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HISTOIRE

Collection dirigée

par

Michel Desgranges, Pierre Vidal-Naquet (†) et Alain Boureau


jean de salisbury
et la renaissance médiévale
du scepticisme
christophe grellard

jean de salisbury

et la renaissance

médiévale du scepticisme

PARIS
LES BELLES LETTRES
2013
www.lesbelleslettres.com
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Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation


réservés pour tous les pays.

© 2013, Société d’édition Les Belles Lettres,


95, bd Raspail, 75006 Paris.
ISBN : 978-2-251-38122-0
Comme toutes choses sont muables et proches de l’incertain
(Pierre Michon, Abbés)

Pour Magali, Judicaële et Agathe


Introduction

L’histoire du scepticisme au Moyen Âge reste largement à écrire. Malgré


quelques études récentes consacrées à la place du doute et de la certitude
dans l’épistémologie médiévale1, on ne trouve aucune synthèse équivalente
à celle produite par Popkin2, qui étudierait la réception médiévale de la
Nouvelle Académie et du pyrrhonisme, et les transformations subies
par ces écoles de pensée au cours d’une telle réception. Tout se passe
d’une part comme si le Moyen Âge, en raison d’on ne sait quel esprit
dogmatique, aurait été incapable de percevoir la force philosophique
du scepticisme, et d’autre part comme si le retour du scepticisme à la
Renaissance et à l’époque moderne n’avait dépendu, finalement, que
de la traduction de quelques textes au xve siècle. Pourtant, les travaux
de C. B. Schmitt avaient déjà souligné la nécessité de ne pas couper le
scepticisme moderne de ses antécédents médiévaux3. La difficulté, alors,
était d’identifier ces antécédents, ce qui, à ce jour, n’a pas réellement été
fait, à l’exception de l’argument du dieu trompeur4. La présente étude se
veut une première étape dans l’appréhension du phénomène sceptique au
Moyen Âge. Il s’agit de comprendre comment le scepticisme académicien
a été reçu et transformé dans un contexte historique nouveau, celui du
christianisme médiéval. Une telle approche vise à identifier une forme
autochtone explicite de scepticisme, qui puisse servir de pierre de touche
pour l’évaluation précise des transformations médiévales du scepticisme.
Cette pierre de touche est fournie par Jean de Salisbury (ca. 1120-1180)
12 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

qui est l’un des rares médiévaux, sinon le seul, à se dire explicitement
Academicus, et à rapporter sa démarche philosophique à la pratique
néo-académicienne, exemplifiée par Cicéron. Une seconde étude suivra
consacrée au problème sceptique, c’est-à-dire non plus simplement la
réception d’une doctrine antique, mais la mise au jour des voies par
lesquelles les médiévaux, par accumulation successive des arguments,
et sédimentations textuelles, enrichissent le concept de scepticisme
au point de rendre possible le passage d’une conception antique à une
conception moderne du scepticisme comme défi général lancé à toute
théorie de la connaissance5.
Écrire l’histoire du scepticisme sur la longue durée soulève un
certain nombre de difficultés méthodologiques. La principale est celle
de l’invariant historique, et de l’identité, à travers les âges, des pratiques
que recouvre le terme « scepticisme ». Désigne-t-il un phénomène unique,
que l’on retrouve à différentes périodes de l’histoire de la pensée ?
L’attitude la plus immédiate pour répondre à une telle question, devrait
consister à partir d’un paradigme, à savoir – puisque le scepticisme a une
origine précisément identifiable –, la philosophie de Pyrrhon d’Élis, et
éventuellement ses ramifications néo-pyrrhonienne et néo-académicienne.
Le scepticisme grec serait alors la pierre de touche à l’aune de laquelle
on peut évaluer le retour, ou non, du scepticisme dans l’histoire de la
pensée. De façon structurellement semblable, le philosophe peut décider
d’ériger en paradigme du scepticisme une forme de questionnement
typique de l’épistémologie moderne et contemporaine (le scepticisme
comme problème du monde extérieur, par exemple). Ces deux attitudes
relèvent, l’une et l’autre, de ce que P. Vignaux, dans un article fondamental
pour la méthodologie en histoire de la philosophie6, nomme la méthode
a priori : l’enquête d’histoire de la philosophie qui adopte cette méthode
détermine ce que signifie le scepticisme, ou le nominalisme dans le cas
de Vignaux, ou tout autre mouvement intellectuel, et cherche ensuite
ce qui, au Moyen Âge, correspond à cette définition, éventuellement
en la modifiant à la marge. Il s’agit donc d’élaborer un modèle à valeur
heuristique, à partir de nos préoccupations philosophiques actuelles. À
l’inverse, la méthode a posteriori consiste à identifier ce que signifiaient,
durant la période considérée, les termes « scepticisme », « nominalisme »,
introduction 13

etc., ou des termes proches si ceux-ci n’existent pas en tant que tels, et
à identifier les critères distinctifs retenus. Une telle méthode suppose
donc un travail d’éclaircissement conceptuel afin de produire, en quelque
sorte, un concept autochtone du scepticisme. Ces deux méthodes ne sont
pas exclusives l’une de l’autre, et répondent à des finalités différentes.
Elles ne sont pas non plus, ni l’une ni l’autre, dépourvues de risque.
En particulier, la méthode a priori risque de nous faire manquer les
transformations historiques du concept étudié produites par un nouveau
contexte. La recherche, par cette méthode, des formes de scepticisme
peut s’avérer périlleuse, en ce qu’elle conduit trop souvent à réduire
le scepticisme au seul fait de douter, et à confondre ainsi une activité
critique naturelle à l’esprit humain avec une attitude qui est d’abord
philosophique. Répétons-le, le doute est une condition nécessaire mais
pas suffisante du scepticisme. Prendre prétexte, par exemple, du prologue
du Sic et Non, pour en faire une preuve du scepticisme d’Abélard me
semble des plus discutables. Mais surtout, cette méthode a priori est
périlleuse en ce qu’elle risque de conduire à des contresens historiques,
comme l’équivalence trop souvent posée entre scepticisme et athéisme. Au
Moyen Âge, comme à la Renaissance, le scepticisme est bien davantage
lié au fidéisme qu’à l’athéisme7.
Pour identifier la forme médiévale du scepticisme, il semble donc
préférable de s’interroger sur ce que les philosophes médiévaux eux-
mêmes entendaient par scepticisme. Il faut, pour cela, s’interroger sur
les conditions de la réception médiévale du scepticisme antique, et sur
les modifications induites par une telle réception.
Il faut donc s’efforcer de comprendre ce que les médiévaux ont identifié
comme scepticisme. Dans cette perspective, le scepticisme apparaît d’abord
comme une attitude philosophique extrême, proche de la déraison, dans
certains cas, qui consiste à soutenir que rien ne peut être connu. C’est
précisément parce que cette attitude est extrême qu’il est nécessaire de la
réfuter, mais aussi, qu’il est possible de l’utiliser comme un argument ad
hominem, de sorte que l’on est toujours le sceptique de quelqu’un d’autre,
alors que nul ne peut se revendiquer sceptique. L’origine de cette conception
du scepticisme se trouve principalement dans la conjonction d’une source
augustinienne (mal comprise ou déformée, puisque les authentiques
14 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

augustiniens médiévaux ont une attitude plus nuancée face au scepticisme)


et d’une source aristotélicienne (la réception des arguments d’Aristote
contre les présocratiques, en particulier dans la Métaphysique, livre IV).
L’histoire du scepticisme médiéval est donc, principalement, l’histoire
de l’élaboration d’une matrice d’arguments contre la connaissance. Ce
qui explique sa dimension d’abord méthodologique. Cette élaboration
repose sur l’appropriation et la transformation d’arguments antiques,
transformation qui occasionne de nouveaux problèmes et suscite aussi de
nouveaux outils cognitifs. De la sorte, si le scepticisme médiéval ne peut
pas être réduit au rôle de maillon entre l’antiquité et l’époque moderne,
il n’en est pas moins l’une des conditions de possibilité de l’élaboration
du scepticisme moderne. Dans une large mesure, cette attitude négative
envers le scepticisme, au Moyen Âge, provient des sources par lesquelles
le scepticisme antique fut transmis : il s’agit principalement de sources
critiques, que ce soit le livre IV de la Métaphysique d’Aristote, dirigé
contre certains présocratiques rapidement assimilés à des sceptiques par
les lecteurs médiévaux, ou le Contra Academicos d’Augustin. Les textes
proprement sceptiques de l’antiquité n’ont pas connu de réelle diffusion
qui eût permis de les appréhender correctement.
Pour autant, la réaction médiévale au scepticisme n’est pas purement
négative. Une certaine lecture de saint Augustin a, en effet, rendu possible
une appropriation, que l’on pourrait dire instrumentale, du scepticisme.
Le scepticisme est, d’abord, pour Augustin, de l’ordre de la crise, et il est
impératif, pour des raisons qui ne sont pas seulement épistémologiques
mais bien pratiques d’y mettre fin. Il s’en explique dans un bref passage
des Confessions8. En 383, après avoir abandonné l’hérésie manichéenne,
et désespérant de trouver la vérité, il est tenté de s’adonner au scepticisme
de l’académie, découvert à la lecture de Cicéron. C’est, en effet, en
écoutant les sermons de saint Ambroise à Milan que saint Augustin se
détermine à rejeter le manichéisme. La description de son état d’esprit
est alors révélatrice : la doctrine catholique ne semble plus fausse, mais
sa vérité n’est pas encore acquise. Les arguments des uns et des autres
relèvent davantage de la catégorie des raisons vraisemblables, qui se
contrebalancent les unes les autres. Ainsi, hésitant entre manichéisme et
catholicisme, Augustin se résout à adopter l’attitude des académiciens, à
introduction 15

savoir : douter sans se déterminer. L’influence du scepticisme se joue à


deux niveaux, d’une part comme éthique de la croyance : nous sommes
engagés par nos croyances, il ne faut donc pas se prononcer à la légère,
et il est à bien des égards préférable de suspendre temporairement son
assentiment ; d’autre part, comme probabilisme cognitif qui conduit à
évaluer les différents arguments en faveur d’une thèse et de son opposé.
C’est d’abord une attitude de prudence épistémique que loue Augustin
chez les académiciens. Leur doctrine joue donc un rôle non négligeable
dans son évolution vers le catholicisme. Cependant, cette suspension
de l’assentiment est loin de conduire à une quelconque ataraxie. Au
contraire, elle le place dans l’embarras et l’angoisse, et il est souligné que
la guérison de l’âme ne peut venir d’une doctrine qui ignore le Christ. Il
y a ainsi une insuffisance existentielle du scepticisme qui fait écho aux
textes où Augustin dénonce le désespoir provoqué par la thèse selon
laquelle la vérité ne peut pas être atteinte.
Ce passage de l’itinéraire spirituel de saint Augustin est assez révélateur
de son attitude générale face au scepticisme, attitude marquée par une
forme d’ambivalence. D’un côté, en s’appuyant sur une lecture presque
exclusivement épistémologique de la doctrine néo-académicienne, qui est
réduite à la défense du doute universel et à l’insistance sur les insuffisances
cognitives de l’homme (de telle sorte que la suspension de l’assentiment
ne procure aucune tranquillité, mais conduit plutôt à l’angoisse et au
désespoir), il estime indispensable de la réfuter. D’un autre côté, il
insiste sur le rôle propédeutique et purgatif du scepticisme, en particulier
contre les fausses philosophies, notamment matérialistes. La prudence
cognitive des sceptiques peut être une arme contre les matérialistes et se
révéler un moment nécessaire de la réflexion philosophique. La propre
expérience de saint Augustin témoigne donc du fait que le scepticisme
peut être un adjuvant utile pour la religion. Quand il fait allusion à la
prudence des Académiciens, Augustin semble s’appuyer sur une certaine
conception de l’histoire du scepticisme académicien, qui légitime l’usage
des arguments sceptiques9. On sait, en effet, qu’il défend l’idée d’un
double enseignement académique, l’un exotérique, l’autre ésotérique. Pour
lutter contre le matérialisme du stoïcien Zénon, Arcésilas, puis Carnéade,
dissimulèrent la doctrine de Platon et mirent en avant la doctrine de la
16 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

suspension de l’assentiment pour « désinstruire » tous ceux qui étaient


contaminés par cette doctrine stoïcienne. C’est seulement une fois écarté
le danger que la doctrine ésotérique, proprement platonicienne, fut
restaurée publiquement. Ce que veut souligner ici Augustin, c’est une
constante de son approche du scepticisme : les arguments sceptiques
contre la sensation peuvent jouer un rôle purifiant dans l’ascèse nécessaire
à la pratique du platonisme. C’est dans ce cadre que se développe l’idée
d’un usage du scepticisme. Cet usage du scepticisme, dans la perspective
du passage de la mutabilité sensible à l’éternité immuable de Dieu,
apparaît de façon exemplaire dans un texte à peu près contemporain
des Confessions, à savoir la question 9 des 83 questions diverses (vers
388-396). Augustin commence par y rappeler le critère de l’objet de la
science : la permanence. Or rien de sensible n’est permanent. Ce qui est
soumis à la génération et à la corruption, donc à la contingence, n’est
pas objet de science. Les sens corporels n’en fournissent pas une vérité
authentique (veritatis sinceritas). Augustin ne rejette pas absolument
les sens qui peuvent éventuellement collaborer à la connaissance, mais
c’est une vérité nécessairement incomplète qui ne mérite pas le nom de
vérité. Dans cette perspective, il reprend certains arguments sceptiques
établissant qu’il n’y a pas de distinction garantie avec le faux, c’est-à-
dire pas de critère de la vérité dans le cas des sensations et où le vrai
est souvent semblable au faux. La reprise des arguments du sommeil et
de l’hallucination atteste l’incapacité du sujet à distinguer les images
des représentations correctes. Il n’y a donc pas de critère de vérité
(judicium veritatis) dans le cas des sens. La conséquence, c’est qu’il faut
se détourner du monde sensible et chercher la vérité en Dieu. La vérité
apparaît de la sorte dans sa dimension intérieure et intellectuelle. Ainsi,
le scepticisme trouve-t-il son achèvement et sa réfutation véritable dans
la contemplation des idées. Cette thèse, selon laquelle le scepticisme
est lié au platonisme, de sorte qu’il peut avoir une valeur instrumentale,
va assurer une certaine pérennité à une forme de démarche sceptique
tout au long du Moyen Âge, chez les philosophes et les théologiens qui
s’inscrivent dans une perspective augustinienne10.
Cet usage du scepticisme, dans les limites imposées par un dogme,
s’accorde assez bien avec les exigences du christianisme, et rend possible
introduction 17

l’alliance entre scepticisme et fidéisme. Une telle alliance est assez


ancienne puisque, outre les positions défendues par Licentius dans le
livre I de Contre les Académiciens, elle se trouve déjà chez Lactance11,
dans le livre III des Institutions divines. Néanmoins, elle nous renvoie
en même temps au développement d’une seconde tradition sceptique
au Moyen Âge, à la marge de l’institution scolaire, et qui culmine avec
Pétrarque. Ce dernier, en effet, qui se dit « achademicus advena12 »,
cherche à lier le doute sceptique cicéronien et la foi chrétienne. Il s’agit
d’utiliser la pratique sceptique du doute comme moyen pour exhiber
l’exiguïté du domaine des choses connaissables, et préserver un espace
aux certitudes de la foi chrétienne nécessaire au salut14. De cette tradition,
que l’on pourrait qualifier d’humaniste si le terme n’était d’un usage
périlleux, on peut en poursuivre le chemin en aval jusqu’à Montaigne,
ou remonter, en amont, à sa source, source patristique, chez Lactance et
Augustin, mais source médiévale, aussi, chez Jean de Salisbury15.
C’est à cette tradition médiévale que le présent livre souhaite s’attacher
afin d’identifier une forme autochtone de scepticisme médiéval. Jean de
Salisbury qui est l’un des rares auteurs, sinon le seul, au Moyen Âge à
se revendiquer d’une forme de scepticisme, en l’occurrence celle de la
Nouvelle Académie telle qu’elle est présentée par Cicéron. Sans doute,
Jean est avant tout cicéronien, un cicéronisme mâtiné d’augustinisme
comme on le verra, et son scepticisme (tout comme son humanisme,
d’ailleurs) découle largement de cette adhésion initiale. Néanmoins, il
s’efforce en même temps d’actualiser cette influence philosophique et de
penser un scepticisme chrétien, un scepticisme qui soit compatible avec
une forme de fidéisme, et qui s’inscrive dans l’horizon médiéval qui est
le sien. Cela se fait au prix de l’exclusion d’une partie des sceptiques,
ceux dont le doute est véritablement universel, et de la promotion d’une
forme faible de scepticisme, probabilisme proche de celui de Cicéron.
On pourrait qualifier de faillibilisme cette forme de scepticisme qui
se caractèrise par une conscience aiguë des limites de la connaissance
humaine, face aux mystères de la divinité en particulier, et par la recherche
raisonnée d’outils permettant de pallier autant que possible ces limites,
en substituant une approximation du vrai à la vérité, qui toujours nous
échappe. Mais ce qui fait encore l’originalité de Jean dans son approche
18 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

du scepticisme, c’est qu’il ne se cantonne pas à l’épistémologie mais


s’étend à d’autres parties du savoir : être sceptique a des conséquences
sur les méthodes pédagogiques et argumentatives mises en œuvre, et
suppose l’adhésion à une certaine forme d’éthique. Ainsi, le scepticisme
de Jean est réellement global et innerve toute son approche des questions
théorétiques et pratiques. Ce que l’on souhaiterait montrer ici c’est que
pour comprendre véritablement la philosophie théorique et pratique de
Jean de Salisbury, il faut prendre au sérieux sa profession de foi sceptique
(ou plus précisément académicienne16) et chercher à comprendre comment
cette adhésion initiale au scepticisme modèle tant la forme que le fond
de sa pensée. On ne cherchera pas à identifier des causes sociologiques
à cette adhésion au scepticisme, à la manière dont M. Conche reliait le
scepticisme de Pyrrhon non seulement à une réaction envers Aristote,
mais aussi à son séjour en Perse et en Inde, dans l’armée d’Alexandre17.
De façon semblable, on pourrait supposer que le scepticisme de Jean de
Salisbury résulte en partie d’une réaction à la théologie scolaire qui se
développe dans les écoles, et aux mutations sociales du xiie siècle, qui
font sortir la philosophie du cloître18. Sans exclure de tels facteurs, qui
restent difficiles à cerner, on peut, plus modestement, estimer qu’une
telle adhésion résulte d’abord de sa relation personnelle au savoir, en
particulier au savoir antique, à une certaine tournure d’esprit acquise dans
les écoles, et à ses lectures. On peut donc s’étonner que toute la vie de
Jean ait été celle d’un homme d’action dont on pourrait attendre qu’il
rejette toute forme de scepticisme. C’est en un sens un défi d’expliquer
comment un tel administrateur ecclésiastique a pu trouver dans une
philosophie antique, désavouée par la plupart de ses contemporains, un
fondement théorique à sa pratique sociale et politique.
Le but de cette étude est de proposer une lecture de l’œuvre de
Jean de Salisbury en adoptant le point de vue du scepticisme. On a fait
l’hypothèse que l’adhésion à un scepticisme cicéronien, tempéré par des
influences chrétiennes (et notamment augustinienne), organise l’ensemble
de cette philosophie et donne une clé de lecture pertinente et féconde.
Le premier chapitre propose une mise au point sur le contexte de cette
philosophie, à travers quelques brefs rappels sur la vie et l’œuvre de
Jean de Salisbury, et surtout sur ses lectures (en particulier Cicéron qui
introduction 19

est le vecteur fondamental de diffusion du scepticisme académicien). Le


second chapitre examine les principes du scepticisme, c’est-à-dire les
motivations intellectuelles qui conduisent Jean à adhérer au scepticisme,
et l’épistémologie probabiliste qui en découle. On montre comment et
pourquoi cette théorie de la connaissance repose sur une valorisation du
probable. Le troisième chapitre reprend la question de l’humanisme en
essayant de montrer que ce qui est habituellement qualifié comme tel
(encyclopédisme, modalités d’écriture, usage de l’exemplum) peut être
considéré comme relevant d’un programme d’éducation au scepticisme,
et de mise en œuvre d’une écriture sceptique. On cherche à mettre en
évidence les principes d’une écriture qui entend multiplier les points de
vue sur les questions considérées. Enfin, le dernier chapitre cherche à
montrer comment Jean développe une éthique qui s’intègre entièrement
dans le double cadre du scepticisme et du christianisme. On y souligne
comment l’exemple offre une méthode pour l’éthique, en rendant possible
une éthique contextuelle et non normative.
Cette reconstruction de la philosophie sceptique de Jean de Salisbury
s’appuie principalement sur le Metalogicon et le Policraticus, complétés
par l’Entheticus maior qui peut être considéré comme une ébauche des
deux précédents ouvrages, et qui sur certains points expose les mêmes
thèses de façon plus directe. Enfin, on a cherché à faire droit aux écrits
moins directement philosophiques, Lettres et Chroniques, en partant du
principe que l’on trouve dans ces écrits une mise en pratique de la théorie
élaborée en amont19.

À l’origine de ce livre, il y a un mémoire inédit présenté dans le cadre


d’une habilitation à diriger des recherches. Je remercie Joël Biard, Jacques
Chiffoleau, Pascal Engel, Ruedi Imbach, Carlos Lévy et Dominik Perler,
qui en furent les premiers lecteurs et les premiers juges. J’ai eu l’occasion
de discuter tout ou partie de ce travail devant plusieurs auditoires. Je
remercie David Bloch, Sten Ebbesen et Ana Maria Mora Marques de
l’institut Saxo de Copenhague, Alain Boureau, Béatrice Delaurenti
et Sylvain Piron du Groupe d’anthropologie scolastique de l’EHESS,
Dominique Alibert, Frédérique Lachaud et Yves Sassier de l’atelier
Jean de Salisbury, Marta Cristiani de l’université Rome II Tor Vergata
20 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

et Catherine König-Pralong et Tiziana Suarez Nani de l’université de


Fribourg. Je remercie aussi Max Lejbowicz et Dallas Denery pour leur
relecture aussi minutieuse que critique.
Frédéric Fruteau et Trung Tran Quoc ont allégé, par leur amitié et
leur humour, les derniers moments de la rédaction de ce livre. Magali
m’apporte un soutien constant depuis bien des années. Que tous en
soient remerciés.

Les œuvres de Jean de Salisbury sont citées dans les éditions


suivantes :
Policraticus, L. I-IV : Policraticus I-IV, éd. K. S. B. Keats-Rohan,
Corpus Christianorum Continuatio Medievalis, 117, Turnhout, Brepols,
1993, L. V-VIII : Policraticus, éd. C. C. J. Webb, Oxford, 1909, 2 vols :
vol. 2.
Metalogicon : Metalogicon, éd. J. B. Hall et K. S. B. Keats-Rohan,
Corpus Christianorum Continuatio Medievalis, 98, Turnhout, Brepols,
1991.
Entheticus de dogmate philosophorum : Entheticus Maior et Minor, éd.
et tr. Jan van Laarhoven, « Studien und Texte zur Geistesgeschichte des
Mittelalters », 17, Leiden, Brill, 1987, 3 vols.
The Letters of John of Salisbury, éd. et tr. W. J. Millor et H. E. Butler,
Oxford Medieval Texts, Oxford, Clarendon Press, 1979 et 1986, 2 vols.,
vol. 1 : Lettres 1-135, vol. 2 : Lettres 136-325.
Historia Pontificalis, éd. et tr. Marjorie Chibnall, Oxford Medieval
Texts, Oxford, Oxford University Press, 1986.
Vita Sancti Thomae : Giovanni di Salisbury, Anselmo e Becket. Due Vite,
introduzione, traduzione e note di I Biffi, Jaca Book, Milano, 1990.
Chapitre premier

Le contexte historique et sociologique

Vie et mort d’un philosophe

Né vers 1115-11201 à Old Sarrum, l’ancien site de la cité de Salisbury,


Jean, qui est sans doute issu d’un milieu modeste2, a de façon classique
appris les rudiments de latin auprès d’un prêtre (qui se trouvera être
également un impétrant magicien3), puis peut-être dans les écoles
cathédrales anglaises, avant de franchir la Manche pour parfaire son
éducation dans les écoles les plus réputées de l’époque, celles de Paris. La
première date connue avec certitude dans sa vie est précisément celle de
son arrivée à Paris en 11364. Il y suit pendant douze ans l’enseignement
des principaux maîtres de l’époque, de Pierre Abélard à Gilbert de Poitiers
en passant par Guillaume de Conches et Robert Pullen, couvrant tout le
curriculum défini par les arts du trivium et du quadrivium5. Il a également
reçu une formation en droit, mais on ne sait si c’est en Angleterre (après
1148) auprès de Vacarius qui faisait partie de l’entourage de Thibault de
Canterbury, ou bien en Italie (vers 1146, Jean a pu y effectuer un bref
séjour)6. Ses contacts avec des membres de « l’école de Chartres » (Thierry
de Chartres, Guillaume de Conches et Gilbert de la Porrée), et les éloges
qu’il leur adresse, ont laissé penser que Jean avait interrompu ses études
à Paris pour aller à Chartres. Néanmoins, K. S. B. Keats-Rohan soutient
22 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

au moyen d’arguments assez convaincants que Jean a plutôt suivi leurs


enseignements à Paris même7. On présume que, entre 1146-1148, Jean
est au côté de son ami Pierre de Celle nouvellement nommé abbé de
l’abbaye de Montier-la-Celle, et il y est ordonné prêtre. Jean aurait alors,
à ce moment, goûté à la vie monastique, dont il semble avoir toujours
conservé une certaine nostalgie. En 1148, il assiste au concile de Reims,
lors du procès de Gilbert de la Porrée, dont il donne dans l’Historia
pontificalis un récit nuancé, balancé entre son admiration pour les deux
principaux protagonistes, à savoir Gilbert et Bernard de Clairvaux, malgré
une préférence sensible pour le premier8. Recommandé par Bernard de
Clairvaux, auquel il avait peut-être été présenté par Pierre de Celle, il
devient à cette époque secrétaire de l’archevêque Thibaud de Canterbury.
Jean devient, dès lors, un clerc curial dont le travail est celui d’un praticien
du droit, discipline qu’il semble pourtant tenir en petite estime, si l’on
s’en tient à la critique des Cornificiens qui se reconvertissent en juristes.
Entre 1149 et 1156, il va faire de fréquents aller-retour entre l’Angleterre et
l’Italie (il dit avoir traversé dix fois les Alpes durant cette période), chargé
de mission auprès de la curie9. Il va développer une certaine proximité
avec deux papes, en particulier Adrien IV10, et dans une moindre mesure
Alexandre III. C’est probablement au cours de ces voyages qu’il a eu
l’occasion de prendre connaissance des récentes traductions des parties
inédites de l’Organon. Il connaît une première disgrâce entre l’été 1156
et avril 1157, sans doute liée à sa mission sur la dévolution de l’Irlande
à la couronne d’Angleterre : il obtient pour le roi l’autorisation d’envahir
l’île, mais celle-ci doit être placée sous l’autorité de la papauté11. À la
mort de Thibaud, Jean conserve ses fonctions auprès de son successeur,
Thomas Becket (élu en 1162), avec lequel il était déjà lié d’amitié. Le
nouvel évêque, ancien Chancelier du roi Henri II, en vint rapidement à
s’opposer à celui-ci sur la question de la juridiction ecclésiastique. Après
la réunion de Clarendon en 1164, refusant de donner son accord à certains
articles des Constitutions de Clarendon, Thomas dut s’exiler en France
et Jean avec lui. Il réside alors à l’abbaye de Saint-Rémi de Reims, dont
l’abbé était alors Pierre de Celle. Après une réconciliation entre le roi et
l’archevêque en 1170, Jean rentra en Angleterre, suivi de Thomas peu
de temps après. Mais le 29 décembre 1170, Thomas est assassiné par des
Le contexte historique et sociologique 23

chevaliers du roi. L’émotion soulevée par le meurtre contraignit le roi à


faire amende honorable12. Entre 1170 et 1173, Jean séjourna à Canterbury
où il prépara la canonisation de l’archevêque martyr, obtenue en 1173.
Enfin, grâce à ses amitiés françaises (Louis VII, l’archevêque de Sens
Maurice Sully), il fut élu en 1176 évêque de Chartres. Il prit part, entre
autre, au concile de Latran III en 117913. Il meurt le 25 octobre 1180.

L’œuvre de Jean de Salisbury

On le voit, sa vie fut celle d’un militant de l’Église universelle, d’un


administrateur davantage tourné vers l’action que vers la contemplation.
Son activité littéraire s’inscrit donc, principalement, dans les moments
d’otium que lui laisse son activisme, et surtout dans les périodes de
disgrâce, quand il est écarté de la vie politico-ecclésiologique.
L’activité littéraire de Jean se développe principalement entre 1141
et 1159. Entre 1141 et 1155, environ14, il rédige l’Entheticus maior ou
Entheticus de dogmate philosophorum15. Il s’agit d’un poème didactique de
1852 vers consacré à certains thèmes que l’on retrouvera dans ses œuvres
ultérieures : éloge des arts libéraux comme mode d’éducation (v. 25-374),
histoire de la philosophie antique (v. 451-1274), comparée à la vraie
philosophie chrétienne, critique de la vie curiale (v. 1275-1752). Après
une courte introduction (v. 1-24) qui situe l’objet du poème (discussion des
doctrines des anciens, mise en garde contre la vie de courtisan, invitation
à tourner son cœur vers la vérité qui est d’ordre divin), Jean aborde un
thème qu’il reprendra plus longuement dans le Metalogicon, à savoir
la défense d’un projet éducatif fondé sur les arts libéraux, et opposé à
toute conception directement utilitaire de l’enseignement et de l’étude
(v. 25-374). Jean commence par expliciter le modèle éducatif auquel
il s’oppose (v. 25-165) : ce contre-modèle, dont le mot d’ordre semble
être Paucas legas, ut multa scias (v. 99), rejette l’étude des classiques
considérée comme une perte de temps, et par conséquent refuse également
l’étude de la grammaire, qui était l’occasion de cet apprentissage. À
l’inverse, les partisans de ce contre-modèle, dont, notamment, l’ami
et compatriote de Jean, Adam du Petit-Pont (v. 49), font l’éloge des
24 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

modernes, et incitent à s’appuyer exclusivement sur l’ingenium propre à


chacun (v. 49-66). Ce contre-modèle pédagogique est, selon Jean, celui
des logiciens contemporains, qui affirment des thèses nouvelles avec
arrogance, et qui cherchent l’utilité immédiate d’un art. C’est précisément
ce que critique Jean (outre le rejet de Cicéron au profit du seul Aristote,
v. 111) : la logique est considérée comme une fin en soi qui se substitue
à l’activité philosophique proprement dite (v. 117). À ce contre-modèle,
Jean oppose son propre modèle, fondé sur l’alliance de Mercure et de
Philologie, c’est-à-dire de la raison et du langage. C’est à cette occasion
qu’apparaît, sans être réellement développé, le concept clé du premier
livre du Metalogicon, à savoir le concept d’eloquium/eloquentia, qui
repose sur l’ancrage de la rhétorique dans la philosophie (v. 171). Cette
défense de la nécessaire alliance du langage et de la raison débouche sur
l’introduction d’un troisième terme, celui de la grâce qui seule permet
réellement de philosopher correctement et de rendre fécond un usage
rationnel du langage (v. 223). Dans un dernier moment, Jean pose donc
les linéaments d’une philosophie chrétienne, à la saveur très nettement
augustinienne (v. 223-451). C’est la grâce qui, en renforçant la nature,
permet au philosophe de résister aux désillusions de la Fortune et d’affirmer
sa liberté (v. 235-300). La véritable philosophie est amour de Dieu en
tant que Sagesse et Vérité (v. 301-322). Il n’y a donc pas de philosophie
sans foi. C’est seulement en Dieu, en effet, que l’âme insatiable peut
trouver le repos et la satisfaction. Le programme de cette philosophie
chrétienne fondée sur une reprise du platonisme chrétien d’Augustin (voir
en particulier, v. 381-411) se voit confier une double tache : d’une part,
cultiver les arts, et scruter la nature, en vue de déchiffrer correctement
l’autorité des Écritures (v. 369-374) ; d’autre part, et surtout, se connaître
en vue de connaître et d’aimer Dieu, afin de chasser les vices et de
pratiquer la vertu (v. 420-431). Dans la perspective de cette philosophie
chrétienne, la seconde partie du poème examine les philosophies païennes
afin de montrer chaque fois la convergence entre foi et philosophie, et les
limites de la philosophie sans la foi. Chaque secte philosophique a atteint
une partie de la vérité, mais cet accès au vrai est incomplet et entaché
d’erreur. Les stoïciens (v. 451-526) ont identifié l’origine de la vertu et
de la vie heureuse, mais reprenant Augustin, Jean leur reproche à la fois
Le contexte historique et sociologique 25

un penchant à l’orgueil qui les éloigne de la nécessaire modération du


philosophe, et surtout d’avoir nié l’existence de Dieu et d’avoir détruit
la liberté par leur doctrine de la providence. Les épicuriens (v. 527-594)
ont compris que le plaisir se trouve dans la joie de la raison, et dans la
tranquillité de l’esprit. Mais cette philosophie a été dévoyée dans le
sens de la gloutonnerie par certains épicuriens. En outre, Jean critique
la doctrine du hasard et des atomes. À ces deux sectes, il oppose de
nouveau son modèle de la philosophie chrétienne (v. 595-726). Après
quoi, Jean présente successivement, sur le même modèle (une première
partie consacrée aux convergences avec la foi, une seconde aux erreurs des
philosophes), les doctrines d’Arcésilas, Pythagore, Socrate, Anaxagore,
Aristote, Platon, de la Nouvelle Académie (à laquelle il ne semble pas
alors pleinement adhérer), de Varron (opposé à Moïse) et finalement
de Cicéron (v. 727-1268). La conclusion que Jean tire de cette histoire
de la philosophie, qui atteste d’un accès partiel mais largement erroné
des philosophes à la vérité, c’est que la seule philosophie est chrétienne
(v. 1269-1274). La dernière partie (v. 1275-1852) critique le monde de
la cour, auquel est opposé le mode de vie philosophique, c’est-à-dire
chrétien. Jean y dénonce déjà la personne du tyran comme celui qui ne
connaît pas de modération, et examine les conséquences sociales de la
tyrannie. Il oppose au courtisan, le vir bonus dont le mode de vie est, au
contraire, fondé sur la modération et l’amour de Dieu. Alors que dans le
Policraticus, un philosophe courtisan sera exclu comme une monstruosité,
Jean semble encore, ici, estimer qu’en suivant quelques conseils, le
philosophe pourra se fortifier suffisamment pour vivre à la cour. On
pourrait peut-être y voir une évolution liée à la situation personnelle de
Jean de Salisbury. Si l’Entheticus est écrit avant sa disgrâce, il a encore
quelques espoirs d’être à la fois philosophe et courtisan. En revanche,
le Policraticus, écrit, à l’origine, comme une consolation à la disgrâce,
met un terme à ces espoirs.
En 1159, Jean de Salisbury achève ses deux œuvres principales, le
Metalogicon et le Policraticus16. Le Metalogicon est une défense de
l’éducation fondée sur les arts libéraux, et par ce biais un plaidoyer pour
ce que l’on pourrait appeler les humanités, et que Jean nomme eloquentia
(usage raisonné du langage fondé sur une culture littéraire). Ce mode
26 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

d’éducation est opposé à celui dont fait la promotion un adversaire (sans


doute en partie fictif) appelé Cornificius, du nom du détracteur de Virgile.
Celui-ci recherche avant tout le profit dans les études, et marque sa
préférence pour les disciplines utiles : une logique quasi-sophistique qui
permet de dissimuler son ignorance, le droit et la médecine plus lucratifs
que la philosophie. Dans cette perspective, après avoir développé la
notion d’éloquence, le livre I est une défense de la grammaire (au sens de
lecture des œuvres littéraires anciennes) : les chapitres 1 à 12, directement
consacrés à répondre aux attaques de Cornificius, s’attachent à montrer
la nature, l’utilité et l’importance des arts du trivium, et à expliciter les
rapports entre l’art et la nature ; les chapitres 13 à 25 examinent plus
précisément le statut du premier de ces arts, à savoir la grammaire.
C’est à cette occasion que Jean rapporte un témoignage sur la méthode
d’enseignement de Bernard de Chartres (chap. 24). Plus généralement,
ces chapitres sont consacrés à défendre l’utilité d’une culture littéraire
fondée sur la connaissance des Anciens. Le livre II ouvre la défense de la
logique proprement dite que Jean divise en logique démonstrative, logique
probable et logique sophistique. C’est dans ce livre, au chapitre 10 qu’il
décrit son expérience d’étudiant parisien. Mais surtout, Jean développe
plusieurs aspects importants de sa théorie probabiliste de la connaissance
(chap. 11-14). Enfin, les livres III et IV sont une description assez succincte
de l’Organon, auquel Jean est l’un des premiers à avoir un accès complet17.
Le livre III décrit l’Isagoge, les Catégories, le Perihermeneias et surtout
les Topiques. Les chapitres 9 et 10 consacrés à ce dernier ouvrage ne
contiennent guère de développements techniques sur les lieux, mais Jean y
revient, en revanche, sur la question du probable et théorise sa conception
de l’exemplum. Le livre IV examine les Analytiques et les Réfutations
sophistiques. De toute évidence, ce sont des textes que Jean n’avait pas
la capacité de saisir pleinement, et dont le résumé peut sembler décevant.
Néanmoins, ce qui fait l’intérêt majeur du livre IV, c’est qu’il contient à
proprement parler la théorie de la connaissance de Jean. Après avoir, dans
la lignée des Seconds Analytiques, rappelé les rapports entre science et
logique (chap. 8), il détaille la généalogie de la connaissance, depuis la
sensation jusqu’à la sagesse, en passant par l’imagination, la prudence,
la science et l’intelligence (chap. 9-21). Enfin, les derniers chapitres
Le contexte historique et sociologique 27

(31-41) reprennent la question de la vérité dans le cadre du scepticisme


chrétien auquel Jean adhère désormais explicitement.
Le Policraticus, sive de nugis curialium et de vestigiis philosophorum,
est un ouvrage composite dont la finalité est bien indiquée par le sous-
titre : opposer le mode de vie du courtisan et celui du philosophe, comme
une alternative entre la vanité et la vertu. Le titre a été diversement glosé,
soit « pluralité des pouvoirs », soit « pouvoir de la cité18 ». Mais dans
tous les cas, il semble insister sur la dimension politique du traité. Il serait
pourtant réducteur de considérer cet ouvrage seulement comme un traité
de philosophie politique. Ce grand-œuvre de Jean, qui a souvent désorienté
les commentateurs, relève véritablement d’une écriture sceptique dont il
faut être conscient quand on l’aborde19. Cet aspect formel du scepticisme
de Jean, lié à la notion d’exemplum sur laquelle on reviendra en détail20,
se caractérise par une construction de prime abord décousue, et un effet
d’accumulation qui peut se révéler écrasant pour le lecteur. C’est une
œuvre dont la lecture réclame un véritable effort afin de dégager un ou
des sens.
La première partie, qui correspond au sous-titre « Les frivolités des
courtisans », englobe les trois premiers livres qui critiquent les principaux
divertissements du courtisan : la musique, le théâtre, la chasse (livre I), la
pratique des arts occultes (fin du livre I et livre II), ainsi que le principal de
ses vices, la flatterie (livre III). De façon propédeutique, les deux premiers
chapitres du livre I rappellent le projet général de l’ensemble de l’ouvrage,
à savoir donner les moyens d’échapper aux coups de la Fortune, en mettant
à distance ce qui ne dépend pas de nous21. Ce faisant, on retrouve ici la
trace du projet initial de Jean qui était d’écrire, dans le contexte de sa
disgrâce, une consolation philosophique. Échapper aux coups de la Fortune
suppose d’identifier les biens apparents, qui se trouvent être à l’honneur
parmi les courtisans. Jean va donc successivement critiquer la chasse, la
musique, le théâtre (chap. 4-8), c’est-à-dire l’ensemble des divertissements
du courtisan, qui l’empêchent de rentrer en lui-même pour retrouver Dieu.
Les chapitres suivants (8-13) entament la critique des différentes pratiques
magiques à l’honneur parmi les courtisans. Cette critique rebondit dans
le livre II, et donne l’occasion à Jean d’une réflexion plus générale sur la
valeur des signes (chap. 1-17), sur le statut de l’astrologie et de la médecine
28 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

(respectivement, chap. 18-19, 24, et 29) et sur la question de la providence


divine (chap. 20-23, 26). L’ensemble de ce livre contient ainsi plusieurs
informations précieuses concernant à la fois la théorie du signe de Jean et sa
conception de la physique et des lois de la nature. Enfin, le livre III conclut
cette première partie consacrée aux vices des courtisans, en rappelant la
perspective générale de ce que l’on peut appeler un socratisme chrétien
(chap. 1-2), et en identifiant la racine des vices du courtisan à la fois dans la
concupiscence générale (chap. 3) et dans la flatterie qui s’ensuit (chap. 4-7).
Jean en tire plusieurs conséquences éthiques et politiques. En premier lieu,
(chap. 8-10) sur l’attitude du sage face à la comédie du monde, ensuite
(chap. 11-14) sur les conditions de l’amitié, et finalement (chap. 15), sur
la légitimité du tyrannicide.
Les livres IV à VI, qui constituent la deuxième partie, contiennent la
philosophie politique de Jean et visent à tempérer l’action des courtisans
par la définition du rôle politique qui revient à chacun. Le livre IV est
proprement un miroir des princes. Jean y développe sa théorie de la
fonction royale et indique les principales vertus qu’un roi se doit de
cultiver. Après avoir défini le prince, par opposition au tyran, comme
celui qui se soumet à la loi divine pour conduire une communauté vers
son salut (chap. 1-4), Jean à travers une glose du Deutéronome (Deut. 17,
17-20) énumère l’ensemble des vertus que doit exemplifier ce prince,
vertus qui tendent toutes à la modération et à l’humilité (chap. 5-12). Les
livres V et VI prennent ensuite un point de vue plus large en décrivant
la nature et le fonctionnement de la communauté politique (respublica).
Reprenant une prétendue lettre de Plutarque à Trajan, appelée Institutio
Traiani, dont Liebeschütz a montré qu’il s’agit d’un faux élaboré par
Jean lui-même22, il compare la respublica a un corps, dont les différents
membres correspondent chacun à une fonction (officium) précise (livre V,
chap. 1-2). La suite de ces deux livres propose un schéma de société
fondée sur la sacralité des fonctions exécutives : Jean examine d’abord
le statut du clergé (chap. 3-5), puis du prince (chap. 6-8), et des différents
auxiliaires du prince, sénat, gouverneurs (chap. 9-17) et soldats (livre VI,
chap. 1-19)23. Finalement, Jean achève son traité politique en rappelant
que les conditions de cohésion de la respublica passent par le souci que
le pouvoir manifeste envers le peuple (chap. 20-30).
Le contexte historique et sociologique 29

Enfin, la troisième partie qui correspond à la deuxième partie du


sous-titre, « Les traces des philosophes », pose en modèle la philosophie
antique en tant qu’elle prône la modération et le contrôle de soi. Le
livre VII introduit des éléments d’histoire de la philosophie, et oppose le
souverain bien selon la vraie philosophie et selon les épicuriens, dont la
doctrine inspire les courtisans. Ce livre s’ouvre de façon remarquable sur
un éloge des sceptiques de la Nouvelle Académie (prologue, chap. 1-3),
secte à laquelle Jean clame ouvertement son adhésion. Les chapitres 6
et 7 reprennent ensuite quelques éléments d’histoire de la philosophie
déjà présents dans l’Entheticus. À partir de ces éléments d’histoire
de la philosophie, Jean va déterminer le domaine des connaissances
certaines (chap. 7), identifier la vertu comme finalité de la philosophie
(chap. 8) et proposer une méthode pour la vraie philosophie fondée
sur l’humilité de la recherche par opposition à l’arrogance de ceux qui
prétendent posséder la vérité (chap. 9-14). Enfin, la dernière partie de
ce livre VII présente un contre-modèle philosophique exemplifié par les
épicuriens (chap. 15-25). Le livre VIII achève l’examen du rapport entre
philosophie et vie curiale, d’une part en développant les vices de ces
épicuriens (chap. 1-7), d’autre part en identifiant les vertus nécessaires
à la philosophie (chap. 8-15). Après un excursus de quelques chapitres
(17-21) consacrés à la question du tyrannicide, Jean clôt son ouvrage
en opposant nettement la doctrine épicurienne des courtisans et la voie
chrétienne des philosophes (chap. 22-25).
À ces trois ouvrages proprement philosophiques, il faut ajouter une Vita
Anselmi qui n’est qu’une récriture de celle d’Eadmer, et une Vita Thomae,
qui développe la lettre 305 où Jean faisait le récit de l’assassinat de Thomas
Becket, et qui vise à appuyer la canonisation de l’archevêque, ainsi que
le texte appelé Historia pontificalis, qui est une chronique de la Curie
entre 1148 et 1152. La valeur de ce texte, écrit sans doute à l’instigation
de Pierre de Celle vers 1163 durant l’exil français de Jean est triple : en
premier lieu, c’est un témoignage direct sur les principaux acteurs de la
chrétienté au milieu du xiie siècle ; ensuite, c’est une pièce importante pour
l’histoire du procès de Gilbert de Poitiers, dont Jean donne un compte-
rendu à la fois factuel et philosophiquement informé ; enfin, on y trouve
plusieurs éléments importants pour sa philosophie de l’histoire24. Il faut
30 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

enfin mentionner que, parmi la masse de la correspondance, plusieurs


lettres ont une teneur philosophique évidente et témoignent du caractère
indissociable de la théorie et de la pratique chez Jean de Salisbury25.

Les sources du scepticisme de Jean de Salisbury

Jean de Salisbury exhibe, dans son œuvre, une vaste connaissance


des classiques de la littérature et de la philosophie anciennes, au point
d’être longtemps passé pour le meilleur représentant de l’humanisme
médiéval et de la Renaissance du xiie siècle. Les travaux de Schaarschmidt
et Webb semblent en effet révéler une érudition sans commune mesure
au Moyen Âge26. Pourtant, un tel tableau a récemment été révisé d’une
part par R. Thompson, au moyen d’une comparaison avec Guillaume
de Malmesbury, et d’autre part par J. Martin qui a pu montrer, sur
quelques cas précis (notamment Aulu-Gelle et Valère Maxime), quels
florilèges Jean de Salisbury avait utilisés27. Il est donc nécessaire de faire
le point sur le corpus que Jean semble avoir réellement connu afin de
pouvoir identifier précisément ce dont il s’inspire dans l’élaboration de
sa philosophie sceptique. On se contentera ici des sources littéraires et
philosophiques (quoique la distinction n’ait peut-être pas vraiment de
sens d’un point de vue médiéval) qui ont pu avoir une incidence sur la
question du scepticisme qui nous occupe28.

Préalables méthodologiques : comment établir les sources utilisées ?


Pour déterminer les sources de Jean de Salisbury, on dispose de
deux types d’informations. En premier lieu, on peut s’appuyer sur les
catalogues des bibliothèques auxquelles Jean de Salisbury a pu avoir
accès lorsqu’il travaillait à ses écrits de philosophie. En l’occurrence, on
dispose de l’édition du catalogue de la bibliothèque de Canterbury, en
date de 1170, qui nous donne une idée de ce à quoi Jean pouvait avoir
le plus facilement accès (même si l’on ne peut pas exclure que certains
ouvrages y soient entrés entre 1159 et 1170)29. À côté de ce catalogue,
on possède la liste des ouvrages que Jean a légués à la cathédrale de
Le contexte historique et sociologique 31

Chartres à sa mort30. Cette liste donne une information plus délicate à


interpréter puisque certains des livres mentionnés ont, sans doute, été
acquis après 1159. Elle indique néanmoins quels ont été les ouvrages
que Jean a jugés utile d’acquérir pour son usage propre, et dont on peut
supposer qu’il souhaitait nourrir sa réflexion personnelle.
Le second type d’informations se trouve dans les citations identifiées, ou
supposées telles, par les éditeurs modernes des œuvres (Webb, en premier
lieu, puis Hall et Keats-Rohan, ensuite, qui dépendent très largement
du premier). L’identification des citations et allusions par Webb31 a été
excessivement généreuse, et on ne peut considérer que l’ensemble des
œuvres qu’il mentionne ont été connues de Jean (a fortiori depuis que
son usage des florilèges a été mis en évidence). Ces références doivent
donc être passées à un triple crible : en premier lieu, il faut rejeter les
allusions pour ne conserver que les citations, explicites ou non ; en second
lieu, il faut considérer que la connaissance d’un ouvrage n’est avérée que
si Jean le cite à plusieurs reprises, ceci afin d’exclure la connaissance
d’une citation isolée, fondée sur des florilèges ; enfin, il ne faut pas que
la citation puisse provenir d’une source plus évidente, parce que plus
facilement accessible, ou explicitement connue de Jean (par exemple, un
autre ouvrage, mieux diffusé, du même auteur, un florilège, une citation
postérieure par un autre auteur mieux connu, etc.).
En croisant ces différents types d’information, et en s’appuyant sur les
travaux déjà menés sur cette question, on peut proposer un certain nombre
d’œuvres dont la connaissance par Jean était hautement probable.

Les sources grecques


La première des sources grecques d’importance pour un philosophe est,
bien entendu, Aristote. On a longtemps considéré que Jean était l’un des
premiers à avoir eu une connaissance complète de l’Organon. Le récent
travail de David Bloch permet de réévaluer cette affirmation. À la logica
vetus, connue dès ses années d’études à Paris, et accompagnée et médiatisée
par l’œuvre logique de Boèce32, il faut ajouter les Réfutations sophistiques,
quoiqu’il ne fût pas le premier à prendre connaissance de ce texte, dont
il ne fait guère usage par ailleurs33, et les Topiques, qui sont sans doute
32 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

le texte qui l’a le plus intéressé, à travers le double prisme de Boèce et


de Cicéron34. Quant aux Seconds analytiques, D. Bloch suggère, avec de
sérieux arguments, que Jean n’en a pas eu une connaissance directe, mais
seulement partielle, et fondée sur un recueil de morceaux choisis. Quant
aux autres œuvres d’Aristote, il les a ignorées, comme ses contemporains.
Néanmoins, il est parvenu, comme l’a montré C. Nederman, à reconstruire
certains aspects de l’éthique aristotélicienne en s’appuyant sur quelques
passages des Catégories35.
La seconde source philosophique grecque, que Jean prisait davantage
sans doute, quoiqu’elle soit quantitativement de moindre importance, est
Platon, princeps philosophiae36. Si, comme toute la philosophie de son
siècle, la pensée de Jean est très largement platonicienne, il n’en a pas
connu plus que ses contemporains : sa connaissance de Platon se limite,
en effet, au Timée, dans la traduction (partielle, 17a-53c) de Calcidius37. Il
a pu connaître également d’autres éléments de philosophie platonicienne
dans le De Platone et eius dogmate d’Apulée38, et dans les références
glanées chez Cicéron ou chez Macrobe39. Enfin, on peut ajouter aux
sources grecques, et dans la tradition platonicienne, d’une part le De
natura hominis de Némésius d’Émèse dans la traduction d’Alfano (qui
attribue l’ouvrage à Grégoire de Nysse), d’autre part, le Pseudo-Denys
l’Aréopagite40. Comme l’a montré J. Jeauneau, même si Jean ne le cite
guère dans le Policraticus et le Metalogicon, il le connaissait déjà dans
la traduction de Jean Scot Érigène. Il a ensuite été en contact avec Jean
Sarazin, le nouveau traducteur du Pseudo-Denys, et il lègue les deux
Hiérarchies à Chartres.

Les sources latines


Les sources latines sont, pour des raisons linguistiques évidentes, bien
plus nombreuses que celles grecques. On a déjà signalé l’importance de
l’œuvre logique de Boèce. Il faut ajouter l’œuvre théologique et surtout
le De consolatione philosophiae. Outre leur statut de classique, tous
ces textes étaient disponibles à la bibliothèque de Canterbury. On peut
ajouter Sénèque le jeune. Il est hautement probable que Jean a connu les
lettres 1 à 88 à Lucilius. En effet, les Lettres à Lucilius ont circulé dans
Le contexte historique et sociologique 33

deux versions différentes. La première tradition, que Jean connaissait,


ne contenait que les lettres 1 à 88, tandis que la seconde contenait les
lettres 89 à 124. C’est seulement au xiie siècle que les deux traditions
ont été réunies, mais il n’est pas possible d’établir une connaissance des
lettres 89 à 124 par Jean de Salisbury41. Quant aux Questions Naturelles,
Jean en a possédé un manuscrit, mais on peut douter qu’il ait connu
ce texte avant 1159. En effet, l’unique citation pouvait provenir du
Dragmaticon de Guillaume de Conches42. Quoi qu’il en soit, l’éventualité
d’une connaissance intégrale du texte ne peut pas être totalement exclue.
Jean semble avoir également connu de larges parties de Macrobe, dont
les Saturnales fournissent, d’après P. von Moos, la matière du début du
livre VIII, tandis que le Commentaire du Songe de Scipion est exploité
dans les livres II (sur les songes divinatoires) et VII. Enfin, il a connu, sans
aucun doute, tout ou partie des Institutions oratoires de Quintilien43.
La principale source latine de Jean dans le domaine de la philosophie
reste cependant Cicéron. Le catalogue de la bibliothèque de Canterbury,
lacunaire, indique à la date de 1170 la présence du De amicitia et du
De senectute44, ainsi que des œuvres rhétoriques (probablement De
inventione et l’apocryphe Ad Herenium). Le legs à la cathédrale de
Chartres nous indique que Jean possédait à sa mort un exemplaire du
De officiis et un autre du De oratore. Il est indubitable que Jean a eu une
bonne connaissance de la rhétorique cicéronienne (via le De inventione,
et les Topiques, glosées par Boèce) dès ses années d’étude, auprès de
Thierry de Chartres notamment45. Quant au De officiis, il constitue sans
aucun doute la source principale d’accès à la philosophie cicéronienne
pour Jean, ce que confirme l’analyse des citations46.
De fait, c’est principalement l’analyse du Policraticus et du Metalogicon,
publiés en 1159, qui permet de déterminer quels textes de Cicéron Jean
connaissait réellement. Il faut pour chaque citation ou allusion assez
précise se demander si elle ne peut pas parvenir d’une autre source
plus évidente, à savoir un autre texte de Cicéron dont on sait que Jean
l’avait lu (c’est-à-dire De l’invention, De l’orateur, Des devoirs), ou
d’une autre source de la littérature latine accessible. L’application de ce
crible permet d’exclure une connaissance directe du De natura deorum
et du De diuinatione47. En revanche, elle rend hautement probable la
34 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

connaissance des Tusculanes, connaissance peut-être partielle cependant,


et limitée aux livres I et II (par exemple, Metalogicon, IV, 20 est un
collage de citations des Tusculanes I, 16, 57, 66, 67, 70 et 71). Le cas
du De finibus est plus délicat : la mention des kurias doxas d’Épicure
(latinisés en kiriadoxa) peut laisser penser à une connaissance très
partielle du texte (De finibus II, 7, 20)48, éventuellement par le biais d’un
florilège49. Le même problème se pose pour les Académiques. On peut
supposer que si Jean de Salisbury avait connu ce texte, il en aurait fait
un usage massif afin d’appuyer son propre scepticisme. Or, ce n’est pas
le cas. On doit donc en conclure qu’il l’a ignoré. Néanmoins, dans le
Metalogicon, il mentionne la formule attribuée à Démocrite par Cicéron,
selon laquelle la vérité est dans l’abîme (Academica I, 44 : « in profundo
ueritatem esse » ; Academica II, 32). Jean, cependant, ne mentionne pas
Démocrite et parle d’un puits (in profundo putei)50. La même formule se
trouve chez Lactance dans les Institutions divines (III, 28, 12 et 14, 30,
6). Or, parmi les livres légués par Jean se trouve un Lactantium, qu’il
a été récemment proposé d’identifier avec un manuscrit contenant les
Institutions divines, produit dans l’entourage de Pierre de Celle et daté
de la fin des années 115051. En outre, cette formule se trouve aussi chez
Isidore de Séville, dans les Étymologies (VIII, 6, 12). Il est donc certain
que Jean n’a pas connu le texte même des Académiques, et il n’est pas
nécessaire de supposer qu’il a eu accès d’une façon ou d’une autre à des
extraits trouvés dans un florilège.
En conclusion, Jean de Salisbury a certainement connu de première
main De l’invention, De l’orateur et Des devoirs, ainsi que le Laelius
et le Cato, et une partie des Tusculanes. Il n’a connu les autres œuvres
philosophiques que de seconde main, par ce qu’en disaient des auteurs
comme saint Augustin, saint Jérôme ou Lactance.
De fait, à côté des sources philosophiques, il faut accorder une place
importante à la patristique latine. Augustin, comme on le verra, irrigue
toute la philosophie de Jean qui lui est très largement redevable des
éléments de platonisme chrétien qu’il reprend. Il est cependant difficile
d’établir quelles œuvres exactement de saint Augustin il a connues. Si
l’on s’en tient à quelques-unes des principales œuvres philosophiques, en
laissant de côté les œuvres polémiques, Jean cite explicitement le Contra
Le contexte historique et sociologique 35

Academicos (Metalogicon, IV, 24 et 36), De civitate Dei (Policraticus


II, 15 et VIII, 5), De doctrina christiana (Policraticus, VII, 14), De
libero arbitrio (Policraticus, VII, 17, Metalogicon, II, 17, IV 15 et 32),
et De ordine (Metalogicon, I, 18 et 24, IV 25, 32 et 40). On s’efforcera
de montrer par ailleurs quelques parallèles attestant une connaissance
des Confessiones, du De Trinitate et du De Genesi ad litteram. Le cas
de Lactance est plus délicat, puisque l’œuvre de Lactance a été assez
peu diffusée au Moyen Âge52. Si Webb s’avoue incapable de repérer
une citation directe dans l’œuvre de Jean, il n’en reste pas moins qu’il
constitue indubitablement une source fondamentale du scepticisme
chrétien que développent les ouvrages de 1159. En outre, comme on l’a
dit, Jean a légué à la Cathédrale de Chartres un Lactantium, sans doute
rédigé avant la fin des années 1150. Cette date tardive expliquerait à la
fois l’absence de citation directe, Jean n’ayant pas eu le temps d’assimiler
tout à fait cette œuvre, tout en autorisant une influence générale du Père
de l’Église. Il est donc légitime de chercher chez Lactance l’une des
origines du scepticisme chrétien de Jean de Salisbury.
On voit, finalement, que Jean de Salisbury n’avait sans doute pas une
connaissance des classiques supérieure à celle de ses contemporains (et
même inférieure à celle d’un Guillaume de Malmesbury qui demeure,
cependant, une exception). Mais, il a su faire preuve d’ingéniosité et
d’une indéniable capacité à exploiter les sources partielles et les citations
isolées dont il disposait pour s’approprier ces auteurs53. C’est ce que l’on
va voir à présent avec l’examen de sa propre philosophie sceptique.
Chapitre deux

Les principes du scepticisme

On trouve à plusieurs reprises, et de façon explicite, dans l’œuvre


de Jean de Salisbury, ce que l’on pourrait qualifier de profession de foi
sceptique :

… et sur les questions philosophiques, disputant en Académicien


dans les limites de la raison, j’ai adhéré à ce qui apparaissait probable.
Et je ne rougis pas d’affirmer compter parmi les Académiciens moi
qui, à propos des choses douteuses au sage, suit leurs traces. En effet,
bien que cette secte semble introduire l’obscurité sur toutes choses,
nulle n’est plus fiable dans l’examen de la vérité, selon Cicéron qui
dans sa vieillesse s’est tourné vers elle, nulle n’est plus parente du
progrès1.

Les mentions explicites du scepticisme prennent place dans deux


cadres, principalement. En premier lieu, dans les prologues, ce qui
tend à manifester la dimension principalement méthodologique du
scepticisme : le scepticisme est la meilleure méthode pour approcher
la vérité, autant que notre nature le permet, au moyen d’un examen
critique de toutes choses. Ensuite, dans les exposés d’histoire de la
philosophie : l’éloge d’une certaine forme de scepticisme s’intègre
38 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

alors dans une conception de l’histoire comme manifestation d’un


plan divin, et le scepticisme, comme école historique, se manifeste
comme l’attitude rationnelle la plus adéquate à l’homme après la
Chute. En ce sens, il y a une réelle légitimité pour un Chrétien, à
prétendre recueillir l’héritage cicéronien pour l’adapter aux nouvelles
réalités du christianisme. Cette double dimension, méthodologique
et historique, de l’adhésion au scepticisme conduit Jean à mettre en
œuvre une épistémologie probabiliste qui rende compte des limites de
notre connaissance. On commencera par préciser l’idée de prudence
épistémique qui organise le scepticisme de Jean, et l’inscrit dans cette
double démarche méthodologique et historique, avant d’examiner les
principaux aspects de son épistémologie et de montrer comment elle
s’intègre dans une vision chrétienne du monde.

Scepticisme et prudence épistémique

L’épistémologie sceptique de Jean de Salisbury s’organise autour de


la nécessaire prudence de l’homme qui cherche à connaître la vérité. La
première raison pour laquelle il faut imiter les sceptiques de l’Académie,
selon Jean de Salisbury, c’est leur modestie épistémologique, parfaitement
compatible avec l’incompréhensibilité divine, et donc avec l’acte de foi
requis pour que l’on puisse appréhender les mystères de la création. On
retrouve, d’emblée, quoique de façon implicite, le modèle du sceptique
chrétien, même si Jean de Salisbury se réclame davantage de Cicéron
que du Licentius de Contre les académiciens, ou de Lactance2.
Le livre VII du Policraticus souligne trois aspects importants dans
cette reprise médiévale du scepticisme : le péché originel de la philosophie
grecque, la vertu propédeutique du scepticisme, et les limites nécessaires
du doute3. Dans cet ensemble de chapitres, l’usage proposé du scepticisme
reste encore assez général, et les arguments sceptiques ne sont guère
développés au-delà d’allusions au problème de la fiabilité des sens. En
revanche, il témoigne à la fois de l’ancrage, dans la tradition médiévale,
de la réduction du scepticisme à l’affirmation que rien ne peut être connu
avec certitude4, et de la défense du scepticisme comme pratique et non
Les principes du scepticisme 39

comme théorie. À cette occasion, et comme en réponse aux attaques de


Guillaume de Saint-Thierry contre Abélard5, Jean prend soin de distinguer
le dialecticien du sceptique :

Si ces recherches semblent approcher l’exercice de la philosophie


la plus grave, l’esprit qui a animé la démarche est plus proche des
pratiques des Académiciens que de l’opiniâtreté à affirmer, de telle sorte
que chacun, dans l’examen de la vérité, se sente libéré du jugement
et de l’autorité des écrivains qu’il juge inutile, quand il propose un
argument plus puissant. Mais mon intention est de m’engager dans
l’étude des choses dont l’erreur ne cause pas la ruine, et de ne pas
soulever par une présomption téméraire une explication de ces choses
où l’on n’entre pas sans danger6.

Le sceptique n’est donc pas un opiniâtre, mais seulement quelqu’un


qui cherche la vérité hors de toute autorité, à l’exception, on le verra,
de celle de la foi, et qui examine les arguments pour et contre afin de
déterminer lequel est le plus convaincant. Cette attitude ne vise qu’à
éviter la présomption qui se traduit par un jugement téméraire. En
un sens, Jean s’inscrit ainsi dans la tradition académicienne telle que
la présente Cicéron, qui met l’accent sur la liberté de penser offerte
par le scepticisme7. Mais surtout, une telle attitude relève de la place
centrale accordée par Jean de Salisbury, dans toute son œuvre, au
concept de modération (moderatio, modestia, modum). Or, dans les
premiers chapitres du livre VII du Policraticus, consacrés à l’histoire
de la philosophie ancienne, Jean présente explicitement le scepticisme
comme une règle de modestie, dans la mesure où l’attitude sceptique
conduit à ne rien asserter, mais seulement à proposer des jugements
probables8. Par la suite, et en particulier dans le livre VIII, l’analyse
des vertus conduit à inscrire la modestia dans un cadre plus large
en en faisant la source de toute pratique des devoirs (officium)9. On
reviendra ultérieurement sur la dimension éthique de la modération. Ce
qu’il faut retenir dans l’immédiat, c’est que cet éloge de la modération
intellectuelle s’inscrit dans une certaine conception de l’histoire de
la philosophie.
40 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

La place du scepticisme dans l’histoire de la philosophie


Le premier chapitre du livre VII du Policraticus s’ouvre sur un
éloge paradoxal des philosophes de l’antiquité, éloge qui est cependant
déterminant pour comprendre comment le scepticisme de Jean de Salisbury
peut mêler une dimension chrétienne et un héritage antique clairement
revendiqués.
Pour Jean de Salisbury, la dette contractée envers les philosophes
antiques, notamment en philosophie naturelle, est immense et indéniable.
Plus encore, certains de ces philosophes, au moyen de leur seule raison,
ont su s’approcher des mystères divins. Cependant, ils ont été incapables
de reconnaître cette aptitude rationnelle comme un don de Dieu, et au
contraire, ont prétendu rivaliser avec lui en le défiant :

Que le génie des philosophes de l’antiquité fut abondant et que


leurs recherches furent avancées n’est plus seulement une opinion
mais un jugement dont chacun en commun est persuadé. En effet,
par l’étude et la pratique, ces génies ont préparé pour eux-mêmes un
chemin parmi les choses qui sont par nature les plus incompréhensibles,
et avec leur aide, de nombreuses découvertes ont été faites pour la
postérité, dont nous nous réjouissons et nous émerveillons. Ils ont
mesuré la terre, ils ont soumis le ciel à leurs règles, ils ont scruté les
diverses causes des phénomènes naturels et leurs yeux ont, d’une
certaine façon, contemplé l’Artisan de l’univers. Ainsi, comme portés
par une force de géant et renforcés par des prouesses non humaines,
ils se sont enhardis et ont déclaré la guerre à la grâce divine par la
force de leur raison et la confiance dans leur libre arbitre, comme
si, conformément aux fables, ils allaient embrasser le ciel captif au
moyen de ces vertus par lesquelles ils s’étaient élevés10.

Un excès de la raison apparaît ainsi comme corrupteur de la foi, et


l’allié objectif de l’erreur11. La philosophie des païens, riche de promesses,
a conduit finalement à un mauvais usage de la raison et du libre arbitre12.
Dès lors, la punition divine s’est abattue sur ceux qui voulaient « être
comme des dieux », et la vérité est devenue inaccessible :
Les principes du scepticisme 41

C’est pourquoi ils ont été jetés bas alors même qu’ils avaient été
élevés, et pour s’être appelés sages, ils furent rendus fous (Ro, 1,
22), et leur cœur insensé fut obscurci, de sorte que, eux qui avaient
approfondi presque toutes les questions, devinrent accoutumés à
l’erreur la plus pernicieuse sur la plupart des sujets, et devinrent
ignorants des plus petits problèmes en raison de la division de leurs
opinions variées13.

Il est donc notable que ce qui justifie le scepticisme de l’Académie, le


fait que la vérité soit dissimulée, trouve ici une justification théologique.
C’est Dieu lui-même, en tant que vérité immuable, qui s’est soustrait aux
hommes, les rendant incapables de trouver le vrai avec infaillibilité. Dès
lors, la dissimulation de la vérité aux yeux des hommes, inaccessible tant
à la raison qu’à la sensation, conduit à une dispersion des philosophes
en différentes sectes marquées par le désaccord. La pluralité des sectes
philosophiques témoigne, en effet, du caractère insaisissable de la
vérité :

Ainsi, tandis que le génie des philosophes érigeait ses machines en


vue du combat contre Dieu, l’unité de la vérité vraiment immuable et
infaillible leur fut soustraite, et ils perdirent entièrement la plus grande
connaissance des choses qui sont vraies sur la base de cette seule
et unique vérité, de sorte qu’ils furent convaincus par leurs propres
travaux de la fausseté du donné des sens, et tandis que leur guide, à
savoir l’Esprit de vérité les quittait (Jn 16, 13), ils se dispersèrent en
différentes sectes en fonction de leurs erreurs et de leurs faussetés
insensées14.

Ce qui, dans la typologie augustinienne des arguments sceptiques,


constitue le premier mode permettant de montrer que le vrai est inaccessible,
est ici repris dans un cadre théologique15. Il ne s’agit pas de dire que la
vérité n’existe pas, mais seulement qu’elle nous est interdite en raison
d’un châtiment divin. Celui-ci se manifeste dans la double folie des
philosophes. Non seulement ils ont été rendus fous par Dieu, c’est-à-
dire incapables de vérité, mais en outre ils ont persisté à prétendre la
42 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

posséder. Le scepticisme académicien est donc, d’abord, présenté comme


une réaction à cette insanité. Il s’agit d’une attitude de prudence et de
modestie :

Mais les Académiciens, évitant le précipice de la fausseté, sont plus


modestes sur ces sujets car ils nient difficilement leurs défauts et, dans
une position d’ignorance à propos des choses, ils doutent de chacune
d’elles. Ce qui est bien plus sûr que de se prononcer témérairement
sur des données incertaines. La réputation de l’Académie a été bien
renforcée par Héraclide du Pont et par notre Cicéron (des hommes qui
reçoivent des éloges pour leurs capacités intellectuelles), qui furent
convertis à l’Académie, ainsi que bien d’autres qu’il serait trop long
d’énumérer. Ne doivent-ils pas être préférés aux autres, à la fois pour
avoir assuré de leur modestie et pour avoir donné de grands conseils
aux hommes16.

Ayant conscience que la vérité est cachée, les sceptiques s’efforcent


d’éviter dans la mesure de leurs capacités le « précipice de la fausseté »,
en refusant tout jugement téméraire. C’est ce qui finalise leur suspension
de l’assentiment, leur doute universel, et justifie, selon Jean de Salisbury,
la continuité entre l’Ancienne et la Nouvelle Académie.
Ce texte tout à fait remarquable propose une justification théologique
de l’attitude sceptique, justification qui repose sur l’application à l’histoire
de la philosophie ancienne d’une double grille de lecture, celle du péché
originel et celle de Babel. Il y a un péché originel des philosophes qui
ont voulu égaler Dieu par leurs connaissances, et la conséquence de cet
orgueil c’est la dispersion des hommes en sectes philosophiques incapables
de communiquer entre elles, en raison de l’absence d’un point d’ancrage
commun dans la vérité infaillible. C’était déjà à une conclusion similaire
qu’était parvenu Jean dans l’Entheticus, en conclusion de son parcours
doxographique à travers la philosophie grecque et latine :

Mais pourquoi énumérer les païens que l’erreur a exclus ?


En effet, toute raison échoue sans la foi.
Seuls sont sages ceux qui vénèrent le Christ, et ils philosophent
Les principes du scepticisme 43

Véridiquement ceux que les Écritures saintes te donnent pour guides.


J’approuve ceux qui vénèrent le Christ, non pas par des mots mais par
des pratiques
Que des mœurs honnêtes et la foi accordent à l’homme17.

Sans la foi, la philosophie basée sur la seule raison ne peut parvenir


à la vérité. Pourtant, par-delà la reprise du syntagme augustinien de la
vera philosophia, toute la doxographie de l’Entheticus visait à montrer
que dans toute philosophie païenne (y compris celle des épicuriens18),
on trouve des traces de la vérité, à proportion que la Vérité divine se
laisse voir à chacun. Le principe de la démarche sceptique consiste
précisément à discriminer au sein de chaque doctrine ce qui est faux et
ce qui est vraisemblable.
Dans ce contexte, en quoi consiste le scepticisme ? Il est avant tout
une règle pratique de modestie, davantage qu’une doctrine constituée.
Le fait de douter de tout revient seulement à ne rien affirmer de façon
téméraire, à faire preuve d’humilité pour offrir un contrepoids à l’orgueil
des premiers philosophes. Le scepticisme est, avant tout, une claire
conscience de notre ignorance et de ses raisons. Pour autant, il va de soi
qu’il trouve alors un prolongement naturel dans le cadre d’une théorie
de l’argument probable. Comme on le voit, la démarche de Jean de
Salisbury s’accommode d’une indéniable influence augustinienne. La
vraie philosophie est la vraie religion, c’est-à-dire la religion chrétienne.
En même temps, Jean estime que, pour l’homme pécheur, il est possible
de revenir à un état de la philosophie pour ainsi dire antérieur à la Chute,
et qui s’écarte de l’orgueil des philosophes en développant l’humilité et
la prudence, sur le modèle à la fois de Socrate19 et des sceptiques. C’est
donc dans un horizon chrétien que va s’inscrire la démarche sceptique
qu’il met en œuvre.

Les différentes formes de l’attitude sceptique


Quelles sont à la fois la valeur et les limites de ce scepticisme ? Il ne
fait aucun doute que Jean de Salisbury a besoin de se démarquer nettement
de la forme de scepticisme critiquée par saint Augustin et les Pères de
44 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

l’Église20. Il faut rappeler, en effet, le rapport ambigu d’Augustin au


scepticisme néo-académicien. Si l’on en croit Les Confessions, Augustin
a connu une véritable crise sceptique, qui se voit attribuer des aspects
à la fois positifs et négatifs. Le scepticisme est, en effet, la philosophie
qui permet à Augustin d’échapper progressivement au manichéisme,
en mettant en balance les arguments manichéens et ceux catholiques
(entendus chez Ambroise). De la sorte, Augustin est conduit à une salutaire
suspension du jugement. En même temps, le scepticisme introduit le
danger de la desperatio ueri, et peut conduire également à servir de
prétexte à l’inaction21. Cette ambivalence du rapport augustinien au
scepticisme conduit à déterminer une double attitude complémentaire :
en premier lieu, il est nécessaire de réfuter le scepticisme, de montrer
que l’homme est capable de la vérité, afin d’écarter toute tentation du
désespoir ; mais, dans un second temps, il est légitime de faire usage
du scepticisme, en vue de manifester la vérité, c’est-à-dire d’utiliser les
arguments sceptiques afin de réfuter les fausses théories philosophiques
(celles matérialistes, en particulier). Saint Augustin va autoriser, en
quelque sorte, un scepticisme local et ponctuel, comme moyen pour
l’esprit de s’abstraire du sensible. Dans cette perspective, il est nécessaire
à Jean de Salisbury de distinguer le scepticisme, auquel il adhère, d’un
scepticisme radical qu’il rejette. Jean prend donc soin de délimiter un
socle de connaissances indubitables, qui interdisent un doute universel.
Il y a un certain nombre de certitudes, propres à la science et à la foi,
dont il ne convient pas de douter :

Il y a de nombreuses choses à propos desquelles l’autorité des sens,


de la raison ou de la religion nous persuade. Le doute à leur propos
porte la marque de l’infirmité, de l’erreur ou du crime. Car demander
si le soleil brille, si la neige est blanche, ou si le feu brûle c’est être
privé de la sensation humaine. En outre, demander si trois est plus
grand que deux et si le tout contient la partie et si quatre est le double
de deux, c’est la marque d’une raison sourde ou entièrement absente.
Et celui qui met en question l’existence de Dieu, et demande s’il est
sage et bon, n’est pas seulement irréligieux, mais traître, et doit être
instruit par une punition22.
Les principes du scepticisme 45

Contre ceux qui veulent douter même de ces objets, il reprend les
arguments ad hominem de saint Augustin : celui qui doute de tout est
semblable au sot et confond l’indécision, indigne du philosophe, avec la
modestie. Plus encore, le sceptique radical est semblable au léthargique
ou à l’insensé. Le sceptique radical est donc conduit à des absurdités qui
le disqualifient du champ de la philosophie :

Qu’y a-t-il de plus inepte que d’être indécis sur toutes choses et de
n’avoir de certitude sur rien, tout en réclamant le nom de philosophe.
Car ceux qui doutent de tout, parce qu’ils n’ont de certitude sur
rien, sont étrangers tant à la foi qu’à la science. […] En outre, si
l’académicien doute de chaque chose, il n’est certain de rien, à moins
peut-être que cette incertitude qu’il possède puisse, elle-même, être
à la fois douteuse et certaine, si les contraires pouvaient exister sous
le même rapport et en même temps. Mais s’il lui est incertain qu’il
doute, pendant ce temps il ne sait pas qu’il ne sait pas23.

De la sorte, il est indéniable que Jean prépare le terrain à l’usage


le plus classique au Moyen Âge de la notion de scepticisme, à savoir
une accusation qui équivaut à une réduction à l’absurde de la position
adverse24.
Cependant, ce scepticisme radical est nettement distingué de celui
dont se réclame Jean de Salisbury, et qui est attribué à Cicéron. Mais il
prend soin d’ajouter aux côtés du Romain, l’autorité de saint Augustin.
Ce double patronage permet à la fois de rejeter le scepticisme radical,
réduit au doute universel et autoréfutant, et de défendre un scepticisme
modéré qui consiste avant tout dans l’usage des arguments sceptiques
sur des questions strictement délimitées de philosophie théorétique :

Et assurément contre leurs inepties non seulement Augustin,


important Père et fidèle docteur de l’Église, mais aussi enseignant plein
de foi, et Cicéron, ont argumenté longuement au moyen d’arguments
valides et de discours au style le plus élégant. Néanmoins, Cicéron
lui-même atteste qu’il s’est rapproché de ceux qui doutent de chacune
des choses que les sages peuvent mettre en question ; et notre Augustin
46 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

ne les persécute pas puisqu’il a fréquemment utilisé dans ses œuvres


la retenue des académiciens et qu’il rapporte plusieurs sujets de doute
que les autres, disputant avec plus de confiance et de témérité, ne
semblent pas mettre en question25.

À la suite d’Augustin, donc, Jean de Salisbury distingue deux attitudes


complémentaires face au scepticisme : d’une part il est nécessaire de réfuter
le scepticisme, c’est-à-dire de montrer qu’un doute universel est intenable
et stérile, d’autre part il est légitime d’utiliser les arguments sceptiques dans
un but précis, comme une propédeutique. Cependant, subrepticement, une
différence fondamentale s’installe. Alors que pour Augustin l’usage du
scepticisme s’apparente davantage à une forme d’ascèse intellectuelle qui
permet de mettre à l’écart la sensation afin de découvrir la vérité divine26,
chez Jean de Salisbury l’usage du scepticisme conduit au développement
d’une forme de scepticisme local. Le scepticisme, comme méthode de
doute ponctuel, est acceptable quand il n’y a pas de réponse définitive
à un problème. Ceci exclut tout scepticisme relatif aux vérités de la foi
et de la science où l’on est certain d’être dans le vrai. Ce scepticisme
local s’inscrit dans le cadre de la dispute, et relève ainsi d’une forme
de probabilisme lié au raisonnement in utramque partem qui cherche à
examiner les arguments pour et contre chacun des points de vue sur une
question. Dans le cadre de cet équilibre, que ne tranchent ni l’autorité
ni la raison (au moyen de démonstrations nécessaires ou à défaut, de
preuves fermes et certaines), le scepticisme s’impose comme l’attitude
épistémique requise :

Mais il y a des sujets de doute à propos desquels le sage n’est


persuadé par l’autorité ni de la foi, ni des sens, ni des preuves
rationnelles et qui du point de vue opposé sont appuyés par des
preuves fermes27.

Quand l’autorité et l’ensemble de nos outils cognitifs échouent à


nous apporter une connaissance indubitable, quand en outre on peut
fournir des arguments rationnels en faveur à la fois de la thèse et de
son opposé, alors le scepticisme est légitime. Et ce scepticisme porte
Les principes du scepticisme 47

sur tous les champs de la rationalité, de la physique à la métaphysique,


en passant par la logique, la philosophie naturelle, l’éthique, le droit et
même la théologie pourvu que l’on ne porte pas atteinte aux principes
de la foi. Ainsi, Dieu en tant qu’il échappe à toute approche rationnelle
est réintroduit dans le champ du scepticisme, alors lié à la dimension
négative ou fidéiste de la théologie28.
La valeur du scepticisme est donc de mettre en cause les certitudes
du vulgaire et d’éviter les affirmations précipitées :

On peut de cette façon exposer plusieurs choses sur lesquelles les


sages admettent un doute, alors que ces doutes resteraient inconnus
au vulgaire. C’est pourquoi sur tous ces sujets j’admettrais facilement
que les académiciens doutassent avec d’autant plus de modestie que
je vois qu’ils se gardent diligemment du précipice de la témérité29.

Ainsi, le sceptique ne doute pas de tout, mais il reste circonspect


sur les questions théorétiques qu’il est impossible de trancher de façon
définitive. C’est donc, uniquement, en lui assignant une place précise et
limitée que Jean de Salisbury peut reprendre à son compte une forme de
scepticisme : celui-ci est avant tout une capacité à examiner les choses
avec minutie. Cette conception du scepticisme s’accompagne d’une théorie
de la connaissance fondationaliste : pour tout type de connaissances, il y
a des principes premiers (« l’autorité » des sens, de la raison et de la foi)
dont il est impossible de douter. Il s’agit des perceptions immédiates,
d’un certain nombre de propositions logiques et mathématiques, ainsi
que des fondements de la foi (le fait que Dieu existe, et qu’il est bon)30.
Ces principes forment le socle à partir duquel on peut mettre en œuvre
un examen minutieux de la vérité. De fait, c’est uniquement cet examen,
tant au niveau des sens que de la raison, qui permettra de distinguer ce
qui est évident de ce qui ne l’est pas :

Car, de même que certaines choses s’appliquent d’elles-mêmes


aux sens du corps de sorte qu’elles ne peuvent rester inconnues à
celui qui sent, et d’autres choses sont plus subtiles de sorte qu’elles
ne sont pas senties à moins d’être expérimentées de façon régulière
48 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

et d’être examinées avec diligence, de même, il y a des choses si


évidentes par leur lumière qu’elles ne peuvent rester inconnues à
l’examen rationnel, mais elles sont vues par tout le monde de façon
commune, plus ou moins bien selon la capacité et les facultés des
individus. Il y a d’autres sujets qui requièrent potentiellement une
sorte d’examen minutieux et qui ne peuvent rester inconnus à celui
qui les examine de façon diligente31.

Jean de Salisbury propose ici, en s’appuyant sur la symétrie, ou du moins


l’analogie, de la perception sensible et de l’appréhension intellectuelle, une
hiérarchie des objets de connaissance en fonction du degré d’attention requis,
relatif à leur caractère plus ou moins incompréhensible. Quoique Jean ne
donne pas de précisions sur cette hiérarchie, on peut sans doute, sans trahir
sa pensée, l’expliciter ainsi : le plus haut degré est celui des objets dont
l’évidence doit nécessairement apparaître soit immédiatement, soit au terme
de l’examen, quelles que soient les capacités du sujet connaissant. Du côté
de la sensation, certaines qualités sensibles sont immédiatement perçues,
comme le fait que la neige est blanche, ou le miel sucré ; tandis que du
côté de l’intellect, les notions communes et les principes doivent recevoir
un assentiment immédiat. Dans ce dernier cas, cependant, un esprit moins
habitué à l’abstraction pourra avoir besoin d’un délai supplémentaire pour
analyser les principes et en reconnaître l’évidence. À un degré inférieur,
certains objets seront connus uniquement au terme d’un examen minutieux
et répété, et la discrimination des objets dépendra largement du discernement
de l’examinateur. Ainsi, du côté de la sensation, identifier que la neige est
composée de cristaux ou que le miel provient d’un châtaignier ou d’une
fleur de bourrache suppose un examen plus précis de l’objet, et même
une certaine éducation de la sensation. De même, du côté de l’intellect,
un principe comme « toutes les mères aiment leur enfant » ne se trouve
confirmé qu’après un examen répété de la relation maternelle, ou bien
par une expérience cruciale comme le jugement de Salomon32. Ce niveau
définit ce que Jean de Salisbury entend par une connaissance probable, à
savoir une connaissance dont la garantie du côté du sujet est une capacité
à l’observation, et du côté de l’objet une répétition suffisante pour que des
constantes puissent être dégagées33.
Les principes du scepticisme 49

Il est cependant remarquable que même le plus haut degré, celui de


l’évidence, suppose encore, malgré tout, un examen diligent afin d’être
appréhendé. Dès lors, ces degrés de connaissances, valables tant au niveau
de la sensation que de la raison, autorisent à poser le doute sceptique
comme un moment indispensable de l’enquête scientifique, dans la mesure
où il n’est rien d’autre que le refus de la précipitation, et l’exigence d’un
examen minutieux des objets mal connus. Le scepticisme, pour Jean
de Salisbury, est avant tout une invitation au débat et à l’enquête. On
retrouve, ici, la dimension fondamentalement propédeutique de cette
attitude philosophique. Ce scepticisme se voit limité aux domaines où
l’intellect n’est pas encore parvenu à l’évidence, mais doit se contenter
de simples probabilités. En même temps, le doute sceptique doit s’arrêter
au seuil des premiers principes rationnels. Le probable sert de point de
départ à l’enquête scientifique dans la mesure où, si toutes choses étaient
égales, la connaissance serait impossible puisque nous n’aurions aucune
prise sur le réel. Il faut donc distinguer des degrés dans l’appréhension
d’un objet, mais ce probable s’efface une fois découverts les principes
certains qui servent de fondement à notre savoir :

Mais il n’est pas permis de douter des choses qui résultent de ces
principes, aussi longtemps qu’il est manifeste qu’elles sont déduites
logiquement ; car les sujets discutables doivent être débattus jusqu’à
ce que leur accord avec un principe ou une conclusion soit évident. Il
n’est pas inutile de douter des choses particulières ; et à ce propos les
académiciens ont introduit le débat sur les probabilités en attendant
de trouver la vérité34.

On voit donc combien le scepticisme de Jean de Salisbury est local.


Si un doute universel est absurde, il est sans doute légitime de douter de
certains objets particuliers. Ce scepticisme local introduit ainsi le probable
comme un moment de l’enquête : il permet l’approximation de la vérité
qui fournit une impulsion à nos recherches scientifiques.
Le scepticisme est donc régulé, et limité aux choses qui ne nous
apparaissent pas clairement. Se dessine ainsi le portrait d’un sceptique
modéré qui utilise le probable pour palier les difficultés de parvenir au
50 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

vrai. Il s’agit de rabaisser les prétentions de la raison, tout en défendant


à la fois un socle d’évidences, et l’utilité du probable. Le scepticisme a
ainsi, d’abord, une valeur pratique : c’est une règle de modestie. Mais
il se double en même temps de l’affirmation de la possibilité du vrai, et
de la reconnaissance d’un certain nombre de méthodes permettant de
s’en approcher.
Dans cette perspective, Jean de Salisbury s’efforce de dresser une
sorte de typologie des attitudes sceptiques afin de discriminer celles qui
sont recevables de celles qui détournent le scepticisme de son but. Ainsi,
son œuvre est traversée par la distinction entre les faux sceptiques, les
mauvais sceptiques, et les bons sceptiques. La première distinction n’est
qu’implicite. On peut identifier au moins deux types de faux sceptiques : le
premier type de faux sceptique est exemplifié par les sophistes, le second
par Ponce Pilate. Ces deux types de faux sceptiques se caractérisent par
le fait qu’ils ne cherchent pas véritablement la vérité et la sagesse. Chez
eux, au contraire, le scepticisme, c’est-à-dire la mise en doute de nos
connaissances et l’examen critique de chaque chose en vue de chercher la
vérité, relève davantage de la posture. Les premiers se contentent d’une
apparence de sagesse et détournent les outils du sceptique (la dialectique)
de sa finalité d’investigation. Le second type de faux sceptique pose la
question de la vérité, mais sans chercher véritablement à la résoudre,
même quand la solution s’offre ouvertement à eux. C’est le cas de Ponce
Pilate qui, en présence de la Vérité même, demande ce qu’est la vérité35.
Semblable au courant le plus extrême de la Nouvelle Académie, non
seulement il ne sait rien, mais ne veut rien savoir. Ce qui fait défaut à ces
faux sceptiques, ce sont quelques-unes des vertus essentielles que Jean
trouve dans le scepticisme authentique : humilité et modération.
Néanmoins, parmi les vrais sceptiques, il faut encore distinguer les
mauvais des bons sceptiques, ceux dont le doute est réellement fécond.
De fait, même si l’on s’en tient au scepticisme historique, celui de la
Nouvelle Académie, Jean distingue explicitement trois formes, dont une
seule lui semble légitime, les deux autres péchant par excès :

Or, l’académicien fluctue et n’ose pas déterminer ce qui est vrai


parmi les singuliers. Mais cette secte se divise en trois. Il en est
Les principes du scepticisme 51

qui prétendent ne rien savoir du tout, et en raison de leur excessive


prudence ils ne méritent pas le nom de philosophe. Il en est d’autres
qui prétendent ne connaître que les seules choses qui sont nécessaires
et connues par soi, c’est-à-dire qui ne peuvent pas ne pas être connues.
Le troisième degré est celui des nôtres, qui ne précipitent pas les
jugements sur les choses qui sont douteuses au sage36.

Certains sceptiques estiment que l’on ne peut rien savoir. C’est ce


scepticisme extrême que rejette déjà saint Augustin. Jean de Salisbury
y voit pour sa part la marque d’une prudence excessive et injustifiée,
puisque selon lui, on l’a vu, il y a des connaissances évidentes, dont on
ne peut douter. Surtout, il reprend l’accusation ad hominem déjà vue à
plusieurs reprises : l’absurdité de leur attitude devrait conduire à leur
refuser le titre de philosophe. Jean s’accorde avec Augustin pour exclure
du champ de la philosophie quiconque prétend que la connaissance est
absolument impossible. Ce type de scepticisme est exemplifié par Arcésilas.
Celui-ci est caractérisé, dans l’Entheticus, par une angoisse proprement
existentielle, mais surtout par son incapacité à faire preuve de ce qui
pour Jean est la vertu cardinale du sceptique, à savoir la modération, et
par une absence de méthode dans le doute et l’examen des choses37. On
entrevoit ici, subrepticement, l’importance pour Jean de Salisbury, de la
notion de méthode, et en particulier de la méthode logique comme organon
de toute recherche de la vérité. Cependant, cet attrait pour la logique et
les mathématiques peut conduire à une deuxième forme d’excès dont
il faut se garder, à savoir un scepticisme que l’on pourrait qualifier, par
oxymore, de dogmatique. Dans ce cas, le scepticisme apparaît comme
un platonisme extrême qui n’accepte dans le domaine du savoir que
les connaissances évidentes parce que nécessaires et connues par soi,
c’est-à-dire les vérités mathématiques avant tout38. Ce deuxième type de
scepticisme se distingue du précédent dans la mesure où il reconnaît la
valeur des premiers principes, et limite d’une certaine façon l’extension du
doute. Cette vision du scepticisme est, à l’évidence, tributaire de l’appel,
chez Augustin, au modèle mathématique comme critère de certitude, et
en même temps de l’idée d’une double académie, restée platonicienne
en son fond39.
52 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Pourtant, c’est à une autre forme de scepticisme que prétend


adhérer Jean de Salisbury. Ceux qui souscrivent à ce scepticisme
se caractérisent par leur modestie, c’est-à-dire le refus de précipiter
leur jugement sur les choses qui ne sont pas évidentes ou connues
par soi. Ce scepticisme s’accompagne nécessairement d’une forme
de probabilisme, et c’est ce qui le distingue du deuxième type de
scepticisme. Le doute n’est ici qu’un moyen provisoire, un outil contre
la témérité. Il est remarquable, cependant, que Jean se soit efforcé
par ailleurs de rattacher cette forme modérée de scepticisme, qu’il
fait sienne, à l’ancienne Académie. Encore une fois, sous l’influence
d’Augustin, l’enjeu est de montrer que le véritable scepticisme conduit
au platonisme 40. Jean de Salisbury prend comme exemple de ce
scepticisme modéré, outre Cicéron, deux philosophes platoniciens,
Héraclide du Pont et Antisthène. Il est difficile de dire d’où vient
la documentation à leur sujet, d’autant que l’allusion est assez peu
développée dans le cas du premier, tandis que le second se voit
attribuer une forme de scepticisme chrétien41 :

Un académicien plus savant, Antisthène, soutient


Que seul Dieu sait tout, et le prouve par la raison.
Il déclare aussi que les êtres supérieurs savent beaucoup, mais que tous
Ne savent pas tout ; quant aux mortels, il estime qu’ils savent bien peu.
Il hésite en tout, excepté ce qui est prouvé par une raison
Vivante, en laquelle il est stupide de ne pas avoir confiance.
Est en effet vivante la raison qui s’ouvre à ce qui est connu par soi,
Et qui s’habitue à être présente à ces choses.
De cela, il déclare en avoir un savoir. Il renonce, en doutant, au reste
Où la plus grande confiance provient de l’habitude.
Car le cours habituel des choses rend probable
Ce que tu vois toujours selon un schéma similaire.
Mais puisqu’il arrive parfois que les choses soient autrement,
Elles ne sont pas suffisamment certaines, sans être hors de confiance.
Donc, ce qu’il affirme être vrai, il estime que c’est nécessaire,
Pour le reste il dit : « je crois », ou « je pense que c’est le cas »42.
Les principes du scepticisme 53

Ce type de scepticisme repose sur une hiérarchie des sujets connaissants.


Au plus haut niveau se situe Dieu qui seul est omniscient. La valeur de
la connaissance décroît ensuite chez les êtres supérieurs, c’est-à-dire
les âmes séparées des corps, jusqu’au niveau des hommes mortels qui
ne peuvent prétendre à une large connaissance des choses. C’est donc
l’ignorance des mortels, due à une incapacité naturelle, qui à la fois
justifie et limite le scepticisme. Cette attitude est limitée à la vie incarnée
et ne porte pas sur les connaissances rationnelles accessibles dès cette
vie. En revanche, il légitime la mise à l’écart de nos opinions fondées
seulement sur l’habitude. Il est, en effet, indéniable que le cours de
la nature se caractérise par la répétition du même de façon constante.
Cependant, cette fréquence reste contingente et ne prémunit nullement
contre d’éventuelles exceptions. Cela ne signifie pas que l’on doive en
douter systématiquement, mais seulement que le degré de justification
n’est qu’une simple confiance, un faible degré d’assentiment susceptible
de révision. Cette forme de scepticisme réintroduit donc la croyance
au sein même du champ de la connaissance. C’est précisément ce que
défend Jean de Salisbury.

L’épistémologie faillibiliste de Jean de Salisbury

Le Metalogicon, qui contient la théorie de la connaissance de Jean de


Salisbury, permet de mettre en perspective cette conception modérée du
scepticisme43. Celle-ci apparaît comme relevant d’une forme de faillibilisme
et de probabilisme, liés à l’imperfection de nos modes cognitifs. Deux
aspects sont, en effet, à considérer : d’une part l’origine nécessairement
sensible de la connaissance, et les conséquences épistémiques qui en
découlent ; d’autre part, la possibilité d’utiliser la logique comme outil
permettant de rectifier nos connaissances.
54 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Genèse et nature de la connaissance


La théorie de la connaissance de Jean de Salisbury s’inscrit dans
le contexte de la redécouverte, encore partielle et limitée, du corpus
aristotélicien, et notamment de l’Organon, redécouverte médiatisée par
la gnoséologie platonicienne du Timée, et par certaines positions de
Boèce44. Dans une large mesure, le scepticisme modéré de Jean peut
être compris comme une réaction au modèle de scientificité développé
dans les Analytiques. Celui-ci lui semblant trop exigeant, il en limite
le champ d’application aux mathématiques. Jean de Salisbury semble
limiter la démonstration apodictique au seul rôle de vérification, et
réserve le contexte de découverte à la dialectique, qui fait appel au
vraisemblable. L’enjeu est donc de proposer un modèle alternatif à la
démonstration universelle et nécessaire, qui permette de prendre en
compte nos connaissances sensibles et contingentes. À cette occasion, il
met en œuvre un examen du processus de connaissance sous un double
point de vue, à la fois logique et génétique, afin de déterminer sous
quelles conditions il est possible de passer d’une sensation instable à
un savoir certain.
Le point de vue génétique vise avant tout à montrer comment un concept
universel est connu par induction sur le singulier et par abstraction45.
Toute connaissance commence par la sensation puis, grâce à la mémoire,
des constantes sont mises au jour parmi plusieurs sensations. La synthèse
des sensations ainsi obtenue est appelée expérience, et sert de matériau à
la science :

De là, il est patent que la sensation donne naissance à l’imagination,


et ces deux facultés à l’opinion, l’opinion à la prudence, qui se renforce
jusqu’au savoir. Ainsi, la science tire son origine de la sensation. Ou,
comme on l’a dit, plusieurs sensations, ou parfois une seule, donnent
lieu à un ou plusieurs souvenirs, et ces derniers à une ou plusieurs
expériences, celles-ci à une règle, et cette dernière à un art qui fournit
une capacité scientifique46.
Les principes du scepticisme 55

Ce schéma fortement empiriste défend une origine inductive des


principes et accorde, de ce fait, une place fondamentale à l’induction.
Le modèle mis en œuvre ici est, à l’évidence, fortement influencé par le
chapitre 19 du livre II des Seconds Analytiques d’Aristote47. Mais dans
la mesure où la psychologie aristotélicienne lui est inconnue, Jean de
Salisbury est conduit à s’écarter de son modèle par plusieurs aspects.
En premier lieu, si la sensation est une passio animae, une impression
psychique qui met en jeu la réceptivité des sens corporels, elle est déjà
en partie active, et met en œuvre une capacité à discriminer les choses,
et même à prononcer un premier jugement singulier de la forme « ceci
est x ». Ce faisant, néanmoins, le jugement de la sensation ne porte sur
rien d’autre que les qualités secondes, auxquelles, seules, elle a accès48.
Il s’agit ici, explicitement, de concilier Aristote et Calcidius afin de
défendre l’origine involontaire de la sensation qui suppose une impulsion
extérieure, tout en la rattachant aux pouvoirs de l’âme :

Selon Calcidius, la sensation est l’état du corps affecté par quelque


chose d’extérieur et qui produit une impression sur le corps jusqu’à
parvenir à l’âme. À moins que l’état du corps ne reçoive quelque
impulsion violente, l’impression n’atteint jamais l’âme ni ne tombe
sous la forme des sens. Aristote soutient que la sensation est un pouvoir
de l’âme, plutôt qu’un simple état du corps, il admet que, pour que
cette force puisse former un jugement sur les choses, elle doit être
excitée par des états corporels49.

Deux autres facultés s’exercent de façon concomitante à la sensation et au


donné sensible, la mémoire et l’imagination. La mémoire n’est qu’une faculté
de rétention d’images et de rappel, mais l’imagination a déjà une capacité
créatrice qui permet de dépasser le seul donné sensible. Avec l’imagination,
on passe du percept à la représentation (exemplum). Elle permet de former
un second jugement d’attribution qui porte cette fois sur des percepts absents
(parce que passés, présentement insensibles, ou futurs) :

Et tandis que l’âme perçoit la chose, les images des choses se


déposent en elle, et dans le processus de rétention et de rappel se
56 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

forme le trésor de la mémoire. Tandis qu’elle analyse les images


des choses, naît l’imagination, qui va au-delà du simple rappel des
percepts, et façonne par sa propre activité créatrice des représentations
qui leur sont similaires50.

C’est donc bien à l’imagination qu’il revient de faire le pont entre


les expériences passées et les prévisions futures. On voit ainsi que toute
notre connaissance commence avec l’expérience, puisque sans donné
sensible, aucune faculté de l’âme, pour active qu’elle soit, ne peut se
mettre en mouvement, faute de matériau à travailler. En revanche, une
fois donné un point de départ sensible, l’âme met en œuvre une double
puissance, identique par nature, mais différente par sa fonction, puissance
de conservation (la mémoire) et puissance de création (l’imagination).
Cette dimension créatrice de l’imagination explique son ambivalence
dans l’épistémologie salisburienne : à la fois condition de possibilité de
la connaissance intellectuelle, dans la mesure où elle permet de s’arracher
à l’immédiateté sensible, et source d’erreur puisqu’elle remplace l’objet
perçu par une simple similitude, une image labile.
C’est cette ambivalence de la perception, probablement héritée
davantage de sources platoniciennes qu’académiciennes, qui va expliquer
le soin que met Jean de Salisbury à distinguer les degrés de justification
dont est susceptible chaque niveau de connaissance. De fait, il réinvestit
le schéma classique au xiie siècle, hérité de Boèce, et que l’on retrouve
également dans la première partie du De intellectibus et dans les Glossae
super Peri Hermeneias d’Abélard : il y a une gradation des facultés, de la
sensation à l’imagination, puis à la raison et à l’intellect51. Un tel schéma
est largement repris et développé par Bernard de Chartres et Guillaume
de Conches dans leurs Glosae super Platonem, l’un et l’autre insistant sur
la faillibilité de la sensation et la nécessaire correction par la raison52.
À un premier niveau, donc, la connaissance commence par la sensation
qui est une puissance de l’âme excitée par un objet extérieur. Il y a trois
réquisits à la sensation : une âme consciente ; un pouvoir par lequel
sentir ; et un objet externe à sentir53. Dans la sensation, le contact avec
l’objet externe attire l’attention de l’âme sur la qualité ou la forme de cet
objet. Sur la base de cette impression sensible, on peut alors former un
Les principes du scepticisme 57

premier jugement sur l’objet. À un second niveau ensuite, les impressions


sensibles sont stockées dans la mémoire, et quand l’âme y fait appel,
l’imagination intervient soit en rappelant le premier jugement, soit en
formulant un second jugement si la chose n’est plus sensible. La part
active de la mémoire dans ce processus est donc assez faible : elle a, au
mieux, une fonction de rappel, mais elle ne semble pas à proprement
parler un mouvement de l’âme54.
Cependant, ce qui intéresse Jean de Salisbury, c’est avant tout le degré
de fiabilité que l’on peut accorder à ces connaissances empiriques. Le
terme générique qu’il retient pour désigner les jugements de la sensation
et de l’imagination est celui d’opinion55. Si à cette opinion, qui est un
état de l’âme lié aux images des choses reçues dans l’âme, on applique
la définition de la vérité proposée dans De l’interprétation56, on peut
distinguer les opinions fiables qui sont une description adéquate de
la réalité, des opinions incertaines ou erronées qui décrivent la réalité
autrement qu’elle ne l’est effectivement. Mais précisément, il semble
que la sensation, qui est à la base de nos opinions, ne puisse pas être
absolument fiable :

Les jugements de la sensation et de l’imagination sont appelés


« opinion ». Et celle-ci est certaine si l’on juge que les choses sont
réellement comme elles sont, mais elles sont incertaines quand on
juge qu’elles sont autrement qu’elles ne sont en fait. Aristote soutient
que l’opinion est un état de l’âme en ce que, quand elle s’exerce,
des images des choses sont imprimées dans l’âme. Si une image est
imprimée à la place d’une autre, c’est une erreur par laquelle nous
nous trompons dans notre jugement, et on appelle trompeuse ou
fausse cette opinion57.

Le problème de l’erreur des sens selon Jean de Salisbury relève en


effet à la fois de la question de l’éducation des sens et de celle de sa
correction. De fait, il faut distinguer deux niveaux d’erreur, l’un au
niveau des choses, l’autre au niveau de nos jugements sur les choses.
De façon générale, une chose est vraie quand elle se présente à l’esprit
telle qu’elle est. La vérité à la fois de la chose et de notre opinion de la
58 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

chose dépend en premier lieu du modo percipiendi. De façon converse,


quand nous percevons une chose autrement qu’elle n’est, nous avons
une intellection vide58. Jean explique que, dans ce cas, les effets de la
chose ne sont pas perçus correctement par l’esprit. À un second niveau,
l’erreur est celle de nos discours sur nos sensations, c’est-à-dire de nos
jugements. Dans ce cas, les effets de la chose peuvent être corrects,
mais nous comprenons la chose autrement qu’elle n’est réellement,
et nous la signifions de façon inadéquate59. L’erreur se joue donc à un
double niveau : l’un strictement sensible sur lequel nous n’avons pas
prise (nous verrons toujours brisé le bâton plongé dans l’eau), l’autre
partiellement intellectuel et judicatif. À ce niveau, l’objet n’est plus
la seule cause d’erreur, mais les facultés y participent également. Or,
non seulement chez l’enfant la raison n’est pas assez développée pour
corriger les sens, mais chez l’adulte aussi, l’éducation de la sensation
peut s’avérer insuffisante. Tous les exemples habituels d’illusion sensible
témoignent de ce manque d’éducation60. Ainsi, dans la mesure où nos
opinions dépendent de la sensation, le scepticisme, entendu comme une
simple prudence, doit s’imposer. Cependant, ce scepticisme est tempéré
par la capacité de la raison humaine à corriger le donné sensible. Si la
sensation est, par elle-même, incapable de proposer un jugement ferme,
c’est-à-dire d’un haut degré de fiabilité, on peut y parvenir pourtant
grâce à une faculté pivot dans la gnoséologie de Jean de Salisbury, à
savoir la prudence.
Celle-ci renvoie explicitement à la philosophie de Cicéron, qui la définit
comme « la vertu de l’âme dont l’objet est la recherche, la perception et
l’utilisation perspicace de la vérité61 ». Cette vertu cognitive, qui rend
possible la perception de la vérité62, atteste de l’optimisme gnoséologique
modéré de Jean. Chaque homme possède, en effet, la capacité de corriger
les défauts des sens et d’accéder à la vérité. Cependant, en tant que vertu,
cette capacité doit être actualisée et entretenue par des actes. C’est la
prudence qui remplit la fonction de liaison entre les expériences et celle
d’élaboration inductive de nos connaissances scientifiques, la considération
des sensations passées et présentes, et l’anticipation des connaissances
futures, permettant d’obtenir une connaissance complète de l’objet. Face
aux connaissances incomplètes que sont la sensation et l’imagination, la
Les principes du scepticisme 59

prudence ajoute une dimension temporelle au processus de constitution


du savoir63. C’est donc, avant tout, ce travail de tri et d’analyse des
sensations qui donne naissance à la plus haute forme de connaissance
qu’est la scientia. Pourtant, à son niveau, la prudence semble soumise aux
mêmes limites que l’opinion puisqu’elle dépend, à la fois, de celle-ci et de
la sensation. Dans la mesure où toute connaissance humaine est viciée à
la base par la sensation, Jean de Salisbury semble conduit à interdire toute
connaissance certaine, en reprenant l’argument typiquement sceptique
du passage à la limite, tel que si je me trompe une fois, il est possible
que je me trompe toujours :

Et ainsi, en raison de la tromperie des sens et des opinions, [la


prudence] peut difficilement procéder avec une entière confiance dans la
recherche de la vérité, et peut difficilement être sûre de l’avoir comprise.
Elle réalise que, ayant été trompée, elle peut l’être à nouveau64.

Pour parvenir à un jugement ferme et indubitable, la prudence doit,


à son tour, faire appel à l’aide d’une autre faculté, à savoir la raison. La
distinction entre prudence et raison semble ici recouper celle entre une
faculté intuitive et une faculté discursive. La raison est en effet la capacité
à utiliser les arts du langage en vue de justifier les connaissances acquises
par l’expérience. De fait, dès l’Entheticus, Jean distinguait un triple mode
d’action de la raison. La première action, naturelle, de la raison est un
acte de synthèse des perceptions, appelé modus concretivus, le second
analyse (resolvit), décompose et abstrait ces concrets, formant des concepts
généraux, qui vont être rapportés (confert) les uns aux autres dans une
troisième action. De façon un peu rigide, dans ce texte de jeunesse, Jean
met en relation ces trois actions de la raison avec trois types de démarches
scientifiques, à savoir naturelle, mathématique et logique. La raison en
tant que naturelle ou concrétive saisit les singuliers qui sont analysés
par la vision mathématique ou résolutive, et mis en rapport par la raison
logique ou conlative65. Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir c’est ce
passage du contexte d’invention au contexte de justification, fondé sur
la logique, qui permet d’écarter réellement le scepticisme. On le voit,
Jean fait preuve d’un certain optimisme gnoséologique, lié au fait que
60 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

prudence et science sont des vertus, c’est-à-dire des dispositions ou


habitus fortement enracinés dans l’âme :

Mais le savoir de la créature relève d’une situation largement


disparate [à celle du savoir divin]. En effet, ce n’est pas une même
chose pour l’esprit et l’âme que d’être et d’être savant, puisque l’âme,
ayant été affermie par le premier mouvement de l’affection, est
disposée à la connaissance des choses, et si celle-ci a été enracinée
en l’âme au point qu’elle ne peut être du tout arrachée, ou du moins
qu’elle ne peut l’être sans blesser sa nature, cette connaissance informe
l’âme par sa disposition et la rend savante. Cette disposition est donc
appelée, de façon très correcte, savoir 66.

En tant que vertu, ces capacités que sont la prudence et la science


doivent être actualisées et entretenues par des actes. Cependant, et ce
sont les limites de cet optimisme, une telle capacité à faire usage à la
fois de la prudence et de la raison est le fait d’un petit nombre d’hommes
seulement. C’est, finalement, encore une fois, les déficiences cognitives de
la majorité des hommes qui justifient le scepticisme comme modération
du jugement.
Enfin, la gradation des facultés culmine avec la plus haute d’entre elles
qui est l’intuition intellectuelle (intellectus). En raison de la pluralité des
sources (Platon, Cicéron, Augustin, Boèce et Abélard) que Jean synthétise
pour élaborer sa propre théorie, le terme « intellectus » semble l’objet d’un
usage légèrement équivoque. De façon générale, l’intellectus se distingue
de la ratio comme la faculté intuitive de celle discursive67. Dans certains
cas, néanmoins, Jean va faire un usage plus large de la notion de raison
pour désigner l’œil de l’esprit, et il établit une analogie explicite entre ce
travail de la raison et la perception. Dans les chapitres du Metalogicon où
Jean compare la raison divine et celle humaine, le terme semble donc utilisé
de façon plus large, et recouvrir également l’intellectus ou l’intelligentia.
Mais, dans son sens le plus strict, l’intellectus est l’appréhension directe
des réalités intelligibles, et elle produit la sagesse qui couronne l’activité
spéculative humaine, tandis que la raison qui produit la science, reste
tournée vers le monde sensible et temporel68. Par là, c’est grâce à cette
Les principes du scepticisme 61

faculté d’intuition intellectuelle que l’esprit humain pénètre les causes


divines des choses :

C’est pourquoi l’intellect est la faculté la plus haute de la nature


spirituelle, laquelle, considérant les choses humaines et divines, se
trouve en possession des causes de toutes les natures, qui lui sont
naturellement perceptibles. En effet, il est des natures divines qui
dépassent toute sensation tant humaine qu’angélique, et d’autres
encore sont plus ou moins connues en fonction d’une décision de
la providence divine. Platon affirme que cette faculté n’appartient
qu’à Dieu et à de façon complète à un tout petit nombre d’hommes,
à savoir des élus69.

L’intuition intellectuelle peut appréhender certaines essences ou


natures (rationes) de façon strictement naturelle, tandis que d’autres
sont inaccessibles à l’esprit, y compris angélique (donc libéré de
la pesanteur corporelle), mais contemplées néanmoins par un petit
nombre d’élus auxquels Dieu permet la contemplation partielle de
son essence. En ce sens, et tout en se plaçant sous le patronage de
Platon (Timée, 51e), cité d’après Calcidius70, Jean retrouve la théorie
de l’intelligentia développée par Boèce et reprise, entre autres, par
Abélard. Chez ce dernier, l’intelligence vient certes couronner tout
le savoir humain, mais elle relève davantage du rapt extatique que du
processus naturel de connaissance, ce qui en fait l’apanage d’un petit
nombre d’hommes71. Si cette limitation est bien présente chez Jean
de Salisbury72, il s’efforce cependant d’ancrer cette faculté dans un
cadre naturel73. En effet, si la grâce est indispensable pour la mise
en œuvre de l’intellectus, cette faculté vient couronner le processus
qui commence avec la sensation et se poursuit avec l’imagination, la
prudence et la raison :

De ces remarques, il s’ensuit que, si quelqu’un considère les degrés


exposés auparavant, il verra la sagesse émaner du flot des sensations,
devancée et secourue par la grâce74.
62 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Après que la raison a achevé son travail discursif, l’intellectus vient


parfaire le travail spéculatif en appréhendant, sous une forme simple, ce
que la raison a approché de façon complexe et discursive.
Ainsi, on le voit, toute la théorie de la connaissance de Jean repose
fondamentalement sur l’induction, c’est-à-dire sur un processus de
comparaison et de synthèse des données sensibles, processus dans lequel
entrent en jeu, outre la sensation, l’imagination, la mémoire, la prudence,
la raison et l’intellect. Le point de départ de la connaissance se trouve, en
effet, dans la nature créée. La sensation, en tant que faculté de l’esprit,
sélectionne et examine ses objets en discriminant pour chacun d’eux ce qui
relève de sa matière, de sa forme et de ses différentes parties accidentelles.
Déjà à ce niveau, où la sensation, on l’a vu, produit un premier jugement,
Jean semble soutenir que l’intellect est implicitement, ou virtuellement,
présent, quoiqu’il ne soit actualisé qu’à la fin du processus cognitif, dans
l’appréhension de la nature même de la chose. Jean y insiste, donc, par-
delà la distinction des facultés, c’est bien l’âme dans son ensemble, en
tant qu’elle est reliée au corps, qui connaît :

En premier, donc, ils discutent des choses que la nature a créées,


et les examinent de multiples façons, tantôt ils cherchent comment
elles sont composées de leurs parties, tantôt comment elles sont
composées de matière et de forme. Afin de le faire facilement, ils
évaluent la force des sens et l’efficacité de l’intellect. Mais puisque
le caractère obtus des sens ne leur permet pas d’aller au-delà de
la nature corporelle des choses, graduellement, ils s’élèvent à des
considérations plus subtiles au moyen d’autres instruments. En effet,
la vue examine seulement les couleurs, les quantités et les formes
dans un seul corps et en tant qu’il est présent ; seul le son parvient à
l’ouïe ; la faculté de sentir se tourne toute entière vers les odeurs ; ce
qui est dur […] le toucher le perçoit75.

Néanmoins, en faisant la synthèse du donné sensible, l’âme a aussi la


faculté de s’affranchir partiellement du corps. À un second niveau, donc,
en l’absence de données sensibles, c’est à l’imagination qu’il revient de
convoquer de nouveau les similitudes des objets déjà perçus, et de les
Les principes du scepticisme 63

recomposer avec plus ou moins de fidélité en fonction de la familiarité


qu’elle entretient avec ces similitudes :

Mais si tu t’enquiers des propriétés possibles d’un corps absent,


l’imagination pourra te les présenter en les tirant par similitude de
ce que les sens ont reconnu, laquelle imagination sera d’autant plus
fiable que la ressemblance aura été mieux exprimée76.

À partir de ce double niveau, de la sensation et de l’imagination,


l’intellect peut se tourner vers ce qui est incorporel. La faculté de
l’intellect est double, à la fois intuition et composition. En premier lieu,
l’intellect peut saisir, au-delà du donné sensible, la chose singulière
en tant que telle, c’est-à-dire la substance. En second lieu, il peut, en
faisant la synthèse de plusieurs percepts, composer les ressemblances
substantielles et faire abstraction des différences afin d’élaborer des
concepts nouveaux, inaccessibles tant à la perception sensible qu’à
l’intuition intellectuelle :

Mais si tu te tournes vers les incorporels, c’est le travail de la


raison et de l’intellect, puisque sans l’intelligence il n’est pas possible
de les appréhender et sans la raison, on ne peut porter à leur propos
un jugement vrai. C’est pourquoi, l’intellect, quand toutes les autres
facultés ont échoué, met en marche ses propres forces et, situé pour
ainsi dire dans la citadelle de l’âme, embrasse tous les degrés inférieurs,
puisque les degrés supérieurs ne peuvent pas être compris par les
degrés inférieurs. Et tantôt il intuitionne les choses en tant qu’elles
existent, tantôt autrement qu’elles ne sont, tantôt absolument, tantôt
de façon composée, tantôt elle rassemble ce qui est disjoint, et tantôt
elle sépare et disjoint le conjoint77.

À un dernier niveau, enfin, la raison, en tant que faculté discursive


intervient pour fixer sous forme de définition ce qui a été appréhendé
par l’intellect78.
Cette petite phénoménologie de la connaissance, en décrivant
l’élaboration progressive de nos concepts à partir de la sensation et jusqu’à
64 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

la raison, souligne bien que, fondamentalement, pour Jean de Salisbury,


toute connaissance est une connaissance par approximation. Le travail
d’analyse et de synthèse, mené à chaque niveau par différentes facultés,
a pour fonction de circonscrire précisément l’objet de la connaissance,
en le situant, par ses différences et ses points communs, par rapport
à ce qui est déjà connu. Jean, à la suite de Boèce, appelle ce type de
démarche inspectio predicamentalis, puisqu’elle suit peu ou prou l’ordre
des catégories :

Or, l’examen catégorial est aussi généralement la voie de l’activité


philosophique. À propos d’une chose quelconque considérée, on porte
son attention sur ce qu’elle est, et sur les propriétés par lesquelles
elle diffère des autres choses et sur la façon dont elle se conforme
à d’autres. Ensuite, on examine s’il y a quelque chose qui lui soit
contraire, et si elle est susceptible des contraires. Une fois que l’on a
acquis une connaissance de ces aspects, la chose circonscrite de façon
plus familière passe dans le domaine de la connaissance79.

L’application des catégories, telles qu’énoncées par Aristote, permet un


premier travail de discrimination, en identifiant l’essence de la chose, ainsi
que ses propriétés et son caractère éventuel de substance (« susceptible des
contraires »). C’est principalement l’examen des propriétés (accidentelles
ou non) qui permet de discriminer l’objet d’étude en le comparant à d’autres
objets déjà connus, soit pour les distinguer, soit pour les rapprocher. Au
terme de ce travail d’examen catégorial, semblable par bien des aspects
au processus d’analyse et de synthèse décrit ailleurs, on peut parvenir
à classer avec plus de précision la chose examinée au sein de ce qui
constitue l’ensemble de nos connaissances. Cette « voie philosophique »,
largement fondée sur les instruments logiques que fournit la raison, a ainsi
pour but de nous donner accès à des connaissances plus familières par
extension progressive du cercle de nos connaissances. En introduisant la
notion de « familiarité », ici, Jean souligne bien que, dans ce processus
d’extension des concepts possibles, permettant de subsumer une chose,
le but est de préserver toujours un minimum de fiabilité. Le processus de
découverte doit toujours être contrôlé par un processus de justification.
Les principes du scepticisme 65

C’est là, sans doute, que se situe le principal enjeu de l’épistémologie


sceptique de Jean de Salisbury.

Probabilité et degrés d’assentiment : les formes de justification


On voit pour quelles raisons Jean de Salisbury adhère à une forme de
probabilisme. Il lui est, en effet, indispensable de défendre différentes
formes de justification afin de légitimer les degrés de connaissance. Dans
cette perspective, commandée par son scepticisme, l’opposition exposée
dans le second livre du Metalogicon entre une logique probable et une
logique démonstrative prend tout son sens :

La logique démonstrative se consolide grâce aux principes des


diverses disciplines et permet d’en déduire des conclusions. Elle
procure la nécessité. Elle bénéficie ainsi de la majesté philosophique
de ceux qui enseignent la vérité, majesté qui est le résultat de sa propre
capacité à convaincre et qui est indépendante de l’assentiment des
auditeurs. La logique probable s’occupe des propositions qui, pour
tous les hommes ou plusieurs d’entre eux, ou au moins pour les sages,
semblent valides. Elle traite des propositions qui sont les mieux
connues ou les plus probables, ou de leurs conséquences. La logique
probable inclut la rhétorique et la dialectique. Car le dialecticien et le
rhéteur cherchent à persuader un adversaire ou un juge, et ne sont pas
vraiment concernés par la vérité ou la fausseté de leurs arguments, mais
seulement par leur ressemblance au vrai. Quant à la sophistique, qui
est une apparence de sagesse plutôt qu’une vraie sagesse, elle porte
seulement un déguisement de probabilité ou de nécessité. Elle ne se
soucie pas des faits, son seul objectif est de perdre son adversaire
dans un brouillard de tromperies80.

La logique démonstrative est l’outil principal des sciences dans


la mesure où elle permet de faire des inférences nécessaires à partir
des principes. Mais surtout, elle doit s’imposer au sceptique lui-
même puisqu’elle est indépendante de l’assentiment des auditeurs.
Le problème de la suspension de l’assentiment ne se pose pas, car
66 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

cette logique entraîne immédiatement et absolument l’adhésion. À


l’inverse, et l’influence d’Abélard est à ce sujet indéniable, la logique
probable est une logique de l’assentiment dans la mesure où l’on doit
se montrer attentif aux attentes de l’auditeur à convaincre 81. Celle-ci,
qui regroupe la rhétorique et la dialectique, c’est-à-dire une logique
juridique et une logique cognitive, s’appuie sur la définition du
probable proposée par Aristote, à savoir ce qui est admis par le plus
grand nombre ou par les plus sages82. Dans ce contexte, ce n’est pas
tant la vérité qui importe que le vraisemblable, ce qui est susceptible
de convaincre le juge ou l’adversaire de la dispute. La théorie du
probable est fortement liée à une théorie de l’assentiment, à ce que
l’auditeur est prêt à accepter. Cependant, et c’est ce qui distingue la
logique probable de la sophistique, cette recherche du vraisemblable
ne dispense en rien d’un souci des faits ni d’un désir de vérité. Cette
double exigence de vraisemblance et de conformité aux faits conduit
Jean de Salisbury à faire de la logique probable l’instrument privilégié
de la recherche de la vérité.
De fait, la distinction des différents types de logique recoupe la
distinction de degrés de rationalité et de justification. Le plus haut
niveau est celui de la logique démonstrative qui propose des arguments
nécessairement vrais. À l’inverse, la logique probable qui vise à convaincre
inclut également des arguments incomplets, susceptibles d’être trompeurs
ou viciés. Cependant, à ce niveau une distinction s’impose encore entre le
jugement (sententia) et l’opinion. Le jugement produit une forte confiance
qui, pratiquement, exclut l’erreur et autorise une approximation fiable
de la vérité. En revanche l’opinion apparaît comme une croyance mal
justifiée :

Nous parlons de « raison nécessaire » ou de « raison vraie » pour


la distinguer de la raison qui peut être viciée par accident ou par
tromperie. Ce dernier type de raison inclut tout ce qui est avancé ou
proposé afin de gagner l’approbation de l’opinion ou pour corroborer
un jugement. La différence entre l’opinion et le jugement est que
l’opinion se trompe fréquemment, tandis que le jugement approche
toujours la vérité83.
Les principes du scepticisme 67

Jean de Salisbury distingue donc des degrés de justification qui


déterminent un assentiment plus ou moins ferme en fonction de la proximité
avec le vrai à laquelle les jugements peuvent prétendre. La logique
démonstrative qui recouvre la théorie du syllogisme présentée dans les
Premiers analytiques, apportant des arguments nécessaires, garantit la
vérité de ce qui est démontré. En revanche, les autres formes d’argument
ne fournissent que des approximations fiables de la vérité (sententia),
voire des croyances mal justifiées (opinio). Mais précisément, pour Jean
de Salisbury, ce sont ces types de justification que nous sommes le plus
souvent amenés à rencontrer et qui sont les plus utiles dans un contexte
de découverte.
Le jugement (sententia) qui produit une forte confiance (fides) dépend
de la logique probable. La dialectique est, en effet, par excellence, l’outil
de l’enquête scientifique. L’importance accordée au probable est justifiée
à la fois par la structure du réel et les limites de nos facultés. De fait, la
logique démonstrative suppose de notre part une capacité à juger avec
précision quels événements sont nécessaires. Mais précisément, une telle
appréhension complète des lois de la nature est, pour nous, impossible
et réservée à Dieu seul. Il est trop difficile de notre seul point de vue de
distinguer ce qui se produit souvent de ce qui se produit toujours :

La logique démonstrative cependant cherche les méthodes


nécessaires et les arguments qui établissent l’inhérence des choses.
Seul ce qui ne peut pas être autrement est nécessaire. Puisque personne
ou presque ne peut comprendre les lois de la nature, et puisque Dieu
seul connaît le nombre des possibles, il est fréquent à la fois de
douter et de juger présomptueusement de ce qui est nécessaire. Car
qui a jamais su avec certitude où tracer la limite entre le possible et
l’impossible ?84

L’augmentation du savoir se fait par l’identification de relations


nouvelles entre les choses, c’est-à-dire par la mise en relation d’une
inhérence entre les termes qui les dénotent85. Mais identifier des relations
nécessaires entre les choses appartient à Dieu seul qui connaît les lois de la
nature qu’il a établies. Pour les hommes, ces relations sont le plus souvent
68 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

seulement probables puisqu’il n’est pas possible d’exclure absolument


l’éventualité d’un contre-exemple. C’est donc la reprise d’un thème du
scepticisme chrétien qui justifie le recours au probable dans l’étude de
la nature, dans la mesure où il permet de penser le contingent. De là,
nous sommes conduits à un scepticisme philosophique : la difficulté à
percevoir la vérité doit incliner à suivre les Académiciens. Il faut renoncer
à la certitude et à la nécessité dans le champ de la philosophie naturelle
puisque tout ce qui est corporel et muable, c’est-à-dire contingent, échappe
à la nécessité. Dès lors, il semble que la démonstration n’est possible
que dans le domaine des mathématiques86.
Jean de Salisbury définit le probable par un double critère, subjectif
et objectif. D’un côté, est probable ce qui est manifeste pour ceux qui
ont la capacité de juger correctement, c’est-à-dire qui sont aptes à mettre
en œuvre la prudence, quand bien même leur considération des choses
resterait superficielle. Cette dimension subjective de la probabilité est
limitée en amont et en aval :

Une proposition est probable si elle est apparente à ceux qui


savent juger, même en fonction d’une considération superficielle, et
si elle se produit chaque fois dans la même situation, ou du moins
si elle est autrement seulement dans des cas exceptionnels ou en de
rares occasions. Une chose qui est toujours ou habituellement telle,
est probable ou du moins semble probable. Et sa probabilité s’accroît
à proportion qu’elle est plus facilement ou plus sûrement connue
par celui qui sait juger. Il y a certaines choses dont la probabilité
est si clairement apparente qu’elles doivent être considérées comme
nécessaires ; tandis que d’autres nous sont si inhabituelles que nous
hésiterions à les inclure dans la liste des probabilités87.

La limite inférieure du probable interdit de considérer comme probable


ce qui est rejeté par tous, dans la mesure où le consensus est une marque
du probable. Puisque la fréquence fonde le probable, la multiplication
des témoignages convergents offre un analogue de cette fréquence. La
limite supérieure est déterminée par ce qui est évident par soi. Une telle
évidence n’a pas à être discutée dans la mesure où il ne faut pas chercher
Les principes du scepticisme 69

une justification à toute chose. L’objet du probable est donc d’abord ce


qui est admis par le plus grand nombre, sans pour autant être nécessaire.
D’un autre côté, il faut aussi que l’événement soit caractérisé par une
certaine fréquence, de telle sorte que les exceptions restent limitées. Le
probable est donc ce qui est apte à produire une habitude. Dès lors, à
mesure que cette habitude s’accroît, la probabilité de la proposition qui
lui est liée se renforce : on est, en effet, en mesure de la saisir et d’y
adhérer plus facilement. Cette variation de la probabilité, cette capacité
à s’accroître, atteste de la dimension temporelle de la découverte de la
vérité. Il y a ainsi un cheminement de la connaissance, en fonction de son
degré de justification, c’est-à-dire de probabilité, depuis l’opinion faible
jusqu’à la certitude, en passant par les étapes intermédiaires de l’opinion
forte et de la confiance. Le plus haut degré de probabilité possible est
celui de la quasi-nécessité, tandis que le plus bas degré est marqué par le
caractère exceptionnel et inhabituel de l’événement considéré. Pourtant,
si la croyance peut se renforcer, il n’en reste pas moins que subsiste une
différence de nature entre fides et scientia en raison même de l’objet sur
lequel chacune d’elles porte :

Si une opinion est faible, elle vacille à cause d’un jugement


incertain. Mais si elle est forte, elle peut croître au point d’être
transformée en confiance et approcher le jugement certain. Si sa
force croît jusqu’au degré où l’on ne peut plus ou presque admettre
un accroissement ultérieur, même si elle est inférieure au savoir, elle
devient équivalente à celui-ci pour autant que la certitude de notre
jugement est concernée88.

Le renforcement de la probabilité peut nous conduire à une forme


de certitude en pratique équivalente à celle de la science, même si
théoriquement l’erreur reste possible. Cette quasi-certitude est le plus
haut degré de justification possible pour nos connaissances des événements
contingents, et elle apparaît comme suffisante pour une science de la
nature. Elle définit ainsi une opinion scientifique qui en raison de la nature
de son objet ne peut satisfaire aux critères aristotéliciens de la science
(tels que Jean les comprend), mais qui n’en présente pas moins des
70 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

justifications suffisantes pour exclure pratiquement tout risque d’erreur.


Jean de Salisbury prend l’exemple du cours du soleil. Quand nous ne
pouvons plus percevoir le soleil, rien ne peut nous garantir absolument
qu’il reviendra dans notre hémisphère. Cependant, notre connaissance
des phénomènes astronomiques, liée également à l’habitude de voir le
soleil se lever chaque jour, fonde la confiance que nous pouvons avoir
dans le retour du soleil. Cette connaissance inductive nous fournit donc
une croyance quasi-scientifique89. Dans une telle situation, la charge de la
preuve revient à l’adversaire, et c’est à lui d’avancer un contre-exemple.
Pour avoir un savoir au sens strict, en revanche, il est requis que l’objet
ne puisse pas être autrement qu’il n’est, et il est significatif que Jean
prenne toujours des exemples empruntés au quadrivium pour illustrer
ce type de savoir. Cette nécessité exclut toute exception possible. C’est
donc avant tout la nature de l’objet connu qui conduit Jean de Salisbury
à défendre une approche probabiliste de la science naturelle. Dans la
mesure où les phénomènes naturels ne sont que contingents, il est certes
possible de les connaître avec une certitude satisfaisante d’un point de vue
pratique, dans la mesure où tout contre-exemple semble exclu, mais ce ne
peut être une scientia, puisque cette dernière ne porte que sur des objets
nécessaires, où l’exception est impossible. La probabilité, en autorisant
une telle approximation de la vérité, permet donc de suppléer l’évidence
de la science quand celle-ci n’est pas possible, en fournissant une quasi-
certitude. Ainsi, seules les mathématiques, sciences des grandeurs et des
nombres90, qui fournissent une véritable certitude, puisqu’elles répondent
pleinement aux exigences de la logique démonstrative, semblent pouvoir
échapper au doute sceptique et à la requalification de toute science en
termes de croyance plus ou moins bien justifiée. Pourtant, Jean ne semble
pas avoir une réelle pratique de cette science91, qui joue simplement le
rôle théorique d’exemple de science humaine parfaitement certaine.
De fait, il confesse que le difficile accès aux Seconds analytiques est
précisément dû à cet oubli des mathématiques qui caractérise le monde
occidental au xiie siècle : seuls les confins de l’Afrique et certaines parties
de l’Espagne ont encore une réelle pratique de cette science92. Dès lors, la
référence aux mathématiques a pour principale fonction d’exemplifier le
hiatus entre le naturel et l’idéel, le contingent et le nécessaire93. C’est ce
Les principes du scepticisme 71

hiatus qui interdit une application systématique au domaine de la nature


des productions conceptuelles de l’esprit. Et cet interdit se retrouve au
fondement de l’approche du problème des universaux chez Jean, approche
qui cristallise plusieurs aspects nodaux de son scepticisme.

Pratiquer le scepticisme : l’exemple du problème des universaux

L’étude du processus cognitif a permis de souligner l’importance


de l’induction abstractive dans l’épistémologie sceptique de Jean de
Salisbury. En particulier, ce type d’induction constitue le principal
outil pour parvenir à élaborer des concepts universels aptes à subsumer
plusieurs singuliers. À première vue, donc, Jean semble défendre à
propos du problème des universaux, c’est-à-dire des concepts universels
(et au premier chef, des genres et des espèces), une position strictement
aristotélicienne. Plus encore, il va même jusqu’à soutenir que les idées ne
sont que des fictions. Pourtant, quand il emploie le terme « idée » (idea),
il le fait fréquemment dans un contexte platonicien, soit qu’il décrive en
historien de la philosophie le système de Platon ou les réponses réalistes
à la question des universaux, soit qu’il fasse référence à la théologie
augustinienne. Ainsi, l’idée apparaît comme synonyme d’universel et
d’archétype, équivalente aux formes, aux essences des choses, ou encore
aux rationes. Sont alors des idées, en particulier, l’espèce ou le genre,
c’est-à-dire les deux premiers prédicables de Porphyre. Ainsi, Jean semble
faire coexister d’un côté des idées entendues comme archétypes divins et de
l’autre des idées comprises comme de pures constructions intellectuelles.
Pour rendre compte de ce fait, C. S. Peirce avait proposé de qualifier la
position de Jean comme une sorte de « platonisme nominaliste94 ».
Si l’interprétation que propose Peirce est assez contestable (puisqu’il
rapproche Jean de Berkeley, et de la thèse selon laquelle la réalité consiste
tout entière dans les idées divines), sa formule semble en partie recevable.
Cette idée d’un « platonisme nominaliste », c’est-à-dire la coexistence de
l’idée archétype et de l’idée fiction est compréhensible à deux conditions :
d’une part, il faut prendre au sérieux la notion de fiction ; d’autre part, il
faut lire la théorie des idées de Jean dans un cadre sceptique. Or, Jean dit
72 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

explicitement que la question des universaux est de celles sur lesquelles on


peut légitimement se montrer sceptique, c’est-à-dire douter de toutes les
thèses proposées et suspendre son jugement jusqu’à déterminer une solution
assez probable pour être provisoirement recevable95. L’examen successif
des réponses nominalistes et réalistes au problème des universaux ressort
d’une argumentation de type sceptique par balancement des contraires.
Il s’agit de confronter les contraires pour faire émerger, dans la mesure
du possible, une position vraisemblable, c’est-à-dire rationnellement
défendable. C’est cette structure argumentative qui permet à la fois de
retrouver une application de l’épistémologie faillibiliste de Jean et de
déterminer ce que peut être une conception sceptique de l’idée ou de
l’universel.

L’idée comme archétype : le platonisme chrétien de Jean de Salisbury


Quand il présente, dans le livre VII du Policraticus ou dans l’Entheticus,
la philosophie de Platon, Jean ne tarit pas d’éloges sur celui qui est
présenté comme le prince des philosophes96. À ceci s’ajoute la reprise de
la thèse augustinienne de la concordance de certaines vérités de la foi et
du platonisme97. Plusieurs autorités, tant païennes (comme Sénèque) que
chrétiennes (comme Boèce), défendent l’existence des idées entendues
comme modèles des choses matérielles. C’est une thèse que Jean semble
faire sienne dans certaines limites.
De façon générale, Jean définit l’idée comme ratio, c’est-à-dire comme
structure intelligible du réel. En ce sens, les idées sont les véritables
entités puisqu’elles sont immuables (c’est-à-dire indépendantes de la
génération et de la corruption), éternelles et causes de toutes choses98. Le
vocabulaire de l’idée se décline en forma, ratio, entia, exemplar. L’idée est
dès lors pourvue d’une double fonction, ontologique et épistémologique :
l’idée a d’abord pour fonction de rendre compte de ce qui est. Elle est
ce qui permet de fixer le réel. Ensuite, par conséquent, d’un point de
vue épistémologique, elle est solidaire d’une théorie de l’illumination
et permet de connaître le réel.
D’un point de vue ontologique, en premier lieu, l’idée est le terme
générique pour les universaux que sont les espèces et les genres :
Les principes du scepticisme 73

Quant aux opinions de ceux qui soutiennent la réalité des universaux,


elles sont nombreuses et diverses. […]. Celui-là pose l’existence
des idées, rivalisant avec Platon et imitant Bernard de Chartres, et
dit que rien en dehors d’elles n’est un genre ou une espèce. L’idée
est, selon la définition de Sénèque, le modèle éternel des êtres que
produit la nature. Et puisque les universaux ne sont ni soumis à la
corruption ni altérés par les changements qui affectent les singuliers
et les font disparaître en quelque sorte à l’instant, les uns succédant
aux autres, il est approprié et conforme à la vérité d’appeler les idées
des universaux99.

De fait, le critère de démarcation entre le particulier et l’universel


consiste dans le rapport au changement : ce qui change est particulier,
tandis que ce qui est stable est universel. Dès lors, ce n’est que de
façon équivoque que les particuliers peuvent être dits « être ». Seul est,
véritablement, ce qui a des fondations stables et une nature immuable.
En même temps, cette immutabilité est partiellement communiquée aux
individus, qui acquièrent une forme de stabilité par leur participation à
une espèce ou un genre. Il faut donc soutenir que face à l’évanescence
des choses matérielles, qui peuvent à peine être nommées, les intelligibles
possèdent un être complet. Ainsi, il y a trois réalités authentiques : Dieu,
la matière créée par Dieu, et les idées100. Celles-ci sont les premières
essences après Dieu et ne sont pas mêlées de matière : ce sont les modèles
dont procèdent les formes natives, c’est-à-dire l’exemplaire en tant qu’il
est participé par la matière, et individué. L’idée est donc la substance
même des choses à travers le processus d’information par les formes
natives, et c’est à partir de ce lien à une forme (lesquelles formes sont
les véritables res) que les res au sens commun du terme peuvent acquérir
une réalité101. Exploitant une thèse déjà présente dans la question De ideis
de saint Augustin102, Jean conclut de ce rapport entre la chose sensible
et la forme idéelle que la structure nomique du monde est constituée par
la connexion des sensibles à leurs formes : chaque chose est déterminée
à agir par le genre auquel elle participe, via les formes natives, et les
lois du monde sont celles du rapport des idées entre elles et du rapport
entre les idées et les sensibles (la loi étant définie comme une série de
74 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

causes)103. Il faut donc soutenir, conformément à la fameuse autorité du


livre de la Sagesse (11, 21), selon laquelle Dieu a tout disposé en ordre,
poids et mesure, que les idées existent d’une part dans l’entendement
divin comme règles éternelles et immatérielles, et d’autre part, en tant
que formes natives, dans les individus matériels qui y participent :

Je ne crains pas d’affirmer la même chose à propos des genres


et des espèces, en disant malgré les protestations du monde, qu’ils
proviennent de Dieu ou ne sont que pur néant. Et Denys l’Aréopagite le
proclame avec moi : le nombre par lequel toutes choses se distinguent,
le poids par lequel elles sont établies, la mesure qui les délimite,
il dit qu’elles sont une image de Dieu, puisque Dieu est le nombre
sans nombre, le poids sans poids, la mesure sans mesure. En lui
seul toutes les choses qui ont été faites ont été créées en nombre,
poids et mesure104.

À partir de différentes sources antiques et contemporaines (le Timée,


Sénèque, mais aussi Bernard de Chartres et Gilbert de la Porrée), Jean
reconstruit une théorie réaliste de l’idée ordonnée autour du problème
de la contingence et de la fixité. La réalité de l’idée est d’abord requise
si l’on veut échapper à une forme stricte d’héraclitéisme, où le sensible
devient ineffable. La première fonction des idées est donc de fixer le
sensible. Cette fonction ontologique entraîne un certain nombre de
conséquences épistémologiques. En effet, une certaine théorie de la vérité
et de la connaissance est solidaire de ce réalisme des idées.
C’est une thèse commune à Platon et Aristote, selon Jean, que l’idée
du Bien est à la fois la cause de l’être et la source de toute vérité105.
Dans une perspective propre au platonisme chrétien (puisque, Jean y
insiste, cette théorie est attestée par les Écritures saintes), cette idée du
Bien est identifiée à Dieu, ce qui entraîne deux conséquences. D’une
part, et c’est une thèse que l’on trouve déjà chez Augustin, la lumière
de cette idée est trop forte pour que les mortels puissent la contempler
durablement106 ; d’autre part, et consécutivement, il faut que cette idée
se mette à la portée des hommes. C’est le rôle de l’illumination qui
permet à l’homme de se rendre capable de cette lumière107. C’est la
Les principes du scepticisme 75

lumière de la raison en tant que participation à la lumière incréée qui


distingue l’homme de l’animal. Néanmoins, Jean ne va pas plus loin,
et ne reprend pas explicitement la théorie du Maître intérieur : il se
contente de développer brièvement une forme d’innéisme des idées,
comme pendant des règles éternelles. Chacun, en effet, contient dans
son cœur un livre qui peut être ouvert par l’exercice de la raison et qui
contient les espèces de toutes les choses créées. Ainsi, le retour à soi
de la raison, la conversion de son regard vers elle-même, conversion
soutenue par la grâce, rend possible la reconnaissance du vrai, et plus
largement la pratique de la vertu108. Jean en reste donc à une thèse plus
générale que celle d’Augustin, qui fait de l’âme rationnelle l’image de
Dieu. Dès lors, l’illumination doit être interprétée en un sens faible de
restauration de cette image, davantage que comme participation active
de Dieu au processus de connaissance. Il y a néanmoins une conclusion
importante à tirer de cette reprise, même ponctuelle, de l’illumination :
Dieu est la vérité originelle, et toute vérité particulière n’est dite vérité
que dans la mesure où elle est une imitation de cette Vérité divine. Ainsi,
il y a des degrés de vérité en fonction de la proximité et du degré de
ressemblance des vérités particulières et de la Vérité originelle. Plus on
s’éloigne de Dieu, plus on s’approche de la fausseté et du néant. À ce
niveau, Jean reprend l’analogie entre perception sensible et perception
intellectuelle telle qu’on la trouve exprimée par Augustin : de même
que notre vision sensible est vraie et fiable quand elle est correctement
éclairée, de même notre vision intellectuelle est vraie quand elle se
tourne vers Dieu109.
Il apparaît donc finalement que Jean, quand il traite de l’idée, s’inspire
largement des positions augustiniennes. La théorie des idées est au
fondement de toute forme de réalisme des universaux, ceux-ci étant
compris dans la perspective de la science divine et de la création du monde.
Ainsi, les idées apparaissent véritablement comme des archétypes dans
leur double fonction, à savoir expliciter la structure ontologique de la
création et en rendre possible la connaissance. Pourtant, si Jean présente
à plusieurs reprises les positions réalistes en soulignant leur conformité
à la foi, il n’en émet pas moins un certain nombre de réserves quant à
leur pertinence philosophique.
76 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Quand il présente les positions réalistes dans le fameux chapitre 17 du


second livre du Metalogicon, Jean souligne que, pour généreuses qu’elles
soient, elles n’en semblent pas moins réserver la connaissance des idées
à un tout petit nombre, une élite parmi les philosophes et les saints, apte
à s’élever à un tel niveau de contemplation. En outre, en dépit des efforts
d’un Bernard de Chartres pour concilier Platon et Aristote, une telle
conception est incompatible avec ce qu’enseigne Aristote110. Or, il ne
fait pas de doute que la description des processus de connaissance chez
Aristote est bien mieux adaptée à la faiblesse de notre nature. Mais plus
encore : non seulement la contemplation des idées apparaît à bien des
égards surhumaine, mais en outre, les idées divines semblent nous être tout
à fait inconnaissables. Revenons brièvement sur ces deux obstacles.
Le Metalogicon s’achève, avec ses tout derniers chapitres, sur un
mélange de positions platoniciennes et néoplatoniciennes. Celles-ci
révèlent une forte influence de la théologie négative du Pseudo-Denys111,
alliée au scepticisme modéré que Jean érige en méthode. Suivant Augustin,
Jean soutient, en outre, que la majesté divine demeure en elle-même
inconnaissable. Nous pouvons, certes, en avoir une connaissance indirecte
par la connaissance de la création et avec l’aide de la grâce, mais Dieu
excède absolument notre compréhension de sorte que nous connaissons
seulement négativement ce que Dieu n’est pas, et non ce qu’il est112.
Plus précisément, on peut distinguer trois catégories d’inconnaissables :
les choses qui excèdent notre intellect en raison de leur dignité, celles
qui l’excèdent par leur grandeur ou leur nombre, celles enfin qui sont
muables et instables. On voit donc que, finalement, d’un point de vue
épistémologique, le sensible muable et l’intelligible immuable se révèlent
pour Jean pareillement insaisissables, et ce qui devait servir de fondement
à la connaissance du sensible apparaît désormais comme un point aveugle.
Il n’y a pas lieu de chercher à percer les mystères de la divinité, que ce
soit sa nature trine ou la constitution de son essence. L’homme qui peut
à peine prétendre expliquer le monde qui l’entoure ne peut, sans orgueil,
tourner son regard vers les idées divines. De fait, toute notre connaissance
provient de la sensation, qui demeure faillible et peu fiable.
C’est cette réinscription, dans un horizon chrétien, du scepticisme
antique qui explique les raisons pour lesquelles Jean juge, en dernier
Les principes du scepticisme 77

recours, impossible pour l’homme la contemplation promise par les


néo-platoniciens. Il lui faut donc préférer la position d’Aristote. Or,
celui-ci soutient que les idées séparées de Platon ne sont que des
monstres113. De fait, fondamentalement, l’erreur de Platon est de
confondre le niveau de l’existence et celui de la pensée. On peut
sans doute penser sous une forme séparée les universaux, mais ceci
n’entraîne en rien la position de leur existence comme séparée. Ce
refus du parallélisme logico-ontologique est donc solidaire du rejet de
la contemplation, et de la promotion de l’abstraction. Toute intuition
ne porte que sur le singulier, et de ce fait toute notre connaissance
commence par la sensation, qui fournira le matériau à la construction
des concepts universels :

Qui juge que les universaux existent va contre Aristote. Et il ne faut


pas craindre que soit vide l’intellection qui les aurait perçus séparés des
choses singulières pour la raison qu’ils ne peuvent exister séparés des
choses singulières. En effet, l’intellect tantôt intuitionne absolument
une chose, comme lorsqu’il intuitionne un homme ou une pierre en
eux-mêmes, et à cet égard il est simple ; tantôt il procède par degrés,
selon sa propre démarche, comme lorsqu’il considère attentivement
chez un homme le fait qu’il soit blanc, ou chez un cheval, le fait qu’il
court. Et ici, assurément, il est dit composé114.

En d’autres termes, pour Jean, les réalistes ont le tort de parler more
geometricum, c’est-à-dire de poser l’existence de formes abstraites,
comme on peut en trouver en mathématiques, alors même que les
mathématiques sont inadéquates pour rendre compte de la contingence
de notre monde115.
Nous savons, donc, indubitablement, par la foi, qu’il y a dans
l’entendement divin des idées qui déterminent la structure ontologique
de la réalité mais il est impossible pour nous de les connaître. En outre,
la raison nous prouve que les idées ne peuvent exister à l’état séparé.
Ainsi, l’ignorance de notre raison, éclairée par la foi, doit nous inciter,
prudemment, à adopter sur la question des idées un point de vue plus
proche de celui d’Aristote.
78 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Les idées abstraites : l’aristotélisme de Jean de Salisbury


Même s’il ne se dit pas nominaliste (il l’exclut par une boutade dans
l’une de ses lettres116), Jean de Salisbury parle avec déférence de son maître
Pierre Abélard, qu’il crédite d’une interprétation correcte d’Aristote. C’est
cette adhésion revendiquée à une certaine forme d’aristotélisme, c’est-à-
dire un Aristote quasiment nominaliste, qui va conduire Jean à développer
une forme d’abstractionnisme nominaliste pour rendre compte de l’idée
comme ce qui est construit par l’esprit. En même temps, encore une fois, et
toujours dans cette perspective sceptique d’un balancement pro et contra,
Jean souligne avec soin les limites épistémiques de l’abstraction.
Quand il propose une cartographie des positions antiréalistes sur la
question de l’universel, Jean exclut sans discussion la position vocaliste de
Roscelin comme irrecevable, mais présente avec une certaine sympathie
les positions d’Abélard et celles des notionistae. Ceux-ci sont rattachés
à Cicéron et Boèce, et à travers eux à Aristote, mais c’est sans doute
Clérambaud d’Arras qui est concerné, même si Jean ne le cite pas
nommément117. Ces différentes théories ont pour point commun de faire
de l’idée une construction de l’esprit à partir de nos expériences sensibles.
L’universel n’est donc qu’un concept qui est produit par abstraction à
partir de la comparaison et de l’identification des similitudes entre les
sensibles. Ces notions de ressemblance et de conformité sont à la base
du nominalisme présenté par Jean :

Ainsi afin d’atteindre la signification des termes, l’intellect conçoit


en les abstrayant les genres et les espèces, qu’il ne servirait à rien,
sinon à gaspiller sa peine, de chercher avec attention dans la nature des
choses séparées des sensibles. En effet, la nature n’a rien produit de tel.
Mais la raison les saisit en examinant attentivement la ressemblance
substantielle entre des choses différentes, et en définit, comme le dit
Boèce, le concept général qu’elle évalue d’après la conformité des
hommes entre eux, par exemple « animal rationnel mortel »118.

Cette conception de l’universel comme construction est très nettement


rattachée à la théorie de l’induction abstractive telle que la met en œuvre
Les principes du scepticisme 79

Aristote dans le second livre des Seconds analytiques119. Le point de vue


génétique mis en œuvre vise avant tout à montrer comment un concept
universel est connu par induction sur le singulier et par abstraction.
Comme on l’a vu, tout processus scientifique est une investigation sur
les choses de la nature qui sont composées de matière et de forme. Cette
dimension matérielle rend nécessaire le détour par la sensation. À partir
du matériau fourni par la sensation et la mémoire, l’imagination forme
une représentation, puis l’intellect qui, embrasse toutes les données des
facultés inférieures, s’élève à une connaissance d’ordre supérieur et dégage
la forme de la matière120. De fait, c’est l’intellect qui dispose véritablement
de ce pouvoir de composition et de division puisqu’il peut appréhender
la chose simpliciter, telle qu’elle est dans sa nature singulière, ou aliter,
c’est-à-dire différemment de ce qu’elle est, composée si elle est simple,
disjointe si elle est composée121. À partir de ce travail de l’intellect, la
raison va définir ce que l’intellect a conçu, et va relier similitudes et
dissimilitudes afin de déterminer des convenances (ce qui est commun
au plus grand nombre) et un status122. Ces différents modes d’intellection
vont alors, à leur tour, induire différents modes de signification qui
permettront de fixer la chose sensible au moyen d’un nom.
Il est donc clair, pour Jean de Salisbury, qu’il convient de distinguer
nettement d’une part la substance première concrète et singulière, qui
relève d’un acte d’intuition direct, quoique l’on n’en connaisse que les
effets (c’est-à-dire les qualités sensibles) ; et d’autre part la substance
seconde, qui est l’essence de la substance première, et qui n’a pas à
proprement parler d’existence, mais n’est qu’un concept forgé par l’esprit
au terme d’un processus abstractif. L’idée, en tant qu’essence universelle,
n’est pas présente dans les choses comme le pensait Platon, mais résulte
d’une composition des différences et des ressemblances individuelles.
Cette lecture radicalement nominaliste d’Aristote, qui est par bien des
aspects conforme à la gnoséologie de Jean, ne va pas cependant sans
soulever quelques difficultés.

En quelque sorte, l’abstraction possède les défauts de ses qualités :


adaptée à la fragilité de la connaissance humaine, et au détour nécessairement
empirique de nos connaissances, elle ne peut pas ne pas conduire à
80 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

soulever la question de sa fiabilité et de sa pertinence. En quelle mesure


pouvons-nous savoir que cette construction intellectuelle n’est pas un
concept vide ?
La première difficulté tient au scepticisme chrétien mis en œuvre par
Jean de Salisbury : la vérité est d’ordre divin, mais après la Chute, Dieu
s’est soustrait à nos regards. Nous ne sommes donc pas pleinement capables
du vrai, mais seulement du vraisemblable. Ceci explique l’impossibilité
pour nous d’une intuition de l’universel, et la nécessité de passer par
la reconstruction de l’abstraction. Ainsi, seule la raison première qui
comprend toutes choses a une connaissance infaillible des essences123.
Dieu seul perçoit l’universel, c’est-à-dire la structure ontique et nomique
du réel. Pour nous, la véritable nature des choses est cachée, soustraite à
notre raison, et nous ne pouvons que l’inférer à partir de nos perceptions
sensibles. Il nous est donc impossible de savoir si notre concept universel
est adéquat à la réalité que nous souhaitons décrire. En d’autres termes,
rien ne nous garantit l’objectivité de nos concepts.
Cette première difficulté est liée à une autre plus générale qui tient
au statut de l’intellection universelle. Jean souligne que l’intellection par
laquelle on considère une chose autrement qu’elle n’est est une intellection
vide (cassus)124. C’est l’adéquation de l’intellection et de son objet qui
garantit la véracité de nos pensées. Or, quand nous considérons la nature
humaine dans l’individu que nous percevons, nous ne considérons pas la
chose telle qu’elle est. Il semble donc que l’intellection des universaux
doive être vide si les universaux n’existent pas en tant que tels. Au mieux,
nos concepts universels relèvent de l’opinion, c’est-à-dire d’une croyance
insuffisamment justifiée. Les concepts universels, dans la mesure où ils ne
sont pas des concepts de chose, semblent devoir échapper à la question de
la vérité et de la fausseté. Ainsi, la construction intellectuelle de l’universel
ne permet pas de garantir son objectivité mais le soumet à un paramètre
variable, celui de la similitude externe des individus sensibles. Si l’universel
a pour fonction de fixer le sensible, il semble bien que cette fixation soit,
par bien des aspects, arbitraire, ou du moins soumise à la variabilité
et à la faillibilité du sensible. Quant à ceux qui veulent concevoir les
universaux more geometrico, ils ne comprennent pas que les mathématiques
ne s’appliquent pas à la connaissance du monde contingent.
Les principes du scepticisme 81

On voit donc que si Jean se réclame d’Aristote et de sa théorie de


l’abstraction, il n’en impose pas moins certaines limites motivées par
son scepticisme : le problème est celui de la fiabilité et de l’objectivité de
nos constructions intellectuelles. Il apparaît alors que, pour des raisons
différentes, la thèse opposée au platonisme n’est ni mieux ni moins
bien fondée. La structure argumentative de type sceptique, qui joue
sur le balancement des contraires, sur leur justification et leur critique
successives, permet à Jean de souligner que les universaux font partie de ces
sujets ouverts au doute, et sur lesquels le sage peut suspendre son jugement
le temps d’évaluer la probabilité des arguments en présence :

Mais il y a des sujets de doute à propos desquels le sage n’est persuadé


par l’autorité ni de la foi, ni des sens, ni des preuves rationnelles, et
qui du point de vue opposé sont appuyés par des arguments fermes.
Parmi ces questions se trouvent celles qui portent […] sur la substance
et la forme des mots, sur le statut des universaux125.

Ainsi, la question des universaux, et plus généralement du statut


des idées ne peut recevoir autre chose qu’une réponse probable. Il faut
donc reconnaître la dimension humaine de l’universel et son aspect
profondément faillible. Dès lors, la thèse de Jean va consister à travailler
la notion de fiction pour faire ressortir en quelle mesure nos idées peuvent
être utiles à la connaissance humaine, et dans quelles limites.

Vers une conception sceptique des idées


Le scepticisme modéré de Jean de Salisbury, inspiré par la Nouvelle
Académie, consiste à promouvoir le doute à propos des sujets dont les sages
disputent entre eux, et à rechercher des arguments suffisamment probables
pour emporter une adhésion au moins temporaire. Il y a néanmoins une
double limite à ce doute sceptique, qui le borde en amont et en aval,
à savoir les vérités de la foi, et les évidences rationnelles (comme les
vérités mathématiques). C’est dans ce contexte que l’on peut chercher
une solution au problème de l’idée, et plus généralement de l’universel.
Pour donner une définition sceptique de l’idée, il faut tenir compte, d’une
82 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

part, du fait qu’il y a des idées dans l’entendement divin, qui constituent la
structure ontologique du réel, même si nous ne pouvons pas les connaître
par la raison ; d’autre part, que toute notre connaissance doit s’appuyer
sur des perceptions sensibles, faillibles et révisables. C’est dans cette
perspective que l’on peut comprendre la thèse de Jean selon laquelle
l’idée n’est qu’une fiction.
Comme on l’a vu, Jean soutient que la nature des choses, au sens de
leur principe d’existence, correspond aux idées divines et reste pour nous
inconnaissable, quoique accessible par la foi. Néanmoins, nous pouvons
chercher à les reconstruire rationnellement, par des processus abstractifs.
L’efficace du langage, qui stabilise le réel, permet d’inférer une nature
à partir des qualités sensibles apparentes. Nous avons une connaissance
des espèces et des genres à partir de la forme de la substance, ou du
moins des effets de cette forme. Ainsi, je peux inférer du fait que Platon
et Socrate sont rationnels, et affectés par les choses sensibles, qu’ils
sont des hommes, et qu’ils possèdent l’humanité, de même que je peux
déduire des actes justes produits par Socrate qu’il participe de l’idée
de justice126. Mais dans la mesure où nous ne pouvons connaître avec
certitude l’adéquation entre cette nature inférée et l’idée divine, Jean
qualifie l’idée ou l’universel de fiction (figmentum) :

Ainsi, selon la théorie d’Aristote, les genres et les espèces ne sont


pas du tout conçus selon la quiddité mais selon une certaine qualité
essentielle, et ce sont comme des fictions de la raison par lesquelles
elle s’exerce dans l’enquête sur les choses, et élabore des théories plus
subtiles. Et ceci de façon plus fiable puisque chaque fois qu’il en est
besoin, elle produit dans les choses un modèle de ses réflexions. Le
droit civil aussi connaît au moyen de ses propres fictions, et n’importe
quelle discipline ne rougit pas de trouver par la réflexion celles par
lesquelles sa pratique connaît le succès. Au contraire, chacune se réjouit
des fictions qui lui sont propres. […] Or, les genres et les espèces ne
sont pas appelés modèles des choses singulières au sens où selon la
théorie platonicienne les formes sont les modèles qui, dans l’esprit
divin, sont formés de façon intelligible avant de se manifester dans
les corps matériels, mais parce que, si quelqu’un cherche un exemple
Les principes du scepticisme 83

quand il forme un concept commun à l’audition du nom « homme »,


ou quand il donne une définition de « homme » en disant que c’est
un animal rationnel mortel, aussitôt Platon ou un autre d’entre les
hommes singuliers se montre à son esprit, de sorte que la nature
commune du signifié ou du défini est affermie127.

Que faut-il entendre par « fiction128 » ? Quand il en parle, Jean semble


avoir en tête un double modèle : poétique et juridique. À une occasion,
au moins, Jean compare le travail de l’abstraction à celui du poète qui
compose et reconstitue les choses à partir d’éléments disparates129. Or,
pour Jean, qui suit en cela la théorie de l’integumentum de Bernard
Silvestre ou Guillaume de Conches, la poésie et le mythe sont porteurs
de vérité, à condition de savoir les interpréter130. La fiction poétique
recompose les choses afin de faire apparaître la réalité sous une autre
forme, et révéler un visage de la vérité jusque-là inconnu : construire une
représentation de l’homme général, à partir de ressemblances individuelles,
mais distinct de tout individu, est similaire à la construction poétique du
centaure à partir d’un corps de cheval et d’un buste d’homme, même si
la portée épistémique des deux constructions est différente. La fiction
en droit, quant à elle, relève davantage d’un processus d’idéalisation qui
permet de comprendre les principes généraux qui régissent le monde
des individus. Ainsi, la fiction de la personne juridique permet l’action
en justice d’un ensemble d’individus rassemblés dans une corporation
alors même que ces entités n’ont pas de réalité131. Ce que soulignent
ces deux modèles, c’est que la fiction permet de fixer temporairement
les choses en mettant en évidence certains aspects saillants. Mais plus
encore, la fiction permet de s’affranchir de la question du vrai et du faux
pour lui substituer celle de l’utile. De fait, Jean la compare à une stratégie
militaire qui permet de conduire son adversaire là où on le souhaite132.
C’est dans cette perspective que la fiction se révèle un instrument utile
pour l’enquête sur la réalité.
Le statut de l’idée comme fiction, et par là comme instrument d’enquête,
est lié de façon plus large au statut épistémique de l’induction chez Jean
de Salisbury et à l’importance accordée au probable. Celle-ci est justifiée,
comme on l’a vu, à la fois par la structure du réel et les limites de nos
84 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

facultés. Il faut renoncer à la certitude et à la nécessité dans le champ


de la philosophie naturelle. De fait, tout ce qui est corporel est muable,
c’est-à-dire contingent, et échappe à la nécessité et à l’universalité qui
requièrent la fixité. Il faut donc se contenter, dans notre examen de la
nature de ce qui est probable. De la même façon que la répétition d’un
événement fonde notre connaissance inductive de la nature et notre
capacité à prévoir partiellement certains phénomènes, on doit supposer
que la répétition des mêmes propriétés chez plusieurs individus fournit
avec une certaine fiabilité un ensemble de critères permettant de définir,
classer et comparer ces individus. À partir de cette activité taxinomique
autorisée par l’universel obtenu par induction abstractive, on peut élaborer
les premiers principes des sciences, qui dépendent des concepts universels.
La fiction a donc pour fonction de rendre possible la science en fixant
pour un temps ce qui est muable et insaisissable. C’est un outil provisoire
et révisable, mais indispensable à qui veut acquérir quelque science que
ce soit.
On ne saurait donc renoncer à l’abstraction sans ruiner toute possibilité
de connaissance, mais il faut être conscient que l’abstraction ne fournit
qu’une connaissance probable, une approximation du vrai. C’est en ce
sens que l’idée entendue comme fiction peut être un instrument d’enquête
sur la nature : en dégageant par un processus d’induction abstractive
certains concepts spécifiques et génériques, l’esprit humain trouve un
substitut à la contemplation, à la perception intellectuelle de l’intelligible,
qui rend néanmoins possible la formation d’énoncés nomologiques, à la
fois universels et quasi-nécessaires. Mais, en raison de l’impossibilité
où nous sommes de fonder absolument l’objectivité de ces concepts, les
énoncés où ils se trouvent ne peuvent prétendre à autre chose qu’un assez
haut degré de probabilité. De fait, il faut être prêt, dans la perspective
faillibiliste propre à l’épistémologie de Jean, à réviser et modifier notre
savoir. Ainsi, la formation des idées ou concepts de genre et d’espèce
est un moyen pour l’esprit d’étendre le champ de ses connaissances en
dépassant la limite de la sensation, cantonnée au singulier contingent.
Néanmoins cette extension n’est légitime que si elle se fait dans le cadre
précis d’une épistémologie faillibiliste où toute connaissance est sans
cesse susceptible d’être révisée.
Les principes du scepticisme 85

Il apparaît donc que la qualification de la position de Jean, relativement


aux idées, comme un platonisme nominaliste s’avère tout à fait correcte.
De fait, elle rend compte plus fondamentalement du sens profond de
l’ambivalence de la notion d’idée chez Jean. D’une part, en effet, l’autorité
de la foi nous enjoint à adhérer à une forme augustinienne de platonisme
chrétien, où l’idée revêt un statut d’exemplaire, à la fois dans son être et
dans son action causale ; d’autre part, néanmoins, cette injonction à être
augustinien est limitée par l’impossibilité où nous nous trouvons, en tant
que mortels faillibles, à nous élever jusqu’à la connaissance d’objets si
hauts. C’est donc la structure de fait de nos facultés qui nous contraint
à être nominalistes, et à réduire l’idée à une construction de l’esprit
dont la fonction est principalement instrumentale, en ce qu’elle autorise
l’enquête scientifique sur la nature en permettant la formation d’énoncés
universels révisables. L’accord potentiel entre la vérité platonicienne et
la méthode nominaliste restant hors de notre portée, l’idée archétype
n’est rien d’autre que l’idéal régulateur d’une science de part en part
empiriste et nominaliste, qui fait de l’idée une fiction.

Le scepticisme chrétien de Jean de Salisbury

Jean de Salisbury, on a pu l’entrapercevoir, est un jalon essentiel


dans la transformation chrétienne du scepticisme antique. C’est dans une
perspective théologique que la démarche sceptique qu’il met en œuvre
prend tout son sens, et c’est l’horizon divin qui justifie en dernier recours
que l’on se fasse sceptique. De fait, si la vérité est inconnaissable c’est
parce que Dieu s’est soustrait à nos regards133. En même temps, l’attitude
modeste, empreinte d’humilité, que le sceptique prône dans le champ
de la connaissance, est celle qui, de façon générale, convient le mieux
à qui est conscient de l’infirmité humaine post-lapsaire. La validité du
scepticisme, chez Jean de Salisbury, est donc liée, finalement, à une certaine
conception de la divinité. Plus encore, c’est une réflexion générale sur la
science divine qui semble conduire Jean à l’idée que la science humaine
est fondamentalement faillible. Enfin, c’est ce même horizon théologique
qui va justifier les différents usages recevables des pratiques sceptiques.
86 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Le modèle de la science divine


La théorie de la vérité de Jean de Salisbury est fondée sur l’idée, topique
pour un philosophe chrétien, que Dieu est la vérité134. Cette thèse était au
fondement de la théorie augustinienne de l’illumination, et il en est de
même chez Jean. Déjà, dans l’Entheticus, il soutient que la raison humaine
est une image de la raison divine, et que pour cette raison, elle est capable
de saisir intérieurement la vérité divine, par un retour sur soi, condition de
l’enseignement divin. Et cet enseignement est rendu possible par la diffusion,
dans l’âme, de la lumière divine. Cette lumière joue le même rôle que la
lumière physique dans le phénomène de perception135. Ainsi, sans Dieu,
l’homme est aveugle. C’est la même épistémologie qui est développée
quelques années plus tard, dans la dernière partie du livre IV du Metalogicon,
mais inscrite cette fois dans une perspective explicitement sceptique et
platonicienne (puisque pour Jean les deux sont largement liées).
Dans la mesure où Dieu est unanimement reconnu comme infaillible,
la thèse de Jean consiste à prendre la science divine comme l’étalon à
l’aune duquel on pourra évaluer la science des étants inférieurs que sont
les anges et les hommes, et mesurer le rapport de chacun à la vérité. De
cette thèse, Jean déduit un axiome selon lequel une science est d’autant
plus fiable qu’elle appréhende moins le faux, c’est-à-dire qu’elle échappe
à tout risque d’erreur :

De là, puisqu’il est impossible que Dieu se trompe, il apparaît sans


l’ombre d’un doute que sa science est d’autant plus fiable et certaine
qu’elle appréhende moins le faux136.

En soulevant, à partir de l’exemple divin, le problème du rapport


d’une puissance cognitive à la vérité et à la fausseté de ses objets, Jean
trouve le moyen d’introduire l’idée, fondamentale pour son scepticisme
chrétien, des degrés de vérité :

Or la vérité originelle est dans la majesté divine ; mais il en est


une autre qui consiste dans l’image de la divinité, c’est-à-dire dans
Les principes du scepticisme 87

son imitation. En effet, toute chose est d’autant plus vraie qu’elle
exprime plus fidèlement l’image de Dieu, et à mesure qu’elle s’en
écarte davantage, elle s’évanouit dans ce qu’il y a de plus faux137.

Une telle idée ne va pas de soi, et pour l’établir, il a besoin à la fois


de la transcendance de la vérité absolue, c’est-à-dire de la vérité divine,
et de la possibilité d’un écart, soit naturel, soit factuel, par rapport à
cette vérité. On peut ainsi distinguer au moins trois degrés de vérité. Au
plus haut niveau se trouve la vérité originelle de la majesté divine. À un
niveau inférieur intervient la vérité dont est capable une nature parfaite,
mais créée, comme la nature angélique, puis la vérité accessible à une
nature imparfaite telle que l’homme. C’est cette analyse des trois types
de science, divine, angélique, et humaine, qui va permettre de donner
un fondement aux positions sceptiques exposées depuis le début du
Metalogicon.
Dieu est caractérisé comme la ratio prima ou primitiua dans la mesure
où, d’après l’étymologie que Jean reprend aux stoïciens par l’intermédiaire
d’Isidore de Séville, ratio provient de ratum, de ce qui est stable et fixe138.
Ainsi Dieu est, de manière absolue et parfaite, la stabilité même. C’est
en premier lieu sa stabilité et son immutabilité, opposées au caractère
muable du sensible, qui garantit son infaillibilité139. En même temps,
cette infaillibilité provient également du mode de connaissance divin,
puisque Dieu connaît toutes choses par la simplicité de son regard : il
embrasse l’ensemble des choses, et les rapports qu’elles entretiennent.
Ainsi, ni le passé, ni le futur ne lui échappent. Cependant, on peut se
demander comment Dieu, qui est immuable, peut connaître des choses
sensibles, et comment, lui qui est hors du temps, peut appréhender des
choses temporelles. Cela ne revient-il pas à connaître les choses autrement
qu’elles ne sont, c’est-à-dire à se tromper ? Jean aborde ces questions
à l’occasion d’une discussion du problème de la prescience divine 140.
C’est dans ce contexte qu’il précise le statut de la science divine, et qu’il
la compare à la connaissance humaine.
Ce qui intéresse Jean, dans cet ensemble de chapitres du livre II du
Policraticus, est, d’abord, de montrer que toute appréhension du futur
doit se réduire, pour nous, à une opinion au mieux probable. L’enjeu
88 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

est de disqualifier les prétentions scientifiques de l’astrologie. Et c’est


à cette occasion qu’il rappelle son adhésion au scepticisme, entendu
comme prudence épistémique :

Mais ils accèdent au ciel bien plus adéquatement les astronomes


qui, à la manière des Académiciens, défendent chacune de leurs thèses
de façon probable, comme ils en ont le droit141.

L’astronomie ne vaut que si elle est pratiquée avec modération, de


sorte que le savant s’en tienne à la régularité des phénomènes naturels.
Il s’agit alors de l’application de règles mathématiques, donc certaines,
à des objets connus empiriquement par induction. On peut dans ce cas
prétendre à une forme de connaissance tout à fait fiable. La modération et
la prudence des astronomes sont d’autant plus nécessaires que plusieurs
propriétés des astres, comme leur matière, nous échappe. Celui qui s’en
tient prudemment à l’observation de la place des astres, et qui rapporte ces
observations à des règles mathématiques peut prétendre à la connaissance
fiable de certains événements naturels comme une éclipse. Plus encore,
Jean laisse entendre que l’astrologie peut revêtir une dimension positive
pour la foi. Ainsi, c’est précisément parce que l’on sait qu’une éclipse de
soleil était naturellement impossible le jour de la Passion, que l’on peut
déduire le caractère extraordinaire et miraculeux de celle qui survint au
moment de la mort du Christ en croix142. Certains événements naturels
peuvent bien être des signes envoyés par Dieu en vue de notre édification
et de notre enseignement. Néanmoins, les astrologues, qui pratiquent
la divination, excèdent les limites de cette nécessaire modération, non
seulement en prétendant déchiffrer de façon fiable ces signes, mais aussi
en attribuant aux astres une force (virtus) qui influe directement sur les
actes humains. Ils manifestent par là un double type d’orgueil puisque,
d’une part, ils se réclament d’un savoir divin, d’autre part ils font preuve
d’impiété en détruisant le libre arbitre humain :

Mais les astrologues et les observateurs des planètes, tandis qu’ils


s’efforcent d’augmenter la puissance de leurs témoignages, tombent
de la façon la plus pernicieuse dans les mensonges de l’erreur et de
Les principes du scepticisme 89

l’impiété. […] Vois dans quel abîme d’erreur ils tombent du haut de
leurs configurations célestes. Ils attribuent toutes choses aux états
du ciel. Tu verras quelle injure est faite à celui qui a créé le ciel et la
terre, et toutes les choses que l’on y trouve. Ensuite, leurs états du
ciel conduisent les choses de façon nécessaire de sorte que périt la
liberté de l’arbitre143.

Pour combattre les astrologues à ce double niveau, Jean de Salisbury


va faire un détour par la question de la prescience et de la providence
divines afin de montrer d’une part la différence de nature entre notre
science du futur et celle de Dieu, et d’autre part la compatibilité entre
prescience divine et liberté humaine. C’est à cette occasion que Jean va
réaffirmer son engagement au scepticisme :

S’il n’y a pas d’autre méthode évidente, je préfère douter des choses
singulières avec les Académiciens que de définir au hasard ce qui est
caché et inconnu, au moyen de l’imitation pernicieuse d’un savoir,
surtout là où le monde entier se dressera contre mes assertions. C’est
pourquoi j’écoute d’autant plus volontiers les Académiciens qu’ils
ne retirent rien à ce que je sais, et dans bien des cas ils me rendent
plus prudent144.

De fait, de façon générale, la réponse de Jean à la question de la


providence est profondément sceptique. À une inspiration cicéronienne,
Jean ajoute une dimension chrétienne : les décrets et les modes d’action
divins nous sont inaccessibles. À ce cadre sceptique, il ajoute des éléments
d’analyse repris à Boèce.
Le point de départ de Jean se trouve dans une question soulevée
notamment par Abélard : Dieu peut-il connaître plus de choses qu’il n’en
connaît, ou savoir ce qu’il ne sait pas145 ? Si c’est le cas, il peut aussi
ne pas savoir ce qu’il sait et dans ce cas, il faut soutenir la mutabilité
divine. À cet argument, Jean oppose un argument a fortiori : les païens
eux-mêmes reconnaissent que leurs dieux, qui ne sont que des démons,
sont infaillibles, donc a fortiori Dieu doit l’être146. Plus précisément, la
réponse salisburienne repose sur le principe de l’atemporalité divine.
90 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Puisque Dieu est hors du temps, il appréhende toutes choses comme


étant présentes, c’est-à-dire sans déterminations temporelles. À cette
atemporalité conçue comme un présent perpétuel, il faut ajouter, de
façon connexe, l’immutabilité et la simplicité. Si Dieu est étranger à
toute variation temporelle c’est précisément parce qu’il est absolument
immuable, et cette immutabilité elle-même provient de sa simplicité.
Ainsi, Dieu, par un seul regard, connaît une infinité de choses, alors même
que son essence reste une147. Il a, ainsi, une connaissance complète de
toutes choses et sa science ne peut s’accroître. Il y a donc une distorsion
entre le connaissant et le connu : la mutabilité n’est pas en Dieu mais
dans les choses. Et il connaît les choses variables sans subir de variation.
À cette réponse, on pourrait néanmoins objecter que si Dieu, qui est
immuable, connaît les choses muables, contingentes et temporelles, de
façon uniforme et nécessaire, il les connaît autrement qu’elles ne sont.
Ce qui est une définition de l’erreur. Jean se défend, tant bien que mal,
au moyen d’une analogie : la connaissance divine est comparable à notre
connaissance de l’universel, ou à notre connaissance du mouvement. De
même, tout en étant muable, nous avons la capacité à connaître au moins
conceptuellement l’idée de repos et de fixité. La connaissance n’est pas
semblable en tout point à son objet, mais elle en reproduit de façon fiable
les caractères essentiels148.
C’est au moyen de cette même distorsion entre le connaisseur
et le connu que Jean résout la seconde partie du problème, celui de
la compatibilité entre prescience et liberté, cette fois en reprenant
explicitement une thèse boécienne : de même que la certitude de notre
science n’impose aucune nécessité à la chose, de même, la certitude
de la science divine ne produit pas de nécessité parmi les événements
naturels. Ainsi, la prescience n’est pas la cause de l’avènement d’une
chose. En revanche, il faut introduire une dissymétrie entre les sciences
divine et humaine, dans la mesure où l’avènement de la chose n’est
pas non plus cause de la prescience, alors que la chose est cause de la
connaissance que nous en avons. La vérité et la nécessité résident dans
le lien de conséquence plutôt que dans le conséquent. La réponse de Jean
au problème de la prescience exploite donc, implicitement, la thèse de
la nécessité conditionnée : la chose qui jouit d’une telle nécessité n’est
Les principes du scepticisme 91

pas nécessaire en soi, mais en raison de sa relation avec un ensemble


d’autres choses. C’est en ce sens que les choses contingentes sont
nécessaires au moment où elles ont lieu149.
Jean estime donc pouvoir faire tenir ensemble la thèse d’une disposition
immuable de toutes choses dans le verbe divin inengendré, et l’idée que
cette science divine ne modifie pas la série naturelle des choses ni ne
détruit leur nature. Ce modèle de la science divine fournit un exemple
de savoir qui ne peut pas être faux, et qui est absolument complet. Ce
savoir est infaillible car Dieu ne peut pas connaître plus de choses qu’il
n’en connaît, ni connaître quelque chose qui n’est pas ou ne sera pas.
Ainsi, l’examen de la prescience divine permet de souligner la condition
nécessaire de l’infaillibilité, à savoir l’immutabilité. C’est précisément
une telle condition qui fait défaut à la science humaine.
Par contraste avec la science divine, la science humaine est marquée
par la mutabilité, et par conséquent, la faillibilité. Dans les chapitres du
Policraticus consacrés à la science divine, Jean s’attache principalement
à la connaissance du futur à laquelle pourrait prétendre l’homme, tout
en donnant un ensemble d’indications plus générales. En premier lieu,
l’homme n’a accès qu’à une science temporellement déterminée. Ainsi,
son appréhension du futur repose sur l’induction, c’est-à-dire la mémoire
et l’imagination. Mais ces mouvements de l’âme par lesquels on construit
une image du futur ne relèvent pas véritablement de la science, mais
seulement de l’opinion. Fondée sur des images temporelles et changeantes,
cette opinion est profondément faillible. Au pire donc, on a affaire à
une représentation, qualifiée « d’agitation vaine de l’esprit » qui ne vaut
pas mieux que celle des rêves ; au mieux, cette opinion s’appuie sur la
probabilité pour produire une image affaiblie de la science150. Ainsi, la
mutabilité des choses, et des images qu’il forme à propos de ces choses,
condamne l’homme à se contenter de l’opinion, c’est-à-dire d’une image
dégradée de la science divine151.
Toute la théorie de la connaissance de Jean de Salisbury, et par voie
de conséquence, tout son scepticisme, s’inscrivent dans la reprise de la
position augustinienne de la déformation de l’image de Dieu. L’homme
a été créé à l’image de Dieu, en tant qu’il est une créature rationnelle,
mais par le péché, il a choisi de se détourner de Dieu et s’avilir dans le
92 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

sensible152. Dès lors, selon Jean, la nature humaine est marquée par une
double infirmité, l’une due à sa nature, l’autre au péché :

Mais l’infirmité humaine qui tant du fait de la condition de sa nature


que du châtiment de la faute subit de multiples erreurs, et bien plus,
prisonnière de celles-ci, est déchue de la première et de la seconde
pureté, dégénère dans l’examen des choses153.

L’infirmité due au péché non seulement condamne l’homme à l’erreur,


mais sa vanité post-lapsaire le maintient même dans l’erreur. Non
seulement, en effet, l’homme a déchu de sa pureté première, naturelle,
au moment du péché originel, mais il a également déchu de la nouvelle
pureté que lui avait offerte le rachat par le sacrifice du Christ.
Cette infirmité naturelle apparaît dans la comparaison entre connaissance
humaine et connaissance angélique : l’ange a une connaissance infaillible
mais partielle des choses. Il tient ainsi le moyen entre Dieu et l’homme
puisque, comme celle de Dieu sa connaissance est infaillible, mais
comme l’homme, il ne peut prétendre à l’omniscience. Ces propriétés
de la connaissance angélique sont dues, précisément, à ce qui fait défaut
à l’homme : d’une part, la raison angélique n’est pas corrompue par le
péché, et s’approche davantage de la pureté divine ; d’autre part, elle
n’est pas entravée par le poids du corps154. Il y a donc deux raisons à la
faillibilité humaine, l’une que l’on pourrait dire conjoncturelle, et qui
tient au péché originel, l’autre que l’on peut qualifier de structurelle, et
qui a trait à la nature du corps. De fait, c’est le corps qui ancre l’homme
dans la mutabilité et l’incertitude. Pour autant, l’homme n’en reste pas
moins capable du vrai : le désir de vérité est ancré en lui de façon innée,
et il y a même une certaine familiarité entre l’homme et la vérité puisque
l’homme est image de Dieu. Néanmoins, l’accès au vrai reste impossible
sans le secours de la grâce : l’homme n’a pas, par lui-même, les forces
nécessaires pour dépasser tant la faillibilité de ses facultés que la mutabilité
des choses155. C’est la sanctification divine qui, seule, confirme dans
la vertu et la gloire, et qui permet d’échapper aux fluctuations et aux
vanités mondaines pour accéder à la fermeté de la vérité, c’est-à-dire
à Dieu156.
Les principes du scepticisme 93

Ainsi, toute la réflexion de Jean de Salisbury tourne autour de la


question de la stabilité et des moyens d’y parvenir. De fait, si Dieu
est infaillible c’est que, en lui, il y a identité de la raison et de la
lumière, de sorte que sa raison s’éclaire elle-même, sans aucun secours
extérieur. À l’inverse, tant chez l’ange que chez l’homme, la raison
est différente de la lumière, et la première doit chercher la seconde
en Dieu. L’ange y accède de façon parfaite, en raison de sa nature et
de la grâce divine. Quant à l’homme, il doit chercher l’image de la
divinité dans les choses, afin de remonter vers soi, puis vers Dieu.
Il n’a donc jamais accès qu’à une image affaiblie de la vérité, à son
plus bas degré157. Ce qu’il reste à l’homme, dans cette perspective,
c’est le désir du vrai qui le pousse à chercher par tous les moyens la
vérité. C’est cette seule attitude, typique du sceptique, qui lui évite de
s’évanouir dans le néant de la fausseté. C’est aussi le plus sûr remède
contre la vanité qui l’emplit après la Chute. Quelle peuvent être, alors,
les conséquences de cette perspective théologique pour le rapport de
l’homme au savoir ? Ce à quoi conduit le scepticisme de Jean, c’est,
indubitablement, à une substitution de la morale à l’épistémologie,
ou de l’utile au vrai.

Du vrai à l’utile
L’homme qui souhaite échapper, autant que faire se peut, à la vanité
doit pratiquer la philosophie, c’est-à-dire chercher la vérité et des choses
et de Dieu, la première étant un moyen d’accéder à la seconde. Cependant,
une telle recherche pour être féconde et pertinente doit viser le culte
de Dieu. C’est la vénération de Dieu qui justifie, à rebours, la peine
dépensée dans la pratique de la philosophie. En revanche, toute philosophie
qui chercherait la vérité pour elle-même, sans la relier à sa dimension
cultuelle, serait aussi vaine qu’inutile. C’est en quelques mots, le but
que Jean assigne à la philosophie au début de l’un des derniers chapitres
du Metalogicon158. Cette subordination de la théorie philosophique à
la pratique religieuse n’est en rien liée à une quelconque ancillarité de
la philosophie par rapport à la théologie, mais découle des obstacles
inhérents au savoir selon Jean de Salisbury.
94 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

De fait, dans la perspective de son scepticisme, Jean rappelle que


l’accès au vrai, que nous cherchons dans la philosophie, est nécessairement
limité. Il s’avère alors nécessaire de trouver un moyen de suppléer ces
défauts cognitifs. Il y a, en effet, huit types d’obstacle à la connaissance
du vrai, qui sont autant de causes d’erreur :

Mais parce que de nombreux obstacles entravent l’intelligence,


comme l’ignorance invincible de ce qui ne peut pas être expliqué,
comme les arcanes de la Sainte Trinité, et aussi la fragilité de la
condition humaine, la vie brève, la négligence de l’utile, l’occupation
à l’inutile, le conflit des opinions probables, la faute qui rend indigne
de la lumière, et enfin la multitude et l’immensité de ce qui ne peut
pas être découvert, le cœur humain est obscurci à tel point qu’il peut
rarement accéder à la connaissance du vrai159.

Cette typologie des obstacles cognitifs couronne toute la réflexion


de Jean sur la nécessaire adhésion au scepticisme, en inscrivant cette
attitude philosophique dans un contexte de part en part théologique.
Les obstacles au savoir se situent tant du côté des objets que du côté du
sujet connaissant. À la première catégorie appartiennent les objets qui
ne peuvent être appréhendés de façon fiable soit en raison de leur nature
incompréhensible, soit en raison de leur incommensurabilité à l’esprit
humain. Le premier cas est exemplifié par La Trinité, paradigme de
l’objet contradictoire, tandis que le second renvoie à la fois à l’infinité
divine, et à l’incapacité de l’esprit humain de saisir de façon fiable une
quelconque pluralité. Cette cause d’inconnaissance est développée dans
le chapitre suivant, où Jean donne quelques précisions160. Une chose peut
être inconnaissable en raison de sa plus grande dignité par rapport à celui
qui cherche à la connaître, elle peut être aussi inconnaissable en raison
de sa dimension. C’est donc d’abord la grandeur, intensive ou extensive,
de la chose qui fait obstacle. Ces deux premières causes concernent
manifestement le problème de la connaissance de Dieu161. Ensuite,
reprenant un thème récurrent lié à son « scepticisme héraclitéen162 », Jean
indique qu’une chose peut être inconnaissable en raison de sa mutabilité.
Finalement, il réintroduit la notion de multitude. Mais, c’est surtout la
Les principes du scepticisme 95

seconde catégorie, à savoir la faiblesse cognitive de l’homme, qui retient


l’attention de Jean. Il distingue là encore deux causes principales : en
premier lieu, la brièveté de la vie, c’est-à-dire la mortalité qui marque
l’homme après le péché, le conduit à une dispersion frénétique dans les
choses du monde. Dès lors, il néglige ce qui est utile (la connaissance de
soi et de Dieu) et se trouve accaparé par des objets inutiles qui l’absorbent
et l’aliènent entièrement, renforçant sa dispersion163. En second lieu,
en raison de la faiblesse de ses facultés, l’homme doit se contenter de
connaissances seulement probables, et ces connaissances probables
entrent en conflit entre elles, de sorte que l’homme, incapable de trancher
se trouve réduit à l’incertitude et l’hésitation. Qu’il soit impossible de
trancher entre les arguments probables provient de l’absence, ou du moins
de l’affaiblissement, de la lumière divine après le péché originel. Dès
lors, c’est un rare privilège que d’accéder à la vérité. Pour la majorité des
hommes, c’est l’erreur qui domine. Ces huit obstacles à la connaissance, qui
résument les fondements de l’adhésion de Jean au scepticisme, dessinent
très nettement le portrait d’un sceptique chrétien : le péché ayant créé une
séparation entre Dieu, c’est-à-dire la Vérité, et l’homme, celui-ci, même
s’il continue de désirer la vérité dont il garde un souvenir diffus, ne peut
plus y accéder pleinement164. Dans cette perspective, la conversion au
scepticisme apparaît comme un préalable nécessaire à toute conversion à
Dieu. Il faut, en effet, reconnaître que la vérité est inaccessible, et renoncer
à toute prétention de la raison humaine à parvenir par elle-même à la
vérité. Ce double acquis du scepticisme conditionne la mise à l’écart du
monde et le retour sur soi, et la reconnaissance que le secours divin est
indispensable. Ainsi, le sceptique est conscient de ses limites et de ses
fautes. Celui qui sait que la lumière n’est plus avec lui, qui est conscient
de la séparation instituée par le péché, celui-ci peut délaisser les inutiles
occupations mondaines, pour se tourner vers Dieu.
La première condition de cette conversion se présente comme le négatif
des deuxième et troisième obstacles énumérés auparavant : il faut être
capable de rejeter l’inutile, qui aliène et disperse, afin de se concentrer
sur l’utile. C’est à cette occasion que Jean reprend le schéma présenté
au premier chapitre du livre VII du Policraticus165 : les philosophes qui
cherchent la connaissent des choses pour elles-mêmes et qui refusent la
96 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

grâce divine sont marqués par la folie et par une inutile libido sciendi.
À l’inverse, la vraie philosophie, dans sa double dimension sceptique et
chrétienne, invite l’âme à délaisser, ou du moins à modérer, son désir
de connaître le monde pour se tourner vers l’utile et l’avantageux. Ce
passage du vrai à l’utile est explicitement rapporté au scepticisme :

Puisque, en effet, la science trouve sa racine dans les sens, qui se


trompent fréquemment, et que notre infirmité trompée connaît peu ce
qui est avantageux, par la clémence de Dieu lui a été donnée la loi qui
découvre la science de l’utile et indique à propos de Dieu autant qu’il
est permis de savoir et autant qu’il est expédient de chercher166.

Le scepticisme apparaît comme le révélateur de nos faiblesses


cognitives, et conduit ainsi vers un substitut à la connaissance du vrai,
à savoir la connaissance de l’utile. De fait, si le péché nous a rendus
incapables du vrai, il n’a pas obscurci la raison au point qu’elle ne puisse
reconnaître ce qui est utile. Le secours divin se situe à ce niveau : pour
pallier notre incapacité au vrai, Dieu nous a donné sa loi qui doit être
comprise comme la science de l’utile, laquelle fonctionne comme une
science par provision, en attendant que l’image de Dieu soit reformée
et que nous soyons de nouveau capable du vrai. Ainsi, la conclusion à
laquelle nous mène le scepticisme, c’est que, pour dépasser l’erreur à
laquelle nous condamnent la raison et la sensation, il faut s’en remettre à
la foi167. Citant la Sagesse, Jean de Salisbury conclut le Metalogicon en
invitant à mettre sa confiance en Dieu afin d’appréhender la vérité :

De là, cette remarque de Philon dans le livre de la Sagesse : ceux


qui placent leur confiance en Dieu, comprendront la vérité, et les
fidèles dans l’amour s’accorderont en lui puisque les élus de Dieu
ont la grâce et la paix168.

À partir d’une adhésion à un scepticisme qui se veut cicéronien, Jean


retrouve finalement la dimension chrétienne du scepticisme qui transparaît
dans toute l’œuvre de saint Augustin. C’est cette tension fondamentale
entre Cicéron et Augustin qui fournit la clé de lecture du renouveau
Les principes du scepticisme 97

médiéval du scepticisme, tel que l’exemplifie Jean de Salisbury. Cette


tension est révélée par le double usage du scepticisme qu’il met en œuvre,
à la fois critique et apologétique.

Le scepticisme entre critique et apologétique


L’usage du scepticisme chez Jean de Salisbury, tel qu’il se dégage
des analyses précédentes, est double : d’une part rabattre les prétentions
de la raison afin de promouvoir une croyance vraie, à savoir la foi
chrétienne ; d’autre part, utiliser les instruments de la raison afin de
discriminer les croyances, et rejeter celles qui sont fausses, que ce soit
des superstitions ou des hérésies. Tout le scepticisme de Jean est traversé
par cette alternance quasi dialectique de la dimension critique et de la
dimension apologétique.
Un exemple de l’usage critique du scepticisme, dans le but de rejeter
les fausses croyances, apparaît de la façon la plus nette dans le livre II du
Policraticus, où Jean s’attaque à l’ensemble des pratiques divinatoires et
magiques. Comme on l’a vu, l’attitude de Jean consiste à disqualifier la
dimension scientifique de ces pratiques. Ainsi, l’astronomie est distinguée
de l’astrologie169. Seule la première applique véritablement des règles
mathématiques, et pourtant elle ne parvient pas à autre chose qu’à une
connaissance probable. A fortiori, donc, la seconde ne peut atteindre
davantage que l’opinion. De façon générale, partout où fait défaut
l’intelligence entendue comme intuition complète de la chose, on doit
se contenter de l’opinion170. Dès lors, pour Jean, toutes ces pratiques
doivent être dénoncées comme une forme de sophistique, c’est-à-dire
une apparence de raison qui couvre une erreur, voire un mensonge171. La
définition d’un certain nombre de critères de scientificité relativement
exigeants (et concordants avec ce que l’on trouve dans le Metalogicon)
permet de dévaluer la valeur épistémologique de ces pratiques. Une
fois réduites à l’état de simple opinion, il reste à les ranger dans la
catégorie des fausses croyances, propres aux impies. C’est dans cette
perspective que Jean réinvestit le texte classique de la philosophie
naturelle au xiie siècle, à savoir le Timée. Jean part de la définition de
la phisica, donnée par certaines sources médicales, comme « ce dont la
98 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

raison est cachée172 ». L’objet des pratiques magiques, au sens large,


se trouve donc dans ces objets inaccessibles aux sens et auxquels les
magiciens prétendent accéder par d’autres moyens surnaturels173. Plutôt
que de rappeler immédiatement que la sensation est le point de départ
nécessaire de la connaissance, Jean affronte la difficulté d’un autre point
de vue : il n’est rien dans le monde qui soit sans raison, puisque toute
chose procède de la volonté divine. Ainsi, s’appuyant à cette occasion
sur le Timée (28a)174, Jean soutient que rien n’arrive sur terre qui n’ait
une cause175. Toute l’activité des sciences naturelles consiste donc,
dans la mesure du possible, à rendre manifeste ces causes naturelles
cachées. Mais surtout, Jean en conclut, toujours en suivant Platon,
que rien n’arrive contre nature puisque la nature n’est rien d’autre que
la volonté divine. Ainsi, rien n’arrive sans cause, et les événements
admirables qui servent de signes aux prédictions des magiciens ont
eux-mêmes des causes cachées176. L’admirable doit être rapporté à la
mesure de notre infirmité cognitive et à notre propension à l’erreur. Si
nous pouvions éliminer toute forme d’erreur, et avoir une connaissance
complète de toutes choses, à la manière de Dieu et des anges, rien ne
donnerait prise aux pratiques magiques. Ainsi, les magiciens se trouvent-
ils pris en tenaille entre d’un côté le discours scientifique et de l’autre
le discours de la foi. Mais ils ne peuvent se réclamer ni de l’un ni de
l’autre. De fait, la science du médecin et celle de l’astronome (qui ne
sont que des connaissances hautement probables, une quasi-science dans
le meilleur des cas) s’appuient sur la régularité des événements, et sur
un certain nombre de règles publiques. Seule cette régularité permet en
effet d’identifier, autant que possible, les causes qui sont à l’œuvre. Il
est donc impossible d’avoir un savoir de ce qui est exceptionnel177. Les
critères de scientificité sont très clairement énoncés par Jean : il faut
une régularité naturelle et un ensemble d’observations fiables attestées
par des autorités178. C’est ici la science des païens qui permet de faire
pièce à l’impiété des magiciens. Ainsi, Jean concède que quand le soleil
apparaît double, des inondations peuvent survenir. Mais c’est pour réduire
immédiatement le caractère miraculeux de ce phénomène : c’est un
événement strictement naturel dû à la réflexion du soleil dans les nuages
et dont Sénèque traite dans les Questions naturelles179. Les pratiques
Les principes du scepticisme 99

magiques, fondées sur un accès au surnaturel, sont donc entièrement


fictives et imaginaires, et ne peuvent prétendre à la vérité :

En outre, l’Esprit saint fuit ce qu’il y a de fictif dans les disciplines,


et dédaigne habiter un corps qui s’est soumis au péché. Or, tout art
qui est pratiqué de cette sorte [sc. comme les arts magiques] est fictif
et imaginaire et ignore l’essence de la vérité180.

Les magiciens ne peuvent pas non plus se réclamer du discours de la


foi, et s’arroger un accès privilégié aux décrets divins. De fait, Jean prend
soin de rabattre leurs pratiques du côté de la superstition et de l’idolâtrie181.
S’appuyant sur saint Augustin, il renvoie la magie du côté de l’action
des démons. Ainsi, même la pratique divinatoire la plus neutre, celle qui
consiste à examiner des surfaces de miroir, doit être rejetée comme impie
et idolâtre. De fait, c’est par les démons, qui ont parfois une connaissance
partielle du futur, en tant qu’esprits, que les spéculaires182 parviennent à
la vision du futur. Ces rites sont contraires à la foi, et constituent même
une subversion de la foi183. Face à ces pratiques, il faut opposer une foi
simple et rustique. Seuls les réprouvés, les hésitants et les infidèles sont
soumis aux tromperies des démons, et sont séduits par les vanités et les
nuées de la divination. À l’inverse, les esprits fidèles refusent d’y donner
leur assentiment184. C’est le cas de Jean lui-même : il rapporte que, étant
enfant, il fut forcé de participer à une expérience de divination spéculaire,
et il remercie Dieu de l’incapacité où il fut de recevoir quelque vision.
C’est sa foi en Dieu, et son refus de croire aux démons, qui lui ont permis
de résister à la vanité de ces pratiques185. De fait, comme l’énonçait Jean
en ouverture de ces analyses des pratiques magiques, c’est à proportion
de la foi de chacun qu’elles peuvent être ou non efficaces. Il faut sans
doute faire une lecture forte de cette affirmation : l’efficacité symbolique
d’un rite provient du degré de croyance qu’on lui accorde186.
Cette dernière remarque nous conduit ainsi au versant apologétique
du scepticisme de Jean. Car s’il prend soin de disqualifier toute pratique
magique, il n’en admet pas moins les miracles, et notamment l’action
des reliques187. Ainsi, le bienheureux Cuthbert soigne un malade en lui
imposant l’Évangile de Jean, le symbole des Apôtres montre son utilité
100 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

dans l’exorcisme d’un possédé, des prières accompagnées de quelques


herbes sont un facteur de guérison, et plus généralement le simple fait
d’écouter ou de réciter les Évangiles a prouvé son efficacité. À un niveau
supérieur encore, la tunique de saint Étienne permet la résurrection d’un
mort, et saint Benoît échappe au poison grâce au signe de croix. Le
point commun de toutes ces pratiques, selon Jean, tient à deux choses
qui les distinguent des pratiques magiques qu’il vient de condamner :
elles sont enracinées dans la foi de ceux qui accomplissent ces miracles
ou en bénéficient, et elles ont toutes pour fin de manifester la gloire
de Dieu. Néanmoins, Jean prend soin de circonscrire précisément la
notion de miracle, en s’efforçant de lui donner une dimension naturelle,
quoiqu’inaccessible à notre faculté cognitive188. De façon générale, le
miracle n’est qu’un phénomène naturel qui paraît surnaturel en raison de
son caractère inhabituel, c’est-à-dire en raison de son écart par rapport au
cours habituel de la nature : c’est une res prodigiosa, parce que difficilement
croyable189. Dans l’échelle des probabilités dressée par Jean, le miracle
relève de ces événements qui se produisent très rarement, et auxquels
il est difficile d’accorder son assentiment. Pourtant, puisque rien ne se
produit sans cause, et que tout ce qui se produit dans la nature est voulu
par Dieu, puisque la nature n’est rien d’autre que la volonté divine190,
il faut soutenir que Dieu, en tant que créateur des lois de la nature, peut
produire un effet rare ou nouveau en utilisant différemment les causes
concourantes, mais qui habituellement ne se rencontrent pas :

En effet, celui qui donne leurs lois aux astres, qui règle les cycles
temporels selon le frein de ses volontés, qui accorde les événements
à ses propres échéances, quand il le veut et comme il veut, celui-là
peut produire un effet nouveau et étonnant par sa nature, ou rare,
au moyen de causes concourantes qui ont coutume de s’apparier
différemment191.

Jean laisse donc entendre que le miracle repose toujours sur un ensemble
de causes disponibles. À aucun moment, Dieu ne suspend véritablement
le cours de la nature. Simplement, il joue avec les combinaisons possibles
des causes. Une telle position est d’ailleurs en accord avec le scepticisme
Les principes du scepticisme 101

de Jean qui insiste sur la contingence des lois de la nature en leur refusant
une véritable nécessité192. Ce que nous qualifions de loi n’est que la
combinaison la plus fréquente des causes concourantes. Il s’agit, ce
faisant, de tenir le milieu entre l’universelle nécessité des stoïciens
et le hasard généralisé des épicuriens. Dans ce cadre, Jean peut bien
reconnaître l’effectivité des miracles : Dieu, et par son intermédiaire, les
saints également, produisent des miracles, c’est-à-dire réorganisent les
causes naturelles193. D’une certaine facçon, il n’y a qu’une différence de
degrés et non de nature entre ce que nous appelons un phénomène naturel
et un miracle. C’est pour cette raison que Jean peut décrire l’action des
médecins comme un quasi-miracle, eux qui dans certains cas paraissent,
aux yeux du vulgaire, pouvoir ressusciter un mort. Ce qui nous retient d’y
voir un miracle, c’est non seulement les échecs ponctuels des médecins,
mais aussi les querelles entre les sectes médicales. Si la vérité est une,
ces querelles attestent de ce que les médecins ne vont guère au-delà de la
simple probabilité194. Encore une fois, donc, c’est le scepticisme qui nous
retient de donner notre assentiment, et nous invite à toujours chercher
sans cesse les causes des choses dans les limites de la raison.
Ainsi, face aux miracles, nous sommes tous dans la position du
vulgaire face au médecin : le miracle est un phénomène qui relève
d’un ordre qui nous échappe, et qui humilie la raison. Comment, dans
ce cas, peut-on identifier les miracles, et les distinguer des pratiques
magiques condamnables qui s’appuient sur l’aide des démons ? Il faut
se souvenir que ce qui fait d’un phénomène un miracle n’est pas tant sa
nature que sa fonction : un miracle est finalisé par la manifestation de la
gloire divine. Le miracle s’inscrit ainsi, typiquement, dans le cadre de
la substitution sceptique de l’utile au vrai. Dans la mesure où la vérité
nous est inaccessible, c’est-à-dire, en l’occurrence, dans la mesure où
nous n’avons pas une connaissance complète des systèmes de causes et
des rapports entre les choses, c’est la loi de Dieu, et le principe de l’utile
qui doit primer. C’est ce qui ressort des récits des différents miracles liés
à Thomas Becket après son martyre. Dans la narration tant des miracles
immédiatement consécutifs au martyre195, que de ceux plus tardifs (comme
celui survenu lorsqu’il était évêque de Chartres196), Jean insiste sur le
fait que tous ces phénomènes sont entièrement finalisés par la gloire de
102 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Dieu. En outre, ces miracles sont attestés par des autorités fiables, en
l’occurrence le témoignage direct de Jean, corroboré par celui d’autres
clercs. Ces récits de miracle s’accordent parfaitement avec la théorie du
miracle de Jean et plus largement avec son scepticisme chrétien. Ainsi,
le miracle de Chartres : un ouvrier de l’abbaye Saint-Pierre à Chartres
ayant fait preuve d’un scepticisme excessif en attribuant les miracles de
Thomas à l’imagination humaine (figmentis hominis), et ayant en outre
blasphémé publiquement en défiant Thomas Becket de l’étouffer, se
retrouva privé de toute voix et dérangé mentalement (obmutuit et uultu
coepit menteque turbari). Ce premier miracle du saint a pour fonction
de punir le blasphémateur et de montrer publiquement sa puissance,
puisque, aussitôt, la rumeur se répand et la ville entière vient constater
l’événement. Les amis et parents de l’infortuné tentent, d’abord, de
remédier à cet état, mais sans succès, en lui faisant toucher le tombeau
de S. Lubin dans la Cathédrale. À son retour, Jean est donc sollicité. Le
récit est alors l’occasion d’exemplifier le pouvoir des reliques. Ne pouvant
résister à l’émotion générale (Flebant autem in circuitu, et ego et qui
mecum aduenerant non potuimus a lacrimis continere), Jean a recours
à une relique, à savoir un peu du sang du martyr, qu’il avait recueilli au
moment du meurtre. Après avoir invité l’assemblée à prier, il présente
la relique au muet qui retrouve alors la voix pour implorer le saint. On
a dans ce récit tous les éléments du miracle que l’on a vu auparavant :
Jean insiste sur la dimension publique des événements, (publicité du
blasphème, publicité de la rémission) le témoignage étant une condition
nécessaire pour que l’événement soit au moins probable. Il insiste aussi
sur les nécessaires limites de la raison, et donc du scepticisme : celui qui
renvoie les miracles dans le strict domaine de l’imagination, refusant d’y
voir une manifestation de la foi, fait un usage orgueilleux de sa raison, et
comme les philosophes païens, doit être rendu fou par Dieu. Enfin, Jean
insiste sur le fait qu’une relique ne vaut qu’à proportion de la foi des
fidèles et n’agit pas mécaniquement comme une cause naturelle ordinaire.
C’est sans doute le sens de l’allusion à S. Lubin. Il ne suffit pas de faire
toucher une relique au malade (ici le tombeau du saint), mais il faut en
outre un acte de prière collectif. Il faut croire à l’efficacité de la relique,
tout autant que dans le pouvoir de Dieu197.
Les principes du scepticisme 103

Les conditions de recevabilité d’un miracle sont donc doubles : ils


doivent être attestés par des témoignages fiables, provenant de témoins
dépositaires d’une forme d’autorité, et ils doivent manifester la gloire
de Dieu. On retrouve, en premier lieu, certains des aspects de la doctrine
probabiliste de Jean. D’abord du côté de la source du miracle : de même
que l’on doit accorder son assentiment à ce qui est admis par tous les
plus grands des sages, ce qui implique une hiérarchie des autorités
philosophiques, de même, on croira plus facilement les miracles d’un
« grand saint ». C’est ce qui explique l’insistance que met Jean à comparer
les saints, et à souligner l’excellence de Thomas Becket qui les surpasse
tous : un malade parcourt tous les sanctuaires de France et de Bretagne,
où les saints spécialisés dans son mal demeurent inefficaces. Quand il
se présente finalement à Canterbury, il est guéri par Thomas Becket198.
Le dessein divin ici n’est pas tant de mettre en concurrence tel ou tel
saint, que de manifester ponctuellement la place insigne de ce saint, et
de promouvoir la cause qu’il défend. Ensuite, si l’on passe de la source
du miracle à son bénéficiaire, on retrouve de nouveau la question de
l’autorité, liée non plus à l’efficacité mais bien davantage à la fiabilité.
Puisque, dans bien des cas, le miracle n’est connu qu’indirectement, se
pose le problème de la confiance que l’on peut accorder au témoignage.
Jean insiste donc dans ses récits sur la qualité du témoignage : soit il est
lui-même le témoin de l’événement, soit il ne l’est pas et il prend soin de
souligner la qualité tant du miraculé (par exemple un miles nobilis) que
de l’informateur (tel chanoine de Saint-Aoustrille). Enfin, dans chaque
cas, l’autorité est renforcée par la publicité de l’événement. À Chartres
(Lettre 325), c’est la communauté des chrétiens tout entière qui prie le
saint et assiste au miracle. Dans le cas du jeune homme guéri de ses
ulcères (Lettre 323), il est précisé qu’il conserve des cicatrices afin de
pouvoir témoigner dans sa chair du miracle. Mais ce qui permet d’aller
au-delà du simple probable, c’est le rapport du miracle à la foi : dans
la mesure où il manifeste la gloire de Dieu, il renforce utilement la foi
de chacun. Dans cette perspective, Jean rapporte la remarque éclairante
d’un évêque : à propos d’un miraculé, un chevalier guéri de la lèpre par
Thomas Becket, et qui refuse de se présenter devant une assemblée afin
de témoigner physiquement du miracle, cet évêque souligne qu’il sera
104 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

sans doute puni par Dieu car il refuse de se comporter comme vecteur de
la gloire divine. Ce critère de la gloire de Dieu permet ainsi de discriminer
les faits relevant ou non du miraculeux. Si Jean n’exclut pas absolument
l’idée d’un miracle profane (qui ne serait pas réalisé par le vecteur d’un
membre de la turba sanctorum199), il exclut absolument en revanche que
des impies puissent accomplir des miracles. Par exemple, Anchise qui se
signale par ses mauvaises mœurs ne peut être considéré comme auteur
de miracles200. C’est donc bien la gloire de Dieu qui produit la certitude
du miracle, devant laquelle la raison doit s’incliner :

Mais ici, on ne traitera en aucun cas de ce qui relève du culte de la


religion, puisque dans ce domaine aussi certaines choses sont d’une
façon exigées afin que la foi soit rendue plus amplement méritoire,
et qui excèdent l’expérience de la raison. Et même si la raison ne
s’en occupe pas avec empressement, elles sont dues à la piété. En
effet, que l’on accorde sa foi aux sacrements, à propos desquels la
raison est déficiente, le Christ l’a mérité par ses nombreux bienfaits
et ses grands miracles, auquel il est impie de ne pas croire, de même
qu’il est impertinent de refuser avec obstination son assentiment aux
arguments probables201.

Sans doute, l’analogie avec le probable nuance le propos de Jean. Il


est impertinent de nier le probable, mais ce n’est pas aussi irrationnel
que de nier les principes connus par soi. Le miracle, dans la mesure
où il appartient à l’ordre du probable, peut être objet de dissentiment.
Néanmoins, il se sépare de la théorie du probable par sa finalité (la
manifestation du pouvoir divin, l’augmentation de la foi des fidèles)
qui appartient à un autre but que simplement argumentatif. Les notions
d’impiété, de piété, de religion induisent déjà un décalage implicite vers
la dimension politique de la foi. Si la raison doit s’incliner devant le
miracle, ce n’est pas seulement parce que ce dernier excède ses pouvoirs
d’analyse, mais bien parce qu’il n’appartient plus à l’ordre de la simple
raison théorique. Comme le fait remarquer Jean, celui qui nie les principes
de la science, ou les expériences immédiates, doit être raisonné, si tant est
qu’il ne soit pas dépourvu de raison, tandis que celui qui nie l’existence
Les principes du scepticisme 105

ou la bonté de Dieu doit être puni202. Ainsi, la conception du miracle de


Jean de Salisbury s’inscrit bien dans le cadre d’un usage à la fois critique
et apologétique du scepticisme : si le miracle est la manifestation de
l’incapacité de notre raison, marquée par l’infirmité du péché, à parvenir
à une connaissance complète et fiable de la nature, il n’en reste pas moins
fortement encadré par le double thème sceptique du probable et de la
substitution de l’utile au vrai.
Cette dimension apologétique se retrouve pour finir de façon encore
plus nette dans le rapport de Jean à la théologie scolaire203. Nul ne le
niera : Jean n’est pas un théologien. Il manifeste peu d’intérêt pour les
questions largement disputées à l’époque, que ce soit l’Eucharistie ou
La Trinité. On a vu que cette dernière ne sert qu’à exemplifier les obstacles
auxquels est confrontée la raison. De la même façon, l’Incarnation sert
à illustrer le scepticisme chrétien qu’il met en œuvre : Dieu se laisse
connaître de façon partielle à l’homme par des moyens sensibles, mais
ne se livre pas entièrement à sa connaissance204. L’une des raisons de ce
désintérêt est sans doute liée à la vanité que Jean croit percevoir dans les
disputes entre maîtres sur la nature divine, et plus généralement dans le
développement de la théologie scolastique :

Voici comment il [sc. l’Écclésiaste] contient la témérité de ceux


qui discutent avec une verbosité irrespectueuse des arcanes de la
divine Trinité et des mystères dont la vision nous est promise dans la
vie éternelle. De là, si la science semble être augmentée, la dévotion
est certainement diminuée205.

On pourrait certes lire dans ces lignes une critique de Pierre Abélard,
ou du moins un écho des nombreuses disputes sur La Trinité, dont
Jean fut le témoin, à commencer par le procès intenté à Gilbert de
Poitiers, qu’il rapporte dans l’Historia pontificalis206. En fait, le but pour
Jean n’est pas tant de jeter l’anathème207 que de rappeler un principe
herméneutique qui traverse l’ensemble de son œuvre : chaque méthode
ne vaut que dans un contexte déterminé, au-delà duquel elle produit
la fausseté208. Dès lors, s’il est légitime d’utiliser ponctuellement les
outils de la logique pour rendre compte des propriétés divines, il faut
106 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

néanmoins être conscient de l’extrême difficulté d’une telle pratique. Il


y a, en effet, une différence de nature entre la théologie et les sciences
profanes que sont l’éthique, la philosophie naturelle, la logique et les
mathématiques. À l’obstacle commun que constitue la faiblesse de notre
esprit, il faut ajouter en théologie une difficulté propre à l’objet étudié,
et à l’inadéquation du langage que nous utilisons209. Les mots ont été
institués pour rendre compte de ce que nous percevons et que notre esprit
appréhende, alors que la matière de la théologie est au-delà de nos sens.
Si un langage métaphorique peut ponctuellement pallier cette difficulté,
il n’en reste pas moins que la théologie repose fondamentalement sur
l’appel à l’intelligence. Or, un homme charnel qui appliquerait la méthode
des sciences naturelles en théologie serait nécessairement conduit, en
raison des limites de ses facultés, à matérialiser Dieu et introduire des
accidents dans son essence210.
Le dernier mot du scepticisme de Jean est donc un appel à une forme de
théologie négative. Le scepticisme doit finalement conduire à reconnaître
le caractère profondément inconnaissable de la divinité :

Mais comme le dit Augustin dans le livre De l’ordre, Dieu est mieux
connu en étant non connu. […] Ailleurs, il dit aussi que l’ignorance
de Dieu est la plus vraie des sagesses que nous pouvons avoir à son
propos. Et aussi : ce n’est pas une petite science de Dieu que de
savoir ce que Dieu n’est pas, puisque l’on ne peut absolument pas
savoir ce qu’il est211.

À partir de là, en limitant les prétentions de la raison à délivrer un


discours sur Dieu, la fonction du scepticisme est de substituer la charité
à la science. C’est cette dimension pratique du scepticisme qu’il nous
faut à présent examiner. Pour cela, il convient, au préalable, de s’arrêter
sur ce qui fonde la méthode de l’éthique sceptique, à savoir la théorie de
l’exemplum, et de préciser, à cette occasion, les rapports entre humanisme
et scepticisme.
Chapitre 3

L’humanisme comme éducation au scepticisme

Le terme d’humanisme, par une application rétrospective, s’est


imposé en même temps que celui de Renaissance, pour qualifier
les mutations intellectuelles et sociales qui surviennent au cours du
xiie siècle1. Si l’on admet que le Quattrocento italien détermine un
paradigme pour l’usage de ce terme, on peut sans doute discuter de
sa pertinence quand il est appliqué au Moyen Âge, dans la mesure
notamment où la vision du monde reste de part en part théocentrée,
et dans la mesure également où l’assimilation des auteurs anciens ne
s’accompagne pas véritablement d’un souci philologique2. Il est pourtant
tout aussi indéniable que le xiie siècle se caractérise largement par un
souci de l’humain autant que des humanités3. Ce siècle, largement
platonicien et virgilien, est encore ouvert à la dimension spéculative
du mythe et de la poésie4. De tous ces aspects, Jean de Salisbury en
témoigne de façon exemplaire tout au long de son œuvre philosophique
et épistolaire. On peut, à titre provisoire, et comme un guide de lecture,
s’accorder, à défaut de Renaissance, sur une définition minimale de
l’humanisme, en s’appuyant sur celle que P. Boyancé applique à
Cicéron5. L’humanisme comme position théorique se développe en
donnant à humanitas trois sens complémentaires. En premier lieu,
humanitas renvoie à un sens de l’humain, de la mesure de l’homme
108 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

avec ses grandeurs et ses faiblesses, à mi-chemin de l’animal et des


dieux. Ensuite, humanitas désigne une culture par laquelle l’homme
devient ce qu’il est et se réalise en s’affranchissant des contraintes
spécifiques à l’espèce. Enfin, l’humanitas est la bienveillance à l’égard
des hommes, via, notamment, les rapports sociaux. Aucun de ces trois
sens ne suffit pour qu’il y ait humanisme, mais leur présence conjointe
autorise à identifier la présence d’un humanisme philosophique. Il sera
question dans ce chapitre du deuxième sens, principalement, tandis
que les deux autres sens seront examinés dans le dernier chapitre.
L’étude des principes de l’épistémologie sceptique mise en œuvre
par Jean de Salisbury a souligné l’importance du raisonnement
probable pour ce scepticisme de type académicien. Ce probabilisme,
qui repose à la fois sur la qualité et la quantité des arguments, est lié
à une certaine forme d’écriture sceptique, qui procède largement par
accumulation : accumulation d’arguments, d’autorités, d’anecdotes
savantes, tout ce matériel textuel, parfois contradictoire, relevant d’une
stratégie pour approcher la vérité. Dès lors, ce qui constitue la marque
de l’humanisme de Jean de Salisbury, à savoir la connaissance des
classiques6, apparaît également comme une pièce essentielle de son
scepticisme7. Le développement d’une culture humaniste, constituée
par la pratique des auteurs anciens, historiens autant que philosophes
ou poètes, vise à promouvoir une forme de liberté intellectuelle. En
multipliant les points de vue sur une question, on ne se soumet à aucun
d’entre eux. Pour éviter toute adhésion précipitée à une doctrine, il faut
faire de chaque auteur un « mercenaire8 » que l’on embauche et que
l’on débauche au gré de ses besoins.
Jean de Salisbury met ainsi en œuvre une conception du savoir
qui exige une certaine liberté du jugement, dans la mesure où il faut
être capable de choisir entre différentes solutions alternatives, et
éventuellement de retenir toute précipitation dans l’adhésion, voire
se tenir prêt à réviser ses positions. Dans cette perspective, il accorde
une place fondamentale à l’apprentissage des arts libéraux dont la
fonction est, selon lui, de libérer l’esprit.9 L’éloge du libre examen
doit donc s’accompagner d’un programme pédagogique, sans lequel
il ne peut s’exercer correctement. Le but de ce que l’on a coutume
L’humanisme comme éducation au scepticisme 109

d’appeler l’humanisme de Jean est bien de former les esprits, mais cette
formation est sous-tendue par une conception sceptique du savoir. De
fait, l’ouverture d’esprit, la modération et le discernement, que réclame
le scepticisme, s’acquièrent via cette forme d’encyclopédisme mise en
œuvre par Jean lui-même.
Dès lors, on comprend que Jean de Salisbury attire à plusieurs reprises
l’attention sur ce que doit être une bonne éducation. Des instruments
strictement formels, comme la logique, ne peuvent suffire à mettre en
œuvre cette pluralité des points de vue. Il faut une approche plus concrète
des problèmes, que seule permet la fréquentation assidue de l’historia, des
res gestae, et de la poésie. L’encyclopédisme nécessaire à la démarche
sceptique est ainsi intimement lié au principal outil méthodologique utilisé
par Jean, à savoir l’exemplum, dont on verra dans le chapitre suivant
les enjeux éthiques. L’exemplum, en proposant la synthèse précisément
contextualisée d’une expérience, est apte à donner des éléments de
réponses concrets au problème qu’il faut résoudre ; et la multiplication
des exempla permet de circonscrire les conditions de validité de telle ou
telle solution et d’approcher la vérité. Toute la théorie éducative de Jean
de Salisbury est donc orientée par ce souci de rendre possible l’acquisition
d’un certain matériau, des exempla, qui permette d’aborder un problème
dans une perspective éminemment sceptique.

Éduquer au scepticisme : du bon usage des classiques

Jean de Salisbury a été, à juste titre, reconnu comme un représentant


exemplaire de la Renaissance du xiie siècle, et des mutations pédagogiques
qui l’accompagnent. Parmi d’autres, il a, en effet, relaté sa propre
expérience de l’enseignement, reçu et donné, dans la première moitié
du siècle à Paris, et peut-être à Chartres10. Comme on le verra, l’ampleur
de l’enseignement reçu n’est pas étrangère à la conception de l’éducation
que Jean va développer. À cette expérience parisienne, il faut ajouter
la pratique intellectuelle propre au cercle de Canterbury qui contribue
sans doute à renforcer à la fois l’importance de la culture classique et le
sentiment élitiste propre à son projet éducatif11.
110 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Modèle et contre-modèle éducatifs


Pour faire ressortir le sens du projet éducatif qu’il promeut, Jean de
Salisbury l’oppose à un contre-projet, incarné dans le Metalogicon par
le célèbre Cornificius, qui prend le contre-pied de ce qu’il propose :
valorisation de l’utilité immédiate et du gain des études, facilité dans
l’acquisition d’un savoir (ou pseudo-savoir), opposition de la modernité
à la culture classique. Outre la référence à sa propre expérience de
l’enseignement reçu à Paris dans les années 1136-1148, cette opposition
entre deux projets doit être rapportée à la question typiquement sceptique
de la recherche de la vérité et de la critique des opinions reçues.
Sans doute, le projet éducatif de Jean s’enracine-t-il dans sa propre
expérience d’étudiant. Lors de son séjour parisien qui dura une dizaine
d’années, Jean de Salisbury avait, en effet, pris la peine de parcourir
la presque totalité du champ du savoir, à des degrés divers12. C’est
principalement les disciplines spéculatives, celles du trivium (logique,
grammaire et rhétorique) et dans une moindre mesure celles du quadrivium
(musique, astronomie, géométrie, arithmétique), ainsi que la théologie,
qui ont eu ses faveurs. C’est probablement plus tardivement, alors qu’il
était de retour en Angleterre qu’il se forma au droit savant, sans doute
auprès de Vacarius. Quant à un éventuel apprentissage de la médecine,
il n’en dit rien : s’il semble, dans ses œuvres ultérieures, avoir une
connaissance minimale de certains textes à teneur médicale (Hippocrate,
Galien, Constantin l’Africain), sa connaissance demeure assez vague13.
Dans le chapitre du Policraticus qu’il consacre à la médecine, Jean
se contente de généralités, et s’intéresse principalement à la capacité
prédictive de cette science, dans le cadre plus général de son étude sur
les signes et leur interprétation14. Ce qui ressort, donc, du curriculum
parisien de Jean, c’est le primat du théorique sur le pratique, et l’éloge
des études désintéressées, c’est-à-dire qui ne seront pas immédiatement
lucratives. À cette remarque générale, il faut adjoindre deux détails
qui ont leur importance. En premier lieu, Jean le dit explicitement, sa
première tentative d’apprendre la logique, auprès de Pierre Abélard, puis
Albéric et Robert de Melun, s’est soldée par un échec. Les limites de ses
L’humanisme comme éducation au scepticisme 111

aptitudes naturelles ne lui ont pas permis d’apprécier véritablement ces


enseignements. Il a donc été conduit rapidement à un usage strictement
formel et quasi-sophistique des rudiments de logique acquis :

Je m’entraînais auprès de ces maîtres pendant deux années entières,


de sorte que je m’habituais à appliquer les lieux et les règles, et autres
éléments des rudiments dont les jeunes esprits reçoivent une teinture,
et dans lesquels les maîtres en question étaient particulièrement
qualifiés et capables, de sorte qu’il me semblait que je connaissais
tous ces procédés sur le bout des doigts. En effet, je les avais appris
pleinement, de sorte que, en raison de la légèreté de ma jeunesse, je
prêtais plus à ma science que ce qu’elle n’était. Je me croyais savant
car j’étais prompt à répéter tout ce que j’avais entendu15.

Ce que Jean va dénoncer avec force, à savoir la substitution d’un


formalisme logique vide à une véritable science concrète, il l’a directement
expérimenté. Or, le remède à cette dérive il l’a trouvé dans l’enseignement
de la grammaire prodigué par Guillaume de Conches, puis Richard l’Évêque,
apprentissage accompagné d’une multiplication des lectures :

Ensuite, m’étant retourné vers moi et mesurant mes forces, conseillé


par la bonne grâce de mes précepteurs, je passais chez le grammairien
de Conches, et j’écoutais son enseignement pendant trois ans. Pendant
ce temps, j’ai beaucoup lu, et jamais je ne me suis repenti de cette
époque16.

C’est donc le retour aux fondamentaux, c’est-à-dire la lecture et le


commentaire des classiques de la littérature latine (qui constituent la base
de cet enseignement grammatical) qui permet seul de faire ultérieurement
un usage correct des règles formelles de la logique. De ce fait, tout dans
le portrait de Richard l’Évêque contribue à l’opposer aux logiciens auprès
de qui Jean s’était formé : c’est un homme à la vaste érudition, dont la
profondeur de la science s’oppose à la vaine volubilité des logiciens, et qui
cherche sincèrement la vérité plutôt que le triomphe dans une dispute17.
Le second détail significatif, c’est que la plupart des maîtres dont Jean
112 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

parle avec chaleur ont été en contact avec Bernard de Chartres : Guillaume
de Conches, Richard l’Évêque, Thierry de Chartres (auprès de qui il a
étudié la rhétorique), Gilbert de Poitiers. Quoique de façon indirecte, la
méthode pédagogique de Bernard revêt une importance fondamentale
pour les conceptions éducatives de Jean.
Néanmoins, cet héritage pédagogique va recevoir chez Jean une
inflexion nouvelle, dans le sens du scepticisme qui irrigue toute sa
démarche philosophique. De fait, la dimension sceptique de ce projet est
nettement affirmée, dix ans plus tard, dans un chapitre du Policraticus
qui reprend ces éléments de pédagogie :

Mais peu nombreux sont ceux qui daignent imiter les Académiciens,
puisque chacun choisit le modèle qu’il suivra davantage selon sa
fantaisie que selon la raison. Certains sont distraits par leurs propres
opinions, d’autres par celles de leurs enseignants, d’autres par leur
association avec les foules. Car de quoi peut-il douter celui qui ne
jure que par les mots de son maître, et n’est pas attentif à ce qui est dit
mais à celui qui le dit ? Tout ce dont il a été imbibé dans sa jeunesse,
il l’aboie avec véhémence, pensant l’extraire du plus profond des
secrets de la philosophie. Celui qui est captif de l’opinion de son
enseignant est prêt à disputer sur la laine du mouton, croyant qu’est
incroyable la chose inconnue qui sonne à ses oreilles, et il n’admet pas
les arguments rationnels. Tout ce que dit son maître est authentique
et sacro-saint18.

Ce texte présente très clairement les objectifs d’une pédagogie


sceptique : substituer l’examen rationnel au caprice lié à l’imagination
et justifier autant que possible les opinions acceptées, autrement que par
l’autorité. Il s’agit donc de substituer l’habitude de l’enquête rationnelle
au confort de l’adhésion irréfléchie. Or, le premier problème d’une
philosophie de l’éducation est bien la plasticité et la malléabilité de son
matériau, à savoir l’étudiant qui reçoit l’enseignement d’un maître. Ayant
été enfant avant que d’être homme, nous sommes déterminés à croire
un certain nombre de choses sans avoir une pleine maîtrise de la raison,
qui seule permettrait une discrimination effective de nos jugements.
L’humanisme comme éducation au scepticisme 113

Au cœur de la théorie éducative de Jean, on retrouve le problème clé


du statut de nos croyances et de la justification de l’assentiment. Avant
d’être disposé à chercher la vérité, nous sommes conditionnés par nos
propres opinions (l’ensemble des expériences acquises sans discernement
durant l’enfance), celles de nos proches, et plus particulièrement celles
de nos enseignants. L’autorité du magistère se substitue à toute analyse
rationnelle et interdit finalement la pratique du doute. Le scepticisme est
donc un impératif éducatif dans la mesure où seule la pratique du doute,
alliée à la prudence épistémique, peut permettre de faire table rase de ces
mauvaises habitudes acquises au cours de la jeunesse, pour reconsidérer
à nouveaux frais toute question qui se présente à nous :

En effet, l’erreur exige un double effort puisqu’il faut à la fois


détruire les semences d’un enseignement pervers, et introduire les
bonnes graines d’une éducation plus fiable19.

Le scepticisme a donc, au moins, une vertu propédeutique dans la


mesure où il permet de préparer le terrain pour une éducation correcte. Il
est d’abord une méthode pour se déprendre des enseignements fallacieux
que nous avons reçus. Pour cela, il faut multiplier les points de vue
pour éviter d’être prisonnier d’un seul d’entre eux, et il est préférable
de renoncer temporairement à la vérité plutôt que de se contenter d’une
apparence de vérité. Pour mettre en œuvre cette éducation sceptique,
Jean doit, en premier lieu, dénoncer les pratiques par lesquelles certains
maîtres captivent leur auditoire en substituant l’apparence du vrai à la
vérité. C’est le sens du motif cornificien, explicite dans le Metalogicon,
mais déjà présent dans l’Entheticus et le Policraticus.
À l’origine, dans l’Entheticus, dont la rédaction a vraisemblablement
été commencée alors que Jean était encore étudiant à Paris20, c’est avant
tout le formalisme logique de certains enseignants qui est critiqué.
Cette fascination pour la logique sera une constante du contre-modèle
pédagogique reconstruit par Jean pour l’opposer à son modèle humaniste.
De fait, cette critique est construite sur l’opposition entre la grammaire,
qui repose sur l’étude des classiques, et qui apprend à juger du sens
d’un mot dans son contexte, et une forme de logique naturelle, fondée
114 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

sur le seul ingenium et qui enseigne à tout savoir par soi-même. C’est
sous un pseudonyme, Sertorius21, qu’est désigné le promoteur de cette
pédagogie, mais Jean, vraisemblablement, s’inspire d’Adam du Petit-
Pont (qui est pourtant un de ses amis) ou du moins de ses disciples, qui
semblent visés ici22. Le discours qui leur est attribué fait l’éloge de la
nouveauté contre les dicta veterum, et rejette par conséquent toute forme
livresque de savoir :

Nous sommes sages par nous-mêmes, notre jeunesse s’est enseignée


elle-même,
Notre compagnie n’admet pas les doctrines des Anciens,
Nous n’acceptons pas la charge de suivre les paroles
De ceux que la Grèce tient pour des modèles, et que Rome a cultivés.
[…]
Puisque tout provient de l’habileté, ne te préoccupe pas
De ce que tu as appris avant, ou de ce que tu liras par la suite.
Cette école ne se soucie pas de ce que sont la méthode et l’ordre,
Ni de la voie que doivent suivre maîtres et élèves.
Il est plus profitable de confondre les diverses langues,
Que de suivre les études des Anciens de façon stupide23.

La prétention, qui n’est pas en soi illégitime, à penser par soi-même,


conduit à placer au cœur de l’attitude philosophique le rejet des autorités
héritées des anciens. L’ingenium de chacun suffit pour devenir sage, à
l’exclusion de tout savoir livresque. Mais la conséquence extrême que
pointe Jean, c’est que le rejet de toute autorité mine la relation du maître
et de l’élève, et par là conduit au rejet de l’apprentissage méthodique et
ordonné que seuls peuvent proposer des enseignants qui s’appuient à la
fois sur leur propre expérience et sur la sédimentation des expériences
transmises par les autorités. Ainsi, la satire de Jean fait rapidement
dériver l’éloge de l’autonomie intellectuelle vers une simple verbosité
sans rapport avec la vérité. Il suffit de proférer tout ce qui vient à
l’esprit, le bavardage par sa profusion tient lieu d’enseignement et suffit
à apporter la gloire, et à donner l’apparence de savoir qui contente ce
nouveau sophiste :
L’humanisme comme éducation au scepticisme 115

Je suis le résident du Petit-Pont, un nouveau modèle dans les arts,


Puisque je revendique pour moi la gloire de ce qui a été découvert
antérieurement :
Ce qu’ont enseigné les Anciens, et qu’une jeunesse bien-aimée ne
connaît pas,
Je jure que c’est moi qui l’ai découvert en mon âme !
Une foule empressée de jeunes gens m’entoure et pense que
Celui qui se vante de si grandes choses ne peut dire que la vérité24.

Ces différents éléments, qui brossent le portrait d’un sophiste à qui


suffit l’apparence du logicien, pourvu qu’il puisse séduire des étudiants
et s’enrichir de la sorte, annoncent, très nettement, le portrait un peu plus
élaboré de Cornificius dans le Metalogicon.
Le personnage de Cornificius, Jean reprenant le nom d’un critique
de Virgile, a depuis longtemps attiré l’attention des historiens. Il est
assez largement admis aujourd’hui que, si Jean s’inspire sans doute
de son expérience scolaire et critique une dérive du système éducatif
des années 1140-1150, Cornificius ne renvoie pas à un enseignant en
particulier, mais exemplifie un ensemble de vices, à la manière d’un
personnage de comédie25. De fait, Cornificius est décrit comme exhibant,
dans son physique, ses vices moraux : son obésité souligne l’enflure de
son esprit orgueilleux, il est laid, sot et méchant, et ses mœurs vicieuses
excèdent ceux des pourceaux d’Épicure :

Lui vraiment je le désignerais par son nom que tout le monde


connaît ; l’enflure de son ventre et de son esprit, l’infection de ses
lèvres, la rapacité de ses mains, la frivolité de ses gestes, l’ignominie
de ses mœurs qui répugnent tout son entourage, l’obscénité de sa
concupiscence, la laideur de son corps, l’indignité de sa vie, sa
réputation salie, je les mettrais à nu et les offrirais aux regards de tous,
si le respect dû au nom d’un chrétien ne me retenait. […] Autant qu’il
veut donc, il peut ronfler jusqu’à midi, dans ses ripailles quotidiennes
s’imbiber de vin jusqu’à en être malade, et il se vautre dans ces ordures
qui ne conviendraient même pas à un pourceau d’Épicure26.
116 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Ce qui rend nécessaire la réfutation de Cornificius, c’est l’impact des


idées qu’il défend et leur proximité avec une forme de scepticisme. De
fait, Cornificius enseigne à ne rien savoir, mais il l’enseigne à la manière
des sophistes, en se contentant des apparences, et il entre de ce fait dans
la catégorie des faux sceptiques dénoncés par Jean27.
Le point principal de l’enseignement de Cornificius réside dans la
critique de l’éloquence, entendue au sens large, à la fois comme capacité à
s’exprimer correctement, et comme capacité à enraciner son discours dans
une culture générale raisonnée28. Cette conception de l’éloquence provient,
vraisemblablement, de Cicéron. De fait, dans le De oratore, l’Arpinate
affronte déjà un débat similaire à celui qui oppose Jean à Cornificius.
Contre son frère Quintus qui soutient que l’éloquence est indépendante
de la culture générale, mais repose simplement sur le développement de
l’ingenium (donc, d’un don naturel) au moyen de quelques exercices,
Cicéron défend la nécessité pour l’orateur d’être doctus, dans la mesure
où l’éloquence contient l’ensemble des arts qui font l’homme érudit29.
Dans cette perspective, il brosse le portrait de l’orateur idéal, dont la
vaste culture doit lui permettre de parler de tous les sujets sans tomber
dans le verbiage. Seule une vaste connaissance de la réalité (scienta
rerum plurimarum) permet d’éviter cet écueil. À ce type de connaissance,
il faut en outre ajouter une connaissance des passions humaines, sur
lesquelles s’appuie l’orateur, ainsi qu’une maîtrise de l’histoire en tant que
réservoir d’exemples, et du droit30. C’est de la connaissance des choses
que provient la capacité à s’exprimer correctement. Dès lors, la partie
technique (rhétorique et stylistique) de l’éloquence est inséparable de
cette nécessaire érudition. Comme le montre l’exemple d’Hippias, c’est
l’ensemble des arts libéraux, et à l’exclusion des arts mécaniques, qu’il
faut connaître31. Néanmoins, l’homme éloquent, s’il se doit de parcourir
l’ensemble des arts et des sciences, ne doit pas être un spécialiste. De
fait, c’est la spécialisation outrancière qui a causé la perte de l’éloquence
chez les Grecs32.
C’est donc un schéma similaire que l’on retrouve chez Cicéron et Jean
de Salisbury. Comme Cicéron critique l’idée que certaines techniques
rhétoriques suffisent pour qu’un orateur soit capable de parler de tout,
Jean rejette l’idée qu’un petit nombre de techniques de logique formelle
L’humanisme comme éducation au scepticisme 117

permettrait de traiter toute question philosophique. Dans les deux cas, c’est
une culture universelle concrète qui est valorisée contre une technicité
formelle et vide. À l’inverse, ne retenant de l’éloquence que sa partie
élocutoire, Cornificius défend la naturalité de cette capacité et l’inutilité
des techniques mises en œuvre pour la développer. Il est donné à chaque
homme de parler, et ce don ne peut être modifié : certains sont destinés
à bien parler, d’autres non33. Il est donc inutile d’étudier les règles de
l’éloquence. En revanche, Cornificius propose de substituer à ces règles
un ensemble de techniques logiques qui permettent d’appliquer le langage
à toutes choses. Un petit nombre de matrices argumentatives permet de
disputer formellement sur tous les sujets, dès lors que la forme l’emporte
sur le fond :

Ils ne parlaient que de « cohérence », ou de « raison » ; « argument »


était sur toutes les lèvres et prononcer les mots « âne » ou « homme »
ou le nom de quoi que ce fût des œuvres de la nature, était considéré
comme un crime ou, du moins, une ineptie inadmissible ou une
grossièreté, et n’avait rien à voir avec la philosophie. On considérait
qu’il était impossible de rien dire ou rien faire « de façon cohérente »,
et conformément aux règles de la raison, sans y inclure expressément
les mots « cohérence » et « raison ». Même un argument n’était pas
admis qui n’était pas précédé du mot « argument ». Se conformer
aux règles d’un art et en traiter revenait au même34.

Dès lors, Cornificius peut proposer à ses étudiants une sorte de méthode
de la philosophie sans peine, où la simulation et la feinte l’emportent sur
la recherche sincère de la vérité.
Cette critique du formalisme logique, propre à l’enseignement scolaire
du milieu du xiie siècle est généralisée par Jean dans le Policraticus :
ces philosophes occupent l’espace avec une ou deux règles logiques
et quelques belles paroles qui suffisent à résoudre tous les problèmes
proposés à la dispute et à séduire les étudiants. En même temps, cette
plasticité de la logique, qui permet de s’adapter facilement aux questions
disputées, ne va pas sans une certaine obscurité qui permet à ces maîtres
de dissimuler leur ignorance du fond. Cette dissimulation repose sur une
118 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

double stratégie : soit s’en tenir au détail, soit à l’inverse ne parler que de
généralités35. La stratégie qui leur permet de dissimuler leur ignorance
sous le voile des mots est analysée par Jean de Salisbury dans un chapitre
du Policraticus. À cette occasion, ce type d’enseignants est explicitement
rapporté aux sophistes, eux qui cherchent à présenter l’apparence du
sage mais qui, loin d’être des amatores sapientiae, sont des iactatores
sapientae36. Le principe recteur de cette attitude est une verbosité telle que
l’abondance des mots permet en quelque sorte de déconnecter le discours
de la réalité37. De fait, pour dissimuler son ignorance, sans se donner la
peine de chercher la vérité, il faut, en premier lieu, rendre le sens des mots
parfaitement obscur et inintelligible en les mêlant et en les multipliant38.
Cette abondance verbale, qui a pour vertu de séduire la foule, produit
moins qu’un argument probable, une imitation du probable39. À cette
verbosité s’ajoutent, en second lieu, plusieurs stratégies d’évitement qui
permettent de rester à la surface d’un problème. D’abord, il faut refuser
d’analyser un problème, d’entrer dans le détail, pour toujours se contenter
d’argumenter40. Ensuite, il faut toujours refuser l’explication du sens des
mots, l’analyse d’un texte, au prétexte que la lettre tue41. Enfin, il faut
répondre par un long discours à une question42.
Le point commun à Cornificius et à ces maîtres, c’est leur volonté
d’efficacité et de rapidité. Il faut être capable de faire face à toute forme
de situation qui se présente, et y faire face rapidement au moyen d’un
petit nombre de méthodes malléables. Sans doute une telle évolution de
l’enseignement répond-elle à une demande du public étudiant, en quête
de rentabilité immédiate pour des études coûteuses43. Il n’est donc guère
étonnant que parmi les débouchés principaux des cornificiens, on trouve,
notamment, la médecine et les fonctions curiales, qui correspondent à
cette orientation pratique de l’enseignement libéral44. On est donc loin
de la conception de l’enseignement libéral comme ce qui, libérant des
soucis mondains, permet, par cette forme de détachement, de s’adonner
à la philosophie45.
Ainsi, de façon générale, ce contre-modèle met en avant un certain
nombre de défauts qui s’opposent point par point aux qualités que Jean
exige d’un enseignement philosophique. En premier lieu, ces pseudo-
philosophes valorisent la virtuosité logique, présentée par Jean comme
L’humanisme comme éducation au scepticisme 119

une simple verbosité. À cette virtuosité s’oppose la lecture des Anciens


considérée par ses adversaires comme inutile. Ensuite, la grammaire
est exclue du cursus d’étude au profit de la seule dialectique. La ligne
directrice de cette attitude, c’est la promotion d’un accès rapide et aisé au
savoir (ou à une apparence de savoir), et surtout aux gains matériels que
l’on peut en espérer. C’est donc la recherche de la rentabilité immédiate,
l’appât du gain, et finalement la vaine gloire qui sont fustigés dans ce
contre-modèle.
À contre-courant des évolutions du monde scolaire, Jean de Salisbury
va continuer à faire la promotion d’un autre modèle éducatif, fondé
sur l’encyclopédisme et l’application aux études46. Ce programme est
brièvement introduit par quelques vers dans l’Entheticus :

La puissante nature de l’intelligence posséderait rapidement tous


Les arts, si elle était suivie de ces compagnons :
Écoute de la parole, lecture des livres, sollicitude
Appliquée, repos propre à l’étude, amour fidèle47.

À l’inverse du contre-modèle pédagogique exposé auparavant, Jean


insiste ici sur la nécessité pour les dons naturels de s’appuyer sur un
ensemble de techniques éducatives fondées sur la lecture et l’audition.
C’est cette idée qui va être développée dans les ouvrages ultérieurs qui
présentent un modèle que l’on pourrait qualifier de chartrain, dans la
mesure où la figure majeure qui l’exemplifie, dans le Metalogicon et le
Policraticus, est Bernard de Chartres. La méthode de formation proposée
par ce dernier, et qui sera reprise par Guillaume de Conches et Richard
l’Évêque48, dont Jean fut l’élève, repose sur une triple attitude, lectio,
meditatio et collatio :

Les trois principales démarches dans l’exercice de toute la


philosophie et de la vertu sont la lecture, l’enseignement, la méditation
et l’assiduité au travail. La lecture a pour matière ce dont traitent
les écrits qui sont devant elle. L’enseignement s’applique aussi à ce
qui est écrit, et parfois va plus loin vers ce qui n’est pas écrit, mais
qui cependant a été enfoui dans les archives de la mémoire, ou qui
120 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

est évident à l’intelligence dans le cas présent. Mais la méditation


s’étend à ce qui est inconnu et s’attache même souvent à ce qui est
incompréhensible, et elle explore tant les aspects manifestes des
choses que ceux cachés49.

La lectio, dont le sens est double, à la fois lecture privée (appelée


praelectio) et leçon publique, procure à l’esprit la matière nécessaire à la
pratique philosophique. Cette lectio peut être renforcée par la doctrina,
qui établit des points de comparaison entre ce qui est lu, et ce qui est
conservé dans la mémoire. D’emblée, donc, le texte des auctores est
placé au cœur de la démarche philosophique : il s’agit, d’une part,
d’examiner les auteurs qui font autorité par leur style et leur pensée, et
de faire ressortir leur spécificité, et d’autre part de croiser les différents
genres littéraires pour en faire ressortir la dimension spéculative et
l’enseignement qu’ils contiennent. La lecture, publique ou privée, ne prend
son sens que si elle est reliée à autre chose : il faut établir des ponts, des
points de contact entre les œuvres, les faire dialoguer. C’est cependant la
démarche personnelle de la meditatio, qui permet (dans une veine assez
augustinienne) de dépasser ces maîtres extérieurs que sont les livres pour
examiner ce donné, se l’approprier et le transformer véritablement en
savoir50. L’influence de la théorie augustinienne de l’illumination se lit,
en effet, on l’a dit, à plusieurs reprises sous la plume de Jean de Salisbury,
notamment dans l’Entheticus, ou dans le Policraticus51. Cependant, ce
savoir doit de nouveau être confronté à un regard extérieur dans le cadre
de la collatio. L’équivocité du terme est manifeste chez Jean, notamment
dans ce chapitre où il rapporte la méthode d’enseignement de Bernard.
Comme cela a été signalé52, en effet, la collatio a une origine monastique
et renvoie d’abord à l’exercice monastique spirituel de mise en commun,
de conférence ou lecture conventuelle, qui clôt la journée, conformément
à la Règle de saint Benoît (cap. 42). Cette forme de la collatio est adaptée
par Bernard aux élèves de son école. La journée se conclut par des lectures
en rapport immédiat avec les questions religieuses, auxquelles on peut
également ajouter des textes littéraires recommandés à l’imitation53. Mais,
dans ce même chapitre, le sens du terme varie pour désigner la mise en
commun, la confrontation, la discussion54. Il s’agit alors d’un « procédé
L’humanisme comme éducation au scepticisme 121

de travail entre étudiants par manière d’émulation collective dans la


recherche ou l’expression de la vérité55 ». C’est ce sens de collatio que
Jean va principalement reprendre à son compte pour souligner que la
vérité émerge de la confrontation et de la comparaison des opinions56.
C’est, de fait, l’exercice dialectique de la dispute, de la mise en opposition
d’arguments probables, qui permet, on l’a vu, d’approcher le vrai :

L’intelligence est bonne quand elle donne facilement son assentiment


au vrai et repousse le faux. C’est d’abord quelque chose qui prend
sa source dans la disposition naturelle nourrie par la raison innée,
puis se renforce dans l’habitude et l’attrait pour le bien. L’habitude
affermit l’exercice et procure la capacité de prouver et d’examiner le
vrai ; mais ceci est plus facile et plus rapide quand elle est renforcée
par le profit de l’art et de ses règles. Mais quoiqu’il arrive que l’on
puisse s’exercer utilement tantôt avec soi et tantôt avec autrui, la
confrontation est manifestement plus utile que la méditation. Car de
même que le fer est aiguisé par le fer, à l’audition de la voix d’autrui
l’esprit de celui qui parle est excité de façon plus aiguë et efficace,
par celui avec qui l’on s’entretient57.

À ces quatre techniques de l’enseignement font écho les six clés


de l’apprentissage par lesquelles Bernard indique quel doit être l’état
d’esprit de l’étudiant. C’est dans le Policraticus que Jean les rapporte
en les glosant longuement :

Or, que certaines clés doivent être enseignées qui sont expédientes
aux apprentis philosophes qui font attention à la méthode pour trouver
une forme de la vérité, le vieillard de Chartres l’a exprimé en peu de
mots. Et bien que je ne puisse être séduit par la douceur de son vers,
j’en approuve le sens, et je crois devoir le présenter fidèlement aux
esprits des apprentis philosophes : « un esprit humble, l’application
mise à chercher, une vie paisible/l’examen silencieux/la pauvreté/une
terre étrangère/ont pour habitude de dévoiler à beaucoup les choses
obscures à la lecture58.
122 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

C’est, bien entendu, la première clé qui retient le plus l’attention


de Jean, tant elle converge avec son propre projet d’un scepticisme
chrétien. L’humilité, renforcée par la simplicité, est d’abord une vertu
spécifiquement chrétienne que manifeste celui qui s’en remet à Dieu,
notamment pour obtenir la grâce d’accéder à la vérité. On retrouve donc,
ici, l’opposition fondamentale entre orgueil et modestie, dont on a vu
l’importance pour le schéma sceptique de Jean. Celui qui cherche la
vérité ne doit pas s’en remettre orgueilleusement à ses seules facultés,
mais au contraire soumettre l’usage de ces facultés, données par la nature,
à la grâce divine qui les complète en les guidant59. Dès lors, l’humilité
se transforme en une véritable méthode herméneutique qui incite à ne
pas forcer le texte, mais plutôt à s’assimiler à lui pour en comprendre
le véritable sens. Celui qui cherche à dominer un texte (Jean traite des
Écritures, mais on pourrait, mutatis mutandis, généraliser) pour en percer
le sens, qui toujours se dérobera à lui, est condamné au contresens :

Il est inepte, en effet, celui qui désire dominer des écrits dont
il doit s’instruire, et qui, ayant capturé leur sens, s’efforce de les
entraîner vers son propre sens qui leur répugne. Car chercher en eux
ce qu’ils n’ont pas, c’est obstruer leur sens et non apprendre ce qui
est inconnu. […] Quiconque, donc, attente à l’intégrité des Écritures
par les capacités de son intelligence ou de ses études en vue de son
propre plaisir, demeure étranger à l’intelligence du vrai60.

Jean exemplifie cette conséquence en proposant une lecture allégorique


de Sodome : les anges que les habitants de Sodome veulent connaître, ce
sont les Écritures, et leur désir de domination les conduit à l’aveuglement61.
La seconde clé, quant à elle, l’application à chercher, est principalement
illustrée par des exemples, bibliques et païens, qui montrent le sage (et
notamment Carnéade) adonné sans répits à sa recherche :

En outre, nous sommes encouragés à nous appliquer à chercher


non seulement par des exemples familiers, mais aussi étrangers.
[…] Carnéade, industrieux et éternel soldat de la sagesse a passé
quatre-vingt-dix ans dans l’étude ; et chez lui assurément, vivre et
philosopher eurent le même terme62.
L’humanisme comme éducation au scepticisme 123

Comme Hugues de Saint-Victor, Jean souligne, au moyen de l’exemple


de Carnéade, que la sagesse croît avec le temps, et que, seule, elle
résiste à la vieillesse. Il y a donc une forme d’optimisme à défendre
l’accroissement permanent du savoir chez celui qui s’y efforce. De fait,
reprenant la définition du studium donnée par Cicéron, Jean insiste sur
la part volontaire de l’esprit qui s’applique à l’étude63. En même temps,
cependant, c’est toujours dans cette même dialectique de la nature et
de la grâce que s’inscrit cette clé : c’est l’implication de l’esprit dans la
pratique des bonnes œuvres qui attire sur lui le soutien de la grâce divine
nécessaire à la manifestation de la vérité.
Les quatre autres clés ont trait aux conditions matérielles et
spirituelles de la recherche de la vérité : il faut d’abord bénéficier
d’une vie tranquille dans la mesure où une âme tourmentée est appelée
à se disperser dans de multiples directions. Cet idéal, autant social que
moral, de tranquillité, on le verra, est l’une des fins recherchées par
l’éthique sceptique de Jean de Salisbury. Il faut ensuite manifester
une capacité au silence qui est la condition, contre toute forme de
dispersion, du retour à soi et de la connaissance de son âme. C’est
une condition nécessaire du jugement équilibré et pondéré64. Enfin,
au niveau matériel, l’étudiant doit vivre dans un dénuement relatif,
qui exclut tout le superflu qui le détournerait de ses études, tout en lui
garantissant les necessaria. Cette pauvreté modérée est une garantie de
l’humilité, et préserve de la luxure. Cette indigence modérée, qui de
facto est le lot commun de bien des étudiants, et de Jean lui-même au
cours de ses années parisiennes65, est renforcée par l’exil que suppose
le choix des études. En même temps, cet exil a pour vertu de détourner
l’esprit de tout souci domestique, et de l’inciter à reconnaître sa patrie
partout où se trouve la sagesse. Ce déracinement, comme condition
d’un renouveau intellectuel, est encore présent dans la septième clé
que Jean ajoute à la liste de Bernard, en s’inspirant de Quintilien : il
faut aimer son maître comme un père spirituel qui donne à l’esprit sa
véritable naissance66. Jean le concède, une telle voie, qui en un sens
ne fait que systématiser les conditions réelles de l’étudiant médiéval,
pour les intégrer dans un programme d’ascèse, est difficile, mais la
contemplation de la vérité est un combat67.
124 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

L’accès au savoir se constitue, ainsi, dans un mouvement de va-et-


vient entre l’extérieur et l’intérieur, de confrontation avec soi et avec
autrui : partant du dialogue avec l’œuvre écrite, il faut rentrer en soi-
même pour en estimer la valeur, et se l’approprier, avant de confronter
ces acquis dans le débat. Dans chaque cas, ce qui importe donc c’est le
partage des opinions, le dialogue avec autrui (un autrui idéal sélectionné
par l’écrit ou l’institution scolaire) ainsi qu’avec soi. Jean ne prône
en rien l’érudition pour elle-même. Au contraire, la lecture doit être
complétée par l’usage quotidien et l’expérience, une telle attention à
l’expérience quotidienne étant présentée comme typique de la démarche
sceptique68. Mais la lecture seule, et c’est ce dont témoigne l’importance
de la doxographie dans ses différentes œuvres, rend possible le dialogue
avec les maîtres du passé. La lecture est donc une propédeutique qui
nous fournit le matériau nécessaire à l’exercice du jugement. En même
temps, la connaissance des écrits atteste de la multiplicité des opinions,
c’est-à-dire des figures de la vérité, et encourage à la modération et
à l’humilité. Ainsi, l’érudition et l’encyclopédisme s’insèrent dans le
projet sceptique de Jean de Salisbury, et le rendent possible. C’est, de
fait, l’apprentissage de la modération qui est au centre de l’humanisme
salisburien.

L’encyclopédisme et l’apprentissage de la modération


En ouverture du Metalogicon, et après avoir rappelé son adhésion au
scepticisme, Jean conclut son prologue en identifiant ce qui constitue le
cœur de son projet, à savoir les conditions de l’accès au vrai, et surtout les
limites que rencontre une telle entreprise. Il y a en effet un triple obstacle
à l’acquisition du savoir : l’ignorance du vrai, l’assertion fallacieuse du
faux et l’expression arrogante de la vérité :

Assurément, il y a trois choses, afin que tu sois plus parfaitement


instruit de mon projet, qui non seulement m’emplissent de crainte,
mais constituent un danger pour le salut des hommes de lettres ou
une perte de mérite : l’ignorance du vrai, l’assertion provocante
ou fallacieuse du faux, l’affirmation arrogante de la vérité. Je sais
L’humanisme comme éducation au scepticisme 125

en effet que quelqu’un a dit : on est plus sûr de la vérité que l’on
entend que de celle que l’on affirme. En effet, en écoutant on garde
son humilité, alors que celui qui parle se laisse souvent prendre
par l’orgueil69.

L’ignorance du vrai quand elle est consciente d’elle-même, est le point


de départ du scepticisme. Mais quand elle s’ignore, elle se transforme en
défense sophistique d’une apparence de vérité. Et si, par hasard, la raison
parvient à la vérité, elle s’enorgueillit de son succès et abandonne toute
prudence. Il faut donc introduire dans tout processus d’apprentissage
une résistance à ce triple défaut, résistance que Jean va trouver, en
suivant saint Augustin, dans la modération et l’humilité. C’est en se
mettant d’abord à l’écoute que l’on peut acquérir ces vertus. En effet,
l’audition enseigne l’humilité en ce qu’elle inscrit la découverte du vrai
dans le rapport à autrui. Néanmoins, en dernier recours, on l’a vu, c’est
bien à l’écoute du Maître intérieur que l’on doit se mettre pour accéder
au vrai. Cet apprentissage de la moderatio sapientium structure toute la
démarche pédagogique prônée par Jean. La modération provient de la
reconnaissance de la multiplicité des points de vue et de la diversité des
visages de la vérité. Dans cette perspective, il faut d’une part multiplier le
champ de ses connaissances et d’autre part, de façon connexe, multiplier
les points de vue sur la chose.
La première exigence, la multiplication des connaissances, renvoie
au programme de lecture, recommandé et pratiqué par Jean, contre
l’antimodèle cornificien. Contre les maîtres contemporains, qui soit
se spécialisent excessivement, et se limitent à un petit domaine de la
philosophie, soit en restent à une généralité vide, en raison de l’incapacité
à descendre au détail, Jean prône une voie moyenne faite d’une bonne
culture générale alliée à une forme de spécialisation. Il faut donc en
premier lieu parcourir l’ensemble du domaine du savoir afin de déterminer
un domaine de spécialité.

Du reste, celui qui parcourt de nombreux ouvrages afin de choisir ce


sur quoi il doit insister davantage, est circonspect, et une fois les autres
matières examinées, il se réserve plus fidèlement à sa lecture70.
126 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

La multiplication des lectures permet en premier lieu une extension


du champ des opinions. Néanmoins Jean précise bien qu’une culture
simplement livresque ne suffit pas, et qu’il faut y ajouter l’expérience
et la pratique, et surtout le secours de la grâce :

Néanmoins, l’abondance des lettres ne fait pas le philosophe,


puisque c’est la grâce qui seule conduit à la sagesse. En somme,
assurément, l’abondance des lettres est parfois ignorance ou négligence
de la vérité, sans laquelle il est impossible que quiconque devienne
savant71.

Il faut donc faire sienne l’injonction de Caton à la lecture, et il faut tout


lire : les philosophes, bien entendu, mais aussi les poètes, les historiens
et les mathématiciens72. En même temps, Jean marque bien sa préférence
pour un certain nombre de disciplines : celles qui ont trait à la santé, santé
du corps (la médecine), santé de l’âme (éthique et théologie), santé du
corps politique (droit et politique). À l’inverse, les disciplines propres
aux arts libéraux, que ce soit le quadrivium ou le trivium, doivent être
connues, mais ne peuvent constituer une fin en soi. Ce qui finalise toute
lecture doit être la volonté de rendre l’homme meilleur. On voit, déjà, ici le
primat de l’éthique qui traverse toute la philosophie de Jean73. Néanmoins,
Jean nuance la portée de l’encyclopédisme en le soumettant aux limites
imposées par le concept clé de son œuvre, à savoir la modération. Toute
lecture est bonne en soi, mais devient pernicieuse quand elle est pratiquée
sans modération, et qu’elle occupe l’esprit de façon exclusive. De ce fait,
l’encyclopédisme peut se révéler néfaste, comme l’atteste l’exemple de
Varron74. En effet, comme le rappelait déjà l’Entheticus, en présentant
l’œuvre de Varron, la clé de toute doctrine reste la grâce : sans elle,
l’encyclopédisme est condamné à l’erreur et à l’ignorance. On retrouve,
au cœur de l’humanisme, les principes même du scepticisme chrétien
de Jean de Salisbury75.
Correctement compris cependant, cet encyclopédisme fait tendre
vers la méthode qui, selon Jean, est celle de Gilbert de Poitiers, à savoir
enseigner la théologie en s’appuyant sur les poètes et les historiens, et
plus généralement sur l’apport de toutes les disciplines scientifiques :
L’humanisme comme éducation au scepticisme 127

Il recourait, selon ce que la matière exigeait, à l’assistance de


toutes les disciplines, sachant, de fait, que toutes sont cohérentes
avec chacune, et sont une aide mutuelle. Il tenait en effet que les
disciplines sont reliées entre elles et il les faisait servir à la théologie,
tout en maintenant les règles de chacune dans les limites de leur
genre propre. Car les règles propres sont attachées à un genre de
sorte que, aussitôt qu’elles sont appliquées à un autre genre, elles sont
viciées. Il expliquait les propriétés et les figures des mots au moyen
d’exemples tant des philosophes que des orateurs et des poètes, y
compris en théologie76.

La position de Gilbert, telle que la décrit Jean, repose sur deux


principes fondamentaux, à savoir la cohérence des différentes sciences,
en tant qu’elles sont porteuses de vérité, et en même temps, les limites
inhérentes à chacune, de sorte qu’il n’y a pas de science universelle. Ces
deux principes conduisent à la mise en œuvre d’une méthode faite de
collaboration entre les sciences. Chaque science découvre une facette de
la vérité, si elle reste limitée à son propre objet et à ses propres règles. Il
n’est donc pas question d’importer dans une science les règles élaborées
ailleurs. En revanche chaque résultat d’une science peut être réemployé
dans un autre domaine, de sorte que la théologie qui couronne l’accès
au savoir peut légitimement faire appel, à titre d’illustration ou de point
de départ, aux autres sciences77.
Mais au-delà de la seule illustration, tous les auteurs présentent une
opinion qu’il faut être capable d’examiner, et éventuellement d’accepter
ou de rejeter. C’est un précepte cardinal pour Jean que tout ce qui est
écrit l’est pour notre enseignement (doctrina) :

Car l’Apôtre n’a pas dit : tout ce qui a été écrit est vrai, mais : tout
ce qui a été écrit l’a été en vue de notre instruction (Ro, 15, 4)78.

Cette distinction entre doctrina et veritas souligne bien la portée de


l’encyclopédisme de Jean : il est légitime de lire tous les auteurs, y compris
les païens, dans la mesure où chacun, positivement ou négativement, est
apte à exercer l’ingenium du lecteur. Ainsi, l’érudition apparaît comme la
128 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

condition de possibilité de la logica probabilis qui constitue la méthode


sceptique, puisque l’éloquence, c’est-à-dire cette capacité à exprimer
clairement et précisément ses opinions, autant que de façon convaincante,
est proportionnée au savoir79.
Quant à la seconde exigence, multiplier les points de vue, elle renvoie
aux fondements même de la démarche sceptique. Même si l’érudition,
la multiplication des lectures, dans la mesure où elles permettent une
approximation de l’omniscience, contribue à l’accès à la sagesse, elles
valent surtout comme préparation au débat, que Jean prise par-dessus
tout. La valeur du débat réside en effet dans cet échange des points de
vue, cette capacité de changer de place et de perspective. C’est donc le
débat qui permet d’examiner une opinion sous tous ses aspects. Jean le
rappelle dans la fameuse lettre adressée à Henri le libéral :

Par conséquent, il me semble que l’on attaque davantage la foi


si l’on asserte opiniâtrement ce dont on n’est pas certain, que si l’on
s’abstient d’une définition téméraire. Ainsi, ce sur ce quoi les Pères
semblent ne pas s’accorder, et qui ne peut faire l’objet d’une recherche
complète, cela reste dans l’incertitude. Or, une opinion peut et doit être
examinée dans un sens et dans un autre, de sorte que ce qui semble
mieux connu et plus éminent à tous, au plus grand nombre, aux plus
sages ou à tout expert selon sa propre faculté, soit plus facilement
admis, à moins qu’un argument évident ou plus probable, dans les
cas qui relèvent de la raison, n’enseigne que l’opposé est vrai. J’ai
précisé « dans les cas qui relèvent de la raison » en raison des articles
de foi qui transcendent tout argument et à propos desquelles l’Église
a enseigné à être fou, afin que la folie de la foi appréhende le Christ,
la vertu et la sagesse divines. Ainsi, les philosophes païens qui se
disaient sages ont été rendus fous, et ils se sont perdus dans leurs
propres pensées au point de jeter l’opprobre sur les sens, et à cause
de la manifestation orgueilleuse de leur sagesse, ils ont été destitués
de la sagesse et de la vertu divines80.

Cette lettre relativement tardive (elle date de la période d’exil,


durant le conflit entre Becket et Henri II) reprend tous les éléments de
l’encyclopédisme sceptique de Jean. De fait, ce texte, qui a pour origine un
L’humanisme comme éducation au scepticisme 129

ensemble de questions d’Henri le Libéral sur la lecture des textes sacrés,


s’inscrit très nettement dans le cadre du probabilisme sceptique prôné
par ailleurs, et est porté par un éloge sous-jacent de la modération. Henri
pose cinq questions à Jean, dont les compétences de bibliste ne sont pas
par ailleurs connues : quel est le nombre de livres dans l’Ancien et dans
le Nouveau Testaments, qui en sont les auteurs, qu’était la table du soleil
d’Apollonius à laquelle Jérôme fait allusion, à quoi renvoient dans cette
même lettre de Jérôme les titres Virgiliocentones et Homerocentones,
et finalement que signifie la formule selon laquelle les choses qui ne
sont pas, sont plus déiformes que celles qui sont81. Jean de Salisbury
va escamoter la réponse aux deux dernières questions, et se concentrer
principalement sur les deux premières82. Il est intéressant de remarquer
que la démarche de sa réponse consiste à accumuler les autorités, et à
choisir parmi elles celle qui semble la plus recevable.
De façon générale, au début de la réponse à la première question, Jean
rappelle ce qu’il a identifié dans le Metalogicon comme l’un des obstacles
à la découverte de la vérité, à savoir l’opiniâtreté dans la défense d’une
thèse, à laquelle il oppose la prudence épistémique, propre au sceptique,
et qui se manifeste dans l’abstention. Les conditions de l’abstention sont
précisées et bordées : elle est nécessairement liée à l’incertitude, définie
par le désaccord des autorités et la possibilité de l’enquête. Dans ce cas,
il faut soumettre l’objet incertain à la méthode de la dispute in utramque
partem, l’examiner de façon contradictoire afin de déterminer un point de
vue suffisamment recevable, c’est-à-dire probable, lequel est défini en suivant
Aristote comme le consensus établi parmi le plus grand nombre ou parmi
les experts. Ce probable est bordé en amont par les vérités indubitables
de la raison, et en aval par les vérités de la foi qui relèvent d’un domaine
étranger à la raison, exprimée par l’idée paulienne de folie de la croix. C’est
pour avoir outrepassé ces règles élémentaires de prudence épistémique que
les païens ont perdu l’accès à la vérité en prétendant connaître de façon
strictement rationnelle ce qui relevait du domaine de la divinité.
Ainsi, dans toute interrogation qui ne met pas en danger le salut et
la foi, domaine où il faut s’abstenir de donner un point de vue téméraire
et arrogant, partout où aucune enquête complète n’est possible, on peut
et on doit examiner les différents aspects d’une opinion en mettant en
130 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

œuvre la méthode probable présentée par Aristote dans les Topiques. Les
vérités de la foi, et celles de la logique démonstrative, qui constituent deux
formes de nécessité, délimitent le champ du savoir probable où la liberté
d’enquête intellectuelle doit être complète, et où l’on pourra évaluer les
différents degrés de vérité jusqu’à atteindre une quasi-certitude. L’idée
que la vérité émerge, partiellement, par identification et confrontation
des contraires constitue la base de la logique sceptique mise en œuvre
par Jean. L’érudition qu’il prône prend sens dans ce cadre de l’examen
contradictoire des opinions. Chaque enseignement des Anciens est un
point de vue sur un objet incertain, point de vue qu’il faut prendre en
considération et soumettre à l’examen rationnel. Ainsi, la confrontation
des opinions, pour être réelle et approfondie, doit passer nécessairement
par une forme d’érudition.
C’est donc la multiplication des opinions qui seule permet d’approcher
la vérité. Et l’on ne doit pas craindre, au contraire, de rencontrer des
opinions contradictoires : Jean en avertit son lecteur au début du
Policraticus. Le mélange du vrai et du faux est une méthode (Jean parle
même d’une stratégie militaire) qui permet de conduire à la vérité83. Ainsi
les contradictions entre les faits relatés par les historiens sont rapportées
explicitement à la méthode sceptique de recherche du plus probable. Ce
décalage entre doctrina et veritas est, en quelque sorte, érigé en méthode
dès la préface du Policraticus, quand Jean explique qu’il a mêlé le vrai
au faux dans la perspective d’être utile à son lecteur :

Mais j’ai pris soin d’insérer la matière pertinente tirée de divers auteurs
pourvu qu’ils fussent profitables et secourables, parfois en taisant leur
nom, non seulement parce que tu reconnaîtras pleinement que la plupart
d’entre eux te sont connus, en raison de ton entraînement dans les lettres,
mais aussi pour inciter l’ignorant à une lecture plus assidue. Si certaines
choses s’éloignent trop largement de la vraie foi, j’ai confiance en ton
indulgence pour moi qui n’ai pas promis que tout ce qui est écrit ici est
vrai, mais, vrai ou faux, je l’ai inséré à l’usage des lecteurs84.

Dès lors, il ne s’agit plus tant de statuer sur le vrai que partager
avec le lecteur divers points de vue représentés par des auctores et qui
L’humanisme comme éducation au scepticisme 131

sont au service de l’utile et de l’honnête. Néanmoins, cette injonction


à tout lire, dans l’idée que toute lecture est susceptible de renfermer un
enseignement profitable, est bornée par une théorie de la lecture et du
lecteur, brièvement esquissée dans le Policraticus (livre VII, chap. 10). En
premier lieu, la lecture doit se faire avec modestie, sans orgueil, et dans
la perspective d’identifier ce qui sert à l’édification de la foi85. Ensuite,
il faut hiérarchiser les types de lecteurs, en fonction de leur capacité à
absorber les textes selon leur nature. Le lecteur prudens peut tout lire,
tandis que les simples en resteront aux seuls ouvrages catholiques86.
En fondant la méthode sceptique sur la théorie de l’exemplum,
Jean induit un décalage de l’épistémologie à l’éthique. Comme on
le verra, en effet, l’exemple est précisément ce qui permet d’agir
rationnellement dans un monde contingent dont la vérité nous échappe.
Ainsi la méthode sceptique est sans doute orientée vers la recherche
continue du vrai au moyen de la raison, mais elle est aussi le principal
mode d’accès à la felix moderatio prônée par Jean. Il ne faut donc pas
s’y tromper : la substitution de l’utile et de l’honnête à la question de
la vérité, qui reste largement indécidable, atteste bien du primat de
l’éthique qui est la fin de tout apprentissage de la philosophie. Avant
d’examiner les rapports entre scepticisme et éthique, il faut cependant
dire quelques mots de l’instrument principal du probabilisme de Jean,
à savoir l’exemplum. C’est en effet dans la pratique de l’exemplum
que se rencontrent l’idéal éducatif de Jean, fondé sur la lecture des
classiques, et la mise en œuvre d’un scepticisme qui réclame la mise
en contexte de notre savoir. C’est, de même, le recours à des exemples
contextualisés qui va offrir l’outil principal de l’éthique sceptique que
Jean cherche à mettre en œuvre.

Écriture sceptique et théorie de l’exemplum

Si Jean de Salisbury reprend le topos de la philosophie comme recherche


de la vérité, celle-ci consiste davantage dans une approximation du vrai,
et repose principalement sur une théorie du probabile et du verisimile.
Dans cette perspective, Jean fait à plusieurs reprises l’éloge des Topiques
132 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

d’Aristote et des œuvres rhétoriques de Cicéron87. Mais, cette reprise des


théories anciennes de l’exemple rhétorique se fait dans le contexte de son
scepticisme. De fait, on peut dire que l’exemplum constitue l’élément
clé de l’art d’écrire de Jean de Salisbury, un art d’écrire qui est basé sur
l’accumulation, la digression, l’association, et qui vise en même temps
à égarer le lecteur tout en lui donnant les moyens de sortir par lui-même
du labyrinthe. L’exemplum est ainsi constitué en fil d’Ariane pour qui
veut s’orienter dans la pensée.

La nature de l’exemplum88
Au sens large, l’exemple relève du genre de l’induction. À la suite
d’Aristote et de Cicéron, Jean semble estimer qu’il y a deux méthodes
de recherche du vrai, à savoir l’induction et la déduction89. Pour autant,
son vocabulaire est un peu fluctuant, puisqu’à une occasion il qualifie
l’induction de syllogisme rhétorique (en se réclamant des Premiers
Analytiques90), et dans une perspective semblable, il réserve l’induction
à la seule rhétorique et le syllogisme à la dialectique91. Mais de façon
générale, l’induction semble bien être le terme générique qui permet de
désigner la méthode de découverte et d’application du probable. Sur ce
point, Jean semble avoir profité des leçons de Thierry de Chartres. Ce
dernier, dans son Commentaire du De inventione de Cicéron élabore une
théorie de l’induction assez semblable :

On inclut dans l’induction l’exemple et le raisonnement, c’est-


à-dire le syllogisme, qui inclut l’enthymème. […] Cicéron décrit
l’induction en disant que c’est un discours dans lequel à partir de
choses certaines, dont l’assentiment, i.e. la concession est gagnée
à l’adversaire, i.e. qu’il les choisit, à partir de ces choses, dis-je, on
prouve quelque chose de douteux. […] Car dans l’induction, qu’il y
ait une progression, soit à partir des particuliers vers l’universel, soit
des particuliers à un autre particulier, on prouve toujours par la force
de la ressemblance : il en est dans ces choses, comme dans toutes,
ou il en est dans ces choses, comme dans celle-ci. […] Mais il faut
noter que cette description de l’induction est donnée selon l’usage
L’humanisme comme éducation au scepticisme 133

des philosophes, qui induisent en interrogeant, tandis que l’usage des


rhéteurs est d’enseigner par l’exemple92.

L’induction inclut à la fois l’exemple et le raisonnement, et c’est


un discours qui part de choses certaines pour obtenir l’assentiment
d’un auditeur à propos d’une chose incertaine. L’induction peut aller
du particulier au particulier ou du particulier à l’universel, et il faut
partir de choses vraies et très probables, puis pratiquer l’induction sur
des choses semblables. Enfin, l’induction s’inscrit dans une pratique
interrogatoire.
Même si Jean de Salisbury ne donne nulle part une description
systématique de l’induction, ce sont bien ces éléments que l’on retrouve
dans sa propre théorie. Décrivant dans le chapitre 10 du livre III du
Metalogicon les principaux acquis du livre VIII des Topiques d’Aristote,
Jean introduit en effet sa conception de l’induction, et de l’exemple
qui lui est lié. Que ce soit dans la logique démonstrative ou dans la
logique probable, l’argumentation syllogistique (syllogisme dialectique
ou enthymème) intervient in fine et précipite la conclusion :

Mais la force de cet art est plus efficace dans les argumentations.
Il est même plus contraignant dans les syllogismes, qu’il soit complet
et parfait, ou que la proposition intermédiaire soit supprimée à la
manière d’un enthymème, il précipite la conclusion. C’est pourquoi
on en fait davantage usage envers autrui93.

Jean qualifie donc de plus violente la force de l’enthymème, reprenant


l’opposition introduite par Aristote entre la force du raisonnement et
celle de l’induction (Topiques, I, 12). À l’inverse l’induction est dite plus
douce et plus modérée (lenior) dans la mesure où elle propose plus qu’elle
n’impose. Elle est, en outre, le préalable indispensable à tout jugement
puisque c’est par elle que l’on peut découvrir le moyen terme qui justifie
l’inhérence des termes sur laquelle s’appuie le syllogisme94. On aurait
tort cependant de limiter l’induction à un contexte de découverte pour
réserver le contexte de justification au seul jugement, puisque l’induction
non seulement découvre, mais prouve également.
134 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Dans cette perspective, il faut distinguer deux types d’induction :

Mais l’induction est plus douce, qu’elle progresse d’une démarche


posée de plusieurs choses à un universel ou à un particulier, ou que,
induite selon la forme de l’exemple, par une impulsion plus rapide
elle fasse l’inférence en sautant d’une chose à une autre95.

Le premier type consiste dans la reprise du propos même d’Aristote :


l’induction est progressio a pluribus ad unum universale aut particulare.
Ici, c’est la multiplication des expériences ou des cas considérés qui
autorise, par raisonnement sur le semblable, à poser un cas similaire ou
un universel qui subsume l’ensemble de ces cas :

Les conceptions communes dérivent leur crédibilité du fait


qu’elles sont extraites par induction des choses singulières. Comme
le dit Aristote il est impossible de concevoir un universel sinon
par induction puisque les choses qui sont dites par abstraction
sont connues par induction. Mais il est impossible d’induire si
l’on n’a pas de sens. Les sens en effet portent sur les choses
singulières, et il n’est pas possible de connaître ces dernières, ni
par des concepts universels sinon par induction, ni par induction
sinon par les sens. Des sens, donc, provient la mémoire, de la
mémoire, par la répétition fréquente de plusieurs sensations, une
expérience et l’expérience fournit la matière aux sciences et aux
arts. Et l’art qui est fermement établi par l’usage et la pratique
fournit la capacité d’accomplir des choses qui lui sont propres.
C’est pourquoi les sens corporels qui sont le premier pouvoir, ou
l’opération initiale de l’âme, constituent la base de tous les arts,
et forment la connaissance initiale qui ouvre et prépare le chemin
des premiers principes96.

Influencé par la fin des Seconds Analytiques, Jean va faire de cette


induction la méthode clé de toute la philosophie naturelle, comme on
l’a vu au chapitre 2. À l’inverse, le second type d’induction concerne
davantage le rhéteur, et va devenir chez Jean la méthode de l’éthique et de
la science politique. Cependant la référence à Socrate semble souligner,
L’humanisme comme éducation au scepticisme 135

en même temps, la valeur pédagogique de cette méthode, ce qui justifie


son usage au-delà du seul domaine de la rhétorique :

Ce mode d’argumentation est plus conforme aux orateurs, quoique


parfois en vue d’orner leur propos et de l’expliciter, elle convienne
aussi au dialecticien. Elle est en effet plus persuasive que pressante.
De là, Cicéron atteste dans sa rhétorique que Socrate utilisait très
souvent ce genre d’argumentation97.

Ce qui distingue cette induction rhétorique du premier type d’induction,


c’est l’unicité du cas sur lequel s’applique le raisonnement par le semblable.
C’est un impetus ab uno ad unum. La particularité de l’exemple vient
donc de ce que l’on peut s’épargner la considération de la multiplicité des
cas. Reprenant une autorité de Cicéron, Jean soutient que l’exemple fut
utilisé par Socrate en raison de ses vertus pédagogiques et persuasives98.
Cependant, l’autorité cicéronienne est largement détournée de son sens.
Chez Cicéron, il s’agissait de souligner que Socrate ne prenait appui
que sur ce que l’adversaire avait déjà concédé afin de le persuader plus
aisément, et afin de ne rien introduire dans le débat qui lui soit propre.
La démarche de Jean est autre. Comme on l’a vu, l’exemplum est, en
effet, explicitement rapporté à la démarche sceptique qu’il veut mettre en
œuvre. Jean soutient que l’approximation du vrai passe par l’échange des
opinions dans le cadre d’un dialogue. Or, cette confrontation des opinions
passe nécessairement par une forme d’érudition. Être académicien, c’est
d’abord multiplier les lectures qui sont autant de témoignages de désaccords
entre les philosophes mais aussi des figures diverses de la vérité.
L’exemple comme induction rhétorique appartient à une théorie
générale du probable où il s’agit d’emporter l’assentiment, ou du moins
de donner des éléments de choix, en présentant la multiplicité des faits ou
des opinions, à propos des sujets de contentieux. De fait, il est indéniable
que toute la réflexion méthodologique de Jean est traversée par un
modèle juridique. C’est dans cette perspective, par exemple, que trois des
quatre prologues du Metalogicon, présentent l’opposition entre Jean et
Cornificius comme un débat (voire un combat) qui doit être tranché par
un juge indépendant, à savoir Thomas Becket99. Le juge se caractérise
136 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

idéalement à la fois par son intégrité et sa compétence. Intégrité puisqu’il


doit être équitable et sincère. Compétence puisqu’il doit avoir une approche
fiable de la réalité (cui de re constat), il doit manifester une capacité à
interpréter les discours de chacun, et enfin appliquer son jugement dans
certaines limites100.
Jean explicite, beaucoup plus nettement que pour l’induction dialectique,
les conditions nécessaires pour qu’une induction rhétorique, ou exemple,
soit possible et efficace. Dans la perspective indiquée, qui privilégie
l’utile au vrai, il s’agit de viser une efficacité immédiate en obtenant
l’accord de l’auditeur. C’est donc à un travail sur l’assentiment probable
qu’il faut se livrer. Jean semble, dans cette perspective, reconnaître une
double fonction à l’exemple :

Du reste, quand on donne plusieurs exemples, ou un seul, pour


prouver quelque chose, ils doivent être adéquats, et tirés de ce que nous
savons, à la façon d’Homère et non de Cherillus. Mais si l’on reçoit
ses exemples des auteurs, qu’un Grec se serve d’Homère, et un Latin
de Virgile ou de Lucain. En effet, les exemples familiers émeuvent
davantage, et les faits inconnus ne produisent pas l’assentiment aux
choses douteuses101.

D’une part, l’exemple a une fonction d’abord illustrative et vise


l’ornement du discours. Il s’agit alors de clarifier une pensée abstraite, de
rendre explicite l’implicite et d’émouvoir, de provoquer la sympathie102.
Comme Jean le précise dans le Policraticus, la supériorité pratique de
l’exemple sur le précepte (entendue comme norme théorique de l’action)
provient précisément de cette capacité à émouvoir, à attirer l’attention
par sa familiarité. Mais, parallèlement à cette vertu pratique, l’exemple
n’en est pas moins pourvu d’une fonction cognitive puisque, par sa
dimension contextuelle, il permet une préconnaissance fiable de ce qu’il
faut chercher ou fuir :

Le récit de tous ces faits <sc. l’errance d’Ulysse> est heureux. En


effet, le péril prévu d’un ami, même s’il est amer, sert d’avertissement ;
et plus la proximité avec celui qui trébuche est familière, plus elle
L’humanisme comme éducation au scepticisme 137

détourne chacun du péril. Assurément, souvent, on profite davantage


d’un exemple que d’un précepte. En effet, on évite plus facilement
les maux dont on a une préconnaissance plus fiable103.

D’autre part, l’exemple a une fonction probatoire et augmente la


persuasion d’un discours. Même si Jean ne pouvait pas connaître la
Rhétorique d’Aristote, on retrouve ici d’une certaine façon la distinction
introduite par le Stagirite entre l’exemple utilisé comme témoignage, et
l’exemple qui remplace l’enthymème104. Le premier intervient à la fin
d’un discours, tandis que l’autre, similaire à l’induction, se place en tête
du discours. Ces remarques sur la double fonction de l’exemple sont
précisées par la mise au jour des conditions que doit remplir l’exemple
pour être efficace, au titre de témoignage ou de preuve. En premier
lieu, l’exemple doit être pertinent (conveniens), c’est-à-dire adapté au
sujet traité. Ensuite, il doit être familier, c’est-à-dire reposer sur une
autorité reconnue par tous (comme l’indique l’opposition entre Homère
et Cherillus, reprise à Aristote105), et surtout, appartenir à la culture des
auditeurs. Comme on le verra, s’il n’y a pas de règles nécessaires et
strictes pour l’utilisation de l’exemple, c’est qu’il suppose une certaine
capacité de l’orateur à reconnaître l’horizon culturel de son auditoire, et
s’y adapter. Le recours à l’exemple, comme mode probatoire, est donc
aux antipodes des techniques formelles de la dispute, et en particulier de
cette « machine de guerre » inventée par Guillaume de Soissons et que
Jean semble avoir en horreur106. Au contraire, il valorise pour sa part,
la faculté de l’orateur, comme du philosophe, à s’adapter au contexte
dans lequel il doit produire sa preuve. Ainsi, Homère conviendra à un
public grec, mais pour un public latin (au sens large incluant la latinité
médiévale), c’est Virgile ou Lucain qui devront s’y substituer. L’exigence
de familiarité (exemplum domesticum) est justifiée à un double niveau :
d’abord un niveau strictement rhétorique où il s’agit d’émouvoir. L’idée,
ici, est bien que l’on est davantage touché par ce qui nous proche et qui
autorise une sympathie au sens strict de « souffrir avec », c’est-à-dire un
échange de places. Cependant, et l’on voit à cette occasion que l’exemple
relève tout autant de la dialectique que de la rhétorique, il faut produire
une confiance (fidem facere), ce qui est la finalité de la preuve. Et plus
138 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

spécifiquement, il faut emporter l’adhésion sur un sujet de doute, ouvert


aux opposés. Dans cette perspective, il ne faut pas que le sujet considéré
soit absolument inconnu, mais il faut au contraire le rattacher à ce qu’a
déjà accepté l’auditeur. C’est précisément la fonction de l’exemple en
tant que locus a similibus, que d’exhiber des ressemblances entre le
connu et, non pas l’inconnu, mais le douteux. Enfin, la dernière condition
d’efficacité est l’emploi d’un langage clair et simple. On retrouve ici le
refus de Jean de toute verbosité et de toute abstraction, dont la fonction
selon lui est davantage de voiler l’ignorance que de révéler le vrai.
Ceci étant vu, il reste à examiner comment on peut construire un
exemple et comment l’exemple permet une approximation du vrai
recherchée par la logique sceptique de Jean. Ceci suppose d’élucider
deux problèmes sous-jacents dans la théorie salisburienne de l’exemple :
d’une part quel est le statut du témoignage, ce qui nous renvoie à la
question de l’autorité ? D’autre part, en quelle mesure le vrai peut-il être
réellement approché par une telle méthode ? En d’autres termes, quel
type de probabilité nous fournit l’exemple ?

La construction de l’auctoritas : nature et fonction de la res gesta


Comme on l’a vu, la démarche sceptique de Jean de Salisbury est
fondée sur la multiplication des lectures (notamment des historiens et des
poètes), entendue comme condition de possibilité de la confrontation des
opinions et ouverture du choix. Pour autant, il ne faut pas lire n’importe
quoi, mais en premier lieu les auteurs reconnus107. Cette injonction rejoint
la remarque de Jean sur la familiarité requise pour qu’un exemple soit
efficace dans une argumentation. Dans la mesure où l’auteur est appelé à
témoigner devant un tribunal fictif, il est nécessaire que son témoignage
soit fiable et recevable. Ainsi, Jean apporte une grande attention à la
question de l’auctoritas108. En ce qui nous concerne ici, le problème est de
savoir comment on peut évaluer la fiabilité d’un auteur, puisque la ligne
de conduite de Jean consiste à rejeter tout auteur dont l’enseignement
pourrait être réfuté par un jugement plus puissant. Dans ce cadre, l’autorité
d’un texte doit, de toute façon, être subordonnée à son utilité, c’est-à-dire
à sa finalité dans la recherche de la vérité :
L’humanisme comme éducation au scepticisme 139

La simplicité sera digne d’éloge, et toi fidèle lecteur tu remarqueras


non pas le sens que les mots semblent signifier prima facie, mais
l’origine et la finalité de leur sens. Ainsi, en effet, des sujets frivoles
ont été mêlés à ceux sérieux, et le faux au vrai, de sorte que tout soit
finalisé par le propos de cultiver la vérité suprême. Et que l’on ne
s’émeuve pas si certaines choses écrites ici peuvent être trouvées
sous une autre forme ailleurs, puisque même les faits historiques sont
découverts pour se contredire l’un l’autre dans des comptes-rendus
historiques différents. Mais ils sont profitables pour leur fruit que sont
l’utilité et l’honnêteté. Car je ne me risquerai pas à établir la vérité par
moi-même. Mais je me suis proposé de communiquer sans malice en
vue de l’utilité des lecteurs les divers auteurs que j’ai lus109.

Comme on l’a déjà vu, Jean de Salisbury, en accord avec son scepticisme
et dans une perspective éthique, est conduit à substituer le critère de l’utile
à celui du vrai. Ce n’est pas par sa vérité qu’une autorité doit se signaler,
mais par le profit qu’un lecteur peut en retirer pour lui-même. Jean renonce
donc à dire le vrai pour se contenter plus modestement d’indiquer l’utile.
La mise au jour d’autorités, dont on verra qu’elles ne peuvent avoir de
valeur que contextuelle, est liée à cette recherche de l’utile.
Dans cette perspective, si l’induction vise à approcher l’exemplaire
universel, l’archétype qui sert d’idéal régulateur, en multipliant la
fréquence des observations et en dégageant par une induction abstractive
les points communs à chaque événement, un problème se pose dans le
cas de l’exemple, quant à sa matière même, à savoir la res gesta, qui
interdit une telle fréquence110. La multiplication des exemples, ici, ne
peut complètement remplacer la fréquence des observations puisque
le contexte ne sera plus le même (or, dans un processus inductif, les
circonstances ne doivent changer que de façon marginale). Il faut donc
trouver un critère qui permette de suppléer celui de fréquence. C’est
le rôle de la familiarité qui suppose une capacité de l’écrivain ou de
l’orateur à s’adapter à l’horizon d’attente de son public. Mais plus
largement, il faut déterminer comment s’élabore le fait historique afin
de montrer comment la construction du fait historique permet d’en
augmenter la probabilité111.
140 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Au début de l’Historia pontificalis, Jean s’explique sur les conditions


de la formation du fait historique, de la res gesta :

Ainsi, le plus cher de mes maîtres et amis, acceptant volontiers


ton souhait, j’aurai souci, grâce à Dieu, d’effleurer les événements
qui sont pertinents pour l’histoire pontificale, en omettant tous les
autres, ayant de même à cœur de profiter à mes contemporains et aux
générations à venir, ce que les écrivains de chroniques avant moi
ont reconnu devoir faire également. L’intention de tous ceux-ci est
identique : rapporter les faits qui en sont dignes, de sorte que par eux on
conçoive les perfections invisibles de Dieu (Ro, 1, 20), et ainsi que par
les exemples des peines et des récompenses, les hommes soient rendus
plus zélés dans la crainte du Seigneur, et le culte de la justice. […]
Car comme dit le moraliste : les vies des autres sont nos enseignants,
et celui qui est ignorant des faits passés, est comme rendu aveugle
par rapport aux événements futurs. La connaissance des chroniques
vaut aussi pour établir ou écarter les règles, et renforcer ou infirmer
les privilèges ; et rien, après la grâce et la loi de Dieu, n’instruit les
êtres vivants plus droitement et validement que la connaissance des
actions des hommes du passé. Mais à propos de ce que je dirai, je
n’écrirai rien avec l’aide de Dieu, dont je ne sache, pour l’avoir vu ou
entendu, que c’est vrai, ou qui ne soit appuyé sur les écrits d’hommes
fiables. […] La confiance dans une histoire ne reste pas intacte si
l’écrivain est plus anxieux de flatter que de dire la vérité, et tandis
qu’il s’efforce de plaire à un petit nombre, il trompe tout le monde
par sa propre perte112.

Il y a d’abord un ensemble de conditions que l’on pourrait qualifier


d’externes : il faut rapporter des choses qui en valent la peine (digna),
c’est-à-dire qui ont une valeur d’édification, et qui manifestent la présence
de Dieu dans sa création. Un tel critère fait écho à l’exigence d’utilité que
Jean de Salisbury substitue à celle du vrai. Comme tout écrit, l’histoire doit
être utile, c’est-à-dire profitable. On s’inscrit ainsi dans une perspective
où les faits et gestes sont source d’enseignement, au même titre que les
écrits, et où cette connaissance peut fournir une grille de lecture pour
s’appliquer aux faits à venir. Il n’y a donc pas en soi un privilège de
L’humanisme comme éducation au scepticisme 141

l’Antiquité. Au contraire Jean précise que l’enseignement de l’expérience


quotidienne reste nécessaire et permet d’élaborer une quasi historia :

Certaines choses que je n’ai pas trouvées dans les livres d’autorités,
je les ai prises dans l’usage quotidien et dans l’expérience des choses,
comme dans une sorte de catalogue des comportements. Si ces
recherches semblent approcher l’exercice de la philosophie la plus
grave, l’esprit qui a animé la démarche est plus proche des pratiques
des Académiciens que du combattant-né, de telle sorte que chacun,
dans l’examen de la vérité, se sente libéré du jugement et de l’autorité
des écrivains qu’il juge inutile, quand il propose un argument plus
puissant113.

Néanmoins, l’histoire rapportée par les auctores a pour elle le privilège


du consensus. Comme le dit Quintilien114, les historiens disposent de
l’autorité de la chose jugée ou de la caution de l’ancien (fides vetustatis)
dans le cas de la poésie.
Cependant, la restitution du fait historique pose le problème de la valeur
du témoignage115. Jean donne à ce propos quelques règles nécessaires à
l’écriture de l’histoire : il ne faut rapporter que les faits contemporains
dont on a été le témoin direct, c’est-à-dire qui s’inscrivent dans le contexte
relativement fiable d’une perception auditive et visuelle. On retrouve donc
le point de départ de l’induction, à savoir le jugement immédiatement
consécutif à la sensation. À défaut d’une telle perception, on peut cependant
se fonder sur les écrits de témoins fiables (homines probabiles). C’est
donc une perception de second niveau, mais qui reste néanmoins proche
de l’historien par sa temporalité puisqu’il s’agit de faits contemporains.
Pour évaluer la fiabilité de ces sources, Jean donne une règle simple à
mettre en œuvre, à savoir la fides historiae suppose l’exclusion de tout
contexte de flatterie. En d’autres termes, Jean demande le report objectif
des faits, sans interpolation de la part de celui qui rédige. Ce bref passage
détermine les conditions pour qu’un fait devienne une historia et soit
susceptible ensuite de servir d’exemplum dans un discours rhétorique.
Il nous faut donc examiner comment, concrètement, l’exemple peut
produire un assentiment (facere fidem).
142 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Du vraisemblable à l’utile : la fonction pratique de l’exemple


À partir de ce modèle d’écriture de l’histoire, on peut dégager une
hiérarchie dans la probabilité des exempla, hiérarchie qui peut être mise
en regard des degrés de probabilité acquis par induction (qui vont de
l’inhabituel au quasi-nécessaire)116. Au plus bas niveau, qui est celui des
lieux communs de la sagesse populaire, correspond la fabula ou narratio
fabulosa. Si la notion de narratio fabulosa est investie d’un sens négatif
chez saint Augustin117, on sait qu’elle gagne ses lettres de noblesses chez
Macrobe, repris par l’école de Chartres qui va la rattacher aux thèmes de
l’involucrum et de l’integumentum118. Il s’agit alors de défendre l’idée que
la vérité a été recouverte d’un voile pour échapper aux regards profanes,
de sorte qu’il appartient au savant de dévoiler ces mystères. C’est un
thème que Jean reprend à son compte (mais sans utiliser le vocabulaire
de l’involucrum) dans l’Entheticus :

Les vérités des choses sont cachées, recouvertes de diverses figures ;


Car les réalités sacrées, les lois publiques les interdisent au vulgaire.
C’est pourquoi les anciens les ont voilées des figures appropriées ;
Afin que la foi puisse obtenir le mérite119.

L’allégorie est justifiée par la nécessité de préserver la sacralité de


certaines vérités, et permet d’introduire l’idée que l’accès au vrai suppose
un effort méritoire de dévoilement. Mais elle permet aussi de justifier le
recours aux poètes païens dans un cadre chrétien. Dans le Policraticus,
Jean fait deux fois allusions à Virgile comme poète-philosophe qui a
exprimé toute la philosophie sous forme de fable120. Néanmoins, dans le
Metalogicon, il se montre un peu plus dubitatif. Jean explique, en effet,
que les règles à utiliser pour décrypter ces textes ne nous ont pas été
transmises par les traités de rhétorique antiques, de sorte que nous sommes
incapables, la plupart du temps, de soulever le voile de la fable121. De fait,
Jean semble davantage appartenir à une autre tradition de classification
des types de narration, qui remonte à Cicéron, et qui est popularisée
par Marius Victorinus et Martianus Capella122. Dans cette tradition, la
L’humanisme comme éducation au scepticisme 143

fable et l’histoire sont deux types de narration qui se distinguent par leur
rapport à la vraisemblance. La fable est indifférente à la vérité et à la
fausseté, tandis que l’histoire recherche la vraisemblance. Cette théorie
est présentée par Thierry dans son Commentaire du De inventione123. La
narratio se partage en narratio oratoria qui rapporte le fait, digressio
qui rapporte ce qui lui est extrinsèque, et enfin historia ou poema qui en
indique la cause éloignée. Cette dernière catégorie se divise à son tour
en trois sous-catégories : la fabula à laquelle fait défaut la vraisemblance
et la vérité, l’argumentum qui rapporte un fait fictif mais vraisemblable,
et enfin l’historia, report de faits éloignés temporellement. Jean fait
allusion à cette tradition dans le cadre de sa présentation de la méthode
d’enseignement de Bernard de Chartres124. Mais surtout, il distingue
explicitement le poète et l’historien par leur rapport à la vérité125.
À un niveau supérieur, donc, se trouvent les récits des historiens. Ils
attestent d’une certaine fiabilité des faits rapportés, même si l’éloignement
temporel affaiblit le critère de familiarité, qu’il faut alors renforcer en
croisant les témoignages. Le cas des références aux livres des Maccabées
présentés comme des livres historiques dans le prologue de l’Historia
pontificalis est assez explicite : ainsi, dans un cas, Jean juxtapose Énée
et Maccabées, et renforce son discours par des marqueurs de fiabilité
(« constat », « credibile »)126 ; à une autre occasion, le livre des Maccabées
est garanti par le témoignage de Grégoire le Grand127. Il y a donc, dans la
construction de l’exemplum historique, une accumulation des autorités qui
permet de renforcer leur force de conviction, en multipliant les témoins
les plus fiables128.

La question que l’on peut se poser est de savoir en quelle mesure et dans
quel but une fable peut être utilisée comme exemplum. À la fin du prologue
du premier livre du Policraticus, Jean demande l’indulgence du lecteur pour
ses fantaisies (figmenta) littéraires et celles des auteurs classiques :

Je ne suis pas déraisonnable au point de tenir pour vrai qu’une tortue


a parlé avec des oiseaux, ou que la souris des champs accueille dans
sa pauvre maison la souris des villes, et d’autres choses semblables.
Mais je ne doute pas que ces fictions servent à notre instruction129.
144 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

On retrouve, ici, ce que l’on a déjà vu, à savoir que l’utilité de l’ins-
truction est à elle-même sa propre justification, par-delà la question du
vrai et du faux, le plus souvent indécidable. Ce primat de l’utile peut
alors permettre de valider le recours à la fiction dans une œuvre de phi-
losophie. Cette remarque intervient à un moment où il a reconnu avoir
utilisé certains mensonges dans son œuvre :

Mais si l’on découvre que ce que j’ai écrit et ce que disent les
auteurs ailleurs est différent, on ne doit pas soutenir que j’ai menti,
puisque dans les stratégies militaires, j’ai suivi les historiens qui,
fréquemment, divergent entre eux, et sur les questions philosophiques,
disputant en Académicien dans les limites de la raison, j’ai adhéré à
ce qui apparaissait probable. Et je ne rougis pas d’affirmer compter
parmi les Académiciens moi qui, à propos des choses douteuses au
sage, suit leurs traces. En effet, bien que cette secte semble introduire
l’obscurité sur toutes choses, nulle n’est plus fiable dans l’examen de
la vérité, selon Cicéron qui dans sa vieillesse s’est tourné vers elle,
nulle n’est plus parente du progrès130.

Comme on l’a vu, la clé de cette pratique littéraire consiste dans la


conviction que le mélange du vrai et du faux fera mieux apparaître la vérité.
Ainsi l’exemple est indexé à une théorie de l’interprétation où le sens
immédiat des mots doit être dépassé par une interrogation sur l’origine et
la finalité du sens. On retrouve ici l’idée de la logique sceptique comme
logique des contraires qui vise à mettre en regard les contradictions afin
d’inviter le lecteur à chercher au-delà : dans cette perspective, la fiction
poétique permet de conserver la pureté de la vérité et d’inviter le lecteur
à se livrer à un travail d’enquête rationnel sans se contenter du donné131.
C’est dans cette même perspective que Jean souligne les contradictions
entre les historiens, et le peu de fiabilité du report de perception d’un fait
ancien. Cependant, là encore la contradiction ne doit pas conduire à rejeter
l’exemple, puisque, on l’a dit, la mise en évidence du désaccord entre les
historiens relève d’une stratégie militaire, et se trouve immédiatement
rapportée à la démarche sceptique qui refuse de statuer sur le vrai. Ainsi,
les deux premiers niveaux de fiabilité de l’exemple, dans la mesure où ils
L’humanisme comme éducation au scepticisme 145

ne garantissent plus la vérité du témoignage transforment la finalité de


l’histoire. Jean le dit explicitement dans le prologue du premier livre : il
n’a pas vu César et Alexandre, ni entendu disputer Platon et Socrate132.
Dès lors, il est légitime de faire de ces autorités ses clients et serviteurs,
si une telle chose est finalisée par l’utilité du lecteur. On change, ainsi, de
perspective : ce n’est plus la vérité qui est visée, ni même la vraisemblance,
mais l’utile et l’honnête. L’exemple ne témoigne plus d’un fait, mais
exhibe un modèle (ou un contre-modèle) de comportement. Jean convient
que pour les historiens sérieux, Dédale ne s’est pas enfui par les airs,
mais par bateau133, néanmoins, il est plus approprié de rapporter la fable
telle que le fait Ovide si l’on veut illustrer le fait que celui qui s’élève de
façon inadéquate, comme Icare qui est poussé par une frivolité juvénile,
sera jeté bas. C’est cet enseignement que doit méditer le tyran134. Ainsi
l’exemplum peut légitimement modifier, à la marge, la res gesta afin d’en
augmenter la valeur édifiante ou probatoire.
Même si Jean ne théorise jamais explicitement ces différentes
conditions de la fiabilité de l’exemple, l’examen de deux cas permet
de confirmer ce schéma et de montrer comment les exemples produisent
une fides135. Le chapitre 4 du premier livre du Policraticus est à cet égard
exemplaire. Consacré à la critique de la chasse, passe-temps favori de la
noblesse, il s’articule en deux temps forts. Un premier ensemble introduit
plusieurs exempla bruts qui conduisent à condamner la chasse en montrant
les excès auxquels elles mènent et les punitions qu’elle appelle. Il y a,
à cet égard, une gradation parfaitement claire : Jean commence par un
ensemble d’exempla tirés de la poésie antique (en distinguant déjà une
poésie qui vise à dénoncer en amusant, et une autre qui recourt aux
figmenta pour dissimuler les faits historiques, les mystères de la nature et
des mœurs)136. À ces exemples poétiques succèdent plusieurs exemples
historiques repris à Virgile, Horace et Pline. Cependant, Jean concède
que l’on puisse refuser son assentiment à ces histoires édulcorées par la
fantaisie des poètes. Il faut donc introduire un nouveau type d’histoire,
tiré de l’Ancien Testament : c’est l’exemple de Nemrod, et d’Esaü.
Cependant, là encore la fiabilité n’est pas complète. Ainsi, comme un
contre-exemple, l’adversaire fictif de Jean pourrait alléguer le cas de
Maccabées qui est supposé avoir inventé la chasse au faucon137. Ici, le
146 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

problème est celui de l’interprétation du texte. Jean oppose à ce bavardage


vantard (iactitant), une lecture serrée des événements : les occupations
de Maccabées (dont il fait l’énumération) ne lui ont pas laissé le loisir
de chasser. Il précise cependant : ut creditur138. Il faut donc à nouveau
accéder à un niveau supérieur, celui des exempla domestica, où Jean
renvoie aux rois récents qui ont pratiqué la chasse sans modération et
se sont attirés la colère divine139. Cet ensemble d’exemples est suivi
d’une transition où Jean explique qu’il ne cherche pas à condamner
mais à corriger. Dans un second moment du chapitre, on assiste donc
à un retournement rhétorique. Jean invite à prendre en considération
les circonstances (ce qui permet précisément de distinguer la méthode
rhétorique de celle dialectique140). Dès lors, le nombre d’exemples est
bien plus réduit, et Jean s’appuie surtout sur les préceptes des moralistes
(comme Térence) pour appeler à la modération dans la pratique de la
chasse et au respect du bien commun. Néanmoins, ce qui est intéressant,
c’est qu’il reprend l’exemple d’Esaü (Genèse, 25-27). Dans la première
partie, l’accent était mis sur la punition divine (renoncement au droit
d’aînesse, perte de la bénédiction) ; ici, désormais, c’est la nécessité de la
chasse (requête de son père) qui est soulignée. Ainsi, un même exemple
est susceptible de différents niveaux de lecture et d’interprétation141. C’est
cette polysémie qui ouvre la voie à la confrontation des contraires en
vue de manifester la vérité, vérité qui est toujours celle de la modération
et du juste milieu.

Le second exemple de la rhapsodie exemplaire qui organise tout le


Policraticus se trouve dans le chapitre 12 du livre V. Si ce chapitre a pu
dérouter certains lecteurs142, C. Brücker rappelle opportunément qu’il
est construit autour de l’idée nodale de recherche de la vérité dans un
procès, et plus largement dans l’enquête philosophique qui prend le
procès comme modèle. À partir de là, le chapitre se doit d’aborder le
rapport entre nécessité de l’action et contraintes de la recherche dont
les temporalités respectives divergent143. Dans cette perspective, la
construction du chapitre est parfaitement cohérente et les exemples
remplissent pleinement leur fonction cognitive, à la fois illustrative et
probatoire. Le chapitre s’ouvre sur une première partie introductive
L’humanisme comme éducation au scepticisme 147

consacrée à l’objet énoncé par le titre du chapitre, à savoir l’importance


du serment que prêtent les juges. Conformément à ce qui est fait dans
les autres chapitres du livre V, Jean glose ici un passage du Corpus
juris civilis144. Le serment que doivent prêter les juges les disposent à
la recherche et la manifestation de la vérité et à l’observance des lois,
d’autant que ce serment est renforcé par une garantie divine dans la
mesure où les Évangiles sont placés près des juges jusqu’à la sentence,
afin de manifester la présence divine145. Jean précise immédiatement
le sens de ce rituel : la religion judiciaire, c’est-à-dire les droits et les
devoirs des juges qui s’expriment dans ce serment, vise à écarter tout
affect lié à la chair et au sang et à faire en sorte que la fonction s’impose
entièrement à l’individu qui la revêt :

La religion judiciaire repousse aussi tous les affects de la chair et


du sang, supprimant la colère et la haine, la crainte et l’amitié146.

On retrouve ici la théorie émanationniste qui fonde toute la théorie


politique de Jean : par cette fonction, les juges imitent le prince (qui
comme eux voit sa fonction s’imposer à sa personne de sorte que son
action est entièrement dépassionnée, et qui comme eux, aussi, est mû
par une équité sans faille, de sorte que la main droite ignore ce que fait
la main gauche147). Mais en imitant le prince, c’est le dépositaire de la
puissance qui est imité. De fait, à travers les juges, c’est encore Dieu qui
est honoré148. Ces rapides développements théoriques sont immédiatement
justifiés par une double autorité, autorités que, au regard de l’histoire,
on peut considérer comme absolument opposées l’une à l’autre, à savoir
César et Cicéron149. Tous deux convergent en mettant en évidence le
caractère dépassionné de la justice. Il faut souligner à ce propos que
la source de l’autorité césarienne n’a pas été identifiée par les éditeurs
modernes. On peut supposer donc, encore une fois, que Jean forge un
faux pour les besoins de sa démonstration, comme il en a averti son
lecteur : il s’agirait de montrer que deux adversaires politiques acharnés
convergent et s’accordent sur la fonction du juge.
Néanmoins, cette théorie de l’apatheia du juge se voit immédiatement
opposer une objection : il arrive que l’on favorise un ami, notamment en
148 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

reportant un procès150. C’est cette objection qui va donner son impulsion


réelle au chapitre, en l’orientant vers une réflexion sur ce que peut motiver
légitiment le report d’un procès. Jean identifie en effet deux raisons
qui peuvent justifier un report de procès : soit la cause est douteuse,
soit, de façon connexe, les juges souhaitent se garder de tout jugement
hâtif. C’est cette question du report qui va être développée au moyen de
deux exemples, qui eux-mêmes en appellent chacun un autre afin d’être
complets. En effet, Jean donne deux exemples de procès reportés ou perdus
nonobstant la qualité des plaignants, qualités politique ou intellectuelle,
en l’occurrence Alexandre le Grand et Pythagore :

Or, l’autorité de ces liens ne terrifia pas le juge quand la plainte


en justice de Pythagore fut différée pendant une longue période, et le
procès d’Alexandre de Macédoine, devant le juge du palais, fut perdu,
ce que celui-ci dut admettre, rendant grâce aux juges dont il approuva la
fidélité en ce qu’ils avaient préféré la justice à la toute puissance151.

Ces deux exemples, à peine esquissés, visent à mettre en valeur des


juges inflexibles qui font acception des personnes. Ils fonctionnent donc
comme une sorte d’argument a fortiori (ou par le locus a maiori) : si
des juges sont capables de faire abstraction de l’autorité du plus grand
dirigeant politique et du plus grand philosophe, à plus forte raison, ils
doivent faire abstraction du poids de l’amitié.
À partir de là, la structure de la fin du chapitre est construite en
chiasme : l’exemple d’Alexandre est rapidement repris et donne lieu à
un second exemplum, qui brosse le portrait de ce roi, en l’opposant à son
père Philippe. De là, on passe au portrait de Pythagore, qui explique en
retour le sens exact de l’exemple où il est impliqué. Enfin, le chapitre
se conclut par des remarques d’ordre plus théorique sur la question
des problèmes indécidables tant en droit qu’en philosophie. Reprenons
brièvement les étapes de cette argumentation.
La réflexion de Jean s’ancre dans les félicitations d’Alexandre adressées
aux juges qui ont préféré la justice à son autorité lors d’un procès.
Néanmoins, Jean hiérarchise les deux exemples, en donnant la priorité
à celui de Pythagore dans la mesure où la grandeur d’Alexandre repose
L’humanisme comme éducation au scepticisme 149

principalement sur l’opinion publique, alors même que les histoires attestent
plutôt de son mauvais caractère. Pour l’établir, Jean, reprenant Trogue
Pompée et Justin, établit un portrait croisé de Philippe et d’Alexandre.
Les qualités et les vices de l’un et de l’autre conduisent à relativiser la
valeur morale tant du père que du fils :

Or, j’ai trouvé d’après mon jugement dans une chronique historique
que nul ne fut plus célèbre que cet Alexandre, que l’opinion publique
qualifia de grand. Assurément, je continue à penser (quoique je
parle sans offense à ceux qui préfèrent la témérité à la vertu) que le
pauvre Pythagore fut plus grand que le richissime Alexandre. Afin
que tu le penses avec moi, parcours la comparaison de Philippe et
Alexandre écrite par Trogue Pompée ou (si tu préfères) son résumé
par Justin152.

Finalement, ce que reconnaît Jean à Alexandre, c’est un plus grand


naturel que son père qui agit davantage dans la dissimulation153.
L’opposition avec Pythagore est clairement marquée tant par la
construction grammaticale que par la source de sa renommée. Ce n’est
plus l’opinion publique mais les philosophes qui placent Pythagore au
premier rang :

Mais, parmi les philosophes, Pythagore se montra d’une telle


autorité qu’il suffisait pour emporter la décision sur toutes les questions
de considérer que Pythagore avait admis telle partie. En effet, son
opinion, une fois déterminée, avait un tel pouvoir que rien ne pouvait
renforcer le côté opposé, pourvu que l’on dise qu’il avait affirmé
ceci, et à partir de cette habitude de ceux qui le suivaient, le pronom
« celui-ci » indiquait Pythagore. En effet, quand on disait simplement :
celui-ci a dit ceci, par cette autorité prescrite, comme l’atteste Cicéron,
il fallait comprendre Pythagore154.

Selon le témoignage de Cicéron, son autorité intellectuelle est reconnue


par la locution ille dicebat. Le philosophe montre donc, dans le domaine
intellectuel, une autorité égale à celle d’Alexandre, dans le domaine
150 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

militaire, mais l’autorité du premier est renforcée par sa valeur morale.


Or, comme Alexandre, Pythagore se signale pour avoir refusé d’utiliser
son autorité en vue d’emporter un procès. Intervient à ce moment de
la démonstration l’anecdote mettant aux prises Evallus et Pythagore.
Evallus convient d’un certain prix pour recevoir un enseignement de
rhétorique de la part de Pythagore, tous deux s’accordant pour qu’une
moitié de la somme soit versée immédiatement et la deuxième moitié
après qu’Evallus aura plaidé avec succès son premier cas devant un
tribunal. Après avoir reçu l’enseignement promis Evallus refusant de
prendre des clients et de plaider devant un tribunal, Pythagore le conduit
devant un tribunal pour lui faire payer la deuxième moitié de la somme
promise. Evallus plaide alors que s’il perd son procès, il n’aura pas
plaidé avec succès et il n’aura donc pas à s’acquitter de son dû, en vertu
de son contrat avec Pythagore ; tandis que s’il gagne, il sera dispensé
de payer par les juges. En aucun cas, donc, il n’aura à payer. Les juges
suspendent leur jugement, et Pythagore accepte la sentence sans user
de son autorité morale et intellectuelle pour influencer les juges155. De
nouveau ici, Jean utilise son droit au mensonge en substituant Pythagore
à Protagoras (dans la source qui est la sienne, à savoir Aulu-Gelle),
c’est-à-dire un philosophe doté d’une grande autorité morale qui puisse
impressionner les juges, puisque le cas en question est bien la capacité
d’un juge à faire abstraction de l’autorité des plaignants156. Mais surtout,
dans l’Entheticus minor qui ouvre le Policraticus, Jean avait comparé
Thomas Becket à Pythagore, en louant la supériorité de l’acuité d’esprit
du premier : mettre en scène l’échec de Pythagore peut aussi servir à
inciter Becket à la modestie157.
En exemplifiant la question de l’inflexibilité des juges, et le refus
de toute prise en compte de l’autorité des plaignants, Jean a introduit
la question du report des procès quand la cause est douteuse. C’est sur
ce point que le chapitre va s’achever, en proposant une brève analyse
du statut juridique des questions captieuses, qui sont mises en relation
avec la pratique des sophismes dans les disputes philosophiques. La
conclusion est la même dans les deux cas : il faut différer le jugement
sur les cas indécidables sauf si l’équité ou l’urgence de l’action imposent
de trancher. Le chapitre qui devait donner des conseils aux juges se
L’humanisme comme éducation au scepticisme 151

contente donc d’indiquer plusieurs exemples de procès qui puissent


servir de lignes de conduites et qui implicitement aussi permettent de
faire l’apologie de la démarche sceptique de suspension du jugement
face aux cas douteux. Ainsi, au-delà de la stricte question judiciaire, les
exemples induisent un déplacement vers la philosophie et servent à asseoir
le modèle jurisprudentiel que Jean souhaite mettre en place en éthique.
Jean introduit ici le principe fondamental de son éthique sceptique, sur
laquelle il faut à présent nous arrêter.
Chapitre 4

Conditions et finalités d’une éthique sceptique

Qu’il y ait chez Jean de Salisbury un primat de l’éthique est bien


connu1. Il affirme à plusieurs reprises que toute la culture est finalisée
par l’action éthique, et la philosophie est définie par la double injonction
de l’exhibitio vitae et de la cultus virtutis2. Ce faisant, Jean semble
renouer avec la conception antique de la philosophie comme genre de
vie, davantage que comme discipline théorétique :

Le philosophe s’efforce de faire en sorte que son esprit réponde


à sa bouche
Afin que sa vie bonne soit en accord avec ses paroles.
Ce n’est pas parce que quelqu’un parle droitement qu’il devient
aussitôt philosophe,
Mais parce qu’il vit de telle sorte qu’il accomplit toujours des
actes bons3.

Or, là encore, l’éloge de la vertu et l’insistance sur la nécessité


pour la philosophie de se manifester par une vie bien menée semblent
indissociables de la promotion du scepticisme puisque c’est la notion
de modération (modestia, moderatio), dont on a vu qu’elle joue un rôle
clé dans la philosophie de Jean4, qui va permettre de rendre compte de
l’idée de vertu tout en l’intégrant dans un cadre sceptique.
154 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

La dimension sceptique de l’éthique chez Jean apparaît, au premier


chef, dans ce passage du Policraticus, déjà évoqué5, où Jean dresse une liste
des sujets qui sont ouverts au doute, c’est-à-dire sur lesquels ni l’autorité,
ni la raison, ni l’expérience ne permettent de déterminer la vérité. Parmi
ces sujets figurent les questions de l’usage et la finalité des vices et des
vertus, de la connexion des vertus, du statut des devoirs, de la liberté de la
volonté et du destin. Sur tous ces problèmes qui relèvent de l’éthique, le
doute est légitime et il doit inciter à poursuivre l’enquête rationnelle sans
prétendre trancher dans un sens ou dans l’autre. Comme dans les autres
parties de la philosophie, le scepticisme rejette toute position normative
et incite ainsi à la modestie et à la prudence en éthique.
Néanmoins, c’est bien connu, l’éthique pose un problème particulier
au sceptique puisque la suspension du jugement se heurte à l’urgence
de l’action et à la nécessité de déterminer comment une action bonne
est possible. Cette objection au scepticisme, connue sous le nom
d’apraxie, est examinée à plusieurs reprises par Cicéron qui, en réponse,
introduit la notion de probable comme règle suffisante à l’action6. De
façon similaire, Jean va chercher des règles d’action provisoires et
suffisamment justifiées en fonction du contexte. Tout cicéronien qu’il
soit, Jean de Salisbury n’en est pas moins chrétien, et comme on l’a
rappelé7, c’est un scepticisme chrétien qu’il met en œuvre. Dès lors,
aux règles d’action provisoires s’ajoutent un ensemble de principes
intangibles qui s’imposent même au sceptique : il s’agit des principes
de la religion chrétienne. Comme le souligne Jean dans un autre passage
du Policraticus, dans tout système (y compris éthique, pourrait-on
ajouter), il faut des principes, c’est-à-dire des fondations dont on ne
doute pas : que Dieu existe, qu’il est sage et bon, etc.8. La philosophie
repose donc sur la foi comme sur son fondement, et c’est la foi qui va
fournir quelques règles d’action complémentaires.
Dès lors, ce qui dans l’éthique de Jean de Salisbury peut apparaître
comme une forme d’éclectisme doit être compris comme une forme
originale de scepticisme. Sans doute, au premier abord, cette éthique est
classiquement eudémoniste et intellectualiste. Le problème central du
Policraticus (et dans une certaine mesure, des lettres d’exil qui manifestent
une teneur philosophique) est bien la possibilité d’être heureux et de
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 155

résister aux coups de la fortune. En ce sens, Jean promeut la pratique de


la vertu, fondée sur la recherche du vrai, comme condition du bonheur.
Mais cette approche intellectualiste est nuancée en amont par une forme
de scepticisme, et en aval par une forme d’augustinisme. D’un côté,
en effet, l’équanimité est mise en relation avec ce que l’on qualifiera
d’éthique de la distance ; d’un autre côté, l’intellectualisme est limité
par le thème de la fragilité humaine et le nécessaire recours à la grâce
comme condition de l’action bonne. C’est cette tentative originale d’une
éthique inscrite dans le cadre d’un scepticisme chrétien que l’on va
s’efforcer de préciser ici.

La grâce et la vertu : les fondements philosophiques et théologiques


de l’éthique

Dès le début de l’Entheticus, Jean de Salisbury souligne le lien entre


prudence (au sens de raison pratique9) et vérité, et leur commun rapport
à la vertu, inscrivant ainsi l’éthique dans un cadre intellectualiste10.
L’idée qu’il faut connaître la vérité pour être vertueux est reprise au
début du livre III du Policraticus, où Jean défend la corrélation entre
science du vrai et du bien qui sont chacune condition de la pratique de
la vertu, par opposition au vice qui résulte de l’ignorance11. À première
vue, on est donc fort éloigné d’une éthique sceptique. Au contraire,
Jean adopte une position augustinienne qui fait de la religion chrétienne
la vraie philosophie, celle qui achève la philosophie païenne. C’est
le philosophe en tant qu’amator Dei qui est capable de soumettre le
vice, et de s’appliquer à la connaissance du vrai, accédant ainsi à la
béatitude12. En même temps, cette dimension chrétienne de l’éthique
résulte d’une réflexion sur l’histoire de la philosophie païenne, histoire
qui est, on l’a vu, inséparable de la démarche sceptique de Jean de
Salisbury. Des dissensions mêmes de la philosophie jaillit la vérité
qui s’avère être chrétienne. Le scepticisme apparaît donc, d’abord,
comme une méthode d’analyse des doctrines éthiques des philosophes,
méthode qui conduit à reconnaître une place centrale à la religion
chrétienne.
156 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Doxographie et dissension
L’œuvre de Jean de Salisbury contient deux doxographies, l’une dans
l’Entheticus (qui couvre les vers 451-1274), l’autre dans le Policraticus
(livre VII, chap. 1-7). Déjà, dans la première de ces œuvres, Jean précise
le but de l’étude des Anciens, à savoir recueillir les fruits du travail
accompli par les philosophes, tout en étant guidé par l’Esprit saint :

Tu discuteras les doctrines des Anciens, et le fruit de leur travail,


Que Philosophie recueille de leurs études.
Puisse le bon Esprit guider ta langue et ton esprit,
Lui qui enseigne les bonnes paroles et exécute les souhaits
pieux13.

De fait, la présentation des doctrines philosophiques anciennes, des


présocratiques à Cicéron, qui occupe le centre du poème, prend soin chaque
fois de montrer les convergences entre foi et philosophie, c’est-à-dire la
part de vérité contenue dans chaque philosophie (en tant qu’œuvre de la
raison humaine) et les limites de cette convergence, limites qui attestent
de la nécessité de la grâce pour parvenir à la vérité. Cette démarche, qui
n’est qu’esquissée dans l’Entheticus, est véritablement théorisée dans le
Policraticus. Les philosophes païens, en fonction du degré d’inspiration
qui leur était concédé, ont bien pu accéder partiellement à la vérité.
Ainsi, ce en quoi les différentes sectes convergent peut être considéré
comme une approximation du vrai, un jugement suffisamment probable.
En revanche, toute divergence radicale souligne davantage l’incapacité
au vrai qui caractérise fondamentalement les païens, et que seule une
philosophie chrétienne peut dépasser. À partir de là, Jean énonce ce qui
constitue sa méthode d’enquête rationnelle en éthique :

On est libre de douter et d’enquêter sur ces sujets [sc. les chemins
vers la béatitude], jusqu’à ce que, grâce à la confrontation des thèses,
la vérité illumine pour ainsi dire par une sorte de collision des
arguments14.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 157

En digne héritier de Cicéron, Jean reprend l’usage sceptique de la


doxographie de telle sorte que la multiplicité des doctrines apparaisse
comme l’indice de la dissension, et par là serve comme une critique des
dogmatiques tout en permettant de mettre au jour, par consensus, sinon une
forme de vérité, du moins un jugement probable qui fournisse une règle
d’action provisoire15. C’est donc la mise en relation ou la confrontation
des thèses opposées au sein d’un débat qui va créer un choc rendant
possible la manifestation de la vérité.
Appliquant cette méthode au domaine de l’éthique, Jean de Salisbury
en conclut que l’ensemble des sectes philosophiques converge sur un point,
à savoir l’idée que le bonheur est la fin de toute créature rationnelle :

Mais ce vers quoi se tend l’intention de toutes les créatures


rationnelles, c’est le vrai bonheur. En effet, il n’est personne qui ne
veuille être heureux ; mais tous n’empruntent pas une même voie
pour parvenir à ce qu’ils désirent16.

Ainsi, on peut soutenir avec une forte probabilité que la fin de l’éthique
a été correctement identifiée et qu’il s’agit du bonheur. Jean va même
plus loin et soutient que l’on retrouve une certaine convergence entre
les trois sectes principales, stoïcienne, péripatéticienne et épicurienne,
dans l’identification d’un moyen du bonheur, à savoir la frugalité ou la
tempérance. Il y a un consensus pour faire de l’activité philosophique
une activité modératrice. Mais, par-delà ces convergences, néanmoins,
on peut identifier plusieurs divergences importantes sur la manière
d’atteindre le bonheur :

Quoiqu’une seule voie soit proposée à tous, cette avenue quasi


royale se scinde en de multiples chemins. Cette voie royale, c’est
la vertu, car personne ne parvient au bonheur autrement que par la
vertu17.

En fait, ces divergences entre les sectes philosophiques attestent de


l’incapacité où elles se trouvent de parvenir à la vérité en l’absence de la
révélation et de la grâce. Pour autant, Jean ne réinvestit pas explicitement
158 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

la discussion médiévale classique sur le salut des païens. D’un côté, il


souligne que son époque s’est dégradée par rapport à celle des Anciens,
de sorte que la pratique de la vertu n’a plus d’équivalent. D’un autre
côté, le thème classique de l’ubi sunt, est largement tempéré dans la
mesure où la pratique de la vertu par les Anciens est renvoyée à une
forme d’orgueil et au refus de la grâce. Néanmoins, il concède que dans
le domaine éthique, les philosophes païens ont approché le plus qu’ils
pouvaient la vérité, étant donné les limites auxquelles ils étaient soumis
par l’ignorance de la Révélation18. En situant le souverain bien dans la
vertu, ils ont atteint le plus haut degré de vérité possible pour eux19. Jean
résume en quelque sorte sa position dans la Lettre 158 quand il explique
à Gérard Pucelle que la philosophie païenne tient principalement dans
l’injonction à contrôler rationnellement les affections, ce qui ne peut être
fait par la seule nature mais suppose la grâce divine :

Les principes de toute l’éthique des païens mettent à l’honneur le


fait de réprimer et de soumettre à la raison les passions des affections
charnelles qui peuvent à peine être éteintes. Or, si la divinité fait ce
don à quelqu’un (puisque la nature est impuissante à y parvenir),
il ne fait aucun doute qu’il s’avancera sur le droit chemin de la vie
philosophique, de sorte qu’il verra les jours heureux éternellement
(Ps. 33, 13). Et quiconque progresse sur cette voie atteint jusqu’à la
vraie philosophie20.

Si l’on entre davantage dans le détail de ce que professe chacune des


sectes philosophiques païennes, on verra que Jean s’efforce de distinguer
précisément leurs apports respectifs à la recherche du vrai et leurs limites
propres. Les Épicuriens sur ce point jouissent d’une position particulière,
et variable selon les textes. De façon générale, Jean s’efforce de distinguer
Épicure des épicuriens, en soutenant que les disciples ont défiguré la pensée
du maître. Le portrait le plus favorable de l’épicurisme se trouve dans
l’Entheticus, où Jean de Salisbury donne une lecture quasi chrétienne de cette
philosophie : Épicure recherche la joie et la paix de l’esprit au moyen de la
volupté, ce qui est une thèse recevable si l’on parle de la pura voluptas, d’une
volupté pure qui est inséparable d’un travail sur soi propre à la vertu :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 159

Un autre pense que la joie de l’esprit est le plus grand des biens,
Et il enseigne que toutes choses sont subordonnées au plaisir.
C’est assurément correct, si le plaisir est pur.
Si le principe de cette affirmation comprend les vrais plaisirs,
Si un état stable est désiré, de sorte que soit possible ce que veut
L’esprit, appliqué à de pieux désirs, et que ne soit pas possible ce qu’il
ne veut pas,
Si l’effort aspire à conférer un vrai repos,
Si l’esprit a tranquillement la joie de la paix.
L’effort obligeant travaille pour la paix, et désire
Ce qui peut prolonger sa joie ;
L’effort établi dans la vertu s’adoucit, et en lui
L’âme joyeuse consciente des biens qu’elle fait se renforce21.

En ce sens, Épicure lui-même peut être considéré comme convergeant


avec les autres philosophes puisqu’il cherche le bonheur dans une forme
particulière de vertu. Or, l’accès à cette pure volupté suppose de réduire
le conflit entre le corps et l’esprit, ou plus précisément, de soumettre
la chair à l’esprit, puisque Jean substitue immédiatement ce concept
chrétien à celui de corps22. Mais, une telle soumission de la chair n’est
possible que dans la perspective eschatologique de l’avènement du
corps spirituel. En attendant, la joie de l’esprit se situe dans l’espérance
procurée par le travail sur soi-même. Par un curieux retournement,
donc, c’est un ensemble de concepts augustiniens qui donne la clé de
lecture de la vérité de l’épicurisme23. Cette interprétation correcte de la
doctrine d’Épicure n’est malheureusement pas celle qu’ont suivie ses
disciples qui ont fait une lecture physique et non pas spirituelle de la
notion de volupté.
C’est une position semblable que l’on retrouve dans le Policraticus, où
l’accent va néanmoins être mis sur les sectateurs d’Épicure. Jean réaffirme
la vérité de la position épicurienne : la vie heureuse est celle emplie de joie,
qui ne laisse aucune place à la perturbation. Mais, la confusion, fréquente
parmi la plèbe, entre joie et plaisir, induit une doctrine différente24. C’est
à cette doctrine que le livre VIII est largement consacré. Les épicuriens y
sont définis dès le prologue comme ceux qui servent leur propre volonté
160 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

avant le bien commun, définition générale qui justifie l’inclusion dans ce


livre des développements sur la tyrannie, et qui fait du tyran le pire des
sectateurs d’Épicure25. Plus généralement, les épicuriens, en voulant faire
leur volonté, se révèlent esclaves de leurs désirs, et se trouvent torturés
par l’accroissement indéfini de ces désirs :

Je pense que ceux qui veulent en toutes choses imposer leur volonté
doivent mériter le nom d’épicurien. Car, quand les choses sont au
service du désir, l’affect se transforme en volupté26.

C’est encore une grille de lecture augustinienne qui est appliquée ici
pour condamner l’épicurisme : cette philosophie est vaine après le péché
originel qui occasionne la perte de toute volonté efficace chez l’homme.
La domination post-lapsaire de la libido interdit toute vie tranquille et
toute satisfaction autonome du désir. Cette grille de lecture est encore
explicite quand Jean place au fondement de l’épicurisme une libido
comprise comme volonté perverse et vaine27. On retrouve donc l’idée que
l’épicurisme est une philosophie rendue caduque par le péché originel,
et que seule la grâce divine, en tant qu’elle permet la jouissance de biens
éternels, peut restaurer dans certains de ses aspects, en l’occurrence la
jouissance d’une volupté pure.
L’attitude face aux stoïciens est plus constante, de l’Entheticus au
Policraticus. Dans la première doxographie, c’est, encore une fois,
saint Augustin qui fournit une clé de lecture28. Si la meditatio mortis
à laquelle est principalement réduit le stoïcisme est profitable en tant
qu’elle est liée au mépris du monde qui doit caractériser la philosophie,
elle contient en germe le danger de l’orgueil qui conduit le philosophe
à se reposer entièrement sur ses propres forces et à dépasser les bornes
de la modération :

Il condamne légèrement toutes choses celui qui pense


Qu’il va mourir, et il se rappelle que l’ensemble des choses périra
rapidement.
Mais si la méditation sur la mort est pratiquée sans mesure,
De sorte que la stupeur ruine complètement les cœurs par le doute,
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 161

Et l’espérance détruite choit, troublée par différentes tempêtes,


L’image de la mort excède la mesure acceptable,
Elle excède les degrés que la loi a prescrits à l’usage
Et l’image de la mort engendre la vraie mort29.

Ainsi, c’est uniquement dans un cadre chrétien, qui introduit la


conscience de la grâce et l’espérance du futur, qu’une telle philosophie
revêt des aspects positifs. Ce même cadre chrétien s’impose pour éviter
le second écueil du stoïcisme, à savoir le désespoir et le rejet de Dieu.
Tout autant que l’épicurisme, le stoïcisme apparaît comme devant être
encadré par la foi et la loi :

Celui qui nie que Dieu existe, blasphème manifestement et il allume


Des incendies en lui, il engendre des armes et une croix,
Il provoque la mort éternelle que nul ne peut
Éviter sans Dieu, lui dont celui qui s’égare a nié qu’il existe.
La méditation sur la mort profite aux hommes de bien
Tandis que périt l’insensé qui est dans une crainte sans modération30.

Ces mêmes critiques, ou limitations, de la philosophie stoïcienne sont


reprises lors de la présentation générale des stoïciens dans le Policraticus.
La position stoïcienne est ici résumée par le fameux exemplum du sage
effrayé par une tempête31. C’est l’occasion pour Jean de rappeler que les
passions doivent être contrôlées par la raison, mais qu’une telle maîtrise
n’est pas possible sans la grâce divine32.
Si l’on résume ces analyses, on voit comment la mise en œuvre d’une
démarche d’analyse sceptique, inspirée de Cicéron, et consistant dans
la confrontation des théories antiques sur le souverain bien, permet soit
de faire émerger la part de vérité (ou de vraisemblance) présente en
chacune des doctrines, vérité attestée par le consensus des philosophes
et leur convergence avec la religion chrétienne, soit de souligner les
limites inhérentes à toute démarche étrangère à la Révélation et à la grâce
divine. En l’occurrence, les philosophies anciennes convergent en faisant
du bonheur la fin de l’éthique, la plupart d’entre elles identifiant la vertu
comme principal moyen d’accéder au bonheur. C’est donc cette thèse
162 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

(attribuée aux péripatéticiens) que Jean va lui-même endosser, tout en


la nuançant par le nécessaire apport de la grâce divine.

Une éthique des vertus


C’est dans le dernier chapitre du Policraticus, après avoir examiné
toutes les doctrines philosophiques, que Jean de Salisbury se permet de
présenter sa propre conception de l’accès au bonheur, en vue de préparer
Thomas Becket à la vie curiale, et de l’écarter de l’épicurisme qui apparaît
comme la philosophie spontanée du courtisan. Cette conception reprend
des éléments d’aristotélisme et de stoïcisme sous l’égide de l’amour de
Dieu. L’élément essentiel de cette éthique est la vertu qui, d’emblée, est
inscrite dans une perspective très nettement intellectualiste :

Assurément, cette voie c’est la vertu, placée et confinée entre


deux limites, à savoir la connaissance et la pratique du bien. En effet,
connaître le bien et ne pas l’accomplir mérite la damnation, et ce n’est
pas une voie du bonheur33.

La vertu suppose en amont la science du bien qui en est une condition


nécessaire, et en aval la mise en pratique de ce qui est connu comme bien,
et qui est véritablement la manifestation de ce savoir. Il n’est donc pas
question d’en rester à une simple morale de l’intention, mais il faut au
contraire que cette intention soit publiquement identifiable et évaluable34.
Jean ne traite nulle part de la question de la faiblesse de la volonté, en
revanche il critique les philosophes (Cicéron, Aristote) qui ont enseigné
la vertu sans toujours la mettre en pratique35. Curieusement, cette mise en
valeur de la science comme condition de la vertu est renvoyée au péché
originel, dont elle est en quelque sorte une conséquence bénéfique : la
désobéissance d’Adam nous a apporté, au moins, la connaissance du bien
et du mal. Par conséquent, l’exercice de la raison peut distinguer encore
ce qui est bien et mal, et c’est pour cela que l’exercice de la raison et la
science sont intimement lié à la vertu :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 163

Mais c’est par l’expérience qu’il a obtenu la science du bien et


du mal, et qu’il a produit en lui-même un lieu de multiples misères.
Donc, s’élevant depuis l’arbre de la science, pourtant prohibé, l’homme
a dévié et s’est écarté de la vérité, de la vertu et de la vie. Et il ne
reviendra à la vie que par un retour à l’arbre de la science, et de là,
par la connaissance de la vie et l’accomplissement de la vertu, il
changera la vie en joie36.

En l’occurrence, le mal ici consiste, principalement, dans une perspective


de nouveau très augustinienne, à soumettre le supérieur à l’inférieur,
c’est-à-dire l’esprit au corps. La connaissance du bien nous indique en
premier lieu le primat de la raison sur la chair et la nécessité de contenir
les excès au moyen de la tempérance37. De façon première, donc, la vertu
qui constitue l’essentiel de l’éthique a une fonction de modération, elle
est ce qui restreint l’intempérance en apportant véritablement la satiété
que l’on chercherait en vain dans le désir. C’est l’autosuffisance de la
vertu, qui seule apporte un véritablement contentement en ce monde, qui
en fait la clé de toute l’éthique et qui lui permet en même temps de jouer
ce rôle de modératrice des désirs38. Elle s’inscrit à la fois dans le cadre
aristotélicien de la théorie de juste milieu, dont C. Nederman a montré
le caractère central dans l’éthique salisburienne, et dans la perspective
sceptique de la modestie et de la retenue39.
La mise en avant de la vertu comme clé de l’éthique est inséparable de
l’idée d’un travail sur soi qui passe par la répétition. De fait, conformément
à la théorie aristotélicienne qu’il reprend ici, peut-être par l’intermédiaire
d’Abélard40, Jean considère que la vertu est liée à la théorie de l’habitus,
c’est-à-dire à l’idée de l’usage régulier et répété qui rend progressivement
l’action plus facile, et garantit finalement une certaine constance dans le
bien (ou dans le mal) de la part du sujet éthique :

Le caractère est une disposition de l’esprit par laquelle la constance


des actes de chacun est garantie. Car si un acte est accompli une fois
ou plus, il ne devient pas immédiatement une partie du caractère, à
moins que la constance dans l’action ne le transforme en usage. Mais,
cet usage embrasse à la fois le vice et la vertu, quoique les vices ne
164 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

relèvent pas du caractère, mais sont plutôt qualifiés d’obstacle au


caractère. En ceci, il est clair que seules les vertus sont dignes du nom
de caractère, et quand nous appelons bons ou mauvais des caractères,
nous distinguons les vices des vertus41.

Ainsi, la vertu, comme le vice, ne sont pas des qualités naturelles


en l’homme, une partie innée de son caractère, mais des dispositions
acquises par un travail de la raison pratique, appelée prudence. Comme
on l’a vu42, la prudence est la faculté cognitive qui est apte à appliquer
les connaissances théoriques obtenues par la raison. C’est par elle
que l’on peut faire usage de notre connaissance du vrai et du bien43.
De ce fait, la prudence, traditionnellement considérée comme l’une
des quatre vertus cardinales44, est le fondement de toutes les autres
vertus, qui sont en quelque sorte l’objet sur lequel elle s’exerce45. Au
fondement de l’éthique se trouve la connaissance du vrai qui rend sage
et heureux, tandis que l’ignorance interdit toute pratique de la vertu
et conduit au vice.
Cette raison pratique s’exerce néanmoins sur un substrat affectif qui
constitue la matière de la vie éthique, et qui interdit tout dogmatisme
rationaliste en morale. Si l’on fait la généalogie du caractère (mos) qui
est constitué par l’ensemble des dispositions vertueuses et vicieuses d’un
individu, on trouve à la base deux affects principaux qui vont, selon la
façon dont ils sont contrôlés et équilibrés, produire des vices ou des
vertus46. Ces deux affects sont l’appetitus iusti et l’appetitus commodi.
Si le premier relève du libre arbitre de l’homme qui veut le juste, le
second répond à un besoin vital à l’homme et répond à la nécessité de
se procurer les biens nécessaires à la survie :

Assurément, l’autorité des Écritures saintes désigne deux affects


ancrés en l’homme dès l’origine, à savoir le désir du juste et le désir de
l’avantageux. L’un consiste dans la volonté et l’autre dans la nécessité.
Et plus le désir du juste qui est dans la volonté prend de l’ampleur,
meilleur il est, et digne d’un plus grand bonheur. Car personne ne
peut vouloir fortement ce qui est juste sauf peut-être celui qui peut
être fort juste ou heureux. D’autre part, si le désir de l’avantageux
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 165

excède la mesure de la nécessité, il incline à la faute, et conscient de


son envie, il engendre la source de ses vices47.

Il y a donc d’emblée un déséquilibre entre les deux affects puisque rien


ne pousse en soi l’homme à vouloir le juste, contrairement à l’avantageux.
La nécessité de l’avantageux conduit immédiatement à excéder toute
forme de mesure et à engendrer le vice, c’est-à-dire à se détourner des
biens éternels pour accumuler les biens temporels, à substituer l’utile au
juste. Ainsi, le vice, qui a sa racine dans l’avarice, dans le désir incontrôlé
d’accumulation, engendre la libido dominandi et le désir de vaine gloire,
toutes choses qui conduisent à la négation d’autrui, et par là de Dieu48.
À l’inverse, la vertu s’appuie fondamentalement sur l’amour du juste
qui se résume à la règle d’or, et qui conduit à la charité entendue comme
amour de Dieu, du prochain et de la patrie.
Ce double substrat affectif de la vie éthique souligne donc bien à
la fois l’origine du vice, et la nécessité pour la vertu de s’appuyer sur
un ensemble de biens extérieurs pour être réellement efficace49. En
soi les biens que le désir de l’avantageux nous incite à chercher sont
indifférents, c’est-à-dire éthiquement neutres. Ils peuvent conduire à un
enchaînement de maux quand ils sont mal utilisés, mais également se
révéler un adjuvant de la vertu :

De là, il est manifeste que le premier éloge ne revient ni à la force,


ni à la générosité, ni à la richesse, mais à la vertu, dont elles sont les
instruments, et en vue de laquelle elles doivent être recherchées50.

Tout le problème encore une fois tient à la modération que l’on peut
mettre dans la recherche des biens. Celui qui cherche ces biens au-delà de
ce qu’impose la nécessité, et qui les ordonne à son propre plaisir, s’adonne
au vice, tandis que celui qui soumet ces biens à la mesure et les ordonne
au bien commun pourra en faire un usage vertueux. C’est donc bien la
seule vertu qui rend heureux, mais elle s’appuie elle-même utilement sur la
dimension affective de l’homme. En ce sens, le but de l’éthique des vertus
mise en œuvre par Jean est de restreindre l’intempérance fondamentalement
présente en l’homme, de façon latente, dans l’appetitus commodi :
166 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Je ne dirai pas que le désir de l’avantageux, s’il est tempéré,


est répréhensible, pas plus que je ne considérerai comme un crime
l’abondance suffisante des biens, l’allégresse de l’esprit, l’amour
naturel de la liberté, ou un mérite saillant ; mais rien de ceci n’apporte
ce qui est promis ; de fait, la façon dont on les recherche produit plutôt
l’effet contraire51.

On voit que le désir de l’avantageux est constitué par des biens


matériels ou spirituels qui sont en soi au moins neutres. L’amour de la
liberté est hautement prisé par Jean lui-même, et la joie, tout comme
le mérite, et l’abondance, sont des adjuvants à la pratique de la vertu.
Néanmoins, tous ces biens contiennent en eux-mêmes le principe de
leur propre perversion puisqu’ils portent à l’excès. En cherchant ces
biens pour renforcer la vertu, on est bien souvent conduit au vice. La
liberté conduit à la désobéissance, l’abondance des biens matériels à
l’asservissement de l’esprit par le corps, etc. Il est donc indispensable
de canaliser l’usage de ces biens, de les tempérer, bref de les soumettre
à la modération propre à toute vertu. Ainsi, tout le decorum que vise
l’action éthique tient dans la modération.

Les limites de la vertu : la grâce


Si la vertu, pour être plus efficace, doit s’appuyer sur des instruments,
au nombre desquels le désir de l’avantageux, elle s’enracine surtout dans
le désir du juste, c’est-à-dire dans la charité, en tant que racine des droites
mœurs. C’est la fragilité humaine, consécutive au péché originel, qui
limite la capacité de la seule vertu à tempérer le désir de l’avantageux,
et du vice qui en découle. Si la vertu profite de la science, une éthique
strictement intellectualiste, telle que celle développée par les païens, est
néanmoins vouée à l’échec en raison de la faiblesse humaine, dont on
a déjà vu les conséquences épistémologiques52. Du côté de l’éthique, le
seul libre arbitre ne suffit pas à vouloir et pour accomplir le bien, il lui
faut le soutien de la grâce. Cette nécessité de la grâce comme soutien
d’une nature humaine défaillante est une constante de l’œuvre de Jean
de Salisbury. Dès l’Entheticus, il insiste sur la fonction réparatrice de la
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 167

grâce et sur son rapport intime à la philosophie, tant dans sa dimension


épistémique qu’éthique. La grâce est alors pourvue d’une triple fonction, à
savoir réparer, illuminer et remplir53 : la grâce répare, restaure et renforce
à la fois les capacités de la raison, qu’elle purge de ses limites cognitives,
et l’effectivité de la volonté, d’une part en tempérant les affects, d’autre
part en libérant l’arbitre des conséquences du péché. Sans la grâce, une
bonne nature restera vaine, et ne pourra produire des actes méritoires.
Car, conformément au schéma augustinien qui irrigue toute la doctrine
de la grâce de Jean, c’est uniquement par la grâce que la chair peut être
soumise à l’esprit et l’esprit à Dieu, rétablissant l’ordre qui avait été
rompu par le péché originel54. Cette même dialectique de la fragilité et
de la grâce se retrouve quelques années plus tard dans la correspondance.
Dans une lettre non datée, destinée à son frère Robert, Jean insiste sur
la nécessité de la grâce divine pour pallier les déficiences de la fragilité
humaine. En revanche, quelle que soit l’infirmité humaine, la grâce la
soigne de sorte que tout ce qui relève du nécessaire et de l’utile peut
être accompli :

Sans la grâce, la fragilité humaine ne peut rien, et par elle, quelle


que soit notre infirmité, nous pouvons réussir les plus grandes choses,
de sorte que, quand la nécessité ou l’utilité l’exigent, le boiteux sautera
comme un cerf, et la langue des muets sera éloquente55.

En d’autres termes, la grâce, en réparant l’arbitre et en permettant le


contrôle des affects, autorise un usage encadré de l’appetitus commodi.
C’est la grâce qui garantit que l’avantageux restera dans les strictes
bornes de l’utile et du nécessaire. Cette thèse est encore reprise en
conclusion du Policraticus. Après avoir rappelé la nécessité de connaître
et de pratiquer la vertu pour accéder au bonheur, il concède qu’un païen
comme Virgile a pu appréhender en partie une telle doctrine56. À l’appui
de cette affirmation, il cite le passage du livre VI de l’Énéide où la Sybille
enjoint Énée à chercher le rameau d’or qu’il offrira à Prospérine, s’il veut
descendre aux Enfers trouver son père Anchise. Proche du commentaire
de Bernard Silvestre, Jean de Salisbury interprète classiquement le rameau
d’or comme le signe de science et de vertu, voire de philosophie57.
168 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Mais il précise immédiatement qu’il manque au discours de Virgile la


connaissance de la grâce dont l’influence est nécessaire pour que la volonté
puisse accomplir ces actions que l’on sait être bonne58. La dimension
augustinienne est donc tout aussi nette ici : la philosophie sans la grâce
ne peut pas opérer59. Ainsi, la grâce, en agissant sur la raison et l’intellect,
fait fructifier la nature déchue de l’homme et supplée les déficiences dues
au péché originel, et surtout rend possible et effective la pratique de la
vertu60. C’est en ce sens que la grâce se trouve au fondement même de
la vraie philosophie entendue comme amour de Dieu.
Comment cette position se situe-t-elle dans la cartographie des éthiques
médiévales ? Si l’on suit R. Saccenti, on peut distinguer un triple modèle
rendant compte de la relation entre la vertu et la grâce dans la philosophie
morale du xiie siècle61. Le premier, exemplifié par Abélard, considère la
vertu comme une qualité (ou plus précisément, un habitus qui relève de la
catégorie de la qualité) acquise par l’homme et qui le rend capable d’agir
en vue du bonheur éternel. Abélard s’approprie ainsi la thèse, présente
notamment chez Macrobe, selon laquelle l’exercice de la vertu est une
condition nécessaire et suffisante du bonheur. Dès lors, philosophie et
théologie indiquent deux voies différentes mais non contradictoires vers
le bonheur. Par l’étude et la délibération, donc par des moyens strictement
naturels, il est possible de se disposer au bonheur éternel62. Le second
modèle est représenté dans la typologie de R. Saccenti par Rupert de
Deutz63 qui, en s’appuyant fortement sur Augustin, adopte un point de
vue tout à fait antinomique : la vie morale est nécessairement liée à la
grâce divine, et les vertus des païens, auxquels il manque la foi, ne sont
pas véritablement des vertus. Par conséquent, les vertus qui permettent
de bien agir sont un don de Dieu, par l’action de la grâce opérante et
prévenante, qui seule rend l’homme capable du bien. Par des moyens
seulement naturels, l’homme n’a pas la capacité d’atteindre au bonheur.
À ces deux modèles opposés s’en ajoute un troisième qui trace une voie
médiane, et qui est développé notamment par Alain de Lille. Celui-ci
distingue les vertus naturelles et les vertus gratuites qui sont les vertus
au sens plein. À partir de cette distinction, on peut réinvestir la vertu
comme habitus dans le sens d’une puissance de la nature humaine qui
doit être développée pour être vraiment effective. Il y a donc en l’homme
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 169

une capacité naturelle à la vertu, à l’action éthiquement bonne, qui doit


cependant être actualisée. Or, c’est la grâce divine qui permet cette
actualisation. La différence entre vertu naturelle et vertu gratuite n’est
donc pas dans l’essence mais dans le mode d’usage : la grâce introduit de
l’ordre dans les vertus naturelles qui seraient sans cela désordonnées64.
Où situer Jean de Salisbury dans cette typologie ? La dimension
fortement augustinienne de sa conception de l’infirmité humaine pourrait
inciter à le classer dans la seconde catégorie, qui fait de la grâce une
condition nécessaire de la vie éthique. Il précise même à une occasion
que l’excellence naturelle des philosophes ne relève que d’une image
de la vertu, dans la mesure où manque la grâce. Nonobstant la beauté de
leur démarche, il manque la grâce et le culte du vrai Dieu pour que l’on
parle véritablement de vertu :

En effet, il ne se trouve pas que quelqu’un soit vraiment glorifié à


moins qu’il ne soit glorifié dans le Seigneur. Car, est approuvé non celui
qui se recommande lui-même ou qu’un homme recommande, mais celui
que Dieu recommande. De sorte que c’est par la seule et vraie vertu que
l’on mérite et non par une quelconque image de vertu. […] De là, il est
manifeste qu’il ne peut y avoir de vraie vertu que dans la connaissance
et le culte du vrai Dieu65.

Cependant, la position de Jean ne semble pas être aussi tranchée. Après


avoir opposé l’image de la vertu et la vraie vertu fondée sur la grâce,
c’est-à-dire sur la foi et l’amour, il nuance son propos de deux façons,
d’une part en soulignant l’infériorité morale de son temps, d’autre part
en faisant de cette image de la vertu un guide vers la vérité66. Il lui arrive,
en effet, de souligner que la philosophie est par elle-même un remède
à l’infirmité humaine67. Sans doute, la vraie philosophie est amour de
Dieu, mais certains païens ont effectivement approché cette conception
de la philosophie, et au premier rang Platon qui définit le sage comme
celui qui rend un culte à Dieu68. Ainsi, l’intellectualisme éthique des
païens, dans la mesure où il permet d’écarter les vices et de progresser
dans la contemplation, est une voie vers la vraie béatitude69. Dans une
perspective toute abélardienne, Jean insiste sur l’idée de la diversité des
170 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

chemins menant au bonheur, et souligne la convergence des Pères de


l’Église avec la thèse qui fait consister le bonheur dans la vertu70. Par
conséquent, même si sa position est moins précisément théorisée que
celle d’Alain de Lille, c’est sans doute davantage du côté du troisième
modèle qu’il faut situer Jean. C’est assez net dans l’Entheticus, où la
grâce est présentée comme ce qui engendre la vertu et la rend effective.
Et c’est la même thèse qui est reprise subrepticement à la toute fin du
Policraticus. Si toute la vertu n’est pas contenue dans la grâce, cette
dernière rend néanmoins plus facile la mise en œuvre des dispositions
vertueuses présentes en chacun.
La mise en place d’une méthode que l’on pourrait qualifier de
doxographie sceptique conduit ainsi Jean de Salisbury, après avoir passé
au crible de la critique les doctrines éthiques païennes, à placer au cœur
de la réflexion morale la vertu, entendue comme disposition acquise
qui facilite l’action, en tant que condition nécessaire, voire suffisante,
du bonheur. Cependant la prise en compte, en éthique, des données de
l’anthropologie chrétienne du péché, conduit à nuancer la valeur des
dispositions naturelles de l’homme pour introduire le nécessaire secours
de la grâce divine. Le naturalisme et l’intellectualisme éthique trouvent
leur limite dans ce fait anthropologique de la fragilité humaine qui fait
signe vers un au-delà de l’homme. L’éthique sceptique que Jean va
mettre en œuvre s’inscrit donc entre ces deux pôles que sont la vertu
et la grâce, la capacité et l’effectivité. Ces prolégomènes étant posés, il
nous faut voir à présent comment la fin de l’éthique, qui est le repos ou
la tranquillité de l’âme, peut être atteinte en cette vie. C’est ici, dans ce
que l’on pourrait qualifier d’éthique de la distance, que se manifeste le
plus clairement la dimension sceptique de l’éthique de Jean.

Une éthique de la distance : la tranquillité de l’âme

Par-delà ses rapports à l’histoire de la philosophie, liés à la méthode de


la doxographie sceptique, l’éthique mise en œuvre par Jean de Salisbury
se veut fondamentalement une éthique pratique à destination du courtisan
et de l’homme politique. Il s’agit de penser comment, en relation à l’idéal
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 171

d’une vie philosophique, une vie moralement bonne reste possible pour
celui qui s’engage, comme Thomas Becket, destinataire des principales
œuvres de Jean, dans une carrière politique. À cet égard, Jean considère
en s’appuyant sur sa propre expérience, que le principal enjeu d’une telle
éthique est de garantir contre les perturbations qui assaillent l’esprit et
interdisent la tranquillité de l’âme. En d’autres termes, c’est la question
de la résistance à la Fortune qui est au cœur de cette réflexion 71. La
réponse à ce problème passe par un réinvestissement de la distinction entre
l’intériorité et l’extériorité qui met l’accent sur la vanité de l’extériorité et
la réalité de l’intériorité. Par ce biais, le thème classique du contemptus
mundi, qui est selon Jean l’une des constantes de toute philosophie72, est
repris dans une perspective nettement sceptique fondée sur l’opposition
entre les apparences et la réalité.

L’injonction à se connaître : la connaissance de soi contre l’amour


de soi
L’histoire du gnôthi seautón est bien connue, notamment depuis les
travaux de Pierre Courcelles73. Il nous suffira de noter que, pour Jean de
Salisbury, les principaux vecteurs de transmission sont Cicéron et Augustin
(qui traduisent l’idée de connaissance par agnoscere, cognoscere, noscere,
termes que l’on retrouve chez Jean) et dans une moindre mesure Perse
et Juvénal qui transmettent directement le précepte delphique74. Il y a
donc une continuité culturelle des païens aux chrétiens, facilitée par la
proximité de la formule avec d’autres formules scripturaires. L’invitation
delphique est globalement comprise comme une invitation faite à l’âme
à s’abstraire de la sensation pour se tourner vers elle-même par un acte
réflexif. En se tournant vers l’intérieur, c’est la partie rationnelle de l’âme
qui est mise en mouvement : l’appel à la connaissance de soi est le premier
pas du passage intérieur vers Dieu. Il s’agit de prendre conscience de la
futilité de l’homme et du monde face à Dieu. Ces éléments de lecture
chrétiens de la formule se retrouvent bien entendu chez Jean de Salisbury.
Néanmoins, cette thématique est intégrée dans un cadre sceptique de
non-connaissance, où la connaissance de soi peut bien être la mise en
branle de la raison, mais ne peut néanmoins garantir aucune forme de
172 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

certitude. C’est cette précarité épistémique du sujet qui conduit Jean à


renouveler l’approche médiévale de la subjectivité75. Ce n’est plus tant
l’intériorisation spirituelle qui intéresse Jean que la constitution d’un
sujet responsable de ses pensées et de ses actes, à travers une théorie
sceptique du jugement et du conseil, comme condition nécessaire de
l’émergence d’un double espace, privé et public, séparés malgré leurs
interactions76.
Dès l’Entheticus, Jean insiste sur le double lien entre connaissance
de soi et amour de Dieu qui fonde la philosophie. Conformément à
l’influence augustinienne qui irrigue largement ce poème, la lumière
divine, qui illumine l’esprit et fonde la connaissance, rend possible en
premier lieu la connaissance de l’esprit par lui-même :

Dieu est la vraie lumière et le garant de cette lumière


Par laquelle chacun peut se voir.
L’usage de la lumière suprême est de faire en sorte que chacun puisse
se voir,
L’usage du don est d’aimer le don qui a été donné,
L’usage du don est de discerner toutes choses de façon effective,
L’usage du don est la pratique et l’amour du bien,
L’usage du don est de connaître le fruit des choses,
L’usage du don est d’être attiré par les meilleures choses,
L’usage du don est de connaître l’auteur de ce don,
Le plus grand usage du don est d’aimer Dieu.
Si aucune force ne peut séparer ceux que l’amour unit,
Il n’y aura pas de vrai philosophe sans Dieu77.

La connaissance de soi conditionne une connaissance effective des


choses, mais surtout elle est immédiatement investie d’une dimension
morale telle que la connaissance de soi est condition de l’amour du
bien et de l’action bonne dans la mesure où, en se connaissant, l’esprit
se reconnaît comme image de Dieu, et se trouve capable véritablement
d’aimer Dieu en tant que créateur de toutes choses. Au fondement même
de toute l’activité philosophique entendue comme amour de Dieu se
trouve donc la connaissance de soi, et par là une certaine forme d’amour
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 173

de soi ordonnée à l’amour de Dieu. Ce thème, qui n’est ici qu’esquissé


est repris de façon plus systématique quelques années plus tard dans le
Policraticus. La reprise de l’injonction socratique est d’abord l’occasion
de rappeler à la fois la dimension intellectualiste de l’éthique, fondée
sur la science, et le nécessaire secours de la grâce dans la mise en œuvre
de cette éthique :

Et il me semble que c’est l’unique et vraie intégrité de la vie,


quand l’âme raisonnable est illuminée par l’esprit vivifiant en vue de
la connaissance des choses, et s’élève à l’amour de la noblesse et à la
pratique de la vertu. Ainsi, la science précède la pratique de la vertu
puisque personne ne peut désirer avec confiance ce qu’il ignore, et
prendre garde au mal à moins qu’il ne lui soit utilement connu. En
outre, le trésor de la science nous est exposé de deux façons, soit quand
par l’exercice de la raison, l’intellect trouve ce qui peut être su, soit
quand la grâce révélante dévoile ce qui est caché en le portant à nos
yeux. Ainsi, chacun peut accéder soit par la nature soit par la grâce à
la reconnaissance de la vérité et à la science des choses nécessaires.
Mais ce qui est plus remarquable : chacun porte en son cœur un livre
de science ouvert à l’exercice de la raison, dans lequel sont dépeintes
les formes des choses visibles et la nature de toutes choses, mais sont
aussi consignées par le doigt de Dieu les perfections invisibles de
l’artisan de toutes choses. […] La reconnaissance assurément possède
la certitude, et consiste soit dans la science soit dans la foi. Mais l’on
diffère quelque peu l’examen des règles de la foi puisqu’elles seront
discutées en leur lieu et place. La science des autres choses suppose
la connaissance de soi. Ce qui ne peut arriver si l’on n’évalue pas ses
forces, et si l’on ignore celles des autres78.

Sans remettre en cause la subordination du matériel au spirituel,


Jean met en avant l’importance de l’harmonie de l’âme et du corps en
vue de l’intégrité de la vie humaine. Reprenant un schéma de part en
part augustinien, une hiérarchie s’établit du corps à l’âme et de l’âme
à Dieu79. Ainsi, l’âme vit pleinement quand elle est régie par Dieu, de
même que l’homme vit pleinement quand l’âme soumet le corps. Or,
vivre en Dieu, c’est se découvrir, en tant que créature rationnelle, vestige
174 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

de la divinité, et illuminé par la vérité, illumination qui rend possible


un véritable amour de Dieu. La pratique de la vertu dépend donc, au
préalable, de l’acquisition d’une scientia, à savoir la science du bien et
du vrai, la préséance de la science sur la vertu provenant de ce que l’on
ne peut chercher ce que l’on ignore. Or, deux choses rendent possible
l’acquisition de cette science, qualifiée également d’agnitio veritatis,
à savoir la raison et la grâce qui fournissent à l’homme une forme de
certitude : tout homme porte en son cœur un livre de connaissances ouvert
par l’exercice de la raison, lequel livre contient toutes les formes des
choses sensibles. C’est donc un innéisme de type platonicien qui sous-
tend la thèse du retour à soi comme condition de reconnaissance du vrai
et de pratique de la vertu. Mais, toute scientia présuppose une notitia sui
qui est évaluation de ses propres capacités, incitation à l’humilité et frein
à l’orgueil de la raison. En droit, la connaissance de soi apparaît ainsi
comme la condition de possibilité d’une enquête rationnelle fructueuse.
Ainsi, non sans une certaine ambivalence, la connaissance de soi a pour
vocation à se redéployer dans la connaissance de l’autre et du monde
puisqu’elle passe par l’évaluation de ses capacités et de celles d’autrui :
la première tâche de l’homme qui aspire à la sagesse est en effet de se
situer précisément dans le monde. Sans ce détour raisonné par l’extérieur,
on est conduit à la perte de soi et à l’impossibilité de la connaissance80.
L’enjeu est alors, en écho à la critique des présocratiques, de déterminer
précisément sa place dans l’univers et son propre rapport à Dieu. C’est le
sens que crée très nettement la juxtaposition de l’oracle de Delphes, cité
d’après Juvénal, et d’un texte de Perse censé l’expliquer et l’éclairer81,
dans la perspective propre à Jean où les textes classiques se répondent
et s’éclairent les uns les autres :

Ainsi, le premier devoir de l’homme qui désire la sagesse est de


contempler ce qu’il est, ce qui est en lui et hors de lui, ce qui est sous
lui et au-dessus de lui, ce qui est face à lui, devant et derrière lui.
[…] Mais celui qui s’ignore lui-même, que peut-il connaître d’utile ?
[…] L’oracle d’Apollon, croit-on, est descendu du ciel : Notiseliton,
c’est-à-dire « connais-toi toi-même. » C’est ce que n’ignorait pas le
moraliste quand il disait : Apprenez, misérables, à connaître les causes
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 175

des choses, ce que nous sommes, ou pour quel genre de vie nous
sommes mis au monde […]. En effet, cette contemplation engendre
un quadruple fruit, la conscience de sa bassesse, l’amour du prochain,
le mépris du monde, et l’amour de Dieu82.

La connaissance de soi est donc d’abord connaissance de ses


limites. Ainsi, tout en fondant une éthique intellectualiste où l’action
est subordonnée au savoir, le motif païen de la connaissance de soi est
néanmoins repris par Jean de Salisbury dans une perspective tout à fait
chrétienne, qui justifie l’expression de « socratisme chrétien » proposée
par E. Gilson83. De fait, la connaissance de soi est finalisée par une forme
d’innéisme où chacun trouve en son cœur un livre de science contenant
à la fois les formes des choses visibles et invisibles, et la loi divine que
nul n’est censé ignorer. Jean distingue alors une quadruple utilité de la
contemplation de soi : uilitas sui, caritas proximi, contemptus mundi et
amor Dei. Il y a de toute évidence une dialectique de l’élévation et de
l’abaissement qui conduit de la juste estimation de sa valeur à l’amour
de Dieu. Ainsi, la reconnaissance de sa propre insignifiance doit conduire
à l’amour du prochain. Cet amour doit néanmoins être limité par la
conscience de la bassesse du monde, et rattaché ainsi à l’amour de Dieu.
En bon augustinien, Jean de Salisbury oriente toute forme d’amour vers
l’amour de Dieu. Le monde ne peut pas être aimé pour lui-même, mais
seulement comme étape vers l’amour de Dieu84.
On retrouve, comme en écho, et de façon synthétique, ces différents
éléments dans un texte du Metalogicon qu’il faut citer un peu plus
longuement :

Or, tandis que l’esprit est occupé à de nombreuses choses qui sont
peu pertinentes pour lui, il se disperse loin de lui-même, et la plupart
du temps s’oublie lui-même. Assurément, il n’y a pas d’erreur plus
funeste. Car se connaître, comme le dit Apollon, est en quelque sorte
la sagesse suprême. Quelle utilité y a-t-il pour l’homme à connaître la
nature des éléments ou de ce qui est constitué d’éléments, à chercher
une théorie des proportions des grandeurs et des nombres, à observer
le conflit des vices et des vertus, à s’appliquer aux enchaînements
176 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

d’arguments et disputer de toutes choses avec des arguments probables,


tout en restant ignorant de soi-même ? N’est-il pas excessivement
curieux et négligent de lui-même, celui qui admire ce qui lui est
étranger et ne s’applique pas à ce qui lui est propre ? Mais celui qui
convertit les choses extrinsèques en vue des besoins de la vie, de sorte
qu’il reconnaît et vénère leur auteur, et mesure son imperfection, lui
qui peut difficilement comprendre un petit nombre de choses, et qui
n’use des choses transitoires, avec lesquelles lui-même il passe, qu’à
titre précaire, et qui pour l’heure contient, réprime ou éteint ses désirs
concupiscents, qui avec zèle et application s’efforce de reformer
l’image de Dieu corrompue par le vice, qui de toutes ses forces
cultive la vertu et s’acquitte de ses obligations, celui-ci philosophe
de la façon la plus droite. Sa recherche est sobre, lui qui commence
par s’examiner lui-même, qui inspecte avec zèle les choses qui lui
sont inférieures, perçoit sans négligence celles qui lui sont égales, et
contemple avec vénération celles qui lui sont supérieures, de sorte
qu’il ne se lance pas avec une audace téméraire dans les questions
impénétrables85.

Dans ce texte, il s’agit encore une fois de distinguer les philosophes


qui font de leur savoir une finalité de ceux qui savent soumettre leurs
connaissances à une fin plus haute. La philosophie naturelle, l’éthique,
ou la logique, si elles sont pratiquées pour elles-mêmes sont vaines
et conduisent à l’aliénation de soi dans les apparences mondaines. À
l’inverse, celui qui prend appui sur ces connaissances pour reconnaître
la contingence du monde peut trouver en soi un point d’ancrage pour la
recherche de la vérité. La connaissance de soi, entendue dans son sens
augustinien de reformation de l’image de Dieu obscurcie par le vice,
conditionne ainsi la connaissance du monde, et l’usage vertueux que
l’on peut en faire, autant que la connaissance de Dieu comme créateur
et comme être parfait, mesure de l’imperfection de soi.
Jean reprend ainsi la thématique de la dispersion hors de soi, et de
la scission interne, dans le cadre d’une critique des philosophes qui
cherchent à connaître le monde pour lui-même et non pour le rapporter
à Dieu. L’éloignement de soi et l’oubli de soi sont opposés à l’injonction
delphique qui vient résumer les enseignements des Écritures. Le thème
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 177

de la connaissance, et notamment de la connaissance de soi, est ici


explicitement rapporté à la question du souci de soi et à son opposé, la
négligence de soi. Jean dénonce l’aliénation de celui qui préfère les biens
d’autrui aux siens propres, dénonciation qui se retrouve dans la critique du
courtisan, dans le Policraticus. En même temps, toujours conformément
à cette perspective augustinienne, sans cesse présente en filigrane, la
connaissance de soi est finalisée par la reformation de l’image de Dieu,
ce qui suppose de substituer l’usage du monde à sa jouissance, et de
pratiquer la vertu. La connaissance de soi chez Jean de Salisbury est donc
d’abord conçue comme capacité à se déchiffrer sans faux-semblants afin
de retrouver sa place dans le monde, c’est-à-dire dans la hiérarchie qui
ordonne la création depuis le niveau corporel jusqu’au sommet qu’est
Dieu. En retrouvant cette place intermédiaire, à la jonction du matériel
et du spirituel, l’homme se trouve en position de mettre en pratique la
double exigence connexe de modération et de charité.
L’injonction à se connaître, chez Jean de Salisbury, est inséparable
d’une mise en valeur du moi dont la réalité est affirmée face à l’évanescence
des biens extérieurs. De ce fait, la connaissance de soi, dans le cadre
de l’éthique pratique à destination du courtisan, est l’épine dorsale de
la résistance aux coups de la Fortune. Il n’est pas indifférent en effet
que les réflexions sur la connaissance de soi se trouvent au début du
livre III du Policraticus, dont une large part est consacrée au problème
de la flatterie86. De fait, ce que la connaissance de soi doit permettre de
combattre efficacement, c’est l’amour de soi fondé sur l’orgueil et dont
le principal vecteur est la flatterie. Si l’amour de soi est inné en chaque
homme, et moralement neutre en soi, en ce qu’il peut être correctement
orienté s’il reste modéré, il devient un vice dès lors qu’il conduit à se
détourner de la vérité, c’est-à-dire de Dieu, et à lui préférer les choses
corruptibles du monde :

En effet, il y a chez tous les hommes un amour de soi non pas tant
apparié qu’inné. Cet amour, s’il a dépassé toute mesure, tend vers la
faute. En effet, toute vertu est limitée par ses propres fins, et consiste
dans la modération. Si tu les dépasses, tu es dans l’envie non dans la
voie. Si cet amour croît, personne ne peut espérer de soin. C’est en
178 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

effet une lèpre plus incurable que toute lèpre. […] Celui, donc, qui
ne tempère pas cet amour, qu’il craigne cette lèpre, et qu’il craigne
encore plus l’aveuglement qui en procède87.

Le processus qui conduit à l’amour vicieux de soi, par le biais de


l’orgueil et de la flatterie, est opposé point par point à la connaissance
de soi qui doit fonder toute pratique philosophique. Celui qui cède à la
flatterie s’en remet aux paroles d’autrui plutôt qu’à son propre jugement88.
En d’autres termes, il cherche hors de lui ce qu’il ne peut trouver que par
un retour sur soi, à savoir la vérité sur son être. À partir de là, la flatterie
agit comme une sorte de cataracte qui obscurcit la perception de l’esprit
et rend impossible une juste estime de soi89. Seule la philosophie, en ce
qu’elle permet de mettre en ordre l’ensemble des perceptions, évite de
se faire tromper sur soi et sur le monde. Ainsi, le probabilisme sceptique
apparaît comme un moyen de mettre à distance l’autorité dont se prévaut
le flatteur pour faire passer son discours, et il substitue le critère de
consensus des sages à celui de dignité sociale90.
À partir de cette opposition constitutive entre l’intérieur et l’extérieur,
entre la connaissance de soi et l’amour de soi, le retour en soi et la
dispersion dans le monde, Jean va prôner la mise en œuvre d’une éthique
de la distance comme condition de la tranquillité de l’âme, éthique de la
distance qui est fondée sur la reprise du thème du theatrum mundi.

La métaphore théâtrale et l’aliénation du moi


Dans une lettre datée de 1170, écrite à Thomas Becket peu avant qu’il
ne se fasse assassiner, Jean de Salisbury donne une vision synthétique
des limites de la connaissance de soi :

Plût au ciel que la maladie consécutive à cette tromperie ne soit pas


incurable, mais nulle révélation ou consolation ne viendra qui ne soit
donnée par le ciel. Et c’est assurément juste, à mon avis, puisque nous
avons eu la présomption d’expliquer, au moyen des vaines images de
notre intelligence extrinsèque, les recoins du cœur humain, dont seul
Dieu peut être le juge. Qu’y a-t-il, je le demande, de plus téméraire ou
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 179

de plus injurieux envers Dieu qui revendique pour lui la prééminence


de ce privilège ? Car, que se connaître soi-même, selon l’oracle
d’Apollon même, soit la suprême sagesse, c’est une théorie si célèbre
parmi les philosophes, que personne parmi les Anciens n’oserait s’y
opposer. À ce qu’ils disent, descendirent du ciel les paroles : Notis
elyton, c’est-à-dire « connais-toi toi-même ». Puisque donc la sagesse
humaine échoue et que l’angélique ne parvient pas jusque-là, seule la
sagesse de Dieu connaît ce que sont les délibérations et les pensées
des hommes telles qu’elles sont et non pas en conjecturant au moyen
d’images chimériques. Renonçons donc à l’avenir aux prophéties
puisque sur ce point l’infortune nous a frappés plus durement. Que
celui qui façonne les cœurs, les examine ; nous, nous explorerons ce
qui relève de notre condition91.

Le thème de la connaissance de soi est inscrit dans le contexte (assez


fréquent dans la correspondance de Jean) de la variation de la Fortune
et des moyens pour le sage de la supporter, moyens parmi lesquels on
trouve notamment la divination. Jean commence donc par rappeler
que, exception faite des prophéties inspirées par l’Esprit saint, les
prédictions des augures ne sont en rien fiables et sont plutôt sources de
tromperies, faisant écho à sa critique minutieuse, dans le second livre du
Policraticus, de toutes les formes de divination. Néanmoins, une telle
désillusion ne doit pas provoquer un incurable désespoir, mais il faut
plutôt s’en remettre à Dieu. Or, l’injonction divine est de se connaître
soi-même. Pourtant, ce chemin vers la sagesse est immédiatement
borné : les images provenant de l’extérieur obscurcissent notre cœur et
nous empêchent de l’examiner. L’exemple de la connaissance angélique
atteste a fortiori cette limite : celle-ci est purement rationnelle et en ce
sens elle est infaillible, mais il n’en reste pas moins que l’ange se connaît
en Dieu92. À plus forte raison, donc, l’homme ne pourra se connaître
par un retour sur lui-même puisqu’il ne peut que faire des conjectures
à partir de perceptions, qualifiées ici d’images chimériques, c’est-à-dire
reconstruire ce qui est derrière le voile des images. Seul Dieu, celui qui
sonde les cœurs et les reins, peut accéder à cette intériorité. Pour nous,
limités par notre constitution, l’injonction socratique n’en reste pas
180 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

moins un impératif, à condition de renoncer au désir de transparence


totale. C’est encore la démarche sceptique qui est à l’œuvre : il faut
s’efforcer de parvenir à la connaissance, de soi en l’occurrence, tout en
ayant conscience des difficultés inhérentes à la tâche, et à la faillibilité
de l’entreprise.
En même temps, on trouve dans cette lettre, l’autre facette de
l’attitude typique du scepticisme de Jean : dans les limites de la foi et
de la science, c’est un devoir de pratiquer librement et complètement
l’enquête rationnelle93. C’est ce seul examen rationnel qui permet au sage
de repousser les illusions de la Fortune, et de connaître, autant que faire
se peut, tant le monde que sa propre nature. Tout l’enjeu pour le sage est
de déterminer les limites de sa condition, afin de ne pas excéder ce qui
n’est pas en son pouvoir. Cette lettre manifeste bien le scepticisme de
Jean, et dans une certaine mesure son pessimisme quant à la possibilité
de se connaître. La connaissance de soi se heurte en effet à un double
voile : d’une part le voile des perceptions qui, comme pour toutes choses,
interdit une connaissance certaine des substances ; d’autre part le voile
de la société, où les hommes sont amenés à jouer un rôle qui masque et
dénature leur identité, et les soumet au jeu de la Fortune. Ainsi, ce double
motif cognitif et social semble interdire la transparence de soi à soi et la
constitution d’un sujet éthique et cognitif, apte au vrai et capable d’actes
rationnels et responsables.
Le premier écueil à la connaissance de soi tient précisément aux
modalités de la connaissance humaine, et à ses limites que l’épistémologie
sceptique a mises en valeur. Dans son catalogue hétéroclite des sujets
ouverts au doute, dans le chapitre 2 du livre VII du Policraticus, Jean
inclut précisément un ensemble de questions liées à la connaissance de
l’âme : sont ouvertes à ce sujet les questions de sa substance, de son
origine, de sa grandeur ou quantité, de sa force et de son efficacité94. Dans
la mesure où Jean a insisté sur l’accord avec les données de la foi, il faut
vraisemblablement exclure de ce questionnement le fait que l’âme soit à
la fois immatérielle, immortelle et créée par Dieu. À aucun moment, en
effet, il ne remet en cause la théorie de l’âme rationnelle comme image
de Dieu. Néanmoins, la nature exacte de l’âme, et les moyens par lesquels
elle agit, nous restent dissimulés.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 181

Cette dissimulation est explicitée dans le Metalogicon, où Jean reprend


les positions développées par Cicéron dans les Tusculanes. On retrouve
l’habituelle modération propre à sa démarche95. Tout en soutenant que l’on
ne peut limiter la science à ce qui est perçu (c’est-à-dire, la connaissance
de l’âme à ses effets extérieurs), tout en admettant au contraire que la
science suppose de mettre à l’écart le sensible, tout en adhérant à la
thèse commune aux chrétiens et aux païens, de la divinité de l’âme, Jean
s’écarte cependant radicalement du courant augustinien prédominant
au xiie siècle en refusant la possibilité de la réflexion : l’âme n’est pas
différente de l’œil, elle ne peut donc se voir elle-même. Toute vision
spirituelle est vision d’autre chose que l’âme elle-même, même si l’âme
est partiellement visible dans cette vision. Il n’y a pas de perception par
l’esprit de sa propre forme. Ce qui est perçu par l’âme c’est le fait qu’elle
est rationnelle, c’est une capacité qui s’exerce. De même, sont perçues
les facultés inférieures comme la mémoire. Déjà, chez Cicéron, que
ce soit dans le Lucullus (40, 124), que Jean n’a sans doute pas connu,
ou dans le De finibus (V, 16-44) et les Tusculanes (L. I), l’enjeu est de
montrer (dans le cadre d’une réflexion sur la mort) que les différentes
théories sur la nature de l’âme sont indécidables. Néanmoins, tout en
refusant de trancher, Cicéron élimine les théories matérialistes, comme
invraisemblables (§ 50-52). Il reste que son but est d’insister sur la
connaissance de l’âme par elle-même, c’est-à-dire la connaissance de
ses manifestations et non de sa nature, grâce notamment à la mémoire et
à l’intelligence (§ 53-76). À la fin de son enquête, Cicéron est parvenu à
un résultat vraisemblable : l’âme a une origine divine, et il a mis au jour
une méthode : par l’analyse réflexive, on peut étudier les capacités de
l’âme et la connaître, en quelque sorte, de façon inductive. Le thème de
la mens divina est encore repris au livre V, dans le cadre d’une réflexion
sur le bonheur et la vertu, et replacé, cette fois, dans le contexte d’une
théorie de la hiérarchie naturelle96.
On comprend donc que Jean puisse faire sienne les positions
cicéroniennes. On peut sans doute interpréter le collage de citations
auquel il procède comme une marque de prudence, dans la mesure
où Jean remet ici un dogme bien accepté, à savoir la connaissance de
l’âme par elle-même (même s’il ne remet pas en cause son immortalité).
182 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Néanmoins, ce qu’il faut surtout remarquer, c’est que Jean fait subir au
platonisme sceptique de Cicéron une inflexion vers une forme chrétienne
de scepticisme. La progression est en effet la suivante : en premier lieu,
il faut s’efforcer de dépasser le niveau de la sensation car c’est ainsi
que l’âme connaît Dieu, ce qui est sa finalité ; néanmoins, en deuxième
lieu, il faut souligner qu’il n’y a pas de saisie complète de l’âme par
elle-même (comme le prouve le fait que l’œil ne se perçoit pas), mais
que l’âme appréhende ce qui est autre ; de ce fait, en troisième lieu,
l’âme ne perçoit d’elle-même que ses facultés, mais celles-ci attestent
de sa divinité. Dès lors, la connaissance de l’âme est analogue à celle
de Dieu : partielle et indirecte maintenant, elle sera complète après la
mort. La foi et la raison nous enjoignent à admettre sa dimension divine.
On a donc une thèse certaine : l’âme est image de Dieu. Mais nous ne
connaissons cette âme que par ses facultés, de façon probable. D’où la
conclusion de Jean : même si le contexte sceptique de la connaissance
interdit une connaissance complète de l’âme, il reste possible de trouver
un certain nombre de substituts à cette connaissance impossible. Ce qui
est en jeu, en filigrane ici, c’est la thèse constante de Jean selon laquelle
une substance quelle qu’elle soit, et l’âme ne fait pas exception, n’est
jamais connue que par inférence à partir de perceptions des qualités ou
des effets de cette substance97. La connaissance par l’homme de son
esprit ne résulte pas d’un savoir direct sur lui-même, par une vision qui
nous donnerait une connaissance certaine, mais relève d’une inférence
probable. Ainsi, la connaissance de soi ne peut pas être la source
d’une connaissance absolument infaillible, puisqu’elle est elle-même
faillible car indirecte et conjecturale. Par conséquent tout le savoir
sensible, y compris de nous-mêmes, est fondé sur les perceptions
sensibles, et on connaît toujours indirectement ce que l’on suppose
être fixe et stable derrière les apparences mouvantes. On voit donc que
pour Jean, contrairement à Augustin, la perception intellectuelle ne
jouit d’aucune sorte de privilège par rapport à la vision sensible. Elle
ne garantit pas davantage l’adéquation du sujet et de l’objet, dans la
mesure où ce que nous percevons, ce sont toujours des phénomènes,
spirituels et non matériels en l’occurrence, mais ceci ne change rien :
nous n’avons pas d’accès à notre substance, à ce qui fait notre nature
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 183

propre. La connaissance intellectuelle n’est donc pas la vision claire


d’une substance transparente à elle-même.
Ces remarques cognitives sur l’impossibilité d’accéder à la vérité de
notre nature ne sont pas sans conséquences éthiques et sociales. L’accès à la
vérité est encore obscurci par ces difficultés psychologiques, mais aussi par
l’absence de tout travail de la part des hommes pour se retrouver tels qu’ils
sont. Or, cette incapacité cognitive est encore renforcée par l’aliénation
des hommes dans le monde : la dispersion mondaine, essentiellement
sociale, dissimule davantage encore à chacun son identité propre. Pour
rendre compte de ce fait, Jean recourt à une métaphore qu’il reprend à
Pétrone, à savoir la métaphore du monde comme théâtre, et de la vie
sociale comme une comédie ou une tragédie.
Comme l’indique le sous-titre du Policraticus (Les frivolités de la
cour et les traces des philosophes), cette œuvre est, entre autre, consacrée
à critiquer l’attitude des courtisans. Pour les opposer aux philosophes,
et en particulier à ceux dont la vertu fonde la liberté, Jean les qualifie
d’epicurii. Quoique conscient, on l’a vu98, qu’Épicure n’a sans doute pas
défendu exactement les positions qu’on lui prête, Jean semble considérer ce
qualificatif comme assez adéquat pour rendre compte de l’asservissement
de ces hommes à leurs passions charnelles, et leur incapacité à mettre en
œuvre leur raison. Cet esclavage apparaît dans le thème de la comedia
mundi, comédie que Jean préfère d’ailleurs qualifier de tragédie en
raison de sa fin déplaisante99. Dans ce théâtre du monde, chacun devient
inféodé aux actes que sa condition sociale lui commande, sans possibilité
de mettre en œuvre ce nécessaire libre arbitre. La conséquence de cette
aliénation, c’est l’incapacité à échapper aux coups de la Fortune. C’est
donc l’intranquillité de l’âme qui caractérise la plupart des hommes. À
l’inverse, le philosophe contemple le théâtre du monde sans y prendre
part, et résiste aux fluctuations de la Fortune.
La métaphore théâtrale relève d’une tradition littéraire ancienne,
puisqu’on la trouve non seulement chez Pétrone, mais aussi chez
Horace (qui parle de marionnettes), chez Augustin ou encore chez Jean
Chrysostome100. Néanmoins, en filant la métaphore, Jean lui donne un
relief particulier, et la fait accéder à sa dimension proprement métaphysique
(que l’on retrouvera largement à l’époque baroque)101. La critique de
184 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Jean se déroule à un double niveau : d’une part, l’exemple de l’acteur


permet de comprendre que la pompe n’est que vaine apparence et que, à
la fin de la pièce, chacun retrouve sa véritable condition ; d’autre part, les
hommes en jouant un rôle s’aliènent dans l’extériorité au point d’oublier
leur véritable identité.
Le premier point n’est qu’évoqué. Les acteurs sont impliqués dans
leur rôle au point de ne pas comprendre la fausseté du décor, ils ne
comprennent pas que la vérité n’est pas dans ce monde mais au ciel.
En filant la métaphore, Jean remarque que le vêtement mondain par
lequel chacun est projeté dans la pièce est si fin que l’on ne s’aperçoit
pas qu’on le porte. C’est donc souvent malgré soi que l’on se soumet à
la vanité du monde :

Et assurément on peut utiliser une comparaison appropriée car tout


ce qui est principe d’action pour la foule profane ressemble davantage
à une comédie qu’à la vraie vie. On dit que la vie de l’homme sur
terre est un combat (Job, 7, 1). Mais si l’esprit prophétique avait eu
connaissance de notre époque, il aurait dit avec pertinence que la vie
de l’homme sur terre est une comédie, où chacun oubliant sa propre
personne joue un rôle qui lui est étranger102.

Dès lors, au lieu d’ériger en principe d’action les devoirs imposés


par la vertu, les hommes choisissent de suivre ce que leur impose le
déroulement de la comédie à laquelle ils prennent part. Ils deviennent alors
le jeu de la Fortune qui est, en quelque sorte, l’auteur de la pièce103. C’est
seulement la perspective eschatologique, le moment du jugement, qui met
un terme à la pièce et qui conduit chacun à se retrouver véritablement,
mais qui constitue aussi le moment où le spectateur divin va juger le
jeu de chacun. Comme le précise Jean, devant le tribunal de Dieu, toute
dissimulation devient impossible :

Ma conscience atteste de ce fait, et en atteste aussi Dieu, examinateur


et juge de la conscience, dont on croit qu’il illuminera bientôt les
choses cachées dans les ténèbres et manifestera les choix du cœur.
Et sans doute, nous nous tenons déjà devant son tribunal et nous
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 185

attendons qu’il juge notre cas. Il serait donc stupide et téméraire de


mentir en sa présence et de perdre la récompense de toute notre vie
et de nos œuvres104.

C’est à Dieu qu’il revient, pour ainsi dire, de récompenser ou de


punir les acteurs, selon la façon dont ils se sont rapportés à leur rôle. En
attendant cette perspective eschatologique, il reste possible de prendre
conscience du théâtre du monde, de refuser de délirer avec les fous et
de faire la part du rôle et de la personnalité.
De fait, le second point, connexe au premier, est le plus important pour
Jean. Il touche à l’aliénation de l’homme : dans la pièce que chacun joue,
la persona n’est plus l’individualité propre à chacun, mais bien dans le
sens antique du terme, le masque que revêt l’acteur105. Or, Jean constate
l’impossibilité de revenir à soi, une fois que l’on a pris ce masque. Les
hommes sont prisonniers de leurs vices, de leur rôle qui devient une
habitude, c’est-à-dire une seconde nature106 :

Et ce qui est pire, ils s’investissent tant dans leur comédie, qu’ils ne
peuvent plus revenir à eux-mêmes quand il le faut. J’ai vu des enfants
imiter si longtemps des bègues que, même lorsqu’ils le souhaitaient,
ils ne parvenaient plus à parler correctement. Car la pratique, comme
quelqu’un l’a dit, est difficile à désapprendre, et l’habitude devient
une seconde nature, de sorte que quoique tu la rejettes avec force,
elle revient encore107.

On peut donc identifier une double soumission de l’acteur de la


comédie sociale : d’une part, à ses actes, soumission qui consiste dans le
renversement de l’ordre entre volonté et action, désormais c’est l’action
qui s’impose à notre volonté ; et d’autre part à la Fortune qui règle la
pièce, puisque celui qui vit dans l’apparence et dans l’extériorité n’a
plus aucune prise sur la Fortune dont il est entièrement le jouet. Au
point que, si la Fortune prive un homme de son rôle, il devient incapable
d’agir et perd la raison108. On comprend, alors, qu’une large partie du
chapitre 8 du livre III, qui présente ce thème de la comédie sociale, soit
consacré à une digression sur le thème de la Fortune qui lie la question
186 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

de la comédie à celle du libre arbitre. Jean donne un exemple de cette


comédie sociale, dans sa correspondance, quand il décrit l’élection de
l’antipape Victor109.
De là, seuls les sages et les saints, qui se tiennent aux côtés de Dieu et
des anges échappent à cette comédie110. Le statut de spectateur accordé
à Dieu est fondamental dans l’usage que Jean fait de cette métaphore
du theatrum mundi. Outre qu’il justifie le point de vue eschatologique,
il rend aussi possible un point de vue extérieur à la comédie sociale,
sur le modèle de Dieu et des saints, en inscrivant la comédie sociale
dans un contexte cosmologique plus large111. Il est toujours possible
de rejoindre le public de cette comédie. L’attitude du sage face à cette
comédie, attitude que doit chercher à imiter l’aspirant philosophe, est
donc celui de spectateur du monde. Celui qui pratique la vertu, tout en
étant dans le monde, se situe en quelque sorte à la marge du monde, dans
la forteresse de sa vertu et de son amour. De la sorte, il se soustrait à la
vanité sociale et au jeu de la Fortune grâce à la capacité qu’il a, d’une
part, de percevoir la réelle utilité des choses, et d’autre part, d’ordonner
toute chose à cette utilité :

Ce sont eux peut-être qui du sommet de leurs vertus contemplent le


théâtre du monde, et dédaignant le jeu de la Fortune, ils le repoussent
vers les fausses vanités et les folies sans attraits. Ce sont eux qui
jouissent déjà de leurs Champs-Élysées, ils perçoivent la plupart des
choses en fonction de l’utilité qu’ils peuvent en tirer, et renvoient à
cette fin toutes les choses qu’ils ont perçues. En effet, quand l’âme du
fidèle est enlevée de cette terre, alors enfin, elle attire toutes choses
à elle. Ils regardent la comédie mondaine avec celui qui se tient en
haut de sorte qu’il veille sans cesse sur les hommes, leurs actions et
leurs volontés. En effet, comme tous les hommes jouent un rôle, il
est nécessaire qu’il y ait un spectateur112.

Cette mise à distance du monde par le sage est exemplifiée notamment


par Aristippe, dont Jean fait l’éloge à plusieurs reprises. Dans le Policraticus,
les différents exempla où il intervient dessinent le portrait d’un philosophe
qui dédaigne les biens extérieurs : il se manifeste par sa critique des
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 187

richesses, par son mépris pour les flatteurs et les critiques, ce qui le conduit
à atteindre cet idéal de franc-parler qui doit caractériser le philosophe113.
Tous ces éléments sont repris dans une lettre, où ce franc-parler permet à
Aristippe de conserver une égalité d’âme et une joie en toutes circonstances,
ainsi qu’une capacité à philosopher au milieu des frivolités :

Assurément, j’ai cru que tu avais la faconde, mais non l’esprit


de ceux qui philosophent, mais à présent, j’admets de nouveau que
tu es dans une certaine mesure un disciple du grand Aristippe, qui
se comportait en toutes circonstances de façon équanime et qui
philosophait au milieu des frivolités, envers tous joyeux, pesant envers
personne. À quelqu’un qui l’interrogeait à l’occasion sur ce que lui
apportait la philosophie, on dit qu’il avait répondu : « Elle me permet
de parler à tous les hommes sans crainte »114.

Or, une telle attitude devrait a fortiori être celle des chrétiens qui ont
confiance dans le royaume du Christ. La distance vis-à-vis de la comédie
sociale ne signifie donc nullement retrait hors du monde115. L’homme
véritablement vertueux pourra s’investir dans la vie publique, tout en
préservant l’intégrité de sa conscience, et le détachement nécessaire pour
faire face aux aléas de la Fortune. Cette situation est exemplifiée par
Thomas Becket lui-même, notamment dans la version hagiographique
que Jean donne de sa vie. De fait, la Vita, qui relève en partie de la
construction littéraire à visée apologétique, justifie la période curiale de
Thomas Becket en reprenant implicitement le thème du masque de théâtre.
Il souligne ainsi que, dès son entrée à la cour, après ses études, il adopta
en apparence un mode de vie curial, cédant aux codes de la courtoisie,
tout en conservant son intégrité morale en son for intérieur :

Or, bien que, étant pressé par l’aiguillon de l’âge, il fut poussé
par ses goûts juvéniles, il exerçait cependant sa force dans le zèle
de la foi et la magnificence de l’âme. Il était, pourtant, capable de
saisir la faveur populaire au-delà de toute mesure, et ce que l’on lit
à propos du bienheureux Brictius de Tours, je ne douterais pas que
l’on pût l’affirmer de lui : même s’il était orgueilleux et vain, et de
188 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

façon insensée, montrait parfois le visage et proférait les paroles des


amants, il devait cependant être admiré et imité pour la chasteté de
son corps116.

De même, une fois nommé chancelier, malgré, là encore, la popularité


dont il jouit, en plus de l’amitié du roi, il reste conscient de sa condition
et de la mission que Dieu lui a confiée :

En effet, bien que le monde dans tous ses artifices semblât


l’applaudir et le flatter, il n’oubliait ni sa condition, ni sa charge, lui
qui, quotidiennement, tantôt pour le salut et l’honneur de son seigneur le
roi, tantôt pour la nécessité des églises et des provinces, était contraint
de s’affirmer tant contre le roi lui-même que contre ses ennemis, et
d’éviter des dommages variés par des artifices divers117.

La simulation n’est plus ici confusion entre la persona et le rôle imposé


par la société, mais une forme d’ironie, de mise à distance, qui permet de
préserver son intériorité118. La clé de cette situation est d’ailleurs donnée
par Jean lui-même quand il évoque sa propre expérience :

D’autres, comme moi, se sont vendus aux frivolités de la cour


dans l’espoir que la protection d’hommes en place leur permettrait
de progresser sur la voie des richesses, dont ils se voyaient cependant
indignes, ce que confessait le jugement de leur conscience mais
dissimulait leur langue119.

Comme le montre l’exemplum de Thomas Becket, il faut accepter


extérieurement ce qui est nécessaire de la corruption du monde, tout en
préservant sa conscience, c’est-à-dire en se sachant indigne des honneurs
et des richesses que l’on reçoit. Jean investit très clairement le personnage
de Thomas du statut de saint spectateur de la folie du monde, tout en
soulignant que Thomas, en raison même de sa force intérieure, est capable
de prendre sa part de la folie du monde pour la corriger autant que faire
se peut. Cette attitude est théorisée dès l’Entheticus, qui est déjà dédié
à Thomas Becket :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 189

Afin d’adoucir leur fureur, il a coutume


De dissimuler bien des choses, il simule qu’il est lui-même en furie ;
Il devient toutes choses pour tous, en apparence seulement, il revêt
Le vêtement de l’ennemi, afin de lui apprendre à aimer Dieu par des
efforts semblables.
Ce dol est bon qui profite à l’utilité
Par laquelle on procure la joie, la vie et le salut120.

C’est encore ce même thème qui est repris dans le prologue du


Policraticus. Thomas Becket exemplifie, pour ainsi dire, un mode de vie
philosophique, où la capacité à se gouverner rend possible le gouvernement
des autres. Il peut donc se confronter sans risque à la vanité du monde,
puisque celle-ci ne pourra pas l’atteindre véritablement :

Quand on a été allaité au sein de la philosophie la plus sacrée,


il convient d’aller en compagnie des philosophes plutôt que des
courtisans. Je sens que tu es dans cette condition, si ce n’est que,
étant plus droit et plus prudent, si tu fais toujours ce que tu dois, tu
tiendras toujours inébranlable sur les fondements de solides vertus.
Tu n’agiras pas avec la légèreté d’un roseau ni ne seras conduit par
les plaisirs. Tu gouverneras la vanité qui gouverne le monde121.

Ainsi, la reconstruction hagiographique de la vie du saint permet


de vérifier a posteriori que les espoirs placés par Jean de Salisbury
dans Thomas Becket entre 1148 et 1159 n’étaient pas vains, quoiqu’ils
eussent, sans doute, à l’époque, un statut de duperie de soi de la part de
leur auteur122. Ce qui nous importe ici, c’est la volonté constante de Jean
de faire de Thomas un exemplum qui permette de montrer comment une
certaine philosophie, d’inspiration sceptique, peut être solidaire d’une
vie consacrée à l’action politique. Toute la question est donc de savoir,
d’une part, comment on peut prendre conscience de sa place dans le
monde, et d’autre part, comment on peut construire intérieurement sa
propre conscience sans céder à la séduction du monde.
La résistance à la Fortune suppose une capacité à philosopher, c’est-
à-dire à percevoir la réalité par-delà le voile de la perception. Il est en
190 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

effet fondamental de noter que le principe qui préside à la réflexion de


Jean sur la Fortune est le même que celui qui fonde son épistémologie
sceptique, à savoir le principe héraclitéen de mutabilité du monde. Dans
la lettre à Pierre de Celle, que l’on a déjà évoquée, Jean met explicitement
en relation ce principe et l’image familière au Moyen Âge de la roue
de la Fortune :

En effet, je ne puis être le seul à échapper aux coups insidieux


de la Fortune, puisque tout ce qui est sous le soleil, objets vains et
incertains du sort, est l’objet du hasard. En effet, le flux du temps,
le mouvement des choses, l’aveuglement des esprits, la légèreté des
âmes tournent autour de l’axe de la Fortune, avec agilité, de sorte
qu’il apparaît clairement que non seulement la roue de la Fortune,
mais l’univers entier, est en perpétuelle révolution123.

En un sens, Jean admet qu’il est impossible d’échapper totalement


aux coups de la Fortune. L’infortune peut même avoir une certaine valeur
quand elle incite à la connaissance de soi et du monde124. Mais le but
du philosophe reste bien de se soustraire à cette infortune. Le stultus est
soumis à la Fortune dans la mesure où il ne parvient pas à dépasser les
phantasmata mundi. Il se laisse tromper par des falsa species, auxquelles
il attribue des nomina falsa selon son arbitraire :

Le fou est brisé par l’adversité et transporté par la prospérité.


Quand la Fortune aveugle veut donner de la joie au peuple,
Que sont les images du monde sinon des jeux de la Fortune ?
Car par ces jeux, elle obscurcit la vue.
La roue de la Fortune comme un vain illusionniste
Enseigne aux infirmes le contraire de ce qu’elle leur avait enseigné.
Elle leur montre de fausses images, et les petites choses semblent
grandes,
Tandis que les grandes semblent petites. Elle donne aux choses des
visages contraires,
Et leur assigne de faux noms, selon sa fantaisie.
Elle feint que les choses fausses sont quelque chose et que la vérité
n’est rien,
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 191

Afin de bloquer le chemin de la raison.


Mais, quoiqu’elle revête mille visages fantasmatiques,
La Philosophie ne perd pas son libre arbitre.
Le vrai libre arbitre requiert deux choses,
Sans quoi l’esprit est oppressé par la culpabilité,
À savoir que la raison discerne droitement
Et que l’affection se porte toujours sur ce que la justice approuve.
La nature oppressée accompagnée par la Culpabilité qui la blesse ne
peut accomplir cela.
Le châtiment de la faute trouble l’acuité de la raison.
Mais la grâce qui répare la nature purge l’acuité de la raison, tempère
et régit l’affection.
Elle libère l’arbitre de ceux qui se consacrent
À la Philosophie, qui est leur juste mère.
Qu’est-ce en effet que la philosophie sinon la source, la voie et le
guide du salut,
La lumière de l’âme, une règle de vie et un agréable repos125.

On trouve déjà ici, dans le cadre d’une réflexion sur la fortune, les
éléments qui vont constituer la base du scepticisme de Jean. Ce dernier
cherche en effet à dépasser la mutabilité trompeuse du sensible, la
confusion du vrai et du faux qu’elle produit, et l’inefficacité de la raison
qui en découle. C’est donc, encore une fois, l’examen méthodique et
multiple des choses qui, sans prétendre à la vérité, peut indiquer quand
suspendre son jugement et quand adhérer aux données des sens, c’est-
à-dire permettre un usage raisonné et pertinent de son libre arbitre. En
même temps, Jean souligne déjà ici, dans la perspective constante de
son scepticisme chrétien, que l’exercice autonome de la raison et de
l’affection, c’est-à-dire le double accès à la vérité et à la justice, n’est plus
possible après la Chute. Comme on l’a vu, il est donc nécessaire de s’en
remettre préalablement à la grâce pour mettre en œuvre le libre arbitre ;
et pratiquer véritablement la philosophie. Le philosophe, et à plus forte
raison le philosophe chrétien qui s’appuie sur la foi, ne sera pas ému par
la dimension transitoire du monde qui « passe comme une ombre126 ».
Les réflexions de Jean de Salisbury sur le theatrum mundi et la Fortune
s’inscrivent donc de façon plus générale dans la promotion d’un mode de
192 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

vie philosophique, inspiré à la fois d’Augustin et du scepticisme, et qui


repose sur la dichotomie entre l’intériorité et l’extériorité, entre l’action
et l’intention, entre la nature et la grâce. Jean de Salisbury préconise,
par la pratique d’une philosophie ancrée dans la grâce, la mise en place
d’une sorte de « citadelle intérieure » qui permette de mettre en place cette
éthique de la distance qui seule peut éviter la soumission à la Fortune,
et rendre possible les nécessaires aménagements entre la forteresse
intérieure et l’implication dans le monde. De fait, cette éthique de la
distance est inséparable d’une éthique contextuelle, fondée précisément
sur l’exemplum.

De soi aux autres et retour : les conditions sociales de la tranquillité


de l’âme
Avant d’exposer cette éthique contextuelle, il faut indiquer comment
la promotion de l’intériorité se trouve nécessairement nuancée par l’idée
de la nécessité du lien social et amical, même pour un philosophe127. Il
ne faut pas se méprendre, en effet, sur l’attitude de Jean qui, malgré une
forme d’élitisme philosophique128, ne prône nullement un scepticisme
hautain fait de renoncement au monde et à la société, mais seulement
la mise à distances des apparences mondaines comme condition pour
se retrouver soi-même. Jean n’en insiste pas moins sur la nécessaire
sociabilité de l’être humain en tant qu’être de langage de telle sorte
qu’il n’y a pas de bonheur hors de la société humaine129, c’est-à-dire
hors de la fraternitas. Le retour sur soi et l’appel au jugement de la
conscience, qui fondent cette éthique de la distance, se trouvent tempérés
par l’injonction à la charité qui constitue sans doute le premier principe
de l’éthique de Jean :

Mais parmi tous ces préceptes, la charité a la primauté, charité


dont je dirais avec confiance et justesse qu’elle est la vraie amitié,
qui, non seulement par sa majesté mais aussi par sa rareté, dépasse
toutes les choses qui doivent être recherchées sur terre130.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 193

La charité qui est présentée comme le point culminant de la religion,


et qui fonctionne comme une sorte d’idéal, est conçue comme la pratique
des devoirs liés aux vertus, et elle se développe dans deux directions,
d’une part l’amour d’autrui au sens large, c’est-à-dire une affectio
benevolentiae qui s’étend à l’ensemble des hommes et qui recouvre le
concept d’humanitas, d’autre part, l’amour de ses proches, c’est-à-dire
l’amicitia au sens propre131.
Dans le prologue au livre III du Policraticus, Jean esquisse le lien
entre les variations de la Fortune et l’idée d’humanitas. C’est sa propre
expérience qui sert de point de départ à sa réflexion : subissant les
attaques des courtisans qu’il a brocardés, et ne pouvant se maintenir,
en raison de ses obligations et des mouvements de son esprit, dans une
paix oisive, Jean expérimente la diversité et la variation des émotions132.
De cette expérience curiale, il en déduit deux conclusions : d’une part,
que la capacité de résistance à la Fortune est donnée à peu d’hommes,
puisque même celui que sa vertu rend apte à y résister est frappé par les
malheurs de ses proches ; d’autre part, que les enseignements païens et
chrétiens se rejoignent pour souligner la dimension fondamentalement
relationnelle de toute éthique133. C’est bien un doute sceptique qui est
présenté comme résolu par la convergence tant de l’expérience que
des autorités philosophiques et théologiques. Dès lors, il est possible
de conclure que toute éthique doit rejeter l’indifférence à autrui et se
développer dans le sens d’un souci de l’autre :

Mais il est jadis venu un doute parmi les sages à savoir si quoi
que ce soit de l’homme est justement étranger à l’homme. Or, le
processus des vertus dénoue le nœud du doute puisque, d’une part
l’auteur de comédie estime que rien d’humain ne lui est étranger,
d’autre part le maître des cieux a enseigné que l’homme doit aimer
l’homme comme soi-même134.

Ce thème qui n’est ici qu’esquissé va être systématiquement repris


dans les lettres d’exil, à travers la répétition du motif térencien. Au sens le
plus large, la charité est d’abord compassion et sympathie, par lesquelles
tous les hommes se retrouvent dans le Christ. Ainsi, la convergence entre
194 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Térence et le Christ se situe dans l’universalité du précepte qui constitue


la forme la plus pure de l’éthique135.
De façon plus précise, la charité a pour fonction d’ordonner les
affects afin qu’ils soient orientés vers Dieu. C’est en rapport à l’amour
de Dieu que se développe l’amour du prochain, et que la compassion se
transforme en devoir d’humanité :

Comme l’atteste l’auteur de comédies, la charité estime que rien


d’humain ne lui est étranger. Elle se réjouit avec ceux qui se réjouissent
et elle s’afflige par compassion avec ceux qui souffrent. Au moyen
d’une raison très bien ordonnée, elle règle les affections de sorte
qu’elles soient toutes ordonnées à Dieu, et elle accomplit plus ou
moins les devoirs de l’humanité envers chacun selon la loi de la nature
et de la grâce qui l’informe136.

Ce devoir d’humanité, qui se traduit par l’hospitalité et la libéralité


envers les étrangers, est encore un point de convergence entre païens et
chrétiens137. Le premier fruit de la charité, qui se trouve à la jonction de
la nature (en tant qu’instinct naturel) et de la grâce, est donc cette vertu
d’humanitas par laquelle l’homme est incliné à la compassion envers
ses semblables. C’est dans cette perspective que Jean, à la suite encore
une fois de saint Augustin, rejette absolument l’idéal stoïcien d’apatheia.
Dans le prologue du livre III du Policraticus, Jean avait critiqué ceux
qui ne sont pas ou peu émus ni par ce qui leur échoit, ni par ce qui arrive
aux autres138. Cette indifférence, ou insensibilité, est rattachée dans une
lettre plus tardive (1168), conformément à la critique d’Augustin139, à
l’orgueil des philosophes en général, et des stoïciens en particulier, qui
cherchent à se déifier par leurs propres moyens140. C’est encore dans le
cadre de la thématique de la consolation, fréquente dans les lettres d’exil,
que Jean aborde le problème : rappelant, en premier lieu, les éléments
saillants de sa théorie de la charité, rapportée à l’adage de Térence, il
souligne que le juste ne s’attriste pas tant de ce qui lui arrive qu’il ne
compatit à ce qui arrive aux autres. C’est à cette occasion que le thème
de l’insensibilité est introduit. Celle-ci est rejetée à la fois d’un point de
vue philosophique, par des arguments très probables (ratio fidelissima) et
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 195

par les vertus mêmes des philosophes, dont on a vu que Jean les enracine
dans la vie affective, et d’un point de vue théologique, par les exemples
et les préceptes des Écritures. Ce dernier point a été précisé auparavant :
c’est en raison de son opposition à la compassion que l’insensibilité doit
être rejetée, car la compassion est le précepte fondamental du message
chrétien, et quiconque est membre du corps du Christ ne peut rester
insensible aux douleurs de son prochain.
Dans une perspective plus restreinte, la caritas se comprend comme
la forme la plus parfaite de l’amitié141. La continuité entre l’amitié des
philosophes païens et la charité des philosophes chrétiens est nettement
soulignée par Jean. Ce qui rapproche ces deux formes d’affection, c’est
d’abord une commune relation à Dieu, dans la mesure où leur absence
rend la vie sans joie et odieuse tant à Dieu qu’aux hommes :

Les philosophes païens recommandent <la vraie amitié> de sorte


qu’ils estiment qu’il faut la préférer à la vie puisque, sans elle, on vit
sans joie et de façon odieuse à Dieu et aux hommes. Mais je crois
qu’elle n’est rien d’autre que la charité sans laquelle (comme l’enseigne
la foi catholique) nul ne peut jouir de Dieu142.

En un sens, la charité ne fait qu’accomplir les promesses de l’amitié


païenne en y ajoutant la grâce qui les rend effectives. C’est donc
une perspective assez proche de celle adoptée sur la vertu que Jean
développe à propos de l’amitié. En même temps, la relation de l’amitié
à la vertu est importante pour comprendre les différences entre amitié
et humanité. Ce qui distingue la charité-amitié de la charité-humanité
se situe principalement dans leurs conditions d’exercice : la première
forme est une relation symétrique, entre vertueux, et faite d’échanges143 ;
la seconde est une relation asymétrique puisque l’humanité n’attend
rien en retour de l’affection qu’elle prodigue, et porte sur l’ensemble
du genre humain. Néanmoins, ce que l’affection gagne en universalité
dans l’humanité, elle le perd en intensité. À l’inverse l’affection amicale
en étant plus restreinte dans son champ d’application sera plus intense.
Comme le précise Jean de Salisbury dans le livre III du Policraticus, en
opposant l’amitié à la flatterie, il faut rechercher la bienveillance d’autrui
196 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

en général. C’est, comme on l’a vu, le fondement de l’humanitas. Mais


dans le cas de l’amitié, la bienveillance ne s’obtient que par l’honestum,
qui se traduit par la pratique des vertus, le franc-parler et la bonne foi,
toutes choses qui sont le fondement des biens et des devoirs, et qui
excluent des rapports d’utilité :

Il faut assurément recevoir la bienveillance de tous, qui est la


source de l’amitié et le premier degré de la charité ; mais il faut
l’obtenir au moyen d’une honnêteté intègre, de l’application aux
devoirs, de la voie de la vertu, du fruit de la politesse, de l’intégrité
du discours. Et la foi y pourvoit par la constance dans les discours et
les actes, ainsi que la vérité qui est le fondement de tous les devoirs
et de tous les biens144.

En raison de cette restriction importante, Jean considère que l’amitié


ne peut véritablement avoir lieu qu’entre hommes de bien, capables de
la vertu145. De fait, la première condition nécessaire, mais pas suffisante,
pour qu’il y ait amitié est, de façon classique, l’accord des volontés :
sont amis ceux qui veulent et ne veulent pas la même chose146. C’est
néanmoins une condition insuffisante, puisque même des hommes mauvais
peuvent parfois la remplir. Il faut donc ajouter une seconde condition qui
est la substitution de l’honnête à l’utile, de sorte que seul l’honnête est
admissible entre amis, et toute requête honnête doit être immédiatement
satisfaite147. Jean présente de façon synthétique dans une lettre à Adam
d’Evesham la genèse et les conséquences de l’amitié, en s’appuyant sur
leur expérience personnelle :

Au-delà de la charité que nous avons ressentie l’un pour l’autre


au début de notre connaissance mutuelle, l’amitié a en outre été liée
entre nous par le droit d’une société engagée, de sorte que chacun
doive subir la fortune de l’autre, dans chacune des vicissitudes du
sort, comme étant la sienne. Car la similitude des mœurs dans nos
pérégrinations, ainsi que les preuves d’une familiarité, non pas tant
fréquente que durable et continue, ont dévoilé une affection que la
vie commune comme étudiants avait engendrée148.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 197

L’amitié commence, comme l’humanité, par une relation de charité,


mais fondée sur une connaissance réciproque, qui constitue une première
différence spécifique. Cette charité est renforcée, dans un second temps,
d’une part, par la fréquentation d’une même communauté, d’autre part,
par l’application aux études. On peut voir sans doute dans ce double
critère une allusion à la communauté intellectuelle des clercs rassemblés
à Canterbury autour de Thibaut puis de Thomas. L’amitié se développe
entre hommes de biens qui partagent une même dimension intellectuelle
et qui la mettent en pratique dans une fréquentation répétée. La principale
conséquence de cette amitié nous renvoie au problème de l’équanimité.
De fait, l’amitié a pour vertu première de nous permettre de résister aux
vicissitudes de la Fortune, car l’affection et la sympathie permettent de
partager le fardeau des afflictions149.
Dès lors si, idéalement, l’amitié devrait se voir accorder une certaine
pertinence politique, à tout le moins comme contre-modèle de la flatterie,
Jean n’en estime pas moins que l’amitié, pour s’exercer véritablement et
pleinement, suppose la mise en place d’une forme restreinte et parfaite
de societas, qui est la communauté des amis. Il souligne dans plusieurs
lettres avoir expérimenté une telle communauté, principalement lors de
ses séjours monastiques (à la Celle, notamment) et dans l’entourage de
l’archevêque de Canterbury. En effet, la conversation joue un rôle clé
dans la double constitution de l’amitié et de la sagesse. La conversation
conduit à prendre en considération l’individu en tant que tel, elle proscrit
l’affrontement et invite en quelque sorte à se mettre à nu150. Cette mise
à nu est reliée, dans une lettre à Pierre de Celle, à l’union des âmes des
amis : tout doit être communiqué et partagé entre amis, tant au niveau
spirituel que matériel, de sorte que les amis unis par la charité et la grâce
ne forment qu’une seule âme151. Dès lors, dans les lettres d’exil, Jean
se lamente d’avoir perdu la conversation de ses amis152. Néanmoins,
c’est principalement dans l’activité épistolaire que Jean semble avoir
éprouvé véritablement l’amitié d’une communauté intellectuelle. Il le
souligne dès le début du Policraticus, et le rappelle dans les différentes
dédicaces à Thomas Becket : les écrits, au sens large, abolissent les
séparations spatiales et temporelles, et mettent en présence les amis153.
Les écrits, épistolaires et autres, purgent l’esprit du vice en l’illuminant
198 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

par la vérité154. Une telle chose suppose néanmoins un certain degré de


technicité des échanges, qui restreint le cercle amical à un petit nombre
d’instruits. Elle permet également d’expliquer la structure d’un grand
nombre des lettres de Jean, en particulier celles destinées aux amis
savants, qui commencent par quelques lignes de théorie philosophique,
théorie qui n’est jamais oiseuse, mais toujours destinée à éclairer le fait
concret rapporté et analysé dans la suite de la lettre155. De la sorte, pour
ainsi dire, les philosophes eux-mêmes, dont on lit les écrits, entrent dans
cette communauté intellectuelle amicale.
On trouve finalement une bonne synthèse de cette théorie de l’amitié
dans la Lettre 95 sur laquelle il vaut la peine de s’arrêter brièvement.
Cette lettre à un maître Geoffroy exemplifie les principaux aspects de
l’amitié évoqués auparavant. Dès l’ouverture de la réponse, Jean rappelle
le propos de la lettre que lui a envoyée Geoffroy, à savoir l’inciter à la
vertu, au moyen d’une manifestation d’érudition, en l’occurrence d’un
exemplum mettant en valeur la probité de la conduite, érudition qui crée
immédiatement une forme de connivence intellectuelle et qui ravive en
même temps le désir de savoir et d’agir :

Je me réjouis en effet que vous m’ayez communiqué un exemple


illustrant la probité, tiré du trésor de votre science et que vous vous
réserviez. Je pourrai assurément être stimulé, par ces exemples et
d’autres semblables, en vue d’accomplir de puissantes actions, et
avec l’aide de Dieu je pourrai m’élever à de hauts faits, si du moins
celui qui illumine la fin de ces œuvres (et dont il se souvient qu’il est
le principe), a étendu sur moi sa main de miséricorde156.

Ici, la valeur de l’exemplum, à la fois théorique et pratique en tant


qu’il est un savoir qui renforce et dispose l’âme à agir (avec l’aide de
Dieu) en proposant un principe d’action, est très nettement marquée.
Pour renforcer cette connivence intellectuelle qui fonde l’amitié, Jean
fait référence à une sententia probabilis élaborée par un ancien ami
commun et qui met en avant la supériorité de la vertu sur les honneurs
publics, identifiant cette vertu comme la principale récompense des
études passées :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 199

Et, bien que la mémoire de cet ami commun, quel qu’il soit, soit
joyeuse, et que sa théorie semble probable, il y a des choses, je pense,
dont chacun pourra tirer consolation pour son affliction. C’est en effet
une grande chose que d’être illuminé par les dignités des charges,
mais c’en est une plus grande sans doute que les mêmes hommes
soient mis en valeur par l’honneur des vertus […] Plût au ciel que si
nous n’atteignons pas la récompense de nos études, du moins nous
ne soyons pas privés du mérite qu’elles octroient157.

Une fois énoncés ces deux principes d’action, un exemplum (dont nous
ne connaissons pas la teneur) et une théorie probable, Jean en vient au
fait qui occupait la lettre de Geoffrey. Sans en rappeler les détails, il note
simplement que Geoffrey le met en garde à la fois contre la pusillanimité
et la crainte du soupçon :

Vous vous inquiétez de la faiblesse de mon esprit, et vous craignez


la crainte des suspicions, ce en quoi vous agissez en homme prudent
et amical.

Sans qu’il soit possible de déterminer le contexte (même si les éditeurs


mettent cette lettre en relation avec l’affaire irlandaise qui entraîne la
disgrâce de Jean auprès d’Henri II), il est évident comme le rappellent les
remarques précédentes de Jean sur les charges publiques, que c’est son
activité curiale qui est en jeu ici, et l’éloignement supposé par rapport aux
devoirs de la vertu qu’elle induit. Jean le remercie alors d’avoir sacrifié
aux devoirs de la prudence et de l’amitié par cette double mise en garde.
Sa réponse, sans jamais revenir sur le fond de l’affaire, se développe en
deux temps. En premier lieu, Jean en appelle aux connaissances historiques
de son correspondant pour rappeler que tous les hommes, aussi grands
soient-ils, sont exposés à la suspicion :

En effet, je ne suis pas plus grand que Pompée ou son vainqueur,


ni plus prudent qu’Auguste, ni plus éloquent que Cicéron ou Curion,
dont vous avez appris par les récits historiques combien le souffle
de la suspicion leur a porté tort. Je passe sous silence le fait que
200 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Macchabée si souvent victorieux fut vaincu par la pusillanimité avant


que de l’être par la force des païens158.

En second lieu, il en appelle au soutien divin qui seul permet de résister


aux attaques du monde. C’est donc la rectitude de la conscience, soutenue
par la grâce divine, qui fonde toute l’action politique de Jean :

De là, il est clair que je ne pourrai pas supporter leurs coups, à


moins que ne m’encourage entre-temps celui qui protège l’homme
de la faiblesse de l’esprit et de la tempête ; mais avec son aide, je ne
craindrai pas qu’un homme se présente à l’extérieur ou que la chair
murmure à l’intérieur159.

Quelle que soit l’affaire en jeu, on peut y voir une illustration de sa


conviction de toujours agir pour le bien de l’Église et de Dieu160. Jean
achève finalement sa défense par un retour aux devoirs de l’amitié. En
quelque sorte, l’amitié a pour fonction de renforcer l’action de la grâce
au moyen de l’admonition et l’exhortation :

Il appartiendra donc à votre assiduité et à votre diligence de secouer


la torpeur de ma somnolence, afin que si ma propre vertu n’indique
pas comment bien agir, du moins la vertu d’un autre le fasse. Mais
en ceci je reconnais tout à fait la confiance de la véritable amitié, si
vous me rendez ainsi à moi-même, sans épargner mes vices, mais
en les présentant devant mon visage, afin que je les évite avec plus
d’attention à l’avenir, dans la crainte que je déplaise en permanence
aux autres sans réaliser que je me déplais à moi-même161.

Le rôle d’un ami est de faire en sorte que la pratique de la vertu soit
constante, et pour cela il faut faire l’inverse de ce que fait le flatteur :
montrer en face les vices auxquels on succombe, et surtout inciter
l’ami à rentrer en lui-même pour qu’il se découvre tel qu’il est par-
delà les apparences sociales et le confronter à sa propre conscience.
De la sorte, l’ami se trouve être l’un des principaux facteurs de la
connaissance de soi.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 201

Ainsi, toute l’action éthique est fondée sur la pratique de la vertu, rendue
possible d’une part par la grâce divine, et d’autre part par la connaissance
de soi. Néanmoins, si le moi et Dieu sont les deux pôles de cette éthique,
Jean ne prône aucune forme de solipsisme, mais insiste au contraire
sur l’importance d’autrui, d’une part comme bénéficiaire de la vertu,
via l’humanitas présente en tout homme vertueux, d’autre part comme
membre d’une societas amicale fondée sur des rapports intellectuels et
une sympathie mutuelle. L’éthique de la distance prônée par Jean comme
remède aux maux de la Fortune et comme condition de l’équanimité
n’est pas une mise à distance absolue du monde, mais seulement la claire
conscience des vices du monde, et en particulier de la cour. En opposant
flatterie et amitié, Jean fait effectivement de la communauté intellectuelle
amicale un contre-modèle social nécessaire.

Une éthique de l’exemple : action et délibération

On a vu précédemment, dans l’examen de la Lettre 95, l’importance de


la notion d’exemplum comme principe de l’action éthique. Pour achever
cette présentation des éléments sceptiques de l’éthique salisburienne, outre
la méthode doxographique et la mise à distance des apparences mondaines,
il est nécessaire de s’attacher plus précisément aux conditions de l’action
moralement bonne. Dans la mesure où les principaux ouvrages de Jean
sont destinés à Thomas Becket, alors chancelier du roi Henri II, on peut
soupçonner que l’éthique mise en place ne peut pas être une éthique de
l’abstention, mais doit se révéler efficace pour un homme politique ou un
courtisan. C’est par ce biais que Jean va retrouver les fondements même
de son scepticisme, en essayant de penser les conditions de l’action bonne
dans un monde incertain. De fait, l’éthique de l’exemple rejoint ce qui
fait le fond de la réponse néo-académicienne à l’objection de l’apraxie :
il y a des principes suffisants pour l’action, qui ne sont pas certains, mais
seulement probables. Ces principes probables sont déterminés par le
contexte de l’action. Dans cette perspective, les exempla vont constituer
autant de lignes de conduite.
202 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Les conditions de l’action (1) : la foi


Toute tentative de mettre en œuvre une éthique sceptique rencontre
nécessairement l’objection de l’apraxie, c’est-à-dire de l’impossibilité
d’agir quand on suspend son assentiment. Le sceptique doit donc expliquer
comment, par-delà l’hésitation et la suspension du jugement, il est possible
malgré tout d’agir, et même d’agir de façon éthiquement bonne. Si Jean
ne fait jamais allusion explicitement au problème de l’apraxie, il évoque
néanmoins le problème des rapports entre hésitation et action, pour y
voir principalement un obstacle aux formes extrêmes de scepticisme qu’il
rejette. Dès l’Entheticus, c’est Arcésilas qui est disqualifié de la sorte162.
De façon similaire, le chapitre 2 du livre VII du Policraticus oppose le
sceptique radical, qui ne mérite pas le nom de philosophe dans la mesure
où il sacrifie tant la foi que la science, du sceptique modéré qui réserve
le doute à un certain nombre de sujets théorétiques où il s’agit d’éviter le
précipice de l’erreur163. Il faut donc être capable de distinguer les situations
où le doute est légitime, de celles où il est nécessaire de trancher dans
un sens ou dans un autre, quand bien même les informations accessibles
seraient insuffisantes. On a vu, en effet, dans l’analyse du chapitre 12
du livre V du Policraticus, comment Jean de Salisbury distingue, sur le
modèle du procès, les situations indécidables où la suspension du jugement
est permise, de celles où l’urgence de l’action exige de faire un choix164.
Néanmoins, même pour le sceptique modéré, le monde est soumis à la
contingence des apparences qui se succèdent de façon contradictoire, et
qui subjuguent les sots au règne de la Fortune165. Le vrai problème pour
Jean est donc de maintenir effectif le libre arbitre du philosophe, de sorte
que sa ligne de conduite ne lui soit pas dictée par ces apparences. C’est
toujours le problème de l’équanimité qui est en jeu, et que doit rechercher
le philosophe dans son action. Jean le rappelle encore dans une lettre
datée de 1166 : le monde est transitoire et ne peut constituer un point
d’appui ferme pour les décisions d’un philosophe. Celui qui cherche un
principe d’action dans le monde s’en remet trop souvent à l’impulsion
qui est à la source des mauvaises actions. À l’inverse, c’est dans la foi
que l’on peut trouver un principe d’action durable :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 203

Comme, donc, la figure de ce monde passe comme une ombre, et


en l’espace d’un tourbillon s’évanouit comme la fumée sous le regard
des philosophes, et comme c’est encore plus manifeste selon la foi
des Chrétiens, comment une chose peut-elle sembler au sage durer
longtemps, que ce soit dans la prospérité ou dans l’adversité ? Mais
qui y a-t-il de momentané qui puisse abaisser ou élever l’âme des
philosophes ? C’est pourquoi je me suis persuadé de soutenir avec
équanimité ce que je ne puis éviter et, quand ma conscience ne me
tourmente pas, de me réjouir dans les tourments et rendre grâce de
la dispensation divine face au vol de mes biens166.

De fait, Jean le souligne précisément dans le chapitre du Policraticus


consacré aux sceptiques, la foi dispose d’une certitude suffisante pour
dissiper le doute :

Car bien que la foi ne parvienne pas à la victoire de la science dans


la mesure où elle voit dans un miroir la vérité des choses absentes,
elle possède cependant une certitude qui exclut le brouillard du
doute167.

Dès lors, comme on l’a vu168, la foi fournit en quelque sorte ses
principes à la philosophie, à partir desquels elle peut mener une enquête
rationnelle avec plus de sûreté, tant au niveau théorique qu’au niveau
pratique. Cette dimension chrétienne du scepticisme fonctionne à plus
forte raison dans le domaine de l’éthique où l’urgence de l’action suppose
de pouvoir lever le doute. C’est principalement dans les lettres les plus
tardives, celles de la période d’exil, au moment où l’urgence de l’action
se fait la plus pressante, que Jean met en avant ce primat de la foi, et
des Écritures qui en transmettent les préceptes, dans la détermination
des principes de l’action169. Le précepte négatif de toute action éthique
est énoncé dans la Lettre 177 : rien n’est licite qui mette en danger la
charité, qui est la vie de la foi, et les œuvres qui lui sont liées. C’est à
l’aune de ce principe, en particulier, qu’il faut juger tous les liens de
fidélité déterminant pour l’action dans un monde marqué par les relations
féodales170. C’est donc la loi divine qui doit être érigée en norme d’action
204 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

absolue, puisqu’il ne peut y avoir de doute à son propos. Le sage, qu’il


soit sceptique ou non, ne mettra pas sa vie temporelle au-dessus de la
loi divine qui garantit son salut :

Il y a place pour la délibération surtout dans les questions douteuses,


or il ne doit pas y avoir de doute sur ce que la loi divine prescrit.
Car on ne délaisse pas le plus petit des commandements de Dieu (si
cependant il en est un petit, ce que je puis à peine croire) en vue de
la vie temporelle, et encore moins pour des biens matériels mondains
ou pour un vain repos. De fait, les plus petits commandements étant
observés, ils obtiennent la vie et gagnent parfois la gloire du martyre,
tandis que, négligés en raison du crime de désobéissance et de mépris,
ils apportent la mort éternelle171.

La recherche de la vérité par la délibération et la pratique du scepticisme


ne vaut que dans les affaires temporelles qui ne mettent pas en jeu le salut
de l’âme. Sur toute question relative à la religion, le sceptique modéré
doit reconnaître qu’il y a des principes qui ont autant d’évidence que les
principes mathématiques ou les perceptions immédiates. On voit donc
que, conformément aux principes du scepticisme chrétien qu’il met en
œuvre, Jean de Salisbury développe une éthique fondée sur le primat de
la foi et des Écritures, dans la mesure où la foi met un terme au doute
sceptique. Néanmoins, la question se pose de savoir ce qu’il faut faire dans
tous les cas où l’action est théologiquement neutre : comment agir dans
les situations où la foi, soit n’est pas concernée, soit ne prescrit rien de
particulier. C’est à ce niveau que Jean réintroduit une forme strictement
rationnelle de scepticisme, et une théorie de l’action qui s’appuie sur le
double critère de délibération et d’utilité.

Les conditions de l’action (2) : le consilium


Quand la vérité fait défaut, et que la foi ne peut y suppléer, la mise en
œuvre d’une action éthiquement bonne suppose de trouver un substitut
temporaire au vrai. Il s’agit donc d’élaborer une croyance rationnelle
probable qui serve de ligne de conduite dans un contexte précis. C’est
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 205

le rôle du consilium que de fournir cette croyance rationnelle. Notion


éminemment polysémique, le consilium est de façon générale un
jugement. C’est en ce sens que Jean parle du consilium Dei comme
d’un équivalent de la sententia Dei172. C’est le sens attesté chez Sénèque
dans le De beneficiis, le stoïcien ajoutant l’idée de résolution173. De
fait, le terme peut renvoyer soit à un processus, soit au résultat de
ce processus. Dans ce dernier cas, qui correspond à l’usage le plus
fréquent chez Jean de Salisbury, le consilium désigne le conseil que
l’on donne à l’issu d’un processus de réflexion et de délibération174.
C’est un sens attesté chez Isidore de Séville qui définit l’imprudent
(inconsultus) comme celui qui refuse les conseils (consilium)175. Dans
le premier cas, en revanche, qui va nous intéresser ici, le consilium
renvoie au processus qui permet d’aboutir au jugement, et le terme
désigne alors davantage la délibération. Cette dimension pratique du
consilium, un jugement délibéré orienté vers l’action, est soulignée par
Cicéron, dans le De inventione, et par les différents commentateurs
médiévaux de cette œuvre176. Le consilium en tant que délibération est
donc un jugement pratique produit par la faculté de prudence. Comme
l’explique Jean dans une lettre, parvenir à un tel jugement suppose
d’examiner les points de vue opposés sur le sujet. Quand, néanmoins,
l’affaire reste incertaine, il faut s’en remettre au jugement des sages 177.
Le jugement pratique prend ainsi appui, doublement, sur la prudence
de chacun, et sur l’autorité des sages, toujours dans la perspective de
l’honnête et de l’utile178. À ce double fondement, il faut ajouter en
outre, et en dernier recours, le témoignage de la conscience, c’est-à-dire
les consilia cordium179. Comme on l’a vu, l’injonction à se connaître
est principalement orientée vers la mise au jour de la vérité divine
présente en chacun. De la sorte, dans les situations de doute, et quand
le jugement des hommes échoue à convaincre, il faut s’en remettre à
Dieu180, et au jugement de la conscience inspiré par Dieu :

Que chacun déroule et lise le livre de sa propre conscience, dans


les situations de doute, s’il y en a, qu’il cherche un interprète et qu’il
invoque l’Esprit saint qui enseigne à l’homme la science et révèle la
vérité cachée, de sorte que chacun en étant enseigné par lui se connaîtra
206 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

plus fidèlement et plus familièrement, et (à ce que je pense), chacun


reconnaîtra plus clairement et plus pleinement ce qui provient chez
lui d’une charité grande et intense, ce qui provient d’une charité tiède
et réduite, ce qui provient d’une charité éteinte et perdue181.

C’est à ce niveau que le consilium rejoint le critère de la foi et s’efface


devant lui en quelque sorte : Jean de Salisbury répète en effet à plusieurs
reprises que la délibération n’a de sens que dans les situations de doute.
Face à la loi divine, en revanche, le doute est levé et la délibération n’a
plus lieu d’être, il faut suivre les commandements divins. Jean résume sa
conception du consilium et de son rôle dans l’action éthique ou politique,
en conclusion d’une lettre à Bartholomé d’Exeter, en 1166 :

Évaluez chacune des deux parties et, à propos de notre jugement


et du sien, suivez toujours les meilleurs conseils, c’est-à-dire ceux
qui plaisent davantage à Dieu, si vous les connaissez. Mais si cela est
douteux ou caché, il faut suivre la foi, puisque ce qui n’en provient
pas est un péché182.

Le consilium est ainsi complémentaire de la foi dans la détermination


des principes d’action. Dans les deux cas, le but est le même, trouver les
moyens d’agir dans un monde contingent et transitoire. Jean de Salisbury
expose, dans une lettre datée de 1167, de façon synthétique, la hiérarchie
des autorités qu’il faut consulter dans le but de déterminer une règle
d’action dans les situations douteuses :

Je réponds que dans toute situation de doute profond, j’estime


qu’il faut agir de la façon suivante : avant toutes choses, nous
chercherons et suivrons ce que la loi divine a prescrit à ce sujet.
Si elle n’exprime rien de certain, nous aurons recours aux canons
et aux exemples des saints. Si rien de certain ne s’y trouve, alors
nous nous enquerrons des connaissances et délibérations des sages
qui sont dans la crainte de Dieu, et parmi eux, quel que soit leur
nombre, seront préférés aux autres ceux qui placent l’honneur de
Dieu avant tous les avantages183.
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 207

La méthode de Jean est ici très clairement exposée. En toute chose, il


faut partir de la considération des principes absolus, et en l’occurrence, dans
le domaine de l’action (a fortiori d’une action qui a trait à des questions
d’ecclésiologie, puisque le contexte de la lettre est l’affaire Becket), il
faut consulter la loi divine. Si aucune règle d’action certaine ne peut être
tirée, il faut, à un second niveau s’appuyer sur ceux dont l’autorité a été
de longue date reconnue par l’Église, à savoir les canons (qui rassemblent
des décisions de conciles et des textes patristiques) ou prendre pour
modèle l’action des saints. On voit ici clairement que le genre littéraire
de la vie de saint est, pour Jean de Salisbury, avant tout un réservoir de
modèles d’action que l’on peut appliquer à sa propre situation. Si là encore,
aucune règle ferme ne peut être adaptée à la situation considérée, il faut
alors prendre conseil auprès de ses contemporains, en privilégiant ceux
qui se distinguent à la fois par leurs capacités intellectuelles et par leurs
mœurs. À ce niveau, cependant, il n’est plus question de certitude, ni de
fermeté. Le consilium recueilli ne sera qu’une règle d’action probable.
On voit donc que la théorie du consilium est bornée en amont par l’accès
au vrai que procure la scientia, et en aval par celui que procure la fides.
Entre ces deux champs de production de la vérité se développe un large
espace incertain, ouvert au doute, où c’est le probable, entendu comme
croyance rationnelle, qui doit se substituer au vrai, afin de permettre une
action efficace et juste.

Une éthique contextuelle


Pour évaluer à sa juste mesure la notion de consilium, il faut examiner
comment elle permet d’élaborer concrètement une théorie de l’action,
c’est-à-dire comment elle peut fournir des principes de l’agir éthique
dans un monde contingent et incertain. La conséquence principale de la
notion de consilium, liée au scepticisme modéré que Jean met en place,
apparaît dans le refus de toute normativité en éthique, en dehors de la
foi et la loi divine, qui constituent une sorte d’exception au scepticisme.
Cette dimension antinormative de l’éthique salisburienne, et son lien
avec la notion clé de modération, apparaît bien dans les chapitres 6
à 14 du livre VIII du Policraticus. Dans cet ensemble de chapitres très
208 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

largement inspirés des Saturnales de Macrobe, Jean énonce les règles


qui doivent présider aux banquets civils et philosophiques et, à cette
occasion, se livre à un examen des plaisirs sensibles et à une critique de
l’intempérance. Cette critique, qui rejoint celles adressées aux épicuriens,
et qui s’appuie sur l’opposition entre ceux qui sont esclaves de la vertu et
ceux qui sont esclaves du vice184, ne doit cependant pas égarer. Si Jean
répète à plusieurs reprises ce qui pourrait apparaître comme le maître
mot de son éthique, à savoir que le decorum (la beauté morale) provient
tout entier de la vertu, c’est-à-dire de la modération185, il n’en réaffirme
pas moins la nécessaire prise en compte du contexte propre à chacun.
Ainsi, les mêmes principes éthiques ne peuvent pas s’appliquer de façon
absolue et universelle à tout individu, il faut tenir compte des capacités
de chacun qui oscillent entre nécessité et nature :

Mais on ne blâme pas ce que la nécessité introduit, puisque


tous ne peuvent pas tout et ce que la nature exige de l’un n’est pas
honorable pour un autre ou ne peut pas du tout être supporté. Mais
la philosophie prescrit les principes suivants : que chacun en toutes
choses fuie la notoriété, fasse preuve de rectitude dans l’action afin
de ne pas être fautif, marque de la prudence dans son discours afin
de ne pas être condamnable, fasse preuve de modestie dans l’habit
afin de ne pas se faire remarquer, car la notoriété est une preuve
d’intempérance186.

Si l’éthique se doit d’énoncer certaines règles nécessaires et intangibles,


il faut tenir compte de ce que la nature, c’est-à-dire la condition physique
et morale de chacun, rend capable de supporter. Jean de Salisbury est donc
à l’opposé de tout rigorisme éthique et invite au contraire, encore une fois,
à multiplier les points de vue sur chaque situation pour appliquer, de la
façon la plus équitable et efficace possible, les principes moraux. Ainsi,
une même délectation prise à un spectacle pourra être considérée selon
la personne, le lieu, les circonstances, comme un légitime repos pour le
sage, qui répare ses forces, ou comme une dissipation vicieuse, de sorte
que c’est la rhétorique qui fournit les outils nécessaires au discernement
et à l’élaboration d’une casuistique :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 209

Mais se délecter à ces spectacles mène tantôt aux loisirs tantôt


aux vices. En effet, si cela se produit de façon modérée en vue d’une
récréation, la licence est excusée sous le prétexte du besoin de repos ;
si cela se produit en vue du plaisir d’une âme lascive, elle tombe
dans le crime. Or, le discernement mentionné plus haut distingue
très facilement ces deux situations en fonction du lieu, du temps,
du mode, de la personne et de la cause, discernement qu’une langue
verbeuse pourrait absolument rejeter, mais qu’un esprit prudent ne
peut absolument ni rejeter ni réprimer. C’est en effet l’origine et la
source de toute modération, sans laquelle rien de droit ne peut être
accompli dans les devoirs. De là, il est certain que certaines choses
conviennent à certains et pas à d’autres187.

Jean donne un exemple d’application de ce principe relativiste dans


le chapitre suivant. Examinant le statut de la frugalité, il en souligne,
d’un point de vue absolu (simpliciter), le rôle éthique : la frugalité est
une vertu, et plus encore, une vertu modératrice qui ne proscrit rien
d’autre que l’excès. En d’autres termes, la frugalité est l’autre nom de la
modération188. Néanmoins, Jean concède en même temps que l’injonction
à la frugalité, qui est bonne en soi, doit être modérée selon les personnes :
chez celui qui se manifeste par une tendance à l’avarice, la frugalité ne
sera que le prétexte au vice, et il faudra encourager chez lui la libéralité
(dont le philosophe sait qu’elle n’est pas incompatible avec la frugalité).
À l’inverse, chez celui qui se caractérise par la prodigalité, la frugalité,
dans la mesure où elle apprend à distinguer l’usage de l’abus, doit être
prescrite comme un moyen de lutter contre les excès qui conduisent à
la luxure :

Il en est cependant à qui la frugalité doit être interdite, en ce que


leur nature est encline à l’avarice. Mais il en est d’autres à qui elle
doit être recommandée de façon plus simple, à savoir ceux qui sont
prodigues de leurs biens et qui donnent au mépris de toute raison, sans
discerner ce qui relève de l’usage et ce qui relève de l’abus. Mais il
est évident que, de façon absolue, la frugalité doit être comptée au
nombre des biens, en tant qu’elle est ce qui a tempéré le règne d’or
sous Saturne, et dispensé tous les offices189.
210 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Si l’éthique de Jean de Salisbury se veut de part en part non normative


et contextuelle, voire casuistique, il lui faut néanmoins, pour être efficace,
donner les moyens d’agir en fonction du contexte, c’est-à-dire déterminer
comment le consilium permet d’élaborer une ligne de conduite, une
croyance rationnelle adéquate à chaque personne selon les contextes
d’action auxquelles elle est confrontée. C’est à ce niveau que la doctrine
du consilium rejoint la théorie de l’exemplum. C’est en effet en constituant
un réservoir d’exemples d’actions moralement bonnes ou vicieuses, que
l’on pourra au cas par cas, en s’éclairant des aventures et mésaventures
survenues à autrui, élaborer ponctuellement et fonction du contexte un
principe d’action. De même, on l’a vu, que l’approximation du vrai en
épistémologie suppose de multiplier les points de vue sur l’objet que l’on
cherche à connaître, de même l’approximation du bien, déterminée par
l’honestum et l’utile, repose sur la multiplication des modèles éthiques
applicables en fonction des contextes190. Jean propose donc d’élaborer un
modèle éthique que l’on pourrait dire jurisprudentiel ou casuistique.
On peut illustrer cette plasticité de l’exemple en considérant le cas
du don contraignant tel qu’il apparaît dans l’épisode de la promesse de
Neptune à Thésée et d’Apollon à son fils, rapportés par Cicéron191. Dans
le Policraticus, Jean examine, dans le cadre de sa critique des flatteurs,
le problème du don et de la promesse. Constatant le double danger de
l’un et de l’autre, dans la mesure où le don excite la jalousie et où la
promesse est utilisée comme une forme de tromperie par le flatteur, Jean
met en garde le sage contre toute forme d’engagement intangible qui
s’oppose à la contingence du monde. De fait, non seulement Dieu peut
empêcher un événement mais en outre le bénéficiaire de la promesse de
don peut en devenir indigne. Comme le souligne Cicéron dans le passage
sur lequel s’appuie Jean, il est licite au sage dans certaines conditions de
changer d’avis et de revenir sur une promesse. Pour illustrer ce point,
qui peut sembler surprenant dans le cadre d’une critique de la cour, Jean
convoque trois exemples de don contraignant, à savoir les promesses de
Neptune à Thésée et d’Apollon à Phaéton d’une part, et celle d’Hérode à
Salomé d’autre part, toujours avec ce souci de renforcer l’enseignement
des fables païennes en montrant leur convergence avec l’enseignement
biblique :
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 211

Dans ces domaines, changer d’avis souvent ne relève pas du crime


mais de la vertu. Car, comme nous l’enseignent les fables, Thésée
n’aurait pas été privé de son fils unique s’il avait voulu changer d’avis ;
et Phœbus, pressé par l’aiguillon de la douleur qu’il concevait sur la
chute de Phaéton, banni des régions célestes, n’aurait pas eu à faire
paître les troupeaux d’Admète s’il lui avait été possible de changer
la promesse par laquelle il s’était obligé envers son fils ambitieux,
en s’engageant par serment sur le Styx. Et afin que tu ne méprises
pas les enseignements des fables, considère ce que tu trouves dans
l’histoire évangélique : le roi mécréant se serait délié avantageusement
de son engagement imprudent et perfide plutôt que de salir la table,
de déshonorer le banquet, et de fouler la majesté royale en éteignant
la lumière du verbe, en supprimant l’avant-coureur de la grâce, et
en tuant le héraut de la vérité, pourvu que tous ces actes servent son
impudeur et lui procurent la danseuse192.

Dans chaque cas, le débiteur est tenu par un serment ou par la publicité
de la promesse, et se trouve engagé dans une action dolente plus ou moins
malgré lui. De ces exemples, Jean déduit donc trois règles qui restreignent
le don contraignant et plus généralement la promesse. Une règle générale
qualifiée d’éthique, et reprise à Cicéron, exclut du champ de la promesse
les choses pernicieuses ou dangereuses. Elle est complétée du côté du
bénéficiaire par une loi d’amitié qui interdit de demander à un ami ce
qui n’est pas honorable. Le don contraignant est donc, en quelque sorte,
restreint au seul domaine de l’amitié où il se trouve étroitement contrôlé.
Enfin, une règle de droit achève cette clôture du don en interdisant toute
promesse dommageable :

Assurément, c’est une règle de l’éthique que toutes les promesses ne


doivent pas toujours être tenues, si par hasard elles sont dommageables
à celui qui les accepte, ou dangereuses pour celui qui les promet. Et
la loi de l’amitié a prévalu par laquelle seule une chose honnête peut
être demandée ou exécutée par des amis. Et il est garanti par la loi
elle-même que nulle promesse qui a une issue honteuse ou funeste
soit accomplie. Finalement, une promesse antécédente soit annule
soit diminue la grâce du bénéfice consécutif193.
212 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

On voit donc comment Jean de Salisbury procède ici : partant d’une


thèse éthique générale (il est permis de revenir sur sa promesse), il l’illustre
par le cas extrême du don contraignant en examinant deux situations où il
n’a pas été possible de refuser ce qui fut promis, puis il édicte trois règles
qui permettent de cadrer la règle éthique générale : une promesse engage
principalement envers les amis et à condition de ne pas être suivie d’un
dol. En dernier recours, c’est la conscience de chacun qui est appelée
à trancher sachant qu’il faudra rendre des comptes à Dieu. L’exemple
a ainsi un rôle de prévention en ce qu’il incite à ne pas reproduire une
erreur commise par autrui. Si l’on a affaire ici à l’usage le plus immédiat
et le plus évident de l’exemplum d’Apollon, il est intéressant de noter
que ce même exemple est repris dans un contexte différent pour mettre
en évidence un autre problème.
Dans une lettre de 1167 adressée à maître Laurent, un maître poitevin
de l’entourage de l’évêque de Poitiers, il sert à mettre en garde non plus
contre la promesse, mais contre l’inutilité de la repentance :

Mais je serais étonné si l’évêque de Poitiers, à la demande d’une


certaine personne, remettait des clous dans ses yeux et se perçait les
côtés d’une flèche (Nombres, 33, 55) de façon irrévocable et liait
d’entraves ses propres pieds, s’il lui est arrivé une fois d’être libre, par
quelque grâce divine. Plût au ciel qu’il se souvînt qu’« être trompé une
première fois est un tort, une seconde fois une sottise, une troisième
une honte ». Car Phœbus  aussi se repentit du don sans nom qu’il
concéda à son fils ; remords tardifs cependant, comme, par sa grande
imprudence, il avait poussé à sa perte son propre ciel.194.

Comme on le sait, l’évêque de Poitiers, Jean de Canterbury était un


ami à la fois de Thomas Becket et de Jean de Salisbury. Au début de la
querelle entre Thomas et Henri II, il semble plutôt proche des exilés et
opposé aux constitutions de Clarendon, dont il craint l’application dans
le domaine continental du roi d’Angleterre. Néanmoins, à la recherche
d’une position conciliante, il se rapproche du roi d’Angleterre à partir
de 1166. Jean de Salisbury mentionne implicitement, probablement, les
efforts de Jean Bellesmains pour réconcilier les différentes parties en
Conditions et finalités d’une éthique sceptique 213

conflit. La lettre fait donc sans doute allusion à cette attitude louvoyante,
et au risque qu’il abandonne le camp de Becket195. L’exemplum vient
illustrer une formule de Cicéron et souligne l’inutilité des regrets une fois
l’action commise, y compris dans les situations de tromperie auxquelles
est réduit le don contraignant. Il n’est plus question ici de ne pas tenir ses
promesses mais de prendre garde à ceux qui essaient de vous tromper.
C’est, de nouveau, le thème de la flatterie, largement développé au livre III
du Policraticus, et qui constitue pour ainsi dire l’essence du courtisan,
qui est dénoncé. Ainsi, la plasticité du même exemple permet d’insister
tantôt sur la contrainte du don, tantôt sur les conséquences d’une décision
prise à la légère. Dans un cas, il permet de déduire des règles éthiques
précises, dans un autre il vient seulement en illustration d’une maxime.
Comme on l’avait vu au chapitre 2, l’exemplum peut jouer à la fois un
rôle heuristique de mise au jour des règles d’action, et un rôle probatoire
d’illustration et de confirmation. C’est bien dans cette double perspective
que Jean utilise l’exemple de Phœbus .
Conclusion

L’origine du présent travail s’enracine dans la tentative déjà ancienne,


et à ce jour, encore inaboutie, de proposer une généalogie du scepticisme
médiéval, en cherchant à comprendre le sens du terme « academicus »,
utilisé au Moyen Âge pour rendre compte de cette école philosophique
de l’antiquité. Or, Jean de Salisbury est l’un des rares lettrés médiévaux,
sinon le seul, à revendiquer une telle appellation. Il s’agissait donc
de proposer en quelque sorte une étude de cas, en l’espèce, un cas
médiéval de scepticisme. Un cas exemplaire qui, même dans son statut
d’hapax, permet de déterminer un modèle pour penser le scepticisme
médiéval. En quoi consiste, donc, cette forme de scepticisme ? Il s’agit
d’un scepticisme académicien, fondé sur la notion de modération ou de
modestie : modération du jugement théorique, qui rapproche ce type de
scepticisme de ce que l’on pourrait qualifier de faillibilisme ; modération
dans l’action, qui met en avant une éthique de la vertu. Cette double attitude
théorique s’appuie sur une méthode directement liée à un style ou à une
forme d’éclectisme, éclectisme souvent mis en avant par les lecteurs de
Jean de Salisbury, et qui ne doit pas dissimuler que l’on se trouve face à
une philosophie pensée et organisée. L’apparent éclectisme relève, donc,
d’une démarche typiquement sceptique, à savoir la revendication d’une
position non dogmatique, non systémique.
Ce scepticisme est très largement cicéronien, et lié sans doute en partie
à l’admiration de Jean pour l’Arpinate. Il relève, en même temps, d’une
216 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

certaine conception de l’histoire de la philosophie exposée au chapitre 2 du


livre VII du Policraticus : l’orgueil des philosophes explique pourquoi les
hommes sont devenus incapables de découvrir la vérité. Pour cette double
raison littéraire et historique, Jean de Salisbury défend un scepticisme modéré
compatible avec les critiques patristiques du scepticisme. Ce scepticisme
prétend, en premier lieu, qu’il y a un socle de principes indubitables
(la foi, l’expérience sensible immédiate, les principes rationnels). Un
scepticisme radical et universel est donc exclu. Le scepticisme ne peut
être que local et porter sur les questions théoriques et pratiques d’ordre
philosophique (mais pas sur la vie quotidienne, ce qui explique sans doute
que Jean ne prenne pas en compte l’objection de l’apraxia). Ce scepticisme
est une capacité critique d’examen et d’élaboration rationnelle d’outils
cognitifs ponctuels. Il a partie liée avec la hiérarchisation des degrés
et des modes de connaissance fondés sur un empirisme inspiré autant
d’Aristote que de Boèce et Calcidius. Mais, en raison même de cette origine
empirique de la connaissance, celle-ci se trouve investie d’une dimension
nécessairement faillible, qui ne peut qu’être partiellement corrigée par des
outils théoriques, logiques. Le problème central est celui de l’abstraction,
nécessaire pour connaître de façon générale, mais qui en nous écartant
de la sensation immédiate fiable, introduit une marge d’erreur, qu’il faut
contrôler rationnellement pour la réduire le plus possible. Le plus haut
degré de connaissance empirique relève de la fides (opinio vehemens)
et non de la scientia qui est cantonnée au domaine mathématique. On a
donc une justification théologique du scepticisme de telle sorte que seul
Dieu connaît pleinement la vérité. L’homme n’en a qu’une approximation.
L’introduction de la transcendance dans la philosophie sceptique héritée
de Cicéron permet ainsi de reconduire la profession d’inscience, tout en
instituant un décalage radical qui modifie profondément la physionomie de
ce scepticisme en l’orientant vers le fidéisme. La renaissance médiévale du
scepticisme s’accompagne ainsi d’une profonde transformation de l’idée
même de scepticisme, et accompagne les mutations qui s’accompliront
pleinement à la Renaissance.
Cette transformation souterraine du scepticisme est encore à l’œuvre du
côté de la méthode mise en œuvre par Jean de Salisbury. Un tel scepticisme
induit, en effet, une certaine méthode, fondée sur la notion d’exemplum
conclusion 217

qui est l’élément principal d’une écriture sceptique. L’exemplum, en effet,


est d’abord au centre d’un modèle éducatif fondé sur l’encyclopédisme
(et opposé au formalisme logique). Il vise à apprendre à penser par soi-
même, ce qui suppose de savoir ce que les autres ont pensé. Il faut donc
multiplier les points de vue. D’où l’importance de la doxographie qui
introduit un lien direct entre l’humanisme, généralement attribué à Jean de
Salisbury, et son scepticisme. Dans la perspective de cet encyclopédisme,
l’exemple est une construction rhétorique et peut être utilisé comme
illustration ou comme preuve, ou plus largement, permettre une mise en
garde, une préconnaissance d’une situation donnée, etc. L’exemple est à
mi-chemin entre l’histoire et le témoignage. Le rôle principal de l’exemple
apparaît dans la constitution d’une éthique sceptique dans la mesure
où il rend possible la constitution de règles d’action provisoires et non
assertives (à la manière dont Cicéron défend que le sceptique agira sans
précepte, praeceptum). La doxographie sceptique permet en premier lieu
de mettre en évidence la nécessité de la foi et de la grâce. L’éthique de la
vertu (où la vertu est pensée comme principe de modération) est fondée
sur la grâce réparatrice qui rend effective le libre arbitre. De la sorte, il
devient possible d’organiser le substrat affectif de l’éthique en soumettant
l’appetitus commodi à l’appetitus iusti. Cette éthique revêt un caractère
nettement sceptique à un autre niveau cependant : celui de la distance
qu’elle impose, et contextualisation qu’elle réclame. L’éthique de Jean de
Salisbury est une éthique de la distance qui vise à donner les moyens de
résister à la Fortune en se mettant en retrait. En ce sens, elle est solidaire
d’un retour sur soi, d’un éloge de l’intériorité, liés au contemptus mundi.
La dispersion hors de soi est illustrée par la célèbre métaphore du monde
comme comédie. Cette mise à distance est néanmoins tempérée par la
caritas et l’humanitas. Cette éthique est aussi contextuelle, en raison du
rôle que joue l’exemplum : à savoir, la mise en contexte et l’élaboration
d’une ligne de conduite ponctuelle. Jean distingue donc deux types de
principe d’action : en premier lieu, la foi qui offre, seule, la certitude
nécessaire à l’action ; en second lieu, le consilium dans les situations
neutres au regard de la foi et qui a pour fonction d’élaborer une règle
d’action ponctuelle. Une telle éthique qui prend en compte le contexte
est ainsi non normative. Il n’y a pas de règles absolument intangibles en
218 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

dehors de la foi, il revient à chacun, au contraire, d’élaborer une ligne


de conduite pour chaque cas auquel il est confronté (selon un modèle
jurisprudentiel ou casuistique), élaboration qui dépend de la capacité de
chacun à convoquer des exempla, et à profiter de leur plasticité.
Comment peut-on, culturellement, expliquer la possibilité du scepticisme
de Jean de Salisbury, dans le contexte qui est le sien ? Il y a, probablement,
une explication plausible qui s’impose parmi d’autres : c’est le rapport à
Cicéron. S’affirmer academicus, c’est souligner son adhésion à Cicéron
dans un rapport d’imitation autant morale que stylistique. La fascination
pour l’antiquité, commune à nombre de lettrés de la Renaissance du
xiie siècle, conduit à y chercher des modèles de vie auxquels on puisse
s’identifier. C’est encore une même attitude que l’on retrouve chez
Pétrarque1. Or, nonobstant la critique de Cicéron dans l’Entheticus, où il
est accusé de ne pas avoir conformé ses actions à ses paroles, l’Arpinate
pouvait offrir à Jean de Salisbury un modèle stylistique et philosophique
mais aussi éthique. De fait, le scepticisme cicéronien offrait une éthique
pour une époque incertaine, de sorte que Jean pouvait transposer la
réaction cicéronienne à la tyrannie à sa propre situation face à Henri II.
Le scepticisme comme philosophie mettant l’accent sur la prudence, sur
la modération, sur la plasticité des principes d’action, offrait une ligne
de conduite pour un homme comme Jean de Salisbury, confronté à des
fréquents renversements de fortune. De la sorte, l’admiration intellectuelle
se trouvait renforcée au niveau éthique, voire politique.
De fait, en ouverture de cette étude, on avait averti le lecteur que
l’on réserverait à une étude ultérieure l’examen de la partie politique
de l’œuvre de Jean de Salisbury, et en particulier le rapport éventuel
entre scepticisme et vie politique. On peut, néanmoins, d’ores et déjà
tenter de tirer quelques conclusions générales. La première conséquence
politique du scepticisme, semble-t-il, c’est le nécessaire retrait hors de la
vie publique pour celui qui aspire à la sagesse. Il y a une nette opposition
entre deux modes de vie, le philosophique et le politique. Il faut peut-être
faire la part de l’amertume personnelle de Jean, liée à l’exil qu’il subit,
au moment où il rédige son œuvre. Cependant il ne faut pas faire une
lecture en termes de renoncement au monde. Comme le montre l’exemple,
idéalisé, de Thomas Becket, il s’agit d’une part de savoir évaluer ses
conclusion 219

forces (sa capacité à résister aux séductions du monde), d’autre part de


savoir choisir le mode de vie qui convient. En un sens, le renoncement
au monde pour la sécurité du cloître pourrait même être vu comme un
échec de la vertu, une incapacité à résister à la séduction.
La seconde conséquence du scepticisme, liée au rapport institué à
l’autorité (laquelle est soumise au crible de la critique, comme tout
jugement produit par un esprit humain), c’est l’exigence de véridiction, la
libera lingua propre au philosophe. Comme on l’a vu, dans le cadre de la
présentation des principes généraux de son scepticisme, Jean revendique un
droit à l’éloge et au blâme envers les auteurs qui nourrissent sa réflexion,
et même un droit de censure et de critique. Mais de façon plus large, ce
droit ne se limite pas aux seuls écrits scientifiques, mais s’étend au domaine
politique : dans une lettre à Pierre de Celle, Jean explique que la défiance
de Henri II à son égard provient de son attitude à savoir professio libertatis
veritatis defensio2. Le scepticisme est indissociable de la promotion de la
liberté d’expression et de la tolérance qui lui est nécessairement connexe.
De fait, si le philosophe cultive la vertu, cette dernière est inséparable de
la liberté qui en permet l’accomplissement. La liberté, dont le libre arbitre
du jugement est une espèce, est présentée par Jean comme l’action qui suit
la droite raison, c’est-à-dire les commandements de la vertu. L’homme
libre est donc opposé à celui qui est esclave de ses vices, qui se soumet à
leur caprice en croyant faire sa volonté, sans voir ce qu’ordonne la raison.
La liberté est alors le couronnement de la philosophie, alors qu’elle déplaît
au courtisan qui préfère la faveur d’autrui plutôt que celle de sa prudentia
(de sa raison pratique)3. D’un point de vue pratique, cette liberté du sage,
dont les limites sont, encore une fois celles des mœurs saines et de la
foi, consiste en une double exigence de blâme ou d’avertissement et de
tolérance. En premier lieu, en effet, le sage doit supporter patiemment le
discours d’autrui tant qu’il ne met pas en cause le salut public. C’est la
vertu d’humilité, c’est-à-dire la conscience qu’a le sage de ne pas avoir
accès par lui-même à la vérité, et la nécessité de multiplier les opinions,
qui fondent cette première application politique des principes sceptiques.
La deuxième application, qui est le complément de la première, et que
Jean présente comme un droit civil, consiste dans la liberté d’expression
et plus spécifiquement la liberté de blâmer, notamment de blâmer le
220 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

prince. Dans cette perspective, Jean rapporte, dans un passage célèbre du


Policraticus, sa propre expérience, à savoir une conversation avec le pape
Adrien IV, dont il était un proche4. Il importe ici, d’après Jean, que le
conseiller du prince soit capable de sortir du dilemme de la flatterie (flatter
le peuple ou flatter le prince) afin de manifester sa propre opinion. On
voit donc la première conséquence pratique de l’humanisme sceptique : la
conscience aiguë des limites de notre connaissance, et de notre incapacité
à saisir le vrai de façon déterminée, liée à l’idée que tout progrès requiert
de multiplier, dans le cadre du dialogue, les opinions et les points de
vue, toute chose donc que l’on pourrait qualifier de faillibilisme et qui
conduit à défendre le droit politique de libre expression dans les limites
du bien commun. C’est cet esprit de modération et d’humilité, donc, qui
soutient le principe de tolérance et qui autorise son application au-delà
du seul domaine de la science. Il apparaît ainsi que la connaissance de
soi est finalisée par l’acquisition de la modération, vertu cardinale du
sage. Ainsi, il y a coïncidence de l’humanisme et du scepticisme dans
l’élaboration d’un sujet rationnel capable de se déterminer au-delà du
voile des perceptions et des obligations sociales.
Enfin, à un troisième niveau, le scepticisme fidéiste débouche
directement sur la nécessité d’une théologie politique. Le but poursuivi
par un tel scepticisme est, en effet, de mettre en évidence les limites de
la raison dans la connaissance de la vérité divine, afin de promouvoir le
rôle de la foi et de substituer l’utile au vrai. Ce point apparaît clairement
dans le chapitre 41 du livre IV du Metalogicon, où sont convoquées les
citations des livres sapientiaux, et réinvesties, de façon convergente, les
positions sceptiques sur la connaissance. La structure du chapitre est en
effet assez claire. Jean commence par citer l’Ecclésiastique (3, 22) pour
mettre en garde sur la recherche des vérités qui dépassent nos capacités.
Cette citation est exemplifiée au moyen des recherches théologiques
sur la Trinité, qui est renvoyée à la vision béatifique. À partir de là, une
seconde citation de l’Ecclésiastique (3, 24) permet d’introduire l’idée
de questions inutiles sur lesquelles l’enquête doit être limitée. Ce point
est alors exemplifié par l’audace des philosophes que Jean de Salisbury
dénonce (à la suite d’Augustin et de Lactance) dans le Policraticus. Cette
critique des philosophes est renforcée par une citation de l’Ecclésiaste
conclusion 221

(8, 17). Puis, de nouveau, Jean cite l’Ecclésiastique (3, 22) qui oppose
les prescriptions divines à l’examen de son œuvre. Si cet examen peut
être légitime, il doit être limité et subordonné à la loi divine. C’est ici
que Jean va introduire la supériorité de l’utile sur le vrai pour l’homme
marqué par la déficience. De fait, reprenant les éléments clés de son
scepticisme, il rappelle que la science dépend de la perception qui est
faillible. Cette faillibilité lui interdit de connaître l’utile, de sorte que
Dieu pour suppléer cette déficience a fait connaître sa loi. Après que la
vérité s’est rendue inaccessible aux hommes, il ne reste à ceux-ci qu’un
substitut pratique de la vérité qui est l’utile, connu par la loi divine. C’est
explicitement en réparation de l’erreur, fréquente dans la sensation et la
raison, que la loi doit intervenir :

En effet, elle manifeste la puissance divine dans la création des


choses, sa sagesse dans leur disposition, sa bonté dans leur conservation.
Mais ces qualités apparaissent de façon éminente dans le renouvellement
de l’homme racheté. La loi expose aussi explicitement la volonté de
Dieu afin que chacun sache ce qu’il doit faire. Et puisque tant la
sensation que la raison humaines se trompent fréquemment, elle a
placé dans la foi le fondement premier de l’intelligence de la vérité.
De là, cette remarque de Philon dans le livre de la Sagesse : ceux qui
mettent leur confiance dans le Seigneur comprendront la vérité, et
les fidèles se reposeront dans l’amour qu’ils lui portent, puisque les
élus de Dieu ont la paix et la grâce (Sap. 3, 9)5.

Dès lors, le fin de mot de la théologie sceptique de Jean de Salisbury est


indiqué très clairement dans ces lignes. Quand les arguments sceptiques
ont mis en évidence la faillibilité de la raison et de la perception, et leur
incapacité à parvenir de manière fiable à la vérité, il ne reste à l’homme que
la foi pour parvenir à appréhender cette vérité. Néanmoins, la foi ne fait
voir que dans un miroir et de façon partielle. Dès lors, c’est l’utilité rendue
manifeste par la loi divine qui permet véritablement de s’orienter avec
sûreté et d’agir de façon bonne. Quand le scepticisme rejoint une forme de
théologie négative, le dernier mot est à la normativité. La théologie sceptique
de Jean de Salisbury est, en dernier recours, une théologie politique6.
Notes

Introduction

1. Voir D. Perler, Zweifel und Gewissheit. Skeptische Debatten im Mittelalter,


Klosterman, Frankfurt, 2006 ; H. Lagerlund, Rethinking the History of Skepticism. The
Missing Medieval Background, Leiden, Brill, 2010.
2. Voir R. Popkin, Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, traduit de l’anglais
par Ch. Hivet, Paris, PUF, 1995.
3. Voir notamment C. B. Schmitt, Cicero Scepticus. A Study of the Influence of the
Academica in the Renaissance, The Hague, M. Nijhoff, 1972.
4. Voir les travaux pionniers de T. Gregory, notamment « La tromperie divine », in
Z. Kaluza et P. Vignaux, Preuves et raisons à l’université de Paris. Logique, ontologie
et théologie au xive siècle, Paris, Vrin, 1984, p. 197-214.
5. J’ai brossé à grand traits une telle évolution dans « Academicus », in I. Atucha et
al. (dir.), Mots médiévaux offerts à Ruedi Imbach, Turnhout, Brepols, 2011, p. 5-16, et
examiné certaines des approches médiévales du problème sceptique dans « Comment
peut-on se fier à l’expérience ? Esquisse d’une typologie des réponses médiévales au
scepticisme », Quaestio, 4, 2004, p. 113-135, et « Peut-on connaître quelque chose de
nouveau ? Variations médiévales sur l’argument du Ménon », Revue philosophique de
la France et de l’étranger, 201/1, 2011, p. 37-66.
6. Voir P. Vignaux, « Les problématiques médiévales peuvent-elles éclairer le
nominalisme actuel ? », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 75, 1977,
p. 295-331.
7. Voir la remarque en ce sens, à propos de la Renaissance, de C. B. Schmitt, Cicero
Scepticus, op. cit., p. 5-6. La seule occurrence d’un lien entre scepticisme et incroyance (et
non athéisme) est, à ma connaissance, un hapax et se trouve dans le contexte hautement
224 notes des pages 14 à 18

polémique de la dénonciation d’Abélard par Guillaume de Saint-Thierry. Voir C. Grellard,


« Scepticisme et incroyance. La querelle entre Pierre Abélard et Guillaume de Saint-
Thierry sur le statut de la foi », Citeaux, 63, 2012, p. 245-263.
8.  Sur Sextus Empiricus, voir en dernier lieu les travaux de R.  Wittwer
(notamment, « Zur lateinischen Überlieferung von Sextus Empiricus PYRRWNEIOI
YPOTYPWSEIS », Rheinisches Museum, 145, 2002, p. 366-373) qui renouvelle les
études plus anciennes de Jourdain (C. Jourdain, « Sextus Empiricus et la philosophie
scolastique », in Excursions historiques et philosophiques à travers le Moyen Âge,
Paris, 1888, p. 199-217) et Cavini (W. Cavini, « Appunti sulla prima diffusione in
Occidente della Opere di Sesto Empirico », Medioevo, Rivista di Storia della Filosofia
Medievale, 3, 1977, p. 1-20). On attend encore la publication dela thèse de R. Wittwer
qui contient une édition du Sextus latinus. Sur les Académiques de Cicéron, outre les
remarques de C. B. Schmitt dans Cicero Scepticus, op. cit., voir R. et H. Rouse, « The
medieval circulation of Cicero’s Posterior academics and the De finibus bonorum
et malorum », in M. B. Parkes and Andrew G. Watson (dir.), Medieval scribes,
manuscripts & libraries : essays presented to N. R. Ker, Londres, The Scholar Press,
1978, p. 333-367, T. J. Hunt, A textual history of Cicero’s Academici libri, Leiden-
Boston, Brill, 1984.
9. Saint Augustin, Les Confessions, V, 14, 25 et V, 10, 19. Voir aussi VI, 4, 6-7.
10. C’est explicite au moins dans un passage des Confessionum libri tredecim, V, 10,
19 qui fait allusion à l’intention des Académiciens, mais aussi dans Contra Academicos,
II, 6, 14 & III, 17, 38 – 20, 43.
11. Voir en particulier Bonaventure et Henri de Gand. Sur ce point, C. Grellard
« Comment peut-on se fier à l’expérience ? », op. cit., p. 123-129 ; D. Perler, Zweifel
und Gewissheit, op. cit., p. 75-85.
12. Voir B. Faes de Mottoni, « Lattanzio e gli Accademici », Mélanges de l’École
française de Rome, Antiquité, 94/1, 1982, p. 335-377.
13. Pétrarque, Lettres de la vieillesse, t. I, Livres I-III édition critique d’E. Nota ;
trad. de F. Castelli, F. Fabre, A. de Rosny ; présent., notices et notes de U. Dotti ; mises
en français par F. La Brasca, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 79.
14. Voir L. Hermnad-Schébat, Pétrarque épistolier et Cicéron. Étude d’une filiation,
Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2011, p. 234-245, et R. Imbach, « Virtus
illiterata. Zur philosophischen Bedeutung der Scholastikkritik in Petrarcas Schrift “De
sui ipsius et multorum ignorantia” », in J. Aersten et M. Pickavé (dir.), Herbst des
Mittelalters’? Fragen zur Bewertung des 14. und 15. Jahrhunderts, Berlin, De Gruyter,
2004, p. 84-104.
15. Le lien indiscutable entre Jean de Salisbury et Pétrarque a déjà été souligné par
L. Hermand-Schébat, Pétrarque épistolier…, op. cit., p. 245-256. Il faudrait poursuivre
l’analyse, à la fois textuelle et intellectuelle, du côté de Montaigne.
16. Voir ci-dessous, chap. 2.
17. M. Conche, Pyrrhon ou l’apparence, Paris, PUF, 1994.
notes des pages 19 à 21 225

18. Sur le rapport de Jean de Salisbury à la théologie, voir C. Grellard « John of


Salisbury and Theology », in C. Grellard et F. Lachaud (dir.), A Companion to John of
Salisbury, Leiden-Köln, Brill, 2014.
19. Le lecteur habitué à voir dans Jean de Salisbury un philosophe politique sera
peut-être surpris de ne voir aucune allusion dans ce livre à la partie politique de l’œuvre.
Outre que la dimension sceptique de la philosophie politique de Jean n’est pas immédiate
(quoiqu’elle repose sur un concept clé de ce scepticisme, à savoir la modération),
l’étude des théories politiques, déjà bien balisées dans la littérature secondaire, excède
de beaucoup la place que l’on pourrait lui consacrer ici. Je réserve à un travail ultérieur
l’étude de cette philosophie politique.

Chapitre premier

1. La date de naissance est calculée, par conjecture, à partir de la première date
connue avec évidence, celle de l’arrivée de Jean à Paris en 1136 pour ses études. Or, les
études supérieures commencent vers 15-16 ans, ce qui le fait naître au environ de 1120
(voir M. Demimuid, Jean de Salisbury, Paris, Ernest Thorin éditeur, 1873, p. 6). Mais
si l’on suppose qu’il a commencé ces études supérieures en Angleterre, il faut décaler
la date de quelques années, ce qui amène aux environs de 1115. Sur l’hypothèse d’un
passage de Jean à l’école cathédrale d’Exeter, voir C. Nederman, John of Salisbury,
Tempe, Arizona State University, 2005, p. 3-4.
2. Dans une lettre, il se dit « paruum nomine », sans que l’on puisse dire s’il renvoie
à un surnom ou à un statut social (Lettre 212, p. 342). Par ailleurs, dans le chapitre
autobiographique du Metalogicon, (II, chap. 10, p. 72, 54-58) il explique avoir dû enseigner
les enfants de la noblesse afin de pourvoir à sa subsistance : « Et quia nobilium liberos qui
mihi amicorum et cognatorum auxiliis destituto paupertati meae solaciante Deo alimenta
praestabant instruendos susceperam, ex necessitate officii et instantia iuuenum urgebar
quod audieram ad memoriam crebrius reuocare. » Sur le milieu familial de Jean, voir
F. Barlow, « John of Salisbury and his Brothers », Journal of Ecclesiastical History,
46/1, 1995, p. 95-109.
3. Voir Policraticus, II, 28, p. 167, 85 – 168, 103.
4. Cette date est donnée par Jean lui-même dans ce même chapitre du Metalogicon
à forte teneur autobiographique. Voir Metalogicon, II, 10, p. 70, 3-4.
5. Pour une bonne synthèse sur les années d’études de Jean de Salisbury, voir D. Bloch,
John of Salisbury on Aristotelian Science, Brepols, Turnhout, 2012, p. 1-25.
6. Deux hypothèses ont été proposées : soit il a appris le droit auprès des juristes
de Bologne lors de ses séjours italiens, soit, plus probablement, il s’est formé auprès de
Maître Vacarius, que Thibault avait fait venir auprès de lui à Canterbury. D’autres juristes
gravitaient d’ailleurs autour de la curie archiépiscopale, notamment Bartholomé d’Exeter.
Sur la question du droit chez Jean de Salisbury, voir l’introduction au premier volume
226 notes des pages 22 à 23

de The Letters of John of Salisbury, p. 20-23, et C. Brooke « John of Salisbury and His
World », in The World of John of Salisbury, p. 7-8. Sur Vacarius, voir J. Taliadoros, Law
and Theology in Twelfth-Century England. The Works of Master Vacarius (c. 1115/1120-
1200), Turnhout, Brepols, 2006. Vacarius rejoint l’évêque de Cantorbéry vers 1143-1149,
et il était présent au concile de Reims en 1148.
7. K. S. B. Keats-Rohan « John of Salisbury and Twelfth-century Education in
Paris from the Account of his Metalogicon », History of Universities, 6, 1986, p. 1-45 :
14-18.
8. Voir Historia Pontificalis, éd. et tr. Marjorie Chibnall, Oxford Medieval Texts,
Oxford, Oxford University Press, 1986, chap. 8, p. 15-17.
9. Metalogicon, III, prol. p. 101, 11-15 : « Siquidem Alpium iuga transcendi decies
egressus Angliam, Apuliam secundo peragraui, dominorum et amicorum negotia in
ecclesia Romana saepius gessi, et emergentibus uariis causis, non modo Angliam, sed
et Gallias multotiens circuiui. » Jean décrit son expérience italienne à plusieurs reprises.
Voir, en particulier, Historia pontificalis, op. cit., chap. 41, p. 80-82 (chapitre que Jean
conclut par ces mots : « Hiis presens interfui, unde ea ad gloriam Dei et honorem tanti
pontificis curaui diligentius enarrare. ») ; un épisode de son séjour à la cour du roi de
Sicile, et ses rapports avec le chancelier Robert Selby, est rapporté dans Policraticus,
VIII, 7, p. 270, 21 – 271, 10, et dans la Lettre 33, p. 57-58. A propos de Robert Selby,
voir l’exemplum anti-simonie rapporté dans Policraticus, VII, 19, p. 173, 18 – 174, 24.
Sur le contexte sicilien, voir G. A. Loud, The Latin Church in Norman Italy, Cambridge
University Press, Cambridge, 2007.
10. Voir C. Brooke, « Adrian IV and John of Salisbury », in B. Bolton et A. J. Duggan,
Adrian IV. The English Pope (1154-1159). Studies and Text, Aldershot, Ashgate, 2003,
p. 3-13. Voir la chronologie des séjours de Jean à la curie dans l’appendice de The Letters
of John of Salisbury, vol. 1, p. 253-256.
11. Voir G. Constable, « The Alleged Disgrace of John of Salisbury in 1159 »,
English Historical Review, 69, 1954, p. 67-76.
12. Sur cette querelle, voir le bel essai d’histoire intellectuelle proposé par B. Smalley,
The Becket Conflict and the Schools : A Study of Intellectuals in Politics, Oxford,
Blackwell, 1973.
13. Voir l’analyse de ses interventions par J. van Laarhoven, « Non iam decretam,
sed Evangelium ! Jean de Salisbury au Latran III », in M. Fois, Dalla Chiesa antica alla
Chiesa moderna. Miscellanea per il cinquantesimo della Facoltà di Storia Ecclesiastica
della Pontifica Università Gregoriana, Roma, 1983, p. 107-119.
14. Comme le souligne J. van Laarhoven dans son édition (p. 15), Thomas Becket
est encore qualifié de chancelier, ce qui suppose que l’ouvrage est terminé avant son
accession à l’archiépiscopat en 1162. Le poème a donc probablement été écrit entre
1154 et 1159. Néanmoins, Laarhoven admet qu’un premier jet du texte a pu être écrit
vers 1141-1145 (p. 51). De fait, pour des raisons internes, notamment le rapport au
scepticisme, il est hautement improbable qu’il soit postérieur aux autres œuvres. De façon
notes des pages 23 à 28 227

semblable, C. Nederman considère que la partie didactique du poème date probablement


des années d’étude (dans les années 1140), tandis que la fin du poème qui fait allusion
à la tyrannie du roi Étienne date sans doute des années 1150 (avant 1156, avant le début
de la rédaction du Policraticus). Voir C. Nederman, John of Salisbury, op. cit., p. 44, et
C. Nederman et A. Feldwick, « To the Court and Back Again : The Origins and Dating
of the Entheticus de Dogmate Philosophorum of John of Salisbury », Journal of Medieval
and Renaissance Studies, 21, 1991, p. 129-145.
15. Sur le sens du titre, voir Laarhoven, p. 16-17. Sur l’hypothèse entheticus/
authenticus, voir A. Dold, « Enthenticus-authenticus. Ein Terminus im St. Galler Palimpsest
908 und seine Stellung in der Liturgiegeschichte », Münchener Theologische Zeitschrift,
11, 1960, p. 262-266 ; J. Ziolkowski, « Culture of Authority in the long twelfth century »,
Journal of English and Germanic Philology, 108, 2009, p. 421-448 : 430.
16. Le Metalogicon peut aisément être daté par la référence au siège de Toulouse, au
chap. 42 du livre IV (p. 183, 5) qui donne 1159 comme terminus ad quem. Sa relative
unité thématique et stylistique semble exclure une rédaction en plusieurs fois. Enfin, la
référence aux missions italiennes (voir ci-dessus, n. 9) donne comme terminus a quo
la date de 1156.
17. D. Bloch a cependant contesté, avec des arguments sérieux, que Jean ait eu
un accès complet aux Seconds analytiques, qu’il n’aurait connus que sous forme de
florilèges. Voir D. Bloch, John of Salibsury on Aristotelian Science, op. cit., Brepols,
Turnhout, 2012, p. 123-173.
18. Voir M. Kerner, Johannes von Salisbury und die logische Struktur seines
Policraticus, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1977, p. 101-107.
19. Sans doute cet aspect composite est-il lié également à la temporalité de l’écriture
puisque l’ouvrage a été écrit sur une période assez longue et dans un ordre différent de
l’ordre final. De fait, si l’on suit M. Kerner (Johannes von Salisbury, op. cit., p. 111-118),
l’ouvrage est rédigé entre la seconde moitié de l’année 1156 et 1159. C. Nederman essaie
de préciser davantage encore la datation de chacun des livres (John of Salisbury, op. cit.,
p. 27) : entre 1156 et le début de l’année 1157, au titre de consolation de la philosophie,
Jean écrit le livre VII (du début jusqu’au chap. 16, ainsi que le chap. 25) et le livre VIII (du
début au chap. 14, ainsi que les chap. 24 et 25). Entre 1157 et 1158, il écrit les livres I à VI
et la suite des livres VII (chap. 17-24) et VIII (chap. 15-23). Enfin, en 1159, il complète
le chap. 25 du livre VIII et il rédige le prologue général. Néanmoins, il est indéniable
que l’ouvrage est « achevé » et que l’ordre qu’on lui connaît est celui que voulait Jean.
Il faut donc le lire comme un tout, même si c’est une totalité ouverte.
20. Voir ci-dessous, chap. 2.
21. Voir par exemple les Lettres 27 (datée de la fin de l’année 1156) et 31 (avril 1157),
p. 44 et 49.
22. Pour un point de vue opposé, cependant, voir M. Kerner « Zur Entstehungsgeschichte
der Institutio Traiani », Deustsches Archiv, 32, 1976, p. 558-571 et « Die Institutio
Trajani-spätantike Lehrschrift oder hochmittelalterliche Fiktion ? », Fälschung im
228 notes des pages 28 à 31

Mittelalter, Teil 1, Hanovre, Hahn, 1988, p. 715-738 ; et plus récemment C. Brücker,


dans son introduction à Le Policratique de Jean de Salisbury. Livre V, traduction de Denis
Foulechat ; édition critique et commentée des textes français et latin avec introduction
par C. Brucker, Paris-Genève, Droz, 2006, p. 40-58.
23. Voir F. Lachaud, L’Éthique du pouvoir au Moyen Age. L’office dans la culture
politique (Angleterre, vers 1150-vers 1330), Paris, Garnier Classiques, 2010, p. 179-
316.
24. Voir R. Ray, « Rhetorical Skepticism and Verisimilar Narrative in John of
Salisbury’s Historia Pontificalis », in E. Breisach, Classical Rhetoric and Medieval
Historiography, Studies in Medieval Culture XIX, Kalamazoo, Medieval Institute
Publications, Western Michigan University, 1985, p. 61-102, en particulier, p. 68-86 ;
C. Monagle, « Contested Knowledge : John of Salisbury’s Metalogicon and Historia
Pontificalis », Parergon, 21/1, 2004, p. 1-17.
25. L’importance philosophique des lettres a été signalée par C. Nederman, « Aristotelian
Ethics and John of Salisbury’s Letters », Viator : Medieval and Renaissance Studies,
18, 1987, p. 161-173.
26. C. Schaarschmidt, « Johannes Saresberiensis in seinen Verhältniss zur klassischen
Litteratur », Rheinisches Museum für Philologie, 14, 1859, p. 200-234 ; C. Webb,
Prolegomena à Iohannes Saresberiensis Policratici, § 5, p. 21-47.
27. Voir R. Thomson, « William of Malmesbury, John of Salisbury and the Noctes
Atticarum », Hommages à André Boutemy, « Latomus », 145, Bruxelles, 1976, p. 367-
389 ; J. Martin, « John of Salisbury’s Manuscripts of Frontinus and of Gellius », Journal
of Warburg and Courtlaud Institutes, 40, 1977, p. 1-26 ; Id., « Uses of Tradition : Gellius,
Petronius and John of Salisbury », Viator, 10, 1979, p. 57-76 ; et la synthèse qu’elle
propose dans « John of Salisbury as a Classical Scholar », in M. Wilks (dir.), The World
of John of Salisbury, Oxford, Blackwell Publisher, 1984, p. 179-201.
28. On ne proposera, dans les lignes qui suivent, qu’une synthèse rapide de l’histoire des
textes et de leur transmission. L’analyse doctrinale est renvoyée aux chapitres suivants.
29. M. James, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover, Cambridge, Cambridge
University Press, 1903.
30. Cartulaire de Notre-Dame de Chartres, E. de Lépinois et L. Merlet, vol. 3,
Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loire, 1865, p. 201-202, repris dans C. Webb,
John of Salisbury, London, Methuen & co, 1932, p. 165-169.
31. C. Webb lui-même avoue s’être largement servi des indications marginales de
Jérémie Markland sur l’exemplaire de l’édition de Lyon (1595) conservé au British
Museum (cf. Prolegomena, § 3, p. 21).
32. Au-delà de la seule question logique, le commentaire de Boèce sur De l’interprétation
semble une source importante pour les réflexions du livre II du Policraticus, sur la
préscience divine.
33. Voir les travaux de S. Ebbesen sur ce point, Anonymi Aurelianensis I Commentarium
in Sophisticos Elenchos, Cahiers de l’Institut du Moyen Âge Grec et Latin, 34, 1979,
notes des pages 32 à 33 229

p. 1-200, Anonymi Parisiensis Compendium Sophisticorum Elenchorum, The Uppsala


Version, Cahiers de l’Institut du Moyen Âge Grec et Latin, 66, 1996, p. 253-312, Greek-
Latin Philosophical Interaction. Collected Essays of Sten Ebbesen, Ashgate, Aldershot
– Burlington, 2008, notamment, p. 157-220.
34. Sur les Topiques, voir C. Grellard, « Argumentation topique et production de la
croyance chez Jean de Salisbury », in J. Biard et F. Mariani Zini (dir.), Le Syllogisme
topique de l’Antiquité à l’âge classique, Turnhout, Brepols, 2010, p. 227-247.
35. C. Nederman, « Aristotelian Ethics Before the Nicomachean Ethics : Sources
of Aristotle’s Concept of Virtue in the Twelfth Century », Parergon, N.S., 7, 1989,
p. 55-75.
36. Policraticus, I, 6, p. 47, 26.
37. Jean en donne un résumé dans l’Entheticus, v. 937-1088, p. 166-176, et dans le
Policraticus, VII, 5, p. 108, 14 ; 110, 8.
38. Voir en particulier les multiples citations du chap. 5 du livre VII qui semblent
attester d’une connaissance directe de l’œuvre.
39. Sur les citations indirectes de Platon au Moyen Âge, voir M. Lemoine, « La
tradition indirecte du Platon latin », The Medieval Translator, Proceedings of the
International Conference held at Conques, R. Ellis et R. Tixier (dir.), 26-29 juillet 1993,
Turnhout, Brepols, 1996, p. 337-346. Sur la connaissance de Macrobe et de Cicéron,
voir ci-dessous.
40. La connaissance du Pseudo-Denys a fait l’objet d’une évaluation précise par
E. Jeauneau, « Jean de Salisbury et la lecture des philosophes », in M. Wilks (dir.), The
World of John of Salisbury, p. 77-108 ; 96-102. Sur les rapports entre platonisme et politique
chez Jean de Salisbury, voir C. Grellard, « “Le roi est sujet de la loi de justice.” Loi des
dieux, loi des hommes chez Jean de Salisbury », in B. Ribémont et S. Ménégaldo, Le Roi
fontaine de justice. Pouvoir justicier et pouvoir royal au Moyen Âge et à la Renaissance,
Klinksieck, Paris, 2012, p. 85-102.
41. Voir L. D. Reynolds, Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics,
Clarendon Press, Oxford, 1983, p. 369-375. En revanche, l’apocryphe lettre à Saint Paul
figure dans la bibliothèque de Canterbury. Mais Jean ne semble pas y faire référence.
42. Policraticus, II, 3, p. 76, 9-11. Jean cite Quaestiones naturales, I, 11, 2. Sur
l’usage de ce texte par Guillaume de Conches, voir C. Picard-Parra, « Une utilisation
des Quaestiones naturales de Sénèque au milieu du xiie siècle », Revue du Moyen Âge
latin, 5, 1945, p. 115-126.
43. Voir W. Verbaal, « Teste Quintiliano. Jean de Salisbury et Quintilien : un exemple
de la crise des autorités au xiie siècle », in P. Galand-Hallyn et al. (dir.), Quintilien ancien
et moderne, Turnhout, Brepols, 2010, p. 155-170.
44. On peut voir une allusion au De Senectute dans l’assimilation de la formule
clé de l’éthique cicéronienne, suivre la nature, avec le culte de Dieu (voir par exemple,
Entheticus, v. 1236, p. 185 : « naturamque sequi, cultus amorque Dei est »). De fait,
dans le De senectute (II, 5) Caton établit un tel lien, de façon plus ténue cependant :
230 notes des pages 33 à 37

« … nous sommes sages en ce que nous suivons et que nous obéissons au meilleur des
guides, la nature en tant que dieu » (in hoc sumus sapientes, quod naturam optimam
ducem tamquam deum sequimur eique paremus).
45. Voir J. Ward, « Some Principles of Rhetorical Historiography in the Twelfth
Century », in E. Breisach (dir.), Classical Rhetoric and Medieval Historiography,
op. cit., p. 103-165.
46. Voir sur ce point, F. Lachaud, L’Éthique du pouvoir au Moyen Âge, op. cit.,
p. 179-186.
47. Le résumé des positions cicéroniennes dans l’Entheticus (v. 1215-1246, p. 185)
met l’accent sur les questions de la prescience divine et de la liberté humaine, mais il n’est
pas nécessaire de supposer une connaissance directe du De fato ou du De divinatione. En
effet, Jean semble dépendre entièrement du résumé qu’en donne Augustin dans De ciuitate
Dei, V, 9. Les exemples utilisés dans le livre II du Policraticus et susceptibles d’être
tirés du De divinatione peuvent provenir soit de Valère Maxime, soit de saint Jérôme.
Enfin, la solution « académicienne » au problème de la prescience, dans Policraticus II,
22, semble dépendre à la fois de saint Augustin et de Boèce, voire d’Abélard.
48. Policraticus, V, 4, p. 292, 12-14 ; Metalogicon, IV, 31, p. 168, 24-28.
49. En revanche, la citation de l’anecdote de Crassus (Fin. V, 92, Policraticus, VIII,
8, p. 274, 27-29) peut provenir de Jérôme ou d’Amien Marcellin, tandis que l’allusion
aux indifferentia (Fin. III, 53, Policraticus, VIII, 16, 9-10) pourrait être un emprunt
à Sénèque (Ep. 82, 10, voire 117, 9, si l’on admet une connaissance complète de la
correspondance).
50. Metalogicon, II, 13, p. 76, 44-47.
51. L. K. Barker, « Ms Bodl. Canon. Pat. Lat. 131 and a Lost Lactantius of John
of Salisbury : Evidence in Search of a French Critic of Thomas Becket », Albion, 22,
1990, p. 21-37.
52. Sur la tradition manuscrite voir L. Caeli Firmiani Lactanti, Opera omnia, pars
I, Divinae Institutiones et epitome divinarum institutionum, éd. S. Brandt, « Corpus
scriptorum ecclesiasticorum latinorum », vol. 19, Prague-Leipzig, 1880, Prolegomena,
caput I, p. 13-74.
53. Je donne un exemple de cette ingéniosité dans C. Grellard, « La seconde acculturation
chrétienne de Cicéron : la réception des Académiques du ixe au xiie siècles », Astérion,
11, 2013, http://asterion.revues.org/2350.

Chapitre 2

1. Policraticus, I, prol., p. 25, 132-138 : « …et in philosophicis Academice disputans


pro rationis modulo quae occurrebant probabilia sectatus sim. Nec Academicorum
erubesco professionem, qui in his quae sunt dubitabilia sapienti ab eorum uestigiis
recedo. Licet enim secta haec tenebras rebus omnibus uideatur inducere, nulla ueritati
notes des pages 38 à 40 231

examinandae fidelior et, auctore Cicerone qui ad eam in senectute diuertit, nulla profectui
familiarior est ».
2. Voir l’introduction, p. 14-17.
3. Les chapitres du livre VII consacrés au scepticisme sont les chapitres 1, 2 et 7.
On trouve des éléments sur la démarche sceptique dans les chapitres 6, 8 et 9 également.
C’est au chapitre 2 que Jean reprend l’argument sceptique de la supériorité de la sensation
animale (mais dans une perspective opposée à celle des sceptiques puisqu’il s’agit de
montrer que l’homme se distingue par sa raison). Voir Policraticus, VII, 2, p. 96, 12 ;
97, 10. Il fait également allusion à l’argument du bâton brisé dans le Metalogicon, IV,
11, p. 150, 18-20.
4. Sur ce point, voir C. Grellard, « Academicus », op. cit., p. 12-14.
5. Voir Guillaume de Saint-Thierry, Disputatio adversus Petrum Abaelardum, cap. 1,
dans Opuscula adversus Petrum Abaelardum et de fide, Guillelmi a Sancto Theodorico
opera omnia, pars V, cura et studio Pauli Verdeyen, s.j. CCCM 89A, Turnhout, Brepols,
2007, p. 17. Sur cette controverse, on peut consulter, M. M. Davy, Théologie et Mystique
de Guillaume de Saint-Thierry. 1. La connaissance de Dieu, Paris, Vrin, 1954, p. 52-65 ;
C. Grellard, « Scepticisme et Incroyance. La querelle entre Guillaume de Saint-Thierry
et Pierre Abélard sur le statut de la foi », op. cit.
6. Policraticus, VII, prol., p. 93, 10-18 : « Si qua uero ad grauioris philosophiae
exercitationem uidentur accedere, Achademicorum more inuestigandi animo quam
peruicacia contendendi sic constet esse proposita ut in examinationem ueri suum cuique
iudicium liberum reseruetur et inutilis scribentium censeatur auctoritas ubi potior
refragatur. Propositum est tamen in his praecipue uersari unde perniciem error non
contrahit, et ad illorum diffinitionem praesumptione temeraria non assurgere in quibus
sine periculo non erratur. »
7. Voir par exemple, Cicéron, Academica priora, II, 3, 7.
8. Policraticus, VII, 1, p. 95, 20-22 : « Nonne ergo praeferendi sunt aliis quos
et asserendi modestia et tantorum uirorum commendat auctoritas? » ; ibid., VII, 2,
p. 95, 25-26 : « Non tamen omnes, qui Achademicorum censentur nomine, hanc dico
modestiae regulam tenuisse ; cum et professio scissa sit et pro parte tam risui pateat
quam errori. »
9. Policraticus, VIII, 12, p. 316, 20-21 : « Haec est enim fons et origo totius modestiae, sine
qua nichil recte in officiis exercetur. » Dès le chapitre 3 du livre VII, la notion de modestia
avait été inscrite dans la perspective plus large d’une éthique chrétienne en étant rapprochée
de la timor dei : « Siquidem scriptum est quia initium sapientiae et finis modestiae timor
Domini » (VII, 3, p. 101, 27-28).
10. Policraticus, VII, 1, p. 93, 29 – 94, 8 : « Antiquos quidem philosophos floruisse
ingeniis et studio profecisse iam non celebris opinio est sed omnibus in commune
persuasa sententia. Ad res enim ex natura fere incomprehensibiles studio et exercitatione
uiam sibi fecit ingenium, et illorum beneficio plurima publicata sunt posteris quibus
gaudemus et miramur inuentis. Mundum dimensi sunt, celum suis regulis subiecerunt,
232 notes des pages 40 à 41

naturae uarias scrutati sunt causas et uniuersitatis Opificem defecatis quodam modo
sunt oculis contemplati. Quasi ergo mole gigantea subuecti et iam non humanis uiribus
roborati intumuerunt indixerunt que bellum gratiae Dei de uigore rationis et libero
confisi arbitrio, ac si secundum fabulas essent celo captiuo uirtutum, quibus efferebantur,
brachia iniecturi. »
11. Entheticus, v. 721-726, p. 152 : « Sed fastus rationis obest, erroris amicus,/ quo
maculante fides evacuata perit./ Pessimus erroris comes est elata voluntas,/ quae fractas
mentes curvat ad omne malum./ Tertia praedictis adiuncta superbia vitae/ omnem virtutem
subruit atque necat. »
12. On peut voir une source possible de ce chapitre chez Augustin quand il explique,
dans les Confessions, à la fois que sa découverte de la philosophie naturelle des païens
lui a permis de comprendre la fausseté de la cosmologie manichéenne et que cette même
philosophie était incapable de reconnaître sa dette envers Dieu : « Et quoniam multa
philosophorum legeram memoriae que mandata retinebam, ex eis quaedam comparabam
illis manichaeorum longis fabulis, et mihi probabiliora ista uidebantur, quae dixerunt illi,
qui tantum potuerunt ualere, ut possent aestimare saeculum, quamquam eius dominum
minime inuenerint. […] Mente sua enim quaerunt ista et ingenio, quod tu dedisti eis, et
multa inuenerunt et praenuntiauerunt ante multos annos, defectus luminarium solis et
lunae, quo die, qua hora, quanta ex parte futuri essent, et non eos fefellit numerus. Et
ita factum est, ut praenuntiauerunt, et scripserunt regulas indagatas, et leguntur hodie
atque ex eis praenuntiatur, quo anno et quo mense anni et quo die mensis et qua hora
diei et quota parte luminis sui defectura sit luna uel sol : et ita fiet, ut praenuntiatur. Et
mirantur haec homines et stupent qui nesciunt ea, et exultant atque extolluntur qui sciunt,
et per impiam superbiam recedentes et deficientes a lumine tuo tanto ante solis defectum
futurum praeuident et in praesentia suum non uident. […] Sed non nouerunt uiam, uerbum
tuum, per quod fecisti ea quae numerant et ipsos qui numerant et sensum, quo cernunt
quae numerant, et mentem, de qua numerant ; et sapientiae tuae non est numerus. Se
autem unigenitus factus est nobis sapientia et iustitia et sanctificatio et numeratus est
inter nos et soluit tributum caesari. Non nouerunt hanc uiam, qua descendant ad illum a
se et per eum ascendant ad eum. Non nouerunt hanc uiam et putant se excelsos esse cum
sideribus et lucidos, et ecce ruerunt in terram, et obscuratum est insipiens cor eorum. »
(Augustinus Hipponiensis, Confessionum libri tredecim, V, c. 3, LLT-A).
13. Policraticus, VII, 1, p. 94, 9-13 : « Deiecti sunt itaque dum alleuarentur, et
dicentes se esse sapientes stulti facti sunt, et obscuratum est insipiens cor eorum, ut
qui omnia fere pernouerant perniciosissime errarent in maximis, et uariis distracti
opinionibus etiam minima ignorarent. » On trouvera une traduction de l’ensemble de ce
chapitre en appendice de mon étude « Le socratisme de Jean de Salisbury » in S. Mayer,
Réception philosophique de la figure de Socrate, Diagonale φ, 2, 2008, p. 35-59 : 58-59.
L’idée que certains philosophes païens ont pu, par leur seule raison, approcher certains
mystères divins est un lieu commun de la philosophie médiévale hérité notamment de
saint Augustin, De ciuitate Dei, VIII, 5-8.
notes des pages 41 à 44 233

14. Policraticus, VII, 1, p. 94, 22 – 95, 5 : « Sic et philosophi dum ingenii sui
machinas suo quodam teomachiae genere in altum erexerunt, eis uere incommutabilis
et indeficientis ueritatis subtracta est unitas, et ignorantiae nebulis obuoluti eorum quae
ab una et singulari ueritate uera sunt, maximam notitiam perdiderunt, uti in sensum
reprobum dati esse conuincerentur ab operibus suis, et tamquam recedente duce, Spiritu
scilicet ueritatis, dispergerentur in uarias sectas erroris et insanias falsas. »
15. Voir saint Augustin, Contra Academicos, II, 4, 11.
16. Policraticus, VII, 1, p. 95, 12-22 : « Achademici uero uitantes praecipitium
falsitatis in eo quidem modestiores sunt quod defectum suum minime diffitentur et in
rerum ignorantia positi fere de singulis dubitant. Quod quidem longe tutius est quam
incerta temere diffinire. Achademicorum quoque iuuat opinionem quod non modo Eraclides
Ponticus et Cicero noster, in summa ingeniosorum uirorum laude recepti, tandem ad eos
transierunt, sed et alii plures quos percurrere longum est. Nonne ergo praeferendi sunt
aliis quos et asserendi modestia et tantorum uirorum commendat auctoritas ? »
17. Entheticus, v. 1269-1274, p. 187 : « Sed cur gentiles numero, quos error adegit ?/
Omnis enim ratio deficit adsque fide./ Christicolae soli sapiunt, et philosophantur/ Vere,
quos tibi dat pagina sacra duces./ Censeo Christicolas cultu, non nomine Christi,/ quem
praestant homini vita pudica, fides. »
18. Je reviens sur le statut de l’épicurisme dans le chapitre 4.
19. Sur la place de Socrate chez Jean de Salisbury, voir C. Grellard, « Le socratisme
de Jean de Salisbury », op. cit., p. 35-60. Voir également, G. Dotto, Giovanni di Salisbury.
La filosofia come Sapienza, p. 161-167.
20. Sur la critique du scepticisme, voir en particulier saint Augustin, Contra Academicos,
II-III, passim, De Trinitate, XV, 21. Le terme academicus est repris comme accusation
d’irrationalité par G. de Saint-Thierry et B. de Clairvaux (voir ci-dessus, p. 231, n. 5).
Voir C. Grellard, « Academicus », op. cit., p. 18-19, et « Scepticisme et incroyance. La
querelle entre Abélard et Guillaume de Saint-Thierry sur le statut de la foi », op. cit.,
p. 247-249.
21. Sur la crise sceptique et ses aspects bénéfiques, voir les Confessionum libri
tredecim, V, 10 et 14. La notion de desperatio ueri apparaît dans les Retractationum libri
duo, I, 1, à propos de la motivation qui a poussé Augustin à écrire le Contra Academicos.
Il la reprend également dans la lettre 1.
22. Policraticus, VII, 7, p. 114, 24 – 115, 3 : « Quod alia sensus, alia rationis, alia
religionis auctoritate probantur ; et quod fides in omni doctrina aliquod stabile initium
uendicat quod probari non debet ; et quod alia per se doctioribus innotescunt, alia rudibus ;
et quatenus dubitandum sit ; et quod pertinacia ueritatis inquisitionem plurimum impedit.
Sunt enim nonnulla quae sensus rationis aut religionis persuadet auctoritas. Horum
dubitatio infirmitatis erroris notam habet aut criminis. Quaerere enim an sol splendeat,
albeat nix, ignis caleat, hominis est sensu indigentis. At uero an ternarius binario maior
sit ipsum que totum et medietatem eius contineat quaerere et an quaternarius sit duplus
binario, indiscreti est et cui est ratio otiosa aut deest omnino. Qui uero an Deus sit deducit
234 notes des pages 45 à 46

in quaestionem et an idem potens sapiens sit an bonus, non modo irreligiosus sed perfidus
est, et pena docente dignus est instrui. »
23. Policraticus, VII, 2, p. 96, 1-12 : « Quid enim ineptius quam fluctuare in singulis
et nullius rei habere certitudinem et nomen philosophi profiteri ? Nam qui de omnibus
dubitant, eo quod nichil habent certum, tam a fide quam a scientia aliena sunt. (…). Porro,
si de singulis Achademicus dubitat, de nullo certus est ; nisi forte et hoc ipsum incertum
habeat an contrariis existentibus in eodem circa idem posset et dubius et certus esse.
Sed an dubitet incertum habet, dum hoc ipsum nescit an nesciat. » Voir saint Augustin,
Contra Academicos, II, 9, 29.
24. Ce passage est repris littéralement par Jean de Galles dans le Compendiloquium
de vita illustrium philosophorum, Venise, 1496, f. 221 rab. Sur cet historien de la
philosophie, héritier de Jean de Salisbury, voir J. Swanson, John of Wales. A Study of
the Works and Ideas of a Thirteenth-Century Friar, Cambridge, Cambridge University
Press, 1989. Voir également, F. Lachaud, « Filiation and Context : the Medieval Afterlife
of the Policraticus », dans C. Grellard & F. Lachaud (dir.), A Companion to John of
Salisbury, Leiden-Köln, Brill, 2014.
25. Policraticus, VII, 2, p. 98, 6-15 : « Et quidem aduersus istorum ineptias magnus
pater et fidelis doctor Ecclesiae Augustinus sed et Cicero ualidis rationibus et sermone
elegantissimo copiosius disputant. Verumtamen ad illos qui de singulis dubitant quae
sapienti faciunt quaestionem, Cicero seipso teste transiuit ; nec eos noster Augustinus
persequitur, cum et ipse in operibus suis Achademico temperamento utatur frequentius
et sub ambiguitate proponat multa quae alii confidentius nec magis temerarie disputanti
non uiderentur habere quaestionem. »
26. Le texte le plus explicite à ce sujet est la question 9 des De diuersis quaestionibus
octoginta tribus, LLT-A : « Omne quod corporeus sensus adtingit, quod et sensibile
dicitur, sine ulla intermissione temporis commutatur ; uelut cum capilli capitis nostri
crescunt, uel corpus uergit in senectutem aut in iuuentutem efflorescit, perpetuo id fit
nec omnino intermittit fieri. Quod autem non manet percipi non potest ; illud enim
percipitur quod scientia conprehenditur ; conprehendi autem non potest quod sine
intermissione mutatur. Non est igitur exspectanda sinceritas ueritatis a sensibus corporis.
Sed ne quis dicat esse aliqua sensibilia eodem modo semper manentia, et quaestionem
nobis de sole atque stellis adferat, in quibus facile conuinci non potest, illud certe
nemo est qui non cogatur fateri, nihil esse sensibile quod non habeat simile falso, ita
ut internosci non possit. Nam ut alia praetermittam, omnia quae per corpus sentimus,
etiam cum ea non adsunt sensibus, imagines tamen eorum patimur, tamquam prorsus
adsint uel in somno uel in furore, quod cum patimur, omnino utrum ea ipsis sensibus
sentiamus an imagines sensibilium sint, discernere non ualemus. Si igitur sunt imagines
sensibilium falsae, quae discerni ipsis sensibus nequeunt, et nihil percipi potest nisi
quod a falso discernitur, non est constitutum iudicium ueritatis in sensibus. Quamobrem
saluberrime admonemur auerti ab hoc mundo, qui profecto corporeus est et sensibilis,
et ad deum, id est ueritatem quae intellectu et interiore mente capitur, quae semper
notes des pages 46 à 47 235

manet et eiusdem modi est, quae non habet imaginem falsi a qua discerni non possit,
tota alacritate conuerti. »
27. Policraticus, VII. 2, p. 98, 17-20 : « Sunt autem dubitabilia sapienti quae nec
fidei nec sensus aut rationis manifestae persuadet auctoritas et quae suis in utramque
partem nituntur firmamentis. » Sur la méthode de dispute in utramque partem, voir
Cicéron, notamment, parmi les textes que Jean pouvait avoir lu, De oratore, III, 80,
Tusculanes disputationes, I, 7-9 et II, 9, 2. Sur cette méthode chez Cicéron, A. Michel,
Les Rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de Cicéron. Recherches
sur les fondements philosophiques de l’art de persuader, Louvain-Paris-Sterling, Peeters,
Dudley, 2003, p. 158-171 ; C. Lévy, Cicero Academicus. Recherches sur les Académiques
et sur la philosophie cicéronienne, Collection de l’École française de Rome, 162, Rome,
École Française de Rome, 1992, p. 276-290.
28. Parmi les questions théologiques soumises au doute sceptique, Jean donne l’exemple
de la nature des anges. Voir Policraticus, VII, 2, p. 99, 7-8 : « an angeli omnino sua non
habeant aut qualia habeant corpora » ; sur l’inconnaissabilité de Dieu pour la raison, voir
Policraticus, VII, 2, p. 99, 9-11 : « et quae pie quaeruntur de ipso Deo qui totius naturae
rationalis excedit inuestigationem et super omnia, quae mente possunt concipi, exaltatur »,
et Metalogicon, IV, 40, p. 181, 61-75 : « Quam utique nec plene nosse permittit immensitas
sui, et si nos non laboraremus infirmitate qua premimur, nec plene ignorare sinunt creaturae,
quae omnes quasi quadam publica attestatione Creatoris gloriam praeconantur. Hinc est
illud Salomonis in Prouerbiis. Non erigas oculos tuos ad opes quas habere non potes,
quia facient sibi pennas ut aquilae, et auolabunt in caelum. Vt autem ait Augustinus in
libro de ordine, Deus melius nesciendo scitur, quem siquis ignarus naturarum, et morum
rationum que, cupiditatum ue seruus, et rebus pereuntibus inhians aut forte caste uiuens,
et disciplinarum nescius, ingenii uiribus quaerendo et disputando inuenire confidit, procul
dubio tantum errabit, quantum errari plurimum potest. Alibi quoque. Ignorantia Dei, eius
uerissima sapientia est. Et item. Non est parua scientia de Deo scire quid non sit Deus,
quia quid sit omnino sciri non potest. » Sur les rapports entre scepticisme et théologie,
voir C. Grellard, « John of Salisbury and Theology » in C. Grellard et F. Lachaud (dir.),
A Companion to John of Salisbury, op. cit.
29. Policraticus, VII, 2, p. 99, 11-17 : « Possent in hunc modum ennarrari quam
plurima quae sic dubitationem sapeintis admittunt ut tamen dubitatio ipsa uulgum
praeterat. In his itaque facile crediderim Achademicos tanto modestius dubitasse quanto
eos temeritatis praecipitium diligentius praecauisse repperio. »
30. Policraticus, VII, 7, p. 114, 24 – 115, 7 : « Sunt enim nonnulla quae sensus rationis
aut religionis persuadet auctoritas. Horum dubitatio infirmitatis erroris notam habet aut
criminis. Quaerere enim an sol splendeat, albeat nix, ignis caleat, hominis est sensus
indigentis. At uero an ternarius binario maior sit ispumque totum et medietatem eius
contineat quaerere et an quaternarius sit duplus binario, indiscreti est et cui ratio otiosa
aut deest omnio. Qui uero an Deus sit deducit quaestionem et an idem potens sapiens
sit an bonus, non modo irreligiosus sed perfidus est, et pena docente dignus est instrui.
236 notes des pages 48 à 51

Sunt enim in omnibus philosophicis disciplinis quaedam prima et, ut ita dicatur Cratini
uerbo, primitiua principia de quibus eodem auctore dubitare non licet nisi his quorum
labor in eo uersatur ne quid sciant. »
31. Policraticus, VII, 7, p. 115, 7-16 : « Nam, sicut quaedam se corporeis sensibus
ingerunt ut apud sensatos latere non possint ; quaedam subtiliora sunt ut, nisi familiarus
adhibita et prospecta diligentius et pertracta sint, non sentiantur ; sic sunt aliqua tanta
sui luce perspicua ut latere non possint rationis aspectum sed communiter uideantur ab
omnibus magis tamen et minus pro capacitate et uiribus singulorum ; alia quidem sunt
quae quasi quodam scrutinio indigent et, quia istorum consecutiua sunt, diligentius
perscurtantem latere non possunt. »
32. Voir C. Grellard, « Argumentation topique et production de la croyance »,
op. cit., p. 232.
33. Voir ci-dessous les analyses de la théorie de l’induction proposée par Jean de
Salisbury, p. 62-63 et 70-71.
34. Policraticus, VII, 7, p. 117, 5-12 : « Sed nec de his dubitare licet quae ex principiis
consequuntur, dum ea tamen sequi planum sit ; interim namque sunt quaestionibusn
agitanda, dum illorum ad principia uel consecutiua eorum coherentia pateat Nam de
singulis istorum dubitare eorum coherentia pateat. Nam de singulis istorum dubitare
non est inutile ; et quidem in talibus, donec apprehenderent ueritatem, Achademicorum
probabilium disceptatio uertebatur. »
35. Metalogicon, II, 6, p. 65, 89 – 66, 95 : « Eo ergo miserabiliores sunt quo suam
miseriam non agnoscunt, dum se ipsos fallunt id agentes in studio ueritatis, ut nihil sciant.
Neque enim fideli humilitatis uia quaeritur ueritas. Sic Pilatus ueritatis audita mentione
quid esset interrogauit ; sed infidelitas quaerentis egit, ut docentem ante tumidus declinaret
auditor, quam sacrae responsionis instrueretur oraculo. »
36. Metalogicon, IV, 31, p. 168, 30-36 : « Academicus vero fluctuat, et quid in
singulis verum sit definire non audet. Hec tamen secta trifariam divisa est. Habet enim
qui se nihil omnino scire profiteantur, et cautela nimia demerverint philosophia philosophi
nome. Habet alios qui se sola necessaria et per se nota quae scilicet nesciri non possunt
confiteantur nosse. Tertius gradus nostrorum est qui sententiam non praecipitant in his
quae dubitabilia sapienti. » Cette tripartition du scepticisme semble correspondre aux
étapes de la nouvelle académie représentée successivement par Arcésilas, Carnéade et
Philon de Larisse.
37. Entheticus, v. 727-734, p. 152 : « Distrahitur miser Archesilas, et in omnibus
anceps/ fluctuat, et nescit, quo velit esse loco./ Pervigili studio semper fugientia quaerit/
vera, nec in studiis novit habere modum ;/ omnia perlustrat sapientum dogmata ; tandem/
ignorare docet omnia vera suos./ Perpetuo nam vera latent, si creditur illi, non ea mortalis
pervia sensus habet. »
38. Cette conception du scepticisme comme platonisme extrême est encore celle
défendue par Bonaventure, De scientia Christi, q. 4, Opera omnia, t. V, Quarrachi,
Collegium S. Bonaventurae, 1891, p. 22, 10-16.
notes des pages 51 à 54 237

39. Sur les mathématiques comme exemple de connaissance qui échappe au doute


sceptique et comme modèle de certitude, voir saint Augustin, Contra Academicos, II,
3, 9 et III, 11, 25.
40. Voir Contra Academicos, III, 17, 37 ; 20, 43. Sur la double Académie, voir
C. Lévy, Cicero Academicus. op. cit., p. 640-643.
41. Si l’on admet que Jean ne connaissait pas le De diuinatione (I, 46 et 130) de
Cicéron, ni le De natura deorum (I, 34), il reste une allusion dans les Tusculanes, où
Héraclide est qualifié de « vir doctus » (Tusc. V, 3, 8). D’autres mentions tout aussi peu
développées se lisent chez Lactance (Inst. diu., I, 6, 8), Calcidius (Comm. in Tim., I,
110) et Macrobe (Comm. in somn. Scip., I, 14, 19). Anthistène est présenté comme un
disciple de Socrate et un partisan de la frugalité par Jérôme dans l’Adv. Iovin., II, 14.
Jean reprend ce trait dans Policraticus, V, 17, p. 359, 1-5.
42. Entheticus, v. 1139-1158, p. 179-181 : « Doctior Antitenes Academicus, omnia
solum/ scire Deum dicit, et ratione probat./ Asserit et superos quam plurima scire, nec
omnes/ omnia ; mortales paucaula scire putat./ Haesitat in cunctis, nisi quae ratione
probantur/ viva, cui stupor est non habuisse fidem./ Vivit enim ratio, quae per se nota
patescit,/ aut per se notis semper adesse solet. Asserit haec sciri ; dubitanter cetera tradit,
in quibus ex usu maior habenda fides./ Nam solitus cursus facit esse probanda, quae
semper simili sub ratione vides./ Haec tamen interdum, quoniam secus accidit esse,/ non
sunt certa satius, nec tamen absque fide./ Ergo quod affirmat verum, putat esse necesse ;/
in reliquis dicit : “credo” vel “esse puto”. »
43. Sur cette théorie de la connaissance, voir H. Daniels, Die Wissenschaftslehre des
Johannes von Salisbury, Freiburg-im-Breisgau, T. Meeuws, 1932 et surtout, B. Hendley,
Wisdom and Eloquence : A New Interpretation of the Metalogicon of John of Salisbury,
PhD Dissertation, Yale, 1967.
44. Les Seconds analytiques sont traduits par Jacques de Venise vers 1150. C’est à cette
époque que Jean commence à rédiger ses principales œuvres. Sur Jacques de Venise et la
réception de ses traductions, voir S. Ebbesen, « Jacques de Venise », in M. Lejbowicz (dir.),
L’Islam médiéval en terres chrétiennes. Science et idéologie, Lille, Presses universitaires du
Septentrion, p. 115-132, et D. Bloch, « James of Venice and the Posterior Analytics », Cahiers
de l’Institut du Moyen Âge Grec et Latin, 78, 2008, p. 37-50. D. Bloch fait le point sur les
rapports de Jean de Salisbury avec Jacques de Venise, et avec le Johannes auteur d’une autre
traduction des Seconds analytiques, dans John of Salisbury on Aristotelian Science, op. cit.,
p. 34-42. Il est certain que Jean avait du grec une connaissance assez faible, voire nulle. Lors
de ses déplacements en Italie du Sud, il fait appel à un traducteur (Metalogicon, I, 15, p. 37,
88-91), et il semble avoir toujours eu recours à des traductions des textes philosophiques.
On peut, au mieux, lui accorder une connaissance passive du grec qui lui permet de disserter
sur la traduction des termes techniques, dans son échange épistolaire avec Jean Sarazin, le
traducteur du Pseudo-Denys l’aréopagite. Voir Lettre 194, p. 272. Voir aussi les analyses de
C. Brucker, « À propos de quelques hellénismes de Jean de Salisbury et de leur traduction
au xive siècle », Bulletin du Cange, 39, 1973-1974, p. 85-94.
238 notes des pages 54 à 56

45. Metalogicon, IV, 8, p. 147, 33-38 : « … et sic demonstrandi scientiam statuit, ac


si sensu corporeo teneantur, quae ratio indubitata sic esse conuincit. Communes enim
conceptiones a singulorum inductione fidem sortiuntur. Impossibile enim est universalia
speculari, non per inductionem. Quoniam ut ait quae ex abstractione dicuntur, per
inductionem nota fiunt. »
46. Metalogicon, IV, 12, p. 150, 12 – 151, 18 : « Ex his patet quod cum de sensu
imaginatio, et ex his duobus opinio, et ex opinione prudentia nascatur, quae in scientiam
conualescit, [quod] scientia de sensu trahit originem. Nam ut dictum est, multi sensus
aut etiam unus memoriam unam, multae memoriae experimentum, multa experimenta
regulam, multae regulae unam reddiderunt artem, ars uero facultatem. »
47. Jean reprend la lecture « classique » de ce passage, qui est celle de tous les
médiévaux et qui correspond à la présentation que fait J. Barnes dans son commentaire de
ce passage. Aristote pose ici deux questions : comment les principes de la science sont-ils
connus, et quel est l’état cognitif de celui qui les appréhende. La réponse consiste à dire
que les principes sont connus par induction et que l’état cognitif est celui de l’intellection.
Voir J. Barnes, Aristotle, Posterior Analytics, translanted with a commentary of J. Barnes,
Oxford, Clarendon, 1994.
48. Metalogicon, IV, 11, p. 149, 3 – 150 6 : « Est igitur imaginatio primus motus
animae extrinsecus pulsatae, quo secundum exercetur iudicium, aut per recordationem
redit primum. Primum enim iudicium uiget in sensu dum aliquid album, aut nigrum,
aut calidum, aut frigidum, esse pronuntiat ». Voir Guillaume de Conches, Glosae super
Platonem, éd. E. Jeauneau, Paris, Vrin, 1965, p. 101 : « Imaginatio vero est vis qua
percipit homo figuram rei absentis. Hec habet principium a sensu quia quod imaginamur,
imaginamur vel ut vidimus vel ad similitudinem alterius rei iam vise ut ille virgilianus
Titirus ad similitudinem sue civitatis Romam imaginabatur. »
49. Metalogicon, IV, 9, p. 148, 14-22 : « Est autem sensus ut Calcidio placet passio
corporis ex quibusdam extra positis, et uarie pulsantibus corpus, usque ad animam peruenit,
nec cadit in sensus formam. Si uero eadem passio grata est lenitate sui, uoluptatem gignit,
et si inualescit, gaudium nominatur. Quod si asperitate sui exulcerat, dolorem gignit.
Aristotiles autem sensum potius uim animae asserit, quam corporis passionem, sed haec
eadem uis ut iudicium suum de rebus formet, passionibus excitatur. » Voir Aristote,
Seconds Analytiques, II, 19, 99b 35 ; Calcidius, Plato, Timaeus a Calcidio translatus
commentarioque instructus, edidit J. H. Waszink, The Warbug Institute, London, Leiden,
1962, 193-194, p. 68, l. 161. L’influence de Calcidius est probablement, en partie,
médiatisée par l’enseignement de Bernard de Chartres et de Guillaume de Conches.
Voir B. de Chartres, Glosae super Platonem, Dutton P. E. (éd.), Toronto, Pontifical
Institute in Medieval Studies, 1991, p. 197 ; G. de Conches, Glosae super Platonem,
op. cit., p. 216, p. 249.
50. Metalogicon, IV, 9, p. 148, 23-27 : « Et quia res percipit, earundem apud se
deponit imagines, quarum retentione et frequenti reuolutione quasi thesaurum memoriae
sibi format. Dum uero rerum uoluit imagines, nascitur imaginatio, quae non modo
notes des pages 56 à 57 239

perceptorum recordatur, sed ad eorum exempla conformenda sui uiuacite progreditur ».


L’expression « trésor de la mémoire » fait signe vers une troisième source implicite, qui
fait le lien entre Aristote et Calcidius, à savoir saint Augustin. Voir De Trinitate, XV, 12
Confessionum libri tredecim, X, 8.
51. Boèce, Consolatio Philosophiae, C. Moreschini (éd.), E. Vanpeteghem (trad.),
Y. Tilliette (intr.), Paris, Le livre de Poche, 2008, V, 4, 26-34, p. 298-302 ; Pierre
Abélard, De intellectibus, édition, traduction et commentaire par P. Morin, Paris, Vrin,
1994, § 1-28, p. 24-45 ; Glossae super Peri Hermeneias, I, 17-21, K. Jacobi et C. Strub,
CCCM 206, Brepols, Turnhout, 2010, p. 28-29. Voir sur ce point A. De Libera, L’Art
des généralités. Théories de l’abstraction, Paris, Aubier, 1999, p. 244-249 (sur Boèce)
et 376-442 (sur Abélard).
52. B. de Chartres, Glosae super Platonem, op. cit., p. 230 ; G. de Conches, Glosae
super Platonem, op. cit., p. 100-102.
53. Metalogicon, IV, 30, p. 167, 20-25 : « Liquet autem ex praecedentibus ad hoc
ut sensus sit, plura concurrere, ut sunt exterius offendiculum in quod impingit spiritus
minister sentiendi, idemque spiritus qui exterioris obstaculi qualitatem ad notitiam
animae perfert. Vt sint tria, anima quae sentit, spiritus quo sentit, et offendiculum quo
extrinsecus sentit. »
54. Voir G. de Conches, Glosae super Platonem, op. cit., p. 102 : « Memoria vero
est vis firme retinendi cognita. »
55. On peut, là encore, identifier une source chartraine. Voir B. de Chartres, Glosae
super Platonem, op. cit., chap. 5, p. 183, l. 260-264 : « Per motum accipimus hic rationem
large, scilicet quodlibet iudicium animae de quocumque discernat. […] Si iudicet de
sensibilibus prout sunt, scilicet sensu uera nuntiante, nascitur in anima opinio digna
credi. » ; p. 206, l. 143-145 : « Vis opinatrix diuiditur in prudentiam et opinionem ueram :
prudentia de dispositione rerum nostrarum, uera opinio uerus conceptus sensibilium » ;
G. de Conches, Glosae super Platonem, op. cit., p. 174-175 : « Hic ostendit unde vera
opinio habeat principium, dicens quod principium eius est ex sensu veridico, principio
vero false est ex sensu decepto, ut opinamur fractum in aqua baculum cum sit integer quia
fallitur visus. » Voir, de façon plus générale, les textes mentionnés par P. von Moos, « Le
sens commun au Moyen Âge : sixième sens et sens social. Aspects épistémologiques,
ecclésiologiques et eschatologiques », in Studi Medievali, 43.1, 2002, p. 1-58 ; repris
dans Entre histoire et littérature. Communication et culture au Moyen Âge, Firenze,
SISMEL – Edizione del Galuzzo, 2005, p. 525-578 : p. 532-533.
56. Aristote, De interpretatione, translatio Boethii, Aristoteles latinus, p. 5, l. 10-15
(1, 16 a 12-13) : « De his quidem dictum est in his quae sunt dicta de anima - alterius est
enim negotii- ; est autem, quemadmodum in anima aliquotiens quidem intellectus sine
vero vel falso, aliquotiens autem cum iam necesse est horum alterum inesse, sic etiam
in voce ; circa compositionem enim et divisionem est falsitas veritas que. »
57. Metalogicon, IV, 11, p. 150, 9 – 14 : « Hoc autem alterutrius iudicium, opinio
appellatur. Et est quidem certa si pro ut se habent de rebus iudicat, si uero aliter, infidelis.
240 notes des pages 58 à 59

Hanc autem asserit Aristotiles animae passionem, eo quod dum exercetur rerum imagines
animae passionem, eo quod dum exercetur rerum imagines animae imprimantur. Quod
si una pro altera imprimatur, pro errore quo fallitur in iudicio, fallax uel falsa opinio
nominatur. »
58. Voir par exemple, Abélard, De intellectibus, op. cit., § 59, p. 60 : « Singuli
intellectus quia cum statu rerum concordant sani sunt. Cassi uero quidem e contrario
sunt, ut si uidelicet intelligam chimeram que omnino non est. »
59. Metalogicon, IV, 36, p. 175, 5-25 : « Locutio autem falsa est, eo quod falsam
significat opinionem. Res uero falsa dicitur ab effectu, ideo quod ipsam non nisi cassus
et uanus percipiat intellectus. […] Si enim rem si esse ut est, aut non esse comprehendit,
iudicio certo et fideli usus est. Si autem uel non esse quod est, uel esse quod non est
opinatur, procul dubio fallitur et errat. Idem quoque est in sermonibus. Res autem quae
se ipsam pro ut est intellectui subicit, uera est. Quae aliter, uana et falsa. Ergo a modo
percipiendi, scilicet quo percipiuntur aut percipiunt, conuincitur ueritas aut falsitas, tam
opinionum quam rerum. Sermonum uero, a modo significandi. »
60. Metalogicon, IV, 11, p. 150, 14-20 : « Nam saepissime falluntur sensus, non modo
in paruulis ubi ratio putatur otiosa, sed et in prouecta aetate. Quod Aristotiles docens, dicit
ex eo contingere lactentes omnes uiros putare patres, feminas autem matres. Quod sensus
rudis fallitur, nec firmum potest afferre iudicium. Baculus uero in aqua fractus uidetur,
etiam perspicacissimis. » Jean de Salisbury reprend vraisemblablement, ici, mais de façon
très condensée des analyses sur le développement psychologique depuis l’enfance, que
l’on peut lire dans les Gloses sur Platon. Voir B. de Chartres, Glosae super Platonem,
op. cit., p. 204, 85-89 : « Nota quod opinio falsa non tantum pueros, sed plerosque usque
ad ultimam aetatem, comitatur. Hos Aristoteles senes pueros uocat, non discernentes
indiuiduam et diuiduam substantiam, credentes ea tantum quae oculis subiacent, quae
palpare possunt. » ; G. de Conches, Glosae super Platonem, op. cit., p. 226-233.
61. Metalogicon, IV, 12, p. 150, 3-4 : « Prudentia enim est ut ait Cicero, uirtus animae
quae in inquisitione et perspicientia sollertiaque ueri uersatur. » Voir Cicéron, De Officiis,
texte établi et traduit par M. Testard, Les Belles Lettres, Paris, 1974, I, 5, 15, p. 112 :
« Aut enim in perspicientia ueri sollertia que uersatur aut in hominum societate tuenda
tribuendo que suum cuique et rerum contractarum fide aut in animi excelsi atque inuicti
magnitudine ac robore aut in omnium quae fiunt quae que dicuntur ordine et modo in
quo inest modestia et temperantia. »
62. Metalogicon, IV, 14, p. 152, 3-7 : « Et quia ueritas prudentiae materia est, nam
in ueri comprehensione laborat, finxerunt antiqui Fronesin et Alitiam esse germanas,
eo quod prudentiae cum ueritate est quaedam diuina cognatio. Inde est quod ab aspectu
ueritatis prudentia si perfecta est, nequit arceri. » Voir B. Hendley, Wisdom and Eloquence,
op. cit., p. 51-52, H. Daniels, Die Wissenschaftslehre, op. cit., p. 40.
63. Metalogicon, IV, 12, p. 150, 4-12 : « Materia enim huius uirtutis in qua exercetur
ueritas est, reliquarum uero domesticae quaedam necessitates. Ne ergo undecumque
fallatur, ad futura prospectum intendit, et prouidentiam format, uel praeterita ad mentem
notes des pages 59 à 61 241

reuocans thesaurizat memoriae, uel de praesentibus callet, et astutiae uel calliditatis


speciem parit, aut se pariter ad uniersa diffundit, et ei circumspectio nascitur. Cum autem
ueritatem fuerit assecuta, in speciem scientiae transit. »
64. Metalogicon, IV, 14, p. 152, 8-11 : « Et quidem propter fallacias sensuum et
opinionum, uix in eius inuestigatione fideliter incedit, uix est in comprehension secura.
Recolit enim se deceptam esse, et posse decipi. » C’est le principe même de la démarche
sceptique qui est rappelé ici, et qui mine l’activité de la prudence : si je me trompe une
fois, il est possible que je me trompe toujours.
65. Entheticus, v. 659-666, p. 149 : « Res triplici spectare modo ratio perhibetur,/
nec quartum potuit mens reperire modum :/ concretivus hic est, alius concreta resolvit,/
res rebus confert tertius atque refert./ Naturam primus, mathesim medius comitatur,/
vendicat extremum logica sola sibi./ Mens versatur in his, et singula pensat ad unguem,/
ut rerum vires cauta videre queat. »
66. Policraticus, II, 21, p. 122, 64-70 : « Creaturae uero scientia longe disparis
conditionis est. Spiritui siquidem et animae non est idem esse et scientem esse, cum
anima primo affectionis motu inualscens disponatur ad cognitionem rerum, eaque si
radicata fuerit ut aut omnino aut sine iniuria naturae conuelli non possit, habitu suo
informat animam facitque scientem. Hic ergo habitus rectissime scientia appellatur. »
Voir Abélard, De intellectibus, op. cit., § 27, p. 44 : « Scientia autem neque intellectus est
neque existimatio, sed est ipsa animi certitudo quae non minus, absente uel existimatione
uel intellectu, permanet. Alioquin dormientes scientiam amitterent, cum Aristoteles
scientias et uirtutes ex diuturnitate sui inter habitus potius quam inter dispositiones
collocauit. » Dans les deux cas, la source est la même, il s’agit d’Aristote, Categoria
decem, chap. 8, 8b, 25-35, translatio Boethii, éd. L. Minio-Paluello, Paris, Desclée de
Brouwer, 1961, p. 23 : « Differt autem habitus affectione quod permanentior et diuturnior
est ; tales vero sunt scientiae vel virtutes ; scientia enim videtur esse permanentium et
eorum quae difficile moveantur, si quis vel mediocriter scientiam sumat, nisi forte
grandis permutatio facta sit vel ab aegritudine vel ab aliquo huiusmodi ; similiter autem
et virtus, et iustitia vel castitas et singula talium non videntur facile posse moveri neque
facile permutari. »
67. Voir Metalogicon, IV, 30, p. 167, 25-26, où la raison est clairement qualifiée
de vis deliberativa.
68. Cette distinction entre science et sagesse, reprise à Cicéron, est transmise par saint
Augustin et structure toute l’œuvre augustinienne. Voir par exemple Contra Academicos,
I, 7, 19 ; 8, 22, et De Trinitate, XII, 21-24.
69. Metalogicon, IV, 18, p. 156, 6-13 : « Est itaque intellectus suprema uis spiritualis
naturae, quae humana contuens et diuina penes se causas habet omnium rationum, naturaliter
sibi perceptibilium. Sunt enim quae exuperant omnem sensum tam hominum quam
angelorum diuinae rationes, et non nullis aliae plus aut minus pro diuinae dispensationis
decreto innotescunt. Hunc solius Dei esse, et admodum paucorum hominum, scilicet
electorum asserit Plato. » Voir Pierre Abélard, De intellectibus, op. cit., § 22, p. 40.
242 notes des pages 61 à 62

70. Voir Plato, Timaeus a Calcidio translatus, op. cit., p. 50, 9-10 : « Quid quod rectae
opinionis uir particeps, intellectus uero dei proprius et paucorum admodum lectorum
hominum ? »
71. Voir P. Abélard, De intellectibus, op. cit., § 21-22, p. 40 : « Est itaque intelligentia
huiusmodi intellectus quem nulla confusa perceptio animae comitatur, siue per
imaginationem siue per sensum. Deo autem clarum est nec sensum nec imaginationem
inesse posse, cum sit utrumque confusa animae perceptio, sed perpetuo eum cuncta
intellectu continere, ceu, si diligentius consideremus, idem est intelligere quod scire.
Quod uero Boethius dicit intelligentiam paucissimorum hominum esse, nequaquam, iuxta
Aristotelem, in hac uita contingere credimus, nisi forte per excessum contemplationis
reuelatio diuina alicui fiat magisque hunc excessum mentis ab Aristotele scientiam
quam intellectum appellari credimus, nec eum humani animi dicendum sed diuini ; cum
iam a Deo assumpta anima ipsum quodammodo induit, et deficiente et quodammodo in
nobis moriente homine, suscitatur Deus. » A. De Libera, L’Art des généralités, op. cit.,
p. 435-443. La source d’Abélard est Boèce, Consolation de Philosophie, V, 4, voir
ci-dessus, p. 239, n. 51.
72. Il le répète à deux reprises dans le Metalogicon, IV, 14, p. 152, 18-19 et IV, 18,
cité ci-dessus, p. 239, n. 64 et 69 ; et il résume de nouveau cette hiérarchie des facultés
dans l’Historia pontificalis, en la présentant comme la théorie des « philosophes ». Voir
Historia pontificalis, op. cit., c. 13, p. 32 : « Nam et philosophi sapientiam diffiniunt esse
comprehensionem ueritatis rerum que sunt et sui immutabilitatem essentiam sortiuntur.
Et sicut opinio in uanis fluctuat et uacillat, sic intelligentia, que solius Dei et admodum
paucorum hominum, uera comprehendit et certa. Et quidem scientia esse non potest sine
certo et solido fundamento ueritatis quam immediate, id est reualata facie contemplatur,
opinio uero incerta fluctuat, quia firmiter solide non innititur ueritati ; fides autem inter
utramque, quia media gradiens opinionem quidem superat, quia certitudinem tenet ; sed
superatur a scientia, quia ueritatem non conspicit facie reualata. »
73. Ce qui rend assez discutable, sauf à le limiter très précisément à l’intelligentia
dans son sens boécien, l’adjectif de mystique utilisé par H. Daniels pour rendre compte
de ce type d’intellectus. Voir H. Daniels, Die Wissenschaftlehre…, op. cit., p. 55-56. Au
contraire, on a plutôt affaire à une forme de naturalisme théologique, où la grâce vient
confirmer les dispositions latentes en l’homme.
74. Metalogicon, IV, 19, p. 156, 7-9 : « Patet ex his quod siquis praemissos gradus
recenseat, de scaturigine sensuum etiam sapientiam praeeunte et opitulante gratia uidebit
emanare. »
75. Policraticus, II, 18, p. 107, 18-30 : « Primo namque res quas natura creauit
discutiunt easque multipliciter inuestigant, nunc quomodo ex partibus suis, nunc quomodo
ex materia et forma constent inquirentes. Quod ut facilius possint, sensuum uires pensant
et intellectus efficaciam metiuntur. Et quia sensuum hebetudo rerum corporearum naturam
non transgreditur, paulatim aliorum beneficio ad subtiliora consurgunt. Visus etenim in
solo corpore eoque praesenti colores tantum et quantitates examinat et figuras. Sonus
notes des pages 63 à 65 243

solum contingit auditum. Gustus de saporibus iudicat. Olfaciendi uis in odoribus tota
uersatur. Quid durum […] tactus discernit. »
76. Policraticus, II, 18, p. 107, 34-37 : « Si uero corporum absentium praefatas
proprietates inquiris, eas tibi tracta similitudine ab his quas sensus agnouit poterit imaginatio
praesentare, quae tanto erit fidelior quanto expressior fuerit similitudo. »
77. Policraticus, II, 18, p. 108, 50-58 : « Verum si ad incorporea diuertendum est,
ratione opus est et intellectu, cum absque intelligentia haec non ualeant comprehendi et
uerum non possit esse de his sine ratione iudicium. Intellectus itaque aliis deficientibus
exerit uires suas, et quasi in arce animae constitutus omnia inferiora complectitur, cum ab
inferioribus superiora nequeant comprehendi. Et nunc quidem res ut sunt, nunc ut aliter
intuetur, nunc simpliciter, nunc composite, nunc disiuncta coniungit, nunc coniuncta
distrahit et disiungit. » Dans ce texte, l’intelligentia rassemble les facultés discursive et
intuitive que sont la raison et l’intellect.
78. Policraticus, II, 18, p. 109, 93-95 : « Diffinit ergo ratio quod concipit intellectus,
animal rationale mortale, quod in solos subditos cadere nemini recte sapientium ambiguum
est. »
79. Metalogicon, IV, 30, p. 167, 33-38 : « Est autem praedicamentalis inspectio,
et prima fere philosophandi uia, de qualibet re proposita quid sit attendere, itemque
quibus proprietatibus ab aliis differat, et quomodo aliis conformetur. Deinde an sit ei
quid contrarium et an ipsum susceptibile sit, contrariorum. Quae cum innotuerint, res
familiarius assignata in notitiam transit » ; Boèce, In categoria Aristotelis libri IV, 1,
PL 64, col. 161 : « Hinc est quod ad logicam tendentibus primus hic liber legendus
occurrit, idcirco quod cum omnis logica syllogismorum ratione sit constituta, syllogismi
vero propositionibus jungantur, propositiones vero sermonibus constent, prima est
utilitas quid quisque sermo significet, propriae scientiae diffinitione cognoscere. Haec
quoque nobis de decem praedicamentis inspectio, et in physica Aristotelis doctrina et
in moralis philosophiae cognitione perutilis est, quod per singula currentibus magis
liquebit. »
80. Metalogicon, II, 3, p. 60, 25-40 : « Sed demonstratiua a disciplinalibus uiget
principiis, et ad eorum consecutiua progreditur, necessitate gaudet, et quid cui uideatur dum
tamen ita esse oporteat non multum attendit. Decet haec philosophicam recte docentium
maiestatem, quae suo citra auditorum assensum roboratur arbitrio. Probabilis autem
uersatur in his quae uidentur omnibus, aut pluribus, aut sapientibus, et his uel omnibus, uel
pluribus uel maxime notis et probabilius aut consecutiuis eorum. Haec quidem dialecticam
et rhetoricam continet, quoniam dialecticus et orator persuadere nitentes, alter aduersario
alter iudici, non multum referre arbitrantur uera an falsa sint argumenta eorum dum
modo ueri similitudinem teneant. At sophistica quae apparens et non existens sapientia
est, probabilitatis aut necessitatis affectat imaginem, parum curans quid sit hoc aut illud,
dum phantasticis imaginibus, et uelut umbris fallacibus inuoluat eum cum quo sermo
conseritur. » Sur le statut de la logique chez Jean de Salisbury, voir B. Hendley, Wisdom
and Eloquence, op. cit., p. 160-180 ; H.-B. Gerl, « Zum Mittelalterlichen Spannungsfeld
244 notes des pages 66 à 69

von Logik, Dialektik und Rhetorik. Die Programmatik des Metalogicon von Johannes
von Salisbury », Tijdschrift voor Philosophie, 43, 1981, p. 306-327.
81. Voir sur ce sujet, C. Grellard, « Fides sive credulitas. Le problème de l’assentiment
chez Pierre Abélard, entre logique et psychologie », Archives d’histoire littéraire et
doctrinale du Moyen Âge, 70, 2003, p. 7-25 : 15-25.
82. Voir Aristote, Topica, I, 1, 100 b 21, translatio Boethii, dans Aristoteles latinus, V
1-3 Topica. Translatio Boethii, Fragmentum Recensionis Alterius et Translatio Anonyma,
L. Minio-Paluello et B. G. Dod, Desclée De Brouwer, Bruxelles-Paris, 1969, p. 5 : « Sunt
autem vera quidem et prima quae non per alia sed per se ipsa habent fidem (non oportet
enim in disciplinalibus principiis inquirere propter quid, sed unumquodque principiorum
ipsum esse fidem), probabilia autem quae videntur omnibus aut pluribus aut sapientibus,
et his vel omnibus vel pluribus vel maxime notis et probabilibus. » Sur cette définition
du probable, voir les travaux de P. von Moos, en particulier, « Die angesehene Meinung
IV : Johannes von Salisbury », Mittellateinisches Jahrbuch, 34/2, 1999, p. 1-55.
83. Metalogicon, II, 5, p. 62, 33-37 : « Sic ratio necessaria aut uera ad differentiam eius
quae casu potest, uel mendacio uitiari. Est autem hic ut opinor ratio quicquid adducitur,
uel adduci potest, ad statuendam opinionem, uel sententiam roborandam. Opinio enim
plerumque labitur, at sententia semper assidet ueritati. »
84. Metalogicon, II, 13, p. 75, 25-31 : « Sed demonstratiua necessarias methodos
quaerit, et quae illam rerum inhaerentiam docent, quam impossibile est dissolui. Hoc
autem dumtaxat necessarium est, quod aliter esse impossibile est. Ceterum quia uires
naturae, aut nullus plene scrutatur, aut rarus, et numerum possibilium solus Deus nouit,
de necessariis plerumque non modo incertum sed et temerarium iudicium est. Quis enim
nouit penitus, quid esse possit, aut non possit ? »
85. Sur ce point, voir C. Grellard, « Argumentation topique et production de la
croyance », op. cit., p. 233-235.
86. Metalogicon, II, 13, p. 76, 48-54 : « Vacillat itaque in naturalibus plerumque
corporalibus et mutabilibus dico ratio demonstrandi, sed in mathematicis efficacissime
conualescit. Quicquid enim in numeris, proportionibus, figuris, similibusque ab ea colligitur,
indubitanter uerum est, et aliter esse non potest. Itaque ad demonstrandi scientiam non
aspiret, cui probabilia nota non fuerint. »
87. Metalogicon, II, 14, p. 77, 10-19 : « Est autem probabile quod habenti iudicium
etiam a superficie innotescit, sic quidem in omnibus et semper, aut in paucissimis et
admodum raro aliter existens. Quod enim semper sic aut frequentissime, aut probabile
est, aut uidetur probabile, et si aliter esse possit. Tanto autem probabilius, quanto habenti
iudicium, facilius et certius innotescit. Sunt enim quaedam eo quod opinioni minus
familiaria sint, uix ascribuntur probabilibus. »
88. Metalogicon, II, 14, p. 77, 19-23 : « Siquidem si opinio tenuis iudicio uacillat
incerto. Si uehemens, transit in fidem, et ad iudicium certum aspirat. Si autem adhuc
eius uehementia inualescat, ut aut non protendi, aut parum possit, licet infra scientiam
sit, tamen scientiae quod ad certitudinem iudicii coaequatur. »
notes des pages 70 à 72 245

89. Metalogicon, II, 14, p. 77, 23-28 : « Quod quidem palam est auctore Aristotile, in
his quae sensu solo cognoscuntur et aliter esse possunt. Ignotum enim erit cum occiderit
sol, si adhuc feratur super terram, et in nostrorum sit emisperium reuersurus, eo quod
tunc cesset sensus per quem lationis eius habebatur scientia. »
90. Voir Policraticus, II, 18, p. 111, 149-155 : « In his uero quattuor speciebus
mathesis, id est doctrinalis, tota consistit, et quasi quattuor philosophiae limitibus mundanae
sapientiae perfectionem assequitur. Primus itaque gradus est ab arithmetica numerorum
uirtutem mutuare. Secundus proportionum gratiam a musica trahere. Tertius obtinere
scientiam a geometria mensurarum. Quartus idem que nouissimus ueram positionem
siderum assequitur et uim caelestium perscrutatur. »
91. Jean reconnaît avoir assez peu pratiqué le quadrivium durant ses études. Il l’a étudié
sous la direction de Hardouin l’Allemand. Voir Metalogicon, II, 10, p. 72, 49-51 : « et quae
ab aliis audieram ab eo cuncta relegi, et inaudita quaedam ad quadruuium pertinentia, in
quo aliquatenus Teutonicum praeaudieram Hardewinum. » Voir également le statut des
mathématiques dans l’Heuptatechon de Thierry de Chartres, examiné par M. Lejbowicz
dans « Le premier témoin scolaire des Éléments arabo-latins d’Euclide : Thierry de Chartres
et l’Heptateuchon », Revue d’histoire de sciences, 56/2, 2003, p. 347-368.
92. Metalogicon, IV, 6, p. 145, 2-12.
93. Metalogicon, III, 3, p. 111, 76 – 112, 101.
94. C. S. Peirce, Collected Papers, Harvard University Press, Cambridge, 1960, 8.
30. Voir B. Hendley, « John of Salisbury and the Problem of Universals », Journal of the
History of Philosophy, 8, 1970, p. 289-302. Cet article reste à ce jour le meilleur qui ait
été écrit sur la question. Dans sa dissertation de PhD, le même auteur propose quelques
rapprochements supplémentaires entre Peirce et Jean de Salisbury. Voir B. Hendley,
Wisdom and Eloquence, op. cit., p. 68-71.
95. Voir Policraticus, VII, 2, p. 96, 20-29 : « Talia [dubitabilia] quidem sunt quae
quaeruntur de statu uniuersalium. » Voir également la célèbre boutade dans Policraticus,
VII, 12, p. 141, 5-15 : « De generibus et speciebus nouam affert sententiam quae Boetium
latuit, quam doctus Plato nesciuit, et quam iste felici sorte in secretis Aristotilis nuper
inuenit. Veterem paratus est soluere quaestionem in qua laborans mundus iam senuit,
in qua plus temporis consumptum est quam in adquirendo et regendo orbis imperio
consumpserit Caesarea domus, plus effusum pecuniae quam in omnibus diuitiis suis
possederit Cresus. Haec enim tam diu multos tenuit ut, cum hoc unum in tota uita
quaererent, tandem nec istud nec aliud inuenirent ; et forte ideo quia curiositati non
sufficiebat in eis quod solum potuit inueniri. »
96. Entheticus, v. 1089-1090, p. 177 : « Principis haec tradit sapientum dogma
Platonis,/ a quo posteritas dogmata vera capit » ; Policraticus, VII, 6, p. 111, 23-26 :
« Sol e celo uisus est cecidisse qua die philosophorum princeps Plato rebus excessit
humanis, et quasi lucernam mundi extinctam defleuerunt qui ad thronum sapientiae, cui
ille diu praesederat, sua arbitrabantur studia referenda. »
97. Voir ci-dessus, p. 232, n. 13.
246 notes des pages 72 à 74

98. Voir par exemple, Metalogicon, II, 17, p. 83, 86-89 : « Est autem forma natiua,
originalis exemplum, et quae non in mente Dei consistit, sed rebus creatis inhaeret. Haec
Graeco eloquio dicitur idos, habens in se ad ideam, ut exemplum ad exemplar. »
99. Metalogicon, II, 17, p. 81, 37 – 82, 54 : « Eorum uero qui rebus inhaerent,
multae sunt et diuersae opiniones. […] Ille ideas ponit, Platonem aemulatus, et imitans
Bernardum Carnotensem, et nihil praeter eas genus dicit esse uel speciem. Est autem
idea sicut Seneca definit, eorum quae natura fiunt exemplar aeternum. Et quoniam
uniuersalia corruptioni non subiacent, nec motibus alterantur, quibus mouentur singularia,
et quasi ad momentum aliis succedentibus alia defluunt, proprie et uere dicuntur esse
uniuersalia. » Jean cite les Lettres à Lucilius, Ep. 58, 19. Sur l’influence de Sénèque sur
les conceptions de l’idée au xiie siècle, voir I. Caiazzo, « Sur la distinction sénéchienne
idea/idos au xiie siècle », Chôra. Revue d’Études anciennes et médiévales, 3-4, 2005-
2006, p. 91-116.
100. Metalogicon, IV, 35, p. 173, 15-34. Sur la question de Formes natives, héritées
de B. de Chartres, voir J. Jolivet, « La question de la matière chez Gilbert de Poitiers »,
Perspectives médiévales et arabes, Paris, Vrin, 2006, p. 131-141.
101. Entheticus, v. 381-404, p. 131 : « Forma quidem res est, ex qua res vera vocatur,/
unde fit, ut constet, quod sacra scripta docent./ Est idea boni verorum fons et origo, quorum
causa nitet in ratione Dei/ […]/ Ergo in forma nativa constat, agitve,/ quod natura manens
in ratione monet,/ esse sui generis, verum quid dicitur ; idque/ indicat effectus, aut sua
forma probat. » Voir également Metalogicon, IV, 33, 170, 21-26, où Jean explique que
la vérité d’une chose est l’accomplissement de son essence.
102. Saint Augustin, De diuersis quaestionibus octotrigenta tribus, q. 46, l. 26-30,
LLT-A : « sunt namque ideae principales quaedam formae uel rationes rerum stabiles
atque incommutabiles, quae ipsae formatae non sunt ac per hoc aeternae ac semper
eodem modo sese habentes, quae diuina intellegentia continentur. » Sur ce texte et sa
réception médiévale, voir notamment L. M. de Rijk, « Quaestio de Ideis. Some notes on
an important chapter of Platonism », Kephalaion. Studies in Greek philosophy and its
continuation, offered to professor C. J. de Voge, L. M. de Rijk et J. Mansfeld (dir.), Assen,
Van Gorcum, 1975, p. 204-213 ; et D. Doucet, « De ideis : Éclipse ou dissémination ?
Les Lectiones in Boethium De Trinitate attribuées à Thierry de Chartres (II, 35-67) »,
Revue Thomiste, 103, 2003, p. 363-384.
103. Voir Entheticus, v. 601-604, p. 145 : « Lex est causarum series : natura creata/
effectus causis assimulando parit ;/ causarum seriem disponit summa potestas/ in forma
numeri, ponderis, atque modi. »
104. Metalogicon, II, 20, p. 95, 351-359 : « Hoc idem de generibus et speciebus
protestari non uereor, quin mundo reclamante dicam quoniam a Deo sunt, aut omnino
nihil sunt. Clamat mecum et Dionisius Ariopagita, et numerum quod discernuntur, pondus
quo statuuntur, mensuram qua definiuntur omnia, Dei dicit imaginem. Siquidem Deus
sine numero numerus est, pondus sine pondere, sine quantitate mensura. In quo solo
creata sunt omnia quae facta sunt in numero, pondere, et mensura. »
notes des pages 74 à 77 247

105. Entheticus, v. 595-598, p. 145 : « Philosophos agiles agitat discussio rerum,/ ut


verum possint fonte videre suo./ Veri fons, idea boni, quod sunt, facit esse/ singula pro
generis conditione sui ». Egalement, v. 383-384, p. 131 : « Est idea boni verorum fons
et origo,/ quorum causa nitet in ratione Dei. »
106. Voir saint Augustin, De ciuitate Dei, XI, 3. Augustin reprend, bien entendu,
une thèse d’origine platonicienne. Voir Platon, République, VII, 515e-516b; Plotin,
Ennéades, I, 6.
107. Entheticus, v. 385-390, p. 131 : « Lux accensa nimis et non accensa caducis,/ ut
videant homines, se minuendo facit./ Nullus enim totam caperet ; se temperat ergo,/ ut
queat infirmus illius esse capax./ Haec eadem vero dat nomen participata,/ nam subiecta
sibi dicere vera potest. »
108. Voir Policraticus, III, 1, p. 174, 64 – 175, 70 : « Sic utique aut per naturam aut
per gratiam ad ueritatis agnitionem et scientiam eorum quae necessaria sunt unusquisque
potest accedere. Quodque magis mirere, quilibet quasi quendam librum sciendorum officio
rationis apertum gerit in corde. In quo non modo uisibilium species rerumque omnium
natura depingitur, sed ipsius opificis omnium inuisibilia Dei digito conscribuntur »,
Je reviens sur cette question ci-dessous, chap. 4. Le thème du cœur comme arche de
la sagesse est déjà présent chez H. de Saint-Victor, De tribus maximis, in W. Green,
« Hugues of Saint-Victor, De tribus maximis circumstantiis gestorum », Speculum, 18,
1943, p. 488.
109. Metalogicon, IV, 39, p. 179, 18-33. Voir les remarques sur le scepticisme chrétien
de Jean, ci-dessous, p. 85-106, où ce texte est cité et analysé (p. 250, n. 137). L’influence
de saint Augustin, notamment le De Magistro, p. 38-40, est ici manifeste.
110. Metalogicon, II, 17, p. 83, 80-84 : « Egerunt operiosus Bernardus Carnotensis,
et auditores eius, ut componerent inter Aristotilem et Platonem, sed eos tarde uenisse
arbitror, et laborasse in uanum, ut reconciliarent mortuos, qui quamdiu in uita licuit
dissenserunt. »
111. Voir Metalogicon, II, 20, p. 95, 351-359, cité ci-dessus, p. 246, n. 104. Sur la
connaissance du Pseudo-Denys par Jean, voir ci-dessus, chap. 1, p. 32.
112. Metalogicon, IV, 40, p. 181, 67-75 : « Vt autem ait Augustinus in libro de
ordine, Deus melius nesciendo scitur. […] Alibi quoque. Ignorantia Dei, eius uerissima
sapientia est. Et item. Non est parua scientia de Deo scire quid non sit Deus, quia quid
sit omnino sciri non potest. » Jean cite successivement le De ordine, II, 16, 44, Sermo,
117, 3, 5 et De Trinitate, VIII, 2, 3. Je reviens sur cette dimension du scepticisme de
Jean à la fin du présent chapitre.
113. Voir Metalogicon, II, 20, p. 96, 397-399 qui cite Aristote, Analytica Posteriora,
I, 22, 83 a 33 dans la traduction de J. de Venise. Néanmoins, Jean est conscient que cette
interprétation repose sur une erreur de traduction puisqu’il mentionne également la « noua
translatio » due à « Iohannes » et qui corrige monstra en cicadationes.
114. Metalogicon, II, 20, p. 85, 16-23 : « Qui autem ea esse statuit, Aristotili aduersatur.
Nec uerendum ut cassus sit intellectus, qui ea percipit seorsum a singularibus, cum tamen
248 notes des pages 77 à 81

a singularibus seorsum esse non possint. Intellectus enim quandoque rem simpliciter
intuetur, uelut si hominem per se intueatur aut lapidem, et ob hoc simplex est ; quandoque
gradatim suis incedit passibus, ut si hominem albere uel equum currere contempletur.
Et hic quidem dicitur esse compositus. »
115. Voir Policraticus, VII, 12, p. 141, 29 ; 142, 1 : « Sunt qui more mathematicorum
formas abstrahunt, et ad illas quicquid de uniuersalibus dicitur referunt. »
116. Lettre 238 (ca. 1167-1168), vol. 2, p. 450 : « Nosti pridem nominalium tuorum
eo michi minus placere sententiam, quod in sermonibus tota consistens utilitatem rerum
non assumpserit, cum rectum sapientibus indubium sit quod res quaerit philosophia, non
uerba. Vt ergo, compendiosus agam tecum meorum more realium, ex litteris quae nostro
Benedicto directae sunt colliges in quo calculo causa sacerdotii uersetur et regni. »
117. Voir C. H. Kneepkens, « Clerembald of Arras and the notionistae », in J. Biard
et I. Rosier (dir.), La Tradition médiévale des catégories, Louvain, Peeters, 2003,
p. 105-126.
118. Metalogicon, II, 20, p. 86, 46-53 : « Ergo ad significationem incomplexorum
per abstrahentem intellectum genera concipiantur et species, quae tamen siquis in rerum
natura diligentius a sensibilibus remota quaerat, nihil aget et frustra laborit. Nihil enim
tale natura peperit. Ratio autem ea deprehendit, substantialem similitudinem rerum
differentium pertractans apuds se, definitque sicut Boetius ait generale conceptum suum
quod de hominum conformitate perpendit, sic, animal rationale morale. »
119. Voir par exemple, Metalogicon, IV, 8-11 et Policraticus, II, 18.
120. Voir le passage du Policraticus, II, 18, p. 107, 18 – 109, 95, cité ci-dessus,
p. 242-243, n. 75-78.
121. Sur cette question, voir ci-dessous, p. 62-63.
122. Sur la notion de status et ses origines chez Pierre Abélard, voir, J. Marebon,
The philosophy of Peter Abelard, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 191-
197, et A. De Libera, « Abélard et le dictisme », Abélard. Le Dialogue. La philosophie
de la logique, Cahiers de la revue de théologie et de philosophie, 6, Genève-Lausanne-
Neuchâtel, 1981, p. 59-97.
123. Metalogicon, IV, 36, p. 175, 29-33 : « Nam penes essentiam Dei primitiua
ueritas, id est certitudo aut stabilitas, aut claritas est, et ab hac deriuatur quodam modo
quicquid in rebus fideliter dicitur uerum esse. Siquidem illi soli omnium tam rerum quam
sermonum cohaerentia uel discorhaerentia constat et certa est. »
124. Policraticus, II, 18, p. 108, 70-73 : « Porro cum res aliter quam sint componendo
inspicit, eo quod cassus est et a rerum ueritate deficiens, ad opinionis errorem uergit,
et si esse asserit uel non esse, pleno nomine opinio est. » La notion d’intellection vide
est centrale dans l’approche psychologique des universaux chez Pierre Abélard. Voir
le De intellectibus, op. cit., § 81, p. 78. Ce texte est analysé par A. De Libera, L’Art des
généralités, op. cit., en particulier p. 452-470.
125. Policraticus, VII, 2, p. 98, 17-29 : « Sunt autem dubitabilia sapienti quae nec
fidei nec sensus aut rationis manifestae persuadet auctoritas et quae suis in utramque
notes des pages 82 à 85 249

partem nituntur firmamentis. Talia quidem sunt quae quaeruntur […] de substantia et
forma uocis, de statu uniuersalium. »
126. Metalogicon, IV, 33, p. 170, 25-28 : « Est enim uerus homo cui uera inest
humanitas, id est conscia rationis et passibilitatis. Vera autem albedo est, quae albificat,
quae iustum facit, uera iustitia. »
127. Metalogicon, II, 20, p. 96, 389-412 : « Ergo ex sententia Aristotilis genera et
species non omnino quid sunt, sed quale quid quodam modo concipiuntur, et quasi quaedam
sunt figmenta rationis se ipsam in rerum inquisitione et doctrina subtilius exercentis. Et
hoc quidem fideliter, quia quotiens opus est agitationis suae manifestum in rebus producit
exemplum. Sic et ius ciuile sua figmenta nouit, et disciplina quaelibet ea per quae ipsius
procedat usus excogitare non erubescit, sed propriis quodam modo figmentis gaudet.
[…] Non autem sic dicitur genera et species exemplaria singularium, ut iuxta Platonici
dogmatis sensum formae sint exemplares quae in mente diuina, intelligibiliter constiterunt
antequam prodirent in corpora, sed quoniam siquis eius quod communiter concipitur
audito hoc nomine homo, aut quod definitur cum dicitur homo esse animal rationale
mortale quaerat exemplum, statim ei Plato aliusue hominum singulorum ostenditur, ut
communiter significantis, aut definientis ratio solidetur. »
128. Jean utilise le terme figmentum que l’on pourrait traduire par « création ». Yan
Thomas propose, dans le cas du droit, de traduire par « forgerie » (Y. Thomas, « Fictio
legis. L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », in Les Opérations du
droit, Paris, EHESS – Gallimard – Le Seuil, 2011, p. 158). Pour conserver l’équivalence
entre les trois disiplines concernées, droit, poésie, philosophie, je préfère utiliser le terme
plus générique de fiction.
129. Policraticus, II, 18, p. 108, 62-70 : « Disiuncta coniungit ut si humano capiti
ceruicem iungat equinam, uarias inducens undique plumas, ut iuxta poetam, turpiter
atrum desinat in piscem mulier formosa superne. Hunc uero ad auditores suos uerbo
traiciunt poetae cum hircoceruum, centaurum describunt et chimaeram. Coniuncta
uero disiungit ut si formam teneat absque materia, cum tamen sine ea forma omnino
esse non possit nisi forma essendi et ei adhaerentes formae formarum ex quibus illae
fluxerunt quae in materia sunt et corpus efficiunt. » Jean cite Horace, Art poétique,
3, 4.
130. Voir M. D. Chenu, « Involucrum. Le mythe selon les théologiens médiévaux »,
Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 22, 1955, p. 75-79, E. Jeauneau,
« L’usage de la notion d’integumentum à travers les Gloses de Guillaume de Conches »,
Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 24, 1957, p. 35-100. Voir
ci-dessous, chap. 3, p. 142.
131. Sur la notion de fiction en droit, voir Y. Thomas, « Les artifices de la vérité en
droit commun médiéval », L’Homme, 175-176, 2005, p. 113-130.
132. Voir le texte cité ci-dessous, chap. 3, p. 130 et 271, n. 84.
133. Voir ci-dessus p.  40-42, l’analyse du premier chapitre du livre VII du
Policraticus.
250 notes des pages 86 à 88

134. Voir par exemple Jean de Salisbury, Metalogicon, IV, 39, p. 179, 28-29 : « Porro
haec in Deo unum quia Ratio et Verbum aeternum de se dicit : ego sum veritas. » Jean
cite Jn, 14, 6 qui constitue le fondement de la théorie augustinienne de l’illumination.
Voir saint Augustin dans De magistro, § 38.
135. Entheticus, § 44, v. 629-640, p. 147 : « Est hominis ratio summae rationis
imago,/ quae capit interius vera docente Deo./ Ut data lux oculis tam se quam cetera
monstrat,/ quae sub luce patent et sine luce latent,/ claraque fit nubes concepto lumine
solis,/ cum dependantes flatus abegit aquas,/ subdita sic ratio formam summae rationis/
sordibus expulsis induit, inde micat./ Tunc mens tota nitet, et vero lumine plena/ res
falsa abigit, et bona vera colit./ Sicut nemo potest aliquid nisi luce videre,/ sic hominis
ratio caeca fit absque Deo. »
136. Metalogicon, IV, 36, p. 175, 25-27 : « Vnde quia Deum falli impossibile est,
procul dubio constat quoniam quo fidelior est eius scientia et certior, eo minus falsa
comprehendit. »
137. Metalogicon, IV, 40, p. 179, 14-17 : « Est autem primaeua ueritas, in maiestate
diuina ; alia uero est quae in diuinitatis consistit imagine id est in imitatione. Omnis
enim res tanto uerior est, quanto imaginem Dei fidelius exprimit, et quanto ab ea magis
deficit, tanto falsior euanescit. »
138. Policraticus, VII, 2, p. 97, 12-14 : « Nam sicut ab eo quod notum est notio,
sic et ratio ab eo quod ratum est, id est certum et firmum, grammatice denominatur » ;
Metalogicon, IV, 30, 167, 28-30 : « Sed ratio uera non est, nisi sit certa et firma eo quod
ratio nomen firmitudinis est. Nam et ratum non dicitur, nisi quod firmum est. » Voir I. de
Séville, Etymologia, V, 24, 21.
139. Voir Metalogicon, IV, 31, p. 168, 4-9 : « …primitiua quaedam ratio est quae
sua uirtute res omnes tam coporales quam intelligibiles comprehendit, et naturam et
uim singulorum plene fideliterque, id est adsque omni errore examinat. Hanc siue
sapientiam siue uirtutem Dei dixero, et rerum omnium firmitudinem esse, procul dubio
non errabo. »
140. Policraticus, II, 20-26, p. 118-147. L’ensemble de ces chapitres, par-delà leur
dimension sceptique, dépend très fortement des thèses développées par Boèce dans
la Consolation de Philosophie. Sur ce point, voir C. Grellard « John of Salisbury and
Theology », op. cit.
141. Policraticus, II, 19, p. 116, 150-152 : « Longe uero commodius in caelum
ascendunt astrologi qui Academicorum more quicquid eis occurit probabile suo iure
defendant. »
142. Policraticus, II, 11, p. 89, 5-12 : « Ea tamen quae hic praenuntiantur sine praeiudicio
sententiae melioris ea intelligenda arbitror quae in his contra naturam fiunt, quale est quod
in passione Domini sol obscuratus, uelum scissum, petrae ruptae, aperte monumenta, et
sanctorum qui dormierant corpora surrexerunt. Naturalis etenim eclipsis esse non possit
nisi quae lunaris corporis obiectu contingit, cum constet pridie lunae quartam decimam
extitisse. » Sur la théorie des miracles, voir ci-dessous, la question de l’apologétique.
notes des pages 89 à 91 251

143. Policraticus, II, 19, p. 115, 118 – 116, 139 : « Verum mathematici uel planetarii,
dum professionis suae potentiam dilatare nituntur, in erroris et impietatis mendacia
perniciossime corruunt. […] Vide in quantam erroris abyssum ab ipsis caelestibus cadant.
Constellationibus suis ascribunt omnia. Tu uideris an ei fiat iniuria qui fecit caelum et
terram et omnia quae in eis sunt. Deinde ea constellatio rebus necessitatem indicit ut
arbitrii perimat libertatem. »
144. Policraticus, II, 22, p. 126, 28 – 127, 1 : « Malo cum Academicis, si tamen
alia uia non pateat, de singulis dubitare quam perniciosa simulatione scientiae quod
ignotum vel absconditum est temere diffinire, praesertim in quo assertioni meae fere
totus aduersabitur mundus. Eoque libentius Academicos audio quod eorum quae noui
nichil auferunt, et in multis faciunt cautiorem. »
145. Voir Policraticus, II, 21, p. 119, 6 – 120, 18 : « Sed ecce iam alterius difficultatis
subcrescunt cornua, et, quocumque me uertam, errore uideor inuoltus. Si enim quae
non sunt nec erunt esse possunt, profecto aut Deus potest scire quod non scit, aut eo
ignorante potest aliquid euenire. […] Si ergo Deus potest scire quod non scit, potest
utique et non scire quod scit, eo quod contraiacentium simul nulla possit esse scientia,
cum alterum eorum semper, eo quod ueritatis substantia careat, sit obnoxium falsitati.
Porro mendaciorum nulla scientia est. Quomodo ergo scientia immutabilis est cui
decessus rerum potest fieri et accessus, quae potest ignorare quod scit aut scire quod
nescit ? »
146. Policraticus, II, 21, p. 116, 21 – 27 : « Hoc equidem nec gentilium error circa
sua non tam numina quam daemonia dignabatur admittere, qui Stigiam paludem diis
peruiam esse negabant, dicentes eam omnibus uenerandam et usquequaque illicitaem a
caelestibus praeteriri. Mentes namque caelestium obliuio non contingit. Numquid ergo
fides recipiet quod de Deo uel ipsa perfidia abhorret ? » La connaissance infaillible
du vrai, y compris futur, par les dieux est défendue par les Stoïciens, et critiquée par
les Académiciens, qui défendent l’incapacité des dieux à connaître avec certitude des
événements futurs contingents. Jean ne connaissait sans doute pas les textes où Cicéron
aborde ce point (De Fato, De diuinatione), mais il pouvait avoir accès au résumé partisan
qu’en donne Augustin, De ciuitate Dei, V, 9-10.
147. Policraticus, II, 21, p. 121, 41-51 : « Manet itaque usquequaque immobilis
integritas scientiae Dei, et si quid uarietatis alicui inest, non tam scientis quam scitorum
mutabilitas est. Licet enim quae scientia Dei complectitur mutabilitati subiaceant, ipsa
tamen alterationis uices ignorat, et uno singulari aspectu et indiuiduo omnium quae dici
aut quocumque sensu excogitari possunt uniersitatem claudit et contine, adeo equidem
sine motu ut localia sine loco, nascentia sine initio, decedentia sine fine, fluctuantia sine
alteratione, temporalia sine mutabilitate aut mora, sic uniformiter comprehendat ut ei
nec praeterita transeant nec futura succedant. »
148. Sur la question des universaux, voir ci-dessus, p. 71-85.
149. J. Marenbon, Le Temps, l’éternité et la préscience de Boèce à Thomas d’Aquin,
Paris, Vrin, 2005, p. 38-39.
252 notes des pages 91 à 92

150. Policraticus, II, 22, p. 127, 61 – 130, 138 : « Homo siquidem si quid prouidet
futurorum, statim mentem eius quidam motus aggreditur ut animus quadam applicatione
sui ad aliud, apud se futuri operis speciem praefiguret, eandemque plerumque nunc
quasi in archiuis memoriae depositam reponit, nunc quasi in specula natiuae puritatis
replicat et reuoluit. Facilius enim est motum hunc ab animo omnino deficere quam
contemplatione iugi animo inhaerer. Et quidem hic motus, si non prouidentia est, aut
prouidentiam parit, aut ei cuiuscumque foederis notitia uicinatur. Cum uero motus
praecedens et ex eo concepta species futuri operis sequela frustratur, inanis est agitatio
mentis et quasi umbra in somnis sine ueritate euanescit. […] Si tamen contingentium
futurorum ulla potest esse scientia, quamuis sit indubitata opinio quae scientiam
probabiliter imitatur. »
151. Entheticus, § 72, v. 1093-1108, p. 177 : « Res ut sunt, plene novit divina potestas ;/
angelus assistens plurima vera videt ;/ spiritus immundus natura pollet et usu,/ doctus et a
sanctis plura videre solet./ Fallitur in multis privatus luminis usu,/ et pater erroris fallere
semper amat./ Corpora detrusas animas in carcere caeco/ culpaque sublato lumine scire
vetant:/ culpa, caro tenebras inducunt, lumina pellunt,/ nec miseras animas cernere vera
sinunt./ Lux oculos pascit, rationem visio veri:/ hi fugiunt tenebras, haec quoque falsa
cavet./ Est oculus menti ratio, pro lumine verum,/ usum cernendi lumina scire vocant./
Ingenio, studiis verum quaeratur, et arte ;/ praeter opinari non habet ullus homo. »
152. C’est le leitmotiv de la philosophie de saint Augustin. Voir par exemple, De
ciuitate Dei, XII, 6.
153. Metalogicon, IV, 33, p. 170, 6-10 : « At humana infirmitas quae tam ex condicione
naturae quam merito culpae multis patet erroribus, immo et capta labitur, a prima et
secunda puritate degenerat in examinatione rerum. »
154. Metalogicon, IV, 33, p. 170, 3-6 : « Natura uero angelica quae noxio corpore
non tardatur, et diuinae puritati familiarius inhaeret, rationis incorruptae, uiget acumine,
et licet non aequaliter Deo cuncta examinet, ea rationis praerogatiua ditatur, ut nullo
supplantetur errore. » Voir également Metalogicon, IV, 38, p. 178, 13 où la virtus
angelica est présentée comme parfaite par nature, et Metalogicon, IV, 39, p. 178, 3-4 :
« Veritas autem lux mentis est et materia rationis. Hanc Deus uniuersaliter, angelus
particulariter intuetur. »
155. Metalogicon, IV, 36, p. 175, 33 – 176, 39 : « Homo uero quantuscumque affectat
quidem certiorari, eo quod amor ueritatis cognatus et innatus est rationi, et ut ait Martianus,
cum Philologia illam existentem, ex non existentibus ueritatem toto pectore deprecatur.
Haec utique aliunde non prouenit quam si aliqua stilla diuinae sapientiae per gratiae
eliquationem se ipsam infundat, et mentem se quaerentis et amantis illustret. »
156. Metalogicon, IV, 34, p. 171, 9-15 : « Nos autem non semideos qui nulli sunt,
sed nec heroes ob perfidiae notam aliquos dicimus, sed translationem electorum quae
fit a fluctuatione et uanitate mundana ad gloriam uerae certitudinis et firmae stabilitatis,
uerbo significamus catholico. Eos namque a confirmatione quam adepti sunt, sanctos
appelamus. Siquidem sancire confirmare est, et sanctus confirmatus in uirtute gloria. »
notes des pages 93 à 96 253

157. Voir Metalogicon, IV, 39, p. 179, 14-17 : « Est autem primaeua ueritas, in
maiestate diuina ; alia uero est quae in diuinitatis consistit imagine, id est in imitatione.
Omnis enim res tanto uerior est, quanto imaginem Dei fidelius exprimit, et quanto ab ea
magis deficit, tanto falsior euanescit. »
158. Metalogicon, IV, 40, p. 179, 3-6 : « Si huc Peripateticorum tendit intentio, ut
omni uanitate reiecta ueritatem rerum agnoscat, et tota ratione ueritatem Dei quaerat,
ueneretur et colat, non inutiliter laboratur. Alioquin, opera perit et impensa. »
159. Metalogicon, IV, 40, p. 179, 6 – 180, 13 : « Sed quia multa sunt quae praepediunt
intelligentiam, utpote inuicibilis ignorantia eorum, quae ratione expediri non possunt,
sicut sunt Sanctae Trinitatis arcana, et item fragilitas condicionis, uita breuis, utilium
negligentia, occupatio inutilis, probabilium conflictus opinionum, culpa quae lucem
demeretur, et tandem numerositas, et immensitas inuestigabilium, adeo obductum est
cor humanum, ut ad ueri notitiam raro possit accedere. »
160. Metalogicon, IV, 41, p. 181, 2-6 : « Cum ergo sciri quaedam non possit prae eminentia
dignitatis, quaedam prae multitudine, aut magnitudine quantitatis suae, quaedam propter
inconstantiam et lubricitatem sui, cui potissime insistendum sit et quid maxime expediat,
Ecclesiasticus docet. Altiora inquit te ne quaesieris, et fortiora te ne scrutatus fueris. »
161. Voir Metalogicon, IV, 40, p. 181, 61-62 : « Quam utique nec plene nosse
permittit immensitas sui. »
162. Jean avait, bien entendu, une connaissance très limitée d’Héraclite, et des
textes anciens faisant référence au principe héraclitéen de mutabilité universelle. La
thèse du mouvement universel est citée par Arisote dans Topica, I, 11, 104, b19-21
(voir Metalogicon, II, 15, 79, 36-39 et III, prol. p. 102, 54-59). C’est par commodité
que j’appelle ainsi cette forme de scepticisme (que l’on trouve aussi chez Augustin)
qui découle de la contingence d’un sensible jamais fixé, mais toujours en mouvement.
Voir P. Porro, « Sextus latinus e l’immagine dello scetticismo antico nel medioevo »,
Elenchos, 2, 1994, p. 229-252.
163. Sur la double question de l’aliénation et du retour en soi, voir ci-dessous,
chap. 4, p. 178-192.
164. Metalogicon, IV, 40, p. 180, 13-18 : « Sed in his octo quae proposita sunt, nihil
adeo pro mea opinione scientiam eorum quae expediunt impedit, sicut culpa quae separat
inter nos et Deum, et fontem precludit ueritatis, quem tamen ratio sitire non cessat. Cor
meum inquit mens suorum conscia peccatorum dereliquit me, et lumen oculorum meorum
et ipsum non est mecum (Ps 37, 11). »
165. Voir ci-dessus, p. 41-43.
166. Metalogicon, IV, 41, p. 182, 20-24 : « Quia enim de radice sensuum, qui
frequenter falluntur, scientia manat, et decepta infirmitas quid expediat parum nouit, data
est per clementiam Dei lex quae utilium scientiam aperiret, et indicaret de Deo quantum
sciri licet, aut quantum expedit quaerere. »
167. Je reviendrai en détail sur le rôle de la croyance comme substitut de la science
à la fin du chapitre 4, p. 202-207.
254 notes des pages 96 à 98

168. Metalogicon, IV, 41, p. 182, 30-33 : « Hinc est illud Philonis in libro Sapientiae :
qui confidunt in Domino intelligent ueritatem, et fideles in dilectione adquiescent illi,
quoniam donum et pax est electis Dei. » Jean cite Sagesse, 3, 9.
169. Si le terme est fréquemment le même au Moyen Âge, à savoir astrologia, Jean
de Salisbury les distingue en utilisant mathesis, qui renvoie à l’une ou à l’autre selon
la place de l’accent. Voir Policraticus, II, 18, p. 106, 13 – 107, 18 : « Mathesim ergo
probabilem, quae paenultima breui enuntiatur, quam et natura inducit, ratio probat, et
utilitatis experientia approbat, quasi quoddam doctrinae suae iaciunt fundamentum, ut
exinde opinionum suarum lubrico quasi quadam imagine rationis in mathesim reprobam,
quae profertur extensa paenultima, perniciosissime prolabantur. »
170. Policraticus, II, 29, p. 169, 2 – 170, 22 : « Licet tamen de futuris ut aliquis
consulatur, ita quidem si aut spiritu polleat prophetiae aut ex naturalibus signis quid
in corporibus animalium eueniat phisica docente cognouit aut si qualitatem temporis
imminentis experimentorum indiciis colligit ; dum tamen his posterioribus nequaquam
quis ita aurem accomodet ut fidei aut religioni praeiudicet. […] Sed in his facile labi
possunt, quia quanticumque ingenii uires citra profunditatem difficultatis quae in his
uertitur subsistunt. Vbi uero deficit intellectus, fidei ratione deducta quae media est,
restat sola opinio. »
171. L’analogie entre l’astrologue et le sophiste est explicite au début du chapitre 18,
p. 106, 11 – 107, 18 (le texte est cité ci-dessus, n. 169). De même que le sophiste part
du vrai et utilise les outils de la logique démonstrative et de la dialectique pour se
donner les apparences de la raison, l’astrologue part d’observations fiables, et utilise
les outils mathématiques de l’astronomie pour se donner l’apparence de la vérité et de
la rationalité.
172. Policraticus, II, 1, p. 72, 12-13 : « Phisica etenim dicunt cuius occultissima
ratio est, ut humano sensu nequeat comprehendi. » Si l’on en croit le tableau dressé par
J. Bylebyl, « The Medical Meaning of Physica », in M. R. McVaugh et N. G. Siraisi,
Renaissance Medical Learning : Evolution and Tradition, Osiris, 2nd ser. 6, 1990,
p. 16-41, l’association de la notion de phisica avec l’idée de cause cachée n’est pas des
plus fréquentes.
173. Sur la définition de la magie, et la classification de ses diverses espèces par
Jean de Salisbury, voir J. P. Boudet, Entre science et nigromance, Astrologie, divination
et magie dans l’Occident médiéval (xiie-xve siècle), Publications de la Sorbonne, Paris,
2007, p. 89-107.
174. Plato, Timaeus a Calcidio translatus commentarioque instructus, p. 20, 15 ;
21, 3 : « Est igitur, ut mihi quidem uidetur, in primis diuidendum, quid sit quod semper
est, carens generatione, quid item quod gignitur nec est semper, alterum intellectu
perceptibile ductu et inuestigatione rationis, semper idem, porro alterum opinione cum
inrationabili sensu opinabile propterea que incertum, nascens et occidens neque umquam
in existendi condicione constanti et rata perseuerans. Omne autem quod gignitur ex
causa aliqua necessario gignitur; nihil enim fit, cuius ortum non legitima causa et ratio
notes de la page 98 255

praecedat. Operi porro fortunam dat opifex suus; quippe ad immortalis quidem et in statu
genuino persistentis exempli similitudinem atque aemulationem formans operis effigiem
honestum efficiat simulacrum necesse est, at uero ad natiuum respiciens generatum que
contemplans minime decorum. »
175. Policraticus, II, 1, p. 72, 14-17 : « Nichil etenim est uel fit cuius ortum legitima
causa et ratio non praecedant, et, ut alius ait, nichil fit in terra sine causa. Constat itaque
quia artificis naturae manum nichil euadit. Ex quo consequenter patet ad phisicam omnia
pertinere. »
176. Policraticus, II, 12, p. 91, 3-11 : « Si uero Platonem sequimur qui asserit naturam
esse Dei uoluntatem, profecto nichil istorum euenit contra naturam, cum ille omnia
quaecumque uoluit fecerit. Ille quidem dum rerum causas exequitur, finem omnium
diuinam astruit bonitatem. Optimus est, inquit, porro ab optimo longe relegata est omnis
inuidia. Itaque consequenter cuncta sui similia, prout natura cuiusque beatitudinus capax
esse poterat, effici uoluit, quam quidem Dei uoluntatem certissimam rerum originem esse
si quis ponat, recte eum putare consentiam. » Jean cite Platon, Timée, 29e-30a.
177. Policraticus, II, 2, p. 74, 28 – 75, 40 : « Nec mirum cum et grauiorum animalium
corpora ad exteriorum motus frequentissime disponantur et archano quodam naturae
consilio gerant elementis necessarium morem. Quae enim animalium corporibus bona uel
mala immineant si se temporaliter uel extemporaliter reddiderint tempora, ars phisicorum
regulis suis satis probabiliter comprehendit. Futuram etiam sanitatem aut aegritudinem
aut statum quem dicunt neutralitatem, fatalitatem quoque ipsam ex praecedentibus signis
agnoscunt, et interdum si causas nouerint, efficacissime curant. Si uero, ut uerbo eorum
utar, causas ignorant, quomodo curant ? Non utique artis beneficio sed fortunae. Iudicium
uero quod ex signorum cognitione proferunt, etsi difficile, saepe uerissimum est. »
178. Policraticus, II, 3, p. 76, 3-11 : « Quae uero in sole et luna secundum naturam
signa contigerint certissima sunt et auctorum multorum testimonio comprobata. Solem
dicere falsum quis audeat ? Quotiens ergo sol in caelo uidebitur geminari, inundationem
aquarum subiectus orbis expectet. Et licet a raritate sui miraculis uideatur accedere, opus
tamen naturae est, quae quidem soles non geminat sed nubem simillimam facit uocaturque
parelion. Est etenim parelion nubes similllima soli, signum quidem commune multis
etsi non generale. » On retrouve ici les critères de l’induction définis par ailleurs par
Jean de Salisbury : la connaissance scientifique obtenue par induction doit reposer sur
des témoignages multiples qui permettent, idéalement, de mettre au jour une quasi-loi
de la nature en identifiant les causes du phénomène. Que ce ne soit qu’une quasi-loi de
la nature, en raison de l’incertitude de notre connaissance des causes, Jean le souligne
en conclusion de ce chapitre, p. 76, l. 15-19 : « Sed quae et quomodo quaue de causa,
iudicium quidem difficile est et frequenter incertum et saepe altius quam ut ab homine
ualeat expediri. »
179. Sénèque, Quaestiones naturales, P. Oltramare, Paris, Les Belles Lettres,
1929, I, 11, 3, p. 38 : « Sunt autem imagines solis in nube spissa et incurua in modum
speculi. Quidam parhelion ita definiunt: nubes rotunda et splendida similisque soli.
256 notes de la page 99

Sequitur enim illum nec umquam longius relinquitur, quam fuit, cum apparuit. Num
quis nostrum miratur, si solis effigiem in aliquo fonte aut placido lacu uidit ? Non, ut
puto. Atqui tam in sublimi facies eius quam inter nos potest reddi, si modo idonea est
materia, quae reddat. »
180. Policraticus, II, 27, p. 164, 491-494 : « Porro Spiritus Sanctus disciplinae effugit
fictum, et corpus peccatis subditum sui esse habitaculum dedignatur. Quicquid uero
huiusmodi agatur, fictitium est et phantasticum et ueritatis substantiam nescit. »
181. Jean définit les hérétiques et les superstitieux comme ceux qui s’adonnent à
des religions fausses et vénèrent les démons. Cf. Policraticus, II, 15, p. 97, 108-113 :
« Sicut enim catholicae religionis uiri uero Deo eisque quae munere eius sacra sunt
piam uenerationem impedunt, ita haereticae et superstitiosae religionis homines fictus
numinibus, immo potius ueris daemonibus et execrabilibus sacris eorum non debitam
reuerentiam, quae nulla est, sed turpissimum exhibent famulatum. »
182. Les spéculaires sont les devins qui s’appuient sur des miroirs (ou des surfaces
équivalentes) pour prévoir le futur. Policraticus, I, 12, p. 59, 51-55 : « Specularios uocant
qui in corporibus leuigatis et tersis, ut sunt lucidi enses, pelues, ciathi, speculorum
que diuersa genera, diuinantes, curiosis consultationibus satisfaciunt; quam et Ioseph
exercuisse aut potius simulasse describitur, cum fratres argueret surripuisse ciphum in
quo consueuerat augurari. »
183. Policraticus, II, 28, p. 166, 40-51. Sur le rapport entre divination et démons,
voir Augustin, De ciuitate Dei, VIII, 23-27.
184. Policraticus, II, 1, p. 73, 55-56 : « His uero nugis mens incauta seducitur sed fidelis
nequaquam adquiescit. » Voir aussi, Policraticus, II, 1, p. 71, 2-4 et 17, p. 102, 2-9.
185. Policraticus, II, 28, p. 167, 85 – 168,103. On trouvera une analyse de ce fameux
chapitre du Policraticus dans Boudet, Entre science et nigromance, op. cit., p. 101-106.
186. Policraticus, II, 1, p. 73, 34-37 : « Infideles autem et reprobos aut etiam haesitantes
in fide multis permittit ludificationibus subiacere. Omnia tamen omina tantum possunt
quantum excipientis fides permittit. » Sur la notion d’efficacité symbolique, voir C. Lévi-
Strauss, « L’efficacité symbolique », Anthropologie structurale, Plon, 1958, chap. 10,
p. 205-226, en particulier, p. 223-225, ainsi que « Le sorcier et sa magie », ibid., chap. 9,
p. 197-200. Voir aussi les analyses de Jeanne Favret-Saada dans Les mots, la mort, les
sorts, Paris, Gallimard, 1985.
187. Policraticus, II, 1, p. 72, 17 – 73, 34 : « Ego quidem, quocumque modo ista
se habeant, indubitanter credo illa sola non esse respuenda quae ex fide proueniunt et
referuntur ad gloriam omnipotentis Dei, cum scriptum nouerim omnia quaecumque in
opere uel inuerbo feceritis, in nomine Domini facite in quo solo uia hominis prosperatur.
Sic omnium sanctorum turba praecessit. Cuthbertus, signifer quidam gentis nostrae in lege
Domini, euangelium Iohannis superonebat infirmis et curabantur. Beati Stephani tunica
superposita mortuum suscituit. Symbolum apostolorum daemoniacum a quo gestabatur
curauit. Oratio dominica herbis dum legebantur aut dabantur ex fide dicta saepissime
contulit optatum salutis effectum. Beatus Benedictus signo crucis uas mortiferum
notes des pages 100 à 101 257

fregit ac si pro signo lapidem intorsisset. Capitula euangelii gestata uel audita uel dicta
inueniuntur profuisse quam plurimis. […] Haec equidem et similia non modo licita sed
et utilissima sunt. Alia uero non tam contemnenda quam fugienda. Certum siquidem est
quod diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. »
188. Voir saint Augustin, De utilitate credendi, 16, 4. Sur le statut des miracles au
Moyen Âge, voir P.-A. Sigal, L’Homme et le Miracle dans la France médiévale (xie-
xiie siècle), Paris, Le Cerf, 1985, en particulier p. 35-45 sur les reliques. Un survol des
différentes positions théoriques sur le miracle est proposé par M. E. Goodich, Miracles
and Wonders. The Development of the Concept of Miracle, 1159-1350, Aldershot –
Burlington, Ashgate, 2007, notamment, chap. 2, p. 8-28.
189. Voir par exemple, Policraticus, VIII, 21, p. 386, 2-12 : « Cum autem adhuc
pueri Gallus et Iulianus ad sepulturam Mammae martiris opere inter se diuiso certatim
basilicam fabricarent, res dictu mirabilis et forsitan incredibilis accidisse narratur. […]
Res prodigiosa uisa est omnibus existimantibus quia non esset uir ille in Christiana
religione salubris. Nec falso ; quod patuit ex post facto. »
190. Policraticus, II, 12, p. 91, 3-6. Cité p. 255, n. 176.
191. Policraticus, II, 24, p. 139, 41-45 : « Qui enim sideribus legem dedit, qui curricula
temporum uoluntatis suae freno moderatur, qui rerum momenta temporus suis accomodat,
quando uult quomodo uult, nouum stupente natura aut rarum potest producere effectum
ex causis concurrentibus quae aliter parere consueuerant. »
192. Policraticus, II, 21, p. 124, 133-135 : « Cum uero ipsa ab aeternitatis suae statu
moueri non possit, contingentium seriem ab omni nexu necessitatis absoluit. »
193. Policraticus, II, 24, p. 139, 41-45 : « Qui enim sideribus legem dedit, qui
curricula temporum uoluntatis suae freno moderatur, qui rerum momenta temporibus
suis accommodat, quando uult et quomodo uult, nouum stupente natura aut rarum potest
producere effectum ex causis concurrentibus quae aliter parere consueuerant. » Voir
aussi l’exemple de la production du vin, que Jean reprend à Saint Augustin : « Humor
siquidem de intimis terrae uisceribus ab arborum uel uinearum radicibus appetitiua
quadam uirtute attrahitur, deinde quadam distributione naturae digeritur per plantarum
membra, et cum sua decoctione profecerit, turgescit in surculos, et quo ad sustentationem
sui non indiget, in folia et fructus emittit, qui, cum maturuerin, in musta despumant, et
sic per interualla temporum consueto usu uina parturiunt. Si uero occulta dispositine Dei
quibusdam naturae cuniculis digestus et maturatus humor absque temporis interstitio
inopinatum uertatur in uinum, miraculum quidem est quia altitudo diuinae dispensationis
nostrum transscendit intellectum » (Policraticus, II, 12, p. 91, 19 – 92, 29). Il s’agit d’une
référence à De Genesi ad litteram, VI, 15.
194. Policraticus, II, 29, p. 170, 31-36 : « Cum eos audio, uidentur michi posse
mortuos suscitare, nec Aesculapio Mercurioue creduntur inferiores. Verumtament in eo
magna mentis admiratione distrahor et pertubor quod a se ipsis tanto uerborum conflictu
et collisione rationum dissiliunt et discordant. Vnum profecto scio, contraria simul uera
esse non posse. »
258 notes des pages 101 à 104

195. Lettre 305 (à Jean de Canterbury, évêque de Poitiers, 1171), vol. 2, p. 736 :


« ubi ad gloriam omnipotentis Dei per eum multa et magna miracula fiunt, cateruatim
confluentibus populis, ut uideant in aliis et sentiant in se potentiam et clementiam eius
qui semper in sanctis suis mirabilis et gloriosus est. […] Quae profecto nulla ratione
scribere praesumpsissem, nisi me super his fides oculata certissimum reddidisset ». Voir
également la Vita beati Thomae, 28, 204 : « Ubi ad gloriam omnipotentis Dei permulta et
magna fiunt miracula, catervatim confluentibus populis, ut videant in aliis et sentiant in
se potentiam et clementiam eius, qui semper in sanctis suis mirabilis et gloriosus est. »
196. Lettre 325 (à Richard, archevêque de Canterbury, 1177), vol. 2, p. 803-807.
197. Il me semble, donc, difficile de suivre Roger Ray (« Rhetorical Scepticism
and Verisimilar Narrative in John of Salisbury’s Historia Pontificalis », in E. Breisach,
Classical Rhetoric and Medieval Historiography, op. cit., p. 61-102, 71-72) qui voit une
évolution entre la critique des miracles dans le Policraticus, et l’attitude crédule ou du
moins acritique de Jean face aux miracles becketiens dans les Lettres. Dans toute l’œuvre
de Jean coexistent ces deux aspects, critique et apologétique, du scepticisme.
198. Lettre 323 (à Odon, prieur de Canterbury, s.d.), p. 796-798 : « Omnem tamen
curationi suae adhibuerat diligentiam ; sollicitauerat medicos, nec profecerant illi.
Circuierat loca sanctorum Franciae et tandem Minoris Britanniae, quibus gratia curandi
morbum istum collata creditur, et totius consolationis expers ad propria reuersus est. Quid
multa ? Tandem auditis miraculis sancti Thomae, Cantuariam profectus obtinuit ut stilla
sacri liquoris uulneribus eius infunderetur. » Voir également, Lettre 308 (à Guillaume,
archevêque de Sens, 1171) p. 750 : « Siquidem iam adeo ad memoriam martiris inaudita
miracula crebuerunt ut, si alias audita illic prouenerint, uix censeantur illius miraculis
ascribenda. Sicut enim in omni conditione nobilis animus studuit conuiuentibus praeminere,
sic nunc (ut aliorum sanctorum pace dixerim) alios, de quibus legerum uel audierim, in
miraculorum exhibitione praecedit. Quod ideo facile crediderim prouenisse, ut fidem
in pluribus orbis nostri partibus non tam sopitam quam fere extinctam pius Dominus
excitaret, spem erigeret, solidaret caritatem, et obstrueret ora iniquorum, qui sancto uiro
detrahebant in uita et odio personae causam Christi persequebantur. » Cette abondance
de miracles qui atteste de l’efficacité du saint n’est pas sans analogie avec la méthode
d’argumentation probabiliste qui repose sur l’accumulation des arguments.
199. C’est le cas par exemple d’un païen comme Archita Tarentinus. Voir Policraticus,
I, 4, p. 37, 229-232. Jean s’inspire ici de Cicéron, De senectute, § 39.
200. Policraticus, II, 15, p. 97, 117 – 98, 125.
201. Policraticus, VII, 7, p. 115, 24 – 116, 2 : « Hic tamen nequaquam agitur de
his quae ad cultum religionis pertinent, quoniam et ibi nonnulla quodammodo petuntur
quae, ut fides amplius mereatur, experientiam rationis excedunt ; sed haec ipsa, etsi
ration non urgeat, debentur pietati. Vt enim sacramentis, ubi ratio deficit, adhibeatur
fides, multis beneficiis magnisque miraculis promeruit Christus cui non credi impium
est, sicut a probabilibus dissentire pertinaciter est proteruum. » Voir aussi, Policraticus,
II, 12, p. 92, 33-38 : « Non tamen mirabilium Dei fidem uel auctoritatem infringo, sed
notes des pages 105 à 106 259

altitudinem diuitarium sapientiae et scientiae suae plena humilitate ueneror et admiror,


sciens quia quod stultum est Dei, sapientibus est hominibus. In multis etenim labi,
humana infirmitas est, sicut in nullo aliter sentire quam res se habeat, angelica uel
diuina perfectio. »
202. Policraticus, VII, 7, p. 114, 26 – 115, 3 : « Quaerere enim an sol splendeat,
albeat nix, ignis caleat, hominis est sensu indigentis. At uero an ternarius binario maior
sit ipsumque totum et medietatem eius contineat quaerere et an quaternarius sit duplus
binario, indiscreti est et cui est ratio otiosa aut deest omnino. Qui uero an Deus sit deducit
in quaestionem et an idem potens sapiens sit an bonus, non modo irreligiosus sed perfidus
est, et pena docente dignus est instrui. »
203. Je reviens sur cela dans « John of Salisbury and Theology », op. cit.
204. Policraticus, II, 26, p. 146, 88-92 : « Et licet sapientia Dei se incarnationis
mysterio nobis uisibilem fecerit, non tamen eo usque se intellectui nostro fecit palpabilem
ut cum ea possimus usquequaque discurrere scientes rerum omnium quanta sit longitudo,
latitudo, sublimitas et profundum. »
205. Metalogicon, IV, 41, p. 182, 7-11 : « Ecce temeritatem eorum cohibet, qui
deificae Trinitatis arcana, et ea quorum uisio in uita aeterna promittitur, irreuerentie
uerbositate discutiunt. Vnde et si scientia uideatur augeri, deuotio certe minuitur. » Une
autre raison tient peut-être au fait que, pour Jean, la théologie a davantage une dimension
éthique et politique que spéculative.
206. Historia pontificalis, op. cit., 8-14, p. 15-41.
207. Il exprime à plusieurs reprises son respect pour ces deux maîtres. Sur Gilbert
de Poitiers, voir Historia pontificalis, op. cit., chap. 8, p. 16, sur Abélard, Metalogicon,
III, 6, p. 122, 20-23.
208. Policraticus, II, 19, p. 115, 120-125 : « Nec cuiuscumque artis regula seruatur
illaesa, nisi dum infra proprii generis ambitum cohibetur, praesertim cum iuxta sapientem
frequens sit aliquid extra regulam inueniri. Omnis etenim regula alicui generi rerum
accomodata est. Si uero traducatur ad aliud, statum in ueritatem impingit obnowia falsitati. »
Voir Historia pontificalis, op. cit., chap. 12, p. 27 à propos de Gilbert de Poitiers.
209. Historia pontificalis, op. cit., chap. 13, p. 35-36 : « Cum uero in naturali facultate,
item morali et rationali et matematica sit difficilis propriorum, sicut philosophis notum
est, assignatio, in theologicis difficillima est. Quod quidem ex tribus causis certum est
euenire, tum ex subtilitate et difficultate rerum, tum ex ingenii tarditate, tum ex defectu
uerborum. Non latuit hoc nec Platonem ethnicum, cum dixit quia opificem uniuersitatis
Deum tam est inuenire difficile quam inuentum digne profari impossibile. »
210. Ibid., p. 37-38 « Spiritualis enim est [sc. Deus], licet eum redarguat animalis
fantasiasta, qui non didicit differentias et fines facultatum, et quod in fisicis rationabiliter,
in mathematicis doctrinaliter, in theologicis intellectualiter uersari oportet. Ipse enim
in omnibus naturaliter credit esse uersandum. Et cum audit formam Dei, quod tamen
apostolus dicit, et proprietates personarum, uel communes eis omnibus aut pluribus
rationes, putat quod, sicut inest corpori color, cupiditas anime uel iusticia, sic Deus
260 notes des pages 106 à 108

accidentibus informetur aut formis substantialibus que ei existendi causa sint, ut ipse
merito credatur non esse omnium causa. »
211. Metalogicon, IV, 40, p. 181, 67-75. Le texte est cité ci-dessus, p. 247, n. 112.

Chapitre 3

1. Voir, par exemple, C. Haskins, The Renaissance of the Twelfth Century, Cambridge,
Harvard University Press, 1927 ; G. Paré, A. Brunet et P. Tremblay, La Renaissance
du xiie siècle. Les écoles et l’enseignement, Paris – Ottawa, Vrin – Institut d’études
médiévales, 1933. Le choix même du titre de son étude par C. Haskins se veut un défi
à l’historiographie classique (au xixe et au début du xxe siècle) qui oppose Renaissance
et Moyen Âge. Voir sa préface, p. 5-6. Pour l’application du terme d’humanisme à Jean
de Salisbury, voir G. Dotto, Giovanni di Salisbury. La filosofia come Sapienza, Assisi,
Porziuncola, 1986 et H. Liebeschütz, Medieval Humanism in the Life and Writings of
John of Salisbury, Studies of the Warburg Institute, 17, London, Warburg Institute,
1950, reprint 1980.
2. Sur ce point, voir J. Buckhardt, La Civilisation de la Renaissance en Italie, Paris,
Plon, 1958.
3. Voir M.-D. Chenu, La Théologie au xiie siècle, Paris, Vrin, 1957.
4. Par exemple, W. Wetherbee, Platonism and Poetry in the Twelfth Century. The
Literary Influence of the School of Chartres, Princeton, Princeton University Press, 1972 ;
P. Godman, Paradoxes of Conscience in the High Middle Ages : Abelard, Heloise, and
the Archpoet, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.
5. P. Boyancé, Études sur l’humanisme cicéronien, Bruxelles, Latomus, 1970,
p. 6.
6. La connaissance directe de la littérature latine par Jean de Salisbury a cependant
été nuancée par J. Martin qui met en évidence sa dépendance par rapport à des Florilèges.
Voir J. Martin, « John of Salisbury’s Manuscripts of Frontinus and of Gellius », Journal
of Warburg and Courtlaud Institutes, 40, 1977, p. 1-26.
7. Ce point avait déjà été noté par B. Hendley dans Wisdom and Eloquence, op. cit.,
p. 29-34 et 43-44 et dans « A New Look at John of Salisbury’s Educational Theory », in
J. Murdoch et al. (dir.), Knowledge and the Sciences in Medieval Philosophy, Helsinki,
Acta Philosophica Fennica, 1990, vol. 2, p. 502-511, et bien entendu dans l’ouvrage
de P. von Moos, Geschichte als Topik. Das rhetorische Exemplum von der Antike zur
Neuzeit und die historiae im Policraticus Johanns von Salisbury, Ordo, Bd2, Hildesheim
– Zürich – New York, Olms, 1996, notamment, p. 299-309.
8. La métaphore de l’auteur mercenaire est employée dans le prologue du Policraticus,
p. 24, 110-112 : « Omnes ergo qui michi in uerbo aut opere philosophantes occurrunt,
meos clientes esse arbitror et, quod maius est, michi uendico in seruitutem. »
9. Metalogicon, I, 12, p. 32, l. 15-20 : « … et liberales dictae sunt […] ex hoc quod
quaerunt hominis libertatem, ut curis liber sapientiae vacet, et saepissime liberant a curis
notes des pages 109 à 111 261

his quarum participium sapientia non admittit. Necesserias quoque saepe excludunt, ut
agitationi mentis ad philosophiam sit expeditior via. »
10. La présence à Chartres de Jean de Salisbury fait débat. Mais il ne fait aucun
doute qu’il a reçu l’enseignement de plusieurs maîtres liés, de près ou de loin, à la grande
figure de l’école chartraine Bernard de Chartres. Il s’agit en l’occurrence de Guillaume
de Conches, Thierry de Chartres et Gilbert de la Porrée. Sur cette quaestio vexata, voir
A. Clerval, Les Écoles de Chartres au Moyen Âge du ve au xvie siècle, Genève, Slatkine,
1977 ; R. Southern, « Humanism and the School of Chartres », Medieval Humanism
and Other Studies, Evanston, Harper & Row, New York, 1970, p. 60-85, K. S. B. Keats-
Rohan, « John of Salisbury and Twelfth-century Education in Paris… », op. cit. N. Häring,
« Chartres and Paris Revisited », in J. R. O’Donnell (dir.), Essays in Honour of Anton
Charles Pegis, Toronto, Pontifical Institute of medieval philosophy, 1974, p. 268-329.
11. Sauf erreur de ma part, il n’y a pas d’étude sur ce cercle de Canterbury. On trouvera
quelques éléments dans C. Rossi, Marie de France et les érudits de Cantorbéry, Paris,
Classiques Garnier, 2009, p. 23-29. De façon plus générale, sur les réseaux d’amitié de
Jean, voir J. McLoughlin, « Amicitia in Practice : John of Salisbury (c. 1120-1180) and
his Circle », in D. Williams, England in the Twelfth Century, Woodbridge, The Boydell
Press, 1990, p. 165-180, et L. Moulinier-Brogi, « Jean de Salisbury : un réseau d’amitiés
continentale », in M. Aurell (dir.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1124), Poitiers,
Université de Poitiers, CNRS, Centre d’études supérieur de la civilisation médiévale,
2003, p. 341-361. La correspondance contient une trace des joutes littéraires qui ont
pu animer cette communauté intellectuelle de Canterbury. Voir, ci-dessous, chap. 4,
l’analyse de la Lettre 95, p. 198-200.
12. Voir Metalogicon, II, 10, p. 70-73. Sur la période étudiante de Jean en France, voir
O. Weijers, « The Chronology of John of Salisbury’s Studies in France (Metalogicon II,
10) », in M. Wilks (dir.), The World of John of Salisbury, op. cit., p. 109-125, K. S. B. Keats-
Rohan, « The Chronology of John of Salisbury’s Studies in France : A Reading of
Metalogicon, II.10 », Studi Medievali, 28, 1987, p. 193-203 ; D. Bloch, John of Salisbury
on Aristotelian Science, op. cit., p. 1-12.
13. Voir C. Nederman et T. Shogimen, « The Best Medicine? Medical Education,
Practice and Metaphor in John of Salisbury’s Policraticus and Metalogicon », Viator:
Medieval and Renaissance Studies, 42, 2011, p. 55-74.
14. Voir Policraticus, II, 29, p. 169-171. Néanmoins, si Jean de Salisbury a effectivement
étudié à Chartres, il a pu profiter de la riche bibliothèque de l’école cathédrale pour
parfaire sa culture scientifique. Voir C. Burnett « The content and affiliation of the
scientific manuscripts », in M. Wilks (dir.), The World of John of Salisbury, p. 127-160.
Sur l’ignorance de Jean en matière de quadrivium, voir D. Bloch, John of Salisbury on
Aristotelian Science, op. cit., p. 7-10.
15. Metalogicon, II, 10, p. 71, 35-42 : « Apud hos toto exercitatus biennio, sic locis
assignandis assueui et regulis, et aliis rudimentorum elementis quibus pueriles animi
imbuuntur, et in quibus praefati doctores potentissimi erant et expeditissimi, ut haec
262 notes des pages 111 à 115

omnia mihi uiderer nosse tanquam ungues digitos que meos. Hoc enim plane didiceram,
ut iuuenili leuitate pluris facerem scientiam meam quam erat. Videbar mihi sciolus, eo
quod in his quae audieram promptus eram. »
16. Metalogicon, II, 10, p. 72, 42-45 : « Deinde reuersus in me et metiens uires meas,
bona praeceptorum meorum gratia consulto me ad grammaticum de Conchis transtuli,
ipsum que triennio docentem audiui. Interim legi plura, nec me unquam paenitebit
temporis eius. »
17. Metalogicon, II, 10, p. 71, 45 – 72, 51 : « Postmodum uero Ricardum cognomento
Episcopum, hominem fere nullius disciplinae expertem et qui plus pectoris habet
quam oris, plus scientiae quam facundiae, plus ueritatis quam uanitatis, uirtutis quam
ostentationis, secutus sum, et quae ab aliis audieram ab eo cuncta relegi, et inaudita
quaedam ad quadruuium pertinentia, in quo aliquatenus Teutonicum praeaudieram
Hardewinum. »
18. Policraticus, VII, 9, 122, 20 – 123, 2 : « Pauci tamen sunt qui Achademicorum
imitatores esse dignentur, cum unusquisque pro libitu potius quam ratione eligat quid
sequatur. Alii namque propriis, alii doctorum opinionibus, alii multitudinis consortio
distrahuntur. Quid enim dubitat qui iuratus in uerba magistri non quid sed a quo quid
dicatur attendit? Quiduis enim elatrat acriter et quo imbuta est puerilis etas, de intimis
philosophiae abditis erutum putat. Paratus et de lana caprina contendere, credens inopinabile
si quid ignotum auribus eius insonuit, nec rationibus adquiescit quem doctoris captiuauit
opinio. Quicquid enim ille protulit, autenticum et sacrosanctum est. »
19. Policraticus, VII, 9, 123, 13-15 : « Error enim dupplicem laborem exigit, cum et
delenda sint peruersae institutionis semina et bonae sint fidelius inserenda. »
20. Voir ci-dessus, chap. 1, p. 23.
21. Sur les sens possibles de ce pseudonyme, voir J. van Laarhoven, John of Salisbury’s
Entheticus maior and minor, vol. 2, p. 269.
22. Sur Adam de Balsham, et ses rapports avec Jean de Salisbury, voir D. Bloch,
John of Salisbury on Aristotelian Science, op. cit., p. 191-205. Adam insiste, en effet,
sur l’importance de l’ingenium comme point de départ de toute connaissance, mais sans
le séparer de la pratique (usus) et de la technique (ars). Voir Ars disserendi, I, § 1-6,
in L. Minio-Paluello, Twelfth Century Logic. Text and Studies. I. Adam Balsamiensis
Parvipontanis, Ars disserendi (dialectica Alexandri), Roma, Edizioni di Storia e Letteratura,
1956, p. 3-5.
23. Entheticus, v. 45-66, p. 109 : « A nobis sapimus, docuit se nostra iuventus,/ non
recipit veterum dogmata nostra cohors./ Non onus accipimus, ut eorum verba sequamur,/
quos habet auctores Graecia, Roma colit. […] Cum sit ab ingenio totum, non sit tibi
curae,/ quid prius addiscas, posteriusve legas./ Haec schola non curat, quid sit modus,
ordove quid sit,/ quam teneant doctor discipulusque viam./ Expedit ergo magis varias
confundere linguas,/ quam veterum studiis insipienter agi. »
24. Entheticus, v. 49-54, p. 109 : « Incola sum Modici Pontis, novus auctor in arte,/
dum prius inventum glorior esse meum:/ quod docuere senes, nec novit amica iuventus,/
notes des pages 115 à 116 263

pectoris inventum iuro fuisse mei !/ Sedula me iuventum cirumdat turba, putatque/
grandia iactantem non nisi vera loqui. » Sur la satire chez Jean de Salisbury, P. von Moos,
Geschichte als Topik…, op. cit., p. 547-556 ; R. Pépin, « John of Salisbury’s Entheticus
and the Classical Tradition of Satire », Florilegium, 3, 1981, p. 215-227.
25. Sur ce point, P. von Moos, Geschichte als Topik…, op. cit., p. 289-292 ;
H. Liebeschütz, Medieval Humanism, op. cit., p. 118. Pour une mise en relation précise
du mouvement cornificien avec la chronologie des études parisiennes de Jean, voir
J. O. Ward, « The Date of the Commentary on Cicero’s De inventione by Thierry of
Chartres (ca. 1095-1160) and the Cornifician Attack on the Liberal Arts », Viator, 3,
1972, p. 219-273 : 227. On trouvera également chez Ward une bonne synthèse des débats
sur la nature de Cornificius.
26. Metalogicon, I, 2, p. 14, 2 – 15, 27 : « Ipsum uero uulgato designarem ex nomine,
et tumorem uentris et mentis, oris impudicitiam, rapacitatem manuum, gestus leuitatem,
foeditatem morum quos tota uicinia despuit, obscenitatem libidinis, deformitatem corporis,
turpitudinem uitae, maculam famae publicis aspectibus ingerens denudarem, nisi me
Christiani nominis reuerentia cohiberet. […] Vt libet ergo ille stertat in dies medios,
cotidianis conuiscerationibus ingurgitetur ad crapulam, et in illis immunditiis uolutatus
incumbat, quae nec porcum deceant Epicuri. »
27. Metalogicon I, 3, p. 15, 2-6 : « Ego quidem omnino non miror, si credulos
auditores suos multa mercede conductus et multo tempore aerem uerberans docuit nihil
scire, cum et ipse sic edoctus sit a magistris. Siquidem non facundus est sed uerbosus,
et sine fructu sensuum, uerborum folia in uentum continue profert. » Voir la liste des
faux sceptiques, ci-dessus, chap. 2, p. 50-51.
28. La définition générale de l’éloquence est donnée dans Metalogicon, I, 7, p. 24,
9-15 : « Est enim eloquentia facultas dicendi commode quod sibi uult animus expediri.
Quod enim in abdito cordis est, hoc quodam modo in lucem profert et producit in publicum.
Siquidem non est eloquens quisquis loquitur, aut qui quod uoluerit utcumque loquitur,
sed ille dumtaxat qui animi sui arbitrium commode profert. »
29. Cicéron, De oratore, texte établit et traduit par E. Courbaud, Paris, Les Belles
Lettres, 1922, I, 2, 5, p. 9 : « solesque non numquam hac de re a me in disputationibus
nostris dissentire quod ego eruditissimorum hominum artibus eloquentiam contineri
statuam, tu autem illam ab elegantia doctrinae segregandam putes et in quodam ingenii
atque exercitationis genere ponendam. »
30. Cicéron, De oratore, op. cit., I, 5, 17-18, p. 13 : « Est enim et scientia comprendenda
rerum plurimarum sine qua verborum volubilitas inanis atque inridenda est et ipsa oratio
conformanda non solum electione sed etiam constructione verborum et omnes animorum
motus quos hominum generi rerum natura tribuit penitus pernoscendi, quod omnis vis
ratio que dicendi in eorum qui audiunt mentibus aut sedandis aut excitandis expromenda
est. […] Tenenda praeterea est omnis antiquitas exemplorum que vis neque legum ac
iuris civilis scientia neglegenda est. » Sur le rapport entre éloquence et culture chez
Cicéron, voir E. Gilson, « Eloquence et sagesse selon Cicéron », Phoenix, 7/1, 1953,
264 notes des pages 116 à 118

p. 1-19 ; A. Michel, Les Rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l’œuvre de


Cicéron, op. cit., p. 137-149.
31. Cicéron, De oratore, op. cit., III, 32, 127-128, p. 49-50 : « Ex quibus Elius
Hippias cum Olympiam venisset maxima illa quinquennali celebritate ludorum,
gloriatus est cuncta paene audiente Graecia, nihil esse ulla in arte rerum omnium,
quod ipse nesciret; nec solum has artis, quibus liberales doctrinae atque ingenuae
continerentur, geometriam, musicam, litterarum cognitionem et poetarum, atque illa,
quae de naturis rerum, quae de hominum moribus, quae de rebus publicis dicerentur,
sed anulum, quem haberet, pallium, quo amictus, soccos, quibus indutus esset, se
sua manu confecisse. Scilicet nimis hic quidem est progressus, sed ex eo ipso est
coniectura facilis, quantum sibi illi oratores de praeclarissimis artibus adpetierint, qui
ne sordidiores quidem repudiarint. »
32. Voir l’histoire de l’éloquence proposée par Cicéron, qui insiste à la fois sur la
faute initiale de certains présocratiques et sur la rupture socratique, dans De oratore,
op. cit., III, 15, 56 ; 19, 73, p. 23-30. Cicéron s’efforce d’y montrer que le scepticisme
académicien est la philosophie la plus propre à l’orateur.
33. Metalogicon, I, 6, p. 22, 2-6 : « Non est ergo ex eius sententia si tamen falsa
opinio sententia dicenda est, studendum praeceptis eloquentiae, quoniam eam cunctis
natura ministrat aut negat. Si ultro ministrat aut sponte, opera superfluit et diligentia. Si
uero negat, inefficax est et inanis. »
34. Ibid., I, 3, p. 17, 71-78 : « Solam conuenientiam siue rationem loquebantur,
argumentum sonabat in ore omnium, et asinum nominare uel hominem, aut aliquid
operum naturae, instar criminis erat, aut ineptum nimis aut rude, et a philosopho alienum.
Impossibile credebatur conuenienter et ad rationis normam dicere quicquam aut facere,
nisi conuenientis et rationis mentio expressim esset inserta. Sed nec argumentum fieri
licitum nisi praemisso nomine argumenti. Ex arte et de arte agere idem erat. »
35. Policraticus, VII, 9, p. 123, 24-28 : « Sunt enim qui praestare uideantur in singulis;
sunt qui partes philosophiae uendicent uniuersas, nec minus tamen sunt in singulis
philosophiae copia destituti. Sunt qui ab una perfectionem sperent; sunt qui uniuersis
inuigilent, inopes singularum. »
36. Ibid., VII, 12, p. 137, 3-7 : « Verentur tamen prodere imperitiam suam iactatores
sapientiae nec amatores, et id quod nesciunt prauo pudore nescire quam quaerere et discere
malunt; praesertim si assint alii, quibus notum arbitrentur quod ipsi nesciunt. »
37. Ibid., VII, 12, p. 138, 6-7 : « Nec curandum est unde aut quid de quo sentiat aut
proferat aliquis, dum loquatur. » ; également p. 137, 4-6 : « Aut ludendum aut fabulandum
aut disceptandum est tibi; nam qui uerbosior est, uidetur doctior. »
38. Ibid., VII, 12, p. 137, 12-15 : « Verba multiplicant ut saepe minus intellecti sint
onere et multitudine uerborum quam rerum difficultate. Cum enim ne intelligeretur
effecit, arbitratur se meruisse ut prae ceteris philosophus uideatur. »
39. Ibid., VII, 12, p. 138, 9-11 : « Quid uerum aut falsum, quid probabile aut non
probabile sit, frustra quaeritur, cum omnibus imago probabilium praeferatur. »
notes des pages 118 à 120 265

40. Ibid., VII, 12, p. 138, 7-9 : « Nec refert qua quisque ratione nitatur, dum non
instantiam sed umbram eius quisque dare sufficiat. »
41. Ibid., VII, 12, p. 137, 27 – 138, 2 : « Accede ut docearis; quid in scriptis suis
auctores senserunt diligenter inquire; excute litteram; statim increpabit duritiam tuam et
asino Archadiae te dicet tardiorem. Plumbo ebetior es, dum quid in littera latet interrogas;
littera inutilis est, nec curandum est quid loquatur. »
42. Ibid., VII, 12, p. 143, 21-24 : « Nec illos ad philosophandum crediderim aptiores
qui omni uerbulo longam orationem obiciunt ac si ad omnia quae quaeruntur sermo sit
ad populum faciendus. »
43. Voir J. Cadden, « Science and Rhetoric in the Middle Ages: The Natural Philosophy
of William of Conches », Journal of the History of Ideas, 56, 1995, p. 1-24 : 15 et 17 ;
G. Paré, A Brunet, et P Tremblay, La Renaissance du xiie siècle, op. cit., p. 83-84.
Cornificius m’intéresse au titre de contre-modèle pédagogique, mais d’un point de vue
d’histoire de l’enseignement, la critique de Cornificius atteste plutôt du conservatisme
éducatif de Jean qui ne perçoit pas certaines évolutions des écoles, comme l’augmentation
du nombre d’étudiants et la nécessité de rentabiliser les études.
44. Voir la typologie des débouchés professionnels recherchés par les cornificiens dans
Metalogicon, I, 4 : carrière monastique, carrière médicale, carrière curiale. Dans chaque
cas, ce qui compte, c’est de s’enrichir. Cf. p. 18, 12 - 20, 75 : « Si mihi non credis, claustra
ingredere, scrutare mores fratrum, et inuenies ibi superbiam Moab et eam intensam ualde,
ut arrogantia absorbeat fortitudinem eius. […] Alii autem suum in philosophia intuentes
defectum, Salernum uel ad Montem Pessulanum profecti, facti sunt clientuli medicorum,
et repente quales fuerant philosophi, tales in momento medici eruperunt. […] Alii profecto
similes mei se nugis curialibus mancipauerunt, ut magnorum uirorum patrocinio freti possent
ad diuitias aspirare, quibus se uidebant et iudicio conscientiae quicquid lingua dissimulet
fatebantur indignos. […] Exercent faenebrem pecuniam alternis uicibus inaequalia rotundantes,
et adiectione multiplici quod rotundauerant abaequantes. Nihil enim sordidum putant, nihil
stultum, nisi paupertatis angustias, et solas opes ducunt esse fructum sapientiae. »
45. Ibid., I, 12, p. 32, 15-18, cité au début de ce chapitre, p. 261, n. 9.
46. Sur le « conservatisme » de Jean, et des maîtres de la génération précédente
(Guillaume de Conches notamment), voir J. Cadden, « Science and Rhetoric… », art. cit.,
p. 17 ; S. Jaeger, Scholars and Courtiers: Intellectuals and Society in Medieval West,
Aldershot – Burlington, Ashgate, 2003, p. 601-608.
47. Entheticus, 167-170, p. 117 : « Ingenii natura potens cito possidet omnes/ artes,
si fuerit ista sequela comes/ auditus verbi, quies studiis apta, fidelis amor. »
48. Metalogicon, I, 24, p. 54, 117-120 : « Ad huius magistri formam praeceptores
mei in grammatica Willelmus de Conchis et Ricardus cognomento Episcopus, officio
nunc archidiaconus Constantiensis, uita et conuersatione uir bonus, suos discipulos
aliquamdiu informauerunt ».
49. Ibid., I, 23, p. 50, 3-10 : « Praecipua autem sunt ad totius philosophiae et uirtutis
exercitium, lectio, doctrina, meditatio, et assiduitas operis. Lectio uero scriptorum
266 notes des pages 120 à 121

praeiacentem habet materiam, doctrina et scriptis plerumque incumbit, et interdum ad non


scripta progreditur, quae tamen in archiuis memoriae recondita sunt, aut in praesentis rei
intelligentia eminent. At meditatio etiam ad ignota protenditur, et usque ad incomprehensibilia
saepe se ipsam erigit, et tam manifesta rerum quam abdita rimatur. »
50. Ibid., I, 23, p. 50, 3-51, 25.
51. Entheticus, v. 641-652, p. 147 ; Policraticus, III, 1, p. 172-175. Voir ci-dessus,
p. 247, n. 108.
52. G. Paré, A. Brunet et P. Tremblay, La Renaissance du xiie siècle, op. cit., p. 122 ;
J. Châtillon, « Les écoles de Chartres et de Saint Victor », La Scuola nell’Occidente
Latino nell’alto medio evo, 2 vol. Settimana di Studio, 19, Spolète, Centro Italiano per
i studi sull’ Alto Medio Evo, 1972, p. 795-839 : 822-823.
53. Metalogicon, I, 24, p. 53, 69-80 : « Sed quia nec scolam nec diem aliquam decet
esse religionis expertem, ea proponebatur materia quae fidem aedificaret et mores, et
unde qui conuenerant quasi collatione quadam animarentur ad bonum. Nouissimus
autem huius declinationis immo philosophicae collationis articulus pietatis uestigia
praeferebat, et animas defunctorum commendabat, deuota oblatione psalmi qui in
paenitentialibus sextus est, et oratione Dominica Redemptori suo. Quibus autem
indicebantur praeexercitamina puerorum in prosis aut poematibus imitandis, poetas aut
oratores proponebat et eorum iubebat uestigia imitari, ostendens iuncturas dictionum,
et elegantes sermonum clausulas. »
54. Ibid., I, 24, p. 54, 109-115 : « Et quia in toto praeexercitamine erudiendorum
nihil utilius est quam ei quod fieri ex arte oportet assuescere, prosas et poemata cotidie
scriptitabant, et se mutuis exercebant collationibus, quo quidem exercitio nihil utilius ad
eloquentiam, nihil expeditius ad scientiam, et plurimum confert ad uitam, si tamen hanc
sedulitatem regat caritas, si in profectu litteratorio seruetur humilitas. »
55. G. Paré, A. Brunet et P. Tremblay, La Renaissance du xiie siècle, op. cit.,
p. 123.
56. C’est le terme utilisé pour le procès opposant Pythagore à son élève au chap. 12
du livre V du Policraticus. Sur ce texte, voir les analyses à la fin de ce chapitre. Et c’est
la collatio qui est présentée comme la méthode sceptique, au chap. 8 du livre VII, p. 122,
11-13. Voir ci-dessous, chap. 4.
57. Metalogicon, III, 10, 137, 231 – 138, 244 : « Ingenium uero bonum est, quod
uero facile adquiescit, et falsum aspernatur. Hoc autem primum a natura oritur per
fomitem innatae rationis, deinde affectione boni, et usu uiuacius conualescit. Vsus
quidem exercitium roborat paritque facultatem probandi et examinandi ueri, facilius
tamen et expeditius, si artis praeceptorumque compendio solidetur. Sed licet nunc ad
se nunc ad alterum contingat utiliter exerceri, collatio meditatione uidetur utilior. Vt
enim ferrum ferro acuitur, sic ad uocem alterius contingit animum colloquentis acutius
et efficacius excitari. »
58. Policraticus, VII, 13, p. 145, 7-14 : « Quae uero sint discendi claues, quae
philosophantibus ad intuendam speciem ueritatis uiam eo tendentis expediunt, senex
notes de la page 122 267

Carnotensis paucis expressit. Et, licet metri eius suauitate non capiar, sensum approbo et
philosophantium credo mentibus fideliter ingerendum : Ait ergo: Mens humilis, studium
quaerendi, uita quieta, /scrutinium tacitum, paupertas, terra aliena, /haec reserare solent
multis obscura legendo. » Sur la notion de Philosophans, voir P. Michaud-Quantin et
M. Lemoine « Pour le dossier des philosophantes », Archives d’histoire doctrinale et
littéraire du Moyen Âge, 35, 1968, p. 17-22. La même citation, attribuée par Jean à Bernard
de Chartres, est utlisée par H. de Saint-Victor dans le Didascalicon, III, chap. 12. Hugues
y distingue d’une part des règles d’étude (l’humilité et l’application), et d’autre part des
règles de vie (les quatre dernières). Les règles d’étude sont longuement étudiées dans les
chap. 13 et 14, respectivement. Hugues y critique l’arrogance de celui qui croit savoir, et
invite à se mettre à l’écoute d’autrui. Les quatre dernières règles sont divisées en règles
de discipline et règles d’exercice (chap. 15-19). La tranquillité et l’approfondissement
sont rapportés à la pratique de la méditation, tandis que la pauvreté (le rejet du superflu)
et l’exil (qui conduit au contemptus mundi) permettent une réelle pratique de l’étude.
La perspective, explicitement et directement pédagogique, est assez différente de celle
de Jean de Salisbury.
59. Policraticus, VII, 13, p. 146, 7-14 : « Quisquis ergo uiam philosophandi ingreditur,
ad hostium gratiae eius humiliter pulset, in cuius manu liber omnium sciendorum est,
quem solus aperit Agnus qui occisus est ut ad uiam sapientiae et uerae felicitatis seruum
reduceret aberrantem. Frustra quis sibi de capacitate ingenii, de memoriae tenacitate, de
assiduitate studii, de linguae uolubilitate blanditur. » Entheticus, v. 170-173, p. 117 :
« Optat in eloquio si quis praeclerus haberi,/ indubitanter ei, quod cupit, ista dabunt:/
ingenium pollens, memoris quoque pectoris usus,/ artis opes, vocis organa, sermo
frequens. »
60. Policraticus, VII, 13, p. 147, 1-20 : « Ineptus enim est qui scripturis, a quibus
instruendus est, appetit dominari et captiuato sensu earum ad intellectum suum eas nititur
trahere repugnantes. Nam in eis quaerere quod non habent, proprium sensum obstruere
est, non addiscere alienum. […] Quisquis enim ad uoluptatem suam ingenii aut studii
uiribus Scripturarum integritatem attemptat, quasi a sacrario philosophiae exclusus, ab
intelligentia ueri alienus extat. »
61. Ibid., VII, 13, p. 147, 21 – 148, 3 : « Sic, dum elati et maligni oberrant ad
parietem Scripturarum, sensum fidelem, qui in domo simplicis, cum quo est sermocinatio
Dei et qui correptorem malitiae uidet angelum, non adtingunt. Angelus siquidem
Scriptura est, quam Deo mittente constat ad increpandam malitiam hominum in
mundi Sodomam descendisse. Audite, inquit, uerbum Domini, principes Sodomorum;
auribus percipe uerba mea, populus Gomorrae. Seruiendum est ergo Scripturis, non
dominandum, nisi forte quis se ipsum dignum credat ut angelis debeat dominari. »
Voir Genèse, 18-19.
62. Policraticus, VII, 13, p. 149, 1-13 : « Porro ad studium quaerendi non modo
domesticis sed etiam extraneis animamur exemplis. […] Carneades laboriosus et
diuturnus sapientiae miles in studio nonaginta expleuit annos; ei siquidem idem uiuendi et
268 notes des pages 123 à 126

philosophandi finis fuit. » La référence à Carnéade provient de Valère Maxime, Dictorum


factorumque memorabilium libri IX, VIII, 7, ext. 5.
63. Policraticus, VII, 9, p. 150, 7-12 : « Si enim studium, ut Ciceroni placet, est
uehemens applicatio animi ad aliquid agendum magna cum uoluntate, profecto mens
quae turbata ad plura distrahitur nequaquam in uno uirtutis opere fideliter occupatur. »
Jean de Salisbury cite le De inventione, I, 25, 36 & II, 9, 31.
64. Policraticus, VII, 13, p. 150, 12-15 : « Sed studii tunc exercitatio plurimum
proficit, cum uirtus, in singulis quae legit aut audit homo, tacito apud se ueri iudicii
scrutinio conualescit; ibi namque ratio cuncta examinat et fructum omnium appendit in
statera » ; comparer avec Policraticus, III, 1, p. 176, 24 – 177, 47. Ce texte est analysé
dans le chapitre suivant.
65. Dans le cas de Jean, voir Metalogicon, II, 10, p. 72, 54-58 : « Et quia nobilium
liberos qui mihi amicorum et cognatorum auxiliis destituto paupertati meae solaciante
Deo alimenta praestabant instruendos susceperam, ex necessitate officii et instantia
iuuenum urgebar quod audieram ad memoriam crebrius reuocare. »
66. Policraticus, VII, 14, p. 152, 17-19 : « In libro Quintiliani de Institutione Oratoris
septima discentium clauis ponitur amor docentium, quo praeceptores ut parentes amandi
sunt et colendi. »
67. Ibid., VII, 15, p. 153, 26-28 : « Multa quidem sunt et difficilia quibus philosophantium
probatur uirtus, quia ad summum non est iter nisi per ardua. »
68. Ibid., VII, prol., p. 93, 10-15 : « Quaedam uero, quae in libris auctorum non
repperi, ex usu cotidiano et rerum experientia quasi de quadam morum historia excerpsi.
Si qua uero ad grauioris philosophiae exercitationem uidentur accedere, Achademicorum
more inuestigandi animo quam peruicacia contendendi sic constet esse proposita ut in
examinationem ueri suum cuique iudicium liberum reseruetur et inutilis scribentium
censeatur auctoritas ubi sententia potior refragatur. »
69. Metalogicon, I, prol., p. 11, 85-91 : « Tria quidem sunt ut de consilio meo
perfectius instruaris, quae non modo mihi metum, sed plerisque scriptoribus periculum
salutis aut meriti dispendium afferunt. Ignorantia ueri, fallax aut proterua assertio falsi,
et tumida professio ueritatis. Noui enim quis dixerit. Tutius auditur ueritas quam dicatur.
In audiendo enim custoditur humilitas, sed in dicendo saepissime subrepit elatio. » Jean
cite (en le modifiant légèrement) Augustin, In Joannis Evangelium tractatus CXXIV,
R. Willems (éd.), CCSL 36, Turnhout, Brepols, 1990, p. 57, 2.
70. Policraticus, VII, 9, p. 125, 3-5 : « Ceterum qui multa percurrit ut eligat cui sit potius
insistendum, circumspectus est et aliis examinatis praeelectioni suae fidelius seruit. »
71. Ibid., VII, 9, p. 128, 27-31 : « Litterarum tamen copia nequaquam philosophum
facit; gratia siquidem est quae ad sapientiam sola perducit. In summa siquidem copia
litterarum aut ignorantia interdum aut negligentia ueritatis est, sine qua impossibile est
quemquam fieri sapientem. »
72. Par exemple, Policraticus, VII, 9, p. 125, 5 – 126, 7. Sur ce point, voir E. Jeauneau,
« Jean de Salisbury et la lecture des philosophes », op. cit., p. 86-87.
notes des pages 126 à 128 269

73. Policraticus, VII, 9, p. 125, 16-27 : « Sic tamen omnia legenda sunt ut eorum
aliqua, cum lecta fuerint, negligantur, reprobentur nonnulla, aliqua uideantur in transitu
ne sint omnino incognita; sed prae omnibus maiori diligentia insistendum est quae aut
politicam uitam siue in iure ciuili siue in aliis ethicae praeceptis instituunt aut procurant
corporis aut animae sanitatem. Cum enim illa quae praecipua est inter liberales disciplinas,
sine qua nemo recte docere aut doceri potest, sit in transitu et quasi a limine salutanda,
quis in aliis censeat immorandum quae aut intellectu difficiles aut effectu inutiles et
perniciosae non faciunt hominem meliorem ? »
74. Ibid., VII, 9, p. 128, 31 – 129, 32 : « Vnde et doctor ille Ecclesiae, cuius nemo
satis memor esse potest, Augustinus Varronem arguit, quem tamen ut litteratissimum
fuisse doceat, ait post cetera quibus singulari praeconio commendatur: Denique et
ipse Tullius huic tale testimonium perhibet ut in libris Achademicis dicat eam quae ibi
uersatur disputationem se habuisse cum M. Varrone, homine (inquit) omnium facile
acutissimo et sine dubitatione doctissimo. […] Cum ergo uiri acutissimi et sine ulla
dubitatione, Cicerone teste, doctissimi superstitio scriptis propriis eam conuincentibus
arguatur constet que superstitionem falsitatis uitio uirtuti, quae in sola ueritate consistit,
esse oppositam et sapientiam sine uirtute esse non posse, quis ex sola lectione, nisi
adsit gratia illustratrix creatrix uiuificatrix que uirtutum, credat posse fieri hominem
sapientem ? »
75. Entheticus, v. 1177-1198, p. 181-183 : « Inferior nullo Graecorum Varro fuisse/
scribitur ; hunc patrem Roma vocare solet./ Plura quidem nullus scripsit, nullus meliora,/
nec potuit quisquam deteriora loqui./ Mistica natura pandit, ritusque sacrorum,/ officiumque
Dei, gestaque prisca patrum. Numina virtutum, quae fingit, vanus adorat,/ et quot sunt
pestes, tot putat esse deos./ […] Romanos Varro, Graecos Musaeus, Ebraeos/ instituit
Moyses vivere more suo./ Errat Musaeus nimium, Varroque coerrat,/ sed Moysi mentem
spiritus almus agit. »
76. Historia pontificalis, op. cit., p. 27 : « Vtebatur, prout res exigebat, omnium
adminiculo disciplinarum, in singulis quippe science auxiliis mutuis uniuersa constare.
Habebat enim connexas disciplinas easque theologie seruire faciebat, et cohibebat omnium
regulas infra proprii generis limitem. Sunt enim singule suis addicte generibus et statim
ut alio traducte fuerint uiciantur. Proprietates figurasque sermonum et in theologia tam
philosophorum et oratorum quam poetarum declarabat exemplis. » Ce texte est analysé
par J. Jolivet, « Le jeu des sciences théorétiques selon Gilbert de Poitiers », Perspectives
médiévales et arabes, Paris, Vrin, 2006, p. 117-119.
77. Voir L. Valente, Logique et Théologie. Les écoles parisiennes entre 1150 et
1220, Paris, Vrin, 2008, p. 123.
78. Policraticus, VII, prol. p. 93, 2-4 : « Nam et Apostolus non : Quaecumque scripta
sunt vera sunt, ait, sed : Quaecumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt. »
79. Metalogicon, I, 9, p. 27, 5-11 : « Vtique si eloquentem esse bonum est, et
eloquentissimum esse melius erit […] et eloquentiae quantum excrescit comparatio
tantum decrescit sapientia, et eloquii fluvius inarescit. »
270 notes des pages 128 à 130

80. Lettre 209, p. 318-320 : « Proinde magis fidem arbitror impugnare, si quis id de


quo non constat, peruicacius statuat, quam si a temeraria diffinitione abstinens, id, unde
patres dissentire uidet et quod plene inuestigare non potest, relinquat incertum. Opinio
tamen in alteram partem potest et debet esse prouiclior, ut quod omnibus aut pluribus
aut maxime notis atque praecipuis aut unicuique probato artifici secundum propriam
uidetur facultatem facilius admittatur, nisi ratio manifesta aut probabilior in his quae
rationis subiecta sunt, oppositum doceat esse uerum. Rationi uero subiecta sunt inserui
propter illos articulos qui omnem omnino transcendunt rationem, in quibus stulta esse
praelegit ecclesia, ut in insipientia fidei apprehenderet Christum, Dei uirtutem et Dei
sapientiam, quam cum philosophis gentium, qui dicentes se esse sapientes stulti facti
sunt et euanerunt in cogitationibus suis ut darentur in sensum reprobum, per superbam
professionem sapientiae, Dei et uirtute destitui. »
81. Ibid., p. 319 : « Quaesitum uero est quem credam numerum esse librorum
Veteris et Noui Testamenti, et quos auctores eorum; quid Ieronimus in epistola ad
Paulinum presbiterum de omnibus libris diuinae paginae conscripta dicat mensam Solis
a philosopho Apollonio litteras persequente uisam in sabulo; quid item Virgiliocentonas
et Homerocentonas in eadem dicat epistola ; postremo ubi scriptum sit et quo tendat,
quod legitur et usurpatur a plurimis, quia deiformiora sunt ea quae non sunt, quam ea
quae sunt. »
82. La réponse à la première question occupe les p. 318 à 324, la réponse à la deuxième
question, les p. 324-335, celle à la troisième question, les p. 334-336. Finalement, la
réponse aux deux dernières questions est différée, p. 336 : « Restant adhuc duae de v
propositis quaestionibus absoluendae, sed tempus respondendi deest et otium; quas quidem,
si dignationi uestrae uisum fuerit, libens aggrediar meis que connumerabo successibus,
si michi caelitus datum fuerit honori et uoluntati uestrae in aliquo inseruire. » Jean y
ajoute une rapide variation sur le thème du roi illettré, qui encourage son correspondant
à poursuivre l’étude des lettres, p. 336 : « Rusticus agricolam, miles fera bella gerentem,
rectorem dubiae nauita puppis amat, et principem philosophiae cultorem, et qui litteratorum
honesta studia amplectitur et fouet, litterarum professores non amabunt ? Nec infitior
quin princeps illiteratus interdum rei publicae commodus esse possit, sed ad parilitatem
litteratorum, si rite procedat uterque, aut nunquam conscendet aut raro. Nam ut uester
ait Vegetius, nullus est quem oporteat aut plura aut meliora scire quam principem, cuius
scientia potest omnibus prodesse subiectis. » (Jean cite Ovide, Ex Ponto, 2, 5, 61-62, et
Vegèce, In re milit, I, préface).
83. Voir Policraticus, VII, prol., p. 92, 27 – 93, 2 : « Nec moueat, si qua eorum,
quae hic scribuntur, aliter inueniantur alibi, cum et historiae in diuersis gestorum casibus
inuicem reperiantur contrariae, sed ad unum utilitatis et honestatis proficiunt fructum.
Nam periculum statuendi michi non facio ; sed quae apud diuersos auctores legi ad
utilitatem legentium sine inuidia communicare proposui » ; également, Policraticus, I,
prol., 25, 129-134 : « Si tamen alicubi auctorum aliter quam scripserim inueniatur, non
ideo constabit me esse mentitum, cum in strategemmaticis historicos, qui frequenter ab
notes des pages 130 à 133 271

inuicem dissident, sim secutus, et in philosophicis Academice disputans pro rationis


modulo quae occurrebant probabilia sectatus sim ». Sur ce thème, voir P. von Moos,
Geschichte als Topik…, op. cit., p. 309-317.
84. Policraticus, I, prol., p. 24, 94-101 : « Quae uero ad rem pertinentia a diuersis
auctoribus se animo ingerebant, dum conferrent aut iuuarent, curaui inserere, tacitis
interdum nominibus auctorum, tum quia tibi utpote exercitato in litteris pleraque plenissime
nota esse noueram, tum ut ad lectionem assiduam magis accenderetur ignarus. In quibus si
quid a fide ueri longius abest, michi ueniam deberi confido qui non omnia quae hic scribuntur
uera esse promitto, sed, siue uera seu falsa sint, legentium usibus inseruire. »
85. Ibid., VII, 10, p. 132, 28-31 : « Sic et in libris sunt quae omnibus prosunt, dum
tamen legantur modestia dispensante, ut quae nichil continent nisi edificationem fidei
et morum. »
86. Ibid., VII, 10, p. 132, 31 – 133, 8 : « sunt quae solidioribus animis faciant,
habenda quidem procul a lectione simplicium; sunt quae natura bonae mentis omnino
eiciat; sunt quae digerat in usum morum aut eloquentiae; sunt quae indurent animam et
in fide et bonis operibus solam faciant cruditatem. Vix autem inuenietur scriptum in quo,
si non in sensu uel in uerbis, non reperiatur aliquid quod prudens lector emittit Ceterum
libri catholici tutius leguntur et cautius, et gentiles simplicibus periculosius patent; sed
in utrisque exerceri fidelioribus ingeniis utilissimum est. »
87. Voir E. Jeauneau, « Jean de Salisbury et la lecture de philosophes », op. cit. ;
et sur Cicéron, plus spécifiquement, J.-Y. Tilliette, « Jean de Salisbury et Cicéron »,
Helmantica, 50, 151/153, 1999, p. 697-710.
88. Je reprends ici des éléments déjà présentés dans C. Grellard, « Argumentation
topique et production de la croyance », op. cit.
89. Voir Aristote, Seconds Analytiques, op. cit., I, 1 et 18 ; Cicéron, De inventione,
op. cit., I, 31, 51.
90. Jean identifie l’induction au syllogisme rhétorique par un singulier résumé de
Analytica priora, II, 23, 68b, Aristoteles latinus, p. 186 : « Quoniam autem non solum
dialectici et demonstrativi syllogismi per praedictas fiunt figuras, sed et rhetorici et
simpliciter quaecumque fides et secundum quamque artem, nunc erit dicendum. Omnia
enim credimus aut per syllogismum aut ex inductione. »
91. Respectivement, Metalogicon, IV, 5, p. 144, 26-28 et II, 12, p. 74, 13-18.
92.  T.  de Chartres, Commentarius super rhetoricam Ciceronis, I, § 51, in
K. M. Fredborg, The Latin Rhetorical Commentaries by Thierry of Chartres, Toronto,
Pontifical Institute of Medieval Philosophy, 1988, p. 154, 34-53 : « Inductio sub qua
intelligitur exemplum, et ratiocinatio, id est syllogismus, sub quo intellegitur enthymema.
[…] Inductionem describit dicens illam esse orationem in qua ex rebus certis quarum
assensio, id est concessio, ab adversario captatur, id est elicitur, ex his, inquam, rebus
probatur aliquid dubium. […] Nam in inductione sive a particularibus ad universale
fiat progressio, sive a particularibus ad aliud particulare, semper vis similitudinis sic
probat : sicut in his est, ita in omnibus ; vel sicut in his est, ita in illo. […] Notandum
272 notes des pages 133 à 136

vero est quod haec descriptio inductionis data est secundum usum philosophorum, qui
interrogando inducunt, usum vero oratorium docebit exemplo. » Sur ce commentaire,
et ses rapports à Jean, voir J. O. Ward, « The Date of the Commentary on Cicero’s De
inventione », op. cit., p. 219-273.
93. Metalogicon, III, 10, p. 132, 77-81 : « Sed uis artis, in argumentiationibus amplius
uiget. In ipsis quoque sillogismis uiolentior est, siue integritate sui perfectus sit, siue
media propositione subtracta ad modum enthimatis conclusionem acceleret. Ideoque
usus eius magis facit ad alterum. »
94. Metalogicon, III, 9, p. 129, 44 – 130, 79.
95. Ibid., III, 10, p. 132, 81 – 133, 84 : « Inductio uero lenior est, siue maturiori
incessu a pluribus progrediatur ad unum uniuersale, aut particulare, siue acriori impetu
ab uno ad exempli formam inducto ad unum inferendo prosiliat. »
96. Ibid., IV, 8, 147, 34-48 : « Communes enim conceptiones a singulorum
inductione fidem sortiuntur. Impossibile enim est uniuersalia speculari, non per
inductionem. Quoniam ut ait quae ex abstractione dicuntur, per inductiones nota fiunt.
Inducere autem non habentes sensum, impossibile, est. Singularium enim sensus est.
Nec contingit ipsorum accipere scientiam, neque ex uniuersalibus sine inductione
nec per inductionem sine sensu. Fit ergo ex sensu memoria, ex memoria mutlorum
saepius iterata, experimentum, ab experimentis scientiae aut artis, ratio manat. Porro
ab arte quae usu et exercitatione firmata est prouenit facultas exequendi ea quae ex
arte gerenda sunt. Sic itaque sensus corporis qui prima uis, aut primum exercitium
animae est, omnium artium praeiacit fundamenta, et praeexistentem format cognitionem
quae primis principiis uiam non modo aperit, sed et parit. » Sur la construction de
l’universel, voir l’important chap. 18 du livre du Policraticus et les analyses du
chapitre 2, ci-dessus, p. 62-63.
97. Metalogicon, III, 10, p. 133, 84-88 : « Hic autem modus magis oratoribus
congruit, interdum tamen ornatus aut explanationis causa, conducit et dialectico. Magis
enim persuasorius est, quam urgens. Unde sicut Marcus Tullius in rethoricis testis est,
Socrates hoc argumentandi genere saepissime utebatur. »
98. Aristote, Rhetorica, II, 20, 1393a ; Quintilien, Institutiones oratoria, V 11 3 ;
Cicéron, De inventione, I, 31 53, Topica, 10, 42.
99. Metalogicon, I, prol., p. 11, 82-83 : « Tu ut libuerit uniuersa examinabis et
singula, quia te iudicem meis opusculis consecraui, dum intelligam quod mihi opera
non pereat et impensa. » ; II, prol., p. 56, 17-21 : « Tu uero cui de re constat, de
nomine iudicabis, eam que cunctis applicabis sermonibus, aut circa rationum dumtaxat
instantiam coartabis. Non formido iudicium, qui et de aequitate causae, et iudicis peritia
et sinceritate confido. » ; IV, prol., p. 140, 12-14 : « Quia tamen uisum est tibi meum,
et Cornificii examinare conflictum, inuitus et quodam modo tractus in huius palaestrae
descendo harenam. »
100. Voir ci-dessous, p. 146-151, les analyses du chapitre 12 du livre V du
Policraticus.
notes des pages 136 à 139 273

101. Metalogicon, III, 10, p. 133, 88-94 : « Ceterum cum exempla ad probandum


quod aut plura feruntur aut singula, conuenientia esse debent, et ex quibus scimus, qualia
Homerus non qualia Cherillus. Si autem ab auctoribus transsumantur, Homero quidem
Graecus, Latinus autem, Virgilio utatur et Lucano. Domestica namque exempla magis
mouent, et ignota dubiorum non faciunt fidem. »
102. Voir sur ce point, T. de Chartres, Commentarius…, op. cit., 4. 2. 2 et 4. 3. 5
(p. 317).
103. Policraticus, VII, 9, p. 127, 29 – 128, 5 : « Horum tamen omnium iocunda
relatio est. Nam uel amici praeuisus casus, etsi amarus sit, proficit ad cautelam; et quo
familiarior fuit cum labente societas, eo casus quemque magis absterret; siquidem
exemplis saepe magis proficitur quam praeceptis. Mala enim uitantur facilius quo fidelius
praecognita fuerint. »
104. Aristote, Rhetorica, II, 20, 1393a3. Voir aussi Analytica priora, op.cit., II, 24,
68b38.
105. Jean cite la traduction de Boèce de Topica, op.cit., VIII, 1, 157a 14-15 : « Ad
explanationem autem exempla et parabolas ferendum, exempla autem convenientia et
ex quibus scimus qualia Homerus, non qualia Chaerillus; sic enim planius erit quod
proponitur. »
106. Voir Metalogicon, op.cit., II, 10, p. 72, 64-68 : « Interim Willelmum Suessionensem
qui ad expugnandam ut aiunt sui logicae uetustatem, et consequentias inopinabiles
construendas et antiquorum sententias diruendas machinam postmodum fecit, prima
logices docui elementa, et tandem iam dicto praeceptori apposui. »
107. Ibid., II, 7, p. 66, 15-17 où Jean critique ceux qui compilent des livres sans
savoir choisir : « Compilant omnium opiniones, et ea quae etiam a uilissimis dicta uel
scripta sunt ab inopia iudicii scribunt et referunt. »
108. L’auctoritas, au Moyen Âge, renvoie à la fois à la notion de « classique » (ce
qui est produit par un auctor reconnu par une tradition) et à l’idée de précédent, au
sens quasi-juridique du terme. Voir les analyses de H. Daniels, Die Wissenschaftlehre
des Johannes von Salisbury, op. cit., p. 77-78 et de I. Illich, Du lisible au visible. Un
commentaire du Didascalicon de Hugues de Saint-Victor, Paris, Le Cerf, 1991, p. 20,
ainsi que l’article de R. Heinze « Auctoritas », Hermes, 69, 1925, p. 348-366, et celui
de J. Ziolkowski, « Culture of Authority… », op. cit., passim.
109. Policraticus, VII, prol., p. 92, 22 – 93, 2 : « Erit etiam fauore digna simplicitas,
et non quem sensum prima facie uerba significent sed ex quo sensu uel ad quem sensum
fiant fidelis lector attendes. Sic enim nugis seria immiscentur et falsa ueris ut ad summae
ueritatis cultum omnia ex proposito referantur. Nec moueat, si qua eorum, quae hic
scribuntur, aliter inueniantur alibi, cum et historiae in diuersis gestorum casibus inuicem
reperiantur contrariae, sed ad unum utilitatis et honestatis proficiunt fructum. Nam
periculum statuendi michi non facio ; sed quae apud diuersos auctores legi ad utilitatem
legentium sine inuidia communicare proposui. »
110. Sur les rapports entre fréquence et induction, voir le chap. 1, p. 68-70.
274 notes des pages 139 à 142

111. Sur la res gesta comme construction, voir J. O. Ward, « Some Principles of


Rhetorical Historiography in the Twelfth Century », op. cit., p. 108.
112. Historia Pontificalis, op. cit., prol.-chap. 1, Chibnall, p. 3-4 : « Unde uoluntati
tue, dominorum amicorumque karissime, libentius acquiescens, omissis aliis, ea que
ad pontificalem hystoriam pertinent, prout precipis, Dei gratia preeunte perstringere
curabo, idem habens propositum, coetanis et posteris proficiendi, quod cronici scriptores
alii ante me noscuntur habuisse. Horum uero omnium uniformis intentio est, scitu
digna referre, ut per ea que facta sunt conspiciantur inuisibilia Dei, et quasi, propositis
exemplis premii uel pene, reddant homines in timore Domini et cultu iustitiae cautiores.
[…] Nam, ut ait ethicus [ethnicus, éd.] aliena uita nobis magistra est, et qui ignarus
est preteritorum, quasi cecus in futurorum prorumpit euentus. Valet etiam noticia
cronicorum ad statuendas uel euacuandas prescriptiones et priuilegia roboranda uel
infirmanda ; nichilque post gratiam et legem Dei uiuentes rectius et ualidius instruit
quam si gesta cognouerint decessorum. In hiis autem dicturus sum nichil auctore Deo
scribam, nisi quod uisu et auditu uerum esse cognouero, uel quod probabilium uirorum
scriptis fuerit et auctoritate subnixum. […] Nullius hystorie fides est incorrupta, si
scriptor adulationi pocius seruiat quam ueritati, et dum paucis placere nititur, in sui
ipsius perniciem decipit uniuersos. »
113. Policraticus, VII, prol., p. 93, 7-15 : « Quaedam uero, quaei in libris auctorum non
repperi, ex usu cotidiano et rerum experientia quasi de quadam morum historia excerpsi.
Si qua uero ad grauioris philosophiae exercitationem uidentur accedere, Achademicorum
more inuestigandi animo quam peruicacia contendendi sic constet esse proposita ut in
examinationem ueri suum cuique iudicium liberum reseruetur et inutilis scribentium
censeatur auctoritas ubi sententia potior refragatur. »
114. Voir Quintilien, Institutio oratoria, texte établi et traduit par J. Cousin, Les
Belles Lettres, Paris, 1975-2003, XII, 6, 2.
115. À plusieurs reprises, par exemple dans le De utilitate credendi, chap. 9-12, et
dans le De Trinitate, XV, 21, Augustin a introduit un ensemble d’éléments clés pour
une épistémologie du témoignage. Tout en reconnaissant l’infériorité épistémique du
témoignage (qui relève de la perception sensible, qui plus est indirecte) au regard de la
compréhension rationnelle, Augustin introduit systématiquement un critère pragmatique
pour défendre la valeur cognitive du témoignage et de la connaissance historique qui lui
est liée. Il précise brièvement, aussi, les critères auxquels le témoignage doit répondre
pour être recevable, à savoir cohérence (avec les autres croyances) et fiabilité (de la
source).
116. Voir ci-dessus, chap. 2, p. 67-71.
117. Voir, par exemple, De ciuitate Dei, XIX, 12.
118. Voir sur cette question E. Jeauneau, « L’usage de la notion d’integumentum… »,
op. cit. ; W. Wetherbee, Platonism and Poetry in the Twelfth Century, op. cit., p. 36-48 ;
F. Bezner, Vela veritatis. Hermeneutik, Wissen und Sprache in der Intellectual History
notes de LA page 142 275

des 12. Jahrhunderts, Leiden – Boston, Brill, 2005, en particulier p. 596-629 pour Jean
de Salisbury.
119. Entheticus, v. 187-190, p. 117-119 : « Vera latent rerum variarum tecta figuris;/
nam sacra vulgari publica iura vetant./ Haec ideo veteres propriis texere figuris,/ ut
meritum possit conciliare fides. »
120. Policraticus, VI, 22, p. 63, 9-10 ; VIII, 24, p. 415, l. 10 – 417, 17. Voir les
analyses de S. Gersh, « (Pseudo-?) Bernard Silverstris and the Revival of Neoplatonic
Virgilian Exegesis », in M-O. Goulet-Cazé, G. Madec, et D. O’Brien (dir.), Chercheurs
de sagesse. Hommage à Jean Pépin, Paris, Institut des Études augustiniennes, 1992,
p. 573-593 : 590-592.
121. Metalogicon, I, 20, p. 47, 32-39 : « Sed quid docebant noui doctores, et qui plus
somniorum quam uigiliarum in scrutinio philosophiae consumpserant, et facilius instituti
quam illi iuxta narrationes fabulosas qui somniantes in Parnaso repente uates progrediebantur,
aut citius quam hi qui de Castalio fonte Musarum hauriebant munus poeticum, aut quam
illi qui uiso Phoebo Musarum nedum musicorum meruerunt ascribi consortio ? »
122. Cicéron, De inuentione, op. cit., I, 19, 27 ; M. Victorinus, Explanationes in
Ciceronis Rhetoricam, A. Ippolito (éd.), CCSL 132, Turnhout, Brepols, 2006, I, 19 ;
M. Capella, De nuptiis Philologiae et Mercurii, V, § 550.
123. T. de Chartres, Commentarius…, op. cit., p. 23-25
124. Metalogicon, I, 24, p. 52, 27-32 : « Illi enim per diacrisim quam nos illustrationem
siue picturationem possumus appellare, cum rudem materiam historiae aut argumenti
aut fabulae aliam ue quamlibet suscepissent, eam tanta disciplinarum copia, et tanta
compositionis et condimenti gratia excolebant, ut opus consummatum omnium artium
quodam modo uideretur imago. »
125. Policraticus, II, 19, p. 113, 58-61 : « Innuit enim poeta doctissimus, si tamen
poeta dicendus est qui uera narratione rerum ad historicos magis accedit, illius malitiam
irrefragabiliter adimplendam qui solus in throno sui domicilii residebat. »
126. Ibid., VI, 19, p. 55, 10-14 : « Eneas a digitis gemmas ad ensem, Virro ad
pocula legitur transtulisse. Machabeos quoque constat clipeos inaurasse et ex fulgore
eorum fortitudinem gentium dissipatam; eos tamen credibile est ueste communi fuisse
contentos. »
127. Ibid., VII, 20, p. 188, 8-16 : « Si dicas quia ignis, qui per septuaginta annos
Babilonicae captiuitatis sub aqua uixerat, demum extinctus est Antiocho uendente
Iasoni sacerdotium; aut (quod beatus Gregorius testatur) quia pestilentiae et fames,
concussiones gentium, collisiones regnorum et quamplurima aduersa terris proueniunt
ex eo quod honores ecclesiastici ad pretium uel humanam gratiam conferuntur personis
non meritis. »
128. Il faudrait peut-être ajouter un troisième niveau, fondé sur le témoignage direct
de Jean lui-même. Mais, finalement, même dans l’Historia pontificalis, Jean répugne à
se mettre directement en scène comme témoin. L’exception la plus connue est le texte,
276 notes des pages 142 à 145

fameux, où il rapporte une conversation avec Adrien IV, à Rome, et où il met en garde


le Pontife contre la corruption du clergé. Voir Policraticus, VI, 24, p. 67, 6 – 73, 6.
129. Policraticus, I, prol., p. 24, 94-105 : « Quae uero ad rem pertinentia a diuersis
auctoribus se animo ingerebant, dum conferrent aut iuuarent, curaui inserere, tacitis
interdum nominibus auctorum, tu quia tibi utpote exercitatio in litteris pleraque plenissime
nota esse noueram, tum ut ad lectionem assiduam magis ascenderetur ignarus. In quibus
si quid a fide ueri longius abest, michi ueniam deberi confido qui non omnia quae hic
scribuntur uera esse promitto, sed, siue uera seu falsa sint, legentium usibus inseruire.
Neque enim adeo excors sum ut pro uero astruam quia pennatis auibus quondam testudo
locuta est, aut quod rusticus urbanum murem mus paupere texto acceperit, et similia ;
sed quin haec figmenta nostrae famulentur instructioni non ambiguo. »
130. Ibid., I, prol., p. 25, 129-138 : « Si tamen alicubi auctorum aliter quam scripserim
inueniatur, non ideo constabit me esse mentitum, cum in strategemmaticis historicos, qui
frequenter ab inuicem dissident, sim secutus, et in philosophicis Academice disputans pro
rationis modulo quae occurrebant probabilia sectatus sim. Nec Academicorum erubesco
professionem, qui in his quae sunt dubitabilia sapienti ab eorum uestigiis recedo. Licet
enim secta haec tenebras rebus omnibus uideatur inducere, nulla ueritati examinandae
fidelior et, auctore Cicerone qui ad eam in senectute diuertit, nulla profectui familiarior
est. »
131. Voir Metalogicon, IV, 36, p. 176, 39-44 : « Ista siquidem est uirgo fontana, unde
Martianus praemissam asserit manare ueritatem. Nihil enim ueraciter innotescit, nisi de
scaturigine fontis huius. Sed nec aliquod falsum inde emanat, quoniam fontana illa quam
poetici nube figmenti inuoluit uirgo est, et totius corruptionis et falsitatis ignara. »
132. Policraticus, I, prol. p. 25, 114-117 : « Neque enim Alexandrum uidi uel
Caesarem, nec Socratem Zenonem ue, Platonem aut Aristotilem disputantes audiui; de
his tamen et aliis aeque ignotis ad utilitatem legentium retuli plurima. »
133. Metalogicon, I, 6, p. 22, 8-10 : « Adeo quidem ut apud serietatem fidelium
historicorum constet Daedalum non uolasse, quoniam ei natura alas negauerat, sed
tirannicam rabiem subito euasisse nauigio. »
134. Policraticus, VIII, 23, p. 407, 25 – 408, 2 : « Ycarus quoque, dum elatus iuuenili
leuitate fertur in celum, marinis fluctibus mergitur. Deiectus enim est dum alleuaretur;
subuectio siquidem impiorum grauioris ruinae praeparatio est. »
135. Un troisième cas assez significatif a déjà été largement glosé, il s’agit de celui
de la matrone d’Ephèse, repris à Pétrone. Voir C. Veyrard-Cosme, « Jean de Salisbury
et le récit de Pétrone, du remploi à l’exemplum », Cahiers d’Études Anciennes, 39,
2003, p. 69-88.
136. Le plan du chapitre (p. 29-42) est le suivant : Jean commence par une critique
de la chasse fondée sur un ensemble d’exempla funestes (l. 1-280), d’abord, des exempla
antiques : « Et primi quidem Thebani, si fidem sequamur historiae, eam communicandam
omnibus statuerunt. […] Riserunt eos Athenienses et Lacedaemonii, populi gruiores,
historiarum gesta, naturae morumque mysteria uariis figmentorum inuolucris obtexentes,
notes des pages 145 à 147 277

sic tamen ut ex cautela malorum utilitatem inducerent aut ex lepore poematis uoluptatem. »
(l. 1-12) ; puis, l’exigence de conviction conduit aux exempla bibliques (l. 159) : « Quod
si historiis quas suis poetae decolorauere figmentis fides subtrahitur, illi utique credi
necesse est quae ex eo quod scripta est digito Dei irrefragibilem apud omnes gentes
sortita est auctoritatem. » ; enfin, Jean ajoute les exempla contemporains : (l. 240)
« Regibus quoque ipsis manus Domini non percipi […] Domestica namque sunt exempla
quam plurimis ». En une courte transition, Jean indique qu’il ne veut pas condamner
absolument la chasse : (l. 281-285) : « Verum ne uenaticam et alias curialium nugas non
tam iudicio quam odio stilus persequi uideatur, eam indifferentibus connumerandam
facile libensque consentio, nisi quia immoderato uoluptatis incursu uirilem animum
concutit et fundamentum subuertit rationis. » Il ajoute alors un ensemble d’exempla en
faveur du bon usage de la chasse, lié à un éloge de la modération (l. 285-384) : « Potes
igitur uenatica esse utilis et honesta, sed ex loco tempore, modo persona et causa. »
Sur la critique de la chasse au Moyen Âge, voir F. Lachaud, L’Éthique du pouvoir au
Moyen Âge, op. cit., p. 299-316.
137. Policraticus, I, 4, p. 36, 200-207 : « Egregie siquidem bella gessit, fratribus
restituit libertatem, leges erexit, caerimonias innouauit, mundauit sancta, templi faciem
unde sibi credebat prouenisse uictoriam coronis aureis decorauit, nullos que illius in
actus surrepsit partem que tulit sibi nata uoluptas. »
138. Ibid., I, 4, p. 36, 200-206 : « Venationis aeriae auctorem iactitant fuisse
Machabeum, qui maioribus occupatus huius uoluptatis ut creditur uitam duxit exortem.
Egregie siquidem bella gressit, fratribus restituit libertatem, leges erexit, caerimonias
innouauit, munduit sancta, templi faciem unde sibi credebat prouenisse uictoriam coronis
aureis decorauit, nullosque illius in actus suerrpsit partemque tulit sibi nata uoluptas. »
139. Ici se pose un autre problème qu’il n’est pas possible de développer, à savoir le
refus de nommer les personnes impliquées. Sur ce point voir le prologue du premier livre
du Policraticus, p. 24, 95-98 : « tacitis interdum nominibus auctorum, tum quia tibi utpote
exercitato in litteris pleraque plenissime nota esse noueram, tum ut ad lectionem assiduam
magis accenderetur ignarus. » L’usage d’un pseudonyme ou d’un nom interchangeable a
aussi pour fonction de détacher l’exemple du strict contexte où il est apparu la première
fois, et de transformer le cas en type. Voir le cas de Pythagore et Protagoras, analysé
ci-dessous.
140. Sur ce point, voir Metalogicon, II, 12, p. 74, 6-8 : « Sunt autem circumstantiae
quas Boetius in quarto topicorum enumerat, quis, quid, ubi, quibus adminiculis, cur,
quomodo, quando. » Voir, à ce sujet, G. Navaud, Le Théâtre comme métaphore théorique
de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, 2010, p. 145-146.
141. Je reviens dans le chapitre suivant sur cette « plasticité » de l’exemple.
142. Par exemple, H. Liebeschütz, Medieval Humanism…, op. cit., p. 116-117.
143. Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury, op. cit., p. 92-100.
144. Sur le sens du recours massif et systématique au droit romain chez Jean de
Salisbury, voir J. Krynen, « Princeps pugnat pro legibus…, un aspect du Policraticus »,
278 notes des pages 147 à 149

Études d’histoire du droit et des idées politiques, 3, 1999, p. 89-99 et « Sur la leçon
de législation ecclésiastique du Policraticus », in G. Constable et M. Rouche (dir.),
Auctoritas. Mélanges offerts au professeur Olivier Guillot, Paris, Presses de l’université
Paris Sorbonne, 2006, p. 497-502, ainsi que M. Kerner, « Johannes von Salisbury und das
gelehrte Recht », in P. Landau et J. Müller (dir.), Proceedings of the ninth international
Congress of Medieval Law, Monumenta iuris canonici series C subsidia 10, Vatican,
1997.
145. Policraticus, V, 12, p. 334, 13-21 : « Et quidem iudices sacramento legibus
alligantur iurati, quia omni modo iudicium cum ueritate et legum obseruatione disponent.
Ipso que iure cautum est ut sacrorum Euangeliorum scripturae terribiles ante sedem
iudicialem deponantur ibi que ab initio litium ad finem usque permaneant nec amoueantur
nisi sententia recitata, quo totius consistorii latitudo Dei ipsius repleta praesentia omnibus
ad sacrosanctas scripturas metum incutiat et reuerentiam et ab inquisitione ueritatis omnis
iniquitas propulsetur. » Sur la notion de serment, voir F. Lachaud, L’Éthique du pouvoir…,
op. cit., p. 210-214, C. Grellard, « La religion comme technique de gouvernement chez
Jean de Salisbury », Cahiers de civilisation médiévale, 53, 2010, p. 237-254.
146. Policraticus, V, 12, p. 334, 22-23 : « Omnes quoque carnis et sanguinis religio
iudiciaria propellit affectus euacuans iram et odium, metum et amicitiam. »
147. Ibid., V, 12, p. 334, 27-29 : « Aequitas enim, cui iudex obsequium debet, odii
sinistram aut amoris dexteram nescit; nam a ueritate non licet in iudiciis declinare. »
148. Sur ce schéma, voir les analyses que je propose dans C. Grellard, « La religion
comme technique de gouvernement… », op. cit.
149. Policraticus, V, 12, p. 334, 24-27 : « [Q]uia, ut ait Iulius Cesar, haud facile
animus uerum prouidet, ubi ista proficiunt. Hinc est illud prouerbium auctore Cicerone
apud antiquos celeberrimum: Exuit personam iudicis quisquis amicum induit. »
150. Ibid., V, 12, p. 334, 30 – 335, 2 : « Vt uero plurimum indulgeatur amicitiae, amico
interdum dilationis gratiam facit. Hoc tamen ipsum raro et non nisi causa cognita. »
151. Ibid., V, 12, p. 335, 10-15 : « Sed nec iudicem terreat auctoritas ligatorum, cum
Pitagorae in longissimum tempus sit dilata petitio, et Alexandri Macedonis in castrensi
iudicio sit causa dampnata; quod et ille acceptum habuit, iudicibus agens gratiam, quorum
in eo fidem probauerat, quod iustitiam omni potentatui praeferebant. »
152. Ibid., V, 12, p. 335, 15-22 : « Nichil uero praeclarius de Alexandro illo, quem
publica opinio magnum asserit, in aliqua historia meo iudicio repperi. Michi quidem semper
(ut tamen pace eorum loquar, qui temeritatem uirtuti praeferunt) ditissimo Alexandro
pauper Pitagoras maior erit. Quod ut me cum conicias, collationem Philippi et Alexandri
Trogo Pompeio uel Iustino compendiario eius (si mauis) auctore reuoluas. »
153. Sur la fortune médiévale d’Alexandre, voir G. Cary, « Alexander the Great
in medieval theology », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 17, 1954,
p. 98-114. La figure d’Alexandre n’occupe pas une place particulièrement importante
dans le Policraticus. Jean de Salisbury cite une demi-douzaine d’exempla, principalement
inspirés de Valère Maxime, Suétone, Justin, et Augustin (l’exemple fameux du pirate,
notes des pages 149 à 153 279

dans De ciuitate Dei, IV, 4). En général, ces exemples visent à souligner la vanité d’un
pouvoir presque illimité.
154. Policraticus, V, 12, p. 336, 30 – 337, 6 : « At Pitagoras apud philosophos tantae
extitit auctoritatis ut ad omnium quaestionum decisionem sufficeret, si in parte crederetur
Pitagoras extitisse. Tantum namque opinio praeiudicata poterat ut nichil conualesceret ab
opposito, dum hoc ipse dixisse diceretur, et ex usu adquiescentium uox ipsa pronominis
Pitagoram indicabat. Cum enim simpliciter dicebatur: Ipse hoc dixit; ex praecepta
auctoritate, teste Tullio, Pitagoram intelligi oportebat. »
155. Ibid., V, 12, p. 337, 10 – 338, 14.
156. Ibid., V, 12, p. 338, 14-17 : « Nec multum refert ad propositum Pitagoras an
Protagoras, sicut Quintiliano placet et Agellio, litigauerit; neque enim uis est in nomine,
dum constet rem ambiguam sine temeritate diffiniri non posse. » Pour un autre exemple de
confusion entre Pythagore et Protagoras, voir Metalogicon, III, 10, p. 139, 264-269.
157. Policraticus, « Entheticus in Policraticum », v. 37-42, p. 10 : « ut que uirum
uirtus animi, sic gratia formae / undique mirandum gentibus esse facit; / tardus ad hunc
Samius, si certet acumine mentis, / indoctus que Plato, Varro que stultus erit; / Curio si
certet uerbis, uincetur ab ipso; / uictus, si certet, Quintilianus erit. »

Chapitre 4

1. L’éthique de Jean de Salisbury a pourtant fait l’objet de très peu d’études. La


plupart d’entre elles l’inscrivent dans le cadre classique (partiellement correct) d’une
éthique eudémoniste fondée sur la pratique des vertus. Voir M. Dal Pra, Giovanni di
Salisbury, Milano, Fratelli Bocca, 1951, p. 129-130, P. Delhaye, « Le bien suprême
d’après le Policraticus de Jean de Salisbury », Recherches de théologie ancienne et
médiévale, 25, 1953, p. 203-221, C. Nederman, « Aristotelian Ethics and John of
Salisbury’s Letters » Viator : Medieval and Renaissance Studies, 18, 1987, p. 161-173.
Plus récemment, C. Nederman a souligné la dimension sceptique de cette éthique dans
« Beyond Aristotelianism and Stoicism : John of Salisbury’s Skepticism and Moral
Reasonning in the Twelfth Century » in I. Bejczy et R. Newhauser (dir.), Virtue and
Ethics in the Twelfth Century, Brill, Leiden, 2005, p. 175-195. Pour un point de vue
différent, néanmoins, voir S. Sonnesyn, « John of Salisbury on Ethics », in G. Grellard
et F. Lachaud (dir.), A Companion to John of Salisbury, op. cit.
2. Voir par exemple, Metalogicon, I, prol., 11, p. 76-78, et Policraticus III, 1, p. 175,
77-79 ; ainsi que la Lettre 158, vol. 2, p. 68.
3. Entheticus, v. 865-868, p 163 : « Philosophus satagit, ut mens respondeat ori, ut
proba sit verbus consona vita bonis./ Non ut quis recte loquitur, mox philosophatur,/ Sed
qui sic vivit, ut bona semper agat. »
4. Sur la place de la modération dans l’épistémologie sceptique de Jean de Salisbury,
voir le chapitre 2, p. 43-53.
280 notes des pages 154 à 157

5. Policraticus, VII, 2, p. 98, 17 – 99, 13. Voir ci-dessus, chap. 2, p. 234, n. 27 –
p. 236, n. 29.
6. Voir Cicéron, Lucullus, 108-109, De natura deorum, I, 12, De officiis, I, 8. On reviendra
sur cette question dans la troisième partie de ce chapitre. Sur le problème du probable et
son rapport à l’action, on consultera C. Lévy, Cicero Academicus, op. cit., p. 277-290. Sur
l’absence de connaissance des Académiques par Jean, voir ci-dessus, chap. 1, p. 34.
7. Ci-dessus, chap. 2, p. 85-106.
8. Policraticus, VII, 7, p. 116, 27 – 117, 5 : « Habet et religio quaelibet principia sua quae
aut ratio communis aut pietas persuasit quibus proficit in cultu Dei et morum exercitio ad
beatitudinem optinendam. Est autem unum omnium religionum principium quod pietas gratis
et sine ulla probatione concedit, Deum scilicet potentem, sapientem, bonum, uenerabilem et
amabilem esse. Nam Epicureorum Deum esse negantium et casui subicientium omnia iam
pridem auctore Deo homine explosa sententia est. Obuiare ergo principiis aut rebus per se
notis siue de his ambigere insensati est aut uecordis siue (quod deterius est) criminosi. »
9. Sur la notion de prudence, reprise à Cicéron, voir le chapitre 2, p. 58-59.
10. Entheticus, v. 11-18, p. 105 : « Est Alethia soror Fronesis, virtutis origo,/ grata
sui specie, semper amica Deo ;/ nam deformatur, quotiens extrinsecus illi/ cultus adest :
fucos virgo beata fugit. »
11. Policraticus, III, 1, p. 175, 78-82 : « Agnitio igitur ueritatis cultus que uirtutis
publica singulorum et omnium et rationalis naturae uniuersalis incolumitas est. Contrarium
uero eius ignorantia, et odibilis et inimica propago eius uitium est. Et recte quidem
ignorantia mater uitii est, quia numquam adeo sterilis est ut non odibilium fructum
pariat infelicem. »
12. Entheticus, v. 699-700 ; Policraticus, VII, 8, p. 120, 6-10. Voir Augustin, De
ciuitate Dei, VIII, 1.
13. Entheticus, v. 1-4, p. 105 : « Dogmata discuties veterum fructumque laboris,/
quem capit ex studiis Philosophia suis./ Spiritus ille bonus linguam mentemque gubernet,/
qui bona verba docet et pia vota facit. »
14. Policraticus, VII, 8, p. 122, 11-13 : « De quibus dubitare et quaerere liberum est,
donec ex collatione propositorum quasi ex quadam rationum collisione ueritas illucescat ».
Sur la notion de collatio, voir ci-dessus chap. 3, p. 120-121.
15. Sur l’usage sceptique de la doxographie chez Cicéron, voir C. Lévy, Cicero
Academicus, op. cit., p. 337-376.
16. Policraticus, VII, 8, p. 118, 9-12 : « Illud autem quo omnium rationabilium
uergit intentio uera beatitudo est. Nemo etenim est qui non uelit esse beatus ; sed ad
hoc quod desiderant non una uia omnes incedunt. » L’affirmation qu’il n’est personne
qui ne veuille être heureux est un leitmotiv de la philosophie augustinienne. Voir, par
exemple, De ciuitate Dei, XI, 26.
17. Policraticus, VII, 8, p. 118, 12-14 : « Vna tamen est omnibus uia proposita sed
quasi strata regia scinditur in semitas multas. Haec autem uirtus est ; nam nisi per uirtutem
nemo ad beatitudinem pergit. »
notes des pages 158 à 159 281

18. Sur le premier point, voir Ibid., III, 14, p. 221, 35-37 : « In quo quantum a
uirtute maiorum aetas nostra degenerauerit perspicuum est, cum sine patientia aut
nullum aut rarum esse opus uirtutis uerbis docuerint et exemplis. » ; ainsi que VII, 8,
p. 119, 30 – 120, 4, sur le culte rendu à Dieu par Platon : « Cum enim Plato sapientem
dicat esse cultorem Dei, quis alius habendus est sapiens quam ille qui moratur in
iustificationibus Domini et mulcente se conscientia bonorum operum uerae felicitatis
saporem tota mentis auiditate iam praegustat et sentit ? » ; sur le second, VII, 23,
p. 205, 2-8 : « Quodam igitur modo eo que glorioso perfectus est qui praeuidet unde
ualeat satiari ; quod etsi neminem uel admodum paucos gentilium assecutos credam,
huic tamen nonnullos institisse proposito certum habeo, cum et ethicus dicat : Certum
uoto pete finem ; sine quo in infinitum animi humani conatus protenditur et in id quod
omnino nequeat apprehendi. »
19. Ibid., VII, 8, 121, 26 – 122, 3 : « Sed quia ueteres, licet ex parte animas crederent
immortales, uitae eternae, quae post istam futura est, nondum instructionem acceperant ;
summum bonum in uirtute constituerunt quo plane nichil melius est nisi frui eo qui
summe bonus et summum bonum est. »
20. Lettre 158 (à Maître Gérard Pucelle, 1168), p. 70 : « In eo namque totius ethicae
gentilis praecepta uigent ut carnalium passiones affectionum, quas nequeunt penitus
extinguere, reprimant et subiciant rationi. Quod si cui diuinitus datum fuerit, quia ad
hoc natura impotens est, non ambigitur eum recte philosophantis uia ad uitam incedere,
ut aeternaliter uideat dies bonos ; et quatenus in eo quisque profecerit eatenus ad ueram
philosophiam accedit. »
21. Entheticus, v. 527-538, p. 141 : « Esse boni summam putat alter gaudia mentis,/
atque voluptati cuncta subesse docet./ Hoc equidem recte, sed si sit pura voluptas,/ si ratio
dicti gaudia vera capit,/ si status appetitur, ut quod vult assit, et absit/ quod non vult animus,
ad pia vota studens,/ si labor aspirat veram conferre quietem,/ si mens tranquille gaudia
pacis habet./ Militat ad pacem labor officiosus, et ambit,/ quod sibi laetitiam perpetuare
queat ;/ in virtute labor positus dulcescit, et in se/ mens benefactorum conscia laeta viget ».
Voir C. Lévy, Cicero Academicus, op. cit., p. 400. L’une des sources possibles de Jean
de Salisbury est sans doute la défense d’Épicure par le philosophe dans les Collationes
de Pierre Abélard, J. Marenbon et G. Orlandi (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press,
2001, § 87, p. 108 : « Et fortassis hec fuit Epicuri sententia summum bonum uoluptatem
dicentis, quando uidelicet tanta est anime tranquillitas, ut nec exterius eam corporalis
afflictio nec interius mentem aliqua peccati conscientia inquietet uel uitium obstet, sed
optima eous uoluntas omnino compleatur. »
22. Dans De ciuitate Dei, XIV, c. 2-3, Augustin explique que, dans un premier sens,
la chair est strictement matérielle et renvoie au corps animal c’est-à-dire terrestre (par
opposition au corps spirituel mais aussi aux astres) et mortel. Cependant, dans un sens
plus large, et par synecdoque, la chair peut aussi renvoyer à l’homme pris comme un tout,
la nature humaine ou ce qui est appelé une personne : c’est ce sens qui est employé dans
le cas de l’Incarnation. Il n’en reste pas moins que, conformément à ce que dit l’Apôtre
282 notes des pages 159 à 161

(Gal., 5, 19-22), vivre selon la chair, c’est vivre dans le péché, puisque c’est vivre selon
l’homme et non selon Dieu.
23. Entheticus, v. 543-548, p. 141 : « Vera quies tunc, cum caro subdita menti/ morte
triumphata spiritualise rit ;/ et caro nil recipit, nisi quod ratione probatur,/ et mentem
puram firmat agitque Deus ;/ unitur menti caro subdita, mensque beatur/ plena Deo.
Finem non habet ista quies. »
24. Policraticus VII, 15, p. 154, 5-12 : « Siquidem Epicurus et totus grex sodalium eius
uitam beatam asserit quae semper tanta iocunditate letatur ut tristitiae et perturbationis
non interueniat uel tenuis motus. Vera quidem diffinitio est et qua nichil potest esse
rotundius. Ab ea tamen plebs, quae eum sequitur, defluxit in uoluptates, reputans se
earum usu beatissimam esse futuram. » ; VIII, 25, p. 418, 6-11.
25. Ibid., VIII, prol., p. 227, 19-23 : « Nunc transeamus in Epicureorum castra,
et quod ibi pro certo fuerit exploratum in medium proferatur. Nam ad eorum sectam
indubitanter pertinere noscuntur qui in omnibus propriae seruiunt uoluntati » ; VIII, 24,
p. 412, 2-7. Sur la notion de tyran, dont la portée est autant morale que politique, voir
K. Langdon Forhan, « Salisburean Stakes : The Uses of “Tyrany” in John of Salisbury’s
Policraticus », History of Political Thought, 11, 1990, p. 397-407, et C. Nederman et
K. Bollermann, « The Extravagance of the Senses : Epicureanism, Priestly Tyranny,
and the Becket Problem in John of Salisbury’s Policraticus » Studies in Medieval and
Renaissance History, forthcoming.
26. Policraticus, VIII, 24, p. 412, 8-11 : « Illos quoque Epicureorum nomine censendos
arbitror qui suam uolunt in omnibus implere uoluntatem. Nam, cum res libidini seruiunt,
in uoluptatem transit affectus. »
27. Ibid., VIII, 24, p. 412, 14-20 : « Mundus itaque Epicureis plenus est, eo quod
in tanta multitudine hominum pauci sunt qui non famulentur libidini, id est corruptae
uoluntati, sed laboriosae uoluntatis nexibus non impliciti aut nulli aut pauciores sunt.
De loco uoluptatis exclusus est homo, ex quo libido praeualuit, eo quod uita iocunda et
tranquilla frui non potest cui coeperit libido dominari. »
28. Entheticus, v. 451-526, p. 137-139.
29. Ibid., v. 461-468, p. 135-137 : « Omnia contemnit leviter, qui se moriturum/
cogitat, et recolit cuncta perire brevi./ Si tamen absque modo fuerit meditatio mortis,/
subruat ut nimio corda pavore stupor,/ spesque perempta cadat variis turbata procellis,/
excedit licitum mortis imago modum ;/ excedit fines quos lex praescripsit ad usum/ et
mortem veram mortis imago parit. »
30. Ibid., v. 485-490, p. 137 : « Qui negat esse Deum, plane blasphemat, et ignes/
in se succendit, tela crucemque parat,/ provocat aeternam mortem, quam nemo cavere/
sufficit absque Deo, quem furor esse negat./ Proficit ergo bonis iugis meditatio mortis,/
unde perit stultus, qui timet absque modo. »
31. Sur l’histoire et la diffusion de cet exemplum qui se lit dans les Noctes Atticae
d’Aulu-Gelle, voir C. Casagrande, « Le philosophe dans la tempête. Apathie et contrôle
des passions dans les exempla », in Th. Ricklin, E. Babey et D. Carron (dir.), Exempla
notes des pages 161 à 164 283

docent. Les exemples des philosophes de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, Vrin,


p. 21-33, en particulier p. 28-29.
32. Policraticus, VII, 3, p. 100, 7 – 101, 20. Voir Aulu-Gelle, Noctes Atticae, XIX,
1. La conclusion de Jean se trouve à la suite, p. 100, 21-28 : « Errant tamen, si istarum
passionum, quae necessariae sunt, repressionem et castigationem citra gratiam uiribus
suis adscribunt, eo quod solius miserentis Dei est, non utique currentis hominis aut
uolentis, ut hae in usum iustitiae conuertantur. Hoc autem sufficiat demonstrare quod
timore modestia dispensatur et philosophandi prima sternitur et disponitur uia. Siquidem
scriptum est quia initium sapientiae et finis modestiae timor Domini. »
33. Policraticus, VIII, 25, p. 419, 1-4 : « Via siquidem haec uirtus est, duobus
interiecta et artata limitibus, cognitione scilicet et exercitio boni. Nosse namque bonum
et non facere meritum dampnationis est, non uia beatitudinis ». Le même thème est déjà
évoqué au livre VII, chap. 8, p. 118, 4 ; 122, 15.
34. À ma connaissance, Jean ne semble, cependant, jamais considérer ni implicitement
ni explicitement la théorie de l’action d’Abélard qui repose à la fois sur la « racine de
l’intention » et sur le consentement (au péché ou au bien, selon la nature morale de l’acte).
Voir J. Marenbon, The Philosophy of Peter Abelard, op. cit., p. 251-264, R. Blomme,
La Doctrine du péché dans les écoles théologiques de la première moitié du xiie siècle,
Publications universitaires de Louvain – Éditions J. Duculot, Louvain – Gembloux,
1958, p. 117-154. Le cas de Thomas Becket, tel qu’il est rapporté dans une perspective
hagiographique, dans la Vita, met cependant en avant la pureté de l’intention de Thomas
par-delà les actes contestables du courtisan. Voir ci-dessous les analyses de ce texte.
35. Voir par exemple, Entheticus, v. 935-936, p. 163 : « Haec et Aristotiles fertur
docuisse loquendo ;/ fortius exemplis quilibet ista docet. » ; v. 1241-1242, p. 165-167 :
« Et si vita foret Ciceronis consona verbis,/ in summis poterat maximus esse viris. »
36. Policraticus, VIII, 25, p. 420, 1-6 : « Boni tamen et mali sciens factus est per
experientiam, et multiplici miseriae locum fecit in se. Ergo a ligno scientiae dum prohibitus
illud ascenderet, a ueritate uirtute uita cecidit et deuiauit homo, nec reuertetur ad uitam,
nisi ad arborem scientiae redeat, et inde ueritatem in cognitione, uirtutem in opere, uitam
in iocunditate mutuetur. »
37. Ce qui fait écho au principe fondamental de la morale païenne tel que Jean
l’énonce dans la Lettre 158 : réprimer les passions charnelles et les soumettre à la raison.
Voir ci-dessus, p. 281, n. 20.
38. Entheticus, v. 1799-1800, p. 223 : « Ob causas varias quaeruntur cetera ; virtus/ se
contenta sui praemia semper habet. » Sur la vertu comme modératrice, voir Policraticus,
VII, 13, p. 150, l. 18 ; VIII, 13, p. 318, 12.
39. Voir C. Nederman, « The Aristotelian Doctrine of the Mean and John of Salisbury’s
Concept of Liberty » Vivarium, 24, 1986, p. 128-142.
40. Voir J. Marenbon, The philosophy of Peter Abelard, op. cit., p. 284-285.
41. Policraticus, V, 4, p. 291, 7-14 : « Mos autem est mentis habitus ex quo singulorum
operum assiduitas manat. Non enim si quid fit semel aut amplius, statim moribus
284 notes des pages 164 à 165

aggregatur, nisi assiduitate faciendi uertatur in usum. Hic autem uirtutes et uitia aeque
complectitur, licet uitia non mores esse sed a plerisque dicantur moribus obuiare. In quo
planum est solas uirtutes censeri nomine morum, cum bonos tamen aut malos dicimus
mores, uitia distinguimus et uirtutes. »
42. Voir ci-dessus, chap. 2, p. 58-59.
43. Voir Metalogicon, IV, 12, p. 150, 4-20, cité et analysé ci-dessus,p. 238, n. 46
et p. 240-241, n. 63.
44. Voir Cicéron, De officiis, I, 40, 143, p. 180, III, 8, 18, p. 21-22. On ne trouve,
à ma connaissance, qu’une seule mention explicite des quatre vertus cardinales chez
Jean de Salisbury, Policraticus, IV, 12, p. 273, 45-48 : « Hae sunt quattuor uirtutes quas
philosophi cardinales appellant, eo quod a primo fonte honestatis quasi primi riuuli
manare credantur, et de se bonorum omnium fluenta propagare. »
45. Cette distinction de la prudence et des vertus morales peut être lue, encore une
fois, comme une influence de la philosophie de Pierre Abélard. Comme le souligne
J. Marenbon (The Philosophy of Peter Abelard, op. cit., p. 285-286), le philosophe du
Pallet distingue, à la suite d’une lecture d’Aristote orientée par Boèce, la connaissance
et la vertu. De la sorte, et c’est notamment la thèse défendue par le philosophe des
Collationes, op. cit., (§ 124, p. 138), la prudence n’est pas en tant que telle une vertu,
mais la condition et l’origine des vertus.
46. Policraticus, VIII, 5, p. 244, 11 : « Ad hoc duplici fonte mores oriuntur. »
47. Ibid., VIII, 5, p. 239, 29 -240, 11 : « Duos quidem affectus in homine ab initio
extitisse sacrae Scripturae designat auctoritas, appetitum scilicet iusti et commodi
appetitum. Quorum alter in uoluntate, alter in necessitate consistit ; et quanto appetitus
iusti qui in uoluntate est amplius crescit, tanto melior est et dignus beatitudine ampliori.
Nam nimis uelle quod iustum est nemo potest, nisi forte quis queat esse iustus nimium
aut beatus. Porro, si appetitus commodi mensuram necessitatis excedat, uergit ad culpam
et cupiditatis conscius sibi uitiorum parit originem. Alter ergo istorum, quoniam militat
caritati, quaerit quae Dei sunt ; alter in propria utilitate uersatur, postponens quae Dei
sunt aut proximorum. Ab hoc duplici fonte mores oriuntur. »
48. Dès l’Entheticus, la vaine gloire était présentée comme l’un des principaux
vices, directement opposé à la vertu et à l’amour de Dieu. Jean de Salisbury y décrit
avec précision le mécanisme qui mène de la libido à la vana gloria, puis à une multitude
d’autres vices (v. 875-896), p. 163. À ce vice fondamental, en tous les sens du terme,
il faut opposer l’amour de Dieu, le mépris du monde et la contemplation (v. 919-932),
p. 165-167. C’est de nouveau l’opposition augustinienne entre l’orgueil et l’humilité qui
structure ce confilt entre vices et vertus.
49. Policraticus, VIII, 15, p. 338, 23-25 : « Stoicis tamen placet sibi uirtutem sufficere
ad beatitudinem ; nec ego eos erroris arguo, sed expeditiorem dico per instrumenta
uirtutem. »
50. Ibid., VIII, 15, p. 338, 15-17 : « Ex his patet quia nec ualitudinis nec generositatis
nec copiae est laus prima sed uirtutis, cuius haec instrumenta sunt et ideo appetenda. »
notes des pages 166 à 168 285

51. Policraticus, VIII, 16, p. 343, 4-10 : « Non quod appetitum commodi, si temperatus
sit, dicam esse culpabilem, aut copiam rerum sufficientem aut letitiam mentis aut naturalem
libertatis amorem aut eminendi meritum ducam in crimine ; sed nichil istorum quod
pollicetur affert ; eo quidem modo quo quaeritur, contrarium potius operatur effectum. »
Voir également, VIII, 8, p. 279, 8-14.
52. Voir ci-dessus, chap. 2, p. 92, n. 153-154, p. 252 et n. 158-159, p. 253, les citations
de Metalogicon, IV, 33 et 40.
53. Entheticus, v. 273-276, p. 123 : « Gratia naturam reparans rationis acumen,/
purgat, et affectus temperat atque regit ;/ liberat arbitrium, sed eorum quos pia mater
consecrat ad cultum, Philosophia, tuum. »
54. Ibid., v. 1809-1818, p. 223 : « Gratia sola pium parit et confirmat amorem,/ cui
timor inservit ingenuusque pudor./ [...]/ Arbitrium carnis est gratia, mentis imago ; mente
caro vivit, arbitriumque Deo. »
55. Lettre 148 (à Robert, fils de Gilles, s.d.), p. 44 : « Sine ea [gratia] nichil potest
humana fragilitas, et per eam quaeuis infirmitas ad quantumlibet grandia conualescit,
ut exigente necessitate uel utilitate “saliat sicut ceruus claudus, et eloquens sit lingua
mutorum” (Is. 35, 6). »
56. Policraticus, VIII, p. 420, 28 – 421, 4 : « Hoc ipsum forte sensit et Maro, qui, licet
ueritatis esset ignarus et in tenebris gentium ambularet, ad Eliseos campos felicium et cari
genitoris conspectum Eneam admittendum esse non credidit, nisi docente Sibilla, quae
quasi siosbole consilium Iouis uel sapientia Dei interpretatur, ramum hunc Proserpinae,
quae proserpentem et erigentem se a uitiis uitam innuit, consecraret. » Sur ce texte, voir
J. Martin, « John of Salisbury as Classical Scholar », op. cit., p. 200-201.
57. Policraticus, VIII, 25, p. 421, 14-18 : « Plane quid penarum lateat in terrenis uel
quid in his possit mereri solus agnoscit qui de arbore scientiae ramum bonae operationis
auellit. Eo que auulso alter non deficit, quia quo amplius exercentur, eo magis subcrescunt
et proficiunt scientiae et uirtutes. »
58. Ibid., VIII, 25, p. 421, 18-24 : « Non tamen eatenus Maronis aut gentium insisto
uestigiis ut credam quempiam ad scientiam aut uirtutem propriis arbitrii sui uiribus
peruenire. Fateor gratiam in electis operari et uelle et perficere ; ipsam ueneror tamquam
uiam immo reuera uiam quae sola ducit ad uitam et quemque boni uoti compotem
facit. »
59. C’est tout l’enjeu du chapitre 5 du livre VIII des Confessionum libri tredecim
que de rappeler que la connaissance du bien ne suffit pas à la conversion, c’est-à-dire à
l’effectivité d’une volonté qui accomplit ce qu’elle sait être bon. De fait, la volonté est
divisée, et partiellement soumise à la loi du péché qui a la force de l’habitude. Tout le
parcours d’Augustin, qui aboutit à la fameuse scène du jardin de Milan et au « Tolle,
lege » (chap. 12), vise à montrer que seules l’humilité et la repentance mettent le pécheur
en état de recevoir la grâce qui dissipe les ténèbres de l’incertitude et rend la volonté
efficace. Une description plus théorique du fonctionnement de la grâce est donnée
dans un texte plus tardif (vers 412), dans le contexte de la querelle anti-pélagienne. Il
286 notes des pages 168 à 169

s’agit du De spiritu et littera, § 52. La grâce est ce qui rend possible la mise en œuvre
d’un véritable libre arbitre, c’est-à-dire, d’une volonté qui n’est plus soumise au péché.
De même que, la foi est un renouvellement et une refondation de la loi (de l’ancienne
alliance entre Dieu et son peuple), de même le libre arbitre est refondé et renouvelé par
la grâce. Celui qui reçoit la foi reçoit aussi la grâce, c’est-à-dire la guérison. La guérison
efface l’esclavage du péché et rend libre notre arbitre, notre pouvoir de choix (passage
du libre arbitre à la liberté). Cet accès à la liberté rend possible l’amour de la justice qui
est accomplissement de la loi avec délectation.
60. Entheticus, v. 226-234, p. 121 : « Ad mala namque sumus faciles, aptique perire ;/
gratia si desit, est opus omne malum ;/ gratia si desit, mens et manus officiosa/ non erit.
Haec mentem praevenit atque regit,/ haec monet affectus, operum quoque promovet
usus,/ linguam custodit, nec sinit esse ream,/ erigit affectum, rationem dirigit, actus/
componit, reserat abdita, vera docet. »
61. R. Saccenti, « Quattro gradi di virtù : il modello etico dei Commentarii di Macrobio
nel xii secolo », Medioevo, 31, 2006, p. 69-102.
62. Voir Collationes, op. cit., § 109, p. 128 : « Ecce secundum te summum bonum
illa superne uite quies intelligenda est, sicut e contrario summum malum illa malorum
dampnatio futura. Quorum utrumque, sicut meministi, ipsi nostris adquirimus meritis, per
que uidelicet quasi quibusdam uiis illuc peruenitur ». Voir J. Marenbon, The philosophy
of Peter Abelard, op. cit., p. 295-297.
63. On pourrait sans doute ajouter Prosper d’Aquitaine qui est vraisemblablement
la source de Rupert. Voir Prosper d’Aquitaine, Liber Sententiarum, c. 106, Corpus
Christianorum 68A, Brepols, Turnhout, LLT-A : « Omnis infidelium uita peccatum est,
et nihil est bonum sine summo bono. Vbi enim deest agnitio aeternae et incommutabilis
ueritatis, falsa uirtus est, etiam in optimis moribus. »
64. Voir le dossier de textes rassemblés par O. Lottin, Psychologie et morale aux xiie
et xiiie siècles. Tome II, Problèmes de morale, Abbaye du Mont-César, Louvain, 1948,
p. 109-120. Sur Alain de Lille, P. Delhaye, « La vertu et les vertus dans les oeuvres
d’Alain de Lille », Cahiers de civilisation médiévale, 6, 1963, p. 13-25.
65. Policraticus, III, 9, p. 196, 10 - 197, 34 : « Absit enim ut quisquam uere sit gloriosus
nisi qui in Domino gloriatur. Non enim qui se ipsum aut quem homo commendat, ille
probatus est, sed quem Deus commendat. Quod utique uera et sola uirtus meretur, non
quantacumque uirtutis imago. […] Ex quo patet quod nisi in ueri Dei notitia et cultu
uera uirtus esse non possit. »
66. Sur le premier point, Policraticus, III, 9, p. 197, 40 – 198, 45 : « Et utinam
inueniatur in nobis qui uel uirtutis imaginem teneat. Quis enim uirtutem amplectitur
ipsam ? Quis etiam umbras uirtutum induit quibus uidemus floruisse gentiles, licet eis
subtracto Christo uerae beatitudinis non apprehenderint fructum ? » ; sur le second,
p. 198, 49-57 : « Porro praedicti et consimiles, magni quidem et laudabiles uiri, quasi
quaedam saeculorum suorum sidera splenduerunt, illustrantes tempora sua, praeambuli
coaetaneorum suorum in id iustitiae et ueritatis quod dispositione diuina illuxerat eis.
notes des pages 169 à 171 287

Sic quoque in successionibus fidelis populi numquam humano generi ad noctis suae
tenebras caecitatis que molestias depellendas sua sidera defuerunt, uiri quidem uirtutis
titulo nobiles magnorum que operum fulgentes insignibus, quorum exemplis ad cultum
iustitiae semper alii prouehantur. »
67. Ibid., VII, 8, p. 119, 2-9 : « Vnum igitur et singulare summum omnium bonorum
beatitudo est, sed ab eo est aliud quodammodo quorundam collatione summum et eo
ipso superius aliis quod ad illud, quod uere singulariter et unice summum est, familiarius
accedit. Ceterum ad neutrius apprehensionem nisi philosophia duce humana infirmitas
conualescit. Quisquis enim sine ea ad beatitudinis uiam tendit, quasi cecus in lubrico
tendens ad alta praesumptuosus cadit. »
68. Ibid., VII, 8, p. 119, 30 – 120, 3, cité ci-dessus, p. 192, n. 2 ; VII, 11, p. 135,
3-7 : « Hoc autem reuera philosophari est, et hic est multae lectionis iocundissimus et
saluberrimus fructus. Ipsa siquidem rerum omnium continet disciplinam et omnium
moderatrix uniuersis humanae uitae actibus et uerbis et cogitationibus modum et terminos
ipsa constituit. »
69. Ibid., VII, 8, p. 120, 6-10 : « Philosophus autem, cuius intentio dirigitur illuc ut
sapiat, eodem auctore amator Dei est et uitia subigens rebus agnoscendis applicat animum
ut his agnitis ad ueram beatitudinem possit accedere. Haec enim hominem beatum faciunt
si et uitiorum soluantur uincula, et quasi quibusdam gradibus contemplationis lucidum
et indeficientem fontem boni detur inuisere. »
70. Ibid., VII, 24, p. 211, 3-9 : « Patribus siquidem pridem placuit beatitudinem
consistere in uirtute, et nullam sine caritate posse esse uirtutem, cuius utique fructus
iocundissimus est, Apostolo testante qui operibus carnis haec opera Spiritus quae ad uitam
proficiunt euidenter opponit ; quae sunt pax, patientia, longanimitas, bonitas, gaudium,
mansuetudo, continentia, castitas. »
71. Voir par exemple, Ibid, III, prol., p. 172, 2-16 : « Qua de causa otiari decreueram
et silere, sed alterum michi negotiorum tumultus excutit, alterum motus animi
interrumpit. Qui enim sub potestate constitutus est, si sapit, obtemperat imperio
praesidentis ; quem stimuli affectuum pungunt, dissimulare non potest quin moueatur
ad formam passionis. […] Quis est enim qui malorum asperitate saepius non uratur
quam demulceatur fomento bonorum ? Rarus est qui totius fortunae impetum a se
toto possit arcere. Qui suis uiribus praeualet, in amici aut familiaris corpore uel
sorte temptatur, licet parum humanus sit quem extraneorum iactura non concutit. »
Ce thème des variations de la Fortune est également au cœur de plusieurs lettres,
notamment celles de la période d’exil. Voir, par exemple, les Lettres 31 (à Pierre de
Celle, 1157), p. 49, 96 (à un ami intime, s.d.), p. 149-150, et 301 (à Thomas Becket,
juin-juillet 1170), p. 708-710.
72. Par exemple, Lettre 256 (à Jean de Tilbury, ca. 1168) p. 518 : « Et quidem (ut ad
tuos gentiles transeam) non modo Stoici sed etiam Epicurei et omnium philosophantium
sectae rerum mundialium contemptum praedicant, etsi eis utendum pro necessitate
conditionis et temporis probabiliter arbitrentur. »
288 notes des pages 171 à 173

73. Voir P. Courcelles, Connais-toi toi-même : de Socrate à S. Bernard, Études


augustiniennes, Paris, 1974-1975, 2 vol.
74. Voir Policraticus, III, 2, p. 176, 23-35 : « Verum qui se ipsum ignorat, quid utiliter
nouit ? Si ignoras te, inquit pulcherrima inter mulieres, abi post uestigia sodalium et post
greges. Oraculum Apollinis est descendisse de caelo creditur : Notiseliton, id est, Scito te
ipsum. Non nesciuit hoc ethicus dicens : Discite et, o miseri, causas cognoscite rerum,/
quid sumus aut quidnam uicturi gignimur, ordo/ quis datur aut metae quam mollis flexus
et unde,/ quis modus argento, quid fas optare, quid asper/ utile nummus habet, pueris
caris que propinquis/ quantum elargiri deceat, quem te Deus esse/ iussit, et humana qua
parte locatus es in re./ Haec etenim contemplatio quadripertitum parit fructum, uilitatem
sui, caritatem proximi,/contemptum mundi, amorem Dei. »
75. Pour une présentation synthétique du débat historiographique, voir J.-C. Schmitt,
« La découverte de l’individu : une fiction historiographique ? » in P. Mengal et F. Parot
(dir.), La fabrique, la figure et la feinte : fictions et statut des fictions en psychologie,
Paris, Vrin, 1989, p. 213-236, réimprimé dans J.-C. Schmitt, Le Corps, les rites, les rêves,
le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001, chapitre 10 ; et la
bonne synthèse de B. Rosenwein, « Y avait-il un moi au Haut-Moyen Âge ? », Revue
historique, 633, 2005, p. 31-52.
76. Sur la question du public et du privé au Moyen Âge, voir les analyses de
P. von Moos, « “Public” et “privé” à la fin du Moyen Âge : Le “bien commun” et “la loi
de la conscience” », Studi Medievali, 41, 2, 2000, p. 505-548.
77. Entheticus, v. 641-652, p. 147 : « Vera Deus lux est et luminis illius auctor,/ quo
solo sese quisque videre potest./ Ut se quis videat, est summi luminis usus,/ muneris est
usus munus amare datum,/ numeris est usus discernere cuncta potenter,/ muneris est usus
cultus amorque boni,/ muneris est usus rerum cognoscere fructus,/ muneris est usus ad
meliora trahi,/ muneris auctorem cognoscere muneris usus,/ muneris est usus summus
amare Deum./ Si vis nulla potest disiungere, quos amor unit,/ verus philosophus non erit
absque Deo. » Sur le « verus philosophus » voir Augustin, De ciuitate Dei, VIII, 1. Sur
Dieu, véritable lumière qui purge les esprits, voir par exemple la lettre 92.
78. Policraticus, III, 1, p. 172, 4 – 175, 87 : « Et haec michi uidetur uera et unica
incolumitas uitae, cum mens uiuificante Spiritu ad rerum notitiam illustratur, et accenditur
ad amorem honestatis et cultum uirtutis. Praecedit ergo scientia uirtutis cultum quia nemo
potest fideliter appetere quod ignorat, et malum nisi cognitum sit utiliter non cauetur.
Porro scientiae thesaurus nobis duobus modis exponitur cum aut rationis exercitio quod
sciri potest intellectus inuenit aut quod absconditum est reuelans gratia oculis ingerens
patefecit. Sic utique aut per naturam aut per gratiam ad ueritatis agnitionem et scientiam
eorum quae necessaria sunt unusquisque potest accedere. Quodque magis mirere quilibet
quasi quendam librum sciendorum officio rationis apertum gerit in corde. In quo non
modo uisibilium species rerumque omnium natura depingitur, sed ipsius opificis omnium
inuisibilia Dei digito conscribuntur. […] Agnitio quidem certitudinem habet, et uel in
scientia uel in fide consistit. Sed fidei regula paulisper differatur, quoniam eam tempus
notes des pages 173 à 176 289

et locus suus expectat. Ceterum scientia sui notitiam habet. Quod euenire non potest si
non metiatur uires suas, si ignorat alienas. »
79. C’est par ailleurs un schéma que Jean attribue à Socrate, voir Entheticus, v. 797-
800, p. 157 : « Nam carni mundus, servitque caro rationni,/ quae pars est animi participata
Deo./ Omnia sic laeto Socrati famulantur, eique,/ quem vis nulla potest laedere, mundus
obit. » Sur le socratisme de Jean, C. Grellard, « Le socratisme de Jean de Salisbury »,
op. cit.
80. Voir sur ce point la critique de la folie du sage qui cherche à connaître l’inconnaissable,
Policraticus, VII, 1, et l’analyse de ce texte ci-dessus, chap. 1, p. 40-41.
81. Juvénal, Satires, 11, 27 ; Perse, Satires, 3, 66-72.
82. Policraticus, III, 2, 175, 3 – 176, 37 : « Est ergo primum hominis sapientiam
affectantis quid ipse sit, quid intra se quid extra, quid infra quid supra, quid contra, quid
ante uel postea sit contemplari. […] Verum qui se ipsum ignorat, quid utiliter nouit ?
[…] Oraculum Apollinis est descendisse de caelo creditur : Notiseliton, id est, Scito te
ipsum. Non nesciuit hoc ethicus dicens : Discite et, o, miseri, causas cognoscite rerum/
quid sumus aut quidnam uicturi gignimur […] Haec etenim contemplatio quadripartitum
parit fructum, uilitatem sui, caritatem proximi, contemptum mundi, amorem Dei. »
83. E. Gilson, L’Esprit de la philosophie médiévale, Vrin, Paris, 1998, p. 214-233 :
« La connaissance de soi-même et le socratisme chrétien ».
84. Pour une mise en perspective du thème du contemptus mundi, voir R. Bultot,
Christianisme et valeurs humaines. A. La doctrine du mépris du monde, en Occident, de
S. Ambroise à Innocent II, t. 4, vol. 1 et 2. Sauf erreur de ma part, seuls ces deux volumes,
consacrés au xie siècle, ont été publiés. On trouvera, néanmoins, du même auteur, un article
sur la diffusion du thème du mépris du monde dans les écoles : R. Bultot, « Grammatica,
ethica et contemptus mundi aux xiie et xiiie siècles », Arts libéraux et philosophie
au Moyen Âge, actes du quatrième Congrès international de philosophie médiévale,
Université de Montréal, Montréal, Canada, 27 août-2 septembre 1967, Montréal-Paris,
Institut d’études médiévales-Vrin, 1969, p. 815-827.
85. Metalogicon, IV, 40, p. 180, 34 – 181, 56 : « Dum autem mens circa multa et
non multum ad se pertinentia amplius occupatur, euagatur longius a se, et plerumque
obliuiscitur sui. Quo quidem nullus error perniciosior est. Nam se nosse, sicut ait Apollo,
fere summa sapientia est. Quid autem prodest homini elementorum, aut elementatorum
nosse naturam, magnitudinis et multitudinis proportiones doctrinaliter quaerere, uirtutum
uitiorum que speculari conflictum, complexiones attendere rationum, et de omnibus
probabiliter disputare, et sui ipsius esse ignarum ? Nonne stultus reputabitur qui aliena
lustrat hospitia, et quo sibi in necessitate diuertendum sit obliuiscitur ? Nimis utique
curiosus est et sui negligens qui aliena miratur, et propria non attendit. Qui uero ad
usum uitae conuertit extrinseca, ut eorum agnoscat et ueneretur auctorem, suum metiatur
imperfectum, qui uix pauca comprehendere potest, et rebus transitoriis cum quibus et
ipse transit, non nisi precario utitur et ad horam, qui concupiscentias cohibet, reprimit,
aut extinguit, qui imaginem Dei uitio corruptam, diligenti studio nititur reformare, qui
290 notes des pages 177 à 178

uirtutum toto nisu colit et exercet officia, rectissime philosophatur. Sobria est illius
inuestigatio, qui primo se ipsum excutit, et quae inferiora sunt diligenter examinat, et
coaequalia sine negligentia intuetur, et superiora contemplatur cum ueneratione, ut ausu
temerario in ea quae inscrutabilia sunt non irrumpat. »
86. Sur la question de la flatterie, voir C. Nederman, « Friendship in Public Life
during the Twelfth Century : Theory and Practice in the Writings of John of Salisbury »,
Viator : Medieval and Renaissance Studies 38, 2007, p. 385-397 et F. Lachaud, L’Éthique
du pouvoir…, op. cit., p. 241-243.
87. Policraticus, III, 3, p. 177, 11 – 178, 33 : « Est enim omnibus non tam cognatus
quam innatus amor sui. Qui si modum excesserit, uergit ad culpam. Omnis enim uirtus
suis finibus limitatur et in modo consistit. Si excesseris, in inuio es et non in uia. Si amor
hic inualuerit, nemo speret de cura. Lepra siquidem est, incurabilior omni lepra. […]
Qui ergo hunc amorem non temperat, timeat lepram, et caecitatem oculorum quae ex ea
imminet pertimescat. » Sur la métaphore de la lèpre, et son rôle dans la mise en ordre
de la société médiévale, voir les pages pénètrantes de R. I. Moore, La Persécution. Sa
formation en Europe. xe-xiiie siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 55-72.
88. Policraticus, III, 4, p. 181, 79-85 : « Sed hoc potius duco mirabile quod populum
qui sibi credat habent, qui de se magis alienae linguae adquiescat quam propriae iudicio
conscientiae, dum se ipsum quilibet extra se quaerit, et nosse dedignatur quam sit sibi
curta supellex. »
89. Ibid., III, 4, p. 179, 3-7 : « Adulator enim omnis uirtutis inimicus est et quasi
clauum figit in oculo illius cum quo sermonem conserit, eo que magis cauendus est quo
sub amantis specie nocere non desinit donec rationis obtundat acumen et modicum id
luminis quod adesse uidebatur extinguat. »
90. Ibid., III, 5, p. 183, 56-68 : « Porro cum omnis assentatio turpis sit, perniciosior est
cum ab subornandum uitium personae uel naturae uel dignitatis accedit auctoritas. Nempe
philosophi probabile dicunt quod uideatur uel omnibus uel pluribus aut sapientioribus, aut
quod in propria facultate artifici. […] His tamen sui compos animus non seducitur, certus quia
nemo nouit quid sit in homine praeter spiritum hominis qui in ipso est (1 Cor. 2, 11). »
91. Lettre 301 (à Thomas Becket, ca. 1170), p. 708-710 : « Utinam non sit deceptionis
huius morbus irreparabilis, sed nisi caelitus data, reuelatio seu consolatio non occurrit ; et
quidem recte, ut arbitror, cum nos alieni ingenii imaginationibus uanis praesumeremus
euoluere cordis humani latebras, quarum solus Deus arbiter est. Quid, quaeso, magis
temerarium aut in Deum qui hoc singularis eminetiae priuilegio uendicat, iniuriosius est ?
Nam se ipsum nosse, etiam Apollinis oraculo, summam esse sapientiam, adeo celebris
sententia est apud philosophos, ut ei nemo ueterum ausus sit refragari. De coelo siquidem
(ut aiunt) descendit notis elyton, id est, Scito te ipsum. Quia ergo hic humana deficit et
angelica eatenus non attingit, sola Dei sapientia est quae consilia et cogitationes hominum
non imaginatione fantastica conicit, sed sicut sunt usquequaque cognoscit. Vaticiniis
ergo renuntiemus in posterum, quia nos in hac parte gruius infortunia perculerunt. Qui
corda finxit, illa examinet ; nos quid domi nostrae sit exploremus. »
notes des pages 179 à 181 291

92. Sur la connaissance angélique, voir Metalogicon, IV, 33, p. 170, 3-6 : « Natura
uero angelica quae noxio corpore non tardatur, et diuinae puritati familiarius inhaeret,
rationis incorruptae uiget acumine, et licet non aequaliter Deo cuncta examinet, ea
rationis praerogatiua ditatur, ut nullo supplantetur errore. ». Jean s’inspire sur ce point
d’Augustin, De ciuitate Dei, XI, 29, 11.
93. On reviendra sur ce point plus bas, p. 202-204.
94. Policraticus, VII, p. 98, 17-24 : « Sunt autem dubitabilia sapienti quae nec fidei
nec sensus aut rationis manifestae persuadet auctoritas et quae suis in utramque partem
nituntur firmamentis. Talia quidem sunt quae quaeruntur de prouidentia, de substantia
quantitate uiribus efficacia et origine animae, de fato et facilitate naturae, casu et libero
arbitrio, de materia et motu et principiis corporum […]. »
95. Voir Metalogicon, IV, 20, p. 157, 3 ; 158, 31 : « Vnde et quidam minuti philosophi,
eo quod a sensibus ad scientiam sit processus, nisi eorum quae sentiuntur ullam negant
esse scientiam. Quod quantum philosophandi proposito aduersetur, perspicuum est.
Perit enim exercitium rationis, quo rerum apud se notiones quas Graeci ennoias dicunt
quaerit et tenet, sine quo nec nomen constare potest. Est ergo ut ait Cicero in Tusculanis
magni ingenii reuocare mentem a sensibus, et cogitationem a consuetudine abducere.
Nec enim Deus ipse qui intelligitur a nobis alio modo intelligi potest, nisi mens soluta
quidem sit et libera et segregata ab omni concretione mortali. Singularis est quaedam
natura atque uis animi seiuncta ab his usitatis notis que naturis. Quicquid illud sit,
profecto diuinum est. Non ualet tamen animus ut plene se ipsum uideat. Sed ut oculus,
sic animus, se non uidens alia cernit. Non uidet autem quod minimum est, formam suam
fortasse, quamquam id quoque ; sed relinquamus. Vim certe, sagacitatem, memoriam,
motum, celeritatem uidet. Haec magna, haec diuina, haec sempiterna sunt. Qua facie
quidem sit, aut ubi habitet, ne quaerendum est quidem. Itaque sic mentem hominis
quamuis eam non uideas, ut Deum non uides, tamen ut Deum agnoscis ex operibus eius,
sic ex memoria rerum et inuentione et celeritate motus omni que pulchritudine uirtutis,
uim diuinam mentis agnoscito. In animi autem cognitione dubitare non possumus nisi
plane in phisicis plumbei sumus, quin nihil sit animus admixtum, nihil concretum, nihil
copulatum, nihil coagmentatum, nihil duplex. Quod cum ita sit, certe nec secerni, nec
diuidi, nec discerpi, nec distrahi potest. Igitur, nec interire. Haec ille in Tusculanis, ut et
uim deliberatiuam, rationem scilicet diuinam quidem et animas hominum esse doceat
immortales. » Jean cite successivement les passages suivants des Tusculanes, I : § 57,
§ 16, § 66, § 67, § 70, § 71. Les citations sont en italiques dans le texte.
96. Cicéron, Tusculanes, texte établi par G. Fohlen, Paris, Les Belles Lettres, 1968,
V, 13, 38, p. 125 : « Facilius vero etiam in bestiis, quod is sensus a natura est datus, vis
ipsius naturae perspici potest. Namque alias bestias nantis aquarum incolas esse voluit,
alias volucres caelo frui libero, serpentis quasdam, quasdam esse gradientis, earum
ipsarum partim solivagas, partim congregatas, inmanis alias, quasdam autem cicures,
non nullas abditas terra que tectas. Atque earum quaeque suum tenens munus, cum in
disparis animantis vitam transire non possit, manet in lege naturae, et ut bestiis aliud
292 notes des pages 182 à 185

alii praecipui a natura datum est, quod suum quaeque retinet nec discedit ab eo, sic
homini multo quiddam praestantius ; etsi praestantia debent ea dici, quae habent aliquam
comparationem, humanus autem animus decerptus ex mente divina cum alio nullo nisi
cum ipso deo, si hoc fas est dictu, comparari potest. »
97. Par exemple, Metalogicon, III, 8, p. 127, 76-79 : « Est autem difficile nisi multam
rerum notitiam habenti regulariter definire, cum substantialia saepe incerta sint, uel ob
difficultatem rerum et ignorantiam, uel propter ambiguitatem sermonum. »
98. Voir ci-dessus, p. 159-160.
99. Policraticus, III, 8, p. 192, 45-48 : « In eo que uita hominum tragediae quam
comediae uidetur esse similior quod omnium fere tristis est exitus, dum omnia mundi
dulcia quantacumque fuerint amarescunt et extrema gaudii luctus occupat. »
100. Horace, Sat. II, 7, 82 ; Augustin, En. in Psalmos, 1, 1, 3. Le thème du theatrum
mundi avait déjà été signalé par E. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin,
Presse universitaires de France, Paris, 1956, p. 235-244. Une bonne analyse transversale
de la question est donnée par G. Navaud, Le Théâtre comme métaphore théorique…,
op. cit. Voir aussi, D. Dox, The Idea of the Theater in Latin Christian Thought. Augustine
to the Fourteenth Century, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2004.
101. G. Navaud met bien en évidence l’ancrage platonicien de la position de Jean de
Salisbury, mais aussi le tournant métaphysique qu’il fait subir à la métaphore en instituant
le point de vue divin comme juge transcendant ; voir Le Théâtre comme métaphore,
op. cit., p. 361-364 et 452-454.
102. Policraticus, III, 8, p. 190, 2 – 191, 7 : « Et quidem eleganti utitur similitudine,
quia fere quicquid in turba prophanae multitudinis agitur, comediae quam rei gestae
similius est. Militia, inquit, est uita hominis super terram. At si nostra tempora propheticus
spiritus concepisset, diceretur egregie quia comedia est uita hominis super terram, ubi
quisque sui oblitus personam exprimit alienam. »
103. Voir G. Navaud, Le Théâtre comme métaphore, op. cit., p. 364-365.
104. Lettre 217 (à Reginald, archidiacre de Canterbury, ca. 1167), p. 362 : « Huius
rei testis est conscientia, testis est conscientiae scrutator et arbiter Deus, qui forte citius
quam credatur illustrabit abscondita tenebrarum et manifestabit consilia cordium. Et
iam quidem stamus ante tribunal eius, ut eum in causa nostra iudicem expectemus, ut
in conspectu ipsius stultum sit et temerarium mentiendo totius laboris et uitae, si quid
tamen salubriter patimur aut recte agimus, mercedem perdere. »
105. Comme le fait remarquer G. Navaud, dans l’Entheticus, Jean utilise d’ailleurs
le terme de larva de préférence à celui de persona afin de souligner la part d’illusion
inhérente au rôle que l’on doit jouer. G. Navaud, Le Théâtre comme métaphore, op. cit.,
p. 364. Sur les évolutions de la notion de persona, ibid., p. 45-47 et 497-498.
106. Voir la définition de l’alienum comme ce qui ne relève ni de la raison, ni de
l’officium, dans Policraticus, I, 2, p. 28, 3-4 : « Alienum profecto est quod ratio naturae
uel officii non inducit, si tamen interdum recte dicitur alienum quod rectius fuerat semper
fuisse nullius. »
notes des pages 185 à 187 293

107. Ibid., III, 8, p. 191, 27 – 192, 32 : « Et quod deterius est, eo usque comediae suae
insistunt ut in se cum opus fuerit redire non possint. Vidi pueros tam diu balbutientium
uitia imitari ut postmodum nec cum uellent recte loqui potuerint. Et quod deterius est,
eo usque comediae suae insistunt ut in se cum opus fuerit redire non possint.Vidi pueros
tam diu balbutientium uitia imitari ut postmodum nec cum uellent recte loqui potuerint.
Vsus enim, ut ait quidam, aegre dediscitur et consuetudo alteri naturae assistit, quam
licet expellas furca, tamen usque recurret. »
108. Ibid., III, 10, p. 200, 10-12 : « Si enim personas quae sibi assueuerunt sibi
que faciunt, decretum fortunae dissociet, fit plerumque ut utraque ad omnia agenda sua
uideatur inepta, et quasi exclusa ratione officii depretiatur. »
109. Lettre 124 (à Raoul de Sarre, ca. 1160), p. 212 : « Cui non haec ridicula uideantur ?
Scenae theatralis haec species est potius quam reuerendi imago concilii. »
110. Policraticus, III, 8, p. 196, 147-153 : « Sed quid est quod Elisios campos a
mutabilium rerum saeptis uerbis excludo ? Certe pro parte inclusi sunt, patentes in
latitudine bonarum mentium quibus a Patre luminum datum est ut in notitia et amore
boni toto sui agitatu uersentur. Vnde ethicus inquieto extra se ineptam beatitudinem
inquirenti : Quod quaeris ubique est, est Vlubris, animus si te non deficit aequus. » Sur
ce point, voir D. Dox, The Idea of the Theater, op. cit., p. 91.
111. Voir G. Navaud, Le Théâtre comme métaphore, op. cit., p. 453, 491.
112. Policraticus, III, 9, p. 199, 78-87 : « Hi sunt forte qui de alto uirtutum
culmine theatrum mundi despiciunt, ludum que fortunae contemnentes nullis illecebris
impelluntur ad uanitates et insanias falsas. Hi iam in suis gaudent Elisiis, ad utilitatem
suam uident plurima, et ad eam omnia uisa retorquent. Cum enim fidelis anima
exaltatur a terra, tunc demum omnia trahit ad se ipsam. Speculantur isti comediam
mundanam cum eo qui desuper astat ut homines actus que eorum et uoluntates
indesinenter prospiciat. Cum enim omnes exerceant histrionem, necesse est aliquem
esse spectatorem. » Il faut mettre ce texte en parallèle avec ce que Jean dit du sage
au début du prologue du livre II du Policraticus, p. 71, 3-7 : « Omnia cedunt in usum
sapientis habent que materiam uirtutis exercendae quaecumque dicuntur aut fiunt.
Nam et otia eius negotia sunt et dum rationis libramine rerum omnium uires pensat,
prouida dispensatione quicquid ad beatitudinem proficit quadam quasi manu uirtutis
apprehendit. »
113. Ibid., III, 14, p. 221, 37 – 222, 39 : « Vnde et Aristippus a maledicente se
discedens dixisse legitur : Vt tu linguae tuae, sic ego mearum aurium dominus sum. » ;
V, 17, p. 366, 21-22 : « Quid, inquit curiosus philosophiae perscrutator, tibi philosophia
contulit? Et Aristippus : Vt cum omnibus, ait, hominibus intrepide fabularer. » ; VII,
3, p. 100, 24-28 : « At ille Aristippi Socratici responsum retulit, qui, cum in re simili
similiter et a consimili argueretur, respondit illum pro anima nequissimi nebulonis merito
non fuisse sollicitum, se autem debuisse timere pro anima Aristippi. »
114. Lettre 210 (à Raoul de Beaumont, ca. 1167), p. 338-340 : « Credideram profecto
te philosophantis habere uerba, non animum ; sed nunc recolo te aliquatenus esse magni
294 notes des pages 187 à 189

discipulum Aristippi, qui omni conditione temporis aequanimiter utebatur et in ipsis


philosophabatur nugis, iocundus omnibus, nulli grauis ; qui, aliquando interrogatus quid
ei philosophia contulerit, dicitur respondisse : “Vt cum omnibus hominibus intrepide
fabularer”. » La même attitude est attribuée à Thomas Becket dans le prologue du livre II
du Policraticus, p. 71, 7-9 : « Tu ergo diuinae sapientiae tuae argumento ualidissimo
dupliciter fidem facis, dum et in tuis actibus rectus incedis et philosopharis in nugis
alienis. »
115. On peut en effet considérer que ce qui préserve Jean de Salisbury de l’accusation
de cynisme (au sens vulgaire et non philosophique du terme), c’est précisément cette
structure métaphysique et eschatologique du spectacle qui repose sur le jugement divin
en dernier recours.
116. Vita Thomae, § 3, p. 158 : « Licet autem studiis, prout aetatis urgebant stimuli,
iuvenilibus ageretur, vigebant tamen in eo fidei zelus et magnificentia animi. Erat tamen
supra modum captator aurae popularis, et quod de beato Brictio turonensi legitur, de ipso
non dubitaverim affirmandum, quod etsi superbus esset et vanus, et interdum faciem
praetenderet insipienter amantium et verba proferret, admirandus tamen et imitandus
erat in corporis castitate. »
117. Ibid., § 7, p. 164 : « Licet enim ei mundus in omnibus leociniis suis adulari et
applaudere videretur, nec conditionis nec oneris sui immemor erat, qui quotidie hinc pro
domini sui regis salute et honore, inde pro necessitate ecclesiae et provincialium, tam
contra regem ipsum quam contra inimicos eius contendere cogebatur et variis artibus
varios eludere dolos. »
118. Voir P. von Moos, Geschichte als Topik…, op. cit., p. 556-582 et « L’anecdote
philosophique chez Jean de Salisbury », in E. Babey, D. Caron & Th. Ricklin (dir.),
Exempla docent. Les exemples philosophiques de l’Antiquité à la Renaissance, op. cit.,
p. 135-150. Sur l’ironie, voir S. Jaeger, « Irony and Role-playing in John of Salisbury
and Thomas Becket Circle », in M. Aurell (dir.), Culture politique des Plantagenêt…,
op. cit., p. 319-331.
119. Metalogicon, I, 4, p.19, 61-64 : « Alii profecto similes mei se nugis curialibus
mancipauerunt, ut magnorum uirorum patrocinio freti possent ad diuitias aspirare, quibus
se uidebant et iudicio conscientiae quicquid lingua dissimulet fatebantur indignos. »
120. Entheticus, v. 1437-1442, p. 199 : « Ut furor illorum mitescat, dissimulare/ multa
solet, simulat, quod sit et ipse furens ;/ omnibus omnia fit ; specietenus induit hostem,/
ut paribus studiis discat amare Deum./ Ille dolus bonus est, qui proficit utilitati,/ quo
procurantur gaudia, vita, salus. »
121. Policraticus, I, prol., p. 23, 59-63 : « [Q]uasi sacratioris philosophiae lactatum
uberibus ablactatum que decuerat ad philosophantium transisse coetum quam ad collegia
nugatorum. Et te quidem sentio in eadem conditione uersari, nisi quia, rectior et prudentior
si facis quod expedit, stas semper immotus in solidae uirtutis fundamento, nec agitaris
arundinea leuitate, nec deliciarum sectaris mollia, sed ipsi quae mundo imperat imperas
uanitati. »
notes des pages 189 à 191 295

122. Pour nuancer, d’un point de vue historique, le portrait élogieux de Thomas


Becket, on peut se reporter au dossier des lettres de Jean lui-même, rassemblées par
Laarhoven, Entheticus maior, vol. 2, p. 388 (commentaire du vers 1438). La lettre de
1170 mentionnée ci-dessus atteste d’ailleurs que Thomas Becket qui, comme nombre
de ses contemporains, s’adonne à l’astrologie pour conjurer la Fortune, est loin de
remplir les voeux de Jean en matière de vie philosophique et de maîtrise de soi. Plus
généralement sur le caractère de Becket, voir également B. Smalley, The Becket Conflict
and the Schools…, op. cit.
123. Lettre 31 (à Pierre de Celle, 1157), vol. 1, p. 49-50 : « Non enim fortunae insidias
solus potui declinare, cum omnia quae sub sole sunt, lubricae sortis uana uersentur in
alea. Fluxus etenim temporis, motus rerum, caligo mentium, leuitas animorum axem
fortunae tanta sui agilitate circumferunt, ut non modo rotam eius sed et totius orbis
molem facile constet esse uolubilem. »
124. Lettre 170 (à Baudoin de Totnes, ca. 1167), vol. 2, p. 120 : « Nonnullus autem,
immo et multus est usus aduersitatis huius utrique nostrum, per quam et nos nobis, et
mundus etiam fidelius et familiarius innotescit. »
125. Entheticus, v. 251-278, p. 123 : « Frangitur adversis, extollunt prospera stultum./
Cum dare vult populo Nursia caeca iocum,/ quid nisi fortunae ludi, phantasmata mundi ?/
His etenim visum praestruit illa iocis./ Praestigio rota fortunae conformis inani/ dedocet
infirmos, quos docuisse potest :/ ostentat falsas species, et parva facit ;/ adversas rebus
facies inducit, et illis/ ponit ad arbitrium nomina falsa suum ;/ res falsas aliquid, et res
veras nihil esse/fingit, ut obcludat sic rationis iter./ Quamvis larvales inducat mille figuras,/
non caret arbitrio Philosophia suo./ Exigit arbitrii libertas vera duorum/ subsidium,
sine quo mens rea pressa iacet :/ scilicet ut ratio recte discernat, ametque/ semper id
affectus, quod pia iura probant./ Non praestare potest illud natura subacta,/ quam premit
inflicto vulnere culpa comes ;/ culpa fovens poenam rationis turbat acumen,/ velleque
praecipiat, nec sinit esse pium./ Gratia naturam reparans rationis acument/ purgat, et
affectus temperat atque regit ;/ liberat arbitrium, sed eorum, quos pia mater/ consecrat
ad cultum, Philosophia, tuum./ Philosophia quid est nisi fons, via duxque salutis,/ lux
animae, vitae regula, grata quies ? » Le même vocabulaire et la même problématique
sont repris dans la présentation des positions sceptiques (v. 1119-1159, p. 179-181,
en particulier v. 1122-1128, p. 179 : « falsum nescitur, quia nulla scientia fallit,/ nec
permisceri lux tenebraeque valent./ Interdum veri specie falluntur inanes,/ votivaeque
rei dulcis imago tenet./ Sunt quos nec verum, nec veri mulcet imago/ sed vitii species
falsaque sola iuvant »). Le sceptique est donc bien celui qui cherche à échapper à la
vanité des illusions sensibles.
126. Lettre 159 (à Maître Nicolas, ca. 1167), p. 72 : « Cum ergo figura huius
mundi pertranseat uelut umbra et momento turbinis ut fumus euanescat in conspectu
philosophantium, et magis constet ex fide Christianorum, quonam pacto in prosperis
uel aduersis sapienti aliquid uidebitur esse diuturnum ? Quod autem momentaneum est,
cuius philosophantis animum deiciet uel extollet ? Michi itaque persuasum est quod
296 notes de la page 192

uitare non possum aequanimiter sustinere et, ubi me conscientia non remordet, gaudere
in tribulationibus et in rapina bonorum diuinae dispensationi gratias agere. »
127. Par exemple, dans la Lettre 159, mentionnée ci-dessus, où Jean met en avant
sa volonté de résister à la Fortune, liée au monde transitoire, il souligne que, parmi tous
les maux qui l’affectent, c’est la perte des amis et de leur conversation qui lui coûte le
plus, p. 72 : « Sed licet me super iniuriis et dampnis illatis tristitia non absorbeat, moueor
tamen quod amicos uidere non licet, quod grata beniuolorum colloquia subtrahuntur,
quod eorum quae michi essent ex officio gerenda denegatur materia et facultas ; super
his, inquam, moueor. » Il faut probablement voir bien plus qu’une captatio benevolentiae
dans cette remarque. La théorie de l’amitié de Jean n’a pas fait l’objet de beaucoup
d’analyses (voir, cependant, C. Nederman, «  Friendship in public life during the Twelfth
century : Theory and practice in the Writings of john of Salisbury », Viator : Medieval
and Renaissance Studies, 38, 2007, p. 385-397, où le lien entre le De amicitia de Cicéron
et le livre III du Policraticus est bien mis en évidence). En général, les historiens se sont
davantage intéressés à la pratique de l’amitié, c’est-à-dire aux réseaux amicaux, de Jean
de Salisbury. Voir, notamment, L. Moulinier-Brogi, « Jean de Salisbury : un réseau
d’amitiés continentale », op. cit. ; J. Mc Loughlin, « Amicitia in Practice… », op. cit.  ;
Y. Hirata, « John of Salisbury, Gerard Pucelle and amicitia », in J. Haseldine (dir.),
Friendship in Medieval Europe, Stroud, Sutton, 1999, p. 153-165.
128. Voir la reprise de la distinction entre les hommes en fonction de leur usage
de la raison, due à Chrysippe, dans Policraticus, VII, 8, p. 119, 18-23 : « Tria uero
genera hominum qui homines sunt (alios enim brutos dicit) esse asseruit. Alii enim
iam iocunditate sapientiae perfruuntur, et hii sapientes sunt ; alii accedunt ut fruantur,
et hii sunt philosophi ; alii adspirant ad accedendum, scilicet qui nondum sunt et esse
philosophi concupiscunt. »
129. Metalogicon, I, 1, p. 14, 23-29 : « Cum uero beatitudo communionis ignara
quae aut qualis extra societatem sit ne fingi quidem possit, quisquis ea quae ad ius
humanae societatis quae quodam modo filiorum naturae unica et singularis fraternitas
est conciliandum et fouendum proficiunt impugnat, uiam adipiscendae felicitatis
omnibus uidetur obstruere, et praecluso pacis aditu ut in se concurrant ad interitum
orbis, naturae uiscera incitare. » Sur ce texte qui reprend le De inventione de Cicéron,
voir les analyses de C. Nederman, « Nature, Sin and the Origins of Society : The
Ciceronian Tradition in Medieval Political Thought », Journal of the History of Ideas,
49, 1988, p. 3-26.
130. Lettre 254 (à Guillaume de Diceia, ca. 1168), p. 512 : « At in illis omnibus
obtinet caritas principatum, quam ego nichil aliud esse quam ueram amicitiam dixerim
confidenter et recte, quae non modo sui maiestate, sed etiam raritate, omnia in terris
expetenda transcendit. » ; voir aussi, Lettre 258 (à Raoul de Wingham, ca. 1168), p. 522 :
« Omnia autem quae magistra caritate fiunt expediunt, quia ‘diligentibus Deum omnia
cooperantur in bonum’ et oblectant animum, quoniam haec cuique sic arbitrii laxat
habenas, ut agere liceat impune quod libeat. »
notes des pages 193 à 194 297

131. Lettre 254, p. 512 : « Nec tamen praesumo me solidatum esse in caritate quae
religionis culmen est, licet illam sitiat anima mea ; sed michi teneram quandam fateor
adesse affectionem beniuolentiae qua conuiuentibus etiam nonnullos gentiles legimus
placuisse. Haec autem etsi non radicis firmitudine, naturae tamen genere et intentionis
fine, praesertim in Christiano, caritas est. »
132. Policraticus, III, prol., p. 172, 2-10 : « Qua de causa otiari decreueram et silere,
sed alterum michi negotiorum tumultus excutit, alterum motus animi interrumpit. Qui
enim sub potestate constitutus est, si sapit, obtemperat imperio praesidentis ; quem stimuli
affectuum pungunt, dissimulare non potest quin moueatur ad formam passionis. Exultat
ergo quem gaudii aura demulcet, spes inducit hilaritatem, metus trepidat, dolentis animus
maerore confunditur. Haec apud singulos alternat facies boni aut mali. »
133. Ibid., 14-17 : « Rarus est qui totius fortunae impetum a se toto possit arcere.
Qui suis uiribus praeualet, in amici aut familiaris corpore uel sorte temptatur, licet parum
humanus sit quem extraneorum iactura non concutit. Non satis homo est quem aliena
non mouent. »
134. Ibid., 17-21 : « Sed sapientioribus iam uenit in dubium an quicquam hominis recte
sit homini alienum. Virtutis uero processus ambiguitatis huius nodum soluit, cum et comicus
nichil humani alienum a se reputet et magister caelestis hominem homini diligendum
docuerit ut se ipsum. » Jean cite, respectivement, Térence, Heautontimoroumenos, I, 1,
77 et Matthieu, 19, 19.
135. Lettre 214 (à Milo, évêque de Thérouanne, ca. 1167), p. 352 : « Sic enim et
apostolus scandalizatis couritur et fratribus coinfirmatur infirmis et per compassionem fit in
Christo omnibus omnia, dum ad formam ethicae purioris et consummatioris philosophiae
humanum a se nichil reputat alienum. »
136. Lettre 195 (à Maître Osbert de Faversham, ca. 1166), p. 274 : « Humanum, teste
comico, nichil caritas a se reputat alienum, sed per congratulationem recte gaudentibus
adest et per compassionem dolentibus congemiscit ; suas tamen affectiones ordinatissima
ratione dispensat ut sint omnes in Domino, et humanitatis officia in singulos lege naturae
et gratiae informantis magis aut minus exercet. »
137. Policraticus, VIII, 13, p. 325, 3-10 : « Qui uero humanitatem exhibet hospiti et
caritatem implet, nichil eorum subtrahit quae ratio permittit exponi. Effundit quidem in
hospites uiscera sua ; sed memor officii, si discretus est, ad turpia non impellit, nec urget
quempiam in id in quod se nollet urgeri. Est itaque in hospitem peregrinum omnis humanitas
et sobria liberalitas exercenda ; et indigenae hospiti gratiam pleniorem referre debet tenaci
beneficiorum memoria peregrinus. Hanc quoque gratiam nec aduersae religionis nec
praecedentis inimicitiae titulus perimit. » Sur l’anecdote du prêtre d’Apollon qui suit, et
qui illustre ce thème, voir P. von Moos, « L’anecdote philosophique », op. cit., p. 143.
138. Policraticus, III, prol., p. 172, 13-16 : « Rarus est qui totius fortunae impetum a
se toto possit arcere. Qui suis uiribus praeualet, in amici aut familiaris corpore uel sorte
temptatur, licet parum humanis sit quem extraneorum iactura non concutit. »
139. Par exemple, Augustin, De civitate Dei, XIV, 9, 4.
298 notes des pages 194 à 196

140. Lettre 276 (à Jean de Canterbury, évêque de Poitiers, 1168), p. 582-584 : « Non


quod iustum, qui ut leo confidit, pro se contristare ualeat quicquid acciderit, sed quia
instinctu naturae et uirtutis urgente stimulo proximis sic compatitur et congaudet, ut nichil
humani a se reputet alienum. […] Stupidum est, aut prorsus de corpore Christi non est,
membrum quod tanti languoris acerbitate non mouetur ad compatiendum. Apatian, quam
Latinus insensibilitatem dicit, Stoici praedicant, sed eorum opinio explosa est fidelissima
ratione et uirtute rectius philosophantium et, quod potentissimum est, sacrae scripturae
praeceptis et exemplis. »
141. Lettre 254, p. 512, cité ci-dessus, p. 296-297, n. 130 et 131.
142. Lettre 282 (à Maître Nicolas de Norwich, ca. 1168), p. 618 : « [P]hilosophi
gentium praedicant, ut eam uitae censeant praeferendam ; quia sine illa, sicut iniocunde,
sic et Deo et hominibus uiuitur odiose. Hanc ego nichil aliud esse crediderim quam
caritatem, sine qua (quod fides catholica docet) nemo fruetur Deo. »
143. Sur les liens entre vertu et amitié, ibid., p. 618 : « Amicitiam ueram, cuius
initium, profectum, finem quoque fideliter apud Ciceronis Laelium, sed fidelius ipsius
uirtutis experientia didicisti » ; sur l’importance de l’échange réciproque, la lettre 97,
p. 149-150 ; la lettre 111, p. 180-181 ; la lettre 171, p. 123-125 ; la lettre 199, p. 287 ;
la lettre 282, p. 619 ; et surtout la lettre 254, p. 512-514. Sur la place de Cicéron dans
les théories de l’amitié au xiie siècle, voir C. Mews, « Cicero and the Boundaries of
Friendship in the Twelfth Century », Viator : Medieval and Renaissance Studies, 38,
2007, p. 369-384.
144. Policraticus, III, 5, p. 183, 45-50 : « Est equidem omnium captanda beniuolentia,
quae fons amicitiae et primus caritatis progressus est ; sed honestate incolumi, officiorum
studiis, uirtutis uia, obsequiorum fructu, integritate sermonis. Adsit et fides, dictorum
scilicet factorum que constantia, et ueritas quae officiorum et bonorum omnium est
fundamentum. » Voir C. Nederman, « Friendship in Public Life during the Twelfth
Century », op. cit., p. 388-389. L’amitié est fondamentalement l’opposé de la flatterie,
et idéalement son antidote. Sur les rapports entre utilité et amitié, voir Policraticus, III,
7, p. 189, 27 – 190, 53. Après avoir ironiquement réduit l’amitié à l’échange de cadeaux,
Jean de Salisbury conclut de façon désabusée sur le petit nombre d’hommes vertueux
capable de cultiver l’amitié pour elle-même, p. 190, 54-55 : « Quod ex eo constat quod,
si cesset utilitas, rarus aut nullus est qui propter se uirtutem amicitiae colat. »
145. Policraticus, III, 12, p. 210, 38 – 211, 45 : « Nempe carus erit Verri qui Verrem
tempore quo uult accusare potest, si tamen inter malos caritas aut amicitia esse potest ;
hoc etenim quaesitum est. Sed tandem placuit eam nisi in bonis esse non posse. Magna
utique inter molles et malos concordia, sed ea tantum a caritate discedit quantum lux
distat a tenebris. Et licet interdum mali, sicut et boni, idem uelle uel idem nolle possint,
amicitiae tamen titulum non assequuntur. »
146. Ibid., III, 4, p. 180, 51-52 : « Nouit enim de concursu sensuum et uoluntatum
unione quasi riuulos amicitiae scaturire. Idem siquidem uelle et nolle, ut ait historicus,
ea demum firma amicitia est. » ; III, 12, p. 211, 43-45, cité dans la note précédente.
notes des pages 196 à 198 299

147. Lettre 261 (à Robert de Inglesham, ca. 1168), p. 528 : « Hanc inter amicos ratio
praefinit legem, ut ab inuicem non nisi honesta petuntur et, si inhonesta petita fuerint,
non admittantur. Vbi autem amici petitionibus honestas suffragatur et eas admittendi
facultas suppetit, adhibendus est sine difficultate consensus, et adimpletione uoti, si potest
fieri, praeuenienda est molestia exigendi. » ; Policraticus, V, 12, p. 335, 29 : « Amicitias
utilitate non fide colebat. »
148. Lettre 199 (à Adam, abbé de Evesham, ca. 1166), p. 287 : « Praeter eam quam
ab inicio mutuae cognitionis ad inuicem contraximus caritatem, ulterior quaedam iure
societatis initae conciliata est inter nos amicitia, ut alter alterius fortunam sic in utriusque
sortis calculo excipere debeat uelut suam ; nam affectionem, quam studiorum communicatio
peperit, promouit in peregrinatione similitudo morum, et familiaritatis non tam frequens
quam iugis et perpetua ad inuicem exhibitio. »
149. Voir Cicéron, De amicitia, VI, 22, Les Belles Lettres, Paris, 1983, p. 15 :
« Aduersas uero ferre difficile esset sine eo, qui illas grauius etiam quam tu ferret. »
150. Policraticus, VIII, 10, p. 293, 12-18 : « Vitet etiam qui conuiua comis esse
uoluerit consiliandi consuetudinem uerbi que secreti faciendi morem, eo quod in conuiuiis,
id est in iocundo amicorum conuiuantium cetu, debent omnia esse nuda, et in amore
et fide nichil debet esse absconditum sed, si fieri posset, oculos in pectora sua inuicem
mutuo transferre conspectu. »
151. Lettre 111 (à Pierre de Celle, 1159), p. 180 : « Quis enim res ambigit participandas
eis, quorum unus est animus, si ueritas professionis in amoris fide seruatur ? Siquidem
is est qui compage caritatis animos unit facit que, ut ait Calcidius, ut mirabili nexu
gratiae animus unus fiat ex pluribus, et sicut Plato auctor est, eundem spiritum multis
uere amantium corporibus praesidere, qui licet unus sit ad innatae uel cognatae uirtutis
officia, interdum amplius conualescit in singulis, aut pro qualitate corporum retardatur.
Cum ergo me uobis amicum esse professus sim, participium rerum et animorum libens
agnosco, excepto affectu molestiae quam de domini et patris mei diuturna et dubia
infirmitate concepi, cuius miseria eo cupio omnes esse expertiores quo in fide et ueritate
fuerint cariores. »
152. Par exemple, Lettre 159 (à Maître Nicolas, 1166), p. 72 : « Sed licet me super
iniuriis et dampnis illatis tristitia non absorbeat, moueor tamen quod amicos uidere non
licet, quod grata beniuolorum colloquia subtrahuntur, quod eorum quae michi essent ex
officio gerenda denegatur materia et facultas ; super his, inquam, moueor. »
153. Policraticus, I, prologue, p. 21, 2-5 : « Iocundissimus cum in multis tum in
eo maxime est litterarum fructus, quod omnium interstitiorum loci et temporis exclusa
molestia, amicorum sibi inuicem praesentiam exhibent et res scitu dignas situ aboleri
non patiuntur. »
154. Lettre 271 (à Maître Odon, s.d.), p. 546 : « Ad exilii et proscriptionis meae
cumulum nichil acerbius potuit accessisse quam ut michi subtrahatur solacium litterarum,
quae praeeunte gratia mentem purgant a uitiis, notitia ueritatis illustrant, accendunt
caritatem et exercitio sui uirtutes stabiliunt et confirmant. » Cette lettre fait écho au
300 notes des pages 198 à 203

prologue du Policraticus, I, p. 22, 35-43 : « Ad haec in dolore solatium, recreatio in


labore, in paupertate iocunditas, modestia in diuitiis et deliciis fidelissime a litteris
mutuatur. Nam a uitiis redimitur animus, et suaui et mira quadam etiam in aduersis
iocunditate reficitur, cum ad legendum uel scribendum utilia mentis intendit acumen.
Nullam in rebus humanis iocundiorem aut utiliorem occupationem inuenies, nisi forte
diuinitus compuncta deuotio orando diuinis insistat colloquiis aut corde per caritatem
dilatato Deum mente concipiat et magnalia eius apud se quasi quadam meditationis
manu pertractet. »
155. À titre d’exemple, voir les lettres 37, 148, 158, 254, 261, 276, 282, etc.
156. Lettre 95 (à Maître Geoffroy, s.d.), p. 146 : « Gaudeo namque quod de thesauro
scientiae uestrae nunc tandem probitatis exemplum, quod uobis reseruabatis, et michi
communicatum est. Potero quidem hiis et similibus animari ad fortia et, Domino prouehente,
ad altiora conscendere, si michi propitiationis suae manum porrexerit, qui illorum duntaxat
operum finem illustrat, quorum se meminit esse principium. »
157. Ibid., p. 146-147 : « Et licet illius nostri, quisquis fuerit, sit iocunda memoria,
et sententia probabilis uideatur, est tamen, ut arbitror, unde maerori suo poterit quis
exhibere solacium.Magnum equidem est honorum fascibus illustrari, sed proculdubio
maius est eosdem uirtutum titulis promereri. […] Et utinam, si studiorum praemium non
assequimur, saltem non destituamur et merito. »
158. Ibid., p. 147 : « Quod pusillanimitatem spiritus ueremini, et timorem timetis
suspicionum, prudenter quidem facitis et amice. Non enim Pompeio aut eo qui ipsum
uicit maior, aut Augusto prudentior, Cicerone aut Curione disertior sum, quibus quantum
suspicionis aura nocuerit, uos historiarum series trita perdocuit.Taceo quod totiens
uictorem Macabeum ante fregerit pusillanimitas quam gentium fortitudo. »
159. Ibid., p. 147 : « Vnde constat quod illorum inpetum a me sustinere non potero,
nisi me interim foueat, qui protegit hominem a pusillanimitate spiritus et tempestate ;
in illius autem uirtute non timebo quid exterius ingerat homo aut interius murmuret
caro. »
160. Voir J. Barrau, « La conversio de Jean de Salisbury : la Bible au service de
Thomas Becket ? », Cahiers de civilisation médiévale, 50, 2007, p. 229-243 : 235-238.
161. Lettre 95, p. 147-148 : « Erit ergo industriae et diligentiae uestrae frequentius
somnolentiae meae torporem excutere, ut quem ad bene agendum non propria, saltem
uirtus accendat aliena. In eo uero maxime uerae amicitiae fidem agnoscam, si me sic
michi reddideritis, ut uitiis non parcatur, et, ut de cetero uitentur cautius, statuatis ea
contra faciem meam, ne in eo deterius semper displiceam aliis, in quo michi quandoque
non nouero displicere. »
162. Entheticus, v. 727-728, p. 153, cité ci-dessus chap. 2, p. 236, n. 37.
163. Policraticus, VII, 2, p. 95, 25 ; 99, 21. Voir ci-dessus, chap. 2, p. 231, n. 8.
164. Voir ci-dessus, chap. 3, p. 150-151.
165. Entheticus, v. 251-278, cité ci-dessus, p. 295, n. 125.
166. Lettre 159, p. 72, citée ci-dessus, p. 295-296, n. 126.
notes des pages 203 à 205 301

167. Policraticus, VII, 2, p. 96, 5-8 : « Licet enim fides ad scientiae brauium non
perueniat, dum quasi per speculum ueritatem absentium contuetur, habet tamen certitudinem
caligine ambiguitatis exclusa. »
168. Voir ci-dessus, chap. 2.
169. Julie Barau a bien montré les raisons et les effets de cette radicalisation de Jean
en exil, et l’usage militant de la Bible qui en découle. Voir J. Barrau, « La conversio de
Jean de Salisbury », op. cit.
170. Lettre 177 (à Jean de Canterbury, évêque de Poitiers), p. 182 : « quia Christiano,
nedum sacerdoti, nichil licitum est ex optentu fidelitatis ubi caritas periclitetur, quae
uita fidei est, et operum testimonio declaratur ; nam “fides sine operibus mortua est”. »
Sur la question de la fidélité, voir C. Grellard, « La religion comme technique de
gouvernement… », op. cit., p. 250-252.
171. Lettre 281 (à Baudoin de Totnes, 1166), p. 616 : « Consilium in ambiguis
dumtaxat habet locum, nec debet esse ambiguum quod gerendum praescribit lex diuina ;
nam nec minimum de mandatis Dei (si quod tamen, quod uix crediderim, paruum est) pro
temporali uita, nedum pro mundana suppellectili uel uana quiete, consiliose deseritur ; nam
et minima seruata uitam adquirunt et plerumque martirii gloriam promerentur, neglecta
uero ex crimine inobedientiae et contemptus aeternam ingerunt mortem. »
172. Voir par exemple, Lettre 31 (à Pierre de Celle, 1154), p. 49 : « Vnde hoc aut
nullam arbitror aut leuem culpam, cum et Altissimus sententiam mutet, cuius consilium
manet in aeternum » ; également Lettre 156 (à Robert, prieur de Merton, 1165), p. 62.
Néanmoins, dans Policraticus, II, 26, Jean distingue les deux dans la mesure où le consilium
est immuable alors que la sententia peut changer. Voir p. 143, 5-7 : « Sed quocumque
modo sententia moueatur, consilium Domini manet in aeternum. »
173. Sénèque, De beneficiis, IV, 34, 4, 1 ; IV, 38, 2, 1.
174. Voir par exemple Metalogicon, II, 10, p. 72, 75-77 : « Extraxerunt me hinc
rei familiaris angustia, sociorum petitio, et consilium amicorum, ut officium docentis
aggrederer » ; IV, 19, p. 157, 18-19 : « Vt autem obsequium rationabile quod gratissimum
est praestet, consilium deliberationis super actis uel agendis oboritur. »
175. Isidor Hispalensis, Etymologia, L. X, § 39, LLT-A : « Consultus est qui consulitur ;
cui contrarius est inconsultus, qui non accipit consilium. »
176. Cicero, De inventione, I, 25, 36, p. 93 : « Consilium est ratio excogitata faciendi
aliquid, aut non faciendi » ; M. Victorinus, Explanationes…, op. cit., p. 220, 9-12 : « Sed
quia cum de re aliqua dubitamus, incerta quaedam ratio in anticipiti, cogitatione versatur,
postquam id ipsum statueris, erit excogitata ratio, et ideo excogitata, quia fuerat iam ante
cogitata ratio, quod consilium est. » ; T. de Chartres, Commentarius…, op. cit., p. 13,
19-20 : « Consilium est ratio id est discretio vere excogitata id est veraciter inventa ad
faciendum aliquid vel non faciendum. ». H. de Saint Victor, Didascalicon, III, 10, définit
la meditatio comme cogitatio frequens cum consilio.
177. Lettre 17 (à un membre du chapitre de Sens, 1156), p. 29 : « Verumtamen sine
consilii praeiudicio sanioris, interuentu domini Altisiodorensis, archiepiscopum, ut preces
302 notes des pages 205 à 208

domini papae pro te porrectas admittat, studiosius sollicitabis, et per eundem et alios
misterium consilii partis aduersae diligenter inquires, ut ex eo causam tuam facilius et
felicius possis instruere. »
178. Lettre 37 (à Henri, évêque de Winchester, 1157), p. 67 : « Amicis nostris, urgente
temptationis articulo, illam consilii uiam credimus ostendendam, quae honestatis specie
aut utilitatis fructu uidetur prae ceteris eligenda. […] Sic nos, reuerende et amantissime
frater in Domino, fraternitatem uestram ad propria redire monuimus, omnino non credentes
honestati uestrae aut ecclesiae utilitati magis aliquid expedire. »
179. Lettre 217 (à Reginald, archidiacre de Salisbury, 1167), p. 362 : « Huius rei
testis est conscientia, testis est conscientiae scrutator et arbiter Deus, qui forte citius
quam credatur illustrabit abscondita tenebrarum et manifestabit consilia cordium. » Une
telle remarque rejoint l’esquisse d’une hiérarchie des autorités proposée par Jean dans
une lettre à Pierre de Celle, Lettre 31, p. 50 : « Ad summum, testimonium innocentis
conscientiae, auctoritas Romani pontificis, prudentum consilia, familiarium preces tandem
persuaserunt, ut examen causae, si fieri potest, domi expectem, ubi finis poterit esse et
sumptu facilior et copia amicorum felicior. »
180. Lettre 156, p. 62 : « Vbi humanum consilium deficit, ex necessitate confugitur
ad diuinum, quod, ut opinor, nulla uia facilius aut felicius optinetur, quam si amici Dei
illud precibus studeant optinere quod culpa patrocinio indigentium demeretur. »
181. Lettre 300 (à la communauté de Christ Church, 1170), p. 700 : « Euoluat
unusquisque et relegat propriae conscientiae librum ; in ambiguis, si qua sunt, interpretem
quaerat et inuocet Spiritum Sanctum, qui docet hominem scientiam et absconditam
reuelat ueritatem, ut eo docente sibi fidelius et familiarius innotescat, et (ut arbitror)
plane et plene deprehendet quid ab accensa uel intensa, quid a tepida uel remissa, quid
ab extincta uel fugata et perdita sibi prouenerit caritate. »
182. Lettre 174 (à Bartholomée, évêque d’Exeter, 1166), p. 150 : « Vos utramque
partem ponderate et de consilio eius et nostro semper sequimini meliora, id est, quae
Deo, si innotuerint uobis, magis placita fuerint. Quod si et illud ambiguum est aut
occultum, fides sequenda est, quia quod non est ex ea, peccatum est. » Voir également,
les Lettres 124, p. 213-214 ; et 305, p. 738 sur l’idée que les livres saints et les jugements
des prêtres qui les interprètent sont une solution aux situations de doute.
183. Lettre 217, p. 364-366 : « Respondeo quod in omni ardua dubietate censeo
faciendum, scilicet, ut primo omnium quaeramus et sequamur quid super hoc lex diuina
praescripserit ; quae si nichil certum exprimit, recurratur ad canones et exempla sanctorum
ubi, si nichil certum occurrit, tandem explorentur ingenia et consilia sapientum in timore
Dominis illi que, seu pauciores seu plures sint, ceteris praeferantur qui honorem Dei
commodis omnibus anteponunt. »
184. Policraticus, VIII, 12, p. 307, 14-20 : « Sicut enim uera et unica libertas est
seruire uirtuti et ipsius exercere officia, ita unica et singularis seruitus est uitiis subiugari.
Errat plane quisquis aliunde conditionem alterutram opinatur accidere ; siquidem omne
hominum genus in terris simili ab ortu surgit, eisdem constat et alitur elementis, eundem
notes des pages 208 à 211 303

que spiritum ab eodem principio carpit, eodem que fruitur celo, aeque moritur, aeque
uiuit. »
185. Policraticus, VIII, 12, p. 309, 12-14 : « Nichil enim decorum est quod non a uirtute
profluxerit, et se inuicem turpitudo et uitium infausto ambitu circumscribunt. » ; p. 315,
20-22 : « Verum, si moderatio adhibeatur, in his interdum sensuum uoluptate uersari sapienti
non arbitror indecorum ; ut saepenumero dictum est, nichil decorum est sine modo. »
186. Policraticus, VIII, 12, p. 314, 2-9 : « Non tamen arguitur quod necessitas
introducit, quia non omnes omnia possunt, et est cuius natura exigit unde alius honeratur
aut quod omnino ferre non potest. Hoc autem philosophia praecipit obseruari, ut quisque
in omnibus fugiat notam, indicens actioni rectitudinem ne sit reprehensibilis, sermoni
cautelam ne sit contemptibilis, habitui modestiam ne sit notabilis ; intemperantiam
namque nota conuincit. »
187. Policraticus, VIII, 12, p. 316, 16-22 : « Sed delectari in eis nunc ad otia, nunc
ad flagitia accedit. Si enim modeste fiat ad recreationem, sub otiandi licentia excusatur ;
si ad lasciuientis animi uoluptatem, cadit in crimen. Haec autem facillime distinguit loci
temporis modi personae et causae superius memorata discretio, quam forte nimis reuoluere
posset lingua uerbosior, sed eam mens cauta reuoluere nimis aut continere non potest.
Haec est enim fons et origo totius modestiae, sine qua nichil recte in officiis exercetur.
Ab hac alios alia decere uel dedecere certum est. » Voir G. Navaud, Le Théâtre comme
métaphore, op. cit., p. 145-146.
188. Policraticus, VIII, 13, p. 318, 12-13 : « Est autem frugalitas uirtus moderatrix
utendi et abuntedi ignara. »
189. Policraticus, VIII, 13, p. 317, 18-28 : « Sunt tamen quibus frugalitas est inhibenda,
ut quorum natura procliuior est ad auaritiam. Sunt tamen quibus est indicenda calcatius,
ut qui sua prodigunt et ratione contempta effundunt, non discernentes quid usus sit uel
abusus. Simpliciter tamen constat frugalitatem in bonis numerandam, utpote illam quae
Saturno regnante regna aurea temperauit et eorundem omnia dispensauit officia. »
190. Voir P. von Moos, Geschichte als Topik…, op. cit., p. 3.
191. Voir Cicéron, De officiis, I, 10, 32 et III, 25, 94. Voir, sur la question du don
contraignant, C. Cooper-Deniau, « Culture cléricale et motif du “don contraignant”.
Contre-enquête sur la théorie de l’origine celtique de ce motif dans la littérature française
du xiie siècle et dans les romains arthuriens », Le Moyen Âge, 111, 2005, p. 9-38.
192. Policraticus, III, 11, p. 207, 53 – 208, 66 : « In his mutare propositum, saepe
non criminis est sed uirtutis. Nam, ut a fabulis doceamur, Theseus unico filio suo non
fuisset orbatus si uoluisset mutare propositum, et Phoebus, urgente doloris stimulo quem
de Phaetontis ruina conceperat, exul a caeli regione Admeti non pauisset armenta, si ei
uotum quo se Stigis interposito sacramento filio ambitioso obligauerat mutare licuisset.
Et ne fabularum instrumenta contemnas, rex incredulus, quod ex euangelica habes
historia, salubrius incautum et perfidum soluisset iuramentum quam in extinguenda
lucerna uerbi, auferendo praeambulum gratiae, ueritatis occidendo praeconem, mensam
pollueret, conuiuium incestaret, regiam pessumdaret maiestatem, dum incestui cuncta
304 notes des pages 211 à 221

seruiunt et obtemperant saltatrici. » Il y a une ambiguïté dans le cas de Thésée puisque


c’est Neptune qui refuse de changer la demande.
193. Policraticus, III, 11, p. 208, 66-72 : « Ethicae quidem regula est quia non
omnia sunt semper promissa soluenda, si forte aut accepturo damnosa aut perniciosa sint
promittenti. Et lex amicitiae illa praeualuit qua sola honesta peti licet ab amicis aut fieri.
Ipsoque iure cautum est ut nulla promissio quae turpem aut tristem habet exitum impleatur.
Postremo antecedens promissio consequentis beneficii gratiam aut extinguit aut minuit ».
Jean cite Cicéron, successivement, De officiis, I, 10, 32 et De amicitia, XIII, 44.
194. Lettre 221 (à Maître Laurent, 1167), p. 380 : « Mouebor autem si dominus
Pictauensis ad alicuius preces clauum refigat in oculum, latus que sagitta perforet
irreuocabili et compedibus uinciat pedes, si eum semel quocumque Dei beneficio contingat
liberari. Vtinam meminerit quia “primo decipi incommodum est, secundo stultum, tertio
turpe”. Nam et Phoebum poenituit munus sine nomine petitum concessisse uel filio ; sera
tamen poenitentia, cum coelum suum tradidisset incautius perurendum. »
195. Voir sur ce contexte, Ph. Pouzet, L’Anglais Jean dit Bellesmains (1122-1204),
Évêque de Poitiers, puis Archevêque de Lyon (1162-1182, 1182-1193), Lyon, Camus
et Carnet, 1927, p. 28-42. Néanmoins, les lettres adressés directement à l’évêque de
Poitiers à la même époque ne dénotent aucune animosité, ni mise en garde contre un
éventuel revirement.

Conclusion

1. Voir L. Hermand-Schébat, Pétrarque épistolier…, op. cit., p. 433-475. Je remercie


Jacques Chiffoleau et Sylvain Piron pour avoir attiré mon attention sur cette notion
d’imitation.
2. Lettre 31, citée, ci -dessus p. 295, n. 123.
3. Policraticus, VII, 25, p. 217, 26 – 225, 12.
4. Ibid., V, 24, p. 67, 6 – 73, 6.
5. Metalogicon, IV, 41, p. 182, 20-33 : « Quia enim de radice sensuum, qui frequenter
falluntur, scientia manat, et decepta infirmitas quid expediat parum nouit, data est per
clementiam Dei lex quae utilium scientiam aperiret, et indicaret de Deo quantum sciri
licet, aut quantum expedit quaerere. Illa enim diuinam potentiam in creatione, sapientiam
in dispositione, bonitatem manifestat in conseruatione rerum. Sed haec maxime eminent in
hominis reparatione redempti. Voluntatem quoque Dei patenter exponit, ut sciat quisque
quid ipsum oporteat facere. Et quia tam sensus quam ratio humana frequenter errat, ad
intelligentiam ueritatis primum fundamentum locauit in fide. Hinc est illud Philonis in
libro Sapientiae : qui confidunt in Domino intelligent ueritatem, et fideles in dilectione
adquiescent illi, quoniam donum et pax est electis Dei. »
6. Sur cette théologie politique, voir C. Grellard, « La religion comme technique de
gouvernement… », op. cit. ; et « John of Salisbury and Theology », op. cit.
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Index des auteurs antiques

Antisthènes : 237 78, 89, 96, 107, 116, 123, 132, 135,
Arcésilas : 15, 25, 51, 202, 236 142, 144, 147, 149, 154, 156, 157,
Aristote :14, 18, 24, 25, 31-32, 54, 55, 161, 162, 171, 181, 182, 199, 205,
57, 64, 66, 74, 76-79, 81-82, 129, 210, 211, 213, 215, 216, 217, 218,
130, 132-134, 137, 162-163, 216, 229, 230, 231, 233, 234, 240, 241,
238-245, 247, 249, 271-273, 276, 251, 258, 260, 264, 268, 269, 276,
283, 284 278, 283, 284, 291, 296, 298, 299,
Augustin d’Hippone : 14-18, 24, 34, 300, 301, 303, 304
43-46, 51-52, 60, 71-76, 85-86, 91,
96, 106, 142, 125, 142, 155, 159- Epicure : 25, 29, 34, 43, 101, 115, 157-
160, 167-169, 171, 172, 173, 176, 162, 183, 208, 233, 263, 280, 281,
182, 183, 192, 194, 220, 224, 230, 282, 287
232, 233, 234, 235, 237, 239, 241,
246, 247, 250, 251, 252, 253, 256, Lactance : 17, 34, 35, 38, 220, 230,
257, 268, 269, 274, 278, 280, 281, 237
285, 291, 292, 297 Lucain : 136, 137, 273

Carnéade : 15, 122, 123, 236, 267, Macrobe : 32, 33, 142, 168, 208, 229,
268 237, 286
Calcidius : 32, 55, 61, 216, 237, 238, Marius Victorinus : 142, 275, 301
239, 242, 254, 299 Martianus Capella : 142, 275
Chrysippe : 296
Cicéron : 12, 14, 17, 18, 24, 25, 32, Philon d’Alexandrie : 96, 221, 254
33, 34, 37, 38, 39, 42, 45, 52, 58, Philon de Larisse : 236
326 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Platon : 15, 25, 32, 56, 60, 61, 71-74, Sénèque : 32, 72, 73, 74, 98, 205, 229,
76-77, 79, 82, 83, 98, 145, 169, 229, 230, 246, 255
238-240, 245-247, 255, 259, 276
Plutarque (Pseudo) : 28 Virgile : 26, 107, 115, 136, 137, 142,
Prosper d’Aquitaine : 286 145, 167, 168, 238, 270, 273, 275

Quintilien : 33, 123, 141, 229, 268,


272, 274, 279
Index des auteurs médiévaux

Adam du Petit-Pont (Adam de Guillaume de Conches : 21, 33, 56, 83,


Balsham) : 23, 114, 262 111, 112, 119, 229, 238, 239, 240,
Adrien IV : 22, 220, 226, 276 249, 261, 265
Alain de Lille : 168, 170, 286 Guillaume de Malmesbury : 30, 35,
Guillaume de Saint-Thierry : 39, 223,
Bernard de Chartres : 26, 56, 73, 74, 224, 231, 233
76, 112, 119-121, 123, 238, 239, Guillaume de Soissons : 137
240, 246, 247, 261, 267,
Bernard de Clairvaux : 22, 233 Henri II, Plantagenêt : 22, 199, 201,
Bernard Silvestre : 83, 167, 275, 212, 218, 219,
Boèce : 31, 32, 33, 54, 56, 60, 61, 64, Henri le libéral : 128, 129
72, 78, 89, 228, 230, 239, 242, 243, Hugues de Saint-Victor : 123, 247,
246, 250, 251, 273, 284, 267, 273
Bonaventure de Bagnoregio : 224,
236 Isidore de Séville : 34, 87, 205, 250

Clérambaud d’Arras : 78, 246 Jacques de Venise : 237, 247


Jean de Canterbury, dit Jean
Denis Foulechat : 228, 277 Bellesmains : 212, 258, 298, 301,
304
Gérard Pucelle : 158, 281, 296 Jean de Galles : 234
Gilbert de Poitiers : 21, 22, 29, 74,
105, 112, 126, 127, 212, 246, 259, Pétrarque : 17, 218, 224, 304
261, 269,
328 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Pierre Abélard : 13, 21, 39, 56, 60, 61, Rupert de Deutz : 168, 286
66, 78, 89, 105, 110, 163, 168, 169,
223, 224, 230, 233, 239, 240, 242, Thierry de Chartres : 21, 33, 112, 132,
244, 248, 259, 281, 283, 284, 245, 261, 271, 273, 275, 301
Pierre de Celle : 22, 29, 34, 190, 197, Thomas Becket : 22, 29, 101, 102, 103,
219, 287, 295, 299, 301, 302 128, 135, 150, 162, 171, 178, 187,
188, 189, 197, 207, 212, 213, 218,
Robert de Melun : 110 226, 283, 287, 290, 294, 295
Robert Pullen : 21
Robert de Selby : 226 Vacarius : 21, 110, 225, 226
Index des auteurs modernes et contemporains

Aurell, M. : 261, 294 Casagrande, C. : 282


Cavini, V. : 224
Barrau, J. : 300, 301 Châtillon, J. : 266
Barker, L. K. : 230 Chiffoleau, J. : 19, 304
Barlow, F. : 225 Chenu, M.-D. : 249, 260
Bezner, F. : 274 Clerval, A. : 261
Biard, J. : 19, 229, 248 Conche, M. : 18
Bloch, D. : 19, 31, 32, 225, 227, 237, Constable, G. : 226, 278
261, 262 Cooper-Deniau, C. : 257
Blomme, R. : 283 Courcelles, P. : 171, 288
Boudet, J.-P. : 254, 256 Curtius, E. : 292
Boyancé, P. : 107, 260
Breisach, E. : 228, 230, 258 Dal Pra, M. : 279
Brooke, C. : 226 Daniels, H. : 237, 240, 242, 273
Brucker, C. : 146, 228, 237 Davy, M.-M. : 231
Brunet, A : 260, 265, 266 Delhaye, P. : 279, 286
Buckhardt, J. : 260 De Libera, A. : 239, 242, 248
Bultot, R. : 289 Demimuid, M. : 225
Burnett, C. : 261 De Rijk, L. M. : 246
Bylebyl, J. : 254 Dold, A. : 227
Dotto, G. : 233, 260
Caiazzo, I. : 246 Doucet, D. : 246
Cary, G. : 278 Dox, D. : 292, 293
330 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Ebbesen, S. : 19, 228, 229, 237 Lachaud, F. : 19, 225, 228, 230, 234,
235, 277, 278, 290
Faes de Mottoni, B. : 224 Langdon Forhan, K. : 282
Favret-saada, J. : 256 Lépinois, E. de : 228
Feldwick, A. : 227 Lejbowicz, M. : 20, 237, 245
Laarhoven, J. van : 20, 226, 227, 262,
Gerl, H.-B. : 243 295
Gersh, S. : 275 Lagerlund, H. : 223
Gilson, E. : 175, 263, 289 Lemoine, M. : 229, 267
Godman, P. : 260 Lévi-Strauss, C. : 256
Goodich, M. E. : 257 Lévy, C. : 19, 235, 237, 280, 281
Gregory, T. : 223 Liebeschütz, H. : 28, 260, 263, 277
Grellard, C. : 223, 224, 225, 229,230, Lottin, O. : 286
231, 233, 234, 235, 236, 244, 250, Loud, G. A. : 226
271, 278, 279, 289, 301, 304
McLoughlin, J. : 261
Häring, N. : 261 Marenbon, J. : 251, 281, 283, 284, 286
Haskins, C. : 260 Martin, J. : 30, 228, 260, 285
Heinze, R. : 273 Merlet, L. : 228
Hendley, B.  : 237, 240, 243, 245, Mews, C. : 298
260 Michaud-Quantin, P. : 267
Hirata, Y. : 296 Michel, A. : 235, 264
Hunt, T. J. : 224 Monagle, C. : 228
Moulinier-Brogi, L. : 261, 296
Illich, I. : 273
Imbach, R. : 19, 223, 224 Navaud, G. : 277, 292, 293, 303
Nederman, C. : 32, 163, 225, 227, 228,
Jaeger, S. : 265, 294 229, 261, 279, 282, 283, 290, 296,
James, M. : 238 298
Jeauneau, E. : 32, 229, 238, 249, 268,
271, 274 Peirce, C. S. : 71, 245
Jolivet, J. : 246, 269 Pépin, R. : 263
Jourdain, C. : 224 Perler, D. : 19, 223, 224
Picard-Parra, C. : 229
Keats-Rohan, K. : 21, 31, 226, 261 Piron, S. : 19, 304
Kerner, M. : 227, 278 Popkin, R. : 11, 223
Kneepkens, C. H. : 248 Porro, P. : 253
Krynen, J. : 277 Pouzet, Ph. : 304
index des auteurs modernes et contemporains 331

Ray, R. : 228, 258 Tilliette, J.-Y. : 239, 271


Reynolds, L. D. : 229 Tremblay, P. : 260, 265, 266
Rosenwein, B. : 288
Rossi, C. : 261 Valente, L. : 269
Rouse, R. & H. : 224 Verbaal, W. : 229
Veyrard-Cosme, C. : 276
Saccenti, R. : 168, 286 Vignaux, P. : 12, 223
Schaarschmidt, C. : 30, 228 Von Moos, P. : 33, 239, 244, 260, 263,
Schmitt, C. B. : 11, 223, 224 271, 288, 294, 297, 303
Schmitt, J.-C. : 288
Sigal, P.-A.: 257 Ward, J. O. : 230, 263, 272, 274
Smalley, B. : 226, 295 Webb, C. C. : 30, 31, 35, 228
Sonnesyn, S. : 279 Weijers, O. : 261
Southern, R. : 261 Wetherbee, W. : 260, 274
Swanson, J. : 234 Wilks, M. : 228, 229, 261
Wittwer, R. : 224
Taliadoros, J. : 226
Thomas, Y. : 249 Ziolkowski, J. : 227, 273
Thomson, R. : 228
Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Chapitre premier : Le contexte historique et sociologique . . . . . . . 21
Vie et mort d’un philosophe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
L’œuvre de Jean de Salisbury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Les sources du scepticisme de Jean de Salisbury . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Préalables méthodologiques  : comment établir les sources
utilisées ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Les sources grecques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Les sources latines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Chapitre 2 : Les principes du scepticisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Scepticisme et prudence épistémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
La place du scepticisme dans l’histoire de la philosophie . . . . . . 40
Les différentes formes de l’attitude sceptique . . . . . . . . . . . . . . . . 43
L’épistémologie faillibiliste de Jean de Salisbury . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Genèse et nature de la connaissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Probabilité et degrés d’assentiment : les formes de justification . 65
Pratiquer le scepticisme : l’exemple du problème des universaux . . . 71
L’idée comme archétype : le platonisme chrétien de Jean de
Salisbury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Les idées abstraites : l’aristotélisme de Jean de Salisbury . . . . . . 78
Vers une conception sceptique des idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
334 jean de salisbury et la renaissance médiévale du scepticisme

Le scepticisme chrétien de Jean de Salisbury . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85


Le modèle de la science divine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Du vrai à l’utile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Le scepticisme entre critique et apologétique . . . . . . . . . . . . . . . . 97
Chapitre 3 : L’humanisme comme éducation au scepticisme . . . . . 107
Éduquer au scepticisme : du bon usage des classiques . . . . . . . . . . . . 109
Modèle et contre-modèle éducatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
L’encyclopédisme et l’apprentissage de la modération . . . . . . . . . 124
Écriture sceptique et théorie de l’exemplum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
La nature de l’exemplum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
La construction de l’auctoritas : nature et fonction de la res
gesta . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
Du vraisemblable à l’utile : la fonction pratique de l’exemple . . . 142
Chapitre 4 : Conditions et finalités d’une éthique sceptique . . . . . . 153
La grâce et la vertu : les fondements philosophiques et théologiques
de l’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Doxographie et dissension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Une éthique des vertus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Les limites de la vertu : la grâce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
Une éthique de la distance : la tranquillité de l’âme . . . . . . . . . . . . . . 170
L’injonction à se connaître : la connaissance de soi contre l’amour
de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
La métaphore théâtrale et l’aliénation du moi . . . . . . . . . . . . . . . 178
De soi aux autres et retour : les conditions sociales de la tranquil-
lité de l’âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Une éthique de l’exemple : action et délibération . . . . . . . . . . . . . . . . 201
Les conditions de l’action (1) : la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
Les conditions de l’action (2) : le consilium . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
Une éthique contextuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
table des matières 335

Sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Sources antiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Sources médiévales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307
Littérature secondaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
Index des auteurs antiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
Index des auteurs médiévaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
Index des auteurs modernes et contemporains . . . . . . . . . . . . . . . . 329
Ce volume,
le cent vingt-deuxième
de la collection « Histoire »
publié aux Éditions Les Belles Lettres,
a été achevé d’imprimer
en xxxxxxxxx 2013
sur les presses
de l’imprimerie SEPEC
01960 Peronnas

N° d’éditeur : xxxx
N° d’imprimeur :
Dépot légal : xxxxxxx 2013

Imprimé en France

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