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choisi de gérer l’épineuse question des « revenants »


après les défaites militaires de l’EI en Syrie et en Irak.
Peine de mort pour les djihadistes:
Ou plutôt, justement, de ne pas la gérer.
l’exécutif devant ses contradictions
PAR ELLEN SALVI
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 4 JUIN 2019

Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron, le 26 septembre 2018. © Reuters

Fin janvier, la révélation par BFM-TV d’un possible


© Reuters rapatriement de djihadistes français avait suscité un vif
En remettant le sort des djihadistes français entre les débat qu’Emmanuel Macron avait pensé clore un mois
mains de la justice irakienne, Paris a pris le risque plus tard en déclarant que les personnes incarcérées
de voir certains de ses ressortissants être exécutés, « en Syrie et/ou par les autorités irakiennes » avaient
au mépris de ses principes fondamentaux. Emmanuel vocation à être «judiciarisées dans ces pays lorsqu’on
Macron écrivait pourtant en 2016 qu’« un pays n’a reconnaît la justice, lorsqu’il y a des faits dont ils
jamais surmonté une épreuve décisive en reniant les sont coupables et incriminés dans ces pays ». Lors
lois qui le fondent ni leur esprit ». de la visite à Paris, le 25 février, de son homologue
Jean-Yves Le Drian l’assurait encore le 28 mai, sur irakien Barham Saleh, le président de la République
France Inter : « Nous multiplions les démarches avait insisté sur le droit de Bagdad à « décider
pour éviter la peine de mort à ces quatre Français », souverainement » de telles procédures.
expliquait le ministre des affaires étrangères en « Contrairement à ce que j’ai pu lire ou entendre,
réponse à un auditeur l’interrogeant sur le devenir il n’y a pas un programme de retour des djihadistes
des ressortissants condamnés à la peine capitale en qui est aujourd’hui conçu, nous restons sur la même
Irak, pour leur appartenance à l’organisation État doctrine », avait-il ajouté quelques jours plus tard,
islamique (EI). Une semaine plus tard, le nombre de à l’occasion d’un débat organisé à l’Élysée avec des
condamnations est passé de quatre à douze. Et Paris se élus de la région Grand Est. Pourtant, comme l’a
retrouve confronté à ses propres contradictions. raconté Mediapart, les services des ministères des
Les récents verdicts rendus par la justice irakienne affaires étrangères, de la défense, de l’intérieur et de
ont en effet ravivé un dilemme qui empoisonne la justice, peu convaincus par l’« option irakienne »,
l’exécutif depuis plusieurs mois : quel sort réserver travaillaient bien depuis l’automne 2018 au retour des
aux djihadistes français prisonniers dans des pays qui djihadistes détenus par les Kurdes de Syrie – ce qui
appliquent la peine de mort, lorsqu’on se refuse à les était alors le cas des douze ressortissants condamnés
juger en France où l’abolition de cette sentence est à mort.
gravée dans le marbre constitutionnel ? Ce dilemme Une information confortée par des propos tenus en
est la conséquence logique de la façon dont Paris a début d’année par Christophe Castaner : « Ce sont des
Français avant d’être des djihadistes, avait-il lâché
sur BFM-TV. Tous ceux qui rentreront en France
seront judiciarisés et confiés aux juges. » Selon les
témoignages de plusieurs membres des services de
renseignement, un sondage révélant le fort rejet dans

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l’opinion française de la solution de rapatriement Tout en rappelant leur opposition à la peine de mort
aurait fait changer d’avis le chef de l’État. « Nous ne et leur attachement aux droits fondamentaux, les
faisons revenir personne, avait d’ailleurs tranché le membres du gouvernement s’appliquent à souligner
premier ministre, le 6 mars. La doctrine française a que les djihadistes ne sont pas des ressortissants
toujours été de dire que les Français partant sur des comme les autres. Ce sont des « terroristes qui nous
zones de combat combattent contre nous. » ont attaqués et qui ont aussi été semeurs de mort en
Pensant avoir contourné le problème en le confiant Irak », avait insisté le ministre des affaires étrangères,
aux juridictions irakiennes, Emmanuel Macron doit sur France Inter. « Ce sont des ennemis », avait-il déjà
désormais répondre aux critiques des défenseurs expliqué dans Ouest-France. Des « Français qui ont
des droits humains, qui s’inquiètent du « caractère quitté leur pays pour prendre les armes contre leur
inéquitable » des procédures et du « risque pays à travers des actions terroristes – il faut toujours
d’exécution » qu’encourent plusieurs ressortissants rappeler de quoi on parle », a encore indiqué Sibeth
français. «Si des pays comme la France ne veulent Ndiaye.
pas que leurs ressortissants soient condamnés à la Un discours politique qui s’inscrit dans la lignée
peine de mort, comme l’ont dit leurs représentants, de ceux que le pouvoir exécutif donne à entendre
ils devraient les ramener chez eux pour y faire l’objet depuis bientôt quatre ans. En proposant, après les
d'une enquête et de poursuites », a récemment lancé attentats de novembre 2015, d’étendre la déchéance
Lama Fakih, directrice adjointe de Human Rights de nationalité aux binationaux nés Français et
Watch (HRW) pour le Moyen-Orient. « condamnés pour un crime constituant une atteinte
« Cette résignation coupable de notre pays n’est grave à la vie de la nation », François Hollande avait
que le paroxysme dans l’affaiblissement d’un certain ouvert la voie à un raisonnement qui a depuis fait florès
nombre de principes qui structurent notre droit », dans le débat public. Raisonnement selon lequel des
écrivent aujourd’hui 45 avocats dans une tribune Français ayant tué d’autres Français ne mériteraient
publiée sur le site franceinfo.fr. Interrogée sur le plus la nationalité ni les droits qui y sont attachés.
sujet à l’issue du conseil des ministres du 3 juin, C’est dans le même esprit, d’une légèreté confondante
la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a au regard de nos principes fondamentaux, que l’ancien
assuré que l’État français intervenait « au plus haut président de la République avait admis aux auteurs
niveau » pour que les condamnations à la peine de mort du livre Un président ne devrait pas dire ça (Éd.
« soient commuées en prison à perpétuité ». « Nos Stock, 2016) avoir commandité plusieurs « opérations
compatriotes bénéficient évidemment de la protection Homo » – pour homicide – auprès des services, durant
consulaire », a-t-elle ajouté. son quinquennat. Ces assassinats ciblés, réalisés sans
Quelques jours plus tôt, en séance de questions au cadre légal défini, hors de toute procédure judiciaire, et
gouvernement à l’Assemblée nationale, c’est Jean- sans le moindre contrôle parlementaire, ont encore été
Yves Le Drian qui avait déclaré que les djihadistes brandis par certains élus de droite en janvier dernier,
français avaient bénéficié d’un « procès équitable » à lorsque la question des « revenants » s’est posée.
Bagdad. « L’assistance consulaire leur est aussi « Il y a un choix juridique d’intelligence avec l’ennemi,
apportée si bien que tout au long de la procédure, en leur retirant la nationalité française. Il y a un autre
que ce soit dans la période d’emprisonnement, choix, l’élimination de ces personnes », avait alors
de détention, dans la période du procès et après déclaré le député Les Républicains (LR) Pierre-Henri
le procès, nos services consulaires sont là, sont Dumont, sur LCP, avant d’ajouter : « La France ne
présents, assistent, constatent le bon déroulement des doit jamais les ré-accueillir. On les tue sur place,
opérations, avait-il précisé. On les aide à faire leur des assassinats ciblés ça a toujours été fait. » Face
recours auprès des autorités irakiennes. » à la polémique que cette déclaration avait suscitée, la

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droite s’était défendue en rappelant au gouvernement aurions pour eux », avait-elle dit, reconnaissant entre
les propos tenus en octobre 2017 par la ministre des les lignes que la position de la France sur la peine
armées Florence Parly. de mort pouvait évoluer en fonction des situations
Au moment où Raqqa était sur le point de tomber, et des individus. Pourtant, comme le rappellent les
cette dernière avait en effet estimé que le plus efficace, signataires de la tribune de franceinfo.fr, « l’article
pour empêcher le retour de djihadistes en France, 66-1 de la Constitution selon lequel “nul ne peut être
était d’« aller au bout » de l’opération. « S’il y condamné à la peine de mort” ne souffre d’aucune
a des djihadistes qui périssent dans ces combats, dérogation, pas même en matière de terrorisme ».
je dirais que c’est tant mieux. Nous ne pouvons En France comme partout en Europe, le retour des
rien faire pour empêcher leur retour. Nous pouvons djihadistes suscite un vif rejet dans les opinions
poursuivre le combat pour neutraliser le maximum de publiques, raison pour laquelle il est sans doute
djihadistes », avait-elle affirmé dans l’émission « Le politiquement plus avantageux de les laisser juger
Grand rendez-vous » d’Europe 1-Les Échos-CNews, à des milliers de kilomètres. Mais comme l’écrivait
se refusant toutefois à utiliser le verbe « éliminer » Emmanuel Macron dans son livre Révolution (Éd. XO,
qu’avançaient les journalistes qui l’interrogeaient. 2016), « un pays – et surtout pas le nôtre – n’a jamais
Des propos que Florence Parly avait pleinement surmonté une épreuve décisive en reniant les lois qui
assumés quelques mois plus tard, lors de ses vœux aux le fondent ni leur esprit ». Or, soulignent encore les
armées. « Une phrase de moi a fait couler beaucoup 45 avocats dans leur tribune, « la force du droit réside
d’encre, je l’assume. Les djihadistes n’ont jamais précisément dans l’universalité de son application ».
eu d’états d’âme, je ne vois pas pourquoi nous en À Paris, comme à Bagdad.

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