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Au Togo, paradis de la Françafrique,
l’opposition s’est réveillée
PAR FANNY PIGEAUD
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 5 SEPTEMBRE 2017
L’opposition au président du Togo, Faure Gnassingbé,
a retrouvé ces dernières semaines de la vigueur avec
l’émergence d’un nouveau leader. Après une forte
mobilisation de ses partisans le 19 août, elle a annoncé
de nouvelles manifestations pour ces 6 et 7 septembre
afin d’obtenir, entre autres, une limitation du nombre
de mandats présidentiels.
Depuis quelques semaines, la donne politique est en
train d’évoluer de manière étonnante au Togo : un
nouveau leader, Tikpi Atchadam, a émergé au sein
de l’opposition, relançant la contestation du pouvoir
de Faure Gnassingbé. Ce dernier, 51 ans, occupe le
fauteuil présidentiel depuis 2005, après avoir succédé
à son père, le général Gnassingbé Eyadema, qui avait
dirigé de manière autoritaire le pays pendant 38 ans.
Il a été réélu en 2015 pour un troisième mandat de
cinq ans à l’issue d’une élection dont la régularité a été
contestée par l’opposition.
C’est précisément depuis le 19 août que le
changement est perceptible chez les opposants au
président et à son parti, l’Union pour la République
(Unir). Ce jour-là, Tikpi Atchadam et sa formation
politique, le Parti national panafricain (PNP), ont
surpris en mobilisant des foules importantes lors de
manifestations organisées dans cinq villes du pays,
dont Kara (nord), située près de Pya, le village
de Gnassingbé Eyadema. Tikpi Atchadam, 50 ans,
était peu connu du grand public il y a encore quelques
mois. Ce juriste et anthropologue de formation milite
cependant depuis longtemps dans l’opposition. Il
a ainsi appartenu au Parti démocratique pour le
renouveau (PDR). À ce titre, il a été membre de la
Commission électorale nationale indépendante (Ceni)
au début des années 2000. Il a quitté le PDR lorsque
son président a rejoint le gouvernement. Aujourd’hui,
il exige le retour à la Constitution de 1992, qui limitait
le nombre de mandats présidentiels avant d’être
révisée en 2002, et le droit de vote pour la diaspora
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togolaise. « À défaut du retour à la Constitution de
1992, nous seronsbienobligésd’exiger le départ du
système [Unir] », a-t-il déclaré en juillet.
Le fait que Tikpi Atchadam soit originaire de la ville
de Sokodé, dans le centre du pays, bouleverse en partie
le discours du pouvoir, qui a depuis longtemps pris
l’habitude d’instrumentaliser les identités ethniques et
d’opposer le Nord au Sud – les populations et villes du
centre faisant partie de ce qu’on appelle le Nord-Togo.
Le régime, essentiellement issu du Nord, ne peut plus
dire que le Sud veut le changement contre le Nord,
souligne un observateur attentif de la vie politique
togolaise. « C’est d’ailleurs la première fois qu’on
voit des populations du Nord se rebeller comme ça »,
ajoute-t-il, à propos des manifestations du 19 août à
Kara et à Sokodé.
Le leader du PNP semble aussi avoir réveillé
l’opposition à l’extérieur du pays : des ressortissants
togolais ont manifesté dans plusieurs capitales
européennes ces derniers jours, comme le 2 septembre
à Paris. « Ce qui me semble très intéressant chez
Tikpi Atchadam, c’est qu’il ne cherche pas seulement
à mobiliser, mais donne aussi à ses militants
une formation politique, ce que les autres partis
d’opposition ne font plus, décrypte Comi Toulabor,
directeur de recherche à la Fondation nationale des
sciences politiques, à Bordeaux. Il s’agit d’éduquer
les militants sur des thématiques concrètes comme
“À quoi sert le budget de l’État”. De ce que j’ai
pu comprendre, c’est un travail qu’il a mené dans
différentes localités et qui finit par prendre. Autre
élément nouveau : l’efficacité de la mobilisation.
Contrairement aux autres partis, Tikpi Atchadam
utilise des thématiques très précises et claires, qui
font sens pour la population. Il apporte ainsi à la fois
une rupture idéologique et un changement au niveau
du mode d’action collective. Si bien que les autres
partis sont complètement à la traîne, et c’est lui qui les
invite à se joindre à lui, alors que cela aurait dû être
l’inverse. »
Au lendemain des manifestations du 19 août, qui
ont été violemment réprimées par les forces de
sécurité (au moins deux personnes ont été tuées et
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plusieurs dizaines d’autres arrêtées), Tikpi Atchadam
a en effet demandé aux autres partis de le rejoindre
pour « l’amplification du mouvement ». Dans un
message public, il s’est habilement adressé à Jean-
Pierre Fabre, 65 ans, candidat d’une coalition de cinq
partis d’opposition, le CAP 2015, à la présidentielle
de 2015 : « Grand frère, l’heure de l’unicité d’action
a sonné, le peuple togolais nous appelle, tu dois
répondre et je sais que tu vas répondre. » Jean-Pierre
Fabre n’a pu qu’accepter cette invitation. En tournée
à l’étranger, il est même rentré plus tôt que prévu à
Lomé.
Depuis, le CAP 2015, le PNP et le Groupe des six,
qui réunit six autres partis, se sont associés et ont
annoncé de nouvelles manifestations dans tout le pays
pour les 6 et 7 septembre. « Les Togolais ont compris
que le pouvoir en place n’œuvre pas pour leur bien-
être, mais n’est préoccupé que par le pillage des
ressources du pays », a déclaré à la presse Jean-Pierre
Fabre le 1er septembre, affirmant : « Le mot d’ordre
des populations togolaises est désormais “Faure doit
partir”. »
Dans le pays, beaucoup rêvent en effet d’alternance,
voyant la présidence de Faure Gnassingbé comme
le prolongement de celle de son père. « Seule
la dynastie dirigeante de la Corée du Nord a
exercé un pouvoir exécutif pendant plus longtemps »,
observe Dirk Kohnert, chercheur associé à l’Institute
of African Affairs du German Institute for Global
and Area Studies (GIGA), qui décrit un « régime
autocratique ». En 2006, un « accord politique
global » a pourtant été négocié par le pouvoir et
l’opposition. Il s’agissait à l’époque de faire retomber
la tension après la présidentielle d’avril 2005, marquée
par de nombreuses irrégularités et des violations
des droits de l’homme commises par l’armée – au
moins 500 personnes avaient été tuées et plusieurs
milliers d’autres blessées. Cet accord prévoyait
des réformes institutionnelles et constitutionnelles
jugées indispensables pour permettre une alternance
politique, dont un mode de scrutin à deux tours, la
limitation du nombre de mandats présidentiels, une
recomposition de la Cour constitutionnelle et de la
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commission électorale. Mais la plupart des décisions
prises n’ont jamais été appliquées. Le pays fait donc
du sur-place, suscitant, notamment, l’inquiétude des
évêques de l’Église catholique pour qui le Togo «
va mal » : « Ses fils et filles sont de plus en plus
désabusés ; ils ne savent plus quel chemin emprunter
pour sortir de l’ornière et parvenir à la paix ; leur
avenir semble bouché. Et des voix de plus en plus
nombreuses s’élèvent pour crier leur désarroi face
aux “dialogues sans lendemain” qui, les uns après
les autres, n’ont engendré que des frustrations », ont
écrit, en avril 2017, les prélats dans un message à leurs
concitoyens.
Si une majorité de Togolais souhaitent un changement,
c’est aussi parce que la situation économique et sociale
de leur pays, qui compte sept millions d’habitants,
n’est pas bonne. La croissance est pourtant stable
à 5 %, mais elle est mal répartie ou n’est pas
partagée. En 2015, le Togo a été classé 10e État
le plus pauvre du monde par le Fonds monétaire
international (FMI) et l’Indice de développement
humain le situe au 166e rang sur 188 pays. La pauvreté
touche officiellement 55 % de la population. Le taux
d’accès à l’électricité est de 23 %, avec d’importantes
différences entre les villes et les zones rurales, où
vivent plus de 60 % des Togolais. L’écart entre riches
et pauvres ne cesse par ailleurs de s’agrandir.
Face à la fronde, le pouvoir apparaît fébrile. Toutefois,
il ne manque pas de ressources. Le président dispose
de moyens financiers importants et a toujours le
soutien de l’administration et de l’armée, même si
celle-ci souffre de divisions internes, plus ou moins
entretenues. Il a autour de lui un « carré de fidèles »,
dont des officiers impliqués dans de graves violences
qui n’ont pas envie de se voir un jour poursuivis
par la justice. Après la mobilisation du 19 août, le
parti présidentiel a tenu à montrer qu’il était toujours
présent sur le terrain, en réunissant à son tour ses
partisans dans les rues de Lomé, le 29 août. Le premier
ministre et le président de l’Assemblée nationale ont
fait partie des participants à cette marche. L’Unir a
appelé à cette occasion les « Togolais épris de paix
à ne céder à aucune intimidation et provocation et
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à demeurer vigilants et mobilisés afin de faire échec
à toutes les manœuvres et velléité qui sont de nature
à porter atteinte aux institutions démocratiques ou à
remettre en cause l’État de droit ainsi l’unité et la
cohésion du peuple ».
En outre, le chef de l’État togolais semble pouvoir
toujours compter sur l’appui, indispensable, des
autorités françaises. « Jacques Chirac a tout fait
pour que Faure Gnassingbé arrive au pouvoir.
Nicolas Sarkozy et François Hollande ne l’ont par
la suite pas bousculé. La France a ainsi toujours
été bienveillante avec lui. Il y a d’ailleurs un fort
sentiment antifrançais à cause de ça », explique
Ferdinand Ayité, directeur de L’Alternative, un journal
proche de l’opposition. « Il y a tout un aréopage de
Français qui travaillent à maintenir le pouvoir en
place », ajoute-t-il. À Lomé, plusieurs personnalités
françaises gravitent en effet autour de la présidence.
Parmi eux, le juriste Charles Debbasch, qui aurait
été l’artisan des changements constitutionnels douteux
opérés au cours de ces dernières décennies, et qui
a la particularité d’avoir été condamné en 2005,
en France, à deux ans de prison, dont un ferme,
pour le détournement d’œuvres de Vasarely. Il y a
aussi le général Raymond Germanos, ancien chef du
cabinet militaire des ministres de la défense Charles
Millon et Alain Richard, devenu conseiller militaire
de Faure Gnassingbé. Comme Charles Debbasch, ce
haut gradé a eu affaire avec la justice française : il
a écopé en 2010 de dix mois de prison avec sursis
pour avoir téléchargé plusieurs milliers de photos et
vidéos pornographiques mettant en scène des enfants.
Depuis 2016, Lomé est également une destination
régulière pour Dominique Strauss-Kahn, qui donne
des conseils au président pour, semble-t-il, l’aider à
« normaliser » les relations du Togo avec le FMI.
L’ancien ministre Bernard Kouchner travaillerait,
quant à lui, sur un projet de privatisation du système de
santé du pays. Autre nom souvent cité, celui de Bruno
Finel, qui assure depuis plusieurs années une partie
de la communication de la présidence. Un proche
de Manuel Valls, l’avocat franco-togolais Pacôme
Yawovi Adjourouvi, estdevenu depuis peu « conseiller
spécial » de Faure Gnassingbé,tout en restantle
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premier adjoint au maire d’Évry. C’est lui qui avait
organisé, en octobre 2016, la venue à Lomé de Manuel
Valls, alors premier ministre.« Le Togo change, il
change dans le bon sens. La France croit au Togo et
la France veut une relation plus forte avec le Togo »,
avait déclaré Manuel Valls lors de cette visite.
Évidemment, des entreprises françaises sont
également bien en cour à Lomé, dont le groupe
Bolloré, qui a obtenu la concession du terminal
à conteneurs du port autonome de Lomé. Plus
officiellement, un accord de « coopération militaire »
relie la France et le Togo. Dans ce cadre, Paris
met à disposition de Lomé quatorze « coopérants
permanents » et forme l’armée togolaise. La France
conserve ainsi dans le pays une « influence
quasiment exclusive », selon un rapport de la
commission des affaires étrangères de l’Assemblée
nationale française. Les militaires « formés en France
ou dans les écoles soutenues par la France en
Afrique constituent aujourd’hui le socle de l’armée
togolaise », précise le même document. « La
Françafrique est bien implantée au Togo. La France
connaît le pays dans son intimité, jusque dans
son sous-sol puisqu’elle l’a étudié de près dans le
passé avec son Bureau de recherches géologiques et
minières. C’est elle aussi qui a formé ses hommes,
qu’ils soient militaires ou civils. Pour ceux qui veulent
monter un coup contre le pouvoir, ce n’est donc pas
évident, parce que la France est là, ses oreilles sont
là », explique Comi Toulabor.
L’Allemagne, autre « partenaire » historique du Togo,
a elle aussi de bons rapports avec la présidence
togolaise depuis 2005, remarque Ferdinand Ayité.
Peut-être parce que certaines de ses entreprises ont
obtenu des marchés intéressants ces dernières années.
Le Togo de Faure Gnassingbé a par ailleurs su
construire une relation étroite avec l’État d’Israël,
qui lui fournit, entre autres, du matériel militaire. Un
sommet Israël-Afrique doit être organisé en octobre
prochain à Lomé.
Dans ce contexte, la partie apparaît difficile pour
les opposants. « La nouvelle alliance du CAP 2105
et du PNP donne un nouvel élan aux exigences
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anciennes de l’opposition pour un changement de
leadership. Cependant, je crains que la nouvelle
coalition n’apporte aucun changement significatif.
Les manifestations seront réprimées par la police
et l’armée comme avant. Le régime de Gnassingbé
n’acceptera pas que son pouvoir soit défié. Ni les pairs
africains du Togo, ni la communauté internationale
des bailleurs de fonds n’interviendront en raison des
préoccupations prioritaires concernant la stabilité
régionale et compte tenu du rôle actif du Togo dans
la lutte contre le terrorisme dans le Sahel », estime
Dirk Kohnert.
Il y a un autre obstacle possible pour l’opposition :
celui de la division. Dans leur message d’avril, les
évêques ont eu des mots très durs : « Nous avons
besoin d’une opposition plus crédible et fortement
attachée aux valeurs de la démocratie ; une opposition
plus soucieuse de proposer des alternatives fiables
à nos populations que de se livrer des guerres
intestines qui l’affaiblissent. » Dans le passé, les
dirigeants de l’opposition ont en effet échoué à rester
unis. « Il y aura des guerres d’ego, prédit ainsi Comi
Toulabor. Cela va arriver en 2018 pour les élections
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Société des Amis de Mediapart.
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législatives, et surtout pour la présidentielle de 2020.
Derrière qui l’opposition va-t-elle se rassembler ?
Atchadam, Fabre ou quelqu’un d’autre ? Le problème
n’est pas résolu. Étant donné la mentalité politique du
pays, on risque de voir le leader émergent, Atchadam,
se faire marginaliser par les autres. Mais peut-être
aussi que, pour une fois, les différents acteurs de
l’opposition comprendront la situation, à savoir qu’il
leur faut rassembler le plus possible pour aller au
front contre le système. »
Il reste également à voir comment Faure Gnassingbé
va concilier sa fonction de président de la
Communauté économique des États d’Afrique de
l’Ouest (Cédéao), qu’il occupe depuis quelques
semaines et pour un an, et le fait que le Togo
soit aujourd’hui le seul État de la région à être
en contradiction avec le « protocole sur la bonne
gouvernance et la démocratie », qui limite le nombre
de mandats présidentiels à deux au sein de la
communauté. Ce texte a été signé en 2015 par tous les
dirigeants des pays de la Cédéao, à l’exception de celui
du Togo et de la Gambie – qui a depuis changé de
président.
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