Professional Documents
Culture Documents
Le nucléaire expliqué
par des physiciens
Bernard Bonin
Préface de Étienne Klein
Imprimé en France.
© 2012, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, BP 112, Parc d’activités de Courtabœuf,
91944 Les Ulis Cedex A
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute
reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le
présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées,
d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective, et d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre
dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Des
photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au : Centre français d’exploitation
du droit de copie, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris. Tél. : 01 43 26 95 35.
ISBN 978-2-7598-0671-3
Docteur en sciences physiques, Bernard Bonin mène de 1979 à
1990, des recherches en physique nucléaire au CEA (Saclay), puis
s’oriente vers la physique des accélérateurs et la physique des
surfaces. De 1996 à 2000 il dirige un service de recherches et
d’études sur les déchets nucléaires à l’Institut de Protection et de
Sûreté Nucléaire. En 2000, il devient adjoint au Directeur de la
Recherche et du Développement à la COGEMA, intégré depuis au
groupe AREVA. Il est actuellement Directeur Scientifique adjoint
du pôle énergie nucléaire du CEA. Il est aussi professeur à l’Insti-
tut National des Sciences et Techniques Nucléaires, et membre du
comité scientifique de plusieurs instituts de recherche. Il est au-
diteur de l’Institut des Hautes Études Scientifiques et Techniques,
promotion Mandelbrot.
Remerciements
Ce livre est dédié à la mémoire de Paul Bonche, membre fondateur du Cercle d’études
sur l’énergie nucléaire et coordonnateur de la première version de ce livre.
Paul, nous espérons que tu aurais reconnu et apprécié cette seconde version du
livre du CESEN, Le nucléaire expliqué par des physiciens !
Table des matières
Remerciements v
Préface xiii
Avant-propos xv
1 La radioactivité 3
1.1 La formation des noyaux atomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 L’histoire de l’atome, depuis l’idée jusqu’à la chose . . . . . . . . . . . . . 8
1.3 La découverte de la radioactivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
12 La transmutation 169
12.1 L’objectif de la transmutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
12.2 Les éléments à transmuter en priorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
12.3 L’utilisation du plutonium dans les REP (le MOX) . . . . . . . . . . . . . 175
12.4 Les problèmes posés par le MOX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Glossaire-index 257
Chacun peut observer que dans nos sociétés souvent dites « postmodernes », dès qu’il
est question de sciences ou de technologies, la cacophonie règne : toutes sortes d’ar-
guments empruntés à de multiples sources s’entremêlent, s’opposent, se radicalisent.
Les objets techniques se trouvent ainsi soumis à une polarisation affective de plus
en plus intense alors même qu’ils deviennent de plus en plus opaques pour les mor-
tels communs que nous sommes tous. Tout se passe comme si, par un « effet de
halo » 1 , ils rayonnaient autour d’eux une lumière symbolique dépassant leur réalité
propre, au point que nul d’entre nous ne peut plus prétendre qu’il les perçoit tels
qu’ils sont vraiment. Difficile, dans un tel contexte, de trouver les moyens qui évitent
de succomber aussi bien aux facilités de la techno-phobie qu’aux séductions de la
propagande opiacée. Difficile surtout de diffuser des connaissances scientifiques, car
les messages que l’on transmet ne sont pas des sortes de cours magistraux que l’on
donnerait dans une salle de classe où il y aurait les bons élèves et les cancres : ce
sont plutôt des armes distribuées sur une sorte de champ de bataille.
C’est sans doute la question générale du nucléaire qui, il y a plusieurs décen-
nies, a installé ce type de situation, du fait qu’elle entremêlait l’idée d’une révolution
scientifique majeure, celle d’une ressource énergétique considérable et aussi celle
d’une formidable puissance de mort. Tout récemment, vingt-cinq ans après celui de
Tchernobyl, l’accident de Fukushima est venu poser la question de savoir s’il faut
poursuivre ou non une politique nucléaire dans le domaine de l’énergie. Le débat
qui s’est ainsi ouvert est crucial. Dire qu’il n’est pas simple relève de la litote. Pour
l’aborder et y participer dans de bonnes conditions, mieux vaut être au fait de ce
en quoi consiste le nucléaire civil, depuis l’amont jusqu’à l’aval du cycle. D’où cet
ouvrage pédagogique écrit par des physiciens, dont le seul but est d’expliquer ce
que sont la radioactivité en général et la fission nucléaire en particulier, de présenter
les différents types de réacteurs, actuels ou à venir, et d’éclairer certaines questions
1
Gilbert Simondon, L’Imagination et l’invention, (1965-1966), Chatou, Les Éditions La Transparence,
2008, p. 234.
obligatoires qui se posent à notre génération : Que faire des déchets ? Peut-on conce-
voir un nucléaire plus sûr, plus sobre, plus propre ?
Lecture faite, chacun pourra ensuite se déterminer et prendre part au débat
général sur l’énergie, en meilleure connaissance de cause.
Étienne KLEIN
xiv Préface
Avant-propos
L’ambition de ce livre est de donner à un large public les clés pour comprendre les
données et les enjeux de l’énergie nucléaire, à un moment où l’avenir de cette énergie
fait l’objet d’un débat de société majeur. Or, nous constatons que les arguments
du débat actuel dérivent dangereusement vers l’irrationnel. Il est indispensable de
revenir à la raison et à la science.
L’esprit dans lequel le livre a été écrit est celui de l’objectivité scientifique, autant
que faire se peut dans un domaine aussi controversé. Les auteurs sont des physiciens
du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives. Souvent spécia-
listes de domaines scientifiques pointus, ils ont souhaité acquérir une vue d’ensemble
sur le nucléaire, d’abord pour eux-mêmes, ensuite pour les autres quand ils ont réa-
lisé que leur effort de compréhension pouvait être utile à un public plus large. Leur
premier livre « Le nucléaire expliqué par des physiciens » ayant eu un certain succès
il y a dix ans, ils en entreprennent aujourd’hui une nouvelle édition réactualisée,
sous le même titre.
Pour se former une opinion sur les enjeux et les problèmes associés à l’utilisa-
tion du nucléaire, il est indispensable de connaître les phénomènes physiques sous-
jacents. Au fil des chapitres, nous verrons les noyaux atomiques se former dans les
étoiles, nous mesurerons dans notre environnement ceux qui sont encore radioactifs
et le rayonnement qu’ils produisent, anodin ou non suivant la dose ou l’exposition.
Enfin nous verrons comment l’Homme a domestiqué cette source nouvelle d’énergie,
pour le meilleur et pour le pire, selon son habitude immémoriale.
En ce qui concerne le nucléaire civil et plus particulièrement la production d’élec-
tricité, l’examen des principes de fonctionnement d’un réacteur selon les diverses
filières nous permettra d’aborder la question fondamentale de la sûreté : quels sont
les accidents possibles, quelles en sont les conséquences et comment les éviter ? Le
nucléaire civil a eu sa pierre noire : Tchernobyl, une catastrophe industrielle majeure
au point que le nom même en est devenu synonyme pour beaucoup. Nous verrons
les leçons qui en ont été tirées. Beaucoup reste à apprendre de l’accident japonais
de Fukushima, tant pour la sûreté des réacteurs eux-mêmes que pour la sécurité des
populations.
Un réacteur nucléaire n’est pas une entité isolée dans l’environnement, il fait
partie d’un cycle qui l’alimente en combustible et prend en charge le combustible usé.
De l’analyse de ce cycle ressortent deux nouvelles questions, qui ne sont d’ailleurs
pas propres au nucléaire : « comment consommons-nous les ressources naturelles ? »
et « que faisons-nous des déchets ? ». Ces deux questions peuvent être rassemblées
dans une troisième : « peut-on rendre le nucléaire durable ? ».
Le développement du nucléaire se heurte à la question des ressources naturelles
en atomes fissiles. Celles-ci sont rapidement épuisables si l’on en reste à la technolo-
gie des réacteurs actuels. À cette préoccupation répondent deux possibilités : soit la
filière des réacteurs à neutrons rapides où l’on brûle non seulement l’uranium 235
mais l’uranium 238 (140 fois plus abondant dans la nature soit quelques confortables
millénaires de ressources), soit le développement d’une filière au thorium dans un
futur plus lointain, avec là encore quelques millénaires de ressources. Le développe-
ment industriel de ces filières constituerait de véritables ruptures technologiques.
Du côté des déchets, la problématique est double là encore : choix de retraiter
ou non le combustible usé et devenir des déchets ultimes. Le retraitement, option
choisie en France, permet d’économiser les ressources en recyclant des noyaux fis-
siles, tout en réduisant la radiotoxicité des déchets finaux. Cependant, la constitution
de stocks de plutonium est un risque de cette approche. En ce qui concerne les dé-
chets à vie longue, plusieurs voies de recherche sont ouvertes sans qu’aucune d’elles
ne s’impose aujourd’hui : transmutation, entreposage, stockage ; aucune décision ne
doit être prise avant le terme du moratoire imposé par voie législative.
Quel avenir pour le nucléaire ?
Les préoccupations croissantes liées au changement climatique donnent des
atouts aux énergies qui produisent peu de gaz à effet de serre, comme les énergies
renouvelables et le nucléaire. L’augmentation du prix des hydrocarbures renforce
la compétitivité économique du nucléaire, malgré un surcoût probable induit par
des normes de sécurité renforcées. En outre, les besoins en énergie dans le monde
croissent rapidement, sous les effets conjugués de l’augmentation de la population
mondiale et du développement accéléré de pays très peuplés comme le Brésil, la
Chine et l’Inde. Ces pays annoncent leur intention de développer toutes les énergies,
nucléaire compris.
Jusqu’en mars 2011, ces facteurs conjugués créaient des conditions favorables à
une « renaissance » du nucléaire. Depuis, l’accident de Fukushima a rappelé que
le nucléaire n’était pas sans risque, ce qui a contribué à raviver l’opposition au
nucléaire. Malgré l’accident, de nombreux pays, dont le Royaume-Uni, ont réaffirmé
leurs plans de développement de cette énergie ; plusieurs autres, dont l’Allemagne,
ont annoncé au contraire leur intention de sortir du nucléaire via des importations
massives d’énergie, et un recours accru au charbon et aux énergies renouvelables.
xvi Avant-propos
Dans ce contexte, le débat sur l’énergie en général et sur le nucléaire en particulier
devient un véritable enjeu politique en Europe.
Voilà où nous en sommes en 2012. Peut-on concevoir un nucléaire plus sûr, plus
sobre, plus propre ? Le paysage est extrêmement riche et varié. Allant de la simple
adaptation d’équipements existants au développement de nouveaux concepts de ré-
acteur, les idées existent : optimisation différente du spectre de neutron, nouvelles
filières de combustible. . . Le parcours du lecteur sera parfois une simple promenade,
parfois une escalade plus difficile, mais le jeu en vaut la chandelle, tant pour son
information que pour mesurer l’enjeu des décisions à prendre au sujet du nucléaire
dans les décennies à venir. Celles-ci seront lourdes de conséquences pour nos enfants
et les générations futures : déchets maîtrisés ou à maîtriser, répercussions drama-
tiques ou non sur le climat (effet de serre), ressources énergétiques fossiles épuisées
en quelques générations. . . Quel jugement nos arrière-petits-enfants porteraient-ils
sur nous si nous leur laissions un monde plus difficile à vivre, avec l’une ou l’autre
de nos ressources actuelles épuisée ? Devront-ils apprendre dans un manuel scolaire
ce qu’étaient le pétrole, le gaz naturel ou l’uranium ? Et aussi ce qu’était le monde
avant les dérèglements climatiques produits par nos rejets inconsidérés de CO2 dans
l’atmosphère ?
Le débat est crucial. Nous sommes la première génération confrontée à de tels
choix, dont les répercussions dépassent les frontières d’un pays et pèseront long-
temps sur nos descendants.
Qu’il s’agisse de continuer le nucléaire, d’y renoncer ou de l’amplifier, nous avons
besoin pour choisir de voir loin dans l’espace et dans le temps – dans l’espace : à
l’échelle planétaire, au-delà d’un provincialisme étroit ; dans le temps : à l’échelle
du siècle sinon plus, de toute façon au-delà d’un mandat, électoral ou autre. Plus
que jamais, à une époque où les relations entre science et société se tendent, il
nous faut des décideurs éclairés et des citoyens bien informés. En alimentant le
débat, les auteurs de ce livre espèrent avoir été utiles, mais soyons honnêtes : cet
ouvrage ne suffira pas pour se forger une opinion de citoyen. Il faudra faire le même
travail pour les autres énergies, puis comparer, mesurer à l’aune du bien commun
les avantages et inconvénients de chacune, avant de donner un avis éclairé sur les
énergies à développer pour notre société.
Bernard B ONIN
Étienne KLEIN
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les physiciens nucléaires sont parvenus
à comprendre de façon très détaillée comment les noyaux∗ d’atomes se sont formés
au cours de l’histoire cosmique. Ce grand récit, qui mène depuis l’univers primordial
jusqu’aux entités qui constituent la matière d’aujourd’hui, n’est pas une morne friche
où pâtureraient des dates. Il apparaît au contraire plein de chocs, d’explosions, de
rebondissements, de jaillissements.
Lorsque sa température était d’environ un milliard de degrés et la densité compa-
rable à celle de l’air ambiant, l’univers était une sorte de grand chaudron cosmique,
capable d’engendrer des bribes d’édifices matériels, mais se refroidissant au rythme
de son expansion. Il y avait là les protons∗ , mais aussi les neutrons∗ , les électrons∗ et
les photons∗ , tous très agités, filant dans tous les sens et se percutant régulièrement.
Les photons, dont l’énergie était jusque-là suffisante pour briser systématiquement
l’union d’un proton avec un neutron, finirent par devenir trop mous pour y arriver :
les noyaux de deutérium, assemblages d’un proton et d’un neutron, commencèrent
donc à se former. Dès leur apparition, ces noyaux de deutérium purent fusionner par
paires, ou bien capturer à leur tour un proton, et ainsi former des noyaux d’hélium.
Les mariages de cette sorte allèrent alors bon train, mais ils n’étaient pas sys-
tématiques. Certains protons n’eurent pas l’occasion de rencontrer des partenaires
stables. Ils restèrent donc célibataires. Plus tard, ils servirent de noyaux à l’hydro-
gène, l’élément chimique le plus léger. Les mariages n’étaient pas non plus toujours
durables. Il y avait des passades, voire de simples rencontres sans suite : des noyaux
étaient formés qui ne survivaient que pendant des durées extrêmement courtes. Très
rapidement, victimes de leur instabilité, ils enclenchaient une procédure de sépara-
tion. Ils se scindaient en d’autres noyaux plus légers en émettant un rayonnement
caractéristique. En clair, ils étaient « radioactifs∗ ».
Mais pourquoi tant d’unions nucléaires furent-elles éphémères ? Un noyau
d’atome est constitué de protons et de neutrons agglutinés. Qu’est-ce qui les tient
ensemble ? Une force bien sûr, une force attractive très intense, mais de portée très
courte (de l’ordre du fermi, soit 10−15 mètre). Cette force s’appelle l’interaction
nucléaire forte. Elle agit comme une sorte de glu qui colle deux nucléons (proton ou
neutron, peu importe pour elle) en contact l’un avec l’autre, mais dont la force s’af-
faiblit très rapidement dès qu’on les écarte un tant soit peu l’un de l’autre. Comme
son nom l’indique, elle est incroyablement puissante. Elle est par exemple capable
d’arrêter, sur quelques millionièmes de milliardième de mètres, un proton lancé à
cent mille kilomètres par seconde. . .
Mais une autre force, antagoniste de la force nucléaire, agit également au sein
des noyaux. C’est la répulsion électrique qui tend à repousser deux particules dont
les charges électriques sont de même signe. Les protons sont chargés positivement.
Ils se repoussent donc les uns les autres. En revanche, les neutrons, qui sont élec-
triquement neutres, ne subissent pas la force électrique. Quand les noyaux se sont
formés, au tout début de l’univers, l’agitation des nucléons était telle que des ky-
rielles d’assemblages très divers ont pu facilement se former. Mais tous n’étaient pas
également stables. Deux cas de figure pouvaient se rencontrer :
– premier cas : le nombre de protons et de neutrons dans l’assemblage était
tel que la force nucléaire forte et la répulsion électrique se compensaient
exactement ; le noyau ainsi formé était alors stable et allait le rester ;
– second cas : le noyau formé n’était pas stable au sens propre du terme, mais il
se maintenait pendant une durée limitée avant de se désintégrer pour former
un ou plusieurs autres noyaux plus légers avec émission de rayonnement. Ce
temps dépendait du déséquilibre entre les deux forces : plus celui-ci était
important et plus la durée de vie du noyau était faible.
4 Chapitre 1. La radioactivité
Au bout de trois minutes de ce petit jeu de chocs, de mariages et de ruptures, on
pouvait trouver dans l’univers des noyaux d’hydrogène et de deutérium, des noyaux
d’hélium 4 et d’infimes traces d’hélium 3, et également du lithium 7 et du béryllium 7.
Mais rien d’autre : il n’y avait ni carbone, ni oxygène, ni noyaux lourds. L’ascension
vers la complexité s’était soudainement bloquée. Il y avait une explication à cela :
après quelques minutes, l’univers était déjà tellement dilué par son expansion que
les particules (noyaux ou nucléons), trop éloignées les unes des autres, n’avaient plus
la possibilité de se rencontrer et de former des noyaux plus gros. Plus de rencontres,
plus de mariages, donc arrêt des réactions nucléaires. Mais les choses n’en sont pas
restées là. Car bien plus tard, en mettant en route les étoiles, l’univers a permis la
formation des éléments plus lourds.
Laissons s’écouler un milliard d’années pendant lesquelles il ne s’est presque rien
passé en matière de nucléosynthèse. Seul événement capital : la gravité a fait germer
des semences de galaxies. Des nuages gazeux d’hydrogène et d’hélium, des centaines
de milliards de fois plus massifs que le Soleil, s’effondrent alors sous l’effet de leur
propre poids et se fractionnent en des centaines de milliards de petits nuages gazeux
dont la masse varie d’un dixième jusqu’à une centaine de fois la masse du Soleil.
Par effet de gravité, ces nuages s’effondrent à leur tour, transformant ainsi l’énergie
gravitationnelle en chaleur. La densité dans leur cœur augmente furieusement et
la température atteint bientôt une dizaine de millions de degrés. Au cœur de ces
grosses boules gazeuses, les noyaux d’hydrogène s’entrechoquent, donnant lieu à
des réactions de fusion nucléaire qui libèrent de l’énergie sous forme de divers
rayonnements. Les boules gazeuses cessent alors de se contracter, leur volume se
stabilise : c’est la naissance des premières étoiles, qui vont fabriquer les éléments
plus lourds que l’hélium ou le béryllium.
Mais comment les étoiles fonctionnent-elles ? Une étoile est une sphère de gaz
chaud dont la cohésion résulte de l’attraction gravitationnelle, qui tend à rappro-
cher le plus possible ses particules les unes des autres. Elle ne s’effondre pas sur
elle-même, car partout la pression du gaz joue contre l’action de la gravité. Pour
que cet équilibre soit stable, il faut que la pression augmente régulièrement avec
la profondeur, de sorte que chaque couche soit en équilibre entre une couche plus
comprimée et une autre qui l’est moins. Comme un gaz comprimé s’échauffe, la ma-
tière stellaire est d’autant plus chaude qu’elle est profonde, et donc que sa pression
est grande. Ce déséquilibre des températures entre le cœur et la surface engendre
un transfert d’énergie qui prélève l’excès d’énergie thermique des régions chaudes
centrales pour le céder aux régions moins chaudes de surface. En surface, ce flux
d’énergie s’échappe, puis se dilue sous forme de rayonnement : l’étoile peut briller
de façon continue.
Prenons l’exemple d’une étoile vingt-cinq fois plus massive que le Soleil (seules
les étoiles dont la masse est supérieure à dix fois celle du Soleil ont le cœur assez
6 Chapitre 1. La radioactivité
qui transforme les protons en neutrons. Ces réactions nucléaires s’accompagnent de
l’émission de neutrinos, qui emportent la phénoménale énergie gravitationnelle dé-
gagée par la contraction. Le cœur de l’étoile, désormais constitué de neutrons, se
réduit à une petite sphère d’une dizaine de kilomètres de diamètre, sur la surface
de laquelle le reste de l’étoile en effondrement vient s’écraser. La compression qui
en résulte produit une onde de choc qui remonte au travers des couches externes de
l’étoile. Son passage chauffe la matière à des températures supérieures au milliard de
degrés, les réactions nucléaires s’emballent, produisent des éléments lourds, notam-
ment du nickel et du cobalt. Quand l’onde de choc atteint la surface, la température
s’élève brutalement et l’étoile entière explose, éjectant les éléments qui la composent
à des vitesses pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par se-
conde. Cet événement, appelé « supernova de type II », marque la mort d’une étoile
massive. Ses lambeaux fertilisés en éléments chimiques, parmi lesquels l’uranium ou
le thorium, se dispersent, colonisent l’espace.
Certains des atomes ainsi créés se retrouvent dans nos propres corps. Nous
sommes donc les fruits vivants des étoiles, qui sont elles-mêmes « le fruit doré d’un
arbre hors d’atteinte » (George Eliot).
8 Chapitre 1. La radioactivité
Ce qui a définitivement convaincu les physiciens de l’existence bien réelle des
atomes, c’est une expérience menée au tout début du XXe siècle, concernant un
phénomène en apparence insignifiant, le mouvement brownien. C’est ainsi qu’on
qualifie le mouvement de nombreuses particules qui s’agitent dans un fluide de
façon aléatoire. Versant des grains de pollen, qui sont minuscules, dans une goutte
d’eau, on observe au microscope que ces grains décrivent des trajectoires folles,
apparemment guidées par le seul hasard. Mais en fait, la dynamique de ces grains
obéit à une loi : ni leur vitesse ni leur direction ne sont de purs caprices. Elles
reflètent d’autres mouvements qui se produisent au sein même de l’eau. Les grains
de pollen sont comme des bouées visibles révélant le mouvement des vagues qui,
lui, demeure invisible. Ce mouvement caché et désordonné n’est autre que celui des
molécules d’eau qui heurtent en tous sens les grains de pollen, les obligeant sans
cesse à changer de direction. La réalité des molécules, et donc des atomes, encore
contestée au tout début du XXe siècle, sembla ainsi démontrée, aux alentours de
1906, grâce aux mesures faites par Jean Perrin.
La vision de l’atome était alors à peu près conforme au discours des Anciens,
celle d’entités élémentaires indivisibles. Mais c’était un peu trop naïf, comme on s’en
aperçut bien vite.
En 1908, Ernest Rutherford, aidé par son collègue Hans Geiger, fit fonctionner
le premier compteur permettant de détecter les particules α∗ une à une. Grâce à
cet appareil (l’ancêtre des compteurs Geiger), il parvint à identifier la nature de ces
particules, jusque-là inconnue : « les particules α, écrit-il, sont des atomes d’hélium,
ou, pour être plus précis, une fois qu’elles ont perdu leur charge électrique positive, elles
deviennent des atomes d’hélium. »
Celui qu’on surnomme « l’Aigle de Manchester » a alors l’étrange idée de bom-
barder de minces feuilles métalliques, d’or ou d’aluminium, avec des particules α.
Il observe que l’image que les particules forment sur un écran disposé derrière les
feuilles devient floue, comme si certaines particules avaient été déviées lors de leur
passage au travers des feuilles. D’où pouvaient provenir ces déviations ? Étaient-elles
l’effet cumulatif de multiples petites déviations s’ajoutant les unes aux autres, ou
résultaient-elles d’une déviation unique ? Intrigué, Rutherford demande à l’un de
ses étudiants, Ernst Mardsen, de regarder si quelques particules ne seraient pas dé-
viées avec de très grands angles. Ô surprise ! Mardsen constate qu’une sur dix mille
environ rebondit sur la feuille métallique et que certaines font même carrément
demi-tour !
Stupéfait – a-t-on jamais vu une balle de fusil rebondir sur une feuille de pa-
pier ? –, Rutherford réfléchit longuement et arrive, au début de l’année 1911, à une
conclusion qu’il juge inéluctable : pour qu’une particule α revienne en arrière, il faut
qu’elle subisse une très grande poussée de la part d’un objet suffisamment massif, et
cela au cours d’un choc unique, car il est impossible de comprendre le phénomène
3 La découverte de la radioactivité
Les atomes ne sont pas éternels, nous venons de le dire. Certains d’entre eux, les
atomes radioactifs, ne sont même pas immortels. Ils sont irrémédiablement voués à
se transformer. La radioactivité fut découverte à Paris au début de l’année 1896. Un
physicien français, Henri Becquerel, cherchait à savoir si la fluorescence (aussi appe-
lée phosphorescence) de certains corps s’accompagnait d’une émission de rayons X,
ces rayons invisibles à l’œil et capables de traverser des épaisseurs importantes de
matière, dont l’existence venait d’être révélée en Allemagne par Wilhelm Röntgen.
Henri Becquerel, lui, s’intéressait depuis longtemps à la phosphorescence, ce phéno-
mène par lequel certains corps qu’on a éclairés se mettent à émettre de la lumière
10 Chapitre 1. La radioactivité
pendant une durée plus ou moins longue. Reprenant une suggestion de son ami
Henri Poincaré, il se demanda si certains corps phosphorescents n’émettaient pas, en
plus de leur lumière habituelle, quelques-uns de ces fameux rayons X. La phosphores-
cence et l’émission de rayons X étaient peut-être des phénomènes associés ? Pour en
avoir le cœur net, il prit un sel phosphorescent dans lequel se trouvaient des compo-
sés de potassium et d’uranium, le plaça sur une plaque photographique enveloppée
de deux feuilles de papier noir bien épais, puis exposa le tout au Soleil pendant plu-
sieurs heures. C’était le 24 février 1896. Il développa la plaque et reconnut, en noir
sur le cliché, la silhouette de la substance phosphorescente. Une partie des rayons
émis par le sel avait bien traversé les feuilles de papier noir et impressionné la plaque
photographique ! Peut-être s’agissait-il bel et bien de rayons X ?
Pourtant, le vrai coup de théâtre n’était pas là. Le 1er mars, après quelques jours
de ciel couvert sur Paris, le même noircissement de la plaque photographique fut ob-
servé par Becquerel, qui eut le génie de la développer bien que le sel phosphorescent
n’eut pas été exposé au Soleil. Les rayonnements invisibles étaient donc émis même
sans excitation lumineuse préalable. . . ! S’il s’agissait de phosphorescence, celle-ci
n’avait donc vraiment rien à voir avec la phosphorescence ordinaire. Par la suite,
Becquerel constata avec stupeur que l’intensité des rayonnements invisibles ne sem-
blait pas diminuer au cours du temps. Le 18 mai, il découvrit que des sels d’uranium
non phosphorescents émettent également ces rayonnements. Il fit le pari que cet effet
était dû à la seule présence de l’élément uranium dans ces sels, et donc que le mé-
tal donnerait des effets plus intenses que ses composés. L’expérience confirma cette
prévision. C’était la matière elle-même qui était à l’origine de ces curieux rayons ! Le
Soleil n’avait rien à voir dans cette affaire, ni aucune autre cause extérieure. Il ne
s’agissait donc pas de phosphorescence, mais d’un phénomène spontané. . . !
En 1898, une toute jeune femme venue de Pologne, Marie Curie, commença un
travail de thèse de doctorat sur les rayons émis par l’uranium. Elle croyait ferme-
ment en l’existence de l’atome, contrairement à beaucoup de physiciens français qui
ne voyaient encore en lui qu’une hypothèse inutile, qu’une billevesée non prouvée
par l’observation directe. Elle découvrit rapidement que les minéraux contenant de
l’uranium, telle la pechblende, émettaient encore plus de rayonnements que l’ura-
nium lui-même. Elle en déduisit que ces substances contenaient, en très petite quan-
tité, un élément beaucoup plus actif que l’uranium. Avec l’aide de son mari, elle
parvint à isoler l’élément radioactif encore inconnu, le radium, et à en déterminer
les propriétés.
Ce fut à cette occasion que Marie Curie inventa le mot radioactivité. À masse
égale, le radium émet 1,4 million de fois plus de rayonnements que l’uranium.
La découverte de la radioactivité fut pour les physiciens un formidable coup de
théâtre. Jusqu’alors, ils s’étaient persuadés que la matière était stable et immuable,
et que les atomes, s’ils existaient, étaient nécessairement immortels. Ils comprirent
12 Chapitre 1. La radioactivité
la composition du noyau en neutrons et protons, ceux-ci ne faisant que se réorgani-
ser au sein du noyau. Ici, contrairement à ce qui se passe pour les radioactivités α
et β, l’élément chimique concerné n’est pas modifié. Il n’y a pas de transmutation
proprement dite.
À quel rythme l’énergie des rayons produits par la radioactivité est-elle émise ? La
réponse à cette question vint de Montréal où Ernest Rutherford et Frédérick Soddy
montrèrent expérimentalement, en 1902, que la radioactivité est une transmutation
spontanée d’un élément chimique en un autre avec émission de rayonnement. Ces
transmutations ont lieu plus ou moins rapidement, selon un temps caractéristique
appelé la période radioactive de l’atome radioactif. Imaginons une population, très
nombreuse, d’atomes radioactifs, tous identiques : la période de cette population est
égale, par définition, à la durée au bout de laquelle la moitié des atomes qui la consti-
tuent au départ se seront transmutés en d’autres éléments ; après une deuxième pé-
riode, la population restante est à nouveau divisée par deux et vaut donc le quart du
nombre initial, et ainsi de suite. La période∗ d’un atome radioactif donné est indépen-
dante de l’environnement physique ou chimique de celui-ci. Rien ne semble pouvoir
la modifier.
Par ailleurs, la période n’a de valeur que d’un point de vue statistique : elle
indique seulement comment les choses se passent « en moyenne ». En particulier,
elle ne dit rien du moment exact où chaque atome radioactif va, individuellement,
se désintégrer. Et pour cause : cet instant est rigoureusement aléatoire, et donc
impossible à prévoir de façon certaine. Autrement dit, si chaque atome radioactif
est condamné, de par sa seule nature, à se transformer en un autre atome, nul ne
sait quand il le fera. La seule chose que l’on puisse dire en ce qui le concerne, c’est
qu’il y a une chance sur deux qu’il ait disparu lorsqu’une durée égale à une période se
sera écoulée. Cette période peut s’étendre, selon les atomes radioactifs, de quelques
fractions de seconde, comme c’est le cas pour le polonium 212 dont la période
est de 3 × 10−7 seconde, à plusieurs milliards d’années, comme c’est le cas pour
l’uranium 238 dont la période est proche de 5 milliards d’années. Certaines périodes
sont même beaucoup plus grandes encore. Ainsi, le tellure 128 a une période de
1,5 × 1024 ans, soit cent mille milliards de milliards de fois l’âge de l’univers. . .
Comme on l’a vu, la radioactivité, sous ses divers modes, a joué un rôle essentiel
dans l’organisation de la matière. Elle imprègne tout l’univers et donc l’environne-
ment de notre planète, aussi bien l’air qui compose son atmosphère que ses sols et
nos propres corps, qui sont tous naturellement radioactifs !
Est qualifiée de « naturelle » la radioactivité que nous rencontrons dans. . . la na-
ture. Celle-ci est due à des éléments radioactifs de longue durée, formés dans les
étoiles, qui n’ont pas encore trouvé leur état le plus stable : ils finiront par se trans-
former, engendrant des descendants de période plus courte, pour finalement abou-
tir à des éléments stables. Est qualifiée « d’artificielle » la radioactivité qui provient
Bibliographie
[1] D. Blanc, Les rayonnements ionisants, Masson, 1990.
[2] M. Cassé, Généalogie de la matière, Odile Jacob, 2000.
[3] J.-M. Cavedon, La radioactivité, Flammarion, collection « Dominos », 1996.
[4] B. Fernandez, De l’atome au noyau, Ellipses, 2006.
[5] P. Radvanyi, M. Bordry, La radioactivité artificielle et son histoire, Seuil/CNRS,
1984.
[6] M. Tubiana, R. Dautray, La radioactivité et ses applications, PUF, collection « Que
sais-je ? », 1996.
14 Chapitre 1. La radioactivité
Deuxième partie
La radioactivité
dans l’environnement
et le vivant
2 La radioactivité
dans l’environnement
Bernard BONIN
Figure 2.1. Deux détecteurs de rayonnements utilisés comme dosimètres portatifs pour la radioprotection
des travailleurs du nucléaire.
1 Mesures des rayonnements dans l’air ambiant :
la douche cosmique
Radioactivité
de l’objet Le carbone 14 d’un objet
archéologique peut
servir de chronomètre
Radioactivité initiale
et permet de le dater
(connue)
par comparaison entre
sa radioactivité
initiale (connue) et
sa radioactivité actuelle
Becquerel
(mesurée).
Radioactivité actuelle
(mesurée)
Temps
Date Temps
de l’objet actuel
À propos de filons, quelle est la radioactivité dans une mine d’uranium ? Plutôt
faible pour deux raisons : la période radioactive des deux isotopes majoritaires de
l’uranium est très longue et l’uranium est rarement très concentré dans les roches.
Dans le creux à côté de la mine se trouvent les résidus d’extraction de l’uranium.
Votre compteur vous signale l’existence de radioactivité, presque autant que dans
le filon. D’après le compteur, vous pourriez rester près du filon ou à proximité de
ces résidus pendant quelques jours sans recevoir une dose supérieure à celle que
vous donne annuellement la radioactivité naturelle 2 . Cependant, si vous souhaitiez
prolonger votre visite, quelques précautions s’imposeraient.
2
Le débit de dose à proximité d’un stockage de résidus miniers à l’air libre (avant la mise en place des
couvertures) est de l’ordre de la dizaine de microsieverts par heure, ce qui signifie qu’il faudrait rester
plus d’une centaine d’heures sur le site pour recevoir une dose équivalente à l’exposition annuelle
naturelle moyenne.
3
Si l’on observe un atome d’uranium individuel jusqu’à ce qu’il se désintègre, on peut attendre long-
temps : en moyenne 700 millions d’années pour un atome d’uranium 235, et 4,5 milliards d’années
pour un uranium 238.
4
En fait, l’uranium 238 ne se désintègre pas directement en radium, il y a passage par des atomes
intermédiaires. Voici la chaîne de désintégration complète : 238 U-234 Th-234 Pa-234 U-230 Th-226 Ra-222 Rn-
218
Po-. . . 206 Pb. Le maillon de la chaîne qui nous intéresse ici concerne la désintégration du radium 226
en radon 222.
5
La période de désintégration radioactive du radium 226 est de 1 600 ans.
6
Plus précisément : le radon ne se fixe pas dans les poumons, et y reste peu de temps. En revanche,
il a des descendants (polonium, plomb, bismuth) qui restent piégés durablement dans les voies res-
piratoires. Étant eux-mêmes radioactifs, ce sont eux qui sont responsables de la plus grande part de
l’irradiation des alvéoles pulmonaires.
7
Les mineurs du début du XX e siècle respiraient parfois de l’air radonné à plus de 10 000 becquerels par
mètre cube. De nos jours, les mines sont bien ventilées et l’exposition des mineurs au radon est limitée.
8
Le coefficient dose-risque évalué par la Commission internationale de protection radiologique est de
0,05 cancer mortel par sievert.
9
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire estime qu’il y a en France 100 000 maisons et
300 écoles dans lesquelles le niveau de radon dépasse 1 000 becquerels par mètre cube d’air.
10
Le calcul est fait pour un humain qui passerait 80 % de son temps dans la maison.
Mais demanderez-vous, pourquoi diable mon compteur ne renifle-t-il pas dans l’air
ambiant la radioactivité des essais nucléaires dans le Pacifique, ou celle des nuages
radioactifs de Tchernobyl ou de Fukushima ? C’est que vous êtes arrivé trop tard : la
radioactivité de ces nuages est retombée au sol en quelques semaines, il n’y a plus
rien dans l’atmosphère 11 .
Revenez donc au sol, s’il vous plaît, et faites un saut dans le Mercantour. Votre
compteur crépite dans certains creux du relief ! Même si les taches radioactives
11
De façon générale, les mesures de radioactivité dans l’air sont très sensibles. En 1998, l’incinération
accidentelle d’une source de strontium dans une aciérie espagnole à Algeciras a introduit pendant
quelques jours dans l’air français une radioactivité qui a été aisément détectée malgré sa très faible
valeur, de l’ordre du millième de becquerel par mètre cube d’air. On sait, en y mettant le prix, détecter
dans l’air une radioactivité encore mille fois plus faible, soit une désintégration par seconde dans un
volume d’air de un million de mètre cube. Mais la mesure dure plus d’un mois !
18
L’usine de retraitement de La Hague rejette annuellement environ 12 000 térabecquerels sous forme
de rejets liquides (essentiellement du tritium), et 300 000 térabecquerels sous forme de rejets gazeux
(principalement du krypton 85). Un térabecquerel correspond à un million de millions de désintégra-
tions par seconde. Ces chiffres sont ceux de l’année 1997, considérée comme une année « moyenne ».
L’usine rejette aussi des quantités beaucoup plus faibles d’autres radionucléides. Toujours en térabec-
querel, les rejets liquides de l’usine de La Hague, cumulés sur l’année 1997, ont été de : 11 900 (tri-
tium), 1,82 (iode 129), 19,6 (ruthénium et rhénium 106), 0,016 (plutonium alpha), 2,5 (césium 137),
1,9 (strontium 90), 10 (carbone 14). Pour les rejets gazeux, les chiffres sont : 300 000 (krypton 85),
76 (tritium), 20 (carbone 14) et 0,018 (iode 129).
19
Le tuyau de l’usine de La Hague rejette environ 4 à 500 000 m3 d’effluents par an. Ceux-ci ont une
radioactivité de 20 à 30 millions de becquerels par litre. La majeure partie de cette radioactivité est
due à du tritium. Si l’on exclut ce tritium, dont la radiotoxicité est très faible malgré sa forte radio-
activité, et qui mérite d’être traité à part pour cette raison, la radioactivité des effluents est d’environ
60 000 becquerels par litre. Grâce au brassage de l’eau dans le raz Blanchard, cette radioactivité tombe
à quelques dizaines de becquerels par litre à 1 km de distance du tuyau.
20
Il y a environ 3 parties par milliard d’uranium dans l’eau de mer. Mais c’est surtout le potassium 40 qui
rend l’eau de mer légèrement radioactive, avec une activité d’environ 12 becquerels par litre.
21
Selon le dernier rapport de la Commission Nord-Cotentin (rapport « Sugier »), la dose induite par les
rejets de l’usine de La Hague sur la population la plus exposée est de 0,06 millisievert par an, soit
environ 20 fois moins que la dose due à la radioactivité naturelle.
Bibliographie
[1] M. T. Ménager, J. Garnier-Laplace, M. Goyffon, Toxicologie nucléaire environne-
mentale et humaine, Éditions Tec et Doc, Lavoisier, 2009.
[2] « Surveillance de l’environnement », Les cahiers des clubs CRIN, 1998.
[3] F. Bréchignac, B. Howard, Radioactive pollutants, Impact on the environment,
EDP Sciences, 2001.
22
L’impact radiologique d’une centrale nucléaire est même inférieur à celui d’une centrale au charbon.
En effet, la combustion du charbon libère les éléments radioactifs naturels qu’il contient : l’uranium
et ses descendants, le thorium et ses descendants, et le potassium. Au total, une centrale nucléaire
rejette dans l’environnement dix fois moins de radioactivité qu’une centrale à fioul ou à charbon de
même puissance, et son impact radiologique est aussi dix fois plus faible : la dose collective est de 1,6 à
2,6 homme-sievert par gigawatt.an pour une centrale nucléaire contre 20 pour une centrale à charbon.
Jean-Marc CAVEDON
Tous les rayonnements n’ont pas les mêmes effets sur les cellules. Les paramètres
principaux qui déterminent les dégâts cellulaires sont la dose, l’énergie totale de la
particule ionisante et sa perte d’énergie par unité de longueur.
Mais dans tous les cas, l’irradiation affecte surtout le noyau des cellules des orga-
nismes vivants. L’ADN, la molécule qui contient toutes les informations nécessaires
au fonctionnement de l’organisme et à sa reproduction, est, au sein de chaque cel-
lule, la principale cible susceptible d’être altérée ou détruite par des rayonnements.
La lésion physique initiale, qui a lieu dans la microseconde qui suit le passage de la
particule ionisante, est soit un choc direct sur la structure en double hélice de l’ADN,
soit une attaque indirecte par radiolyse∗ de l’eau environnant l’ADN et création de ra-
dicaux libres (le plus souvent le radical hydroxyle OH et l’atome d’hydrogène H), qui
eux-mêmes attaquent chimiquement l’ADN. Les effets indirects des rayonnements io-
nisants sur l’ADN ne se distinguent donc pas de ceux dus à des agressions d’origine
À cause de leurs différentes pertes d’énergie à travers la matière, tous les rayonne-
ments n’ont pas les mêmes effets sur les cellules, ni la même nocivité sur l’organisme.
Ainsi, une même énergie déposée (exprimée en gray)∗ par des neutrons et par des
rayons γ induira un taux de cancers beaucoup plus élevé dans le premier cas que
dans le second (Fig. 3.1). Le tableau 3.2 donne les transferts d’énergie dans les tis-
sus pour différents types de rayonnements.
Figure 3.1. Les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki étant de structure différente (l’une à
l’uranium, l’autre au plutonium), les victimes ont été irradiées différemment. Comparaison des fréquences
des décès par cancer chez les survivants des bombardements d’Hiroshima (irradiés principalement par des
neutrons) et de Nagasaki (irradiés surtout par des γ) (T. Straume et R.L. Dobson. 1981. Health Physics 31 :
666).
Les électrons et les ions perdent beaucoup d’énergie par unité de longueur vers
la fin de leur parcours : c’est le « pic de Bragg », illustré sur la figure 3.2. L’existence
de ce pic est exploitée en thérapie anticancéreuse pour irradier une tumeur localisée.
Pour tenir compte de la nocivité différente des divers types de rayonnements, on
introduit un facteur de pondération radiologique WR (tableau 3.3) qui sera utilisé
dans le calcul de la dose.
Les considérations précédentes montrent qu’il est nécessaire d’introduire des gran-
deurs distinctes pour décrire la radioactivité, son effet sur la matière, et son effet
sur les organismes vivants. Si nous faisons une analogie avec le rayonnement qui
constitue la lumière visible, il s’agit de mesurer d’une part l’intensité de la source lu-
mineuse (par exemple le nombre de photons que le Soleil émet par seconde), d’autre
La mesure de la radioactivité
Les définitions ci-dessus sont exactes et générales mais demandent, pour être
utilisées dans la pratique, une masse d’informations de détail rarement disponibles.
Pour ce qui relève de l’irradiation externe, en cas d’irradiation accidentelle il faut pro-
céder à une enquête pour reconstituer après irradiation (dont on rappelle que nous
n’avons pas d’organes sensibles pour la détecter) quel organe a été irradié pendant
quelle durée et à quel lieu, la source étant elle-même plus facilement connue.
Pour évaluer une dose à l’homme suite à une ingestion ou une inhalation ins-
tantanée d’une quantité connue d’un radioélément, on connaît en général le chemin
biochimique suivi par le radioélément dans l’organisme. On utilise donc en général
plutôt la formule suivante :
C’est pour les doses inférieures à la centaine de millisieverts que l’incertitude sur la
relation dose-effet est la plus grande, car les études épidémiologiques associées sont
extrêmement difficiles. Pour mettre en évidence de façon significative des cancers
radio-induits, il faut suivre pendant 10 à 30 ans une population d’individus exposée
à un rayonnement connu, et prouver que le taux de cancers dans cette population
est statistiquement plus élevé que celui d’une population témoin. À titre indicatif, on
retiendra les ordres de grandeur suivants : sur une population de 1 000 individus,
200 personnes environ mourront d’un cancer (toutes causes confondues, les trois
quarts de ces cancers étant liés aux habitudes de vie des personnes – tabagisme,
alcool. . . ). La théorie statistique indique que l’incertitude sur ce nombre de cancers
« naturels » est de l’ordre de ±14 cancers. L’exposition à une dose radioactive de
0,5 Sv se traduira au maximum par 25 cancers en excès dans cette population,
soit pratiquement le même ordre de grandeur que l’incertitude associée aux cancers
« naturels ». Un échantillon statistique d’un millier de personnes suffit donc (mais à
peine) pour mettre en évidence les effets toxiques maximaux d’une dose de 0,5 Sv. Or
il s’agit là d’une dose élevée ! Pour des doses plus faibles, l’effet toxique ne pourra pas
être mis en évidence dans une population d’un millier de personnes, car le nombre
de cancers en excès sera noyé dans l’incertitude associée aux cancers « naturels ».
Si l’on suppose que la relation dose-effet est linéaire (Fig. 3.5), le raisonnement
précédent permet d’affirmer qu’il faut une population de 3 millions d’individus pour
attester de l’effet d’une dose de 10 mSv, plus proche de doses considérées comme
Effets
déterministes
Figure 3.5. Relation dose-effet pour l’exposition due à la radioactivité. L’effet des faibles doses est évalué en
interpolant linéairement les résultats d’études épidémiologiques menées avec des doses fortes.
acceptables en situation non accidentelle. Il faut donc des échantillons de très grande
taille pour obtenir une précision statistique suffisante sur l’effet des faibles doses.
C’est essentiellement pour cette raison que l’évaluation du risque lié à l’exposition
du public aux rayonnements est si difficile.
On considère généralement que la relation linéaire dose-effet est bien établie au-
delà de la centaine de millisieverts (50 à 200 selon les sources) et que, en deçà, la
loi linéaire est une limite supérieure acceptée par la très grande majorité des experts.
De forts indices, appuyés sur la progression de la connaissance des mécanismes
réparateurs dans la cellule, plaident pour une relation linéaire-quadratique à faible
dose, ce qui réduirait nettement les estimations de toxicité de ces doses. Certains,
certes peu nombreux, vont jusqu’à invoquer le phénomène d’hormésis, en quelque
sorte analogue à une vaccination : de très faibles doses protégeraient contre l’effet de
plus fortes doses ultérieures, en anticipant l’activation des mécanismes réparateurs
les plus complexes et les plus lents. Cet effet adaptatif est certes attesté au niveau de
la cellule, mais la preuve d’un effet au niveau de l’organisme se heurte au manque
EN PETITES
FRACTIONS
EN GRANDES
FRACTIONS
UNE
DOSE
UNIQUE
C’est la radioactivité naturelle qui occupe la plus large place dans ce bilan, avec le
rayonnement du radon comme cause prépondérante, suivie par l’irradiation interne
due aux radioéléments naturellement présents dans le corps humain. (L’organisme
humain contient environ 4 500 Bq de potassium 40 et 3 700 Bq de carbone 14, ce
qui représente une dose d’environ 0,20 mSv/an.)
Après les irradiations naturelles, les irradiations médicales (radios du poumon)
représentent dans les pays développés la deuxième contribution à l’exposition totale
du public.
Le tableau 3.5 donne la répartition de la dose naturelle pour chaque radioélé-
ment. Comme on le voit, les activités nucléaires d’origine humaine n’occupent qu’une
place minoritaire dans l’exposition totale de la population. À titre indicatif, l’accident
de Tchernobyl a exposé les Français à une dose moyenne de 0,09 mSv. Il faut noter
que cette dose a été très inégalement répartie, ce qui donne lieu encore aujourd’hui
à des annonces de valeurs parfois fort différentes pour une même région, selon que
l’on donne les valeurs extrêmes relevées en des lieux très précis ou des doses moyen-
nées sur de plus grandes surfaces.
Son rôle est secondaire en situation accidentelle car sa durée de vie extrêmement
longue lui donne une radioactivité spécifique très faible. En revanche, c’est un déchet
nucléaire important à cause de sa longue durée de vie et de sa grande mobilité.
Sa radiotoxicité a peut-être été surévaluée par l’absence de prise en compte d’un
phénomène physiologique : l’iode est fixé dans l’organisme au niveau de la thyroïde,
qui en contient 12 mg. Tout excès est éliminé. La radioactivité de cet iode est si faible
que, même si tout l’iode de la thyroïde était en permanence de l’iode 129, l’activité
serait de 87 000 Bq et la dose annuelle ne serait que de 10 mSv.
4.3 Le césium
Le césium 137 est un déchet nucléaire important, avec une période 30 ans. Il pré-
domine, avec l’iode 131, dans les accidents de réacteur. L’accident de Tchernobyl a
libéré 5 × 1016 Bq de césium, dont 60 % de 137 Cs. Peu mobile dans la géosphère,
le césium est bien fixé par les argiles. Il est facilement transféré à l’homme par les
productions végétales et animales. Il se répartit dans les masses musculaires et sa
période biologique est voisine de 100 jours.
4.4 Le strontium
Les émetteurs alpha artificiels les plus importants sont l’américium 241 et les iso-
topes 238, 239, 240 du plutonium. Ils migrent peu dans la géosphère et sont mal
transférés à la biosphère. Chez l’homme, la fraction assimilée se fixe surtout sur le
squelette. Ces émetteurs alpha artificiels sont très radiotoxiques. Il faut mentionner
ici le polonium 210, qui a servi à assassiner par empoisonnement le malheureux
espion russe Litvinenko. Les coupables courent toujours !
4.7 Le radon
Émetteur alpha, le radon 222 est issu de la désintégration radioactive du radium 226.
Émanant naturellement des roches uranifères et des déchets miniers en général, il
n’est pas très radiotoxique par lui-même, car ce gaz inerte ne se fixe pas dans l’orga-
nisme. Ce sont ses descendants, comme lui émetteurs a qui le sont. Le radon a ten-
dance à s’accumuler en atmosphère confinée, ce qui le rend susceptible d’atteindre
les mineurs (dans les mines) et le public (dans les habitations). Il est radiotoxique
par inhalation, et peut être responsable de cancers du poumon. Cette responsabi-
lité est statistiquement prouvée chez des mineurs fortement exposés. L’impact sani-
taire du radon sur le public est beaucoup moins clair et relève de la problématique
des faibles doses. Les populations exposées à des doses significatives sont très nom-
breuses, ce qui devrait permettre de mener des études épidémiologiques sur des
bases statistiques larges. C’est peut-être par le radon que l’étude des faibles doses
radioactives pourra progresser à moyen terme. Selon certaines estimations (contro-
versées), le radon serait responsable de plusieurs milliers de cancers du poumon par
an en France. L’importance de cofacteurs comme le tabac est forte, ce qui complique
encore le tableau. Même si les incertitudes sont grandes, l’importance de l’enjeu sani-
taire « radon » justifie des mesures de prévention. Il existe des moyens relativement
4.8 Le tritium
Le tritium est un produit d’activation de période 12 ans, issu des usines de retraite-
ment, ou des établissements militaires. C’est un élément de très faible radiotoxicité,
car il n’émet qu’un rayonnement β de très faible énergie (18 keV maximum, avec un
parcours dans la matière de l’ordre de quelques microns). Initialement sous forme
de gaz, il peut entrer plus ou moins vite dans la composition de molécules d’eau et
donner de l’eau tritiée. Il suit alors le cycle de l’eau dans la biosphère. Le tritium
n’entraîne qu’une exposition interne. Il pénètre facilement dans l’organisme, qui l’éli-
mine dans sa quasi-totalité en une dizaine de jours. En cas d’exposition au tritium,
le remède consiste à boire pour accélérer l’élimination de l’eau tritiée.
Nous avons donné un aperçu de la variété des concepts, d’unités de mesure, de com-
portements spécifiques des divers radionucléides qui jalonnent le champ complexe
de la radioprotection. Retenons surtout qu’il existe une unité de mesure, le sievert,
créée pour évaluer et comparer des atteintes radiologiques à l’organisme qui ne sont
pas a priori comparables. Dans cette unité, les doses demandant une intervention
médicale sont de l’ordre du sievert, comme d’ailleurs les doses utilisées en radiothé-
rapie.
Les réglementations et les pratiques concernant la protection des travailleurs et
du public s’expriment en millisieverts, ainsi que la dose annuelle due à la radio-
activité naturelle. Les rayonnements radioactifs étant facilement décelables, y com-
pris par des instruments portables, on peut aisément mettre en évidence dans la
nature des radioactivités, naturelles ou non, à des doses se mesurant en millièmes
de millisieverts. La fréquence et la facilité de la détection de tels événements ou
points chauds (sable de Camargue, taches de césium dans le Mercantour, sanglier
des Vosges. . . ) font que leur place dans les médias est sans commune mesure avec
les doses effectivement en cause.
Munis de cette gradation de risques, qui va de l’anodin au mortel, nous pou-
vons poursuivre notre premier contact avec la radioactivité en nous penchant sur
l’histoire de son usage industriel majeur : l’électricité d’origine nucléaire ou encore
l’électronucléaire.
Jean-Marc CAVEDON
La comparaison des sections efficaces de fission induite par capture d’un neutron
(σf ) pour les isotopes 235 et 238 de l’uranium fait apparaître que seul l’isotope 235
fissionne, tant que l’énergie du neutron capturé n’atteint pas 1 MeV. Au-delà de ce
seuil, les deux isotopes se comportent de façon sensiblement équivalente. L’énergie
d’appariement entre neutrons est à la source de cette différence de comportement
entre ces deux isotopes.
Figure 4.1. Sections efficaces de fission et de capture de l’uranium 235, en fonction de l’énergie du neutron.
Tous les isotopes fissiles∗ sont instables. Le seul isotope fissile disponible dans la
nature est 235 U, car c’est le seul dont la durée de vie (700 millions d’années) s’ap-
proche de l’âge de la Terre. Les deux seuls autres isotopes fissiles d’intérêt pratique
pour la production d’énergie sont 233 U et 239 Pu, que l’on peut produire respective-
ment à partir des deux autres isotopes ayant des temps de vie « géologiques », à
savoir 232 Th (14 milliards d’années) et 238 U (4,4 milliards d’années). Ces isotopes,
qui mènent après capture d’un neutron et deux désintégrations β à des isotopes fis-
siles, sont dits fertiles∗ . Le bilan d’énergie d’une fission est sensiblement le même
pour toutes les fissions. Les 200 MeV (soit 30 picojoules) disponibles après chaque
fission se répartissent en 166 MeV emportés par les fragments de fission, 29 MeV
sous forme d’énergie interne de fragments de fission libérés par l’émission de rayon-
nements divers lors des cascades radioactives qui les transforment en produits de
fission et enfin 5 MeV d’énergie cinétique des neutrons émis. Cette dernière fraction
Fluide
caloporteur chaud
Barre de contrôle
Barre d’uranium
Modérateur
Fluide
caloporteur froid
Nous supposerons que l’on peut séparer la phase de ralentissement des neutrons
(de 2 MeV à 1/40 eV) et la phase de leur diffusion à énergie moyenne constante
(1/40 eV). Un modérateur a trois fonctions détaillées ci-après.
Le ralentissement des neutrons se produit par des collisions répétées avec des
noyaux, qui induisent une marche aléatoire. Suivant les règles de la mécanique clas-
sique, les collisions provoquent une perte d’énergie, d’autant plus efficace que le
3.2 Diffuser les neutrons avec un minimum d’absorptions parasites dans le modérateur
(transparence)
Une fois thermalisé, le neutron diffuse dans le cœur du réacteur jusqu’à être capturé.
La longueur du trajet de diffusion résulte d’une compétition entre le coefficient de
diffusion dans le modérateur, à énergie constante, et la section efficace d’absorption
par le modérateur. Elle est de 520 mm dans le graphite, de 100 mm dans l’eau lourde
et de 28 mm dans l’eau ordinaire.
Cela se fait aussi en minimisant le nombre de chocs. Les combustibles ont tous en ef-
fet des résonances d’absorption particulièrement importantes dans la gamme d’éner-
gie de 1 eV à 100 keV (énergies épithermiques∗ ). La réduction du nombre de colli-
sions dans cette gamme d’énergie permet de diminuer la probabilité d’absorptions
parasites.
L’eau lourde est le meilleur des modérateurs en compromis transparence-
efficacité. L’eau légère est le plus compact des modérateurs, mais aussi le moins
bon du point de vue des absorptions parasites. L’eau est aussi un bon caloporteur.
Le graphite occupe une position intermédiaire en transparence et compacité du
point de vue neutronique, mais c’est un solide peu conducteur de la chaleur, et il ne
peut donc avoir que sa fonction neutronique de modérateur.
La production stable d’énergie par un réacteur implique que l’on fasse en sorte que le
nombre moyen de nouvelles fissions soit égal au nombre de fissions de la génération
antérieure (Fig. 4.4).
Ralentissement :
Perte de 50 neutrons
Un cas particulier est l’apparition de poisons neutroniques retardés par une cas-
cade β– comportant de longues périodes. L’exemple le plus classique est « l’effet
xénon », qui fait référence au 135 Xe, produit de fission à forte section efficace de cap-
ture neutronique (poison neutronique). Avec une probabilité non négligeable, des
fissions conduisent à partir du tellure 135 de période courte à une chaîne de dés-
intégrations β successives donnant l’iode 135 de période 6,7 h puis le xénon 135
de période 9,2 h et enfin le césium 135 de très longue durée de vie. Dans un ré-
acteur en fonctionnement, un équilibre « séculaire » s’établit entre la production de
135
Xe par les fissions et sa destruction par les neutrons. Une concentration limite est
atteinte. Quand on arrête le réacteur, la destruction de xénon par absorption de neu-
trons cesse, sa concentration se met à croître, alimentée par la décroissance de l’iode.
En quelques heures se produit une chute de réactivité qui peut dépasser 2 000 pcm
9 heures après l’arrêt. Puis l’iode s’épuise, le xénon 135 décroît à son tour par radio-
activité β et environ 30 heures après l’arrêt, l’empoisonnement disparaît. Ce « pic
xénon » peut empêcher le redémarrage d’un réacteur après un arrêt, par exemple
en fin de cycle quand, par suite de l’usure du combustible, la réserve de réactivité
pourrait n’être plus assez grande pour en contrebalancer l’effet. L’empoisonnement
xénon a joué un rôle dans l’accident de Tchernobyl (voir chapitre 7).
Les variations plus rapides de réactivité ont pour origine les variations de tempé-
rature du réacteur. L’effet le plus rapide et le plus sensible est l’effet Doppler dans
le combustible : une augmentation locale de la température dans le combustible,
donc une agitation accrue des noyaux de combustible, a pour effet d’élargir par ef-
fet Doppler les bandes d’absorption résonnante des neutrons épithermiques∗ , et donc
d’augmenter la probabilité de capture des neutrons et de faire chuter la puissance
neutronique dissipée localement.
Cet effet de contre-réaction physique est précieux, puisqu’immédiat et local. L’ef-
fet Doppler, dont l’ordre de grandeur est de –2,5 pcm par ◦ C pour un réacteur à eau
légère, est une composante autostabilisatrice essentielle à la régulation d’un réacteur.
La fonction d’arrêt de sécurité est assurée par des barres très absorbantes, de mou-
vement très rapide et de mécanique très sûre, assurant un enfoncement complet qui
« étouffe » les réactions en chaîne. Dans les réacteurs à eau sous pression, on injecte
un absorbant liquide (bore sous forme d’acide borique) dans le modérateur liquide,
ce qui assure une diffusion homogène et rapide. C’est à la fois un mécanisme de
contrôle fin de la réactivité (–10 pcm/ppm de bore) et un mécanisme de sécurité
très simple et fiable par déversement massif de bore, sans faire appel à des mouve-
ments mécaniques qui pourraient être bloqués après un tremblement de terre ou le
retournement d’un bateau ou d’un sous-marin.
Figure 5.1. La centrale de Nogent-sur-Seine, avec ses deux réacteurs à eau pressurisée.
Un REP, c’est d’abord un cœur constitué d’un grand nombre de petits tubes très longs,
très fins qu’on appelle des crayons (en gros 6 m de long, 1 cm de diamètre, 1 mm
d’épaisseur), dans lesquels sont empilées des pastilles d’oxyde d’uranium (chaque
pastille : 1 cm de hauteur, 8 mm de diamètre). Les crayons sont regroupés en
assemblages, chaque assemblage comportant 264 crayons. La puissance (et la taille)
du réacteur dépend du nombre de ces assemblages, de 150 à 200. L’ensemble des
crayons d’un assemblage forme une structure ouverte qui baigne dans de l’eau en
mouvement : le cœur est au centre d’une grande cuve en acier (12 à 13 m de
hauteur, 4 à 4,5 m de diamètre) dans laquelle est établie une circulation forcée d’eau
sous pression (155 bars). Cette eau passe entre les crayons pour évacuer la chaleur
engendrée par les fissions au sein des pastilles d’UO2 . En même temps, l’eau est le
« modérateur » des neutrons : par des chocs successifs sur les atomes d’hydrogène
2.2 L’enceinte
La cuve est elle-même au centre d’une grande enceinte cylindrique en béton qui
contient de nombreux organes assurant l’évacuation de la chaleur : il y a autour de la
cuve trois ou quatre boucles de refroidissement, chacune composée d’une puissante
pompe de circulation et d’un échangeur de chaleur (Fig. 5.2). Pourquoi un échangeur
de chaleur ? Pour éviter que l’eau chaude qui vient du réacteur (toujours un peu
Figure 5.2. Principe de fonctionnement d’un réacteur à eau pressurisée (REP), par comparaison avec un
réacteur à eau bouillante (REB).
Le plus souvent, une centrale nucléaire est astreinte à fournir une puissance élec-
trique donnée, fixée en fonction d’une prévision de consommation. Il est donc néces-
saire de régler la puissance thermique, environ trois fois supérieure (le rendement
d’un réacteur nucléaire ne dépasse pas 35 %, en raison de la température relati-
vement basse de la vapeur). On règle la puissance du cœur en y introduisant une
matière absorbant les neutrons, du carbure de bore en général, sous la forme de
crayons plus ou moins enfoncés dans le cœur du réacteur. Le flux des neutrons étant
à son maximum au centre du cœur, on rapprochera les crayons absorbants de ce
centre pour abaisser la puissance, on les en éloignera pour l’accroître. On manœuvre
plusieurs crayons absorbants en même temps, sous forme de grappes, pour éviter de
créer localement des inhomogénéités dans la distribution du flux des neutrons.
En plus de ces grappes de commande qui agissent par des déplacements limités,
d’autres grappes de crayons absorbants fonctionnent par tout ou rien. Ce sont les
« barres de sécurité » qui, dans un mouvement brutal et rapide, sont introduites dans
le cœur pour stopper la réaction en chaîne. Il s’agit là d’une manoeuvre d’urgence
qui est soit l’acte d’un opérateur, soit celui d’un automatisme répondant à l’indication
d’une situation anormale. Ces barres de sécurité sont retenues en haut de la cuve au-
dessus du cœur par des électroaimants. Il suffit de couper l’alimentation de ceux-ci
pour que les barres, libérées, chutent, c’est-à-dire que sous l’action de leur propre
poids, elles pénètrent dans le cœur et arrêtent la réaction en chaîne dans le réacteur.
Il existe un autre type de réacteur, très courant aux États-Unis (le tiers du parc),
qu’on trouve aussi en Allemagne, en Suisse, en Suède, au Japon mais pas en France,
le réacteur à eau bouillante (REB) (Fig. 5.3).
Ce qui le distingue d’un REP, c’est le transfert direct de la chaleur depuis le
cœur du réacteur jusqu’à la turbine (voir Fig. 5.2). Parce que l’eau qui circule entre
les éléments de combustible est à la pression de 70 bars seulement au lieu de
155 bars dans un REP, elle entre en ébullition dans la partie haute du cœur et la
vapeur produite va directement à la turbine pour se détendre et se recondenser en
eau. Il n’y a donc pas de circuits primaire et secondaire, mais un seul circuit où la
vapeur va du cœur aux groupes turbo-alternateurs en salle des machines puis au
condenseur d’où il retourne au réacteur. Cet agencement différent entraîne plusieurs
modifications : premièrement, il est encore plus nécessaire que dans un REP que
l’eau de refroidissement ne soit pas radioactive puisqu’elle est admise dans un local
Les réacteurs à eau ordinaire, dite « légère » parfois, utilise, nous l’avons vu, un com-
bustible où l’uranium a été enrichi jusqu’à 3 % environ en isotope 235 (l’uranium
naturel n’en contient que 0,7 %). Ceci parce qu’il faut compenser le nombre impor-
tant de neutrons qui sont absorbés par l’eau pour donner de l’eau lourde, l’atome
d’hydrogène de l’eau devenant un atome de deutérium par capture d’un neutron.
Ce défaut disparaît si l’on remplace l’eau par de l’eau lourde parce que celle-ci ab-
sorbe beaucoup moins les neutrons que l’eau légère. Plus économe en neutrons, l’eau
lourde permet l’utilisation d’uranium naturel comme combustible. Ceci est un avan-
tage évident parce que l’enrichissement à 4 % de l’uranium est une opération indus-
trielle lourde et coûteuse.
Les pays qui ont adopté l’eau lourde comme modérateur sont le Canada et l’Inde.
Dans ce paragraphe, nous prendrons le réacteur canadien CANDU (Fig. 5.4) comme
exemple type de cette filière.
Parce que l’eau lourde est moins bon modérateur (l’atome de deutérium est deux
fois plus lourd que le neutron, alors que l’atome d’hydrogène de l’eau ordinaire a la
même masse), les neutrons parcourent une plus grande distance avant de provoquer
une fission. On peut alors avoir plus d’espace entre les éléments de combustible, ap-
pelés ici aiguilles. Celles-ci sont groupées en faisceaux ou grappes dans des barres
de plus grand diamètre et les intervalles entre barres deviennent de vrais canaux
Canal
Tube de force
Grappe de crayons
combusbles
Figure 5.4. Un réacteur à eau lourde de type CANDU. En encart : détail d’un assemblage combustible avec
son tube de force.
Dans les années 1970, le monde entier fut saisi d’une crainte de manquer d’uranium
pour alimenter les centrales nucléaires ; crainte fondée sur des surestimations des
besoins d’énergie et une sous-estimation des possibilités d’économiser l’énergie. Cer-
tains pays, comme la France et le Japon, se sont alors lancés dans un programme
industriel de réacteurs à neutrons rapides, en visant plutôt des surgénérateurs pour
répondre à une future pénurie de combustible, alors qu’aujourd’hui on envisagerait
plutôt l’isogénération ou même la sous-génération (fonctionnement en incinérateur
de déchets). Ainsi furent construits en France un prototype – Rapsodie (40 MWth)
Une particularité des RNR est la mise en circulation du sodium fondu par des pompes
électromagnétiques, car le sodium, un métal, est un bon conducteur de l’électricité.
En contrepartie, cette propriété du sodium rend difficile l’inspection des tubes de
générateur de vapeur pour en rechercher les fissures. Cette inspection se fait dans
les REP par des mesures de courants de Foucault à l’endroit des soudures qui sont
les points les plus fragiles des tubes. Si la fissure a été colmatée par le sodium, en
raison de sa propriété de conduire l’électricité, la mesure risque de ne pas détecter
de défaut. Or, on doit éviter toute défaillance d’un de ces tubes dans lesquels se
vaporise de l’eau à 160-180 bars de pression. C’est en effet le seul endroit où le
sodium et l’eau ne sont séparés que par une paroi mince. En cas de rupture, un
jet d’eau et de vapeur jaillit comme une flamme au milieu du sodium. De la soude
se forme avec dégagement d’hydrogène. C’est pourquoi la détection de ce gaz est
une nécessité sur les générateurs de vapeur. Une autre conséquence de la grande
réactivité chimique du sodium, c’est qu’il faut constamment le purifier. Dès qu’on
change un élément de combustible ou une portion de circuit, de l’air adsorbé à la
surface de ces objets est introduit dans le sodium. Des oxydes et des hydrures ainsi
que de la soude se forment, qui sont susceptibles d’attaquer les parois métalliques à
500 ◦ C, comme les tubes des générateurs de vapeur.
Des problèmes récurrents posés par ces manœuvres délicates sur Superphénix (aux-
quels se sont ajoutées d’autres pannes trop fréquentes) ont fini par paralyser l’instal-
lation, qui a été arrêtée en 1997 lors d’un changement de contexte politique. Pour-
tant, Phénix, le modèle précédent moins puissant, a donné toute satisfaction dans
son fonctionnement pendant une longue période.
Si le combat contre l’effet de serre et ses conséquences sur le climat poussait un
jour à une utilisation plus large de l’énergie nucléaire, nous pourrions nous repentir
de gaspiller l’uranium comme on le fait actuellement puisque seul l’isotope 235 entre
dans le processus de production d’énergie, soit 0,7 % de l’uranium extrait de la mine.
Le surgénérateur qui permet la conversion en fissile de l’isotope 238, donc des 99,3 %
restants, ouvrirait alors la voie d’une source d’énergie pour des centaines d’années.
Un rêve de physicien et d’énergéticien, mais un casse-tête de technologue.
Pour le moment, le taux de combustion dans un RNR atteint 100 000 MWj/t
comparé à 52 000 pour un REP. Compte tenu de la forte proportion de matière fissile
que contiennent les éléments combustibles, on devrait pouvoir aller bien au-delà.
Effectivement, certains éléments ont atteint 160 000 MWj/t dans le réacteur
Rapsodie. Ce qui limite le taux de combustion, c’est la gaine en acier qui résiste
mal à l’intense flux de neutrons auquel elle est soumise. Des cavités s’y créent qui
provoquent un gonflement de l’acier. Le faisceau des aiguilles de combustible et son
fourreau hexagonal se déforment : ils se courbent, faisant un arc, s’éloignant de
l’axe du cœur en parties supérieures et inférieures (ce qu’on appelle gerbage). On
peut craindre que le refroidissement ne soit entravé et même que les espaces entre
aiguilles ne se bouchent. On ne peut pas facilement dépasser cette limitation du taux
de combustion. On ne peut pas non plus enrichir le combustible en plutonium sans
faire baisser le nombre des neutrons retardés, qui sont essentiels pour la sûreté du
réacteur. Le multirecyclage du combustible semble donc inévitable. Les problèmes
posés par le retraitement des combustibles de RNR sont bien dominés à l’échelle du
laboratoire mais les procédés n’ont pas encore été éprouvés à l’échelle industrielle. La
valorisation du combustible, dont on fait le grand argument de la filière, est encore
un potentiel qui reste à exploiter.
En ce qui concerne la prolifération, le RNR attire l’attention, en raison de la
grande quantité de plutonium qu’il contient (4,8 tonnes dans Superphénix) et des
transports à prévoir entre centrale, usine de retraitement et ateliers de fabrication
de combustibles. C’est pour cette raison que les Américains ont toujours été hostiles
à la solution retraitement + réacteurs rapides pour l’aval du cycle dans le nucléaire
Bibliographie
[1] S. Gladstone, A. Sesonke, Nuclear Reactor Engineering, Ed. Chapman and Hill,
New York, 1994.
Yves CASSAGNOU
La sûreté, pour les centrales nucléaires, a pour objectif la prévention des ac-
cidents. Elle est assurée par la conception de procédures, d’automatismes mettant
en œuvre des matériels adaptés qui permettront, par exemple à la suite d’une dé-
faillance matérielle, de reprendre rapidement le contrôle du réacteur et de le rame-
ner dans un état sûr.
Par exemple, la première et la plus simple action de prévention est la « chute
des barres∗ ». Ces barres (en réalité des crayons de carbure de bore absorbant les
neutrons) sont normalement maintenues au-dessus du cœur par des électro-aimants.
Si une action de l’opérateur ou un automatisme provoque la coupure du courant
de ces électro-aimants, les barres chutent par gravité dans le cœur, ce qui entraîne
l’arrêt immédiat de la réaction en chaîne∗ et la baisse instantanée de la puissance à
environ 6–7 % de sa valeur initiale. Cette puissance résiduelle∗ , due à la radioactivité
du cœur, décroît ensuite plus lentement : 1 % au bout d’une heure, 0,15 % après un
mois, etc. (voir encadré sur la puissance résiduelle, p. 112). Ceci implique qu’il faut
continuer à refroidir le cœur d’un réacteur à l’arrêt.
La sûreté est aussi une culture de rigueur et d’exigences impliquant la recherche
incessante (et souvent internationale) du meilleur dans la conception des réacteurs,
la qualité des matériels, les consignes de fonctionnement, la formation des opéra-
teurs.
Deux « principes » guident la définition d’un dispositif de sûreté : indépendance et
redondance. Ainsi plusieurs types de capteurs envoient par des voies indépendantes
la valeur d’un paramètre, valeur qui sera considérée comme signalant un défaut
si au moins deux capteurs sur quatre (par exemple) donnent en même temps une
information anormale.
Dans ce qui suit, on considérera surtout les réacteurs à eau sous pression, majori-
taires dans le monde et les seuls en service en France. La généralisation aux réacteurs
à eau bouillante est le plus souvent possible.
Figure 6.1. Principaux circuits de refroidissement et de sécurité d’une chaudière nucléaire de type REP.
Un paramètre essentiel dans ce processus est donc la pression. Dans le circuit pri-
maire, elle est régulée par le pressuriseur (PR). En actionnant des chaufferettes (CC)
Cœur –
combustible
(gaine : 1° barrière)
trop faible pour pouvoir sortir facilement du combustible. La plupart restent au sein
des pastilles combustibles : seuls les plus volatils peuvent s’échapper hors de la ma-
trice cristalline de la céramique combustible, mais ceux-ci restent enfermés à l’inté-
rieur du crayon∗ , dont la gaine en alliage de zirconium est étanche. Le combustible
et sa gaine∗ constituent donc la première barrière.
Si un point chaud se développe en un endroit de la gaine ou si celle-ci a là un
défaut qui limite l’échange de chaleur, la gaine peut se déformer par gonflement et à
la longue se fissurer. Alors l’eau du circuit primaire sera contaminée. Cette eau tourne
en boucle fermée entre le réacteur et les générateurs de vapeur. La radioactivité y
restera prisonnière. C’est la deuxième barrière.
Dans des accidents graves, une fuite plus ou moins importante peut survenir sur
le circuit primaire∗ . Une séquence automatique de contre-mesures arrête le réacteur,
met en route l’injection de secours (décrite ci-après), isole les générateurs de va-
peur côté secondaire de même que quelques circuits annexes branchés sur le circuit
primaire dont certaines canalisations traversent l’enceinte. Celle-ci, devenue complè-
tement étanche, jouera alors son rôle de confinement de la radioactivité. C’est la
troisième barrière.
5 La relation homme-machine
Un facteur important avait été largement négligé dans les premiers temps de l’éner-
gie nucléaire : les hommes au pupitre de commande. La philosophie était alors de
concentrer en ce lieu tous les paramètres du réacteur et de laisser toute liberté à
l’opérateur. Une première limitation s’est introduite, on l’a vu, avec les systèmes de
sauvegarde en raison de leur temps de réponse très court (la seconde). L’opérateur
n’a qu’à constater le bon déroulement de la séquence. Les deux accidents graves
de Three Mile Island et de Tchernobyl ont posé le problème, non vraiment résolu
d’ailleurs, du facteur humain. Faut-il faire encore plus confiance à la technologie et
limiter le rôle de l’opérateur à une surveillance sourcilleuse et permanente de sys-
tèmes entièrement automatiques ?
Peut-on, par ailleurs, être sûr d’avoir prévu exactement le déroulement d’un ac-
cident sur un réacteur ? Rappelons que, dans une analyse de sûreté, on se place
systématiquement dans les conditions les plus défavorables pour obtenir une éva-
luation des pires conséquences. Et les codes utilisés, de nature volontairement pessi-
miste voire caricaturale, ne peuvent pas être employés pour définir des procédures
de conduite en cas d’accident, le déroulement qu’ils en proposent étant trop éloigné
de l’éventuelle réalité.
Le problème de l’homme est le point le plus délicat de la sûreté nucléaire. Un
autre point d’importance concerne la structure de la société industrielle. Libérale
Les réacteurs de troisième génération sont des réacteurs à eau optimisés, notamment
au plan de la sûreté. Par rapport aux réacteurs de deuxième génération, on observe
deux évolutions.
L’une consiste à chercher encore à améliorer les systèmes de sécurité : en aug-
menter leur redondance et en généraliser leur diversification par exemple (pour
contrer les incidents de mode commun, où une seule défaillance entraîne la panne
de plusieurs systèmes présumés indépendants), ou perfectionner les contre-mesures
automatiques afin de ne réclamer l’intervention de l’opérateur qu’après un temps
suffisamment long pour que son diagnostic ait toutes les chances d’être correct. Des
études d’EDF ont montré qu’au bout d’une demi-heure, un opérateur bien formé a
un diagnostic sûr à pratiquement à 100 %. On peut aussi augmenter le volume d’eau
de refroidissement pour qu’un assèchement ne survienne pas avant 30 minutes ou
rendre complètement automatiques les procédures d’injection de sécurité à haute,
moyenne et basse pression. . . Le réacteur EPR se place dans cette option. On a, en
plus, cherché dans ce projet à tirer des leçons des accidents de Three Mile Island
et de Tchernobyl par une prévention de la conséquence la plus grave d’une fusion
du cœur, même si sa probabilité est très faible (voir ci-après) : il s’agit du « syn-
drome chinois » où le cœur fondu perce le bas de la cuve, traverse le radier en béton
Il n’y a pas eu d’accidents graves sur les centrales nucléaires françaises. La sûreté a
été, c’est un fait, une priorité dans leur conception. Deux facteurs ont aussi contribué
à ce résultat :
– l’homogénéité du parc. Les réacteurs sont tous du même type, à eau sous pres-
sion. Ayant de nombreux éléments en commun, toute défaillance apparue sur
une centrale est recherchée sur toutes les autres et si des travaux d’améliora-
tion sont jugés nécessaires, ils sont préventivement étendus à toutes les cen-
trales susceptibles d’être concernées, après avoir été testés sur la première
centrale incriminée ;
– l’organisation centralisée d’EDF qui assure un bon « retour d’expérience », ce
qui est illustré ci-après.
Dans les cahiers de bord des centrales d’EDF sont consignés de nombreux incidents,
habituels sur toute grande installation en fonctionnement et la plupart du temps
d’importance mineure. Les autorités de sûreté n’en retiennent que ceux qu’elles
jugent « significatifs ». Par exemple, ceux au cours desquels des paramètres de fonc-
tionnement ont franchi les limites autorisées, jusqu’à même entraîner un arrêt d’ur-
gence du réacteur, ceux qui ont provoqué la mise en œuvre d’un automatisme de
protection, ceux qui à la longue apparaissent plus fréquemment qu’il n’avait été en-
visagé lors de la conception de la centrale (tels les risques d’inondation, comme il a
été constaté récemment), ceux dans lesquels des erreurs de diagnostic ou des viola-
tions des consignes ont été relevées, etc.
À partir des années 1970, par analogie avec l’échelle de Richter pour les tremble-
ments de terre, on a classé les événements susceptibles de perturber le fonctionne-
ment d’un réacteur en sept niveaux selon leur gravité (et par là même leur fréquence,
les événements les plus graves devant être les plus rares).
Les accidents très graves sont modélisés, nous l’avons vu, dans les « analyses proba-
bilistes de sûreté ». En faisant le décompte de tous les chemins qui peuvent amener
une fusion du cœur, y compris à partir d’un réacteur à l’arrêt, on a pu évaluer la
sûreté des centrales de 900 MWe en 1982, puis celle des 1 300 MWe en 1986 (en
parallèle avec des études analogues à l’étranger). Selon ces études probabilistes de
sûreté (EPS), la probabilité totale de fusion du cœur d’un REP de 900 MWe est de
5 × 10−5 par année-réacteur avec 3,8 × 10−5 (75 % du total) pour les fusions du
cœur à basse pression, c’est-à-dire résultant de brèches sur le circuit primaire, sur le
pressuriseur, sur les tubes de générateur de vapeur, par perte de la source froide ou
par défaillance de l’arrêt d’urgence, tout ceci survenant sur le réacteur en fonction-
nement. Dans tous les cas, l’injection de secours intervient ainsi que l’aspersion de
Bernard BONIN
La centrale nucléaire de Three Mile Island est une centrale nucléaire dans l’est des
États-Unis. Mise en service en 1974, elle a subi un accident le 28 mars 1979. L’unité 2
qui a subi l’accident est un réacteur à eau pressurisée conçu par Babcock et Wilcox
avec une capacité de production nette de 900 MWe. À Three Mile Island, tout com-
mence par un incident banal sur le circuit secondaire∗ qui a fait perdre l’alimenta-
tion en eau des générateurs de vapeur∗ . Ces derniers n’évacuant plus efficacement
les calories apportées par le circuit primaire∗ , la température et la pression dans ce
circuit∗ montent. Au bout de 3 secondes, les automatismes font s’ouvrir la soupape
de décharge du pressuriseur et chuter les barres∗ . Côté secondaire, ils provoquent
le déclenchement de la turbine et donnent l’ordre de démarrer aux pompes de l’ali-
mentation de secours des générateurs de vapeur. Au bout de 12 secondes, la pres-
sion primaire étant redevenue normale, la soupape reçoit l’ordre de se refermer. Tout
jusqu’ici a fonctionné comme prévu : la puissance résiduelle∗ peut être évacuée faci-
lement par les générateurs de vapeur avec leur alimentation de secours.
Mais la soupape a un défaut et reste bloquée en position ouverte. Pire, l’ordre
donné à la soupape de se fermer est signalé au tableau de commande, mais pas son
exécution. Conséquence : alors que le circuit primaire se vide du côté vapeur et que
la pression y atteint le seuil de mise en action de l’injection de secours, l’opérateur
ne mesurant plus le niveau dans le pressuriseur est amené à croire par la fausse
indication « soupape fermée » qu’il y a trop d’eau dans la cuve et coupe au bout de
4 minutes l’injection de secours. À ce moment-là, la cuve se vide de son eau, qui
n’est plus remplacée. Un incident supplémentaire empêche l’opérateur de réfléchir :
les deux motopompes qui doivent injecter l’eau de secours dans les générateurs de
vapeur, 30 secondes après un manque d’eau signalé, n’ont pas pu entrer en action
car elles avaient été isolées par une équipe de maintenance ! En quelques minutes,
les générateurs de vapeur se sont asséchés, ce qui interrompt tout refroidissement
du circuit primaire. Plus de 20 minutes seront nécessaires pour remettre le circuit
secondaire dans un état normal.
Pendant ce temps, la situation dans la cuve s’aggrave : après 6 minutes, l’eau du
circuit primaire commence à bouillir, les pompes doivent faire circuler une émulsion
d’eau et de vapeur, elles cavitent, on doit les arrêter. Une circulation par convection
naturelle ne peut s’établir car il y a séparation des phases : la vapeur s’accumule dans
les points hauts, l’eau liquide dans les points bas.
Ce n’est qu’au bout de 2 heures qu’un opérateur, sans comprendre ce qu’il fait,
fermera une vanne manuelle en double de la soupape et rendra étanche le circuit
primaire. Entre-temps, le niveau dans la cuve a baissé, le cœur est découvert, les
gaines atteignent des températures élevées (1 500 ◦ C) où une forte action de l’eau
sur le zirconium des gaines produit de l’hydrogène en quantité, qui passe dans
l’enceinte de confinement en entraînant des produits de fission. On a cru, un temps,
que l’hydrogène allait exploser et que l’enceinte céderait sous la pression, ce qui ne
s’est pas produit. En fait, l’enceinte joua parfaitement son rôle de dernière barrière.
Il n’y eut que des rejets minimes dans l’environnement, dus à un ordre trop tardif
d’isolement de l’enceinte. Pourtant, une partie importante du cœur avait fondu,
comme l’a montré une sonde envoyée dans la cuve six ans après l’accident. On aura
remarqué dans cette histoire d’évidentes défaillances humaines. S’y sont ajoutés de
nombreux défauts dans la conception du tableau de commande. En plus de ceux
déjà notés, celui-ci : il existait une mesure de niveau d’eau dans le réservoir de
décharge de la soupape qui aurait aidé les opérateurs à comprendre que celle-ci
était restée grande ouverte et que la cuve se vidait de son eau. Mais cette information
n’était transmise que dans un local annexe et son intérêt n’avait jamais été indiqué
aux opérateurs. Encore un défaut : l’ordinateur d’aide à la conduite, qui n’était pas
capable de gérer la situation d’accident, fut plutôt une gêne qu’une aide.
104 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
2 Tchernobyl (1986)
Dans le cas de Tchernobyl, les erreurs humaines furent bien pires et se sont ajoutées
à des erreurs de conception du réacteur.
a) Le modérateur∗ était en graphite. Le ralentissement des neutrons étant moins
efficace par des noyaux de carbone que par les noyaux d’hydrogène d’un réacteur
à eau, le réacteur russe était de grande taille et on n’a pas pu l’enfermer dans une
enceinte de confinement.
b) Le réacteur était refroidi par des tubes d’eau sous pression (tubes de force)
qui traversaient le cœur. Cette eau était portée à ébullition en sortant du cœur, ce
qui permettait de fournir directement de la vapeur aux groupes turboalternateurs
sans passer par un circuit intermédiaire. L’inconvénient de cet arrangement est que,
si la température monte inconsidérément, l’ébullition se produit dans le cœur même.
L’augmentation du volume de vapeur se traduit par une diminution de la densité
du caloporteur et une moindre absorption des neutrons. Le flux et la puissance
montent, entraînant un nouvel accroissement de la température : un cercle vicieux
s’installe que l’on traduit par l’existence d’un « coefficient de vide∗ positif » et que l’on
contrebalance par la présence en permanence de nombreuses barres absorbantes de
neutrons dans le cœur. Ce coefficient de vide positif était surtout pénalisant à faible
puissance. Le réacteur pouvait « s’emballer » lors d’un fonctionnement au-dessous du
quart de la puissance nominale, ce qui avait donné lieu à une réglementation très
sévère du nombre de barres absorbantes qu’il fallait absolument laisser dans le cœur.
c) La grande taille du réacteur rendait difficile de maintenir homogènes dans
l’ensemble du cœur le flux des neutrons et la puissance dès que l’on voulait changer
celle-ci. On y parvenait en ajustant les débits des tubes de force traversant le cœur
pour le refroidir. En outre, les barres absorbantes reproduisaient la configuration
du réacteur avec du graphite de part et d’autre de la matière absorbante centrale
de sorte que leur introduction dans le cœur pouvait au début avoir l’effet pervers
d’augmenter la réactivité au lieu de la diminuer.
En bref, ce réacteur était un engin délicat à manier pour lequel des consignes
strictes de conduite avaient été prescrites. Ces consignes suffisaient à assurer un
fonctionnement sûr, mais elles n’ont pas été respectées. Il y a plus grave : les auto-
matismes de protection fondés sur cette réglementation ont été délibérément inhibés
par les opérateurs qui, pensant (follement) avoir des réflexes suffisamment rapides,
voulaient se donner une plus grande liberté de manœuvre. Enfin, l’initiateur de l’ac-
cident a été une action humaine volontaire, puisqu’il s’agissait de couper toute l’ali-
mentation électrique du réacteur pour vérifier qu’avec le volant d’inertie des pompes
du circuit primaire, il était possible de produire le courant secouru nécessaire aux
systèmes de protection et de sauvegarde, pendant le court délai de montée en ré-
gime des groupes diesel de secours. Cet essai était superflu, car il avait déjà été
106 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Pour couronner le tout, une dernière erreur, celle-là de conception : les barres
de sécurité ne chutaient pas par gravité mais étaient actionnées par un mécanisme
infiniment trop lent. Le cœur fut détruit avant qu’elles n’aient pu y être introduites.
L’intense chaleur dégagée fit exploser les pastilles de combustible. Des morceaux brû-
lants de combustible désintégré entrèrent en contact avec l’eau de refroidissement
ce qui provoqua une importante production de vapeur et une montée de la pression
qui fit exploser la partie supérieure des canaux. Une seconde explosion, probable-
ment due au dégagement d’hydrogène, souleva la dalle supérieure (2 000 tonnes !)
du réacteur qui relâcha tous les produits de fission gazeux dans l’atmosphère. Le
modérateur en graphite du cœur prit feu. L’incendie se poursuivit pendant 10 jours,
alimentant un important nuage de radioactivité.
Environ 600 000 liquidateurs sont intervenus sur le site et ont été irradiés à des doses
variables. 237 d’entre eux ont souffert d’un syndrome d’irradiation aiguë, et 31 sont
morts dans les semaines qui ont suivi l’accident. 10 % des liquidateurs ont reçu
des doses de plus de 250 mSv et 20 % des doses comprises entre 100 et 165 mSv.
Quinze ans après la catastrophe, les médecins ont encore du mal à faire le bilan
épidémiologique de cette population, le suivi médical des liquidateurs ayant été mal
fait.
C’est l’iode 131 qui a produit l’effet le plus important sur la santé du fait de son
accumulation dans la thyroïde et de sa courte période (8 jours) qui donne lieu à
une irradiation à fort débit de dose. Un excès de 4 000 (source : IRSN sur la seule
période 1986–2005) cancers de la thyroïde chez les enfants a été observé en Russie,
en Ukraine et surtout en Biélorussie. Le bilan aurait été bien moins lourd si de l’iode
stable avait été administré aux populations locales et si l’évacuation n’avait pas
été décidée si tardivement (c’est la dernière et peut-être la plus grave des erreurs
humaines de cette catastrophe).
Après la décroissance radioactive de l’iode 131, le césium 137 (de période 30 ans)
est la principale source de contamination des sols. En Biélorussie et en Ukraine,
une superficie de 10 000 km2 a été contaminée au niveau de 555 à 1 480 kBq/m2 ;
21 000 km2 ont reçu de 185 à 555 kBq/m2 . La dose reçue par un humain vivant sur
un sol contaminé en césium à 550 kBq/m2 est d’environ 2 mSv/an, soit le même
ordre de grandeur que la dose reçue du fait de la radioactivité naturelle.
108 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Au total, ce sont des milliers de kilomètres carrés qui ont été durablement rendus
impropres à l’agriculture en Biélorussie et en Ukraine.
En France, la région Sud-Est a été la plus touchée. Le dépôt s’est réparti très
irrégulièrement, sous les orages. Les points les plus contaminés sont dans les massifs
montagneux de Corse, des Alpes et des Vosges.
2.6 Les produits agricoles français ont-ils été contaminés ? Le sont-ils encore ?
La dose radioactive reçue par les Français du fait de l’accident de Tchernobyl a été
due presque exclusivement à l’iode et au césium, via la consommation de produits
agricoles (principalement les légumes feuilles, le lait et la viande). La contamination
de ces produits a atteint son maximum immédiatement après les dépôts et n’a que
très temporairement dépassé les normes internationales en vigueur. En 1986, les
fruits secs, le thym et le lait de chèvre étaient les produits les plus contaminés.
Aujourd’hui, ce sont les produits forestiers comme les champignons et le gibier.
Encore récemment, on a trouvé en France des champignons contaminés par les
retombées radioactives de Tchernobyl, avec une radioactivité de 3 000 becquerels
par kilo. On a également mesuré dans la viande de certains sangliers chassés dans les
Vosges une radioactivité de 1 800 becquerels par kilo. Il faudrait en manger 100 kg
pour recevoir l’équivalent de la dose naturelle annuelle.
D’après l’IRSN, pour une période de 60 ans, de 1986 à 2046, la dose individuelle
reçue dans la zone la plus touchée (l’Est de la France) sera inférieure à 1,5 mSv, ce
qui représente 1 % de l’exposition naturelle durant le même temps.
En France, les doses reçues à la thyroïde sont entre 100 et 1 000 fois plus faibles
que celles auxquelles ont été soumis les enfants qui habitaient au voisinage de la
centrale. Elles n’ont pas induit un excès de risque significatif sur la santé. Il est vrai
que le nombre de cas de cancers de la thyroïde dépistés en France augmente, mais
cette augmentation avait commencé dès 1975 et l’accident de Tchernobyl n’a pas eu
sur elle d’influence visible (Fig. 7.3).
Plus stables que les RBMK soviétiques, les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc
français ont une probabilité de fusion de cœur faible, mais non nulle (de l’ordre de
10−5 par an, ce qui signifie qu’en moyenne, un REP aurait une fusion de cœur une
fois tous les cent mille ans). D’autre part, les REP occidentaux ont une enceinte
de confinement, dont les RBMK sont dépourvus. Même en cas de fusion de cœur,
les relâchements de radioactivité seraient beaucoup plus limités qu’ils ne l’ont été
à Tchernobyl. Les nouveaux modèles de réacteurs à eau pressurisée comme l’EPR
seront encore plus sûrs.
110 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
3 Fukushima (2011)
Figure 7.4. Les principaux organes d’un réacteur à eau bouillante BWR GE Mark I.
112 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
180
160
Fukushima Daiichi-1 Fukushima Daiichi-2 & 3
140
Puissance (MW)
120
100
80 Puissance résiduelle
60
40
20
0
3/11 3/12 3/13 3/14 3/15 3/16 3/17
Date
Figure 7.5. Évolution de la puissance d’un réacteur nucléaire après l’arrêt de la réaction en chaîne.
114 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
Des mesures draconiennes ont alors été prises pour refroidir tant bien que mal les
réacteurs, avec la seule source d’eau encore disponible : l’eau de mer. De l’eau de mer
a donc été injectée à la fois dans la cuve et dans le puits sec. Ce mode d’alimentation
dit « gavé ouvert » se fait à pression atmosphérique ; la vapeur associée à l’ébullition
de l’eau a été relâchée en continu.
Dans le même temps, les piscines d’entreposage du combustible usé ont elles
aussi commencé à poser des problèmes. L’eau de ces piscines doit être refroidie
par recirculation-échange pour éviter un échauffement du combustible du fait de la
puissance résiduelle qu’il dégage ; cette recirculation-échange n’étant plus assurée, le
niveau d’eau dans les piscines s’est mis à baisser, risquant de dénoyer le combustible
entreposé. Les débits de dose au voisinage des réacteurs étaient alors trop élevés
pour que les opérateurs puissent intervenir directement sur l’installation.
Trois mois après l’accident, il n’y avait toujours pas d’accès à la mer pour la
source froide. Les galeries techniques et les piscines des réacteurs étaient encore
pleines d’eau contaminée.
Isotope
Kr 85, (T = 1 an) + isotopes du Xe
I 131 (T = 8 j)
Cs 137 (T = 30 a)
Cs 134 (T = 2 a)
Te 132 (T = 3 j)
116 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
celle-ci a décru rapidement et est passée sous la limite réglementaire dès la fin avril,
soit environ un mois et demi après l’accident. Il se confirme que les éléments relâchés
dans l’eau par l’accident, étant par nature solubles, se dispersent rapidement dans
l’eau de l’océan. On n’attend pas de fortes reconcentrations d’iode ou de césium dans
les divers compartiments de la biosphère marine.
Les conséquences radiologiques de l’accident à l’échelle régionale ont été induites
par la contamination de l’atmosphère par les gaz rares, l’iode et le césium, puis par
la contamination des sols induite par les retombées atmosphériques. Cette contami-
nation des sols peut affecter le public par irradiation externe et par ingestion, suite
à la consommation de produits agricoles. L’évacuation de la zone des 20 km décidée
par les autorités japonaises a évité une exposition importante des populations.
Malheureusement, le vent n’a pas toujours soufflé de l’ouest. Pendant une brève
période, les 15 et 16 mars, un vent chargé de pluie et de neige a soufflé du sud-est,
entraînant des retombées atmosphériques et des niveaux de contamination au sol en
césium importants dans le « couloir d’Iitate », bande de terrain d’une cinquantaine
de kilomètres de long et dix de large, contaminée en césium à plus de 3 millions de
Bq/m2 (Fig. 7.8). En l’absence de contre-mesure, cette contamination induirait des
doses de l’ordre de quelques dizaines de mSv intégrées sur la première année après
l’accident, et rendra les sols durablement impropres à l’agriculture sur quelques
centaines de km2 . Des mesures d’évacuation ont été prises dans ce couloir, qui
dépasse assez largement la zone d’évacuation des 20 km.
Les doses∗ reçues par le public suite à l’accident de Fukushima deux mois après
l’accident sont inférieures à 1 mSv, sauf dans le couloir d’Iitate où elles sont plutôt
de l’ordre de la dizaine de mSv.
Vu les doses individuelles reçues par le public, on n’attend pas d’effet sanitaire
notable dans la population suite à l’accident de Fukushima. Le fort excès de cancers
de la thyroïde observé dans la région de Tchernobyl ne devrait pas avoir d’équivalent
au Japon, pour trois raisons concomitantes : les quantités d’iode relâchées ont été
environ dix fois plus faibles qu’à Tchernobyl ; les populations ayant été évacuées à
temps, la dose reçue est beaucoup plus faible ; vivant au bord de la mer, les popu-
lations japonaises ne sont pas carencées en iode et auront probablement beaucoup
moins bien fixé l’iode radioactif que leurs homologues ukrainiennes et biélorusses.
En France, la radioactivité de l’iode 131 a bien été détectée dans l’air (de l’ordre
du mBq/m3 au plus fort de la crise) et dans l’eau de pluie (de l’ordre du Bq/L), mais
l’impact dosimétrique associé a été extrêmement faible.
L’accident de Fukushima ayant donné lieu à la destruction de quatre des six réac-
teurs de la centrale, avec des rejets majeurs de radioactivité dans l’environnement et
des effets sanitaires possibles, a été classé au plus haut niveau de gravité de l’échelle
INES, comme l’accident de Tchernobyl.
Oui, au moins dans les premières phases de l’accident, du fait de l’existence d’un
circuit secondaire d’eau non active. En l’absence de source froide, l’évacuation de la
puissance résiduelle des REP peut se faire à moyen terme par évaporation d’eau du
circuit secondaire, avec relâchement de vapeur d’eau non radioactive, ce qui fait une
différence importante avec les REB. . . jusqu’à épuisement des réserves d’eau.
Si l’absence de source froide se prolonge et s’il s’avère impossible de réinjecter
de l’eau dans le circuit secondaire, le scénario est identique sur REP et REB : tem-
pérature et pression montent dans le circuit primaire, avec nécessité d’éventer, d’où
118 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
relâchement de vapeur radioactive, risque de dénoyage du cœur et production d’hy-
drogène.
Les conséquences de l’éventage sont cependant différentes pour REP et REB :
l’enceinte de confinement de petit volume dans les REB monte vite en pression ;
l’enceinte de très grand volume des REP donne encore du temps avant de devoir
relâcher la radioactivité dans l’environnement.
D’autre part, le risque hydrogène est pris en compte sur les REP et écarté par
la présence d’igniteurs ou de catalyseurs qui recombinent l’hydrogène au fur et à
mesure de sa production. Avec un REP, il n’y aurait probablement pas eu d’explosion
hydrogène.
Enfin, le fond de la cuve d’un REB est percé de passages étanches pour les barres
de contrôle, qui constituent autant de points faibles pour l’étanchéité de la cuve en
cas de fusion de cœur. Il semble y avoir eu des fuites du fond de la cuve sur les
réacteurs de Fukushima. Par contraste, un REP possède un fond de cuve continu, qui
aurait probablement mieux résisté à l’agression par le corium∗ .
Avec les réacteurs de troisième génération comme l’EPR, il n’y aurait même pro-
bablement pas eu du tout de relâchement de radioactivité à l’extérieur de l’enceinte,
car ce type de réacteur est conçu pour maintenir le confinement même en cas de
fusion du cœur.
Il est clair que l’accident de Fukushima est inacceptable aux yeux du public. Les
opérateurs de la centrale n’ont pas commis d’erreur manifeste dans leur gestion de
la crise. Peut-être auraient-ils pu éviter la fusion des cœurs, en décidant très vite
de les refroidir à l’eau de mer, mais cette décision était probablement difficile à
prendre après un séisme et un raz de marée d’une telle ampleur. Pour les techniciens
et les scientifiques, la question de la responsabilité se pose ainsi : les événements
initiateurs de l’accident (le séisme et le tsunami) étaient-ils si exceptionnels que
leur risque d’occurrence était a priori acceptable (auquel cas on a eu affaire à un
coup de malchance extraordinaire et la communauté technique est excusée), ou
bien leur probabilité d’occurrence était-elle assez haute pour qu’il soit nécessaire
de se prémunir contre ces aléas (auquel cas la communauté technique japonaise est
fautive de ne pas l’avoir fait) ?
Le risque sismique peut être évalué assez précisément. La loi de Gutenberg-
Richter, qui relie par une exponentielle magnitude et probabilité d’occurrence de
séismes est une loi universelle bien vérifiée partout dans le monde, qui permet en
principe l’évaluation des probabilités de séismes forts par observation des séismes
faibles puis extrapolation. Pour le risque de tsunami, c’est plus difficile ! Ce dernier
est évidemment lié au risque sismique précité, mais l’effet de la configuration du
Après l’accident, il faut décontaminer l’eau qui a servi à refroidir les réacteurs, actuel-
lement stockée dans les piscines et les galeries techniques de la centrale. Plusieurs
dizaines de milliers de m3 sont à traiter et il n’est pas facile d’extraire le césium
d’une eau salée, contenant beaucoup de sodium. Il faut probablement aussi décon-
taminer les sols au voisinage de la centrale et dans le couloir d’Iitate, par décapage
des quelques centimètres de la surface, ou par une autre technique à déterminer.
Reste enfin à démanteler des réacteurs accidentés, dans des conditions radiologiques
difficiles.
C’est surtout à la suite de l’accident de Three Mile Island aux États-Unis, étudié sur
une échelle mondiale, qu’en retour d’importantes modifications ont été apportées
aux réacteurs à eau sous pression : d’abord une chasse systématique de toutes les
informations qui signalent un ordre et non un état, une refonte des synoptiques et
120 Chapitre 7. Trois accidents nucléaires marquants, leurs causes et leurs conséquences...
des alarmes au tableau de commande avec hiérarchisation des informations (à Three
Mile Island, il y avait de nombreux signaux clignotants et klaxons hurlants pour un
même défaut), un contrôle très sévère de la qualité de la robinetterie des circuits
de sauvegarde, l’introduction d’un « ébulliomètre » au tableau de commande pour
indiquer la marge à l’ébullition dans le circuit primaire, et surtout un très gros effort
de formation des opérateurs, comportant par exemple l’usage de simulateurs pour
se familiariser avec les procédures d’urgence.
À Tchernobyl, le réacteur était trop particulier et les violations des consignes
trop flagrantes pour en tirer davantage qu’une confirmation de l’absolue nécessité
de l’enceinte de confinement dans la protection de l’environnement et une sérieuse
mise à jour des mesures de protection des populations. Celles-ci ont en effet été très
mal informées au moment de l’accident, déplacées de façon inefficace dans les jours
qui ont suivi et insuffisamment contrôlées médicalement par la suite.
L’accident de Fukushima est riche d’enseignements pour la communauté tech-
nique. Sur les réacteurs existants et futurs, il s’agira de mieux prendre en compte
les risques naturels, en particulier le risque de tsunami, diversifier les moyens de re-
froidissement et les alimentations électriques de secours, favoriser la sûreté passive
dans la conception des réacteurs, mieux instrumenter les réacteurs.
L’accident de Fukushima ne sera pas sans conséquences pour le développement
du nucléaire dans le monde car il survient au milieu d’une renaissance du nucléaire
et risque de briser l’élan. Les conséquences seront probablement limitées en Chine,
en Inde et en Russie, qui confirment leur besoin du nucléaire et leur intention
de le développer ; en revanche, elles sont déjà lourdes en Occident (révision des
politiques nucléaires allemandes, italiennes et suisses). D’autres pays suivront peut-
être. Relancé par l’accident, le débat démocratique sur l’avenir de la filière s’annonce
chaud. Il faut souhaiter qu’il se déroule de façon raisonnée, sans passion, en pesant
les avantages et les inconvénients de cette option énergétique.
Bibliographie
[1] « Assurer la sûreté nucléaire », une brochure de l’Agence de l’OCDE pour l’éner-
gie nucléaire, Les Éditions de l’OCDE, Paris, 1993.
[2] B. Pershagen, Light water reactor safety, Pergamon Press, 1989.
[3] J. Libmann, Éléments de sûreté nucléaire, les Éditions de physique, Les Ulis,
1996.
[4] Nuclear power, Rapport du Nuclear Research Council au Sénat américain, Na-
tional Academy Press, Washington, 1992.
[5] Les réacteurs nucléaires à eau ordinaire, collection « CEA », série synthèses,
Éditions Eyrolles, 1983.
Paul RIGNY
Par extension, le mot « cycle » peut être utilisé indépendamment du recyclage des
matières. On appelle ainsi « amont du cycle » l’ensemble des opérations qui mènent
l’uranium de la mine au réacteur, « aval du cycle » celles qui partent du combustible
usé par le fonctionnement en réacteur pour conditionner ou séparer les matières
fissiles radioactives restantes, en vue de leur recyclage ou de la gestion des déchets.
Dans les cas où aucune intention de recyclage des matières n’existe (exemple de
plusieurs grands pays nucléaires, à commencer par les États-Unis), on parle de « cycle
ouvert » essentiellement constitué du cycle amont.
Il existe une variété de filières de réacteurs nucléaires. Pour simplifier, nous
considérerons ici le cas de la filière REP (Réacteur à Eau Pressurisée) qui est la plus
utilisée industriellement dans le monde – et qui est en particulier la filière d’EDF. Au
cours de sa présence dans le réacteur, l’isotope 238 de l’uranium donne naissance
à des atomes de plutonium 239, qui eux aussi subissent la réaction de fission et
participent à la production d’énergie. Cette propriété est utilisée par EDF dans la
variante « MOX » du réacteur REP, dont nous nous considérerons également le cycle.
L’uranium est le plus lourd des éléments naturels restant sur la Terre 1 . Son noyau
est entouré de 92 électrons. Il est essentiellement composé de deux isotopes∗ , 235 U
et 238 U. Malheureusement, seul l’isotope minoritaire 235 U est fissile∗ aux neutrons
lents !
Isotope Période (ans) Abondance relative actuelle sur Terre (en % U total)
235 713 millions 0,72
238 4,47 milliards 99,275
1
On trouve d’infimes quantités de plutonium « naturel » dans le minerai d’uranium. Ce plutonium est
formé par absorption des neutrons produits par la fission spontanée de l’uranium.
Cette composition isotopique de l’uranium naturel se retrouve partout sur Terre 2 ,
aucun processus physique ou chimique à l’œuvre dans le milieu naturel n’ayant
conduit à une séparation significative des deux isotopes.
La période radioactive∗ de 238 U étant beaucoup plus longue que celle de 235 U,
le rapport 235 U/238 U a diminué au cours de l’histoire de la Terre : c’est ainsi que
4,5 milliards d’années après la formation de notre planète, il reste encore la moitié
de l’238 U, mais seulement 2 % de l’235 U.
Chimiquement, l’uranium ressemble au chrome et au tungstène. C’est un élément
qui a une affinité marquée pour l’oxygène. Il est présent dans pratiquement toutes
les roches de l’écorce terrestre, avec des concentrations particulières dans les phos-
phates, certaines roches ignées ou au voisinage de fronts d’oxydoréduction dans les
roches sédimentaires. Il entre dans la composition d’au moins deux cent minéraux,
dans lesquels on le rencontre à l’état de valence IV et VI.
En solution aqueuse, l’état de valence le plus courant est VI si les conditions
sont oxydantes. L’uranium est alors sous la forme d’ion uranyl UO2+ 2 . En conditions
réductrices, l’état de valence le plus courant est IV et la solubilité de l’uranium sous
cette forme est faible.
Dans la croûte terrestre, la teneur moyenne en uranium est d’environ 3 grammes
par tonne.
L’uranium est généralement extrait du sous-sol par des techniques minières et
hydrométallurgiques classiques dans des gisements à ciel ouvert ou en profondeur
et dont les teneurs vont de 0,5 kg (Australie) à 200 kg (Canada) d’uranium par tonne
de minerai.
Le premier travail de la prospection d’un secteur, quelle qu’en soit la taille, est de ras-
sembler toutes les données géologiques et minières déjà existantes. Aujourd’hui, la
détection des zones potentiellement favorables est considérablement facilitée, avec
l’avènement des techniques d’imagerie satellite et la mise en œuvre de méthodes
géophysiques de prospection.
La prospection radiométrique est la méthode géophysique spécifique à la détec-
tion de l’uranium, parce qu’elle est précisément basée sur la radioactivité. En fait,
on détecte davantage le radium, descendant de l’uranium, dont le rayonnement est
beaucoup plus pénétrant. La prospection radiométrique peut être faite à pied, por-
tée (en automobile) ou aéroportée, pour les maillages à grande échelle et les régions
d’accès difficile.
2
À l’exception du gisement d’Oklo, où ont eu lieu des réactions nucléaires naturelles qui ont consommé
de l’uranium 235, et bouleversé la composition isotopique de l’uranium restant.
En France, les gisements ne sont pas très riches, à la fois en teneur et en quantité.
Ils ont cependant été exploités, pour satisfaire les besoins de l’industrie nucléaire
nationale, mais la dernière exploitation a été fermée en 2001. Ils se situent principa-
lement dans les massifs anciens, comme le Massif armoricain, le Massif central, les
Vosges ; mais aussi dans les bassins sédimentaires, tels que le bassin de Lodève et le
bassin d’Aquitaine. Les mines d’uranium françaises ont été fermées car on a trouvé
ailleurs dans le monde des gisements bien plus riches.
La majeure partie de l’uranium produit dans le monde vient actuellement du
Canada, suivi de l’Australie et du Niger. De gros gisements à teneur extrêmement
élevée restent à exploiter en Australie et au Canada. D’autres gisements moins riches
ou plus difficiles à exploiter représentent des réserves potentielles importantes.
On peut remarquer que certains gros consommateurs – actuels comme le Japon
et les pays européens, ou potentiels, comme la Chine ou l’Inde – sont particulière-
ment mal dotés dans cette loterie des ressources naturelles.
trou est rebouché avec les matériaux excavés. Ensuite, on remet en place la couche
de sol.
La lixiviation in situ est une technique qui permet l’extraction de l’uranium en
profondeur sans avoir à creuser d’ouvrages souterrains de grande ampleur. Plusieurs
puits sont percés jusqu’au minerai. Une solution, habituellement acide, injectée dans
un des puits, dissout l’uranium et est récupérée par pompage dans les puits avoisi-
nants.
Le minerai dont l’exploitation est actuellement considérée comme rentable
contient au moins un (voire quelques) kilos d’uranium par tonne. Les minerais
canadiens de la Saskatchewan ont des teneurs de quelques pour cent, et parfois plus
de 10 %. Les teneurs du sous-sol français sont moins riches. Ainsi, pour extraire
en France 72 000 tonnes d’uranium, COGEMA (devenu AREVA) a extrait quelque
52 millions de tonnes de minerai.
Minerai Concassage /
Mise en solution
Mine Souter aine
Extraction
Usine proche de
Précipitation
Enfûtage /
Expédition
Lixiviation In Situ
Une mine représente une perturbation notable de l’environnement. Les résidus mi-
niers, les effluents, le réaménagement de la mine après son exploitation sont des
points sensibles du point de vue de la protection de l’environnement. Dans le monde,
nombre de sites miniers ont été abandonnés sans que de quelconques mesures de sû-
reté, de remise en état ou de restauration aient été prises en considération, en partie
peut-être parce qu’aucune réglementation ne l’exigeait à l’époque.
Arrivé au stade du yellowcake, l’uranium est encore loin de pouvoir être utilisé dans
un réacteur nucléaire ! Il doit d’abord être mis sous la forme hexafluorure d’uranium
UF6 (gazeux) pour y subir l’enrichissement isotopique∗ .
Il s’agit d’abord de purifier le yellowcake pour le débarrasser des éléments
comme le bore ou le cadmium, absorbeurs de neutrons, ainsi que des éléments for-
mant des fluorures volatils susceptibles de contaminer l’hexafluorure d’uranium pro-
duit plus tard. Cette purification se fait par extraction au tri-butyl-phosphate, après
dissolution du yellowcake ou de l’oxyde d’uranium dans l’acide nitrique.
La solution de nitrate d’uranyl purifiée est ensuite transformée en une poudre
d’oxyde d’uranium UO3 par chauffage à 300◦ , puis en UO2 par chauffage au four
en présence d’hydrogène. La poudre d’oxyde UO2 est ensuite fluorée dans un four
rotatif à 450 ◦ C en présence d’acide fluorhydrique.
Le tétrafluorure UF4 ainsi obtenu est enfin converti en hexafluorure UF6 par une
nouvelle fluoration à 450 ◦ C, cette fois-ci en présence de gaz fluor. Cet hexafluo-
rure d’uranium est ensuite acheminé sous forme solide, dans des conteneurs sous
pression, vers l’usine d’enrichissement.
L’uranium naturel ne peut servir tel quel de combustible dans un réacteur à eau
légère, car il contient trop peu de noyaux fissiles (0,72 % d’isotope fissile 235 U) pour
qu’on puisse entretenir une réaction en chaîne dans un tel milieu. L’enrichissement
en 235 U à une teneur de quelques pourcents est imposé par le choix de l’eau ordi-
naire comme modérateur et caloporteur et a pour but de compenser les captures de
neutrons par l’hydrogène de l’eau.
Un réacteur à eau typique de 1 GWe consomme annuellement 21 tonnes d’ura-
nium enrichi à 4 %. Ce tonnage est extrait de 150 tonnes d’uranium naturel. La phase
d’enrichissement entre pour 31 % dans le coût du combustible chargé en réacteur,
soit encore 7 % du coût total du kilowattheure.
La séparation isotopique est une tâche difficile car les isotopes à séparer ont
pratiquement les mêmes propriétés chimiques. Deux procédés d’enrichissement prin-
cipaux sont actuellement utilisés à l’échelle industrielle pour enrichir l’uranium : la
diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation. Ces deux procédés utilisent de l’uranium
sous forme gazeuse d’hexafluorure d’uranium UF6 . Le fluor n’ayant qu’un seul iso-
tope (de masse atomique 19), les différences de masse qui peuvent exister entre
Figure 9.3. L’usine française de diffusion gazeuse Georges Besse, construite à Pierrelatte dans le
département de la Drôme. Sa première mise en exploitation partielle a eu lieu en 1978 et la mise en service
industrielle complète date de 1982. Elle fournit en gros le quart de l’uranium enrichi produit chaque année de
par le monde.
Les 436 réacteurs en service dans le monde en 2010 totalisaient une puissance
de 370 GWe et, sur la base d’une durée moyenne de production annuelle de
7 000 heures, ont délivré environ 7 700 TWh thermiques. Leur alimentation en
combustible a nécessité environ 64 000 tonnes d’uranium naturel, ce qui correspond
à 5 GWj thermiques produits par tonne d’uranium naturel. Ce chiffre n’a rien d’in-
trinsèque à l’uranium, car il dépend des réacteurs dans lequel l’uranium est brûlé. Il
faut le comparer à la quantité d’énergie potentiellement disponible par fission dans
une tonne d’uranium naturel (900 GWj/t, si l’on suppose que tous les noyaux lourds,
fissiles et fertiles, sont consommés). La comparaison montre que les réacteurs ac-
tuels, qui sont principalement des réacteurs à eau, utilisent fort mal la ressource
uranium !
Les ressources en uranium font l’objet d’une classification tout à fait spécifique et
qu’il est important de bien comprendre. Elles sont obtenues par sondages et rééva-
luées tous les deux ans en fonction des nouvelles prospections. On distingue trois
catégories :
– les « ressources raisonnablement assurées » (RRA) classées par coût d’exploita-
tion (40, 80 et 130 $/kg), elles sont « prouvées » par des sondages avec une
maille relativement importante ;
– les « ressources supplémentaires estimées » de type I (RSE I) reconnues par
quelques sondages et parfois ajoutées au RRA pour évaluer les ressources
globales (les Américains ne les comptabilisent pas car ils estiment qu’elles ne
sont pas prouvées) ;
– RSE de type II (RSE II) déterminées à partir des connaissances sur des do-
maines reconnus par sondage, estimées par extension dans des domaines pré-
sentant des caractéristiques favorables du même type dans des régions adja-
centes à partir de critères géologiques.
Tous les deux ans, depuis 1965, l’AIEA et l’AEN publient dans le « Red Book »
l’état des ressources, état qui dépend évidemment beaucoup de l’intensité de la
prospection minière, plutôt faible ces dernières années compte tenu d’un marché
hésitant, mais qui redémarre actuellement.
La majeure partie de l’uranium cumulé extrait depuis les années 1940 dans le
monde, soit 2,2 Mt, vient par ordre quantitatif de l’URSS, du Canada et des États-
Unis. L’exploitation des mines françaises est arrêtée depuis 2001, non pas parce que
la ressource est épuisée, mais parce que des gisements plus rentables sont disponibles
ailleurs.
Les plus grandes ressources connues se trouvent maintenant en Australie (23 %),
au Kazakhstan (18 %), au Canada (9,6 %), en Afrique du Sud (8,6 %) et aux
États-Unis (7,5 %). Les RRA récupérables à un coût inférieur à 80 $/kg d’uranium,
s’élèvent à environ 2,5 millions de tonnes et celles à moins de 130 $ par kg d’uranium
sont estimées à 3,3 millions de tonnes (Fig. 9.5).
Alors que le coût des ressources s’exprime en $/kg d’uranium naturel, les cours
sont quantifiés en $ par livre (lb) d’U3 O8 . Il est donc indispensable de connaître les
correspondances entre kilogrammes, livres, uranium naturel et U3 O8 :
l’évolution des cours (en dollars courants) depuis les années 1970 ; la barre des
50 $/lb (ou 130 $/kg d’Unat ) a été atteinte à la fin de l’été 2006 et on peut remarquer
qu’un emballement des cours a commencé en 2001.
Notons également que le coût de production du kWhe des réacteurs EPR actuel-
lement en construction a été évalué en 2003 sur la base d’un prix de 20 $/lb U3 O8 ,
qui a déjà triplé à la fin de 2006.
Cette envolée des prix a plusieurs causes dont le relatif désintérêt au niveau mon-
dial pour la production électronucléaire avant l’envolée récente des cours du pétrole
associée à un manque de prospection mais également à des ressources relativement
faibles eu égard à la demande.
Actuellement, pour une consommation annuelle d’environ 60 000 tonnes d’ura-
nium naturel, seules 36 000 tonnes sont assurées par la production minière (offre
primaire), le reste est comblé principalement par l’excédent des besoins militaires
(démantèlement de l’armement) mais également par le retraitement (en masse, il
y a environ 0,7 % d’isotope 235 et 0,6 % de plutonium 239 dans le combustible
Figure 9.6. Évolution des cours de l’uranium en $ courants (source : Henri Safa). La forte hausse observée
entre 2003 et 2007 coïncide avec le re-démarrage du nucléaire dans le monde, probablement associé à de la
spéculation sur les matières premières. La baisse de 2008 est imputable à la crise économique.
Dans ce contexte, peut-on dire que les ressources seront suffisantes pour assurer
le développement du nucléaire ? Si l’on se fonde sur les seules RRA (« méthode
américaine ») à 130 $/kg Unat (ce qui sera bientôt un prix faible par rapport au
marché), on disposerait de 3,3 millions de tonnes, soit environ 50 ans au rythme de
consommation actuel. Si l’on y ajoute l’ensemble des RSE de type I, on arrive à 4,7 Mt.
Mais, si l’on tient compte de l’accroissement de la demande, on n’accroît pas vraiment
la durée de disponibilité des ressources en uranium. Certes le combustible n’a pas
été exploité au maximum de ses possibilités énergétiques et il reste au monde, fin
2010, environ 1,7 million de tonnes d’uranium appauvri à environ 0,3 % d’235 U qui
peut être considéré comme un stock stratégique pour l’avenir. Ces stocks devraient
s’accroître d’environ 57 000 tonnes par an dans un avenir prévisible.
D’après le rapport sur les « Coûts de référence de la production électrique » publié
par la DGEMP en décembre 2003, sur la base d’un prix de 20 $/lb, le coût de la
matière première intervient peu (1,4 €/MWh) dans le coût total du kWh nucléaire
(28,4 €/MWh), ce qui représente environ 5 %. Mais si le prix de l’Unat est multiplié
par 10 (200 $/lb, sachant qu’il était à 72 $/lb fin 2006), celui du kWh augmente
d’environ 40 % (41,4 €/MWh). À titre de comparaison, si le prix du gaz naturel est
multiplié par 10, celui du kWh gaz est multiplié par 7.
Bibliographie
[1] H. Métivier, L’uranium, de l’environnement à l’Homme, EDP Sciences, 2001.
Tube-guide
Grille de
mélange
Crayon
Embout
144 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Le respect de la sûreté nucléaire impose des contraintes et des qualifications
sévères dans la conception et la fabrication des éléments combustibles. Des exigences
techniques et technologiques du cahier des charges de l’assemblage combustible,
nous retiendrons principalement les suivantes :
– une grande fiabilité, associée à une durée de vie élevée : l’assemblage com-
bustible, sa structure et les crayons qui le constituent, doivent résister sans
défaillance pendant toute la durée du séjour en réacteur, actuellement 4 à
5 ans ;
– l’étanchéité du combustible. En situation incidentelle ou accidentelle, la sûreté
exige que les matières nucléaires restent confinées ; la gaine du crayon com-
bustible constitue la première barrière de confinement∗ (les deux autres sont le
circuit primaire et l’enceinte de confinement) ;
– même si dans des situations accidentelles extrêmes des ruptures de gaine
peuvent intervenir et l’assemblage subir des déformations, on doit pouvoir
continuer à le refroidir ;
– malgré ces exigences de performance, l’assemblage combustible doit rester
simple : simple à fabriquer, à manutentionner, à transporter, à réparer, puis,
après usage, simple à entreposer ; on exige aussi le plus souvent, notamment
en France, qu’il permette le traitement du combustible usé.
L’uranium (à environ 4 % d’isotope 235 fissile et 96 % d’isotope 238) ou, dans les
combustibles MOX, l’uranium mélangé avec 5 % à 10 % de plutonium (l’isotope 239
ne représente que 60 % du plutonium d’un combustible MOX neuf) sont les seuls
éléments radioactifs présents dans le combustible avant son introduction en réacteur
– dans la filière REP considérée ici.
Figure 10.2. Réactions au sein des assemblages combustibles : le jeu combiné des fissions et des captures
de neutrons dans le combustible d’un réacteur à eau. On part de 100 atomes d’uranium, dont 4 d’isotope 235
(fissile) et 96 d’isotope 238. Sur les 4, un seul survivra, et 3 subiront la fission pendant le séjour du
combustible en réacteur. Sur les 96 atomes d’U 238 initiaux, 3 seront transformés en Pu et 93 survivront. Sur
les 3 atomes de Pu formés, 2 subiront la fission, un seul survivra. Au total, on aura 3 + 2 = 5 fissions. Seul
5 % du métal lourd est consommé dans un REP. (Dans un réacteur à neutrons rapides, le schéma serait très
différent). On sort le combustible du réacteur lorsqu’il ne contient plus assez de noyaux fissiles pour
entretenir la réaction en chaîne (typiquement au bout de 4 ans dans un réacteur à eau).
146 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Figure 10.3. Contenu d’un élément combustible UOX (constitué d’oxyde d’uranium seul).
148 Chapitre 10. Le combustible nucléaire avant et après son passage en réacteur
Dans le cas d’une contamination, l’élément combustible sera séparé des autres et
placé dans un colis étanche.
Le combustible usé contient une quantité importante d’isotopes fissiles, ura-
nium 235 ou plutonium, susceptibles d’être réutilisés ; pour ce faire, il convient d’ef-
fectuer leur séparation : c’est l’objet des opérations de traitement, décrites dans le
chapitre suivant.
Bibliographie
[1] C. Lemaignan, Science des Matériaux pour le Nucléaire, collection « Génie Ato-
mique », EDP Sciences, 2004.
[2] H. Bailly, D. Ménessier, C. Prunier, Le Combustible nucléaire des réacteurs à eau
sous pression et des réacteurs à neutrons rapides, Eyrolles, 1996.
[3] « Les combustibles Nucléaires », Monographie e-den, Éditions du Moniteur,
2008.
Certains pays (dont la France) ont pris l’option de recycler les matières fissiles (ura-
nium et plutonium) présentes dans le combustible du réacteur après son utilisa-
tion. C’est l’option « avec traitement du combustible usé » souvent dénommée « cycle
fermé », c’est-à-dire comprenant une partie amont et une partie aval. Cette dénomi-
nation de « cycle fermé » est quelque peu abusive dans la mesure où la réutilisation
des matières fissiles ne se fait pas à 100 %. Les principales opérations du cycle du
combustible pour l’aval sont alors les suivantes.
À la sortie du réacteur, les assemblages combustibles usés sont entreposés dans une
piscine d’eau pendant plusieurs années pour assurer la décroissance des éléments
radioactifs (produits de fission) à courte durée de vie. Cet entreposage intervient
Figure 11.1. Piscine d’entreposage des assemblages combustibles à La Hague.
d’abord sur le site du réacteur pendant environ une année puis sur le site des
installations de traitement (en France à l’usine AREVA de La Hague) pendant 3 à
8 années suivant les cas (Fig. 11.1).
Le procédé utilisé pour séparer les trois types de produits chimiques – uranium, plu-
tonium et produits de fission – (procédé PUREX) utilise pour les éléments actinides
(uranium et plutonium) des techniques éprouvées en métallurgie traditionnelle et
dénommées « extraction par solvant ».
Le procédé PUREX consiste à extraire les nitrates d’uranium et de plutonium
hors de la solution d’acide nitrique concentré à l’aide de l’affinité sélective qu’a pour
ces corps un liquide huileux non miscible dans l’eau : du dodécane contenant du
phosphate de tri-n-butyle (TBP). Il se produit une solvatation sous forme d’espèces
neutres qui se concentrent dans la solution de TBP. L’agitation énergique des phases
aqueuse et organique dans des colonnes pulsées fonctionnant à contre-courant aug-
mente la surface de contact entre les deux liquides et accélère la migration de l’ura-
nium et du plutonium dans la phase organique. Ensuite, les solutions aqueuse et
organique se séparent efficacement par simple décantation.
Plusieurs cycles d’extraction sont nécessaires.
Pour séparer ensuite l’uranium du plutonium, on s’appuie sur la propriété du
plutonium d’être insoluble en phase organique à la valence 3. Le solvant contient au
départ l’uranium à la valence 6 et le plutonium à la valence 4. Il est mis en contact
avec une phase aqueuse réductrice (sel ferreux ++ et sel uraneux ++). Le plutonium
passe à la valence 3 et sort de la phase solvant. L’uranium est ensuite extrait par un
procédé similaire.
U
Combustible irradié HNO3 TBP
Pu
Solution EXTRACTION
DISSOLUTION
An, PF
PF, AMs
Ces diverses opérations sont mises en œuvre dans les usines AREVA de La Hague.
La technologie utilisée a demandé un travail de définition et de mise au point très
complexe du fait du caractère extrêmement radioactif des solutions traitées (nécessi-
tant l’emploi de télémanipulateurs et un contrôle sévère de la criticité ∗ ), et du niveau
très élevé des débits nominaux. Le procédé PUREX, avec éventuellement un certain
nombre d’améliorations est utilisé dans pratiquement tous les pays nucléaires qui
ont choisi le cycle fermé – La Hague en France où deux usines de 850 tonnes par an
ont été construites, Sellafield en Angleterre, Rokkasho-Mura au Japon.
L’uranium séparé, récupéré sous forme de nitrate d’uranyle, est pour partie (environ
les deux tiers) stocké en attente de recyclage et pour partie (environ un tiers) ré-
enrichi isotopiquement, sa composition isotopique (environ 0,9 % d’U235) étant
voisine des 0,72 % de l’uranium naturel ; il est ensuite recyclé pour la fabrication
de nouveaux éléments combustibles. Le plutonium transformé en oxyde est, selon la
demande, envoyé à la fabrication de combustibles mixtes uranium/plutonium, MOX∗
(en France dans l’usine de Marcoule dénommée MELOX) ou entreposé. Quant aux
produits de fission, mêlés aux actinides mineurs, ils sont considérés comme déchets
radioactifs ultimes et conditionnés par vitrification.
Figure 11.7. Vue de l’usine de traitement des combustibles usés de La Hague. Les combustibles usés
sortant des piscines d’entreposage sont traités pour la récupération des matières fissiles valorisables.
L’iode 129 qui a une période radioactive de 16 millions d’années est piégé dans
les effluents gazeux par la soude avec une efficacité de 99 %. L’iode retenu par la
soude est ensuite piégé sur des supports solides imprégnés de nitrate d’argent. Ces
supports seront ensuite transférés dans le circuit des effluents liquides et l’iode est
rejeté en mer. Là il subit une dilution isotopique dans l’iode marin, ce qui rend son
impact biologique totalement négligeable.
Par suite des progrès continus dans la mise au point du procédé de traitement,
l’activité rejetée par les usines de La Hague a sans cesse diminué.
Carbone 14 7,34 14
Strontium 90 0,134 11
Les valeurs des flux de matière radioactive qui subissent les transformations du cycle
sont en fait fortement dépendantes des options retenues par l’exploitant (choix du
taux d’enrichissement de l’uranium du combustible, choix du taux de combustion
du combustible en réacteur). Le présent paragraphe ne donne que des ordres de
grandeur. Des valeurs types des principaux flux associés aux réacteurs d’EDF sont
indiquées sur la figure 11.9, qui les résume d’une manière simplifiée.
L’ensemble du parc nucléaire français, 58 réacteurs pour une production élec-
trique de 400 TWh par an, est alimenté par un flux de 8 200 t/an d’uranium naturel.
Après enrichissement – donc à l’entrée des installations de fabrication des combus-
tibles –, on obtient le flux principal d’uranium d’environ 900 t/an d’uranium enrichi ;
parallèlememnt, une quantité de 7 300 t/an d’uranium appauvri à une teneur d’en-
viron 0,25 % d’uranium 238, considéré comme dénué d’intérêt économique est issue
des usines d’enrichissement et entreposé. Un autre flux d’uranium provient du re-
cyclage de l’uranium déjà passé en réacteur ; il est d’environ 300 t/an et est repris
des installations de retraitement d’où il sort à une composition isotopique d’environ
0,9 % d’isotope 235 pour être réenrichi ; il fournit une quantité d’environ 65 t/an
d’uranium réenrichi mélangé aux 900 t/an provenant de l’uranium naturel après
enrichissement et une quantité de 265 t/an d’uranium appauvri à entreposer. C’est
ainsi un flux de 965 t/an d’uranium enrichi à 3,5 % 1 en isotope 235 qui entre chaque
année dans les réacteurs français, après l’opération de fabrication des éléments com-
bustibles dont nous avons vu qu’ils étaient des objets technologiques complexes.
Le combustible reste en réacteur pendant une durée de 3 ou 4 années environ
selon les options d’exploitation retenues ; à l’issue de cette période, transformé par
les réactions de fission productrices d’énergie, il est devenu impropre à la production
d’énergie – tout au moins dans les conditions d’exploitation retenues – et est sorti
du réacteur. Le flux de matière radioactive correspondant est d’environ 1 100 t/an,
provenant des 965 t/an d’uranium auquel s’ajoute, pour le parc français, un flux
d’environ 135 t/an provenant des combustibles mixtes uranium/plutonium (voir ci-
après). À sa sortie de réacteur, ce flux est entreposé localement dans des piscines de
refroidissement pendant deux années, puis transféré dans les piscines de La Hague
où le refroidissement par décroissance radioactive se poursuit pendant une durée
d’environ six années supplémentaires. On prolonge la phase d’entreposage pour les
combustibles MOX (combustibles mixtes à l’uranium et au plutonium) usés (environ
1
La teneur de l’uranium du combustible des REP est comprise entre 3,5 % et 4,5 %, selon le choix de
l’opérateur qui tient compte des conditions économiques du moment. Les flux sont indiqués ici pour
une valeur de 3,5 % mais conservent leur valeur d’ordre de grandeur pour les autres teneurs.
U naturel 130 t
U enrichi 18,7 t
U de retraitement 16 t
Entreposage puis
Déchets HA-VL (verres 2,5 m3)
stockage
Déchets MA-VL 3 m3
géologique ?
Figure 11.9. Les flux de matière radioactive du cycle du combustible pour un an de fonctionnement d’un
réacteur à eau typique d’une puissance de 1 GWe, option « cycle fermé ».
100 t/an) et pour une partie des combustibles à l’uranium (environ 200 t/an de
matière radioactive). Le reste, la majeure partie des combustibles usés, constitue
le flux d’entrée de l’usine de retraitement AREVA de La Hague, qui est d’environ
850 t/an. Une des deux usines de La Hague, avec 850 t/an peut traiter environ le
combustible issu de 30 réacteurs. L’autre usine travaille pour l’étranger. On entrepose
actuellement, en attente de retraitement, les combustibles usés de 25 réacteurs
environ.
Les opérateurs des centrales électronucléaires ont plusieurs options de gestion des
combustibles usés à leur disposition. La première est de choisir entre cycle fermé
(avec traitement) ou un cycle ouvert (sans traitement du combustible usé). Dans
le premier cas (choisi par la France, le Japon, la Grande-Bretagne), on extrait
les matières valorisables (uranium et plutonium) pour utilisation ultérieure et les
autres produits radioactifs considérés comme déchets ultimes. Dans le second cas,
au contraire (choisi par exemple par les pays scandinaves), on fait le choix de ne pas
recycler les matières fissiles présentes dans le combustible usé et on destine celui-ci
directement aux déchets ou à l’entreposage d’attente. Ce choix fait l’économie des
opérations mécaniques et chimiques multiples et complexes décrites ci-dessus, mais
prive de la valeur énergétique des matières récupérées. Par ailleurs, il introduit une
Piscines de refroidissement
Réacteurs
1,25 TWhe
Pu Réacteurs
Retraitement et ≈ 0,15 TWhe
fabrication MOX
1 assemblage MOX
Déchets 1 assemblage MOX usé (Pu 5 %)
neuf (Pu 7 %)
Figure 11.10. Schéma de gestion du combustible nucléaire en recyclage du plutonium (combustible MOX).
L’ensemble du processus décrit ci-dessus dure environ vingt ans.
perdue, mais utilisée dans une nouvelle combustion. Par ailleurs, à l’issue de ces opé-
rations, on a affaire, en ce qui concerne le plutonium, à un seul élément combustible
usé au lieu de sept. Ces avantages se payent par le coût d’opérations de fabrications
de combustibles d’une autre composition (contenant du plutonium) d’une part, par
un accroissement de la difficulté de gestion des déchets d’autre part. En effet, le
traitement-recyclage du combustible MOX usé n’est pas envisagé, car il demande-
rait de nouveaux investissements lourds ; dans cette stratégie, le combustible usé
lui-même est considéré comme déchet.
Ces aspects seront optimisés pour la nouvelle filière EDF, celle du réacteur dé-
nommé EPR∗ (European Pressurized Reactor ou Evolutionary Power Reactor). Le taux
d’enrichissement de l’uranium du combustible sera de 4,50 à 4,95 % et les énergies
extraites pourront être de 60 GWj/t, voire de 70 GWj/t. Par ailleurs, il généralisera le
recyclage du plutonium, améliorant la récupération de la matière fissile (on passera
ainsi à 12 % d’économie de ressources grâce au recyclage MOX).
masse peut dépasser 100 tonnes. Ce conteneur est conçu pour arrêter les radiations 2 ,
retenir les émissions liquides ou gazeuses et assurer le refroidissement. Il est capable
de conserver son étanchéité, en cas de chocs durant le transport ou d’un incendie.
Les emballages doivent subir des tests de résistance au choc (50 km/h), à la perfora-
tion, à l’incendie (feu de 800 ◦ C pendant 30 minutes) ou à l’immersion (sous 200 m
d’eau). Dans le cas du MOX et des déchets vitrifiés, les emballages sont similaires 3 .
Le rail, qui est reconnu comme un moyen de transport très sûr pour les convois
de fort gabarit, est choisi en priorité pour les colis lourds ou encombrants dès lors
qu’il existe une liaison ferroviaire disponible. Par exemple, la quasi-totalité du com-
bustible irradié destiné au retraitement est acheminé par chemin de fer jusqu’au
terminal ferroviaire de Valognes puis par route jusqu’à l’usine de La Hague.
2
Seuls les rayons gamma ne sont pas complètement arrêtés par les parois du conteneur. Le risque d’irra-
diation concerne des travailleurs qui seraient amenés à s’approcher du château lors d’une intervention
longue. L’ordre de grandeur de la dose autorisée par les organismes de radioprotection est de 0,15 mSv
par heure à 5 mètres, c’est-à-dire qu’il faudrait rester 24 heures à proximité du château pour s’exposer
à une dose équivalente à celle de la radioactivité naturelle pendant un an.
3
L’emballage utilisé pour les transports de MOX se présente sous la forme d’un cylindre d’acier de
75 tonnes, de 6,1 mètres de longueur contenant une cavité. Cet emballage est équipé d’un système de
fermeture étanche et d’un capot absorbeur de chocs à chaque extrémité.
5 Bilan du traitement-recyclage
L’ensemble des opérations de traitement, qui a constitué un défi technologique ma-
jeur, est actuellement maîtrisé. Le traitement-recyclage apparaît aujourd’hui comme
la meilleure voie pour un nucléaire durable, car il permet d’économiser de la ma-
tière fissile (un peu avec les réacteurs à eau actuels, beaucoup avec des réacteurs à
neutrons rapides). En outre, il facilite considérablement la gestion des déchets, en
offrant à la fois une réduction substantielle de leur radiotoxicité à long terme et un
confinement efficace des déchets ultimes dans des verres.
Bibliographie
[1] L. Patarin, Le cycle du combustible nucléaire, Collection « Génie Atomique », EDP
Sciences 2002.
[2] Le traitement-recyclage du combustible nucléaire usé, Monographie e-den, les
éditions du Moniteur, 2008.
4
En cas de naufrage, les conséquences sont de même nature que celle de l’immersion en pleine mer
des déchets telle qu’elle était pratiquée dans les années 1960. La paroi du château et les gaines au
zirconium, dans le cas du combustible irradié, empêcheront la dissémination des matières tant qu’elles
résisteront à la corrosion, ce qui peut prendre plusieurs dizaines d’années (et donner le temps de
remonter l’épave). Ensuite mises au contact de l’eau, les matières insolubles (oxydes de plutonium,
déchets vitrifiés) resteront sur place. Seuls les produits gazeux ou solubles se répandront, mais les plus
radioactifs auront soit disparu (iode 131), soit fortement décru (césium 137). Les naufrages sont à
éviter, mais leurs conséquences ne sauraient être assimilées à celle d’une marée noire.
Yves TERRIEN
1 L’objectif de la transmutation
Uranium
232
U 68,9 2,9 10−7 9,76 10−4 3,7 10−6 22,7 10−6
233
U 1,58 105 5,0 10−8 1,43 10−3 5,42 33,2
234 5 −8
U 2,45 10 4,9 10 166 0,63 3,9
235
U 7,03 108 4,6 10−8 10,270 103 38,9 238,5
236
U 2,34 107 4,6 10−8 4,383 103 16,6 101,8
238
U 4,46 109 4,4 10−8 940,6 103 3563 21 948,3
Total U 955,4 103 3625 22 228,5
Plutonium
238
Pu 87,7 4,9 10−8 0,176 103 0,67 4,1
239
Pu 24 110 2,5 10−7 5,673 103 21,46 131,6
240
Pu 6 560 2,5 10−7 2,214 103 8,39 51,4
241 −9 3
Pu 14,4 4,7 10 1,187 10 4,5 27,6
242
Pu 3,7 105 2,4 10−7 0,490 103 1,86 11,4
Total Pu 9,740 103 36,9 226,3
Actinides mineurs
237
Np 2,14 106 1,1 10−7 433 1,64 10,06
241
Am 432,6 2,0 10−7 222,5 0,84 5,2
−7 −3
242
Am 152 1,9 10 0,731 2,769 10 16,98 10−3
243
Am 7 380 2,0 10−7 101,3 0,384 2,36
Tableau 12.1. Période radioactive et quantités produites dans les réacteurs pour les principaux éléments à
vie longue (J.-P. Schapira, INPC95, Beijing, 21-25 août 1995).
a)
Par ingestion, suivant les valeurs récentes données par ICPR-68.
b)
Dans une tonne de métaux lourds (tML) de combustible usé déchargé d’un REP de 900 MWe avec un taux
de combustion de 33 000 MWj/t, après 3 ans de refroidissement.
c)
Même chose pour une production d’électricité de 1 TWh (1 milliard de kWh).
d)
Pour la production annuelle d’un REP de 1 000 MWe, avec un facteur de charge de 70 %.
Il est clair (Fig. 12.1) que l’activité du plutonium (Pu) domine très largement celle
des actinides mineurs dans les combustibles usés : l’inventaire radiotoxique est donc
essentiellement dû au plutonium présent dans ces déchets, pour 75 à 95 % au
(P F )
Figure 12.2. La radiotoxicité des déchets en fonction du temps, dans différentes options de
séparation-transmutation. Cette figure montre que le gain obtenu grâce au multi-recyclage (recyclage
complet) du plutonium serait déjà considérable. La radiotoxicité de verres « allégés », c’est-à-dire sans
actinides, retomberait au niveau de celle du minerai d’uranium initial au bout de 300 ans. Encore faut-il
séparer lesdits actinides (on a vu plus haut que c’était techniquement possible), et savoir les transmuter (ce
serait envisageable avec les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération).
2.1 Le plutonium
Chaque année, environ 12 tonnes de plutonium sont produites dans les centrales du
parc français, dont plus de la moitié est du 239 Pu (fissile). La France a choisi de traiter
les combustibles usés et de réutiliser le plutonium, tant par intérêt économique que
pour diminuer la radiotoxicité résiduelle de l’aval du cycle. Pour ceci, AREVA et l’EDF
ont, avec le CEA, mis au point le combustible MOX∗ (mixed oxides, oxyde mixte
de plutonium et d’uranium), qui est déjà utilisé en conjonction avec l’UOX (oxyde
d’uranium seul) dans la moitié des réacteurs du parc actuel (voir § 3).
Le plutonium est, suivant les isotopes, très fissile ou très fertile (conduisant par
capture de neutron à un isotope fissile). C’est donc, du point de vue de l’économie
des neutrons dans les réacteurs, un excellent combustible : la valeur énergétique
du plutonium issu des combustibles usés est grande. Par ailleurs, la proportion de
neutrons retardés∗ est plus faible que pour l’uranium mais suffisante pour que son
utilisation comme combustible soit possible dans des combustibles mixtes uranium-
plutonium avec une teneur limitée en plutonium.
Ces raisons ont conduit la France à réutiliser le plutonium comme combustible
des REP. Le combustible MOX (oxydes mixtes d’uranium et de plutonium) a été
mis au point dans ce but. Actuellement, le combustible qui est fabriqué pour les
REP comporte 5 à 7 % de plutonium par rapport à l’uranium. Il est utilisé dans
Les déchets∗ de l’énergie nucléaire sont caractérisés par des masses très petites
en comparaison de ceux générés par les autres moyens de production d’énergie. En
effet, à quantité d’énergie produite identique, les réactions nucléaires provoquent la
transformation de très faibles quantités de matière au regard de celles mises en jeu
dans les réactions chimiques qui interviennent lors de la combustion du charbon ou
du pétrole : un million de fois moins !
Néanmoins, leur toxicité potentielle nécessite de protéger l’homme et l’environ-
nement du risque associé. La gestion de ces déchets nécessite donc des méthodes
spécifiques.
La France s’est engagée dans la première étape du cycle fermé en traitant les
combustibles usés des centrales nucléaires et en recyclant le plutonium extrait dans
les réacteurs REP∗ sous forme de combustible MOX∗ . Cette option, socle de sa stra-
tégie de minimisation des déchets ultimes, présente l’avantage de consommer une
fraction du plutonium produit initialement pour produire de l’énergie et de concen-
trer la fraction restante dans le combustible MOX usé en attendant son utilisation
ultérieure.
Faire fonctionner les réacteurs nucléaires ainsi que les usines de fabrication et de
traitement de combustible génère aussi des effluents∗ et des déchets : il en va ainsi
des filtres qui évitent de rejeter des gaz radioactifs dans l’atmosphère, des pompes
qui ont été remplacées ou encore des liquides résultant du rinçage des installations.
Ce sont des déchets d’exploitation, beaucoup moins radioactifs mais plus volumi-
neux que ceux retirés du combustible.
L’assainissement et le démantèlement des installations anciennes produit égale-
ment des déchets qui sont conditionnés et rejoignent les filières actuelles d’évacua-
tion.
Enfin, les centres de recherche et les hôpitaux produisent une faible quantité de
déchets radioactifs.
Volume (m3 )
Transmutation
Stockage
Figure 13.2. Les axes de recherche actuellement poursuivis pour la gestion des déchets, plus
particulièrement ceux de haute activité et à vie longue.
• La séparation poussée pour ne conserver comme déchets que les matières réellement inutilisables et
donner aux « paquets » ainsi séparés un destin adapté et optimal (par exemple la transmutation).
• La transmutation, qui semble possible pour les actinides dans des réacteurs à neutrons rapides pour
réduire la radiotoxicité potentielle des déchets.
• Le conditionnement, pour donner au déchet une forme stable et sûre.
• L’entreposage, pour laisser aux déchets conditionnés le temps de refroidir. . . et aux humains le temps de
réfléchir !
• Le stockage profond, pour isoler les déchets ultimes, seule solution satisfaisante à avoir émergé à ce jour.
Lorsqu’ils sont produits, les déchets radioactifs, comme les autres déchets, se
trouvent sous forme solide (métaux, ciments. . . ) ou liquide : ce sont des déchets
bruts. Pour pouvoir être manipulés aisément et de façon sûre, ils sont mis sous forme
de colis de déchets. Le colis garantit que les éléments radioactifs ne se dispersent
pas. Il constitue une barrière entre les éléments radioactifs et l’environnement. Il
satisfait aux normes de transport, d’entreposage ou de stockage. Le conditionnement∗
est ainsi l’ensemble des opérations successives à réaliser pour fabriquer ce colis.
Dès la mise en service, dans les années 1990, des usines actuelles de La Hague,
AREVA a cherché à réduire le volume des déchets produits par ces usines. Un im-
portant programme de recherches, PURETEX, mené par l’entreprise et le CEA en a
découlé. Ce programme a exploré différentes voies : modification des traitements
chimiques mis en œuvre, changement de modes de conditionnement. L’exploitation
des usines a aussi été optimisée en cherchant à réduire les quantités de produits
utilisés (qui deviennent ensuite des déchets radioactifs) dans les diverses opérations
que requiert le traitement du combustible usé.
En combinant toutes ces améliorations, des résultats très significatifs ont été
obtenus (Fig. 13.3). Le changement de traitement chimique des déchets liquides
a permis de diviser par dix la radioactivité rejetée en mer. Le volume des déchets
solides à vie longue a été divisé par six, grâce notamment à un nouveau mode de
conditionnement des déchets de structure des combustibles usés, le compactage. Ces
déchets compactés sont placés dans un conteneur du même type que celui utilisé
pour les déchets vitrifiés, standardisant ainsi le conditionnement des déchets ultimes
issus des usines de La Hague.
4 Déchets et effluents
Les opérations de traitement chimique du cycle du combustible ainsi que les centres
de production d’électricité ou les centres de recherche nucléaire génèrent non seule-
ment des déchets solides mais également des effluents sous forme liquide ou gazeuse.
Dans certains cas, ces résidus sont rejetés directement dans l’environnement ; le plus
souvent, toutefois, leur activité est trop importante ; il est alors nécessaire d’en sépa-
rer la fraction toxique et de la conditionner dans une matrice adaptée pour pouvoir
rejeter le reste sans nuisance significative pour l’environnement (Fig. 13.4).
5 Procédés de conditionnement
Dès les années 1950 en France, des déchets de haute activité sont solidifiés sous
forme de verres borosilicatés. Tous les éléments radioactifs entrent facilement dans
la composition de ces verres, avec des teneurs pouvant varier dans d’assez grandes
plages. Leurs points de fusion n’étant pas très élevés, ces verres sont faciles à pro-
duire. Ils résistent bien à la chaleur et aux radiations. À Marcoule (1978), puis à
La Hague, a été appliqué le procédé de vitrification (voir chapitre 11). De fonc-
tionnement très souple, il est aisément contrôlable à distance et peu coûteux : un
premier four cylindrique en rotation reçoit la solution nitrée issue du retraitement et
la calcine entre 600 et 900 ◦ C en transformant les nitrates en oxydes ; ceux-ci sont
mélangés dans une proportion de 13 à 14 % à du verre borosilicate fritté à l’entrée
d’un deuxième four à induction où la fusion s’opère à 1 100 ◦ C. Le four se vide de
lui-même toutes les 8 heures par la fusion d’un bouchon de verre dans le tuyau de
vidange, en remplissant un conteneur en acier inoxydable contenant 360 kg de verre.
Le colis de déchets vitrifiés est donc constitué d’un bloc de verre homogène, qui
contient dans sa structure même les éléments radioactifs.
La vitrification est aujourd’hui, en France, le procédé industriel pour le condition-
nement des solutions de produits de fission issues du retraitement des combustibles
usés.
Les principales améliorations obtenues au cours de la dernière décennie sont :
– une réduction du volume des déchets d’exploitation du procédé de vitrification
d’un facteur de 2 à 3 ;
– un gain d’environ 25 % sur le volume des déchets vitrifiés, obtenu en aug-
mentant la proportion d’éléments radioactifs contenus dans le colis de déchets
vitrifiés.
Cette proportion peut également être augmentée grâce à la technique du creuset
froid, en cours d’installation à La Hague par AREVA NC. La mise en œuvre de ce
procédé permettra de réduire encore le volume final des déchets.
Les déchets d’exploitation sont le plus fréquemment cimentés. S’il s’agit de dé-
chets solides, ils sont placés dans un conteneur en métal ou en béton dans lequel
du ciment est ensuite coulé. On parle alors de déchets bloqués dans du ciment. Les
déchets liquides, quant à eux, sont utilisés comme liquide de gâchage pour fabriquer
le ciment. Ce dernier est ensuite coulé dans un conteneur en métal ou en béton.
Figure 13.5. L’installation d’entreposage de déchets vitrifiés E-EV-SE d’AREVA à La Hague. Les colis de
verre y sont empilés dans des puits secs ventilés et fermés en haut par une dalle de béton assurant la
protection radiologique des opérateurs.
Bibliographie
[1] B. Bonin, et al., Les Déchets Nucléaires, état des lieux et perspectives, EDP
Sciences, 2011.
[2] Le conditionnement des déchets nucléaires, Monographie e-den, les Éditions du
Moniteur, 2008.
[3] S. Gin, Les déchets nucléaires, quel avenir ?, Dunod, 2006.
1 Le concept du stockage
Le concept de stockage géologique est simple : il s’agit de placer les déchets dans
un endroit où leur radiotoxicité ne pourra agir sur l’environnement, et ce sur une
période assez longue pour que la décroissance radioactive∗ ait le temps de faire son
œuvre et que l’impact sur la biosphère soit négligeable. Mais compte tenu du fait
que les déchets actuels contiennent des radionucléides à longue période, le temps
à prendre en compte est de l’ordre de 105 à 106 ans (par exemple : le 239 Pu a une
période de 24 000 ans, le 237 Np est beaucoup moins abondant et a une période de
2×106 ans), de sorte que seuls des sites profondément enfouis dans un milieu stable
et imperméable sont envisageables.
2 Le stockage profond
Seul le cas des déchets de haute activité et à vie longue sera examiné, car hormis le
problème du volume, les exigences sont plus faciles à satisfaire pour la catégorie des
déchets de moyenne activité et à vie longue. On trouvera dans la référence [1] une
revue intéressante.
Les sites envisagés sont essentiellement les granites (en Scandinavie), les argiles (en
France), les basaltes, les schistes et le sel.
Les principaux critères techniques d’acceptabilité du site sont une perméabilité
et un gradient hydraulique faible, pour garantir une circulation de l’eau souterraine
très lente au voisinage du site de stockage ; une localisation en plaine pour éviter les
phénomènes d’érosion rapide ; une zone éloignée des failles sismiques actives, pour
éviter l’occurrence d’événements de disruption de la croûte pendant la période d’acti-
vité du stockage ; et enfin l’absence de ressources naturelles souterraines susceptibles
d’intéresser les générations futures.
La topologie d’un stockage profond de déchets de haute activité est gouvernée par
la thermique : les déchets chauffent et cette chaleur ne peut être évacuée que par
conduction à travers la roche-hôte. Comme cette dernière possède une très mauvaise
conductivité thermique, il est nécessaire d’espacer les colis de déchets pour éviter un
échauffement excessif qui pourrait conduire à la dégradation du colis ou de la roche
elle-même. Cette contrainte impose de donner au stockage la forme d’un plan, car
c’est cette topologie qui permet d’espacer les colis au maximum avec un minimum
de galeries. Le plan est horizontal pour des raisons de commodité de manutention
(Fig. 14.1). La densité de puissance acceptable sur le plan est de l’ordre de 10 W/m2 .
Même si le volume de déchets de haute activité à stocker est très petit (quelques
milliers de m3 pour une installation capable d’accueillir les déchets français produits
jusqu’en 2050), cette contrainte sur la densité de puissance acceptable impose de
donner au stockage une taille de l’ordre du kilomètre carré.
La profondeur du plan de stockage est de l’ordre de 500 m. Cette valeur résulte
d’un compromis entre le coût du génie minier et la sûreté du stockage, qui aug-
mentent tous deux avec la profondeur.
L’architecture du stockage consiste en une série de galeries de manutention
débouchant sur des alvéoles de stockage disposées en dents de peigne par rapport
aux galeries (Fig. 14.2).
L’accès au plan de stockage est donné par des puits ou une descenderie.
La ventilation de l’ensemble est assurée par des puits.
Les puits et les galeries d’accès au site proprement dit seraient obturés en fin
d’exploitation, à l’issue d’une période d’observation éventuelle. Si une période d’ob-
servation prolongée est envisagée (« préstockage » de 150 ans), on peut adopter une
topologie dans laquelle la barrière ouvragée et les éléments de calage sont préfa-
briqués, ce qui permettra un réaménagement du site avant sa fermeture définitive
(Fig. 14.3).
3 La première barrière
Dans le cas de déchets vitrifiés, c’est la matrice verre qui doit être prise en compte
comme première barrière de confinement. Celle-ci subit en stockage l’attaque de
deux types d’agresseurs qui menacent a priori de dégrader son intégrité : l’auto-
irradiation et l’altération par l’eau.
La structure du verre pourrait être dégradée sous l’effet des déplacements ato-
miques consécutifs aux désintégrations radioactives des éléments incorporés. Des
études sur l’incorporation d’éléments très radioactifs comme le 238 Pu ou le 244 Cm
montrent que la structure du verre, déjà naturellement amorphe, est peu affectée
par cet effet.
Les expériences d’altération du verre en laboratoire portent sur des échelles de temps
très inférieures à celles d’un stockage, mais elles ont permis de dégager les princi-
paux mécanismes de lixiviation. La cinétique d’altération du verre en régime résiduel
est maintenant bien comprise et modélisée et des codes prédictifs de dégradation
des colis de verre ont été écrits [3]. Actuellement, les modèles de comportement à
long terme des colis de déchets vitrifiés, en situation de stockage, montrent qu’après
10 000 ans, seule une proportion de 1 pour mille du verre serait dissoute. Cette durée
est à comparer à la durée de vie des radionucléides incorporés qui, pour la plupart,
auraient cessé d’être radioactifs.
La durabilité des verres sur le très long terme est attestée par l’exemple de
certains verres et roches éruptives, analogues naturels des verres nucléaires. Ceux-ci
montrent une très bonne tenue dans le temps et permettent de valider les modèles
d’altération.
3.3 Le métal
Pour permettre leur manutention, les cylindres de déchets vitrifiés sont coulés dans
un conteneur en acier inoxydable. Il y a accord pour admettre que l’intégrité (ab-
sence de piqûre traversante) de conteneurs métalliques soumis aux conditions de
stockage ne saurait être garantie au-delà de quelques centaines d’années, même s’ils
sont faits avec les meilleurs aciers. La défaillance du conteneur de déchets vitrifiés
4 La barrière ouvragée
Les problèmes sont ceux des argiles considérées comme barrière géologique, avec
un effet accru de la chaleur (d’où des fissurations possibles) lié à la proximité du
colis. Des modélisations des effets respectifs du dessèchement par effet thermique
et du gonflement par réhydratation sont en cours [4]. Les effets liés à la chaleur
sont surmontés par un temps de refroidissement suffisant avant stockage et par une
limitation de la densité de stockage de telle sorte que la surface des conteneurs reste
toujours inférieure à 100 ◦ C.
5 La barrière géologique
La problématique est celle des flux hydriques (la circulation des eaux souterraines) et
de leur interaction avec les colis stockés, ces flux pouvant conduire à une remontée
des radionucléides vers la biosphère. Cette remontée dépend très fortement des
propriétés de la couche géologique.
5.1 Le sel
Les sites salins se présentent sous forme soit de grands massifs de sel pur (quelques
km3 ) essentiellement anhydres, soit de couches sédimentaires de sel impur. Des
poches de saumure peuvent exister dans les deux cas. Un autre inconvénient est que
la radiolyse des impuretés peut générer des gaz corrosifs et éventuellement explosifs.
Enfin, les risques liés à une exploration involontaire du site sont très élevés, le sel et
ses impuretés étant des ressources précieuses. En revanche, le sel, contrairement au
granite, peut fluer, ce qui lui permet de colmater des fissures éventuelles.
5.2 Le granite
Le granite a une teneur en eau faible et une perméabilité variable. Les flux hydriques
sont dominés par la convection dans les fractures, la microporosité étant beaucoup
moins importante. Chimiquement, c’est un milieu réducteur, dans lequel peuvent
apparaître des complexes inorganiques (ligands) ; des colloïdes inorganiques et des
sulfures sont présents. La sorption (absorption ou adsorption) est non négligeable.
5.3 L’argile
L’argile en tant que milieu hôte pour le stockage de déchets radioactifs présente
de nombreux avantages : sa perméabilité très faible assure un flux d’eau très lent.
D’éventuelles fractures peuvent cicatriser ou se colmater. La plasticité de l’argile lui
∂ ci 1 −−→ ∂ Si
= · grad (ci ) − λi · ci + λi+1 · ci+1 −
· De · Δci − U
∂t ω ∂t
où ci est la concentration en radionucléide dissous dans l’eau du milieu souter-
rain, U est la vitesse interstitielle (à travers les pores) de l’eau, D est le coefficient
de dispersion-diffusion qui exprime la dilution en cours de trajet, λi et λi+1 les
constantes radioactives du noyau i et de son descendant i + 1 ; le dernier terme
rend compte des phénomènes de sorption et désorption par lesquels un contaminant
est retenu un certain temps dans la roche, ce qui entraîne un retard (par rapport à
l’eau) de sa migration. La vitesse interstitielle est prise comme la vitesse de Darcy,
U = −1/ω·K ·grad h où K est le coefficient de conductivité hydraulique, ω mesure la
porosité du milieu et h est la hauteur piézométrique (pression en hauteur d’eau). Si
la roche est très fissurée, on l’assimile à un milieu constitué de pores plus gros (c’est
fréquent dans le granite). La figure 14.5 montre la succession de phénomènes abou-
tissant à un relâchement de radionucléides vers la surface. Les actinides, peu solubles
10-2 10-1 100 101 102 103 104 105 106 107
Champ proche
.....
Chargement mécanique dû à l’excavation
...............
Réponse mécanique différée
.......................
Echauffement du champ proche
.................................
Resaturation en eau du champ proche
...........................
Evolution physico chimique du champ proche
......................
Corrosion du surconteneur et production d’hydrogène
..................
Altération du verre
Champ lointain
.............................
Chargement mécanique
.......................
Echauffement du champ lointain
......
Première glaciation
.............................
Migration des radio-nucléides en champ lointain
Figure 14.4. Le scénario d’évolution normale du stockage, avec les principaux phénomènes en jeu.
dans l’eau, sont très sensibles aux interactions chimiques avec la roche poreuse, ce
qui peut se traduire par un facteur de retard 103 à 104 fois celui des produits de
fission. Basés sur le modèle ci-dessus, les calculs sont soit déterministes c’est-à-dire
que partant de valeurs uniques des paramètres, ils permettent d’évaluer un risque ra-
dioactif, soit « stochastiques » : des distributions de valeurs des paramètres sont alors
en entrée du calcul, ce qui permet d’évaluer des écarts-type et de faire une analyse
de sensibilité aux différents paramètres.
Enfin des « modèles de biosphère » sont utilisés pour décrire le transport (dilution
ou concentration) de la radioactivité à travers l’environnement jusqu’à l’homme et
l’impact sur le corps humain. On obtient ainsi une évaluation des doses reçues par les
Niveau de la nappe
Migration horizontale dans
l’aquifère (perméable)
Stockage
≈ 10 km
populations locales en fonction du temps (Fig. 14.6). Les doses ainsi obtenues sont
extrêmement sensibles aux hypothèses qui sont faites, pour des temps très éloignés
du nôtre, sur les densités de population, les habitudes alimentaires, l’utilisation de
l’eau dans l’agriculture et l’élevage.
Il faut noter que l’évaluation de l’impact de la radioactivité sur le vivant a été
établie à partir de situations pour des cas d’exposition brutale et événementielle à la
radioactivité (Hiroshima. . . ). Elles sont donc mal adaptées pour estimer l’effet d’une
source permanente d’exposition à de très faibles doses intégrée tout au long de la vie
sur de nombreuses générations. Seule la comparaison à l’exposition à la radioactivité
naturelle fournit aujourd’hui un repère fiable.
On doit donc s’attendre à de grandes incertitudes dans ces calculs qui associent
sur l’ensemble de la chaîne : la lixiviation du verre, la percolation dans le « champ
proche » (le site et ses barrières ouvragées), la percolation de « champ lointain » (la
roche hôte), la contamination de l’homme par la chaîne alimentaire, et ses effets sur
la santé. Cependant, là aussi, des analogues naturels ont aidé au calage de certains
modèles.
Une conclusion, peut-être optimiste, à une telle étude est présentée dans le
rapport Pagis [5] programme-cadre européen, où ont été étudiés trois stockages
(dans l’hypothèse d’une quantité de déchets enfouis aussi importante qu’une à dix
fois la production annuelle mondiale) dans l’argile, le sel et le granite, et qui conclut
que la dose de radiation au sol est nulle pendant au moins 20 000 ans après la
fermeture du stockage et qu’il faut attendre de l’ordre du million d’années pour
que cette dose atteigne 10 μSv/an, soit une fraction très faible de la radioactivité
naturelle (Fig. 14.6).
Dans l’évaluation des risques liés à des événements improbables, l’analyse de risque
est de type pessimiste (worst case analysis) (Fig. 14.7).
} argile
Sel
Figure 14.7. Impact dosimétrique d’un stockage de déchets nucléaires vitrifiés pour des scénarios
d’évolution anormale du stockage :
– une faille rejoue dans l’argile (croix à comparer au trait gras qui donne l’évolution normale) : l’impact n’est
pas augmenté, mais apparaît plus tôt ;
– même effet dans le sel, en plus accentué (traits et points à comparer avec le trait fin continu de droite pour
une évolution normale) ;
– dans le sel toujours, une inondation précoce du site (tirets) ou une intrusion humaine peuvent faire
apparaître la radiotoxicité dès 10 000 à 20 000 ans, mais celle-ci reste cependant inférieure à la radioactivité
naturelle (d’après la référence [5]).
Une étude assez poussée mais très irréaliste par son pessimisme excessif (fissuration
à cœur des verres, reconcentration optimisée, etc.) a montré qu’un scénario d’accu-
mulation de matière fissile par gravité dans un site de stockage pouvait conduire à
des accidents de criticité∗ d’amplitude croissante jusqu’à une véritable explosion [6].
Un choix pas trop absurde des topologies de stockage doit permettre d’éviter totale-
ment ce risque.
Bibliographie
[1] D. Savage (ed.), The Scientific and Regulatory Basis for the Geological Disposal
of Radioactive Waste, John Wiley and Sons, 1995.
[2] ANDRA, Dossier « Argile 2005 ».
[3] P. Frugier et al., « SON68 Nuclear Glass Dissolution Kinetics: Current State of
Knowledge and Basis of the New GRAAL Model », Journal of Nuclear Materials,
2008.
Henri SAFA
Les choix énergétiques d’une société ne sont pas dictés simplement par des consi-
dérations économiques, mais comportent aussi des éléments stratégiques et poli-
tiques, et ceux-ci sont particulièrement prégnants pour le nucléaire. À cause du ca-
ractère centralisé de cette énergie, à cause aussi de l’ampleur des investissements
initiaux, et du cadre législatif nécessaire pour assurer la sûreté et la radioprotection,
le nucléaire est d’abord une affaire d’État.
L’énergie nucléaire est aujourd’hui principalement exploitée pour la production
d’électricité. Dans le monde, le nucléaire entre en compétition économique avec le
gaz et le charbon pour la production dite en base. Généralement, dans chaque pays,
le choix effectué dépend de l’accessibilité aux matières premières.
D’autre part, grâce à sa facilité de transport et sa souplesse d’utilisation, le vec-
teur électricité a tendance à progressivement se substituer aux autres formes d’éner-
gie dans tous les domaines. Ainsi, la production électrique en France a été multipliée
par 3 depuis le premier choc pétrolier, passant de 173 TWh en 1973 (à l’époque
générée par des centrales thermiques et hydrauliques) à 565 TWh aujourd’hui (dont
428 TWh de nucléaire). Sa part dans l’énergie primaire a plus que doublé. Reste que
les besoins de transport sont toujours largement dominés par l’utilisation de pétrole
et ceux de chauffage par le gaz. Depuis une décennie, la question environnementale
posée par le réchauffement climatique a entraîné un regain d’intérêt pour les éner-
gies décarbonées. Bien entendu, ce sont les énergies renouvelables qui en ont le plus
profité grâce aux politiques accommodantes des pays riches qui ont mis en place
des tarifs de rachat très attractifs. Mais celles-ci restent limitées en production car
elles sont diffuses, intermittentes et chères. Comme le nucléaire n’émet pas de gaz à
effet de serre, il a naturellement engendré de l’espoir, surtout dans les pays à forte
croissance économique qui montrent un féroce appétit énergétique. Pour ces raisons,
nous assisterons probablement au cours du XXIe siècle à un déploiement accru du
nucléaire, au moins dans le pays en développement, quand bien même des accidents
comme celui de Fukushima au Japon pourraient temporairement freiner son expan-
sion dans les pays développés.
Dès la fin des années 1960, la France a fait le choix du nucléaire pour garantir sa
fourniture propre d’électricité et assurer son indépendance énergétique. Aujourd’hui,
les 58 réacteurs à eau pressurisée fournissent 76 % de la totalité de la production
électrique (Fig. 15.1) Cette part importante du nucléaire dans le mix énergétique a
deux conséquences. D’une part, une grande souplesse est requise dans le fonction-
nement, le pilotage des réacteurs devant s’adapter aux variations des appels sur le
réseau. De l’autre, la France peut se targuer d’afficher de très faibles émissions de
gaz à effet de serre pour la production d’électricité étant donné que près de 90 % de
sa production est décarbonée (nucléaire, hydraulique et EnR). Cette particularité fait
de la France une référence mondiale en termes d’électronucléaire (tableau 15.1).
Thermique fossile
Nucléaire
75.9 % Hydraulique
10.7 % 10.8 %
Autres
Eolien
0.8 % Photovoltaïque
1.7 %
Total = 565 TWh
0.1 %
Figure 15.1. Répartition de la production électrique en France selon le type de combustible. L’énergie
nucléaire représente plus des 3/4 de la production, l’hydraulique et le thermique classique (gaz, charbon et
fioul) environ 10 % chacun. De l’ensemble des nouvelles énergies renouvelables, seul l’éolien assure une
production non négligeable, contribuant pour un peu moins de 2 %.
France 58 63,1 76
Slovaquie 4 1,8 52
Belgique 7 5,9 51
Ukraine 15 13,1 48
Hongrie 4 1,9 42
Suède 10 9,3 38
Suisse 5 3,3 38
République Tchèque 6 3,7 33
Corée du Sud 21 18,7 32
Japon 50 44,1 29
Finlande 4 2,7 28
Allemagne 17 20,5 27
Espagne 8 7,5 20
États-Unis 104 101,2 20
Taïwan 6 5,0 19
Russie 32 22,7 17
Grande-Bretagne 19 10,1 16
Canada 18 12,6 15
Inde 20 4,4 3
Chine 14 11,1 2
Monde 439 374 13
Tableau 15.1. Part de l’électricité d’origine nucléaire dans quelques pays. La France est le pays qui possède
le pourcentage le plus élevé. L’énergie nucléaire a fourni 13 % de l’électricité mondiale en 2010.
0.7 Turkménistan
Afrique du Sud
0.6
0.5 Zimbabwe
Nigéria
0.4
Mozambique
0.3
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Energie par habitant (tep/an)
Figure 15.2. Indice de Développement Humain (IDH) pour chaque pays en fonction de l’énergie dépensée
par habitant (source : PNUD/ONU). Le développement va de pair avec la consommation énergétique, au
moins pour les pays en développement. Pour les pays développés, il n’y a plus de corrélation.
Gaz
26.9 % Charbon
21.6 %
4.7 %
Nucléaire
30.5 % 9.3 %
5.9 % Hydraulique
Bois et déchets
1.2 %
Total = 13.3 Gtep Renouvelables
Figure 15.3. La production mondiale d’énergie primaire est en grande majorité à base d’énergies fossiles,
rejetant de grandes quantités de gaz carbonique dans l’atmosphère.
25
Scénario A
20
15
(en Gtep)
Scénario C
10
A: Business as usual
5 B: Moyen ou Modéré
C: Ecologique
Réel
0
1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
Figure 15.4. Projections de la consommation énergétique mondiale vue par l’IIASA et le WEC5 en 1998
selon trois scénarios (A = on ne fait rien, B = on limite la consommation pour réduire les émissions de gaz
carbonique, C = on met en œuvre tout ce qui est économiquement possible). On s’aperçoit que la
consommation actuelle (en 2010) est en train de dépasser le niveau escompté pour le scénario A, jugé
pourtant le plus pessimiste.
2 Brésil
2
Afrique du Sud
2
Argentine
Figure 15.5. Une douzaine de pays concentrent l’essentiel des 439 réacteurs. Les plus importants sont les
États-Unis, suivis de la France et du Japon. L’Inde et la Chine montent en puissance.
6
HWR = Heavy Water Reactor.
Figure 15.6. Répartition des filières existantes de réacteurs nucléaires. 62 % des réacteurs en
fonctionnement et 78 % de ceux en construction sont des réacteurs à eau pressurisée.
effacée au profit des REP dès lors que la maîtrise de l’enrichissement fut acquise.
Les huit réacteurs de puissance UNGG sont aujourd’hui en phase de démantèlement.
La filière graphite-eau (RBMK) compte encore 11 réacteurs en fonctionnement en
Russie, mais l’accident de Tchernobyl a mis en exergue une faiblesse intrinsèque et
signé son extinction future. Quant à la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR),
elle ne pourra être économiquement compétitive que si le prix de la matière première
uranium se maintenait à un niveau significativement élevé.
Bibliographie
[1] Ch. Ngô, L’énergie, ressouces, technologies et environnement, Dunod, 2002.
[2] H. Nifenecker, Le nucléaire : un choix raisonnable ?, EDP Sciences, 2011.
[3] F. Sorin, Le nucléaire et la planète, 10 clés pour comprendre, Grancher, 2009.
[4] B. Barré, P.R. Bauquis, Comprendre l’avenir ; l’énergie nucléaire, HIRLE, 2007.
Henri SAFA
L’électricité est un produit de base indispensable de nos jours qui requiert une
analyse de long terme non seulement technico-économique, mais également poli-
tique et stratégique. C’est pourquoi les décisions en la matière se prennent souvent
au plus haut niveau des états. Le choix par un industriel d’une unité de production
dépend beaucoup des conditions économiques du moment et des hypothèses prises
pour son analyse, notamment de la valeur du taux d’actualisation et des projections
futures, hypothèses qui se révèlent le plus souvent imprécises. Cela est d’autant plus
vrai pour le nucléaire qui réclame un investissement conséquent et une vision à
très long terme, deux caractéristiques inacceptables pour des entreprises de taille
moyenne. Nonobstant, le coût du kWh produit par une centrale nucléaire peut tout
à fait se comparer à celui issu d’une centrale au charbon ou à gaz, les deux autres
principaux moyens de production en base. Mis à part l’hydraulique, qui est égale-
ment utilisée pour la gestion des variations de charge, tous les autres moyens se
révèlent être nettement moins compétitifs.
Le coût du kWh nucléaire peut se décomposer en quatre parties (Fig. 16.1) :
– l’investissement qui comprend les coûts de construction plus les frais de maî-
trise d’œuvre et les intérêts intercalaires, les frais de pré-exploitation et de
mise en service, les frais d’aléas et les provisions pour déconstruction et dé-
mantèlement du réacteur. Il est important de souligner que les coûts de dé-
mantèlement, même s’ils sont encore incertains, sont ainsi provisionnés dès le
démarrage du projet ;
10 %
16 % Investissements
Fonctionnement
Combustible
R&D et Taxes
17 %
57 %
Figure 16.1. Répartition du coût du MWh nucléaire. Le coût d’investissement représente environ 60 % du
coût global.
1
Au 30 juin 2011, le fonds pour la déconstruction et derniers cœurs était déjà alimenté à hauteur de
19,6 G€ et celui pour l’aval du cycle à hauteur de 17 G€.
2
Rapport DGEMP (Direction générale de l’énergie et des matières premières) / DIDEME (Direction de
la demande et des marchés énergétiques) « Coûts de référence de la production électrique », décembre
2003.
Investissement
33 55 84
( C/MWh)
Tableau 16.1. Variation du coût d’investissement du MWh d’un EPR selon le taux d’actualisation.
choisi par l’industriel sera déterminant pour garantir ou non sa compétitivité écono-
mique face au gaz ou au charbon.
Afin de mieux préciser les chiffres, rappelons que le coût du MWh nucléaire en
France a été évalué en 2003 par l’étude ministérielle précitée à 28,4 €2001 . Plus
récemment, le parc actuel a fait l’objet d’une expertise économique par la CRE 3
qui a estimé son prix de revient aux alentours de 40 €, valeur retenue par les
pouvoirs publics pour fixer le prix de cession du kWh par EDF aux fournisseurs
alternatifs 4 . Ce coût est précisément dans la fourchette fournie en 2010 par l’AIE
et l’AEN 5 (entre 30 et 80 $/MWh). Ces agences ont conjointement réalisé une
comparaison des coûts de production d’électricité dans le monde à partir d’un large
éventail de technologies 6 . Leur conclusion est qu’avec un taux d’actualisation à 5 %,
le nucléaire (59 $/MWh) est la source d’énergie la plus compétitive, y compris vis-à-
vis du charbon (65 $/MWh) et du gaz (86 $/MWh), mais que cet avantage disparaît
pour un taux d’actualisation de 10 %.
Le nucléaire de 3e génération comme l’EPR affichera probablement un coût plus
élevé pour deux raisons. D’une part, la construction de ce type de réacteur comporte
davantage d’éléments liés à la sûreté qui alourdissent sensiblement les coûts d’inves-
tissements. De l’autre, les marchés financiers réclament aujourd’hui aux entreprises
privées des retours sur investissements à plus court terme, ce qui incite à proposer
des projets avec des taux d’actualisation plus élevés.
Il faut dire aussi que la rentabilité des réacteurs nucléaires dépend beaucoup
de leur durée d’exploitation. Une fois amortis, ils deviennent une véritable « rente
nucléaire », que l’électricien peut être tenté d’exploiter aussi longtemps que possible.
Les réacteurs du parc actuel, initialement prévus pour une durée de 30 à 40 ans, sont
dans cette situation. La plupart d’entre eux font l’objet de demandes d’extension de
3
Commission de régulation de l’électricité.
4
Prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Il devrait passer à 42 €/MWh en
2012. Ce coût intègre cependant le coût des investissements futurs pour la jouvence du parc actuel
d’EDF (extension de la durée de vie) et pour partie des investissements passés non encore amortis.
5
L’agence internationale de l’énergie et l’agence pour l’énergie nucléaire font partie de l’OCDE.
6
Rapport OCDE/AEN sur les « Coûts prévisionnels de production de l’électricité », édition 2010. La
synthèse est disponible gratuitement en ligne http://www.oecd-nea.org/
Bibliographie
[1] E. Bertel, G. Naudet, L’économie de l’énergie nucléaire, collection « Génie Ato-
mique », EDP Sciences, 2004.
Bernard BONIN
Le noyau fissile le plus couramment utilisé dans les réacteurs actuels est 235 U, seul
isotope fissile « naturel ». D’autres noyaux fissiles utilisables sont les isotopes impairs
du plutonium 239 Pu et 241 Pu, produits par irradiation neutronique de l’isotope fertile
238
U. Le mélange dans le cœur d’isotopes fissiles et fertiles permet d’augmenter la
durée de fonctionnement du cœur, puisque la disparition des noyaux fissiles par
fission est compensée partiellement (ou totalement si le réacteur est surgénérateur)
par la formation de nouveaux noyaux fissiles par capture de neutrons sur les noyaux
fertiles.
Caloporteur
De nombreux choix sont possibles pour le fluide caloporteur : eau lourde, eau or-
dinaire, gaz (hélium, CO2 ), métaux liquides. . . Le caloporteur peut circuler directe-
ment du cœur à la turbine ou échanger de la chaleur avec un circuit secondaire. Le
choix du caloporteur a une grande importance dans la technologie du réacteur et les
grandes filières sont souvent classées en fonction de lui.
Modérateur
Un autre choix fondamental est celui de l’énergie moyenne, ou vitesse moyenne, des
neutrons dans le cœur. Le choix entre neutrons rapides et neutrons lents détermine
ainsi deux grandes familles :
– dans les réacteurs à neutrons lents, ou « thermiques », les neutrons sont ralentis
par des chocs successifs sur les noyaux légers d’un matériau modérateur∗ . Les
matériaux modérateurs principalement employés sont l’eau ordinaire, l’eau
lourde (D2 O) et le graphite. Les neutrons lents ayant des grandes probabili-
tés d’interaction avec la matière, ce type de réacteur peut fonctionner avec un
combustible peu enrichi en noyaux fissiles (l’uranium naturel peut même éven-
tuellement suffire), mais seule une petite partie de l’énergie potentielle des
noyaux lourds du combustible est valorisée. Beaucoup de ces noyaux lourds
sont transmutés par capture de neutrons en actinides∗ qu’on retrouvera pré-
sents dans les déchets ;
– dans les réacteurs à neutrons rapides, on ne ralentit pas les neutrons dans
le réacteur, et ceux-ci gardent à peu près l’énergie qu’ils avaient lors de leur
production par fission. Leurs probabilités d’interaction avec la matière sont
faibles, c’est pourquoi les réacteurs à neutrons rapides doivent avoir un flux
de neutrons∗ élevé et contenir beaucoup de matière fissile (Fig. 17.1). En
revanche, dans ce domaine d’énergie de neutrons, les réactions de fission sont
favorisées par rapport aux réactions parasites (captures∗ ) : la matière fissile
est bien mieux utilisée que dans un réacteur à neutrons thermiques. Les RNR
sont des brûleurs potentiels d’actinides, ces derniers étant fissiles aux neutrons
rapides.
Dans les années 1950 et 1960, pratiquement tous les types de réacteurs nucléaires
ont été envisagés, conçus et même construits ! Après ce bouillonnement créateur, la
sélection « naturelle » a assuré la survie d’un nombre réduit de filières (Fig. 17.2).
Les réacteurs à eau ordinaire, avec 86 % du parc en fonctionnement et 79 % des
constructions en cours dans le monde, les réacteurs à eau ordinaire (ou « légère »)
représentent l’espèce dominante dans le monde des réacteurs nucléaires.
Les REP, et leur version soviétique, les VVER, sont les plus nombreux. Ils sont
robustes, fiables et affichent des progrès continus en termes de disponibilité, taux de
combustion, durée de cycle, capacité à suivre les fluctuations du réseau électrique et
dose collective∗ aux opérateurs.
Les réacteurs à eau bouillante (REB), qui représentent environ le tiers de la
puissance installée des REP, ont vu, eux aussi, un développement significatif, mais un
peu entravé par quelques défauts de jeunesse. Aujourd’hui, au Japon, les dernières
commandes ont presque exclusivement porté sur des réacteurs bouillants.
1.2 Les filières de demain. Les réacteurs à neutrons rapides pour un nucléaire
plus économe des ressources naturelles et plus propre
Même si les réacteurs à eau sont actuellement dominants, plusieurs types de réac-
teurs possédant des avantages spécifiques pourraient un jour les concurrencer.
Le grand atout des réacteurs à neutrons rapides réside dans leur capacité de
fabriquer autant ou plus de matière fissile qu’ils n’en consomment. Les réacteurs à
neutrons rapides surgénérateurs∗ peuvent donc, par recyclages successifs, utiliser la
quasi-totalité de l’énergie contenue dans l’uranium, cent fois plus qu’un réacteur à
eau ordinaire (Fig. 17.3).
À titre de comparaison, un réacteur à eau pressurisée typique (1 GWe) fonc-
tionnant avec un combustible uranium a besoin de 180 t d’uranium naturel par an
et produit 0,25 t de plutonium par an. Un réacteur à neutrons rapides régénéra-
teur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 t de Pu (constamment régéné-
rés), et consommerait seulement environ 1 à 2 tonnes d’uranium naturel par an. Les
RNR pourraient même fonctionner en utilisant l’important stock d’uranium appauvri
e−
Figure 17.3. Formation d’un noyau de plutonium 239 (fissile) par capture d’un neutron sur l’uranium 238
(non fissile). La fission d’un noyau produit plusieurs neutrons. Un seul de ces neutrons est nécessaire à
l’entretien de la réaction en chaîne∗ . Les autres neutrons peuvent former d’autres noyaux fissiles par capture
sur l’uranium 238 pour former du plutonium 239. Avec un réacteur ré- ou sur-générateur, on peut produire
autant ou plus de matière fissile qu’on en consomme. La matière fissile joue alors le rôle de catalyseur,
constamment régénéré au fur et à mesure de sa consommation. Avec ce type de réacteur, ce qu’on
consomme véritablement, in fine, c’est la matière fertile 238 U.
actuellement inutilisé par le parc de réacteurs à eau. Les RNR résolvent donc le
problème des ressources.
Dans les réacteurs à spectre thermique, les actinides capturent souvent les neu-
trons sans fissionner, ce qui aboutit à la formation de noyaux de plus en plus lourds,
tous radioactifs, et qu’on retrouve dans les déchets.
Dans les réacteurs à spectre rapide, capture et fission coexistent pour tous les
actinides, ce qui offre la possibilité d’équilibrer leur bilan.
Toujours pour comparer, un REP-UOX typique (1 GWe) produit 16 kg d’actinides
mineurs chaque année. Le recyclage du Pu sous forme de MOX permet de stabiliser
l’inventaire Pu, mais les actinides mineurs ne sont pas brûlés et s’accumulent. Un
RNR régénérateur de même puissance peut consommer les actinides mineurs qu’il
produit (voir le schéma de principe du cycle du combustible RNR, figure 17.4). Avec
ce type de système, le nucléaire peut donc gagner en propreté.
URANIUM
ACTINIDES
PF
REACTEUR(S)
TRAITEMENT
Comme on vient de le voir (voir chapitre 8 sur les ressources), le nucléaire civil risque
d’être confronté à un problème de ressources en matières fissiles. Un nucléaire du-
rable semble passer par un recyclage récurrent et poussé du plutonium et (optionnel-
lement) des actinides, guidé d’abord par la nécessité de bien utiliser les ressources
fertiles. Certes, des options restent ouvertes quant aux scénarios de recyclage, quant
aux bornes de l’ensemble des éléments à considérer parmi les actinides (selon leur
inventaire, leurs propriétés, leur impact, les difficultés que peut entraîner leur re-
cyclage) ; mais la ligne générale paraît clairement tracée et conduit au schéma de
principe de la figure 17.4.
LE SCHEMA « PUREX »
URANIUM
Pu
Figure 17.5. Le procédé hydrométallurgique PUREX permet de séparer uranium et plutonium des produits
de fission et des autres actinides. Les premiers peuvent être recyclés comme matières valorisables. Uranium
et plutonium sont gérés séparément.
Un premier axe de progrès réside dans l’aménagement des procédés pour permettre
une gestion groupée des actinides : il s’agit de rechercher le moyen d’extraire de la so-
lution de dissolution les actinides dans leur ensemble pour élaborer ensuite le com-
posé à recycler ; Plusieurs voies ont été récemment ébauchées : un premier concept,
nommé COEX, consiste en une variante du procédé PUREX actuellement mis en
œuvre pour extraire l’uranium et le plutonium du reste des éléments chimiques
contenus dans le combustible usé. Il s’agit ici d’éviter de produire du plutonium
séparé et de réduire par là le risque de prolifération. Le procédé COEX permet une
coprécipitation des deux éléments U et Pu sous forme d’une poudre d’oxyde mixte
UO2 -PuO2, qui pourrait être directement recyclée sous forme de combustible MOX
(Fig. 17.6).
Pour aller plus loin encore dans le recyclage groupé des actinides, le concept
dénommé GANEX a été récemment proposée par le CEA (Fig. 17.7) : on y propose
d’extraire dans une étape préliminaire la majeure partie de l’uranium contenu dans
le combustible usé, puis, dans une seconde étape, de séparer en bloc plutonium et
Pu et U
U
Figure 17.6. Le procédé COEX est une évolution du procédé PUREX. Les matières valorisables peuvent
être recyclées mais le plutonium n’est jamais isolé, ce qui réduit les risques de prolifération.
PROCEDE GANEX
URANIUM
REACTEUR TRAITEMENT PF
(rapide)
Pu, U, A.M. U
Figure 17.7. GANEX : Un procédé hydrométallurgique dans lequel tous les actinides sont séparés et
recyclés ensemble.
Produits de fission
Cs
Sr
100.0
10.0
1.0
0.1
10 100 1000 10000 100000
Temps de refroidissement (annnées)
Figure 17.8. Contribution des différents radionucléides à la puissance résiduelle dégagée par un
combustible usé (UOX, 55 GW.j/t). On voit ici que des déchets qui ne contiendraient que les produits de
fission verraient leur puissance thermique décroître rapidement, en quelques centaines d’années.
On a vu plus haut l’intérêt des neutrons rapides. Le choix le plus structurant pour
concevoir un RNR est celui du caloporteur∗ . Plusieurs options de caloporteur sont
envisageables dans ces réacteurs. La contrainte principale est justement d’éviter que
le caloporteur ne ralentisse les neutrons. Pour cela, on peut recourir à un caloporteur
à faible densité (RNR-gaz) pour lequel la probabilité de collision entre un neutron et
un noyau atomique du caloporteur est faible. Les gaz envisageables sont l’hélium et
le CO2 . On peut aussi utiliser un caloporteur à métal liquide. Si les noyaux atomiques
des atomes du caloporteur sont suffisamment lourds, il peut y avoir un grand nombre
de collisions élastiques entre le neutron et le caloporteur sans que ces collisions ne
ralentissent beaucoup le neutron. Les noyaux du caloporteur doivent en outre possé-
der de bonnes propriétés neutroniques, en particulier ne pas capturer les neutrons et
ne pas s’activer sous irradiation. Les métaux candidats doivent aussi avoir un point
de fusion bas, une viscosité faible pour pouvoir être pompés facilement à travers
le cœur et les échangeurs de chaleur. Enfin, ils doivent être suffisamment inertes
chimiquement pour ne pas risquer d’attaquer la cuve ou la tuyauterie du réacteur.
Avec un cahier des charges aussi exigeant, les candidats ne sont pas nombreux :
les principaux sont le sodium (RNR-Na), le plomb (RNR-Pb), et quelques alliages
Les seuls RNR sur lesquels on ait un retour d’expérience significatif sont ou étaient
refroidis par du sodium liquide.
La communauté technique a accumulé de l’expérience sur cette filière avec
quelques prototypes dans le monde, et particulièrement en France avec les réacteurs
Rapsodie, Phénix (Fig. 17.9) et Superphénix.
Cette expertise est également valorisée à travers la coopération internationale,
principalement avec le Japon et les États-Unis, au sein du Forum Génération IV, ainsi
qu’avec la Russie. Un des principaux défis de ces développements menés en com-
mun est d’amener les RNR à caloporteur sodium à un bon niveau de compétitivité
économique, en les rendant plus compacts, et donc moins chers à l’investissement.
Un second grand enjeu est celui de la sûreté, avec la maîtrise des risques liés
à l’utilisation du sodium. C’est un excellent caloporteur, très peu corrosif des aciers
inoxydables quand il est pur, mais qui s’enflamme spontanément à l’air et réagit
vivement avec l’eau. Une des évolutions envisageables pour les réacteurs refroidis
au sodium consiste à simplifier les circuits intermédiaires de fluides caloporteurs
et/ou à remplacer l’eau de ces circuits par un autre fluide moins susceptible de
réagir chimiquement avec le sodium. D’autre part, la grande quantité de matière
fissile présente dans le cœur des réacteurs rapides rend les conséquences d’une
fusion de cœur plus redoutables que sur un réacteur à eau. Le cœur fondu pourrait
même continuer à entretenir des réactions de fission en son sein si des dispositifs de
récupération et de dispersion du corium n’étaient pas développés pour parer à cette
éventualité.
Le troisième grand axe de progrès vise à rendre ces réacteurs plus facilement
exploitables qu’ils ne le sont actuellement. Il faut en effet garder le sodium à une
température sensiblement supérieure à son point de fusion et il est pratiquement
Les RHT sont des réacteurs à neutrons thermiques, modérés par une large masse de
graphite et refroidis par circulation d’hélium. Ils emploient un combustible original,
conçu initialement en Angleterre, la « particule enrobée ». Ce combustible consti-
tué de carbone et de céramique permet de constituer des cœurs très réfractaires,
fonctionnant à haute température, ce qui ouvre la possibilité de cycles thermodyna-
miques à haut rendement. La grande liberté offerte au concepteur par le combustible
à particules rend ce type de réacteur apte à s’accommoder d’une large variété de
cycles du combustible.
Dans une perspective à long terme visant à satisfaire l’exigence de durabilité, le Fo-
rum Génération IV a retenu le réacteur rapide à caloporteur gaz comme un système
particulièrement intéressant. Ce dernier doit parvenir à concilier à la fois les avan-
tages des réacteurs à gaz à haute température avec ceux, connus, des réacteurs à
neutrons rapides (utilisation optimale des ressources, minimisation de la production
de déchets).
Le réacteur proposé s’appuiera sur la technologie hélium développée par ailleurs
pour les projets RHT et RTHT (Fig. 17.11). Ses spécificités sont le combustible et son
cycle, le système et sa sûreté. Le cycle du combustible est en rupture avec l’existant
puisqu’il est proposé de ne pas séparer U et Pu, également de ne pas séparer les
actinides majeurs (U, Pu) des actinides mineurs (Np, Am, Cm).
Il ne faut pas croire que le réacteur rapide à caloporteur gaz sera un simple
mariage entre la technologie RNR et la technologie RHT : du fait de la suppression
obligatoire de tout le graphite, le cœur d’un RCG n’aura aucune parenté avec celui
d’un RHT, notamment en termes d’inertie thermique et de comportement vis-à-vis
de la dépressurisation.
Comme on le voit, les idées ne manquent pas pour faire évoluer l’énergie nucléaire.
Les critères de cette évolution changent. Cette réflexion se traduit par la création de
réseaux de recherche au niveau européen ou même mondial. Un des plus importants
et des plus actifs est le Forum international Génération IV, auquel participent tous les
pays déjà impliqués dans le nucléaire civil.
RTHT R&D
• Combustible pour
coeur à neutrons
RHT rapides
R&D
R&D • Procédés du cycle
• Matériaux résistants THT • Systèmes de
• Combustible à particules
• Matériaux • Echangeur intermédiaire sûreté
Figure 17.11. Les réacteurs à gaz à haute température sont déjà relativement mûrs, et pourraient être
déployés en génération « 3+ ». Ces réacteurs pourraient ensuite évoluer vers d’encore plus hautes
températures (RTHT) et/ou vers un spectre à neutrons rapides (RNR-G).
Les membres du forum ont commencé par se mettre d’accord sur les critères que
devront remplir les systèmes nucléaires du futur (Fig. 17.12). Ils devront être à la
fois :
– durables : c’est-à-dire économes des ressources naturelles et respectueux de
l’environnement (en minimisant la production de déchets en termes de radio-
toxicité à long terme, et en utilisant de façon optimale les ressources naturelles
en combustible) ;
– économiques : aux plans du coût d’investissement par kWe installé, du coût
du combustible, du coût d’exploitation de l’installation et, par voie de consé-
quence, du coût de production du kWh, qui doit être compétitif par rapport à
celui d’autres sources d’énergie ;
– sûrs et fiables : avec une recherche de progrès par rapport aux réacteurs ac-
tuels, et en éliminant autant que possible les besoins d’évacuation de popula-
tion à l’extérieur du site, quelles que soient la cause et la gravité de l’accident
à l’intérieur de la centrale ;
ECONOMIE SURETE
Economiser les
ressources Minimiser la
naturelles production de
Extraire efficacement déchets
l’énergie de la matière Recycler et
fissile transmuter les
actinides mineurs
Réduire les risques
de prolifération
Brûler le plutonium, avec
un cycle du combustible
intégré
Figure 17.12. Les critères retenus pour sélectionner les systèmes nucléaires du futur diffèrent dans leur
libellé et dans leur hiérarchie de ceux retenus pour les réacteurs de première et de deuxième génération. Ici,
tous les critères ont été mis sur la table et débattus dans la plus grande transparence. Ils sont d’inspiration
purement civile et partagés par la communauté internationale. Les critères de rentabilité et d’économie des
ressources (chers aux industriels) restent importants. Plus nouveau, les critères de sûreté, de minimisation
des déchets (chers au public) et de réduction des risques de prolifération (chers aux politiques) sont
explicitement mentionnés.
Tous les systèmes nucléaires du futur cités ci-dessus sont séduisants sur le papier,
mais leur déploiement ne sera pas facile, car il faudra assurer la transition entre la
future génération de systèmes nucléaires et la génération actuelle.
Rappelons d’abord brièvement les différentes générations de réacteurs depuis les
années 1950.
Elle a été fortement influencée par les contraintes du cycle du combustible, notam-
ment à l’époque des années 1950-1960, en l’absence de technologie industrielle d’en-
richissement de l’uranium, et d’autre part avec la volonté de certaines nations de se
doter d’un outil de dissuasion nucléaire nécessitant la production de matières fis-
siles. Dans ce contexte, les réacteurs devaient pouvoir fonctionner à l’uranium na-
turel (non enrichi) nécessitant l’utilisation de modérateurs tels que le graphite ou
l’eau lourde. C’est ainsi que la filière dite Uranium Naturel Graphite Gaz (UNGG) a
été développée en France. Trois réacteurs, à vocation de production de plutonium
(G1, G2 et G3) ont été réalisés dans un premier temps, puis six autres à vocation
électrogène (Saint-Laurent, Bugey et Chinon). Le CEA a été très fortement impliqué
dans le développement de cette filière, en tant que bailleur de procédé. Les réacteurs
de type Magnox en Grande-Bretagne appartiennent à la même génération. Ces réac-
teurs présentaient des caractéristiques intéressantes (rendement thermodynamique
élevé, utilisation optimisée de l’uranium dans le cœur du réacteur. . . ), mais aussi des
limitations liées à la technologie de ce type de réacteurs, en vue d’un développement
à plus grande échelle : coût d’investissement important, difficulté d’amélioration de
la sûreté et d’extrapolation à de plus grande puissance, ce qui a pénalisé leurs per-
formances économiques par rapport aux réacteurs à eau légère.
Dans cette première phase se développaient les préoccupations relatives au cycle
du combustible, tant sous l’aspect de l’utilisation rationnelle et durable des res-
sources naturelles (recyclage des matières énergétiques, notamment le plutonium)
que sous celui de la gestion des déchets. Ceci a conduit à développer les procédés
et les installations de l’aval du cycle du combustible : traitement des combustibles
Les réacteurs de troisième génération font l’objet d’une large offre à l’international.
Ces réacteurs se construisent déjà, notamment en Asie, mais aussi en Finlande et
en France.
Système
d‘évacuation de
chaleur
4 zones
indépendantes pour
Réservoir
Réserv
r oir d‘eau les systèmes
redondants de sûreté
Il est plus sûr grâce à une redondance accrue des systèmes de sauvegarde, une double
enceinte de confinement et un dispositif de récupération du corium. Grâce à ces dispositifs,
la probabilitré d’un accident de fusion de cœur diminue d’un ordre de grandeur et les
conséquences d’un tel accident deviennent moins graves.
Il possède un meilleur rendement thermodynamique (36 %), obtenu grâce à une aug-
mentation de la température de fonctionnement et des améliorations de la technologie des
turbines.
Il utilise mieux le combustible, grâce à un taux de combustion élevé (60 GWj/t avec
un combustible à l’uranium enrichi à 5 %) et grâce à la possibilité d’utiliser 100 % de
combustible MOX dans le cœur du réacteur.
La puissance élevée (1 650 MWe) permet une réduction du prix du kWh par effet
d’échelle.
La durée de vie du réacteur est de 60 ans contre 40 pour les réacteurs de la génération
précédente.
La disponibilité du réacteur est accrue par minimisation de la durée des maintenances.
L’EPR produit moins de rejets et de déchets solides que ses prédécesseurs.
La conception de l’EPR est fondée sur l’expérience cumulée de 1 300 années-réacteurs.
Figure 17.15. Les Russes construisent déjà de petits réacteurs modulaires sur barge. Lancement le 30 juin
2010 à Saint-Pétersbourg de l’Akademik Lomonossov, barge qui portera deux petits réacteurs à eau de
brise-glaces 2∗ 35 MW (constructeur : Rosatom) destinés à fournir de l’électricité et du chauffage urbain à une
ville du grand Nord sibérien.
Des réacteurs nomades de petite puissance ont été développés depuis longtemps
pour la propulsion navale (porte-avions, sous-marins, brise-glaces). Quatre réac-
teurs de 11 MWe chacun fonctionnent depuis 1976 à la centrale de co-génération
de Bilibino (Sibérie). Ces réacteurs graphite-eau bouillante produisent à la fois de
l’électricité et de l’eau chaude pour le chauffage urbain, pour un coût inférieur à
l’alternative « combustibles fossiles ».
Si le cœur est assez petit pour être transporté entier, les opérations de
chargement-déchargement et de maintenance des petits réacteurs modulaires pour-
raient être faites en usine, sans qu’il soit nécessaire d’implanter des infrastructures
locales.
L’attrait des petits réacteurs réside principalement dans l’effet de série. Pour en
bénéficier, il faudrait avoir de nombreuses commandes. . . qui ne viendront que si
la compétitivité économique est assurée. Comment amorcer la pompe ?
Generation I
UNGG Generation II
CHOOZ
REP 900 Generation III
REP 1300
N4 EPR Generation IV
U Gen
Pu 2
Recyclage Pu(U)
du Pu dans U Ge
n3
les REL
(MOX)
Recyclage du Pu et U,Pu,(AM)
optionnellement des Recyclage global des
AM des REL dans actinides dans les réacteurs
les réacteurs rapides Ge rapides Gen IV
Gen IV n4
U,Pu,(AM)
Figure 17.18. La succession des cycles du combustible associés aux générations de réacteurs.
60000
Puissance installée (MWe)
20000
G énération III
10000
0
1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 2035 2040 2045 2050 2055 2060
Figure 17.19. Un scénario de renouvellement du parc de réacteurs nucléaires français, tel qu’il est envisagé
par EDF, dans une hypothèse très conservative de réduction de la puissance totale installée jusqu’à 60 GW.
L’exploitant souhaitera sans doute étendre la durée de vie des réacteurs existants aussi loin que
raisonnablement et réglementairement possible. Il est envisagé de commencer le remplacement d’une partie
du parc « en biseau » dès 2020 pour lisser l’effort financier, d’abord avec des réacteurs de troisième, puis de
quatrième génération.
fonctionnement de ces réacteurs pourra être fourni par l’uranium appauvri actuelle-
ment entreposé.
Vers 2050, ces réacteurs « Gen IV » devraient être capables de fonctionner en
recyclant la totalité de leurs actinides.
Cependant, il faut rappeler que le recyclage des actinides mineurs en réacteur
n’est qu’une option : certes, elle permettrait de faire un nucléaire plus propre en
envoyant moins de radioactivité aux déchets, mais ce serait sans doute au prix
d’une certaine réduction de performances des réacteurs brûleurs d’actinides. D’autre
part, l’inventaire en actinides circulant dans les réacteurs ne serait probablement pas
négligeable.
La France est largement équipée en nucléaire, son parc de réacteurs est rela-
tivement jeune. Pourtant, la construction d’un EPR de démonstration vient d’être
décidée. Alors, pourquoi un EPR maintenant ? Le développement d’une nouvelle fi-
lière est une opération de longue haleine : pour introduire des réacteurs de troisième
génération en 2020, il faut commander un premier EPR maintenant.
Le calendrier envisagé pour le déploiement d’EPR en France est le suivant :
– 2005 : décision d’un démonstrateur EPR ;
– 2003-6 : processus d’autorisation réglementaire et préparation de la réalisa-
tion ;
L’idée d’utiliser du thorium à la place d’uranium dans un réacteur à fission est venue
très tôt à l’esprit des ingénieurs du nucléaire. Elle renaît périodiquement.
Le cycle du combustible uranium-plutonium utilisé actuellement est fondé sur
l’utilisation de l’238 U (fertile)∗ et du 239 Pu (fissile)∗ produit selon la chaîne :
(n,γ) β− β−
238 239 239 239
U −−−→ U (23 min) −−−→ Np (2,35 j) −−−→ Pu (24 400 ans).
(n,γ) β− β−
232 233 233 233
Th −−−→ Th (22 min) −−−→ Pa (27 j) −−−→ U (160 000 ans).
Ce cycle « thorium » présente deux avantages : le thorium est assez abondant, en-
viron trois fois plus que l’uranium naturel, et il n’existe dans la nature que sous forme
d’un seul isotope, 232 Th. Son extraction minière génère peu de résidus et n’expose
pas les mineurs au radon. D’autre part, les réactions (n, γ) successives sur 232 Th
conduisent à des isotopes d’uranium pratiquement stables, et il faut capturer cinq
neutrons avant de former le premier actinide à vie longue. La probabilité d’en for-
mer d’autres à partir de lui est extrêmement faible, le cycle du combustible thorium
est donc potentiellement plus propre que le cycle uranium, puisqu’on n’y retrouve
pratiquement pas d’actinides à mettre aux déchets.
Malheureusement, ce cycle séduisant présente aussi des inconvénients : la pé-
riode relativement longue du 233 Pa, comparée à celle du 239 Np, crée des problèmes
dans le retraitement du combustible : il faut attendre que le 233 Pa ait décru en 233 U,
à cause de la grande radioactivité du 233 Pa qui rendrait difficile un retraitement pré-
coce ; de plus, le protactinium étant un corps difficile à séparer chimiquement de
l’uranium, il va contaminer l’uranium récupéré au retraitement.
Enfin, l’irradiation aux neutrons du thorium 232 en réacteur produit aussi de
l’uranium 232 et 234. Ces isotopes (surtout le 232) vont polluer l’ 233 U qu’on veut
recycler et lui donner une activité alpha importante. Les descendants de l’ 232 U sont
Actinides mineurs Noyaux lourds formés dans un réacteur par capture successive
de neutrons à partir des noyaux du combustible. Ces isotopes sont principalement
le neptunium (237), l’américium (241, 243) et le curium (243, 244, 245). 146
Assemblage Dans le cœur d’un réacteur à eau, les crayons combustibles sont
groupés en faisceaux dotés d’une bonne rigidité et positionnés avec précision dans
le cœur du réacteur. C’est l’ensemble de cette structure, regroupant une à quelques
centaines de crayons et chargée d’un seul tenant dans le réacteur, qui est appelée
assemblage. 68, 143
Barre de commande Barre ou ensemble de tiges solidaires mobiles contenant une
matière absorbant les neutrons (bore, cadmium. . . ) et qui, suivant sa position dans
le cœur d’un réacteur nucléaire, influe sur sa réactivité. 87
Barrières Dans un réacteur nucléaire, ensemble des éléments physiques qui isolent
les radionucléides du combustible de l’environnement. Dans un réacteur à eau
sous pression, il s’agit successivement de la gaine de l’élément combustible, de
l’enveloppe du circuit primaire (qui comprend la cuve) et de l’enceinte du réacteur.
89
Caloporteur Fluide (gaz ou liquide) utilisé pour extraire la chaleur produite par
les fissions. Dans un réacteur à eau sous pression, l’eau joue à la fois le rôle de
caloporteur et celui de modérateur. 53, 65, 223
Capture Capture d’un neutron par un noyau. La capture est dite radiative si elle
est suivie par l’émission immédiate d’un rayonnement gamma. Elle est dite fertile si
elle donne naissance à un noyau fissile. 224
258 Glossaire-index
Coefficient de réactivité Variation du facteur de multiplication résultant du fonc-
tionnement d’un réacteur, c’est-à-dire des changements de température et de compo-
sition dus au dégagement d’énergie et à l’irradiation neutronique. 248
Cœur Zone centrale d’un réacteur nucléaire, contenant les assemblages combus-
tibles, le caloporteur et le modérateur, où se produit la réaction en chaîne. 68
Crayon Tube de faible diamètre, fermé à ses deux extrémités, constituant du cœur
d’un réacteur nucléaire, quand il contient une matière fissile, fertile ou absorbante.
Lorsqu’il contient de la matière fissile, le crayon est un élément combustible.68, 90
Cuve Récipient contenant le cœur d’un réacteur et son fluide caloporteur. 69, 91
260 Glossaire-index
Dose Terme général indiquant la quantité de rayonnement ou d’énergie absorbée
dans une masse spécifique de matière. 29
Dose équivalente Dans les organismes vivants, les effets produits par une même
dose absorbée sont différents selon la nature des rayonnements (X, alpha, bêta,
neutrons ou gamma). Pour tenir compte de ces différences, on calcule une dose
équivalente, produit de la dose absorbée dans un tissu ou un organe par un facteur
de pondération tenant compte de l’effet biologique lié à la nature et à l’énergie du
rayonnement. L’unité de dose équivalente est le sievert (Sv). 36
Dose efficace Dans les organismes vivants, tous les organes n’ont pas la même
vulnérabilité aux rayonnements ionisants. Pour tenir compte de ces différences, on
calcule une dose efficace, somme des doses équivalentes délivrées aux différents
tissus et organes du corps par l’irradiation interne et externe, pondérée par un facteur
de vulnérabilité associé à chaque organe irradié. L’unité de dose efficace est le sievert
(Sv). À titre d’exemple, la moyenne annuelle de la dose efficace due à l’exposition à
la radioactivité naturelle de la population en France est de 2,4 millisieverts (mSv).
36
Eau lourde L’eau lourde ou oxyde de deutérium (D2 O) est une forme naturelle
d’eau dans laquelle les atomes d’hydrogène sont des atomes d’hydrogène lourd ou
deutérium. Elle est environ 10 % plus lourde que l’eau ordinaire et se trouve en
quantités infimes dans la nature (environ une partie d’eau lourde pour 7 000 parties
d’eau). L’eau lourde absorbe moins les neutrons que l’eau légère, ce qui la rend
intéressante comme modérateur dans certains réacteurs nucléaires. 59, 75
Effluents Sous-produits sous forme liquide ou gazeuse, résidus d’un traitement chi-
mique. Dans certains cas, ces résidus indésirables sont rejetés dans l’environnement ;
une autre option largement pratiquée dans l’industrie nucléaire est d’en recycler la
262 Glossaire-index
Fertile Se dit d’une matière dont les noyaux, lorsqu’ils absorbent des neutrons,
donnent des noyaux fissiles. C’est le cas de l’uranium 238 qui conduit au pluto-
nium 239. Une matière est dite stérile dans le cas contraire. 55, 62, 65, 223
Fissile Se dit d’un noyau pouvant subir la fission par absorption de neutrons. En
toute rigueur, ce n’est pas le noyau appelé fissile qui subit la fission mais le noyau
composé formé suite à la capture d’un neutron. 62, 65, 223
Fission Division d’un noyau lourd en deux fragments dont les masses sont du
même ordre de grandeur. Cette transformation, qui est un cas particulier de dés-
intégration radioactive de certains noyaux lourds, dégage une quantité importante
d’énergie et est accompagnée par l’émission de neutrons et de rayonnement gamma.
La fission des noyaux lourds dits « fissiles » peut être induite par une collision avec
un neutron. 53
Flux de neutrons Nombre de neutrons qui traversent une unité de surface par
unité de temps. 224
Isotope Formes différentes d’atomes du même élément. Ils ont le même nombre
de protons dans leur noyau, mais un nombre différent de neutrons (de même nu-
méro atomique, mais de masses atomiques différentes). L’uranium 238 et l’uranium
235 sont des isotopes de l’uranium. Les isotopes peuvent être stables (ne pas se dés-
intégrer spontanément) ou instables (se désintégrer spontanément en émettant un
rayonnement ionisant). 7, 46
Isotopes fissiles 55
MeV Méga électron-volt. Cette unité d’énergie est généralement utilisée pour
exprimer l’énergie dégagée par les réactions nucléaires. 1 MeV correspond à
1,6 10−13 Joule. 18
Modérateur Matériau formé de noyaux légers qui ralentissent les neutrons par col-
lisions élastiques. Les modérateurs sont utilisés pour réduire l’énergie des neutrons
émis par les atomes d’uranium lors de la fission, afin d’augmenter leur probabilité
de provoquer d’autres fissions. Le matériau modérateur doit être peu capturant afin
de ne pas « gaspiller » les neutrons et être suffisamment dense pour assurer une
modération efficace. 53, 105
264 Glossaire-index
Neutrons retardés Neutrons émis par les fragments de fission avec un retard de
quelques secondes en moyenne après la fission. Bien que représentant moins de 1 %
des neutrons émis, ce sont eux qui, par ce décalage dans le temps, permettent in fine
le pilotage des réacteurs. Voir aussi « Bêta effectif ». 175
Noyau Cœur de l’atome dans lequel sont concentrées la majeure partie de sa masse
et toute sa charge positive. Mis à part l’hydrogène, il est constitué de protons et de
neutrons. 3
Nucléide Espèce nucléaire caractérisée par son nombre de protons Z, son nombre
de neutrons N et par son nombre de masse A, égal à la somme du nombre de protons
et du nombre de neutrons (A = Z + N ) ; radionucléide : isotope radioactif, appelé
aussi parfois radio-isotope. 169
Période radioactive Durée pendant laquelle les atomes d’un radionucléide quel-
conque se désintègrent pour atteindre la moitié de l’intensité du rayonnement émis
à l’origine. La période constitue une propriété caractéristique de chaque isotope ra-
dioactif. 13, 130
Plutonium Élément formé par capture de neutrons par l’uranium dans le cœur des
réacteurs nucléaires. Les isotopes impairs du plutonium sont fissiles, ce qui fait du
plutonium une matière nucléaire valorisable, par exemple sous forme de combustible
MOX. 125
Poisons consommables 73
Poisons (neutroniques) Éléments dotés d’un pouvoir élevé de capture des neu-
trons utilisés pour compenser, du moins en partie, l’excédent de réactivité des mi-
lieux fissiles. Quatre éléments naturels sont particulièrement neutrophages : le bore
(grâce à son isotope 10 B), le cadmium, le hafnium et le gadolinium (grâce à ses
266 Glossaire-index
Réacteur à eau bouillante (REB) Réacteur dans lequel l’ébullition de l’eau se fait
directement dans le cœur. 67, 69
Réacteur à eau sous pression (REP) Réacteur dans lequel la chaleur est transférée
du cœur à l’échangeur de chaleur par de l’eau maintenue sous une pression élevée
dans le circuit primaire afin d’éviter son ébullition. 67, 69
Sievert (Sv) Unité utilisée pour mesurer les doses de rayonnement reçues par le
corps humain. 29
268 Glossaire-index
Transmutation Transformation d’un nucléide en un autre par une réaction nu-
cléaire. La transmutation envisagée pour la gestion des déchets radioactifs vise à
transformer un nucléide à période longue en un nucléide à période plus courte ou
en un nucléide stable. 171
Transuraniens Tous les éléments dont le numéro atomique est supérieur à celui de
l’uranium. Ces noyaux lourds sont produits dans les réacteurs nucléaires par capture
neutronique. Ils se répartissent en sept familles d’isotopes : uranium, neptunium,
plutonium, américium, curium, berkélium et californium. 169