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Extrait de la publication

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Du même auteur chez Québec Amérique

Le Millionnaire, Tome 2, roman, Montréal, 2004.


Le Vendeur et le Millionnaire, roman, Montréal, 2003.
Miami, roman, Montréal, 2001.
Conseils à un jeune romancier, roman, Montréal, 2000.
Le Cadeau du millionnaire, roman, Montréal, 1998.
Les Hommes du zoo, roman, Montréal, 1998.
Le Millionnaire, Tome 1, roman, Montréal, 1997.
Le Livre de ma femme, roman, Montréal, 1997.
Le Golfeur et le Millionnaire, roman, Montréal, 1996.
Le Psychiatre, roman, Montréal, 1995.

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QUÉBEC AMÉRIQUE
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Fisher, Marc
Le millionnaire : fais de ta vie ton chef-d’œuvre
ISBN 978-2-7644-0394-5 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-2103-1 (PDF)
ISBN 978-2-7644-2108-6 (EPUB)

I. Titre.
PS8581.O24M55 2005 C843’.54 C2005-941107-4
PS9581.O24M55 2005

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Dépôt légal : 4e trimestre 2005


Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada

Révision linguistique : Diane Martin et Danièle Marcoux


Mise en pages : Andréa Joseph [PageXpress]

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

Imprimé au Canada

© 2005 Éditions Québec Amérique inc.


www.quebec-amerique.com
1
Où le jeune homme connaît
son heure la plus sombre

« Si vous êtes malheureux – et je sais que vous


l’êtes... »
Ainsi aurait pu commencer ce petit conte philoso-
phique, si du moins son auteur s’était adressé directement
au jeune homme qui en est le héros car celui-ci était pro-
fondément malheureux.
Dans un mouvement de rage, il venait de fracasser
son portable contre le plancher de son bureau.
Et, comme si ce geste n’avait pas suffi à apaiser sa
révolte, il s’empara de son manuscrit – ou plus précisé-
ment d’une des innombrables versions sur lesquelles il
s’était échiné sans succès pendant des mois – et le jeta
dans les airs, comme un oiselier las de son métier aurait
fait avec tous ses oiseaux.
Il regarda avec indifférence les deux cents et quelques
feuilles de son chef-d’œuvre inachevé voler dans son
bureau, véritable capharnaüm, tout encombré qu’il était
de dizaines de romans, de boîtes vides de pizza et de mets

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chinois, d’assiettes et de tasses sales, témoins peu glo-
rieux de sa vie.
Il s’assit à son bureau, regarda la photo de son père,
la seule qu’il eût jamais possédée – il l’avait dérobée à sa
mère avant de quitter la maison familiale ! Elle le montrait
à vingt-six ans, en uniforme de soldat car il avait servi lors
de la guerre du Vietnam, où il avait été blessé à la jambe
gauche. Il avait même reçu une médaille de bravoure pour
avoir sauvé d’une mort certaine un soldat blessé par erreur
par un avion américain. Il semblait n’être jamais vraiment
revenu de la guerre, car une partie de lui était restée là-
bas, la meilleure sans doute, celle qui renfermait ses
illusions de jeunesse.
La ressemblance était saisissante entre le père et le
fils. Ce dernier avait la finesse des traits du premier, le
même front haut et la même abondante chevelure blonde,
et comme lui il possédait une bouche charnue et invi-
tante. Et puis une tristesse similaire flottait dans le regard
bleu des deux hommes comme si elle s’était transmise
d’une génération à l’autre.
Le jeune homme prit une bouteille de vin rouge
déjà ouverte, avala une rasade. Il en était à sa troisième –
ou quatrième – bouteille, il ne savait plus au juste...
Il avait bu à même le goulot, plutôt négligemment,
à vrai dire, car le vin dégoulina sur son menton, son cou,
tacha même le col usé de sa chemise blanche.
Comme il ne pouvait plus écrire à son ordinateur,
le jeune homme prit une feuille blanche et une plume
Bic. Et il nota en haut de la page :

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LETTRE À MA MÈRE.
(à lui remettre après ma disparition)
Dans son découragement, il avait conçu le vague
projet d’en finir avec la vie. Il prendrait sa voiture, rou-
lerait jusqu’à ce qu’il trouve un pont et une rivière dans
laquelle il se jetterait... Ou bien... Il ne savait plus, il
avait trop bu.
Mais voici enfin la lettre qu’il écrivit :

« Maman, je te demande tout de suite par-


don. Je sais que je vais te faire un gros chagrin et
que je t’en ai déjà beaucoup fait en choisissant la
vie que j’ai choisie. Mais la semaine dernière, au
téléphone, je me suis engueulé, comme presque
chaque fois que je lui parle, avec mon beau-
père... »
Son beau-père, le second mari de sa mère,
qui le détestait et lui avait toujours rendu la vie
impossible.
« Il m’a dit la vérité au sujet de papa,
comme pour que je cesse une fois pour toutes
de le comparer à lui. Oui, il m’a tout dit, que
je ne le reverrais jamais, parce qu’il s’est pendu
il y a longtemps... Je n’ai pas osé t’en parler
pour ne pas te faire de la peine, pour ne pas
raviver de mauvais souvenirs, car je me doute
bien que tu savais et que tu ne m’en as jamais
parlé pour me laisser mes illusions... Quand j’ai
su la vérité, ç’a été comme si je tombais dans
un grand trou noir, je n’ai plus eu envie de
rien, pas même d’écrire, qui est ma passion,
stérile il est vrai. Parce que je me suis rendu
compte que tout ce que je faisais, acheter ces
ridicules maisons qui t’ont donné bien des che-
veux blancs – je te demande pardon pour ça
aussi –, vouloir être riche, devenir célèbre en
écrivant un grand roman, je le faisais seulement
dans l’espoir qu’il voie un jour ma photo dans
le journal et qu’il accoure. Mais maintenant, il
ne pourra plus et si je veux le voir, c’est à moi
d’aller le rejoindre. Tu vois, dans le fond, tu
avais raison, je suis comme mon père, et la
preuve, c’est que je vais finir comme lui... »

Le jeune homme voulut boire encore du vin, réalisa


que la bouteille était vide, la jeta avec dépit sur le plan-
cher où elle se fracassa, en ouvrit aussitôt une autre : il
buvait du vin bon marché avec des bouchons de métal !
Il vida la moitié de la nouvelle bouteille comme
pour se donner le courage, la force de terminer cette
lettre, reprit la plume :

« Si Sophie... »

Il s’interrompit, car les larmes lui montaient aux


yeux. Mais il fallait continuer, il fallait en finir :

« Si Sophie m’avait dit oui l’année der-


nière, peut-être les choses auraient-elles été
différentes, mais je n’avais pas assez de talent

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pour elle, ni pour finir mon roman, ni pour
rien, si ce n’est pour penser à elle : en fait, c’est
devenu mon travail à temps plein, mais je me
rends compte que ce n’est pas une vie, c’est
pour ça que je vais prendre de grandes vacances.
Quand je serai parti, promets-moi de ne pas
trop pleurer, maman... Ça ne vaut pas la peine.
Car ma stupide petite vie, qu’elle continue ou
pas, qu’est-ce que ça peut bien faire, puisque je
n’en fais rien de bien ? Et puis au moins, quand
je vais retrouver papa, nous pourrons enfin
rattraper le temps perdu, parler de toi et de ce
que notre vie aurait pu être s’il n’y avait pas eu
le destin et toutes ses conséquences. Je vais lui
dire que même si tu t’es remariée avec le nazi,
non, ce que je dis n’est pas gentil, appelons-le
ton mari... Ton mari... Ça m’a toujours fait
drôle d’appeler ainsi un autre homme que papa,
même si je n’ai plus six ans, et qu’aujourd’hui
tous les parents font ça, chambre à part à cent
cinquante kilomètres de distance, ça élimine, on
dirait, les deux seuls défauts du mariage : l’obli-
gation d’être fidèle et celle de vivre sous le même
toit ! Enfin, il faut vivre avec son époque, je
veux dire… je ne sais plus ce que je veux dire et
je n’ai pas vraiment le temps de me relire, d’ail-
leurs ça ne donne rien, je peux te le garantir, si
tu ne me crois pas, lis mon manuscrit, enfin,
oui, je retrouve mon idée, peut-être parce que
j’y ai pensé toute ma vie, mais tu ne penses pas

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que si papa n’était pas revenu fou de la guerre,
enfin c’est ce que tu m’as dit, toi et lui, vous...
Enfin, si les gens un jour te demandent pour-
quoi je n’ai jamais voté, tu leur diras que c’est
pour ça. Les maisons, mes livres, mes meubles,
je te laisse tout. Là, je ne sais plus comment
finir cette lettre, alors je te dis simplement : Je
t’aime, maman. Ton fils. »

Il déposa son stylo Bic, resta un instant à regarder


dans le vide, les yeux encore humides. Appuyée contre
un verre vide, il y avait la photo de Sophie, la très belle
jeune femme blonde aux yeux verts qu’il avait aimée sans
retour, l’année précédente.
Près de la photo, il y avait une mèche de cheveux
blonds noués ensemble par une faveur noire. Le jeune
homme la prit et l’attacha à une cordelette qui traînait
sur son bureau – elle avait servi à attacher un paquet de
livres. Il en fit un pendentif de fortune qu’il mit aussitôt.
Puis il contempla longuement la photo de son père,
posa son doigt sur la poitrine de celui-ci, comme s’il vou-
lait toucher son cœur, comme s’il voulait le saluer une
dernière fois.
Il prit son trousseau de clés sur son bureau, se leva,
mais un peu vite sans doute car il éprouva un vertige.
Il aperçut alors sur la tablette supérieure du placard
de son bureau, dont la porte était restée entrouverte, le
cadeau du millionnaire, tout luisant dans son papier
d’emballage rouge métallique.

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Oui, le cadeau que le vieux philosophe lui avait
offert lors de leur dernière rencontre en lui faisant pro-
mettre de ne l’ouvrir que s’il en avait vraiment besoin !
Comment diable avait-il fait pour l’oublier ?
Ce cadeau le guérirait, c’était sûr, de son découra-
gement, de ses envies suicidaires !
Il fit quelques pas vers le placard, mais il vacilla : il
était vraiment ivre. Et alors, en une sorte d’hallucination,
il vit le visage grimaçant de son beau-père avec son crâne
chauve, ses yeux brillant d’un éclat cruel. Un frisson par-
courut le jeune homme, qui poussa un cri d’effroi et mit
la main devant lui comme pour parer une attaque de ce
curieux fantôme.
Il perdit alors l’équilibre, tomba la face contre le sol,
ressentit une douleur vive à la tempe gauche, jeta un der-
nier coup d’œil au cadeau du millionnaire et s’évanouit.

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2
Où le jeune homme ouvre
le cadeau du millionnaire

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il éprouvait encore une


douleur lancinante à la tempe gauche.
Il en comprit bien vite l’origine. Dans sa chute, il
avait heurté un tesson de la bouteille de vin brisée. Sa
tête, en fait, reposait dans une flaque de sang.
Il roula sur le dos, puis porta la main à sa tempe bles-
sée, sentit le tesson froid de la bouteille. Il voulut d’abord
le retirer sur-le-champ, mais il semblait bien enfoncé dans
la chair. Il risquait de se blesser davantage en ne l’enlevant
pas précautionneusement.
Il se leva, constata qu’il était encore ivre, mais pas
assez pour être incapable de se rendre à la salle de bains.
En s’apercevant dans la glace, il eut un mouvement de
recul.
Il avait une mine épouvantable. Tout le côté gauche
de son visage et de sa chemise étaient maculés de sang.
Et il y avait même du sang – quel sacrilège ! – sur la mèche
de cheveux de Sophie.
La bouche plissée dans une grimace d’anticipation, il
prit le tesson de sa main droite, puis, après une hésitation,
il le retira d’un coup sec, ce qui lui arracha un petit cri
de douleur.
Il jeta le tesson dans la cuvette de la toilette.
Du sang avait jailli de sa blessure. Pour l’arrêter, il
appliqua une serviette de toilette sur sa tempe puis, de sa
main libre, fouilla dans la petite armoire au-dessus du
lavabo, trouva sans peine une boîte de diachylons. Pen-
dant quelques secondes, il tenta vainement d’en déballer
un d’une seule main, puis se lassa de cet exercice, posa la
serviette, parvint rapidement à extraire le diachylon de
son enveloppe et le colla sur sa tempe blessée.
Il passa sous la douche, consacra religieusement les
premières secondes à laver, coupable, la mèche de che-
veux de Sophie. Au bout d’un moment à peine, il se res-
souvint du cadeau du millionnaire.
Alors, encore nu, avec pour tout vêtement le penden-
tif de cheveux blonds, sans même se sécher, il se dépêcha
de retourner dans son bureau, qui était en même temps sa
chambre, sa cuisine et son living car il vivait dans un loft.
Dans sa hâte, il marcha sur un éclat de bouteille,
émit un juron, se promit de faire preuve de plus de pru-
dence. Il atteignit enfin le placard, tendit une main
anxieuse vers le cadeau du millionnaire.
À l’instant même où il tint la boîte joliment enru-
bannée de rouge, il éprouva un soulagement, comme un
malade qui se sent déjà mieux simplement parce que,
enfin, il a dans sa main fiévreuse la prescription de son
médecin.
Il s’assit sur le canapé du living pour le déballer. Il
n’avait jamais vraiment prêté attention à son papier

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d’emballage, et il remarqua pour la première fois qu’il
comportait un motif subtil. C’étaient des pièces d’or
anciennes, romaines aurait-on dit, et, en effet, en exami-
nant le papier de plus près, il vit que c’étaient des effigies
de César.
Alors, spontanément, il pensa à l’édifiante anecdote
que lui avait racontée le vieux philosophe au sujet du
célèbre empereur et de sa courageuse traversée du Rubi-
con. Lui-même, à sa manière, avait imité César, il avait
vaincu sa propre peur d’investir et avait fait le premier pas,
le plus difficile, mais aussi le plus décisif. Et il est vrai que,
d’une certaine manière, les obstacles s’étaient évanouis
presque par magie devant lui.
Et pourtant...
Il avait acheté, plutôt héroïquement, de nombreuses
maisons qu’il avait gérées avec profit. Elles lui procu-
raient, comme le lui avait promis le millionnaire, une
rivière d’argent enviable.
Mais elles le possédaient plus qu’il ne les possédait !
Car le prix de chaque dollar gagné semblait être un
cheveu blanc de plus. Il ne pouvait plus tolérer les appels
de ses locataires, les retards de paiement, les chèques
sans provision. En fait, il était à bout de nerfs, un rien le
faisait sortir de ses gonds. Et comme son inspiration était
allergique à toute distraction, que les idées le fuyaient
comme les poissons une barque bruyante, son travail en
pâtissait. Dès qu’il parvenait à « entrer » dans son his-
toire, à se laisser habiter par ses personnages, un coup de
fil d’un locataire mécontent l’arrachait à son trop bref
état de grâce.

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Et dire qu’il avait fait tous ces placements pour
avoir la liberté d’écrire à sa guise !
Quelle ironie du sort !
Enfin, il déballa le cadeau, souleva le couvercle de
la boîte. Il y trouva un vieux coffret de bois orné d’une
rose sculptée.
Voilà bien le millionnaire ! pensa le jeune homme,
sa vie est un jardin de roses et d’idées !
Il s’empressa d’ouvrir le coffret.
La plupart des gens donnent les cadeaux qu’ils aime-
raient eux-mêmes recevoir.
Et c’est pour cette raison que la plupart des cadeaux
déçoivent.
Et qu’on dit qu’il y a plus de plaisir à donner qu’à
recevoir ! Mais là, le cadeau du millionnaire atteignait un
sommet dans l’art de la déception : c’était une simple
brosse à souliers !
Oui, une vulgaire brosse à souliers !
Le jeune homme n’en revenait tout simplement pas.
Est-ce que le millionnaire avait voulu se payer sa
tête ou quoi ?
Il examina la brosse, encore sous le coup de l’éton-
nement.
Bon, d’accord, elle était neuve, si on en jugeait par
la parfaite propreté de ses poils, mais, neuve ou pas,
quelle différence cela pouvait-il faire ?
Une lueur d’espoir traversa l’esprit du jeune homme.
La brosse reposait sur un lit de vieux velours rose
qui cachait peut-être quelque chose, le véritable cadeau
du millionnaire : une lettre lumineuse qui le consolerait
de ses chagrins infinis ou un chèque fastueux dissimulé
avec malice !
Le jeune homme arracha le velours sans délicatesse,
mais ne trouva rien d’autre sous lui que le fond du coffret !
Furieux, il remit le velours et la brosse dans le cof-
fret, dont il referma violemment le couvercle sur lequel il
laissa son regard s’attarder. La rose de bois sculptée était
belle, il devait l’admettre malgré sa colère.
Elle lui rappela, comme malgré lui, sa première ren-
contre avec le millionnaire. Il avait beau être furieux
contre celui-ci, ce souvenir l’attendrit, le réconforta. Dans
sa naïveté, il avait pris le millionnaire pour le jardinier de
la magnifique roseraie de son domaine. Et l’excentrique
philanthrope s’était bien amusé de cette méprise...
Un sourire imperceptible fleurit sur les lèvres du
jeune homme.
Il ne pouvait pas en vouloir au vieil homme, qui
l’avait tant aidé en lui donnant généreusement non seu-
lement de l’argent, mais surtout le fruit de sa sagesse, qui
du reste ne semblait pas avoir suffi, à moins qu’il ne l’eût
appliqué incorrectement !
Il pensa alors : « Il doit y avoir une raison... »
Oui, mais laquelle ?
Mais peut-être... peut-être ne fallait-il pas chercher
midi à quatorze heures... La sagesse populaire disait : Tu
m’as donné un citron, j’en ferai de la limonade!
Alors lui se dirait : « Puisque j’ai reçu une brosse, je
cirerai mes souliers ! »
Ce n’avait jamais été son sport préféré, et pourtant
il trouva du cirage et s’attela sans grande conviction à la
tâche, posant sur la table à café du salon quelques pages
de son roman : enfin elles servaient à quelque chose !
Si on l’avait surpris ainsi, on l’aurait sans doute pris
pour un véritable fou : quel homme sain d’esprit, en effet,
polit ses souliers complètement nu à trois heures du matin ?
Quand il eut fini, il ne se trouva pas plus avancé.
Aucune idée géniale n’avait jailli dans son esprit, et
il ne comprenait toujours pas le sens de ce cadeau.
Bien sûr, ses chaussures étaient rutilantes comme
des neuves ; et après ? Ce n’était certainement pas cela qui
l’aiderait à vaincre son spleen ou à terminer son roman !
Pourquoi donc le millionnaire lui avait-il fait une
aussi mauvaise plaisanterie ? Ce n’était pas son genre, lui
semblait-il.
Avant de la remettre avec résignation dans le vieux
coffre en bois, le jeune homme examina une dernière fois
la brosse, comme si elle renfermait un secret qui lui avait
jusque-là échappé.
Et alors, contre toute attente, il se rendit compte
que, un peu bizarrement, certains de ses poils n’avaient
pas été teintés par le cirage et que... sept chiffres bien
distincts y étaient apparus !
Le jeune homme haussa les sourcils, se redressa sur
le canapé. Sept chiffres comme... dans un numéro de
téléphone !
Un numéro pour joindre le millionnaire...
Le jeune homme s’empara du combiné du télé-
phone, posé sur la table à café, mais se ravisa aussitôt : il
était passé trois heures du matin. Ça ne se faisait pas
d’appeler à cette heure.

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L’amour, n’était-ce pas de mettre l’autre avant soi ?
Et puis, il passerait du temps avec elle.
Comme il avait passé du temps avec le millionnaire.
Comme il en passait maintenant avec son père.
— Oui, pourquoi pas, dit-il enfin. C’est d’accord.
Elle se pencha au-dessus de la table, vers lui, le prit
par la tête et l’embrassa sur la bouche, mais pas sensuel-
lement, plutôt comme on embrasse un enfant.
Ou un ami.
— Vous êtes gentil, dit-elle. Je crois que je pourrais
facilement...
Mais elle se tut.
Le jeune homme aurait pu demander qu’elle com-
plète sa phrase, mais il ne le fit pas et, à la place, il se
contenta d’esquisser un sourire.
Il avait l’impression d’avoir lu dans son esprit – ou
son cœur –, et c’était aussi clair que lorsqu’elle avait
pensé au hamburger et au Ginger Ale.

Pour contacter l’auteur Marc Fisher, auteur et conférencier :


fisher_globe@hotmail.com

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