ACCÈS À L'ÉGALITÉ ET GESTION DE LA DIVERSITÉ : UNE

JONCTION INDISPENSABLE
Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest

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HEC Montréal | « Gestion »

2009/3 Vol. 34 | pages 66 à 73

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ISSN 0701-0028
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 AccEs A l’EgalitE et
gestion de la diversitE
une jonction indispensable

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Les auteurs Ces différences marquées sur le marché du travail persis-
tent malgré l’adoption par le Québec, en 1985, de programmes
Marie-Thérèse Chicha et Éric Charest1 d’accès à l’égalité avec l’ajout d’un chapitre entier de la Charte
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des droits et libertés de la personne qui leur est consacré.

Deux ans plus tard, l’obligation contractuelle était adoptée,
laquelle exige que les organisations de 100 employés ou plus,
recevant des contrats ou des subventions de 100 000 $ et plus

L
du gouvernement du Québec, mettent en œuvre un programme
’atteinte d’une pleine égalité professionnelle pour les d’accès à l’égalité.
femmes et les membres des minorités visibles
constitue un objectif important de la société québécoise
qui, malgré certaines avancées, est encore loin d’être
réalisé2. Les taux d’activité et d’emploi des femmes
demeurent plus faibles que ceux des hommes (Statistique
Canada, 2006a) et les revenus moyens de celles qui travaillent
à temps complet toute l’année continuent à être inférieurs,
même en tenant compte du niveau de scolarité (Statistique
Canada, 2006b). De plus, les femmes se trouvent en grand
nombre dans un éventail réduit de professions : en 2006, près
du tiers d’entre elles se concentraient dans 10 professions,
cette situation n’ayant pas d’équivalent pour les hommes.
Enfin, elles sont encore très faiblement représentées dans les
échelons supérieurs des grandes entreprises (Catalyst, 2009;
Marchand et al., 2007).
En ce qui a trait aux membres des minorités visibles, leur
taux d’emploi est plus faible que celui du reste de la popula-
tion, alors que leur taux de chômage est plus élevé (Statistique
Canada, 2006c). On constate aussi que leurs revenus demeurent
nettement plus faibles que ceux de l’ensemble de la population,
même si leur niveau de scolarité est très élevé (Statistique
Canada, 2006d). En outre, ils sont surreprésentés dans des
emplois peu qualifiés ayant des conditions de travail précaires
(Cheung, 2005) et sont largement absents des postes de
cadres supérieurs.
Deux bilans réalisés vers la fin des années 1990 ont montré
que l’impact des programmes d’accès à l’égalité, notamment
Marie-Thérèse Chicha est professeure à l’École de relations industrielles sous la forme d’obligations contractuelles, était très limité
de l’Université de Montréal, marie-therese.chicha@umontreal.ca.
(CDPDJ, 1998; Chicha, 1998). L’étude de Chicha a même
Éric Charest est professeur à l’École nationale d’administration publique
à Montréal, eric.charest@enap.ca.
révélé que, malgré l’obligation à laquelle elles étaient assujet-
ties parfois depuis plusieurs années, près des trois quarts des

66 Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009


Encadré 1
À propos de l’enquête
Nous avons contacté les 85 entreprises de la région métropoli-
taine de Montréal ayant un programme d’accès à l’égalité; 36 %
d’entre elles ont accepté de participer à la recherche qui s’est
déroulée au moyen d’entrevues semi-dirigées avec la personne
responsable du programme d’accès à l’égalité. Ces entreprises
représentaient un large spectre de l’activité économique, prin-
cipalement les services professionnels, scientifiques et techni-
ques, mais aussi les secteurs de la fabrication, du commerce
de gros et du commerce de détail. Même si notre échantillon
est petit, en examinant les entreprises qui sont forcées d’avoir
un programme d’accès à l’égalité, nous sélectionnons en fait
celles qui devraient être parmi les plus progressistes en matière
de pratiques égalitaires. De plus, ces entreprises ont l’avan-
tage d’être situées à Montréal, où elles ont facilement accès à
un réservoir important d’une main-d’œuvre hautement qualifiée
composée de femmes et de membres des minorités visibles.
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entreprises étaient très loin d’avoir atteint une représentation
équitable des femmes et des minorités visibles au sein de
leurs effectifs.
Compte tenu du discours de plus en plus insistant aujour­
d’hui sur la nécessité de diversifier les effectifs des entrepri-
ses, entre autres pour faire face aux défis de la mondialisation
et de la pénurie appréhendée de main-d’œuvre, nous avons
voulu vérifier si la situation avait changé dans les entreprises
soumises à l’obligation contractuelle et si l’objectif de l’égalité
était en voie de se réaliser. À cette fin, nous avons entrepris
une enquête (encadré 1) dont nous analysons les résultats
dans cet article. Notre objectif est double : d’une part, mettre
en évidence les obstacles qui empêchent les gestionnaires de
diversifier leur main-d’œuvre; d’autre part, proposer des pistes
de solution tenant compte des problèmes observés.
Dans cet article, nous présentons brièvement le programme
d’accès à l’égalité. Ensuite, nous exposons la perception des
gestionnaires quant aux bénéfices résultant d’une main-d’œuvre
plus représentative de la société. Puis, nous examinons les
mesures prises pour réaliser ces bénéfices anticipés. Par la
suite, nous essayons de comprendre les facteurs qui expli-
quent les résultats observés. Enfin, nous établissons le lien
entre l’accès à l’égalité et la gestion de la diversité.
i Objectif et contenu des programmes
d’accès à l’égalité
Les programmes d’accès à l’égalité visent à assurer l’éga-
lité de résultats sur le marché du travail aux membres des
groupes dont la situation de discrimination est étendue et per-
sistante. Les notions de compétence et de diversité sont au
cœur de la démarche puisque ces programmes ont pour fina-
lité «de rendre la composition du personnel d’une entreprise ou
d’une organisation plus représentative des ressources humai-
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
nes compétentes et disponibles sur le marché du travail»
(CDPDJ, 2009). À cette fin, ils doivent comprendre certaines
mesures spécifiques (encadré 2).
i
bénéfices attendus des programmes
d’accès à l’égalité
Bien que l’objectif des programmes exposés ci-dessus
s’inspire directement du respect du droit à l’égalité sans discri-
mination liée à un critère interdit par la Charte, de nombreuses
études ont tenté de cerner les bénéfices rattachés à la diversi-
fication des effectifs qui en résultent3. Le but de ces recher-
ches était notamment de voir s’il était possible de conjuguer
l’équité avec l’efficacité. Quatre types de bénéfices ont été
dégagés par les participants à notre enquête, soit la producti-
vité, le développement de nouveaux marchés, le climat de
travail ainsi que la réputation et le pouvoir d’attraction.
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productivité
La productivité réside dans l’augmentation de la créativité
des équipes de travail et dans l’apport bénéfique de nouvelles
perspectives à la résolution de problèmes (Foldy, 2004).
Comme le reconnaît un participant :
«Les personnes des minorités visibles et les immigrants
ont des expertises extrêmement intéressantes qui vont
nous aider au niveau de l’équipe; on parle d’expertise
d’autres pays, on parle de connaissances d’autres pays
ou de pratiques d’autres pays, d’autres cultures.»
L’apport de nouvelles perspectives à un problème donné
est bien illustré dans l’extrait suivant :
«Par exemple, pour ce qui est de la conception de ponts, il
existe plusieurs types de ponts : il y en a qui sont favorisés
dans certains pays, puis il y en a d’autres qui le sont moins.
C’est sûr que devant un problème donné, quand il y a des per­
sonnes qui viennent d’ailleurs par exemple, elles peuvent dire :
“Regarde, moi je sais qu’on a déjà connu cette situation-là,
puis tel type de pont peut répondre aux besoins.”»
Les programmes d’accès à l’égalité visent à assurer
l’égalité de résultats sur le marché du travail aux
membres des groupes dont la situation de discri-
mination est étendue et persistante.
Certains participants sont sceptiques, par contre, et affir-
ment qu’un bénéfice comme l’augmentation du niveau de
créativité reste difficile à mesurer.
développement de nouveaux marchés
Avoir une main-d’œuvre diversifiée peut être considéré
comme un atout concurrentiel dans un contexte où la popula-
tion elle-même devient de plus en plus hétérogène, entre
autres en raison de l’immigration. Pouvoir s’adresser à cette
clientèle diversifiée dans sa propre langue, mieux comprendre
67

Encadré 2
Contenu d’un programme d’accès
à l’égalité en emploi
Étape 1  : estimer la sous-représentation des membres des
groupes cibles ayant la compétence requise pour occuper les
diverses professions que compte l’organisation.
Étape 2  : déterminer les pratiques qui pourraient être à la
source de cette sous-représentation, par exemple sur le plan
des critères d’embauche.
Étape 3 : établir des objectifs quantitatifs afin de corriger la
sous-représentation éventuellement constatée à l’étape 1.
Étape 4 : prendre les mesures nécessaires pour atteindre ces
objectifs. Elles peuvent être de trois types :
• Des mesures de redressement, basées sur le principe
selon lequel à compétences égales, on embauchera en prio-
rité un candidat de l’un des groupes sous-représentés. Ces
mesures sont permises uniquement lorsqu’il y a une sous-
représentation et doivent prendre fin dès que les objectifs
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quantitatifs d’un programme d’accès à l’égalité sont atteints.
• Des mesures d’égalité des chances, qui visent à corriger
les pratiques de gestion des ressources humaines qui entra-
vent l’égalité, par exemple des tests ayant un impact discri-
minatoire sur les femmes.
• Des mesures de soutien, offertes à l’ensemble des
employés, mais conçues pour répondre à des besoins spéci-
fiques des employés membres des groupes cibles. On pense
ici aux garderies en milieu de travail ou aux horaires flexibles.
les codes culturels et concevoir des produits et des services
mieux adaptés à ses besoins, voilà autant de facteurs qui peu-
vent procurer de nouveaux marchés aux entreprises (Commis-
sion européenne, 2005; Cui, 2001). Le lien causal entre la
diversité et les bénéfices relatifs au marché est probablement
le plus simple à percevoir, comme en témoigne cet extrait :
«C’est certain que si on connaît mieux les besoins des
différentes communautés, leur culture ou la façon de
les approcher, où elles sont ou comment elles veulent
être servies, forcément on peut aller chercher des com-
munautés et puis vendre nos produits.»
Dans le même ordre d’idées, un autre participant affirme :
«Si vous n’avez pas l’habitude de vous asseoir, d’écou-
ter, de voir et de comprendre vos employés issus des
cultures différentes, vous ne serez pas capables d’être
à l’écoute de vos clientèles qui ont des cultures diffé-
rentes.»
Certaines entreprises du secteur de la fabrication, dont les
employés n’ont aucun contact avec les clients, ne considèrent
pas ces bénéfices comme très importants. D’autres affirment
qu’il s’agit d’une stratégie potentiellement dangereuse pour
une entreprise, parce qu’il serait faux de croire que les gens
68
préfèrent toujours être servis par des personnes issues de
leur communauté et parce qu’il faut veiller à ne pas créer de
nouveaux ghettos.
climat de travail
La diversification des effectifs d’une organisation aurait un
impact positif sur le climat de travail en réduisant les préjugés
des employés et des gestionnaires; elle entraînerait ainsi de
meilleures relations entre les employés membres de diffé-
rents groupes démographiques (Arcand, 2006; Commission
européenne, 2005). Bien que cela soit parfois remis en ques-
tion par des recherches (Lamarche et al., 2006), plusieurs par-
ticipants y souscrivent. Par exemple, l’un d’eux rapporte :
«Ce que les gens me disent, c’est qu’il y a beaucoup
plus de respect dans le travail maintenant que lorsque
l’environnement était totalement masculin. Ils me disent
que le langage et les façons de faire ont changé. La plupart
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voient ça comme très positif.»
Pouvoir s’adresser à cette clientèle diversifiée
dans sa propre langue, mieux comprendre les
codes culturels et concevoir des produits et
des services mieux adaptés à ses besoins,
voilà autant de facteurs qui peuvent procurer
de nouveaux marchés aux entreprises
Un autre participant indique que la diversité aide à combat-
tre les préjugés :
«C’est sûr qu’en ayant des modèles où on trouve des
femmes qui ont très bien réussi et qui occupent des
postes de direction ou de supervision, ça aide les per-
sonnes à venir chez nous. Je pense que plus il y a de
femmes, plus on est sensibles à ce fait, et plus ça inté-
resse les gens.»
réputation et pouvoir d’attraction
Selon certains auteurs, une entreprise qui projette une
image d’ouverture aux différents groupes composant la popu-
lation témoigne de sa responsabilité sociale et s’attire un capi-
tal de sympathie de la part de l’opinion publique (Commission
européenne, 2005; Lieber, 2008). En période de pénurie de
main-d’œuvre qualifiée, elle aurait un pouvoir d’attraction sur
les jeunes professionnels recherchant un milieu de travail répon­
dant à des normes éthiques (Commission européenne, 2005;
McCuiston et al., 2004). Ce fait est confirmé par certains parti-
cipants, comme celui-ci qui affirme :
«Au niveau du public en général, c’est toujours bien que
l’entreprise projette l’image d’être également un bon
citoyen.»
Une autre participante ajoute :
«On sait comme entreprise que ce qui est important,
c’est de ne pas avoir à faire trop d’investissements pour
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
 aller chercher des candidats potentiels. Si les gens vien-
nent par eux-mêmes, sans qu’on annonce les postes,
sans faire d’efforts, il se crée une réputation d’entre-
prise qui facilite le recrutement.»
L’ensemble des discours tenus par les employeurs au sujet
des bénéfices résultant des programmes d’accès à l’égalité
renvoie à l’idée d’une analyse de rentabilité (business case)
qui risque de faire perdre de vue leur fondement égalitaire.
Comme le remarque Laufer (2009), ce discours sur les bénéfi-
ces peut entraîner au moins deux problèmes : il amène à met-
tre en évidence l’impact de ces pratiques sur la performance
financière de l’entreprise plutôt que sur l’égalité entre les tra-
vailleurs; il pose aussi les assises d’une gestion inégalitaire et
utilitariste qui risque de maintenir les individus dans certains
emplois uniquement en raison de leurs caractéristiques démo-
graphiques.
i mesures mises en œuvre
Face à la présence de tels bénéfices perçus ou anticipés,
on peut se demander si les entreprises ont mis en œuvre les
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exigences des programmes d’accès à l’égalité en matière de
modification de leurs pratiques et d’adoption de mesures
d’égalité des chances (encadré 2). L’examen de quelques-unes
des pratiques les plus fréquemment citées dans la littérature
fait ressortir une importante contradiction entre le discours
optimiste relatif aux bénéfices et l’insuffisance des moyens
mis en œuvre.
pratiques de recrutement
Selon Pitts (2006), le processus qui mène à la diversifica-
tion des effectifs doit commencer avec le choix des méthodes
de recrutement. Dans le but de susciter plus de candidatures
de la part des groupes cibles, il est important pour les entre-
prises de remplacer les méthodes largement répandues de
recrutement au moyen du réseau de connaissances par des
pratiques plus ouvertes (Carey, 2007; Lieber, 2008). Paradoxa-
lement, plus de 80 % des entreprises rencontrées utilisent
toujours le recrutement par un réseau informel, certaines
même l’encourageant :
«Souvent, si c’est une recommandation, on va prendre
la recommandation au lieu d’aller voir à l’externe. Les
coûts finalement sont plus ou moins élevés parce qu’il
faut donner 1 000 $ à l’employé, mais on les lui donne
en boni.»
Un moyen spécifique de rejoindre les groupes cibles est de
passer par les associations qui les représentent. Or, seule une
minorité de participants ont recours à ce moyen et mention-
nent l’intérêt d’un recrutement qui ne coûte rien à l’entreprise
et qui élargit le réservoir de candidats. De plus, ils soulignent
la grande qualité de certains stagiaires recrutés de cette façon
et dont les salaires sont souvent subventionnés par le biais de
programmes gouvernementaux. Par contre, un petit nombre
d’entreprises expriment des réserves sur les services offerts
par certaines associations quant à la qualification des candi-
dats présélectionnés et au suivi offert. Enfin, rares sont les
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
entreprises qui annoncent les offres d’emploi dans les jour-
naux communautaires, ce qui pourrait justement leur permet-
tre de rejoindre des membres des minorités visibles.
tests de sélection
Une proportion importante d’entreprises utilisent différents
tests psychologiques afin de pouvoir écarter rapidement les
candidatures qui ne correspondent pas au profil du poste
(Kumen, 1997). Les entreprises qui font appel à ces tests doi-
vent s’assurer qu’ils permettent réellement d’identifier des per­
sonnes aptes à occuper le poste (Lyons, 2006), ce qui pose la
question de leur validité (Scroggins et al., 2008). Mais au-delà
de cette question de base, il est important de s’assurer que
les tests n’ont pas un effet d’exclusion sur certains groupes
en raison de biais culturels. Par exemple, un test peut adopter
un niveau de langue susceptible d’éliminer un ensemble de
personnes qui n’ont pas le niveau lexical approprié, ce qui ne
signifie pas qu’elles soient incapables d’effectuer le travail
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(Lyons, 2006).
La majorité des entreprises rencontrées utilisent différents
tests afin d’évaluer les candidatures reçues, mais elles n’y ont
apporté aucune modification. Certaines entreprises font appel
Il est important pour les entreprises de remplacer
les méthodes largement répandues de recrutement
au moyen du réseau de connaissances par des
pratiques plus ouvertes
à des tests psychométriques et de personnalité de façon non
discriminatoire, simplement pour mieux orienter les questions
de l’entrevue de sélection qui suit. D’autres entreprises, par
contre, mentionnent que les tests de personnalité sont discri-
minatoires dans la procédure de sélection.
À titre d’exemple de test potentiellement discriminatoire,
citons le cas d’une entreprise qui a construit son test à partir
du profil des professionnels déjà à son service.
«On prend le test pour évaluer le profil de représentant.
On compare ce test avec une base de données de tous
les représentants. On choisit un nombre X de représen-
tants qui ont eu du succès dans leur poste; ça donne
une espèce d’évaluation de différents traits de carac-
tère ou traits de personnalité. Puis ça résume aussi les
prédicteurs de succès.»
On peut facilement prédire que si le personnel de cette
entreprise est homogène, ce test risque d’avoir un effet d’ex-
clusion sur les groupes qui sont culturellement différents.
entrevues d’embauche
Les entrevues d’embauche représentent une barrière
importante dans l’accès des groupes cibles à l’emploi. Cela
s’explique par l’influence que les préjugés et les stéréotypes
exercent sur les comportements des membres des comités
de sélection qui, dans certains cas, n’ont pas de grille d’entre-
vue structurée (Stewart et Perlow, 2001). Afin de limiter ces
69
 biais, il est nécessaire de formaliser les entrevues d’embau-
che et de lier étroitement les questions abordées aux exigen-
ces du poste à combler. Les questions d’ordre général ou
personnel devraient être évitées car elles ouvrent la voie à une
certaine subjectivité de la part des intervieweurs (Fine et Schupp,
2002).
Parmi les entreprises rencontrées, 26 % affirment avoir
modifié leurs entrevues d’embauche pour permettre la diver-
sification de leurs effectifs. Au nombre des révisions effec-
tuées, il y a la prise en considération de différents biais culturels
qui peuvent désavantager les immigrants en entrevue, l’élimi-
nation de questions illégales (portant, par exemple, sur l’état
civil ou sur le numéro d’assurance sociale) et le remplacement
d’entrevues par des mises en situation. Quelques employeurs
ont fait une révision complète de la procédure avec l’aide de
psychologues industriels.
Le maintien de pratiques de sélection ayant un impact
potentiellement discriminatoire est par contre observé dans
plusieurs entreprises. Certains participants affirment que leur
procédure comprend peut-être certains biais mais qu’ils n’ont
pas le temps ou les ressources pour en faire l’analyse. D’autres
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disent que, même s’ils n’ont pas fait cette révision, ils sont
convaincus que leur procédure ne contient pas de biais parti-
culiers. D’autres encore vont jusqu’à déclarer qu’ils ont ten-
dance à se fier à leurs impressions pour sélectionner leurs
employés, ou qu’ils parviennent à évaluer si un candidat a la
force physique pour occuper le poste en se fiant aux expérien-
ces de travail passées décrites dans leur curriculum vitæ. Mais
ces impressions et ces expériences sont-elles exemptes de
stéréotypes et de préjugés? Cela n’est pas si sûr, comme le
montrent d’autres résultats de notre enquête.
i
Comment expliquer l’ambivalence
des gestionnaires?
Il est paradoxal de voir que les gestionnaires sont convain-
cus des bénéfices de l’accès à l’égalité et de la diversité qui
peut en découler et que, simultanément, ils agissent très peu
pour actualiser ces bénéfices. Comment expliquer leur ambi-
valence? Trois séries de facteurs qui ressortent des entrevues
permettent de mieux comprendre cette situation.
Des préjugés et des stéréotypes
dissimulés dans un «angle mort»
Nous avons demandé aux gestionnaires s’ils avaient ren-
contré des obstacles lors de l’embauche de femmes ou de
membres des minorités visibles, et, si oui, lesquels. Les rai-
sons avancées ont révélé que les gestionnaires restent encore
fortement influencés par des stéréotypes et des préjugés mais
qu’ils n’en sont pas conscients. Ceux-ci sont pour ainsi dire
dans leur «angle mort» (Khan, 2006). Certains font une équation
automatique entre obligations familiales et non-disponibilité
pour la vente en gros :
«Les gens doivent faire un quota de vente par mois.
Donc, il y a un stress constant. Les heures sont longues
aussi pour réussir habituellement. Ainsi, pour les fem-
mes qui veulent avoir des enfants, c’est plus difficile de
rester ici.»
70
Les caractéristiques physiques ont aussi été invoquées :
«Une grande part du travail de l’usine est physique.
Dans l’expédition, il faut soulever beaucoup de charges
assez lourdes et manipuler des caisses de lait. Ce n’est
vraiment pas facile, même pour un homme en bonne
forme.»
Certains ont mentionné les traits de personnalité des femmes
qui sont incompatibles avec l’emploi :
«Il faut vraiment être des passionnés. Quelqu’un qui va
en informatique, ça veut dire qu’en principe ses loisirs,
il les passe dans l’informatique. Les filles vont en infor-
matique, sauf qu’elles n’en font pas un métier. Elles ne
passent pas des heures à l’ordinateur à jouer à des jeux.
Il y en a quelques-unes, mais c’est très, très rare.»
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Les gestionnaires restent encore fortement
influencés par des stéréotypes et des préjugés
mais qu’ils n’en sont pas conscients.
Des gestionnaires font des généralisations rapides au sujet
de certains groupes ethniques :
«Les Maghrébins partent avec un avantage par rapport
aux Asiatiques, qui sont très réservés. À un Asiatique tu
dis 30, et il dit 30, il ne va pas dire 32. Par contre, un
Maghrébin va aller te voir et te dire : “Moi, je veux une
semaine de vacances de plus, ou est-ce que je peux
rentrer le 2 au lieu du 1er?”»
D’autres participants se sentent forcés de respecter les
réticences du personnel  : le responsable d’un programme
d’accès à l’égalité nous rapporte les propos d’un contremaître :
««Ah, il y a déjà eu telle nationalité qui a travaillé ici, et
ce n’est pas fort; envoyez-nous d’autres personnes tou-
tes blanches.» Malheureusement, ces commentaires
sont la plupart du temps dirigés contre les Noirs; on les
entend encore souvent.»
Un autre participant ajoute :
«Il y avait une résistance très grande des gens qui
étaient déjà dans l’entrepôt depuis plusieurs années,
qui n’avaient pas beaucoup de scolarité et qui voyaient
encore les minorités visibles comme des personnes qui
vont prendre leur place.»
Il y a aussi les réticences des clients, ici par rapport aux
femmes dans un métier non traditionnel :
«Il y a des clients qui n’ont pas été capables de conti-
nuer à faire face à ce genre de situation là, parce qu’il
faut que les femmes réussissent encore plus que les
hommes, vu que le domaine du pneu, c’est toujours un
domaine d’hommes. Et que ce soit ici au service à la
clientèle, ou sur la route, il y a des hommes qui ne veu-
lent pas faire affaire avec des femmes pour discuter de
pneus.»
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
 La majorité des gestionnaires affirment que les employés
recherchés doivent posséder différentes compétences inter-
personnelles, dont des aptitudes pour la vente et la négocia-
tion, de l’ambition et un bon esprit d’équipe. Étant donné que
ces aptitudes se manifestent différemment selon les cultures,
leur recherche peut devenir un terreau fertile à l’expression de
stéréotypes (Bonilla-Silva, 2006; Moss et Tilly, 2001). Cela sou-
ligne l’importance de donner une formation à la diversité aux
gestionnaires et, de façon plus générale, aux employés. Les
organisations qui doivent atteindre des objectifs en matière
d’égalité y sont-elles parvenues?
absence d’une formation sérieuse et approfondie
à la diversité
Selon Benshop (2001), les formations à la diversité amè-
nent les employés à valoriser les différences et ainsi à mieux
accepter leurs collègues membres des minorités visibles. Ces
activités de formation ont notamment pour objectif d’aider les
gestionnaires à améliorer la qualité de leurs décisions en leur
faisant prendre conscience du rôle des préjugés et des stéréo-
types (De Meuse et al., 2007). Pour Cox (1994), la formation à
la diversité constitue souvent un point de départ pour entraî-
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ner un changement organisationnel favorisant l’intégration des
membres des minorités visibles à l’entreprise.
La majorité des entreprises interrogées n’offrent pas de
formation à la diversité. Parmi celles qui ont affirmé en offrir
une, on constate que le problème principal est la grande varia-
bilité du contenu. Un participant décrit ainsi les activités de
formation dans son entreprise :
«On a un nouveau plan d’intégration des employés chez
Finance Moderne4. C’est quelqu’un qui les informe sur
l’organigramme, mais au début, c’est un vice-président
qui vient expliquer les valeurs de l’entreprise. On a
rajouté la valeur du respect de la diversité. Puis, dans
leur intégration, on a tous les nouveaux gestionnaires
qui vont être obligés de suivre notre formation sur la
diversité.»
Les formations à la diversité amènent les
employés à valoriser les différences et ainsi
à mieux accepter leurs collègues membres
des minorités visibles.
En ce qui concerne la formation qui s’adresse aux gestion-
naires chargés du recrutement, il s’agit souvent d’un coaching
par les employés du service des ressources humaines afin de
limiter l’impact de biais culturels ou d’éviter de poser des
questions illégales en vertu de la Charte :
«Si on arrive dans des situations où le gestionnaire, par
exemple, voudrait connaître l’âge de la personne, nous
[les conseillers en ressources humaines], on arrête tout
de suite l’entrevue, puis on avertit la personne qu’elle
n’a pas besoin de répondre à cette question-là, que ce
n’est pas pertinent.»
Gestion · volume 34 / numéro 3 · Automne 2009
Dans de nombreux autres cas, la formation à la diversité
semble plutôt superficielle :
«Pour les minorités visibles, c’est sûr que les séances
de formation à la diversité montrent que la direction
tient à leur faire sentir davantage leur appartenance à
l’organisation et à faire prendre conscience aux gens de
l’importance de la diversité et de ses bienfaits. En effet,
la diversité nous amène plein de gens qui viennent
d’ailleurs et qui ont un bon bagage ou différentes cho-
ses à nous apprendre; ce sont des cultures différentes
qu’il peut être intéressant de côtoyer. Donc, le fait de
sensibiliser les gens aux avantages de s’ouvrir un peu
l’esprit à autre chose, ce n’est pas mauvais en tant que
tel.»
La formation à la diversité peut même revêtir un caractère
folklorique :
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«À la cafétéria des employés, il y a parfois la semaine
de la cuisine mexicaine, parfois la semaine d’une autre
cuisine du monde.»
On comprend alors que, sans une formation sérieuse à la
diversité, les préjugés et les stéréotypes risquent de perdurer.
On peut même craindre qu’une approche trop simpliste ou de
type folklorique ne vienne les renforcer.
absence d’engagement de la direction
Les recherches relatives à la gestion de la diversité affir-
ment que, sans une intervention de la direction en faveur des
initiatives de diversification de la main-d’œuvre, le statu quo
risque de se maintenir (Chicha, 1998; Jayne et Dipboye, 2004).
Or, dans de nombreux cas, les participants à notre recherche
ont révélé que la direction de l’entreprise ne s’engageait pas :
«Chaque fois que le P.D.G. passe devant mon bureau, il
s’arrête et me demande comment ça va. Mais je ne
pense pas qu’il soit au courant de la façon dont le pro-
gramme d’accès à l’égalité marche. Ça me surprendrait
beaucoup qu’il ait déjà vu ça.»
Une autre participante ajoute :
«Je ne crois pas que le programme d’accès à l’égalité
soit un enjeu majeur dans l’entreprise en ce qui concerne
la représentativité. C’est probablement pour cette rai-
son qu’on n’y accorde pas énormément de temps.»
Sans une intervention de la direction en faveur
des initiatives de diversification de la main-
d’œuvre, le statu quo risque de se maintenir
Pourtant, certains gestionnaires sont conscients de l’impor­
tance du programme d’accès à l’égalité. C’est le cas d’un res-
ponsable de Data inc., qui soutient que, pour observer de réels
changements organisationnels dans ce type de dossier, il est
nécessaire de suivre toute la chaîne décisionnelle de l’entre-
71
 prise en commençant par le sommet : les dirigeants aux éche-
lons supérieurs doivent eux-mêmes être convaincus afin de
sensibiliser leurs employés.
i
gestion de la diversité :
un complément à l’accès à l’égalité
Les résultats de notre recherche indiquent que, dans la
majorité des entreprises étudiées, la mise en place de prati-
ques susceptibles de favoriser la diversification des effectifs
en est encore à ses balbutiements. Il en ressort que les ges-
tionnaires ne semblent pas vraiment prendre conscience du
fait que, pour concrétiser la diversité et en recueillir les bénéfi-
ces, des changements importants de mentalité et de pratiques
doivent avoir lieu dans le milieu de travail. Il faut adapter les
pratiques traditionnelles de gestion des ressources humaines
au nouveau visage de la population active au Québec et cesser
de percevoir les membres de certains groupes comme ayant
des aptitudes ou des déficiences liées à leur sexe ou à leur
origine ethnique.
Une voie prometteuse qui pourrait être envisagée afin
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d’appuyer les programmes d’accès à l’égalité est celle de la
gestion de la diversité : il ne s’agit pas ici de vouloir substituer
l’une à l’autre, mais bien de construire des outils susceptibles
d’appuyer les gestionnaires dans leurs démarches. Même si la
gestion de la diversité répond à différentes définitions, comme
l’indiquent Cornet et Warland (2008), on constate qu’elles
mettent toutes l’accent sur la valorisation des différences et
sur les bénéfices qui en découlent. Selon ces auteurs, cette
Il en ressort que les gestionnaires ne semblent
pas vraiment prendre conscience du fait que,
pour concrétiser la diversité et en recueillir
les bénéfices, des changements importants
de mentalité et de pratiques doivent avoir lieu
dans le milieu de travail.
gestion devrait en principe s’appuyer sur un plan de diversité
multidimensionnel, incluant un diagnostic, un échéancier ainsi
que des mesures qualitatives et quantitatives, autant d’élé-
ments déjà présents dans les programmes québécois d’accès
à l’égalité. À cela s’ajoutent deux dimensions essentielles,
soit, d’une part, la sensibilisation et la formation à la diversité
et, d’autre part, un engagement organisationnel au plus haut
niveau. Toutes ces mesures de gestion de la diversité permet-
traient de réduire les sources d’ambivalence qui ressortent de
notre recherche et, ainsi, d’appuyer le processus de chan­
gement que souhaitent instaurer les programmes d’accès à
l’égalité.
Enfin, signalons une donnée que l’on note en filigrane dans
notre étude, à savoir le caractère limité de l’encadrement et du
suivi de la part des pouvoirs publics. Il est surprenant de
constater que des mesures clairement présentées dans les
documents de la Commission des droits de la personne et des
72
droits de la jeunesse comme étant nécessaires pour réaliser
l’accès à l’égalité soient ignorées impunément par les entre-
prises.
L’ensemble de ces considérations nous amènent à souli-
gner qu’il serait temps de faire un bilan de la situation des
programmes d’accès à l’égalité dans les organisations québé-
coises. Ce bilan permettrait de mieux reconnaître les problè-
mes et d’ajuster les politiques mises en œuvre afin de réaliser
l’égalité pour les groupes dont la situation est encore désavan-
tageuse sur le marché du travail. Cet article conduit à penser
qu’une approche cohérente combinant l’accès à l’égalité avec
la gestion de la diversité est riche de possibilités.
Notes
1. Les auteurs tiennent à remercier les membres du comité
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d’évaluation de l’article pour leurs commentaires très judicieux.
2. Voir Déom et Beaumont (2008), Lee-Gosselin (2008), Legault
(2006).
3. Voir Charest (2003), Comlan (2006), Ely et Thomas (2001), Parris
et al. (2006).
4. Nous utilisons des noms fictifs afin de préserver l’anonymat des
participants.
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