme ou du juge, certitude raisonnée que tel fait justifie l’application de la
règle de droit).

1/- La qualification :
Une fois les faits établis, le juriste recherche à quelle catégorie et sous-
catégorie les faits se rattachent, de manière à déterminer quelle est la règle
de droit applicable à cette situation. C’est l’opération de « diagnostic »
juridique que l’on nomme « qualification ».
La qualification se définit ainsi comme l' « opération intellectuelle
d'analyse juridique, outil essentiel de la pensée juridique, consistant à
prendre en considération l'élément qu'il s'agit de qualifier (fait brut, acte,
règle, etc.) et à le faire entrer dans une catégorie juridique préexistante (d'où
résulte, par rattachement, le régime juridique qui lui est applicable) en
reconnaissant en lui les caractéristiques essentielles de la catégorie de
rattachement » (Vocabulaire Juridique Capitant, 7e éd., par G. Cornu).
Pour les juristes, « Différence de nature [égale] différence de régime ».
Et il n’existe que des définitions juridiques à visée pratique, pas d’identité
de nature (ex. la lapin de choux). Mais le droit n’est pas pour autant une
science exacte car manque parfois de clarté et laisse souvent une marge
d’appréciation que les usagers peuvent utiliser sous le contrôle éventuel du
juge.
La qualification, opération logique de « nomination », est contrôlée par le juge.
Certes, la qualification juridique des faits est d'abord réalisée par les
parties dans leur demande et souvent dans deux directions opposées (faute vs
légitime défense). Le juge doit alors restituer l’exacte qualification « sans
s’arrêter à la qualification choisie par les parties » (requalification des
contrats). Et cette qualification est une question de droit et non de fait et relève
de la compétence de la Cour de cassation.

2/- L’interprétation :
Le vocable « interprétation » est un mot emprunté (1160-1174) au latin
classique interpretatio « explication », « traduction », « action de démêler ».
Son évolution est analogue à celle du verbe « action de donner une
signification » d’abord à des songes, puis à des actes, des paroles, etc.
(1440-1475), ensuite « action d’expliquer qqch. dont le sens est obscur »
(1487).
En droit, dans ce même sens, le mot possède trois définitions
extrêmement liées :
- opération qui consiste à discerner le véritable sens du texte obscur, que ce soit
de la part de son auteur même, ou bien de la part d’interprète étranger.
- désigne par extension la méthode qui inspire la recherche
- se dit aussi du résultat de la recherche.
De tout temps, tout texte normatif a nécessité des gloses (Bible, Corpus
Juris Canonici, Torah,, Coran, Corpus Juris Civilis, Code civil, coutumes, etc.).
En France les règles d’interprétation n’ont pas été édictées, mais sont
issues de la pratique et de la doctrine. Trois méthodes se sont succédées :
le texte, l’esprit et la logique juridique.
a/- Première méthode : l’analyse du texte et de la règle (méthode exégétique)
en hommage à l’école qui porte le même nom et à ses auteurs principaux Aubry
(1803-1883) et Rau (1803-1877), Demolombe (1804-1887), Laurent (1810-1887),
Troplong (1795-1869) -, cette méthode d’interprétation d’une règle de droit consiste
en effet à rester très près de son texte. Elle domine au XIXe siècle.
Bugnet (1794-1866) : « Je ne connais pas le droit civil, je n’enseigne que le Code
Napoléon).
le devoir de l'interprète consiste alors, à exploiter la lettre du texte pour retrouver,
en raisonnant, la volonté du législateur. D’ailleurs contrairement à la présentation qui
en est parfois faite, la méthode exégétique ne se ramène pas à l’interprétation
littérale du texte. Bien au contraire, elle tend, au delà du texte, à rechercher
l’intention du législateur, la ratio legis, et donc à faire prévaloir l’esprit de la loi sur la
lettre du texte.
- interprétation grammaticale (usage de la langue et règles de syntaxe)
- interprétation systématique (texte dans son contexte, a son origine dans le
Digeste (1.3.24)) et se trouve dans l’art. 1161 C. civ. à propos de l’interprétation des
conventions : « Toutes les clauses et conventions s’interprètent les unes par les
autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier ». En cas d’obscurité
de la loi, l’interprète dit s’aider des « exposés des motifs » et des « travaux
préparatoires » (publiés au JO).
Déclin de l’école de l’exégèse pour deux raisons :
- tout n’est pas dans la loi
- la méthode est devenue obsolète avec le temps et le progrès
b/- Deuxième méthode : la recherche de l’esprit d’un règle de droit
Souvent associée à l'école dite de la méthode historique de Raymond
Saleilles (1855-1912) ou à l'école de la libre recherche scientifique de
François Gény (1861-1959), cette méthode d'interprétation attribue un rôle
essentiel à la finalité du texte.
Saleilles invite l'interprète à se dégager de la volonté ancienne du législateur et à
utiliser les textes comme s'ils venaient d'être publiés: « au-delà du Code civil
mais par le Code civil ».
Gény va plus loin. Dénonçant le « fétichisme de la loi écrite et codifiée », il
suggère à l'interprète de construire de toutes pièces des dispositions nouvelles
obtenues par une « libre » recherche de la solution juste (la tradition romaniste
médiévale faisait déjà prévaloir l’esprit de la règle sur son texte).
Plusieurs procédés permettent de retrouver cette intention :
- l’interprétation historique
- l’interprétation téléologique (finalité du texte) : extensive et évolutive
- l’interprétation casuistique (ou effective) en fonction des effets pratiques

c/- Troisième méthode : l’interprétation logique de la règle


Cette méthode se caractérise par l'utilisation du raisonnement juridique, des
maximes et arguments d'interprétation. Elle peut aboutir à tout et à son
contraire.
- Adages et maximes :
• exceptio est strictissimae interpretationis :
les textes exceptionnels sont d'interprétation stricte.
• specialia generalibus derogant ou generalia specialibus non derogant :
une loi nouvelle sur un point particulier déroge à la règle générale
antérieure
• Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus :
il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas.
• Cessante ratione legis cessat ejus dispositio :
la loi cesse là où cessent ses motifs.
• odiosa sunt restrigenda, selon lequel
les lois défavorables doivent être interprétées de manière restrictive.
- Raisonnements :
• a contrario, ou par le contraire. Ce raisonnement consiste, par voie
d'opposition, à extraire d'un texte une solution contraire à celle qui y est
inscrite.
• a fortiori, ou à plus forte raison. Ce procédé d'interprétation conduit à une
extension de la loi à un cas qu'elle n'a pas expressément prévu.
• par analogie. Ce raisonnement, dit aussi a pari, consiste à faire état de la
solution donnée par les textes pour un cas voisin de celui pour lequel on
recherche la règle de droit applicable, et à appliquer cette solution au cas
envisagé.
Annonce de plan

Première partie : Le droit, phénomène historique, aux assises multiples


souvent opposable ou contraignant, mais toujours contestable

Titre I : Des histoires du droit


Titre II : Les sources du droit
Titre III : L’application des règles de droit
Titre IV : La contestation du droit

Deuxième partie : Les piliers fondamentaux du droit

Titre I : Les personnes


Titre II : Les biens
Titre III : Le contrat
Titre IV : La responsabilité
Titre I : Des histoires du droit
Il existe plusieurs systèmes de droit selon des considérations exogènes, comme la
géographie, les mœurs, les religions, la politique, etc., mais aussi en raison de
causes endogènes comme les modes de transmission du droit, les habitudes
professionnelles…
- Le système romano-germanique (continent européen, sauf la Grande-Bretagne
et les pays socialistes, pays d’Amérique latine): la science juridique est fondée sur
le droit romain, mais le contenu droit est un amalgame de solutions romaines et
germaniques. On y retrouve les mêmes catégories, le même vocabulaire, la loi
comme source principale du droit contenue dans des codes.
- Le système de Common Law (Angleterre, Irlande, Etats-Unis d’Amérique,
anciens dominions britanniques) Le système est fondé sur la pratique
(jurisprudentielle), la loi joue depuis le début du siècle un rôle de plus en plus
important. Les juristes sont de plus en plus formée à l’Université. Les
classifications et concepts sont différents.
- Le système socialiste (Pays de l’ex-URSS, pays allégeant) A l’origine pays sans
droit ni Etat, mais adoptent de plus en plus le système romano-germanique, par la
forme d’abord, puis dans le fond (codes civils, 1961; droit de la famille, 1968;
privatisation de l’économie et donc du droit)
- Les systèmes philosophiques ou religieux (Extrême-Orient, Afrique) mais ces
pays ont, souvent du fait de la colonisation, choisi de droit, plutôt romano-
germanique pour le Japon, la Thaïlande, l’Indonésie…., plutôt le Common Law
pour l’Inde, le Pakistan, la Birmanie, le Soudan. Cependant certains pays
conservent en action un droit religieux (Iran, Arabie Saoudite..).
Chapitre I : Une histoire du droit civil français
3 périodes déterminantes: avant 1789, 1789-1804, après le Code civil
Sect. 1 : L’Ancien droit (Moyen-Age - Révolution)
A/- Les sources de l’Ancien droit :
1/- La distinction des pays de coutumes et pays de droit écrit
Cette carte, réalisée par Klimrath,
en 1837,à partir des procès-verbaux
de la rédaction officiel des coutumes.
Elles indique le ressort des parlements
et autres cours souveraines et précise
la limite entre les pays de droit écrit
au Sud et les pays de coutumes au
Nord et enfin définit les territoires
des coutumes générales.
- Le droit romain est d’abord appliqué à partir de celui constitué par les
jurisconsultes classiques du IIIe siècle (Code Théodosien, 438).
A partir de la Renaissance du droit romain (vers XIe siècle), redécouverte et étude
de la codification ordonnée par l’empereur byzantin Justinien (Digeste + Code +
Institutes = Corpus juris civilis) par les savants des universités (par ex. Jacques de
Révigny à Orléans au XIIIe s.)
Mais le système n’était pas exclusif de droit romain. Il existait des coutumes peu
nombreuses, locales, mais parfois d’importance comme celles de Toulouse et de
Bordeaux.
- Les coutumes (mode de formation du droit par la répétition de certains usages
pendant un temps prolongé). L’existence d’un droit invoqué comme coutume se
prouve par les enquêtes par turbes. Bien avant la rédaction officielle des coutumes
au XVI s. Des praticiens ont ressentis le besoin de constitués des recueils de
coutumes pour leur région, le morcellement féodal ayant entraîné une grande variété
de coutumes entre seigneuries.
Deux inconvénients : fragmentation d’un droit selon la province, mais aussi selon
la ville; incertitude inhérente à l’imprécision de la coutume, bien que les coutumes
aient été fixées peu à peu sous l’influence de l’interprétation donnée par les cours de
justice, notamment par les Parlement de Provinces. On réclama la rédaction des
coutumes (ordonnance de Montils-lès-Tours, 1453). Elle fut réalisée plutôt au XVIe
s (Orléans, 1509; Paris, 1510; etc.). Certaines firent l’objet d’une seconde rédaction
soit pour en corriger les erreurs, soit pour la mettre à jour (Paris, Bretagne, 1580).
Deux conséquences : droit coutumier écrit, mais souple ; diversité des règles de
droit confirmée
2/- Les autres sources de droit, facteurs d’unité :
- Le droit canonique :
Constitué des décisions des Conciles et des papes, le droit de l’Eglise
catholique, religion d’Etat, a fortement influencé les mœurs, les règles
coutumières, voire le droit civil d’aujourd’hui, comme le mariage, mais aussi
les contrats passés sous serment.
Le principal intérêt du droit canonique est sa validité sur l’ensemble du
territoire français, voir sur dans tous les pays catholiques. Il est un facteur
d’unité.
- Les ordonnances royales :
Les lois du roi (ordonnances, édits, lettres patentes) favorisent également
l’unité du droit sur l’ensemble du royaume, à condition toutefois d’être
enregistrées par les Parlements pour être applicables dans leur ressort.
L’enregistrement n’était pas qu’une formalité (remontrances, jussion,
itératives remontrances, puis lit de justice). Les grandes ordonnances sont
les premières codifications françaises (ord. civ. Sur la réformation de la
justice, 1667, ancêtre du CPC de 1807; ord. Sur le commerce terrestre,
1673 et sur la marine de 1681, ancêtres du C. com; ord. De d’Aguesseau
sur les donations, 1731, les testaments, 1735 et les substitutions, 1747)
- La doctrine :
Déjà avant la rédaction officielle des coutumes, les juges et les praticiens
trouvaient les règles coutumières dans les œuvres de certains auteurs. Par
la suite, les juristes ont remédier aux insuffisances des coutumes,
incomplètes ou défectueuses, en construisant des théories, s’inspirant de la
logique, de l’équité, du droit naturel, du droit romain. Ils en firent pour cela
des commentaires.
A partir du XVIe s. certains auteurs préparèrent l’unité rationnelle du droit
français (Charles Dumoulin vs d’Argentré, Guy Coquille, Loisel, Domat au
XVIIe s. et au XVIIIe s. Bourjon et Pothier.
- La jurisprudence : (spécialement celle du parlement de Paris)
Souverains en leur ressort -sauf la subordination au roi et à son Conseil- et
animés d’un esprit particulariste, ils exerce par leur activité une influence
unificatrice au droit. De plus, ils interprétaient les coutumes et rendaient des
arrêts de règlement (arrêt de principe par lequel il était décidé que
désormais telle question serait tranchée dans tel sens). Ainsi le Parlement
« légiférait » à sa façon pour le territoire de sa compétence. Mais son
pouvoir n’était exercé que par délégation du roi qui pouvait toujours
promulguer une règle différente. Mais plus le temps passait, plus le
parlement qui s’est posé en autorité incontournable face à l’autorité royale
(Fronde), a su imposer son point de vue sur le droit.
B/- Les caractères de l’Ancien droit :
(en droit civil mais aussi dans toute l’organisation politique et sociale de
l’Ancien Régime).

1/- Droit soumis aux conceptions religieuses et morales du


christianisme
Il repose sur les lois divines révélées, les lois naturelles assurant la justice,
la charité et le bien commun.
En matière de droit familial, les principes directeurs sont la puissance
maritale et paternelle ainsi que la suprématie de la famille légitime.
Quelques règles plus humaines adoptées (possibilités des mariages des
majeurs sans le consentement des parents; droit pour les enfants naturels à
des aliments; légitimation des enfants naturels par mariage subséquent.
2/- Système social fortement hiérarchisé
Le pouvoir est exercé par le roi au nom de Dieu. Il devait pour charge de
faire régner le bien commun, aidé dans sa tâche par les classe privilégiées
(noblesse et clergé) (cf. la hiérarchie féodale).
- Sur le terrain familial (défense des enfants légitimes vs les bâtards;
lutte contre les mésalliances) : autorité du chef de famille, incapacité de la
femme mariée. Il est seigneur et maître du patrimoine commun. Afin de
maintenir la perpétuité et la prééminence des familles aristocratiques, le
droit distingue le régime des biens nobles des fiefs (privilège d’aînesse et
de masculinité) et celui des biens non nobles (division égale entre les
héritiers.
- Sur le terrain patrimonial : le système principal est celui du fief (terre
concédé par une personne appelée suzerain à une autre personne appelée
vassal, à charge de certains services personnel et noble). La propriété du
domaine est alors divisé entre le domaine éminent ou direct qui appartient au
seigneur et au roi et le domaine utile qui appartient au vassal. Cette distinction
est une adaptation coutumière du droit romain. Ce système a maintenu en
exercice un grand nombre de servitudes et de droits réels. Le réalisme du droit
médiéval s’accommodait fort bien de l’existence de limitations à la propriété :
accéder à une parcelle enclavée, prendre l’eau d’une rivière, avoir une vue sur
le fonds voisin sont choses normales et réglées par les usages.
Pour des raisons d’ordre social et économique, la fortune mobilière
prédomine sur la fortune mobilière : d’une part, la hiérarchie des personnes
est liée, dans une grande mesure, à la hiérarchie des terres; d’autre part, la
terre est une chose productrice de richesse, et l’agriculture, la forme de travail
essentiel. Ainsi l’immeuble est protégé par le droit à la différence des meubles
dont il ne se préoccupe pas ou peu (res mobilis, res vilis). De plus les choses de
valeurs que l’on considérerait aujourd’hui comme des meubles, comme les
biens incorporels (valeurs mobilières, parts sociales) et les créances de grandes
valeurs (offices, charges, rentes) sont assimilés aux immeubles.
3/- Le principe de continuité – ou de conservation – vs liberté :
Le but essentiel de l’application de ce principe est la volonté de conserver les
patrimoines dans les familles, aussi bien paysannes, bourgeoises que nobles. Par
ex. dans le droit successoral, application quant aux biens propres de la règle
paterna paternis, materna maternis; quant aux acquêts (biens acquis par le défunt à
titre onéreux), les coutumes excluent le conjoint survivant de la liste des héritiers,
sauf à lui reconnaître un douaire (droit de survie en usufruit sur les biens propres du
mari).
Importance des biens de collectivités (communautés religieuses) appelés biens de
mainmorte.

C/- Le droit des obligations et des contrats


L’ancien droit avait subi profondément l’influence du droit romain, donc dans le
domaine de contrats vers un certain formalisme. A partir du XVIe s. il s’orienta vers
la liberté des conventions, avec cependant des restrictions importantes.
- certaines restrictions étaient dues à la division des classes politiques et
sociales : les nobles ne peuvent passer des contrats commerciaux, les religieux, en
raison du vœu de pauvreté, étant frappés par de nombreuses incapacités de
contracter.
- le droit canon prohibait certaines conventions jugées immorales, comme le
prêt à intérêt.
- L’autonomie de la volonté ne produisait effet que dans le cadre d’une
économie assez étroitement dirigée par l’Etat, et à un moindre niveau les
corporations.
Sect. 2 : Le droit intermédiaire (1789-1804)
Il est à l’opposé de celui de la période précédente. La rupture est manifeste,
quoique progressive, en droit constitutionnel (déclaration des droits de
l’homme, Constitutions de l’an I, de l’an III, de l’an VIII), en régimes politiques
(monarchie constitutionnelle, république, Directoire, Consulat), en droit fiscal,
en droit pénal. Le système judiciaire traditionnel est supprimé.
Il réalise une unité organisationnelle autour de lui. L’unité politique par la
suppression des provinces et l’établissement des départements administrés
par des préfets, représentants directs du pouvoir central. L’unité judiciaire par
la suppression des juridictions et des parlements pour établir le système que
nous connaissons aujourd’hui.
L’Ancien droit était confessionnel, hiérarchisé et conservateur, le nouveau
est athée (laïcité dans la vie citoyenne), égalité (dans le cadre des
successions et de la propriété) et libéral (quant aux corps intermédiaires,
corporations et famille).
Le droit intermédiaire s’est manifesté :
- contre la primauté des conceptions religieuses (sécularisation du
mariage, de l’état civil et nationalisation des biens du clergé)
- pour la défense de l’égalité (suppression des institutions aristocratiques;
suppressions des privilèges et des classes; admission du divorce; attribution de
droits égaux aux enfants naturels).
- pour la défense de la liberté (propriété individuelle, suppression de la
hiérarchie des terres; mise en place du crédit hypothécaire; méfiance à l’égard
des personnes morales; liberté des conventions et du commerce; abolition des
corporations; hostilité contre l’intervention de l’Etat en économie.
Sect. 3 : La codification napoléonienne
« Il sera fait un code général des lois civiles à tout le Royaume » (Constitution 1791)
1790-1804 : 14 années de préparation
Quatre magistrats en sont les principaux maîtres d’œuvre
- Tronchet, président du tribunal de cassation
- Bigot de Préameneu, commissaire du gouvernement auprès du tribunal de
cassation
- Malleville, juge au même tribunal
- Portalis, commissaire du gouvernement près le tribunal des prises.
Trois institutions : le Corps législatif, le Tribunat et le Conseil d’Etat
36 lois furent votées et promulguées séparément en 1803 et 1804 et
correspondent aux 36 titres du code. Enfin, la loi du 30 ventôse an XII (21
mars 1804) réunit ces lois, déjà rendues obligatoires isolément, en un corps
unique, sous le nom de « Code civil des Français ». C'est le nom qu'il porte
encore aujourd'hui, après avoir été appelé, sous le Premier et le Second Empire,
Code Napoléon.
La loi du 30 ventôse an XII ne se contentait pas de codifier le droit nouveau; elle
contenait en outre une formule générale d'abrogation du droit antérieur. Aux
termes de son article 7, « à compter du jour où ces lois sont obligatoires, les lois
romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les
règlements cessent d'avoir force de loi générale ou particulière dans les matières
qui sont l'objet desdites lois composant le présent code ».
Deux observations doivent être faites, qui précisent la portée de ce texte :
- L'Ancien droit fait l'objet d'une abrogation générale expresse, mais
seulement «dans les matières qui sont l'objet » du Code civil. Il en résulte
que, dans les matières du droit civil qui n'ont donné lieu à aucun article du code,
les dispositions de l’Ancien droit doivent être considérées comme étant encore en
vigueur.
- Quant aux lois et décrets du droit intermédiaire, la loi ne les comprend pas
dans sa formule d'abrogation expresse ; ils n'ont donc fait l'objet, par la
promulgation du code, que d'une abrogation tacite et doivent être considérés
comme étant en vigueur toutes les fois qu'ils ne sont pas en contradiction avec le
texte ou l'esprit du code civil.

A/- L’essence du Code civil


3 caractéristiques essentielles expliquent son succès: réaliste, modéré et libéral.
- Ce fut d'abord une œuvre de magistrats réalistes, préoccupés de poser des
règles claires, pratiques.
- Ce fut ensuite une œuvre de sagesse et de modération, et non pas de
partisans. elle a cherché une conciliation des réformes révolutionnaires avec les
traditions profondes du peuple français
- Enfin L'esprit général du code est l'esprit individualiste, libéral, défendu par
les philosophes du XVIIIe siècle. Le plan même du code l'atteste. Après un bref
titre préliminaire sur la loi, le code est divisé en trois livres. Le premier : Des
personnes (art. 7 à 515) ; le second : Des biens et des différentes modifications
de la propriété (art. 516 à 710) ; le troisième : Des différentes manières dont on
acquiert la propriété (art. 711 à 2281).
André-Jean Arnaud, Les
origines doctrinales du
Code civil français, Paris,
LGDJ, 1969
Deux traits supplémentaires méritent d’être soulignés :
- l’égalité civile est maintenue
- La sécularisation du droit civil

1/- Propriété et droits réels :


Le code civil attache une importance particulière à la propriété individuelle (cf.
plan du code). il ignore la propriété collective et ne traite même pas de
l'indivision ou de la copropriété. Il affirme, à l'article 544, le caractère absolu du
droit de propriété, qu'il débarrasse de toute notion de domaine éminent et de la
plupart des droits et charges qui entravaient son exercice. Il prévoit bien que
l'usage de sa chose peut être restreint pour le propriétaire par la loi ou les
règlements; mais dans sa conception, à titre exceptionnel. Il les prévoit lui-
même dans des articles minutieux consacrés surtout à la propriété immobilière,
sous forme de servitudes légales imposées dans l'intérêt de l'agriculture et des
propriétés voisines.
Toute sa sollicitude va aux immeubles. Toutefois, d'une part, il exclut de la
catégorie des immeubles les biens incorporels (créances, valeurs mobilières,
parts sociales), les droits personnels (créances), y compris les rentes, les
actions et obligations, qu'il classe parmi les meubles ; d'autre part, l'article
1138 consacre la règle suivant laquelle une simple convention peut créer ou
transférer la propriété ou un droit réel aussi bien sur un immeuble que sur un
meuble, ce qui rend aisée la libre disposition des terres.
Le code facilite la libre circulation en matière mobilière à l'article 2279 (« En
fait de meubles, la possession vaut titre »), qui permet le transfert de propriété
par la simple remise de la possession du meuble, règle empruntée à la tradition
de la fin de l' Ancien régime.
2/- Les obligations :

- La source normale de l’obligation : le contrat


L'individu ne peut être lié que par sa volonté, par un accord avec une autre
personne.
Le code affirme (art. 1134), en des termes relevant de la théorie de l' autonomie de
la volonté, la liberté contractuelle, c'est-à-dire la liberté pour les personnes de
passer des contrats et de faire naître ainsi les obligations qu'elles veulent, sous
réserve des conditions légales traditionnelles de validité, tenant au consentement et
à ses vices, à la capacité des parties, à l'objet et à la cause (motif déterminant) de la
convention, qui ne doivent pas être contraires à l'ordre public et aux bonnes mœurs.
Demeurent abolies l'ancienne prohibition du prêt à intérêt et toutes les entraves
résultant d'une organisation corporative professionnelle.
Le code proclame la souveraineté des clauses du contrat: celles-ci tiennent lieu
de loi entre les parties, qui doivent subir la loi du contrat, de la même façon qu'elles
sont tenues de déférer à l'ordre de la loi proprement dite. Le débiteur qui n'exécute
pas, qui n'est pas libéré par le paiement (ou un mode d'extinction assimilé au
paiement, par exemple une remise de dette, une compensation, une prescription) est
responsable et doit des dommages-intérêts, à moins que l'inexécution ne soit
imputable à un cas fortuit et de force majeure. En cas d'impossibilité d'exécution, le
juge ne peut que prononcer la résolution du contrat, sans pouvoir en modifier les
effets. Et le débiteur est responsable sur tous ses biens. Il peut même, en 1804, être
contraint par corps, c'est-à-dire emprisonné tant qu'il ne paie pas sa dette.
Le code réglemente les effets généraux des contrats et ceux des
contrats spéciaux traditionnels : la vente, l'échange, le louage, le
mandat, le dépôt, le prêt, la société civile, le cautionnement, la transaction.
Tous ces contrats peuvent être conclus sans forme exigée à peine de
nullité, et la plupart des textes sont interprétatifs de volonté: les parties
peuvent en écarter l'application, inventer des contrats produisant d'autres
effets.
Toutefois, le contrat, souverain entre les parties, ne peut avoir d'effet à
l'égard des tiers (art. 1165) : nul ne saurait devenir contractuellement
débiteur ou créancier sans l'avoir voulu ; spécialement, on ne peut stipuler
pour autrui

- A côté des contrats, le code admet que des obligations peuvent


naître sans convention. Leur source sera alors (art. 1370) soit la loi, soit
le quasi-contrat de gestion d'affaires (gérer l'affaire d'autrui sans en avoir
reçu mandat), soit le délit ou le quasi-délit civil. Et, à ce dernier point de
vue, l'article 1382 consacre la règle suivant laquelle tout fait quelconque de
l'homme qui cause un préjudice à autrui, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer.
B/ Le destin du code civil
1/- Le succès du Code et ses causes
• Son succès fut considérable, même si, en France, sa pénétration ne s'est
opérée qu'en quelques décennies et s'il a suscité des controverses d'ordre
confessionnel, économique et politique. Il l’a été également à l’étranger du
fait des conquêtes napoléoniennes (en vigueur après 1815 en Belgique,
jusqu’à 1900 dans les pays rhénans, jusqu’en 1912 dans le canton de
Genève). Il a servi de modèle à de nombreux codes étrangers, européens,
américains, asiatiques. Des codes étroitement inspirés du code civil
français ont ainsi été promulgués à Monaco (1818), aux Pays-Bas (de 1838
à 1992), en Espagne (1889), au Portugal (1867, remplacé par un code
nouveau en 1966), et dans l'Amérique latine. L'Italie, lorsqu'elle a réalisé
son unité, a reçu en 1865 un code civil très proche du code civil français.
• Ce succès fut même excessif, car il détermina chez les juristes une
tendance à voir dans la codification la source exclusive du droit civil. Rien
n'illustre mieux la réussite du code que sa longévité: il continue, malgré les
bouleversements constitutionnels et sociaux, à régir les rapports essentiels
entre individus.
Le succès du code s'explique par des qualités de forme et de fond.

- Dans la forme, il a été rédigé sans prétention théorique; la technique y


est réduite à la portion congrue, l’œuvre est étrangère à la scolastique, à des
considérations d'ordre philosophique, ce qui n'exclut cependant nullement
une cohérence logique dans le code. Systématiquement, les rédacteurs du
code ont voulu donner satisfaction aux exigences de la pratique en
n'hésitant pas à faire une œuvre simple, accessible dans une large mesure
même à des non-juristes. La langue du code est claire, précise. Les
rédacteurs ont souvent usé de formules souples, ce qui a permis une
évolution du droit par voie d'interprétation.

- Dans le fond, le code portait la marque du « génie de la France », fait de


l'esprit de progrès et du sens de la mesure. Il conciliait les courants
juridiques qui, jusque-là, s'étaient heurtés les uns aux autres, empruntant à
chaque système ses meilleures solutions. Il maintenait les conquêtes de la
Révolution, la liberté et l'égalité des individus, la libération des terres à
l'encontre des emprises féodales, la liberté contractuelle, débarrassée des
entraves religieuses, étatiques et corporatives, la sécularisation des
institutions juridiques. En même temps, il restaurait une famille solide et
conservait la plupart des institutions techniques du droit de l'Ancien
régime, auxquelles la pratique était accoutumée, tout en les rajeunissant. Il
s'inspirait enfin du droit romain, en matière d'obligations, les jurisconsultes
romains ayant laissé une analyse très subtile et poussée du rapport
obligatoire.
2/- Les reproches qui lui ont été adressés

a/- Le code civil est protecteur des possédants. Il est un code


bourgeois.
b/- Le code, imbu d'un esprit trop individualiste, a reflété vis-à-vis
des groupements une hostilité nettement avouée ; il a méconnu les intérêts
collectifs, laissant l'individu seul en face de l'Etat.
c/- Il s'est préoccupé presque uniquement des questions
patrimoniales.
d/- Dans le cadre des rapports familiaux, les rédacteurs du code ont
trop accentué l'autorité dans la famille.
e/- Sur le plan économique, il a trop souligné la souveraineté de la
propriété individuelle qui peut s'exercer au détriment des intérêts
généraux.
f/- Il a fait également de la liberté contractuelle un dogme trop
absolu, laissant ainsi s'établir une concurrence sans frein et la primauté du
seul intérêt matériel. L'égalité de droit, qui était reconnue, aboutissait
souvent à l'inégalité de fait.
g/- Il a adopté un régime successoral qui a entraîné un morcellement
excessif des terres et des exploitations.
2/- Le Code depuis sa création
Le temps de la stabilité du Code au XIXe siècle :
- Malgré l’essor du commerce et transformations économiques profondes
- La famille reste le socle de la société, mais les conditions sociales
mèneront à un relâchement du liens familiaux
- Le courant individualiste et libéral s’est accentué en matière patrimoniale

Evolution dans 3 domaines spécifiques ?

a/- Le droit de propriété

- Le droit de propriété figure au nombre des droits de l'homme


solennellement proclamés par la Déclaration des droits de 1789. Cette
notion a été étendue aux droits intellectuels (propriété littéraire et
artistique : L. 14 juil. 1866, puis L. 11 mars 1957 ; L. 3 juil. 1985 relative aux
droits d'auteurs et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de
phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication
audiovisuelle), à la propriété dite industrielle (L. 5 juil. 1844, puis L. 2 janv.
1968, sur les brevets d'invention ; L. 23 juin 1857, puis L. 31 déc. 1964, puis
L.4 janv.1991, sur les marques de fabrique ; L. 26 nov. 1990, relative à la
propriété industrielle). L’ensemble des textes sur la propriété littéraire et
industrielle ont été réunis dans un code de la propriété intellectuel. Et,
dépassant les clivages traditionnels, s'est aussi affirmée l'importance
grandissante de l'immatériel.
- S’il y a eu expansion du domaine de la propriété, immobilière et mobilière,
spécialement par le développement et la protection du crédit, ainsi que par la
circulation des richesses, il s'est produit un recul du caractère absolu du droit
de propriété sous l'influence de pressions multiples, d'ordre social, politique et
philosophique dans de nombreux domaines : hygiène, logement, circulation,
transports, défense nationale, exploitation des richesses, production de
l'énergie. Ainsi, les pouvoirs du propriétaire ont été limités du fait de la création,
au profit de certains locataires, fermiers ou occupants de biens immobiliers, de
prérogatives afférentes aux immeubles (ex. : maintien dans les lieux, le statut
de la copropriété des immeubles bâtis). La jurisprudence a aussi contribué à
l'affaiblissement du caractère absolu du droit de propriété en en sanctionnant
l'abus.

- Ainsi, l'article 545 du code civil dispose que «Nul ne peut être contraint de
céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une
juste et préalable indemnité ». Mais des textes successifs ont assoupli les
conditions de l’expropriation pour cause d’utilité publique (1921, 1935,
1958). Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relayé par celui de
la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que « tout bien, toute entreprise,
dont l’exploitation a acquis les caractères d’un service public national ou d’un
monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Déjà d'importantes
nationalisations avaient été réalisées en 1944 et 1945. Un nouveau vent de
nationalisations très nombreuses a soufflé à partir de 1981; le vent a tourné
dans le sens de la privatisation de 1986 à 1988 ; après une pause entre 1988
et 1993, il a repris depuis lors : le passage au secteur privé se poursuit de
manière significative sous l'influence du droit communautaire et des difficultés
d'adaptation de ce que l'on appelle, à tort ou à raison, le «service public à la
française ».
b/- Le contrat

- Une philosophie latente inspirait les articles du code civil relatifs aux contrats
: l'autonomie de la volonté. En concluant un accord, les contractants savaient ce
qu'ils faisaient et le faisaient, par hypothèse, de manière autonome, librement. La
liberté contractuelle était un corollaire naturel de l'autonomie de leurs volontés.
S'étant engagés librement, la parole donnée devait être nécessairement respectée.
Par hypothèse, ce qui était contractuel était juste. « Les conventions légalement
formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (art. 1134, al. 1er C. civ.). Ce
qui était important dans ce texte -qui n'a pas été modifié dans sa lettre- c'est que les
conventions devaient être respectées comme des lois par ceux qui les avaient faites.
Dans l'esprit du code civil, l'effet obligatoire n'avait de sens que dans les rapports
entre les parties qui avaient conclu le contrat; en principe, on ne pouvait promettre
ou stipuler pour autrui.

- De profonds changements ont, depuis lors, affecté cet ensemble. Les uns ont été
réalisés par la seule jurisprudence. Les solutions dégagées à partir du dogme de
l'autonomie de la volonté l'ont été lorsque, sous l'influence d'une considération de
la liberté entendue de manière moins formelle, les tribunaux se sont préoccupés de
défendre les contractants en situation de faiblesse : à cet effet, les tribunaux ont
accru la possibilité de la remise en cause du contrat du fait d'une atteinte à l'intégrité
du consentement ou d'un déséquilibre excessif des prestations : l'inflexibilité de
l'obligation contractuelle assumée a été adoucie ; la garantie réelle de l'égalité a
progressé ; et le rayonnement du processus contractuel, même à l'égard d'autres
que les contractants, a permis d'admettre, en dépit de la loi et dans certaines
conditions, la validité de nombreuses stipulations, ce qui a notamment satisfait des
exigences salutaires en matière d'assurance.
- Il faut d'ailleurs souligner que l'article 1134, alinéa 1er , du Code civil, si puissante
que soit la force obligatoire qu'il attachait à l'engagement, visait expressément les «
conventions légalement formées », ce qui attestait une prééminence de la loi, en
tant que source du droit objectif. Dès 1804, il y avait dans le code civil des
restrictions à la liberté contractuelle. Et l'article 6 du code civil disposait déjà: «
On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre
public et les bonnes mœurs ».
Sur le terrain de la législation proprement dit, l'évolution a consisté à faire
reculer, par des lois de plus en plus nombreuses, le domaine de la liberté
contractuelle : d'abord en combattant des abus de puissance sociale ou
économique, par exemple en droit du travail, en droit des assurances, ou encore, de
manière épisodique puis de manière plus permanente, dans le droit du bail,
urbain ou rural. Le domaine des dispositions impératives n'a cessé de s'étendre dans
la plupart des branches du droit. Et il faut observer que le mouvement n'a pas
seulement été inspiré par des considérations sociales. Des raisons économiques et
monétaires ont aussi favorisé le développement de réglementations impératives liées
au déclin d'une société de type pleinement libéral et aux progrès de préoccupations
de justice sociale.
Un mouvement encore plus profond a affecté depuis quelques décennies le
droit des contrats : le droit de la protection des consommateurs (obligation de
renseignement) et le droit de la concurrence. D’où le télescopage avec le droit
commun des contrats dans cet environnement inspirée par le rapport de masse et
non le rapport interindividuels.
c/- La responsabilité :
- Au début des textes simples inspiraient les règles du Code civil sur la
responsabilité civile extracontractuelle. La responsabilité était fondée sur
l'idée de faute. Et l'article 1382 du code, premier d'une courte série,
exprimait bien la philosophie de la culpabilité et de la réparation en matière
civile : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dom- mage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
- Mais le développement du machinisme a, au siècle dernier, entraîné une
multiplication d'accidents et de dommages souvent graves dont les causes
pouvaient être anonymes, Pour réparer de tels dommages entraînés par
des choses, il fallut une législation spéciale. C'est ainsi qu'une loi du 9
avril 1898 a permis à l'ouvrier victime d'un accident du travail d'obtenir une
indemnité au moins partielle, sans avoir à prouver une faute de
l'employeur.
Le développement de la société industrielle et du progrès technique n'a
pas tardé ensuite à entraîner la multiplication d'accidents du même genre.
Ainsi en a-t-il été quand on a vu se multiplier les accidents d'automobiles.
Pendant longtemps, le législateur a pourtant laissé la jurisprudence adapter
les règles du code civil à ces situations nouvelles et souvent
dramatiques. Et il faut dire que les tribunaux ont fait preuve en la matière
d'une puissance inventive peu commune. Pourtant, il est venu un temps où
cela n'a pu suffire, même si a été bien établie « l'irremplaçable responsabilité
du fait des choses ». Tel a été l'objet d'une loi du 5 juillet 1985 tendant à
l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation
et à l'accélération des procédures d'indemnisation ou la loi du 19 mai
1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (art.
1386-1 à 1386-18 code civil ).
Chapitre 2 : Une histoire du droit administratif
Le droit administratif est né pour désigner, non pas le droit de
l'administration, mais le corps de ses seules règles spécifiques,
destinées à canaliser l’administration dans des activités censées
irréductibles à celles qui forment le commerce des acteurs ordinaires
de la vie juridique.

Sect. 1 : Une invention récente, une histoire ancienne

Sect. 2 : La singularité d’une tradition

Sect. 3 : La mesure de la juste puissance

Sect. 4 : La maturation d’une science

Sect. 5 : La récurrence des crises

Sect. 6 : Le destin d’une identité


Sect. 1 : Une invention récente, une histoire ancienne

Partout en Europe, l'identification d'un droit administratif ne remonte pas au-


delà des premières années du XIXe s. S'il a fallu la rupture révolutionnaire
pour qu'un droit administratif prît forme sur le continent européen, c'est
moins d'un surgissement qu'il s'agit que d'un aboutissement.

Dès le Moyen-Age, l’Etat royal, la majesté du prince n’a jamais n'a jamais
légitimé un pouvoir sans limite : sa finalité au service de l'intérêt public lui
assigne des bornes. Ce qui valait pour celui qui devint le titulaire unique de
la souveraineté s'imposa tout naturellement au monde de ses serviteurs.

Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, il existe un droit public qui définit les attributs
de la souveraineté, règle les compétences de ses délégués, fixe le statut
des personnes et des biens publics. Il ne saurait être pour autant question
de droit administratif, comme l'atteste le lexique des anciens juristes où
l'expression n'apparaît jamais. Pour qu’un tel droit « administratif » existe, il
faut que sa fonction se traduise par des actes nettement distingués des
autres expressions de la puissance publique et que les modalités de
l’activité administrative soient fixées par des règles censées s’inscrire dans
une branche différenciée du droit.
- C'est ainsi, d'abord, que les décisions de « police », par quoi se trouvait
désignée la fonction impartie aux futures autorités administratives, qui
consiste à encadrer par des règlements l'activité des hommes, ne
parvinrent jamais complètement à constituer une catégorie spécifique
d'actes parmi ceux qui émanent des responsables publics. Parce que, en
règle générale, les fonctions de police étaient attribuées aux titulaires des
pouvoirs de justice et parce qu'aux yeux des juristes, toute intrusion dans la
sphère des droits privés n'est légitime que si elle est de nature judiciaire, la
police resta dépendante de la juridiction. L'épanouissement du pouvoir
réglementaire du Conseil du roi, la promotion du département des Finances
aux dépens de la Chancellerie et l'autorité croissante de
leurs correspondants provinciaux, les intendants, ne fournissaient en réalité
qu'un décor au vieil Etat de justice. L'apparition des mots « administration
publique », dans les années 1750, révèle la prise de conscience des
mutations de l'État. Les rouages qui la mettent en œuvre sont les
instruments de la « justice retenue » du souverain. Et ces nouveaux
détenteurs d'un pouvoir de « direction » cumulent des attributions de police
et de justice.

- L'élargissement de leurs compétences, dans le règlement des litiges où un


intérêt public est en cause, fut encore inopérant à faire émerger un droit
spécifique. Une véritable jurisprudence naissait bien de l'exercice de leurs
fonctions contentieuses. Les officiers de justice cependant répugnaient à y
voir autre chose que l'usurpation de la « politique » sur le terrain de la loi.
Sauf quand les cours ordinaires de justice, sauvegardant quelques
compétences en matière contentieuse administrative - les affaires
municipales essentiellement - infléchissaient elles-mêmes les règles
usuelles, en considération de la supériorité légitime de l'intérêt commun.
Ne minimisons pas pour autant l'apport de l'Ancien Régime.

1/- L'évolution a joué dans le sens d'une émancipation de l'administration du


champ juridictionnel où la police était traditionnellement incluse.
L'héritage se mesure ailleurs encore.

2/- D'abord dans l'établissement d'une justice administrative, à qui la


monarchie donna ses premières fondations.

3/- Ensuite, nombre de théories que devait accueillir plus tard le droit
administratif prolongent des solutions retenues depuis des siècles. La
distinction en matière de responsabilité, de la faute personnelle et du fait de
service est, par exemple, attestée dans la jurisprudence parlementaire dès
le Moyen Âge. Et, ni le régime de l'expropriation pour cause d'utilité
publique, ni celui propre aux marchés passés par l'État, ni même la
détermination des vices entachant d'irrégularité des actes émanés d'une
autorité publique, ne sont nés de rien après la rupture révolutionnaire.
Les réformes introduites par les Constituants vont possible
l’identification d’un droit administratif.

1/- L'élévation de la séparation des pouvoirs au rang de principe


constitutionnel fondamental consacra l'existence d'une prérogative
clairement différenciée au sein des fonctions publiques : celle qui relève de
l'Exécutif. La substance des « fonctions administratives » est dès l'origine
étrangère à la juridiction. La grande loi des 16-24 août 1790 allait
solennellement affirmer cette hétérogénéité de la justice et de
l'administration, en les attribuant à des autorités parfaitement cloisonnées.
2/- La légalité assimila d'autre part ces fonctions administratives à la seule
exécution des lois. À l'arbitraire sous l'Ancien Régime, doit succéder la
rectitude d'une action habilitée à ne restreindre ou paralyser les droits ou
les libertés qu'autant que les dispositions de la loi l'autorisent. L'autorité
judiciaire ne pouvait plus arbitrer les conflits de compétence entre corps
administratifs. Cela était devenu un attribut du pouvoir hiérarchique.
Là où les révolutionnaires ont introduit une innovation décisive pour l'avenir,
c'est dans la mise en place d'un système institutionnel où Justice et
Administration forment deux hiérarchies parallèles. De là a, en effet,
procédé la découverte des « actes administratifs ». Une fois seulement
identifiée cette catégorie particulière de décisions juridiques, un droit
administratif devenait pensable. Jusqu'à la fin du Directoire,
l'assoupissement des études de droit consécutif à la disparition des
universités retarda sa naissance. Le droit administratif s'imposa au temps
de Louis XVIII comme un rameau du droit public.
Sect. 2 : La singularité d’une tradition
Le droit administratif naquit donc pour qualifier les règles posées par les lois
qui, en distribuant la puissance publique, visaient à discipliner les actes qui
l'extériorisaient. Il consacrait l’inaptitude de principe du droit commun. Il
convient de repérer alors un certain nombre de constantes dans sa
singularité.

A/- La première constante a trait au rôle primordial que tint dans


l'épanouissement de ce droit la jurisprudence. Ce fut en effet au Conseil
d'État, installé au sommet de la hiérarchie juridictionnelle administrative dès
sa création en l'an VIII, qu'il revint de définir l'amplitude légitime des
prérogatives administratives et les obligations qui en formaient la
contrepartie.
Reprenant à son compte les notions fondamentales du droit privé et
guidé par des principes juridiques généraux, mais aussi inventif, le
Conseil, dans son activité juridictionnelle, éleva, pièce après pièce, le
système destiné au gouvernement par le droit des opérations
administratives. Il devait forcément évoluer car il était tributaires des
transformations des conjonctures politiques et sociales. Se devant d’être
souple car, inscrit au centre du dispositif gouvernemental, formé
constamment de magistrats jamais isolés des réalités administratives, le
Conseil d'État est demeuré toujours conscient des exigences qu'implique
l'accomplissement par les personnes administratives de leurs missions au
service du public. Ce parti pris de réalisme a invité le juge à diversifier
toujours davantage les règles qui leur étaient assignées, en fonction de
l'hétérogénéité des situations où leurs interventions les placent.
B/- Une seconde constante découle des contraintes de son
élaboration. Car, faute de code, la jurisprudence ne put se structurer qu'à
partir de principes, soit qu'elle les découvrit, soit qu'elle fut invitée à les
accueillir. Leur antagonisme fréquent a inscrit la conflictualité en son cœur.
La difficile coexistence du principe révolutionnaire de séparation des
autorités administrative et judiciaire et de celui qui fait de la seconde
la gardienne de la propriété privée et des libertés individuelles
fondamentales, en offre un exemple parmi d'autres. Le droit administratif,
dans la mesure où il naquît et a grandi dans la demeure du juge, fut ainsi le
produit de gymnastiques combinatoires de théories et de principes d'origine,
de nature et de portée diverses.

C/- Une troisième et remarquable constante réside dans l’incertitude


du champ d’application des règles propres à l’administration. Des
difficultés naquirent lorsque les cours, en vertu du vieux principe de la
liaison de la compétence et du fond, revendiquèrent pour les soumettre à
la loi civile, dès lors qu'aucun texte ne les écartait, la connaissance des
affaires où les autorités administratives semblaient quitter les hauteurs où
leurs fonctions les placent, pour se comporter à l'instar d'un simple
particulier, comme en matière domaniale. Dès la Restauration, l'idée
s'affirme que, sauf dispositions légales contraires, le droit commun
régit toute convention civile et ordinaire conclue par l'administration.
Sur cette lancée, son domaine gouverné par le droit civil put, tout au long
du XIXe s., s'élargir, au point de paraître à compter du Second Empire, le
régime normal de ses activités de « gestion », alors que seuls les actes où
s'exprime la puissance publique sous une forme impérieuse doivent y
rester étrangers.
Cette ouverture eut pourtant immédiatement ses limites :
- Première limite : La mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle
de l'État tint sur ce plan un rôle majeur. Pour barrer la route à
l'application de l'article 1382 du Code civil, elle commença par exhiber la
théorie de l'État débiteur, réservant à la juridiction administrative toute
action tendant à mettre une dépense à la charge du Trésor public.
L'inconsistance de cette théorie conduisit bientôt le Conseil d'État à lui
adjoindre, ou à lui substituer, le principe de séparation des autorités
administrative et judiciaire. Ainsi prit corps l'idée qu'à côté d'un
contentieux d'attribution résultant de lois particulières, il y avait place
pour un contentieux administratif par nature, et donc un domaine
naturellement réservé aux normes dérogatoires accueillies par le droit
administratif.
- Mais - 2e limite - quid si les actes ne représentaient qu’une fraction des
activités administratives ?
L'obscurité était devenue telle qu'une clarification fut tentée au début du
XXe s. En imputant le jeu des règles administratives, non plus à la nature
incomparable des manifestations de la puissance publique, mais aux
convenances des services publics, l'on songea à limiter l'empire du
droit commun à la gestion du seul domaine privé de l'État. Par ce biais
put être alignée la condition juridique des collectivités locales, dont les
opérations jusqu'alors étaient régies pour l'essentiel par le droit privé, sur la
sienne. Le jurisprudence enracina, dans la ligne de cette considération, le
couple gestion publique-gestion privée au centre du droit administratif,
abandonnant au droit commun la seconde de ces formes. Un raisonnement
analogue conduisit, au lendemain de la Guerre 14-18, à soumettre au droit
privé le droit les entreprises industrielles et commerciales gérées par
l'administration dans les mêmes conditions que les sociétés privées :
l'invention des services publics industriels et commerciaux par le
Conseil d'État, à la suite du grand arrêt rendu par le Tribunal des conflits
dans l'affaire du Bac d'Eloka (22 janv. 1921), ouvrit une large place au droit
privé au sein même d'organismes publics. Et le même régime mixte fut
plus tard assigné à la catégorie des établissements publics industriels et
commerciaux. Mais la distribution des compétences reste un casse-tête
juridique.
Sect. 3 : La mesure de la juste puissance
Voué à définir les conditions imposées à l'activité administrative pour être
bénéfique à la collectivité sans verser dans l'arbitraire, le droit
administratif se présente sous la forme d'une combinaison de privilèges
et d'obligations qui se veulent justes.
Que l’institution administrative jouisse de prérogatives particulières a
constamment paru justifié par la puissance qu'elle incarne dans un
dessein d'intérêt général.
- Pour cette raison, le recours que les administrés forment ne peut en
principe en suspendre l'application.
- L’administration dispose de surcroît, à l'occasion, d'un droit d'exécution
d'office.
- En matière contractuelle aussi, elle use de certains droits exorbitants ;
celui, par exemple, d'imposer à son cocontractant, compte tenu des
exigences du service public, des charges supérieures à celles stipulées
par la convention ( « fait du Prince » ).
- Il arrive encore que ce droit privilégié soit pour elle source de contraintes
spécifiques, comme celles que lui vaut la « théorie de l'imprévision » : elle
est, en effet, tenue d'indemniser l'entreprise avec laquelle elle a traité,
lorsque des circonstances exceptionnelles ont bouleversé l'économie du
contrat.
- Elle possède un privilège exceptionnel : celui de n'être astreinte, dans
sa mise en œuvre de la puissance publique, à d'autres limites que celles
que déterminent des juges appartenant à son ordre même.
Ce privilège, certes, très tôt écorné demeure toujours imparfait.
- Diverses lois, d'une part, ont conféré aux magistrats judiciaires,
des fonctions qui sont celles d'un véritable juge administratif.
- La jurisprudence, d'autre part, a toujours reconnu aux magistrats
judiciaires un droit de regard sur les manifestations de la puissance
publique. Ainsi en est-il lorsque ces manifestations de la puissance publique
se dénaturent en voies de fait (abus de pouvoir lésant gravement la
propriété privée ou une liberté fondamentale), ou se traduisent en emprises
irrégulières (prise de possession illégale d'une propriété immobilière).
La « théorie de l'acte clair », formée dès le début du XIXe s., autorise les
tribunaux judiciaires à interpréter les mesures dépourvues d'ambiguïté
sans qu'il leur faille surseoir à statuer. Qui plus est, les tribunaux
judiciaires sont habilités à apprécier la validité d'actes administratifs,
par voie d’exception, comme par voie d’action (compétence entière pour les
litiges portant sur le service judiciaire.) Le conseil constitutionnel a
également assis sa compétence en matière d'annulation ou de réformation
des décisions prises par les organes administratifs, dans l'exercice de leurs
prérogatives de puissance publique.
Appréciation pointilleuse des obligations des autorités administratives,
particulièrement dans deux domaines :
1/- Le premier est celui de l'amplitude légitime du pouvoir discrétionnaire, c'est-
à-dire de la liberté abandonnée aux autorités dans le choix de leurs décisions. La
jurisprudence convient toujours qu'à côté d'une activité censée liée par la loi, un
espace doive être laisser à la « discrétionnalité » du pouvoir administratif,. Sa
superficie, cependant, a considérablement rétréci dans des proportions inégales.
Aujourd’hui, la censure de l'arbitraire a atteint un degré de rigueur qu'elle n'avait
jamais connu. L'histoire du recours pour excès de pouvoir, qui fut et demeure la
voie privilégiée pour astreindre la puissance publique au respect de la légalité, est la
meilleure illustration de l'importance des changements, opérés en moins de deux
siècles, de la représentation de la juste administration quand elle agit par la voie
réglementaire. Le juge administratif réussit à toujours mieux protéger le pouvoir du
discrédit que lui vaudrait l'arbitraire administratif, tout en mettant plus complètement
à l'abri les citoyens de ses méfaits.
2/- Un second domaine spectaculaire est celui de la responsabilité administrative
en dehors du contrat. Car, longtemps, les dommages de travaux publics étaient les
seuls à être couverts par un principe général de responsabilité. La démolition,
entreprise par la jurisprudence, d'un édifice aussi restrictif, devait commencer avant
la fin du XIXe s. Au terme du processus, le droit à être indemnisé des préjudices
causés par des opérations imputables à une faute de service, au seul risque
encouru du fait de l'administration, ou résultant d'une charge à laquelle échappe la
majorité des autres, s'est trouvé à la fois garanti et plus généreusement apprécié, au
moins quand il s'agit de dommages aux personnes. Historiquement la faute n'est
pas, comme en droit privé, au fondement de la responsabilité administrative. La
précocité de la prise en compte du seul risque, ainsi que celle du principe de
l'égalité devant les charges publiques, en témoignent clairement.
Sect. 4 : La maturation d’une science
La jurisprudence a donc tenu un rôle majeur dans la création du droit
administratif. Sans la réflexion des juristes, pourtant, un droit administratif
n'aurait pu s'établir. Car c'est de cette réflexion que procéda - à partir des
éléments épars qu'offraient la législation, la réglementation, les conclusions
des commissaires du gouvernement et les arrêts du Conseil d'État - la
constitution de cette branche du droit en un ensemble articulé le plus
cohérent possible. Depuis le milieu du XXe s., la science du droit
administratif présente, certes, des singularités inédites.
- Elles résultent d'abord de son éclatement en disciplines spécialisées -
droit public économique, urbanisme, santé publique... - induit par la
multiplication des normes accompagnant les avancées de
l'interventionnisme.
- Elles se perçoivent encore dans une tendance à porter un regard
beaucoup plus critique qu'auparavant sur un droit estimé trop complexe,
ou incohérent, et sur un juge accusé, tantôt d'être trop timide, tantôt trop
présomptueux dans la conception de ses fonctions.
- Pour le reste, cependant, la science du droit administratif, aujourd'hui
comme hier, poursuit des objectifs analogues :
1/-Le premier est d'en diffuser la connaissance. Tel fut le but que
s'assignèrent, sous la monarchie constitutionnelle, les « pères fondateurs »
de la discipline : de Gérando (priorité à la mise en harmonie des lois),
Macarel (publication annuelle des arrêts du Conseil d'État, devenu Recueil
Lebon), Cormenin (en dégager les principes directeurs), tous les trois bien
au fait, en raison de leur profession, des conduites administratives. Quand
l'enseignement du droit administratif pénétra dans l'université, pour s'y
généraliser au temps de Louis-Philippe, la littérature des professeurs
accompagna, dans ce même dessein pédagogique, celle des techniciens.
2/- La seconde ambition de la science administrative fut d'introduire
un ordre rationnel dans une construction juridique qui s'élevait,
davantage que par pans entiers selon la volonté du législateur, à l'occasion
des solutions ponctuelles apportées par les magistrats administratifs aux
litiges dont ils étaient saisis. Au début, elle a l'allure déconcertante d'une
accumulation de monographies consacrées à chaque secteur imparti aux
soins de la puissance publique, sans qu'aucun lien juridique ne les rattache
les unes aux autres. À l'instar de la littérature consacrée à la police, puis à
l'administration dans le dernier siècle de l'Ancien Régime, le premier droit
administratif était ainsi condamné à se trouver éclaté en autant de chapitres
qu'il y a de « matières administratives », étudiées de surcroît souvent selon
le simple ordre alphabétique. Un effort fut fait sous le Second Empire
pour le libérer de cette contrainte matérielle, en organisant sa présentation
selon le modèle peu approprié des articulations du droit privé. Ce ne fut
qu'à la fin du siècle qu'aboutirent les systématisations proprement juridiques
de la discipline.
- E. Laferrière (magistrat au CE), Traité de la juridiction administrative
et des recours contentieux, 1887-1888).
- M. Hauriou, Précis de droit administratif, 1892.
Le droit administratif n'était rien d'autre que l'ensemble des droits des
personnes publiques. Une telle présentation trouva bientôt son
contradicteur avec Léon Duguit.
Alors qu'Hauriou fondait la singularité de ce droit exorbitant sur la
puissance publique en œuvre dans l'administration, Duguit l'imputait aux
seules nécessités du service public. Longtemps les administrativistes se
sont répartis entre ces deux « écoles », celle de la puissance publique, et
celle du service public, tout en prenant des libertés plus ou moins grandes
avec l'enseignement de leurs fondateurs. Aujourd’hui ce clivage est
dépassé.
Sect. 5 : La récurrence des crises

Le droit administratif a été travaillé par des tensions et a été en butte à des
attaques, qui lui ont valu de traverser fréquemment des passes
difficiles.

- C'est le plus souvent par le biais d'une dénonciation des méfaits du


dualisme juridictionnel que son statut a été ébranlé, surtout au XIXe
s. Mais c'est encore, frontalement, la pertinence de ce corps de
normes spécifiques qui a été et demeure contestée.

Sous le Second Empire déjà, les adversaires des prérogatives


exorbitantes d'un État, que l'on commence à appeler Providence, ont
espéré le dépérissement de ces prérogatives exorbitantes.

Un siècle et demi plus tard, le procès reste ouvert. Alors qu'à la fin du
XIXe s., M. Hauriou, au spectacle de l'extension du droit privé dans le
champ des services publics, diagnostiquait une grave « crise du droit
administratif », les responsables contemporains d'une évolution
analogue pensent œuvrer à l'évacuation d'anachronismes gênants
ayant souvent de prérogatives exorbitantes..
- Des raisons objectives n'ont pas manqué à cette hostilité.
Dès le dernier tiers du XIXe s., d’une part, l'engorgement du Conseil
d'État a entraîné un allongement des procédures tel que le contrôle
juridictionnel est devenu, soit purement symbolique, soit préjudiciable
aux droits des parties. Dans la mesure, d'autre part, où les juges
administratifs se sont longtemps refusés à adresser des
injonctions à l'administration et répugnaient à utiliser des moyens
aptes à vaincre sa désinvolture ; l'effectivité de leurs décisions était
aléatoire.

- Evolution par des réformes : Depuis les années 1950, si le


raccourcissement des délais de jugement n'est guère sensible, les
nouveaux pouvoirs détenus par le juge ont quelque peu tari les sources
d'insatisfaction. Lors de la phase d'instruction, le juge administratif s'est
reconnu le droit d'exiger des services qu'ils présentent les documents
utiles (1954) et déclarent les raisons motivant leurs mesures
attaquées (1968). Pour leur imposer le respect de la chose jugée, la
création au Conseil d'État de la « Section du rapport », dans les
années 1960, marqua une première avancée. Les améliorations
s'accélérèrent avec le droit reconnu au juge de prononcer des
astreintes (1980), même à titre préventif (1995), et d'user plus
largement de procédures d'urgence (voie du référé), à compter de la
fin des années 1980.
- La crise du service public : A la période considérée comme celle de l’âge
d’or du droit administratif (1870-1920) a succédé une période de crise
déréglant les fondements même de ce droit en rapport avec la définition
du service public. Dans son acception classique, en effet, le service
public était, à l'instar des activités de police, le monopole des personnes
publiques, État, collectivités territoriales, établissements publics. Si des
personnes privées y avaient part, c'était par la voie contractuelle. Or voici
qu'en marge de ce procédé - dont celui appelé aujourd'hui : « convention
de délégation de service public » - des organismes de droit privé sont
censés assurer un service public administratif en raison de la nature
de leurs activités. La gestion privée et l'invention des services publics
industriels et commerciaux avaient élargi l'empire du droit commun dans la
sphère administrative ; c'était désormais le droit public qui en venait à régir
l'activité d'organismes de droit privé. Les clivages les mieux établis se
disloquaient et l'identification du service public perdait toute rigueur, depuis
que s'en imposait une conception non plus organique mais fonctionnelle. La
confusion gagna bientôt d'autres catégories fondamentales : celles de
l'établissement public, de fonctionnaire public, de domaine public. Un
effort de reconstruction fut bien entrepris, à partir d'une revalorisation du
critère de service public, dans le courant des années 1950, sans y parvenir
totalement. De ce fait, la crise semble devenir une dimension ordinaire du
droit administratif (par exemple aujourd’hui les incertitudes affectant la
distribution des compétences juridictionnelles).
Sect. 6 : Le destin d’une identité
Dès les premiers moments de son existence, les formes de son élaboration,
l'incertitude de son champ, les tensions induites par la nature de ses
finalités avaient rendu le droit administratif complexe.
On remarquera que dans le dernier tiers du XXe siècle, il va se dénaturer et
faire disparaître ses singularités.

Pourquoi ?
- L'hégémonie traditionnelle de la création jurisprudentielle a été en effet
victime de l'essor de sources concurrentes. Les lois et les
réglementations d'abord, en se multipliant, ont concouru à la saper.

- D'autre part, depuis l'intégration du préambule de la constitution de 1958


dans le corps juridique et l'épanouissement de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel visant à en dégager la portée, le juge de l'excès de
pouvoir se trouve contraint à accueillir les principes qu'elle dégage, aux
risques de faire voler en éclat l'unité du droit public. A été surtout décisive
l'intégration dans l'ordre juridique français de dispositions normatives,
d'origine internationale et, avant tout, européenne : à côté des
réglementations communautaires, les principes dégagés par la Cour
européenne de justice, comme ceux que retient la Cour de Strasbourg dans
son interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme,
pénètrent en nombre toujours croissant dans le droit administratif national.
À un double titre, sa spécificité s'en trouve entamée.
Comment ?
- Sa nature est remise en cause. Depuis qu'il est de plus en plus composé
de règles exogènes à l'objet qu'il régit, ce droit se voit aligné sur la condition
commune à tous les autres. Cette dénaturation révolutionne son essence : il
représentait la mesure des convenances administratives ; il tend à n'être
plus que l'ensemble des garanties accordées aux administrés.

- L'intrusion massive de normes extra jurisprudentielles renouvelle


encore son contenu. Modelé par la conscience des privilèges nécessaires
à la réalisation de l'intérêt général, il accueillait des règles dérogatoires au
modèle commun qui, le plus souvent, étaient marquées du sceau de
l'autoritarisme. C'est cette dimension fortement inégalitaire qui s'estompe au
bénéfice d'un nouvel équilibre. La réception en son sein de règles élaborées
par les instances européennes, tout particulièrement, gomme une bonne
part de ses singularités, comme on peut le constater dans la procédure
administrative, contentieuse ou non, le droit de la responsabilité, celui des
marchés ou des services publics et celui de la fonction publique.
Titre II/- Les sources du droit
Tarte à la crème des introductions au droit, les sources du droit sont le moyen
de saisir l’ampleur du domaine juridique dans la société.
Car si l’on se tient strictement au sens du mot « source » il conviendrait de
s’interroger sur les mécanismes créateurs du droit. Pour les sociologues,
ces mécanismes se trouvent en dehors du droit lui-même (le pouvoir,
l’économie, le social, les mœurs, la philosophie). Or pour les juristes
expliquer les sources du droit c’est se contenter de comprendre le droit lui-
même (loi, jurisprudence, coutume).
Afin de dépasser ce problème, et en s’accordant sur le fait que nombre de
personnes, d’institutions participent à l’action créatrice du droit, posons la
question autrement : sous quelle formes peuvent se présenter les règles de
droit ? Et quand elles sont établies quelle hiérarchie se construit entre elles
?
Chapitre I/- Formation des règles de droit

Chapitre 2/- Hiérarchie des règles de droit


Chapitre I : Formation des règles de droit
A la présentation classique des 4 sources les plus communes (loi,
jurisprudence, coutume et doctrine), Ph. Jestaz en donne une vision plus
complète, universelle et intemporelle, par un jeu consistant à imaginer
l’auteur de la règle de droit. Il en organise 2 supplémentaires qui s’ajoutent
au 4 traditionnelles : il s’agit de la révélation et de l’acte juridique.
Certaines sources partent du sommet ou tout le moins d’un pôle de décision
qui se fait obéir par la base : ce sont le jugement, la loi et la révélation.
D’autres sources proviennent de la base : l’acte juridique et la coutume.
Reste enfin la doctrine, source inclassable, qui ne vient ni du sommet, ni
de la base, ce qui explique qu’elle ne comporte aucun élément normatif
(tout au plus des propositions de normes).
Annonce du plan :
Sect. 1 : Sources venues du sommet
A/- La révélation
B/- La loi
C/- La jurisprudence
Sect. 2 : Sources venues de la base
A/- L’acte juridique
B/- La coutume
Sect. 3 : La doctrine, source inclassable
Sect. 1 / Les sources venues du sommet
A priori il est naturel que nous commencions par la révélation car ce qui est
révélé est d’essence supérieure à la loi des mortels. La loi est la source la
plus classique. Quant à la jurisprudence, elle a posé des problèmes comme
source de droit à part entière. On l’a pendant longtemps considéré comme
une simple autorité.
A/- La révélation :
Source méconnue, la révélation n’est guère évoquée dans les livres de droit,
car le droit français est strictement laïc.
Quand historiquement on parle de droit canonique au Moyen Age, comme
participatif du droit français, il faut se souvenir que ce n’était que dans
certains domaines (mariage, filiation) et à certaines époques
(principalement au Moyen Age).
De plus, le droit romain a influencé le droit canon, comme ce dernier a tété
influencé par la théologie.
On dit que le droit public français a été influencé par Rousseau et que le droit
pénal par Kant. Ces deux philosophes ne sont pas considérés comme des
sources du droit.
Le droit révélé est en effet celui qui prend directement sa source dans la
révélation, c’est-à-dire dans les textes sacrées.
Ce qui suppose :
- Que ces textes comportent, en plus ou moins grand nombre, des
normes juridiques ou pouvant le devenir.
- Et que les prescriptions aient un caractère rigoureusement
indémontrable.
- De plus, ces textes n’ont pas uniquement comme champ d’application les
religions révélées. Elles existent à l’état laïc.
Toute société admet des principes de base, qui sont des socles
indémontrables aussi bien qu’intouchables : par exemple les droits de
l’homme et les grands principes généraux, directeurs, fondamentaux.
Les premiers sont des actes de foi idéologiques.
Les seconds sont en général formulés par le législateur (les rédacteurs de la
Déclaration de 1789, de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme, de la Constitution « principes particulièrement
nécessaires à notre temps », du Code civil, etc.), le juge (Conseil
constitutionnel et les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République » ; les « principes généraux du droit » du Conseil d’Etat ; et
ceux des contrats ou de droit du travail dégagés par la Cour de cassation)
ou la doctrine (principe de l’unité du patrimoine d’Aubry et Rau).
Dans les trois religions monothéistes (chrétienne, musulmane et israélite), le
dogme fonctionne à partir des livres sacrés qui sont des livres juridiques
puisqu’ils édictent des normes et qu’ils ne sont point contestés dans leur
propre communauté à l’exception des hérésies.
Quant aux principes laïcs, en droit par exemple la jurisprudence affirme que les
règlements autonomes doivent se conformer aux principes généraux du
droit. La formule désigne un ensemble de principes, qui sans être
expressément formulés par les textes constitutionnels ou législatifs,
s'induisent plus ou moins directement de ceux- ci.
Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, du principe d'égalité des citoyens
devant les charges publiques, du principe de l'enrichissement sans cause,
qui veut que celui qui s'est enrichi indûment indemnise celui qui s'est
appauvri à cette occasion; du principe des droits de la défense, en vertu
duquel nul comportement ne peut être sanctionné sans que son auteur ait
été mis en mesure de présenter sa défense ; ou encore du principe de non-
rétroactivité des lois.
Les principes ont une portée variable (rare ou fréquente).
Les principes ont une autorité variable (légale ou constitutionnelle)
Il avait été jugé que le principe de précaution ne constituait pas un objectif de
valeur constitutionnelle. Mais une loi constitutionnelle du 1er mars 2005
a établi une Charte de l'environnement dont l'article 5 en affirme
l'existence : « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en
l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et
irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application
du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en
œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures
provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Pour le droit civil en général, on trouve une foule de principes qui sous-
tendent des normes juridiques et qui ne se démontrent pas : au hasard
l’indisponibilité du corps humain, sa non-patrimonialité, sa dignité, son
intégrité de la personne, mais aussi de l’espèce humaine, etc.

Pour le droit de la construction ces grands principes qui apparaissent comme


révélés par un esprit sacré se trouvent pour la plupart dans la loi civile pour
les références générales, mais spécifiquement dans la jurisprudence. Les
grands arrêts du droit immobilier vous relèveraient le principe de la double
limite applicable lors de la fixation du prix d’un contrat de louage d’ouvrage
entre celui fixé initialement par les parties et l’appréciation postérieure de la
chose livrée (Civ. 1re, 15 juin 1973) ; celui de la fixité des servitudes malgré
l’aggravation du fond servant (Civ, 3e, 7 novembre 1990) ou celui selon
lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage »
(corollaire du droit de propriété).
B/- Loi

Le mot de loi, même en se limitant à son acception juridique, à des sens


multiples.
Le plus étroit, qui est le sens formel, désigne (en France) un acte voté par les
assemblées élus et promulgué par le Président de la République,
mais cette définition est trop restreinte car il faut l’étendre aux
ordonnances, aux textes réglementaires (décrets, arrêtés, circulaires),
tout texte qui répond à la définition d’un texte obligatoire, général et
impersonnel.
Mais alors où classer les actes administratifs individuels ?
Mais aussi pourquoi ne retenir que les actes impersonnels et généraux ?
Et pourquoi faut-il que la loi fut un texte écrit ?
Même le caractère « obligatoire » est contesté. On met l’accent de plus en plus
sur le soft law ou droit mou), sur le droit recommandé et semi-obligatoire qui
gagne indéniablement du terrain.
Et puis on ne saurait conserver l’idée que la loi émane uniquement de la
sphère publique. Elle peut provenir du privé, d’organismes professionnels,
acteurs économiques, d’agences indépendantes, d’un pool de conseils, etc.
Le domaine de la loi ne s’arrête que là où commence le jugement.
Il convient de distinguer :
- La législation publique française
- La quasi-législation privée
1/- La législation publique française
la loi a un caractère unilatéral : c’est un ordre qui ne requiert pas l’accord du
destinataire, à la différence du contrat qui est négocié entre les parties et qui
n’est obligatoire qu’entre les parties.
Précisons quelques notions de base qui s’entrecroisent.
La loi au sens strict est celle pour laquelle la souveraineté nationale est exercée
par les représentants du peuple élus au Parlement.
• Elle s’oppose à la loi constitutionnelle qui émane du pouvoir constituant, donc
au sommet de la hiérarchie. Actuellement, est en vigueur la Constitution du 4
octobre 1958. Plusieurs fois modifiée.
• Elle s’oppose également à la loi référendaire: C’est le cas lorsque le président
de la République demande aux citoyens de se prononcer directement par voie de
référendum sur un projet de loi, mais seulement s'il porte sur l'organisation des
pouvoirs publics (Constitution, art. 11). Ex. loi du 2 oct. 2000, réduisant la durée
du mandat du président de la République à 5 ans.
• Mais elle comprend la loi organique qui a pour objet de fixer les modalités
d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics, dans les matières
limitativement énumérées par la Constitution ; exemples: élection du président de
la République; statut de la magistrature. Elle est adoptée suivant une procédure
particulière: elle est soumise avant promulgation au Conseil constitutionnel.
• Elle comprend surtout la loi « ordinaire » qui est la règle de droit votée en
termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, qui forment le Parlement
; quand l'accord n'est pas possible, même après réunion d'une commission mixte
paritaire, c'est l'Assemblée nationale qui statue en dernier ressort. L'initiative
appartient au Premier ministre (projet de loi) et aux parlementaires (proposition
de loi).
• La diversité des composantes de la notion générale de loi : la loi, entendue
au sens large, rassemble des textes de nature et de portée très différentes.
Cette situation, n'est ni propre au droit français, ni davantage un
phénomène récent. Mais la constitution du 4 octobre 1958 lui a donné un
relief particulier en opposant, à la loi stricto sensu, le règlement. La
distinction est devenue essentielle (§1).
• Elle n'épuise cependant pas la question. La diversification du contenu de la
notion générale de loi se prolonge, en effet, au-delà de l'opposition entre loi
stricto sensu et règlement, par différents textes spéciaux de nature et
d'origine variées (§2).

§1/- La distinction de la loi et du règlement

§2/- Les textes spéciaux


§ 1. La distinction de la loi et du règlement ( http://www.legifrance.gouv.fr/ )

Cette distinction de la loi et du règlement


est, bien qu’une innovation de la
Constitution du 4 octobre 1958, classique :
la loi relevant du pouvoir législatif, le
règlement du pouvoir exécutif.
- Mais, avant la Constitution de 1958,
cette distinction s’accompagnait d'une
affirmation de primauté absolue de la loi.
Le principe était alors celui de son
omni-compétence: elle avait vocation à
régir toutes matières. Le règlement, dans
cette conception ne pouvait intervenir que pour permettre l'application des
lois, ou dans des matières non réglées par elles, et toujours dans le strict
respect des dispositions légales. De la sorte, la distinction se faisait selon
un critère purement formel : la loi était l' œuvre du Parlement, l'expression
de la volonté nationale; le règlement était une décision du pouvoir exécutif
visant normalement à l'exécution de la loi.
- La Constitution du 4 octobre 1958, consacrant un certain
affaiblissement du Parlement, a mis fin à cette prééminence absolue de la
loi sur le règlement, en assignant à chacune de ces deux catégories de
textes un domaine propre. Ainsi est venu s'ajouter au critère formel de la
distinction, assurément maintenu et prédominant, un second critère, maté-
riel celui-là. Et pour mettre en œuvre cette répartition, la Constitution de
1958 a mis en place un système de sauvegarde des compétences
propres à chaque type de texte.
- Le critère formel de la distinction

* La loi, œuvre du Parlement. - La réforme opérée par la Constitution du 4


octobre 1958 n'a en effet nullement fait disparaître l'importance du critère
formel de la distinction, c'est-à-dire du critère tiré de l'organe d'élaboration
de la règle de droit. De ce point de vue, la loi stricto sensu se définit
comme l' œuvre du pouvoir législatif : elle est, aux termes de l'article 34,
alinéa 1er de la Constitution « votée par le Parlement ».

• La loi, au sens strict, apparaît donc comme l’œuvre commune de


l'Assemblée nationale et du Sénat. Selon le premier alinéa de l'article 45
de la Constitution, « tout projet ou proposition de loi est examiné
successivement dans les deux assemblées du Parlement, en vue de
l'adoption d'un texte identique ».

• Encore convient-il de remarquer que cette procédure concerne la loi dite


ordinaire, en pratique la plus courante.

• Mais les procédures d’élaborations ont différente pour les lois


constitutionnelles, qui sont des lois de révision (ou d'abrogation) de la
Constitution (art. 89 de la Constitution) : d’une part, il y a égalité entre l’
Assemblée nationale et le Sénat, et, d'autre part, il existe une phase de
ratification qui peut prendre la forme d'un référendum.
• Ensuite, les lois organiques dont l’objet spécifique est de compléter et
mettre en œuvre les règles portées par la Constitution. Pour ces lois, la
procédure des lois ordinaires est applicable, y compris notamment la
possibilité pour l'Assemblée nationale d'avoir le dernier mot. Cependant,
d'une part, un délai minimum - délai de réflexion - doit être respecté entre
le moment du dépôt et celui de la discussion de la loi ; d'autre part, s'il
s'agit d'un texte concernant le Sénat, la rigoureuse égalité des deux
assemblées est affirmée; enfin, dans tous les cas, les lois organiques
doivent obligatoirement être soumises, avant leur promulgation, au Conseil
constitutionnel qui en vérifie la conformité à la Constitution (art. 46 et 61
Constitution).

• Il convient, enfin, de signaler que le vote des lois de finances (lois relatives
au budget et à son exécution) est soumis à des délais impératifs pour le
Parlement (art. 47 Constitution) .il faut que ces lois, essentielles pour la
gestion du pays, soient votées en temps utile.

*Le règlement, décision du pouvoir exécutif. - Par opposition, la notion de


règlement englobe l'ensemble des décisions du pouvoir exécutif et des
autorités administratives. Cette notion regroupe, en réalité, différentes
sortes de textes qui se situent, les uns par rapport aux autres, dans un
ordre hiérarchique plus marqué que celui des lois et qui correspond aux
hiérarchies internes de l'autorité publique.
• Au premier rang de ces textes figure le décret. Celui-ci constitue une
catégorie qui ne comporte pas, à proprement palier, de hiérarchie
interne. Le point mérite d'être souligné car il existe une assez grande
variété de décrets, ce dont il peut être rendu compte en les distinguant
selon leurs auteurs, selon leur forme, et selon leur objet, tous critères
appelés à se chevaucher.

- Quant au premier critère de classification, il faut noter que la


compétence de principe revient au Premier ministre : l'article 21 de la
Constitution l'investit en effet du pouvoir réglementaire. Mais le Président de
la République se voit reconnaître une compétence d'exception.

- Sur le plan de la forme, il y a lieu de distinguer trois sortes de


décrets:
les décrets simples, ordinairement signés par le Premier ministre,
avec le contreseing des ministres qui ont la charge de leur exécution;
les décrets en Conseil des ministres, qui sont signés par le Président
de la République, avec le contreseing de tous les ministres;
les décrets en Conseil d'État, pris, spontanément ou sur la
prescription du législateur, après avis d'une section du Conseil d'État.

- Enfin, la prise en considération de l' objet du décret fait apparaître


une distinction d'une importance pratique considérable :
les décrets autonomes qui sont des textes pris à la seule initiative du
pouvoir exécutif
les décrets d' application, dits encore dérivés qui sont pris pour
l'exécution d'une loi, dont ils précisent les conditions de mise en œuvre.
• Hiérarchiquement subordonnée au décret, une seconde catégorie de textes à
caractère réglementaire est constituée par les arrêtés. Ceux-ci, que l'on distingue
entre eux selon leur auteur, se classent en considération directe du rang
hiérarchique de celui-ci. Au premier rang se trouvent les arrêtés ministériels ou
interministériels, qui sont l’œuvre d'un ou plusieurs ministres. Ensuite, viennent les
arrêtés des préfets. Enfin, les arrêtés municipaux pris par les maires.

• Il faut encore ajouter à cette énumération les circulaires. par lesquelles un ministre
donne des instructions à des fonctionnaires pour le fonctionnement du service.
- Les circulaires se voient reconnaître valeur réglementaire, sous certaines
conditions (ajouter à la loi ou au règlement dont l’application est considérée, et être
l’œuvre d’un ministre qui exerce le pouvoir réglementaire dont il est investi). Voir
l’art. 1er du décret du 28 novembre 1983 : « Tout intéressé est fondé à se prévaloir,
à l’encontre de l’Administration, des instructions, directives et circulaires publiées
dans les conditions prévues à l’article 9 de la loi du 17 juillet 1978, lorsqu’elles ne
sont pas contraires aux lois et règlements ». On peut donc les attaquer comme telle
si elles sont illégales (CE 29 janvier 1954, N.-D. du Kreisker).
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000007637421
&dateTexte=
- En revanche, pour la jurisprudence judiciaire, ces circulaires
administratives, quelles que soient leurs caractéristiques propres, sont
dépourvues de tout caractère réglementaire et s' analysent en de simples
mesures d' ordre intérieur à l'administration, n'ayant aucun effet obligatoire à
l'endroit des administrés, et moins encore du juge.
- Cela revient à les considérer, dans tous les cas, comme des documents qui
établissent, pour guider le fonctionnement quotidien d'une administration,
l'interprétation des règles de droit que celle-ci est appelée à mettre en œuvre.
• Les réponses ministérielles. - Une autre pratique de l'Administration, qui
mérite d'être signalée, est celle des réponses ministérielles aux questions
écrites formulées par les parlementaires. Le procédé de la question écrite est
un moyen de contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement : il permet à
tout parlementaire d'obtenir des informations sur les activités et les projets du
Gouvernement. Mais ce procédé a été, très largement, détourné de cette
finalité d'origine pour devenir un moyen « de provoquer une interprétation
officielle du gouvernement sur tel ou tel point de législation [ ...] ».

Dans cette perspective, un parlementaire, soucieux de répondre à


l'interrogation précise d'un électeur, formule en termes plus ou moins
généraux la difficulté d'ordre juridique que rencontre celui-ci et demande au
ministre concerné en quel sens il convient de comprendre la loi pour résoudre
cette difficulté (la question peut être terre à terre : par exemple, « M. K
demande à Monsieur le ministre de l’urbanisme et du logement de faire
connaître si la loi n° 82-526 du 22 juin 1982 sur l e logement s’applique à un
propriétaire d’un immeuble de 4 étages, jusqu’ici occupé par une seule
personne qui a quitté spontanément les lieux […] ». C'est donc, très
directement, une interprétation de la loi qui est demandée à un membre du
Gouvernement. Certes, cette interprétation n'a aucune force
contraignante, que ce soit à l'égard des juges (les réponses, qui sont
publiées au Journal officiel, réservent généralement « l'appréciation
souveraine des tribunaux » ), ou à l'égard de l'Administration elle-même. Il
n'en reste pas moins vrai que, non seulement ces réponses sont de nature à
orienter l'interprétation des personnes privées -notaires et avocats
notamment- qui ont la charge de mettre en œuvre concrètement la règle de
droit considérée, mais peuvent-elles influencer les tribunaux ?
On ajustement relevé les dangers d'une telle pratique, où l'Administration
n'est ni forcément, ni toujours neutre, et où l'attention accordée aux
données du problème d'interprétation risque d'être infiniment moindre que
celle des juges. Quoi qu'il en soit, le développement de cette pratique, qui
n'est pas dénuée d'avantages - en particulier, celui de fournir une
interprétation plausible des textes ambigus, plus vite que ne le peut la
jurisprudence - manifeste l'importance et la complexité du problème de
l'interprétation de la règle de droit.

- Le critère matériel de la distinction

* Les articles 34 et 37 de la Constitution. - Si, traditionnellement, la


distinction de la loi et du règlement pouvait se faire exclusivement sur le
fondement de leurs auteurs respectifs, cette solution a été remise en cause
par la Constitution de 1958. Rompant avec le principe d'omni-compétence
de la loi, les articles 34 et 37 de la Constitution assignent en effet aux deux
catégories de textes des domaines distincts.
• L' article 34 définit, sous une forme énumérative, et apparemment
limitative, le domaine d'intervention de la loi. Mais, de manière assez
curieuse, le texte fait apparaître deux formes de compétence très
différentes : d'une part, « la loi fixe les règles concernant » un certain
nombre de matières ; d' autre part, elle « détermine les principes
fondamentaux » de certaines autres.
- Ressortissent au premier chef de compétence, en particulier : les
libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, la procédure pénale,
la détermination des crimes et des délits, ainsi que de leurs sanctions, les
impôts, les régimes électoraux, les nationalisations et les garanties
fondamentales accordées aux fonctionnaires. Dans ces diverses matières,
le législateur bénéficie d'une compétence totale qui lui permet d'établir,
dans le détail, toutes les conditions et modalités d'application de la loi.
- En revanche, pour le second groupe de matières, le législateur n'a
qu'une compétence limitée : il fixe les principes fondamentaux, alors
que la mise en œuvre de ceux-ci, et tous les détails d'application de la loi
relèvent du pouvoir réglementaire. Les principales de ces matières sont :
la défense nationale, l'enseignement, la propriété, les obligations civiles et
commerciales, le droit du travail et le droit syndical et de la sécurité sociale.
• L'article 37, en ce qu'il définit, dans son 1er alinéa, le domaine du
règlement, est beaucoup plus simple : « Les matières autres que celles
qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». La
formule révèle l'innovation de la Constitution de 1958, qui fut de donner
au règlement un domaine de compétence exclusive. La fonction du
règlement n'est plus seulement de permettre l'exécution des lois en en
déterminant les conditions de mise en œuvre ; elle est aussi de régir toutes
les matières pour lesquelles la loi n'est pas compétente. Et au regard de
ces matières, le pouvoir exécutif jouit d'un pouvoir d'initiative qui lui fait
défaut dans tous les autres cas : de ce point de vue il est un « règlement
autonome ».
*La pratique des articles 34 et 37 de la Constitution. -La présentation
adoptée par la Constitution de 1958 pour opposer loi et règlement est
claire :
- certaines matières relèvent du seul pouvoir législatif -qui peut cependant
renvoyer au pouvoir exécutif pour la mise en œuvre de la loi ;
- d'autres matières font l'objet d'un partage entre législatif et exécutif, ce
dernier pouvoir ayant compétence exclusive pour définir les modalités
d'application des principes fondamentaux édictés par le premier;
- d'autres enfin -toutes les autres- sont réservées au seul pouvoir
réglementaire qui bénéficie alors d'une compétence et d'une initiative
exclusives.

• Doit-on déduire de cette présentation que la distinction de la loi et du


règlement, au plan matériel, est absolue et figée, et que la compétence
réglementaire représente la compétence de droit commun, de principe,
tandis que la compétence législative ne serait qu'une compétence
d'exception ? La pratique qui a suivi l'entrée en vigueur de la Constitution
de 1958 ne s'est pas fixée en ce sens.
• D'un côté, et c'est sans doute l'essentiel, la jurisprudence du Conseil
constitutionnel a mis en lumière que l'article 34 n'épuise pas la
définition du domaine réservé à la loi. La seule lecture de la Constitution
laisse apparaître en effet que la loi est compétente en d'autres matières que
celles visées à l'article 34. En particulier, l'article 66 de la constitution
attribue, indirectement mais certainement, compétence au législateur pour
les libertés individuelles. (Art. 66. – « Nul ne peut être arbitrairement
détenu.- L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le
respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »)
• D'un autre côté, il est admis, en premier lieu, que les domaines
apparemment réservés à chacun des deux pouvoirs ne sont pas
absolument étanches à toute pénétration de l'autre. En particulier, le
Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions des articles 34 et 37
n'excluent pas la vocation de la loi à intervenir en toute matière, même
réglementaire. En second lieu, la loi se voit reconnaître le pouvoir
d'altérer un principe général du droit, tandis que le décret doit s'y
conformer strictement.
• Pour autant, la division des compétences instaurée par les articles 34 et
37 de la constitution n'est pas illusoire. La répartition des pouvoirs entre
législatif et exécutif est une réalité qui garantit à ce dernier une compétence
exclusive d'une importance indéniable. Les diverses procédures qui ont été
mises en place pour la sauvegarde de cette répartition des compétences le
confirment.

- La mise en œuvre de la distinction


La Constitution de 1958 organise diverses procédures destinées à
assurer l'effectivité de la différence matérielle faite entre la loi et le
règlement. Mais cette préoccupation s'exprime de manière univoque :
toutes les procédures mises en place sont en effet au service d'une fin
unique : garantir le domaine réglementaire contre les empiétements du
législatif. Cette défense du domaine réglementaire prend des formes
variées et s'opère à des moments différents. Pour l'essentiel, elle joue
tantôt de manière préventive, tantôt de manière corrective.
* Procédure de prévention et contrôle de la constitutionnalité des lois.
La prévention est assurée par deux procédures nettement distinctes à la fois
par leur domaine et leur portée.
• L'irrecevabilité de l'article 41, la première d'entre elles, est une mesure qui
concerne les propositions de loi. En vertu de ce texte, le Gouvernement peut
opposer l'irrecevabilité de toute proposition qu'il estime concerner une matière
qui n'est pas du domaine de la loi. Cela suffit pour faire obstacle au vote du
texte proposé, à moins que le Président de l' Assemblée saisie de la proposition
soit d'un avis contraire. Dans ce cas, il faut faire appel au Conseil
constitutionnel qui doit dire si la matière considérée relève, ou non, du domaine
réglementaire.
• La seconde procédure consiste dans un recours direct au Conseil
constitutionnel (art. 61 de la Constitution). Il s'agit là encore d'une procédure
préventive dans la mesure où elle s'applique aux lois qui, d'ores et déjà votées,
n'ont cependant pas encore été promulguées, et de ce fait ne sont pas
exécutoires. Cette procédure a un domaine et une portée beaucoup plus larges
que la précédente. D'une part, elle s'applique indifféremment aux propositions,
et aux projets de loi. D'autre part, elle peut être engagée par des personnes
diverses : le Président de la République, le Premier ministre, le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, ou encore par soixante députés
ou soixante sénateurs. Enfin, et peut-être surtout, la saisine du Conseil
constitutionnel est plus étendue. Sa mission, en effet, n'est pas seulement de
dire si le texte critiqué relève ou non du domaine réglementaire : elle est de
vérifier sa conformité à l'ensemble de la Constitution, ce qui autorise à parler de
contrôle de la constitutionnalité des lois. II résulte de là que si le Conseil
constitutionnel estime que le texte voté contredit sur tel ou tel point la
Constitution, la loi ne pourra être promulguée et restera donc inefficace dans la
mesure de ses dispositions inconstitutionnelles.
• Pour éviter ce résultat, propre à entraver l'action du Parlement et à gêner le
gouvernement, le Conseil Constitutionnel a inventé une pratique, dite des
réserves d'interprétation. Elle consiste en ce que ledit Conseil, dans l'avis qu'il
rend sur ]a constitutionnalité de la loi, indique en quel sens telle ou telle
disposition de la loi considérée doit être interprétée pour demeurer
constitutionnelle. Une telle pratique est doublement contestable. Elle attribue
au Conseil constitutionnel un pouvoir d'interprétation des lois qui est étranger à
sa mission -s'il ne le déforme pas totalement ; elle crée une difficulté pratique
considérable en ce qu'elle pose la question de l'autorité de ces réserves.
• Cela n'empêche que le contrôle de constitutionnalité a une importance certaine.
Toutefois, son organisation même lui assigne une sérieuse limite : sitôt que la
loi a été promulguée, elle ne peut plus être attaquée pour
inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a cependant assoupli cette
limite en décidant que la régularité constitutionnelle d'une loi promulguée peut
être contestée à l'occasion de dispositions législatives qui la réforment.
* La procédure de correction : la délégalisation. – Hypothèse : une loi votée a
été promulguée, et, de ce fait, est devenue exécutoire. Or, il se peut que cette
loi empiète sur le domaine réglementaire, l'absence de mise en œuvre des
mesures préventives - qui auraient pu empêcher ce résultat - pouvant
s'expliquer de diverses manières : soit que la loi ait été promulguée avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958, soit que le pouvoir exécutif ait
omis d'exercer les procédures de prévention, par négligence, ou par esprit de
générosité -ou de commodité- à l'égard du Parlement. La Constitution de 1958
ouvre au Premier ministre la possibilité de remettre les choses en ordre à
tout moment, par une délégalisation de la loi contraire à la compétence
réglementaire (art. 37, al. 2 qui distingue entre les lois antérieures à la
Constitution de 1958 et celles postérieures.)
• S'agissant d'une loi antérieure à la Constitution de 1958, c'est-à-dire
d'une loi adoptée alors que la compétence de principe appartenait au
législatif, la procédure est très simple : une telle loi peut être modifiée par
décret pris après avis du Conseil d'État, peu importe que cet avis soit ou
non conforme. La simplicité de cette procédure -pour ne pas dire son
caractère expéditif- s'explique par le fait de l'antériorité de la loi considérée
à la Constitution nouvelle : il convient de réduire, aussi commodément que
possible, les nombreux empiétements justifiés par le régime constitutionnel
antérieur.
• Pour les lois promulguées sous l'empire de la Constitution de 1958, en
revanche, la procédure est considérablement plus stricte. Le Premier
ministre doit saisir le Conseil constitutionnel pour lui faire déclarer la
nature réglementaire de la disposition légale critiquée et il ne pourra,
modifier celle-ci ou l'abroger, par voie de décret, que si le Conseil
constitutionnel reconnaît cette nature réglementaire.

* Absence de procédure particulière de protection du domaine législatif. -


Les diverses procédures mises en place par les articles 41 et 61, d'une part,
et 37, alinéa 2, d'autre part, assurent au pouvoir réglementaire une parfaite
maîtrise de sa compétence. Face à ce constat, l'absence de toute
disposition constitutionnelle, organisant une procédure de
sauvegarde du pouvoir législatif, crée une disparité étonnante. Celle-ci
paraît devoir s'expliquer par la volonté des constituants de 1958 de
promouvoir le pouvoir exécutif au détriment du législatif, volonté
justifiée, indépendamment de considérations « politiciennes » plus ou moins
conjoncturelles, par un souci d'efficacité.
• Cela dit, l'absence de procédure de sauvegarde du domaine législatif ne
signifie pas que ce domaine puisse être impunément pillé par le pouvoir
réglementaire. Si aucune procédure ne permet de l'empêcher de régler une
matière relevant du législatif, il n'en demeure pas moins que deux
procédés, de valeur et de portée inégales il est vrai, peuvent remédier
à de tels empiétements.
• Le premier procédé consiste dans la possibilité, toujours ouverte au
Parlement, de voter une loi modifiant ou abrogeant le décret irrégulièrement
pris dans une matière législative. Ce procédé, incontestable en théorie, est
cependant peu pratique. D'une part, la procédure législative est longue.
D'autre part, il faut, pour l'engager, que la proposition de loi soit inscrite à
l'ordre du jour des Assemblées; or, c'est le gouvernement lui-même qui a,
pour l'essentiel, la maîtrise de cet ordre du jour.
• Le second procédé, beaucoup plus important et efficace -même s'il ne
peut produire effet qu'avec un certain retard- tient à ce que le règlement
reste soumis au contrôle de légalité -plus exactement, en l'occurrence,
contrôle de constitutionnalité. De la sorte, le vice d'incompétence
l'affectant peut être sanctionné, par la juridiction administrative en
principe. Cela permet de constater que subsiste, même dans le cadre de la
Constitution de 1958, une différence d'autorité entre la loi et le règlement.
Avant de la préciser, il faut encore faire état de certains textes spéciaux.
§ 2. Les textes spéciaux

- Textes d'origine interne

* Lois référendaires et décisions de l'article 16 de la Constitution.


Ces textes spéciaux d'origine interne répondent à des circonstances ou à
des besoins particuliers.
L’article 16 de la Constitution reconnaît au Président de la
République, dans le cas de circonstances d'une exceptionnelle gravité,
le pouvoir de prendre, lui-même, « les mesures exigés par ces
circonstances ». Les conditions de déclenchement de ce pouvoir
d'exception sont assez précisément délimitées : il faut que « les institutions
de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou
l'exécution de ses engagements internationaux soient menacées d'une
manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics constitutionnels soit interrompu ». De tels événements autorisent,
en vertu de l' article 16, une véritable concentration de tous les pouvoirs
entre les mains du chef de l'État qui est alors habilité à prendre, sur
simple décision de sa part, les mesures qu'il juge nécessaires. Ces
décisions peuvent, indifféremment, régler des matières relevant du pouvoir
législatif ou du pouvoir réglementaire. Dans le premier cas, elles échappent
à tout contrôle ; dans le second, en revanche, elles demeurent soumises au
contrôle de légalité des règlements.
Les lois référendaires correspondent à une préoccupation très
différente. Selon l'article 11, alinéa 1er de la Constitution (mod. L. 4 août
1995), « le Président de la République, sur proposition du Gouvernement
pendant la durée des sessions ou sur propositions conjointes des deux
assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum
tout projet portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des
réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et
aux services publics qui y concourent ou tendant à autoriser la
ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait
des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Ce texte, qui
organise une substitution du vote populaire au Parlement pour l'exercice
du pouvoir législatif en certaines matières, peut se justifier par la volonté
de conférer une particulière solennité à la loi ainsi adoptée. Cette
procédure a été utilisée à diverses reprises (1962, indépendance de
l’Algérie ; 1988, statut de la nouvelle Calédonie ; 1992, Union européenne ;
2005, Traité de constitution européenne) dans des conditions parfois
discutables (1962, élection du Président de la République au suffrage
universel). Elle aboutit à l'élaboration de lois qui, si elles doivent être,
comme les autres, promulguées par le Président de la République,
échappent en revanche au contrôle que le Conseil constitutionnel
peut, ordinairement, effectuer avant promulgation de la loi.
* Les ordonnances de l'article 38 de la Constitution.
Dans un souci d'efficacité, et pour tenir compte de la nécessité de mettre en
place rapidement, dans un domaine et à des fins déterminés, un nouvel
ensemble de règles, la Constitution de 1958 a prévu, rompant en cela avec la
tradition constitutionnelle, la possibilité d'une délégation de pouvoir du
législatif à l'exécutif. L'article 38 de la Constitution énonce en effet que « le
gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au
Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances pendant un délai limité, des
mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».
La loi d'habilitation confère au gouvernement, dans le domaine législatif
précisé par elle, et pour un temps défini, le pouvoir de prendre, par voie
d'ordonnances, toutes les mesures utiles à la réalisation des fins qu'elle désigne.
Ces ordonnances, qui, par essence, empiètent sur le domaine réservé au
législatif, peuvent modifier, voire abroger, des lois antérieures. Elles sont
d'application immédiate, dès l'instant qu'elles sont prises régulièrement, c'est-
à-dire dans le délai d'habilitation, après avis du Conseil d'Etat et délibération
du Conseil des ministres, avec les contreseings du Premier ministre et des
ministres concernés, et la signature du Président de la République.
Malgré la délégation accordée par le Parlement, ces textes n'équivalent pas à
des lois. Du fait de leur caractère formellement réglementaire, les ordonnances
demeurent soumises à un contrôle juridictionnel qui, pour être moins
rigoureux, en raison même de !a loi d'habilitation, n'en reste pas moins proche
de celui qui s'applique aux règlements. Le Conseil d'Etat peut en effet être saisi
d'un recours pour excès de pouvoir afin de contrôler la conformité de
l'ordonnance à la loi d'habilitation, d'une part, et aux principes généraux du droit,
d'autre part. Ce régime particulier dure tout le temps du délai d'habilitation. Il est
appelé à se modifier à l'expiration de ce délai, et il faut alors distinguer deux
cas :
- Si le Gouvernement omet de déposer le projet de loi de ratification
dans le délai qui lui a été imparti à cette fin, les ordonnances sont frappées
de caducité ; elles cessent, par conséquent, de produire effet. Il en va de
même lorsque, le projet de loi de ratification ayant été déposé, le Parlement
le rejette.
- Dès lors que le Gouvernement dépose le projet de loi de ratification
en temps utile, la caducité des ordonnances est écartée. Les ordonnances
continuent alors à produire effet dans les mêmes conditions que pendant
le délai d'habilitation, et elles restent soumises à ce régime tant que la loi de
ratification n'est pas votée. En revanche, une fois ratifiées, les ordonnances
ont pleine valeur de loi.

Restent à signaler, en complément de ces ordonnances de l'article 38, deux


autres sortes d'ordonnances qui sont soumises à un régime juridique
comparable :
- En premier lieu, les ordonnances financières de l'article 47 de la
Constitution, que le Gouvernement peut prendre pour mettre en vigueur le
projet de loi de finances, lorsque le Parlement ne s'est pas prononcé sur
ledit projet dans les délais imposés par la Constitution.
- En second lieu, les ordonnances référendaires, que la Constitution
ne prévoit pas. Elles sont prises par le Gouvernement en application d'une
autorisation, à lui donnée par référendum, d'intervenir par voies
d'ordonnances, dans le domaine législatif. Malgré cette source particulière
de l'habilitation, le Conseil d'État a, très opportunément, affirmé que le
Gouvernement restait, comme pour les ordonnances de droit commun, tenu
de respecter les principes généraux du droit.
- Textes de nature internationale

Dans la formation des règles internationales de droit, l'État n'a pas de place
prééminente, il est un sujet du droit international parmi d'autres, une
personne morale reconnue au sein de l'ordre juridique international.

Les États n'en sont pas moins à l'origine de la plupart des règles
internationales. Les traités et accords internationaux, actes juridiques
conclus le plus souvent entre États, peuvent avoir pour objet d'établir des
règles entre deux ou plusieurs Etats, mais aussi d'instituer des
organisations internationales et parfois même un ordre juridique spécifique,
comme le montre l'exemple de l'Union européenne, qui mérite un examen
particulier.

* Les traités et autres règles internationales.


L'expression « traité international » est la plus courante, même s'il existe
d'autres appellations qu'il est possible de considérer comme synonymes :
accord, convention, pacte, charte. Le « traité » est le mode d'élaboration
privilégié des règles internationales. Il convient de préciser son domaine et
sa procédure d'adoption.
Domaine des traités

Aucun domaine n'échappe de nos jours aux traités. Et il est devenu


banal d'évoquer l'internationalisation des conflits et des échanges pour
expliquer leur expansion. Parler de mondialisation est commode et peu
éclairant, à moins de considérer qu'il s’agit du croisement de la guerre et de
l'économie. Les conflits commerciaux sont devenus permanents et
englobent de plus en plus de matières, tandis que les domaines de la santé,
de l'éducation ou de la culture sont désormais pris en étau entre les droits
de l'homme et le marché. Les traités et accords internationaux servent aussi
bien à établir des règles de fond qu'à instituer des organisations.

Le cas le plus simple est sans doute celui du traité bilatéral (conclu entre
deux États). L'objectif vise à établir une règle susceptible de résoudre une
situation particulière, comme la condition des étrangers en France ou la
reconnaissance des jugements nationaux à l'étranger. Mais le procédé a
ses limites, et il est sans doute plus satisfaisant d'établir des règles
communes par traités multilatéraux (conclus entre plusieurs États). La
technique permet d'unifier la règle de droit applicable dans plusieurs États,
dans des secteurs comme les transports, le commerce et ses opérations
(convention de Vienne relative à la vente internationale des marchandises).
Toutefois, elle peut aussi porter sur le droit des personnes et de la famille,
comme le montre la convention relative aux droits de l'enfant signée à New
York le 26 janvier 1990.
Afin de faciliter les relations internationales et l'émergence de règles, les
États ont institué par voie de traité des organisations internationales, au
sein desquelles ils siègent et prennent des décisions. À l'échelon mondial,
la plus connue est sans doute l'Organisation des Nations unies (ONU), qui a
pris la suite de la Société des Nations (SDN) après la Seconde Guerre
mondiale. Citons aussi le cas de l'Organisation internationale du travail
(OIT), dont l'objet est plus spécifique. Ces organisations sont souvent
instituées à la suite d'accords antérieurs. Aux accords commerciaux du
« GATT » s'est ainsi substituée en 1992 une nouvelle organisation :
l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

À l'échelon « régional », les États tendent aussi à se réunir afin de


renforcer leur coopération. C'est ainsi que les États européens se
reconnaissant comme démocraties libérales ont constitué le Conseil de
l'Europe, qui a servi de cadre pour l'adoption le 4 novembre 1950 d'un texte
important en droit français : la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette « grande
Europe » regroupant quarante et un États ne doit pas être confondue avec
l'Union européenne, qui réunit aujourd'hui vingt sept membres et a vu le
jour dans une perspective de marché commun.

Une fois instituées par voie de traités, il importe de bien comprendre que
les organisations internationales deviennent souvent elles-mêmes
productrices de règles. Ces lois internationales prennent le nom de
résolutions, directives ou recommandations. Ainsi, la Déclaration
universelle des droits de l'homme résulte d'une résolution adoptée par
l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.
Adoption des traités
L'adoption des traités s'apparente à première vue à un accord entre personnes
décidant de créer des règles pour régir leurs relations ou fonder un
groupement. Elle relève à la fois du droit international et du droit
constitutionnel.
La formation des traités obéit aux règles du droit international public, et en
particulier à la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
complétée en 1986, car d'autres entités disposant de la personnalité morale,
comme l'Union européenne ou les organisations non gouvernementales
(ONG), peuvent désormais conclure des traités.
Le droit constitutionnel vise à concilier l'affirmation d'une souveraineté
nationale avec les engagements internationaux. L'adoption des traités et
accords internationaux et leur insertion dans l'ordre juridique français par voie
de ratification sont régis par le titre VI de la Constitution. « Le président de la
République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation
tendant à la conclusion d'un accord international non soumis à ratification »
(art. 52 Const.). La compétence du président est partagée, et suppose le
contreseing du Premier ministre. Mais il délègue leur négociation.
Quant à la ratification, d'une part, les accords non soumis à ratification
sont des « accords simplifiés » ; ils sont en pratique négociés et conclus par
les ministères concernés, en particulier celui des affaires étrangères.
D'autre part, les traités soumis à ratification requièrent l'accord préalable
du Parlement dans de nombreuses hypothèses :paix, commerce, etc. (art.
53). Le peuple peut également être consulté par un référendum « tendant
à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution,
aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions » (art. 11 Const.) .
Mais la ratification peut intervenir bien tardivement.
* Les traités et autres règles de l'Union européenne
La construction européenne
Les institutions européennes au nombre de 4
Le Conseil de l’Union européenne
La Commission européenne
Le Parlement européen
La Cour de justice des Communautés européennes
Les normes communautaires
Processus de formation des normes communautaires :
- préparation des textes par la Commission européenne
- Consultation du Parlement
- Adoption par Le Conseil de l’Union européenne
* majorité qualifiée (évite les blocages)
* unanimité (préserve la souveraineté des Etats)

2/- La quasi-législation privée


Le retrait de la puissance publique est tantôt volontaire, tantôt involontaire,
mais se réalise par souci d’efficacité.
- Les règlements des acteurs économiques
- Les organisations professionnelles
- Les réflexions des dispensateurs de conseils (notaires, avocats, CSTB)

Après la révélation et la loi, examinons la jurisprudence, comme source de droit


venant du sommet.
C/- La jurisprudence
Conception sociologique : tout jugement est du droit
Mais il faut qu’il dégage une norme pour être retenu comme source de droit
Il faut distinguer :
- Le contentieux brut largement ignoré
- Le produit raffiné qu’est la jurisprudence
Entre les sociétés coutumières où la jurisprudence est absente et les système de
Common Law où elle est omniprésente, la France a adopté une position médiane.
La jurisprudence est inférieure à la loi, mais il lui est laissé le soin de compléter la loi.
En effet, le juge français est pris entre deux feux : la sanction du déni de justice (art.
4 C. civ) et l’interdiction qui lui est faite de réglementer (art. 5 C. civ.).

La jurisprudence est-elle source de droit ?


1/- Les obstacles théoriques
Du principe de la séparation des pouvoirs judiciaire et législatif, il résulte 2
arguments

- La prohibition des arrêts de règlements


Article 5 du Code civil : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. »
Contenu : le juge n'a pas le droit d'annoncer que, désormais, dans tel type de litige,
il rendra toujours telle décision; il ne peut élaborer une règle de droit.
Fondement : réaction du Code civil contre la pratique des arrêts de règlement,
rendus par les Parlements sous l'Ancien Régime, et décidant que désormais telle
question serait tranchée dans tel sens (agissaient, en fait, comme un législateur).
- L’autorité de la choses jugée
Article 1351 du Code civil : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à
l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. »

* La notion d'autorité de chose jugée


a. Contenu : quand un litige est tranché définitivement, parce que les voies
de recours sont épuisées ou que les délais de recours sont expirés, la
solution devient immuable : la chose jugée est tenue pour vérité.
b. Fondement : nécessité de mettre un terme aux litiges ; éviter les
contrariétés de jugement.
c. Portée: il est interdit de recommencer un procès exactement identique
au précédent, c'est-à-dire opposant les mêmes parties, sur le même objet et
pour la même cause (art. 1351, C. civ.).

* La relativité de la chose jugée


a. Contenu : la solution donnée par un jugement ne vaut que pour l'espèce
jugée, et ne s'impose ni au même juge dans une espèce semblable, ni aux
autres juges, ni aux autres justiciables.
b. Portée : deux juges peuvent interpréter différemment une même règle de
droit ; un même tribunal peut se déjuger ; les juges ne sont pas liés par les
décisions antérieures rendues par eux-mêmes ou par d'autres juridictions,
même supérieures.

Conclusion : il n'existe que des décisions individuelles ; comment la


jurisprudence peut-elle être, alors, source du droit objectif ?
2/- Les explications pratiques
Il en résulte trois arguments
- L’interprétation de la loi est créatrice

* Signification
Le juge doit appliquer la loi, règle générale, à un cas particulier : cette application
suppose une adaptation ou une interprétation de la loi, qui ajoute à celle-ci.

* Manifestations
L'interprétation est créatrice si le juge doit, pour l'appliquer :
a. Préciser la loi
- Quand elle ne définit pas un terme ; exemple, « substance » ( art. 1110, C. civ. ) .
- Quand elle utilise une notion vague; exemple, « ordre public » (art. 6, C. civ.) ; faute
(art. 1382, C. civ.).
- Quand son sens n'est pas évident (exemple, art. 2, C. civ.).
b. Compléter la loi
- Quand elle oublie de régir certains rapports de droit ; exemple, le droit des relations
de voisinage.
- Quand elle n'exprime pas formellement un principe ; exemple, nul ne doit s'enrichir
injustement aux dépens d'autrui.
c. Adapter la loi à l'évolution des faits
- Quand les textes existants ne répondent plus aux besoins sociaux ; exemple,
découverte d'une responsabilité sans faute, du fait des choses qu'on a sous sa
garde, fondée sur l'article 1384, al. 1er, C. civ. et dérogeant à l'art. 1382, C. civ.
- Quand l'intervention croissante de l'État justifie un régime spécial ; exemple,
responsabilité de la puissance publique détachée du Code civil.
- Le juge a l’obligation de juger

Article 4 du Code civil : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du


silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi
comme coupable de déni de justice. »
* Fondement
Lorsque la loi est muette, obscure ou incomplète, le juge ne doit pas
refuser de statuer, pour éviter que l'individu dont le droit est lésé ne veuille
se faire justice lui-même: le juge doit rendre une décision pour trancher le
litige.
* Conséquences
a. Le juge est autorisé par le législateur (art. 4 C. civ.) à créer une règle
particulière pour résoudre le litige qui lui est soumis, en précisant,
complétant ou adaptant la loi.
b. Pour que cette création ne soit pas arbitraire, le juge devra fournir
une solution rationnelle.
c. Il s'appuiera notamment sur les précédents judiciaires, et en
particulier sur les arrêts du Conseil d'État, pour le droit public, et de la Cour
de cassation, pour le droit privé.
- La hiérarchie des juridictions
* L'influence des précédents judiciaires
a. Pour savoir comment préciser, compléter ou adapter la loi, le juge sera
influencé par le raisonnement suivi dans une affaire identique par un autre
juge.
b. Pour satisfaire un besoin de sécurité, les juges auront ensuite tendance à
répéter la solution.

* Le poids de la pyramide judiciaire


Par l’existence des voies de recours.
a. Dans le ressort d'une même cour d'appel, les juges du premier degré ont
tendance à conformer leurs décisions aux arrêts rendus par la cour d'appel.
b. Les diverses cours d'appel seront incitées à suivre les solutions
adoptées par la Cour de cassation.

* Le rôle de la Cour de cassation


a. La Cour de cassation a reçu pour mission d'unifier l'interprétation de la
loi : c'est une nécessité dans un pays où le droit est unifié, pour éviter les
diversités provinciales ou locales.
Remarque: avant de statuer sur une demande soulevant une question de droit
nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux
litiges, les juridictions judiciaires peuvent solliciter l'avis de la Cour de
cassation, qui se prononce dans le délai de 3 mois (L. 15 mai 1991).
b. Ainsi s'établit une unité d'interprétation créatrice : les précisions,
compléments et adaptations de la loi seront fixés uniformément après
l'intervention de la Cour de cassation, juge du droit.
c. De véritables règles de droit seront donc élaborées, et s'imposeront
ensuite aux justiciables, dont l'activité sera guidée par l'interprétation
jurisprudentielle de la loi : que décidera le juge s'il est saisi ?
d. Mais les juges étant indépendants, ils ne sont pas obligés de suivre
l'interprétation donnée par la Cour de cassation : d'où l’existence de
revirements de jurisprudence, source d'incertitude.

* Rôle identique du Conseil d'État en droit public


Un arrêt de cassation entraîne le renvoi devant un autre juge du fond.
Exceptions : le Conseil d'État règle lui-même l'affaire si la bonne
administration de la justice l'exige; ou si l'affaire revient pour la 2e fois.

Soulignons ainsi pour conclure que la jurisprudence est source de droit


en raison des trois fonctions dans son autorité créatrice de droit :
- interprétation,
- suppléance
- adaptation.

Soulignons enfin 4 points qui accentuent le rôle créateur de la


jurisprudence :
- le principe du double degré de juridiction
- le rôle unique de la cour de cassation
- l’existence des deux ordres de juridictions
- les règles de droit jurisprudentielles durent longtemps.
Sect. 2 : Les sources venues de la base

A/- L’acte juridique : les contrats et marchés

œuvre spontanée des opérateurs


obéissance à des pôles de décision

Ph. Jestaz : « Le contrat est sans doute une petite loi, mais il a sur la loi
proprement dite cette supériorité d’exprimer concrètement le droit en
action. »
Concrètement, la loi qui organise le contrat n’est qu’un squelette. Elle ne
prend vie que lorsque des contrats faits de « chair » sont signés. La loi
serait le cadre du contrat et le contrat permettrait de remplir des blancs qui,
selon la dose d’intervention législative, seraient restreints ou larges.
Certains actes de la pratique vont jusqu’à inspirer le législateur : ex, la
vente d’immeuble à construire réglée par la loi du 3 janvier 1967, inspirée
de la pratique des promoteurs immobiliers et de la pratique des notaires, en
particulier Me Thibierge.
B/- La coutume (les règles de l’art)

A la différence des contrats qui ne régissent que les rapports des


signataires des actes, la coutume s’applique à tous.

La coutume est, à l’origine, informulée : sans doute la conjonction de


l’adéquation aux besoins sociaux et la pression d’un groupe social, ou
l’inverse.
La coutume est, à l’origine, spontanée. Elle ne procède pas d’un acte
d’obéissance.
La coutume est continue, c’est-à-dire naturellement et
progressivement, par un phénomène d’adhésion tacite et généralisée.
La coutume est utile car elle n’est jamais absurde. Elle satisfait aux
intérêts de ceux qui l’exercent et de ceux pour qui elle est utilisée.
La coutume est souple. Tant qu’elle n’est pas formulé, même après
sa rédaction.
Mais elle demeure de ce fait incertaine et fragile (manque de
sécurité).
Sect. 3 / La doctrine, source inclassable

Il s’agit des travaux des savants sur leur discipline.

Deux rôles indispensables à son actif : information et réflexion

Elle se situe, selon le schéma de Ph. Jestaz, entre le haut et le bas.

Elle est, à la fois, faible ( la plus faible des sources) et forte (en raison de
la notoriété de son auteur).

Après l’examen de la formation des règles de droit, poursuivons l’étude des


sources, à travers leurs hiérarchies.
Chapitre 2 : Hiérarchie des règles de droit
La hiérarchie des règles de droit traduit leur ordonnancement au sein d'un
ordre juridique.
Cette hiérarchie a une portée pratique considérable :
- au stade de l’application des règles, toute personne chargée de
décider, devra appliquer la règle ayant une valeur supérieure.
- au stade de la validité des règles elles-mêmes. Au sein d'un même
ordre juridique, une règle (norme) n’est valable que si et seulement si elle
est conforme à une norme supérieure, en vertu de sa procédure d'adoption
(conformité formelle) et de son contenu (conformité matérielle).
Sur le plan technique, la cohérence du droit s'exprime en termes de
conformité : la règle inférieure doit être conforme à la règle de niveau
supérieur. 2 sanctions sont possibles :
- l’invalidité
- l’inopposabilité
Représentation classique de la hiérarchie des normes : pyramide selon
Kelsen (1881-1973). Basée sur la hiérarchie des organes instituant les
normes, elle est assez inexacte en pratique, pour deux raisons :
- il existe plusieurs ordre juridiques (internationale, communautaire, interne)
- Les règles de droit ne sont comparables que lorsqu’elles sont de même
nature. Il n’y a pas de hiérarchie entre loi, jurisprudence, coutume en
pratique. Il n’y a qu’un rapport de complémentarité et de rivalité.
La hiérarchie des normes est complexe, car elle suppose à la fois
l’affirmation d’une primauté et la mise en place d’un contrôle
juridictionnel.
Affirmation d’une primauté :
(d’après Ch. Larroumet)

Mise en place d’un


contrôle juridictionnel
(d’après Ch. Larroumet)
Sect. 1 : Primauté des règles législatives
A/- La loi est supérieure aux règlements
« La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit
de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation »
(art. 6 DDHC).
Mais depuis 1958, art. 34 et 37 et rôle prépondérant du gouvernement dans
la formation des lois. 3 situations
- la loi ordinaire est complétée par un règlement d’application
- un règlement est pris dans le domaine de l’article 37
- ordonnances de l’art. 38 : le gouvernement établit des textes dans le
domaines de la loi. Un fois ratifié, l’ordonnance a valeur de loi.
B/- Contrôle de la légalité des règlements
Il signifie deux choses :
- exigence de conformité des règlements aux lois parlementaires
- mais avant tout, exigence plus générale à la conformité du droit
2 modalités :
- recours pour excès de pouvoir
- exception d’illégalité
1/- Recours pour excès de pouvoir
Le recours pour excès de pouvoir vise à obtenir l'annulation d'un acte
administratif. Il doit être introduit devant les juridictions administratives qui
ont compétence exclusive pour en connaître, et peut être exercé par des
personnes publiques ou privées dans un délai de deux mois à compter de
l'entrée en vigueur (notification ou publication) de l'acte contesté, ce qui est
assez bref. Lorsqu'il aboutit, le recours pour excès de pouvoir permet de
faire annuler l'acte administratif contesté (décret, arrêté). Cette
annulation vaut erga omnes, c'est-à-dire à l'égard de tous, y compris aux
juges de l'ordre judiciaire. L'acte disparaît donc de l'ordre juridique pour
l'avenir.
Un acte administratif peut être annulé dans deux séries d'hypothèses :
- incompétence de son auteur, vice de procédure, vice de forme
(légalité externe) ;
-violation de la loi, erreur de droit ou de fait, détournement de
pouvoir (légalité interne).
Tous les actes y sont soumis sauf les actes de gouvernement (décision
de dissolution du Parlement, approbation d’un accord international).
Pas de contrôle a priori, mais uniquement a posteriori.
2/- Exception d’illégalité
Voie d'exception et non voie d'action, l'exception d'illégalité est un moyen
permettant d'écarter, l'application d'un acte réglementaire illégal. Par là, le
plaideur demande seulement à écarter l'application de la règle pour le
cas d'espèce qui est le sien ; il ne s'agit pas de faire annuler l'acte à
l'égard de tous. Lorsqu'elle est retenue, l'exception d'illégalité n'a donc pas
pour conséquence de faire disparaître l'acte illégal de l'ordre juridique.
Celui-ci subsiste et pourra s'appliquer pour l'avenir ! En pratique, pourtant, il
sera souvent abrogé.
Elle est perpétuelle et peut à tout moment être invoquée devant les
tribunaux. Cette possibilité varie pourtant selon les juridictions et l'objet du
litige.
- Devant les juridictions administratives, l'exception d'illégalité peut
toujours être invoquée par un requérant.
- Devant les juridictions judiciaires, l'exception d'illégalité se
heurte au principe de la séparation des pouvoirs, qui tend à maintenir
une frontière entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Or, lorsque le
juge judiciaire prononce l'exception d'illégalité, il apprécie la régularité d'un
acte administratif, ce qui lui est en principe interdit. Aussi l'exception
d'illégalité n'est-elle admise qu'à des conditions restrictives, même si les
pouvoirs du juge pénal sont sur ce plan plus importants que ceux du juge
civil (si seulement le règlement porte atteinte à la liberté individuelle, à la
violation du domicile privé, au droit de propriété, ou lorsqu’il concerne les
impôts et les taxes indirectes). Sinon, le juge civil demande au juge
administratif qu’il se prononce (question préjudicielle qui lui permet de
sursoir à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif).
Sect. 2 : Primauté des règles constitutionnelles
A/- La Constitution est supérieures aux lois.
- du point de vue matériel, les dispositions constitutionnelles s’imposent
pour énoncer des principes fondamentaux.
- du point de vue formel, les dispositions constitutionnelles fondent la
validité des lois et des actes administratifs.

B/- Contrôle de constitutionnalité des lois :


Difficile car il doit concilier deux exigences : garantir que les lois votées par le
Parlement ne violent pas la Constitution et prévoir un mode de contrôle dans le
respect de la souveraineté nationale
2 modalités :
1/- Contrôle a priori par le Conseil constitutionnel
Il intervient avant la promulgation de la loi. Sa saisine a été étendue.
Le Conseil constitutionnel a défini en ces termes le but de son contrôle: «
permettre à la loi votée, qui n'exprime la volonté générale que dans le respect de
la Constitution, d'être sans retard amendée à cette fin ».
Le Conseil exerce désormais un contrôle étendu sur le contenu des
lois, à partir d'un ensemble de normes que la doctrine désigne par bloc de
constitutionnalité :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
- le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
- le préambule et la Constitution de 1958.
- les principes fondamentaux (reconnus par les lois) de la République,
- les principes à valeur constitutionnelle au soutien de ses décisions.
2/- Contrôle a posteriori par les juridictions administratives et
judiciaires
- Pour les lois votées par le Parlement, les juridictions administratives et
judiciaires sont à l'occasion appelées à se prononcer sur leur conformité à
la Constitution. En pratique, la question se pose par voie d'exception, et
non par voie d'action.
Mais à défaut de dispositions expresses, et mis à part des décisions
isolées, les juridictions administratives et judiciaires considèrent
qu'il n'entre pas dans leur compétence d'apprécier la régularité
d'une loi à la Constitution.
- Pour les autres règles juridiques, le contrôle de constitutionnalité
par les juridictions ordinaires se justifie d'autant plus que le Conseil
constitutionnel ne peut être appelé à se prononcer dans ces cas.
Mais elles ne montrent pas beaucoup d’entrain à exercer un tel
contrôle.
* Ainsi, le Conseil d'État refuse d'exercer un contrôle de
constitutionnalité lorsque les actes administratifs sont pris en
application d'une loi parlementaire. C'est la théorie de la loi écran :
la loi ferait écran à ce qu'un contrôle de conformité à la Constitution
soit normalement exercé par le juge administratif. L'écran disparaît, et le
contrôle devient à nouveau possible, à l'égard des règlements
autonomes (pris en l'absence d'une loi) dans le domaine du pouvoir
réglementaire.
* La Cour de cassation, quant à elle, semble de moins en
moins hésiter à se prononcer au nom de règles constitutionnelles. La
Constitution a ainsi servi de fondement juridique pour rappeler l'existence
du droit de grève (Cass. soc., 2 juin 1992), ou celle des droits de la
défense (Cass. plén., 30 juin 1995).
Sect. 3 : Primauté des règles internationales
A/- Les traités sont supérieurs aux lois nationales
1/- Principe de supériorité des traités
- Dans l’ordre international (art. 29 Convention de vienne
de 1969). Traités et accords internationaux > droit interne
- Dans l’ordre juridique communautaire, les traités > lois
des Etats membres de l’Union européenne.
« Issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en
raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un
texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et
sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-
même » (CJCE, 15 juillet 1964, Costa).
- Ordre juridique français (Préambule, art. 55 constitution
1958). 2 conditions : D'abord, le traité ou l'accord international doit avoir
donné lieu à une approbation régulière. Ensuite, il est soumis à une
réserve de réciprocité: le traité ne s'impose en France que sous réserve
d'être appliqué à l'étranger par les autres parties contractantes.
2/- Mise en œuvre de la supériorité des traités
- La Cour permanente de justice internationale (CPJI,
ONU, 1922)
- La Cour de justice des communautés européennes ne
peut rendre qu’inopposable les dispositions nationales et non
les annuler.
- Le Conseil constitutionnel se borne donc à examiner la
conformité d'une loi à la Constitution, sans exercer de contrôle de
conformité de la loi au traité. Par voie de conséquence, une loi nationale
peut être adoptée et déclarée conforme à la Constitution quand bien même
elle contreviendrait à un engagement international de la France. Cette
situation laisse ouverte la possibilité d'un conflit entre une loi
nationale et une règle internationale. C'est pourquoi les juridictions de
l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif ont été amenées à se prononcer.
Le conflit ne se présente véritablement que lorsque la loi est entrée en
vigueur après l'adoption d'un traité. Dans le cas inverse (traité
intervenant postérieurement à la loi), il est admis que la règle internationale
abroge implicitement la loi nationale antérieure, en vertu de l'article 55 de la
Constitution.
La Cour de cassation a affirmé la première son contrôle de conformité
des lois aux traités dans un arrêt dit Jacques Vabre (Cass. mixte, 24
mai 1975), qui reconnaît avec clarté la supériorité du droit communautaire
sur le droit interne.
Le Conseil d'État a affirmé son contrôle de « conventionnalité » à partir
de l'arrêt Nicolo (CE, 20 octobre 1989). Un contrôle de la conformité des
lois aux règles internationales est donc désormais exercé à l'égard des
traités et règles communautaires, mais aussi du droit dérivé formé par les
règlements (CE, 24 septembre 1990, Boisdet) et les directives
communautaires (CE, 28 février 1992, SA Rothmans International France).
De manière plus générale, l'ensemble des règles internationales
s'impose en droit interne. C'est ainsi que la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a pu être
appliquée par le Conseil d'État (CE, 8 juin 1990, Chardonneau). Il est
d'ailleurs à remarquer que le Conseil d'État est non seulement en mesure
d'écarter un acte administratif non conforme à un traité, mais aussi d'en
prononcer l'annulation lorsqu'il est saisi d'un recours pour excès de pouvoir.
Toutefois, les juridictions françaises semblent ne pas vouloir exercer un
contrôle de conformité des lois aux traités internationaux lorsqu'elles
(les lois) se fondent sur la Constitution. Ainsi le Conseil d'État a refusé
d'y procéder au motif que, si l'article 55 de la Constitution prévoit le principe
d'une supériorité des traités sur les lois et les règlements, « la suprématie
ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans
l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » (CE, 30
octobre 1998, Sarran, Levacher et autres). La Cour de cassation a repris
l'affirmation (Cass. plén., 2 juin 2000).
B/- Les traités peuvent conduire à réviser la Constitution
Il existe deux écoles :
Pour les uns, la Constitution française demeure la clé de voûte du système
juridique et est supérieure aux traités
Pour les autres, l’ordre interne n’a pas de prééminence et lorsqu’il signe un
traité l’Etat abandonne une part de sa souveraineté.
L’équilibre est difficile à faire.
Comment reconnaître la supériorité des traités tout en maintenant un
rôle prééminent à la Constitution ? Le droit français entend aménager
une singulière compatibilité, puisqu'il propose de réviser le texte de la
Constitution afin que la règle internationale ne rentre pas en conflit
avec le texte fondateur de la République française. L'article 54 de la
Constitution prévoit que si le Conseil constitutionnel « a déclaré qu'un
engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,
l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause
ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution ». L'application du
texte conduit donc à une alternative :
- soit les gouvernants renoncent à l'adoption du traité ou s'efforcent de le
négocier à nouveau,
- soit ils entendent l'adopter mais doivent alors entreprendre au préalable
une révision de la Constitution.
Titre III : L’application des règles du droit
Chapitre 1 : Conditions d’application
Sect. 1 : La promulgation
Sect. 2 : La publication
Sect. 3 : La codification
Sect. 4 : L’abrogation
Chapitre 2 : L’application des règles dans le temps
Chapitre 3 : L’application des règles dans l’espace
Chapitre 4 : Les effets de l’application : le caractère coercitif
Sect. 1 : La nature de la sanction
Sect. 2 : Lois impératives et lois supplétives
Sect. 3 : Sanctions civiles et sanctions pénales
Sect. 4 : Le caractère dissuasif
Titre IV La contestation du droit : le procès
Chapitre 1 : L’organisation judiciaire
Chapitre 2 : Les grands principes de procédure :
Sect. 1 : procédure publique sauf huis clos
Sect. 2 : procédure contradictoire
Sect. 3 : procédure écrite et orale
Sect. 4 : procédure accusatoire
Chapitre 3 : La preuve
Titre III : L’application des règles du droit
Chapitre 1 : Conditions d’application
Les règles de droit ne deviennent pas obligatoires du seul fait qu’elles ont été
élaborées conformément aux procédures requises.
En principe, la règle n’a force obligatoire que si elle a été promulguée et
publiée. Peu importe en revanche qu’elle ait été ou non codifiée. Bien
qu’une règle ait vocation à s’appliquer , elle peut faire l’objet d’une
abrogation.
Sect. 1 : La promulgation : ordre d’exécution
Art. 1 C. civ. « Les lois sont exécutoires dans tout le territoire français, en vertu
de la promulgation qui en est faite par le Président de la République ».
La promulgation est l’acte par lequel le Président de la République authentifie
l’existence et la régularité de la loi et donne l’ordre de se conformer à ses
prescriptions.
Décret de promulgation dans les 15 jours de la transmission du texte voté au
Gouvernement. La date de la loi est celle de sa promulgation. Tant que la
promulgation ‘a pas eu lieu, la loi peut être soumise au Conseil
constitutionnel.
Sect. 2 : La publication : « nul n’est censé ignorer la loi »
La publication a pour objet de porter le texte à la connaissance du public
auquel il va s’appliquer.
Art 1 C. civ. « les lois seront exécutées dans chaque partie de la République,
du moment où la promulgation pourra en être connue. »
Jusqu’en 2004 : publication au JO; à partir de l’ord. du 20 février 2004, double
publication le même jour sur papier et sous forme électronique (y échappent
les actes individuels et les actes règlementaires définis par décret.)
Date d’entrée en vigueur de la loi : jusqu’en 2004, un jour franc après
publication au Jo et dans les arrondissements français, un jour franc après
l’arrivée du JO au chef-lieu de l’arrondissement (dérogations possibles).
Mais depuis 2004 « à la date qu’ils fixent ou, à défaut le lendemain de leur
publication ». Le système est plus rapide, mais i existe des reports
possibles.
Sect. 3 : La codification : moyen esthétique et commode, mais
non obligatoire de référence de la loi.
- Codification réformes de type Napoléonien
- Codification « à droit constant »
Sect. 4 : L’abrogation
- La permanence des textes sauf abrogation
- L’autorité compétente pour abroger
- Les formes de l’abrogation (express, tacite)
- Peut-il y avoir abrogation d’une loi par désuétude ? Non
Titre III : L’application des règles du droit

Chapitre 2 : L’application des règles dans le temps

Position du problème : Deux lois ayant le même objet ont été successivement
en vigueur et ont chacune vocation à s’appliquer à une situation donnée: il
en résulte un conflit entre la loi ancienne et la loi nouvelle, qu’il faut
résoudre en déterminant la loi qui régira effectivement la situation.

Résolution du problème
Article 2 du Code civil : «La loi ne dispose que pour l’avenir; elle n’a point
d’effet rétroactif.»
a) Interprétation classique : la théorie des droits acquis
- La doctrine du XIXe siècle interprète l’article 2 du Code civil en opposant les
droits acquis (auxquels la loi nouvelle ne peut porter atteinte) et les simples
expectatives (que la loi nouvelle peut modifier).
- Critiques : notions délicates à cerner ; esprit conservateur contraire à
l’application des réformes.
b) Interprétation moderne: la théorie de l’application immédiate
- Sous l’influence de Roubier (Les conflits de lois dans le temps, 1929), la
doctrine contemporaine distingue entre la non-rétroactivité de la loi nouvelle
et son application immédiate.
- Mais la loi nouvelle est parfois assortie de dispositions transitoires spéciales
qui fixent alors son application dans le temps, sans recours aux deux
principes généraux de solution.
Sect.1 : La loi n’a pas d’effet rétroactif
Principe induit de l’article 2 du Code civil (A) qui rencontre des exceptions (B).
A/- Le principe de non–rétroactivité
1/- Signification : Une loi ne doit pas être appliquée à des actes ou à des
faits qui se sont passés avant son entrée en vigueur, en vue de modifier ou
d’effacer les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne.
2/- Justification : Exigence de sécurité : la loi ne doit pas remettre en
question les situations réalisées conformément à une loi ancienne; la non-
rétroactivité de la loi pénale est une garantie de la liberté individuelle.
Impératif d’autorité : la loi perdrait toute force si ceux qui lui obéissent
n’étaient pas assurés qu’une autre loi ne reviendra pas sur leur situation.
3/- Portée : La règle de non-rétroactivité des lois est d’ordre public et peut
être soulevée d’office par le juge.
B/- Exceptions au principe de non-rétroactivité
1/- Sources
- Seul le Parlement a le pouvoir de voter des lois rétroactives dérogeant à
l’article 2 C. civ. ; sauf en matière pénale : le principe de non-rétroactivité a
valeur constitutionnelle en droit pénal.
- Le pouvoir exécutif ne peut pas édicter de règlements rétroactifs, car le
principe de non-rétroactivité est une garantie fondamentale des libertés
publiques (article 34 de la Constitution), donc entre dans le domaine de la
loi parlementaire.
- Le juge, soumis au législateur, doit appliquer l’article 2 du Code civil, donc
ne doit pas donner à une loi nouvelle un effet rétroactif.
2/- Les lois rétroactives
- Par disposition expresse : le Parlement peut décider de conférer
expressément à une loi un effet rétroactif ; soit pour faire face à des
situations de crise : exemple, en 1940 et 1944; soit pour élargir la portée
d’une réforme favorable au progrès social: exemple, en 1982 en matière
de filiation naturelle.
- Les lois interprétatives : si une loi intervient pour fixer le sens ambigu ou
obscur d’une loi antérieure, elle rétroagit au jour où la loi ancienne est
entrée en vigueur.
*Condition : la loi doit répondre à des motifs impérieux d’intérêt général.
* Fondement : principe de prééminence du droit (art. 6, Conv. EDH).
- Les lois pénales moins sévères, qui suppriment ou adoucissent une
peine, s’appliquent aux infractions commises antérieurement (art. 112-1, al.
3, C. pén.). Principe de rétroactivité douce (in mitiis).

Sect. 2 : La loi est d’application immédiate


Principe dégagé de l’article 2 du Code civil : «la loi ne dispose que pour
l’avenir... ».
A/- Le principe d’application immédiate
1/- Signification : Une loi nouvelle s’applique aux actes et faits qui se
produisent à compter de son entrée en vigueur.
2/- Justification :
- La loi nouvelle est meilleure que la loi ancienne, donc doit être appliquée
sans attendre y compris dans les instances en cours.
- La loi est générale, donc doit gouverner, à un instant donné, toutes les
situations juridiques identiques.
B/- La mise en œuvre du principe d’application immédiate
1/- Création des situations juridiques
- Une loi nouvelle ne s’applique pas aux situations déjà créées
conformément à la loi ancienne.
Motif : la loi n’a pas d’effet rétroactif.
- La loi nouvelle s’applique aux situations juridiques qui ne sont pas
encore créées.
Motif : la loi est d’application immédiate.
2/- Effets des situations juridiques
- La loi nouvelle s’applique aux situations juridiques non encore
créées.
Motif : la loi est d’application immédiate.
- La loi nouvelle s’applique aux effets futurs, c’est-à-dire postérieurs à
son entrée en vigueur, des situations créées avant son entrée en vigueur;
non à leurs effets passés (antérieurs à son entrée en vigueur).
Motifs : la loi est d’application immédiate, pour les effets futurs; elle n’est
pas rétroactive, pour les effets passés.
- La loi nouvelle ne s’applique pas aux effets futurs des situations
contractuelles établies avant son entrée en vigueur.
Solution : survie de la loi ancienne.
Motifs : diversité des situations contractuelles; prise en compte des
prévisions des parties.
Exception: application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs des
contrats antérieurs quand sont en jeu les intérêts essentiels de la société en
matière sociale (contrat de travail) ou monétaire (réglementation des
clauses d’indexation ; introduction de l’euro).
Titre IV La contestation du droit : le procès
Chapitre 1 : L’organisation judiciaire / la pyramide judiciaire

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