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Traçabilité et logistique :

les interactions

par Nathalie FABBE-COSTES


CRET-LOG (Aix-en-Provence)
Professeur des universités
Directeur de recherches – Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II)

1. Traçabilité et logistique : principes .................................................... TR 300 – 2


1.1 La traçabilité : un principe logistique justifié ............................................ — 2
1.2 L’idéal type de la traçabilité en logistique et ses conséquences.............. — 4
1.3 D’un système idéal de traçabilité logistique à la réalité........................... — 5
2. Concrétiser la traçabilité logistique : éléments de méthode ...... — 6
2.1 Modéliser les processus, identifier les interfaces clés et les risques ...... — 6
2.2 Définir la maille de couplage flux physique/flux d’information .............. — 6
2.3 Formalisation de l’information : un fondamental de la traçabilité .......... — 8
2.4 Caractère crucial du système d’information et de communication ........ — 8
2.5 Adapter en continu le système de traçabilité............................................ — 9
3. Conclusion ................................................................................................. — 9
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. TR 300

a traçabilité concerne très directement les logisticiens pour deux raisons


L principales.
La première est qu’une entreprise ou une organisation ne peut structurer un
système de traçabilité sans impliquer les logisticiens (ou « supply chain
managers ») dans la mesure où ils sont chargés du pilotage des flux physiques
et d’informations associés, à la fois au sein de leur entreprise, mais aussi en
interface avec les partenaires amont et aval de la chaîne logistique.
La seconde est qu’un système de traçabilité constitue, pour les logisticiens,
s’ils sont associés à sa conception, un précieux outil d’aide au pilotage des flux
physiques (visibilité sur la circulation des flux) et d’amélioration continue des
processus logistiques (mémoire des problèmes rencontrés et éléments d’infor-
mation sur leurs causes potentielles).
Enfin en cas de problème (par exemple, lot présentant un danger pour la
consommation ou l’utilisation) nécessitant une intervention, ce sont les logisti-
ciens qui sont chargés, en coopération avec d’autres acteurs de l’entreprise
(comme le responsable qualité, le responsable de la communication, etc.), de la
mise au point et de l’exécution des procédures de localisation, blocage, retrait,
retour et éventuellement reconditionnement, destruction ou recyclage.
Si ce dossier s’intéresse à la traçabilité du point de vue des logisticiens, il ne
concerne pas seulement les logisticiens. Notre objectif est plutôt de montrer
l’intérêt d’inclure des logisticiens dans les groupes de projets traitant de ques-
tions de traçabilité, d’une part pour que les systèmes logistiques permettent la
traçabilité et d’autre part pour que le système de traçabilité soit utile à la logistique.
Cet exposé insiste volontairement plus sur les principes que sur les tech-
niques, mais se veut un outil d’aide à la décision et à la conduite de projet. Nous

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insisterons donc sur la démarche pour élaborer des systèmes de traçabilité


pertinents du point de vue logistique et évoquerons les principales questions qui
se posent au cours de tels projets.
Une approche globale de la logistique en tant que démarche de pilotage des
flux intra et interentreprises (flux physiques et flux d’informations associées
mais aussi flux de valeur associée à l’activité logistique) est adoptée ici. Cette
démarche concerne les activités industrielles et commerciales, mais aussi les
activités de services, les activités matérielles comme immatérielles.
On montre ainsi que la traçabilité est un principe logistique (indispensable au
pilotage logistique) et comment la logistique contribue à alimenter le système
de traçabilité (en tant que système d’information). Après avoir présenté l’idéal
type de la traçabilité en logistique, ce dossier propose une démarche pour passer
de l’idéal à la réalité dans les entreprises et les organisations.
Quelques exemples illustreront nos propos issus des domaines industriels,
commerciaux et des services.

1. Traçabilité et logistique : Encadré 1 – Vision anglo-saxonne de la logistique


principes au sein du SCM : quelques définitions

Comme le précise la définition du (CLM) Council of Logistics


Management [5], « la logistique est la partie du processus de
1.1 La traçabilité : un principe logistique supply chain qui planifie, met en œuvre, exécute et contrôle
l’efficacité et l’efficience de la circulation des flux physiques et
justifié des flux d’informations associées […] pour satisfaire les besoins
des clients ».
Pour la Commission européenne [6] : « une supply chain asso-
La logistique est une démarche dont l’objectif principal est d’assu- cie les infrastructures, processus et technologies qui permettent
rer la qualité, fiabilité, réactivité, flexibilité et le moindre coût du pro- de relier sources de matières premières, transformateurs, fabri-
cessus de circulation physique en vue de satisfaire un ensemble de cants, distributeurs et consommateurs finaux. Elle inclut
clients/acheteurs/utilisateurs et/ou consommateurs (le bon produit, l’approvisionnement, la fabrication et la distribution. Les supply
au bon endroit, au bon moment et au meilleur coût). C’est une chains efficaces fonctionnent d’une manière intégrée avec les
« démarche de gestion dotée d’une mission de coordination des dif- ventes, le marketing et le développement de produits. La supply
férentes opérations commerciales et industrielles en vue d’une syn- chain augmente la valeur du produit ». « Le supply chain manage-
chronisation avec la demande finale » [1]. ment cherche à optimiser la supply chain et est centré autour de
Le processus logistique « débute à l’instant même où une per- trois flux : le flux de produits de leurs origines jusqu’aux consom-
sonne commence à s’interroger sur le produit (service) que l’entre- mateurs finaux, le flux financier pour satisfaire les besoins du
prise veut concevoir puis commercialiser et ne se termine que marché au moindre coût, le flux d’information pour répondre
lorsque le produit (service), conçu, développé, produit, vendu, aux exigences des clients de manière efficace et efficiente ».
maintenu et utilisé, est démantelé et que les matières qui le compo- Enfin, pour le Council of Supply Chain Management Profes-
saient trouvent un nouvel usage » [2]. Le processus logistique, qui sionals [cf. site web en Doc. TR 300] : « le supply chain manage-
est très largement visible et tangible, présente la caractéristique de ment englobe la planification et le management de toutes les
traverser/transgresser les frontières organisationnelles traditionnel- activités concernées par l’achat et l’approvisionnement, la
les, aussi bien entre fonctions qu’entre entreprises. Car « l’idée transformation et toutes les activités purement logistiques. Plus
logistique vise fondamentalement à supprimer les dysfonctionne- important, il inclut aussi la coordination et la collaboration avec
ments résultant d’approches fractionnées des processus de circula- les partenaires de la chaîne qui peuvent être des fournisseurs,
tion de produits, informations et compétences » [3]. La plus ou des intermédiaires, des prestataires de services logistiques et
moins grande intégration de la chaîne logistique dépend de la des clients. Essentiellement, le supply chain management intè-
volonté d’adopter une approche globale et, donc, transversale de la gre le management de l’offre et de la demande à l’intérieur de
circulation physique et d’améliorer la gestion des interfaces tant chaque entreprise et de manière interorganisationnelle ». « Le
intraentreprise qu’interentreprises. supply chain management est une fonction intégrative dont la
responsabilité est de relier les principales fonctions et les princi-
Notons que la logistique, qui est aujourd’hui reconnue comme paux processus intra et interorganisationnels dans un business
stratégique dans de nombreux secteurs d’activité [4], s’inscrit dans modèle cohérent et hautement performant. Il inclut toutes les
un ensemble plus vaste : le supply chain management (SCM) qui activités logistiques, y compris la production, et pilote la coordi-
partage les mêmes principes (cf. encadré 1 pour quelques défini- nation des processus et des activités en relation et de manière
tions issues de travaux anglo-saxons). transversale avec le marketing, les ventes, la conception des
produits, la finance et les technologies de l’information ».
Au niveau de chaque entreprise, la mission de la fonction logisti-
que, que nous préférons d’ailleurs appeler domaine fonctionnel, est
de concevoir la chaîne logistique souhaitée par l’entreprise et ses La compétence fondamentale en logistique est le pilotage des
partenaires (directs et indirects), de construire le dispositif logisti- flux. Dès 1988, Colin et Paché indiquent [7] : la logistique « anticipe
que approprié qui permettra de piloter les flux, en interaction avec et accompagne l’action grâce à un flux d’information qui permet de
les autres partenaires de la chaîne, d’en garantir le bon fonctionne- réguler d’aval en amont des flux physiques pour exactement ajuster
ment et d’en assurer l’évolution. l’offre à la demande réelle » […] « elle cherche à synchroniser les

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rythmes au sein d’une chaîne, dont les opérations tendent à être Au-delà du suivi (pour s’assurer du bon déroulement de la chaîne
déclenchées juste à temps de façon à éviter les ruptures comme les logistique), la logistique doit pouvoir réagir en cas de problème (gui-
engorgements ». dage, pilotage). La réduction des stocks, la généralisation des flux
tirés souvent tendus et l’augmentation de la vitesse de circulation
Ce pilotage des flux suppose un suivi/guidage du flux physique des flux physiques rendent les chaînes logistiques réactives et agi-
grâce au flux d’information [ce que Colin et Paché appelaient la les, mais aussi vulnérables. Il est donc intéressant pour la logistique
rétroaction logistique (figure 1)], ce qui suppose d’établir un cou- d’améliorer sa capacité à faire des diagnostics de circulation à partir
plage entre les flux physiques et les flux d’informations associées, du suivi des flux et des activités, et d’améliorer sa capacité à envisa-
mais aussi avec les activités concernées par les flux. Notons que, ger des actions correctrices à court terme pour faire face aux aléas
dans le domaine des services, la notion de flux physique pourra uti- et/ou dysfonctionnements, mais aussi à moyen terme pour amélio-
lement être remplacée par la notion de flux d’entités (entité au sens : rer ses processus et ses compétences.
résultat d’un processus [cf. norme ISO 9000 : 2000 en Ajoutons que la logistique, comme toute fonction d’entreprise, a
[Doc. TR 300]]). Dans les activités immatérielles, le couplage pourra aussi besoin de « rendre compte » des activités logistiques (responsa-
donc concerner des flux d’information entre eux. bilité) quasiment en temps réel, de mesurer précisément la perfor-
mance logistique (pour l’améliorer) et la capacité de la logistique à
Ce principe de couplage relativement simple à mettre en place créer de la valeur [10]. Rappelons que la formule de performance logis-
lorsqu’une entreprise est totalement intégrée est plus difficile à met- tique repose sur un ensemble d’objectifs associant la maîtrise/réduc-
tre en œuvre dès lors que la chaîne logistique est distribuée entre tion des coûts (C), la qualité des flux physiques (Q), la fiabilité des
plusieurs acteurs et se déroule sur un espace élargi. C’est le cas des services (F), la flexibilité organisationnelle et stratégique (F), les délais
chaînes logistiques contemporaines dont l’exécution repose très lar- (respect et rapidité) (D), l’information associée (qualité, pertinence) (I),
gement sur une externalisation des opérations logistiques [25] [26] et le respect de l’environnement (E). Système de performance com-
et dont les flux circulent entre de nombreux acteurs (fournisseurs, plexe, qui suppose d’opérer des arbitrages, que nous résumons sou-
sous-traitants industriels, partenaires de distribution, de mainte- vent par la formule mnémotechnique suivante : CQF2DIE (qui, on le
nance, etc.), le tout à une échelle mondiale. Par conséquent, le suivi notera, va au-delà du classique triangle C-Q-D – coût, qualité, délais).
« à distance » des flux physiques et des activités est pour les logisti- Le suivi des flux et des activités, la mémorisation des informations de
ciens à la fois une nécessité et une difficulté. ce suivi, permettent d’alimenter le système de mesure de la perfor-
mance logistique, à la fois au niveau de chaque acteur d’une chaîne
Par ailleurs cette distance (évaluée en termes d’espace et de logistique, mais aussi au niveau global de la chaîne. Il aide aussi à pro-
temps) grandit du fait de l’élargissement de la perspective logisti- céder aux indispensables arbitrages entre objectifs contradictoires
que. Les principaux élargissements concernent le développement (par exemple, le classique arbitrage coûts/service).
des démarches de type SLI (soutien logistique intégré [27]) et ELI Enfin, les traces des flux et des activités sont utiles à la démarche
(écologistique intégrée) avec, notamment, les flux de la reverse d’amélioration continue des processus logistiques ainsi qu’à toute
logistics (supply chains en boucle [28] [29]) et le durcissement des démarche de gestion des connaissances logistiques (qui peut s’ins-
réglementations (exigences plus fortes sur une plus longue durée). crire dans un programme plus large de Knowledge Management
[11]) et de développement des compétences et capacités organisa-
La multiplication des références industrielles et commerciales, le tionnelles. Les traces d’activités sont en effet utiles à l’élaboration
raccourcissement des durées de cycles (cycle de conception, de pro- des prévisions concernant les flux et les activités logistiques, à la
duction, de vie…), la réduction de la taille des lots de production de conception des dispositifs logistiques, à la planification et à la réali-
produits finis, le fractionnement des envois physiques, la multiplica- sation des opérations, ainsi qu’à leur suivi, au contrôle et à l’évalua-
tion des circuits possibles (réseau logistique dynamique) rendent tion de l’activité. Les traces sont donc potentiellement un
aussi le suivi des flux physiques et des activités plus complexe. Il intéressant support d’apprentissage individuel et collectif.
convient, à ce propos, de démystifier la notion de chaîne telle qu’elle Le système de traçabilité est donc, du point de vue de la logisti-
est souvent présentée. Les chaînes logistiques ne ressemblent pas à que, un système d’information inscrit dans une boucle de rétroac-
ces images de pipelines linéaires aux opérations stables et tion pour le pilotage des processus logistiques et, plus globalement,
séquencées ! Les chaînes logistiques contemporaines s’apparentent l’aide à la décision, comme le résume la figure 2.
plus à des réseaux de flux présentant des boucles, des processus
alternatifs ou parallèles, et des arrangements temporaires parfois Un système de traçabilité est donc « indispensable » en logistique.
qualifiés d’éphémères (pour une discussion sur ce point cf. [8] et Définissons-en les caractéristiques « idéales ».
[9]).

Figure 2 – La traçabilité dans une perspective globale de pilotage


Figure 1 – Rétroaction logistique (d’après Colin et Paché [7]) logistique

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1.2 L’idéal type de la traçabilité Encadré 2 – Tracking et tracing : deux fonctions liées
en logistique et ses conséquences d’un système de traçabilité logistique

La plupart des logisticiens, qui s’inscrivent ici dans la tradition


L’idéal type de traçabilité en logistique (justifié par les objectifs et
de la gestion de flottes et de l’exploitation de réseaux de trans-
attentes exposés au paragraphe 1.1), qui combine les fonctions de
tracking et de tracing (cf. encadré 2), s’articule autour des points port, préfèrent utiliser les termes anglo-saxons de tracking et
suivants : tracing au terme global de traçabilité qui combine les deux fonc-
tions. Mais qu’est ce que le tracking et le tracing ?
— pouvoir à tout moment localiser les flux physiques (ou flux
d’entités) : produits, unités logistiques, moyens de transport, mais Le terme anglais to track renvoie à la question de la localisa-
aussi personnes ou documents, y compris au cours des phases de tion (retrouver une entité). Il s’agit de répondre à la question
production (entendue au sens large). La localisation permet en cas « où est l’entité ? » (par exemple, un colis). Le terme to trace
de problème d’éventuellement stopper le flux et/ou de le réorienter ; renvoie plutôt au suivi, à la capacité à établir la trace.
— être capable de reconstruire ex post ou in itinere l’histoire du Selon les technologies utilisées, il est possible de réaliser un
flux (traçabilité ascendante et descendante), de fournir une vision tracing continu (exemple : le suivi d’un navire à partir d’une
holographique de la supply chain. L’objectif est, en cas de problème, balise et d’une détection satellite). Le tracing continu permet, à
d’identifier tous les flux concernés, de mieux cerner les causes et les tout moment, de répondre à la question « où est l’entité ? »
responsabilités des problèmes rencontrés ; (exemple : « où est le navire ? ») et donc d’assurer un tracking
— au-delà du suivi des flux, la traçabilité des activités s’avère un sans nécessairement devoir mémoriser les informations de tra-
complément indispensable à tout système de traçabilité logistique. cing, ni devoir « raisonner » à partir des traces des flux et des
Savoir qui intervient à quel moment, sur quel flux, pour réaliser activités. Remarquons au passage que, dans le cas évoqué de la
quelle action, avec quel moyen, est important pour déterminer les traçabilité d’un navire, s’il n’y a pas de mémorisation du tracing
responsabilités vis-à-vis des flux physiques et d’informations (enregistrement des positions successives), on ne sait pas d’où
(cf. thèse de C. Romeyer en [Doc. TR 300] et dossier [TR 320] pour il vient. De la même manière, si l’on ne connaît pas son plan de
une illustration dans le domaine de la santé).
navigation ou sa destination, on ne sait pas où il va.
Exemples de flux physiques : dans le cas du tourisme (par exem- Dans de nombreux cas, le tracing est discontinu. Par exemple,
ple, la logistique des tours operators), les flux physiques seront les les codes à barres associés à des lecteurs scanners ne permet-
voyageurs (passagers), leurs valises, les véhicules pour les transporter, tent qu’un tracing discontinu à partir de points de suivi prédéter-
les produits associés aux services qui leur sont rendus (nourriture, lin- minés tout au long de la chaîne (sorties de caisses en point de
gerie, objets de décoration des espaces de réception, etc.), ainsi que vente, réception en entrepôt, sortie de chaîne de production, en
tous les flux de documents (billets, coupons, etc.). un point d’un système de manutention automatisé, etc.). En
Un système de traçabilité logistique combine donc tracking et l’absence d’une modélisation du processus et d’une mémorisa-
tracing des flux et des activités. Idéalement, il : tion des informations de tracing, la réponse à la question « où
est le colis ? » correspondra à la dernière observation faite « le
— capte l’information à la source, au contact des flux et des acti- colis a été vu à telle heure à tel point de tracing ». Dans la plu-
vités, si possible en temps réel ;
part des systèmes de traçabilité actuels, qui reposent sur un tra-
— mémorise les informations (si possible détaillées et
cing discontinu, la réponse à la question « où est le colis ? » est
contextualisées) ;
du type « dans le camion, dans l’avion, dans l’entrepôt, en cours
— et peut les traiter à tout moment, sur l’ensemble de la chaîne,
de livraison », etc. Elle n’est pas le résultat d’une observation de
idéalement sur l’ensemble du cycle de vie du produit (à la fois à titre
localisation « instantanée » (comme avec un tracing continu),
unitaire, mais aussi à titre de référence – cf. encadré 3).
mais une information d’état associé à la dernière lecture effec-
Cette présentation de la vision logistique de la traçabilité appelle tuée (par exemple, la dernière lecture ayant eu lieu au moment
une question : la traçabilité logistique inclut-elle la traçabilité (au de l’embarquement, le colis est présumé dans le camion). Le
sens général) ? Sous-entendu, si la fonction logistique – dont le rôle tracking associé à un système de tracing discontinu suppose
est d’organiser la circulation physique, de prendre en charge les flux donc une modélisation des états prévus et des points de transi-
physiques (directement ou via l’intervention de prestataires) et de les
tions entre les états (points de tracing), avec un choix crucial sur
piloter (par les flux d’information) – met en place « sa traçabilité »,
la « maille » de tracing. Une demande de tracking avec un sys-
couvrira-t-elle tous les besoins de traçabilité de l’entreprise ?
tème de tracing discontinu déclenchera donc un traitement
■ Si l’on se réfère à la définition de la norme ISO 9000 : 2000 d’information et un raisonnement pour localiser les entités, la
(cf. [Doc. TR 300]), « la traçabilité est l’aptitude à retrouver l’histori- localisation n’étant qu’approximative (la précision dépendra de
que, la localisation ou l’utilisation d’un article ou d’une activité, ou la maille) et sous réserve de la fiabilité des activités réalisées
d’activités semblables au moyen d’une identification enregistrée ». depuis la dernière « lecture ».
Il apparaît que la traçabilité logistique répond aux attentes de La mémorisation des informations de tracing permet de
traçabilité. reconstruire in itinere ou ex post l’ensemble de la circulation.
Selon le type de tracing et le choix de mémorisation (exhaus-
■ Si l’on se réfère à la définition de la traçabilité qui figure dans le tive ou partielle), la circulation pourra être vue et revue
règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du comme dans un film (mémorisation exhaustive d’un tracing
28 janvier 2002 (cf. encadré 4), la traçabilité logistique, telle que
continu), ou comme une succession de « photos » (cas d’une
nous l’avons définie, correspond dans l’ensemble à la traçabilité. Le
seul point qui mérite discussion, selon nous, correspond aux étapes mémorisation partielle d’un tracing continu, ou d’une mémori-
de production (y compris production primaire) et de transformation, sation exhaustive ou partielle d’un tracing discontinu). La
et dépendra dans une large mesure de la structure de chaque mémorisation des informations de tracing permet d’établir l’his-
entreprise, en particulier de la frontière entre logistique et produc- torique des flux et peut être utilisée pour faciliter (« cibler ») un
tion (ou gestion industrielle). Dans de nombreux cas, la fonction tracking éventuel. Selon les technologies employées, le choix
logistique inclut la gestion de la production, mais pas celle des pro- crucial concernera la maille de tracing (pour les systèmes dis-
cédés. Un système complet de traçabilité devra donc articuler les continus) ainsi que le choix d’une mémorisation exhaustive ou
systèmes de traçabilité logistique et de traçabilité industrielle qui partielle des informations, en particulier la fréquence de mémo-
doivent être couplés (à travers la codification des lots) et peuvent
risation des « positions » (pour les systèmes continus).
être emboîtés (l’industrielle étant alors incluse dans la logistique).

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● Contrôler l’exécution des processus, pouvoir agir vite en cas de


Encadré 3 – Traçabilité de la vie d’une référence problème.
de produit : cas des produits assemblés ● Lutter contre la contrefaçon et les circuits parallèles un point
important pour de nombreux secteurs : industries du luxe, de la
Les produits assemblés (par exemple : automobiles, hélicop- pharmacie, des produits high-tech, etc.
tères, ordinateurs, téléphones, etc.) ont des cycles de vie imbri- ● Disposer d’un système de preuves pour réaliser des enquêtes
qués. Un modèle peut en effet avoir une certaine longévité, mais et établir les responsabilités en cas de problème.
faire l’objet de modifications (changement de fournisseurs pour
certains composants, modification d’un composant, ajout d’un ● Optimiser la gestion des flux, améliorer les processus, mesurer
composant). La plupart des entreprises cherchent à avoir une et améliorer la performance des entreprises et des organisations.
traçabilité qui permette de suivre ces modifications et leurs ● Développer des avantages concurrentiels fondés sur le système
conséquences (financières, satisfaction des clients, qualité du de traçabilité (par exemple, innover dans les services associés aux
produit, etc.). Il s’agit donc, non seulement, de suivre les diffé- produits).
rents lots de matières premières ou composants, les produits De notre point de vue, si le système de traçabilité logistique ne
finis, les pièces détachées, etc., leur origine (qui les a fournis), couvre pas nécessairement tous les besoins de toutes les fonctions
mais aussi de suivre les versions successives (des composants d’une entreprise, il constitue la base d’un système de traçabilité
et des produits) et d’établir un lien entre ces éléments. Ce lien complet et la logistique semble une des fonctions (avec la qualité)
est utile dans le cadre de la gestion des approvisionnements, les plus à même de prendre en charge la mise en œuvre du système
mais aussi du service après-vente (SAV) et de la gestion de la de traçabilité en relation avec les autres fonctions concernées et
maintenance, qu’elle soit réalisée par le client, par le fabricant intéressées par ses outputs.
ou par un prestataire.

Encadré 4 – Extraits du règlement (CE) no 178/2002


1.3 D’un système idéal de traçabilité
du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 logistique à la réalité
L31/8 (15) Traçabilité : la capacité à retracer, à travers toutes Comme nous l’avons indiqué au paragraphe 1.1, les chaînes logis-
les étapes de la production, de la transformation et de la distri- tiques sont multiacteurs (avec des sous-traitances en cascade), sur
bution, le cheminement d’une denrée alimentaire, d’un aliment un espace élargi, avec une tension des flux ; les configurations sont
pour animaux, d’un animal producteur de denrée alimentaire ou dynamiques et parfois éphémères (ne durent que le temps d’un
d’une substance destinée à être incorporée dans une denrée ali- projet ; par exemple : dans le BTP, les activités événementielles, le
mentaire ou un aliment pour animaux. tourisme) ; les flux sont sans cesse transformés (espace et forme) et
L31/3 (28) […] : il est nécessaire de mettre sur pied, […] un évoluent dans le temps (produits à valeur évolutives qui ont une
système complet de traçabilité […] permettant de procéder à DLUO (date limite d’utilisation optimale) par exemple). Mettre en
des retraits ciblés et précis ou d’informer les consommateurs place une traçabilité logistique suppose donc d’articuler les systèmes
[…] et d’éviter l’éventualité d’inutiles perturbations plus impor- de traçabilité des différentes entreprises intervenant sur chaque
tantes en cas de problèmes de sécurité […]. chaîne considérée.
L31/3 (29) : iI convient de veiller à ce qu’une entreprise du sec-
La plupart des fonctions logistiques mettent en place dans leur
teur, […] y compris un importateur, puisse identifier au moins entreprise (niveau intra-organisationnel) un système de traçabilité
l’exploitation ou l’entreprise qui a livré [le produit] pour assurer « interne » : depuis l’entrée des flux dans la sphère de responsabilité
en cas d’enquête, la traçabilité à tous les stades. logistique de l’entreprise jusqu’à leur sortie. Notons que cette traça-
bilité interne inclut les flux physiquement localisés chez des sous-
Les traçabilités industrielle et logistique doivent ensemble assurer traitants industriels, des prestataires logistiques ou des partenaires
la continuité de « l’histoire » du flux, ce qui sera développé plus loin. de distribution, mais qui restent la propriété de l’entreprise. La plu-
Nota : on notera que le règlement insiste surtout sur la reconstruction ex post de la cir- part des entreprises identifient ensuite l’origine directe des flux
culation, notamment pour réaliser des rappels/retraits ciblés et précis de produits (sécurité) (quel acteur était responsable du flux en amont), et leur destination
et sur la capacité à conduire des enquêtes (responsabilité). directe (quel acteur sera responsable en aval). C’est la recommanda-
Si la « traçabilité logistique » répond aux attentes de traçabilité en tion « minimale » indiquée dans le règlement (CE) no 178/2002 du
général, notamment du point de vue des normes et réglementations Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 L31/3 (29) et
en vigueur, d’autres fonctions dans les entreprises et organisations article 18 L31/11. Ces systèmes « locaux » reposent sur des choix
peuvent avoir des besoins spécifiques de traçabilité (ou d’output du souvent réalisés individuellement (choix de systèmes de codifica-
système de traçabilité) qu’il convient de définir et de combiner les tion, de matériels, de maille de tracking et tracing, etc.) et répondent
unes aux autres. Plus largement les traces d’activité peuvent être à des objectifs particuliers, propres à chaque entreprise.
utiles au processus de décision stratégique [12]. Dans une perspective de traçabilité d’une supply chain, ou de
mise en place d’un système complet de traçabilité (pour reprendre
■ Principales attentes vis-à-vis d’un système de traçabilité la terminologie du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement euro-
● Informer les consommateurs/utilisateurs/acheteurs/prescrip- péen et du Conseil du 28 janvier 2002 L31/3 (28)) qui impose une
teurs (origine des produits, suivi du service, état des commandes, chaîne de systèmes de traçabilité, il s’agit de mettre en place une tra-
etc.), les avertir en cas de problème, les rassurer. çabilité « totale » [13], ce qui suppose une réflexion en termes de
système d’information interorganisationnel (SIIO) [14]. Le principal
● Garantir la qualité des produits et des services (ainsi que des
problème à la mise en œuvre d’une traçabilité totale est de résoudre
processus).
le hiatus entre les différents systèmes « locaux » et/ou de dévelop-
● Améliorer la sécurité des clients. per les interfaces et les procédures permettant d’articuler les diffé-
● Être en conformité par rapport aux réglementations en vigueur. rents systèmes.
●Limiter les conséquences d’une non-qualité pour les clients Comme dans tout développement de système interorganisationnel
(sécurité) mais aussi pour les entreprises de la chaîne (coûts de la (cas des systèmes EDI par exemple, cf. dossiers [TR 580] [TR 585]
non-qualité et de ses conséquences, impact sur l’image de marque) [TR 590] [30] [31]), plusieurs options sont possibles :
grâce à des retraits de lots ciblés et efficaces, à une intervention — les solutions basées sur des interfaces spécifiques dévelop-
rapide avant que le client final ne soit touché. pées au cas par cas ;

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— celles basées sur des choix propriétaires qui s’imposent à — adopter une approche par les flux, par les processus ;
l’ensemble de la chaîne (généralement ceux des firmes-pivots — envisager les processus pilotés par l’aval, centrés « clients » ;
d’entreprises réseaux [15]) ;
— celles fondées sur des standards interorganisationnels (secto- — combiner vision globale (la supply chain) et vision locale (les
riels ou intersectoriels). opérations élémentaires au sein de chaque entreprise) ;
— décrire les acteurs, leur rôle et leur responsabilité dans les
Exemple : dans le secteur automobile en France, les différentes processus ;
solutions coexistent dans les systèmes de traçabilité : des solutions
fondées sur les standards Galia-Odette [cf. site web de ces associa- — décrire les opérations, leur localisation, leur enchaînement, la
tions en [Doc. TR 300]] (souvent entre constructeurs et équipemen- temporalité de la transformation des flux (production, transforma-
tiers de rang 1), des dispositifs spécifiques (souvent avec les tion, assemblage, groupage/dégroupage…) ;
équipementiers de rang 2 ou plus), mais aussi, comme dans le cas de — décrire les composants du flux physique (des entités), du flux
Toyota, des choix propriétaires imposés à leur réseau. d’information associé (par exemple, documents, messages) ;
Au-delà des questions spécifiques à la dimension interorganisa- — articuler acteurs-activités-ressources-flux (qui fait quoi sur
tionnelle d’un système de traçabilité, la mise en œuvre d’une traça- quel flux avec quelles ressources ?) ;
bilité totale suppose de répondre aux principales questions — identifier les interfaces clés (points risqués dans les processus)
suivantes : qui s’accompagnent de changement de responsabilité logistique
— faut-il suivre, en temps réel et en permanence, les composants, intra et interorganisationnelle.
produits, unités logistiques et diverses entités tout au long du cycle
La modélisation se fera généralement à plusieurs niveaux imbri-
de vie du produit ?
qués (figure 3), avec des effets de zoom sur les points critiques des
— quel principe de responsabilité par rapport à la production
processus.
d’informations de traçabilité mettre en place ?
— faut-il centraliser les informations de traçabilité ? Faut-il un La modélisation intraorganisationnelle mais surtout interorgani-
unique responsable du système de traçabilité ? sationnelle suppose un dialogue entre les partenaires des chaînes
— qui pourra accéder à quelle information de traçabilité et logistiques et une identification lucide des points de rupture poten-
comment ? tiels de la traçabilité. L’élaboration d’un système de traçabilité com-
— faut-il informatiser (capacité de traitement, vitesse) ? Faut-il plet doit à la fois tenir compte des moyens de traçabilité existants
standardiser (au niveau local et/ou global) pour identifier les entités mais aussi des solutions que les partenaires sont prêts à mettre en
à tracer ? place (choix d’investissements).
— faut-il automatiser la capture des informations ?
— faut-il automatiser le traitement des données ? Dans certains cas, une entreprise désireuse de développer un sys-
— comment contrôler la coordination entre les flux d’information tème de traçabilité totale devra réaliser un diagnostic des capacités
et les flux physiques (la bonne information associée à la bonne de traçabilité de ses fournisseurs et de ses clients (cf. thèse
entité) ? C. Lemaire en [Doc. TR 300]).
— comment s’assurer de la véracité des informations ?
En matière de choix d’outils de modélisation, indiquons que le
On le voit, la mise en place de la traçabilité logistique totale n’est domaine de la logistique n’a pas produit d’outils spécifiques (et cela
pas simple. Au-delà des principes, identifions les questions posées nous semble une bonne chose !). Les logisticiens adoptent généra-
par la concrétisation de la traçabilité en logistique et proposons une lement les outils de modélisation utilisés en la qualité [17], en génie
démarche générale de travail. industriel (comme les réseaux de Pétri), dans le champ du Business
Process Management [18] et de l’approche processus [19] et [20], ou
des systèmes d’information [formalismes de type MERISE [16],
SADT (Structured Analysis Design Technics), XML, etc.]. Ces outils
2. Concrétiser la traçabilité sont parfois combinés de façon « ad hoc » en fonction des besoins
et des cultures en présence.
logistique : éléments
de méthode
2.2 Définir la maille de couplage
L’objectif de cette seconde partie est de passer d’une vision flux physique/flux d’information
« idéale » d’un système de traçabilité logistique à une vision
« praticable » en définissant les étapes clés de la démarche et en
identifiant les principales questions à se poser. Compte tenu de ce À partir de la modélisation des processus, il convient ensuite de
qui a été exposé au paragraphe 1, nous parlerons indifféremment définir la maille de traçabilité :
dans cette seconde partie de traçabilité et de traçabilité logistique, — à quel niveau saisir les informations ?
considérant que la traçabilité logistique est une bonne base d’un
système de traçabilité « général » et que les principes pour élaborer — à quelle fréquence [tracing continu ou discontinu (cf. § 1.2)] ?
un système de traçabilité logistique s’appliquent au système de tra- — avec quelles techniques ?
çabilité « général ». — quelles informations mémoriser [mémorisation exhaustive ou
partielle (cf. § 1.2)] ?
— sur quels supports ?
2.1 Modéliser les processus, identifier sachant que, comme nous l’avons évoqué, les choix de techniques
les interfaces clés et les risques peuvent avoir une importante influence sur le choix des lieux et fré-
quences de saisie ainsi que sur la mémorisation des informations
saisies.
La modélisation des processus est un préalable pour définir un
système de traçabilité logistique satisfaisant. Quelques principes Rappelons que la notion de traçabilité des flux physiques (qui fait
classiques en modélisation des processus logistiques [16] peuvent référence à une logistique industrielle et commerciale classique)
être rappelés : doit être élargie. Il convient en effet de tracer des entités. Une entité

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Figure 3 – Des niveaux imbriqués


de modélisation

peut être un objet physique (produit, contenant, véhicule), une per- — il faut raisonner en termes de couplage flux physiques (enti-
sonne, un document ou même une information. Selon les entités, les tés), activités et flux d’informations (sur cette notion de couplage, cf.
questions précédemment posées trouveront des réponses différentes. thèse de C. Lemaire en [Doc. TR 300]).
Exemple : dans le domaine de la logistique hospitalière, la traçabi- Exemple : dans le cas de la supply chain du fromage étudiée par
lité concerne les patients, les médicaments, les dispositifs médicaux, C. Lemaire, la maille de traçabilité varie selon que l’on trace des por-
les prélèvements, les résultats des analyses, les demandes de repas, tions de gruyère conditionnées sous film (le numéro de lot sera celui de
les repas. La traçabilité doit être couplée aux activités, en particulier, les la matière première, qui permet un retrait ciblé) ou du gruyère râpé.
actes médicaux et paramédicaux. Dans le cas du gruyère râpé, le numéro de lot correspondra à une jour-
née de production, sachant que, en une journée, plusieurs lots de
Quelques principes sont à retenir : matière première auront été mis en œuvre (il s’agit de chutes récupé-
— réaliser une traçabilité au niveau le plus fin est souvent irréa- rées lors de la découpe des meules pour réaliser les portions). Le sys-
liste, coûteux et inutile ; tème de traçabilité fait le lien entre les numéros de lot de matière
première et les numéros de lot de production de râpé. En cas de pro-
— il n’est pas nécessaire d’avoir une traçabilité uniforme. Il
blème sur un lot de râpé, il conviendra de retirer tous les sachets de
convient donc d’identifier les niveaux satisfaisants de traçabilité en
râpé de ce lot (soit une journée de production de râpé), mais aussi tous
fonction des risques et des coûts, sachant que certaines réglementa-
les produits relatifs aux lots de la matière première utilisés pour la fabri-
tions (et certains clients) imposent un certain niveau de traçabilité. Il
cation de râpé de ce jour (donc le retrait de portions). Le choix de la
convient ensuite de définir comment naviguer entre les différents
maille de traçabilité a donc une incidence importante sur l’ampleur des
niveaux de traçabilité retenus ;
rappels et retraits et donc sur leur impact potentiel.
— il est nécessaire d’identifier une responsabilité de « production
d’information de traçabilité », point d’autant plus important que l’on Définir les niveaux de traçabilité suppose une dialectique locale/
raisonne à l’échelle de la chaîne logistique globale (le système com- globale au sein de la chaîne à l’échelle individuelle (de chaque entre-
plet de traçabilité) et que la véracité des informations est prise) et collective (de la chaîne logistique). Les exigences de la
importante ; réglementation, les exigences des partenaires de la chaîne, les

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caractéristiques des produits et surtout des risques sont à consi- Par ailleurs, le problème de l’informatisation des systèmes de tra-
dérer au même titre que les exigences internes de chaque entreprise çabilité de chaque entreprise pose, à l’échelle de la supply chain, un
vis-à-vis du système de traçabilité. Nous recommandons d’adopter problème d’interconnectivité et d’interopérabilité des systèmes
une « vision hypertexte » de la traçabilité logistique ! « locaux » entre eux.

2.3 Formalisation de l’information : 2.4 Caractère crucial du système


un fondamental de la traçabilité d’information et de communication

Une fois la « maille » de traçabilité définie, il convient de définir


comment formaliser l’information de traçabilité. Comme la norme Finalement, le système de traçabilité suppose de raisonner sur le
ISO 9000 : 2000 le précise, la traçabilité implique l’identification, système d’information et de communication (SIC), support de la tra-
puis l’enregistrement (que nous avons précédemment appelé çabilité logistique.
mémorisation). Insistons néanmoins avec d’autres auteurs (notam- Rappelons qu’« un système d’information est un ensemble orga-
ment Viruega [21] : si l’identification est nécessaire pour tracer, elle nisé de ressources […] permettant d’acquérir, traiter, stocker, com-
n’est pas suffisante. Seule la chaîne d’identification (évoquée dans muniquer des informations […] dans les organisations » [22]. Plus
l’exemple de la supply chaîne du gruyère) permet de constituer (et précisément, les fonctionnalités de base d’un SIC (développées
reconstituer) un historique d’une entité. Les choix de formalisation dans l’encadré 5 et représentées figure 4), quelles que soient les
ainsi que les choix de techniques (exemple : codes à barres ou RFID) technologies retenues, sont : l’acquisition des informations (point
ne se font qu’une fois les enjeux d’un système de traçabilité analy- que nous avons développé au paragraphe 2.3), la mémorisation et
sés et les objectifs du système de traçabilité définis ! Ils s’inscrivent, la structuration des informations (les « enregistrements »), le traite-
par ailleurs, dans un choix de procédures de traçabilité qui, en logis- ment des informations (généralement en vue d’une aide à l’interpré-
tique, implique la prise en compte du système de traçabilité plus tation et à la décision) et la communication (échanges
large dans lequel elles s’inscrivent. d’informations).
Les questions auxquelles il convient à ce stade de répondre sont De la vitesse souhaitée pour le flux physique (les entités), des
les suivantes : principes de pilotage logistique adoptés et des enjeux associés au
— que faut-il codifier ? Les matières (premières, en cours, pro- système de traçabilité découlent des attentes en matière de vitesse
duits finis, déchets, etc.), les emballages (à tous niveaux), les unités de traitement et d’échange des informations de traçabilité, ainsi
logistiques (de transport et de manutention), les engins de transport qu’en matière de « fraîcheur » et de précision des informations
(y compris dans les entrepôts et usines), les postes de travail, les mises à disposition. Ces attentes se traduisent ensuite en contraintes
opérateurs à tous les niveaux, les opérations (nomenclatures, gam- pour le choix des technologies mises en œuvre.
mes, etc.) ? Les principales questions posées pour élaborer le SIC de traçabi-
— comment peut-on codifier les entités, les activités et même les lité logistique sont les suivantes :
acteurs ? Peut-on utiliser un standard existant ? Quelles règles de — quelle « distribution » du système de traçabilité sur le réseau
codification adopter ? logistique (le système de traçabilité est ici vu comme un SIIO [14]) ?
— comment articuler les codes entre les entités et les activités — que faire à l’échelle de chaque entreprise ?
pour assurer la continuité de la traçabilité tout au long de la supply — que mettre systématiquement en commun ?
chain, compte tenu du processus de transformation (au sens large) — que partager uniquement en cas de problème ? comment ?
(cf. principe des « poupées russes » et de la chaîne d’identification (sachant que certains secteurs imposent la confidentialité de certaines
précédemment évoqués) ? informations, par exemple, dans le secteur médical).
— au-delà des codes (essentiels pour la gestion ultérieure de Il s’agit aussi d’évaluer les besoins et possibilités d’interopérabi-
l’information de traçabilité, son enregistrement et sa réutilisation), lité et d’interconnectivité des différents SIC « locaux » compte tenu
quels supports choisir (codes-barres, tag, RFID (Radio Frequency des technologies déjà en place ou envisagées par les acteurs ;
Identification), etc.) et quels systèmes de lecture associés ? Avec ou
Nota : il convient de signaler, sans entrer dans le détail, le rôle moteur des évolutions
sans automatisation de la saisie ? technologiques (informatique, SGBD, ERP, IA, réseaux de communication, codes-barres,
— enfin, quels langages de communication choisir pour échanger radio, RFID, EDI, Internet…).
les codes entre partenaires (par exemple, l’EDI pour échanger les — quelles technologies retenir ?
numéros des colis (comme des EAN 128) dans des messages de — comment articuler les choix technologiques entre eux ?
type « avis d’expédition » (AVIEX)) ? comment s’assurer de la com- — faut-il aller jusque chez le client/utilisateur/consommateur (par
patibilité des langages de communication dans la supply chain ? exemple, dans le cadre du commerce électronique, permettre la tra-
Choisir les codes de traçabilité ainsi que les techniques relève à la çabilité des envois) ?
fois d’un choix d’entreprise (pour certains codes internes), d’un L’enjeu est ici de permettre au flux d’information d’aller plus vite
choix entre partenaires (pour des codes interfaces), d’une tradition que le flux physique (sachant que ces deux circuits ne sont pas tou-
sectorielle ou d’une réglementation imposée (par exemple, pour la jours superposés) pour :
viande bovine). L’harmonisation totale est un mythe, mais il faut
assurer la continuité de l’information de traçabilité ! — anticiper sur la réalisation des opérations, suivre à distance la
circulation des flux et l’exécution des activités ;
Dénonçons ici les démarches qui mettent en avant le choix des — réagir sans délai en cas de problème (avant qu’il ne se propage
outils (standards, technologies, matériels) avant de répondre aux jusqu’au bout de la chaîne) ;
questions d’enjeux et de finalité et avant d’avoir analysé les proces- — capitaliser l’expérience ex post et améliorer les processus
sus logistiques ! Notons qu’il est en effet possible d’avoir une excel- logistiques (les traces d’activité sont une richesse à exploiter pour
lente traçabilité « papier » et, à l’inverse, d’avoir des systèmes de optimiser les dispositifs, pour mieux stabiliser les savoir-faire et
traçabilité informatisés très peu fiables ! Bien sûr, l’utilisation de développer les savoirs).
technologies d’information et de communication, avec une certaine
automatisation de la saisie d’informations et de leur enregistrement, Au-delà des « systèmes » : un système de traçabilité c’est aussi :
permettra une meilleure réactivité, une plus grande capacité de trai- — des procédures de gestion de la traçabilité globalement
tement de l’information à des fins de pilotage logistique et stratégique. coconçues par les acteurs de la chaîne ;

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Encadré 5 – Fonctionnalités des SIC


(adapté de [23] et [24]

■ L’acquisition des informations concerne la capacité à capter


l’information (qui n’est jamais « donnée »), ce qui suppose une
démarche intentionnelle d’organisation de l’acquisition qui n’est
pas toujours simple et qui peut être coûteuse, compte tenu des
contraintes de circulation des flux physiques et entités, et des
activités. Il faut porter un intérêt à une information pour organi-
ser son acquisition, cet intérêt n’étant pas nécessairement lié à
une utilité directe ou immédiate.
■ La mémorisation des informations englobe la capacité à phy-
siquement enregistrer, stocker et structurer l’information
acquise à chaque étape du pilotage logistique, et à la restituer ou
en permettre l’accès. Elle est particulièrement importante pour
le processus de surveillance (suivi), pour conduire les démar-
ches d’évaluation et d’apprentissage. Cette fonction comprend à
la fois la dimension « réservoir » d’informations, mais aussi
l’organisation du stockage des informations dans la mémoire du
système, généralement dans l’optique d’améliorer (faciliter,
accélérer) l’accès à l’information recherchée. Cette seconde
dimension (la structuration) suppose une réflexion sur le sens
et, surtout, sur l’utilisation des informations mémorisées (par
exemple : reconstruire la chaîne d’identification).
Figure 4 – Fonctionnalités d’un SIC [24]
■ Le traitement des informations permet de créer de nouvelles
informations à partir de celles existantes. Il renvoie aux capaci-
tés de calcul, numérique ou symbolique, et est particulièrement
sollicité pour aider à la prévision, à la simulation, à l’interpréta- — l’autonomie d’acteurs « compétents » (pour « faire face ») ;
tion ou à la décision…, ce qui est nécessaire aux activités de — une culture « traçabilité » des acteurs à tous niveaux (pour
conception, pilotage et contrôle du processus logistique. sécuriser les systèmes).
■ L’échange (ou la diffusion) d’information (entre des unités
d’acquisition, de mémorisation et/ou de traitement) représente
la possibilité de faire circuler et de diffuser l’information au sein 2.5 Adapter en continu le système
d’une organisation et, plus largement, de la supply chain. Il est
nécessaire pour déclencher automatiquement des opérations de traçabilité
(par exemple, des procédures de blocage et de retrait de pro-
duits), pour coordonner les intervenants (en fonctionnement
normal ou dégradé) ou suivre à distance le déroulement des Enfin, il convient de noter que les chaînes logistiques se recompo-
opérations. sent sans cesse, sont donc temporaires et parfois éphémères. Com-
ment adapter en permanence le système de traçabilité ? Comment
■ L’aide à l’interprétation concerne plus la cogitation que la ne pas faire du système de traçabilité un frein à l’évolution des sup-
computation. Il s’agit, grâce à la mise à disposition d’informa- ply chains, un obstacle à la flexibilité et à l’agilité des supply chains ?
tions mémorisées et/ou à la production (par acquisition ou trai- Ces questions, non spécifiques aux systèmes de traçabilité, concer-
tement) de nouvelles informations, d’aider à comprendre les nent plus largement tous les outils de gestion.
situations, les événements, l’histoire des flux, des processus, de
l’organisation et de son milieu, c’est-à-dire produire des connais-
sances. Elle participe d’une attitude d’exploration, plus que
d’action, et induit une relation interactive avec le système. Cette
construction de sens, qui s’actualise dans l’interaction avec le
système d’information et de communication, mais aussi avec
3. Conclusion
l’ensemble de l’organisation et son milieu, est bien sûr forte-
ment dépendante du contexte de l’interaction, notamment du
questionnement sous-jacent. Pour conclure, réaffirmons l’importance de la traçabilité des flux
et des activités pour la logistique qui doit disposer d’un système de
■ L’aide à la décision entre dans le registre de l’action. Ce peut traçabilité logistique pour améliorer sa contribution à la perfor-
être l’aide à la recherche d’un optimum si l’on se réfère à l’aide à mance des entreprises (cf. CQF2DIE). Insistons sur le fait que, étant
la décision classique, l’aide au choix entre plusieurs scénarios responsable de la circulation des flux, la logistique est une des fonc-
avec des calculs de performances comparées, ou l’aide à la tions les plus qualifiées pour participer à la conception et la mise en
recherche de scénarios possibles si on fait appel à des outils de place du système de traçabilité « général » de l’entreprise, sachant
simulation plus ouverts. que celui-ci ne doit pas s’arrêter aux frontières de l’organisation.
De nombreuses entreprises mettent actuellement en place des
systèmes de traçabilité en réponse à des contraintes externes (exi-
— une confiance entre les acteurs (leur capacité à fournir des gences réglementaires, demandes de certains clients, etc.) et dans
informations de traçabilité fiables et pertinentes), notamment quand l’unique perspective de faire face aux crises. Cette adaptation
il n’y a pas partage systématique et permanent des informations de « réactive » à l’environnement n’est évidemment pas sans intérêt ;
traçabilité ; cependant, dans une perspective stratégique, il est aussi nécessaire
— des ajustements mutuels au sein et entre les organisations de considérer le système de traçabilité comme un vecteur de déve-
(pour réagir en cas d’imprévu et adapter les systèmes) ; loppement stratégique (stratégies de différenciation, d’innovation,

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de développement, etc.), ce qui peut conduire à transformer délibé-


rément les organisations. Le système de traçabilité est alors vu
comme un atout, un outil de gestion, au-delà de toute situation de
crise, ce qui conduit à penser le système de traçabilité de manière
plus globale.

Dans tous les cas de figure, mettre en place un système de traça-


bilité conduit à minima à repenser certaines pratiques, ce qui
conduit aussi dans une moindre mesure à changer les organisa-
tions. Ces changements, plus ou moins radicaux et stratégiques, ont
eux aussi une influence sur l’environnement, en particulier l’envi-
ronnement concurrentiel (mimétisme des concurrents, adaptations
des partenaires de la chaîne logistique, etc.).

La figure 5 résume ces interactions complexes et traduit la pers-


pective qu’il convient d’adopter pour penser nos systèmes de traça- Figure 5 – Système de traçabilité vecteur de changement
bilité. organisationnel et stratégique

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