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François Zimeray

Monsieur le Président de la République,


A Osaka, vous porterez la voix de la France à un moment où
l’état du monde rend le dialogue multilatéral plus que jamais
nécessaire. Je ne sais pas si, parmi les nombreux sujets qui vous
mobilisent, le sort de Carlos Ghosn y sera évoqué. Après tout, ce
n’est pas le rôle des autorités que de le défendre, c’est le nôtre et
nous savons bien que, dans cette affaire, nous ne pouvons
compter que sur les faits et guère sur la reconnaissance ou
l’empathie, tant il fut accablé dès son arrestation sans jamais
pouvoir répondre, jusqu’à symboliser désormais à lui seul les
pêchés d’un système et d’une époque. Dans cette partie, l’on
conçoit que le jeu de la France est délicat, composant entre le
respect de la souveraineté du Japon, le rappel des principes
universels et une opinion publique pour qui, souvent, position de
responsabilité vaut présomption de culpabilité. S’il n’appartient
pas à l’Etat de prendre parti pour un homme, il doit défendre les
principes fondamentaux dans lesquels la France se reconnaît et,
lorsqu’il le faut, en dénoncer avec force la violation. Car il en va
des pays comme des individus : il y a ceux que les mots engagent
et les autres. Dans nos sociétés désorientées, la signature des Etats
est plus que jamais essentielle à la stabilité du monde. C’est de ce
constat de bon sens et après une succession de crises, qu’est né le
groupe des vingt, appelé G20. Le Japon a signé un grand nombre
de traités internationaux dans le domaine économique mais aussi
dans celui des droits fondamentaux, consacrant la présomption
d’innocence et le droit au procès équitable. Or, la pratique
judiciaire japonaise, qualifiée par les experts des Nations-Unies et
les ONG de défense des droits de l’Homme de « justice de
l’otage », viole ces engagements. C’est ce qu’ont dénoncé
récemment dans une lettre ouverte mille juristes japonais. Leur
appel aux autorités fait expressément référence au sort de Carlos
Ghosn, dans lequel ils voient « une opportunité de mettre en lumière le
système et de le réformer ». Peut-on seulement concevoir qu’après sept
mois de privation de liberté, l’accusé n’a, à ce jour, toujours pas
accès aux charges contre lui ? Comment se défendre dans de telles
conditions ? L’on mesure mal à quel point Carlos Ghosn subit un
régime d’exception, totalement dérogatoire aux exigences du droit
international et même aux pratiques locales. Son arrestation,
soigneusement mise en scène était inutile et humiliante, sa longue
détention, illégale au regard des traités, fut qualifiée par les avocats
japonais, prudents et mesurés, de « torture ». La semaine passée,
des agents du Ministère japonais de la Justice ont organisé une
visite de la prison de Kosuge pour la presse étrangère. Les guides
en ont vanté la propreté, sans dire que l’on pend dans la sinistre
citadelle où Carlos Ghosn a passé plus de 129 jours, et que les
familles des suppliciés doivent payer la corde pour récupérer les
corps. L’on a peine à croire cela possible dans une si grande
civilisation, durement éprouvée par l’histoire, qui nourrit le monde
de son art comme de sa vision du futur. Comment peut-il se
trouver, dans une société si codifiée, des procureurs à qui tout
semble permis ? Ces questions, et tant d’autres, seront posées
lorsque viendra enfin le temps du procès, où il faudra bien que
l’accusation abatte ses cartes et, après avoir asséné sans jamais
prouver, admette qu’elle aura déclenché une crise industrielle
majeure sur de simples hypothèses.
Monsieur le Président, au-delà des thèmes du moment,
un sommet du G20 est l’occasion de construire une grammaire
commune entre les nations. Nous vous sommes reconnaissants
d’avoir rappelé au Premier ministre japonais votre attachement à
la présomption d’innocence sans lequel il ne peut y avoir de procès
équitable. A Osaka, nous comptons sur vous pour défendre bec
et ongles ces principes universels qui fondent toute idée de justice.
Vous aurez avec vous les défenseurs japonais des droits de
l’Homme et tous ceux qui savent que s’en tenir à « il n’y a pas de
fumée sans feu » ou « on ne va tout de même pas le plaindre », ces formes
communes de l’habituation à l’inacceptable, ouvrirait la voie à
l’arbitraire et à l’ensauvagement du monde.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la


République, en l’assurance de ma haute considération.

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