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LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ

PAR DES PHYSICIENS


Bernard Bonin
Préface d'Étienne Klein
Collection « Une Introduction à »
dirigée par Michèle Leduc et Michel Le Bellac

Le nucléaire expliqué
par des physiciens

Bernard Bonin
Préface de Étienne Klein

17, avenue du Hoggar


Parc d’activités de Courtabœuf, BP 112
91944 Les Ulis Cedex A, France
Dans la même collection
Les atomes froids
Erwan Jahier, préface de M. Leduc
ISBN : 978-2-7598-0440-5 • 160 pages • 20 €
Le laser
Fabien Bretenaker et Nicolas Treps, préface de C. H. Townes
ISBN : 978-2-7598-0517-4 • 180 pages • 20 €
Le monde quantique
Michel Le Bellac, préface d’A. Aspect
ISBN : 978-2-7598-0443-6 • 232 pages • 25 €
Les planètes : les nôtres et les autres
Thérèse Encrenaz, préface de J. Lequeux
ISBN : 978-2-7598-0444-3 • 192 pages • 22 €
Naissance, évolution et mort des étoiles
James Lequeux
ISBN : 978-2-7598-0638-6 • 162 pages • 20 €
Mathématiques des marchés financiers
Mathieu Le Bellac et Arnaud Viricel, préface de J.-P. Bouchaud
ISBN : 978-2-7598-0690-4 •200 pages •21 €

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Imprimé en France.

© 2012, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf,
91944 Les Ulis Cedex A

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ISBN 978-2-7598-0671-3
Docteur en sciences physiques, Bernard Bonin mène de 1979 à
1990, des recherches en physique nucléaire au CEA (Saclay), puis
s’oriente vers la physique des accélérateurs et la physique des
surfaces. De 1996 à 2000 il dirige un service de recherches et
d’études sur les déchets nucléaires à l’Institut de Protection et de
Sûreté Nucléaire. En 2000, il devient adjoint au Directeur de la
Recherche et du Développement à la COGEMA, intégré depuis au
groupe AREVA. Il est actuellement Directeur Scientifique adjoint
du pôle énergie nucléaire du CEA. Il est aussi professeur à l’Insti-
tut National des Sciences et Techniques Nucléaires, et membre du
comité scientifique de plusieurs instituts de recherche. Il est au-
diteur de l’Institut des Hautes Études Scientifiques et Techniques,
promotion Mandelbrot.
Remerciements

Ce livre est dédié à la mémoire de Paul Bonche, membre fondateur du Cercle d’études
sur l’énergie nucléaire et coordonnateur de la première version de ce livre.
Paul, nous espérons que tu aurais reconnu et apprécié cette seconde version du
livre du CESEN, Le nucléaire expliqué par des physiciens !
Table des matières

Remerciements v

Préface xiii

Avant-propos xv

LES MÉCANISMES PHYSIQUES DE LA RADIOACTIVITÉ 1

1 La radioactivité 3
1.1 La formation des noyaux atomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 L’histoire de l’atome, depuis l’idée jusqu’à la chose . . . . . . . . . . . . . 8
1.3 La découverte de la radioactivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

LA RADIOACTIVITÉ DANS L’ENVIRONNEMENT ET LE VIVANT 15

2 La radioactivité dans l’environnement 17


2.1 Mesures des rayonnements dans l’air ambiant : la douche cosmique . . 18
2.2 Un radionucléide cosmogénique : le carbone 14 . . . . . . . . . . . . . . 18
2.3 Les radionucléides de la croûte terrestre : uranium, thorium, potassium 19
2.4 Les radionucléides de l’atmosphère : le radon . . . . . . . . . . . . . . . . 20
2.5 Migration, dilution et reconcentration des radionucléides . . . . . . . . 23
2.6 Les rayonnements artificiels et l’environnement : les nuages
radioactifs des essais nucléaires militaires, et des accidents
de Tchernobyl et de Fukushima . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2.7 Les transferts de radionucléides entre les différents compartiments
de la biosphère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.8 Les rayonnements artificiels et l’environnement : les rejets de centrales 26
2.9 Les rejets des usines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

3 Les effets des rayonnements sur le vivant 29


3.1 Comment les rayonnements ionisants atteignent le vivant . . . . . . . . 30
3.2 L’ordre de grandeur des doses reçues par le public . . . . . . . . . . . . . 43
3.3 Les doses acceptables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
3.4 La toxicité relative de quelques radioéléments . . . . . . . . . . . . . . . 46
3.5 La radioactivité, un risque que l’on sait évaluer . . . . . . . . . . . . . . . 49
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

LES RÉACTEURS NUCLÉAIRES : CONCEPTION , FILIÈRES, SÛRETÉ 51

4 Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire 53


4.1 La réaction de fission et les réactions en chaîne . . . . . . . . . . . . . . . 54
4.2 Le principe des réacteurs nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
4.3 Flux neutronique et modération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
4.4 Stabilité et pilotage d’un réacteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

5 Les différentes filières de réacteurs 65


5.1 Le choix des filières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
5.2 Les réacteurs à eau sous pression (REP) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
5.3 Les réacteurs à eau bouillante (REB) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
5.4 Les réacteurs à eau lourde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
5.5 Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

6 La sûreté des réacteurs nucléaires 87


6.1 Le fonctionnement des circuits de refroidissement d’un réacteur . . . . 88
6.2 Les trois barrières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
6.3 Les circuits auxiliaires de sauvegarde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
6.4 Les scénarios d’accident . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
6.5 La relation homme-machine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
6.6 La sûreté des réacteurs de troisième génération . . . . . . . . . . . . . . 95
6.7 Comment évaluer la sûreté des centrales nucléaires françaises ? . . . . 96
6.8 Qui contrôle le fonctionnement des centrales nucléaires ? . . . . . . . . 100
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101

viii Table des matières


7 Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes
et leurs conséquences : Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima 103
7.1 Three Mile Island (1979) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
7.2 Tchernobyl (1986) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
7.3 Fukushima (2011) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
7.4 Les leçons tirées des accidents nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

LE CYCLE DU COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE : RESSOURCES , TRAITEMENT,


RECYCLAGE , DÉCHETS 123

8 Le « cycle du combustible » nucléaire 125

9 Uranium naturel, uranium enrichi 129


9.1 Extraction et conversion de l’uranium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
9.2 Les ressources en uranium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

10 Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur 143


10.1 L’assemblage de combustible nucléaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
10.2 Du combustible neuf au combustible usé : les transformations
de la matière nucléaire en réacteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

11 Le traitement-recyclage du combustible nucléaire 151


11.1 Les opérations de l’aval du cycle du combustible . . . . . . . . . . . . . . 151
11.2 Les flux de matière dans le cycle du combustible (exemple du parc
français) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
11.3 La gestion industrielle du cycle du combustible . . . . . . . . . . . . . . . 162
11.4 Les transports de matières nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
11.5 Bilan du traitement-recyclage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

12 La transmutation 169
12.1 L’objectif de la transmutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
12.2 Les éléments à transmuter en priorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
12.3 L’utilisation du plutonium dans les REP (le MOX) . . . . . . . . . . . . . 175
12.4 Les problèmes posés par le MOX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS ix


13 Les déchets nucléaires 179
13.1 Volumes et flux de déchets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
13.2 Une stratégie et des étapes pour la gestion des déchets . . . . . . . . . . 181
13.3 Conditionnement des déchets : des progrès continus . . . . . . . . . . . 183
13.4 Déchets et effluents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
13.5 Procédés de conditionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
13.6 Des conditionnements qui doivent résister à l’épreuve du temps . . . . 187
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

14 Le stockage géologique des déchets nucléaires 191


14.1 Le concept du stockage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
14.2 Le stockage profond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
14.3 La première barrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
14.4 La barrière ouvragée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
14.5 La barrière géologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
14.6 Les scénarios d’évolution et l’évaluation de l’impact d’un stockage . . . 199
14.7 Perspectives pour le stockage des déchets nucléaires . . . . . . . . . . . 204
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

LE NUCLÉAIRE DANS LE PANORAMA DES ÉNERGIES 207

15 Le nucléaire dans le panorama énergétique 209


15.1 L’énergie dans le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
15.2 Les réacteurs nucléaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216

16 L’économie du nucléaire 217


Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

LES OPTIONS DU FUTUR 221

17 Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible 223


17.1 De l’origine des espèces (de réacteurs). Filières . . . . . . . . . . . . . . . 223
17.2 Le cycle du combustible des systèmes nucléaires du futur :
quelques éléments d’orientation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
17.3 Plusieurs options possibles pour les réacteurs à neutrons rapides . . . . 232
17.4 De nouveaux critères pour les systèmes nucléaires du futur . . . . . . . 237
17.5 De nouvelles utilisations pour l’énergie nucléaire . . . . . . . . . . . . . . 240
17.6 Quelles recherches pour les systèmes nucléaires du futur ? . . . . . . . . 241

x Table des matières


17.7 Préparer le remplacement des réacteurs actuels par des réacteurs
de 3e puis de 4e génération, plus efficaces et plus sûrs . . . . . . . . . . 243
17.8 À encore plus long terme (le siècle) : le cycle du combustible thorium 254
17.9 Un jour peut-être : la fusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255

Glossaire-index 257

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS xi


Préface

Chacun peut observer que dans nos sociétés souvent dites « postmodernes », dès qu’il
est question de sciences ou de technologies, la cacophonie règne : toutes sortes d’ar-
guments empruntés à de multiples sources s’entremêlent, s’opposent, se radicalisent.
Les objets techniques se trouvent ainsi soumis à une polarisation affective de plus
en plus intense alors même qu’ils deviennent de plus en plus opaques pour les mor-
tels communs que nous sommes tous. Tout se passe comme si, par un « effet de
halo » 1 , ils rayonnaient autour d’eux une lumière symbolique dépassant leur réalité
propre, au point que nul d’entre nous ne peut plus prétendre qu’il les perçoit tels
qu’ils sont vraiment. Difficile, dans un tel contexte, de trouver les moyens qui évitent
de succomber aussi bien aux facilités de la techno-phobie qu’aux séductions de la
propagande opiacée. Difficile surtout de diffuser des connaissances scientifiques, car
les messages que l’on transmet ne sont pas des sortes de cours magistraux que l’on
donnerait dans une salle de classe où il y aurait les bons élèves et les cancres : ce
sont plutôt des armes distribuées sur une sorte de champ de bataille.
C’est sans doute la question générale du nucléaire qui, il y a plusieurs décen-
nies, a installé ce type de situation, du fait qu’elle entremêlait l’idée d’une révolution
scientifique majeure, celle d’une ressource énergétique considérable et aussi celle
d’une formidable puissance de mort. Tout récemment, vingt-cinq ans après celui de
Tchernobyl, l’accident de Fukushima est venu poser la question de savoir s’il faut
poursuivre ou non une politique nucléaire dans le domaine de l’énergie. Le débat
qui s’est ainsi ouvert est crucial. Dire qu’il n’est pas simple relève de la litote. Pour
l’aborder et y participer dans de bonnes conditions, mieux vaut être au fait de ce
en quoi consiste le nucléaire civil, depuis l’amont jusqu’à l’aval du cycle. D’où cet
ouvrage pédagogique écrit par des physiciens, dont le seul but est d’expliquer ce
que sont la radioactivité en général et la fission nucléaire en particulier, de présenter
les différents types de réacteurs, actuels ou à venir, et d’éclairer certaines questions

1
Gilbert Simondon, L’Imagination et l’invention, (1965-1966), Chatou, Les Éditions La Transparence,
2008, p. 234.
obligatoires qui se posent à notre génération : Que faire des déchets ? Peut-on conce-
voir un nucléaire plus sûr, plus sobre, plus propre ?
Lecture faite, chacun pourra ensuite se déterminer et prendre part au débat
général sur l’énergie, en meilleure connaissance de cause.

Étienne KLEIN

Étienne KLEIN est directeur de recherches au CEA et docteur en philosophie


des sciences. Il dirige actuellement le Laboratoire de Recherche sur les Sciences
de la Matière du CEA (LARSIM). Il a publié de nombreux ouvrages aux Editions
Flammarion.

xiv Préface
Avant-propos

L’ambition de ce livre est de donner à un large public les clés pour comprendre les
données et les enjeux de l’énergie nucléaire, à un moment où l’avenir de cette énergie
fait l’objet d’un débat de société majeur. Or, nous constatons que les arguments
du débat actuel dérivent dangereusement vers l’irrationnel. Il est indispensable de
revenir à la raison et à la science.
L’esprit dans lequel le livre a été écrit est celui de l’objectivité scientifique, autant
que faire se peut dans un domaine aussi controversé. Les auteurs sont des physiciens
du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives. Souvent spécia-
listes de domaines scientifiques pointus, ils ont souhaité acquérir une vue d’ensemble
sur le nucléaire, d’abord pour eux-mêmes, ensuite pour les autres quand ils ont réa-
lisé que leur effort de compréhension pouvait être utile à un public plus large. Leur
premier livre « Le nucléaire expliqué par des physiciens » ayant eu un certain succès
il y a dix ans, ils en entreprennent aujourd’hui une nouvelle édition réactualisée,
sous le même titre.
Pour se former une opinion sur les enjeux et les problèmes associés à l’utilisa-
tion du nucléaire, il est indispensable de connaître les phénomènes physiques sous-
jacents. Au fil des chapitres, nous verrons les noyaux atomiques se former dans les
étoiles, nous mesurerons dans notre environnement ceux qui sont encore radioactifs
et le rayonnement qu’ils produisent, anodin ou non suivant la dose ou l’exposition.
Enfin nous verrons comment l’Homme a domestiqué cette source nouvelle d’énergie,
pour le meilleur et pour le pire, selon son habitude immémoriale.
En ce qui concerne le nucléaire civil et plus particulièrement la production d’élec-
tricité, l’examen des principes de fonctionnement d’un réacteur selon les diverses
filières nous permettra d’aborder la question fondamentale de la sûreté : quels sont
les accidents possibles, quelles en sont les conséquences et comment les éviter ? Le
nucléaire civil a eu sa pierre noire : Tchernobyl, une catastrophe industrielle majeure
au point que le nom même en est devenu synonyme pour beaucoup. Nous verrons
les leçons qui en ont été tirées. Beaucoup reste à apprendre de l’accident japonais
de Fukushima, tant pour la sûreté des réacteurs eux-mêmes que pour la sécurité des
populations.
Un réacteur nucléaire n’est pas une entité isolée dans l’environnement, il fait
partie d’un cycle qui l’alimente en combustible et prend en charge le combustible usé.
De l’analyse de ce cycle ressortent deux nouvelles questions, qui ne sont d’ailleurs
pas propres au nucléaire : « comment consommons-nous les ressources naturelles ? »
et « que faisons-nous des déchets ? ». Ces deux questions peuvent être rassemblées
dans une troisième : « peut-on rendre le nucléaire durable ? ».
Le développement du nucléaire se heurte à la question des ressources naturelles
en atomes fissiles. Celles-ci sont rapidement épuisables si l’on en reste à la technolo-
gie des réacteurs actuels. À cette préoccupation répondent deux possibilités : soit la
filière des réacteurs à neutrons rapides où l’on brûle non seulement l’uranium 235
mais l’uranium 238 (140 fois plus abondant dans la nature soit quelques confortables
millénaires de ressources), soit le développement d’une filière au thorium dans un
futur plus lointain, avec là encore quelques millénaires de ressources. Le développe-
ment industriel de ces filières constituerait de véritables ruptures technologiques.
Du côté des déchets, la problématique est double là encore : choix de retraiter
ou non le combustible usé et devenir des déchets ultimes. Le retraitement, option
choisie en France, permet d’économiser les ressources en recyclant des noyaux fis-
siles, tout en réduisant la radiotoxicité des déchets finaux. Cependant, la constitution
de stocks de plutonium est un risque de cette approche. En ce qui concerne les dé-
chets à vie longue, plusieurs voies de recherche sont ouvertes sans qu’aucune d’elles
ne s’impose aujourd’hui : transmutation, entreposage, stockage ; aucune décision ne
doit être prise avant le terme du moratoire imposé par voie législative.
Quel avenir pour le nucléaire ?
Les préoccupations croissantes liées au changement climatique donnent des
atouts aux énergies qui produisent peu de gaz à effet de serre, comme les énergies
renouvelables et le nucléaire. L’augmentation du prix des hydrocarbures renforce
la compétitivité économique du nucléaire, malgré un surcoût probable induit par
des normes de sécurité renforcées. En outre, les besoins en énergie dans le monde
croissent rapidement, sous les effets conjugués de l’augmentation de la population
mondiale et du développement accéléré de pays très peuplés comme le Brésil, la
Chine et l’Inde. Ces pays annoncent leur intention de développer toutes les énergies,
nucléaire compris.
Jusqu’en mars 2011, ces facteurs conjugués créaient des conditions favorables à
une « renaissance » du nucléaire. Depuis, l’accident de Fukushima a rappelé que
le nucléaire n’était pas sans risque, ce qui a contribué à raviver l’opposition au
nucléaire. Malgré l’accident, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, ont réaffirmé
leurs plans de développement de cette énergie ; plusieurs autres, dont l’Allemagne,
ont annoncé au contraire leur intention de sortir du nucléaire via des importations
massives d’énergie, et un recours accru au charbon et aux énergies renouvelables.

xvi Avant-propos
Dans ce contexte, le débat sur l’énergie en général et sur le nucléaire en particulier
devient un véritable enjeu politique en Europe.
Voilà où nous en sommes en 2012. Peut-on concevoir un nucléaire plus sûr, plus
sobre, plus propre ? Le paysage est extrêmement riche et varié. Allant de la simple
adaptation d’équipements existants au développement de nouveaux concepts de ré-
acteur, les idées existent : optimisation différente du spectre de neutron, nouvelles
filières de combustible. . . Le parcours du lecteur sera parfois une simple promenade,
parfois une escalade plus difficile, mais le jeu en vaut la chandelle, tant pour son
information que pour mesurer l’enjeu des décisions à prendre au sujet du nucléaire
dans les décennies à venir. Celles-ci seront lourdes de conséquences pour nos enfants
et les générations futures : déchets maîtrisés ou à maîtriser, répercussions drama-
tiques ou non sur le climat (effet de serre), ressources énergétiques fossiles épuisées
en quelques générations. . . Quel jugement nos arrière-petits-enfants porteraient-ils
sur nous si nous leur laissions un monde plus difficile à vivre, avec l’une ou l’autre
de nos ressources actuelles épuisée ? Devront-ils apprendre dans un manuel scolaire
ce qu’étaient le pétrole, le gaz naturel ou l’uranium ? Et aussi ce qu’était le monde
avant les dérèglements climatiques produits par nos rejets inconsidérés de CO2 dans
l’atmosphère ?
Le débat est crucial. Nous sommes la première génération confrontée à de tels
choix, dont les répercussions dépassent les frontières d’un pays et pèseront long-
temps sur nos descendants.
Qu’il s’agisse de continuer le nucléaire, d’y renoncer ou de l’amplifier, nous avons
besoin pour choisir de voir loin dans l’espace et dans le temps – dans l’espace : à
l’échelle planétaire, au-delà d’un provincialisme étroit ; dans le temps : à l’échelle
du siècle sinon plus, de toute façon au-delà d’un mandat, électoral ou autre. Plus
que jamais, à une époque où les relations entre science et société se tendent, il
nous faut des décideurs éclairés et des citoyens bien informés. En alimentant le
débat, les auteurs de ce livre espèrent avoir été utiles, mais soyons honnêtes : cet
ouvrage ne suffira pas pour se forger une opinion de citoyen. Il faudra faire le même
travail pour les autres énergies, puis comparer, mesurer à l’aune du bien commun
les avantages et inconvénients de chacune, avant de donner un avis éclairé sur les
énergies à développer pour notre société.

Bernard B ONIN

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS xvii


Première partie

Les mécanismes physiques


de la radioactivité
1 La radioactivité

Étienne KLEIN

Nous autres les humains ne cohabitons consciemment avec la radioactivité que


depuis un peu plus d’un siècle. Mais en tant que phénomène physique, elle n’est
pas une affaire aussi récente. Elle a en effet fait ses premiers pas dans l’univers
primordial, il y a 13,7 milliards d’années. . . En quoi consiste-t-elle ? Comment est-
elle apparue ? Dans ce chapitre, nous nous proposons de raconter l’histoire de la
formation des noyaux atomiques, appelée « nucléosynthèse », puis nous évoquerons
la découverte de l’atome, et ensuite celle de la radioactivité proprement dite.

1 La formation des noyaux atomiques

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les physiciens nucléaires sont parvenus
à comprendre de façon très détaillée comment les noyaux∗ d’atomes se sont formés
au cours de l’histoire cosmique. Ce grand récit, qui mène depuis l’univers primordial
jusqu’aux entités qui constituent la matière d’aujourd’hui, n’est pas une morne friche
où pâtureraient des dates. Il apparaît au contraire plein de chocs, d’explosions, de
rebondissements, de jaillissements.
Lorsque sa température était d’environ un milliard de degrés et la densité compa-
rable à celle de l’air ambiant, l’univers était une sorte de grand chaudron cosmique,
capable d’engendrer des bribes d’édifices matériels, mais se refroidissant au rythme
de son expansion. Il y avait là les protons∗ , mais aussi les neutrons∗ , les électrons∗ et
les photons∗ , tous très agités, filant dans tous les sens et se percutant régulièrement.
Les photons, dont l’énergie était jusque-là suffisante pour briser systématiquement
l’union d’un proton avec un neutron, finirent par devenir trop mous pour y arriver :
les noyaux de deutérium, assemblages d’un proton et d’un neutron, commencèrent
donc à se former. Dès leur apparition, ces noyaux de deutérium purent fusionner par
paires, ou bien capturer à leur tour un proton, et ainsi former des noyaux d’hélium.
Les mariages de cette sorte allèrent alors bon train, mais ils n’étaient pas sys-
tématiques. Certains protons n’eurent pas l’occasion de rencontrer des partenaires
stables. Ils restèrent donc célibataires. Plus tard, ils servirent de noyaux à l’hydro-
gène, l’élément chimique le plus léger. Les mariages n’étaient pas non plus toujours
durables. Il y avait des passades, voire de simples rencontres sans suite : des noyaux
étaient formés qui ne survivaient que pendant des durées extrêmement courtes. Très
rapidement, victimes de leur instabilité, ils enclenchaient une procédure de sépara-
tion. Ils se scindaient en d’autres noyaux plus légers en émettant un rayonnement
caractéristique. En clair, ils étaient « radioactifs∗ ».
Mais pourquoi tant d’unions nucléaires furent-elles éphémères ? Un noyau
d’atome est constitué de protons et de neutrons agglutinés. Qu’est-ce qui les tient
ensemble ? Une force bien sûr, une force attractive très intense, mais de portée très
courte (de l’ordre du fermi, soit 10−15 mètre). Cette force s’appelle l’interaction
nucléaire forte. Elle agit comme une sorte de glu qui colle deux nucléons (proton ou
neutron, peu importe pour elle) en contact l’un avec l’autre, mais dont la force s’af-
faiblit très rapidement dès qu’on les écarte un tant soit peu l’un de l’autre. Comme
son nom l’indique, elle est incroyablement puissante. Elle est par exemple capable
d’arrêter, sur quelques millionièmes de milliardième de mètres, un proton lancé à
cent mille kilomètres par seconde. . .
Mais une autre force, antagoniste de la force nucléaire, agit également au sein
des noyaux. C’est la répulsion électrique qui tend à repousser deux particules dont
les charges électriques sont de même signe. Les protons sont chargés positivement.
Ils se repoussent donc les uns les autres. En revanche, les neutrons, qui sont élec-
triquement neutres, ne subissent pas la force électrique. Quand les noyaux se sont
formés, au tout début de l’univers, l’agitation des nucléons était telle que des ky-
rielles d’assemblages très divers ont pu facilement se former. Mais tous n’étaient pas
également stables. Deux cas de figure pouvaient se rencontrer :
– premier cas : le nombre de protons et de neutrons dans l’assemblage était
tel que la force nucléaire forte et la répulsion électrique se compensaient
exactement ; le noyau ainsi formé était alors stable et allait le rester ;
– second cas : le noyau formé n’était pas stable au sens propre du terme, mais il
se maintenait pendant une durée limitée avant de se désintégrer pour former
un ou plusieurs autres noyaux plus légers avec émission de rayonnement. Ce
temps dépendait du déséquilibre entre les deux forces : plus celui-ci était
important et plus la durée de vie du noyau était faible.

4 Chapitre 1. La radioactivité
Au bout de trois minutes de ce petit jeu de chocs, de mariages et de ruptures, on
pouvait trouver dans l’univers des noyaux d’hydrogène et de deutérium, des noyaux
d’hélium 4 et d’infimes traces d’hélium 3, et également du lithium 7 et du béryllium 7.
Mais rien d’autre : il n’y avait ni carbone, ni oxygène, ni noyaux lourds. L’ascension
vers la complexité s’était soudainement bloquée. Il y avait une explication à cela :
après quelques minutes, l’univers était déjà tellement dilué par son expansion que
les particules (noyaux ou nucléons), trop éloignées les unes des autres, n’avaient plus
la possibilité de se rencontrer et de former des noyaux plus gros. Plus de rencontres,
plus de mariages, donc arrêt des réactions nucléaires. Mais les choses n’en sont pas
restées là. Car bien plus tard, en mettant en route les étoiles, l’univers a permis la
formation des éléments plus lourds.
Laissons s’écouler un milliard d’années pendant lesquelles il ne s’est presque rien
passé en matière de nucléosynthèse. Seul événement capital : la gravité a fait germer
des semences de galaxies. Des nuages gazeux d’hydrogène et d’hélium, des centaines
de milliards de fois plus massifs que le Soleil, s’effondrent alors sous l’effet de leur
propre poids et se fractionnent en des centaines de milliards de petits nuages gazeux
dont la masse varie d’un dixième jusqu’à une centaine de fois la masse du Soleil.
Par effet de gravité, ces nuages s’effondrent à leur tour, transformant ainsi l’énergie
gravitationnelle en chaleur. La densité dans leur cœur augmente furieusement et
la température atteint bientôt une dizaine de millions de degrés. Au cœur de ces
grosses boules gazeuses, les noyaux d’hydrogène s’entrechoquent, donnant lieu à
des réactions de fusion nucléaire qui libèrent de l’énergie sous forme de divers
rayonnements. Les boules gazeuses cessent alors de se contracter, leur volume se
stabilise : c’est la naissance des premières étoiles, qui vont fabriquer les éléments
plus lourds que l’hélium ou le béryllium.
Mais comment les étoiles fonctionnent-elles ? Une étoile est une sphère de gaz
chaud dont la cohésion résulte de l’attraction gravitationnelle, qui tend à rappro-
cher le plus possible ses particules les unes des autres. Elle ne s’effondre pas sur
elle-même, car partout la pression du gaz joue contre l’action de la gravité. Pour
que cet équilibre soit stable, il faut que la pression augmente régulièrement avec
la profondeur, de sorte que chaque couche soit en équilibre entre une couche plus
comprimée et une autre qui l’est moins. Comme un gaz comprimé s’échauffe, la ma-
tière stellaire est d’autant plus chaude qu’elle est profonde, et donc que sa pression
est grande. Ce déséquilibre des températures entre le cœur et la surface engendre
un transfert d’énergie qui prélève l’excès d’énergie thermique des régions chaudes
centrales pour le céder aux régions moins chaudes de surface. En surface, ce flux
d’énergie s’échappe, puis se dilue sous forme de rayonnement : l’étoile peut briller
de façon continue.
Prenons l’exemple d’une étoile vingt-cinq fois plus massive que le Soleil (seules
les étoiles dont la masse est supérieure à dix fois celle du Soleil ont le cœur assez

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 5


chaud pour mener à son terme la fabrication des éléments lourds). L’étoile épuise
progressivement sa réserve d’hydrogène dans son cœur en la convertissant en hé-
lium. Elle ne lésine pas sur les quantités : à chaque seconde, elle convertit ainsi
plusieurs milliards de tonnes de protons. Au bout de sept millions d’années, tout le
carburant d’hydrogène est consommé. Les réactions nucléaires ne venant plus com-
penser les pertes par rayonnement, l’étoile doit puiser dans son énergie potentielle
gravitationnelle : elle se contracte donc. Sa température monte jusqu’à une centaine
de millions de degrés. Là, les noyaux d’hélium produits par la combustion de l’hy-
drogène se groupent par paquets de trois pour former des noyaux de carbone 12,
ceux-là mêmes que l’on trouve aujourd’hui dans les arbres, les vaches, les pages des
livres et jusque dans nos propres corps.
Grâce aux étoiles, l’univers échappait ainsi à la stérilité. Son cheminement vers
la complexité pouvait reprendre en s’accélérant. La combustion de l’hélium en car-
bone ne va durer que cinq cents mille ans. À la fin de cette époque, le cœur de
l’étoile se contracte à nouveau pour résister à la gravité. La température atteint cinq
cents millions de degrés. La combustion du carbone peut commencer. Naissent alors
l’oxygène, le néon, le phosphore et le soufre ou encore le silicium.
La même séquence d’événements va se répéter plusieurs fois : lorsqu’un com-
bustible s’épuise, le cœur de l’étoile se contracte, devient plus dense et plus chaud.
Un nouveau combustible, plus lourd que le précédent, se consume, engendrant de
nouveaux éléments, et ainsi de suite. Les événements vont en s’accélérant, les cycles
prennent de moins en moins de temps. L’étoile produit ses fournées en augmentant
la cadence. La combustion du carbone dure six cents ans, celle du néon un an, celle
de l’oxygène six mois et tout le silicium brûle en une journée. Plus d’une vingtaine
de nouveaux éléments chimiques voient le jour en cinq cents mille ans. L’étoile pour-
suit ainsi son évolution jusqu’à l’apparition du fer 56, formé de 26 protons et de
30 neutrons. Là, les choses se compliquent, car le fer 56, qui est celui dans lequel
les nucléons sont le plus liés, ne se combine avec d’autres noyaux que si on lui four-
nit de l’énergie. L’énergie nécessaire à la combustion du fer n’étant pas disponible,
les réactions nucléaires s’arrêtent faute de combustible. Mais ce n’est pas la fin de
l’histoire.
Pour faire sortir les produits de cuisson de l’intérieur d’une étoile, la nature n’y
va pas avec le dos de la cuiller : elle fait carrément exploser l’étoile. Au terme des
réactions nucléaires, le cœur de l’étoile s’effondre. Son rayon passe en l’espace de
quelques secondes d’un rayon de mille kilomètres à quelques dizaines de kilomètres.
Si l’on se représente une étoile comme une bulle de chewing-gum, cette phase ca-
taclysmique correspond à la contraction brutale et sonore de ladite bulle. Cette fois
la température est si forte que les photons peuvent briser une partie des noyaux
de fer. La perte de l’énergie lumineuse ainsi utilisée diminue la pression centrale et
précipite l’effondrement du cœur, attisé par la capture des électrons par les noyaux

6 Chapitre 1. La radioactivité
qui transforme les protons en neutrons. Ces réactions nucléaires s’accompagnent de
l’émission de neutrinos, qui emportent la phénoménale énergie gravitationnelle dé-
gagée par la contraction. Le cœur de l’étoile, désormais constitué de neutrons, se
réduit à une petite sphère d’une dizaine de kilomètres de diamètre, sur la surface
de laquelle le reste de l’étoile en effondrement vient s’écraser. La compression qui
en résulte produit une onde de choc qui remonte au travers des couches externes de
l’étoile. Son passage chauffe la matière à des températures supérieures au milliard de
degrés, les réactions nucléaires s’emballent, produisent des éléments lourds, notam-
ment du nickel et du cobalt. Quand l’onde de choc atteint la surface, la température
s’élève brutalement et l’étoile entière explose, éjectant les éléments qui la composent
à des vitesses pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par se-
conde. Cet événement, appelé « supernova de type II », marque la mort d’une étoile
massive. Ses lambeaux fertilisés en éléments chimiques, parmi lesquels l’uranium ou
le thorium, se dispersent, colonisent l’espace.
Certains des atomes ainsi créés se retrouvent dans nos propres corps. Nous
sommes donc les fruits vivants des étoiles, qui sont elles-mêmes « le fruit doré d’un
arbre hors d’atteinte » (George Eliot).

Encadré 1.1. Qu’est-ce qu’un isotope ?


Tout noyau atomique est constitué de nucléons, c’est-à-dire de protons, chargés positivement,
et de neutrons, de charge électrique nulle. Le nombre de protons dans un noyau s’appelle le
numéro atomique et est en général noté Z. Quant au nombre de neutrons, il est désigné par
N. La somme Z + N, appelée nombre de masse et notée A, représente donc le nombre total
de nucléons contenus au sein d’un noyau.
Dans l’atome, électriquement neutre par nature, le nombre d’électrons autour du noyau
est égal à celui des protons dans le noyau, c’est-à-dire au numéro atomique Z. Ce dernier
doit son importance particulière au fait que tous les atomes contenant un même nombre de
protons (de même Z) possèdent les mêmes propriétés chimiques. Ils constituent ce qu’on
appelle un élément chimique. L’élément hydrogène correspond ainsi aux atomes contenant
un seul proton, le soufre à ceux qui en contiennent 16, l’uranium à ceux qui en contiennent
92. Chaque élément chimique, dûment étiqueté par son numéro atomique, peut ainsi avoir
sa place réservée dans le tableau périodique des éléments.
Mais tous les atomes correspondant à un même élément chimique (même Z) ne
contiennent pas nécessairement le même nombre total de nucléons. C’est précisément cette
largesse qui permet l’existence des isotopes∗ . Prenons à nouveau l’exemple de l’hydrogène,
constitué d’atomes ayant un seul proton. Ils peuvent contenir 0, 1 ou 2 neutrons. Puisqu’ils
partagent la même place dans la classification périodique des éléments (celle correspondant
au numéro atomique égal à l’unité), on dit qu’ils sont les isotopes de l’hydrogène (du grec
isos, qui veut dire « même », et topos, qui signifie « lieu »).
Si les isotopes d’un même élément donnent lieu aux mêmes réactions chimiques, c’est
parce que celles-ci ne concernent que le cortège formé par les électrons, qui est pratiquement
identique pour tous les atomes de même numéro atomique. Mais, n’ayant pas le même

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 7


nombre de neutrons, ils n’ont pas tous la même masse, ni surtout les mêmes propriétés
nucléaires. Certains peuvent être radioactifs, d’autres non. Lorsque l’on parle d’un noyau,
il est donc essentiel de préciser son nom. La dénomination courante consiste à faire suivre
son nom chimique, par exemple le carbone, du nombre total de nucléons A de son noyau :
carbone 12 (6 protons, 6 neutrons), noté 12 C, carbone 14 (6 protons, 8 neutrons), noté 14 C.
Le carbone 12 est stable et le carbone 14 est radioactif.

2 L’histoire de l’atome, depuis l’idée jusqu’à la chose

L’idée d’atome a mis du temps pour s’imposer. Au cours de l’Antiquité grecque,


Démocrite, Épicure et, plus tard, Lucrèce firent l’hypothèse que la matière ne pouvait
être divisée à l’infini. Tout processus de division des corps, expliquaient-ils, doit
avoir un terme. Cette limite au-delà de laquelle plus aucune coupure n’est possible,
ils l’appelèrent l’atome. L’atome, selon l’étymologie grecque, c’est en effet l’élément
insécable, indivisible (a-tomos), celui qui ne peut être morcelé en objets plus petits
que lui-même, même par la pensée.
Selon la conception de ces brillants pionniers, les atomes étaient en nombre illi-
mité et séparés les uns des autres par du vide. Ces petits êtres invisibles, supposés
éternels, indestructibles et pleins, ne cessaient de se mouvoir. Ils étaient en quelque
sorte infatigables : aucun repos ne leur était d’ailleurs accordé. Leur inlassable agi-
tation était source de toute chose. De la même façon que les mots se composent de
lettres, les atomes formaient, par leurs chocs mutuels, les divers agrégats matériels
observables. Tous les édifices qu’ils composaient, vivants ou non, étaient voués à se
décomposer, à se désagréger, finalement à disparaître. Mais – point capital – rien
ne pouvait altérer ou modifier la nature des atomes eux-mêmes. Présents depuis
toujours, ceux-ci n’avaient pas d’âge et pas d’histoire. Inaltérables, ils ne s’érodaient
d’aucune façon. Refuges de l’éternité, ils ne mouraient jamais, comme à l’abri du
temps et de ses raclures.
Cette thèse atomiste n’a pas immédiatement convaincu. Pour s’en moquer, cer-
tains philosophes du XXe siècle l’appelèrent la « doctrine des chosettes » ou la « méta-
physique de la poussière ». Lui furent longtemps préférées les conceptions opposées
du grand Aristote et de ses zélotes qui défendaient l’idée que la matière était conti-
nue, c’est-à-dire indéfiniment divisible, et donc que les atomes ne pouvaient exister
(étymologiquement, un atome qu’on peut diviser n’est plus un atome). Entre ceux qui
croyaient à l’atome et ceux qui n’y croyaient pas, l’affrontement fut rude, ponctué
toutefois de hautes envolées philosophiques. Mais la bataille fut assez rapidement
tranchée. L’atome fut disqualifié par toutes sortes d’arguments, notamment parce
que le vide dans lequel ils étaient censés se déplacer ne devait pas pouvoir exister.

8 Chapitre 1. La radioactivité
Ce qui a définitivement convaincu les physiciens de l’existence bien réelle des
atomes, c’est une expérience menée au tout début du XXe siècle, concernant un
phénomène en apparence insignifiant, le mouvement brownien. C’est ainsi qu’on
qualifie le mouvement de nombreuses particules qui s’agitent dans un fluide de
façon aléatoire. Versant des grains de pollen, qui sont minuscules, dans une goutte
d’eau, on observe au microscope que ces grains décrivent des trajectoires folles,
apparemment guidées par le seul hasard. Mais en fait, la dynamique de ces grains
obéit à une loi : ni leur vitesse ni leur direction ne sont de purs caprices. Elles
reflètent d’autres mouvements qui se produisent au sein même de l’eau. Les grains
de pollen sont comme des bouées visibles révélant le mouvement des vagues qui,
lui, demeure invisible. Ce mouvement caché et désordonné n’est autre que celui des
molécules d’eau qui heurtent en tous sens les grains de pollen, les obligeant sans
cesse à changer de direction. La réalité des molécules, et donc des atomes, encore
contestée au tout début du XXe siècle, sembla ainsi démontrée, aux alentours de
1906, grâce aux mesures faites par Jean Perrin.
La vision de l’atome était alors à peu près conforme au discours des Anciens,
celle d’entités élémentaires indivisibles. Mais c’était un peu trop naïf, comme on s’en
aperçut bien vite.
En 1908, Ernest Rutherford, aidé par son collègue Hans Geiger, fit fonctionner
le premier compteur permettant de détecter les particules α∗ une à une. Grâce à
cet appareil (l’ancêtre des compteurs Geiger), il parvint à identifier la nature de ces
particules, jusque-là inconnue : « les particules α, écrit-il, sont des atomes d’hélium,
ou, pour être plus précis, une fois qu’elles ont perdu leur charge électrique positive, elles
deviennent des atomes d’hélium. »
Celui qu’on surnomme « l’Aigle de Manchester » a alors l’étrange idée de bom-
barder de minces feuilles métalliques, d’or ou d’aluminium, avec des particules α.
Il observe que l’image que les particules forment sur un écran disposé derrière les
feuilles devient floue, comme si certaines particules avaient été déviées lors de leur
passage au travers des feuilles. D’où pouvaient provenir ces déviations ? Étaient-elles
l’effet cumulatif de multiples petites déviations s’ajoutant les unes aux autres, ou
résultaient-elles d’une déviation unique ? Intrigué, Rutherford demande à l’un de
ses étudiants, Ernst Mardsen, de regarder si quelques particules ne seraient pas dé-
viées avec de très grands angles. Ô surprise ! Mardsen constate qu’une sur dix mille
environ rebondit sur la feuille métallique et que certaines font même carrément
demi-tour !
Stupéfait – a-t-on jamais vu une balle de fusil rebondir sur une feuille de pa-
pier ? –, Rutherford réfléchit longuement et arrive, au début de l’année 1911, à une
conclusion qu’il juge inéluctable : pour qu’une particule α revienne en arrière, il faut
qu’elle subisse une très grande poussée de la part d’un objet suffisamment massif, et
cela au cours d’un choc unique, car il est impossible de comprendre le phénomène

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 9


par l’addition de plusieurs petites déviations (dans ce cas, le nombre de particules
déviées vers l’arrière serait beaucoup plus faible que celui mesuré). Rutherford com-
prend en somme qu’il existe des points durs, beaucoup plus petits que les atomes,
tapis au sein même de la matière. L’atome ne peut donc être qu’un édifice composite,
constitué d’une part d’un noyau très dense et d’autre part d’électrons qui s’agitent au-
tour de lui. Rutherford comprend en outre que les noyaux des atomes portent tous
une charge électrique positive. Dès lors, les résultats de son expérience deviennent
simplement interprétables : les noyaux présents dans la feuille métallique repoussent
rageusement les particules chargées positivement qui passent trop près d’eux, mais
laissent tranquilles celles qui passent « au loin ». Comme les particules sont beau-
coup plus petites que la distance qui sépare deux noyaux, la plupart des particules
traversent l’obstacle quasiment sans encombre, mais un petit nombre d’entre elles
« tombent » sur un noyau et ricochent violemment sur lui.
L’atome étant constitué d’un noyau et d’électrons, il n’est ni élémentaire ni indivi-
sible, contrairement à ce que pensaient les philosophes grecs. Après vingt-cinq siècles
d’attente, grâce à Rutherford, il a donc fini par s’émanciper de son étymologie.
Sans vouloir trop nuancer leur immense mérite, ajoutons que nos brillants An-
ciens s’étaient également trompés à propos de la longévité des atomes. Les premiers
atomistes la croyaient infinie. En fait, les atomes ne sont pas éternels. Ils n’étaient
pas là au tout début de l’univers, ils ont donc eu une genèse. Comme nous l’avons
vu, on sait aujourd’hui qu’ils ont un âge et une histoire. La plupart d’entre eux ont
été fabriqués dans les étoiles grâce au jeu compliqué des forces nucléaires.
Bref, l’atome, le vrai, n’a presque rien en commun avec la conception ancienne,
si ce n’est le nom, qui lui-même est impropre. L’idée des premiers atomistes était
globalement bonne, géniale même, mais tout à fait fausse dans les détails. Du coup,
la définition de l’atome a dû être changée. On le définit aujourd’hui comme le terme
ultime de la division de la matière dans lequel les éléments chimiques conservent
leur individualité.

3 La découverte de la radioactivité
Les atomes ne sont pas éternels, nous venons de le dire. Certains d’entre eux, les
atomes radioactifs, ne sont même pas immortels. Ils sont irrémédiablement voués à
se transformer. La radioactivité fut découverte à Paris au début de l’année 1896. Un
physicien français, Henri Becquerel, cherchait à savoir si la fluorescence (aussi appe-
lée phosphorescence) de certains corps s’accompagnait d’une émission de rayons X,
ces rayons invisibles à l’œil et capables de traverser des épaisseurs importantes de
matière, dont l’existence venait d’être révélée en Allemagne par Wilhelm Röntgen.
Henri Becquerel, lui, s’intéressait depuis longtemps à la phosphorescence, ce phéno-
mène par lequel certains corps qu’on a éclairés se mettent à émettre de la lumière

10 Chapitre 1. La radioactivité
pendant une durée plus ou moins longue. Reprenant une suggestion de son ami
Henri Poincaré, il se demanda si certains corps phosphorescents n’émettaient pas, en
plus de leur lumière habituelle, quelques-uns de ces fameux rayons X. La phosphores-
cence et l’émission de rayons X étaient peut-être des phénomènes associés ? Pour en
avoir le cœur net, il prit un sel phosphorescent dans lequel se trouvaient des compo-
sés de potassium et d’uranium, le plaça sur une plaque photographique enveloppée
de deux feuilles de papier noir bien épais, puis exposa le tout au Soleil pendant plu-
sieurs heures. C’était le 24 février 1896. Il développa la plaque et reconnut, en noir
sur le cliché, la silhouette de la substance phosphorescente. Une partie des rayons
émis par le sel avait bien traversé les feuilles de papier noir et impressionné la plaque
photographique ! Peut-être s’agissait-il bel et bien de rayons X ?
Pourtant, le vrai coup de théâtre n’était pas là. Le 1er mars, après quelques jours
de ciel couvert sur Paris, le même noircissement de la plaque photographique fut ob-
servé par Becquerel, qui eut le génie de la développer bien que le sel phosphorescent
n’eut pas été exposé au Soleil. Les rayonnements invisibles étaient donc émis même
sans excitation lumineuse préalable. . . ! S’il s’agissait de phosphorescence, celle-ci
n’avait donc vraiment rien à voir avec la phosphorescence ordinaire. Par la suite,
Becquerel constata avec stupeur que l’intensité des rayonnements invisibles ne sem-
blait pas diminuer au cours du temps. Le 18 mai, il découvrit que des sels d’uranium
non phosphorescents émettent également ces rayonnements. Il fit le pari que cet effet
était dû à la seule présence de l’élément uranium dans ces sels, et donc que le mé-
tal donnerait des effets plus intenses que ses composés. L’expérience confirma cette
prévision. C’était la matière elle-même qui était à l’origine de ces curieux rayons ! Le
Soleil n’avait rien à voir dans cette affaire, ni aucune autre cause extérieure. Il ne
s’agissait donc pas de phosphorescence, mais d’un phénomène spontané. . . !
En 1898, une toute jeune femme venue de Pologne, Marie Curie, commença un
travail de thèse de doctorat sur les rayons émis par l’uranium. Elle croyait ferme-
ment en l’existence de l’atome, contrairement à beaucoup de physiciens français qui
ne voyaient encore en lui qu’une hypothèse inutile, qu’une billevesée non prouvée
par l’observation directe. Elle découvrit rapidement que les minéraux contenant de
l’uranium, telle la pechblende, émettaient encore plus de rayonnements que l’ura-
nium lui-même. Elle en déduisit que ces substances contenaient, en très petite quan-
tité, un élément beaucoup plus actif que l’uranium. Avec l’aide de son mari, elle
parvint à isoler l’élément radioactif encore inconnu, le radium, et à en déterminer
les propriétés.
Ce fut à cette occasion que Marie Curie inventa le mot radioactivité. À masse
égale, le radium émet 1,4 million de fois plus de rayonnements que l’uranium.
La découverte de la radioactivité fut pour les physiciens un formidable coup de
théâtre. Jusqu’alors, ils s’étaient persuadés que la matière était stable et immuable,
et que les atomes, s’ils existaient, étaient nécessairement immortels. Ils comprirent

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 11


brutalement que cela n’était pas toujours vrai. Certains atomes se transmutent spon-
tanément, c’est-à-dire se transforment en d’autres atomes au bout d’un certain temps
en émettant des rayonnements. Ces atomes-là ont donc non seulement un âge, mais
aussi une fin. Pour eux, du temps passe, qui les porte irrémédiablement à disparaître,
du moins à se transformer en d’autres atomes plus légers.
Les rayonnements issus de la radioactivité ne nous sont pas directement percep-
tibles. C’est leur côté sournois. Ils sont invisibles, inaudibles, inodores et donc diffi-
ciles à étudier de façon directe. Pourtant, très vite, grâce à de petits montages expéri-
mentaux, on a constaté que certains des rayonnements émis par les atomes radioac-
tifs sont très facilement absorbés par la matière. Ce sont les rayons α. D’autres, plus
pénétrants, sont facilement déviés par un champ magnétique. Ce sont les rayons β ∗ .
Un peu plus tard, on a découvert qu’il y avait également des rayonnements très
pénétrants, impossibles à dévier par un champ magnétique. Ce sont les rayons γ∗ .
Les choses devinrent plus limpides lorsqu’on comprit, dans les années 1930, que
tout noyau d’atome est composé de protons et de neutrons très fortement soudés
les uns aux autres par la force nucléaire. Prenons le cas de la radioactivité α. Elle
correspond à l’émission de particules du même nom, qui sont des noyaux d’hélium 4,
constitués de deux protons et de deux neutrons très solidement liés les uns aux
autres. Elle permet à certains noyaux trop riches en protons et en neutrons d’évacuer
leurs excédents.
Quant à la radioactivité β, elle concerne les noyaux qui, trop riches en neutrons
pour être stables, finissent par augmenter leur cohésion en émettant un électron.
Dans un premier temps, ce phénomène sembla inexplicable : puisque les noyaux ne
contiennent pas d’électrons, comment parviennent-ils à en émettre ? Le plus simple
pour un noyau trop riche en neutrons ne serait-il pas d’en perdre un spontanément ?
Non, car ce processus ne serait pas rentable d’un point de vue énergétique : le nou-
veau noyau et le neutron émis seraient au total plus lourds que le noyau de départ.
Les noyaux contenant trop de neutrons doivent donc recourir à un artifice plus indi-
rect. Celui-ci consiste à changer l’un de leurs neutrons en un proton supplémentaire.
Lors de cette transformation, un électron est créé pour conserver la charge électrique
et c’est lui que l’on voit sortir du noyau. Quoi qu’en dise notre bon sens, un noyau
peut donc émettre une particule qu’il ne contient pas.
Venons-en à la radioactivité γ. Elle consiste en l’émission par certains noyaux de
rayons γ, c’est-à-dire d’un rayonnement électromagnétique de même nature que la
lumière, mais de très haute énergie, plus grande encore que celle des rayons X. Ces
rayons forment une lumière que nos yeux ne voient pas directement. En général, ils
sont émis après une émission α ou β, lorsque le nouveau noyau formé est encore
excité, c’est-à-dire quand la désintégration n’a pas permis l’évacuation de toute l’éner-
gie excédentaire contenue dans le noyau instable de départ. Le trop-plein d’énergie
est alors évacué sous la forme d’un rayon γ spontanément créé, sans que cela change

12 Chapitre 1. La radioactivité
la composition du noyau en neutrons et protons, ceux-ci ne faisant que se réorgani-
ser au sein du noyau. Ici, contrairement à ce qui se passe pour les radioactivités α
et β, l’élément chimique concerné n’est pas modifié. Il n’y a pas de transmutation
proprement dite.
À quel rythme l’énergie des rayons produits par la radioactivité est-elle émise ? La
réponse à cette question vint de Montréal où Ernest Rutherford et Frédérick Soddy
montrèrent expérimentalement, en 1902, que la radioactivité est une transmutation
spontanée d’un élément chimique en un autre avec émission de rayonnement. Ces
transmutations ont lieu plus ou moins rapidement, selon un temps caractéristique
appelé la période radioactive de l’atome radioactif. Imaginons une population, très
nombreuse, d’atomes radioactifs, tous identiques : la période de cette population est
égale, par définition, à la durée au bout de laquelle la moitié des atomes qui la consti-
tuent au départ se seront transmutés en d’autres éléments ; après une deuxième pé-
riode, la population restante est à nouveau divisée par deux et vaut donc le quart du
nombre initial, et ainsi de suite. La période∗ d’un atome radioactif donné est indépen-
dante de l’environnement physique ou chimique de celui-ci. Rien ne semble pouvoir
la modifier.
Par ailleurs, la période n’a de valeur que d’un point de vue statistique : elle
indique seulement comment les choses se passent « en moyenne ». En particulier,
elle ne dit rien du moment exact où chaque atome radioactif va, individuellement,
se désintégrer. Et pour cause : cet instant est rigoureusement aléatoire, et donc
impossible à prévoir de façon certaine. Autrement dit, si chaque atome radioactif
est condamné, de par sa seule nature, à se transformer en un autre atome, nul ne
sait quand il le fera. La seule chose que l’on puisse dire en ce qui le concerne, c’est
qu’il y a une chance sur deux qu’il ait disparu lorsqu’une durée égale à une période se
sera écoulée. Cette période peut s’étendre, selon les atomes radioactifs, de quelques
fractions de seconde, comme c’est le cas pour le polonium 212 dont la période
est de 3 × 10−7 seconde, à plusieurs milliards d’années, comme c’est le cas pour
l’uranium 238 dont la période est proche de 5 milliards d’années. Certaines périodes
sont même beaucoup plus grandes encore. Ainsi, le tellure 128 a une période de
1,5 × 1024 ans, soit cent mille milliards de milliards de fois l’âge de l’univers. . .
Comme on l’a vu, la radioactivité, sous ses divers modes, a joué un rôle essentiel
dans l’organisation de la matière. Elle imprègne tout l’univers et donc l’environne-
ment de notre planète, aussi bien l’air qui compose son atmosphère que ses sols et
nos propres corps, qui sont tous naturellement radioactifs !
Est qualifiée de « naturelle » la radioactivité que nous rencontrons dans. . . la na-
ture. Celle-ci est due à des éléments radioactifs de longue durée, formés dans les
étoiles, qui n’ont pas encore trouvé leur état le plus stable : ils finiront par se trans-
former, engendrant des descendants de période plus courte, pour finalement abou-
tir à des éléments stables. Est qualifiée « d’artificielle » la radioactivité qui provient

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 13


d’éléments qui n’existent plus dans la nature et que l’homme a lui-même fabriqués.
Il s’agit en fait de la même radioactivité que la « naturelle », régie par les mêmes lois
physiques, mais avec des périodes en général beaucoup plus courtes.
Ce sont Irène et Frédéric Joliot-Curie qui ont découvert la radioactivité artificielle
en 1933. Ils ont montré que les noyaux des atomes n’étaient pas indestructibles.
En les bombardant judicieusement, on peut les « transmuter », c’est-à-dire modifier
leurs effectifs en protons et neutrons. Les Joliot-Curie constatèrent d’abord que de
l’aluminium 27 bombardé par des particules a peut se transmuter en silicium 30,
qui est stable. Une étude très fine de cette transmutation leur révéla ensuite qu’elle
se déployait en fait en deux temps : l’aluminium 27 se transmutait d’abord en
phosphore 30, qui est un isotope radioactif (artificiel) du phosphore 31 stable ; puis,
ce phosphore 30 se transformait en silicium 30 en transformant l’un de ses protons
en un neutron supplémentaire. Depuis cette époque, on utilise souvent des neutrons
pour créer des éléments radioactifs artificiels. Parce qu’elles sont électriquement
neutres, ces particules s’approchent facilement du noyau qui peut alors les absorber.
Ce processus mène à un nouvel assemblage, qui est souvent radioactif.
La radioactivité concerne tous les éléments de la classification périodique. Elle
couvre l’ensemble des phénomènes où des assemblages de particules se combinent,
se dissocient, capturent ou expulsent des particules.

Bibliographie
[1] D. Blanc, Les rayonnements ionisants, Masson, 1990.
[2] M. Cassé, Généalogie de la matière, Odile Jacob, 2000.
[3] J.-M. Cavedon, La radioactivité, Flammarion, collection « Dominos », 1996.
[4] B. Fernandez, De l’atome au noyau, Ellipses, 2006.
[5] P. Radvanyi, M. Bordry, La radioactivité artificielle et son histoire, Seuil/CNRS,
1984.
[6] M. Tubiana, R. Dautray, La radioactivité et ses applications, PUF, collection « Que
sais-je ? », 1996.

14 Chapitre 1. La radioactivité
Deuxième partie

La radioactivité
dans l’environnement
et le vivant
2 La radioactivité
dans l’environnement

Bernard BONIN

Où trouve-t-on des rayonnements ionisants dans l’environnement ? Quel est leur


impact sur l’environnement et sur l’homme ? Quelle est la part des activités humaines
dans la dose reçue ? Si vous envoyez de la radioactivité dans l’environnement, que
devient-elle ?
Pour répondre à toutes ces questions, ce chapitre propose une promenade dans
la nature, muni d’un détecteur de rayonnements (Fig. 2.1).

Figure 2.1. Deux détecteurs de rayonnements utilisés comme dosimètres portatifs pour la radioprotection
des travailleurs du nucléaire.
1 Mesures des rayonnements dans l’air ambiant :
la douche cosmique

Commencez la promenade dans un chemin creux de la campagne limousine. Et


tournez d’abord votre compteur vers le ciel. Vous comptez quelques coups de temps
en temps : il s’agit de rayons cosmiques en provenance du Soleil, plus rarement de
notre Galaxie, ou même de plus loin encore.

Encadré 2.1. Les caractéristiques du rayonnement cosmique : nature, énergie, intensité en


fonction de l’altitude.
La première catégorie des rayonnements cosmiques est constituée des rayonnements d’ori-
gine galactique. Il s’agit de protons, de particules alpha, d’électrons, de positons, de noyaux
d’éléments plus lourds comme le fer, le nickel. Ces particules chargées, accélérées par les
champs interstellaires, acquièrent des énergies très élevées, supérieures à 100 MeV∗ .
La deuxième catégorie des rayonnements cosmiques est constituée de rayonnements
d’origine solaire. Les particules correspondantes varient en nombre et en énergie avec l’acti-
vité du Soleil. Leur énergie dépasse rarement 100 MeV.
Les rayonnements cosmiques, quelle que soit leur origine, interagissent avec les noyaux
présents dans l’atmosphère. Les plus énergétiques forment des gerbes de particules élémen-
taires très variées, ainsi que de nombreux radionucléides.
Par exemple, l’azote de l’atmosphère sous l’action des rayonnements cosmiques se trans-
forme en carbone 14, qui possède deux neutrons de plus que l’isotope du carbone le plus
abondant (carbone 12). L’atmosphère terrestre comprend environ 0,1 million de TBq de
carbone 14. Chaque année, sous l’effet des rayonnements cosmiques, environ mille TBq de
carbone 14 sont produits. La même quantité, environ, disparaît sous l’effet de la décrois-
sance naturelle de ce radioélément dont la période est de 5 730 ans. Un équilibre s’établit de
sorte que le taux de carbone 14 dans l’atmosphère est pratiquement constant. Le carbone 14
qui a bien sûr les mêmes propriétés chimiques que le carbone 12, est le plus souvent dans
l’atmosphère combiné à l’oxygène pour former du gaz carbonique « radioactif ».
L’impact radiologique individuel du carbone 14 présent dans le milieu naturel est estimé
à 12 μSv/an.
D’une manière générale, l’exposition aux rayonnements cosmiques varie selon la latitude.
Elle est forte aux pôles et faible à l’équateur. Elle varie en fonction de l’altitude et double tous
les 1 500 m.
En moyenne, les rayonnements cosmiques délivrent une dose efficace de 0,39 mSv/an.

2 Un radionucléide cosmogénique : le carbone 14

Si vous approchez votre compteur de cet arbre, vous détecterez la radioactivité du


carbone 14 qu’il contient.

18 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


Encadré 2.2. Datation au carbone 14.
Le carbone 14 produit dans la haute atmosphère s’incorpore dans le cycle biogéochimique
du carbone. Les êtres vivants en contiennent donc une quantité déterminée. . . tant qu’ils
vivent ! Après leur mort, le renouvellement de ce carbone 14 cesse et la quantité de 14 C
contenue dans leurs restes diminue, au rythme de la décroissance radioactive (la période
radioactive du 14 C est de 5 700 ans). Le carbone 14 d’un objet archéologique peut servir de
chronomètre et permet de le dater par comparaison entre sa radioactivité initiale (connue)
et sa radioactivité actuelle (mesurée) (Fig. 2.2).

Radioactivité
de l’objet Le carbone 14 d’un objet
archéologique peut
servir de chronomètre
Radioactivité initiale
et permet de le dater
(connue)
par comparaison entre
sa radioactivité
initiale (connue) et
sa radioactivité actuelle
Becquerel

(mesurée).

Radioactivité actuelle
(mesurée)

Temps

Date Temps
de l’objet actuel

Figure 2.2. Datation au carbone 14 d’un objet archéologique.

Mais vous avez oublié l’expérience la plus élémentaire : tournez le compteur


vers vous-même. Eh oui, vous aussi, vous êtes radioactif (8 000 becquerels pour un
adulte), à cause du carbone 14 de vos tissus, et surtout, du potassium 40 de vos os.

3 Les radionucléides de la croûte terrestre : uranium,


thorium, potassium
Si vous approchez le compteur d’un caillou granitique, au bord du chemin, vous
verrez que la radioactivité de la roche est due à l’uranium qui s’y est concentré lors de
la formation de la croûte terrestre 1 . L’uranium est un gros atome, qui s’incorpore fort
1
La radioactivité du caillou peut être très variable selon son origine et les minéraux qu’il contient. Ici,
nous avons choisi un morceau de granite uranifère, comme on peut en trouver couramment dans le
Massif central, avec une teneur en uranium de 0,1 %. Sa radioactivité est d’environ 250 000 Bq par
kilo, soit 250 000 désintégrations par seconde.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 19


mal dans les cristaux de silicates qui forment la majeure partie de l’écorce terrestre.
Résultat : lors de la solidification d’un magma ; l’uranium se retrouve concentré
« dans les coins », au voisinage des discontinuités de la croûte. On le retrouve aussi
dans les zones de la croûte où les conditions chimiques sont réductrices, car sa
solubilité y est notablement plus faible qu’ailleurs, ce qui facilite sa « précipitation ».
Ce sont ces deux mécanismes géochimiques qui expliquent la formation de filons
d’uranium, ceux-là même qui sont exploités par les mineurs.

Encadré 2.3. Radioactivité, séismes, volcans, climat.


Uranium et thorium chauffent la croûte terrestre. Si notre planète a encore une activité tec-
tonique et volcanique, c’est (en partie) parce que l’uranium et le thorium qu’elle renferme
continuent à la chauffer par leur radioactivité. Les conséquences sont nombreuses et inatten-
dues : par exemple, le volcanisme envoie dans l’atmosphère de grosses quantités de gaz à
effet de serre, grâce auxquels la Terre est habitable ! En l’absence de cette source de chaleur,
la Terre serait depuis longtemps un astre froid et mort.
Par ailleurs, selon l’IRSN, l’éruption du volcan islandais Eijafjöll en 2010 a aussi envoyé
environ 400 tonnes d’uranium dans l’atmosphère !

À propos de filons, quelle est la radioactivité dans une mine d’uranium ? Plutôt
faible pour deux raisons : la période radioactive des deux isotopes majoritaires de
l’uranium est très longue et l’uranium est rarement très concentré dans les roches.
Dans le creux à côté de la mine se trouvent les résidus d’extraction de l’uranium.
Votre compteur vous signale l’existence de radioactivité, presque autant que dans
le filon. D’après le compteur, vous pourriez rester près du filon ou à proximité de
ces résidus pendant quelques jours sans recevoir une dose supérieure à celle que
vous donne annuellement la radioactivité naturelle 2 . Cependant, si vous souhaitiez
prolonger votre visite, quelques précautions s’imposeraient.

4 Les radionucléides de l’atmosphère : le radon

À présent, extrayez-vous de la mine et faites humer à votre compteur l’air du dehors.


Cet air serait-il radioactif lui aussi ? Le détecteur vous indique en effet la présence de
radon. À vrai dire, vous en mesurez presque autant quand vous vous éloignez de la
mine, car le sous-sol en exhale naturellement. Imaginez quelques atomes d’uranium

2
Le débit de dose à proximité d’un stockage de résidus miniers à l’air libre (avant la mise en place des
couvertures) est de l’ordre de la dizaine de microsieverts par heure, ce qui signifie qu’il faudrait rester
plus d’une centaine d’heures sur le site pour recevoir une dose équivalente à l’exposition annuelle
naturelle moyenne.

20 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


dans l’obscurité du sous-sol. De temps en temps 3 , l’un d’eux se désintègre et devient
du radium 4 . Ce radium lui-même 5 se désintègre à son tour pour donner du radon.
S’il a été produit au sein même de la roche, ce radon a toutes les chances d’y rester
prisonnier jusqu’à la fin de ses jours. Mais si la désintégration de son père le radium
s’est faite près de la surface d’un grain de minéral, le radon peut diffuser hors du
grain et se retrouver en semi-liberté dans l’air ou l’eau du sous-sol. Dans ce cas, une
course contre la montre va s’engager pour le radon évadé : par un tortueux parcours
dans les anfractuosités de la roche, le radon migrera au fil de l’air et de l’eau du sous-
sol. Une grande partie des candidats à l’évasion mourra en chemin, car leur durée
de vie moyenne est brève : 3,7 jours seulement avant de se désintégrer. Une petite
partie réussira cependant à se faufiler jusqu’à la surface du sol et à s’échapper à l’air
libre.
L’air de l’atmosphère contient donc du radon. Pas beaucoup : au ras du sol, on
trouve seulement 5 millions d’atomes de radon par mètre cube d’air. Cela suffit
à rendre cet air radioactif, avec une radioactivité de l’ordre de 10 becquerels par
mètre cube. Encore faut-il préciser que ce chiffre peut varier considérablement selon
les endroits (les régions dont le sous-sol est riche en uranium, comme la Corse, la
Bretagne et le Limousin, sont les plus « gâtées »), selon qu’il y a du vent ou non, et
même selon l’heure du jour.
Mais le voyage du radon n’est pas fini. Certains atomes réussissent à s’infiltrer
dans les bâtiments, en passant par les interstices du sous-sol. Si l’air y est peu
renouvelé, le radon peut s’accumuler. C’est là que nous le respirons, depuis que nous
avons pris l’habitude de vivre plus ou moins enfermés dans des maisons (à vrai dire,
nos ancêtres en respiraient sans doute bien plus, dans leurs grottes préhistoriques).
Bref, comme ce radon est radioactif, voilà vos alvéoles pulmonaires irradiées 6 !

3
Si l’on observe un atome d’uranium individuel jusqu’à ce qu’il se désintègre, on peut attendre long-
temps : en moyenne 700 millions d’années pour un atome d’uranium 235, et 4,5 milliards d’années
pour un uranium 238.
4
En fait, l’uranium 238 ne se désintègre pas directement en radium, il y a passage par des atomes
intermédiaires. Voici la chaîne de désintégration complète : 238 U-234 Th-234 Pa-234 U-230 Th-226 Ra-222 Rn-
218
Po-. . . 206 Pb. Le maillon de la chaîne qui nous intéresse ici concerne la désintégration du radium 226
en radon 222.
5
La période de désintégration radioactive du radium 226 est de 1 600 ans.
6
Plus précisément : le radon ne se fixe pas dans les poumons, et y reste peu de temps. En revanche,
il a des descendants (polonium, plomb, bismuth) qui restent piégés durablement dans les voies res-
piratoires. Étant eux-mêmes radioactifs, ce sont eux qui sont responsables de la plus grande part de
l’irradiation des alvéoles pulmonaires.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 21


Encadré 2.4. Le radon est-il un problème sanitaire ?
Les études approfondies menées sur les populations humaines fortement exposées au radon,
comme par exemple les mineurs du début du siècle 7 , ont permis de conclure que le radon
était bel et bien un cancérigène pulmonaire, au moins quand il était présent en forte concen-
tration dans l’air.
Alors, le radon est-il un problème sanitaire pour le public, qui respire l’air des maisons ?
En général, cet air est nettement moins « radonné » que celui des mines anciennes, et les
doses radioactives sont plus faibles. Si l’on transforme la dose radon reçue par le Français
moyen en un risque de cancer en utilisant le fameux coefficient dose-risque de la Commission
internationale de protection radiologique 8 , on trouve que le radon est responsable de 2 000
à 5 000 cancers mortels par an en France. Serions-nous en face d’un problème comparable
à celui de l’amiante ? Difficile à dire : ce chiffre alarmant est à prendre avec précaution,
car nous sommes ici dans le domaine des faibles doses, domaine dans lequel l’hypothèse de
proportionnalité entre l’effet et la dose n’est pas prouvée scientifiquement. Pour vérifier si
le risque est réel, des études épidémiologiques sur le public ont bien été tentées, mais elles
n’ont pas produit de conclusion claire. Il est vrai qu’elles sont très difficiles, car le radon n’est
pas le seul agent cancérigène, ni même le plus méchant. En particulier, il est bien difficile de
distinguer les effets des faibles doses de radon au milieu du carnage dû au tabac. Donc, pour
résumer, nous ne savons toujours pas si le radon est vraiment dangereux pour le Français
moyen !
Mais la teneur en radon de l’air des maisons est très variable. Elle dépend de la nature
du sous-sol, de la façon dont la maison est construite, et même du mode de vie de ses
habitants. Les études statistiques du radon dans les maisons montrent qu’une petite fraction
des maisons et des lieux publics est vraiment très radonnée 9 , à des niveaux proches de
ceux rencontrés dans les anciennes mines d’uranium. Il faut dire que la dose reçue par
l’occupant d’une maison radonnée à 10 000 becquerels par mètre cube d’air est voisine de
100 millisieverts par an 10 , soit 100 fois la dose naturelle moyenne reçue par la population
française. À ces niveaux de concentration, on peut affirmer que le radon présente un danger
pour les habitants de la maison, puisque les doses qu’ils reçoivent sont comparables à celles
reçues par les anciens mineurs d’uranium, sur lesquels les effets nocifs du radon ont été
observés.
Que faire, face à ce problème ?
D’abord, dépister les maisons radonnées. Le radon est facile à mesurer : il suffit d’ins-
taller dans la maison un de ces dosimètres, qui ressemblent à un film photographique et
fonctionnent à peu près selon le même principe. Le développement du film permet d’obte-
nir le niveau local de radioactivité dans l’air autour du détecteur, moyenné sur la durée de
l’exposition, qui est de l’ordre d’un mois.

7
Les mineurs du début du XX e siècle respiraient parfois de l’air radonné à plus de 10 000 becquerels par
mètre cube. De nos jours, les mines sont bien ventilées et l’exposition des mineurs au radon est limitée.
8
Le coefficient dose-risque évalué par la Commission internationale de protection radiologique est de
0,05 cancer mortel par sievert.
9
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire estime qu’il y a en France 100 000 maisons et
300 écoles dans lesquelles le niveau de radon dépasse 1 000 becquerels par mètre cube d’air.
10
Le calcul est fait pour un humain qui passerait 80 % de son temps dans la maison.

22 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


Après le dépistage, il est possible d’assainir les maisons radonnées. En général, l’assainis-
sement est facile et peu coûteux : il suffit d’étanchéifier la dalle de la maison et d’améliorer
la ventilation.
Le gouvernement français a émis en 1998 une directive prescrivant le dépistage du ra-
don, et la mise en œuvre d’actions d’assainissement si le niveau mesuré dépasse 1 000 becque-
rels par mètre cube d’air. La directive ne concerne que les établissements recevant du public
(écoles, grands magasins. . . ). Aucune structure n’est prévue actuellement pour le dépistage
et l’assainissement des maisons particulières, qui restent à la charge de leurs propriétaires.

5 Migration, dilution et reconcentration des radionucléides

Mesurez maintenant la radioactivité dans ce lac du Limousin. La radioactivité de


l’eau est plutôt faible, le compteur indique la présence d’un peu de radium et d’ura-
nium dissous. . . En revanche, dans les sédiments du fond du lac, c’est autre chose !
Ces sédiments contiennent des minéraux argileux et de la matière organique, réputés
pour piéger les radionucléides comme des mouches sur une toile d’araignée.
Vous trouveriez à peu près la même chose dans les sédiments de fleuves comme
le Rhône, avec cette différence que, là, les sédiments bougent, charriés vers la mer
par le fleuve. Votre compteur vous dirait qu’en aval de l’usine de Marcoule, ce sont
les sédiments qui ont fixé l’essentiel des rejets radioactifs de l’usine.

6 Les rayonnements artificiels et l’environnement :


les nuages radioactifs des essais nucléaires militaires,
et des accidents de Tchernobyl et de Fukushima

Mais demanderez-vous, pourquoi diable mon compteur ne renifle-t-il pas dans l’air
ambiant la radioactivité des essais nucléaires dans le Pacifique, ou celle des nuages
radioactifs de Tchernobyl ou de Fukushima ? C’est que vous êtes arrivé trop tard : la
radioactivité de ces nuages est retombée au sol en quelques semaines, il n’y a plus
rien dans l’atmosphère 11 .
Revenez donc au sol, s’il vous plaît, et faites un saut dans le Mercantour. Votre
compteur crépite dans certains creux du relief ! Même si les taches radioactives
11
De façon générale, les mesures de radioactivité dans l’air sont très sensibles. En 1998, l’incinération
accidentelle d’une source de strontium dans une aciérie espagnole à Algeciras a introduit pendant
quelques jours dans l’air français une radioactivité qui a été aisément détectée malgré sa très faible
valeur, de l’ordre du millième de becquerel par mètre cube d’air. On sait, en y mettant le prix, détecter
dans l’air une radioactivité encore mille fois plus faible, soit une désintégration par seconde dans un
volume d’air de un million de mètre cube. Mais la mesure dure plus d’un mois !

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 23


sont ici de petite surface, quelques décimètres carrés, la concentration de radioac-
tivité peut y être importante 12 . Et indubitablement due à des retombées de radio-
activité d’origine anthropique : cette contamination, votre compteur perfectionné
la distingue de la radioactivité naturelle, puisqu’elle est due principalement à un
radionucléide∗ artificiel : le césium 137. Dans ce cas, ce sont probablement des re-
concentrations dues au ruissellement de l’eau de pluie qui sont à l’œuvre.
La radioactivité du nuage de Tchernobyl, c’est là qu’il faut la chercher, c’est là
que la pluie l’a déposée. Elle a fait dans toute l’Europe une contamination en taches
de léopard encore observable actuellement. Si vous vous enfoncez dans le sol, votre
compteur vous dira que la contamination n’a pratiquement pas migré verticalement
depuis 1986, date de l’accident. De l’ordre du mètre en vingt-cinq ans 13 , la contami-
nation s’infiltre plutôt lentement 14 !

7 Les transferts de radionucléides entre les différents


compartiments de la biosphère
Rendez-vous maintenant dans un sous-bois des Vosges. Votre compteur indique sur
le sol l’existence de taches de contamination, moins concentrées que dans le Mercan-
tour, mais dues elles aussi principalement aux retombées de Tchernobyl. Tournez-
vous maintenant vers le monde vivant : approchez-vous d’une girolle. Votre comp-
teur s’affole ? Pas étonnant, le mycélium des champignons est tout près de la surface
du sol, juste là où la contamination est la plus forte. Ce mycélium pompe les sels
minéraux du sol, et voilà vos girolles « contaminées » 15 . Remarquez cependant qu’il
vous faudrait manger plusieurs dizaines de kilos des girolles françaises les plus conta-
minées pour recevoir l’équivalent de votre dose naturelle annuelle.
Poursuivez votre voyage le long de la chaîne alimentaire : les sangliers sont ra-
dioactifs eux aussi ! Ils affichent déjà à peu près 80 becquerels par kilo à cause du
12
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a mesuré dans le Mercantour des taches de conta-
mination de petite surface, avec une radioactivité de plus de 100 000 becquerels par mètre carré de
terrain.
13
La vitesse d’infiltration de la pollution radioactive dépend en fait de la nature du sol, et du radionu-
cléide que l’on considère. Les travaux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire indiquent
que le strontium 90 (un radionucléide qui voyage plutôt vite) s’est infiltré d’environ 1 mètre en qua-
torze ans dans les sols sableux. Dans les autres sols, la vitesse est encore plus lente, car les minéraux
ou les composants organiques du sol tendent à retenir les radionucléides. Cette migration très lente est
à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne, c’est que les contaminations gardent le plus
souvent un caractère local, ce qui facilite l’assainissement des sites pollués. La mauvaise, c’est qu’on ne
peut pas trop compter sur Dame Nature pour nettoyer à notre place.
14
Il faut préciser que la migration horizontale induite par le ruissellement de l’eau en surface est en
général beaucoup plus rapide que la migration verticale due à l’infiltration.
15
Encore récemment, on a trouvé en France des champignons contaminés par les retombées radioactives
de Tchernobyl, avec une radioactivité de 3 000 becquerels par kilo.

24 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


Figure 2.3. Schéma d’un modèle de biosphère « à compartiments ». La radioécologie peut intéresser les
chercheurs fondamentaux, qui utilisent les radionucléides comme traceurs des cycles biogéochimiques. Elle
intéresse aussi les radioprotectionnistes, puisqu’elle est un maillon indispensable pour évaluer les doses
radioactives reçues par l’homme.

carbone 14 et, surtout, du potassium 40 « naturels ». Mais, sur certains bestiaux,


votre compteur indique aussi la présence d’autres radionucléides signés « Tcherno-
byl » 16 . Pas étonnant, puisque les sangliers ont coutume de labourer les couches
superficielles du sol et de manger des girolles !
Pour modéliser le voyage de la radioactivité dans la biosphère, on utilise en géné-
ral des modèles divisant la biosphère en compartiments entre lesquels les polluants
transitent selon des lois simples, le plus souvent linéaires, avec des coefficients de
transfert déterminés empiriquement (Fig. 2.3). Il est difficile d’alimenter les mo-
dèles à compartiment avec des données pertinentes, car tous les facteurs environ-
nementaux s’influencent les uns les autres. Par exemple, le coefficient de transfert
16
Certains sangliers chassés dans les Vosges ont récemment défrayé la chronique parce qu’on a décelé
dans leur chair une radioactivité de 1 800 becquerels par kilo. D’après les évaluations de l’Institut de
protection et de sûreté nucléaire, il faudrait en manger 100 kilos pour recevoir l’équivalent de la dose
naturelle annuelle.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 25


sol-racines dépend bien sûr de la nature du sol et de celui de la racine. Mais pour
un radionucléide donné, ce coefficient de transfert dépend de la spéciation du radio-
nucléide, qui dépend elle-même de la composition chimique de l’eau interstitielle,
laquelle dépend elle-même de la nature du sol. . . Pas facile, donc, de décrire tout ça
proprement !

8 Les rayonnements artificiels et l’environnement :


les rejets de centrales

Les centrales nucléaires en fonctionnement polluent-elles l’atmosphère ? Si vous sur-


volez un réacteur, votre compteur détectera un peu de tritium, mais même avec un
appareil dernier cri, il sera à peine décelable. Au-dessus des tours de refroidisse-
ment, l’air est chaud et humide, mais pas radioactif : le panache blanc n’est que de
la vapeur d’eau.

9 Les rejets des usines

Vous voilà rassuré ? Pas si vite ! Au voisinage de la cheminée de l’usine de La Hague,


vous trouverez dans l’air de la radioactivité due aux activités humaines, nettement
plus qu’à proximité d’un réacteur nucléaire : votre compteur vous dira qu’elle vient
principalement du krypton 85 et du tritium rejetés par les activités de retraitement
de l’usine. Mais, dispersés par le vent, ces radionucléides se diluent rapidement dans
l’atmosphère et atteignent des niveaux de concentration qui les rendent presque
indétectables à quelques kilomètres de la cheminée.
Plongez maintenant dans l’eau fraîche de l’anse des Moulinets, là où le célèbre
tuyau rejette à la mer les effluents liquides de l’usine de retraitement de La Hague.
Un petit bonjour aux scaphandriers de l’association Greenpeace qui palment dans le
secteur, équipés du même compteur de radioactivité que le vôtre ! Cette fois, l’eau
dans laquelle vous nagez est bel et bien radioactive, votre compteur est formel :
iode 129, césium 137, eau tritiée sont aisément détectables 17 . Cependant, même
17
Les détecteurs de radioactivité actuels sont capables de déceler une radioactivité très faible. Par
exemple, pour le tritium, on peut facilement détecter une activité de 1 becquerel par litre d’eau par
une simple mesure de scintillation liquide. Si on se donne du mal, on peut encore descendre 1 000 fois
plus bas (soit 0,001 becquerel par litre) en mesurant l’hélium 3 associé à la décroissance radioactive
du tritium. Il s’agit là de valeurs bien inférieures à la radioactivité naturelle. De telles activités corres-
pondent à des concentrations en radionucléides extrêmement faibles, qu’on ne saurait pas mesurer par
des méthodes chimiques. Moyennant quoi, on peut voir de la radioactivité partout, sans que ce soit
nécessairement dangereux.

26 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


si la radioactivité rejetée par l’usine de La Hague peut être tracée jusqu’en mer du
Nord grâce à des détecteurs ultrasensibles, ces rejets sont plutôt faibles en valeur
absolue 18 . À 1 000 m au large du tuyau 19 , la radioactivité de l’eau est retombée à
un niveau comparable à celui de la radioactivité naturelle de l’eau de mer 20 .

Les poissons de l’anse des Moulinets seraient-ils devenus impropres à la consom-


mation, à force de fréquenter ce haut lieu de l’industrie nucléaire française ? Non
point, d’après votre compteur. Les travaux du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin
ont d’ailleurs confirmé que les doses radioactives dues à l’usine de La Hague étaient
très faibles, même pour les populations les plus exposées 21 . Votre bain dans le Co-
tentin ne vous aura donc pas irradié de façon significative, pas plus que le délicieux
bar au four - sauce normande que vous avez dégusté juste après.

Revenons si vous le voulez bien près de la centrale nucléaire de tout à l’heure.


Si elle est construite au bord de l’eau, comme toutes ses consœurs, c’est qu’elle en a
besoin pour ses circuits de refroidissement. Puisque vous aviez mesuré l’air, mesurez
maintenant l’eau du fleuve. Elle est bonne, n’est-ce pas ? Un à trois degrés au-dessus
de la température en amont de la centrale, ce n’est pas négligeable, et le véritable
impact environnemental de la centrale est probablement là. Mais que dit votre comp-
teur ? La radioactivité qu’il détecte est presque entièrement d’origine naturelle. Seul
un compteur vraiment perfectionné peut détecter le peu de tritium rejeté par le

18
L’usine de retraitement de La Hague rejette annuellement environ 12 000 térabecquerels sous forme
de rejets liquides (essentiellement du tritium), et 300 000 térabecquerels sous forme de rejets gazeux
(principalement du krypton 85). Un térabecquerel correspond à un million de millions de désintégra-
tions par seconde. Ces chiffres sont ceux de l’année 1997, considérée comme une année « moyenne ».
L’usine rejette aussi des quantités beaucoup plus faibles d’autres radionucléides. Toujours en térabec-
querel, les rejets liquides de l’usine de La Hague, cumulés sur l’année 1997, ont été de : 11 900 (tri-
tium), 1,82 (iode 129), 19,6 (ruthénium et rhénium 106), 0,016 (plutonium alpha), 2,5 (césium 137),
1,9 (strontium 90), 10 (carbone 14). Pour les rejets gazeux, les chiffres sont : 300 000 (krypton 85),
76 (tritium), 20 (carbone 14) et 0,018 (iode 129).
19
Le tuyau de l’usine de La Hague rejette environ 4 à 500 000 m3 d’effluents par an. Ceux-ci ont une
radioactivité de 20 à 30 millions de becquerels par litre. La majeure partie de cette radioactivité est
due à du tritium. Si l’on exclut ce tritium, dont la radiotoxicité est très faible malgré sa forte radio-
activité, et qui mérite d’être traité à part pour cette raison, la radioactivité des effluents est d’environ
60 000 becquerels par litre. Grâce au brassage de l’eau dans le raz Blanchard, cette radioactivité tombe
à quelques dizaines de becquerels par litre à 1 km de distance du tuyau.
20
Il y a environ 3 parties par milliard d’uranium dans l’eau de mer. Mais c’est surtout le potassium 40 qui
rend l’eau de mer légèrement radioactive, avec une activité d’environ 12 becquerels par litre.
21
Selon le dernier rapport de la Commission Nord-Cotentin (rapport « Sugier »), la dose induite par les
rejets de l’usine de La Hague sur la population la plus exposée est de 0,06 millisievert par an, soit
environ 20 fois moins que la dose due à la radioactivité naturelle.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 27


réacteur. Les rejets de la centrale ne rajoutent que très peu de radioactivité à celle
déjà naturellement présente dans l’environnement 22 .
En revanche, si vous rentrez dans la centrale elle-même, ne franchissez pas les
barrières de sécurité : le fait de disposer d’un compteur ne vous immunise pas contre
les rayonnements ! Vous pouvez vous approcher de cette piscine d’entreposage de
combustible usé car l’eau de la piscine fait écran contre les rayonnements. Mais
en l’absence d’eau, votre compteur s’affolerait. Un séjour d’une demi-heure à deux
mètres près de ces combustibles suffirait pour vous tuer. Et si vous en mangiez
10 milligrammes, cela vous serait tout aussi fatal !
Après ce voyage imaginaire dans la biosphère, on peut résumer ainsi : primo, la
radioactivité est omniprésente, Dame Nature n’a pas attendu les humains pour en
répandre généreusement dans tout l’environnement. Secundo, l’industrie nucléaire
rajoute de la radioactivité : certes assez peu sous forme de rejets, mais beaucoup
sous forme de déchets solides dont certains (déchets issus du traitement de ces
combustibles) sont réellement dangereux. Tertio : les rejets accidentels (Tchernobyl,
Fukushima) ont des conséquences importantes sur le niveau de radioactivité am-
biant, mais ces conséquences sont plutôt locales et temporaires.

Bibliographie
[1] M. T. Ménager, J. Garnier-Laplace, M. Goyffon, Toxicologie nucléaire environne-
mentale et humaine, Éditions Tec et Doc, Lavoisier, 2009.
[2] « Surveillance de l’environnement », Les cahiers des clubs CRIN, 1998.
[3] F. Bréchignac, B. Howard, Radioactive pollutants, Impact on the environment,
EDP Sciences, 2001.

22
L’impact radiologique d’une centrale nucléaire est même inférieur à celui d’une centrale au charbon.
En effet, la combustion du charbon libère les éléments radioactifs naturels qu’il contient : l’uranium
et ses descendants, le thorium et ses descendants, et le potassium. Au total, une centrale nucléaire
rejette dans l’environnement dix fois moins de radioactivité qu’une centrale à fioul ou à charbon de
même puissance, et son impact radiologique est aussi dix fois plus faible : la dose collective est de 1,6 à
2,6 homme-sievert par gigawatt.an pour une centrale nucléaire contre 20 pour une centrale à charbon.

28 Chapitre 2. La radioactivité dans l’environnement


3 Les effets des rayonnements
sur le vivant

Jean-Marc CAVEDON

La radiotoxicité, c’est-à-dire l’effet des rayonnements ionisants sur les organismes


vivants, a la grande particularité d’être étrangère à tous nos sens : invisibles, in-
odores, impalpables, silencieux et sans saveur, les « rayons » ne peuvent être antici-
pés et ils peuvent nous frapper et altérer notre santé sans même que nous nous en
apercevions immédiatement. Il est tout aussi remarquable que ces entités si évanes-
centes et mystérieuses soient si faciles à détecter par des instruments spécialisés, et
même beaucoup plus faciles à détecter que des toxiques chimiques. Les détecteurs
très sensibles nous tirent de l’ignorance totale pour nous plonger dans l’hypersensi-
bilité à la radioactivité qui nous entoure, même pour des niveaux de radioactivité
inoffensifs pour nos organismes (car cela existe). Nous tenterons dans ce chapitre
d’établir les bases qui permettent de définir une gradation et une progressivité dans
notre évaluation du risque radioactif.
Si des doses∗ massives de rayonnement radioactif sont mortelles à coup sûr, les
doses modérées ont des effets bien connus et que l’on sait souvent soigner. Les faibles
doses agissent avec beaucoup de retard, jusqu’à des dizaines d’années, et les très
faibles doses ont des effets si ténus qu’ils sont très difficiles à distinguer de toutes les
autres atteintes à nos organismes. L’unité de dose qui mesure les effets biologiques
des rayonnements, et que nous définirons plus tard, est le sievert∗ (Sv). Le domaine
de doses qui préoccupe les médecins est celui du sievert. Les radioprotectionnistes
et les réglementations nous pressent par prudence de ne pas dépasser des doses
de l’ordre de quelques millièmes de sievert. Celles qui échappent encore à notre
connaissance précise et qui déclenchent souvent les alertes médiatiques sont de
l’ordre du millionième de sievert (champignons d’Ukraine, sanglier des Vosges. . . ).
Si l’on ajoute à ces situations très différentes la nécessaire diversité des unités de
mesure de la radioactivité et de ses effets, nous sommes moins surpris de la grande
variété de réactions et de points de vue sur des événements où la science a du mal
à se faire entendre, comme par exemple l’induction ou non d’un excès de maladies
thyroïdiennes en France après le passage du nuage de Tchernobyl.
Tentons ici de donner quelques chiffres qui nous aideront à évaluer la radiotoxi-
cité et ses effets. Nous allons d’abord décrire ce que l’on sait de la façon dont les
rayonnements ionisants atteignent le vivant. Un détour sera fait ensuite du côté des
unités de mesure : le passage entre les becquerels∗ (unité de mesure physique de la
radioactivité) et les sieverts∗ (unité de mesure de la radiotoxicité) est en effet délicat
et mérite quelques commentaires. Nous nous aiderons d’analogies avec l’émission et
la réception de la lumière, que nos sens perçoivent. Les ordres de grandeur des doses
reçues par le public seront ensuite discutés, ainsi que les critères qui permettent de
dire si une dose est « acceptable » ou non. Le débat sur l’acceptabilité soulève des
questions économiques et sociales, mais aussi scientifiques, car l’effet des faibles
doses est actuellement mal connu. Pour finir, un rapide portrait des effets toxiques
de quelques radioéléments présents dans les déchets nucléaires ou importants en
situation accidentelle, sera tracé.

1 Comment les rayonnements ionisants atteignent le vivant

1.1 Les effets au niveau de la cellule

Tous les rayonnements n’ont pas les mêmes effets sur les cellules. Les paramètres
principaux qui déterminent les dégâts cellulaires sont la dose, l’énergie totale de la
particule ionisante et sa perte d’énergie par unité de longueur.
Mais dans tous les cas, l’irradiation affecte surtout le noyau des cellules des orga-
nismes vivants. L’ADN, la molécule qui contient toutes les informations nécessaires
au fonctionnement de l’organisme et à sa reproduction, est, au sein de chaque cel-
lule, la principale cible susceptible d’être altérée ou détruite par des rayonnements.
La lésion physique initiale, qui a lieu dans la microseconde qui suit le passage de la
particule ionisante, est soit un choc direct sur la structure en double hélice de l’ADN,
soit une attaque indirecte par radiolyse∗ de l’eau environnant l’ADN et création de ra-
dicaux libres (le plus souvent le radical hydroxyle OH et l’atome d’hydrogène H), qui
eux-mêmes attaquent chimiquement l’ADN. Les effets indirects des rayonnements io-
nisants sur l’ADN ne se distinguent donc pas de ceux dus à des agressions d’origine

30 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


chimique, thermique ou par de la lumière ultraviolette, puisque tous passent par
l’action de radicaux libres. Les lésions de l’ADN sont soit des cassures des chaînes
(un ou deux brins de la double hélice), des dégradations ou disparitions des bases
disposées le long de ces brins, des additions de molécules à ces mêmes bases, ou des
pontages entre ADN et protéines. Seules les cassures double brin sont spécifiques des
rayonnements ionisants.
Les cellules possèdent des mécanismes enzymatiques qui répliquent et réparent
l’ADN, et qui agissent dans les minutes et les heures suivant l’apparition de lésions.
La fiabilité extrême de ces mécanismes est essentielle à la vie normale des cellules,
qui subissent en permanence des lésions spontanées et accidentelles. Les cassures à
simple brin ou les lacunes sont fréquentes (150 000 cassures par cellule et par jour),
bien reconnues et bien réparées. En revanche, en cas de cassures simultanées de
deux brins, la réparation est lente, complexe et plus difficile, par manque du modèle
intact que constitue le brin non lésé. L’issue de loin la plus fréquente est la réparation
fidèle et la survie de la cellule. L’échec de la réparation mène le plus souvent la cellule
à une mort non programmée, ou nécrose, suivie de son élimination de l’organisme.
Des morts massives de cellules peuvent affecter le niveau d’organisation supérieur,
les tissus, et déclencher des pathologies tissulaires.
Les réparations fautives, bien plus rares, peuvent affecter l’efficacité des méca-
nismes régulant le cycle de vie de la cellule, qui peut alors subir une mort pro-
grammée sans réplication (apoptose ou suicide cellulaire). Toutes les cellules mortes
rejoignent les 250 milliards de cellules renouvelées chaque jour par l’organisme hu-
main, sans aucun dommage à l’organisme. Les réparations fautives mènent parfois
à des mutations qui n’empêchent pas la survie de la cellule (mutations non létales).
Si le système immunitaire, qui agit dans les jours suivants, est à son tour défaillant
dans la détection et l’élimination de ces cellules mutantes, il y a échec de toutes les
réponses précoces, sans qu’il y ait encore d’effet notable sur l’organisme.
Mais ces mutations non létales ont le pouvoir de déclencher des réponses sous
forme de désordres cellulaires graves et bien plus tardifs, dont le délai se mesure
en années et dizaines d’années pour les cancers issus des mutations des cellules
ordinaires (somatiques), voire des générations pour les anomalies héréditaires trans-
mises par des cellules germinales mutantes. Ce dernier effet n’a pas encore été
prouvé chez l’homme, mais seulement en laboratoire sur l’animal.
De ce survol rapide des réponses des cellules aux lésions de l’ADN, qu’elles soient
ou non radio-induites, retenons qu’il y a une longue série de mécanismes répara-
teurs, souvent très efficaces, et qui laissent néanmoins en cas d’échec la possibilité
d’atteinte précoce des tissus (en cas de destruction massive de cellules), et de mu-
tation de cellules individuelles ayant de graves effets potentiels à long terme. Nous
reviendrons plus loin sur l’effet des faibles doses sur l’organisme.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 31


1.2 Les effets à long terme sur les organes

Une cellule somatique mutée ne mène pas systématiquement à un cancer. Au mo-


ment de la mort programmée de la cellule mutée, dont le délai varie considérable-
ment avec la spécialisation de celle-ci, les atteintes préexistantes au système régu-
lateur de son cycle de vie peuvent se manifester. Les cellules incapables de déclen-
cher leur apoptose sont techniquement immortelles et proliférantes sans contrôle.
Ceci constitue le premier stade de la cancérisation. Si l’on considère le plus souvent
qu’une cellule proliférante peut être la souche d’un développement cancéreux, les
études en cours indiquent l’existence d’effets cellulaires collectifs, promoteurs ou ré-
presseurs. Il y a donc, ici aussi, des mécanismes externes à la cellule cancéreuse, qui
interviennent sur sa prolifération.
On remarque par exemple que tous les organes ne sont pas également affectés
par les rayonnements ionisants. Pour 100 cancers radio-induits dans une population
humaine irradiée de façon homogène par des photons, seront observés 12 cancers
pulmonaires, 5 cancers du sein et 1 cancer de la peau. Ceci amène à introduire le
facteur de pondération tissulaire WT, permettant de traduire le dépôt d’énergie des
rayonnements ionisants en un détriment biologique (tableau 3.1). Ce facteur WT
sera utilisé plus loin dans le texte pour le calcul de la dose.

Tissu ou organe Facteurs de ponderation tissulaire WT


Gonades 0,20
Moelle rouge 0,12
Colon 0,12
Poumons 0,12
Estomac 0,12
Vessie 0,05
Seins 0,05
Foie 0,05
Œsophage 0,05
Thyroïde 0,05
Peau 0,01
Surface des os 0,01
Autres 0,05
Tableau 3.1. Valeurs du facteur de pondération tissulaire.

32 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


1.3 Les différents rayonnements

À cause de leurs différentes pertes d’énergie à travers la matière, tous les rayonne-
ments n’ont pas les mêmes effets sur les cellules, ni la même nocivité sur l’organisme.
Ainsi, une même énergie déposée (exprimée en gray)∗ par des neutrons et par des
rayons γ induira un taux de cancers beaucoup plus élevé dans le premier cas que
dans le second (Fig. 3.1). Le tableau 3.2 donne les transferts d’énergie dans les tis-
sus pour différents types de rayonnements.

Figure 3.1. Les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki étant de structure différente (l’une à
l’uranium, l’autre au plutonium), les victimes ont été irradiées différemment. Comparaison des fréquences
des décès par cancer chez les survivants des bombardements d’Hiroshima (irradiés principalement par des
neutrons) et de Nagasaki (irradiés surtout par des γ) (T. Straume et R.L. Dobson. 1981. Health Physics 31 :
666).

Les électrons et les ions perdent beaucoup d’énergie par unité de longueur vers
la fin de leur parcours : c’est le « pic de Bragg », illustré sur la figure 3.2. L’existence
de ce pic est exploitée en thérapie anticancéreuse pour irradier une tumeur localisée.
Pour tenir compte de la nocivité différente des divers types de rayonnements, on
introduit un facteur de pondération radiologique WR (tableau 3.3) qui sera utilisé
dans le calcul de la dose.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 33


Énergie transférée (keV/μm) Type de rayonnement

0,20 électron de 2 MeV


0,24 γ de desintegration du 60 Co
3,0 X de 250 keV
4,7 β du tritium
5,5 électron de 0,6 MeV
6,3 X de 50 keV
10 proton de 12 MeV
20 Neutrons thermiques
45 Proton de recul
120 Particule α (désintégration du 239 Pu)
1 000 Fragment de fission
Tableau 3.2. Énergie transférée par unité de longueur pour différents types de rayonnements ionisants.

Figure 3.2. Perte d’énergie de particules α de 5 MeV dans l’air.

1.4 Les irradiations externe et interne

Les rayonnements ionisants peuvent atteindre l’homme de différentes façons : on


distingue l’irradiation externe (exposition directe à une source extérieure) et l’irra-
diation interne (ingestion ou inhalation de particules matérielles qui sont source de

34 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


Type et gamme d’énergie Facteur de pondération
radiologique W R

Photons, toutes énergies 1


Électrons et unions, toutes énergies 1
Neutrons, énergie de moths de 10 keV 5
Plus de 10 à 100 keV 10
Plus de 100 key à 2 MeV 20
Plus de 2 MeV à 20 MeV 10
Plus de 20 MeV 5
Protons, autres que les protons de recul, énergie 5
supérieure à 2 MeV
Particules α, fragments de fission, noyaux lourds 20
Tableau 3.3. Valeurs du facteur de pondération radiologique.

radioactivité et qui émettent leurs rayonnements depuis l’intérieur de l’organisme).


Dans le cas de l’irradiation interne, les dégâts seront d’autant plus importants que le
radioélément séjourne plus longtemps dans l’organisme. La notion de période biolo-
gique permet de décrire le temps d’activité du radioélément dans l’organisme. C’est
le temps que met la moitié de la masse de radioélément incorporé à quitter l’orga-
nisme par les voies d’échange naturelles. Ce temps peut être limité par la période
radioactive (cas de l’iode 131, de période 8 jours) ou par le temps de séjour dans
l’organisme. Certains radioéléments sont éliminés rapidement (le tritium sous forme
d’eau tritiée est éliminé en 10 jours), d’autres plus lentement (100 jours pour le cé-
sium). La période biologique n’est pas nécessairement la même pour tous les organes.
Ainsi, le plutonium reste 30 ans dans le foie, et semble fixé définitivement par les os
(on considère alors une période biologique de 50 ans).

1.5 Becquerels, grays et sieverts

Les considérations précédentes montrent qu’il est nécessaire d’introduire des gran-
deurs distinctes pour décrire la radioactivité, son effet sur la matière, et son effet
sur les organismes vivants. Si nous faisons une analogie avec le rayonnement qui
constitue la lumière visible, il s’agit de mesurer d’une part l’intensité de la source lu-
mineuse (par exemple le nombre de photons que le Soleil émet par seconde), d’autre

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 35


part l’intensité de la lumière reçue en un point donné, qui dépend de la distance à la
source (été/hiver), des obstacles interposés (jour/nuit) et des écrans absorbeurs de
lumière (couverture nuageuse, parasols. . . ), et enfin de l’effet biologique sur l’orga-
nisme (par ordre de gravité et limité à la peau pour la lumière : sensation de chaleur,
coup de soleil, insolation, cancer induit par les UV). Ce sont ces trois mêmes niveaux
de description qu’il faut savoir décrire et mesurer dans le cas des rayonnements ioni-
sants ; intensité de l’émission (becquerels), intensité de l’effet physique à la réception
(grays), intensité de l’effet biologique sur l’organisme « éclairé » (sieverts).

La mesure de la radioactivité

« L’activité » représente le nombre d’atomes radioactifs qui se désintègrent pen-


dant une unité de temps. On l’exprime en becquerels∗ (Bq) : 1 becquerel = 1
désintégration par seconde. L’ancienne unité est le curie (Ci) : 1 Ci = 37 GBq
(gigabecquerels) = 37 milliards de Bq.

La mesure de l’absorption d’énergie

Les rayonnements ionisants cèdent de l’énergie à la matière qu’ils traversent : ce


« transfert d’énergie » ou dose absorbée s’exprime en grays∗ (Gy) : 1gray = 1 joule
par kilogramme de matière. L’ancienne unité est le rad (1Gy = 100 rad).

La mesure des dégâts sur le vivant

Lorsque la matière traversée est un organisme vivant, on évalue la nocivité « poten-


tielle » de la dose absorbée en sieverts∗ (Sv). On distingue plusieurs types de doses,
définies ci-dessous :
– la dose équivalente∗ (pour un organe ou un tissu T) : H T = WR .D T R ; où D T R
est l’énergie déposée par kg de tissu par le rayonnement R (exprimée en grays)
et WR le facteur de pondération radiologique (voir tableau 3.3). Si plusieurs
types de rayonnement R interviennent, H T = (WR .D T R ).
On parle d’équivalent de dose pour traduire le fait que, pour une même dose
absorbée, l’effet produit sur un organe donné dépend de la nature du rayon-
nement. Il en résulte que, pour un même équivalent de dose, les effets sur l’or-
gane sont identiques quel que soit le radionucléide (nature du rayonnement)
et qu’il s’agisse d’exposition externe ou interne ; 
– la dose efficace∗ (pour l’organisme entier) : E = (WT .H T ), où la sommation
est cette fois étendue à tous les tissus de l’organisme. La dose efficace tient
compte du fait que chaque tissu ou organe n’a pas la même sensibilité à
l’irradiation, par le biais du facteur de pondération tissulaire WT .

36 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


À titre d’exemple, un gray, déposé sur le corps entier par des photons ou des
électrons (pour lesquels WR = 1), correspond à une dose efficace équivalente
de 1 Sv. L’ancienne unité est le rem (1 Sv = 100 rem).
– la dose engagée (qui peut être équivalente ou efficace) est l’intégrale du débit
de dose équivalente ou efficace sur un temps t spécifié :

dose engagée sur le temps t = τ = d E/d t(t).d t.
0

Les définitions ci-dessus sont exactes et générales mais demandent, pour être
utilisées dans la pratique, une masse d’informations de détail rarement disponibles.
Pour ce qui relève de l’irradiation externe, en cas d’irradiation accidentelle il faut pro-
céder à une enquête pour reconstituer après irradiation (dont on rappelle que nous
n’avons pas d’organes sensibles pour la détecter) quel organe a été irradié pendant
quelle durée et à quel lieu, la source étant elle-même plus facilement connue.
Pour évaluer une dose à l’homme suite à une ingestion ou une inhalation ins-
tantanée d’une quantité connue d’un radioélément, on connaît en général le chemin
biochimique suivi par le radioélément dans l’organisme. On utilise donc en général
plutôt la formule suivante :

dose efficace engagée sur la vie entière (Sv) = A · FD ;

où A est l’activité du radioélément ingéré ou inhalé (en Bq). Le facteur de dose


efficace engagée FD (en Sv/Bq) convertit cette activité en une dose à l’homme
(en Sv). Ce facteur tient compte du fait que tous les radio-isotopes n’ont pas la
même radiotoxicité : ils émettent des rayonnements différents, et leur chemin dans
l’organisme est différent. Le facteur de dose est évalué grâce à un modèle décrivant
le cheminement du radioélément dans les différents compartiments de l’organisme
(tableau 3.4). Un exemple simplifié d’un tel modèle à compartiments est donné dans
la figure 3.3. Un tableau des facteurs de dose édité par la Commission internationale
de protection radiologique (CIPR) est régulièrement mis à jour pour tenir compte de
l’amélioration des connaissances sur la toxicité des radioéléments. On notera les très
faibles valeurs numériques de FD (entre 10−11 et 10−7 Sv/Bq) qu’il faut rapprocher
de très grandes valeurs numériques des activités exprimées en becquerels (GBq,
TBq). C’est le produit des deux termes qui donne les sieverts qui nous intéressent.
Rappelons que l’enjeu pour l’homme se situe entre le microsievert (inoffensif) et le
sievert (atteinte grave).

1.6 Gravité et risque des effets radiotoxiques

Les effets biologiques des rayonnements ionisants commencent toujours au niveau


de la cellule. Les deux grands chemins d’évolution de la cellule (nécrose et mutation

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 37


FD (Sv/Bq)
Eau tritiée 1,8 × 10−11
14
C 5,8 × 10−10
40
K 6,2 × 10−9
90
Sr 2,7 × 10−9 à 2,8 × 10−8
99
Tc 7,8 × 10−10
129
I 1,1 × 10−7
131
I 2,2 × 10−8
135
Cs 2,0 × 10−9
226
Ra 2,8 × 10−7
232
Th 9,2 × 10−8 à 2,2 × 10−7
238
U 7,6 × 10−9 à 4, 4 × 10−8
237
Np 1,1 × 10−7
241
Am 2,0 × 10−7
Tableau 3.4. Facteurs de dose « ingestion » pour quelques radionucléides (CIPR 72).

Figure 3.3. Exemple simplifié de modèle à compartiments.

38 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


non létale, voir paragraphe 1.1) amènent à distinguer deux types d’effets fort diffé-
rents sur la santé.
Les effets déterministes sont des dommages qui apparaissent rapidement, et qui
se déclenchent avec certitude chez tout le monde au-dessus d’une certaine dose (éle-
vée) appelée seuil. Plus on est au-dessus du seuil, plus ces dommages sont graves.
Pour une dose donnée, les effets sont connus et certains. Le risque réside dans l’expo-
sition à la dose, et non dans les effets de celle-ci. C’est le cas des destructions cellu-
laires aboutissant à la nécrose des cellules, lorsqu’un nombre assez grand de cellules
d’un même tissu est touché pour que le tissu lui-même voie ses fonctions pertur-
bées. Le phénomène est comparable à celui des « coups de soleil » qui apparaissent à
partir d’un certain temps d’exposition au soleil et qui sont d’autant plus graves que
l’intensité ou la durée de cette exposition sont plus importantes. De même, il existe
un temps d’exposition au-dessous duquel aucun effet immédiat n’apparaît. C’est ce
temps qui est allongé lors de l’interposition d’écrans minces sur la peau, par étale-
ment de crèmes de protection solaire.
Parmi quelques effets déterministes bien connus, on peut citer la dermite du
radiologiste (à partir de 3 Gy) et la cataracte (2 Gy). Les effets déterministes ont
été reconnus très tôt dans l’histoire de la radioactivité ; une limite d’exposition a été
introduite dès 1928. L’unité significative pour les effets déterministes est directement
la quantité d’énergie laissée dans les tissus par le rayonnement, c’est-à-dire le gray
(J/kg).
À titre d’exemple, la gradation des symptômes pour une irradiation uniforme par
des photons gamma est la suivante :
– au-dessous de 200 mGy : aucun effet mis en évidence ;
– jusqu’à 1 500 mGy : lésions cutanées, rougeurs pouvant évoluer vers la né-
crose ;
– à partir de 1 500 mGy : début du syndrome d’irradiation aiguë : fatigue, ano-
rexie, nausées, chute de numération sanguine ;
– à partir de 5 000 mGy : hospitalisation impérative – céphalées, diarrhées. Une
chance sur deux de survie en l’absence de traitement ; pronostic fortement
amélioré par un traitement adéquat ;
– à partir de 10 000 mGy : fièvre, prostration ; pronostic réservé. Rappelons ici
que les valeurs réglementaires en radioprotection∗ sont imposées au niveau de
quelques mGy à quelques dizaines de mGy (pour les rayonnements gamma,
1 mGy = 1 mSv), soit dans la zone où aucun effet déterministe n’a été mis
en évidence. Ces valeurs guides permettent d’écarter le risque déterministe
et de borner les risques résiduels à faible dose ; ces derniers sont les effets
probabilistes.
Les effets probabilistes sont associés à la transformation des cellules, plus qu’à
leur destruction. Ils se traduisent par des dommages (cancers, effets génétiques) qui

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 39


risquent d’autant plus d’apparaître que la dose de rayonnement a été importante ;
ils ne sont en rien caractéristiques des rayonnements (le même phénomène peut
être observé avec de nombreux produits chimiques, la consommation tabagique,
l’exposition aux rayons ultraviolets solaires pour les cancers. . . ). Ces effets sont
du type « tout ou rien » : un cancer se déclenche ou ne se déclenche pas, mais il
n’est pas plus ou moins grave. C’est la probabilité d’apparition du cancer qui dépend
de la dose reçue, et non sa gravité. Dans une population exposée, certains cancers
peuvent survenir après des délais toujours longs (de quelques années à quelques
dizaines d’années, selon l’organe touché). Dans ce cas, on ne peut pas prédire qui
sera atteint : on parle « d’effet probable ».
Comme on le voit, les effets déterministes et les effets probabilistes sont de na-
ture différente. Les premiers mesurent la gravité clinique d’un effet dont l’apparition
est certaine ; les seconds mesurent un risque de cancer ou d’effets génétiques, dont
la gravité est toujours importante. La relation dose-effet a donc une signification
différente pour les effets déterministes et pour les effets probabilistes.

1.7 La relation dose-effet

Pour les effets probabilistes, la base épidémiologique de la relation dose-effet repose


sur les effets des explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, sur des irradia-
tions systématiques comme celles des peintres de cadrans lumineux au radium et
sur l’expérimentation animale. Les doses reçues par les populations étudiées étaient
de l’ordre de quelques centaines de millisieverts. Sur cette base, le taux de cancers
mortels induits par l’exposition à des rayonnements ionisants est d’environ 50 pour
mille par sievert [5]. On peut remarquer que cet énoncé suppose implicitement que
la relation dose-effet est linéaire. Il ne s’agit là que d’une hypothèse dont la confirma-
tion reste largement à établir, les études épidémiologiques ci-dessus n’étant ni assez
détaillées ni assez exhaustives pour la vérifier de façon convaincante. L’hypothèse de
linéarité semble même inadéquate dans certains cas. Par exemple, une expérience
importante réalisée par C. L. Sanders [3] sur près de 11 000 rats a montré que les
cancers pulmonaires liés à l’inhalation de 239 PuO2 n’apparaissaient de manière si-
gnificative que pour une dose absorbée supérieure à 1 Gy (Fig. 3.4). On a là un
exemple d’effet de seuil dans la relation dose-effet. Cet effet de seuil pourrait être
assez général pour les irradiations a. S’il venait à se confirmer comme une propriété
systématique des émetteurs a, cela pourrait avoir des conséquences profondes sur le
principe même de gestions de ceux-ci lorsqu’ils sont des déchets ultimes. Une disper-
sion généralisée permettrait d’assurer une dose bien au-dessous du seuil pour tous,
et donc une innocuité totale. Cependant, avant de sauter à une telle conclusion, il
nous faudra atteindre une compréhension profonde de notre écosystème et de ses
mécanismes de reconcentration, notamment le long des chaînes alimentaires.

40 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


Figure 3.4. Relation dose-effet pour l’inhalation du 239 PuO2 [3], [7].

1.8 L’effet des faibles doses

C’est pour les doses inférieures à la centaine de millisieverts que l’incertitude sur la
relation dose-effet est la plus grande, car les études épidémiologiques associées sont
extrêmement difficiles. Pour mettre en évidence de façon significative des cancers
radio-induits, il faut suivre pendant 10 à 30 ans une population d’individus exposée
à un rayonnement connu, et prouver que le taux de cancers dans cette population
est statistiquement plus élevé que celui d’une population témoin. À titre indicatif, on
retiendra les ordres de grandeur suivants : sur une population de 1 000 individus,
200 personnes environ mourront d’un cancer (toutes causes confondues, les trois
quarts de ces cancers étant liés aux habitudes de vie des personnes – tabagisme,
alcool. . . ). La théorie statistique indique que l’incertitude sur ce nombre de cancers
« naturels » est de l’ordre de ±14 cancers. L’exposition à une dose radioactive de
0,5 Sv se traduira au maximum par 25 cancers en excès dans cette population,
soit pratiquement le même ordre de grandeur que l’incertitude associée aux cancers
« naturels ». Un échantillon statistique d’un millier de personnes suffit donc (mais à
peine) pour mettre en évidence les effets toxiques maximaux d’une dose de 0,5 Sv. Or
il s’agit là d’une dose élevée ! Pour des doses plus faibles, l’effet toxique ne pourra pas
être mis en évidence dans une population d’un millier de personnes, car le nombre
de cancers en excès sera noyé dans l’incertitude associée aux cancers « naturels ».
Si l’on suppose que la relation dose-effet est linéaire (Fig. 3.5), le raisonnement
précédent permet d’affirmer qu’il faut une population de 3 millions d’individus pour
attester de l’effet d’une dose de 10 mSv, plus proche de doses considérées comme

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 41


es

Effets
déterministes

Figure 3.5. Relation dose-effet pour l’exposition due à la radioactivité. L’effet des faibles doses est évalué en
interpolant linéairement les résultats d’études épidémiologiques menées avec des doses fortes.

acceptables en situation non accidentelle. Il faut donc des échantillons de très grande
taille pour obtenir une précision statistique suffisante sur l’effet des faibles doses.
C’est essentiellement pour cette raison que l’évaluation du risque lié à l’exposition
du public aux rayonnements est si difficile.
On considère généralement que la relation linéaire dose-effet est bien établie au-
delà de la centaine de millisieverts (50 à 200 selon les sources) et que, en deçà, la
loi linéaire est une limite supérieure acceptée par la très grande majorité des experts.
De forts indices, appuyés sur la progression de la connaissance des mécanismes
réparateurs dans la cellule, plaident pour une relation linéaire-quadratique à faible
dose, ce qui réduirait nettement les estimations de toxicité de ces doses. Certains,
certes peu nombreux, vont jusqu’à invoquer le phénomène d’hormésis, en quelque
sorte analogue à une vaccination : de très faibles doses protégeraient contre l’effet de
plus fortes doses ultérieures, en anticipant l’activation des mécanismes réparateurs
les plus complexes et les plus lents. Cet effet adaptatif est certes attesté au niveau de
la cellule, mais la preuve d’un effet au niveau de l’organisme se heurte au manque

42 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


de compréhension des mécanismes régulateurs très complexes, et probablement à
réponse non linéaire. De même, les tenants du « becquerel qui tue », qui extrapolent
à zéro la relation linéaire pour affirmer qu’il n’y a pas de radioactivité sans risque,
aussi faible soit-elle, ont un dossier scientifique surtout rempli d’incertitudes.

1.9 L’effet du débit de dose

L’effet radiotoxique sur l’organisme dépend encore d’un paramètre important : le


débit de dose. Une dose reçue « d’un bloc » (en peu de temps) est en général plus
nocive que la même dose étalée sur une longue période (Fig. 3.6). Il est probable
que les mécanismes de réparation cellulaire, opérationnels aux faibles débits mais
débordés aux forts débits, expliquent la moindre nocivité des faibles débits de dose,
qui pourrait aller jusqu’à diviser la toxicité par deux. Cette influence du débit de
dose sur la radiotoxicité est actuellement négligée par tous les textes normatifs ou
législatifs. Elle est par ailleurs prise en compte comme un paramètre essentiel des
radiothérapies anticancéreuses, où l’on délivre des doses quotidiennes fractionnées
pendant des semaines, de façon à favoriser la capacité de récupération des cellules
saines entre deux irradiations.

EN PETITES
FRACTIONS

EN GRANDES
FRACTIONS

UNE
DOSE
UNIQUE

Figure 3.6. Effet du débit de dose sur la mortalité cellulaire [3].

2 L’ordre de grandeur des doses reçues par le public

L’exposition annuelle de la population aux rayonnements ionisants est résumée dans


la figure 3.7. On constate que la moyenne mondiale est de 4 mSv/an, la part de la
radioactivité naturelle étant de 2,4 mSv/an en moyenne.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 43


Figure 3.7. Exposition des populations (mSv/an).

C’est la radioactivité naturelle qui occupe la plus large place dans ce bilan, avec le
rayonnement du radon comme cause prépondérante, suivie par l’irradiation interne
due aux radioéléments naturellement présents dans le corps humain. (L’organisme
humain contient environ 4 500 Bq de potassium 40 et 3 700 Bq de carbone 14, ce
qui représente une dose d’environ 0,20 mSv/an.)
Après les irradiations naturelles, les irradiations médicales (radios du poumon)
représentent dans les pays développés la deuxième contribution à l’exposition totale
du public.
Le tableau 3.5 donne la répartition de la dose naturelle pour chaque radioélé-
ment. Comme on le voit, les activités nucléaires d’origine humaine n’occupent qu’une
place minoritaire dans l’exposition totale de la population. À titre indicatif, l’accident
de Tchernobyl a exposé les Français à une dose moyenne de 0,09 mSv. Il faut noter
que cette dose a été très inégalement répartie, ce qui donne lieu encore aujourd’hui
à des annonces de valeurs parfois fort différentes pour une même région, selon que
l’on donne les valeurs extrêmes relevées en des lieux très précis ou des doses moyen-
nées sur de plus grandes surfaces.

44 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


Exposition Exposition Total
Sources naturelles externe interne (mSv)
(mSv) (mSv)
Radionucléides naturels primordiaux
40
K 0,12 0,17 0,29
87
Rb 0,0040 0,0040
238 234 234 234
U avec Th Pa U (équilibre) 0,0096 0,0096
232
Th 0,0072 0,0072
Radionucléides naturels secondaires
Famille de 238 U :
230
Th 0,0074 0,0074
226
Ra 0,08 0,0083 0,083
222
Rn et produits de filiation à vie courte 0,55 0,55
210 210
Pb– Po 0,0013 0,0013
232
Famille de Th :
228 224
Ra– Ra 0,12 0,021 0,14
222
Rn et produits de filiation 0,15 0,15
Radionucléides d’origine cosmique
3
H 7 Be 14 C 22 Na 0,008 0,008
Rayonnements cosmiques
(au niveau de la mer) 0,30 0,30
Total par colonne 0,62 ≈0,94 ≈1,56
Tableau 3.5. Équivalents de dose effectifs engagés par an dus aux sources naturelles dans des régions à
caractéristiques moyennes (en millisieverts). Toutes les sources étant pratiquement constantes dans le
temps, ces valeurs représentent également les doses moyennes reçues chaque année.

3 Les doses acceptables


3.1 L’approche de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR)
Les doses acceptables pour les travailleurs et pour le public sont déterminées à par-
tir d’une relation dose-effet supposée linéaire, sans seuil (Fig. 3.5). Cette relation
dose-effet hypothétique est établie par un organisme international réunissant des
experts scientifiques en radioprotection, la Commission internationale de protection

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 45


radiologique (CIPR). La relation linéaire sans seuil de la CIPR suppose qu’une dose
de 1 mSv entraînera 50 cancers mortels en excès dans une population d’un million
de personnes (à titre de référence, il y a un total de 200 000 cancers pour la même
population). Comme on l’a vu plus haut, les études épidémiologiques qui fondent
la relation dose-effet de la CIPR ont une base statistique encore relativement faible,
en tous cas très insuffisante pour évaluer correctement l’effet des faibles doses. L’hy-
pothèse de linéarité est surtout le reflet de l’ignorance actuelle ; elle a le mérite de
la simplicité. L’absence de seuil supposée par la CIPR a des implications sociales
non négligeables. La première conséquence est que, par hypothèse, le risque nul
n’existe pas. Dans ces conditions, sur quel critère le législateur juge-t-il qu’une dose
est acceptable ? Il s’agit d’abord de distribuer équitablement le risque et d’optimiser
l’allocation des ressources de protection. C’est le principe ALARA (As Low As Reaso-
nably Achievable, c’est-à-dire qu’on cherche à maintenir le risque aussi bas qu’il est
raisonnablement possible, compte tenu des considérations économiques et sociales).

3.2 La réglementation française

La réglementation française spécifie les doses acceptables :


– <20 mSv/an moyennés sur 5 ans (avec un maximum annuel de 50 mSv par
an) pour les travailleurs du nucléaire ;
– <1 mSv/an pour le public.
On remarquera que ces limites de dose sont du même ordre de grandeur que les
doses dues à la radioactivité naturelle.

4 La toxicité relative de quelques radioéléments


On se focalisera ici sur quelques radioéléments susceptibles d’atteindre l’homme en
situation naturelle ou accidentelle. Il s’agit des isotopes∗ de l’iode, du césium, du
strontium, du tritium, de l’américium, du plutonium, de l’uranium, et du radium et
de ses descendants.

4.1 L’iode à vie courte 131 I

Issu principalement des accidents de réacteurs nucléaires, il joue un rôle important


dans les situations graves (l’accident de Windscale a libéré 1 200 TBq d’iode 131, ce-
lui de Tchernobyl 300 000 TBq). Bien assimilé et rapidement transféré chez l’homme,
il s’accumule dans la thyroïde, risquant de causer un cancer de cet organe. Il atteint
les individus par la voie respiratoire, mais surtout par la voie alimentaire, car on le
retrouve dans le lait et dans les légumes verts. Peu retenu dans le sol, il passe facile-
ment dans les eaux. La durée de séjour de l’iode dans l’organisme est de 60 à 80 jours,

46 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


mais l’iode 131 disparaît avant en raison de sa courte période (8 jours). Les cancers
de la thyroïde enregistrés chez les enfants de Biélorussie sont en net excès suite à
l’accident de Tchernobyl, en 1986, plus particulièrement dans la région de Gomel,
dont on sait par ailleurs qu’elle a été la plus contaminée en iode (tableau 3.6). En
France, on estime qu’en cas de fusion du cœur d’un réacteur, le combustible libé-
rerait 2 à 3 % des isotopes de l’iode. Les systèmes de confinement limiteraient les
rejets potentiels à moins de 1 % (soit 240 000 TBq) de l’inventaire du cœur pour
les accidents les plus graves, contribuant dans un rayon de 10 km pour 92 % de la
dose à la thyroïde et 55 % de la dose efficace reçue par les populations. Le remède
pour contrer les effets radiotoxiques de l’iode 131 est l’administration d’iode stable,
sous forme d’iodure de potassium. Cet iode stable sature la thyroïde, qui ne fixe plus
l’isotope radioactif. Pour être efficace, l’administration d’iode stable doit se faire très
peu de temps après l’exposition à l’iode radioactif (quelques heures).

4.2 L’iode à vie longue 129 I

Son rôle est secondaire en situation accidentelle car sa durée de vie extrêmement
longue lui donne une radioactivité spécifique très faible. En revanche, c’est un déchet
nucléaire important à cause de sa longue durée de vie et de sa grande mobilité.
Sa radiotoxicité a peut-être été surévaluée par l’absence de prise en compte d’un
phénomène physiologique : l’iode est fixé dans l’organisme au niveau de la thyroïde,
qui en contient 12 mg. Tout excès est éliminé. La radioactivité de cet iode est si faible
que, même si tout l’iode de la thyroïde était en permanence de l’iode 129, l’activité
serait de 87 000 Bq et la dose annuelle ne serait que de 10 mSv.

4.3 Le césium

Le césium 137 est un déchet nucléaire important, avec une période 30 ans. Il pré-
domine, avec l’iode 131, dans les accidents de réacteur. L’accident de Tchernobyl a
libéré 5 × 1016 Bq de césium, dont 60 % de 137 Cs. Peu mobile dans la géosphère,
le césium est bien fixé par les argiles. Il est facilement transféré à l’homme par les
productions végétales et animales. Il se répartit dans les masses musculaires et sa
période biologique est voisine de 100 jours.

4.4 Le strontium

Le strontium 90 est un produit de fission∗ , dont la période est de 30 ans. Il accom-


pagne le césium 137 dans les accidents de réacteur (l’accident de Tchernobyl a libéré
5 × 1015 Bq de strontium). Il expose les individus essentiellement par la voie alimen-
taire. Bien transféré à l’homme par les productions végétales et animales (lait), il se

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 47


répartit dans le squelette, causant des risques de cancer des os. Sa période biologique
est voisine de 2 500 jours.

4.5 Les émetteurs alpha artificiels

Les émetteurs alpha artificiels les plus importants sont l’américium 241 et les iso-
topes 238, 239, 240 du plutonium. Ils migrent peu dans la géosphère et sont mal
transférés à la biosphère. Chez l’homme, la fraction assimilée se fixe surtout sur le
squelette. Ces émetteurs alpha artificiels sont très radiotoxiques. Il faut mentionner
ici le polonium 210, qui a servi à assassiner par empoisonnement le malheureux
espion russe Litvinenko. Les coupables courent toujours !

4.6 L’uranium et le radium

Émetteurs alpha naturels, l’uranium et le radium, qui se rencontrent surtout sous


forme de déchets (particulièrement dans les résidus miniers), sont peu impliqués
en situation accidentelle. Vu la très longue période radioactive des principaux iso-
topes 235 et 238 de l’uranium (de l’ordre du milliard d’années), la nocivité de ces
derniers est chimique et non radioactive. La mobilité de l’uranium dans la géosphère
est faible et celle du radium l’est plus encore.

4.7 Le radon

Émetteur alpha, le radon 222 est issu de la désintégration radioactive du radium 226.
Émanant naturellement des roches uranifères et des déchets miniers en général, il
n’est pas très radiotoxique par lui-même, car ce gaz inerte ne se fixe pas dans l’orga-
nisme. Ce sont ses descendants, comme lui émetteurs a qui le sont. Le radon a ten-
dance à s’accumuler en atmosphère confinée, ce qui le rend susceptible d’atteindre
les mineurs (dans les mines) et le public (dans les habitations). Il est radiotoxique
par inhalation, et peut être responsable de cancers du poumon. Cette responsabi-
lité est statistiquement prouvée chez des mineurs fortement exposés. L’impact sani-
taire du radon sur le public est beaucoup moins clair et relève de la problématique
des faibles doses. Les populations exposées à des doses significatives sont très nom-
breuses, ce qui devrait permettre de mener des études épidémiologiques sur des
bases statistiques larges. C’est peut-être par le radon que l’étude des faibles doses
radioactives pourra progresser à moyen terme. Selon certaines estimations (contro-
versées), le radon serait responsable de plusieurs milliers de cancers du poumon par
an en France. L’importance de cofacteurs comme le tabac est forte, ce qui complique
encore le tableau. Même si les incertitudes sont grandes, l’importance de l’enjeu sani-
taire « radon » justifie des mesures de prévention. Il existe des moyens relativement

48 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


simples et économiques pour réduire fortement les concentrations de radon dans les
maisons.

4.8 Le tritium

Le tritium est un produit d’activation de période 12 ans, issu des usines de retraite-
ment, ou des établissements militaires. C’est un élément de très faible radiotoxicité,
car il n’émet qu’un rayonnement β de très faible énergie (18 keV maximum, avec un
parcours dans la matière de l’ordre de quelques microns). Initialement sous forme
de gaz, il peut entrer plus ou moins vite dans la composition de molécules d’eau et
donner de l’eau tritiée. Il suit alors le cycle de l’eau dans la biosphère. Le tritium
n’entraîne qu’une exposition interne. Il pénètre facilement dans l’organisme, qui l’éli-
mine dans sa quasi-totalité en une dizaine de jours. En cas d’exposition au tritium,
le remède consiste à boire pour accélérer l’élimination de l’eau tritiée.

5 La radioactivité, un risque que l’on sait évaluer

Nous avons donné un aperçu de la variété des concepts, d’unités de mesure, de com-
portements spécifiques des divers radionucléides qui jalonnent le champ complexe
de la radioprotection. Retenons surtout qu’il existe une unité de mesure, le sievert,
créée pour évaluer et comparer des atteintes radiologiques à l’organisme qui ne sont
pas a priori comparables. Dans cette unité, les doses demandant une intervention
médicale sont de l’ordre du sievert, comme d’ailleurs les doses utilisées en radiothé-
rapie.
Les réglementations et les pratiques concernant la protection des travailleurs et
du public s’expriment en millisieverts, ainsi que la dose annuelle due à la radio-
activité naturelle. Les rayonnements radioactifs étant facilement décelables, y com-
pris par des instruments portables, on peut aisément mettre en évidence dans la
nature des radioactivités, naturelles ou non, à des doses se mesurant en millièmes
de millisieverts. La fréquence et la facilité de la détection de tels événements ou
points chauds (sable de Camargue, taches de césium dans le Mercantour, sanglier
des Vosges. . . ) font que leur place dans les médias est sans commune mesure avec
les doses effectivement en cause.
Munis de cette gradation de risques, qui va de l’anodin au mortel, nous pou-
vons poursuivre notre premier contact avec la radioactivité en nous penchant sur
l’histoire de son usage industriel majeur : l’électricité d’origine nucléaire ou encore
l’électronucléaire.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 49


Bibliographie
[1] P. Galle, Toxiques nucléaires, Masson, 1982.
[2] H. Métivier, Radioprotection et ingénierie nucléaire, collection « Génie Ato-
mique », EDP Sciences, 2006.
[3] C.L. Sanders, R. Kathren, Ionizing radiation : tumorigenic and tumoricidal ef-
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[4] M. Ponchet, H. Métivier, Agriculture, Environnement et Nucléaire, FNSEAIPSN-
CNIEL, collection « IPSN », 1994.
[5] CIPR 60, Recommandations 1990 de la Commission internationale de protec-
tion radiologique, Pergamon Press, Oxford, 1990.
[6] B. Dutrillaux, « Peut-on savoir si un cancer est dû à la radioactivité », La Re-
cherche, 308, avril 1998.
[7] Clefs CEA, 34, « La radioactivité », hiver 1996-1997.
[8] Clefs CEA, 43, « Les rayonnements, l’ADN et la cellule », printemps 2000.
[9] M.T. Ménager, J. Garnier-Laplace, M. Goyffon, Toxicologie nucléaire environne-
mentale et humaine, Éditions Tec et Doc, Lavoisier, 2009.
[10] D. Delacroix, J.P. Guerre, P. Leblanc, Radionucléides et radioprotection, EDP
Sciences, 2004.

50 Chapitre 3. Les effets des rayonnements sur le vivant


Troisième partie

Les réacteurs nucléaires :


conception, filières, sûreté
4 Le fonctionnement
d’un réacteur nucléaire

Jean-Marc CAVEDON

Un réacteur nucléaire à neutrons thermiques est un milieu producteur d’énergie


issue de la fission∗ du noyau de l’atome, comprenant des noyaux atomiques lourds
(le combustible), susceptibles de fissionner lorsqu’ils capturent des neutrons, des
noyaux légers (le modérateur∗ ) capables de ralentir des neutrons par chocs successifs,
et un fluide (le caloporteur∗ ) capable d’extraire la chaleur dégagée lors du freinage
et de l’arrêt des produits de fission, qui a lieu très près de la fission elle-même. L’en-
semble baigne dans un « gaz » ou flux de neutrons, produits par une génération de
fissions et consommés par la suivante, occupant tout le volume du cœur et couvrant
une large gamme de vitesses.
C’est aussi une machine thermique, qui transforme l’énergie cinétique des pro-
duits de fission en énergie thermique locale, évacuée par le caloporteur, de nouveau
transformée au bout d’une ou deux boucles d’échange thermique en énergie ciné-
tique de rotation d’une turbine à vapeur, et enfin en énergie électrique dans l’alter-
nateur couplé à l’arbre de la turbine.
C’est encore un assemblage de matériaux qui doivent résister tout à la fois à
la température, aux dégâts d’irradiation sous flux neutronique, et à la durée. De
ce point de vue, aux éléments combustibles s’ajoutent les matériaux de structure
employés dans la construction mécanique et les matériaux absorbeurs de neutrons,
permettant le pilotage ou assurant la sécurité du réacteur, ainsi que tous les capteurs
et actionneurs associés.
C’est enfin, après quelques années de fonctionnement, une source complexe de
noyaux radioactifs d’activités et de durées de vie très variables (produits de fission∗ ,
actinides∗ créés à partir de noyaux de combustible ayant capturé successivement
plusieurs neutrons, produits d’activation créés à partir de matériaux de structure
soumis à tous les flux d’irradiation). Le maintien sous contrôle strict et l’absence
de dissémination de cette source se fait par disposition de barrières matérielles
successives, chacune englobant la précédente. La première barrière est la gaine
métallique enserrant le combustible, la deuxième est la cuve contenant le cœur
du réacteur, la troisième et dernière est l’enceinte de confinement en béton, qui
protège aussi contre les intrusions de l’extérieur. Ces trois barrières n’existent pas
nécessairement sur toutes les filières de réacteurs.
Nous ne traiterons ici que des aspects neutroniques et de pilotage, en insistant
sur le fait que les points de vue de la thermique et des matériaux sont tout aussi es-
sentiels à la construction de réacteurs industriels. Nombre de choix et de contraintes
techniques sont dictés par ces aspects, tout aussi essentiels que ceux que nous abor-
dons.

1 La réaction de fission et les réactions en chaîne

La comparaison des sections efficaces de fission induite par capture d’un neutron
(σf ) pour les isotopes 235 et 238 de l’uranium fait apparaître que seul l’isotope 235
fissionne, tant que l’énergie du neutron capturé n’atteint pas 1 MeV. Au-delà de ce
seuil, les deux isotopes se comportent de façon sensiblement équivalente. L’énergie
d’appariement entre neutrons est à la source de cette différence de comportement
entre ces deux isotopes.

Encadré 4.1. Qu’est-ce qu’une section efficace et un neutron thermique ?


La propension d’un noyau d’atome à capturer un neutron puis à se briser en deux parties,
c’est-à-dire à fissionner, s’évalue avec une unité de mesure appelée section efficace. Cette
unité s’exprime en mètres carrés comme une surface (ou plutôt en femtomètres carrés :
1 fm2 = 10−30 m2 ou en barns −1 barn = 10−28 m2 ). Ceci traduit le fait qu’il s’agit d’abord
de mesurer la probabilité qu’un neutron rencontre un noyau, de même que le marquage
d’un but au football commence par l’envoi du ballon vers la surface d’entrée de la cage. Le
but n’est cependant marqué que si le gardien échoue dans ses mouvements de capture, de
renvoi ou de déviation du ballon/neutron. Plus le gardien sera habile, plus sa section efficace
d’obstruction de la surface des buts sera grande. S’il parvient, par sa mobilité, à défendre
toute la surface de but, le gardien est parfait (et le jeu sans intérêt). Les noyaux d’atomes
lourds, bons intercepteurs de neutrons, diffèrent entre eux par leur propension à capturer
les neutrons, ainsi que par leur probabilité de fissionner, une fois la capture effectuée.

54 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


Les sections efficaces de capture et de fission varient fortement avec l’énergie du neutron
incident (Fig. 4.1). La tendance générale est à la baisse des sections efficaces lorsque l’éner-
gie croît (toujours comme au football). C’est pourquoi l’on attache systématiquement au
neutron un adjectif qualificatif d’énergie. Les neutrons sont thermiques (1/40 eV), rapides
(1 à 2 MeV) ou encore épithermiques (d’énergie intermédiaire entre les précédents). Les
neutrons de plus basse énergie (lents, froids. . . ) ne sont utiles qu’en tant que sondes dans la
compréhension de la matière et n’existent pas dans un réacteur producteur d’énergie.

Figure 4.1. Sections efficaces de fission et de capture de l’uranium 235, en fonction de l’énergie du neutron.

Tous les isotopes fissiles∗ sont instables. Le seul isotope fissile disponible dans la
nature est 235 U, car c’est le seul dont la durée de vie (700 millions d’années) s’ap-
proche de l’âge de la Terre. Les deux seuls autres isotopes fissiles d’intérêt pratique
pour la production d’énergie sont 233 U et 239 Pu, que l’on peut produire respective-
ment à partir des deux autres isotopes ayant des temps de vie « géologiques », à
savoir 232 Th (14 milliards d’années) et 238 U (4,4 milliards d’années). Ces isotopes,
qui mènent après capture d’un neutron et deux désintégrations β à des isotopes fis-
siles, sont dits fertiles∗ . Le bilan d’énergie d’une fission est sensiblement le même
pour toutes les fissions. Les 200 MeV (soit 30 picojoules) disponibles après chaque
fission se répartissent en 166 MeV emportés par les fragments de fission, 29 MeV
sous forme d’énergie interne de fragments de fission libérés par l’émission de rayon-
nements divers lors des cascades radioactives qui les transforment en produits de
fission et enfin 5 MeV d’énergie cinétique des neutrons émis. Cette dernière fraction

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 55


de l’énergie émise correspond à l’émission de 2,5 neutrons en moyenne, d’énergie
2 MeV.
Quoique négligeable du point de vue de l’énergie, l’émission de neutrons est
essentielle à l’organisation de réactions de fission en chaîne∗ (Fig. 4.2). Puisqu’un
seul neutron est consommé pour initier une fission et que celle-ci libère en moyenne
2,5 neutrons, il y a un net excédent positif. Un réacteur nucléaire est un milieu
organisé de façon à ce que chaque neutron absorbé qui a mené à une fission soit
exactement remplacé par un neutron de même énergie qui induira à son tour une
fission de 2e génération, et ainsi de suite. Les pertes de neutrons par absorptions
fertiles ou stériles dans l’ensemble des matériaux ou par fuite hors du réacteur
sont calculées pour compenser exactement l’excédent de neutrons fourni par la
multiplicité ν = 2,5 de la fission.
Fission nucléaire Réaction en chaîne

Figure 4.2. Fission et réaction de fission en chaîne.

Mais le choix de l’isotope combustible ne détermine pas complètement le déroule-


ment de la réaction en chaîne. Il faut encore choisir la masse totale et la composition
isotopique complète du système contenant les isotopes fissiles. Il faut aussi choisir
l’énergie des neutrons au moment de leur absorption. Cela se fait en ralentissant
les neutrons émis par les fissions précédentes, dans un milieu de noyaux légers, ap-
pelé « modérateur ». Il faut enfin fixer les proportions relatives de combustible et de
modérateur et leur disposition dans l’espace.
Tous ces choix conditionnent le bilan des neutrons sur une réaction en chaîne
bouclée. Ce bilan se mesure par le facteur de multiplication∗ neutronique k, qui est
le rapport du nombre de fissions aux générations (n + 1) et (n). Dans un volume
de matière fissile tel que k < 1, le nombre de neutrons tend vers 0. Ceci se produit
par exemple lorsque la masse fissile est trop faible pour compenser les pertes de
neutrons qui fuient hors du volume de réaction. Le système est dit sous-critique. Un
arrangement de matière fissile tel que k > 1 conduit à une croissance exponentielle
du nombre de neutrons et donc de l’énergie libérée. Le système est sur-critique.

56 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


Si ce système s’est constitué accidentellement (accident de criticité), son com-
portement explosif est arrêté par le dégagement d’énergie interne, qui disperse la
matière fissile et provoque la chute de k au-dessous de k = 1. Les systèmes que nous
décrivons ont pour but la libération régulière de l’énergie de fission nucléaire, ce qui
revient à imposer k = 1 strictement (condition de criticité∗ ).

2 Le principe des réacteurs nucléaires

Un réacteur en production stable est un milieu contenant des noyaux susceptibles


de fissionner si un neutron leur est fourni (noyaux fissiles) et des noyaux capables
de modifier la vitesse des neutrons produits après une fission (noyaux modérateurs),
assemblés pour satisfaire par définition le critère de criticité k = 1 (Fig. 4.3). Dans
un réacteur réel, cette condition est vérifiée avec une grande précision : la régulation
d’un réacteur à chaque instant s’effectue à quelque 10−4 près, à la fois par contre-
réaction naturelle (par exemple l’effet Doppler∗ lié à l’agitation thermique des noyaux

Fluide
caloporteur chaud
Barre de contrôle

Barre d’uranium

Modérateur

Fluide
caloporteur froid

Figure 4.3. Le cœur d’un réacteur nucléaire.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 57


de combustible, voir § 4) et par divers mécanismes d’ajustement. Conventionnelle-
ment, l’écart à k = 1 se mesure en unités de 10−5 (ou pcm = pour cent mille). Il faut
piloter la réaction en chaîne avec une précision de quelques dizaines de pcm.
L’agencement d’un réacteur dépend beaucoup du choix de l’énergie des neutrons
à laquelle on souhaite provoquer les fissions, ou de façon presque équivalente, du
choix de la valeur de la section efficace de fission (σf ). La valeur de σf décroît comme
l’inverse de la vitesse des neutrons.
On choisit donc le plus souvent de provoquer les fissions à la plus basse éner-
gie possible ; de fait, on ne peut descendre au-dessous de la température ambiante,
c’est le domaine des neutrons thermiques (E = 1/40 eV à T = 300 K). Ce choix
suppose de ralentir les neutrons, émis à 2 MeV après la fission, jusqu’à l’énergie ther-
mique, c’est-à-dire de diviser leur énergie par 100 millions. C’est le rôle essentiel du
modérateur. La qualité du rendement thermodynamique imposant au contraire que
la température du caloporteur soit la plus élevée possible, les réacteurs à neutrons
thermiques fonctionnent en pratique à la température d’environ 600 K.
L’autre grand choix possible est d’utiliser les neutrons à l’énergie à laquelle ils
sont produits. Il n’y a pas de modérateur dans ce cas. Pour ces neutrons, dits rapides,
la section efficace de fission est environ cent fois plus faible que la section efficace
pour des neutrons thermiques. Il faut compenser cette faible probabilité de fission
d’une part par un flux de neutrons plus élevé dans le réacteur et d’autre part par une
forte teneur en isotopes fissiles dans le combustible. C’est la filière des réacteurs à
neutrons rapides∗ (RNR), qui exploite la forte similitude des isotopes lourds devant
la fission rapide pour recourir à une plus grande diversité d’isotopes combustibles.
Les réacteurs qui dominent aujourd’hui la production d’énergie sont pour l’essen-
tiel des réacteurs à neutrons thermiques sous-modérés, où l’on accepte de ne pas
maximiser σf (ce qui correspondrait à la thermalisation complète) pour assurer une
stabilité intrinsèque du réacteur, gage de sécurité (voir § 4).

3 Flux neutronique et modération

Nous supposerons que l’on peut séparer la phase de ralentissement des neutrons
(de 2 MeV à 1/40 eV) et la phase de leur diffusion à énergie moyenne constante
(1/40 eV). Un modérateur a trois fonctions détaillées ci-après.

3.1 Ralentir les neutrons avec un nombre de chocs minimal (compacité)

Le ralentissement des neutrons se produit par des collisions répétées avec des
noyaux, qui induisent une marche aléatoire. Suivant les règles de la mécanique clas-
sique, les collisions provoquent une perte d’énergie, d’autant plus efficace que le

58 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


noyau est plus léger. Pour ralentir en peu de chocs, on choisit donc comme modéra-
teur un milieu comportant des noyaux légers. Dans un modérateur à base de carbone
(graphite), il faut en moyenne 115 chocs pour thermaliser un neutron. Il n’en faut
plus que 25 si le modérateur est le deutérium contenu dans l’eau lourde∗ (D2 O) et
seulement 18 si le modérateur est l’hydrogène de l’eau ordinaire. Le combustible lui-
même est un très mauvais modérateur, puisqu’il faudrait 2 172 chocs en moyenne
pour thermaliser un neutron par de l’238 U. La distance moyenne entre le lieu de la
fission produisant le neutron rapide et le lieu où le neutron est complètement ther-
malisé est respectivement de 187 mm pour le graphite, 110 mm pour l’eau lourde et
57,5 mm pour l’eau ordinaire, le plus compact des modérateurs.

3.2 Diffuser les neutrons avec un minimum d’absorptions parasites dans le modérateur
(transparence)

Une fois thermalisé, le neutron diffuse dans le cœur du réacteur jusqu’à être capturé.
La longueur du trajet de diffusion résulte d’une compétition entre le coefficient de
diffusion dans le modérateur, à énergie constante, et la section efficace d’absorption
par le modérateur. Elle est de 520 mm dans le graphite, de 100 mm dans l’eau lourde
et de 28 mm dans l’eau ordinaire.

3.3 Minimiser les captures sans fission par le combustible

Cela se fait aussi en minimisant le nombre de chocs. Les combustibles ont tous en ef-
fet des résonances d’absorption particulièrement importantes dans la gamme d’éner-
gie de 1 eV à 100 keV (énergies épithermiques∗ ). La réduction du nombre de colli-
sions dans cette gamme d’énergie permet de diminuer la probabilité d’absorptions
parasites.
L’eau lourde est le meilleur des modérateurs en compromis transparence-
efficacité. L’eau légère est le plus compact des modérateurs, mais aussi le moins
bon du point de vue des absorptions parasites. L’eau est aussi un bon caloporteur.
Le graphite occupe une position intermédiaire en transparence et compacité du
point de vue neutronique, mais c’est un solide peu conducteur de la chaleur, et il ne
peut donc avoir que sa fonction neutronique de modérateur.

4 Stabilité et pilotage d’un réacteur

La production stable d’énergie par un réacteur implique que l’on fasse en sorte que le
nombre moyen de nouvelles fissions soit égal au nombre de fissions de la génération
antérieure (Fig. 4.4).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 59


3 fuites
37 captures
100 neutrons lents
(dont 10 fertiles)

60 fissions 144 neutrons rapides

Ralentissement :
Perte de 50 neutrons

17 fuites 33 captures 3 fissions 9 neutrons rapides


fertiles

Figure 4.4. Le bilan neutronique typique d’un réacteur à eau.

Le rapport entre le nombre de fissions de deux générations successives de neu-


trons est appelé facteur de multiplication∗ keff ; techniquement, il s’agit de réaliser
exactement keff = 1. La réactivité∗ ρ est définie par ρ = (keff−1)/keff et la condition
de stabilité du réacteur devient ρ = 0. Une réaction en chaîne dont la réactivité ρ
est strictement positive, aussi petite soit-elle, devrait conduire très rapidement à une
divergence exponentielle et donc à un accroissement catastrophique du flux de neu-
trons. En effet, le temps moyen entre deux générations de fissions est très court et
varie de quelques microsecondes à quelques millisecondes, durée qui permet d’imagi-
ner des temps de divergence plus courts que tout délai réaliste de contre-réaction. Or,
tant que ρ reste inférieur à une valeur petite (de l’ordre de quelques pour mille, va-
riant avec le combustible), cette divergence exponentielle, aussi appelée divergence
prompte, n’a pas lieu.

4.1 Les neutrons retardés

Cela est dû à une particularité de comportement de certains des fragments de fis-


sion, qui émettent des neutrons avec un retard notable. En effet, si la très grande
majorité des neutrons émis à la suite d’une fission le sont à l’instant même de la fis-
sion (10−14 s) et sont disponibles, après migration, au plus quelques millisecondes
après pour une nouvelle fission, une faible fraction β de ces neutrons (β = 650 pcm
pour l’uranium 235) est en fait émise nettement plus tard par des fragments de
fission. Cette fraction est composée de neutrons émis après une première désintégra-
tion β − du fragment initial. Ils accusent donc un retard de l’ordre de la période de
la désintégration qui les a précédés. Ce retard peut dépasser la dizaine de secondes.
L’existence de neutrons retardés, marginale sur le nombre de neutrons, a un effet

60 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


essentiel sur le temps moyen entre deux générations de fission, qui peut ainsi être
étendu à des secondes. Ceci laisse le temps d’agir à des systèmes de contre-réaction
mécanique (barres de pilotage, contenant des matériaux à forte section efficace d’ab-
sorption de neutrons). L’art de la construction d’un réacteur que l’on puisse piloter
est d’équilibrer le système pour qu’il soit sous-critique par rapport au bilan des neu-
trons prompts, et qu’il n’atteigne la criticité keff = 1 qu’avec l’appoint, certes faible,
de la fraction β de neutrons retardés. La condition de pilotage du réacteur s’écrit
alors comme le maintien de la réactivité ρ à une valeur toujours inférieure à cette
fraction β, de façon à éviter la criticité vis-à-vis des neutrons prompts seuls (ρ > β
ou criticité prompte).
Le pilotage d’un réacteur à combustible uranium doit donc maintenir impérati-
vement : ρ < β = 650 pcm. Les causes d’évolution de la réactivité sont nombreuses.
Les évolutions lentes sont liées à l’usure du combustible et à sa conversion en d’autres
isotopes, ainsi qu’à l’apparition progressive de produits de fission absorbeurs de neu-
trons, ou poisons neutroniques, et aussi d’actinides non fissiles (240 Pu, 242 Pu. . . ). Ces
évolutions sont importantes sur la durée de vie du combustible mais sont aisément
compensées par un lent déplacement de barres d’absorbant. La chute de réactivité
du combustible qu’il s’agit de compenser dans un réacteur à eau sous pression est de
1 000 pcm par mois pendant 36 mois.

4.2 Les poisons neutroniques

Un cas particulier est l’apparition de poisons neutroniques retardés par une cas-
cade β– comportant de longues périodes. L’exemple le plus classique est « l’effet
xénon », qui fait référence au 135 Xe, produit de fission à forte section efficace de cap-
ture neutronique (poison neutronique). Avec une probabilité non négligeable, des
fissions conduisent à partir du tellure 135 de période courte à une chaîne de dés-
intégrations β successives donnant l’iode 135 de période 6,7 h puis le xénon 135
de période 9,2 h et enfin le césium 135 de très longue durée de vie. Dans un ré-
acteur en fonctionnement, un équilibre « séculaire » s’établit entre la production de
135
Xe par les fissions et sa destruction par les neutrons. Une concentration limite est
atteinte. Quand on arrête le réacteur, la destruction de xénon par absorption de neu-
trons cesse, sa concentration se met à croître, alimentée par la décroissance de l’iode.
En quelques heures se produit une chute de réactivité qui peut dépasser 2 000 pcm
9 heures après l’arrêt. Puis l’iode s’épuise, le xénon 135 décroît à son tour par radio-
activité β et environ 30 heures après l’arrêt, l’empoisonnement disparaît. Ce « pic
xénon » peut empêcher le redémarrage d’un réacteur après un arrêt, par exemple
en fin de cycle quand, par suite de l’usure du combustible, la réserve de réactivité
pourrait n’être plus assez grande pour en contrebalancer l’effet. L’empoisonnement
xénon a joué un rôle dans l’accident de Tchernobyl (voir chapitre 7).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 61


4.3 L’effet Doppler

Les variations plus rapides de réactivité ont pour origine les variations de tempé-
rature du réacteur. L’effet le plus rapide et le plus sensible est l’effet Doppler dans
le combustible : une augmentation locale de la température dans le combustible,
donc une agitation accrue des noyaux de combustible, a pour effet d’élargir par ef-
fet Doppler les bandes d’absorption résonnante des neutrons épithermiques∗ , et donc
d’augmenter la probabilité de capture des neutrons et de faire chuter la puissance
neutronique dissipée localement.
Cet effet de contre-réaction physique est précieux, puisqu’immédiat et local. L’ef-
fet Doppler, dont l’ordre de grandeur est de –2,5 pcm par ◦ C pour un réacteur à eau
légère, est une composante autostabilisatrice essentielle à la régulation d’un réacteur.

4.4 Le coefficient de vidange

L’effet sur la réactivité de la variation de température du modérateur est plus faible,


en raison de l’inertie thermique propre au modérateur. Lorsque le modérateur est
liquide (eau lourde ou ordinaire), l’effet essentiel est sa dilatation, donc une chute
du rapport du nombre de noyaux modérateurs au nombre de noyaux combustibles,
ou rapport de modération. Un réacteur sous-modéré, où l’on accepte de ne pas
ralentir complètement les neutrons jusqu’à l’énergie thermique, est stable vis-à-vis
d’un échauffement du modérateur. À l’inverse, un excès de modération conduirait
à une instabilité. L’ébullition du modérateur, cas extrême de dilatation, ne fait pas
courir de risque d’emballement à un réacteur à eau sous-modéré, puisque l’excès de
chaleur qui provoque l’ébullition provoque une chute de réactivité. On a d’ailleurs
conçu une filière de réacteurs à eau bouillante (REB, ou BWR – boiling water reactor).

4.5 En réacteur rapide

Dans un réacteur rapide, donc sans modérateur, l’effet de la température résulte


d’une compétition entre l’accroissement de réactivité par augmentation des fissions
et la chute de réactivité par augmentation des captures. La capture peut avoir lieu
sur un noyau fertile∗ (par exemple 238 U), transformant ce dernier en un noyau fissile∗
(239 Pu). La garantie d’un bilan global négatif oblige à une limite en teneur minimale
de combustible fertile présent dans le réacteur rapide. Cette teneur est de l’ordre de
50 %.

4.6 Les amplitudes de réglage

L’amplitude totale de réglage de réactivité par les dispositifs de contrôle au cours de


la consommation du combustible se décompose comme suit :

62 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


– effet d’empoisonnement par le xénon et le samarium : 4 000 pcm ;
– effet de température du modérateur (15 pcm/◦ C) : 1 000 pcm ;
– effet de température du combustible : 1 000 pcm.
Les diverses contributions à l’amplitude totale de 48 000 pcm ont des amplitudes
variées et les temps caractéristiques de variation associés sont d’autant plus courts
que l’amplitude est plus faible. C’est pourquoi le contrôle de réactivité est assuré
par des techniques adaptées à chacun des couples amplitude/temps des sources de
variation ci-dessus. Il existe des barres de compensation des usures et des empoison-
nements du combustible, à mouvement lent et de grande course. Le pilotage fin est
assuré par des barres peu absorbantes, rapides, à positionnement précis dans la zone
à sensibilité maximale (barres à peine introduites dans le cœur).

4.7 L’arrêt de sécurité

La fonction d’arrêt de sécurité est assurée par des barres très absorbantes, de mou-
vement très rapide et de mécanique très sûre, assurant un enfoncement complet qui
« étouffe » les réactions en chaîne. Dans les réacteurs à eau sous pression, on injecte
un absorbant liquide (bore sous forme d’acide borique) dans le modérateur liquide,
ce qui assure une diffusion homogène et rapide. C’est à la fois un mécanisme de
contrôle fin de la réactivité (–10 pcm/ppm de bore) et un mécanisme de sécurité
très simple et fiable par déversement massif de bore, sans faire appel à des mouve-
ments mécaniques qui pourraient être bloqués après un tremblement de terre ou le
retournement d’un bateau ou d’un sous-marin.

4.8 Les poisons consommables

La dernière pièce de l’arsenal des moyens de contrôle est l’ajout au combustible


de poisons neutroniques∗ de très forte section efficace (gadolinium, erbium. . . ). Ces
poisons sont dits consommables car ils sont mis en place de façon à disparaître
au cours de la combustion. Très absorbants en début de cycle, au moment où la
réactivité du combustible est forte, ils sont ensuite « consommés » plus rapidement
que le combustible en raison même de leur forte section efficace, pour quasiment
disparaître en fin de vie du combustible, lorsque la réserve de réactivité est faible et
que toute absorption est une pénalité.
Ce parcours dans le fonctionnement physique d’un cœur de réacteur à neutrons
thermiques nous a montré comment agencer les isotopes fissiles, non fissiles et le
modérateur pour amorcer une réaction en chaîne entretenue, et comment maintenir
la réactivité dans la zone de pilotage sûr. Ceci est encore loin de constituer des filières
technologiques de réacteurs. C’est vers l’examen des choix de filières que nous nous
tournons maintenant.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 63


Bibliographie
[1] M. Gauthron, Introduction au génie nucléaire, INSTN, collection « Enseigne-
ment », 1986.
[2] A.V. Nero Jr, A Guidebook to Nuclear Reactors, University of California Press,
1979.
[3] J. Bussac, P. Reuss, Traité de neutronique, Éd. Hermann, collection « Enseigne-
ment des Sciences », 1985.
[4] P. Coppolani et al., La chaudière des réacteurs à eau sous pression, Collection
« Génie Atomique », EDP Sciences, 2004.
[5] J.M. Delhaye, Thermohydraulique des réacteurs, collection « Génie Atomique »,
EDP Sciences, 2008.

64 Chapitre 4. Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire


5 Les différentes filières de réacteurs

Jean-Marc CAVEDON et Yves CASSAGNOU

Pour concevoir un réacteur nucléaire, on peut choisir a priori indépendamment


l’isotope fissile (233 U, 235 U ou 239 Pu), l’isotope fertile (232 Th ou 238 U), l’énergie des
neutrons (thermiques, rapides), le modérateur (H2 O, D2 O, graphite, néant), la géo-
métrie de disposition du combustible et du modérateur homogène, hétérogène, inter-
médiaire), le caloporteur (H2 O, D2 O, CO2 , He, Na liquide, Pb liquide, sels fondus. . . ).
Un très grand nombre de filières de réacteurs peuvent donc être imaginées. Bien en-
tendu, certaines combinaisons sont irréalistes et bien d’autres, essayées aux premiers
temps du nucléaire, n’ont jamais atteint le stade industriel. L’histoire du développe-
ment des filières depuis un demi-siècle est celle de la domination progressive de la
filière des réacteurs à neutrons thermiques à uranium et eau légère, et dans celle-ci
de la variante à eau sous pression.

1 Le choix des filières

Les choix de base sont d’opter pour le cycle de combustible uranium/plutonium ou


le cycle thorium/uranium et de définir l’énergie à laquelle se produit la fission. Le
cycle Th/U n’a jamais dépassé le stade expérimental : il implique nécessairement un
fonctionnement en surgénération car le noyau qui fissionne est l’uranium 233, qui
n’existe pas sur Terre. Le cycle Th/U est le seul pour lequel la surgénération soit
possible quelle que soit l’énergie des neutrons, quoique le bilan des neutrons ther-
miques soit délicat à équilibrer. Le cycle U/Pu est utilisé surtout avec des neutrons
thermiques ; une fraction majoritaire des fissions provient de 235 U, le reste (environ
un tiers quand même) provenant du 239 Pu créé par conversion de 238 U.
L’utilisation de neutrons rapides correspond à la fission majoritaire de 239 Pu, la
régénération à partir de 238 U pouvant être réglée de façon à consommer globalement
du Pu (incinération) ou à en produire plus qu’il n’en est consommé (surgénération).
Quelques unités de ce type dans le monde, couplées au réseau, fonctionnent en
expérimentation ou en démonstration. Cette filière possède l’avantage décisif de ne
pas limiter la combustion de l’uranium au seul isotope 235 U mais de permettre en
principe la combustion quasi totale de l’uranium (235 U et 238 U), ce qui revient à
multiplier les réserves d’énergie nucléaire par un facteur 50 à 100 (cf. § 9.2).
Le choix du modérateur est en fait couplé à celui du caloporteur. Les combinai-
sons où le combustible, le modérateur et le caloporteur sont trois éléments distincts,
sont a priori délicates, car elles comportent le risque intrinsèque de disparition du
caloporteur alors que le combustible et le modérateur restent en présence, donc que
de la puissance soit produite dans le cœur sans en être extraite. C’est notamment le
cas de la configuration des réacteurs RBMK, dont Tchernobyl a tragiquement montré
la faiblesse. Les choix essentiels de cette filière, uniquement présente dans l’ex-URSS,
sont un combustible uranium, modéré au graphite et refroidi à l’eau. Associés à des
choix d’agencement complexes pour le caloporteur (canaux multiples de refroidisse-
ment dans le cœur) et de systèmes d’arrêt d’urgence dangereux dans certains régimes
de fonctionnement, les options de cette filière ont permis à des opérateurs particu-
lièrement inconscients de déclencher la catastrophe que l’on sait (voir chapitre 7).
La filière où le modérateur en graphite est refroidi par un gaz ne pose pas de pro-
blèmes aussi critiques, car on n’y rencontre pas la transition brutale liquide/gaz ou
liquide/vide du caloporteur, qui engendre un saut brusque de température. Cette
filière, qui a été celle des premiers réacteurs français (uranium naturel graphite
gaz, UNGG) aujourd’hui arrêtés et dont il existe encore les équivalents anglais
(MAGNOX), est maintenant reconsidérée sous la forme de réacteurs à haute tem-
pérature (HTR) dont on attend un bon rendement thermique. Les HTR sont décrits
au chapitre 17.
Le couplage modérateur-caloporteur habituel est de prendre l’eau (lourde ou or-
dinaire) pour les deux. Lorsque l’on recherche la compacité, l’eau ordinaire est le
meilleur choix. L’utilisation de l’eau lourde, peu absorbante de neutrons, autorise
l’uranium naturel comme combustible, en permettant de boucler un bilan neutro-
nique très sensible aux pertes.
L’autre couplage possible est l’association du combustible et du caloporteur sous
forme de sels fondus. Le modérateur est alors solide (graphite). Cette filière n’a ja-
mais dépassé le stade expérimental, malgré des avantages intrinsèques importants :

66 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


possibilité de régénération continue du combustible (extraction des poisons et re-
chargement en combustible frais), adaptation à tout type de combustible (U, Th,
Pu). Un handicap majeur est cependant la faible maturité technologique de cette
filière (voir chapitre 17).
Bien d’autres contraintes interviennent dans la sélection des filières, notamment
d’origine chimique (par exemple, l’incompatibilité sodium/eau) ou technologique
(par exemple des températures maximales admissibles). Les filières réellement ex-
ploitées se limitent à quelques-unes, avec une majorité écrasante pour les réacteurs
à neutrons thermiques et uranium légèrement enrichi, refroidis et modérés à l’eau
ordinaire sous pression (REP) ou en ébullition (REB). Le tableau 5.1 récapitule les fi-
lières ayant atteint au moins le stade du prototype industriel et donne les puissances
installées dans le monde en 2011 pour chacune.

Type Élément Élément Énergie Caloporteur Modérateur Gigawatts


de fissile fertile des électriques
réacteur neutrons installés
235 238
Eau légère U U thermiques H2 O H2 O 196
sous pression
235 238
Eau légère U U thermiques H2 O H2 O 80
bouillante
235 238
Eau lourde U U thermiques D2 O D2 O 20
235 238
Graphite- U U thermiques CO2 graphite 12
gaz-Unaturel
235 238
Haute U U thermiques hélium graphite 0
233 232
température U Th
239 238
Neutrons Pu U rapides sodium néant 1,2
rapides
Sel fondu tous tous thermiques sel fondu graphite 0
ou rapides
Tableau 5.1. Les principales filières de réacteurs en activité en 2011.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 67


2 Les réacteurs à eau sous pression (REP)
Tous les réacteurs français en service sont de ce type, ne différant que par la
taille c’est-à-dire la puissance : 900 MWe, 1 300 MWe (Fig. 5.1), 1 450 MWe puis
1 650 MWe pour les plus récents (EPR). Les réacteurs à eau sous pression, REP, sont
aussi les plus répandus dans le monde (les deux tiers du parc, environ).

Figure 5.1. La centrale de Nogent-sur-Seine, avec ses deux réacteurs à eau pressurisée.

2.1 Le cœur et la cuve

Un REP, c’est d’abord un cœur constitué d’un grand nombre de petits tubes très longs,
très fins qu’on appelle des crayons (en gros 6 m de long, 1 cm de diamètre, 1 mm
d’épaisseur), dans lesquels sont empilées des pastilles d’oxyde d’uranium (chaque
pastille : 1 cm de hauteur, 8 mm de diamètre). Les crayons sont regroupés en
assemblages, chaque assemblage comportant 264 crayons. La puissance (et la taille)
du réacteur dépend du nombre de ces assemblages, de 150 à 200. L’ensemble des
crayons d’un assemblage forme une structure ouverte qui baigne dans de l’eau en
mouvement : le cœur est au centre d’une grande cuve en acier (12 à 13 m de
hauteur, 4 à 4,5 m de diamètre) dans laquelle est établie une circulation forcée d’eau
sous pression (155 bars). Cette eau passe entre les crayons pour évacuer la chaleur
engendrée par les fissions au sein des pastilles d’UO2 . En même temps, l’eau est le
« modérateur » des neutrons : par des chocs successifs sur les atomes d’hydrogène

68 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


de l’eau, les neutrons sont ralentis jusqu’à l’énergie « thermique » où la fission est
favorisée. En effet, le diamètre des crayons et l’espacement laissé entre eux pour la
circulation de l’eau sont calculés pour optimiser la probabilité pour un neutron de
naître d’une fission au sein d’un crayon et de perdre suffisamment d’énergie au cours
de collisions dans l’intervalle entre crayons pour que, compte tenu de sa vitesse, il
aille provoquer une nouvelle fission dans un autre crayon.

2.2 L’enceinte

La cuve est elle-même au centre d’une grande enceinte cylindrique en béton qui
contient de nombreux organes assurant l’évacuation de la chaleur : il y a autour de la
cuve trois ou quatre boucles de refroidissement, chacune composée d’une puissante
pompe de circulation et d’un échangeur de chaleur (Fig. 5.2). Pourquoi un échangeur
de chaleur ? Pour éviter que l’eau chaude qui vient du réacteur (toujours un peu

Figure 5.2. Principe de fonctionnement d’un réacteur à eau pressurisée (REP), par comparaison avec un
réacteur à eau bouillante (REB).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 69


radioactive, ne serait-ce qu’à cause des particules métalliques nées de la corrosion
qu’elle transporte) n’aille directement dans le local des installations électriques. On
interpose un échangeur de chaleur dont le circuit primaire peut être actif tandis que
le circuit secondaire, qui fait la liaison avec la salle des machines, sera sans danger
pour les agents électriciens. Cet échangeur de chaleur est en réalité un générateur
de vapeur. En effet, il est alimenté, côté secondaire, par de l’eau à 75 bars seulement.
Amenée à 280 ◦ C environ dans l’échange de chaleur, elle se met à bouillir à cette
pression et c’est donc de la vapeur qui sort de l’enceinte et transporte l’énergie
extraite du réacteur pour la transformer en électricité par la turbine et l’alternateur.
On a donc à côté de l’enceinte contenant la cuve et les boucles de refroidissement
un local annexe où la vapeur sous pression se détend, entretenant la rotation d’une
turbine dont l’arbre est couplé au rotor d’un alternateur générateur d’électricité. La
vapeur une fois détendue et refroidie est récupérée dans un condenseur d’où elle est
renvoyée dans l’enceinte aux générateurs de vapeur. Une source froide, nécessaire
pour maintenir basse la température du condenseur, est fournie par l’eau d’un fleuve
ou celle de la mer si la centrale est implantée sur un rivage.

2.3 Le pilotage du réacteur

Le plus souvent, une centrale nucléaire est astreinte à fournir une puissance élec-
trique donnée, fixée en fonction d’une prévision de consommation. Il est donc néces-
saire de régler la puissance thermique, environ trois fois supérieure (le rendement
d’un réacteur nucléaire ne dépasse pas 35 %, en raison de la température relati-
vement basse de la vapeur). On règle la puissance du cœur en y introduisant une
matière absorbant les neutrons, du carbure de bore en général, sous la forme de
crayons plus ou moins enfoncés dans le cœur du réacteur. Le flux des neutrons étant
à son maximum au centre du cœur, on rapprochera les crayons absorbants de ce
centre pour abaisser la puissance, on les en éloignera pour l’accroître. On manœuvre
plusieurs crayons absorbants en même temps, sous forme de grappes, pour éviter de
créer localement des inhomogénéités dans la distribution du flux des neutrons.
En plus de ces grappes de commande qui agissent par des déplacements limités,
d’autres grappes de crayons absorbants fonctionnent par tout ou rien. Ce sont les
« barres de sécurité » qui, dans un mouvement brutal et rapide, sont introduites dans
le cœur pour stopper la réaction en chaîne. Il s’agit là d’une manoeuvre d’urgence
qui est soit l’acte d’un opérateur, soit celui d’un automatisme répondant à l’indication
d’une situation anormale. Ces barres de sécurité sont retenues en haut de la cuve au-
dessus du cœur par des électroaimants. Il suffit de couper l’alimentation de ceux-ci
pour que les barres, libérées, chutent, c’est-à-dire que sous l’action de leur propre
poids, elles pénètrent dans le cœur et arrêtent la réaction en chaîne dans le réacteur.

70 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


Un autre réglage de la réactivité doit être réalisé sur une échelle de temps plus
longue, car au cours du temps le combustible s’épuise. Ce dernier contient, lors du
chargement, environ 4 % d’uranium 235. En règle générale, il passe quatre ans
dans le réacteur (il est renouvelé par quart tous les ans) et cette teneur de 4 %
est grossièrement réduite à 1 % au moment du déchargement. Quand il est neuf, le
combustible est donc très réactif. Il est mis en périphérie du cœur, là où le flux de
neutrons est minimal, pour être rapproché du centre au fur et à mesure qu’il s’use.
Malgré cela, on est amené à compenser la réactivité d’un combustible renouvelé lors
de l’arrêt annuel par l’introduction dans l’eau du circuit primaire d’un absorbant
neutronique, le bore, sous forme d’acide borique dont la teneur, forte au début de
cycle, sera réduite peu à peu en cours de cycle en fonction de l’usure du combustible.

2.4 Les auxiliaires

À côté de l’enceinte et du bâtiment des machines électriques, on trouve un troisième


local, celui des auxiliaires. Un auxiliaire important est le circuit de refroidissement du
réacteur à l’arrêt. Toutes barres absorbantes enfoncées, un réacteur nucléaire à l’arrêt
n’en continue pas moins à dégager de la chaleur. En raison de la forte radioactivité du
cœur, du rayonnement est émis en permanence, donc de l’énergie. Cette puissance
résiduelle du réacteur représente 7 % de sa valeur nominale aussitôt après l’arrêt,
1 % au bout de 2 heures et demie et encore 0,5 % après une journée entière (soit
60 MW pour un réacteur de 1 000 MWe). Il est donc indispensable de continuer à
refroidir le cœur. Assez rapidement, on n’aura cependant plus besoin des puissantes
pompes du circuit primaire, grosses consommatrices d’énergie. On les remplace par
les pompes mieux dimensionnées du circuit de refroidissement à l’arrêt.
Un autre circuit auxiliaire important est le circuit de contrôle volumétrique et
chimique dont le rôle est en premier lieu de maintenir constant le volume d’eau
du circuit primaire. Celui-ci varie beaucoup en fonction de la température. Quand
on arrête le réacteur pour recharger du combustible, on passe de l’arrêt à chaud
(300 ◦ C environ et pression de 155 bars) à l’arrêt à froid (température inférieure à
60 ◦ C et 1 atmosphère) pour pouvoir ouvrir la cuve. La densité de l’eau passe de 0,7
environ à 1. Il faut donc rajouter de l’eau. Dans le même temps, à cause du coefficient
négatif de température, la réactivité du cœur augmente, ce qu’on compense par une
élévation de la concentration en acide borique. C’est le deuxième rôle de ce circuit :
le réglage de la teneur en bore. Quand, rechargement effectué, couvercle de cuve
remis en place, on redémarre le réacteur, il faut inversement réduire la quantité
d’eau quand on l’échauffe et simultanément régler son acidité. Le coefficient de
température du cœur est positif dans ces conditions et l’échauffement de l’eau est
réalisé simplement en la brassant avec les pompes principales. On ne relève pas les

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 71


barres de commande pour faire « diverger le réacteur » (enclencher la réaction en
chaîne) tant que la température et la pression n’ont pas atteint 280 ◦ C et 155 bars.
Le troisième rôle du circuit est de prélever en continu l’eau du modérateur par
un piquage et de la faire passer sur des résines échangeuses d’ions pour la purifier,
en particulier pour la débarrasser des résidus de corrosion qu’elle transporte et qui
s’activent en passant dans le réacteur.
On trouve aussi dans ce local d’autres auxiliaires intéressant plus spécialement
la sûreté, comme le système de refroidissement de secours (injection de sécurité). Ils
seront décrits dans le chapitre 6.

2.5 La manutention du combustible

Un grand réservoir rempli d’eau entoure le sommet de la cuve. C’est la « piscine » du


réacteur. Pour renouveler le combustible, on enlève les mécanismes de commande
des barres absorbantes, on enlève ensuite le couvercle de la cuve, ce qui met en
communication la piscine pleine d’eau avec la cuve, elle aussi pleine d’eau. Des cha-
riots de chargement roulant sur des rails se déplacent alors au-dessus de la piscine
et de la cuve et manœuvrent les assemblages qui restent ainsi continuellement im-
mergés. L’eau agit à la fois comme refroidissement des assemblages et comme écran
absorbeur des rayonnements (protection biologique des opérateurs).
La piscine communique par un sas avec un autre bassin situé hors de l’enceinte
dans lequel sont stockés les assemblages neufs et ceux, irradiés, qui attendent leur
transport à l’usine de retraitement.

3 Les réacteurs à eau bouillante (REB)

Il existe un autre type de réacteur, très courant aux États-Unis (le tiers du parc),
qu’on trouve aussi en Allemagne, en Suisse, en Suède, au Japon mais pas en France,
le réacteur à eau bouillante (REB) (Fig. 5.3).
Ce qui le distingue d’un REP, c’est le transfert direct de la chaleur depuis le
cœur du réacteur jusqu’à la turbine (voir Fig. 5.2). Parce que l’eau qui circule entre
les éléments de combustible est à la pression de 70 bars seulement au lieu de
155 bars dans un REP, elle entre en ébullition dans la partie haute du cœur et la
vapeur produite va directement à la turbine pour se détendre et se recondenser en
eau. Il n’y a donc pas de circuits primaire et secondaire, mais un seul circuit où la
vapeur va du cœur aux groupes turbo-alternateurs en salle des machines puis au
condenseur d’où il retourne au réacteur. Cet agencement différent entraîne plusieurs
modifications : premièrement, il est encore plus nécessaire que dans un REP que
l’eau de refroidissement ne soit pas radioactive puisqu’elle est admise dans un local

72 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


Figure 5.3. La centrale de Brunswick, avec son réacteur à eau bouillante.

où se trouve du personnel. Ceci interdit l’utilisation d’acide borique qui, irradié,


donne par décroissance du tritium. La compensation de l’usure du combustible est
réalisée par d’autres moyens, par des poisons consommables par exemple. Même si
l’eau est aussi pure que possible, elle s’active en passant dans le réacteur : l’oxygène
de l’eau devient de l’azote radioactif, lequel redonne l’oxygène de départ avec une
période heureusement courte de 7 secondes. De ce processus, il résulte une forte
activité au sein de la vapeur. Celle-ci retombe à très peu de chose dès que, réacteur
arrêté, la vapeur cesse de circuler. Ainsi s’explique pourquoi des protections contre
les rayonnements sont placées autour des groupes turbo-alternateurs et pourquoi
la circulation des électriciens est limitée et contrôlée en salle des machines, ce qui
n’existe pas sur un REP.
Autre modification : la température de la vapeur à la sortie du cœur étant très
peu supérieure à la température de saturation, cette vapeur est très chargée en eau.
En masse, on a à peine 15 % de vapeur pour 85 % d’eau. Le haut de la cuve au-
dessus du cœur est occupé par des séparateurs eau-vapeur, sortes de cyclones, puis
par des sécheurs. Une vapeur trop humide abîmerait très rapidement les ailettes de
la turbine.
L’eau récupérée à cet endroit (85 % du débit donc) est reprise par des pompes
qui se trouvent sur les bords de la cuve, refoulée dans le cœur par la base après avoir
été mélangée à celle qui vient du condenseur. Il y a donc deux circulations : une

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 73


externe avec un débit en masse équivalent à celui du générateur de vapeur d’un REP
de même puissance et une recirculation interne d’eau entre le haut et le bas du cœur,
le débit total étant pratiquement égal à celui du circuit primaire d’un REP. Ainsi est
prise en compte la différence d’efficacité entre un transfert de chaleur par convection
dans un REP (une cinquantaine de calories par gramme d’eau) et un transfert de la
même chaleur par changement de phase dans le REB (environ 7 à 8 fois plus par
gramme vaporisé).
À cause des organes séparateurs et sécheurs situés dans le haut de la cuve et
des pompes qui assurent le recyclage latéral de l’eau, la cuve d’un BWR est plus
haute (22 m) et plus large (6 m) que celle d’un REP (13 et 4 m). Bien que sa paroi
soit moins épaisse, la pression à l’intérieur y étant deux fois moindre, son poids est
finalement double (700 tonnes pour les 330 d’un REP).
Le haut de la cuve étant occupé, les barres absorbantes de neutrons qui servent
au pilotage du réacteur sont actionnées par le bas (en réalité ce sont des plaques qui
s’insèrent entre les assemblages). En particulier, les barres de sécurité sont mainte-
nues en permanence sous pression par un système hydraulique qui joue le rôle d’un
ressort bandé. En cas d’urgence, le ressort est libéré et la pression propulse les barres
dans le cœur.
Comme dans un REP, le cœur est constitué d’assemblages de crayons, mais ceux-
ci sont moins nombreux, une soixantaine par assemblage. Il y a donc davantage
d’assemblages (700 au lieu de 160 à 200). Les crayons ont un diamètre un peu
supérieur. Ils contiennent, comme dans un REP, des pastilles d’oxyde d’uranium
empilées un peu moins enrichies en isotope 235. Les assemblages de crayons, de
section carrée, sont (c’est une différence) enfermés dans un boîtier qui fait canal
de refroidissement (on dit aussi « tube de force »), ce qui permet un réglage à la
base du cœur du débit d’eau froide en fonction de la chaleur produite dans chaque
assemblage.
Entre quatre assemblages contigus se déplacent des plaques montées en forme
de croix sur un arbre, qui contiennent du carbure de bore. Ces plaques absorbantes
de neutrons, plus nombreuses que dans un REP, servent surtout à uniformiser la
puissance dans le cœur. Le fait qu’elles soient insérées par le bas de la cuve est
bénéfique en ce sens : parce que l’ébullition prend naissance dans la partie supérieure
du cœur, la densité du modérateur y est moindre, les neutrons y sont moins bien
ralentis, les fissions moins probables. La répartition de la puissance suivant l’axe de
la cuve est ainsi déformée au profit de la partie basse du cœur. L’introduction partielle
de barres absorbant les neutrons dans cette région justement permet de corriger ce
déséquilibre.
Une autre différence entre REB et REP apparaît dans la conduite du réacteur.
Nous venons de voir que les barres de carbure de bore servent surtout à uniformiser
la puissance dans le cœur. Elles servent aussi, au moins partiellement, à compenser

74 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


l’usure du combustible à la place de l’acide borique interdit. C’est en faisant varier le
débit de l’eau recyclée à l’intérieur de la cuve qu’on pilote un REB : si on accélère ce
débit, la quantité ou la grosseur des bulles de vapeur va diminuer dans le cœur, la
densité du modérateur augmente, le ralentissement des neutrons est mieux réalisé,
le nombre de fissions croît, la puissance monte puis se stabilise quand l’ébullition
s’est accentuée. On a ainsi gravi un palier de puissance. Inversement, on diminue
la puissance en réduisant le débit des boucles de recirculation, en jouant soit sur la
vitesse de rotation des pompes, soit sur la plus ou moins grande ouverture de vannes
placées à leur refoulement (c’est selon le constructeur).
Cette façon de piloter le réacteur a l’avantage d’être rapide et d’éviter la perte
inutile des neutrons dans des absorbants. En augmentant la taille des bulles de
vapeur pour abaisser la puissance du réacteur, on accroît l’énergie moyenne des
neutrons et par suite le rapport des captures aux fissions qu’ils induisent. Mais on y
gagne : les captures dans l’uranium 238 conduisent à la production de plutonium 239
qui est fissile, tandis que la capture par le carbure de bore est tout à fait stérile.
En pratique, sauf en période de démarrage, on pilote le réacteur REB uniquement
par des variations de débit de l’eau recyclée dans la cuve.

4 Les réacteurs à eau lourde

Les réacteurs à eau ordinaire, dite « légère » parfois, utilise, nous l’avons vu, un com-
bustible où l’uranium a été enrichi jusqu’à 3 % environ en isotope 235 (l’uranium
naturel n’en contient que 0,7 %). Ceci parce qu’il faut compenser le nombre impor-
tant de neutrons qui sont absorbés par l’eau pour donner de l’eau lourde, l’atome
d’hydrogène de l’eau devenant un atome de deutérium par capture d’un neutron.
Ce défaut disparaît si l’on remplace l’eau par de l’eau lourde parce que celle-ci ab-
sorbe beaucoup moins les neutrons que l’eau légère. Plus économe en neutrons, l’eau
lourde permet l’utilisation d’uranium naturel comme combustible. Ceci est un avan-
tage évident parce que l’enrichissement à 4 % de l’uranium est une opération indus-
trielle lourde et coûteuse.
Les pays qui ont adopté l’eau lourde comme modérateur sont le Canada et l’Inde.
Dans ce paragraphe, nous prendrons le réacteur canadien CANDU (Fig. 5.4) comme
exemple type de cette filière.
Parce que l’eau lourde est moins bon modérateur (l’atome de deutérium est deux
fois plus lourd que le neutron, alors que l’atome d’hydrogène de l’eau ordinaire a la
même masse), les neutrons parcourent une plus grande distance avant de provoquer
une fission. On peut alors avoir plus d’espace entre les éléments de combustible, ap-
pelés ici aiguilles. Celles-ci sont groupées en faisceaux ou grappes dans des barres
de plus grand diamètre et les intervalles entre barres deviennent de vrais canaux

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 75


1. Calandre
2. Flasque d’extrémité de la calandre
3. Barres de contrôle et de sécurité
4. Injecon de poison neutronique
5. Assemblages combusbles
6. Tubes d’alimentaon en eau

Canal
Tube de force
Grappe de crayons
combusbles

Figure 5.4. Un réacteur à eau lourde de type CANDU. En encart : détail d’un assemblage combustible avec
son tube de force.

76 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


de circulation forcée d’eau légère dits « tubes de force ». Ces tubes traversent hori-
zontalement le grand réservoir d’eau lourde qui constitue le modérateur, une cuve
cylindrique à axe horizontal de 7,5 m de diamètre et 7,5 m de long.
Dans ces tubes de force horizontaux, les éléments de combustible peuvent être
facilement déplacés et changés. Cela ouvre la voie au remplacement du combustible,
réacteur en marche, chaque canal pouvant être isolé indépendamment des autres.
C’est là un avantage évident. On évite les arrêts annuels nécessaires sur un REP,
au cours desquels le combustible est beaucoup manipulé et redistribué pour en
uniformiser l’usure. Ici, chaque élément est suivi individuellement et remplacé à son
heure, sans perturber le fonctionnement du réacteur.
Cette gestion en ligne du combustible a un autre bénéfice : on n’a plus besoin
de matière absorbante pour compenser son usure au cours d’un cycle. L’économie de
neutrons ainsi réalisée par la suppression des poisons neutroniques se traduit par un
« rapport de conversion » (le nombre de noyaux fissiles régénérés par captures dans
238
U, c’est-à-dire de noyaux de plutonium, divisé par le nombre de noyaux de 235 U
perdus par fission) bien supérieur à celui d’un REP. Si, en plus, on remplace le fissile
235
U par 233 U dans un cycle au thorium (voir chapitre 17), les neutrons émis dans
une fission étant plus nombreux, le facteur de conversion peut atteindre ou même
dépasser 1. On produit alors autant, ou plus, de combustible que l’on en consomme.
Le surgénérateur thermique est ainsi, en principe, réalisable.
Comme dans un réacteur à eau légère, les éléments de combustible, les aiguilles,
sont remplies de pastilles d’oxyde d’uranium (naturel, donc à 0,7 % de 235 U). Elles
sont groupées en faisceaux. On compte plusieurs milliers de faisceaux dans le cœur,
empilés bout à bout dans les tubes de force. Comme dans un REP, l’eau lourde de
refroidissement, maintenue à la pression de 100 bars pour ne pas bouillir à 310 ◦ C
en sortant du cœur, est mise en circulation par de grosses pompes (il y en a quatre
dans un CANDU de 600 MWe) pour être envoyée à des générateurs de vapeur dont
le secondaire est en eau légère. Ce sont donc les parois des tubes de force qui jouent
le rôle de barrière en lieu et place de la cuve des REP (la première barrière contre
la contamination par les produits de fission étant pareillement la gaine en alliage
de zirconium des aiguilles). Le modérateur est, lui, à une pression proche de la
pression atmosphérique. Il a un circuit de refroidissement propre pour maintenir sa
température aux environs de 70 ◦ C.
S’il n’y a pas de barres absorbantes pour compenser l’usure du combustible, il
y a des barres verticales de cadmium qui peuvent chuter par gravité pour arrêter
en urgence le réacteur. Le pilotage de routine se fait en introduisant, dans certaines
parties du cœur, de l’eau légère, qui est un poison neutronique si on le compare à
l’eau lourde.
Le contrôle de la réactivité au démarrage est obtenu par addition de gadolinium,
un autre poison, au modérateur.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 77


L’ensemble de la « calandre » (nom donné à la cuve et ses tubes de force), des
pompes primaires et des générateurs de vapeur est enfermé dans une enceinte en bé-
ton comme dans la filière REP. À côté, se trouvent le bâtiment des turbo-alternateurs
et le condenseur. Il y a aussi un local pour les auxiliaires parmi lesquels le circuit
de refroidissement du réacteur à l’arrêt et surtout le circuit de purification de l’eau
lourde. Ce circuit, en dérivation sur le refoulement des pompes principales, fait pas-
ser l’eau lourde sur des résines échangeuses d’ions pour la débarrasser des produits
de corrosion susceptibles de s’activer dans le cœur et d’y absorber des neutrons. L’eau
lourde purifiée est rendue à l’aspiration des pompes principales. Le volume du modé-
rateur est aussi contrôlé en fonction du niveau de puissance du réacteur ainsi que sa
pureté si du bore ou du gadolinium y a été introduit. On trouve encore dans ce bâti-
ment des auxiliaires une unité de traitement de l’eau lourde récupérée lors des fuites
de façon à en limiter les pertes. Le coût de l’eau lourde justifie cette disposition.
Ce qui désavantage ce réacteur, c’est la quantité d’eau lourde nécessaire au
démarrage. Le litre d’eau lourde vaut cher, ce qui implique un gros investissement
au moment de la construction. Ceci explique que dans les pays où, pour d’autres
raisons (militaires), une usine d’enrichissement d’uranium a été construite, la filière
ait été abandonnée quand elle a été expérimentée (ce fut le cas en France). Un autre
inconvénient est que le taux de combustion est faible : 8 000 MWj/t au lieu de 52 000
pour les REP. Ceci vient de ce que l’on n’a que 0,7 % de noyaux fissiles au départ
dans le combustible au lieu de 3 %. Enfin, avec un bon taux de conversion (0,75
typiquement pour 0,60 dans un REP), on retrouve beaucoup de plutonium fissile
dans le combustible brûlé. Si l’on veut en tirer profit, il faut retraiter ce combustible.
Sinon le plutonium a pour seul effet d’accroître la radioactivité des déchets.
Comme il est facile de changer souvent les éléments de combustible sans arrêter
le réacteur, ce qui est utile si l’on veut en tirer du plutonium plutôt que de l’énergie,
on accuse cette filière, déjà davantage plutonigène que les autres, d’être à l’origine
de l’accession de certains pays, tels l’Inde, à l’arme nucléaire.

5 Les réacteurs à neutrons rapides (RNR)

Dans les années 1970, le monde entier fut saisi d’une crainte de manquer d’uranium
pour alimenter les centrales nucléaires ; crainte fondée sur des surestimations des
besoins d’énergie et une sous-estimation des possibilités d’économiser l’énergie. Cer-
tains pays, comme la France et le Japon, se sont alors lancés dans un programme
industriel de réacteurs à neutrons rapides, en visant plutôt des surgénérateurs pour
répondre à une future pénurie de combustible, alors qu’aujourd’hui on envisagerait
plutôt l’isogénération ou même la sous-génération (fonctionnement en incinérateur
de déchets). Ainsi furent construits en France un prototype – Rapsodie (40 MWth)

78 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


en 1963 –, un démonstrateur – Phénix (230 MWe) en 1979 –, une centrale – Super-
phénix (1 200 MWe) en 1985 que devait suivre dans la foulée un 1 500 MWe, projet
abandonné, la pénurie prévue se faisant attendre.

5.1 Les particularités des réacteurs à neutrons rapides

Ce qui fait la grande différence entre un réacteur à neutrons rapides et un réacteur


thermique, c’est que le fluide qui transporte hors du réacteur la chaleur pour la
transformer en électricité n’est pas un modérateur. Dans la version la plus mûre
de ce type de réacteur, le caloporteur est du sodium fondu, un métal excellent
conducteur de la chaleur, choisi pour ses propriétés thermiques. Les noyaux de
sodium, en raison de leur masse (23 fois celle d’un neutron), ralentissent très peu
les neutrons et ceux-ci sont encore très énergiques quand ils induisent une fission.
Comme la probabilité d’une fission est plus faible à haute énergie qu’aux énergies
thermiques (d’un facteur 100 en gros), pour compenser il faut augmenter le nombre
de noyaux cibles (le combustible contient 15 à 18 % de plutonium au lieu des 3 %
d’uranium 235 dans un REP et 0,7 % dans un CANDU) et le flux des neutrons (10 fois
plus élevé). Il en résulte que la puissance spécifique, c’est-à-dire la chaleur produite
par unité de masse de combustible, est plus grande (d’un facteur 10 aussi). C’est
pourquoi un métal fondu comme le sodium, très efficace dans l’extraction de la
chaleur, est nécessaire. Le sodium fondu a été choisi par de nombreux pays ayant
construit un réacteur à neutrons rapides (Fig. 5.5).
Une autre différence est l’existence d’un circuit intermédiaire entre le circuit
primaire d’évacuation de la chaleur du cœur et le circuit secondaire qui, comme dans
un REP, produit la vapeur surchauffée alimentant la turbine. Ce circuit intermédiaire
de sodium non radioactif (il ne traverse pas le cœur) a deux fonctions :
– permettre de confiner dans la cuve le circuit primaire et la radioactivité qu’il
pourrait contenir et en isoler les locaux où la vapeur est produite ;
– empêcher qu’à la suite de la rupture d’un tube de générateur de vapeur, une
interaction du sodium avec l’eau ne s’étende au cœur du réacteur.
Le sodium en effet, au contact de l’eau, donne de la soude, tandis que de l’hydro-
gène se dégage. Cette soude, si elle pouvait arriver dans le cœur, attaquerait dans
la cuve les parties métalliques portées à haute température. Le cœur d’un RNR est
plus compact que celui d’un réacteur thermique puisqu’il n’y a pas de modérateur.
Les éléments de combustible sont des tubes d’acier inoxydable (en France de l’acier
austénitique qui a un taux très bas d’oxygène) remplis d’un mélange d’oxydes d’ura-
nium et de plutonium. Les aiguilles de combustible sont tassées dans les assemblages
en laissant juste un espace réduit entre elles pour le sodium liquide qui les refroidit.
Les assemblages de forme hexagonale sont eux aussi collés les uns aux autres dans
le cœur. Ils présentent sur chaque face de leur paroi, dans les parties inférieure et

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 79


Figure 5.5. Un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, version « piscine ».

supérieure, des plaques en surépaisseur qui réduisent l’intervalle interassemblage.


Cette compacité du cœur est renforcée lorsque le réacteur est en puissance par l’effet
de la dilatation et le jeu entre les assemblages se réduit encore, réalisant ce qu’on
appelle « un cerclage naturel ». C’est un facteur important pour la sûreté du réacteur
parce que, avec le cœur ainsi comprimé, toute élévation de la température tend à
augmenter le rayon de l’ensemble. Il en résulte un coefficient négatif de réactivité
qui rend le réacteur stable.
Le cœur n’est pas homogène : au centre, se trouve la zone dite fissile dans
laquelle est situé le combustible UO2 + PuO2 dont nous venons de parler ; il est
entouré d’une couverture latérale et axiale d’uranium naturel ou appauvri, dite
zone fertile, dans laquelle s’opère majoritairement la surgénération. Les neutrons
qui s’échappent de ce cœur sont arrêtés au-delà par des assemblages en acier qui
constituent la protection biologique et qui, en plus, participent au cerclage du cœur.

80 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


Une autre différence concerne la pression du caloporteur : le sodium fondu d’un
RNR bout à près de 900 ◦ C à la pression atmosphérique. Il n’y a donc nul besoin
d’une forte pression pour le maintenir à l’état liquide quand il passe de 400 ◦ C à
550 ◦ C en traversant le cœur du réacteur. En raison de l’absence de pression, la cuve
et les canalisations de sodium ont des épaisseurs faibles. De plus, la température
élevée du sodium à la sortie du cœur permet, malgré une très légère dégradation
due à l’existence d’un échangeur intermédiaire, de produire une vapeur surchauffée
(à près de 500 ◦ C et sous 184 bars) avec laquelle le rendement thermodynamique
atteint aisément 40 % contre un maigre 34 % pour le REP.
En revanche, l’échauffement du sodium lors de son passage dans le cœur (150 ◦ C
contre 36 ◦ C seulement dans le cas de l’eau) est à l’origine de contraintes thermiques
importantes : quand on passe de l’arrêt à la pleine puissance, la cuve et les circuits
de refroidissement sont soumis à une grande variation de température. Sur des struc-
tures de grandes dimensions, il faut prévoir des déplacements dus à la dilatation du
métal. L’emploi de sodium liquide ne va pas sans imposer des sujétions importantes.
Il faut éviter tout contact avec l’air. L’atmosphère au-dessus du sodium liquide doit
être inerte : de l’argon ou, à défaut, de l’azote. Il y a donc toute une circulation an-
nexe d’argon prête à remplir en permanence et partout tout volume évacué par du
sodium en mouvement.

5.2 Les contraintes de sûreté imposées par le sodium fondu

Une particularité des RNR est la mise en circulation du sodium fondu par des pompes
électromagnétiques, car le sodium, un métal, est un bon conducteur de l’électricité.
En contrepartie, cette propriété du sodium rend difficile l’inspection des tubes de
générateur de vapeur pour en rechercher les fissures. Cette inspection se fait dans
les REP par des mesures de courants de Foucault à l’endroit des soudures qui sont
les points les plus fragiles des tubes. Si la fissure a été colmatée par le sodium, en
raison de sa propriété de conduire l’électricité, la mesure risque de ne pas détecter
de défaut. Or, on doit éviter toute défaillance d’un de ces tubes dans lesquels se
vaporise de l’eau à 160-180 bars de pression. C’est en effet le seul endroit où le
sodium et l’eau ne sont séparés que par une paroi mince. En cas de rupture, un
jet d’eau et de vapeur jaillit comme une flamme au milieu du sodium. De la soude
se forme avec dégagement d’hydrogène. C’est pourquoi la détection de ce gaz est
une nécessité sur les générateurs de vapeur. Une autre conséquence de la grande
réactivité chimique du sodium, c’est qu’il faut constamment le purifier. Dès qu’on
change un élément de combustible ou une portion de circuit, de l’air adsorbé à la
surface de ces objets est introduit dans le sodium. Des oxydes et des hydrures ainsi
que de la soude se forment, qui sont susceptibles d’attaquer les parois métalliques à
500 ◦ C, comme les tubes des générateurs de vapeur.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 81


On contrôle en permanence la pureté du sodium et on le purifie avec des dis-
positifs basés sur le même principe : quand on refroidit le sodium, les impuretés
précipitent car leur solubilité dans le sodium baisse. On aura donc en de nombreux
points des circuits des boucles avec pièges froids qui, selon leur dimension, sont soit
des contrôleurs de la pureté, soit de véritables systèmes de purification. De même,
l’argon est lui aussi purifié en permanence en le faisant barboter dans des réservoirs
remplis d’un mélange de soude et de potasse pour le débarrasser de l’oxygène qu’il
pourrait transporter.
Dans ce qui précède, nous avons implicitement laissé penser que le circuit inter-
médiaire était complètement extérieur à la cuve. C’est souvent le cas. Mais sur les
RNR français Phénix et Superphénix, une disposition différente, dite « intégrée », a
été adoptée dans laquelle les échangeurs et les pompes des circuits primaires sont
placés dans la cuve. Cette conception a l’avantage de réduire de beaucoup les pro-
blèmes posés par les grandes variations de température (jusqu’à 300 ◦ C) que su-
bissent les tuyauteries dans les circuits de sodium extérieurs, mais a l’inconvénient
que la cuve doit avoir une plus grande dimension et contenir un volume de sodium
considérable (6 000 tonnes). Certains voient là un danger, compte tenu de la grande
activité chimique du sodium. Comme il s’enflamme spontanément à l’air, ce sodium
en grande quantité leur fait penser à une bombe prête à exploser. En réalité, d’après
les spécialistes, le sodium en feu est beaucoup moins dangereux que le pétrole ou
l’essence que l’on stocke dans de grandes cuves dans les raffineries. En brûlant, le
sodium liquide forme à sa surface une croûte d’oxyde qui empêche l’incendie de se
développer en profondeur et limite le rayonnement de chaleur. On peut ainsi s’appro-
cher d’un feu de sodium et le combattre avec des extincteurs à poudre pour l’étouffer.
Dans un incendie de raffinerie ou sur un puits de pétrole en feu, on ne peut pas faire
grand-chose, à cause du rayonnement intense qui interdit d’approcher.
Une ultime différence entre RNR et réacteurs thermiques concerne la manipula-
tion du combustible. Sur un REP, les choses sont simples : les manutentions se font
dans l’eau, qui fait écran à la radioactivité sans boucher la vue. Le sodium liquide
est, lui, opaque et il faut maintenir au-dessus de sa surface une atmosphère inerte.
Toutes les opérations doivent se faire dans un volume clos, en aveugle, avec cette
difficulté supplémentaire que les variations de température induisent un certain jeu
dans les emplacements à atteindre. On opère de la façon suivante : une combinaison
de bouchons rotatifs permet d’atteindre n’importe quel emplacement d’assemblage,
sans rien voir.
Si la cuve est de type intégré, elle a des dimensions suffisantes pour qu’en partie
supérieure soit aménagée une zone de stockage temporaire où le combustible est
amené par un bras tournant et où il est refroidi en même temps que le cœur. S’il
faut sortir un élément de combustible, le processus est complexe : ce combustible
est d’abord enfermé dans un pot rempli d’argon, puis une machine de transfert en

82 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


forme de grand compas prélève ce pot et, toujours sous argon, le transporte dans
une autre cuve remplie de sodium destiné au stockage.

5.3 Un bilan contrasté pour les surgénérateurs

Des problèmes récurrents posés par ces manœuvres délicates sur Superphénix (aux-
quels se sont ajoutées d’autres pannes trop fréquentes) ont fini par paralyser l’instal-
lation, qui a été arrêtée en 1997 lors d’un changement de contexte politique. Pour-
tant, Phénix, le modèle précédent moins puissant, a donné toute satisfaction dans
son fonctionnement pendant une longue période.
Si le combat contre l’effet de serre et ses conséquences sur le climat poussait un
jour à une utilisation plus large de l’énergie nucléaire, nous pourrions nous repentir
de gaspiller l’uranium comme on le fait actuellement puisque seul l’isotope 235 entre
dans le processus de production d’énergie, soit 0,7 % de l’uranium extrait de la mine.
Le surgénérateur qui permet la conversion en fissile de l’isotope 238, donc des 99,3 %
restants, ouvrirait alors la voie d’une source d’énergie pour des centaines d’années.
Un rêve de physicien et d’énergéticien, mais un casse-tête de technologue.
Pour le moment, le taux de combustion dans un RNR atteint 100 000 MWj/t
comparé à 52 000 pour un REP. Compte tenu de la forte proportion de matière fissile
que contiennent les éléments combustibles, on devrait pouvoir aller bien au-delà.
Effectivement, certains éléments ont atteint 160 000 MWj/t dans le réacteur
Rapsodie. Ce qui limite le taux de combustion, c’est la gaine en acier qui résiste
mal à l’intense flux de neutrons auquel elle est soumise. Des cavités s’y créent qui
provoquent un gonflement de l’acier. Le faisceau des aiguilles de combustible et son
fourreau hexagonal se déforment : ils se courbent, faisant un arc, s’éloignant de
l’axe du cœur en parties supérieures et inférieures (ce qu’on appelle gerbage). On
peut craindre que le refroidissement ne soit entravé et même que les espaces entre
aiguilles ne se bouchent. On ne peut pas facilement dépasser cette limitation du taux
de combustion. On ne peut pas non plus enrichir le combustible en plutonium sans
faire baisser le nombre des neutrons retardés, qui sont essentiels pour la sûreté du
réacteur. Le multirecyclage du combustible semble donc inévitable. Les problèmes
posés par le retraitement des combustibles de RNR sont bien dominés à l’échelle du
laboratoire mais les procédés n’ont pas encore été éprouvés à l’échelle industrielle. La
valorisation du combustible, dont on fait le grand argument de la filière, est encore
un potentiel qui reste à exploiter.
En ce qui concerne la prolifération, le RNR attire l’attention, en raison de la
grande quantité de plutonium qu’il contient (4,8 tonnes dans Superphénix) et des
transports à prévoir entre centrale, usine de retraitement et ateliers de fabrication
de combustibles. C’est pour cette raison que les Américains ont toujours été hostiles
à la solution retraitement + réacteurs rapides pour l’aval du cycle dans le nucléaire

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 83


Figure 5.6. Hall du réacteur de la centrale Phénix. Implantée sur les bords du Rhône, faisant partie
intégrante du site nucléaire de Marcoule dans le Gard, Phénix est une centrale prototype de la filière des
réacteurs à neutrons rapides à sodium RNR. Sa première divergence a eu lieu en 1973 et les premiers kWh
livrés sur le réseau en juillet 1974. Après d’importants travaux de rénovation, Phénix a été utilisé pour l’étude
de la transmutation des actinides, mais l’expérience acquise bénéficie également aux recherches sur les
systèmes nucléaires du futur. Le réacteur a fonctionné sans difficulté jusqu’en 2010, date de son arrêt
définitif.

civil et qu’ils privilégient le stockage direct du combustible usé. Mais l’indépendance


énergétique de leur pays leur permet de faire peu de cas des isotopes fissiles mis aux
déchets.

84 Chapitre 5. Les différentes filières de réacteurs


Finalement, la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium est
aujourd’hui handicapée par sa complexité, son coût et ses problèmes de sûreté par-
ticuliers (proximité du sodium et de l’eau). Son seul point positif, mais il est majeur,
est son utilisation particulièrement efficace de tous les isotopes de l’uranium, avec
les perspectives de disposer de combustible fissile pour des milliers d’années.
Dans un contexte de faible pression sur le marché de l’uranium « frais » et de
faible intérêt pour la préservation des ressources des générations futures, il ne faut
pas s’étonner des nombreuses critiques faites à la filière RNR malgré la preuve
de faisabilité que constitue l’excellent fonctionnement des prototypes Rapsodie et
Phénix (Fig. 5.6).
Ce parcours nous a enrichis de toute la complexité des choix et des enjeux
technologiques. La diversité des choix possibles et l’émergence de filières dominantes
sont parfois présentées, à juste titre, comme une sélection quasiment darwinienne.
Nous avons examiné les filières victorieuses, avec une mention spéciale pour la
filière à neutrons rapides. Cette dernière n’apportera son bénéfice qu’aux générations
futures, ce qui l’affaiblit dans la sélection actuelle.
Maintenant que nous avons une vision de la technologie des filières en fonction-
nement normal, nous sommes prêts à aborder les fonctionnements accidentels, objet
du chapitre suivant.

Bibliographie
[1] S. Gladstone, A. Sesonke, Nuclear Reactor Engineering, Ed. Chapman and Hill,
New York, 1994.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 85


6 La sûreté des réacteurs nucléaires

Yves CASSAGNOU

La sûreté, pour les centrales nucléaires, a pour objectif la prévention des ac-
cidents. Elle est assurée par la conception de procédures, d’automatismes mettant
en œuvre des matériels adaptés qui permettront, par exemple à la suite d’une dé-
faillance matérielle, de reprendre rapidement le contrôle du réacteur et de le rame-
ner dans un état sûr.
Par exemple, la première et la plus simple action de prévention est la « chute
des barres∗ ». Ces barres (en réalité des crayons de carbure de bore absorbant les
neutrons) sont normalement maintenues au-dessus du cœur par des électro-aimants.
Si une action de l’opérateur ou un automatisme provoque la coupure du courant
de ces électro-aimants, les barres chutent par gravité dans le cœur, ce qui entraîne
l’arrêt immédiat de la réaction en chaîne∗ et la baisse instantanée de la puissance à
environ 6–7 % de sa valeur initiale. Cette puissance résiduelle∗ , due à la radioactivité
du cœur, décroît ensuite plus lentement : 1 % au bout d’une heure, 0,15 % après un
mois, etc. (voir encadré sur la puissance résiduelle, p. 112). Ceci implique qu’il faut
continuer à refroidir le cœur d’un réacteur à l’arrêt.
La sûreté est aussi une culture de rigueur et d’exigences impliquant la recherche
incessante (et souvent internationale) du meilleur dans la conception des réacteurs,
la qualité des matériels, les consignes de fonctionnement, la formation des opéra-
teurs.
Deux « principes » guident la définition d’un dispositif de sûreté : indépendance et
redondance. Ainsi plusieurs types de capteurs envoient par des voies indépendantes
la valeur d’un paramètre, valeur qui sera considérée comme signalant un défaut
si au moins deux capteurs sur quatre (par exemple) donnent en même temps une
information anormale.
Dans ce qui suit, on considérera surtout les réacteurs à eau sous pression, majori-
taires dans le monde et les seuls en service en France. La généralisation aux réacteurs
à eau bouillante est le plus souvent possible.

1 Le fonctionnement des circuits de refroidissement


d’un réacteur

Comme toute centrale thermique, un réacteur nucléaire génère de l’électricité en


produisant d’abord de la vapeur sous pression à partir d’eau. L’énergie mécanique
libérée dans la détente de cette vapeur jusqu’à sa recondensation en eau est partiel-
lement récupérée par une turbine couplée à un alternateur. L’eau de condensation
est renvoyée au générateur de vapeur formant ainsi une boucle fermée (voir sur la
figure 6.1 le circuit EA = eau, GV = générateur de vapeur, V = vapeur). Un circuit
relais d’eau sous forte pression, dit circuit primaire, transmet la chaleur du réacteur
au générateur de vapeur (sur la figure, circuit R = réacteur, GV, PP = pompe prin-
cipale). Ceci protège les groupes turboalternateurs d’une éventuelle contamination
provenant du cœur.

Figure 6.1. Principaux circuits de refroidissement et de sécurité d’une chaudière nucléaire de type REP.

Un paramètre essentiel dans ce processus est donc la pression. Dans le circuit pri-
maire, elle est régulée par le pressuriseur (PR). En actionnant des chaufferettes (CC)

88 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


dans la partie inférieure remplie d’eau (en cas de pression trop basse) ou à l’aide
du système d’aspersion d’eau (AS) dans la partie supérieure où se tient la vapeur
(en cas de pression trop élevée), on maintient constant en partie médiane un niveau
d’eau qui correspond aux 155 bars du circuit primaire. Au cas où, accidentellement,
la pression s’élèverait brusquement, une soupape de décharge de la vapeur s’ouvre
au sommet du pressuriseur (SD). De même, les niveaux de l’eau dans les secondaires
des générateurs de vapeur sont régulés en permanence pour y maintenir une pres-
sion de 70 bars. Une soupape s’ouvre également en aval sur le circuit de la vapeur si
la pression dépasse un seuil fixé.
Les autres paramètres contrôlés sont des débits et des températures en plusieurs
points des circuits d’extraction de la chaleur, le flux des neutrons dans le cœur, le
taux de variation de ce flux c’est-à-dire la réactivité∗ et la variation de cette réactivité
en fonction du temps (la « période » du réacteur). Ces paramètres peuvent varier
dans une plage fixée de valeurs précalculées. Si un paramètre sort brutalement de
cette plage, on a un incident de fonctionnement auquel font face des automatismes
de protection. Par exemple, si le groupe turboalternateur est, de façon imprévue, dé-
connecté du réseau, la demande d’électricité va tomber d’un coup à zéro, la turbine
n’aura plus besoin de vapeur et la pression secondaire va monter anormalement. Un
automatisme permettra d’envoyer directement la vapeur au condenseur en court-
circuitant la turbine et, en cas de défaillance de ce dispositif, d’actionner la soupape
qui laissera s’échapper la vapeur vers l’atmosphère. Les automatismes de protection
ont ainsi pour fonction de ramener les paramètres à des valeurs normales au cours
d’un transitoire.
Les réacteurs de l’EDF fonctionnent le plus souvent en « suivi de charge », c’est-
à-dire qu’ils doivent fournir à tout instant une puissance électrique fixée par le régu-
lateur central de réseau en fonction d’une consommation prévue. Dans certains cas,
le réacteur peut être amené à suivre de plus près les variations de cette consomma-
tion. Le régulateur central gère alors directement la puissance demandée au groupe
turboalternateur ; cette puissance est réglée par action sur les vannes d’admission
de la vapeur à la turbine. La puissance du réacteur est ajustée à celle demandée au
groupe par un système automatique de régulation qui modifie la position des barres
(ou grappes) de commande. Dans une centrale à eau sous pression, le réacteur est
en quelque sorte l’esclave de sa turbine.

2 Les trois barrières

Le danger majeur que peut présenter un réacteur nucléaire, c’est le relâchement


de matières radioactives à l’occasion d’un accident. Trois barrières∗ s’y opposent
(Fig. 6.2) : les produits de fission∗ et les actinides∗ sont des noyaux lourds d’énergie

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 89


Circuit
primaire
(2° barrière)

Cœur –
combustible
(gaine : 1° barrière)

Figure 6.2. Les trois barrières des réacteurs à eau pressurisée.

trop faible pour pouvoir sortir facilement du combustible. La plupart restent au sein
des pastilles combustibles : seuls les plus volatils peuvent s’échapper hors de la ma-
trice cristalline de la céramique combustible, mais ceux-ci restent enfermés à l’inté-
rieur du crayon∗ , dont la gaine en alliage de zirconium est étanche. Le combustible
et sa gaine∗ constituent donc la première barrière.
Si un point chaud se développe en un endroit de la gaine ou si celle-ci a là un
défaut qui limite l’échange de chaleur, la gaine peut se déformer par gonflement et à
la longue se fissurer. Alors l’eau du circuit primaire sera contaminée. Cette eau tourne
en boucle fermée entre le réacteur et les générateurs de vapeur. La radioactivité y
restera prisonnière. C’est la deuxième barrière.
Dans des accidents graves, une fuite plus ou moins importante peut survenir sur
le circuit primaire∗ . Une séquence automatique de contre-mesures arrête le réacteur,
met en route l’injection de secours (décrite ci-après), isole les générateurs de va-
peur côté secondaire de même que quelques circuits annexes branchés sur le circuit
primaire dont certaines canalisations traversent l’enceinte. Celle-ci, devenue complè-
tement étanche, jouera alors son rôle de confinement de la radioactivité. C’est la
troisième barrière.

90 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


Dans les réacteurs les plus récents ou en projet, l’enceinte de confinement est dé-
doublée : une première enceinte en acier (ou en béton précontraint sur les réacteurs
à eau sous pression 1 300 MW) est recouverte d’une deuxième en béton, l’espace
intermédiaire pouvant être utilisé pour un refroidissement de l’enceinte par circula-
tion naturelle, ou forcée, d’eau ou d’air, avec récupération ou non des fuites de la
première enceinte.

3 Les circuits auxiliaires de sauvegarde


Nous avons vu qu’un réacteur doit toujours être refroidi, même à l’arrêt. Toute
défaillance des circuits d’eau provoque l’intervention automatique de systèmes de
secours.

3.1 L’injection de sécurité

L’injection de sécurité a pour rôle de maintenir constant le volume d’eau nécessaire


à l’extraction de la chaleur produite par le réacteur. Elle est assurée par trois cir-
cuits : haute pression, accumulateurs, basse pression. Le premier injecte de l’eau
sous forte pression dans les boucles de refroidissement quand on observe une chute
de la pression dans le circuit primaire (RIS, voir figure 6.1). Cette eau contient de
l’acide borique pour introduire en même temps une forte antiréactivité∗ . L’eau est
prise dans le réservoir de remplissage de la piscine qu’on utilise lors du décharge-
ment du combustible. Ce circuit d’injection de secours à haute pression a un débit
calculé pour pallier une perte modeste de réfrigérant. Dans le cas d’une plus grosse
brèche, des accumulateurs d’eau mélangée d’acide borique (a) se vident ensuite au-
tomatiquement dès que la pression dans le circuit primaire est descendue sous un
seuil limite.
Si celle-ci continue à baisser, des pompes à basse pression du troisième circuit
prennent le relais et injectent à fort débit l’eau du réservoir de la piscine (PI) dans
les boucles de refroidissement. Avant que celui-ci ne soit vide, toujours dans ce cas
d’une grosse fuite susceptible de vider entièrement la cuve∗ , l’eau qui s’écoule par la
brèche est récupérée au fond de l’enceinte étanche dans un puisard et envoyée, par
des pompes de recirculation, dans le circuit primaire et dans le circuit d’aspersion,
décrit ci-après.

3.2 L’aspersion de l’enceinte

Le circuit d’aspersion réalise un refroidissement auxiliaire du réacteur par l’extérieur


de la cuve, en double ou en remplacement éventuel du refroidissement normal. À la
suite d’une rupture dans le circuit primaire, de la vapeur très chaude accompagne

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 91


l’eau et se répand dans l’enceinte. L’eau, récupérée dans des puisards dans le bas de
l’enceinte, éventuellement refroidie dans des échangeurs annexes, est déversée en
pluie à partir du toit de l’enceinte. Cette aspersion a deux fonctions :
– elle condense la vapeur et l’entraîne vers le puisard dans le bas de l’enceinte,
ce qui aide à maintenir la pression et la température dans celle-ci à des valeurs
inférieures à celles pour lesquelles elle a été calculée ;
– l’iode 131, entraîné par la vapeur si des gaines se sont rompues, est le pro-
duit de fission le plus dangereux pour l’environnement à ce stade de l’accident.
L’aspersion permet de rabattre cet iode vers le bas de l’enceinte, en le dissol-
vant dans l’eau. Sa récupération est une première parade contre une possible
contamination de l’environnement.

3.3 L’alimentation de secours des générateurs de vapeur

Dans le cas d’une coupure totale de l’alimentation électrique de la centrale (norma-


lement celle-ci reçoit le courant du cœur réseau par deux voies indépendantes), on
peut craindre un assèchement très rapide (15 minutes environ) des générateurs de
vapeur par manque d’eau secondaire. En moins d’une minute, après arrêt du réacteur,
un circuit d’alimentation de secours entre en fonction avec des turbopompes alimen-
tées par prélèvement de vapeur sur les tuyauteries principales des générateurs de
vapeur ; ces pompes sont doublées très peu de temps après par des électropompes
utilisant le courant secouru.

4 Les scénarios d’accident


En tout premier lieu, il faut savoir qu’un accident, même d’ultime gravité, sur un
réacteur ne peut pas conduire à une explosion nucléaire. L’architecture d’un réac-
teur, sa « géométrie », en particulier la distance radiale moyenne entre les éléments
combustibles a été optimisée pour la réactivité nulle, donc le maintien du nombre
de neutrons. Tout désordre grave qui survient dans le cœur (vaporisation de l’eau,
fusion du combustible) est fortement antiréactif, c’est-à-dire qu’après une pointe de
puissance très brève, mais qui peut être très forte, la réaction en chaîne s’arrête
d’elle-même.
En cas d’accident, nous l’avons dit, des automatismes interviennent immédia-
tement selon des procédures prévues pour reprendre le contrôle du réacteur et le
stabiliser dans un état sûr. Il faut en effet répondre dans un délai très court (la se-
conde) et l’opérateur doit seulement vérifier que la séquence des interventions est
conforme au schéma envisagé dans les situations d’urgence.
À titre d’exemple, supposons qu’une très grosse fuite se produise sur une des
boucles de refroidissement (il y en a trois sur les réacteurs à eau sous pression de

92 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


900 MWe, quatre sur les 1 300 MWe), à la suite d’une rupture de canalisation sur
l’arrivée de l’eau froide dans le réacteur. Il s’agit de l’accident le plus grave qu’on
puisse envisager car c’est l’endroit où la tuyauterie a la plus grosse section (le cas
s’est produit d’une fuite, heureusement petite, à cet endroit-là sur un réacteur N4
peu après son démarrage). Si l’extraction de la chaleur est insuffisante, les éléments
de combustible vont chauffer, mettant en danger les gaines.
On prévoit le déroulement suivant des événements : la brèche étant instantanée
et brutale, une onde de dépressurisation se propage dans le circuit jusqu’à la cuve
en endommageant éventuellement les structures internes. Quand la pression de
saturation de l’eau est atteinte, une vaporisation brutale se produit. La densité du
modérateur ayant décru, la réaction en chaîne s’arrête en quelques dixièmes de
seconde, bien avant l’action des barres qui chutent (2,2 secondes).
Tandis que le circuit primaire commence à se vider d’eau et de vapeur dans
l’enceinte et que la température du combustible se met à monter, l’injection de
sécurité, décrite ci-dessus, entre en jeu, avec le recyclage de l’eau écoulée dans
l’enceinte. Dans une hypothèse pessimiste, en raison de la forte pression de la vapeur,
on ne pourra pas empêcher un découvrement partiel du cœur, avec des conséquences
graves pour les gaines. Puis celles-ci seront remouillées quand la pression aura baissé.
Toutes les mesures de sauvegarde doivent permettre de maîtriser ce processus de
façon que la température des gaines ne dépasse pas 1 200 ◦ C au point le plus chaud.
En effet, à partir de cette température, la réaction exothermique de l’eau avec le
zirconium des gaines devient très importante. Cette réaction produit de l’hydrogène
qui peut provoquer une explosion. Peu à peu, sous l’action du système de sauvegarde,
la température se stabilise dans le cœur et la situation du réacteur, quoique grave,
est contrôlée. En tout état de cause, dans cette séquence, l’assèchement du cœur du
réacteur est très bref (quelques secondes) et ne doit entraîner qu’une dégradation
limitée du cœur (seulement quelques crayons sont touchés).
Un autre accident, déjà envisagé ci-dessus, est la coupure complète du courant
électrique provenant du réseau. Deux groupes diesel (un seul suffit à délivrer la
puissance nécessaire) démarrent aussitôt pour fournir en moins d’une minute le
courant secouru. Ces groupes sont localisés aux deux endroits les plus éloignés du
site pour ne pas être mis hors d’état simultanément (en cas de chute d’avion par
exemple). Nous avons vu qu’une alimentation en eau de secours assure la continuité
du refroidissement par les générateurs de vapeur.
Il existe sur le circuit primaire un point singulier important : les tubes des généra-
teurs de vapeur. Ils représentent une surface considérable d’épaisseur faible (un peu
plus du millimètre). Il suffit qu’un tube se rompe pour que l’eau à 155 bars de pres-
sion du circuit primaire passe dans le circuit secondaire à 70 bars, provoquant très
rapidement l’ouverture de la soupape de décharge à l’atmosphère. Il n’y a plus alors
de barrière entre le fluide primaire et l’environnement. La seule parade efficace est

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 93


un contrôle systématique des soudures de plusieurs milliers de tubes par des petits
robots baladeurs que l’on effectue sur les générateurs de vapeur lors de l’arrêt annuel
du réacteur.
Toutes les séquences accidentelles, telles que celles qui ont été décrites ci-dessus,
sont modélisées pour conduire à une estimation des rejets à l’atmosphère. L’objectif
recherché est de réduire en priorité la fréquence des séquences accidentelles ayant
les plus forts rejets. Ainsi les accidents les plus graves sont les moins probables et les
accidents les plus fréquents sont les moins graves. Cette analyse est dite « analyse
déterministe de sûreté » car elle ne suppose qu’un seul initiateur à l’accident : une
brèche (grosse ou petite) dans le circuit primaire, une coupure de l’électricité qui ali-
mente les pompes, etc. C’est ce qu’on trouve dans le rapport de sûreté, un document
absolument nécessaire avant toute construction d’un réacteur.
Mais il peut arriver que des défaillances multiples se conjuguent pour conduire à
des situations d’extrême gravité telles que la fusion partielle ou totale du cœur. Trois
accidents très graves se sont malheureusement produits comme conséquence d’une
superposition d’initiateurs, à Three Mile Island (États-Unis) en 1979, à Tchernobyl
(ex-URSS) en 1986 et à Fukushima (Japon) en 2011.

5 La relation homme-machine

Un facteur important avait été largement négligé dans les premiers temps de l’éner-
gie nucléaire : les hommes au pupitre de commande. La philosophie était alors de
concentrer en ce lieu tous les paramètres du réacteur et de laisser toute liberté à
l’opérateur. Une première limitation s’est introduite, on l’a vu, avec les systèmes de
sauvegarde en raison de leur temps de réponse très court (la seconde). L’opérateur
n’a qu’à constater le bon déroulement de la séquence. Les deux accidents graves
de Three Mile Island et de Tchernobyl ont posé le problème, non vraiment résolu
d’ailleurs, du facteur humain. Faut-il faire encore plus confiance à la technologie et
limiter le rôle de l’opérateur à une surveillance sourcilleuse et permanente de sys-
tèmes entièrement automatiques ?
Peut-on, par ailleurs, être sûr d’avoir prévu exactement le déroulement d’un ac-
cident sur un réacteur ? Rappelons que, dans une analyse de sûreté, on se place
systématiquement dans les conditions les plus défavorables pour obtenir une éva-
luation des pires conséquences. Et les codes utilisés, de nature volontairement pessi-
miste voire caricaturale, ne peuvent pas être employés pour définir des procédures
de conduite en cas d’accident, le déroulement qu’ils en proposent étant trop éloigné
de l’éventuelle réalité.
Le problème de l’homme est le point le plus délicat de la sûreté nucléaire. Un
autre point d’importance concerne la structure de la société industrielle. Libérale

94 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


aux États-Unis, elle ne favorise pas la circulation de l’information entre compagnies
concurrentes. Bureaucratique en Russie, elle est cause de rigidités peu compatibles
avec un contrôle de la sûreté indépendant de l’organisme assurant la production.
D’origine étatique en France, elle combine l’homogénéité du parc avec l’indépen-
dance entre le contrôleur et l’exploitant. Mais cela nous met-il à l’abri de tout défaut
de structure ?
Dans ce débat, il paraît essentiel que l’opérateur connaisse exactement l’état du
réacteur. Comment se fait-il que l’opérateur de quart la nuit à Three Mile Island
n’ait pas été mis au courant des travaux faits de jour sur le système d’alimentation
en eau de secours des générateurs de vapeur, le rendant inopérant ? L’opérateur
doit impérativement avoir connaissance de toute information concernant le réacteur.
Celui de Three Mile Island n’avait pas su que, sur un réacteur identique au sien, il
était déjà arrivé que la soupape du pressuriseur ne se soit pas refermée, entraînant
une situation d’accident qui fut heureusement maîtrisée de justesse.
Surtout, il n’avait pas été informé que, si une brèche sur le circuit primaire fait
baisser le niveau de l’eau dans le pressuriseur, dans le cas exceptionnel d’une fuite
en haut du pressuriseur, le niveau, au contraire, monte. L’erreur de diagnostic qu’il a
faite était le résultat d’une formation insuffisante.

6 La sûreté des réacteurs de troisième génération

Les réacteurs de troisième génération sont des réacteurs à eau optimisés, notamment
au plan de la sûreté. Par rapport aux réacteurs de deuxième génération, on observe
deux évolutions.
L’une consiste à chercher encore à améliorer les systèmes de sécurité : en aug-
menter leur redondance et en généraliser leur diversification par exemple (pour
contrer les incidents de mode commun, où une seule défaillance entraîne la panne
de plusieurs systèmes présumés indépendants), ou perfectionner les contre-mesures
automatiques afin de ne réclamer l’intervention de l’opérateur qu’après un temps
suffisamment long pour que son diagnostic ait toutes les chances d’être correct. Des
études d’EDF ont montré qu’au bout d’une demi-heure, un opérateur bien formé a
un diagnostic sûr à pratiquement à 100 %. On peut aussi augmenter le volume d’eau
de refroidissement pour qu’un assèchement ne survienne pas avant 30 minutes ou
rendre complètement automatiques les procédures d’injection de sécurité à haute,
moyenne et basse pression. . . Le réacteur EPR se place dans cette option. On a, en
plus, cherché dans ce projet à tirer des leçons des accidents de Three Mile Island
et de Tchernobyl par une prévention de la conséquence la plus grave d’une fusion
du cœur, même si sa probabilité est très faible (voir ci-après) : il s’agit du « syn-
drome chinois » où le cœur fondu perce le bas de la cuve, traverse le radier en béton

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 95


qui assure l’étanchéité sous le réacteur et finalement gagne l’environnement par le
sous-sol. Toutes ces améliorations de la sûreté ont un coût qui ne peut être amorti
que sur une centrale de 1 400 à 1 500 MWe.
L’autre axe d’évolution se retrouve dans des projets aux États-Unis et dans
d’autres pays dans lesquels on prétend ne faire appel qu’à des écoulements unique-
ment gouvernés par des lois simples de thermohydraulique et de gravité (convection
naturelle par exemple) en excluant tout usage des pompes, vannes, etc., toujours
susceptibles de défaillance, et en excluant aussi toute intervention humaine. Ces ré-
acteurs « passivement sûrs » seraient moins puissants que les réacteurs actuels. Leur
fabrication par « modules » facilement reproductibles permettrait de contrebalancer
la perte financière due à la réduction de puissance.

7 Comment évaluer la sûreté des centrales nucléaires


françaises ?

Il n’y a pas eu d’accidents graves sur les centrales nucléaires françaises. La sûreté a
été, c’est un fait, une priorité dans leur conception. Deux facteurs ont aussi contribué
à ce résultat :
– l’homogénéité du parc. Les réacteurs sont tous du même type, à eau sous pres-
sion. Ayant de nombreux éléments en commun, toute défaillance apparue sur
une centrale est recherchée sur toutes les autres et si des travaux d’améliora-
tion sont jugés nécessaires, ils sont préventivement étendus à toutes les cen-
trales susceptibles d’être concernées, après avoir été testés sur la première
centrale incriminée ;
– l’organisation centralisée d’EDF qui assure un bon « retour d’expérience », ce
qui est illustré ci-après.

7.1 L’analyse des incidents de fonctionnement

Dans les cahiers de bord des centrales d’EDF sont consignés de nombreux incidents,
habituels sur toute grande installation en fonctionnement et la plupart du temps
d’importance mineure. Les autorités de sûreté n’en retiennent que ceux qu’elles
jugent « significatifs ». Par exemple, ceux au cours desquels des paramètres de fonc-
tionnement ont franchi les limites autorisées, jusqu’à même entraîner un arrêt d’ur-
gence du réacteur, ceux qui ont provoqué la mise en œuvre d’un automatisme de
protection, ceux qui à la longue apparaissent plus fréquemment qu’il n’avait été en-
visagé lors de la conception de la centrale (tels les risques d’inondation, comme il a
été constaté récemment), ceux dans lesquels des erreurs de diagnostic ou des viola-
tions des consignes ont été relevées, etc.

96 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


De ces événements significatifs (400 par an soit 7 par centrale en moyenne),
les autorités de sûreté cherchent à extraire « les événements précurseurs », le plus
souvent de modeste importance mais qui, survenant dans certaines circonstances in-
habituelles, peuvent enclencher une chaîne d’incidents ultérieurs conduisant à une
situation beaucoup plus dangereuse. On recherche aussi des événements dits « de
mode commun », qui peuvent paralyser simultanément plusieurs organes indépen-
dants et redondants, comme cela est arrivé dans des périodes de froid intense et
prolongé des hivers 1985, 1986 et 1987. Selon les sites et les années, soit les cir-
cuits de refroidissement ont été bloqués par de la glace accumulée à l’endroit des
prises d’eau, soit l’alimentation en eau des générateurs de vapeur a été perturbée
par le gel de capteurs de débit, soit des systèmes de secours ou de sauvegarde ont
été temporairement rendus indisponibles par le gel d’autres capteurs, soit encore la
température trop basse de l’huile a empêché les groupes diesel de démarrer.
Cette analyse des incidents de fonctionnement aboutit à la sélection d’une ving-
taine de cas (en moyenne toujours) qui font l’objet d’une étude approfondie se
concluant par la recommandation de certains travaux ou par une modification des
procédures de fonctionnement. Ainsi, après avoir effectué des travaux localement,
EDF a étudié globalement les problèmes posés par les hivers rigoureux et un grand
programme de reconditionnement de toutes les centrales à des températures exté-
rieures de –15 ◦ C a été réalisé sur plusieurs années. De même une campagne de
travaux de longue durée a permis de remettre à niveau la protection contre les inon-
dations à la suite des incidents de la centrale du Blayais lors de l’hiver 1999-2000.

7.2 La classification des événements sur une échelle internationale

À partir des années 1970, par analogie avec l’échelle de Richter pour les tremble-
ments de terre, on a classé les événements susceptibles de perturber le fonctionne-
ment d’un réacteur en sept niveaux selon leur gravité (et par là même leur fréquence,
les événements les plus graves devant être les plus rares).

Encadré 6.1. L’échelle INES de gravité des incidents et accidents nucléaires.


L’échelle internationale des événements nucléaires classés selon l’importance des consé-
quences qui s’ensuivent est l’échelle INES (International Nuclear Event Scale), de gravité
croissante des niveaux 1 à 7 :
• Niveau 1 Anomalie : anomalie sortant du régime de fonctionnement autorisé. Aucune
conséquence sur les travailleurs ni à l’extérieur du site. Aucune conséquence hors site.
• Niveau 2 Incident : incidents assortis de défaillances importantes des dispositions
de sécurité. Irradiation importante ou surexposition d’un travailleur. Aucune consé-
quence hors site.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 97


• Niveau 3 Incident grave : accident évité de peu ou perte de barrières. Contamina-
tion grave ou effets aigus sur la santé d’un travailleur. Très faible rejet hors du site,
exposition du public représentant une fraction des limites prescrites.
• Niveau 4 Accident : endommagement important du cœur ou des barrières radiolo-
giques. Exposition mortelle d’un travailleur.
• Niveau 5 Accident : endommagement grave du cœur ou des barrières radiologiques.
Exposition mortelle d’un travailleur. Rejet mineur hors site, exposition du public de
l’ordre des limites prescrites. L’exemple est l’accident de Three Mile Island.
• Niveau 6 Accident grave : rejet important hors site susceptible d’exiger l’application
intégrale des contre-mesures prévues. Pas d’exemple à ce jour.
• Niveau 7 Accident majeur : rejet majeur hors site. Effets étendus sur la santé et
l’environnement. Les deux exemples sont les accidents de Tchernobyl et de Fukushima.

Le premier niveau correspond à des incidents mineurs mais fréquents, considérés


comme normaux dans la vie d’une grosse installation. Les trois niveaux suivants
de gravité peuvent être atteints lors d’incidents (2e et 3e niveaux) ou d’accidents
(4e niveau) dits « de conditionnement » qui sont envisagés lors de la construction et
auxquels il est prévu d’opposer des procédures de protection ou de sauvegarde. Dans
les trois niveaux 5, 6 et 7, il y a rejet de matières radioactives dans l’environnement
(le rejet est encore limité au niveau 5) et des mesures doivent être prises pour
protéger la santé des populations mises en danger. Ces trois niveaux n’ont jamais
été atteints en France, y compris lors de l’accident de Tchernobyl, où les dépôts sur
le pays relèveraient par analogie du niveau 2, avec de petites surfaces du territoire
en niveau 3.
Voici quelques exemples d’événements qui pourraient conduire à des incidents
ou accidents classés dans les trois premiers niveaux de gravité : une petite fuite sur
une boucle de refroidissement mènerait au niveau 2, une brèche plus importante au
niveau 3, une très grosse rupture (le scénario en a été décrit au paragraphe 4) au
4e niveau. Une autre catégorie d’événements peut entraîner une variation brutale
de réactivité : une dilution incontrôlée d’acide borique ou un retrait incontrôlé des
grappes de commande (1er niveau), un retrait d’une grappe de contrôle sur le réac-
teur à pleine puissance (2e niveau), l’éjection d’une grappe de contrôle (3e niveau).
Il faut noter ici que l’antiréactivité introduite dans le cœur par un arrêt d’urgence
compense largement le refus d’opérer d’une grappe de crayons absorbant les neu-
trons. Un accident lors d’une manipulation de combustible est rattaché au 3e niveau
en raison d’un rejet possible de radioactivité dans l’environnement si plusieurs gaines
ont été rompues dans l’assemblage manœuvré.
Au 2e niveau correspond une fréquence de 1 à 10−2 par an et par centrale, au
3 niveau 10−2 à 10−4 , au 4e 10−4 à 10−6 . Plus la situation est dangereuse, plus
e

98 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


rarement elle doit se présenter. Il est arrivé d’avoir à modifier la liste ci-dessus à la
lumière de l’expérience. Ainsi les incidents sur les tubes de générateur de vapeur
ont été beaucoup plus fréquents que prévus (constatation faite aussi à l’étranger),
ce qui a conduit à faire de gros efforts pour en limiter les conséquences et pouvoir
les placer au niveau 3 de gravité. Les mesures préventives ont été renforcées en
procédant au contrôle systématique des soudures en période d’arrêt. On va même
jusqu’à remplacer entièrement un générateur de vapeur dont des tubes en trop grand
nombre ont dû être obturés après rupture.
Les scénarios pouvant conduire aux trois derniers niveaux de gravité ont été défi-
nis dans une « analyse probabiliste de sûreté » qu’on applique à des accidents « hors
dimensionnement » (l’analyse déterministe du paragraphe 4 s’appuie au contraire
sur le « principe de défaillance unique ») : on modélise un « arbre d’événements ». À
chaque branche de l’arbre, une probabilité est donnée à un initiateur supplémentaire
d’accident. Cette analyse permet de repérer les « arbres de défaillance », c’est-à-dire
les maillons potentiellement faibles dans la conception du réacteur. Elle permet éga-
lement de déterminer les mesures ayant les meilleures chances de limiter les consé-
quences de l’accident.
Ces trois derniers niveaux de gravité correspondent à des événements extrême-
ment graves qui vont jusqu’à la fusion partielle, voire totale, du cœur à la suite de
circonstances où plusieurs défauts, erreurs ou anomalies se conjuguent pour entraî-
ner une situation exceptionnelle et donc heureusement très peu probable. Étant la
résultante de plusieurs causes, la fréquence d’une telle situation est un produit de
fréquences et devrait être inférieure à 10−6 par an et par centrale. Il faut cependant
envisager ces cas limites et se préparer à y opposer des procédures qui, en toutes
circonstances, doivent assurer la protection de l’environnement et des populations
en retenant la radioactivité à l’intérieur de l’enceinte de confinement.

7.3 L’évaluation de la sûreté des centrales françaises

Les accidents très graves sont modélisés, nous l’avons vu, dans les « analyses proba-
bilistes de sûreté ». En faisant le décompte de tous les chemins qui peuvent amener
une fusion du cœur, y compris à partir d’un réacteur à l’arrêt, on a pu évaluer la
sûreté des centrales de 900 MWe en 1982, puis celle des 1 300 MWe en 1986 (en
parallèle avec des études analogues à l’étranger). Selon ces études probabilistes de
sûreté (EPS), la probabilité totale de fusion du cœur d’un REP de 900 MWe est de
5 × 10−5 par année-réacteur avec 3,8 × 10−5 (75 % du total) pour les fusions du
cœur à basse pression, c’est-à-dire résultant de brèches sur le circuit primaire, sur le
pressuriseur, sur les tubes de générateur de vapeur, par perte de la source froide ou
par défaillance de l’arrêt d’urgence, tout ceci survenant sur le réacteur en fonction-
nement. Dans tous les cas, l’injection de secours intervient ainsi que l’aspersion de

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 99


l’enceinte. Une défaillance supplémentaire doit s’ajouter pour que le confinement ne
joue pas son rôle ; et la probabilité qu’on calcule alors est de 2,4 × 10−6 par an et par
réacteur. Ce qui signifie qu’avec son parc de 60 réacteurs, la France devrait attendre
7 000 ans avant de vivre un Tchernobyl.
Sur un REP 1 300 MWe, les probabilités d’accident grave sont plus basses : selon
les études probabilistes de sûreté, la probabilité totale de fusion du cœur est de
l’ordre de 1 × 10−5 par année-réacteur (entre 2 × 10−5 et 2 × 10−6 avec un niveau
de confiance de 90 %) avec 4,7 × 10−6 pour les fusions du cœur sur un réacteur en
puissance, soit un gain d’un facteur 7,2 sur les 900 MWe (les 7 000 ans précédents
deviennent 50 000 ans). Mais les états d’arrêt du réacteur comptent maintenant pour
55 % de la probabilité totale. Un résultat qui a mis en lumière l’importance pour la
sûreté des périodes d’arrêt d’un réacteur, une chose qui n’était pas évidente a priori.
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) modélise des scénarios
d’accident sur des ordinateurs de grande puissance pour faire des analyses probabi-
listes de sûreté. Dans ses calculs, il introduit des tables de fiabilité des matériels
établies par EDF. Il utilise aussi le résultat des recherches d’EDF sur les réactions des
opérateurs lorsqu’ils se trouvent confrontés à des circonstances exceptionnelles pour
évaluer la part d’erreur humaine pouvant s’ajouter dans un accident.
Il faut reconnaître que l’exercice qui consiste à évaluer le niveau de risque d’une
installation nucléaire à partir de ses plans est très difficile et ses résultats sujets à
caution. Mais, si on en est réduit à devoir évaluer le risque de cette façon, c’est
justement parce que les accidents nucléaires sont trop rares pour qu’on puisse faire
des statistiques dessus !

8 Qui contrôle le fonctionnement des centrales nucléaires ?

EDF a la responsabilité du fonctionnement des centrales nucléaires. EDF est contrôlé


par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui définit les objectifs généraux de sûreté
et vérifie que ces objectifs sont bien atteints. L’ASN rend compte au gouvernement
dans le cadre de la Commission interministérielle des installations nucléaires de base.
L’agrément de l’ASN est indispensable avant tout changement ou amélioration d’im-
portance apportée au fonctionnement d’une centrale. L’Institut de radioprotection et
de sûreté nucléaire (IRSN), devenu un organisme indépendant, est l’appui technique
de l’Autorité de sûreté. L’ASN envoie des inspecteurs visiter périodiquement les ins-
tallations nucléaires. Les agents de l’IRSN peuvent participer à ces inspections et en
analysent les résultats.

100 Chapitre 6. La sûreté des réacteurs nucléaires


Bibliographie
[1] « Assurer la sûreté nucléaire », brochure de l’Agence de l’OCDE pour l’énergie
nucléaire, Les Éditions de l’OCDE, 1993.
[2] B. Pershagen, Light water reactor safety, Pergamon Press, 1989.
[3] J. Libmann, Éléments de sûreté nucléaire, les Éditions de physique, Les Ulis,
1996.
[4] Nuclear power, Rapport du Nuclear Research Council au Sénat américain, Na-
tional Academy Press, Washington, 1992.
[5] Les réacteurs nucléaires à eau ordinaire, collection « CEA », série synthèses,
Éditions Eyrolles, 1983.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 101


7 Trois accidents nucléaires
marquants, leurs causes
et leurs conséquences : Three Mile
Island, Tchernobyl, Fukushima

Bernard BONIN

1 Three Mile Island (1979)

La centrale nucléaire de Three Mile Island est une centrale nucléaire dans l’est des
États-Unis. Mise en service en 1974, elle a subi un accident le 28 mars 1979. L’unité 2
qui a subi l’accident est un réacteur à eau pressurisée conçu par Babcock et Wilcox
avec une capacité de production nette de 900 MWe. À Three Mile Island, tout com-
mence par un incident banal sur le circuit secondaire∗ qui a fait perdre l’alimenta-
tion en eau des générateurs de vapeur∗ . Ces derniers n’évacuant plus efficacement
les calories apportées par le circuit primaire∗ , la température et la pression dans ce
circuit∗ montent. Au bout de 3 secondes, les automatismes font s’ouvrir la soupape
de décharge du pressuriseur et chuter les barres∗ . Côté secondaire, ils provoquent
le déclenchement de la turbine et donnent l’ordre de démarrer aux pompes de l’ali-
mentation de secours des générateurs de vapeur. Au bout de 12 secondes, la pres-
sion primaire étant redevenue normale, la soupape reçoit l’ordre de se refermer. Tout
jusqu’ici a fonctionné comme prévu : la puissance résiduelle∗ peut être évacuée faci-
lement par les générateurs de vapeur avec leur alimentation de secours.
Mais la soupape a un défaut et reste bloquée en position ouverte. Pire, l’ordre
donné à la soupape de se fermer est signalé au tableau de commande, mais pas son
exécution. Conséquence : alors que le circuit primaire se vide du côté vapeur et que
la pression y atteint le seuil de mise en action de l’injection de secours, l’opérateur
ne mesurant plus le niveau dans le pressuriseur est amené à croire par la fausse
indication « soupape fermée » qu’il y a trop d’eau dans la cuve et coupe au bout de
4 minutes l’injection de secours. À ce moment-là, la cuve se vide de son eau, qui
n’est plus remplacée. Un incident supplémentaire empêche l’opérateur de réfléchir :
les deux motopompes qui doivent injecter l’eau de secours dans les générateurs de
vapeur, 30 secondes après un manque d’eau signalé, n’ont pas pu entrer en action
car elles avaient été isolées par une équipe de maintenance ! En quelques minutes,
les générateurs de vapeur se sont asséchés, ce qui interrompt tout refroidissement
du circuit primaire. Plus de 20 minutes seront nécessaires pour remettre le circuit
secondaire dans un état normal.
Pendant ce temps, la situation dans la cuve s’aggrave : après 6 minutes, l’eau du
circuit primaire commence à bouillir, les pompes doivent faire circuler une émulsion
d’eau et de vapeur, elles cavitent, on doit les arrêter. Une circulation par convection
naturelle ne peut s’établir car il y a séparation des phases : la vapeur s’accumule dans
les points hauts, l’eau liquide dans les points bas.
Ce n’est qu’au bout de 2 heures qu’un opérateur, sans comprendre ce qu’il fait,
fermera une vanne manuelle en double de la soupape et rendra étanche le circuit
primaire. Entre-temps, le niveau dans la cuve a baissé, le cœur est découvert, les
gaines atteignent des températures élevées (1 500 ◦ C) où une forte action de l’eau
sur le zirconium des gaines produit de l’hydrogène en quantité, qui passe dans
l’enceinte de confinement en entraînant des produits de fission. On a cru, un temps,
que l’hydrogène allait exploser et que l’enceinte céderait sous la pression, ce qui ne
s’est pas produit. En fait, l’enceinte joua parfaitement son rôle de dernière barrière.
Il n’y eut que des rejets minimes dans l’environnement, dus à un ordre trop tardif
d’isolement de l’enceinte. Pourtant, une partie importante du cœur avait fondu,
comme l’a montré une sonde envoyée dans la cuve six ans après l’accident. On aura
remarqué dans cette histoire d’évidentes défaillances humaines. S’y sont ajoutés de
nombreux défauts dans la conception du tableau de commande. En plus de ceux
déjà notés, celui-ci : il existait une mesure de niveau d’eau dans le réservoir de
décharge de la soupape qui aurait aidé les opérateurs à comprendre que celle-ci
était restée grande ouverte et que la cuve se vidait de son eau. Mais cette information
n’était transmise que dans un local annexe et son intérêt n’avait jamais été indiqué
aux opérateurs. Encore un défaut : l’ordinateur d’aide à la conduite, qui n’était pas
capable de gérer la situation d’accident, fut plutôt une gêne qu’une aide.

104 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
2 Tchernobyl (1986)

Dans le cas de Tchernobyl, les erreurs humaines furent bien pires et se sont ajoutées
à des erreurs de conception du réacteur.
a) Le modérateur∗ était en graphite. Le ralentissement des neutrons étant moins
efficace par des noyaux de carbone que par les noyaux d’hydrogène d’un réacteur
à eau, le réacteur russe était de grande taille et on n’a pas pu l’enfermer dans une
enceinte de confinement.
b) Le réacteur était refroidi par des tubes d’eau sous pression (tubes de force)
qui traversaient le cœur. Cette eau était portée à ébullition en sortant du cœur, ce
qui permettait de fournir directement de la vapeur aux groupes turboalternateurs
sans passer par un circuit intermédiaire. L’inconvénient de cet arrangement est que,
si la température monte inconsidérément, l’ébullition se produit dans le cœur même.
L’augmentation du volume de vapeur se traduit par une diminution de la densité
du caloporteur et une moindre absorption des neutrons. Le flux et la puissance
montent, entraînant un nouvel accroissement de la température : un cercle vicieux
s’installe que l’on traduit par l’existence d’un « coefficient de vide∗ positif » et que l’on
contrebalance par la présence en permanence de nombreuses barres absorbantes de
neutrons dans le cœur. Ce coefficient de vide positif était surtout pénalisant à faible
puissance. Le réacteur pouvait « s’emballer » lors d’un fonctionnement au-dessous du
quart de la puissance nominale, ce qui avait donné lieu à une réglementation très
sévère du nombre de barres absorbantes qu’il fallait absolument laisser dans le cœur.
c) La grande taille du réacteur rendait difficile de maintenir homogènes dans
l’ensemble du cœur le flux des neutrons et la puissance dès que l’on voulait changer
celle-ci. On y parvenait en ajustant les débits des tubes de force traversant le cœur
pour le refroidir. En outre, les barres absorbantes reproduisaient la configuration
du réacteur avec du graphite de part et d’autre de la matière absorbante centrale
de sorte que leur introduction dans le cœur pouvait au début avoir l’effet pervers
d’augmenter la réactivité au lieu de la diminuer.
En bref, ce réacteur était un engin délicat à manier pour lequel des consignes
strictes de conduite avaient été prescrites. Ces consignes suffisaient à assurer un
fonctionnement sûr, mais elles n’ont pas été respectées. Il y a plus grave : les auto-
matismes de protection fondés sur cette réglementation ont été délibérément inhibés
par les opérateurs qui, pensant (follement) avoir des réflexes suffisamment rapides,
voulaient se donner une plus grande liberté de manœuvre. Enfin, l’initiateur de l’ac-
cident a été une action humaine volontaire, puisqu’il s’agissait de couper toute l’ali-
mentation électrique du réacteur pour vérifier qu’avec le volant d’inertie des pompes
du circuit primaire, il était possible de produire le courant secouru nécessaire aux
systèmes de protection et de sauvegarde, pendant le court délai de montée en ré-
gime des groupes diesel de secours. Cet essai était superflu, car il avait déjà été

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 105


réalisé sur ce même type de réacteur ailleurs en Russie ! Il faut ajouter l’interven-
tion intempestive au début de l’essai du régulateur régional de réseau qui imposa
un fonctionnement à mi-puissance pendant 9 heures, juste le temps qu’il fallait pour
empoisonner au maximum le réacteur en xénon∗ , ce qui a obligé à lever en grand
nombre les barres de pilotage en les rendant inefficaces.
Quand l’essai put enfin reprendre, une erreur dans la synchronisation des chaînes
de puissance envoya tout droit le réacteur dans la zone de fonctionnement stricte-
ment interdite, avec ses barres de pilotage levées et ses protections inhibées ! Malgré
des conditions de fonctionnement tout à fait anormales (puissance stabilisée à moins
d’un dixième de la puissance nominale et nombre de barres insérées égal au quart
du minimum autorisé), on décida de faire l’essai. En raison de son coefficient de
température∗ , positif dans ce régime de fonctionnement, le réacteur devint très vite
surcritique∗ et aurait atteint en 4 secondes 100 fois sa puissance nominale.

Figure 7.1. Le réacteur de Tchernobyl après l’accident.

106 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Pour couronner le tout, une dernière erreur, celle-là de conception : les barres
de sécurité ne chutaient pas par gravité mais étaient actionnées par un mécanisme
infiniment trop lent. Le cœur fut détruit avant qu’elles n’aient pu y être introduites.
L’intense chaleur dégagée fit exploser les pastilles de combustible. Des morceaux brû-
lants de combustible désintégré entrèrent en contact avec l’eau de refroidissement
ce qui provoqua une importante production de vapeur et une montée de la pression
qui fit exploser la partie supérieure des canaux. Une seconde explosion, probable-
ment due au dégagement d’hydrogène, souleva la dalle supérieure (2 000 tonnes !)
du réacteur qui relâcha tous les produits de fission gazeux dans l’atmosphère. Le
modérateur en graphite du cœur prit feu. L’incendie se poursuivit pendant 10 jours,
alimentant un important nuage de radioactivité.

2.1 Les conséquences de l’accident

Cinquante tonnes de combustible nucléaire ont été dispersées dans l’environnement


par les explosions et l’incendie. Un sarcophage en béton a ensuite été construit
autour du réacteur pour empêcher la dispersion de la radioactivité encore contenue
dans le cœur.
Les quantités de radioactivité relâchées ont été très importantes : 1,2 1019 Bq,
soit 3 à 4 % du combustible solide.

2.2 Les conséquences de l’accident sur les liquidateurs

Environ 600 000 liquidateurs sont intervenus sur le site et ont été irradiés à des doses
variables. 237 d’entre eux ont souffert d’un syndrome d’irradiation aiguë, et 31 sont
morts dans les semaines qui ont suivi l’accident. 10 % des liquidateurs ont reçu
des doses de plus de 250 mSv et 20 % des doses comprises entre 100 et 165 mSv.
Quinze ans après la catastrophe, les médecins ont encore du mal à faire le bilan
épidémiologique de cette population, le suivi médical des liquidateurs ayant été mal
fait.

2.3 Les conséquences sur les populations locales

C’est l’iode 131 qui a produit l’effet le plus important sur la santé du fait de son
accumulation dans la thyroïde et de sa courte période (8 jours) qui donne lieu à
une irradiation à fort débit de dose. Un excès de 4 000 (source : IRSN sur la seule
période 1986–2005) cancers de la thyroïde chez les enfants a été observé en Russie,
en Ukraine et surtout en Biélorussie. Le bilan aurait été bien moins lourd si de l’iode
stable avait été administré aux populations locales et si l’évacuation n’avait pas
été décidée si tardivement (c’est la dernière et peut-être la plus grave des erreurs
humaines de cette catastrophe).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 107


Les enquêtes épidémiologiques n’ont pas détecté d’augmentation décelable du
taux de leucémie ni de malformation congénitale.
Au total, cent trente-cinq mille personnes ont été évacuées. On a pu noter dans
le public une augmentation considérable de maladies autres que celles liées directe-
ment aux rayonnements et attribuables aux répercussions psychologiques de l’acci-
dent.

2.4 Les conséquences de l’accident sur l’environnement

La radioactivité a été dispersée sous forme d’aérosols atmosphériques et l’intensité


des dépôts a varié selon les conditions météorologiques. La carte d’Europe des dépôts
montre des taches qui correspondent aux régions les plus arrosées par les pluies lors
du passage du panache (Fig. 7.2).

Figure 7.2. La carte de la contamination en Europe. Source : document IRSN (www.irsn.org).

Après la décroissance radioactive de l’iode 131, le césium 137 (de période 30 ans)
est la principale source de contamination des sols. En Biélorussie et en Ukraine,
une superficie de 10 000 km2 a été contaminée au niveau de 555 à 1 480 kBq/m2 ;
21 000 km2 ont reçu de 185 à 555 kBq/m2 . La dose reçue par un humain vivant sur
un sol contaminé en césium à 550 kBq/m2 est d’environ 2 mSv/an, soit le même
ordre de grandeur que la dose reçue du fait de la radioactivité naturelle.

108 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Au total, ce sont des milliers de kilomètres carrés qui ont été durablement rendus
impropres à l’agriculture en Biélorussie et en Ukraine.
En France, la région Sud-Est a été la plus touchée. Le dépôt s’est réparti très
irrégulièrement, sous les orages. Les points les plus contaminés sont dans les massifs
montagneux de Corse, des Alpes et des Vosges.

2.5 Vingt-cinq ans après l’accident, qu’est devenue cette contamination ?

L’iode a complètement disparu. Le césium, fortement retenu par certains minéraux


du sol, a peu migré, mais s’est enfoncé dans le sol à des profondeurs de l’ordre du
mètre, ce qui suffit pour écranter le rayonnement gamma. On observe des phéno-
mènes de concentration de la radioactivité dans les creux des zones montagneuses.
Le césium passe alors dans les plantes, en particulier dans les champignons, dont
le mycélium est proche de la surface. Elle passe ensuite dans les animaux et se pro-
page le long de la chaîne alimentaire. Cette propagation devient de moins en moins
efficace avec le temps car la biodisponibilité du césium diminue.

2.6 Les produits agricoles français ont-ils été contaminés ? Le sont-ils encore ?

La dose radioactive reçue par les Français du fait de l’accident de Tchernobyl a été
due presque exclusivement à l’iode et au césium, via la consommation de produits
agricoles (principalement les légumes feuilles, le lait et la viande). La contamination
de ces produits a atteint son maximum immédiatement après les dépôts et n’a que
très temporairement dépassé les normes internationales en vigueur. En 1986, les
fruits secs, le thym et le lait de chèvre étaient les produits les plus contaminés.
Aujourd’hui, ce sont les produits forestiers comme les champignons et le gibier.
Encore récemment, on a trouvé en France des champignons contaminés par les
retombées radioactives de Tchernobyl, avec une radioactivité de 3 000 becquerels
par kilo. On a également mesuré dans la viande de certains sangliers chassés dans les
Vosges une radioactivité de 1 800 becquerels par kilo. Il faudrait en manger 100 kg
pour recevoir l’équivalent de la dose naturelle annuelle.

2.7 Les conséquences dosimétriques de l’accident de Tchernobyl sont très limitées


en France

D’après l’IRSN, pour une période de 60 ans, de 1986 à 2046, la dose individuelle
reçue dans la zone la plus touchée (l’Est de la France) sera inférieure à 1,5 mSv, ce
qui représente 1 % de l’exposition naturelle durant le même temps.
En France, les doses reçues à la thyroïde sont entre 100 et 1 000 fois plus faibles
que celles auxquelles ont été soumis les enfants qui habitaient au voisinage de la

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 109


Figure 7.3. Évolution de l’incidence du cancer de la thyroïde en France (source : IRSN et Institut Gustave
Roussy).

centrale. Elles n’ont pas induit un excès de risque significatif sur la santé. Il est vrai
que le nombre de cas de cancers de la thyroïde dépistés en France augmente, mais
cette augmentation avait commencé dès 1975 et l’accident de Tchernobyl n’a pas eu
sur elle d’influence visible (Fig. 7.3).

2.8 Une catastrophe nucléaire de l’ampleur de Tchernobyl pourrait-elle se produire en


France ?

Plus stables que les RBMK soviétiques, les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc
français ont une probabilité de fusion de cœur faible, mais non nulle (de l’ordre de
10−5 par an, ce qui signifie qu’en moyenne, un REP aurait une fusion de cœur une
fois tous les cent mille ans). D’autre part, les REP occidentaux ont une enceinte
de confinement, dont les RBMK sont dépourvus. Même en cas de fusion de cœur,
les relâchements de radioactivité seraient beaucoup plus limités qu’ils ne l’ont été
à Tchernobyl. Les nouveaux modèles de réacteurs à eau pressurisée comme l’EPR
seront encore plus sûrs.

110 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
3 Fukushima (2011)

Le 11 mars 2011, le Japon a subi un tremblement de terre et un raz-de-marée,


tous deux d’une ampleur exceptionnelle. Ces deux événements liés ont entraîné un
accident nucléaire majeur dans la centrale de Fukushima. La centrale de Fukushima
Daiichi est située au sud de Sendai, sur la côte Nord-Est du Japon. Elle comporte six
réacteurs à eau bouillante. Trois d’entre eux étaient en fonctionnement le 11 mars
2011 au moment du séisme.
Les réacteurs de la centrale ont été construits sur une période étalée : le premier
d’entre eux, d’une puissance de 480 MWe, a divergé en 1970, et les tranches sui-
vantes, d’une puissance croissante comprise entre 780 et 1 100 MWe, ont été connec-
tées au réseau entre 1973 et 1979. Les tranches 1, 2, 3, 4 qui ont subi l’accident sont
des réacteurs de conception General Electric « BWR GE Mark I ».
Dans un réacteur à eau bouillante, on autorise l’ébullition de l’eau sous une
pression de 70 bars dans le circuit primaire du réacteur. La vapeur produite à 285 ◦ C
est envoyée directement aux turbines qui font tourner les générateurs d’électricité.
Après son passage dans la turbine, la vapeur est condensée dans un dispositif qui la
met en contact thermique avec une source froide qui (à Fukushima) n’est autre que
l’eau de mer. Ce type de réacteur ne comporte donc qu’un seul long circuit fermé,
qui sort de l’enceinte de confinement et du bâtiment réacteur pour aller jusqu’aux
turbines et au condenseur. L’enceinte de confinement est constituée d’un « puits sec »
en acier renforcé de béton autour du cœur, petit volume (11 000 m3 ) rempli d’une
atmosphère inerte (azote), et d’un « puits humide », piscine en forme de tore qui sert
de réserve d’eau et de chambre de condensation au réacteur. L’ensemble est contenu
dans un « bâtiment réacteur » qui contient aussi une piscine destinée à l’entreposage
sous eau des combustibles usés déchargés du cœur du réacteur (Fig. 7.4).

3.1 Le déroulement de l’accident

Le séisme, de magnitude 9, était localisé à une centaine de kilomètres au large de


la côte japonaise. Il a occasionné des accélérations au niveau du sol de 0,37 g, alors
que la centrale était dimensionnée pour tenir à 0,3 g. Malgré cela, les installations
semblent avoir bien tenu au séisme, grâce aux marges que procurent les règles de
construction parasismique. Le séisme a provoqué l’arrêt automatique des réacteurs
par insertion des barres de sécurité, mais aussi la perte de l’alimentation électrique
externe de la centrale. À ce stade, les alimentations électriques de secours (diesels
générateurs) se sont mises en marche correctement, permettant le maintien de la
circulation de l’eau dans le circuit primaire du réacteur et le refroidissement du
réacteur à l’arrêt. Malheureusement, le tsunami qui a suivi le séisme et a déferlé sur
la côte environ une heure plus tard avait une hauteur estimée à 14 m, bien supérieure

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 111


Alimentation en eau

Figure 7.4. Les principaux organes d’un réacteur à eau bouillante BWR GE Mark I.

à celle des digues, dimensionnées à 6,5 m. Le tsunami a balayé les 4 stations de


pompage en mer alimentant le condenseur et noyé les diesels, laissant les réacteurs
sans aucune alimentation électrique et sans source froide.
La suite était une course contre la montre pour éviter un échauffement excessif
des réacteurs. En effet, même si la réaction en chaîne est arrêtée, même s’il ne reste
plus de neutrons dans le cœur des réacteurs, il reste à évacuer la puissance résiduelle
générée par les produits de fission.

Encadré 7.1. La puissance résiduelle.


Les produits de fission∗ sont des noyaux qui ont hérité de l’uranium qui leur a donné naissance
un fort excès de neutrons, qui les rend instables. Résultat : la plupart des produits de fission
sont radioactifs, avec des périodes allant de la microseconde (voire moins) jusqu’à la dizaine
de millions d’années. C’est la désintégration radioactive de ces produits de fission qui est
responsable de la puissance résiduelle∗ dégagée par un cœur de réacteur récemment arrêté.
Au moment de son arrêt, cette puissance résiduelle représente 7 % de la puissance ther-
mique nominale du réacteur. Puis elle décroît avec le temps, au rythme de décroissance
radioactive des produits de fission (Fig. 7.5). Trois heures après l’arrêt, la puissance rési-
duelle ne représente plus que 3 % de la puissance nominale et 1 jour plus tard, seulement
1 %.

112 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
180

160
Fukushima Daiichi-1 Fukushima Daiichi-2 & 3
140

Puissance (MW)
120

100

80 Puissance résiduelle
60

40

20
0
3/11 3/12 3/13 3/14 3/15 3/16 3/17
Date

Figure 7.5. Évolution de la puissance d’un réacteur nucléaire après l’arrêt de la réaction en chaîne.

Ensuite, la puissance résiduelle se stabilise et ne décroît plus que lentement, représen-


tant une fraction de % de la puissance nominale du réacteur. Quatre jours après l’accident,
la puissance dégagée par le cœur était de l’ordre de 7 MW pour le réacteur 1 et de 13 MW
pour les réacteurs 2 et 3. Même s’il s’agit d’une petite fraction de la puissance nominale des
réacteurs, il s’agit d’une puissance non négligeable (une dizaine de milliers de radiateurs
d’appartement !). On comprend donc qu’il soit nécessaire d’organiser le refroidissement du
cœur pour éviter son échauffement. C’est faute d’avoir pu organiser le maintien de ce refroi-
dissement dès les premières heures que l’accident a eu lieu.

La séquence accidentelle s’est déroulée lentement. Dès le début, l’enjeu était


d’éviter la dégradation du combustible. Pour cela, il fallait arriver à maintenir le cœur
sous eau. Dans un premier temps et pour deux des trois réacteurs, la vapeur produite
par les réacteurs a permis de faire tourner une petite turbine de secours et de faire
circuler ainsi l’eau du circuit primaire. En l’absence de source froide, cet expédient
revient seulement à transférer des calories du cœur dans l’eau de la piscine torique
du puits humide. L’eau se vaporise dans le cœur et se condense dans le puits humide,
dont le niveau et la température moyenne augmentent. Durant les premières heures
après le séisme, le niveau d’eau dans les réacteurs a pu être maintenu par l’apport
d’eau d’une bâche. Cette phase a été mise en œuvre jusqu’à ce que les bâches à eau
soient vides. L’enceinte de confinement est conçue pour résister à une pression de
4 bars seulement. Aussi, pour limiter la pression à cet endroit, l’exploitant TEPCO
a-t-il été amené à relâcher de la vapeur dans le bâtiment réacteur.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 113


Les réserves d’eau épuisées, les opérateurs n’ont eu d’autre choix que de conti-
nuer à éventer la vapeur dans le bâtiment réacteur. Le niveau d’eau dans la cuve
s’est alors mis à baisser et le cœur des réacteurs a été dénoyé. N’étant plus refroidis
par l’eau de la cuve, les crayons combustibles∗ se sont dégradés, libérant les produits
de fission volatils jusque-là enfermés en leur sein. En même temps, la température
des gaines∗ atteignant localement 1 200 ◦ C, la réaction d’oxydation du zirconium des
gaines par l’eau a débuté, produisant de l’hydrogène mêlé à la vapeur d’eau.
Les opérateurs ont tenté de sauvegarder les réacteurs par des relâchements vo-
lontaires et contrôlés de vapeur vers l’extérieur. À ce stade, la vapeur relâchée hors
de la centrale était déjà radioactive. D’autre part, l’hydrogène contenu dans la va-
peur d’eau a été libéré avec l’éventage des réacteurs. Il semble s’être concentré au
sommet des bâtiments réacteurs. Quand la teneur en hydrogène de cette atmosphère
a atteint 4 %, celle-ci est devenue explosive.
Des explosions hydrogène ont eu lieu sur les tranches 1, 3 et 4, quelques jours
après le séisme (Fig. 7.6). Celles-ci ont soufflé la partie supérieure des bâtiments
réacteurs 1 et 3. Pour spectaculaires qu’elles soient, ces explosions ne semblent pas
avoir gravement endommagé les enceintes de confinement ni la cuve des réacteurs.

Figure 7.6. Explosion hydrogène à la centrale de Fukushima.

En revanche, la préparation de l’éventage a été fait tardivement sur le réacteur 2,


ce qui a conduit à la montée en pression et à la rupture du puits humide, avec
libération d’une quantité importante d’eau contaminée qui s’est répandue dans les
galeries techniques de l’installation.

114 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Des mesures draconiennes ont alors été prises pour refroidir tant bien que mal les
réacteurs, avec la seule source d’eau encore disponible : l’eau de mer. De l’eau de mer
a donc été injectée à la fois dans la cuve et dans le puits sec. Ce mode d’alimentation
dit « gavé ouvert » se fait à pression atmosphérique ; la vapeur associée à l’ébullition
de l’eau a été relâchée en continu.
Dans le même temps, les piscines d’entreposage du combustible usé ont elles
aussi commencé à poser des problèmes. L’eau de ces piscines doit être refroidie
par recirculation-échange pour éviter un échauffement du combustible du fait de la
puissance résiduelle qu’il dégage ; cette recirculation-échange n’étant plus assurée, le
niveau d’eau dans les piscines s’est mis à baisser, risquant de dénoyer le combustible
entreposé. Les débits de dose au voisinage des réacteurs étaient alors trop élevés
pour que les opérateurs puissent intervenir directement sur l’installation.
Trois mois après l’accident, il n’y avait toujours pas d’accès à la mer pour la
source froide. Les galeries techniques et les piscines des réacteurs étaient encore
pleines d’eau contaminée.

3.2 Les conséquences radiologiques et environnementales de l’accident

Contrairement à l’accident de Tchernobyl, à Fukushima, ce sont surtout les éléments


volatils qui ont été relâchés :

Isotope
Kr 85, (T = 1 an) + isotopes du Xe
I 131 (T = 8 j)
Cs 137 (T = 30 a)
Cs 134 (T = 2 a)
Te 132 (T = 3 j)

Les mesures de radioactivité dans l’air au voisinage immédiat de la centrale


montrent clairement les pics de radioactivité associés à l’éventage de la vapeur et
aux explosions hydrogène.
Le nuage radioactif ainsi généré par bouffées s’est alors dispersé (Fig. 7.7). Par
chance, dans la phase aiguë de l’accident, le vent a soufflé principalement de l’ouest,
en direction de l’océan. Puis la dispersion atmosphérique a fait son œuvre, homogé-
néisant la concentration en gaz radioactifs dans l’hémisphère Nord en une quinzaine
de jours. L’accident aurait été très différent si les vents avaient soufflé sur Tokyo. . .
L’accident de Fukushima a occasionné un relâchement de césium dans l’air, me-
surable partout dans l’hémisphère Nord. Entre les années 1960 et 1980, la concen-
tration dans l’air a été dominée par la contribution des essais nucléaires, puis par les

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 115


Figure 7.7. La dispersion du nuage radioactif de Fukushima.

relâchements associés à l’accident de Tchernobyl. Comme pour ces pollutions pas-


sées, on a observé une décroissance du pic de concentration associé à l’accident de
Fukushima, au rythme du dépôt du césium atmosphérique par les pluies, avec une
constante de temps de l’ordre du mois.
Les conséquences radiologiques à l’échelle locale sont modestes : 30 personnes
ont été irradiées à plus de 100 mSv et leur vie n’est pas en danger.
Les mesures de radioactivité effectuées dans l’environnement à proximité de la
centrale montrent une décroissance de celle-ci après les explosions.
Les valeurs maximales de débit de dose atteintes autour des réacteurs ont été de
l’ordre de la dizaine de mSv/h à l’entrée de la centrale et de 400 mSv/h à proximité
du réacteur n◦ 3. Le 16 mars soit 5 jours après l’accident, le débit de dose à l’entrée
du site était de 1,5 mSv/h.
En ce qui concerne les rejets en mer, la radioactivité mesurée au voisinage de
la centrale a été dominée par l’iode 131 dans les premières phases de l’accident.
Ensuite, la contribution du césium 137 et 134 domine, mais, grâce à la dilution,

116 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
celle-ci a décru rapidement et est passée sous la limite réglementaire dès la fin avril,
soit environ un mois et demi après l’accident. Il se confirme que les éléments relâchés
dans l’eau par l’accident, étant par nature solubles, se dispersent rapidement dans
l’eau de l’océan. On n’attend pas de fortes reconcentrations d’iode ou de césium dans
les divers compartiments de la biosphère marine.
Les conséquences radiologiques de l’accident à l’échelle régionale ont été induites
par la contamination de l’atmosphère par les gaz rares, l’iode et le césium, puis par
la contamination des sols induite par les retombées atmosphériques. Cette contami-
nation des sols peut affecter le public par irradiation externe et par ingestion, suite
à la consommation de produits agricoles. L’évacuation de la zone des 20 km décidée
par les autorités japonaises a évité une exposition importante des populations.
Malheureusement, le vent n’a pas toujours soufflé de l’ouest. Pendant une brève
période, les 15 et 16 mars, un vent chargé de pluie et de neige a soufflé du sud-est,
entraînant des retombées atmosphériques et des niveaux de contamination au sol en
césium importants dans le « couloir d’Iitate », bande de terrain d’une cinquantaine
de kilomètres de long et dix de large, contaminée en césium à plus de 3 millions de
Bq/m2 (Fig. 7.8). En l’absence de contre-mesure, cette contamination induirait des
doses de l’ordre de quelques dizaines de mSv intégrées sur la première année après
l’accident, et rendra les sols durablement impropres à l’agriculture sur quelques
centaines de km2 . Des mesures d’évacuation ont été prises dans ce couloir, qui
dépasse assez largement la zone d’évacuation des 20 km.
Les doses∗ reçues par le public suite à l’accident de Fukushima deux mois après
l’accident sont inférieures à 1 mSv, sauf dans le couloir d’Iitate où elles sont plutôt
de l’ordre de la dizaine de mSv.
Vu les doses individuelles reçues par le public, on n’attend pas d’effet sanitaire
notable dans la population suite à l’accident de Fukushima. Le fort excès de cancers
de la thyroïde observé dans la région de Tchernobyl ne devrait pas avoir d’équivalent
au Japon, pour trois raisons concomitantes : les quantités d’iode relâchées ont été
environ dix fois plus faibles qu’à Tchernobyl ; les populations ayant été évacuées à
temps, la dose reçue est beaucoup plus faible ; vivant au bord de la mer, les popu-
lations japonaises ne sont pas carencées en iode et auront probablement beaucoup
moins bien fixé l’iode radioactif que leurs homologues ukrainiennes et biélorusses.
En France, la radioactivité de l’iode 131 a bien été détectée dans l’air (de l’ordre
du mBq/m3 au plus fort de la crise) et dans l’eau de pluie (de l’ordre du Bq/L), mais
l’impact dosimétrique associé a été extrêmement faible.
L’accident de Fukushima ayant donné lieu à la destruction de quatre des six réac-
teurs de la centrale, avec des rejets majeurs de radioactivité dans l’environnement et
des effets sanitaires possibles, a été classé au plus haut niveau de gravité de l’échelle
INES, comme l’accident de Tchernobyl.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 117


Figure 7.8. La carte des contaminations au sol (source : site Internet du MEXT).

3.3 Les réacteurs à eau pressurisée auraient-ils mieux résisté ?

Oui, au moins dans les premières phases de l’accident, du fait de l’existence d’un
circuit secondaire d’eau non active. En l’absence de source froide, l’évacuation de la
puissance résiduelle des REP peut se faire à moyen terme par évaporation d’eau du
circuit secondaire, avec relâchement de vapeur d’eau non radioactive, ce qui fait une
différence importante avec les REB. . . jusqu’à épuisement des réserves d’eau.
Si l’absence de source froide se prolonge et s’il s’avère impossible de réinjecter
de l’eau dans le circuit secondaire, le scénario est identique sur REP et REB : tem-
pérature et pression montent dans le circuit primaire, avec nécessité d’éventer, d’où

118 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
relâchement de vapeur radioactive, risque de dénoyage du cœur et production d’hy-
drogène.
Les conséquences de l’éventage sont cependant différentes pour REP et REB :
l’enceinte de confinement de petit volume dans les REB monte vite en pression ;
l’enceinte de très grand volume des REP donne encore du temps avant de devoir
relâcher la radioactivité dans l’environnement.
D’autre part, le risque hydrogène est pris en compte sur les REP et écarté par
la présence d’igniteurs ou de catalyseurs qui recombinent l’hydrogène au fur et à
mesure de sa production. Avec un REP, il n’y aurait probablement pas eu d’explosion
hydrogène.
Enfin, le fond de la cuve d’un REB est percé de passages étanches pour les barres
de contrôle, qui constituent autant de points faibles pour l’étanchéité de la cuve en
cas de fusion de cœur. Il semble y avoir eu des fuites du fond de la cuve sur les
réacteurs de Fukushima. Par contraste, un REP possède un fond de cuve continu, qui
aurait probablement mieux résisté à l’agression par le corium∗ .
Avec les réacteurs de troisième génération comme l’EPR, il n’y aurait même pro-
bablement pas eu du tout de relâchement de radioactivité à l’extérieur de l’enceinte,
car ce type de réacteur est conçu pour maintenir le confinement même en cas de
fusion du cœur.

3.4 Y a-t-il eu faute ?

Il est clair que l’accident de Fukushima est inacceptable aux yeux du public. Les
opérateurs de la centrale n’ont pas commis d’erreur manifeste dans leur gestion de
la crise. Peut-être auraient-ils pu éviter la fusion des cœurs, en décidant très vite
de les refroidir à l’eau de mer, mais cette décision était probablement difficile à
prendre après un séisme et un raz de marée d’une telle ampleur. Pour les techniciens
et les scientifiques, la question de la responsabilité se pose ainsi : les événements
initiateurs de l’accident (le séisme et le tsunami) étaient-ils si exceptionnels que
leur risque d’occurrence était a priori acceptable (auquel cas on a eu affaire à un
coup de malchance extraordinaire et la communauté technique est excusée), ou
bien leur probabilité d’occurrence était-elle assez haute pour qu’il soit nécessaire
de se prémunir contre ces aléas (auquel cas la communauté technique japonaise est
fautive de ne pas l’avoir fait) ?
Le risque sismique peut être évalué assez précisément. La loi de Gutenberg-
Richter, qui relie par une exponentielle magnitude et probabilité d’occurrence de
séismes est une loi universelle bien vérifiée partout dans le monde, qui permet en
principe l’évaluation des probabilités de séismes forts par observation des séismes
faibles puis extrapolation. Pour le risque de tsunami, c’est plus difficile ! Ce dernier
est évidemment lié au risque sismique précité, mais l’effet de la configuration du

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 119


plateau continental et de la côte est primordial, ce qui complique l’évaluation de la
hauteur probable de la vague.
Des raz-de-marée gigantesques ont lieu fréquemment dans le golfe d’Alaska
(60 m en 1899, plus de 70 m en 1964 !). Le Japon est lui aussi bien servi, hélas
(38 m en 1896, 12 m lors du séisme de Kantô en 1923, 29 m lors du séisme de
Sanriku en 1933), mais les vagues frappent tantôt à un endroit, tantôt à un autre,
et la bonne question est plutôt : sur le site de Fukushima, quelle est la probabilité
a priori d’observer un tsunami d’une hauteur supérieure à une hauteur donnée (di-
sons, la hauteur de la digue, soit 6,5 m) ? Un récent rapport (réf. T. Annaka et al., « A
method of probabilistic tsunami hazard analysis », Earthquake Zngineering Sympo-
sium, 2006) donne la réponse : de l’ordre de quelque 10−4 /an, avec de larges barres
d’incertitude. Ceci signifie qu’à Fukushima, il faut attendre quelques raz de marée
supérieurs à cette hauteur sur une période de 10 000 ans.
Sachant que le niveau de risque d’accident grave (fusion du cœur) jugé accep-
table par les autorités de sûreté nucléaires occidentales (et japonaises) est de l’ordre
de 10−4/an pour des réacteurs de génération II, de 10−5 /an pour des réacteurs de
génération III, et d’encore un ordre de grandeur au-dessous pour la probabilité de re-
lâchement de radioactivité dans l’environnement, force est ce conclure qu’il n’y avait
pas cohérence entre la doctrine de sûreté et son application à Fukushima. Le di-
mensionnement de la digue était clairement insuffisant et la communauté technique
japonaise doit en être tenue responsable.

3.5 Après l’accident

Après l’accident, il faut décontaminer l’eau qui a servi à refroidir les réacteurs, actuel-
lement stockée dans les piscines et les galeries techniques de la centrale. Plusieurs
dizaines de milliers de m3 sont à traiter et il n’est pas facile d’extraire le césium
d’une eau salée, contenant beaucoup de sodium. Il faut probablement aussi décon-
taminer les sols au voisinage de la centrale et dans le couloir d’Iitate, par décapage
des quelques centimètres de la surface, ou par une autre technique à déterminer.
Reste enfin à démanteler des réacteurs accidentés, dans des conditions radiologiques
difficiles.

4 Les leçons tirées des accidents nucléaires

C’est surtout à la suite de l’accident de Three Mile Island aux États-Unis, étudié sur
une échelle mondiale, qu’en retour d’importantes modifications ont été apportées
aux réacteurs à eau sous pression : d’abord une chasse systématique de toutes les
informations qui signalent un ordre et non un état, une refonte des synoptiques et

120 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
des alarmes au tableau de commande avec hiérarchisation des informations (à Three
Mile Island, il y avait de nombreux signaux clignotants et klaxons hurlants pour un
même défaut), un contrôle très sévère de la qualité de la robinetterie des circuits
de sauvegarde, l’introduction d’un « ébulliomètre » au tableau de commande pour
indiquer la marge à l’ébullition dans le circuit primaire, et surtout un très gros effort
de formation des opérateurs, comportant par exemple l’usage de simulateurs pour
se familiariser avec les procédures d’urgence.
À Tchernobyl, le réacteur était trop particulier et les violations des consignes
trop flagrantes pour en tirer davantage qu’une confirmation de l’absolue nécessité
de l’enceinte de confinement dans la protection de l’environnement et une sérieuse
mise à jour des mesures de protection des populations. Celles-ci ont en effet été très
mal informées au moment de l’accident, déplacées de façon inefficace dans les jours
qui ont suivi et insuffisamment contrôlées médicalement par la suite.
L’accident de Fukushima est riche d’enseignements pour la communauté tech-
nique. Sur les réacteurs existants et futurs, il s’agira de mieux prendre en compte
les risques naturels, en particulier le risque de tsunami, diversifier les moyens de re-
froidissement et les alimentations électriques de secours, favoriser la sûreté passive
dans la conception des réacteurs, mieux instrumenter les réacteurs.
L’accident de Fukushima ne sera pas sans conséquences pour le développement
du nucléaire dans le monde car il survient au milieu d’une renaissance du nucléaire
et risque de briser l’élan. Les conséquences seront probablement limitées en Chine,
en Inde et en Russie, qui confirment leur besoin du nucléaire et leur intention
de le développer ; en revanche, elles sont déjà lourdes en Occident (révision des
politiques nucléaires allemandes, italiennes et suisses). D’autres pays suivront peut-
être. Relancé par l’accident, le débat démocratique sur l’avenir de la filière s’annonce
chaud. Il faut souhaiter qu’il se déroule de façon raisonnée, sans passion, en pesant
les avantages et les inconvénients de cette option énergétique.

Bibliographie
[1] « Assurer la sûreté nucléaire », une brochure de l’Agence de l’OCDE pour l’éner-
gie nucléaire, Les Éditions de l’OCDE, Paris, 1993.
[2] B. Pershagen, Light water reactor safety, Pergamon Press, 1989.
[3] J. Libmann, Éléments de sûreté nucléaire, les Éditions de physique, Les Ulis,
1996.
[4] Nuclear power, Rapport du Nuclear Research Council au Sénat américain, Na-
tional Academy Press, Washington, 1992.
[5] Les réacteurs nucléaires à eau ordinaire, collection « CEA », série synthèses,
Éditions Eyrolles, 1983.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 121


Quatrième partie

Le cycle du combustible nucléaire :


ressources, traitement, recyclage, déchets
8 Le « cycle du combustible »
nucléaire

Paul RIGNY

Le cycle du combustible nucléaire est l’ensemble des opérations de transforma-


tion – chimique, physique ou physico-chimique – que subit la matière utilisée pour
la production d’énergie en réacteur : de la mine au réacteur, puis de la sortie du
réacteur au recyclage éventuel des matières valorisables et au conditionnement des
déchets ultimes (Fig. 8.1).
Cette phrase, qui utilise le vocabulaire en cours dans le milieu nucléaire, mérite
quelques explications. La réaction de fission nucléaire est utilisée dans un réacteur
nucléaire comme la réaction de combustion (du pétrole, du gaz ou du charbon) dans
une centrale classique qui brûle du pétrole, du gaz ou du charbon : pour chauffer de
l’eau – d’où l’emprunt du mot « combustible »∗ . La fabrication du combustible pour
introduction en réacteur puis, après son utilisation en réacteur, le démontage de ses
composants technologiques, la séparation chimique des matières contenues, leur trai-
tement suivi du conditionnement en matière valorisable ou en déchets. . . : ce sont
toutes ces opérations de transformation qui constituent le « cycle du combustible∗ ».
Le mot « cycle » est là pour insister sur la possibilité de recycler une partie des ma-
tières fissiles après passage en réacteur – l’uranium contenu dans le combustible à
l’entrée mais non consommé en réacteur, ou le plutonium∗ produit pendant le fonc-
tionnement du réacteur et non consommé – puis de la réutiliser dans un nouveau
passage en réacteur.
Figure 8.1. Diagramme synoptique des opérations du cycle du combustible.

Par extension, le mot « cycle » peut être utilisé indépendamment du recyclage des
matières. On appelle ainsi « amont du cycle » l’ensemble des opérations qui mènent
l’uranium de la mine au réacteur, « aval du cycle » celles qui partent du combustible
usé par le fonctionnement en réacteur pour conditionner ou séparer les matières
fissiles radioactives restantes, en vue de leur recyclage ou de la gestion des déchets.
Dans les cas où aucune intention de recyclage des matières n’existe (exemple de
plusieurs grands pays nucléaires, à commencer par les États-Unis), on parle de « cycle
ouvert » essentiellement constitué du cycle amont.
Il existe une variété de filières de réacteurs nucléaires. Pour simplifier, nous
considérerons ici le cas de la filière REP (Réacteur à Eau Pressurisée) qui est la plus
utilisée industriellement dans le monde – et qui est en particulier la filière d’EDF. Au
cours de sa présence dans le réacteur, l’isotope 238 de l’uranium donne naissance
à des atomes de plutonium 239, qui eux aussi subissent la réaction de fission et
participent à la production d’énergie. Cette propriété est utilisée par EDF dans la
variante « MOX » du réacteur REP, dont nous nous considérerons également le cycle.

126 Chapitre 8. Le « cycle du combustible » nucléaire


Encadré 8.1. Le poids économique du cycle du combustible.
Les opérations du cycle du combustible, décrites ci-après, sont des opérations chimiques ou
physicochimiques nombreuses, souvent complexes et dont la mise en œuvre industrielle est
rendue délicate par la nécessité absolue de maîtriser les risques que présente la manipulation
de la matière radioactive. Leur coût est une part importante du coût total de production de
l’électricité nucléaire. Plus précisément, les opérations du cycle du combustible coûtent entre
15 % et 20 % du coût du kWh, soit environ 10 euros/mWh. Les deux postes principaux,
l’enrichissement de l’uranium et le traitement des combustibles usés pour valorisation et
conditionnement pèsent environ le tiers chacun du coût total du cycle.
EDF produisant environ 420 tWh/an fait un chiffre d’affaires de l’ordre de 12 milliards
d’euros par an. L’électricité produite étant aux trois quarts d’origine nucléaire, on peut
retenir que le cycle représente, pour la France, un chiffre d’affaires de l’ordre de 2 milliards
d’euros par an. Cet ordre de grandeur explique la puissance de l’industrie qui, avec des
capacités mondiales souvent excédentaires, s’est constituée autour du cycle. Des acteurs
industriels majeurs sont : AREVA, industrie française qui couvre l’ensemble des activités
du cycle ; URENCO (industrie tripartite, anglo-hollando-allemande) ou USEC (compagnie
américaine) pour l’enrichissement de l’uranium ; BNFL (britannique) ; l’agence russe pour
l’énergie atomique ; et JNFL (japonais).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 127


9 Uranium naturel, uranium enrichi

Bernard BONIN et Paul RIGNY

L’uranium constitue actuellement le principal combustible nucléaire. Nous consa-


crons ce chapitre à décrire cet élément, vu sous l’angle d’une ressource minérale qui
doit être extraite de terre, raffinée et enrichie. La question des réserves en uranium
sera abordée dans une deuxième partie.

1 Extraction et conversion de l’uranium

1.1 L’élément uranium

L’uranium est le plus lourd des éléments naturels restant sur la Terre 1 . Son noyau
est entouré de 92 électrons. Il est essentiellement composé de deux isotopes∗ , 235 U
et 238 U. Malheureusement, seul l’isotope minoritaire 235 U est fissile∗ aux neutrons
lents !

Isotope Période (ans) Abondance relative actuelle sur Terre (en % U total)
235 713 millions 0,72
238 4,47 milliards 99,275

1
On trouve d’infimes quantités de plutonium « naturel » dans le minerai d’uranium. Ce plutonium est
formé par absorption des neutrons produits par la fission spontanée de l’uranium.
Cette composition isotopique de l’uranium naturel se retrouve partout sur Terre 2 ,
aucun processus physique ou chimique à l’œuvre dans le milieu naturel n’ayant
conduit à une séparation significative des deux isotopes.
La période radioactive∗ de 238 U étant beaucoup plus longue que celle de 235 U,
le rapport 235 U/238 U a diminué au cours de l’histoire de la Terre : c’est ainsi que
4,5 milliards d’années après la formation de notre planète, il reste encore la moitié
de l’238 U, mais seulement 2 % de l’235 U.
Chimiquement, l’uranium ressemble au chrome et au tungstène. C’est un élément
qui a une affinité marquée pour l’oxygène. Il est présent dans pratiquement toutes
les roches de l’écorce terrestre, avec des concentrations particulières dans les phos-
phates, certaines roches ignées ou au voisinage de fronts d’oxydoréduction dans les
roches sédimentaires. Il entre dans la composition d’au moins deux cent minéraux,
dans lesquels on le rencontre à l’état de valence IV et VI.
En solution aqueuse, l’état de valence le plus courant est VI si les conditions
sont oxydantes. L’uranium est alors sous la forme d’ion uranyl UO2+ 2 . En conditions
réductrices, l’état de valence le plus courant est IV et la solubilité de l’uranium sous
cette forme est faible.
Dans la croûte terrestre, la teneur moyenne en uranium est d’environ 3 grammes
par tonne.
L’uranium est généralement extrait du sous-sol par des techniques minières et
hydrométallurgiques classiques dans des gisements à ciel ouvert ou en profondeur
et dont les teneurs vont de 0,5 kg (Australie) à 200 kg (Canada) d’uranium par tonne
de minerai.

1.2 La prospection de l’uranium

Le premier travail de la prospection d’un secteur, quelle qu’en soit la taille, est de ras-
sembler toutes les données géologiques et minières déjà existantes. Aujourd’hui, la
détection des zones potentiellement favorables est considérablement facilitée, avec
l’avènement des techniques d’imagerie satellite et la mise en œuvre de méthodes
géophysiques de prospection.
La prospection radiométrique est la méthode géophysique spécifique à la détec-
tion de l’uranium, parce qu’elle est précisément basée sur la radioactivité. En fait,
on détecte davantage le radium, descendant de l’uranium, dont le rayonnement est
beaucoup plus pénétrant. La prospection radiométrique peut être faite à pied, por-
tée (en automobile) ou aéroportée, pour les maillages à grande échelle et les régions
d’accès difficile.
2
À l’exception du gisement d’Oklo, où ont eu lieu des réactions nucléaires naturelles qui ont consommé
de l’uranium 235, et bouleversé la composition isotopique de l’uranium restant.

130 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


Les mesures radiométriques correctement interprétées permettent certes de dé-
tecter les minerais d’uranium, mais ne donnent guère d’information sur la quantité
ou la concentration de ce minerai. Des informations complémentaires peuvent être
obtenues via une investigation du milieu par des méthodes électriques, électroma-
gnétiques et magnétiques et par une étude géochimique consistant à détecter les
signes de la proximité d’un gisement grâce au halo de perturbation chimique qu’il
induit.
S’ils sont encourageants, les résultats de cette exploration peuvent être complétés
par des sondages, qui donnent un accès direct au matériau.

1.3 Les principaux gisements dans le monde

En France, les gisements ne sont pas très riches, à la fois en teneur et en quantité.
Ils ont cependant été exploités, pour satisfaire les besoins de l’industrie nucléaire
nationale, mais la dernière exploitation a été fermée en 2001. Ils se situent principa-
lement dans les massifs anciens, comme le Massif armoricain, le Massif central, les
Vosges ; mais aussi dans les bassins sédimentaires, tels que le bassin de Lodève et le
bassin d’Aquitaine. Les mines d’uranium françaises ont été fermées car on a trouvé
ailleurs dans le monde des gisements bien plus riches.
La majeure partie de l’uranium produit dans le monde vient actuellement du
Canada, suivi de l’Australie et du Niger. De gros gisements à teneur extrêmement
élevée restent à exploiter en Australie et au Canada. D’autres gisements moins riches
ou plus difficiles à exploiter représentent des réserves potentielles importantes.
On peut remarquer que certains gros consommateurs – actuels comme le Japon
et les pays européens, ou potentiels, comme la Chine ou l’Inde – sont particulière-
ment mal dotés dans cette loterie des ressources naturelles.

1.4 Les mines d’uranium

Pour extraire l’uranium, il est nécessaire d’accéder au gisement, soit en décapant la


partie de la roche stérile qui le recouvre (c’est le cas des mines à ciel ouvert), soit
en creusant des galeries dans cette même roche stérile si le minerai se situe plus en
profondeur (c’est le cas des mines souterraines), soit par « lixiviation ».
Les mines d’uranium à ciel ouvert présentent les avantages d’un accès facile au
minerai (Fig. 9.1). Les techniques et les engins employés sont comparables à ceux
en service dans les carrières ou les chantiers de travaux publics. La couverture est
décapée au bulldozer, puis le minerai est extrait à la pelle mécanique et transporté
par camion par une rampe jusqu’au niveau du sol. Après exploitation, l’excavation
peut dans certains cas être inondée et transformée en lac. Mais le plus souvent, le

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 131


Figure 9.1. Une mine d’uranium à ciel ouvert.

trou est rebouché avec les matériaux excavés. Ensuite, on remet en place la couche
de sol.
La lixiviation in situ est une technique qui permet l’extraction de l’uranium en
profondeur sans avoir à creuser d’ouvrages souterrains de grande ampleur. Plusieurs
puits sont percés jusqu’au minerai. Une solution, habituellement acide, injectée dans
un des puits, dissout l’uranium et est récupérée par pompage dans les puits avoisi-
nants.
Le minerai dont l’exploitation est actuellement considérée comme rentable
contient au moins un (voire quelques) kilos d’uranium par tonne. Les minerais
canadiens de la Saskatchewan ont des teneurs de quelques pour cent, et parfois plus
de 10 %. Les teneurs du sous-sol français sont moins riches. Ainsi, pour extraire
en France 72 000 tonnes d’uranium, COGEMA (devenu AREVA) a extrait quelque
52 millions de tonnes de minerai.

1.5 Le traitement du minerai

Après concassage et broyage, le minerai est attaqué chimiquement en pulpe. Le trai-


tement le plus courant est une attaque à l’acide sulfurique. Le taux de récupération
de l’uranium est en général supérieur à 90 %.

132 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


Après clarification et purification sur solvant ou résines échangeuses d’ions, l’ura-
nium de la solution est précipité par addition d’ammoniaque, de magnésie, d’hy-
droxyde de magnésium ou de soude.
Lavé et filtré, le concentré contient environ 75 % d’uranium métal et est appelé
le « yellowcake ». Ce dernier peut éventuellement être grillé pour obtenir l’oxyde
d’uranium U3 O8 . Yellowcake et oxyde d’uranium représentent les produits commer-
cialisables de l’usine de traitement (Fig. 9.2).

Minerai Concassage /

Mise en solution
Mine Souter aine

Extraction
Usine proche de
Précipitation

Mine à Ciel Ouvert


Solution Enrichie Concentrés 75%

Enfûtage /
Expédition
Lixiviation In Situ

Figure 9.2. Le traitement du minerai d’uranium.

1.6 L’impact environnemental et dosimétrique de la mine d’uranium

Une mine représente une perturbation notable de l’environnement. Les résidus mi-
niers, les effluents, le réaménagement de la mine après son exploitation sont des
points sensibles du point de vue de la protection de l’environnement. Dans le monde,
nombre de sites miniers ont été abandonnés sans que de quelconques mesures de sû-
reté, de remise en état ou de restauration aient été prises en considération, en partie
peut-être parce qu’aucune réglementation ne l’exigeait à l’époque.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 133


L’usine de traitement produit des résidus. À l’état frais, ils se présentent comme
des sables argileux humides très fins. Bien que l’uranium en ait été extrait, ils sont
encore radioactifs, car ils contiennent encore tous les autres radionucléides naturels
de la famille de l’uranium. Leur tonnage est du même ordre de grandeur que celui
du minerai traité et se mesure en millions de tonnes. Ils sont stockés sur place, soit
dans la mine elle-même, soit dans une vallée barrée par une digue ou un bassin en
superstructure, ceinturé par des digues. Lors du réaménagement, ces résidus sont
ensuite recouverts par une couche de stériles d’une épaisseur de l’ordre de quelques
mètres pour en assurer le confinement et en éviter l’érosion, retarder et réduire
l’exhalation du radon et assurer une protection radiologique vis-à-vis de l’exposition
gamma.
On a pu montrer que la mobilité du radium et de l’uranium résiduel à travers les
résidus était très faible, dans l’état actuel de la minéralogie de ces résidus (fixation
sur les oxy-hydroxydes de fer, les minéraux argileux et les phases carbonatées). On
n’attend donc pas de migration importante de radionucléides à partir des résidus de
traitement du minerai d’uranium, au moins à court terme. Il reste à démontrer que
cette situation satisfaisante perdurera dans le futur lointain.
En France, l’exploitant veille à minimiser l’impact de la mine. Soumis au règle-
ment général des industries extractives, il doit contrôler l’état de l’environnement
(eau, air) autour de la mine pendant et après l’exploitation.
Une autre préoccupation importante est la stabilité géotechnique des ouvrages,
digues et couvertures, qui assurent le confinement des résidus. Les techniques ac-
tuelles ne permettent de garantir cette stabilité que sur une durée de l’ordre de
1 000 ans.
La gestion des résidus miniers est soumise à la réglementation sur les installa-
tions classées pour l’environnement. Ce sont les autorités locales (préfecture, Direc-
tion régionale de l’Écologie, de l’Aménagement du territoire et du Logement) qui
sont chargées de l’application de ces règlements, l’Autorité de sûreté nucléaire étant
responsable de la radioprotection.
La mine a un impact radiologique sur les mineurs qui y travaillent. Pour ceux-
ci, c’est le radon qu’ils respirent qui représente la contribution principale à la dose.
Cette contribution est réduite à un niveau acceptable moyennant une ventilation
appropriée des galeries. L’autre contribution à la dose vient de l’exposition externe,
pratiquement inévitable, sauf si l’on en vient à confier l’exploitation à des robots
(solution envisagée pour les gisements à très forte teneur).
La mine a aussi un impact radiologique sur le public. La dose vient en partie du
radon (la contribution de la mine est difficile à démêler de celle du radon naturel
ambiant), mais aussi de l’exposition gamma externe et de l’eau des effluents.
L’ordre de grandeur de l’exposition ajoutée par une mine typique sur le public
habitant le village riverain est de 1 mSv/an pour une mine en activité et d’une

134 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


fraction de millisievert par an pour une mine fermée et réaménagée. Ces chiffres sont
à comparer aux 2,4 mSv/an dus à la radioactivité naturelle (moyenne française). Ils
ne sont pas négligeables au regard de la législation sur les limites de dose admissibles
pour le public.

1.7 La conversion et l’enrichissement de l’uranium

Arrivé au stade du yellowcake, l’uranium est encore loin de pouvoir être utilisé dans
un réacteur nucléaire ! Il doit d’abord être mis sous la forme hexafluorure d’uranium
UF6 (gazeux) pour y subir l’enrichissement isotopique∗ .
Il s’agit d’abord de purifier le yellowcake pour le débarrasser des éléments
comme le bore ou le cadmium, absorbeurs de neutrons, ainsi que des éléments for-
mant des fluorures volatils susceptibles de contaminer l’hexafluorure d’uranium pro-
duit plus tard. Cette purification se fait par extraction au tri-butyl-phosphate, après
dissolution du yellowcake ou de l’oxyde d’uranium dans l’acide nitrique.
La solution de nitrate d’uranyl purifiée est ensuite transformée en une poudre
d’oxyde d’uranium UO3 par chauffage à 300◦ , puis en UO2 par chauffage au four
en présence d’hydrogène. La poudre d’oxyde UO2 est ensuite fluorée dans un four
rotatif à 450 ◦ C en présence d’acide fluorhydrique.
Le tétrafluorure UF4 ainsi obtenu est enfin converti en hexafluorure UF6 par une
nouvelle fluoration à 450 ◦ C, cette fois-ci en présence de gaz fluor. Cet hexafluo-
rure d’uranium est ensuite acheminé sous forme solide, dans des conteneurs sous
pression, vers l’usine d’enrichissement.
L’uranium naturel ne peut servir tel quel de combustible dans un réacteur à eau
légère, car il contient trop peu de noyaux fissiles (0,72 % d’isotope fissile 235 U) pour
qu’on puisse entretenir une réaction en chaîne dans un tel milieu. L’enrichissement
en 235 U à une teneur de quelques pourcents est imposé par le choix de l’eau ordi-
naire comme modérateur et caloporteur et a pour but de compenser les captures de
neutrons par l’hydrogène de l’eau.
Un réacteur à eau typique de 1 GWe consomme annuellement 21 tonnes d’ura-
nium enrichi à 4 %. Ce tonnage est extrait de 150 tonnes d’uranium naturel. La phase
d’enrichissement entre pour 31 % dans le coût du combustible chargé en réacteur,
soit encore 7 % du coût total du kilowattheure.
La séparation isotopique est une tâche difficile car les isotopes à séparer ont
pratiquement les mêmes propriétés chimiques. Deux procédés d’enrichissement prin-
cipaux sont actuellement utilisés à l’échelle industrielle pour enrichir l’uranium : la
diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation. Ces deux procédés utilisent de l’uranium
sous forme gazeuse d’hexafluorure d’uranium UF6 . Le fluor n’ayant qu’un seul iso-
tope (de masse atomique 19), les différences de masse qui peuvent exister entre

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 135


deux molécules d’UF6 résultent des différences de masse entre les isotopes de l’ura-
nium (entre 238 U et 235 U).
Dans le procédé de diffusion gazeuse, l’UF6 est propulsé par des compresseurs au
travers de parois présentant des micropores de quelques nanomètres (millième de
micron) de taille moyenne. Les molécules contenant de l’uranium 235 traversent en
un débit légèrement plus élevé que les molécules contenant l’uranium 238 ; on répète
cette opération un très grand nombre de fois en installant des cascades d’étages
analogues, pour obtenir l’enrichissement voulu. Depuis 1973, la France exploite
l’usine de diffusion gazeuse construite à Pierrelatte dans la Drôme (Fig. 9.3).

Figure 9.3. L’usine française de diffusion gazeuse Georges Besse, construite à Pierrelatte dans le
département de la Drôme. Sa première mise en exploitation partielle a eu lieu en 1978 et la mise en service
industrielle complète date de 1982. Elle fournit en gros le quart de l’uranium enrichi produit chaque année de
par le monde.

Le composant technologique clef de la diffusion gazeuse est la « barrière » – cy-


lindre poreux qui effectue la séparation entre les flux riche et pauvre. Il est consti-
tué d’un support qui assure la tenue mécanique et d’une couche sensible, mise au
point par de délicats travaux de recherches, et qui respecte des qualités très strictes
pour le nombre et la taille (diamètre moyen de quelques nanomètres) des pores.

136 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


Les matériaux utilisés sont soit métalliques (poudres frittées) soit céramiques. Une
installation industrielle comprend plusieurs centaines de milliers de barrières.
Dans le procédé d’ultracentrifugation, on introduit l’hexafluorure dans des ro-
tors qui tournent à très grande vitesse (plusieurs dizaines de milliers de tours par
minute) ; les molécules contenant l’uranium 238, plus lourdes, se concentrent vers
la périphérie ; deux flux de concentrations isotopiques différentes sont extraits des
centrifugeuses, l’un (enrichi en isotope 235) près de l’axe de rotation, l’autre (appau-
vri en isotope 235) près de la périphérie.
Le composant clef de l’ultracentrifugation est la centrifugeuse. D’une hauteur de
l’ordre de quelques mètres, et d’un diamètre de quelques dizaines de centimètres,
elle doit tourner à des vitesses de plusieurs milliers de tours par minute de façon
parfaitement régulière. Ce mouvement doit se prolonger, idéalement, pendant plu-
sieurs années sans perturbation. Le choix du matériau, les dispositifs de suspension
du rotor au moyen de paliers magnétiques, les systèmes d’introduction et d’extrac-
tion des flux gazeux résultent de mises au point délicates Là aussi, l’opération doit
être répétée pour obtenir les teneurs souhaitées ; la figure 9.4 montre une cascade
de centrifugeuses industrielles.
Les structures de coût de ces deux procédés sont très différentes. L’effet de taille
d’usine joue beaucoup plus fortement en diffusion gazeuse, qui réclame donc un
investissement initial beaucoup plus considérable que son procédé concurrent. Par
ailleurs, le coût de l’électricité intervient pour une part beaucoup plus forte dans le
procédé de diffusion gazeuse ; c’est évidemment défavorable en période d’énergie
chère, mais c’est favorable en cas de faible demande et de sous-utilisation des ca-
pacités d’enrichissement. Les conditions actuelles favorisent aujourd’hui nettement
l’ultracentrifugation, procédé qui peut être compatible avec une stratégie très souple
de construction des capacités d’enrichissement.
L’usine Georges Besse de diffusion gazeuse arrivant en fin de vie est en cours de
remplacement par une usine Georges Besse 2, située à proximité, qui utilisera le pro-
cédé d’ultracentrifugation mieux adapté aux conditions économiques et industrielles
actuelles.

2 Les ressources en uranium

2.1 La valeur énergétique de l’uranium et la demande mondiale

Les 436 réacteurs en service dans le monde en 2010 totalisaient une puissance
de 370 GWe et, sur la base d’une durée moyenne de production annuelle de
7 000 heures, ont délivré environ 7 700 TWh thermiques. Leur alimentation en
combustible a nécessité environ 64 000 tonnes d’uranium naturel, ce qui correspond

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 137


Figure 9.4. Cascade de centrifugeuses.

à 5 GWj thermiques produits par tonne d’uranium naturel. Ce chiffre n’a rien d’in-
trinsèque à l’uranium, car il dépend des réacteurs dans lequel l’uranium est brûlé. Il
faut le comparer à la quantité d’énergie potentiellement disponible par fission dans
une tonne d’uranium naturel (900 GWj/t, si l’on suppose que tous les noyaux lourds,
fissiles et fertiles, sont consommés). La comparaison montre que les réacteurs ac-
tuels, qui sont principalement des réacteurs à eau, utilisent fort mal la ressource
uranium !

138 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


2.2 Évaluer les ressources

Les ressources en uranium font l’objet d’une classification tout à fait spécifique et
qu’il est important de bien comprendre. Elles sont obtenues par sondages et rééva-
luées tous les deux ans en fonction des nouvelles prospections. On distingue trois
catégories :
– les « ressources raisonnablement assurées » (RRA) classées par coût d’exploita-
tion (40, 80 et 130 $/kg), elles sont « prouvées » par des sondages avec une
maille relativement importante ;
– les « ressources supplémentaires estimées » de type I (RSE I) reconnues par
quelques sondages et parfois ajoutées au RRA pour évaluer les ressources
globales (les Américains ne les comptabilisent pas car ils estiment qu’elles ne
sont pas prouvées) ;
– RSE de type II (RSE II) déterminées à partir des connaissances sur des do-
maines reconnus par sondage, estimées par extension dans des domaines pré-
sentant des caractéristiques favorables du même type dans des régions adja-
centes à partir de critères géologiques.
Tous les deux ans, depuis 1965, l’AIEA et l’AEN publient dans le « Red Book »
l’état des ressources, état qui dépend évidemment beaucoup de l’intensité de la
prospection minière, plutôt faible ces dernières années compte tenu d’un marché
hésitant, mais qui redémarre actuellement.
La majeure partie de l’uranium cumulé extrait depuis les années 1940 dans le
monde, soit 2,2 Mt, vient par ordre quantitatif de l’URSS, du Canada et des États-
Unis. L’exploitation des mines françaises est arrêtée depuis 2001, non pas parce que
la ressource est épuisée, mais parce que des gisements plus rentables sont disponibles
ailleurs.
Les plus grandes ressources connues se trouvent maintenant en Australie (23 %),
au Kazakhstan (18 %), au Canada (9,6 %), en Afrique du Sud (8,6 %) et aux
États-Unis (7,5 %). Les RRA récupérables à un coût inférieur à 80 $/kg d’uranium,
s’élèvent à environ 2,5 millions de tonnes et celles à moins de 130 $ par kg d’uranium
sont estimées à 3,3 millions de tonnes (Fig. 9.5).
Alors que le coût des ressources s’exprime en $/kg d’uranium naturel, les cours
sont quantifiés en $ par livre (lb) d’U3 O8 . Il est donc indispensable de connaître les
correspondances entre kilogrammes, livres, uranium naturel et U3 O8 :

1 kg Unat ↔ 1,17 kg U3 O8 et 1 kg Unat ↔ 2,6 lb U3 O8 .

Ainsi, un prix de 130 $/kg d’uranium naturel correspond à 50 $/lb U3 O8 .


Depuis le milieu des années 1980 jusqu’en 2000 environ, les cours sont restés
sous la barre des 10 $/lb d’U3 O8 soit 5 fois au-dessous de la barre de 130 $/kg
d’Unat (barre la plus haute pour définir les ressources). La figure suivante montre

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 139


Figure 9.5. Répartition mondiale des ressources raisonnablement assurées (RAR) à un coût inférieur à
130 $/kg Unat en 2006.

l’évolution des cours (en dollars courants) depuis les années 1970 ; la barre des
50 $/lb (ou 130 $/kg d’Unat ) a été atteinte à la fin de l’été 2006 et on peut remarquer
qu’un emballement des cours a commencé en 2001.
Notons également que le coût de production du kWhe des réacteurs EPR actuel-
lement en construction a été évalué en 2003 sur la base d’un prix de 20 $/lb U3 O8 ,
qui a déjà triplé à la fin de 2006.
Cette envolée des prix a plusieurs causes dont le relatif désintérêt au niveau mon-
dial pour la production électronucléaire avant l’envolée récente des cours du pétrole
associée à un manque de prospection mais également à des ressources relativement
faibles eu égard à la demande.
Actuellement, pour une consommation annuelle d’environ 60 000 tonnes d’ura-
nium naturel, seules 36 000 tonnes sont assurées par la production minière (offre
primaire), le reste est comblé principalement par l’excédent des besoins militaires
(démantèlement de l’armement) mais également par le retraitement (en masse, il
y a environ 0,7 % d’isotope 235 et 0,6 % de plutonium 239 dans le combustible

140 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


usagé) et l’exploitation des combustibles à mélange d’oxyde (MOX). Sur la base des
contrats en cours, les ressources « secondaires » qui couvrent encore 40 % des besoins
aujourd’hui n’en couvriront plus que 15 % en 2020. La situation pourrait donc rester
tendue encore longtemps, même si l’accident de Fukushima ralentit les programmes
nucléaires en cours. L’évolution du prix spot de l’uranium a subi les fluctuations de
l’économie mondiale et sa tendance générale est à la hausse (Fig. 9.6).

Figure 9.6. Évolution des cours de l’uranium en $ courants (source : Henri Safa). La forte hausse observée
entre 2003 et 2007 coïncide avec le re-démarrage du nucléaire dans le monde, probablement associé à de la
spéculation sur les matières premières. La baisse de 2008 est imputable à la crise économique.

Dans ce contexte, peut-on dire que les ressources seront suffisantes pour assurer
le développement du nucléaire ? Si l’on se fonde sur les seules RRA (« méthode
américaine ») à 130 $/kg Unat (ce qui sera bientôt un prix faible par rapport au
marché), on disposerait de 3,3 millions de tonnes, soit environ 50 ans au rythme de
consommation actuel. Si l’on y ajoute l’ensemble des RSE de type I, on arrive à 4,7 Mt.
Mais, si l’on tient compte de l’accroissement de la demande, on n’accroît pas vraiment
la durée de disponibilité des ressources en uranium. Certes le combustible n’a pas
été exploité au maximum de ses possibilités énergétiques et il reste au monde, fin
2010, environ 1,7 million de tonnes d’uranium appauvri à environ 0,3 % d’235 U qui
peut être considéré comme un stock stratégique pour l’avenir. Ces stocks devraient
s’accroître d’environ 57 000 tonnes par an dans un avenir prévisible.
D’après le rapport sur les « Coûts de référence de la production électrique » publié
par la DGEMP en décembre 2003, sur la base d’un prix de 20 $/lb, le coût de la
matière première intervient peu (1,4 €/MWh) dans le coût total du kWh nucléaire
(28,4 €/MWh), ce qui représente environ 5 %. Mais si le prix de l’Unat est multiplié
par 10 (200 $/lb, sachant qu’il était à 72 $/lb fin 2006), celui du kWh augmente
d’environ 40 % (41,4 €/MWh). À titre de comparaison, si le prix du gaz naturel est
multiplié par 10, celui du kWh gaz est multiplié par 7.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 141


Il est enfin nécessaire de rappeler que l’énergie nucléaire ne satisfait actuellement
que 6,5 % de l’énergie primaire mondiale et 16 % de l’électricité. Avec la technolo-
gie des réacteurs à eau, l’énergie nucléaire ne dispose pas des ressources suffisantes
pour occuper une place beaucoup plus importante dans le panel énergétique mon-
dial et n’est pas plus durable que celle issue des combustibles fossiles. Face à la
flambée inexorable des cours des différentes matières premières énergétiques non
renouvelables, on peut se poser légitimement la question de sa compétitivité face
aux ressources renouvelables longtemps considérées comme trop coûteuses.
La situation peut donc sembler inquiétante pour l’avenir du nucléaire ; on peut
cependant se rassurer de deux façons.
La première en considérant les réserves « pronostiquées et spéculatives », esti-
mées à 14,8 millions de tonnes. Dans son livre, De Tchernobyl en Tchernobyls, G. Char-
pak cite des chiffres (émis par 3 instituts américains différents) entre 170 et 500 Mt U
à des coûts inférieurs à 260 $/kg. Une publication américaine de 1984 évalue à 70 Mt
d’uranium les minerais exploitables par des techniques minières sans considération
de coûts (teneur > 1 000 ppm). Par ailleurs, 22 Mt U pourraient être récupérés à
partir de phosphates à des coûts estimés à 300 $/kg. On sait en outre que les res-
sources non conventionnelles contenues dans les océans (teneur 3,3 ppb) se montent
à environ 4 000 Mt d’uranium. La récupération de cet uranium, évaluée entre 350 et
1 000 $/kg U, reste très hypothétique ; divers observateurs estiment que l’entreprise
n’est pas réaliste (occupation des surfaces marines, déchets. . . ). La notion de réserve
ultime est elle-même très floue, puisque la prospection de l’uranium n’a pas été me-
née sur toute la planète et que l’incertitude ne peut être réduite que par les résultats
de la prospection : il est probable que de gros gisements restent encore à découvrir.
La seconde consiste à considérer que des réacteurs à neutrons rapides écono-
miques et fiables pourront entrer en service suffisamment rapidement (moins de
40 ans) pour assurer le « biseau ». En effet, ceux-ci permettraient de bien mieux
utiliser le potentiel énergétique de l’uranium en consommant efficacement l’isotope
fertile 238 U dans un cycle du combustible fermé (voir chapitre 15). Ce dernier isotope
fertile étant plus de 100 fois plus abondant que l’isotope 235 U fissile, c’est un facteur
de l’ordre de 100 sur les ressources qu’on gagnerait en recourant aux réacteurs à
neutrons rapides.
Le futur de la ressource « uranium » dépendra beaucoup du cycle du combustible
des réacteurs qui l’utiliseront. Avec des réacteurs à neutrons rapides, le problème de
la ressource en matières fissiles pourrait être relégué au second plan.

Bibliographie
[1] H. Métivier, L’uranium, de l’environnement à l’Homme, EDP Sciences, 2001.

142 Chapitre 9. Uranium naturel, uranium enrichi


10 Le combustible nucléaire
avant et après
son passage en réacteur

Paul RIGNY et Bernard BONIN

1 L’assemblage de combustible nucléaire


Pour son utilisation en réacteur, la matière fissile est conditionnée au sein d’un com-
posant technologique complexe, l’assemblage de combustible nucléaire – plus sim-
plement le « combustible nucléaire » – dont la figure 10.1 donne une représentation.
La mise en œuvre de la réaction de fission en chaîne∗ , qui fournit l’énergie du
réacteur pose en effet des conditions strictes sur la quantité, la concentration et
la répartition des atomes fissiles au sein du cœur de réacteur. La conception de
l’assemblage de combustible nucléaire optimise l’efficacité du fonctionnement du
réacteur et la souplesse de son exploitation (adaptation aux variations de puissance
imposées par le réseau) ; elle assure aussi la sûreté du réacteur.
Chaque concepteur de réacteur nucléaire a développé un modèle d’assemblage∗
adapté à son réacteur. Dans l’assemblage combustible d’un réacteur à eau, la ma-
tière fissile se présente sous forme de pastilles d’oxyde fritté contenues dans des
« crayons »∗ , tubes étanches en alliage de zirconium de 4 à 5 mètres de longueur et
Grappe de
contrôle
Embout

Tube-guide
Grille de
mélange
Crayon

Embout

Figure 10.1. L’assemblage de combustible nucléaire d’un réacteur à eau pressurisée.

d’environ 1 centimètre de dimension transversale – groupés dans les assemblages,


réseaux à maille carrée tenus dans une « structure » assurant le maintien mécanique
des crayons et le respect d’une géométrie qui optimise le rendement de la réaction
de fission. Pour tous les assemblages REP, la structure comprend un pied, une tête
et des tubes guides sur lesquels sont fixées les grilles de maintien des crayons com-
bustibles. Les crayons absorbants des grappes de contrôle∗ coulissent dans les tubes
guides. Un des tubes guides est réservé à l’instrumentation du cœur. Dans un réac-
teur à eau sous pression, la structure est ouverte, l’eau peut circuler transversalement
aux assemblages. Dans un réacteur à eau bouillante au contraire, elle est fermée,
chaque ensemble de crayons est enfermé dans un boîtier interdisant les échanges
transversaux.
La fabrication des combustibles MOX∗ (oxyde mixte d’uranium et de plutonium,
le plutonium étant issu du traitement-recyclage d’un combustible antérieur) ne dif-
fère de celle des combustibles UO2 standard que dans la préparation des poudres
d’oxydes avant pastillage et dans les dispositions spécifiques prises pour la mise en
œuvre du plutonium : radioprotection, confinement, conduite à distance, contrôles.
Dans tous les cas, le choix des matériaux constitutifs de la structure, de l’assemblage
et des gaines tiendra compte de leur résistance à l’irradiation et à la corrosion ainsi
qu’à leur propriété d’être faiblement absorbeurs de neutrons.

144 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Le respect de la sûreté nucléaire impose des contraintes et des qualifications
sévères dans la conception et la fabrication des éléments combustibles. Des exigences
techniques et technologiques du cahier des charges de l’assemblage combustible,
nous retiendrons principalement les suivantes :
– une grande fiabilité, associée à une durée de vie élevée : l’assemblage com-
bustible, sa structure et les crayons qui le constituent, doivent résister sans
défaillance pendant toute la durée du séjour en réacteur, actuellement 4 à
5 ans ;
– l’étanchéité du combustible. En situation incidentelle ou accidentelle, la sûreté
exige que les matières nucléaires restent confinées ; la gaine du crayon com-
bustible constitue la première barrière de confinement∗ (les deux autres sont le
circuit primaire et l’enceinte de confinement) ;
– même si dans des situations accidentelles extrêmes des ruptures de gaine
peuvent intervenir et l’assemblage subir des déformations, on doit pouvoir
continuer à le refroidir ;
– malgré ces exigences de performance, l’assemblage combustible doit rester
simple : simple à fabriquer, à manutentionner, à transporter, à réparer, puis,
après usage, simple à entreposer ; on exige aussi le plus souvent, notamment
en France, qu’il permette le traitement du combustible usé.

2 Du combustible neuf au combustible usé :


les transformations de la matière nucléaire en réacteur
2.1 Le combustible neuf

L’uranium (à environ 4 % d’isotope 235 fissile et 96 % d’isotope 238) ou, dans les
combustibles MOX, l’uranium mélangé avec 5 % à 10 % de plutonium (l’isotope 239
ne représente que 60 % du plutonium d’un combustible MOX neuf) sont les seuls
éléments radioactifs présents dans le combustible avant son introduction en réacteur
– dans la filière REP considérée ici.

2.2 La transformation du combustible par le fonctionnement du réacteur

La fission des noyaux d’uranium ou de plutonium, phénomène de base utilisé en


réacteur pour la production d’énergie, donne naissance à deux fragments nucléaires
par atome fissionné. Ces fragments sont produits aléatoirement lors de la fission et le
résultat est la production d’une grande diversité d’atomes plus ou moins radioactifs,
qu’on appelle les produits de fission∗ (voir le chapitre 4).
D’autres réactions nucléaires (parasites, au sens où elles ne donnent pas lieu à
production d’énergie) se produisent également par interaction des neutrons avec la
matière présente dans le cœur du réacteur : la capture de neutrons sur les noyaux

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 145


d’actinides présents (initialement surtout l’uranium 238) entraîne la production d’ac-
tinides lourds (on les appelle actinides mineurs∗ du fait de leur faible concentration
– inférieure à 1 % des atomes fissiles en fin d’utilisation du combustible). De même,
l’interaction des neutrons avec les matériaux de structure du cœur génère des pro-
duits d’activation∗ . Un certain nombre de produits de fission sont également absor-
beurs de neutrons, ce qui fournit de nouveaux radioéléments parasites.

2.3 Le combustible usé

Le déchargement du combustible usé

Au cours de sa période de production d’énergie, un élément combustible contient


de moins en moins de matière fissile et s’empoisonne progressivement à cause de
l’accumulation de produits de fission neutrophages (Figs. 10.2 et 10.3). Il devient
nécessaire de le décharger et de le remplacer par un élément neuf pour pouvoir
continuer la production d’énergie. Le cœur d’un REP (réacteur à eau pressurisée) est
renouvelé par quart une fois par an.

Figure 10.2. Réactions au sein des assemblages combustibles : le jeu combiné des fissions et des captures
de neutrons dans le combustible d’un réacteur à eau. On part de 100 atomes d’uranium, dont 4 d’isotope 235
(fissile) et 96 d’isotope 238. Sur les 4, un seul survivra, et 3 subiront la fission pendant le séjour du
combustible en réacteur. Sur les 96 atomes d’U 238 initiaux, 3 seront transformés en Pu et 93 survivront. Sur
les 3 atomes de Pu formés, 2 subiront la fission, un seul survivra. Au total, on aura 3 + 2 = 5 fissions. Seul
5 % du métal lourd est consommé dans un REP. (Dans un réacteur à neutrons rapides, le schéma serait très
différent). On sort le combustible du réacteur lorsqu’il ne contient plus assez de noyaux fissiles pour
entretenir la réaction en chaîne (typiquement au bout de 4 ans dans un réacteur à eau).

146 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Figure 10.3. Contenu d’un élément combustible UOX (constitué d’oxyde d’uranium seul).

Au moment où l’on arrête la combustion pour remplacer l’élément usé par un


neuf, le combustible usé a la composition pondérale typique donnée dans le ta-
bleau 10.1. Les chiffres sont ceux d’un combustible de réacteur à eau pressurisée
brûlé à un taux de combustion∗ de 47,5 MWj/tonne. Ils restent à prendre en ordres
de grandeur car les valeurs réelles dépendent de la composition initiale du combus-
tible – taux d’uranium 235, quantité de plutonium pour les MOX – de la durée du
séjour en réacteur ainsi que de la conception même de l’élément combustible.
Après son séjour en réacteur, l’élément combustible, très radioactif, émet beau-
coup de chaleur. Il reste entreposé pendant environ un an dans la piscine de déchar-
gement de la centrale nucléaire.
Ensuite, lorsque son activité est tombée à environ 70 000 térabequerels par tonne
(TBq/t), il est possible de le transférer vers l’usine de traitement dans un château
de transport. Ces châteaux, tels que celui qui est présenté sur la figure 10.4, sont

Figure 10.4. Châteaux de transport TN 12.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 147


Isotope Combustible Combustible
USE à NEUF
47,5 MWj/tonne (en référence)
d’uranium initial
Uranium 238 925 959,6
235 7,4 40
236 5,4 –
234 0,2 0,4
(total = 938 kg) (total = 1 000 kg)
Plutonium 239 6,1
240 2,8
241 1,5
242 0,9
238 0,4
(total = 11,7 kg)
Actinides Neptunium 237 0,7
mineurs Américium 241/243 0,5
Curium 244/245 0,4
(total = 2 kg)
Produits (total = 49 kg)
de fission
Tableau 10.1. Composition pondérale typique d’une tonne de combustible (neuf et usé) pour la filière REP
(chiffres en kg).

conçus pour assurer le confinement des matières radioactives pendant le transport


de l’élément combustible usé sur la voie publique.
Le château contenant l’élément combustible usé est transporté soit par camion,
soit par train, en direction de l’usine de traitement. À l’arrivée dans l’usine, il subit
un contrôle rigoureux pour déterminer si les gaines de l’élément combustible sont
restées étanches. Si c’est le cas, l’élément combustible sera entreposé dans une pis-
cine où il peut attendre plusieurs années avant le traitement.

148 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Dans le cas d’une contamination, l’élément combustible sera séparé des autres et
placé dans un colis étanche.
Le combustible usé contient une quantité importante d’isotopes fissiles, ura-
nium 235 ou plutonium, susceptibles d’être réutilisés ; pour ce faire, il convient d’ef-
fectuer leur séparation : c’est l’objet des opérations de traitement, décrites dans le
chapitre suivant.

Bibliographie
[1] C. Lemaignan, Science des Matériaux pour le Nucléaire, collection « Génie Ato-
mique », EDP Sciences, 2004.
[2] H. Bailly, D. Ménessier, C. Prunier, Le Combustible nucléaire des réacteurs à eau
sous pression et des réacteurs à neutrons rapides, Eyrolles, 1996.
[3] « Les combustibles Nucléaires », Monographie e-den, Éditions du Moniteur,
2008.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 149


11 Le traitement-recyclage
du combustible nucléaire

Paul RIGNY, Bernard BONIN et Bernard BOULLIS

1 Les opérations de l’aval du cycle du combustible

Certains pays (dont la France) ont pris l’option de recycler les matières fissiles (ura-
nium et plutonium) présentes dans le combustible du réacteur après son utilisa-
tion. C’est l’option « avec traitement du combustible usé » souvent dénommée « cycle
fermé », c’est-à-dire comprenant une partie amont et une partie aval. Cette dénomi-
nation de « cycle fermé » est quelque peu abusive dans la mesure où la réutilisation
des matières fissiles ne se fait pas à 100 %. Les principales opérations du cycle du
combustible pour l’aval sont alors les suivantes.

1.1 L’entreposage∗ en piscine

À la sortie du réacteur, les assemblages combustibles usés sont entreposés dans une
piscine d’eau pendant plusieurs années pour assurer la décroissance des éléments
radioactifs (produits de fission) à courte durée de vie. Cet entreposage intervient
Figure 11.1. Piscine d’entreposage des assemblages combustibles à La Hague.

d’abord sur le site du réacteur pendant environ une année puis sur le site des
installations de traitement (en France à l’usine AREVA de La Hague) pendant 3 à
8 années suivant les cas (Fig. 11.1).

1.2 Le cisaillage et la dissolution

La première phase du « traitement du combustible usé ∗ » – ensemble des opérations


conduisant à la récupération en vue de recyclage des éléments chimiques conservant
une valeur énergétique, l’uranium et le plutonium – est la destruction mécanique de
cet ensemble. Un cisaillage des structures sépare les embouts des combustibles et
tronçonne les crayons combustibles en éléments de petite taille adaptés à la phase
ultérieure de dissolution (Fig. 11.2).
Les coques, c’est-à-dire les morceaux de gaine tombent avec leur contenu direc-
tement dans de l’acide nitrique concentré et chaud. Seule la céramique combustible
se dissout, les coques en alliage de zirconium étant insolubles dans l’acide. Après
contrôle et rinçage, elles vont être évacuées du dissolveur et transférées avec les
embouts dans un silo en vue d’un conditionnement pour entreposage ou stockage
définitif. La solution résultant de la dissolution est ensuite clarifiée par filtration ou
centrifugation puis envoyée vers les cycles d’extraction (Fig. 11.3).

152 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Figure 11.2. Le cisaillage du combustible usé.

Figure 11.3. Cuve et dissolveur : roue de l’atelier de cisaillage et dissolution.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 153


Toutes ces opérations sont effectuées sur des matériaux extrêmement radioac-
tifs. Elles sont donc réalisées par des machines automatiques. Le tout se trouve à
l’intérieur de halls entièrement étanches et décontaminables, recouverts sur toute
leur surface interne de feuilles d’acier inoxydable soudées entre elles et polies. Le
cisaillage et la dissolution libèrent des corps gazeux issus de la fission de l’uranium.
Ces corps gazeux, en particulier l’iode et le tritium, sont aspirés par des gaines et
envoyés sur des filtres destinés à les piéger. Après filtrage, l’air de circulation est
contrôlé puis rejeté dans une cheminée. Tous les bâtiments de l’usine de traitement
où sont situés des éléments radioactifs sont maintenus à une pression inférieure à
la pression atmosphérique afin que tout rejet soit contrôlé. Les opérations suivantes
sont une succession de séparations chimiques, filtrages, recyclages et finalement ex-
traction et conditionnement.
À la suite de ces opérations, les éléments valorisables forment une solution ni-
trique qui contient les éléments uranium et plutonium, à des concentrations d’envi-
ron 200 g/L pour l’uranium et 2,5 g/L pour le plutonium ; elle contient aussi et 6 à
7 g/L de produits de fission∗ et les éléments actinides non recyclables (les actinides
mineurs∗ ).

1.3 La séparation chimique par extraction

Le procédé utilisé pour séparer les trois types de produits chimiques – uranium, plu-
tonium et produits de fission – (procédé PUREX) utilise pour les éléments actinides
(uranium et plutonium) des techniques éprouvées en métallurgie traditionnelle et
dénommées « extraction par solvant ».
Le procédé PUREX consiste à extraire les nitrates d’uranium et de plutonium
hors de la solution d’acide nitrique concentré à l’aide de l’affinité sélective qu’a pour
ces corps un liquide huileux non miscible dans l’eau : du dodécane contenant du
phosphate de tri-n-butyle (TBP). Il se produit une solvatation sous forme d’espèces
neutres qui se concentrent dans la solution de TBP. L’agitation énergique des phases
aqueuse et organique dans des colonnes pulsées fonctionnant à contre-courant aug-
mente la surface de contact entre les deux liquides et accélère la migration de l’ura-
nium et du plutonium dans la phase organique. Ensuite, les solutions aqueuse et
organique se séparent efficacement par simple décantation.
Plusieurs cycles d’extraction sont nécessaires.
Pour séparer ensuite l’uranium du plutonium, on s’appuie sur la propriété du
plutonium d’être insoluble en phase organique à la valence 3. Le solvant contient au
départ l’uranium à la valence 6 et le plutonium à la valence 4. Il est mis en contact
avec une phase aqueuse réductrice (sel ferreux ++ et sel uraneux ++). Le plutonium
passe à la valence 3 et sort de la phase solvant. L’uranium est ensuite extrait par un
procédé similaire.

154 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Le phosphate de tri-n-butyle libéré est recyclé. Il subit toutefois une dégradation
progressive sous l’effet des rayonnements. Le plutonium est concentré sous forme
de nitrate par évaporation, puis précipité par l’acide oxalique. Après filtration et
séchage, l’oxalate est calciné à 450 ◦ C pour donner de l’oxyde de plutonium PuO2 ,
forme stable pour le stockage. Quant à l’uranium, il est simplement concentré sous
forme de nitrate d’uranyle avant stockage (Fig. 11.4).

U
Combustible irradié HNO3 TBP
Pu

Solution EXTRACTION
DISSOLUTION
An, PF

PF, AMs

Figure 11.4. Le principe du procédé PUREX.

Ces diverses opérations sont mises en œuvre dans les usines AREVA de La Hague.
La technologie utilisée a demandé un travail de définition et de mise au point très
complexe du fait du caractère extrêmement radioactif des solutions traitées (nécessi-
tant l’emploi de télémanipulateurs et un contrôle sévère de la criticité ∗ ), et du niveau
très élevé des débits nominaux. Le procédé PUREX, avec éventuellement un certain
nombre d’améliorations est utilisé dans pratiquement tous les pays nucléaires qui
ont choisi le cycle fermé – La Hague en France où deux usines de 850 tonnes par an
ont été construites, Sellafield en Angleterre, Rokkasho-Mura au Japon.

1.4 Le conditionnement des matières séparées

L’uranium séparé, récupéré sous forme de nitrate d’uranyle, est pour partie (environ
les deux tiers) stocké en attente de recyclage et pour partie (environ un tiers) ré-
enrichi isotopiquement, sa composition isotopique (environ 0,9 % d’U235) étant
voisine des 0,72 % de l’uranium naturel ; il est ensuite recyclé pour la fabrication
de nouveaux éléments combustibles. Le plutonium transformé en oxyde est, selon la
demande, envoyé à la fabrication de combustibles mixtes uranium/plutonium, MOX∗
(en France dans l’usine de Marcoule dénommée MELOX) ou entreposé. Quant aux
produits de fission, mêlés aux actinides mineurs, ils sont considérés comme déchets
radioactifs ultimes et conditionnés par vitrification.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 155


La vitrification est l’opération de synthèse de matériaux vitreux contenant les élé-
ments radioactifs non récupérables issus des opérations de retraitement. Les verres
produits contiennent ainsi la presque totalité de la radioactivité des combustibles
usés ; ils sont choisis pour leur inertie chimique considérable garantissant leur inno-
cuité. Dans une première phase, les solutions issues du traitement passent en calcina-
teur à 600 ◦ C. Le calcinat est ensuite mélangé à la fritte de verre (mélange de silice et
d’oxydes de bore, aluminium et sodium) dans un four de fusion maintenu à 1 050 ◦ C
(Fig. 11.5). La coulée remplit ensuite un conteneur métallique ; un conteneur a un
volume de 180 litres et contient approximativement 84 kg d’éléments radioactifs,
produits de fission et actinides mineurs (Fig. 11.6).

Figure 11.5. Procédé français de vitrification.

En France, les opérations de l’aval du cycle, à l’exception de l’entreposage du


combustible usé en piscine sur le site du réacteur, sont mises en œuvre industrielle-
ment à l’usine de traitement de La Hague – usine AREVA – illustrée sur la figure 11.7.

156 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Figure 11.6. Photographie d’une coulée de vitrification.

Figure 11.7. Vue de l’usine de traitement des combustibles usés de La Hague. Les combustibles usés
sortant des piscines d’entreposage sont traités pour la récupération des matières fissiles valorisables.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 157


1.5 Le traitement des effluents liquides et gazeux

Le défi principal du traitement des combustibles usés est le maintien permanent


d’une frontière entre la biosphère et le domaine qui contient la matière radioactive.
Ce sont d’abord les barrières statiques, c’est-à-dire toutes les parois exerçant une
fonction d’étanchéité. Mais ce sont aussi les barrières dynamiques, sas d’entrée et de
sortie, filtres dans les zones d’entrée et de sortie de matière.

La défense en profondeur fait appel à deux, éventuellement trois barrières. Elle


impose de s’assurer de leur indépendance et de les reconstituer chaque fois que
l’on passe d’un stade à un autre. À la fin, comme aucune barrière n’est totalement
étanche, on comptabilise les quantités rejetées dans l’environnement. Celles-ci de-
vront être inférieures à une valeur définie par autorisation administrative selon des
normes garantissant leur innocuité. Ainsi l’usine UP3 d’AREVA à La Hague, qui traite
800 tonnes par an, ne doit pas rejeter d’effluents∗ liquides contenant par an plus de
800 000 GBq d’émetteurs β hors tritium, 20 millions de GBq de tritium et 800 GBq
d’émetteur alpha. Pour les effluents gazeux, les limites pour la même usine sont
de 1 million de GBq de tritium, 2,5 milliards de GBq de krypton et de carbone 14,
50 GBq d’iode et 40 GBq d’aérosol (Fig. 11.8).

La majeure partie du tritium, radioélément de courte période radioactive


(11,2 ans) et surtout de très courte période biologique (quelques jours), est reje-
tée en mer. De même, le krypton 85 (période radioactive : 10 ans) est rejeté par la
cheminée de l’usine. La possibilité qu’il se fixe sur des cellules vivantes est quasiment
nulle par suite de son absence d’activité chimique.

L’iode 129 qui a une période radioactive de 16 millions d’années est piégé dans
les effluents gazeux par la soude avec une efficacité de 99 %. L’iode retenu par la
soude est ensuite piégé sur des supports solides imprégnés de nitrate d’argent. Ces
supports seront ensuite transférés dans le circuit des effluents liquides et l’iode est
rejeté en mer. Là il subit une dilution isotopique dans l’iode marin, ce qui rend son
impact biologique totalement négligeable.

Par suite des progrès continus dans la mise au point du procédé de traitement,
l’activité rejetée par les usines de La Hague a sans cesse diminué.

158 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Année 2010 Limite annuelle
Éléments
(TBq) règlementaire
(TBq)

Tritium 9950 18 500

Iodes radioactifs 1,38 2,60

Carbone 14 7,34 14

Strontium 90 0,134 11

Césium 137 1,080 8

Césium 134 0,0754 0.5

Ruthénium 106 1,03 15

Cobalt 60 0,0646 1.4

Autres émetteurs β et γ 1,40 60

Emetteurs α 0,0257 0.14

Figure 11.8. Rejets en mer des usines de La Hague.

L’impact sur l’environnement également n’a cessé de décroître. Au niveau du


groupe de référence, le plus exposé, il est aujourd’hui de quelques dizaines de micro-
sieverts, soit environ 100 fois moins que les doses reçues par l’habitant du Cotentin
pour d’autres raisons (radioactivité naturelle et médecine principalement).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 159


2 Les flux de matière dans le cycle du combustible
(exemple du parc français)

Les valeurs des flux de matière radioactive qui subissent les transformations du cycle
sont en fait fortement dépendantes des options retenues par l’exploitant (choix du
taux d’enrichissement de l’uranium du combustible, choix du taux de combustion
du combustible en réacteur). Le présent paragraphe ne donne que des ordres de
grandeur. Des valeurs types des principaux flux associés aux réacteurs d’EDF sont
indiquées sur la figure 11.9, qui les résume d’une manière simplifiée.
L’ensemble du parc nucléaire français, 58 réacteurs pour une production élec-
trique de 400 TWh par an, est alimenté par un flux de 8 200 t/an d’uranium naturel.
Après enrichissement – donc à l’entrée des installations de fabrication des combus-
tibles –, on obtient le flux principal d’uranium d’environ 900 t/an d’uranium enrichi ;
parallèlememnt, une quantité de 7 300 t/an d’uranium appauvri à une teneur d’en-
viron 0,25 % d’uranium 238, considéré comme dénué d’intérêt économique est issue
des usines d’enrichissement et entreposé. Un autre flux d’uranium provient du re-
cyclage de l’uranium déjà passé en réacteur ; il est d’environ 300 t/an et est repris
des installations de retraitement d’où il sort à une composition isotopique d’environ
0,9 % d’isotope 235 pour être réenrichi ; il fournit une quantité d’environ 65 t/an
d’uranium réenrichi mélangé aux 900 t/an provenant de l’uranium naturel après
enrichissement et une quantité de 265 t/an d’uranium appauvri à entreposer. C’est
ainsi un flux de 965 t/an d’uranium enrichi à 3,5 % 1 en isotope 235 qui entre chaque
année dans les réacteurs français, après l’opération de fabrication des éléments com-
bustibles dont nous avons vu qu’ils étaient des objets technologiques complexes.
Le combustible reste en réacteur pendant une durée de 3 ou 4 années environ
selon les options d’exploitation retenues ; à l’issue de cette période, transformé par
les réactions de fission productrices d’énergie, il est devenu impropre à la production
d’énergie – tout au moins dans les conditions d’exploitation retenues – et est sorti
du réacteur. Le flux de matière radioactive correspondant est d’environ 1 100 t/an,
provenant des 965 t/an d’uranium auquel s’ajoute, pour le parc français, un flux
d’environ 135 t/an provenant des combustibles mixtes uranium/plutonium (voir ci-
après). À sa sortie de réacteur, ce flux est entreposé localement dans des piscines de
refroidissement pendant deux années, puis transféré dans les piscines de La Hague
où le refroidissement par décroissance radioactive se poursuit pendant une durée
d’environ six années supplémentaires. On prolonge la phase d’entreposage pour les
combustibles MOX (combustibles mixtes à l’uranium et au plutonium) usés (environ

1
La teneur de l’uranium du combustible des REP est comprise entre 3,5 % et 4,5 %, selon le choix de
l’opérateur qui tient compte des conditions économiques du moment. Les flux sont indiqués ici pour
une valeur de 3,5 % mais conservent leur valeur d’ordre de grandeur pour les autres teneurs.

160 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Extraction minerai Résidus miniers 13 000 t
d’uranium

U naturel 130 t

Enrichissement U appauvri 113 t

U enrichi 18,7 t

Fabrication Déchets FMA-VC 130 m3


combustible et passage Déchets TFA 55 m3
en réacteur stockés en surface

Combustible usé 18,7 t

U de retraitement 16 t

Traitement Pu 0,2 t Recyclage MOX

Entreposage puis
Déchets HA-VL (verres 2,5 m3)
stockage
Déchets MA-VL 3 m3
géologique ?

Figure 11.9. Les flux de matière radioactive du cycle du combustible pour un an de fonctionnement d’un
réacteur à eau typique d’une puissance de 1 GWe, option « cycle fermé ».

100 t/an) et pour une partie des combustibles à l’uranium (environ 200 t/an de
matière radioactive). Le reste, la majeure partie des combustibles usés, constitue
le flux d’entrée de l’usine de retraitement AREVA de La Hague, qui est d’environ
850 t/an. Une des deux usines de La Hague, avec 850 t/an peut traiter environ le
combustible issu de 30 réacteurs. L’autre usine travaille pour l’étranger. On entrepose
actuellement, en attente de retraitement, les combustibles usés de 25 réacteurs
environ.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 161


En sortie des installations de traitement des combustibles usés, on obtient trois
flux de matière radioactive :
– environ 800 t/an d’uranium légèrement enrichi (à 0,9 % d’isotope 235) qui
donne les 65 t/an d’uranium enrichi recyclé comme indiqué plus haut et
750 t/an d’appauvri ;
– un flux d’environ 8,5 t/an de plutonium recyclé sous forme de combustibles
mixtes uranium/plutonium (combustibles MOX) fabriqués dans l’usine MELOX
qui fournit des combustibles MOX contenant, pour environ 100 tonnes par an
de matière radioactive, 8,5 tonnes de plutonium et 91,5 tonnes d’uranium ;
– le troisième flux est constitué par les produits de fission (environ
41,5 tonnes/an) qui sont conditionnés dans des matrices, vitrifiées et gé-
rés ensuite comme déchets ultimes. Ces derniers consistent en environ 175 m3
de déchets vitrifiés (à très haute activité et à vie longue) et 145 m3 de déchets
technologiques compactés.
Les chiffres de flux cités ici restent indicatifs ; ils sont basés sur les capacités
théoriques des installations alors que la réalité de l’exploitation – à commencer
par la quantité d’électricité réellement appelée – entraîne toujours des écarts par
rapport aux chiffres nominaux. Par ailleurs, ils sont fonctions de paramètres, comme
le taux d’enrichissement de l’uranium du combustible qui dépend de la conjoncture
économique.
Les combustibles MOX usés contiennent beaucoup de matière radioactive sous
forme d’actinides. Bien que leur recyclage dans les réacteurs à eau actuels ne soit
pas envisagé, ils ne sont pas officiellement considérés à l’heure actuelle comme des
déchets ultimes, car la matière fissile qu’ils contiennent devrait pouvoir être valorisée
avec les réacteurs de quatrième génération.

3 La gestion industrielle du cycle du combustible

Les opérateurs des centrales électronucléaires ont plusieurs options de gestion des
combustibles usés à leur disposition. La première est de choisir entre cycle fermé
(avec traitement) ou un cycle ouvert (sans traitement du combustible usé). Dans
le premier cas (choisi par la France, le Japon, la Grande-Bretagne), on extrait
les matières valorisables (uranium et plutonium) pour utilisation ultérieure et les
autres produits radioactifs considérés comme déchets ultimes. Dans le second cas,
au contraire (choisi par exemple par les pays scandinaves), on fait le choix de ne pas
recycler les matières fissiles présentes dans le combustible usé et on destine celui-ci
directement aux déchets ou à l’entreposage d’attente. Ce choix fait l’économie des
opérations mécaniques et chimiques multiples et complexes décrites ci-dessus, mais
prive de la valeur énergétique des matières récupérées. Par ailleurs, il introduit une

162 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


plus grande complexité dans la gestion des déchets radioactifs, puisqu’il s’agit alors
de gérer des éléments combustibles complets contenant tous les éléments radioactifs
issus de la combustion. Les estimations tendent à considérer les deux voies comme
équivalentes du point de vue économique ; le choix, inspiré par la stratégie indus-
trielle envisagée, repose en fait sur l’option de gestion du plutonium retenue.
L’une des justifications du cycle fermé (traitement des combustibles usés) est la
réutilisation de la matière fissile non consommée contenue dans le combustible usé.
Le recyclage (partiel) du plutonium est utilisé par EDF dans la stratégie dénommée
MOX (combustible mixte d’oxydes mixtes uranium et plutonium). La définition fine
de cette stratégie (quel taux de plutonium recycle-t-on ? quelles sont les durées des
cycles ? etc.) pose des questions industrielles compliquées qui dépendent des capaci-
tés industrielles, de décisions sur des investissements spécifiques (conception des ré-
acteurs adaptée au combustible mixte, stations d’entreposage des combustibles, etc.)
ainsi bien sûr que du prix des matières premières et du prix de l’électricité.
Les matières nucléaires impliquées dans le cycle du combustible sont nombreuses
et diverses. Les quantités qu’il faut mettre en œuvre pour exploiter le parc de ré-
acteurs producteurs d’électricité, qui dépendent des choix industriels faits par l’ex-
ploitant (EDF) concernant la composition (proportion de plutonium pour les MOX ;
taux d’enrichissement de l’uranium ; options de gestion des éléments combustibles)
sont importantes. Ces transformations successives qui constituent les opérations du
cycle, avant et après le passage du combustible en réacteur nécessitent des trans-
ports de matières radioactives qu’il faut traiter avec la plus grande attention en ce
qui concerne la sûreté nucléaire pour les travailleurs, mais aussi pour le public, car
ils se déroulent dans l’espace public.

Encadré 11.1. La chronologie du cycle du combustible.


La durée du déroulement des opérations du cycle du combustible est un facteur essentiel
de la gestion industrielle. Les opérations demandent un temps qui se chiffre en plusieurs
années, déterminé par la nécessité de gérer les décroissances radioactives nécessaires pour
que les manipulations soient possibles, ainsi parfois que par la disponibilité des capacités
industrielles. Ainsi, entre le déchargement d’un combustible et la mise en stockage souterrain
des déchets radioactifs correspondants – au cas où cette option est retenue –, il s’écoulera une
trentaine d’années. Ces durées importantes expliquent l’inertie de la conduite d’une politique
industrielle, qui impose sa configuration à l’industrie nucléaire. Les opérations réclament une
coordination soigneuse pour respecter les plans de charge des usines ; également les options
retenues ne peuvent être modifiées sans respecter les durées de plusieurs années ou même
décennies impliquées. Les pays qui modifient leur stratégie énergétique, comme l’Allemagne
l’a fait en 1999 puis en 2011, sont contraints de tenir compte de la longueur des constantes
de temps associées au nucléaire.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 163


Les échelles de temps des opérations du cycle se chiffrent en décennies
L’exemple du 1er combustible introduit dans un EPR montre un cycle de 30 ans hors
gestion des déchets radioactifs.
– 2010 : commande de matière uranium naturel, définition des études de gestion.
– 2011/2012 : enrichissement et début de fabrication.
– 2013/2014 : fabrication, livraison.
– 2014/2019 : irradiation en réacteur.
– 2021 : transport vers La Hague (1 à 2 ans de refroidissement).
– 2029 : retraitement, séparation du Pu.
– 2033 : fabrication du MOX et livraison.
– 2037 : déchargement du MOX usé. . .
– 2039 : transport du MOX usé à La Hague, refroidissement.
– 2067 : éventuelle mise en stockage souterrain. . .

3.1 Taux de combustion, gestion du plutonium et évolution des réacteurs

L’objectif économique de l’exploitation de l’industrie nucléaire met aujourd’hui l’ac-


cent sur deux aspects : l’économie des matières premières et la facilité de gestion des
déchets radioactifs.
Le premier objectif, économie de la matière fissile, a conduit à accroître les
taux de « combustion »∗ en accroissant la durée de présence du combustible dans le
réacteur, au prix d’une augmentation de la teneur en isotope fissile du combustible. Il
conduit également à recycler la matière fissile du combustible usé et en particulier à
recycler le plutonium. Comme exemple des progrès déjà mis en œuvre depuis plus de
dix ans sur les taux de combustion, on peut citer les différences entre les générations
900 MW au 1 300 MW d’EDF. L’enrichissement moyen a été accru de 3,2 % à 4 % et,
simultanément, les taux moyens de combustion de l’uranium ont été augmentés de
33 GWj/t à 45 GWj/t puis 60 GWj/t.
Le recyclage du plutonium, matière fissile source d’énergie, est un facteur d’éco-
nomie des matières premières. La politique actuellement mise en œuvre par EDF
dans une partie de ses réacteurs (18 sur les 58 construits en France) concernant le
recyclage du plutonium est illustrée sur la figure 11.10. Sur le parc français actuel,
8 % de l’électricité nucléaire provient du combustible MOX, ce qui permet une éco-
nomie des ressources en U de 8 %. La figure 11.10 donne le schéma de la gestion
des combustibles usés dans la stratégie MOX, mise en œuvre par EDF dans une par-
tie de ses réacteurs. Il illustre que le plutonium issu du traitement de sept éléments
combustibles à l’uranium qui ont été utilisés en réacteur peut être réutilisé dans
un élément combustible mixte. L’énergie de cette quantité de plutonium n’est plus

164 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


7 assemblages UO2 7 assemblages UO2 usés
(Pu 1 %)
neufs

Piscines de refroidissement
Réacteurs
1,25 TWhe

Pu Réacteurs
Retraitement et ≈ 0,15 TWhe
fabrication MOX

1 assemblage MOX
Déchets 1 assemblage MOX usé (Pu 5 %)
neuf (Pu 7 %)

Figure 11.10. Schéma de gestion du combustible nucléaire en recyclage du plutonium (combustible MOX).
L’ensemble du processus décrit ci-dessus dure environ vingt ans.

perdue, mais utilisée dans une nouvelle combustion. Par ailleurs, à l’issue de ces opé-
rations, on a affaire, en ce qui concerne le plutonium, à un seul élément combustible
usé au lieu de sept. Ces avantages se payent par le coût d’opérations de fabrications
de combustibles d’une autre composition (contenant du plutonium) d’une part, par
un accroissement de la difficulté de gestion des déchets d’autre part. En effet, le
traitement-recyclage du combustible MOX usé n’est pas envisagé, car il demande-
rait de nouveaux investissements lourds ; dans cette stratégie, le combustible usé
lui-même est considéré comme déchet.
Ces aspects seront optimisés pour la nouvelle filière EDF, celle du réacteur dé-
nommé EPR∗ (European Pressurized Reactor ou Evolutionary Power Reactor). Le taux
d’enrichissement de l’uranium du combustible sera de 4,50 à 4,95 % et les énergies
extraites pourront être de 60 GWj/t, voire de 70 GWj/t. Par ailleurs, il généralisera le
recyclage du plutonium, améliorant la récupération de la matière fissile (on passera
ainsi à 12 % d’économie de ressources grâce au recyclage MOX).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 165


4 Les transports de matières nucléaires

Les transports de matière nucléaire pour l’industrie de production d’électricité


concernent : des matières peu radioactives (uranium naturel, appauvri ou enrichi,
déchets peu actifs) ; le plutonium issu du traitement et destiné à être recyclé ; les dé-
chets de haute activité ; les éléments combustibles neufs ; les éléments combustibles
irradiés. Ces transports se font souvent à l’échelle internationale, car plusieurs pays
étrangers utilisent les services de l’usine de La Hague, pour faire traiter leurs com-
bustibles, dont ils doivent ensuite récupérer les flux de sortie (déchets et matières
valorisées).
Ce qui suit veut donner un aperçu de la gestion des transports, en présentant,
à titre d’exemple, des éléments sur le transport des combustibles nucléaires – les
plus volumineux et les plus radioactifs des transports de matières radioactives. On a
affaire, en France à 300 chargements par an pour les combustibles neufs, 450 pour
les combustibles irradiés, une cinquantaine pour la poudre d’oxyde de plutonium et
une dizaine pour les combustibles MOX.
Le retraitement du combustible irradié dans les réacteurs nécessite plusieurs
transports de matières radioactives, dont le premier est, après utilisation en réac-
teur, le transfert du site de la centrale à l’usine de retraitement. La valeur de la
radioactivité du combustible au moment où il est sorti de la piscine attenante au
réacteur (après un an de séjour, leur activité a beau avoir décru, elle reste de l’ordre
de 2 millions de curies [7,4 1016 Bq] par tonne) explique que des technologies spé-
cifiques aient dû être développées. Elle impose que les transports des éléments de
combustible se fassent dans des conteneurs spécialement conçus (on les appelle les
« châteaux »∗ ). À ce stade, l’uranium, le plutonium, et les produits de fission et les
actinides sont encore confinés à l’intérieur des gaines des crayons d’assemblage.
En France, les assemblages REP sont transportés dans des châteaux (Fig. 11.11)
contenant chacun 12 assemblages, sous air sec ; ils constituent une barrière de confi-
nement qui permet le transport par la route ou par le train. À l’arrivée, le château
contenant les éléments combustibles irradiés est déchargé et, en France, les combus-
tibles sont déposés dans les diverses piscines de l’usine de retraitement de La Hague
où ils attendront encore plusieurs années avant d’être retraités.
La recherche de la sûreté maximale pour le transport des matières nucléaires fait
appel aux principes de défense en profondeur∗ . Elle est assurée par la robustesse des
emballages, la fiabilité des transports, la prévention ainsi que par la qualité de la
gestion des incidents et des accidents.
Le château de transport constitue une barrière de confinement telle qu’elle per-
met l’acheminement de l’élément combustible ou de déchets par la route ou par le
train. Ces conteneurs d’acier très résistants ont des parois atteignant 30 cm et leur

166 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


Figure 11.11. Château de transport de combustible utilisé par EDF.

masse peut dépasser 100 tonnes. Ce conteneur est conçu pour arrêter les radiations 2 ,
retenir les émissions liquides ou gazeuses et assurer le refroidissement. Il est capable
de conserver son étanchéité, en cas de chocs durant le transport ou d’un incendie.
Les emballages doivent subir des tests de résistance au choc (50 km/h), à la perfora-
tion, à l’incendie (feu de 800 ◦ C pendant 30 minutes) ou à l’immersion (sous 200 m
d’eau). Dans le cas du MOX et des déchets vitrifiés, les emballages sont similaires 3 .
Le rail, qui est reconnu comme un moyen de transport très sûr pour les convois
de fort gabarit, est choisi en priorité pour les colis lourds ou encombrants dès lors
qu’il existe une liaison ferroviaire disponible. Par exemple, la quasi-totalité du com-
bustible irradié destiné au retraitement est acheminé par chemin de fer jusqu’au
terminal ferroviaire de Valognes puis par route jusqu’à l’usine de La Hague.

2
Seuls les rayons gamma ne sont pas complètement arrêtés par les parois du conteneur. Le risque d’irra-
diation concerne des travailleurs qui seraient amenés à s’approcher du château lors d’une intervention
longue. L’ordre de grandeur de la dose autorisée par les organismes de radioprotection est de 0,15 mSv
par heure à 5 mètres, c’est-à-dire qu’il faudrait rester 24 heures à proximité du château pour s’exposer
à une dose équivalente à celle de la radioactivité naturelle pendant un an.
3
L’emballage utilisé pour les transports de MOX se présente sous la forme d’un cylindre d’acier de
75 tonnes, de 6,1 mètres de longueur contenant une cavité. Cet emballage est équipé d’un système de
fermeture étanche et d’un capot absorbeur de chocs à chaque extrémité.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 167


Les navires utilisés pour le transport vers le Japon du combustible MOX sont
équipés de dispositifs spéciaux et redondants comme une double coque, des systèmes
de détection et d’extinction d’incendie et des radars anti-collisions 4 . Le parcours du
navire, qui bénéficie d’une protection armée, est suivi en temps réel à l’aide d’un
système de positionnement par satellite.
Jusqu’en 2010, AREVA avait transporté plus de 70 000 assemblages de combus-
tibles. On ne saurait préjuger de l’avenir, mais grâce aux précautions prises, les inci-
dents liés aux transports sont restés minimes. Rappelons que les matières transpor-
tées ne sont ni explosives ni combustibles et que, généralement conditionnées sous
forme solide, elles se prêtent peu à la dissémination.

5 Bilan du traitement-recyclage
L’ensemble des opérations de traitement, qui a constitué un défi technologique ma-
jeur, est actuellement maîtrisé. Le traitement-recyclage apparaît aujourd’hui comme
la meilleure voie pour un nucléaire durable, car il permet d’économiser de la ma-
tière fissile (un peu avec les réacteurs à eau actuels, beaucoup avec des réacteurs à
neutrons rapides). En outre, il facilite considérablement la gestion des déchets, en
offrant à la fois une réduction substantielle de leur radiotoxicité à long terme et un
confinement efficace des déchets ultimes dans des verres.

Bibliographie
[1] L. Patarin, Le cycle du combustible nucléaire, Collection « Génie Atomique », EDP
Sciences 2002.
[2] Le traitement-recyclage du combustible nucléaire usé, Monographie e-den, les
éditions du Moniteur, 2008.

4
En cas de naufrage, les conséquences sont de même nature que celle de l’immersion en pleine mer
des déchets telle qu’elle était pratiquée dans les années 1960. La paroi du château et les gaines au
zirconium, dans le cas du combustible irradié, empêcheront la dissémination des matières tant qu’elles
résisteront à la corrosion, ce qui peut prendre plusieurs dizaines d’années (et donner le temps de
remonter l’épave). Ensuite mises au contact de l’eau, les matières insolubles (oxydes de plutonium,
déchets vitrifiés) resteront sur place. Seuls les produits gazeux ou solubles se répandront, mais les plus
radioactifs auront soit disparu (iode 131), soit fortement décru (césium 137). Les naufrages sont à
éviter, mais leurs conséquences ne sauraient être assimilées à celle d’une marée noire.

168 Chapitre 11. Le traitement-recyclage du combustible nucléaire


12 La transmutation

Yves TERRIEN

1 L’objectif de la transmutation

La France a produit, en 2010, 408 TWhe (térawatts-heures électriques ou milliards


de kWh électriques) d’origine nucléaire, soit environ 75 % de sa production totale
d’électricité [1]. Cette production se fait dans 58 réacteurs à eau sous pression (REP),
dont 34 d’une puissance de 900 MWe, 20 de 1 300 MWe et 4 de 1 450 MWe (type N4),
soit une puissance totale de plus de 60 GWe.
Chaque année, environ 1 200 tML (tonnes de métal lourd) de combustibles usés
sont déchargées des réacteurs après utilisation et sont entreposées pour un refroidis-
sement de 3 à 5 ans. Ces combustibles usés contiennent principalement de l’uranium
(U) non brûlé mais aussi des éléments transuraniens∗ (TRU), principalement du plu-
tonium (Pu, environ 12 t) et des actinides mineurs∗ (AM, un peu plus de 1 t) ; ils
contiennent également des produits de fission∗ (PF). La plupart des métaux lourds
présents et une partie des PF sont radioactifs. La période radioactive∗ de certains de
ces isotopes radioactifs est très longue. Le tableau 12.1 présente la période radioac-
tive et la quantité produite pour les principaux éléments à vie longue présents.
Les combustibles usés présentent donc une radiotoxicité potentielle∗ qui est la
somme, sur l’ensemble des éléments présents, de leur radioactivité pondérée par un
facteur de toxicité à l’ingestion qui dépend du nucléide considéré. Si l’on ne fait
rien, c’est-à-dire si l’on entrepose les combustibles usés sans aucun retraitement (on
parle alors de « cycle ouvert »), leur radiotoxicité potentielle reste, pendant une très
Période Facteur de dosea) Masseb) Massec) Massed)
Noyau radioactive (Sv/Bq) (g/tML) (Kg/TWh) (Kg/an)
(années)

Uranium
232
U 68,9 2,9 10−7 9,76 10−4 3,7 10−6 22,7 10−6
233
U 1,58 105 5,0 10−8 1,43 10−3 5,42 33,2
234 5 −8
U 2,45 10 4,9 10 166 0,63 3,9
235
U 7,03 108 4,6 10−8 10,270 103 38,9 238,5
236
U 2,34 107 4,6 10−8 4,383 103 16,6 101,8
238
U 4,46 109 4,4 10−8 940,6 103 3563 21 948,3
Total U 955,4 103 3625 22 228,5
Plutonium
238
Pu 87,7 4,9 10−8 0,176 103 0,67 4,1
239
Pu 24 110 2,5 10−7 5,673 103 21,46 131,6
240
Pu 6 560 2,5 10−7 2,214 103 8,39 51,4
241 −9 3
Pu 14,4 4,7 10 1,187 10 4,5 27,6
242
Pu 3,7 105 2,4 10−7 0,490 103 1,86 11,4
Total Pu 9,740 103 36,9 226,3
Actinides mineurs
237
Np 2,14 106 1,1 10−7 433 1,64 10,06
241
Am 432,6 2,0 10−7 222,5 0,84 5,2
−7 −3
242
Am 152 1,9 10 0,731 2,769 10 16,98 10−3
243
Am 7 380 2,0 10−7 101,3 0,384 2,36
Tableau 12.1. Période radioactive et quantités produites dans les réacteurs pour les principaux éléments à
vie longue (J.-P. Schapira, INPC95, Beijing, 21-25 août 1995).
a)
Par ingestion, suivant les valeurs récentes données par ICPR-68.
b)
Dans une tonne de métaux lourds (tML) de combustible usé déchargé d’un REP de 900 MWe avec un taux
de combustion de 33 000 MWj/t, après 3 ans de refroidissement.
c)
Même chose pour une production d’électricité de 1 TWh (1 milliard de kWh).
d)
Pour la production annuelle d’un REP de 1 000 MWe, avec un facteur de charge de 70 %.

170 Chapitre 12. La transmutation


Période Facteur de dosea) Masseb) Massec) Massed)
Noyau radioactive (Sv/Bq) (g/tML) (Kg/TWh) (Kg/an)
(années)
242
Cm 0,45 1,3 10−8 0,131 0,496 10−3 3,04 10−3
243
Cm 28,5 2,0 10−7 0,321 1,22 10−3 7,48 10−3
244
Cm 18,1 1,6 10−7 24,0 0,091 0,56
Total actinides mineurs 581,7 2,203 13,5
Produits de fission
99
Tc 2,1 105 7,8 10−10 813 3,08 18,9
129
I 1,57 107 1,1 10−7 169,5 0,64 3,92
135
Cs 2,3 106 2,0 10−9 1 307 4,95 30,35
Tableau 12.1. Suite.

longue période, très supérieure à la radiotoxicité dite de « U naturel » (celle du mi-


nerai d’uranium naturel utilisé pour produire la quantité d’électricité qui a engendré
les déchets considérés). La figure 12.1 donne l’évolution de l’activité des actinides
mineurs en fonction du temps ; celle due aux produits de fission, un peu plus forte
au départ que celle des AM, redescend au niveau « U naturel » en quelques centaines
d’années, car la plupart ont des périodes radioactives beaucoup plus courtes : la
plupart des produits de fission sont stables ou leur période radioactive n’excède pas
quelques dizaines d’années.
La France, qui a décidé de traiter les combustibles issus des centrales pour en
séparer le plutonium et le réutiliser comme combustible, s’interroge actuellement
sur l’opportunité de séparer et « d’incinérer » aussi les actinides mineurs, et sur les
méthodes pour le faire. Cette incinération peut se faire dans les réacteurs eux-mêmes,
au moyen de la transmutation∗ par fission des actinides mineurs en éléments plus
légers et à période radioactive plus courte. La transmutation des actinides mineurs et
des produits de fission suppose bien sûr que ces produits soient séparés au cours du
retraitement du combustible usé afin d’être réintroduits dans les réacteurs. L’objectif
est de réduire significativement l’inventaire radiotoxique à long terme des résidus de
la séparation (les déchets que, finalement, on stockera), de façon à ramener dans un
laps de temps à échelle humaine (environ 200 à 300 ans) cet inventaire au niveau
de celui du minerai d’uranium naturel utilisé au départ. Les différentes stratégies
peuvent être évaluées en comparant divers indicateurs de risque : les masses des

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 171


Figure 12.1. Évolution de l’activité des actinides présents dans le combustible usé, déchargé d’un réacteur
nucléaire au cours du temps [2].

déchets résiduels, leur radioactivité, leur radiotoxicité, le dégagement de chaleur,


les impacts environnementaux des stockages intermédiaires ou définitifs, etc.

2 Les éléments à transmuter en priorité

Il est clair (Fig. 12.1) que l’activité du plutonium (Pu) domine très largement celle
des actinides mineurs dans les combustibles usés : l’inventaire radiotoxique est donc
essentiellement dû au plutonium présent dans ces déchets, pour 75 à 95 % au

172 Chapitre 12. La transmutation


(A M + P F )
(P u + A M + P F )

(P F )

Figure 12.2. La radiotoxicité des déchets en fonction du temps, dans différentes options de
séparation-transmutation. Cette figure montre que le gain obtenu grâce au multi-recyclage (recyclage
complet) du plutonium serait déjà considérable. La radiotoxicité de verres « allégés », c’est-à-dire sans
actinides, retomberait au niveau de celle du minerai d’uranium initial au bout de 300 ans. Encore faut-il
séparer lesdits actinides (on a vu plus haut que c’était techniquement possible), et savoir les transmuter (ce
serait envisageable avec les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération).

cours des 105 années nécessaires au retour au niveau « naturel ». Le recycler en


réacteur comme cela est pratiqué en France permet une importante réduction de la
radiotoxicité des déchets (Fig. 12.2).

2.1 Le plutonium

Chaque année, environ 12 tonnes de plutonium sont produites dans les centrales du
parc français, dont plus de la moitié est du 239 Pu (fissile). La France a choisi de traiter
les combustibles usés et de réutiliser le plutonium, tant par intérêt économique que
pour diminuer la radiotoxicité résiduelle de l’aval du cycle. Pour ceci, AREVA et l’EDF
ont, avec le CEA, mis au point le combustible MOX∗ (mixed oxides, oxyde mixte
de plutonium et d’uranium), qui est déjà utilisé en conjonction avec l’UOX (oxyde
d’uranium seul) dans la moitié des réacteurs du parc actuel (voir § 3).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 173


2.2 Les actinides mineurs et les produits de fission

Le plutonium présent dans le combustible déchargé des réacteurs contient environ


15 % de l’isotope 241 Pu dont la période radioactive de 14,4 ans est suffisamment
courte pour qu’une large part soit transformée en 241 Am par décroissance β pendant
la période de refroidissement, dont la durée, sous cet aspect, est un paramètre
important. Compte tenu de cette décroissance et des actinides mineurs présents au
déchargement, l’activité de la masse d’environ 1 tonne d’actinides mineurs produits
annuellement est la seconde source de radiotoxicité à long terme en aval du cycle
actuel. La troisième composante de l’inventaire radiotoxique, moins élevée sur le
long terme, provient des produits de fission à vie longue présents dans les déchets
nucléaires. Il faut noter toutefois que, en cas de stockage, leur migration plus facile
dans les couches géologiques à cause d’une plus grande solubilité pourrait renforcer
leur impact relativement à celui des transuraniens, très insolubles.
Le degré de réalisation de l’objectif d’incinération, les incidences techniques et
économiques, la sûreté des réacteurs effectuant la transmutation et, bien sûr, le
bénéfice sur les risques potentiels de longue durée seront les critères de jugement
des stratégies à mettre en œuvre pour la transmutation des actinides mineurs et des
produits de fission. Les actinides mineurs qu’il semble plus nécessaire de transmuter
sont l’américium, le curium et, dans une moindre mesure, le neptunium.
La transmutation des actinides serait faisable plus particulièrement dans des ré-
acteurs à neutrons rapides (RNR), car tous les actinides sont fissiles aux neutrons
rapides. Contrairement au cas des neutrons lents, pour lesquels la capture neutro-
nique par les actinides mineurs domine, ce qui conduit à une accumulation sous
irradiation d’isotopes d’actinides de plus en plus lourds, avec les neutrons rapides, le
rapport capture/fission est favorable à la fission. On peut donc envisager de trans-
muter les actinides mineurs dans les RNR.
Les modalités de cette transmutation sont encore un sujet d’études, plusieurs
questions restant ouvertes :
– quelle teneur en actinides peut-on envisager de mettre dans le cœur des ré-
acteurs sans compromettre leur sûreté ? En effet, en fissionnant, les actinides
mineurs font peu de neutrons retardés : un combustible chargé en actinides
mineurs rend donc le réacteur plus « nerveux » et diminue ses marges de sû-
reté ;
– à quelle vitesse peut-on transmuter les actinides mineurs ? Les sections effi-
caces de fission des actinides aux neutrons rapides sont faibles, et le temps
caractéristique de transmutation des actinides est long, entre la décennie et le
siècle selon l’isotope considéré. Pour une quantité donnée d’actinides mineurs
à transmuter chaque année, ceci impose d’avoir un inventaire des éléments

174 Chapitre 12. La transmutation


à transmuter beaucoup plus élevé dans des réacteurs à neutrons rapides que
dans des réacteurs à neutrons lents ;
– faut-il opter pour la transmutation en mode homogène (tout le combustible
du cœur contient une faible proportion d’actinides mineurs) ou hétérogène
(seuls quelques éléments combustibles judicieusement répartis en périphérie
du cœur contiennent les actinides à transmuter) ? L’avantage de la transmuta-
tion en mode homogène est une conception neutronique du réacteur simpli-
fiée ; son inconvénient est un cycle du combustible compliqué par la présence
d’éléments radioactifs au stade de fabrication du combustible.
Ces questions sont abordées plus en détail dans le chapitre 17 consacré aux
options pour le futur.
Quant aux produits de fission, on parle surtout de technétium (99 Tc), d’iode (129 I)
et de césium (135 Cs), dont les périodes sont très longues (voir tableau 12.1). Leur in-
cinération pourrait se faire par capture de neutrons conduisant à des isotopes stables
ou de période radioactive courte. Mais, outre le fait qu’elle ne représenterait pas un
gain déterminant en termes de radiotoxicité potentielle des déchets ultimes, leur
transmutation serait très difficile : contrairement aux actinides, qui sont fissiles aux
neutrons rapides et produisent donc des neutrons en disparaissant, la transmutation
des produits de fission serait très coûteuse en neutrons et peut difficilement être en-
visagée dans un réacteur critique. D’autre part, certains produits de fission devraient
être séparés isotopiquement pour que leur incinération soit efficace. Par exemple, le
135
Cs, radioactif à vie longue, devrait être séparé du 133 Cs avant d’être réintroduit
pour incinération dans les réacteurs, car le 133 Cs, stable, redonne du 135 Cs par cap-
ture de neutrons. Pour toutes ces raisons, la transmutation des produits de fission
n’est plus, actuellement, envisagée.

3 L’utilisation du plutonium dans les REP (le MOX)

Le plutonium est, suivant les isotopes, très fissile ou très fertile (conduisant par
capture de neutron à un isotope fissile). C’est donc, du point de vue de l’économie
des neutrons dans les réacteurs, un excellent combustible : la valeur énergétique
du plutonium issu des combustibles usés est grande. Par ailleurs, la proportion de
neutrons retardés∗ est plus faible que pour l’uranium mais suffisante pour que son
utilisation comme combustible soit possible dans des combustibles mixtes uranium-
plutonium avec une teneur limitée en plutonium.
Ces raisons ont conduit la France à réutiliser le plutonium comme combustible
des REP. Le combustible MOX (oxydes mixtes d’uranium et de plutonium) a été
mis au point dans ce but. Actuellement, le combustible qui est fabriqué pour les
REP comporte 5 à 7 % de plutonium par rapport à l’uranium. Il est utilisé dans

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 175


20 des REP 900 MWe. Sur les 14 restants, 8 autres pourraient être habilités à son
utilisation, car ils sont équipés comme les précédents de passages permettant la mise
en œuvre de barres de commande supplémentaires. Cette utilisation se fait dans des
conditions telles que les paramètres de sûreté du cœur restent satisfaisants, malgré
le durcissement du spectre de neutrons qui abaisse tous les facteurs d’antiréactivité ∗
et malgré la moindre proportion de neutrons retardés (βeff plus faible).
Le premier combustible MOX, fabriqué à Cadarache, a été chargé à Saint-Laurent-
des-Eaux en 1987. L’usine de fabrication MELOX à Marcoule (120 t/an) a été ouverte
en 1994. La capacité totale de fabrication de MOX pourrait permettre de recycler tout
le plutonium produit par le retraitement à La Hague du combustible usé français.

4 Les problèmes posés par le MOX

Plusieurs remarques peuvent être faites à propos de la séparation et de l’utilisation


du plutonium comme combustible dans les REP.
Un large débat existe sur l’opportunité de la séparation en ce qui concerne
le risque de prolifération de cette matière nucléaire. Les États-Unis sont opposés
pour ce motif à la séparation du plutonium et à sa réutilisation ; cependant, leur
attitude semble évoluer et beaucoup de voix s’expriment en faveur des concepts de
séparation et de transmutation. La solution alternative consiste à stocker directement
les combustibles usés sans les traiter (voir chapitre 14).
En ce qui concerne l’inventaire radiotoxique, la stabilisation de la masse du
plutonium supprimerait une grande part du problème, puisqu’il est la principale
composante dans les combustibles usés. Cependant, il faut modérer cette conclusion
car l’incinération du plutonium produit une quantité assez importante d’actinides
mineurs. Pour le parc français, le parc en cycle ouvert (dont nous sommes encore
proches avec le MOX non recyclé) produit 12 t de plutonium et 1,1 t d’actinides
mineurs ; le parc de même puissance où le plutonium serait complètement recyclé
produirait des traces de plutonium et environ 3 à 4 t d’actinides mineurs.
Actuellement, le combustible MOX déchargé après utilisation n’est pas recyclé :
le plutonium restant n’est pas de même composition isotopique, ce qui ne permet
pas, dans l’état actuel de l’utilisation du MOX, de pouvoir le recycler une seconde
fois. L’utilisation actuelle du MOX n’est donc pas suffisante pour stabiliser l’inven-
taire (la masse totale) du plutonium dans le parc électronucléaire français et ce n’est
qu’une première étape d’un processus de multi-recyclage (recyclage complet) qu’il
faut définir complètement. Les études en cours pour mettre au point de nouveaux
combustibles permettant cette stabilisation de l’inventaire du plutonium sont déve-
loppées au chapitre 17.

176 Chapitre 12. La transmutation


Bibliographie
[1] Le bilan électrique français 2010, RTE, janvier 2011.
[2] R. Dautray, « Cinquante ans de nucléaire dans le monde », La Vie des Sciences,
C.R. 10, 359, 1993.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 177


13 Les déchets nucléaires

Bernard BONIN et Étienne VERNAZ

Les déchets∗ de l’énergie nucléaire sont caractérisés par des masses très petites
en comparaison de ceux générés par les autres moyens de production d’énergie. En
effet, à quantité d’énergie produite identique, les réactions nucléaires provoquent la
transformation de très faibles quantités de matière au regard de celles mises en jeu
dans les réactions chimiques qui interviennent lors de la combustion du charbon ou
du pétrole : un million de fois moins !
Néanmoins, leur toxicité potentielle nécessite de protéger l’homme et l’environ-
nement du risque associé. La gestion de ces déchets nécessite donc des méthodes
spécifiques.

1 Volumes et flux de déchets

La part la plus importante des déchets d’origine nucléaire résulte directement de la


production d‘électricité dans les réacteurs et du cycle du combustible∗ dans lequel
elle s’insère (Fig. 13.1). Le cycle fermé, qui consiste à traiter les combustibles usés
pour séparer matières encore valorisables et déchets ultimes, permet actuellement
de récupérer les matières énergétiques (uranium et plutonium) afin de les recycler
et de conditionner de façon sûre et durable les déchets de haute activité (produits de
fission∗ et actinides mineurs∗ ) qui représentent un très faible volume.
Figure 13.1. Catégories de déchets.

La France s’est engagée dans la première étape du cycle fermé en traitant les
combustibles usés des centrales nucléaires et en recyclant le plutonium extrait dans
les réacteurs REP∗ sous forme de combustible MOX∗ . Cette option, socle de sa stra-
tégie de minimisation des déchets ultimes, présente l’avantage de consommer une
fraction du plutonium produit initialement pour produire de l’énergie et de concen-
trer la fraction restante dans le combustible MOX usé en attendant son utilisation
ultérieure.
Faire fonctionner les réacteurs nucléaires ainsi que les usines de fabrication et de
traitement de combustible génère aussi des effluents∗ et des déchets : il en va ainsi
des filtres qui évitent de rejeter des gaz radioactifs dans l’atmosphère, des pompes
qui ont été remplacées ou encore des liquides résultant du rinçage des installations.
Ce sont des déchets d’exploitation, beaucoup moins radioactifs mais plus volumi-
neux que ceux retirés du combustible.
L’assainissement et le démantèlement des installations anciennes produit égale-
ment des déchets qui sont conditionnés et rejoignent les filières actuelles d’évacua-
tion.
Enfin, les centres de recherche et les hôpitaux produisent une faible quantité de
déchets radioactifs.

180 Chapitre 13. Les déchets nucléaires


Un inventaire national, localisant et quantifiant tous les déchets radioactifs pré-
sents sur le sol français, est réalisé par l’ANDRA∗. Il est mis à jour chaque année. La
première édition de ce document a été publiée en novembre 2004.
Les déchets radioactifs existant à fin 2002 (hors très faible radioactivité) sont
récapitulés dans le tableau 13.1.

Volume (m3 )

Haute activité 1 639


Moyenne activité à vie longue 43 359
Faible activité à vie longue 44 559
Faible ou moyenne activité à vie courte 778 322∗
Tableau 13.1. Déchets radioactifs existant à fin 2002.

dont 663 562 stockés aux Centres de La Manche et de l’Aube.

2 Une stratégie et des étapes pour la gestion des déchets


Les éléments radioactifs contenus dans les déchets radioactifs émettent des rayon-
nements de nature variée qui peuvent avoir des effets biologiques nocifs sur les
organismes vivants. Il faut donc protéger l’homme et son environnement de ces
rayonnements en isolant les déchets radioactifs. Pour ce faire, plusieurs barrières
de protection sont mises en place : les déchets sont retenus dans des enveloppes
juxtaposées. La matrice de confinement constitue la première de ces barrières.
Deux grandes étapes peuvent être distinguées dans la gestion des déchets :
– l’entreposage∗ (par définition temporaire), qui consiste à disposer les déchets
ou le combustible usé en bon ordre dans un endroit sûr, avec le projet de
les reprendre plus tard pour leur assurer un destin plus pérenne. À l’issue de
cette étape, il peut être envisagé de transmuter une partie des radionucléides
présents, afin de diminuer la radiotoxicité potentielle des déchets ultimes ;
– le stockage∗ (définitif, bien qu’éventuellement réversible sur une durée choisie),
qui consiste à placer les déchets ultimes dans une formation géologique pro-
fonde pour les mettre à l’abri des agressions du milieu naturel et de l’homme,
le temps que la décroissance radioactive ait fait son œuvre.
Le conditionnement des déchets doit être compatible avec ces deux grandes
étapes, complémentaires et non exclusives l’une de l’autre, et qui se succéderont
dans le temps. Ceci se traduit par la nécessité de pouvoir manipuler facilement les
colis de déchets conditionnés, dans le respect des règles de sûreté et de radioprotec-
tion. Il faudra pouvoir reprendre lesdits colis au terme de la période d’entreposage,

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 181


toujours de façon sûre ; le conditionnement choisi doit également avoir un bon com-
portement à très long terme, dans l’optique du stockage définitif. Ici, l’agresseur est
l’eau souterraine, qui arrivera nécessairement à son contact au bout d’un temps de
resaturation plus ou moins long dans le milieu géologique.
À partir de cette situation, la loi du 30 décembre 1991 qui repoussait pendant
15 ans toute décision industrielle concernant le devenir des déchets à vie longue,
a défini trois axes de recherche (Fig. 13.2) : séparation-transmutation∗ , stockage
géologique, conditionnement et entreposage de longue durée des déchets ultimes
mobilisant ainsi au CEA pendant 15 ans plus de 300 chercheurs et un budget de
1,5 milliard d’euros.

Séparation poussée Conditionnement


Entreposage

Transmutation

Stockage

Figure 13.2. Les axes de recherche actuellement poursuivis pour la gestion des déchets, plus
particulièrement ceux de haute activité et à vie longue.
• La séparation poussée pour ne conserver comme déchets que les matières réellement inutilisables et
donner aux « paquets » ainsi séparés un destin adapté et optimal (par exemple la transmutation).
• La transmutation, qui semble possible pour les actinides dans des réacteurs à neutrons rapides pour
réduire la radiotoxicité potentielle des déchets.
• Le conditionnement, pour donner au déchet une forme stable et sûre.
• L’entreposage, pour laisser aux déchets conditionnés le temps de refroidir. . . et aux humains le temps de
réfléchir !
• Le stockage profond, pour isoler les déchets ultimes, seule solution satisfaisante à avoir émergé à ce jour.

182 Chapitre 13. Les déchets nucléaires


Les études menées de façon très soutenue à partir de 1992 ont bénéficié d’im-
portantes collaborations nationales (EDF, AREVA, ANDRA, CNRS et universités) et
internationales.

3 Conditionnement des déchets : des progrès continus

Lorsqu’ils sont produits, les déchets radioactifs, comme les autres déchets, se
trouvent sous forme solide (métaux, ciments. . . ) ou liquide : ce sont des déchets
bruts. Pour pouvoir être manipulés aisément et de façon sûre, ils sont mis sous forme
de colis de déchets. Le colis garantit que les éléments radioactifs ne se dispersent
pas. Il constitue une barrière entre les éléments radioactifs et l’environnement. Il
satisfait aux normes de transport, d’entreposage ou de stockage. Le conditionnement∗
est ainsi l’ensemble des opérations successives à réaliser pour fabriquer ce colis.
Dès la mise en service, dans les années 1990, des usines actuelles de La Hague,
AREVA a cherché à réduire le volume des déchets produits par ces usines. Un im-
portant programme de recherches, PURETEX, mené par l’entreprise et le CEA en a
découlé. Ce programme a exploré différentes voies : modification des traitements
chimiques mis en œuvre, changement de modes de conditionnement. L’exploitation
des usines a aussi été optimisée en cherchant à réduire les quantités de produits
utilisés (qui deviennent ensuite des déchets radioactifs) dans les diverses opérations
que requiert le traitement du combustible usé.
En combinant toutes ces améliorations, des résultats très significatifs ont été
obtenus (Fig. 13.3). Le changement de traitement chimique des déchets liquides
a permis de diviser par dix la radioactivité rejetée en mer. Le volume des déchets
solides à vie longue a été divisé par six, grâce notamment à un nouveau mode de
conditionnement des déchets de structure des combustibles usés, le compactage. Ces
déchets compactés sont placés dans un conteneur du même type que celui utilisé
pour les déchets vitrifiés, standardisant ainsi le conditionnement des déchets ultimes
issus des usines de La Hague.

4 Déchets et effluents

Les opérations de traitement chimique du cycle du combustible ainsi que les centres
de production d’électricité ou les centres de recherche nucléaire génèrent non seule-
ment des déchets solides mais également des effluents sous forme liquide ou gazeuse.
Dans certains cas, ces résidus sont rejetés directement dans l’environnement ; le plus
souvent, toutefois, leur activité est trop importante ; il est alors nécessaire d’en sépa-
rer la fraction toxique et de la conditionner dans une matrice adaptée pour pouvoir
rejeter le reste sans nuisance significative pour l’environnement (Fig. 13.4).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 183


Figure 13.3. Historique des volumes de déchets générés par l’installation UP3 de La Hague, dont la
capacité de traitement est de 800 tonnes de combustible usé par an.

5 Procédés de conditionnement

Dès les années 1950 en France, des déchets de haute activité sont solidifiés sous
forme de verres borosilicatés. Tous les éléments radioactifs entrent facilement dans
la composition de ces verres, avec des teneurs pouvant varier dans d’assez grandes
plages. Leurs points de fusion n’étant pas très élevés, ces verres sont faciles à pro-
duire. Ils résistent bien à la chaleur et aux radiations. À Marcoule (1978), puis à
La Hague, a été appliqué le procédé de vitrification (voir chapitre 11). De fonc-
tionnement très souple, il est aisément contrôlable à distance et peu coûteux : un
premier four cylindrique en rotation reçoit la solution nitrée issue du retraitement et
la calcine entre 600 et 900 ◦ C en transformant les nitrates en oxydes ; ceux-ci sont
mélangés dans une proportion de 13 à 14 % à du verre borosilicate fritté à l’entrée
d’un deuxième four à induction où la fusion s’opère à 1 100 ◦ C. Le four se vide de
lui-même toutes les 8 heures par la fusion d’un bouchon de verre dans le tuyau de
vidange, en remplissant un conteneur en acier inoxydable contenant 360 kg de verre.

184 Chapitre 13. Les déchets nucléaires


• La solution de produit de fission qui
contient aussi les actinides mineurs et
environ 0.1% de l’U et du Pu, est
vitrifiée

• Les coques et embouts sont rincés


puis compactés

• Les déchets technologiques sont


cimentés

Le volume annuel de déchets produit


par le retraitement du combustible
d’un réacteur de 1GWe est :

• 2.5 m3 de déchets de haute activité


(verre)
• 5 m3 de déchets de moyenne activité
(gaines métalliques compactées)
• 12 m3 de déchets de faible activité
(cimentés)

Figure 13.4. Les déchets ultimes du retraitement.

Le colis de déchets vitrifiés est donc constitué d’un bloc de verre homogène, qui
contient dans sa structure même les éléments radioactifs.
La vitrification est aujourd’hui, en France, le procédé industriel pour le condition-
nement des solutions de produits de fission issues du retraitement des combustibles
usés.
Les principales améliorations obtenues au cours de la dernière décennie sont :
– une réduction du volume des déchets d’exploitation du procédé de vitrification
d’un facteur de 2 à 3 ;
– un gain d’environ 25 % sur le volume des déchets vitrifiés, obtenu en aug-
mentant la proportion d’éléments radioactifs contenus dans le colis de déchets
vitrifiés.
Cette proportion peut également être augmentée grâce à la technique du creuset
froid, en cours d’installation à La Hague par AREVA NC. La mise en œuvre de ce
procédé permettra de réduire encore le volume final des déchets.
Les déchets d’exploitation sont le plus fréquemment cimentés. S’il s’agit de dé-
chets solides, ils sont placés dans un conteneur en métal ou en béton dans lequel
du ciment est ensuite coulé. On parle alors de déchets bloqués dans du ciment. Les
déchets liquides, quant à eux, sont utilisés comme liquide de gâchage pour fabriquer
le ciment. Ce dernier est ensuite coulé dans un conteneur en métal ou en béton.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 185


Il existe de nombreux modèles de conteneur, adaptés à la forme et à la taille des
déchets qu’ils doivent contenir.
Certains déchets liquides d’exploitation peuvent être bitumés plutôt que
cimentés.
Le procédé de bitumage a été largement utilisé en France pour conditionner en
ligne les déchets résultant du traitement des effluents liquides par précipitation chi-
mique. Ces déchets se présentent sous forme de boues qui sont séchées et mélangées
à du bitume à une température de 150 ◦ C environ. Le mélange est ensuite coulé dans
un conteneur en acier inoxydable. Il s’agit d’un procédé éprouvé qui bénéficie d’un
large retour d’expérience.
Il est probable qu’à l’avenir ce procédé sera de moins en moins utilisé car on
vise aujourd’hui à minimiser l’introduction de matière organique combustible dans
les stockages et à privilégier les matrices minérales que sont le verre et le béton.
Quelques études sont toutefois encore menées pour adapter ce procédé au condi-
tionnement du contenu de certains silos de boues anciennes dont les caractéristiques
chimiques pourraient rendre difficile la vitrification ou la cimentation. L’objectif est
de maximiser la radioactivité admissible par colis en vue d’en minimiser le nombre à
produire. Enfin, compte tenu du nombre important de colis existants, d’autres études
sont en cours pour prévoir le comportement à long terme de ces colis en condition
d’entreposage et de stockage.
Certains déchets solides peuvent être simplement compactés par écrasement au
moyen d’une presse et placés dans un conteneur sans être bloqués.
Même si verres, ciments, bitumes ou gaines compactées sont des matrices éprou-
vées, une recherche prospective pour des conditionnements nouveaux permet de
proposer des solutions optimales pour certaines catégories particulières de déchets
(organiques, mixtes, etc.) et de se préparer à répondre aux défis que poseront les
réacteurs de nouvelle génération, tout en se maintenant dans une dynamique d’amé-
lioration continue.
Les déchets radioactifs sont en général conditionnés sur le site où ils ont été
produits. Les centrales nucléaires, ainsi que les centres de recherche, disposent d’ins-
tallations de cimentation et parfois de bitumage. Les usines de traitement disposent
en outre d’installations de vitrification. En France, environ 3 300 colis de déchets
vitrifiés ont ainsi été réalisés à Marcoule, où a fonctionné la première usine française
de retraitement (UP1 – 1958-1997).
Depuis 1990, les colis de déchets vitrifiés sont produits à La Hague où est actuel-
lement traité le combustible nucléaire. Environ 13 000 colis ont déjà été fabriqués et
le volume de fabrication actuel est de l’ordre de 600 colis par an.
Les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte sont transférés au centre
de stockage de Soulaines dans l’Aube, exploité par l’ANDRA.

186 Chapitre 13. Les déchets nucléaires


Les déchets à vie longue sont conservés sur leur site de production dans des
entrepôts spécifiques pour chaque type de colis. Par exemple, les colis de déchets
vitrifiés à La Hague y sont entreposés dans l’installation E-EV-SE (Fig. 13.5).

Figure 13.5. L’installation d’entreposage de déchets vitrifiés E-EV-SE d’AREVA à La Hague. Les colis de
verre y sont empilés dans des puits secs ventilés et fermés en haut par une dalle de béton assurant la
protection radiologique des opérateurs.

6 Des conditionnements qui doivent résister à l’épreuve


du temps
Le colis est la première des barrières successives interposées entre les éléments
radioactifs et l’environnement. Dans la perspective d’une gestion à long terme des
colis, il faut donc évaluer la qualité de cette barrière au fil du temps.
Compte tenu des échéances de temps à considérer, notamment pour le stockage
géologique, une simple extrapolation dans le temps de résultats acquis en laboratoire
sur des durées de quelques années n’est pas suffisante.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 187


La première étape consiste à comprendre et à hiérarchiser les phénomènes se
produisant pendant l’existence du colis, en entreposage ou en stockage géologique.
Ceci se fait notamment en réalisant des expériences en laboratoire et en observant les
analogues naturels ou archéologiques. À partir de cette compréhension, l’évolution
du colis peut être décrite mathématiquement sous forme de modèles simulant les
phénomènes en jeu, depuis la dégradation de matrices (modélisation à l’échelle ato-
mique, méso- et macroscopique) jusqu’à la migration des radionucléides en champ
proche (chimie-transport). Il s’agit d’abord de se convaincre, par un faisceau d’indica-
tions concordantes, que les mécanismes d’altération des matrices sont bien compris
et maîtrisés.
Ce travail sur le comportement à long terme des colis et des matrices de confi-
nement des déchets constitue le premier maillon de l’évaluation de la sûreté d’un
stockage.
Les travaux menés ces dernières années ont permis d’élaborer des modèles d’évo-
lution pour tous les types de colis.
Le verre a été choisi pour le confinement des déchets de haute activité et à vie
longue en raison de sa souplesse d’utilisation et de sa durabilité. Cependant, les
très longues durées de confinement nécessaires pour le stockage des déchets à vie
longue ont justifié des études approfondies sur le comportement à long terme du
verre en situation de stockage. Ces études ont confirmé son bon comportement :
bien qu’il soit en principe métastable, donc susceptible de recristalliser sous une
forme thermodynamiquement plus stable que la forme amorphe initiale, ce proces-
sus est extraordinairement lent si la composition du verre est bien choisie. D’autre
part, ce matériau déjà amorphe subit peu de modifications structurales sous l’effet
d’une auto-irradiation. Enfin, le verre résiste bien à l’eau : certes, les oxydes qui le
composent se transforment lentement en hydroxydes, mais cette transformation est
très lente. Les mécanismes d’interdiffusion et d’hydrolyse en jeu sont maintenant
bien compris, mais le régime d’altération à très long terme dépend beaucoup de
l’environnement du verre et fait encore l’objet de recherches actives.
En ce qui concerne les colis de déchets cimentés, le principal risque à prendre
en compte en conditions d’entreposage est la fissuration du béton du fait de son
évolution physico-chimique, des interactions entre les déchets et le ciment et de la
corrosion des armatures. Ce risque peut être réduit par une formulation de béton et
un matériau de renfort (fibres ou armatures) adaptés.
À titre exploratoire, des études ont été menées pour optimiser la cimentation :
prétraitement du déchet et formulation de ciments présentant une meilleure com-
patibilité avec les déchets à conditionner. En conditions de stockage géologique, le
phénomène majeur affectant le comportement des matériaux cimentaires est la dé-
gradation chimique qui dépend fortement de la teneur en ions sulfates et carbonates
dans l’eau du site. Différents modèles ont été développés afin notamment de prédire

188 Chapitre 13. Les déchets nucléaires


l’évolution du confinement des éléments radioactifs dans le cas de l’altération ex-
terne d’un conteneur en béton par l’eau.
Deux phénomènes principaux peuvent affecter significativement l’évolution à
long terme des colis de boues bitumées :
– le bitume gonfle sous l’effet des gaz générés par la radioactivité contenue dans
le colis, si celle-ci est importante. Cette production de gaz décroît au fil du
temps. Ce gonflement peut affecter le comportement du colis en entreposage ;
– le bitume relâche les éléments radioactifs qu’il contient sous l’effet de la lente
pénétration de l’eau dans le colis en conditions de stockage.
Des premières estimations des performances des colis de boues bitumées ont été
réalisées à partir des modèles développés. Ainsi, on prévoit que la dégradation des
colis en stockage géologique durera quelques dizaines de milliers d’années, après
l’arrivée de l’eau.
Le colis de déchets compacté contient des pièces métalliques. Le modèle proposé
pour ce colis est basé sur la localisation des éléments radioactifs à l’intérieur. Les élé-
ments radioactifs situés en surface des pièces métalliques sont directement entraînés
par l’eau. Les éléments radioactifs inclus au sein des pièces métalliques sont relâchés
au fur et à mesure de la corrosion du métal. D’après les expériences de corrosion
menées en laboratoire, les éléments radioactifs inclus dans les pièces métalliques en
acier inoxydable, par exemple, sont ainsi relâchés au bout d’une centaine de milliers
d’années.
Bien qu’il ne fasse pas partie de la stratégie française sur l’aval du cycle, le sto-
ckage direct∗ des combustibles usés a aussi été étudié au CEA. Les études menées
sur l’état physicochimique du combustible sortant d’un réacteur ont montré que les
gaines des crayons combustibles étaient encore capables de confiner les radionu-
cléides sur une période de temps compatible avec un entreposage à sec ou en piscine
de l’ordre de la centaine d’années. Elles ont également montré qu’il ne s’agissait
pas d’un conditionnement confinant sur des durées plus longues, d’autres barrières
ouvragées devant alors prendre le relais.

Bibliographie
[1] B. Bonin, et al., Les Déchets Nucléaires, état des lieux et perspectives, EDP
Sciences, 2011.
[2] Le conditionnement des déchets nucléaires, Monographie e-den, les Éditions du
Moniteur, 2008.
[3] S. Gin, Les déchets nucléaires, quel avenir ?, Dunod, 2006.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 189


14 Le stockage géologique
des déchets nucléaires

Yves CASSAGNOU, Bernard BONIN et Marc-Antoine DUBOIS

1 Le concept du stockage

Le concept de stockage géologique est simple : il s’agit de placer les déchets dans
un endroit où leur radiotoxicité ne pourra agir sur l’environnement, et ce sur une
période assez longue pour que la décroissance radioactive∗ ait le temps de faire son
œuvre et que l’impact sur la biosphère soit négligeable. Mais compte tenu du fait
que les déchets actuels contiennent des radionucléides à longue période, le temps
à prendre en compte est de l’ordre de 105 à 106 ans (par exemple : le 239 Pu a une
période de 24 000 ans, le 237 Np est beaucoup moins abondant et a une période de
2×106 ans), de sorte que seuls des sites profondément enfouis dans un milieu stable
et imperméable sont envisageables.

2 Le stockage profond

Seul le cas des déchets de haute activité et à vie longue sera examiné, car hormis le
problème du volume, les exigences sont plus faciles à satisfaire pour la catégorie des
déchets de moyenne activité et à vie longue. On trouvera dans la référence [1] une
revue intéressante.

2.1 Le concept des trois barrières

L’idée directrice du stockage est d’opposer à la migration des radionucléides trois


barrières successives :
– la matrice de confinement (verre, bitume, béton) dans laquelle sont inclus ces
radionucléides ;
– la barrière ouvragée qui sert à colmater les puits et les galeries d’accès creusés
lors de la construction du site ainsi qu’à enrober les colis radioactifs ;
– le milieu géologique où le site est implanté et dont le rôle est non seulement
de freiner la migration des radionucléides vers la biosphère, mais aussi, si des
fuites existent, d’en assurer la dilution dans un volume important. Le choix de
ce milieu est important par le rôle qu’il peut jouer quant à la stabilité chimique
du site, laquelle protégera les colis et limitera leur corrosion.

2.2 Les sites géologiques envisagés

Les sites envisagés sont essentiellement les granites (en Scandinavie), les argiles (en
France), les basaltes, les schistes et le sel.
Les principaux critères techniques d’acceptabilité du site sont une perméabilité
et un gradient hydraulique faible, pour garantir une circulation de l’eau souterraine
très lente au voisinage du site de stockage ; une localisation en plaine pour éviter les
phénomènes d’érosion rapide ; une zone éloignée des failles sismiques actives, pour
éviter l’occurrence d’événements de disruption de la croûte pendant la période d’acti-
vité du stockage ; et enfin l’absence de ressources naturelles souterraines susceptibles
d’intéresser les générations futures.

2.3 Les topologies possibles

La topologie d’un stockage profond de déchets de haute activité est gouvernée par
la thermique : les déchets chauffent et cette chaleur ne peut être évacuée que par
conduction à travers la roche-hôte. Comme cette dernière possède une très mauvaise
conductivité thermique, il est nécessaire d’espacer les colis de déchets pour éviter un
échauffement excessif qui pourrait conduire à la dégradation du colis ou de la roche
elle-même. Cette contrainte impose de donner au stockage la forme d’un plan, car
c’est cette topologie qui permet d’espacer les colis au maximum avec un minimum
de galeries. Le plan est horizontal pour des raisons de commodité de manutention
(Fig. 14.1). La densité de puissance acceptable sur le plan est de l’ordre de 10 W/m2 .

192 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


Figure 14.1. Représentation schématique d’un stockage souterrain de déchets nucléaires [1].

Même si le volume de déchets de haute activité à stocker est très petit (quelques
milliers de m3 pour une installation capable d’accueillir les déchets français produits
jusqu’en 2050), cette contrainte sur la densité de puissance acceptable impose de
donner au stockage une taille de l’ordre du kilomètre carré.
La profondeur du plan de stockage est de l’ordre de 500 m. Cette valeur résulte
d’un compromis entre le coût du génie minier et la sûreté du stockage, qui aug-
mentent tous deux avec la profondeur.
L’architecture du stockage consiste en une série de galeries de manutention
débouchant sur des alvéoles de stockage disposées en dents de peigne par rapport
aux galeries (Fig. 14.2).
L’accès au plan de stockage est donné par des puits ou une descenderie.
La ventilation de l’ensemble est assurée par des puits.
Les puits et les galeries d’accès au site proprement dit seraient obturés en fin
d’exploitation, à l’issue d’une période d’observation éventuelle. Si une période d’ob-
servation prolongée est envisagée (« préstockage » de 150 ans), on peut adopter une
topologie dans laquelle la barrière ouvragée et les éléments de calage sont préfa-
briqués, ce qui permettra un réaménagement du site avant sa fermeture définitive
(Fig. 14.3).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 193


Figure 14.2. Architecture envisageable pour le stockage [2].

2.4 Le problème de la réversibilité

Le problème de l’obturation est indissociable du concept de réversibilité : faut-il cher-


cher à rendre le site – une fois atteinte sa capacité maximale – le plus inaccessible
possible à toute intervention humaine, ou faut-il au contraire chercher à rendre pos-
sible une réextraction des colis pour un retraitement ou une transmutation ultérieure
en tablant sur un progrès des techniques ? Un élément de réponse est que ce qui est
déchet aujourd’hui peut devenir ressource demain (en particulier pour les pays qui
n’ont pas choisi la voie du retraitement). Cette question est plus politique (ou éco-
nomique) que scientifique. Le gouvernement français a décidé que les concepts de
stockage actuellement à l’étude devaient comporter une exigence de réversibilité
(Fig. 14.3).

194 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


Figure 14.3. Les étapes de fermeture du stockage, avec des degrés de réversibilité décroissants.

3 La première barrière

La première barrière est la matrice de confinement elle-même.

3.1 La dégradation du verre : lixiviation et résistance à l’auto-irradiation

Dans le cas de déchets vitrifiés, c’est la matrice verre qui doit être prise en compte
comme première barrière de confinement. Celle-ci subit en stockage l’attaque de
deux types d’agresseurs qui menacent a priori de dégrader son intégrité : l’auto-
irradiation et l’altération par l’eau.
La structure du verre pourrait être dégradée sous l’effet des déplacements ato-
miques consécutifs aux désintégrations radioactives des éléments incorporés. Des
études sur l’incorporation d’éléments très radioactifs comme le 238 Pu ou le 244 Cm
montrent que la structure du verre, déjà naturellement amorphe, est peu affectée
par cet effet.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 195


Dans un scénario normal d’évolution d’un site de stockage, des eaux souterraines
resaturent le site avec un débit très faible ; elles percent le conteneur et mouillent en
surface le verre, dissolvant dans un premier temps les ions alcalins et le bore tandis
qu’un gel poreux se forme avec la silice hydratée et les matières insolubles, dont les
actinides. Cette dégradation superficielle se stabilise lorsque l’eau qui baigne le gel
a atteint la limite de solubilité de la silice. Un régime d’altération « résiduel » peut
perdurer à très long terme si l’eau circulant au voisinage du verre dissout le gel, ou si
la silice de verre est consommée par précipitation de phases secondaires. L’interface
verre-gel continue alors à reculer et la dégradation se poursuit très lentement en
profondeur.
La quantité de radionucléides libérés par l’altération du verre dépend de la sur-
face libre de verre offerte à la lixiviation. Le colis de verre est fissuré en profondeur
en raison des contraintes thermiques élevées subies lors de sa coulée : l’interface
eau-verre est ainsi accrue, mais la formation de gel tend à obturer les fissures et à
empêcher un lavage par de l’eau insaturée.

3.2 Étude expérimentale et modélisation du vieillissement du verre

Les expériences d’altération du verre en laboratoire portent sur des échelles de temps
très inférieures à celles d’un stockage, mais elles ont permis de dégager les princi-
paux mécanismes de lixiviation. La cinétique d’altération du verre en régime résiduel
est maintenant bien comprise et modélisée et des codes prédictifs de dégradation
des colis de verre ont été écrits [3]. Actuellement, les modèles de comportement à
long terme des colis de déchets vitrifiés, en situation de stockage, montrent qu’après
10 000 ans, seule une proportion de 1 pour mille du verre serait dissoute. Cette durée
est à comparer à la durée de vie des radionucléides incorporés qui, pour la plupart,
auraient cessé d’être radioactifs.
La durabilité des verres sur le très long terme est attestée par l’exemple de
certains verres et roches éruptives, analogues naturels des verres nucléaires. Ceux-ci
montrent une très bonne tenue dans le temps et permettent de valider les modèles
d’altération.

3.3 Le métal

Pour permettre leur manutention, les cylindres de déchets vitrifiés sont coulés dans
un conteneur en acier inoxydable. Il y a accord pour admettre que l’intégrité (ab-
sence de piqûre traversante) de conteneurs métalliques soumis aux conditions de
stockage ne saurait être garantie au-delà de quelques centaines d’années, même s’ils
sont faits avec les meilleurs aciers. La défaillance du conteneur de déchets vitrifiés

196 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


n’a pas de conséquences désastreuses, car le verre continue de confiner efficacement
les radionucléides.
Il ne faut pas confondre cette situation avec celle des métaux envisagés pour
le stockage direct des combustibles usagés en formation géologique profonde. La
Suède envisage un conteneur en cuivre résistant à la corrosion. D’autres pays, dont
la France, envisagent des aciers non alliés de forte épaisseur, qui ne subissent pas de
corrosion par piqûre, mais une corrosion généralisée dont la vitesse de progression
est prédictible.

3.4 Le combustible usé est-il une matrice de confinement ?

Dans le cas de combustibles non retraités, la céramique combustible irradiée confine


assez mal les produits de fission : une partie des radionucléides les plus mobiles
tend à s’échapper via les joints de grains de la céramique polycristalline. La gaine
en alliage de zirconium représente certes une protection supplémentaire contre la
dissémination des radionucléides, mais cette gaine a déjà beaucoup souffert de la
corrosion et de l’irradiation lors de son séjour en réacteur, et n’est pas à l’épreuve
du temps sur des durées millénaires. Avant d’envisager le stockage direct de com-
bustible usé (cas de la Suède ou de la Finlande), il faut donc confiner les éléments
combustibles dans un étui étanche. La Suède prévoit des conteneurs en cuivre mas-
sif, ce qui offre de très bonnes caractéristiques de durabilité, mais cette option n’est
pas économiquement généralisable. Se pose en outre le risque de rendre attractif le
pillage du site. . .

4 La barrière ouvragée

4.1 Le surconteneur et les scellements

Cette barrière comprend d’abord un enrobage autour du conteneur fait d’argile


très absorbante, comme la bentonite préalablement séchée et compactée, et sous
forme de briques ou d’anneaux cylindriques. Ce remplissage est d’abord un bouclier
thermique et radiologique entre la roche et le conteneur. En outre, en devenant
humide, la bentonite gonfle, faisant office de bouchon hydro-mécanique capable
de ralentir efficacement la circulation de l’eau au voisinage du colis. À l’intérieur
du site, les galeries, les puits d’accès, les ouvertures pour ventilation sont, après
une période de surveillance (de l’ordre de 150 ans), obturés par des scellements
également constitués d’argile gonflante.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 197


4.2 Les mécanismes de dégradation

Les problèmes sont ceux des argiles considérées comme barrière géologique, avec
un effet accru de la chaleur (d’où des fissurations possibles) lié à la proximité du
colis. Des modélisations des effets respectifs du dessèchement par effet thermique
et du gonflement par réhydratation sont en cours [4]. Les effets liés à la chaleur
sont surmontés par un temps de refroidissement suffisant avant stockage et par une
limitation de la densité de stockage de telle sorte que la surface des conteneurs reste
toujours inférieure à 100 ◦ C.

5 La barrière géologique

La problématique est celle des flux hydriques (la circulation des eaux souterraines) et
de leur interaction avec les colis stockés, ces flux pouvant conduire à une remontée
des radionucléides vers la biosphère. Cette remontée dépend très fortement des
propriétés de la couche géologique.

5.1 Le sel

Les sites salins se présentent sous forme soit de grands massifs de sel pur (quelques
km3 ) essentiellement anhydres, soit de couches sédimentaires de sel impur. Des
poches de saumure peuvent exister dans les deux cas. Un autre inconvénient est que
la radiolyse des impuretés peut générer des gaz corrosifs et éventuellement explosifs.
Enfin, les risques liés à une exploration involontaire du site sont très élevés, le sel et
ses impuretés étant des ressources précieuses. En revanche, le sel, contrairement au
granite, peut fluer, ce qui lui permet de colmater des fissures éventuelles.

5.2 Le granite

Le granite a une teneur en eau faible et une perméabilité variable. Les flux hydriques
sont dominés par la convection dans les fractures, la microporosité étant beaucoup
moins importante. Chimiquement, c’est un milieu réducteur, dans lequel peuvent
apparaître des complexes inorganiques (ligands) ; des colloïdes inorganiques et des
sulfures sont présents. La sorption (absorption ou adsorption) est non négligeable.

5.3 L’argile

L’argile en tant que milieu hôte pour le stockage de déchets radioactifs présente
de nombreux avantages : sa perméabilité très faible assure un flux d’eau très lent.
D’éventuelles fractures peuvent cicatriser ou se colmater. La plasticité de l’argile lui

198 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


permet, encore plus aisément qu’au sel, de fluer et ainsi de colmater des fissures. Le
revers de cette qualité est la nécessité de faire d’importants soutènements dans les
galeries. Les minéraux argileux sont stables chimiquement et donnent à l’eau inter-
stitielle des propriétés réductrices et légèrement basiques, favorables à la précipita-
tion de nombreux composés minéraux ; enfin, les minéraux argileux possèdent une
grande surface spécifique, ce qui dote l’argile d’une très bonne capacité de sorption
des cations, qui ralentit encore la migration de ces derniers [2].

6 Les scénarios d’évolution et l’évaluation de l’impact


d’un stockage
Pour s’assurer de la qualité d’un stockage, on évalue des scénarios de dégradation.
Dans le scénario d’évolution normale du stockage (Fig. 14.4), on prévoit un échauf-
fement du stockage et de la roche avoisinante avec un pic de température atteint
quelques dizaines d’années après la fermeture, une resaturation de la roche-hôte et,
à plus long terme, une dégradation de la barrière ouvragée qui amènera l’eau en
contact avec le colis de déchets. Une lente altération du verre par l’eau commencera
alors, avec libération des radionucléides qu’il contient. Pour rejoindre la biosphère,
ces radionucléides devront encore migrer à travers une barrière géologique choisie
pour son imperméabilité.
On évalue les conséquences d’un transport de matières radioactives par les eaux
souterraines jusqu’au sol à l’aide de simulations. Dans les modèles actuellement
utilisés, on suppose la roche assimilable à un milieu poreux et la migration de chaque
radionucléide contaminant est décrite par une équation du traceur standard :

∂ ci 1  −−→  ∂ Si
= · grad (ci ) − λi · ci + λi+1 · ci+1 −
· De · Δci − U
∂t ω ∂t
où ci est la concentration en radionucléide dissous dans l’eau du milieu souter-
rain, U est la vitesse interstitielle (à travers les pores) de l’eau, D est le coefficient
de dispersion-diffusion qui exprime la dilution en cours de trajet, λi et λi+1 les
constantes radioactives du noyau i et de son descendant i + 1 ; le dernier terme
rend compte des phénomènes de sorption et désorption par lesquels un contaminant
est retenu un certain temps dans la roche, ce qui entraîne un retard (par rapport à
l’eau) de sa migration. La vitesse interstitielle est prise comme la vitesse de Darcy,
U = −1/ω·K ·grad h où K est le coefficient de conductivité hydraulique, ω mesure la
porosité du milieu et h est la hauteur piézométrique (pression en hauteur d’eau). Si
la roche est très fissurée, on l’assimile à un milieu constitué de pores plus gros (c’est
fréquent dans le granite). La figure 14.5 montre la succession de phénomènes abou-
tissant à un relâchement de radionucléides vers la surface. Les actinides, peu solubles

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 199


années

10-2 10-1 100 101 102 103 104 105 106 107

Champ proche
.....
Chargement mécanique dû à l’excavation
...............
Réponse mécanique différée
.......................
Echauffement du champ proche
.................................
Resaturation en eau du champ proche
...........................
Evolution physico chimique du champ proche
......................
Corrosion du surconteneur et production d’hydrogène
..................
Altération du verre

Champ lointain

.............................
Chargement mécanique
.......................
Echauffement du champ lointain
......
Première glaciation
.............................
Migration des radio-nucléides en champ lointain

Figure 14.4. Le scénario d’évolution normale du stockage, avec les principaux phénomènes en jeu.

dans l’eau, sont très sensibles aux interactions chimiques avec la roche poreuse, ce
qui peut se traduire par un facteur de retard 103 à 104 fois celui des produits de
fission. Basés sur le modèle ci-dessus, les calculs sont soit déterministes c’est-à-dire
que partant de valeurs uniques des paramètres, ils permettent d’évaluer un risque ra-
dioactif, soit « stochastiques » : des distributions de valeurs des paramètres sont alors
en entrée du calcul, ce qui permet d’évaluer des écarts-type et de faire une analyse
de sensibilité aux différents paramètres.
Enfin des « modèles de biosphère » sont utilisés pour décrire le transport (dilution
ou concentration) de la radioactivité à travers l’environnement jusqu’à l’homme et
l’impact sur le corps humain. On obtient ainsi une évaluation des doses reçues par les

200 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


Puits (exutoire pour
un scénario altéré) Rivière (exutoire pour le
scénario de référence)

Niveau de la nappe
Migration horizontale dans
l’aquifère (perméable)

Migration verticale dans l’aquitard Roche-hôte


Terme-source (faible perméabilité) ≥ 100 m

Stockage

≈ 10 km

Figure 14.5. Migration des radionucléides issus d’un stockage.

populations locales en fonction du temps (Fig. 14.6). Les doses ainsi obtenues sont
extrêmement sensibles aux hypothèses qui sont faites, pour des temps très éloignés
du nôtre, sur les densités de population, les habitudes alimentaires, l’utilisation de
l’eau dans l’agriculture et l’élevage.
Il faut noter que l’évaluation de l’impact de la radioactivité sur le vivant a été
établie à partir de situations pour des cas d’exposition brutale et événementielle à la
radioactivité (Hiroshima. . . ). Elles sont donc mal adaptées pour estimer l’effet d’une
source permanente d’exposition à de très faibles doses intégrée tout au long de la vie
sur de nombreuses générations. Seule la comparaison à l’exposition à la radioactivité
naturelle fournit aujourd’hui un repère fiable.
On doit donc s’attendre à de grandes incertitudes dans ces calculs qui associent
sur l’ensemble de la chaîne : la lixiviation du verre, la percolation dans le « champ
proche » (le site et ses barrières ouvragées), la percolation de « champ lointain » (la
roche hôte), la contamination de l’homme par la chaîne alimentaire, et ses effets sur
la santé. Cependant, là aussi, des analogues naturels ont aidé au calage de certains
modèles.
Une conclusion, peut-être optimiste, à une telle étude est présentée dans le
rapport Pagis [5] programme-cadre européen, où ont été étudiés trois stockages
(dans l’hypothèse d’une quantité de déchets enfouis aussi importante qu’une à dix
fois la production annuelle mondiale) dans l’argile, le sel et le granite, et qui conclut

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 201


Figure 14.6. Impact dosimétrique d’un stockage de déchets nucléaires vitrifiés, en fonction du temps et
suivant la roche-hôte (1 = argile, 2 = granite, 3 = sel) (scénario d’évolution normale) [5].

que la dose de radiation au sol est nulle pendant au moins 20 000 ans après la
fermeture du stockage et qu’il faut attendre de l’ordre du million d’années pour
que cette dose atteigne 10 μSv/an, soit une fraction très faible de la radioactivité
naturelle (Fig. 14.6).

6.1 Les scénarios perturbés

Dans l’évaluation des risques liés à des événements improbables, l’analyse de risque
est de type pessimiste (worst case analysis) (Fig. 14.7).

202 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


Sel
ionisé

} argile
Sel

Figure 14.7. Impact dosimétrique d’un stockage de déchets nucléaires vitrifiés pour des scénarios
d’évolution anormale du stockage :
– une faille rejoue dans l’argile (croix à comparer au trait gras qui donne l’évolution normale) : l’impact n’est
pas augmenté, mais apparaît plus tôt ;
– même effet dans le sel, en plus accentué (traits et points à comparer avec le trait fin continu de droite pour
une évolution normale) ;
– dans le sel toujours, une inondation précoce du site (tirets) ou une intrusion humaine peuvent faire
apparaître la radiotoxicité dès 10 000 à 20 000 ans, mais celle-ci reste cependant inférieure à la radioactivité
naturelle (d’après la référence [5]).

6.2 Le risque anthropique

Il peut prendre quatre formes : volonté de nuire (terrorisme), tentative de récupéra-


tion des matériaux stockés, accès accidentel lié à la présence de ressources naturelles
exploitables (cas du sel par exemple), accès purement accidentel (forage phréatique).
On cherche à empêcher que ce type d’accident ait des répercussions (supérieures aux
irradiations naturelles) en dehors des personnes accédant au stockage. Dans le cas
de la malveillance, il est difficile de trouver des parades sûres ; néanmoins, il semble

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 203


plus aisé pour des terroristes de se procurer en surface du plutonium plutôt que
d’avoir à aller en chercher des mélanges vitrifiés à grande profondeur, où il n’existe-
rait qu’en quantités insignifiantes en compagnie d’un peu d’actinides mineurs.

6.3 Les risques géologiques et climatiques

Ces risques comprennent principalement l’impact de météorites, les éruptions volca-


niques, l’apparition d’une faille majeure, une sismicité intense et anormale, l’érosion
par des glaciers, un changement majeur des flux hydriques profonds en raison de
l’évolution climatique. Les deux premiers sont hautement peu probables ; en outre,
leur nuisance directe serait plus élevée que celle due au relâchement accru des radio-
nucléides (comme d’ailleurs le serait l’effet d’un bombardement nucléaire à l’aplomb
d’un stockage). Les modifications climatiques d’origine anthropique font actuelle-
ment l’objet de nombreuses études internationales, et s’il n’y a pas de consensus sur
la rapidité de l’échauffement, tous les modèles tendent à prévoir un accroissement
de température et donc une fonte des glaces. A contrario, le retour d’une période gla-
ciaire, comme il y en a eu par le passé (en raison des modifications d’ensoleillement
dues à la mécanique céleste et/ou à la variabilité solaire), pourrait entraîner une éro-
sion glaciaire très importante dans les zones montagneuses aujourd’hui tempérées.
La profondeur du stockage doit être suffisante pour éliminer ce risque.

6.4 Le risque de criticité in situ

Une étude assez poussée mais très irréaliste par son pessimisme excessif (fissuration
à cœur des verres, reconcentration optimisée, etc.) a montré qu’un scénario d’accu-
mulation de matière fissile par gravité dans un site de stockage pouvait conduire à
des accidents de criticité∗ d’amplitude croissante jusqu’à une véritable explosion [6].
Un choix pas trop absurde des topologies de stockage doit permettre d’éviter totale-
ment ce risque.

7 Perspectives pour le stockage des déchets nucléaires


La décision du niveau de retraitement (sépare-t-on, pour les transmuter, les actinides
à longue période des produits de fission ?) influe sur le volume à stocker et sur la
durée de retour à une radiotoxicité acceptable (c’est-à-dire de l’ordre de celle d’un
minerai uranifère). Le maintien pendant plusieurs siècles d’une industrie basée sur
la fission impose de minimiser le volume de déchets ultimes, car le stockage profond
restera probablement une ressource rare.
La notion de garantie absolue de sûreté n’existe pas. On peut cependant se
convaincre d’une très faible probabilité de nuisances d’un stockage géologique de

204 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


déchets nucléaires. Puis, on sera amené à prendre des décisions influant sur l’en-
vironnement de nombreuses générations à venir. Il est difficile de choisir les poids
relatifs des différents critères en jeu, car ceux-ci sont de nature différente : éthique,
techniques, économiques. Les rôles respectifs des technodécideurs, des politiques et
du public doivent être soigneusement pesés [7].
Grâce à l’efficacité et à la redondance des barrières qui le composent, le stockage
profond est un concept robuste. L’impact d’un stockage profond évoluant normale-
ment devrait rester à la fois minime, à des ordres de grandeur en dessous des limites
réglementaires, local et différé. Les scénarios altérés, qui peuvent avoir un impact
plus lourd et sont par nature imprévisibles (surtout ceux qui sont associés à une
intrusion humaine), sont toutefois susceptibles d’entamer les marges de sécurité pré-
vues, sans pour autant en franchir les limites.
La sûreté d’un stockage profond ou d’un entreposage n’est pas démontrable au
sens strict du terme. L’expérience directe qui permettrait de se convaincre est inacces-
sible. Aussi les concepteurs de ces installations doivent-ils se contenter d’un objectif
plus modeste : montrer qu’ils ont compris et maîtrisé les principaux phénomènes
en jeu au moyen d’expérimentations partielles, validant les principaux morceaux de
modélisation impliqués dans l’évaluation de sûreté, et analysant le poids des incerti-
tudes inéluctables.
Toutes les études nationales et internationales indiquent qu’avec des traitements
adaptés, l’impact environnemental des stockages profonds restera négligeable, y
compris à long terme. Pour convaincre, il s’agira de construire la confiance par un
faisceau concordant d’indications montrant que tous les avatars susceptibles d’affec-
ter le stockage ont bien été envisagés et que ce dernier est d’une conception robuste
et maîtrisée.
Cette confiance, déjà acquise chez la plupart des spécialistes et experts du do-
maine, ne l’est toujours pas au sein du public [8]. Et tant que le public doutera, les
politiques resteront réticents à prendre des décisions impopulaires. L’exemple de la
Finlande et de la Suède, qui ont su décider démocratiquement la construction de
stockages profonds, montre qu’il est possible de surmonter cet obstacle majeur.

Bibliographie
[1] D. Savage (ed.), The Scientific and Regulatory Basis for the Geological Disposal
of Radioactive Waste, John Wiley and Sons, 1995.
[2] ANDRA, Dossier « Argile 2005 ».
[3] P. Frugier et al., « SON68 Nuclear Glass Dissolution Kinetics: Current State of
Knowledge and Basis of the New GRAAL Model », Journal of Nuclear Materials,
2008.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 205


[4] M. Jorda (CEA) et al., « Engineering solution for the backfilling and sealing of
radioactive waste repositories », Comptes rendus de la 3e conférence interna-
tionale Radioactive waste management and disposal, Luxembourg, sept. 1990,
ed. L. Cecille, Éditions de la Commission de la Communauté européenne. Aux
travaux européens résumés dans cette référence, il faut en ajouter d’autres
comme ceux du Hard Rock Laboratory sous l’île d’Äspö en Suède et ceux des
États-Unis à Carlsbad (Laboratoire WIPP).
[5] Rapport Pagis pour la Commission de la Communauté européenne, EUR
1175EN (sommaire), EUR 1176-EN (argile), EUR 1177-FR (granite), EUR
1178-EN (sel) EUR 1179-EN (sédiments sous-marins), 1988.
[6] C.D. Bowman, F. Veneri, « Los Alamos Report », LA-UR-94-4022A, 1994.
[7] J.-C. Petit, Thèse, Mines de Paris, 1993.
[8] Ph. d’Iribarne, « Les Français et les déchets nucléaires », ministère de l’Industrie,
avril 2005.

206 Chapitre 14. Le stockage géologique des déchets nucléaires


Cinquième partie

Le nucléaire dans le panorama des énergies


15 Le nucléaire dans le panorama
énergétique

Henri SAFA

Les choix énergétiques d’une société ne sont pas dictés simplement par des consi-
dérations économiques, mais comportent aussi des éléments stratégiques et poli-
tiques, et ceux-ci sont particulièrement prégnants pour le nucléaire. À cause du ca-
ractère centralisé de cette énergie, à cause aussi de l’ampleur des investissements
initiaux, et du cadre législatif nécessaire pour assurer la sûreté et la radioprotection,
le nucléaire est d’abord une affaire d’État.
L’énergie nucléaire est aujourd’hui principalement exploitée pour la production
d’électricité. Dans le monde, le nucléaire entre en compétition économique avec le
gaz et le charbon pour la production dite en base. Généralement, dans chaque pays,
le choix effectué dépend de l’accessibilité aux matières premières.
D’autre part, grâce à sa facilité de transport et sa souplesse d’utilisation, le vec-
teur électricité a tendance à progressivement se substituer aux autres formes d’éner-
gie dans tous les domaines. Ainsi, la production électrique en France a été multipliée
par 3 depuis le premier choc pétrolier, passant de 173 TWh en 1973 (à l’époque
générée par des centrales thermiques et hydrauliques) à 565 TWh aujourd’hui (dont
428 TWh de nucléaire). Sa part dans l’énergie primaire a plus que doublé. Reste que
les besoins de transport sont toujours largement dominés par l’utilisation de pétrole
et ceux de chauffage par le gaz. Depuis une décennie, la question environnementale
posée par le réchauffement climatique a entraîné un regain d’intérêt pour les éner-
gies décarbonées. Bien entendu, ce sont les énergies renouvelables qui en ont le plus
profité grâce aux politiques accommodantes des pays riches qui ont mis en place
des tarifs de rachat très attractifs. Mais celles-ci restent limitées en production car
elles sont diffuses, intermittentes et chères. Comme le nucléaire n’émet pas de gaz à
effet de serre, il a naturellement engendré de l’espoir, surtout dans les pays à forte
croissance économique qui montrent un féroce appétit énergétique. Pour ces raisons,
nous assisterons probablement au cours du XXIe siècle à un déploiement accru du
nucléaire, au moins dans le pays en développement, quand bien même des accidents
comme celui de Fukushima au Japon pourraient temporairement freiner son expan-
sion dans les pays développés.
Dès la fin des années 1960, la France a fait le choix du nucléaire pour garantir sa
fourniture propre d’électricité et assurer son indépendance énergétique. Aujourd’hui,
les 58 réacteurs à eau pressurisée fournissent 76 % de la totalité de la production
électrique (Fig. 15.1) Cette part importante du nucléaire dans le mix énergétique a
deux conséquences. D’une part, une grande souplesse est requise dans le fonction-
nement, le pilotage des réacteurs devant s’adapter aux variations des appels sur le
réseau. De l’autre, la France peut se targuer d’afficher de très faibles émissions de
gaz à effet de serre pour la production d’électricité étant donné que près de 90 % de
sa production est décarbonée (nucléaire, hydraulique et EnR). Cette particularité fait
de la France une référence mondiale en termes d’électronucléaire (tableau 15.1).

Production d'énergie électrique en France (2010)

Thermique fossile
Nucléaire
75.9 % Hydraulique
10.7 % 10.8 %
Autres
Eolien
0.8 % Photovoltaïque
1.7 %
Total = 565 TWh
0.1 %

Figure 15.1. Répartition de la production électrique en France selon le type de combustible. L’énergie
nucléaire représente plus des 3/4 de la production, l’hydraulique et le thermique classique (gaz, charbon et
fioul) environ 10 % chacun. De l’ensemble des nouvelles énergies renouvelables, seul l’éolien assure une
production non négligeable, contribuant pour un peu moins de 2 %.

210 Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique


Nombre Capacité Part du
Pays de nucléaire nucléaire
réacteurs (GWe) (%)

France 58 63,1 76
Slovaquie 4 1,8 52
Belgique 7 5,9 51
Ukraine 15 13,1 48
Hongrie 4 1,9 42
Suède 10 9,3 38
Suisse 5 3,3 38
République Tchèque 6 3,7 33
Corée du Sud 21 18,7 32
Japon 50 44,1 29
Finlande 4 2,7 28
Allemagne 17 20,5 27
Espagne 8 7,5 20
États-Unis 104 101,2 20
Taïwan 6 5,0 19
Russie 32 22,7 17
Grande-Bretagne 19 10,1 16
Canada 18 12,6 15
Inde 20 4,4 3
Chine 14 11,1 2
Monde 439 374 13

Tableau 15.1. Part de l’électricité d’origine nucléaire dans quelques pays. La France est le pays qui possède
le pourcentage le plus élevé. L’énergie nucléaire a fourni 13 % de l’électricité mondiale en 2010.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 211


1 L’énergie dans le monde
L’énergie et l’eau sont deux besoins de base de l’être humain. Tout développement
s’accompagne systématiquement d’un besoin énergétique pour satisfaire d’abord des
besoins vitaux comme la nourriture ou le chauffage. Le développement économique
moderne a généré de nouveaux besoins en énergie surtout dans le secteur industriel
et celui du transport des biens et des personnes. Il ne peut y avoir développement
sans consommation énergétique si bien que la consommation mondiale ne cesse
de croître d’autant plus que la population mondiale augmente. Même si l’efficacité
énergétique des produits s’améliore (on dépense moins d’énergie pour une produc-
tion donnée), il faudra s’attendre à une poursuite de cette croissance dans les années
qui viennent. Aujourd’hui, la consommation annuelle moyenne dans le monde est de
2 tep 1 par terrien, avec de grandes disparités selon le niveau de vie (Fig. 15.2).

1.0 Espagne France


Norvège
U SA
Hong Kong
Canada
0.9 Uruguay Singapour

0.8 Arabie Saoudite


Russie
Indice IDH

0.7 Turkménistan

Afrique du Sud
0.6

0.5 Zimbabwe
Nigéria

0.4
Mozambique

0.3
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Energie par habitant (tep/an)

Figure 15.2. Indice de Développement Humain (IDH) pour chaque pays en fonction de l’énergie dépensée
par habitant (source : PNUD/ONU). Le développement va de pair avec la consommation énergétique, au
moins pour les pays en développement. Pour les pays développés, il n’y a plus de corrélation.

La production d’énergie primaire est basée à plus de 80 % sur l’utilisation des


énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz à parts à peu près égales (Fig. 15.3). Mal-
heureusement, cette dépendance vis-à-vis des énergies fossiles risque de perdurer
dans les décennies qui viennent. Même si la technologie des batteries commence à
1
L’unité d’énergie utilisée est la tonne d’équivalent pétrole (tep). 1 tep = 11,67 MWh = 42 GJ.

212 Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique


Production d'énergie dans le monde (2010)
Pétrole

Gaz

26.9 % Charbon
21.6 %
4.7 %
Nucléaire
30.5 % 9.3 %
5.9 % Hydraulique

Bois et déchets
1.2 %
Total = 13.3 Gtep Renouvelables

Figure 15.3. La production mondiale d’énergie primaire est en grande majorité à base d’énergies fossiles,
rejetant de grandes quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère.

autoriser des applications de puissance, la pénétration du véhicule électrique sur le


marché automobile sera relativement lente 2 . Quant au chauffage et à la climatisa-
tion des bâtiments, il faudra également attendre au minimum une génération avant
de voir progressivement remplacer les vieilles chaudières au fioul ou au gaz par
des solutions moins émettrices de CO2 (pompe à chaleur, solaire thermique, puits
canadien, etc.). L’hydraulique, quasiment exploitée au maximum des capacités des
grands fleuves, ne contribue qu’à hauteur de 6 %. Les renouvelables (éolien, solaire,
géothermie, énergies marines. . . ) ne procurent qu’à peine plus de 1 % du total de
l’énergie produite dans le monde. Ces énergies, dispersées et intermittentes, restent
encore chères, trois raisons pour lesquelles elles conserveront probablement une
contribution marginale pendant des décennies, malgré un déploiement fortement
subventionné dans les pays développés. Quant au nucléaire, son expansion a été frei-
née par les accidents majeurs (Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima). Il garde
cependant un potentiel de développement industriel à grande échelle et pourrait de
ce fait aider à limiter les émissions globales de gaz carbonique.
La conséquence logique de l’augmentation de la consommation d’énergies fos-
siles est l’accroissement des rejets de gaz à effet de serre. Les océans et la végétation
ne pouvant en absorber plus de 4 Gt d’équivalent carbone par an, une accumulation
de CO2 se produit dans l’atmosphère terrestre. Dès 1990, les climatologues ont tiré
la sonnette d’alarme : si rien n’est fait, la concentration en gaz carbonique dans l’at-
mosphère dépassera les 650 ppmv 3 à la fin du siècle. Du jamais vu depuis plus d’un
2
Ceci pour deux raisons principales : l’autonomie réduite et le coût encore élevé des batteries.
3
ppmv = partie par million en volume. La concentration qui était de 285 ppmv avant l’ère industrielle
atteint aujourd’hui plus de 390 ppmv.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 213


million d’années. En 2010, le rejet a même atteint un record historique de 9 Gt éq.C.
Bien qu’il soit difficile d’évaluer précisément toutes les conséquences de ce réchauffe-
ment, il convient d’en limiter l’ampleur. L’AIE 4 travaille sur un scénario de limitation
à 450 ppmv, mais il y a de fortes chances que celui-ci soit d’ores et déjà caduc. Pour
atteindre cet objectif, il faudrait presque arrêter tout rejet supplémentaire en l’es-
pace de vingt ans. Or, nous sommes bien loin d’en prendre le chemin (Fig. 15.4). En
tout état de cause, toute énergie non émettrice de gaz à effet de serre devra être
privilégiée au détriment des énergies fossiles. L’énergie nucléaire en fait partie.

25

Scénario A
20

Nous sommes ici


Scénario B
Energie primaire

15
(en Gtep)

Scénario C
10

A: Business as usual
5 B: Moyen ou Modéré
C: Ecologique
Réel
0
1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050

Figure 15.4. Projections de la consommation énergétique mondiale vue par l’IIASA et le WEC5 en 1998
selon trois scénarios (A = on ne fait rien, B = on limite la consommation pour réduire les émissions de gaz
carbonique, C = on met en œuvre tout ce qui est économiquement possible). On s’aperçoit que la
consommation actuelle (en 2010) est en train de dépasser le niveau escompté pour le scénario A, jugé
pourtant le plus pessimiste.

2 Les réacteurs nucléaires

Aujourd’hui, 439 réacteurs nucléaires sont en exploitation industrielle répartis dans


une trentaine de pays (Fig. 15.5). Ils fournissent chaque année plus de 2 750 TWh
soit 13 % de l’électricité mondiale. Le renchérissement du prix des énergies fossiles
et l’impact du changement climatique ont poussé plusieurs pays à reconsidérer le
nucléaire comme une source d’énergie attractive. On dénombre ainsi 60 nouveaux
4
Agence internationale de l’énergie.
5
International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) et World Energy Council (WEC).

214 Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique


Allemagne
Suède
Belgique
Finlande
18 Canada 10 4 32 Russie
Royaume-Uni 18
Pays Bas Lituanie
Tchéquie 15 Ukraine
France 58 7 9 Slovaquie
5 4 Hongrie
Roumanie
Corée du Sud
104 Suisse Slovénie
Espagne 8 Bulgarie Arménie 21
Etats-Unis
Chine 48
14
Pakistan 2 Japon
Mexique 2
18
Inde

2 Brésil

2
Afrique du Sud
2
Argentine

Total = 439 unités

Figure 15.5. Une douzaine de pays concentrent l’essentiel des 439 réacteurs. Les plus importants sont les
États-Unis, suivis de la France et du Japon. L’Inde et la Chine montent en puissance.

réacteurs en construction (26 en Chine, 10 en Russie, 9 en Inde et 4 en Europe dont


un en France, l’EPR à Flamanville), 158 en projet et plus de 300 en prévision dans
les cartons. Le développement massif du nucléaire à l’échelle mondiale se heurte à
deux difficultés majeures. La première est économique, liée à la levée d’un capital
de départ assez lourd et à un retour sur investissements relativement long, dans
un contexte d’incertitude sur les politiques énergétiques nationales, qui exposent les
éventuels investisseurs à risquer de l’argent dans ce secteur. La seconde est politique
avec le risque de détournement de matières fissiles pour une utilisation à des fins
militaires.
La grande majorité des réacteurs sont des réacteurs à eau (Fig. 15.6). La filière
REP (réacteurs à eau pressurisée) est la version la plus courante. En France, l’élec-
tricien EDF a fait le choix exclusif de ce type de réacteur. Les REB (réacteurs à eau
bouillante) forment une autre famille de réacteurs à eau légère, construits princi-
palement aux États-Unis et au Japon et représentent 20 % du parc mondial. Les
réacteurs à eau lourde (HWR 6 ) ayant la capacité de fonctionner à l’uranium naturel
ont permis au Canada et à l’Inde de développer l’énergie atomique sans avoir recours
à la technologie de l’enrichissement. Cette filière compte 45 réacteurs – soit 10 % du
parc – en opération. Les autres filières comme les graphite-gaz (Angleterre) ou les
graphite-eau (Russie) seront progressivement appelées à disparaître. La filière ura-
nium naturel-graphite-gaz (UNGG) un temps développée en France s’est rapidement

6
HWR = Heavy Water Reactor.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 215


4% 3 %1 % REP
10 % REB
HWR
20 % 62 %
GG
RBMK
RNR
Total = 439

Figure 15.6. Répartition des filières existantes de réacteurs nucléaires. 62 % des réacteurs en
fonctionnement et 78 % de ceux en construction sont des réacteurs à eau pressurisée.

effacée au profit des REP dès lors que la maîtrise de l’enrichissement fut acquise.
Les huit réacteurs de puissance UNGG sont aujourd’hui en phase de démantèlement.
La filière graphite-eau (RBMK) compte encore 11 réacteurs en fonctionnement en
Russie, mais l’accident de Tchernobyl a mis en exergue une faiblesse intrinsèque et
signé son extinction future. Quant à la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR),
elle ne pourra être économiquement compétitive que si le prix de la matière première
uranium se maintenait à un niveau significativement élevé.

Bibliographie
[1] Ch. Ngô, L’énergie, ressouces, technologies et environnement, Dunod, 2002.
[2] H. Nifenecker, Le nucléaire : un choix raisonnable ?, EDP Sciences, 2011.
[3] F. Sorin, Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre, Grancher, 2009.
[4] B. Barré, P.R. Bauquis, Comprendre l’avenir ; l’énergie nucléaire, HIRLE, 2007.

216 Chapitre 15. Le nucléaire dans le panorama énergétique


16 L’économie du nucléaire

Henri SAFA

L’électricité est un produit de base indispensable de nos jours qui requiert une
analyse de long terme non seulement technico-économique, mais également poli-
tique et stratégique. C’est pourquoi les décisions en la matière se prennent souvent
au plus haut niveau des états. Le choix par un industriel d’une unité de production
dépend beaucoup des conditions économiques du moment et des hypothèses prises
pour son analyse, notamment de la valeur du taux d’actualisation et des projections
futures, hypothèses qui se révèlent le plus souvent imprécises. Cela est d’autant plus
vrai pour le nucléaire qui réclame un investissement conséquent et une vision à
très long terme, deux caractéristiques inacceptables pour des entreprises de taille
moyenne. Nonobstant, le coût du kWh produit par une centrale nucléaire peut tout
à fait se comparer à celui issu d’une centrale au charbon ou à gaz, les deux autres
principaux moyens de production en base. Mis à part l’hydraulique, qui est égale-
ment utilisée pour la gestion des variations de charge, tous les autres moyens se
révèlent être nettement moins compétitifs.
Le coût du kWh nucléaire peut se décomposer en quatre parties (Fig. 16.1) :
– l’investissement qui comprend les coûts de construction plus les frais de maî-
trise d’œuvre et les intérêts intercalaires, les frais de pré-exploitation et de
mise en service, les frais d’aléas et les provisions pour déconstruction et dé-
mantèlement du réacteur. Il est important de souligner que les coûts de dé-
mantèlement, même s’ils sont encore incertains, sont ainsi provisionnés dès le
démarrage du projet ;
10 %
16 % Investissements
Fonctionnement
Combustible
R&D et Taxes
17 %
57 %

Figure 16.1. Répartition du coût du MWh nucléaire. Le coût d’investissement représente environ 60 % du
coût global.

– le fonctionnement inclut l’exploitation des réacteurs nucléaires et leur mainte-


nance ;
– le coût du combustible qui, outre l’approvisionnement de la matière première,
englobe à la fois l’amont (étapes menant à la fabrication du combustible)
et l’aval du cycle (le traitement-recyclage et les déchets). Là encore, il faut
insister sur le fait que les coûts de l’ensemble des centres d’entreposage et
de stockage, y compris ceux du futur stockage des déchets de haute activité,
sont entièrement inclus sous forme de provisions payées par le consommateur,
puisqu’elles sont intégrées dans le prix du kWh ;
– la dépense de R&D et les taxes qui viennent se rajouter au coût global.
À noter que les parts prélevées sur le prix du MWh nucléaire relevant de dépenses
futures alimentent des fonds dédiés qui sont gérés séparément. EDF provisionne
ainsi un fonds pour le démantèlement des centrales et un autre pour l’aval du cycle
électronucléaire 1 .
La répartition du coût du kWh nucléaire peut être illustrée à travers une étude
réalisée par la DGEMP 2 en 2003.
L’investissement représente la part la plus importante du coût (∼60 %). Contrai-
rement aux énergies fossiles pour lesquelles c’est généralement le prix du combus-
tible qui constitue la part prépondérante, la structure très capitalistique du nucléaire
rend son coût actualisé assez dépendant des conditions économiques. Si l’on consi-
dère par exemple la construction d’un nouveau réacteur comme l’EPR (6 G€), la part
que représentera l’investissement dans le coût du MWh généré par ce réacteur va être
éminemment sensible au taux d’actualisation (tableau 16.1). Le taux effectivement

1
Au 30 juin 2011, le fonds pour la déconstruction et derniers cœurs était déjà alimenté à hauteur de
19,6 G€ et celui pour l’aval du cycle à hauteur de 17 G€.
2
Rapport DGEMP (Direction générale de l’énergie et des matières premières) / DIDEME (Direction de
la demande et des marchés énergétiques) « Coûts de référence de la production électrique », décembre
2003.

218 Chapitre 16. L’économie du nucléaire


Taux
5 8 11
d’actualisation %

Investissement
33 55 84
( C/MWh)

Tableau 16.1. Variation du coût d’investissement du MWh d’un EPR selon le taux d’actualisation.

choisi par l’industriel sera déterminant pour garantir ou non sa compétitivité écono-
mique face au gaz ou au charbon.
Afin de mieux préciser les chiffres, rappelons que le coût du MWh nucléaire en
France a été évalué en 2003 par l’étude ministérielle précitée à 28,4 €2001 . Plus
récemment, le parc actuel a fait l’objet d’une expertise économique par la CRE 3
qui a estimé son prix de revient aux alentours de 40 €, valeur retenue par les
pouvoirs publics pour fixer le prix de cession du kWh par EDF aux fournisseurs
alternatifs 4 . Ce coût est précisément dans la fourchette fournie en 2010 par l’AIE
et l’AEN 5 (entre 30 et 80 $/MWh). Ces agences ont conjointement réalisé une
comparaison des coûts de production d’électricité dans le monde à partir d’un large
éventail de technologies 6 . Leur conclusion est qu’avec un taux d’actualisation à 5 %,
le nucléaire (59 $/MWh) est la source d’énergie la plus compétitive, y compris vis-à-
vis du charbon (65 $/MWh) et du gaz (86 $/MWh), mais que cet avantage disparaît
pour un taux d’actualisation de 10 %.
Le nucléaire de 3e génération comme l’EPR affichera probablement un coût plus
élevé pour deux raisons. D’une part, la construction de ce type de réacteur comporte
davantage d’éléments liés à la sûreté qui alourdissent sensiblement les coûts d’inves-
tissements. De l’autre, les marchés financiers réclament aujourd’hui aux entreprises
privées des retours sur investissements à plus court terme, ce qui incite à proposer
des projets avec des taux d’actualisation plus élevés.
Il faut dire aussi que la rentabilité des réacteurs nucléaires dépend beaucoup
de leur durée d’exploitation. Une fois amortis, ils deviennent une véritable « rente
nucléaire », que l’électricien peut être tenté d’exploiter aussi longtemps que possible.
Les réacteurs du parc actuel, initialement prévus pour une durée de 30 à 40 ans, sont
dans cette situation. La plupart d’entre eux font l’objet de demandes d’extension de
3
Commission de régulation de l’électricité.
4
Prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Il devrait passer à 42 €/MWh en
2012. Ce coût intègre cependant le coût des investissements futurs pour la jouvence du parc actuel
d’EDF (extension de la durée de vie) et pour partie des investissements passés non encore amortis.
5
L’agence internationale de l’énergie et l’agence pour l’énergie nucléaire font partie de l’OCDE.
6
Rapport OCDE/AEN sur les « Coûts prévisionnels de production de l’électricité », édition 2010. La
synthèse est disponible gratuitement en ligne http://www.oecd-nea.org/

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 219


la durée de fonctionnement. Les enjeux économiques sont importants : de l’ordre du
milliard d’euros pour une extension de dix ans d’un réacteur de 1 GW. Les Autorités
de sûreté nationales devront veiller à ce que ces centrales restent sûres pendant leur
« troisième âge ». . .
Pour compléter le panorama économique, il convient d’indiquer que le nucléaire
étant quasiment insensible aux fluctuations du prix des matières premières participe
à maintenir une certaine stabilité des prix de l’électricité sur le long terme. Au
demeurant, la prise en compte future de l’impact économique des émissions de
gaz à effet de serre que ce soit sous la forme d’une taxe carbone ou de permis
d’émissions ne ferait que renforcer encore davantage la compétitivité du nucléaire
comparativement au charbon et au gaz.

Bibliographie
[1] E. Bertel, G. Naudet, L’économie de l’énergie nucléaire, collection « Génie Ato-
mique », EDP Sciences, 2004.

220 Chapitre 16. L’économie du nucléaire


Sixième partie

Les options du futur


17 Le nucléaire du futur. Réacteurs
et cycles du combustible

Bernard BONIN

1 De l’origine des espèces (de réacteurs). Filières

« If any species does not become modified and improved in a corresponding


degree with its competitors, it will soon be exterminated. »
Charles Darwin. The origin of species, 1859.
La conception d’un réacteur nucléaire commence par l’agencement dans le
cœur du réacteur de matières fissiles∗ et fertiles∗ constituant le combustible, d’un
caloporteur∗ destiné à évacuer la chaleur produite par les réactions de fission, d’un
modérateur∗ (éventuellement) dont le rôle est de ralentir les neutrons et d’un ab-
sorbant neutronique pour contrôler la réaction en chaîne∗ . Plusieurs options sont
possibles pour chacun de ces éléments, et, même si toutes les combinaisons ne sont
pas viables, de nombreux types de réacteurs sont envisageables.

Matières fissiles et fertiles

Le noyau fissile le plus couramment utilisé dans les réacteurs actuels est 235 U, seul
isotope fissile « naturel ». D’autres noyaux fissiles utilisables sont les isotopes impairs
du plutonium 239 Pu et 241 Pu, produits par irradiation neutronique de l’isotope fertile
238
U. Le mélange dans le cœur d’isotopes fissiles et fertiles permet d’augmenter la
durée de fonctionnement du cœur, puisque la disparition des noyaux fissiles par
fission est compensée partiellement (ou totalement si le réacteur est surgénérateur)
par la formation de nouveaux noyaux fissiles par capture de neutrons sur les noyaux
fertiles.

Caloporteur

De nombreux choix sont possibles pour le fluide caloporteur : eau lourde, eau or-
dinaire, gaz (hélium, CO2 ), métaux liquides. . . Le caloporteur peut circuler directe-
ment du cœur à la turbine ou échanger de la chaleur avec un circuit secondaire. Le
choix du caloporteur a une grande importance dans la technologie du réacteur et les
grandes filières sont souvent classées en fonction de lui.

Modérateur

Un autre choix fondamental est celui de l’énergie moyenne, ou vitesse moyenne, des
neutrons dans le cœur. Le choix entre neutrons rapides et neutrons lents détermine
ainsi deux grandes familles :
– dans les réacteurs à neutrons lents, ou « thermiques », les neutrons sont ralentis
par des chocs successifs sur les noyaux légers d’un matériau modérateur∗ . Les
matériaux modérateurs principalement employés sont l’eau ordinaire, l’eau
lourde (D2 O) et le graphite. Les neutrons lents ayant des grandes probabili-
tés d’interaction avec la matière, ce type de réacteur peut fonctionner avec un
combustible peu enrichi en noyaux fissiles (l’uranium naturel peut même éven-
tuellement suffire), mais seule une petite partie de l’énergie potentielle des
noyaux lourds du combustible est valorisée. Beaucoup de ces noyaux lourds
sont transmutés par capture de neutrons en actinides∗ qu’on retrouvera pré-
sents dans les déchets ;
– dans les réacteurs à neutrons rapides, on ne ralentit pas les neutrons dans
le réacteur, et ceux-ci gardent à peu près l’énergie qu’ils avaient lors de leur
production par fission. Leurs probabilités d’interaction avec la matière sont
faibles, c’est pourquoi les réacteurs à neutrons rapides doivent avoir un flux
de neutrons∗ élevé et contenir beaucoup de matière fissile (Fig. 17.1). En
revanche, dans ce domaine d’énergie de neutrons, les réactions de fission sont
favorisées par rapport aux réactions parasites (captures∗ ) : la matière fissile
est bien mieux utilisée que dans un réacteur à neutrons thermiques. Les RNR
sont des brûleurs potentiels d’actinides, ces derniers étant fissiles aux neutrons
rapides.

224 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


Figure 17.1. La section efficace∗ de fission et de capture de l’uranium 235 en fonction de l’énergie du
neutron met en évidence deux grands domaines : celui des neutrons lents∗ (ou thermiques), où les
probabilités d’interaction du neutron avec les noyaux d’uranium sont grandes, et celui des neutrons rapides∗,
où les sections efficaces sont beaucoup plus petites.

1.1 Les « filières » d’aujourd’hui

Dans les années 1950 et 1960, pratiquement tous les types de réacteurs nucléaires
ont été envisagés, conçus et même construits ! Après ce bouillonnement créateur, la
sélection « naturelle » a assuré la survie d’un nombre réduit de filières (Fig. 17.2).
Les réacteurs à eau ordinaire, avec 86 % du parc en fonctionnement et 79 % des
constructions en cours dans le monde, les réacteurs à eau ordinaire (ou « légère »)
représentent l’espèce dominante dans le monde des réacteurs nucléaires.
Les REP, et leur version soviétique, les VVER, sont les plus nombreux. Ils sont
robustes, fiables et affichent des progrès continus en termes de disponibilité, taux de
combustion, durée de cycle, capacité à suivre les fluctuations du réseau électrique et
dose collective∗ aux opérateurs.
Les réacteurs à eau bouillante (REB), qui représentent environ le tiers de la
puissance installée des REP, ont vu, eux aussi, un développement significatif, mais un
peu entravé par quelques défauts de jeunesse. Aujourd’hui, au Japon, les dernières
commandes ont presque exclusivement porté sur des réacteurs bouillants.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 225


Figure 17.2. Des réacteurs de première à ceux de seconde génération : on voit le gros réacteur UNGG
(arrêté) et les petits REP (en service) qui lui ont succédé sur le site du Bugey.

1.2 Les filières de demain. Les réacteurs à neutrons rapides pour un nucléaire
plus économe des ressources naturelles et plus propre

Même si les réacteurs à eau sont actuellement dominants, plusieurs types de réac-
teurs possédant des avantages spécifiques pourraient un jour les concurrencer.
Le grand atout des réacteurs à neutrons rapides réside dans leur capacité de
fabriquer autant ou plus de matière fissile qu’ils n’en consomment. Les réacteurs à
neutrons rapides surgénérateurs∗ peuvent donc, par recyclages successifs, utiliser la
quasi-totalité de l’énergie contenue dans l’uranium, cent fois plus qu’un réacteur à
eau ordinaire (Fig. 17.3).
À titre de comparaison, un réacteur à eau pressurisée typique (1 GWe) fonc-
tionnant avec un combustible uranium a besoin de 180 t d’uranium naturel par an
et produit 0,25 t de plutonium par an. Un réacteur à neutrons rapides régénéra-
teur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 t de Pu (constamment régéné-
rés), et consommerait seulement environ 1 à 2 tonnes d’uranium naturel par an. Les
RNR pourraient même fonctionner en utilisant l’important stock d’uranium appauvri

226 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


e−

U238 U239 Np239 Pu239


n
23,5 Min 2,3 jours

e−

Figure 17.3. Formation d’un noyau de plutonium 239 (fissile) par capture d’un neutron sur l’uranium 238
(non fissile). La fission d’un noyau produit plusieurs neutrons. Un seul de ces neutrons est nécessaire à
l’entretien de la réaction en chaîne∗ . Les autres neutrons peuvent former d’autres noyaux fissiles par capture
sur l’uranium 238 pour former du plutonium 239. Avec un réacteur ré- ou sur-générateur, on peut produire
autant ou plus de matière fissile qu’on en consomme. La matière fissile joue alors le rôle de catalyseur,
constamment régénéré au fur et à mesure de sa consommation. Avec ce type de réacteur, ce qu’on
consomme véritablement, in fine, c’est la matière fertile 238 U.

actuellement inutilisé par le parc de réacteurs à eau. Les RNR résolvent donc le
problème des ressources.
Dans les réacteurs à spectre thermique, les actinides capturent souvent les neu-
trons sans fissionner, ce qui aboutit à la formation de noyaux de plus en plus lourds,
tous radioactifs, et qu’on retrouve dans les déchets.
Dans les réacteurs à spectre rapide, capture et fission coexistent pour tous les
actinides, ce qui offre la possibilité d’équilibrer leur bilan.
Toujours pour comparer, un REP-UOX typique (1 GWe) produit 16 kg d’actinides
mineurs chaque année. Le recyclage du Pu sous forme de MOX permet de stabiliser
l’inventaire Pu, mais les actinides mineurs ne sont pas brûlés et s’accumulent. Un
RNR régénérateur de même puissance peut consommer les actinides mineurs qu’il
produit (voir le schéma de principe du cycle du combustible RNR, figure 17.4). Avec
ce type de système, le nucléaire peut donc gagner en propreté.

URANIUM
ACTINIDES
PF

REACTEUR(S)

TRAITEMENT

Figure 17.4. Schéma de principe du cycle RNR.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 227


Cependant, il faut rappeler que le recyclage∗ des actinides mineurs en réacteur
n’est qu’une option, avec ses avantages mais aussi ses inconvénients. Le recyclage
des actinides implique la délicate manipulation de matières radioactives pour fabri-
quer et gérer de nouveaux combustibles. En outre, le recyclage se fera sans doute
au prix d’une certaine réduction de performances des réacteurs brûleurs d’actinides.
D’autre part, si on recycle les actinides, l’inventaire circulant dans les réacteurs ne
sera probablement pas négligeable. Il faudra par conséquent mettre en balance la
complexité – et les dangers – de la manipulation des actinides avec les avantages en-
vironnementaux procurés par le recyclage. Dans cette comparaison, il faudra prendre
en compte que les propriétés chimiques des actinides confèrent à ces derniers une
quasi-immobilité dans le milieu souterrain, et qu’ils pourraient de ce fait aller en sto-
ckage géologique avec vraisemblablement d’excellentes conditions de sûreté à long
terme pour l’environnement.
Le principal argument en faveur des RNR reste donc celui de l’économie de
matière fissile ; l’argument de leur « propreté » ne vient qu’en seconde position pour
justifier leur déploiement. Les RNR n’ont donc des chances d’émerger que si – ou
quand – leur qualité spécifique, l’économie de matière fissile, devient un facteur clé
de succès.

2 Le cycle du combustible des systèmes nucléaires


du futur : quelques éléments d’orientation

Comme on vient de le voir (voir chapitre 8 sur les ressources), le nucléaire civil risque
d’être confronté à un problème de ressources en matières fissiles. Un nucléaire du-
rable semble passer par un recyclage récurrent et poussé du plutonium et (optionnel-
lement) des actinides, guidé d’abord par la nécessité de bien utiliser les ressources
fertiles. Certes, des options restent ouvertes quant aux scénarios de recyclage, quant
aux bornes de l’ensemble des éléments à considérer parmi les actinides (selon leur
inventaire, leurs propriétés, leur impact, les difficultés que peut entraîner leur re-
cyclage) ; mais la ligne générale paraît clairement tracée et conduit au schéma de
principe de la figure 17.4.

Remarque : On s’intéresse ici essentiellement à la gestion des matières issues d’une


filière uranium. L’hypothèse du déploiement de filières mettant en jeu le thorium
est également envisageable, et sera abordé au paragraphe suivant, consacré au futur
lointain.

228 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


2.1 Quels procédés de recyclage ?

La réflexion s’articule aujourd’hui essentiellement autour des potentialités de pro-


cédés « chimiques », usuellement répartis entre procédés hydrométallurgiques (voie
« aqueuse ») ou pyrométallurgiques (voie « sèche »).
La voie hydrométallurgique, actuellement mise en œuvre à La Hague avec le
procédé PUREX (Fig. 17.5) a récemment enregistré de grands succès, avec le dé-
veloppement de nouvelles molécules extractantes, qui permettent d’envisager non
seulement une séparation des actinides des produits de fission, mais également une
séparation groupée desdits actinides.

LE SCHEMA « PUREX »

URANIUM

REACTEUR TRAITEMENT PF & AM

Pu

Figure 17.5. Le procédé hydrométallurgique PUREX permet de séparer uranium et plutonium des produits
de fission et des autres actinides. Les premiers peuvent être recyclés comme matières valorisables. Uranium
et plutonium sont gérés séparément.

Un premier axe de progrès réside dans l’aménagement des procédés pour permettre
une gestion groupée des actinides : il s’agit de rechercher le moyen d’extraire de la so-
lution de dissolution les actinides dans leur ensemble pour élaborer ensuite le com-
posé à recycler ; Plusieurs voies ont été récemment ébauchées : un premier concept,
nommé COEX, consiste en une variante du procédé PUREX actuellement mis en
œuvre pour extraire l’uranium et le plutonium du reste des éléments chimiques
contenus dans le combustible usé. Il s’agit ici d’éviter de produire du plutonium
séparé et de réduire par là le risque de prolifération. Le procédé COEX permet une
coprécipitation des deux éléments U et Pu sous forme d’une poudre d’oxyde mixte
UO2 -PuO2, qui pourrait être directement recyclée sous forme de combustible MOX
(Fig. 17.6).
Pour aller plus loin encore dans le recyclage groupé des actinides, le concept
dénommé GANEX a été récemment proposée par le CEA (Fig. 17.7) : on y propose
d’extraire dans une étape préliminaire la majeure partie de l’uranium contenu dans
le combustible usé, puis, dans une seconde étape, de séparer en bloc plutonium et

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 229


LE CONCEPT « COEX »
URANIUM

REACTEUR TRAITEMENT PF & AM

Pu et U
U

Figure 17.6. Le procédé COEX est une évolution du procédé PUREX. Les matières valorisables peuvent
être recyclées mais le plutonium n’est jamais isolé, ce qui réduit les risques de prolifération.

actinides mineurs (neptunium, américium, curium) en mettant en œuvre une version


adaptée du procédé DIAMEX-SANEX mis au point dans le cadre des études menées
sur la gestion des déchets ; un effort d’intégration des opérations de récupération et
de re-fabrication pour cette gestion groupée des actinides à recycler apparaît, dans
le même ordre d’idées, une orientation à retenir. Un des grands défis du procédé
est de séparer les actinides des lanthanides : si les premiers sont éventuellement
recyclables en réacteur rapide, les seconds sont des produits de fission indésirables
qui doivent être séparés malgré des propriétés chimiques très proches.

PROCEDE GANEX
URANIUM

REACTEUR TRAITEMENT PF
(rapide)

Pu, U, A.M. U

Figure 17.7. GANEX : Un procédé hydrométallurgique dans lequel tous les actinides sont séparés et
recyclés ensemble.

La séparation entre actinides mineurs et produits de fission permettrait de n’en-


voyer aux déchets que les produits de fission, aux pertes près du procédé, ce qui
simplifierait la gestion des déchets. La puissance thermique des déchets s’en trou-
verait diminuée (surtout après une période d’entreposage de l’ordre du siècle), ré-
duisant du même coup les dimensions et le coût de l’installation nécessaire pour
leur stockage. La décroissance de la radioactivité des déchets ne contenant plus que
des produits de fission serait également beaucoup plus rapide, ce qui permettrait de

230 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


10000.0
Pu (retrait. à 4 ans)
Am (retrait. à 4 ans)
Cm (retrait. à 4 ans)
1000.0
Puissance résiduelle (W/TWhe)

Produits de fission
Cs
Sr
100.0

10.0

1.0

0.1
10 100 1000 10000 100000
Temps de refroidissement (annnées)

Figure 17.8. Contribution des différents radionucléides à la puissance résiduelle dégagée par un
combustible usé (UOX, 55 GW.j/t). On voit ici que des déchets qui ne contiendraient que les produits de
fission verraient leur puissance thermique décroître rapidement, en quelques centaines d’années.

raccourcir la durée de confinement exigée de l’installation de stockage (Fig. 17.8).


Pour que cette option de séparation entre actinides et PF soit intéressante, encore
faut-il savoir quoi faire des actinides ainsi séparés. Les réacteurs à eau actuels ne
permettent pas d’envisager leur recyclage en totalité mais, comme on le verra plus
loin, les réacteurs à neutrons rapides devraient permettre de les consommer effica-
cement au fur et à mesure de leur production, évitant ainsi leur accumulation.
Les procédés pyrométallurgiques se présentent aujourd’hui comme la principale
alternative aux procédés « aqueux » et font l’objet d’un effort de développement re-
nouvelé au plan international. Le principe générique de tels procédés consiste à
mettre en solution des éléments à séparer dans un bain de sels fondus (chlorures,
fluorures. . . ) à haute température (de l’ordre de plusieurs centaines de degrés Cel-
sius), puis d’opérer la séparation des espèces d’intérêt par des techniques diverses
telles que l’extraction par des métaux fondus, l’électrolyse, la précipitation sélective :
autant de techniques classiques, mais mises en œuvre dans des conditions particu-
lières. L’intérêt que l’on porte à ce type de procédés réside essentiellement dans le
fort potentiel de solubilisation des liquides ioniques (pour dissoudre des composés ré-
fractaires), dans la faible radio-sensibilité des sels inorganiques utilisés (qui permet-
trait d’envisager le traitement « en ligne » de combustibles dès leur déchargement),
dans leur compacité de principe (peu d’étapes successives de transformation pour
aboutir au produit recyclable), ainsi que dans de meilleures aptitudes présumées à

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 231


une cogestion des actinides. La voie pyrométallurgique n’a pas connu de développe-
ment industriel dans le domaine nucléaire et reste encore très prospective. Il faudra
notamment s’assurer que la compacité du « cœur de procédé » n’est pas obérée par
la nécessité d’installations annexes volumineuses.
Les orientations qui se dessinent pour les systèmes nucléaires du futur prêtent
aux opérations de cycle des ambitions plus grandes (notamment quant à l’étendue
des matières à recycler), dans un champ de contraintes vraisemblablement renforcé
(aspects économiques et environnementaux), et portant sur de nouveaux combus-
tibles. L’optimum qu’il s’agit de chercher à atteindre est celui de l’ensemble réacteurs,
combustible et cycle, et les progrès doivent être cohérents et accomplis de pair.
Enfin, il faut prendre en considération le fait que le déploiement de réacteurs à
neutrons rapides ne pourra intervenir que de façon progressive, et que le parc du
e
XXI siècle présentera une large composante de réacteurs à eau, dont les installations
du cycle auront également à gérer les combustibles usés, tant pour produire des
déchets ultimes respectant les spécifications et critères qui prévaudront, que pour
alimenter les réacteurs de nouvelle génération : ce caractère « symbiotique » du parc
constituera également une donnée d’entrée importante lorsqu’il s’agira d’arrêter des
choix.

3 Plusieurs options possibles pour les réacteurs


à neutrons rapides

On a vu plus haut l’intérêt des neutrons rapides. Le choix le plus structurant pour
concevoir un RNR est celui du caloporteur∗ . Plusieurs options de caloporteur sont
envisageables dans ces réacteurs. La contrainte principale est justement d’éviter que
le caloporteur ne ralentisse les neutrons. Pour cela, on peut recourir à un caloporteur
à faible densité (RNR-gaz) pour lequel la probabilité de collision entre un neutron et
un noyau atomique du caloporteur est faible. Les gaz envisageables sont l’hélium et
le CO2 . On peut aussi utiliser un caloporteur à métal liquide. Si les noyaux atomiques
des atomes du caloporteur sont suffisamment lourds, il peut y avoir un grand nombre
de collisions élastiques entre le neutron et le caloporteur sans que ces collisions ne
ralentissent beaucoup le neutron. Les noyaux du caloporteur doivent en outre possé-
der de bonnes propriétés neutroniques, en particulier ne pas capturer les neutrons et
ne pas s’activer sous irradiation. Les métaux candidats doivent aussi avoir un point
de fusion bas, une viscosité faible pour pouvoir être pompés facilement à travers
le cœur et les échangeurs de chaleur. Enfin, ils doivent être suffisamment inertes
chimiquement pour ne pas risquer d’attaquer la cuve ou la tuyauterie du réacteur.
Avec un cahier des charges aussi exigeant, les candidats ne sont pas nombreux :
les principaux sont le sodium (RNR-Na), le plomb (RNR-Pb), et quelques alliages

232 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


eutectiques du plomb, comme par exemple le plomb-bismuth. Un outsider possible
est le caloporteur à sels fondus : les sels en question peuvent être des sels de fluor
ou de chlore.
Aucun de ces caloporteurs n’est parfait : le gaz hélium est coûteux et fuit facile-
ment ; le CO2 se décompose à haute température ; le sodium réagit chimiquement
avec l’air et avec l’eau, ce qui rend le réacteur vulnérable en cas de fuite ; le plomb
est visqueux et corrosif ; les sels fluorures comportent des noyaux assez légers qui
ralentissent un peu les neutrons et les sels chlorures s’activent sous flux neutronique
et corrodent les structures du réacteur.
Aucun de ces problèmes n’est insoluble a priori, mais il faut reconnaître que
l’utilisation de ces caloporteurs dans des RNR ou dans d’autres dispositifs thermiques
est peu développée.

3.1 Les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium

Les seuls RNR sur lesquels on ait un retour d’expérience significatif sont ou étaient
refroidis par du sodium liquide.
La communauté technique a accumulé de l’expérience sur cette filière avec
quelques prototypes dans le monde, et particulièrement en France avec les réacteurs
Rapsodie, Phénix (Fig. 17.9) et Superphénix.
Cette expertise est également valorisée à travers la coopération internationale,
principalement avec le Japon et les États-Unis, au sein du Forum Génération IV, ainsi
qu’avec la Russie. Un des principaux défis de ces développements menés en com-
mun est d’amener les RNR à caloporteur sodium à un bon niveau de compétitivité
économique, en les rendant plus compacts, et donc moins chers à l’investissement.
Un second grand enjeu est celui de la sûreté, avec la maîtrise des risques liés
à l’utilisation du sodium. C’est un excellent caloporteur, très peu corrosif des aciers
inoxydables quand il est pur, mais qui s’enflamme spontanément à l’air et réagit
vivement avec l’eau. Une des évolutions envisageables pour les réacteurs refroidis
au sodium consiste à simplifier les circuits intermédiaires de fluides caloporteurs
et/ou à remplacer l’eau de ces circuits par un autre fluide moins susceptible de
réagir chimiquement avec le sodium. D’autre part, la grande quantité de matière
fissile présente dans le cœur des réacteurs rapides rend les conséquences d’une
fusion de cœur plus redoutables que sur un réacteur à eau. Le cœur fondu pourrait
même continuer à entretenir des réactions de fission en son sein si des dispositifs de
récupération et de dispersion du corium n’étaient pas développés pour parer à cette
éventualité.
Le troisième grand axe de progrès vise à rendre ces réacteurs plus facilement
exploitables qu’ils ne le sont actuellement. Il faut en effet garder le sodium à une
température sensiblement supérieure à son point de fusion et il est pratiquement

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 233


Figure 17.9. La centrale Phénix. Implantée sur le bord du Rhône, faisant partie intégrante du site nucléaire
de Marcoule dans le Gard, Phénix est une centrale prototype de la filière des réacteurs à neutrons rapides à
sodium.

impossible de vidanger totalement le circuit primaire. D’autre part, le sodium n’est


pas transparent à la lumière visible, ce qui rend l’inspection en service et les répara-
tions du RNR sodium nettement plus difficiles que celles des réacteurs à eau.
Le gouvernement français a demandé au CEA de développer un prototype de
réacteur de quatrième génération : ce sera le prototype ASTRID (Advanced So-
dium Test Reactor for Industrial Development), actuellement en cours de conception
(Fig. 17.10).

234 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


Figure 17.10. Concept de RNR sodium avec des boucles intermédiaires compactes et intégrées dans la
cuve du réacteur.

3.2 Les réacteurs à caloporteur gaz (RCG) : un axe de développement prometteur


pour un nucléaire « hautes performances »

Les réacteurs à caloporteur gaz connaissent actuellement un certain intérêt dû à leur


haute température de fonctionnement, qui permet d’envisager un cycle de conver-
sion d’énergie à haut rendement, et des utilisations de l’énergie nucléaire autres que
la production d’électricité.
Ils sont envisageables dans deux versions, l’une à neutrons thermiques, l’autre,
plus prospective, à neutrons rapides. La pertinence de ces deux concepts a été validée
par les pays membres du Forum international Génération IV, qui les ont sélectionnés
parmi ceux jugés les plus porteurs de progrès pour les prochaines décennies.

Les réacteurs à caloporteur gaz à spectre thermique (RHT et RTHT)

Les RHT sont des réacteurs à neutrons thermiques, modérés par une large masse de
graphite et refroidis par circulation d’hélium. Ils emploient un combustible original,
conçu initialement en Angleterre, la « particule enrobée ». Ce combustible consti-
tué de carbone et de céramique permet de constituer des cœurs très réfractaires,
fonctionnant à haute température, ce qui ouvre la possibilité de cycles thermodyna-
miques à haut rendement. La grande liberté offerte au concepteur par le combustible
à particules rend ce type de réacteur apte à s’accommoder d’une large variété de
cycles du combustible.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 235


Plusieurs prototypes de RHT ont été développés aux États-Unis et en Allemagne.
Rendus attractifs par les récents progrès des turbines à gaz, ils sont actuellement
étudiés sous la forme de petits réacteurs modulaires refroidis par un circuit d’hé-
lium directement couplé à une turbine. Dotés d’une grande inertie thermique, les
RHT sont particulièrement sûrs, ce qui pourrait autoriser une simplification de leurs
systèmes de sécurité ; leur excellent rendement thermodynamique devrait permettre
d’amortir rapidement un coût d’investissement encore élevé dû à leur faible puis-
sance volumique.
Le concept de réacteur à haute température à spectre thermique (RHT) diffère
notablement des autres réacteurs à neutrons thermiques refroidis par gaz qui ont
été développés dans le passé : MAGNOX et AGR en Grande-Bretagne, et UNGG en
France.
Par rapport à ces concepts, les RHT se distinguent par plusieurs traits :
– l’utilisation du caloporteur hélium permet l’accès aux hautes températures
(≈850 ◦ C) d’où des rendements thermodynamiques très supérieurs ;
– l’utilisation de turbines à gaz permet d’envisager un cycle direct de conversion
d’énergie (cycle de Brayton), améliorant le rendement et la compacité de
l’installation ;
– la conception de réacteurs modulaire autorise la réalisation standardisée d’uni-
tés de petite taille et de petite puissance, ce qui donne de la souplesse pour
déployer cette filière au plan industriel ;

RHT REB REP RNR

Puissance unitaire type (MWe) 200-1000 1100 1450 1200


Rendement (%) 48 33 33 41
Caloporteur He eau eau Na
Pression (bar) 50-70 70 155 1-4
T entrée (°C) 400 278 290 400
T sortie (°C) 750-950 287 325 550
Modérateur graphite eau eau sans
Puissance volumique (MW/m3 ) 2-7 50 100 250
Taux de combustion (GWj/t) 100-800 30 60 100-200
Tableau 17.1. Les principales caractéristiques des réacteurs à haute température, comparées à celles des
autres filières.

236 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


– l’utilisation d’un combustible finement divisé constitué de particules enrobées
qui lui confère des capacités de taux de combustion∗ plus élevés et une tempé-
rature « à cœur » du combustible à peine supérieure à celle du caloporteur ;
– des possibilités d’utilisation de matières nucléaires variées ;
– une sûreté améliorée par l’absence d’éléments métalliques dans le cœur du
réacteur, ce qui interdit par conception la fusion du cœur et rend le réacteur
beaucoup plus résistant aux excursions de puissance.
Reste à savoir si ce type de réacteur réussira à surmonter ses principaux han-
dicaps : un coût d’investissement relativement élevé, un combustible difficilement
traitable et des déchets de démantèlement.

Le réacteur rapide à caloporteur gaz

Dans une perspective à long terme visant à satisfaire l’exigence de durabilité, le Fo-
rum Génération IV a retenu le réacteur rapide à caloporteur gaz comme un système
particulièrement intéressant. Ce dernier doit parvenir à concilier à la fois les avan-
tages des réacteurs à gaz à haute température avec ceux, connus, des réacteurs à
neutrons rapides (utilisation optimale des ressources, minimisation de la production
de déchets).
Le réacteur proposé s’appuiera sur la technologie hélium développée par ailleurs
pour les projets RHT et RTHT (Fig. 17.11). Ses spécificités sont le combustible et son
cycle, le système et sa sûreté. Le cycle du combustible est en rupture avec l’existant
puisqu’il est proposé de ne pas séparer U et Pu, également de ne pas séparer les
actinides majeurs (U, Pu) des actinides mineurs (Np, Am, Cm).
Il ne faut pas croire que le réacteur rapide à caloporteur gaz sera un simple
mariage entre la technologie RNR et la technologie RHT : du fait de la suppression
obligatoire de tout le graphite, le cœur d’un RCG n’aura aucune parenté avec celui
d’un RHT, notamment en termes d’inertie thermique et de comportement vis-à-vis
de la dépressurisation.

4 De nouveaux critères pour les systèmes nucléaires


du futur

Comme on le voit, les idées ne manquent pas pour faire évoluer l’énergie nucléaire.
Les critères de cette évolution changent. Cette réflexion se traduit par la création de
réseaux de recherche au niveau européen ou même mondial. Un des plus importants
et des plus actifs est le Forum international Génération IV, auquel participent tous les
pays déjà impliqués dans le nucléaire civil.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 237


Neutrons rapides RNR-G
Recyclage intégral
des actinides

RTHT R&D
• Combustible pour
coeur à neutrons
RHT rapides

R&D
R&D • Procédés du cycle
• Matériaux résistants THT • Systèmes de
• Combustible à particules
• Matériaux • Echangeur intermédiaire sûreté

• Technologie des circuits He • Combustible enrobé de ZrC


• Système de calcul • Cycle I-S pour la production
de H2
• Cycle du combustible

Figure 17.11. Les réacteurs à gaz à haute température sont déjà relativement mûrs, et pourraient être
déployés en génération « 3+ ». Ces réacteurs pourraient ensuite évoluer vers d’encore plus hautes
températures (RTHT) et/ou vers un spectre à neutrons rapides (RNR-G).

Les membres du forum ont commencé par se mettre d’accord sur les critères que
devront remplir les systèmes nucléaires du futur (Fig. 17.12). Ils devront être à la
fois :
– durables : c’est-à-dire économes des ressources naturelles et respectueux de
l’environnement (en minimisant la production de déchets en termes de radio-
toxicité à long terme, et en utilisant de façon optimale les ressources naturelles
en combustible) ;
– économiques : aux plans du coût d’investissement par kWe installé, du coût
du combustible, du coût d’exploitation de l’installation et, par voie de consé-
quence, du coût de production du kWh, qui doit être compétitif par rapport à
celui d’autres sources d’énergie ;
– sûrs et fiables : avec une recherche de progrès par rapport aux réacteurs ac-
tuels, et en éliminant autant que possible les besoins d’évacuation de popula-
tion à l’extérieur du site, quelles que soient la cause et la gravité de l’accident
à l’intérieur de la centrale ;

238 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


5 critères fondamentaux

ECONOMIE SURETE

Economiser les
ressources Minimiser la
naturelles production de
Extraire efficacement déchets
l’énergie de la matière Recycler et
fissile transmuter les
actinides mineurs
Réduire les risques
de prolifération
Brûler le plutonium, avec
un cycle du combustible
intégré

Figure 17.12. Les critères retenus pour sélectionner les systèmes nucléaires du futur diffèrent dans leur
libellé et dans leur hiérarchie de ceux retenus pour les réacteurs de première et de deuxième génération. Ici,
tous les critères ont été mis sur la table et débattus dans la plus grande transparence. Ils sont d’inspiration
purement civile et partagés par la communauté internationale. Les critères de rentabilité et d’économie des
ressources (chers aux industriels) restent importants. Plus nouveau, les critères de sûreté, de minimisation
des déchets (chers au public) et de réduction des risques de prolifération (chers aux politiques) sont
explicitement mentionnés.

– résistants vis-à-vis des risques de prolifération∗ et susceptibles d’être aisément


protégés contre des agressions externes.
Après s’être accordés sur les critères de sélection, les membres du forum ont
ensuite jugé selon lesdits critères un grand nombre de systèmes nucléaires (réacteurs
et cycles associés) et sélectionné selon une méthodologie très codifiée ceux qui
paraissent porteurs de technologies particulièrement prometteuses.
Les six concepts retenus comprennent :
– les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (différentes variantes sont
à l’étude) ;
– un réacteur à neutrons rapides refroidi au plomb ;
– un réacteur à eau supercritique ;
– deux réacteurs à caloporteur gaz : l’un à neutrons lents, fonctionnant à très
haute température, l’autre à neutrons rapides ;
– un réacteur à sels fondus.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 239


Sur les six concepts de réacteurs cités plus haut, cinq mettent en œuvre un
cycle du combustible fermé et quatre au moins utilisent des neutrons rapides. La
reconnaissance au niveau international du bien fondé de cette option préconisée
depuis longtemps par la France mérite d’être soulignée.
Entre-temps, l’initiative américaine GNEP (Global Nuclear Energy Partnership) est
venue compléter et prolonger le Forum Génération IV. Elle focalise encore un peu
plus les recherches sur les réacteurs rapides, en proposant quatre projets et une
stratégie ; les projets comprennent un réacteur expérimental sodium pour mener
des études sur le combustible, une usine pilote de traitement du combustible issu
des réacteurs à eau, un laboratoire de R&D consacré au cycle du combustible et un
prototype de réacteur rapide refroidi au sodium.
La stratégie envisagée par les États-Unis pour l’introduction de ces systèmes
nucléaires met en avant de façon prioritaire un nucléaire propre et non proliférant et
présente les réacteurs rapides comme des brûleurs d’actinides. Comme cette stratégie
implique un cycle fermé pour le combustible nucléaire, les États-Unis proposent tout
simplement de diviser le monde en États dotés de la capacité à traiter le combustible
nucléaire, et en États non dotés. Ces derniers ne seraient pas interdits d’énergie
nucléaire, mais achèteraient aux premiers les prestations du cycle du combustible,
comme l’enrichissement de l’uranium ou le retraitement du combustible usé. L’avenir
dira si tous les États de « deuxième catégorie » acceptent ces conditions. . .
En 2006, le gouvernement français a confié au CEA la réalisation d’un prototype
de système nucléaire de quatrième génération. Ce prototype servira à amener à
maturité ce type de réacteur, pour préparer un déploiement industriel qui pourrait
avoir lieu vers 2040.

5 De nouvelles utilisations pour l’énergie nucléaire

Jusqu’à aujourd’hui, l’énergie nucléaire civile a surtout servi à produire de l’électri-


cité. Sans préjudice pour cette dernière, d’autres utilisations de l’énergie nucléaire
sont également envisageables. En effet, le rendement thermodynamique de produc-
tion d’électricité par un réacteur nucléaire est assez mauvais (34 % pour un réacteur
à eau pressurisée), ce qui signifie que les deux tiers de l’énergie produite sont ac-
tuellement perdus. La chaleur à basse température produite en aval des turbines
pourrait être récupérée pour le chauffage urbain. Quelques villes du grand Nord si-
bérien sont déjà chauffées de cette façon, mais ce mode de chauffage urbain n’a pas
été appliqué à grande échelle. Pourtant, le parc nucléaire français suffirait largement
à chauffer la population urbaine de la France entière si l’on disposait des caloducs
permettant d’acheminer l’eau chaude d’un circuit tertiaire dans les villes. Certaines
villes comme Grenoble sont déjà équipées de réseaux d’eau chaude pour le chauffage

240 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


urbain. Les calculs montrent que l’investissement associé serait rentabilisé en une di-
zaine d’années. Sachant que l’essentiel du chauffage urbain repose actuellement sur
les combustibles fossiles, l’opération permettrait de réduire le bilan carbone de la
France d’un facteur très important. Reste à savoir si la société civile accepterait ce
« chauffage central », qui renforce encore la dépendance au nucléaire. . .
La chaleur nucléaire pourrait aussi être utilisée pour le dessalement de l’eau
de mer. Là encore, les études technico-économiques montrent que le dessalement
nucléaire utilisant une technique mixte évaporation-osmose inverse pourrait être
compétitif face au dessalement par d’autres techniques. Sachant que les ressources
en eau posent déjà problème dans de nombreuses régions du monde, cette option
mérite d’être considérée, même si les pays qui ont le plus besoin d’eau sont bien
souvent aussi les moins solvables, faisant d’eux de mauvais clients pour l’industrie
nucléaire. . .
Ces options d’utilisation de l’énergie nucléaire ne sont pas incompatibles, au
contraire : les scénarios de cogénération sont de plus en plus étudiés : on peut
imaginer l’intérêt d’une cogénération électricité-chauffage urbain pour les villes du
Nord et celui d’une cogénération électricité-dessalement pour les villes du Sud.
L’énergie nucléaire permettrait aussi de fournir de l’hydrogène et de la chaleur
industrielle : même si les perspectives d’utiliser directement cette chaleur pour pro-
duire de l’hydrogène via des cycles thermochimiques paraissent désormais peu cré-
dibles, le surplus de la production d’énergie nucléaire pourrait être stocké sous forme
d’hydrogène produit indirectement par électrolyse. Et cet hydrogène et cette chaleur
nucléaire pourraient être valorisés pour l’industrie des hydrocarbures, à la fois pour
l’extraction, le raffinage et la transformation.
Enfin, de nombreuses pistes restent à explorer pour exploiter au mieux l’énergie
nucléaire, dans un contexte où le mix énergétique se diversifie avec l’émergence
des énergies renouvelables. Ces dernières sont par nature intermittentes, d’où la
nécessité d’une source d’énergie complémentaire, continue, permettant de stabiliser
le réseau électrique. Le surplus d’énergie produite pendant les pics de production des
ENR pourrait être stocké par cogénération, par exemple via le vecteur hydrogène.
Comme on le voit ci-dessus, les scénarios d’utilisation de l’énergie nucléaire sont
riches et complexes !

6 Quelles recherches pour les systèmes nucléaires


du futur ?

Le développement des réacteurs du futur demande beaucoup de recherches.


Dans les réacteurs du futur, les matériaux en général et le combustible en par-
ticulier seront soumis à des conditions sévères, du fait des hautes températures

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 241


envisagées dans certains concepts de réacteurs et à cause de l’irradiation par le
haut flux de neutrons rapides envisagés dans d’autres. La corrosion est en général
accélérée à haute température et ce thème représente un sujet de recherche à part
entière. Les dégâts d’irradiation causés dans les matériaux par les neutrons rapides
sont qualitativement différents de ceux causés par des neutrons lents, à cause de la
possibilité qu’ont les premiers de produire des réactions nucléaires du type (n, alpha).
On produit donc non seulement du désordre, mais également de l’hélium au sein du
matériau irradié. Les alliages réfractaires et les céramiques, massives ou composites,
sont de bons candidats pour les applications nucléaires. Ces matériaux ont fait ré-
cemment des progrès spectaculaires et trouvent des applications dans de nombreux
domaines industriels, mais leur adaptation aux besoins du nucléaire demandera du
travail.
Un des verrous importants pour le développement des systèmes nucléaires du
futur est le combustible lui-même, qui devra combiner des caractéristiques de résis-
tance mécanique et thermique sous irradiation, tout en respectant des contraintes
liées à la neutronique qui restreignent sévèrement la géométrie et les matériaux
utilisables. Par exemple, un des plus grands défis dans la réalisation d’un réacteur
rapide à caloporteur gaz sera de concevoir un combustible dense et réfractaire.
Un domaine de recherche particulièrement important est celui de la sûreté : les
réacteurs du futur devront avoir au moins le même niveau de sûreté que les réac-
teurs de troisième génération en cours de construction. Cela implique des études de
neutronique et de thermohydraulique des réacteurs en situation normale et acciden-
telle. Cette démarche passe par un gros effort de développement de modélisation-
simulation. En situation accidentelle, les phénomènes neutroniques et thermohy-
drauliques sont intimement liés, ce qui impose une modélisation couplée.
Cet aspect de la simulation est un thème de recherche à part entière, impliquant
en général de gros calculateurs. Des plateformes de simulation dédiées au combus-
tible, à la neutronique et à la thermohydraulique sont actuellement en cours de
développement.
Les réacteurs du futur mettront en œuvre des caloporteurs différents, métaux
liquides, gaz hélium voire sels fondus. Derrière ces caloporteurs se cache toute
une technologie à développer, à maîtriser et à rendre industrialisable. Il s’agit en
particulier de développer des échangeurs de chaleur, des systèmes de purification
ou de détection de fuite, et toute une instrumentation spécifique à chaque type de
réacteur, pour son pilotage et son contrôle.
Enfin, les concepts « Gen IV » ne sont pas seulement des réacteurs nucléaires :
ils sont conçus pour fonctionner avec un cycle du combustible bien déterminé. Le
traitement-recyclage du combustible dépend beaucoup de la nature du combustible
et de ce que le réacteur peut consommer. C’est pourquoi on ne parle pas de « ré-
acteur » isolé, mais plutôt de « système », pour englober le réacteur et le traitement-

242 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


recyclage de son combustible. En conséquence, la séparation, l’entreposage et la trans-
mutation des matières nucléaires impliquées dans ces cycles resteront de grands
thèmes de recherche.

7 Préparer le remplacement des réacteurs actuels


par des réacteurs de 3e puis de 4e génération, plus efficaces
et plus sûrs

Tous les systèmes nucléaires du futur cités ci-dessus sont séduisants sur le papier,
mais leur déploiement ne sera pas facile, car il faudra assurer la transition entre la
future génération de systèmes nucléaires et la génération actuelle.
Rappelons d’abord brièvement les différentes générations de réacteurs depuis les
années 1950.

7.1 La première génération de réacteurs

Elle a été fortement influencée par les contraintes du cycle du combustible, notam-
ment à l’époque des années 1950-1960, en l’absence de technologie industrielle d’en-
richissement de l’uranium, et d’autre part avec la volonté de certaines nations de se
doter d’un outil de dissuasion nucléaire nécessitant la production de matières fis-
siles. Dans ce contexte, les réacteurs devaient pouvoir fonctionner à l’uranium na-
turel (non enrichi) nécessitant l’utilisation de modérateurs tels que le graphite ou
l’eau lourde. C’est ainsi que la filière dite Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG) a
été développée en France. Trois réacteurs, à vocation de production de plutonium
(G1, G2 et G3) ont été réalisés dans un premier temps, puis six autres à vocation
électrogène (Saint-Laurent, Bugey et Chinon). Le CEA a été très fortement impliqué
dans le développement de cette filière, en tant que bailleur de procédé. Les réacteurs
de type Magnox en Grande-Bretagne appartiennent à la même génération. Ces réac-
teurs présentaient des caractéristiques intéressantes (rendement thermodynamique
élevé, utilisation optimisée de l’uranium dans le cœur du réacteur. . . ), mais aussi des
limitations liées à la technologie de ce type de réacteurs, en vue d’un développement
à plus grande échelle : coût d’investissement important, difficulté d’amélioration de
la sûreté et d’extrapolation à de plus grande puissance, ce qui a pénalisé leurs per-
formances économiques par rapport aux réacteurs à eau légère.
Dans cette première phase se développaient les préoccupations relatives au cycle
du combustible, tant sous l’aspect de l’utilisation rationnelle et durable des res-
sources naturelles (recyclage des matières énergétiques, notamment le plutonium)
que sous celui de la gestion des déchets. Ceci a conduit à développer les procédés
et les installations de l’aval du cycle du combustible : traitement des combustibles

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 243


usés, recyclage du plutonium. La France a ainsi adopté dès le début le cycle du com-
bustible fondé sur le traitement – recyclage, permettant d’une part une meilleure
utilisation des ressources, en recyclant le plutonium dans les réacteurs, et d’autre
part une réduction de la quantité et de la nocivité à long terme des déchets ultimes,
conditionnés de façon à assurer un confinement sûr et durable des radionucléides.
La première usine de retraitement UP1 à Marcoule, pour le retraitement des com-
bustibles UNGG, a été mise en service en 1958, suivie par l’usine UP2 à La Hague
en 1966, elle-même dotée en 1976 d’un nouvel atelier (HAO) pour le traitement des
combustibles des réacteurs à eau pressurisée. Elles sont désormais remplacées par les
deux usines UP3 (1989) et UP2-800 (1994) de La Hague. Les installations de fabri-
cation de combustible MOX ont de même été développées et mises en service : CFCa
Cadarache (1968-2003), Dessel en Belgique (combustibles MOX produits à partir de
1986) et Melox à Marcoule (1995).

7.2 La deuxième génération de réacteurs

La deuxième génération de réacteurs qui est celle correspondant à la majorité du


parc mondial aujourd’hui en exploitation est née dans un contexte de nécessité de
rendre l’énergie nucléaire plus compétitive et dans un contexte de volonté de diminu-
tion du taux de dépendance énergétique de certains pays au moment où des tensions
importantes sur le marché des énergies fossiles se faisaient sentir. La production de
matières fissiles à des fins de défense n’était plus prioritaire, la technologie d’enri-
chissement de l’uranium par diffusion gazeuse était au point et commençait à se
déployer à l’échelle industrielle (usine Eurodif en France). Cette période fut celle du
déploiement des réacteurs à eau, réacteurs à eau pressurisée REP et réacteurs à eau
bouillante REB, qui constituent plus de 85 % du parc électronucléaire mondial actuel
d’environ 436 réacteurs. Le retour d’expérience industriel de ces dernières décennies
a permis de démontrer les performances tant économiques qu’environnementales de
la production d’énergie nucléaire, avec un coût du kWh nucléaire compétitif par rap-
port à celui des énergies fossiles et une réduction continue des rejets à un niveau
très en deçà des limites autorisées. Le fonctionnement cumulé de plus de 10 000
années-réacteur au niveau mondial prouve la maturité industrielle de cette techno-
logie. Il faut aussi mentionner le maintien d’une « niche » pour les réacteurs à eau
lourde CANDU au sein de cette deuxième génération.

7.3 La troisième génération

Elle représente l’état de l’art industriel constructible le plus avancé actuellement. Il


s’agit de réacteurs dits « évolutionnaires » : ils bénéficient du retour d’expérience et
de la maturité industrielle des réacteurs à eau de la deuxième génération, tout en
intégrant les spécifications les plus avancées en matière de sûreté.

244 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


Réacteurs avancés à eau pressurisée
AP 600, AP 1000, APR1400, APWR+, EPR
Réacteurs avancés à eau bouillante
ABWR II, ESBWR, HC-BWR, SWR-1000
Réacteur à eau lourde avancé
ACR-700 ACR-1000 (Advanced CANDU Reactor)
Réacteurs intégrés de petites et moyennes puissances
CAREM, IMR, IRIS, SMART
Réacteurs modulaires, haute température, à gaz
GT-MHR, PBMR

Les réacteurs de troisième génération font l’objet d’une large offre à l’international.
Ces réacteurs se construisent déjà, notamment en Asie, mais aussi en Finlande et
en France.

Encadré 17.1. Le réacteur EPR.


L’EPR (European Pressurized Reactor) est un exemple de réacteur de troisième généra-
tion commercialisé par AREVA. Il est actuellement en construction en Finlande (Olkiluoto,
Fig. 17.13), en France (Flamanville) et en Chine (Taï Shan).

Figure 17.13. Construction de l’EPR (Olkiluoto, Finlande, 2009).

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 245


Les réacteurs à eau pressurisée de troisièmee génération comme l’EPR ne représentent
pas une rupture technologique, mais plutôt une évolution et une optimisation de la techno-
logie REP mise en œuvre avec les réacteurs de deuxième génération. L’EPR se distingue de
ses prédécesseurs par plusieurs aspects (Fig. 17.14).

Enceinte conçue pour


résister à une explosion Dispositif de récupération
hydrogène du coeur fondu (corium)
en cas d‘accident

Système
d‘évacuation de
chaleur

Une sûreté encore


améliorée

4 zones
indépendantes pour
Réservoir
Réserv
r oir d‘eau les systèmes
redondants de sûreté

Figure 17.14. Le réacteur EPR et ses dispositifs de sûreté.

Il est plus sûr grâce à une redondance accrue des systèmes de sauvegarde, une double
enceinte de confinement et un dispositif de récupération du corium. Grâce à ces dispositifs,
la probabilitré d’un accident de fusion de cœur diminue d’un ordre de grandeur et les
conséquences d’un tel accident deviennent moins graves.
Il possède un meilleur rendement thermodynamique (36 %), obtenu grâce à une aug-
mentation de la température de fonctionnement et des améliorations de la technologie des
turbines.
Il utilise mieux le combustible, grâce à un taux de combustion élevé (60 GWj/t avec
un combustible à l’uranium enrichi à 5 %) et grâce à la possibilité d’utiliser 100 % de
combustible MOX dans le cœur du réacteur.
La puissance élevée (1 650 MWe) permet une réduction du prix du kWh par effet
d’échelle.
La durée de vie du réacteur est de 60 ans contre 40 pour les réacteurs de la génération
précédente.
La disponibilité du réacteur est accrue par minimisation de la durée des maintenances.
L’EPR produit moins de rejets et de déchets solides que ses prédécesseurs.
La conception de l’EPR est fondée sur l’expérience cumulée de 1 300 années-réacteurs.

246 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


7.4 Les petits réacteurs modulaires

On assiste depuis quelques années à une floraison de concepts de petits réacteurs


modulaires, conçus pour être construits en série et assemblée en usine, et transportés
sur site par camion, rail ou par barge (Fig. 17.15). Ces petits réacteurs pourraient
peut-être trouver une utilisation sur quelques marchés de niche.

Figure 17.15. Les Russes construisent déjà de petits réacteurs modulaires sur barge. Lancement le 30 juin
2010 à Saint-Pétersbourg de l’Akademik Lomonossov, barge qui portera deux petits réacteurs à eau de
brise-glaces 2∗ 35 MW (constructeur : Rosatom) destinés à fournir de l’électricité et du chauffage urbain à une
ville du grand Nord sibérien.

Des réacteurs nomades de petite puissance ont été développés depuis longtemps
pour la propulsion navale (porte-avions, sous-marins, brise-glaces). Quatre réac-
teurs de 11 MWe chacun fonctionnent depuis 1976 à la centrale de co-génération
de Bilibino (Sibérie). Ces réacteurs graphite-eau bouillante produisent à la fois de
l’électricité et de l’eau chaude pour le chauffage urbain, pour un coût inférieur à
l’alternative « combustibles fossiles ».
Si le cœur est assez petit pour être transporté entier, les opérations de
chargement-déchargement et de maintenance des petits réacteurs modulaires pour-
raient être faites en usine, sans qu’il soit nécessaire d’implanter des infrastructures
locales.

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 247


Sur les petits réacteurs, il est assez facile d’assurer un bon niveau de sûreté :
– un rapport surface/volume de cœur important rend possible l’évacuation pas-
sive de la puissance résiduelle∗ par convection naturelle, ce qui rend superflus
les systèmes de refroidissement de secours ;
– un cœur de petite taille implique beaucoup de fuites de neutrons. Ceci donne
au cœur un coefficient de réactivité∗ négatif en cas de vidange du caloporteur,
propriété importante pour la sûreté ;
– un petit réacteur est plus facile à refroidir qu’un gros. Même en situation
accidentelle, les marges à la fusion du cœur sont plus grandes que sur un
gros réacteur. Du fait de sa petite puissance, la quantité de corium∗ produite
en cas de fusion du cœur serait faible. Il n’y aurait probablement pas besoin
de récupérateur de corium.
Chaque type de réacteur (à eau, à gaz, à métaux liquides, à sels fondus) a sa ou
ses version(s) « taille réduite », plus ou moins modulaire (Fig. 17.16). Cependant,
le concept de petits réacteurs s’applique particulièrement aux réacteurs à neutrons
rapides. Un cœur à neutrons rapides possède un fort taux de régénération de la
matière fissile : les cycles de renouvellement du combustible peuvent être très longs,
d’où des ouvertures du cœur qui peuvent être très espacées, tous les 5 à 10 ans, voire
plus pour certains concepts. Cette caractéristique se marie également bien avec l’idée
de petits réacteurs éloignés.
Un des grands intérêts des petits réacteurs modulaires réside dans la standardi-
sation et l’effet de série. Combien coûterait une voiture construite à l’unité et assem-
blée sur le parking ? Que peut-on gagner avec l’effet de série ? Hélas, les estimations
technico-économiques récentes montrent que l’effet de taille l’emporte sur l’effet de
série. Les petits réacteurs ne remplaceront donc probablement pas les gros pour
produire l’électricité en base d’un pays industrialisé. Mais d’autres utilisations sont
peut-être possibles.
Avec les petits réacteurs modulaires, l’investissement reste prépondérant dans le
coût du kWh, mais les délais de construction sont réduits. Les besoins en capitaux et
les risques financiers sont plus faibles que pour des gros réacteurs, l’investissement
est étalé dans le cas de la construction de plusieurs modules sur le même site. Les
intérêts intercalaires sont réduits et le début de retour sur investissement peut être
relativement rapide.
En cas d’implantation dans un pays où le réseau électrique est peu développé,
la localisation de petits réacteurs près des centres de consommation permettrait de
faire des économies sur l’infrastructure du réseau électrique.
La souplesse d’utilisation des petits réacteurs les rend potentiellement aptes à
occuper des marchés de niche. Dans les pays où le nucléaire est déjà implanté,
on pourrait envisager de mettre plusieurs modules sur le même site, construits
successivement, selon les besoins, avec mutualisation d’infrastructures comme la

248 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


Figure 17.16. Un exemple typique de petit réacteur modulaire : le réacteur mPower de Babcock et Wilcox
(États-Unis). Réacteur à eau pressurisée : puissance 125 MWe. Transport du cœur préfabriqué sur site par
rail. Temps de séjour du combustible en réacteur = 5 ans (renouvellement cœur entier). Conception
simplifiée intégrant le générateur de vapeur dans la cuve. Réacteur enterré. Sûreté passive (le système de
refroidissement de secours n’est pas nécessaire). Durée de construction annoncée : 3 ans.

manutention ou le contrôle-commande. Avec plusieurs modules, on pourrait faire


tourner la maintenance et éviter les effets néfastes sur le réseau de l’arrêt d’une
grosse unité.
Dans les endroits isolés (centres urbains de pays en développement, sites indus-
triels isolés), le déploiement pourrait se faire à raison d’un seul module à la fois. Le
nomadisme potentiel des petits réacteurs contribue également à leur flexibilité. Les
délais de construction réduits pour ce type de réacteur permettent d’envisager de les
déployer rapidement.
Les petits réacteurs modulaires se prêteraient particulièrement bien à la co-
génération pour des besoins urbains. Les deux principaux types de co-génération
envisageables sont :
– électricité-chauffage urbain dans les régions du Nord : un réacteur de
200 MWe peut fournir de l’électricité pour une ville de 100 000 habitants
et aussi chauffer la ville via un réseau d’eau chaude, à raison de 4 kWth par
habitant ;

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 249


– électricité-dessalement d’eau dans les régions du Sud : un réacteur de
200 MWe peut fournir de l’électricité pour une ville de 100 000 habitants
et dessaler l’eau nécessaire à la ville (50 m3 /an et par habitant, 5 kWh/m3 ).
Les petits réacteurs modulaires ouvrent une possibilité de leasing dans des pays
émergents, surtout s’ils sont nomades : la compagnie étrangère apporte le réacteur
tout construit, l’exploite avec son personnel et s’occupe de tout, y compris du cycle
du combustible. Reste à savoir si cette nouvelle forme d’exploitation du nucléaire
est acceptable au plan social. Jusque-là, l’exploitation nucléaire était sous le contrôle
des États. La formule du leasing laisse entière la question du contrôle de sûreté.
Restera-t-il du ressort des autorités locales ? N’y a-t-il pas là un nouvel exemple de
colonialisme industriel ?
Les Américains voient dans les petits réacteurs modulaires la possibilité de reve-
nir sur le marché du nucléaire, en proposant une offre innovante : enrichissement
et retraitement du combustible chez eux, avec limitation des risques de prolifération
et. . . bénéfices financiers !
Les petits réacteurs modulaires pourraient aussi être utilisés pour des applica-
tions industrielles spécifiques. Celles-ci ne diffèrent pas par leur nature des autres
applications du nucléaire citées plus haut, mais la petite taille des réacteurs facilite
ces applications, car elle permet d’envisager une implantation du réacteur sur le site
industriel même, qu’il s’agisse d’un champ pétrolier (extraction), une raffinerie ou
une usine de transformation du charbon en hydrocarbures liquides.

Peut-on, doit-on mettre du nucléaire partout ?

Les petits réacteurs multiplient les endroits où le nucléaire pourrait s’implanter. . .


mais multiplient aussi les endroits à contrôler, y compris dans des endroits où le
contrôle est difficile.
Sous l’angle de la protection physique, et de la non-prolifération, les petits réac-
teurs ont des avantages et des inconvénients :
– avantages : peu de manipulations de matières radioactives sur site, d’où des
risques de détournement réduits, mais :
– inconvénients : difficile d’assurer une protection civile efficace sur des sites
nombreux et éloignés. Les petits réacteurs modulaires sont vulnérables face
au terrorisme.

Quel avenir pour les petits réacteurs modulaires ?

L’attrait des petits réacteurs réside principalement dans l’effet de série. Pour en
bénéficier, il faudrait avoir de nombreuses commandes. . . qui ne viendront que si
la compétitivité économique est assurée. Comment amorcer la pompe ?

250 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


Autre enjeu important : les autorisations d’exploitation. À l’heure actuelle (2011),
seuls les petits réacteurs à eau du type « propulsion navale » et quelques anciennes
versions des réacteurs HTR ont été autorisés par les autorités de sûreté nationales.
Les autres concepts n’ont même pas encore déposé de demande. Et les autorités
de sûreté auront du mal à donner un avis car beaucoup de ces concepts sont très
innovants.
Les petits réacteurs modulaires revêtent une importance politique particulière
aux États-Unis, car c’est un créneau laissé libre par les constructeurs occidentaux
(mais il existe des offres chinoises et russes dans la gamme de 200-300 MWe) et
pour lequel peuvent être utilisés les moyens nationaux de production développés
pour la propulsion navale.
Il y a une grosse « barrière de potentiel » à franchir avant que les communautés
scientifique, industrielle, financière et politique se mobilisent conjointement pour
déployer les petits réacteurs nucléaires. Mais si elles y parviennent, le nucléaire civil
en sortira transformé.

7.5 Les systèmes nucléaires de quatrième génération

Le développement de la quatrième génération est engagé dès à présent, dans un


cadre international et avec l’objectif d’amener ces nouveaux systèmes à maturité
technique, dans la perspective d’un déploiement industriel à l’horizon 2040. Ces
systèmes ont pour but de répondre aux enjeux d’une production d’énergie durable,
dans une vision à long terme, et notamment de minimiser les déchets radioactifs et
d’utiliser au mieux les ressources naturelles en combustible.
Ces systèmes présentent des évolutions et des innovations technologiques im-
portantes (on peut les appeler « révolutionnaires »), qui nécessitent une vingtaine
d’années de développement (Figs. 17.17, 17.18 et 17.19).
Avant de passer à une éventuelle industrialisation de ces réacteurs, il s’agira de
démontrer leur sûreté et leur compétitivité économique. Cette dernière n’est pas
acquise actuellement, mais ces réacteurs pourraient avoir leur heure dès le milieu
du siècle dans un contexte d’énergie chère et de ressources raréfiées.
Actuellement, le plutonium des REP est recyclé sous forme de MOX.
En 2020, les REP de génération II continueront à exister, mais le Pu qu’ils pro-
duisent sera brûlé (partiellement, mais plus efficacement) par les réacteurs de gé-
nération III déployés à cette date. Les actinides mineurs produits par ce parc mixte
Gen II-Gen III pourraient être séparés et entreposés.
En 2040, les premiers réacteurs de génération IV seront déployés et brûleront le
Pu qui aura été mis en réserve pour leur démarrage, plus éventuellement les acti-
nides mineurs accumulés antérieurement. Le complément en uranium nécessaire au

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 251


Systèmes
Réacteurs d u fu t u r
Réacteurs a v a nc é s
a c tu e l s
Premières
réalisations

1950 1970 1990 2010 2030 2050 2070 2090

Generation I

UNGG Generation II
CHOOZ
REP 900 Generation III
REP 1300
N4 EPR Generation IV

Figure 17.17. Le calendrier des générations nucléaires.

2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080

U Gen
Pu 2

Recyclage Pu(U)
du Pu dans U Ge
n3
les REL
(MOX)
Recyclage du Pu et U,Pu,(AM)
optionnellement des Recyclage global des
AM des REL dans actinides dans les réacteurs
les réacteurs rapides Ge rapides Gen IV
Gen IV n4

U,Pu,(AM)

Figure 17.18. La succession des cycles du combustible associés aux générations de réacteurs.

252 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


70000

60000
Puissance installée (MWe)

P rolongation au delà 40ans


50000
G énération IV
40000
P arc A c tuel
30000 durée de vie 40 ans

20000
G énération III
10000

0
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060

Figure 17.19. Un scénario de renouvellement du parc de réacteurs nucléaires français, tel qu’il est envisagé
par EDF, dans une hypothèse très conservative de réduction de la puissance totale installée jusqu’à 60 GW.
L’exploitant souhaitera sans doute étendre la durée de vie des réacteurs existants aussi loin que
raisonnablement et réglementairement possible. Il est envisagé de commencer le remplacement d’une partie
du parc « en biseau » dès 2020 pour lisser l’effort financier, d’abord avec des réacteurs de troisième, puis de
quatrième génération.

fonctionnement de ces réacteurs pourra être fourni par l’uranium appauvri actuelle-
ment entreposé.
Vers 2050, ces réacteurs « Gen IV » devraient être capables de fonctionner en
recyclant la totalité de leurs actinides.
Cependant, il faut rappeler que le recyclage des actinides mineurs en réacteur
n’est qu’une option : certes, elle permettrait de faire un nucléaire plus propre en
envoyant moins de radioactivité aux déchets, mais ce serait sans doute au prix
d’une certaine réduction de performances des réacteurs brûleurs d’actinides. D’autre
part, l’inventaire en actinides circulant dans les réacteurs ne serait probablement pas
négligeable.
La France est largement équipée en nucléaire, son parc de réacteurs est rela-
tivement jeune. Pourtant, la construction d’un EPR de démonstration vient d’être
décidée. Alors, pourquoi un EPR maintenant ? Le développement d’une nouvelle fi-
lière est une opération de longue haleine : pour introduire des réacteurs de troisième
génération en 2020, il faut commander un premier EPR maintenant.
Le calendrier envisagé pour le déploiement d’EPR en France est le suivant :
– 2005 : décision d’un démonstrateur EPR ;
– 2003-6 : processus d’autorisation réglementaire et préparation de la réalisa-
tion ;

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 253


– 2007-11 : construction et mise en service du démonstrateur EPR ;
– 2012-14 : acquisition du retour d’expérience d’exploitation (minimum 3 ans) ;
– 2015 : décision de construction d’une série d’EPR (nombre et rythme à
définir) ;
– à partir de 2020 : mise en service du premier réacteur de la série.

8 À encore plus long terme (le siècle) : le cycle


du combustible thorium

L’idée d’utiliser du thorium à la place d’uranium dans un réacteur à fission est venue
très tôt à l’esprit des ingénieurs du nucléaire. Elle renaît périodiquement.
Le cycle du combustible uranium-plutonium utilisé actuellement est fondé sur
l’utilisation de l’238 U (fertile)∗ et du 239 Pu (fissile)∗ produit selon la chaîne :

(n,γ) β− β−
238 239 239 239
U −−−→ U (23 min) −−−→ Np (2,35 j) −−−→ Pu (24 400 ans).

Il existe un cycle du combustible analogue, dit thorium-uranium, fondé sur l’utilisa-


tion du 232 Th (fertile) et de l’233 U (fissile) selon la chaîne suivante :

(n,γ) β− β−
232 233 233 233
Th −−−→ Th (22 min) −−−→ Pa (27 j) −−−→ U (160 000 ans).

Ce cycle « thorium » présente deux avantages : le thorium est assez abondant, en-
viron trois fois plus que l’uranium naturel, et il n’existe dans la nature que sous forme
d’un seul isotope, 232 Th. Son extraction minière génère peu de résidus et n’expose
pas les mineurs au radon. D’autre part, les réactions (n, γ) successives sur 232 Th
conduisent à des isotopes d’uranium pratiquement stables, et il faut capturer cinq
neutrons avant de former le premier actinide à vie longue. La probabilité d’en for-
mer d’autres à partir de lui est extrêmement faible, le cycle du combustible thorium
est donc potentiellement plus propre que le cycle uranium, puisqu’on n’y retrouve
pratiquement pas d’actinides à mettre aux déchets.
Malheureusement, ce cycle séduisant présente aussi des inconvénients : la pé-
riode relativement longue du 233 Pa, comparée à celle du 239 Np, crée des problèmes
dans le retraitement du combustible : il faut attendre que le 233 Pa ait décru en 233 U,
à cause de la grande radioactivité du 233 Pa qui rendrait difficile un retraitement pré-
coce ; de plus, le protactinium étant un corps difficile à séparer chimiquement de
l’uranium, il va contaminer l’uranium récupéré au retraitement.
Enfin, l’irradiation aux neutrons du thorium 232 en réacteur produit aussi de
l’uranium 232 et 234. Ces isotopes (surtout le 232) vont polluer l’ 233 U qu’on veut
recycler et lui donner une activité alpha importante. Les descendants de l’ 232 U sont

254 Chapitre 17. Le nucléaire du futur. Réacteurs et cycles du combustible


aussi des émetteurs gamma puissants. C’est le grand handicap du thorium : l’aval
du cycle est difficile. Il faudrait une usine entièrement automatisée (pour protéger
le personnel) et qui soit d’une fiabilité de fonctionnement exceptionnelle.
Historiquement, le premier réacteur avec du thorium comme combustible fut un
réacteur à sels fondus, construit à Oak Ridge en 1965. Malgré cette réalisation et
des études approfondies, le cycle thorium manque cruellement des quelque cinq
décennies de recherche et développement dont a bénéficié le cycle uranium. La
somme d’investissements, d’efforts et de recherche technologique à engager dans
cette filière fera longtemps reculer les décideurs à moins qu’une motivation forte,
venue du marché de l’uranium, ne vienne faire craindre une pénurie de combustible
jusqu’ici suffisant.

9 Un jour peut-être : la fusion


On ne peut pas terminer ce panorama du nucléaire du futur sans mentionner la fu-
sion thermonucléaire. Celle-ci fait l’objet d’un autre livre dans la même collection
« Introduction à. . . », aussi n’en dirons-nous qu’un mot : la fusion thermonucléaire
offre l’espoir d’une énergie abondante et acceptable socialement car potentiellement
plus sûre que l’énergie de fission, et produisant moins de déchets à vie longue. Deux
technologies sont actuellement explorées pour maîtriser la fusion thermonucléaire
civile : la voie de la fusion par confinement magnétique et la voie de la fusion iner-
tielle. Les deux se heurtent à des difficultés importantes liées en partie à la maîtrise
des plasmas chauds et denses et à l’extraction de l’énergie produite par les réactions
de fusion. La tenue des matériaux à l’irradiation représentera également un verrou
technologique majeur. La première voie, considérée comme la plus crédible, fait l’ob-
jet d’une collaboration mondiale avec le projet ITER, visant à atteindre l’ignition,
c’est-à-dire un plasma auto-entretenu sans apport d’énergie extérieur. La seconde
est étudiée elle aussi au CEA dans le cadre du projet MEGAJOULE, qui met en jeu
des faisceaux laser de très forte puissance pour assurer le confinement inertiel du
plasma.
Dans les deux cas, la fusion thermonucléaire pour EDF n’est pas pour demain.
La démonstration de faisabilité scientifique et technique n’est pas assurée et l’on
s’oriente vers des dispositifs toujours plus complexes qui pourraient bien ne jamais
déboucher au plan industriel faute de compétitivité économique. Mais les besoins
en énergie de l’humanité sont tels que toutes les pistes crédibles pour les satisfaire
doivent être explorées. Et puis, l’aventure est belle et vaut d’être tentée. . .

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 255


Glossaire-index

Actinides Éléments terres rares de numéro atomique compris entre 89 et 103.


Ce groupe correspond au remplissage de la sous-couche électronique 5f et 6d. Les
actinides sont dotés de propriétés chimiques très voisines entre elles. 54, 89

Actinides majeurs Noyaux lourds d’uranium et de plutonium présents ou formés


dans le combustible nucléaire. 237

Actinides mineurs Noyaux lourds formés dans un réacteur par capture successive
de neutrons à partir des noyaux du combustible. Ces isotopes sont principalement
le neptunium (237), l’américium (241, 243) et le curium (243, 244, 245). 146

Activation (radioactivation) Action tendant à rendre radioactifs certains nu-


cléides, en particulier au sein des matériaux de structure des réacteurs, par bom-
bardement par des neutrons ou d’autres particules. 146

Alpha Voir Radioactivité. 9

ANDRA Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs. 181

Antiréactivité Baisse de réactivité que peut produire un absorbant neutronique


(barre de commande par exemple) quand il est introduit dans le cœur d’un réacteur.
91

Assemblage Dans le cœur d’un réacteur à eau, les crayons combustibles sont
groupés en faisceaux dotés d’une bonne rigidité et positionnés avec précision dans
le cœur du réacteur. C’est l’ensemble de cette structure, regroupant une à quelques
centaines de crayons et chargée d’un seul tenant dans le réacteur, qui est appelée
assemblage. 68, 143
Barre de commande Barre ou ensemble de tiges solidaires mobiles contenant une
matière absorbant les neutrons (bore, cadmium. . . ) et qui, suivant sa position dans
le cœur d’un réacteur nucléaire, influe sur sa réactivité. 87

Barrières Dans un réacteur nucléaire, ensemble des éléments physiques qui isolent
les radionucléides du combustible de l’environnement. Dans un réacteur à eau
sous pression, il s’agit successivement de la gaine de l’élément combustible, de
l’enveloppe du circuit primaire (qui comprend la cuve) et de l’enceinte du réacteur.
89

Becquerel (Bq) Unité de désintégration radioactive égale à une désintégration par


seconde ; 37 milliards de becquerels égalent 1 curie (Ci) ; 30 000 désintégrations
par seconde se produisent dans un détecteur de fumée domestique. Le Becquerel
étant une unité très petite, on utilise fréquemment ses multiples : Méga, Giga, Téra
Becquerel (MBq, GBq, TBq correspondant respectivement à 106 , 109 , 1012 Bq). 30

Bêta (rayonnement) Voir Radioactivité. 12

Caloporteur Fluide (gaz ou liquide) utilisé pour extraire la chaleur produite par
les fissions. Dans un réacteur à eau sous pression, l’eau joue à la fois le rôle de
caloporteur et celui de modérateur. 53, 65, 223

Capture Capture d’un neutron par un noyau. La capture est dite radiative si elle
est suivie par l’émission immédiate d’un rayonnement gamma. Elle est dite fertile si
elle donne naissance à un noyau fissile. 224

Château de transport Conteneur blindé utilisé pour le transport et éventuellement


l’entreposage de matières radioactives. 166

Circuit de refroidissement primaire Système en boucle fermée ou ensemble de


boucles fermées qui permet d’extraire la chaleur des éléments combustibles présents
dans le cœur d’un réacteur par circulation d’un fluide caloporteur en contact direct
avec ces éléments combustibles. 90

Circuit de refroidissement secondaire Système assurant la circulation du fluide


caloporteur qui extrait la chaleur du circuit de refroidissement primaire. 103

258 Glossaire-index
Coefficient de réactivité Variation du facteur de multiplication résultant du fonc-
tionnement d’un réacteur, c’est-à-dire des changements de température et de compo-
sition dus au dégagement d’énergie et à l’irradiation neutronique. 248

Coefficient de température Coefficient qui traduit la variation du facteur de


multiplication des neutrons dans un réacteur lorsque sa température change. Un
coefficient de température négatif est un critère important de stabilité du cœur.
106

Coefficient de vide Coefficient qui traduit la variation du facteur de multiplica-


tion dans un réacteur lorsque le caloporteur forme plus de vides (zones de moindre
densité, par exemple des bulles) que la normale. Si ce coefficient est positif, une
augmentation des vides se traduira par une augmentation de la réactivité et, par
conséquent, une augmentation de la puissance. S’il est négatif, l’augmentation des
vides tendra au contraire à arrêter le réacteur. 105

Cœur Zone centrale d’un réacteur nucléaire, contenant les assemblages combus-
tibles, le caloporteur et le modérateur, où se produit la réaction en chaîne. 68

Combustible Substance constitutive du cœur d’un réacteur nucléaire, contenant


les éléments fissiles qui entretiennent la réaction en chaîne en son sein. 125

Conditionnement (des déchets radioactifs) Ensemble des opérations successives à


réaliser pour mettre le déchet sous une forme stable, sûre, et qui permette sa gestion
ultérieure, qu’il s’agisse d’entreposage, de transmutation ou de stockage. Ces opé-
rations peuvent comprendre notamment le compactage, l’enrobage, la vitrification,
la mise en conteneur. 183

Corium Mélange de matériaux fondus résultant de la fusion accidentelle du cœur


d’un réacteur nucléaire. 119

Crayon Tube de faible diamètre, fermé à ses deux extrémités, constituant du cœur
d’un réacteur nucléaire, quand il contient une matière fissile, fertile ou absorbante.
Lorsqu’il contient de la matière fissile, le crayon est un élément combustible.68, 90

Criticité Configuration caractéristique d’une masse de matière qui contient des


éléments fissiles et éventuellement d’autres éléments, dans une composition, des
proportions et une géométrie telles qu’une réaction de fission en chaîne peut y
être auto-entretenue. 57, 155

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 259


Critique Un système est qualifié de critique lorsque le nombre de neutrons émis
par fission est égal au nombre de neutrons disparaissant par absorption et par
fuite. Dans ce cas, le nombre de fissions observé pendant des intervalles de temps
successifs reste constant. La criticité est l’expression d’un équilibre exact entre les
productions de neutrons par fission et les disparitions par absorption et par fuite.
56, 61

Cuve Récipient contenant le cœur d’un réacteur et son fluide caloporteur. 69, 91

Cycle du combustible Ensemble des étapes suivies par le combustible nucléaire.


Le cycle comprend l’extraction du minerai, la concentration de la matière fissile,
l’enrichissement, la fabrication des éléments combustibles, leur utilisation dans le
réacteur, leur traitement, l’éventuel recyclage des atomes lourds ainsi récupérés et le
conditionnement et le stockage des déchets radioactifs. 125

Déchet radioactif Substance radioactive pour laquelle aucune utilisation ulté-


rieure n’est prévue ou envisagée. Les déchets radioactifs ultimes sont des déchets
radioactifs qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques et éco-
nomiques du moment, notamment par extraction de leur part valorisable ou par
réduction de leur caractère polluant ou dangereux.

Déchet nucléaire Résidu inutilisable, issu de l’exploitation de l’énergie nucléaire.


179

Décroissance radioactive Transformation d’un radionucléide en un nucléide diffé-


rent par l’émission spontanée de rayonnements alpha, bêta ou gamma ou par capture
électronique. Le produit final est un noyau d’énergie moindre et plus stable. Chaque
processus de décroissance radioactive a une période bien définie. 191

Défense en profondeur Concept consistant à mettre en place plusieurs lignes de


défense successives aptes à prévenir l’apparition, ou le cas échéant à limiter les consé-
quences, de défaillances techniques, humaines ou organisationnelles susceptibles de
conduire à des incidents ou accidents nucléaires. 166

Doppler (effet) En neutronique : élargissement des résonances d’absorption de


neutrons sous l’effet de l’agitation thermique des noyaux-cibles. Cet effet contribue
à assurer la stabilité d’un réacteur nucléaire, en diminuant la réactivité de son cœur
lors d’une élévation de sa température. 57

260 Glossaire-index
Dose Terme général indiquant la quantité de rayonnement ou d’énergie absorbée
dans une masse spécifique de matière. 29

Dose absorbée Quantité d’énergie absorbée en un point par unité de masse de


matière (inerte ou vivante). Elle s’exprime en grays (Gy) : 1 gray correspond à une
énergie absorbée de 1 joule dans 1 kilogramme de matière. 36

Dose équivalente Dans les organismes vivants, les effets produits par une même
dose absorbée sont différents selon la nature des rayonnements (X, alpha, bêta,
neutrons ou gamma). Pour tenir compte de ces différences, on calcule une dose
équivalente, produit de la dose absorbée dans un tissu ou un organe par un facteur
de pondération tenant compte de l’effet biologique lié à la nature et à l’énergie du
rayonnement. L’unité de dose équivalente est le sievert (Sv). 36

Dose efficace Dans les organismes vivants, tous les organes n’ont pas la même
vulnérabilité aux rayonnements ionisants. Pour tenir compte de ces différences, on
calcule une dose efficace, somme des doses équivalentes délivrées aux différents
tissus et organes du corps par l’irradiation interne et externe, pondérée par un facteur
de vulnérabilité associé à chaque organe irradié. L’unité de dose efficace est le sievert
(Sv). À titre d’exemple, la moyenne annuelle de la dose efficace due à l’exposition à
la radioactivité naturelle de la population en France est de 2,4 millisieverts (mSv).
36

Eau lourde L’eau lourde ou oxyde de deutérium (D2 O) est une forme naturelle
d’eau dans laquelle les atomes d’hydrogène sont des atomes d’hydrogène lourd ou
deutérium. Elle est environ 10 % plus lourde que l’eau ordinaire et se trouve en
quantités infimes dans la nature (environ une partie d’eau lourde pour 7 000 parties
d’eau). L’eau lourde absorbe moins les neutrons que l’eau légère, ce qui la rend
intéressante comme modérateur dans certains réacteurs nucléaires. 59, 75

E-EV-SE Installation d’entreposage de déchets vitrifiés à La Hague. 187

Effet xénon Le xénon est un puissant absorbant neutronique. Sa formation dans


le cœur d’un réacteur comme produit de désintégration d’un autre produit de fis-
sion (l’iode) perturbe avec retard le comportement neutronique du cœur lors d’un
transitoire de puissance. 106

Effluents Sous-produits sous forme liquide ou gazeuse, résidus d’un traitement chi-
mique. Dans certains cas, ces résidus indésirables sont rejetés dans l’environnement ;
une autre option largement pratiquée dans l’industrie nucléaire est d’en recycler la

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 261


fraction valorisable, d’en séparer la fraction toxique et de la conditionner dans une
matrice adaptée pour pouvoir rejeter le reste sans nuisance significative pour l’envi-
ronnement. 158

Électron Particule élémentaire chargée négativement, et constituant de l’atome.


Dans un atome de numéro atomique Z, Z électrons orbitent autour du noyau ato-
mique. 3

Enrichissement Processus qui, dans le cas de l’uranium, permet d’augmenter par


divers procédés (diffusion gazeuse, ultracentrifugation, excitation sélective par laser)
la concentration de l’isotope 235 (fissile) par rapport à l’isotope 238 prédominant
dans l’uranium naturel. 135

Entreposage (de matières ou de déchets radioactifs) Opération consistant à placer


ces substances à titre temporaire dans une installation spécialement aménagée à cet
effet, en surface ou en faible profondeur, dans l’attente de les récupérer. Ce terme
désigne aussi l’installation dans laquelle les déchets sont placés, avec le projet de les
reprendre ultérieurement (voir aussi Stockage). 151

Épithermiques (neutrons) Neutrons situés dans la gamme d’énergie de 1 eV à


20 keV environ et ayant ainsi une vitesse supérieure à celle des neutrons ther-
miques. Dans cette région d’énergie, les sections efficaces d’interaction neutron-
noyau sont affectées par la présence de résonances et peuvent varier de ce fait de
plusieurs ordres de grandeur. 59, 62

Facteur de conversion Rapport entre le nombre de noyaux fissiles produits et dé-


truits dans un cœur ou une portion de cœur de réacteur. Un réacteur est isogénéra-
teur quand son facteur de conversion vaut 1. S’il est supérieur à un, il est surgéné-
rateur. 77

Facteur de multiplication (infini k∞ et effectif keff ) Valeur moyenne du nombre


de nouvelles fissions induites par les neutrons issus d’une fission initiale. Pour
évaluer le facteur de multiplication, si les fuites des neutrons vers les assemblages
de combustibles voisins ou hors du réacteur ne sont pas prises en compte, celui-ci est
qualifié d’infini et noté k∞ ; dans le cas contraire, il est qualifié d’effectif et noté keff .
56, 60

262 Glossaire-index
Fertile Se dit d’une matière dont les noyaux, lorsqu’ils absorbent des neutrons,
donnent des noyaux fissiles. C’est le cas de l’uranium 238 qui conduit au pluto-
nium 239. Une matière est dite stérile dans le cas contraire. 55, 62, 65, 223

Fissile Se dit d’un noyau pouvant subir la fission par absorption de neutrons. En
toute rigueur, ce n’est pas le noyau appelé fissile qui subit la fission mais le noyau
composé formé suite à la capture d’un neutron. 62, 65, 223

Fission Division d’un noyau lourd en deux fragments dont les masses sont du
même ordre de grandeur. Cette transformation, qui est un cas particulier de dés-
intégration radioactive de certains noyaux lourds, dégage une quantité importante
d’énergie et est accompagnée par l’émission de neutrons et de rayonnement gamma.
La fission des noyaux lourds dits « fissiles » peut être induite par une collision avec
un neutron. 53

Flux de neutrons Nombre de neutrons qui traversent une unité de surface par
unité de temps. 224

Fusion du cœur Accident nucléaire au cours duquel le combustible nucléaire est


porté à assez haute température pour que le combustible nucléaire fonde et se
rassemble sous forme d’un magma corrosif (le corium∗ ) au fond de la cuve du
réacteur. 237, 248

Gaine Enveloppe scellée entourant la matière combustible, destinée à assurer son


isolation et sa tenue mécanique dans le cœur du réacteur. 90

Gamma photons de haute énergie, émis en particulier lors de réactions nucléaires


ou lors de la désexcitation des noyaux atomiques. 12

Générateur de vapeur (GV) Dans un réacteur nucléaire, échangeur permettant


le transfert de la chaleur d’un fluide caloporteur primaire à l’eau du circuit secon-
daire de refroidissement, et la transformant en vapeur qui entraîne le groupe turbo
alternateur. 103

Grappe de commande ou de contrôle Voir Barre de commande. 144

Gray Unité de dose radioactive absorbée, correspondant à l’absorption d’une éner-


gie d’un joule par kilo de matière. 33

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 263


Isogénérateur/Isogénération Qui produit autant de combustible fissile qu’il n’en
consomme (voir Surgénérateur). 78

Isotope Formes différentes d’atomes du même élément. Ils ont le même nombre
de protons dans leur noyau, mais un nombre différent de neutrons (de même nu-
méro atomique, mais de masses atomiques différentes). L’uranium 238 et l’uranium
235 sont des isotopes de l’uranium. Les isotopes peuvent être stables (ne pas se dés-
intégrer spontanément) ou instables (se désintégrer spontanément en émettant un
rayonnement ionisant). 7, 46

Isotopes fissiles 55

MeV Méga électron-volt. Cette unité d’énergie est généralement utilisée pour
exprimer l’énergie dégagée par les réactions nucléaires. 1 MeV correspond à
1,6 10−13 Joule. 18

Modérateur Matériau formé de noyaux légers qui ralentissent les neutrons par col-
lisions élastiques. Les modérateurs sont utilisés pour réduire l’énergie des neutrons
émis par les atomes d’uranium lors de la fission, afin d’augmenter leur probabilité
de provoquer d’autres fissions. Le matériau modérateur doit être peu capturant afin
de ne pas « gaspiller » les neutrons et être suffisamment dense pour assurer une
modération efficace. 53, 105

MOX Combustible nucléaire à base d’un mélange d’oxydes d’uranium (naturel ou


appauvri) et de plutonium. L’utilisation de combustible MOX permet le recyclage du
plutonium. 144

Neutron Particule fondamentale électriquement neutre, de masse 1,675 10−27 kg.


La nature de ce nucléon a été découverte en 1932 par le physicien britannique
James Chadwick. Les neutrons constituent, avec les protons, les noyaux des atomes
et provoquent les réactions de fission des noyaux fissiles dont l’énergie est utilisée
dans les réacteurs nucléaires. 3

Neutrons rapides Neutrons libérés lors de la fission, se déplaçant à très grande


vitesse (20 000 km/s). Leur énergie est de l’ordre de 2 millions d’électronvolts.
65, 66, 225

264 Glossaire-index
Neutrons retardés Neutrons émis par les fragments de fission avec un retard de
quelques secondes en moyenne après la fission. Bien que représentant moins de 1 %
des neutrons émis, ce sont eux qui, par ce décalage dans le temps, permettent in fine
le pilotage des réacteurs. Voir aussi « Bêta effectif ». 175

Neutrons thermiques Également appelés neutrons lents, neutrons en équilibre


thermique avec la matière dans laquelle ils se déplacent. Dans les réacteurs nu-
cléaires à eau, les neutrons thermiques vont à une vitesse de l’ordre de 2 à 3 km/s
et leur énergie est de l’ordre d’une fraction d’électronvolt. 65

Noyau Cœur de l’atome dans lequel sont concentrées la majeure partie de sa masse
et toute sa charge positive. Mis à part l’hydrogène, il est constitué de protons et de
neutrons. 3

Nucléide Espèce nucléaire caractérisée par son nombre de protons Z, son nombre
de neutrons N et par son nombre de masse A, égal à la somme du nombre de protons
et du nombre de neutrons (A = Z + N ) ; radionucléide : isotope radioactif, appelé
aussi parfois radio-isotope. 169

Période radioactive Durée pendant laquelle les atomes d’un radionucléide quel-
conque se désintègrent pour atteindre la moitié de l’intensité du rayonnement émis
à l’origine. La période constitue une propriété caractéristique de chaque isotope ra-
dioactif. 13, 130

Photon Particule élémentaire de masse nulle, représentant un quantum de lumière.


3

Plutonium Élément formé par capture de neutrons par l’uranium dans le cœur des
réacteurs nucléaires. Les isotopes impairs du plutonium sont fissiles, ce qui fait du
plutonium une matière nucléaire valorisable, par exemple sous forme de combustible
MOX. 125

Poisons consommables 73

Poisons (neutroniques) Éléments dotés d’un pouvoir élevé de capture des neu-
trons utilisés pour compenser, du moins en partie, l’excédent de réactivité des mi-
lieux fissiles. Quatre éléments naturels sont particulièrement neutrophages : le bore
(grâce à son isotope 10 B), le cadmium, le hafnium et le gadolinium (grâce à ses

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 265


isotopes 155 Gd et 157 Gd). Certains sont dits « consommables » car ils disparaissent
progressivement au cours de la combustion en réacteur. Beaucoup de produits de
fission sont des poisons neutroniques. 63

Produits de fission Nucléides générés soit directement par la fission nucléaire,


soit indirectement par la désintégration des fragments de la fission. 47, 54

Prolifération Dissémination incontrôlée des technologies nucléaires militaires, ou


des matières utilisées par ces technologies. 239

Proton Une des particules fondamentales qui constituent un atome. Le proton se


trouve dans le noyau et possède une charge électrique positive équivalente à la
charge négative d’un électron et une masse semblable à celle d’un neutron. 3

Puissance résiduelle Puissance thermique développée par un réacteur nucléaire à


l’arrêt, provenant essentiellement de l’activité des produits de fission. 103

Radioactivité (radioactif) Propriété que possèdent certains éléments naturels ou


artificiels dont le noyau est instable d’émettre spontanément des particules α, β
ou un rayonnement γ. Est plus généralement désignée sous ce terme l’émission de
rayonnements accompagnant la désintégration d’un élément instable ou la fission.
3

Radiolyse Dissociation de molécules par des rayonnements ionisants. 30

Radionucléide Nucléide instable d’un élément qui décroît ou se désintègre spon-


tanément en émettant un rayonnement. 24

Radioprotection Ensemble des mesures destinées à réaliser la protection sanitaire


de la population et des travailleurs contre les effets des rayonnements ionisants. 39

Radiotoxicité potentielle (d’une certaine quantité de radionucléides, par exemple


dans des déchets) La radiotoxicité potentielle, définie comme étant le produit de
l’inventaire en radionucléides par le facteur de dose « ingestion » desdits radionu-
cléides, est un indicateur du pouvoir de nocivité de cette quantité de radionucléides
en situation accidentelle. 169

266 Glossaire-index
Réacteur à eau bouillante (REB) Réacteur dans lequel l’ébullition de l’eau se fait
directement dans le cœur. 67, 69

Réacteurs à eau légère (REL) Famille de réacteurs regroupant les réacteurs à


eau sous pression et les réacteurs à eau bouillante. 215, 243

Réacteur à eau lourde Réacteur nucléaire dont le modérateur et, habituellement,


le caloporteur, sont de l’eau lourde. 76

Réacteur à eau sous pression (REP) Réacteur dans lequel la chaleur est transférée
du cœur à l’échangeur de chaleur par de l’eau maintenue sous une pression élevée
dans le circuit primaire afin d’éviter son ébullition. 67, 69

Réacteur à neutrons rapides (RNR) Réacteur sans modérateur dans lequel la


majorité des fissions sont générées par des neutrons présentant des énergies du
même ordre de grandeur que celle qu’ils possèdent lors de leur production par
fission. 58, 80

Réaction en chaîne Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons


libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de nouveaux neu-
trons provoquant de nouvelles fissions et ainsi de suite. 56, 87

Réactivité Quantité sans dimension permettant d’évaluer les petites variations du


facteur de multiplication k autour de la valeur critique et définie par la formule
ρ = (k − 1)/k. Sa valeur étant très petite, elle est généralement exprimée en cent
millièmes, en prenant pour unité le pcm (pour cent mille). Dans un réacteur, la
réactivité est nulle lorsqu’il est critique, positive s’il est surcritique et négative s’il
est sous-critique. 60, 89

Recyclage Réutilisation en réacteur de matières nucléaires issues du traitement


du combustible usé. 228

Section efficace Mesure de la probabilité d’interaction d’une particule avec un


noyau-cible, exprimée en barns (1 barn = 10−24 cm2 ). Dans le cas du neutron,
par exemple, elle définit sa probabilité d’interaction avec les noyaux de la matière
des différents constituants du cœur. La section efficace mesure la probabilité d’oc-
currence d’une réaction donnée entre des particules incidentes (par exemple des

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 267


neutrons) et une cible (par exemple des noyaux d’uranium). Pour les réacteurs nu-
cléaires, on distingue principalement les réactions induites par les neutrons : fission,
capture, et diffusion élastique. 225

Sievert (Sv) Unité utilisée pour mesurer les doses de rayonnement reçues par le
corps humain. 29

Stockage (de déchets radioactifs) Opération consistant à placer ces substances


dans une installation spécialement aménagée pour les conserver de façon potentiel-
lement définitive. Ce terme désigne aussi l’installation dans laquelle les déchets sont
placés, sans projet de reprise ultérieure. La reprise serait néanmoins possible dans
le cas d’un stockage réversible (voir aussi Entreposage). Le stockage en couche géo-
logique profonde de déchets radioactifs est le stockage de ces substances dans une
installation souterraine spécialement aménagée à cet effet. 181

Stockage direct Le stockage direct consiste à envoyer en stockage le combustible


usé, sans passer par les étapes de traitement et de recyclage. 189

Surcritique Un système est qualifié de surcritique lorsque le nombre de neutrons


émis par fission est plus grand que le nombre de neutrons disparaissant par absorp-
tion et par fuite. Dans ce cas, le nombre de fissions observé pendant des intervalles
de temps successifs croît. 106

Sur(ré)générateur/sur(ré)génération Qui produit plus de combustible fissile


qu’il n’en consomme. Les nouveaux noyaux fissiles sont créés par la capture de neu-
trons de fission par des noyaux fertiles (non fissiles sous l’action de neutrons ther-
miques) après un certain nombre de désintégrations radioactives. 77, 226

Taux de combustion Au sens propre, il correspond au pourcentage d’atomes


lourds (uranium et plutonium) ayant subi la fission pendant une période donnée.
Couramment utilisé pour évaluer la quantité d’énergie thermique par unité de masse
de matière fissile obtenue en réacteur entre le chargement et le déchargement du
combustible, il s’exprime en mégawatts · jour par tonne (MW · j/t). Le taux de com-
bustion de rejet est le taux auquel l’assemblage combustible, après plusieurs cycles
d’irradiation, doit être définitivement déchargé. 147

Traitement (du combustible usé) Opération consistant à séparer dans le combus-


tible usé les matières valorisables du reste, qui est alors considéré comme un déchet
et reçoit un conditionnement approprié. 152

268 Glossaire-index
Transmutation Transformation d’un nucléide en un autre par une réaction nu-
cléaire. La transmutation envisagée pour la gestion des déchets radioactifs vise à
transformer un nucléide à période longue en un nucléide à période plus courte ou
en un nucléide stable. 171

Transuraniens Tous les éléments dont le numéro atomique est supérieur à celui de
l’uranium. Ces noyaux lourds sont produits dans les réacteurs nucléaires par capture
neutronique. Ils se répartissent en sept familles d’isotopes : uranium, neptunium,
plutonium, américium, curium, berkélium et californium. 169

LE NUCLÉAIRE EXPLIQUÉ PAR DES PHYSICIENS 269

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