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Comment trouver une idée de recherche

Alain d'Astous
École des HEC

Au cours des ans, j'ai noté que les étudiants à qui l'on demande de réaliser une recherche ont de la
difficulté à trouver une idée intéressante à partir de laquelle une problématique sera définie, des
méthodes seront employées et des résultats seront obtenus. C'est pourquoi j'essaie généralement
de produire moi-même un certain nombre d'idées de recherche que je soumets ensuite à mes étu-
diants afin de leur venir en aide.

Il y a deux problèmes avec cette façon de faire. Premièrement, en faisant cela, je les prive d'une
expérience d'apprentissage essentielle dans le cadre de leur formation en recherche. Il n'existe pas
de démarche clairement établie pour trouver une idée de recherche et le fait de se «creuser les mé-
ninges» est sans doute une façon d'apprendre très efficace (sans compter que je ne serai pas tou-
jours là pour faire le travail à leur place !).

Deuxièmement, bien que je me félicite toujours que les circonstances me donnent l'occasion de
réfléchir et de mettre en pratique mes «habiletés créatives», il n'est pas assuré que le résultat soit
satisfaisant au regard de la qualité (l'intérêt des idées) et de la quantité (leur nombre). Heureuse-
ment, je peux compter sur la collaboration de mes collègues qui m'alimentent en idées que je refile
allègrement par la suite à mes étudiants (en n'oubliant surtout pas de renvoyer ces derniers aux
auteurs de ces illuminations lorsque des problèmes surviennent ou que des explications doivent
être fournies...).

Dans les lignes qui suivent, je présente quelques stratégies utiles pour trouver une idée de recher-
che qui saura intéresser à la fois le chercheur (il en a bien besoin) et son auditoire éventuel (moi,
entre autres). Sans être des recettes magiques, ces stratégies m'ont permis de poursuivre de façon
continue des activités de recherche depuis plus de 20 ans. J'offre pour chacune un ou deux exem-
ples de projets de recherche personnels qui ont donné lieu à des publications.
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Stratégie 1 : Lire

Il s'agit d'une stratégie de base. Nombre d'idées de recherche intéressantes sont issues des lectures
que l'on fait. Les revues spécialisées en marketing (Journal of Marketing, Journal of Consumer
Research, etc.) et les comptes-rendus des congrès scientifiques en marketing (Association for
Consumer Research, European Marketing Academy, etc.) sont des sources importantes pour
développer des idées de recherche. Mais, il ne faut pas s'arrêter là. On trouve souvent des idées
nouvelles dans les publications associées à d'autres disciplines comme la psychologie (ex. : Jour-
nal of Personality and Social Psychology), la sociologie, l'anthropologie, etc. Les journaux (ex. :
La Presse), les magazines (ex. : Info-Presse) et même les romans ne doivent pas être laissés pour
compte. Voici deux exemples d'idées de recherche que j'ai trouvées dans des publications non
scientifiques.

Exemple 1 :

d'Astous, A. et N. Séguin (1999), «Consumer Reactions to Product Placement Strategies in Televi-


sion Sponsorship,» European Journal of Marketing, Vol. 33, No. 9/10, 896-910.

Cette recherche a été inspirée par un article de Lucie Lavigne dans La Presse (8 novembre 1995)
intitulé «Quand la pub en passe une p'tite vite». Après avoir lu cet article, j'ai vu tout de suite la
possibilité de faire une recherche sur un thème à peu près inexploré à l'époque, celui du placement
de produit à la télévision.

Exemple 2 :

d'Astous, A. (1990), «An Inquiry Into the Compulsive Side of 'Normal' Consumers,» Journal of
Consumer Policy, 13, 15-31.

Dans l'avion qui me ramenait des États-Unis où j'avais participé à un congrès de l'Association for
Consumer Research, je suis tombé par hasard sur un article de la revue American Way (la revue
de bord de American Airlines) dans lequel une femme décrivait son problème de compulsion à
l'achat. Ça m'a donné l'idée de faire une recherche pour mieux comprendre ce phénomène. Inci-
demment, Tom O'Guinn, un chercheur américain qui a beaucoup publié dans le domaine de l'achat
compulsif, me disait qu'il avait trouvé son idée de recherche... dans la revue American Way.
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Stratégie 2 : Observer

Les phénomènes de marketing (consommation, influence commerciale) font partie de la vie de


tous les jours. Il n'y a qu'à regarder autour de soi pour trouver des sujets de recherche. Voici un
exemple vécu.

Exemple 3 :

Ahmed, S. A. et A. d'Astous (1992), «Evaluation of Country-of-Design and Country-of-Assembly


in a Multi-Cue/Multi-National Context,» in European Advances in Consumer Research, Vol. 1, éds.
W. F. van Raaij et G. J. Bamossy, Provo, UT: Association for Consumer Research, 214-221.

Il y a quelques années, je magasinais pour acheter un magnétoscope. Après avoir fait quelques
appels téléphoniques, j'ai trouvé un appareil qui faisait mon affaire : bonne qualité, bonne marque,
bon prix et, parce que j'y suis sensible, fabriqué dans un pays développé. Je me rends sur les
lieux pour prendre possession de l'appareil et au moment où le vendeur me le donne, je lis sur la
boîte : «Manufactured in Malaysia». Je proteste, je m'emporte : «Vous m'aviez dit qu'il était
d'origine japonaise !». «Oui, me dit-il, c'est un magnétoscope japonais, c'est juste qu'il est assem-
blé en Malaisie». J'ai compris à ce moment qu'il y a au moins deux dimensions de l'origine natio-
nale d'un produit : le pays de conception et le pays d'assemblage. J'ai creusé l'idée et cela m'a
permis de réaliser plusieurs études sur l'origine nationale des produits où ces deux dimensions
sont distinguées.

Stratégie 3 : Introspection

L'introspection consiste à réfléchir à propos de ses propres expériences de consommation. Il faut


s'en méfier un peu, car cela nous conduit à voir les choses selon une perspective parfois trop per-
sonnelle. Mais c'est une bonne méthode pour trouver une piste que l'on peut ensuite explorer
avec d'autres moyens (ex. : en discutant l'idée avec d'autres).
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Exemple 4 :

d'Astous, A., N. Roy et H. Simard (1996), «A Study of Consumer Irritations During Shopping,» in
European Advances in Consumer Research, Vol. II, éd. F. Hansen, Provo, UT: Association for
Consumer Research, 381-387.

d'Astous, A. (2000), «Irritating Aspects of the Shopping Environment,» Journal of Business Re-
search (à paraître).

La fin du trimestre approchant, deux étudiantes en quête d'un projet me pressent un jour de les
aider. Je leur demande : «Qu'est-ce qui vous intéresse ?» (c'est une façon pour moi de stimuler
mes neurones créatives, et de gagner du temps...). Elles me disent plusieurs choses sans doute, je
ne m'en souviens pas, mais le magasinage leur apparaît comme un thème de recherche intéressant.
Je réfléchis un peu à mes propres expériences de magasinage et je prends conscience que ces expé-
riences n'ont pas toujours été positives. De cette constatation intérieure est née une idée de re-
cherche portant sur l'identification des irritations que vivent les consommateurs qui magasinent.

Stratégie 4 : Réplique

Cette stratégie consiste à trouver une étude qui nous plaît et à en faire une réplique avec (idéale-
ment) des changements, des ajouts conceptuels et méthodologiques. La réplique d'études est im-
portante en marketing, car cela permet d'évaluer la généralisabilité des résultats de la recherche.

Exemple 5 :

d'Astous, A. I. Bensouda et J. Guindon (1989), «A Re-Examination of Consumer Decision Making


for a Repeat Purchase Product: Variations in Product Importance and Purchase Frequency,» in Ad-
vances in Consumer Research, Vol. 16, éd. T.K. Srull, Provo, UT: Association for Consumer Re-
search, 433-438.
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Exemple 5 (suite)

Dans un cours de comportement du consommateur dont j'avais la responsabilité, j'assignais


comme lecture un très bon article écrit par Wayne Hoyer (1984) portant sur la prise de décision
lors d'un achat dans une épicerie d'un produit courant (un savon à lessive). Ayant souligné en
classe qu'il serait intéressant de reconduire cette étude avec un produit plus important et acheté
moins fréquemment, deux étudiants décidèrent de relever le défi. La réplique s'est faite dans une
pharmacie en utilisant comme produit d'étude les analgésiques.

Stratégie 5 : Emprunter une idée

C'est la stratégie la plus simple, à condition que l'idée suggérée nous plaise, qu'elle soit nouvelle et
intéressante et que son créateur en soit informé. Vous avez reçu une liste d'idées de recherche que
j'ai préparée en collaboration avec mes collègues du département de marketing. Peut-être trouve-
rez-vous dans cette liste un projet qui vous stimulera. Voici un exemple où j'ai emprunté l'idée
d'un collègue pour réaliser une recherche.

Exemple 6 :

d'Astous, A. et N. Touil (1999), «Consumer Evaluations of Movies on the Basis of Critics' Judg-
ments: A Causal Attribution Approach,» Psychology & Marketing, Vol. 16, No. 8 (à paraître).

C'est Richard Vézina, professeur de marketing à l’Université de Sherbrooke, qui m'a donné l'idée
d'une recherche sur l'influence des critiques de cinéma. À la suite d'un exposé où il présentait les
résultats préliminaires d'une étude sur le sujet, j'ai pensé à une autre approche pour aborder le
problème de recherche qu'il avait défini (merci Richard !).
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Stratégie 6 : Procéder par analogie

Il arrive parfois qu’on puisse emprunter d’une recherche effectuée sur un thème donné une partie
de l’approche méthodologique ou de la structure conceptuelle afin de l’appliquer à un autre do-
maine. Voici un exemple où cette stratégie de transfert analogique s’est avérée fructueuse pour
moi.

Exemple 7 :
d'Astous, A. et P. Bitz (1995), «Consumer Evaluations of Sponsorship Programmes,» European
Journal of Marketing, Vol. 29, No. 12, 6-22.

Pierre Bitz et moi nous intéressions à l’impact de la commandite (ou sponsoring) sur les
consommateurs. Nous avons fait l’analogie entre la décision d’une entreprise de s’engager dans
un programme de commandite (ex. : commanditer un événement sportif) et celle de l’extension de
marque. Dans les deux cas, il s’agit d’associer une entreprise ou une marque à quelque chose de
nouveau (un événement pour la commandite, un produit pour l’extension de marque) et dans les
deux cas, il doit y avoir un lien entre l’entreprise ou la marque et ce quelque chose de nouveau.
Nous avons conçu une procédure méthodologique qui s’inspire en partie d’une étude réalisée par
Aaker et Keller (1990) dans le domaine de l’extension de marque.

Pour en savoir plus

Voici quelques références bibliographiques que vous pourrez consulter si vous voulez en appren-
dre davantage sur le problème qui consiste à trouver une idée de recherche.

McGuire, W. J. (1997), «Creative Hypothesis Generating in Psychology: Some Useful Heuris-


tics,» Annual Review of Psychology, 48, 1-30.

Wells, W. D. (1993), «Discovery-Oriented Consumer Research,» Journal of Consumer Research,


19 (mars), 489-504.

Zaltman, G., LeMasters, K. et Heffring, M. (1982), Theory Construction in Marketing, New


York, John Wiley & Sons.

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