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Espaces Temps

Les ressorts du passé


Reinhart Koselleck

Résumé
La constitution d'un État national constitue-t-il une finalité universelle et sa réalisation le critère pertinent pour évaluer les
histoires des pays européens ? À partir de l'analyse de l'ouvrage d'Helmuth Plessner et des débats sur le Sonderweg, Reinhart
Koselleck remet en cause cette vision téléologique de l'histoire et cherche dans le fédéralisme du Saint Empire Romain
Germanique une autre tradition pour penser le devenir de l'Europe.

Abstract
Is the building of a national state an universal finality and its materialization the valid criterion to evaluate the histories
ofeuropean countries ? From the analysis of Helmuth Plessner's work and of the debates around the Sonderweg, Reinhart
Koselleck calls into question this teleological sight of history and seeks into the federalism of the Holy Roman Germanic Empire
another tradition to think the future of Europe.

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Koselleck Reinhart. Les ressorts du passé. In: Espaces Temps, 74-75, 2000. Transmettre aujourd'hui. Retour vers le futur. pp.
144-159;

doi : https://doi.org/10.3406/espat.2000.4096

https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_2000_num_74_1_4096

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Reinhart Koselleck

Les ressorts du passé.

La constitution d'un État national constitue-t-il une finalité universelle et sa


réalisation le critère pertinent pour évaluer les histoires des pays européens ? À partir
de l'analyse de l'ouvrage d'Helmuth Plessner et des débats sur le Sonderweg,
Reinhart Koselleck remet en cause cette vision téléologique de l'histoire et cherche
dans le fédéralisme du Saint Empire Romain Germanique une autre tradition
pour penser le devenir de l'Europe.
Is the building ofa national state an universal finality and its materialization the
valid criterion to evaluate the histories ofeuropean countries? From the analysis of
Helmuth Plessner's work and of the debates around the Sonderweg, Reinhart
Koselleck calls into question this teleological sight of history and seeks into the
federalism of the Holy Roman Germanic Empire another tradition to think the future
of Europe.
Reinhart Koselleck est historien. Il est professeur émérite à l'université de Bielefeld,
Allemagne.
(Traduit de l'allemand par Marie-Claire Hoock-Demarle et Jochen Hoock,
université Paris-7-Denis-Diderot)
EspacesTemps 74-75/2000, p. 144-159.
"Du destin de l'esprit allemand" à la "nation Une première version en néerlandais
a été publiée en 1998 sous le titre :
attardée" : inscrire le nazisme dans la longue durée. "De late komst van de Duitse natie"
in Leven met Duitsland, Opstellen over
geschiedenis en Politiek, angeboden
van Maarten Brands, uitgeverij G.A.
En 1935 paraît en Suisse un livre important au titre certes précis van Oorschot, Amsterdam 1998,
p. 11-33. La présente traduction
mais, de l'avis ultérieur de l'auteur, un titre quelque peu reprend le texte allemand publié sous
dif icile qui avait suscité des attentes erronées de la part de ses le titre "Deutschland - eine verspâtete
lecteurs : Das Schicksal des deutschen Geistes im Ausgang seiner bûr- Nation" in «Reinhart Koselleck,
Europâische Umrisse deutscher
gerlichen Epochs. Il s'agissait des cours tenus par Helmuth Plessner à Geschichte, Zwei Essays, Heidelberg
Manuitius Verlag 1999-

:
Groningue lors de son exil aux Pays-Bas. Par delà la frontière
politique qui avait dans un premier temps empêché la diffusion du livre 1 "Le destin de l'esprit allemand au
en Allemagne, la sémantique du titre répond tout à fait à l'usage terme de son époque bourgeoise ; titre
original" • Helmuth Plessner, Dos
linguistique qu'en faisaient aussi les nazis. Parler du destin ou de l'esprit Schicksal des deutschen Geistes im

:
allemand était alors à la mode et l'adieu à l'époque bourgeoise faisait Ausgang seiner bûrgerlichen Epoche,
partie de ces lieux communs maintes fois évoqués chez les gens Zurich und Leipzig : Niehans, 1935,
190 p.
cultivés qui tout en prenant leurs distances avec le marxisme pensaient
être d'accord avec lui sur ce point.
Ce qui distingue Plessner, c'est qu'il a envisagé l'histoire des idées
allemandes dans sa totalité et qu'il a vraiment essayé de la Parler du destin ou
comprendre dans le but de la soumettre à la critique de la façon la plus de l'esprit allemand était
argumentée. Il ne craignait d'ailleurs pas de parler de "nous", ce à alors à la mode.
quoi son statut d'émigré ne devait guère l'inciter a priori. Philosophe,
anthropologue et phénoménologue, il se sait impliqué dans
l'événement qu'il analyse, mais jamais il ne prend la pose du moralisateur
quand il interroge quelques quatre siècles de l'histoire passée afin d'y
déceler les raisons à long terme qui ont pu mener les Allemands à
l'aveuglement dont il est le témoin. Pas d'évocation de noms mais des
descriptions de structures : celles de la société et des courants
intellectuels tout comme le jeu de leurs influences réciproques. C'est ainsi
qu'est né un ouvrage qui mérite d'être cité au même titre que deux
autres, contemporains et nés de la même situation, rédigés eux aussi
par deux philosophes également disqualifiés comme juifs par les
nazis : il s'agit de La crise des sciences européennes et de la
phénoménologie transcendantale, qui paraît en 1936 à Belgrade, d'Edmund
Husserl2, qui fut l'un des maîtres de Plessner, et De Hegel à Nietzsche, 2 Voir "Krise der Wissenschaften -
cours tenu en 1939 par Karl Lôwith3 au Japon, dédié à Husserl et Wissenschaft der Krisis ?" in
•Edmund Husserl Gedenken an
:

publié deux ans plus tard en Suisse. Pour les lecteurs allemands, ces Husserls Krisis-Abhandlung (1935-
ouvrages restaient quasiment inaccessibles. 19S>6) / Wiener Tagungen zur
Phânomenologie, éd. par Helmuth
Ces trois auteurs sont maîtres en matière d'histoire des idées Vetter, Frankfurt am Main et al. Lang,
philosophiques. Husserl l'est en adoptant une perspective universelle et 1998 [note des traducteurs].
téléologique dont le point de référence est sa propre philosophie ; 3 «Karl Lôwith, Von Hegel zu
Lôwith se limite aux grandes figures intellectuelles allemandes du Nietzsche. Der revolutionàre Bruch im
siècle passé, les interrogeant systématiquement et les confrontant à Denken des neunzehnten
Jahrhunderts, Stuttgart : Kohlhammer,
l'impossible résurrection de leur passé antique ou chrétien. Quant à 1950 (dernière édition 1995) [note des
Plessner, il est le premier à impliquer l'ensemble de l'histoire traducteurs].
européenne pour jauger l'histoire allemande mais aussi pour indiquer là
où l'histoire allemande peut être représentative de l'histoire
européenne. Lui aussi constate en 1933 une tendance irréversible
marquée par la décadence de la philosophie classique qui avait libéré
toutes les prétentions pseudo-philosophiques des doctrines racistes
vaguement biologiques. La méthode de travail de Plessner est le

Les ressorts du passé. 145


plus souvent historico-sociologique, il compare et conjugue des H. Plessner est le premier
facteurs apparemment autonomes qui dès lors se réfèrent à des grandes à impliquer l'ensemble
constellations politiques évoluant de manière dramatique. C'est ainsi de l'histoire européenne pour
qu'il voit se former à partir de la Réforme une dialectique fatale entre jauger l'histoire allemande.
l'intériorité allemande et une adhésion dogmatique à l'église d'État.
Aux Allemands il aurait manqué cet âge d'or qui a tant bénéficié aux
Anglais, aux Hollandais et aux Français au cours des xvie et xvne
siècles, et jusqu'à ces formes de bonne conduite inconnues aux
bourgeois allemands - si grandioses qu'aient pu être leur musique
ou leurs systèmes philosophiques. La relation à l'État et aux idéaux
étatiques n'aurait jamais vraiment abouti, de sorte qu'un
engouement atavique pour l'Empire pré-étatique ou une idéologie
favorable au peuple en dehors de toute structure étatique ont pu croître
et se répandre sans contrôle. Une des conditions de cette
constellation tient - à ses yeux - à la différence durable entre le territoire
linguistique et culturel de tous les Allemands installés en Europe et un
étatisme territorial resté pré-moderne et qui n'a jamais su réunir tous Les nations occidentales sont
les Allemands. Les nations occidentales sont de ce fait restées des restées pour l'Allemagne
modèles traumatisants. Les rattraper a été, et c'est là une des modèles traumatisants.
conséquence de la guerre de Trente Ans, tout à fait impossible. Toutes les
tentatives ultérieures faites pour rattraper ce retard n'ont jamais
réus i à développer cette culture politique qui se réfère à l'État-Nation et
non à une notion de peuple largement apolitique. Plessner n'a de
cesse de faire directement allusion au rôle des voisins, celui des
Français par exemple qui, en 1919 à Versailles, ont empêché que les
Allemands et les Autrichiens ne se réunissent pour exercer cette
souveraineté populaire - tant souhaitable dans une perspective
occidentale - au sein d'un État commun. Mais il accorde une
importance plus grande à certains phénomènes plus durables ou plus
profonds qui, selon lui, auraient gêné les Allemands dans leur
autodétermination. À ce manque d'autonomie politique correspondent
des défauts spirituels. Les scientifiques ont réifié le peuple en le
ramenant à une race prétendument biologique, les philosophes ont
accepté leur rôle secondaire face aux sciences en pratiquant une
théorie de la connaissance purement formelle ou en faisant de
"décisions" vides des modes existentiels de l'accomplissement de la vie
humaine.
Sur bien des points, les lecteurs d'hier ou d'aujourd'hui peuvent
être en désaccord avec telle ou telle analyse de Plessner mais
seulement parce qu'ils se sentent incités à la critique par le nombre des
arguments prudemment avancés et pourtant extrêmement riches et
clairs de l'auteur. L'importance de l'argumentation de Plessner
n'échappe à personne : toutes les oppositions binaires par exemple
entre économie et politique, État et société, protestantisme et
catholicisme, esprit et vie matérielle, ne sont d'aucune portée décisive mais
doivent être analysées pour dégager la structure idéologique
immanente qui leur est propre. En conséquence Plessner n'accepte pas, à Plessner voit dans
l'instar de Thomas Mann, la thèse des deux Allemagne - du genre ce que l'histoire allemande
Weimar-la-bonne-Allemagne versus Potsdam-la-mauvaise. Bien au a de spécifiquement bon
contraire, il voit dans ce que l'histoire allemande a de spécifiquement les germes du mal futur.
bon les germes du mal futur.

146 Transmettre aujourd'hui. Retours vers te futur.


Ceci peut certes rappeler Goethe et Hegel, ce qui n'est pas une
raison pour être nécessairement faux. La prouesse de Plessner tient au
fait qu'il ne se laisse jamais pousser vers des voies d'une critique
idéologique totalement gratuite. Il n'est jamais en quête d'excuses mais
cherche bien plutôt à comprendre et expliquer dans le but même de
déterminer les responsabilités. Et ce, d'autant plus que la situation
qu'il s'agissait alors de diagnostiquer s'était, après la Seconde Guerre
mondiale et après l'extermination des juifs, modifiée d'une façon
tellement imprévisible - alors même que, en ce qui concerne l'histoire
allemande, les structures de longue durée et les constellations de
durée moyenne n'en étaient pas pour autant devenues autres. Pour
cette raison et afin que s'en trouvent stimulées et renforcées la
réflexion et la connaissance, Plessner a voulu une seconde édition de
son ouvrage en 1959. En dehors de quelques ajouts minimes, le texte
est resté exactement le même, ce dont il aurait dû - ce qui n'était pas
son genre - être fier. Il en a seulement changé le titre qui devint : Die
verspàtete Nation, ùber die politische Verfuhrbarkeit bùrgerlichen
Geistetf. Avec ce nouveau titre, qui traite d'une "nation attardée" au 4 «Helmutn Plessner, Die verspâtete
lieu du soit disant destin d'un soit disant esprit allemand, Nation : ùber die Verfuhrbarkeit
bùrgerlichen Geistes, ("La nation attardée
l'argumentation de Plessner se décale très légèrement, mais la nuance est ou de la propension à la perversion
décisive. politique de l'esprit bourgeois"), 2e
C'est ce que nous allons examiner maintenant. édition, Stuttgart Kohlhammer, 1959,
174 p.

:
La notion de "retard" : une notion téléologique.

Tandis que le texte paru pour la première fois en 1935 puis en 1959,
c'est-à-dire vingt-quatre ans plus tard, est resté inchangé, le titre et lui
seul a été modifié. De ce fait, les analyses subtiles de l'histoire
allemande, toujours menées dans une démarche comparative avec les nations
voisines, se rangent soudain dans une perspective téléologique. Seul
prend du retard celui qui ne respecte pas son horaire. Mais qui décide
de l'horaire qui doit être respecté même par une "nation" ? Est-ce que Existe-t-il un indicateur
ce sont les nations voisines ou est-ce la nation elle-même qui se plie aux d'horaires valable pour
normes de ses voisines ? Est-ce la nation elle même qui s'impose ses l'histoire universelle auquel
propres buts ? Existe-t-il un indicateur d'horaires valable pour l'histoire devraient se conformer
universelle auquel devraient se conformer toutes les nations - si jamais toutes les nations ?
elles sont considérées comme les acteurs principaux ?
Du point de vue moral et normatif, la formule "nation attardée" est
à la fois suggestive et efficace. Mais sur le plan de la théorie de
l'histoire, elle est extrêmement faible. Elle proclame une téléologie
exclusive ex post qui ne laisse place qu'à une seule alternative :
accomplissement ou échec. Et cette alternative contraignante a, de surcroît,
l'avantage argumentatif que celui qui la soutient, a toujours raison. Ou
bien on respecte l'horaire imposé par la norme ou bien on arrive en
retard. Tertium non datur. De par son nouveau titre, le texte si
mesuré de Plessner a acquis une vigueur qui n'était pas dans le texte lui-
même. Mais c'est bien ainsi que ce texte a depuis été perçu : comme
jugement normatif. C'est la faute aux Allemands s'ils n'ont pas su, à
l'instar de leurs voisins français, hollandais, anglais, former un État-

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nation (Staatsnatiori) cultivé, fondé sur l'humanisme. Face à un tel
jugement moral, il est nécessaire de rappeler quelques considérations
d'ordre méthodologique.
D'abord il faut mettre un bémol à cette contraignante alternative
normative. Pour ce qui est de la constitution d'un État-nation les
Allemands ne sont pas en retard. Ils y sont certes arrivés plus tard que
les Français, les Anglais ou les Hollandais, environ au même moment
que les Italiens, mais avant les Polonais, les Tchèques ou autres
peuples de l'Europe orientale ou centrale, qui ne parviennent
qu'aujourd'hui et au prix de grands sacrifices à se créer leurs propres États
homogénéisés.
Autrement dit, si l'on place la catégorie normative du retard dans À quel moment la Nation
une perspective comparative - dans celle d'un "plus tôt que", "en allemande aurait-elle pu
même temps que" ou "plus tard que" -, l'histoire allemande retrouve au plus tôt se former comme
son contexte européen. Et l'on peut dès lors poser la question État-nation, afin de
inverse : à quel moment la nation allemande aurait-elle pu au plus tôt se se montrer conforme
former comme État-nation, afin de se montrer conforme à la soi-disan- à la soi-disante norme
te norme des modèles occidentaux ? Rappelons que le concept d'un des modèles occidentaux ?
"peuple allemand un", mis à part quelques précurseurs humanistes
lettrés autour de 1500, ne s'est forgé que très lentement. Au cours du
xviiie siècle et encore au XIXe siècle il n'était qu'une notion d'attente et
d'espoir à laquelle ne correspondait pas la moindre réalité politique
jusqu'à ce que se fonde l'Empire correspondant à la "Petite Empiriquement il n'y eut
Allemagne" qui excluait environ un tiers des Allemands de cette jamais "le peuple allemand''.
nouvelle configuration étatique. Empiriquement, il n'y eut jamais "le
peuple allemand" mais il s'est toujours agi d'une multitude de peuples
parlant certes des langues semblables, ayant des habitudes culturelles
communes mais se répartissant politiquement sur de nombreux États
territoriaux. En 1800 on usait de la formule parfaitement correcte
d' "ethnies allemandes" (deutschen Vôlkerschafteri). C'était une
notion qui englobait tout autant la pluralité des peuples particuliers -
Prussiens, Saxons, Bavarois, Autrichiens... - que le minimum de ce
qui leur était commun dans les domaines productifs de la culture et
d'une langue cultivée commune. Cette pluralité nous ramène bien
loin au cœur du Moyen Âge. Ce n'est que vers 1200 que l'expression
"Allemand" prit assez de poids pour devenir une auto-désignation.
Auparavant l'adjectif "allemand" ne désignait que ceux qui ne
maîtrisaient pas le latin, les demi-barbares et plus encore les païens qui ne
faisaient pas partie du clergé. Mais ces non lettrés pouvaient se
trouver jusque dans les plus hauts rangs princiers.
Vers 1200, le terme "les Allemands" fut employé, pour se désigner
eux-mêmes, par les seuls princes ayant le droit d'élire l'Empereur et
de faire le pèlerinage à Rome. Ce fut ce groupe restreint de la haute
noblesse qui domina, toujours très partiellement et alternativement le
Saint Empire Romain Germanique, avec sous leurs ordres une
multitude de peuples, suivant les pays et les dominations auxquels ces
peuples étaient soumis.
C'était donc en réalité une élite de pouvoir qui acquit seulement au
XVe siècle le nom de nation allemande et à laquelle Luther encore
s'était adressé en tant que "nation de nobles" afin de l'obliger à une

148 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


éducation chrétienne. On parlait alors de pays allemands, parfois
d'Allemagne, mais jamais d'un "peuple allemand". Cela ne changea
guère aussi longtemps qu'a existé le Saint Empire. Cette situation a
continué jusqu'à l'époque de la Confédération germanique de 1815 et
perdure, en termes de droit international, dans le second Reich
allemand, qui fut créé comme une fédération de princes. En 1914 Ce n'est que par arrêté
encore, Guillaume II, tout en affirmant ne plus connaître de partis mais des administratif du ministère
Allemands, s'adressait au moment du déclenchement de la guerre aux de l'Intérieur hitlérien
peuples et ethnies de l'Empire allemand. Ses co-monarques ne lui que les citoyens allemands
auraient guère pardonné de leur enlever leurs peuples par un simple devaient d'abord être
jeu de définitions. Ce n'est que par arrêté administratif du ministère de identifiés dans
l'Intérieur hitlérien que les citoyens allemands devaient d'abord être leurs passeports comme
identifiés dans leurs passeports comme "Allemands" et seulement en "Allemands".
deuxième lieu comme Prussiens, Saxons, Bavarois, etc.
Force est de constater cette chose étonnante qui a perduré du haut
Moyen Âge jusqu'en plein XXe siècle. Elle est la preuve vivante de
structures de l'histoire allemande qui, tout en changeant très
lentement, ne cessaient de se répéter : telle est et a été l'histoire de
nombreux peuples, qu'il convient de distinguer en termes de droit
constitutionnel et international, au niveau des rapports féodaux, urbains et
territoriaux, voire au niveau du droit romain, même s'ils présentent
socialement et mentalement en tant que groupes ethniques,
beaucoup de traits communs. Surtout ils restaient sous la domination d'une
nation de nobles qui possédait le connubium parmi la haute
nobles e européenne. C'est en cela que la noblesse allemande ressemblait à
la noblesse polonaise, hongroise ou italienne, qui dominaient
également divers peuples, tandis que la noblesse française était, grâce à
Richelieu et Mazarin, dès le xviie siècle, contrainte d'abandonner des
positions de pouvoir analogues. Seule la haute noblesse britannique,
ouverte sur la bourgeoisie montante, réussit à garder jusqu'au XIXe
siècle ses privilèges assurés par le régime parlementaire - ce qui la
rendait structurellement comparable aux États régnants allemands
réunis à la diète de Ratisbonne. Le Saint Empire Romain
La multiplicité des peuples allemands restait de ce fait liée à celle Germanique a été jusqu'à
des familles nobles régnantes, dont le statut était assuré en termes de son élimination brutale
droit international. Le Saint Empire Romain Germanique a été, en une puissance européenne.
effet, jusqu'à son élimination brutale, une puissance européenne.
C'est un fait dont témoignent les frontières plus ou moins ouvertes
qui empêchaient qu'il y ait une séparation nette entre intérieur et
extérieur : il suffit de penser à l'union entre le Hanovre et l'Angleterre
(jusqu'en 1837), à celle entre le Danemark et le Schlesvig-Holstein
(jusqu'en 1866), à celle entre les Pays-Bas, le Limbourg et le
Luxembourg (jusqu'en 1867) ou encore à l'union entre le
Brandebourg et la Prusse ou celle, concurrente, entre la Saxe et la
Pologne ou encore à celle unissant pendant des siècles l'Autriche et
la Hongrie, sans parler des territoires italiens dominés par les
Habsbourg, une domination à laquelle il ne fut mis fin qu'en 1866.
Tous ces princes et États des pays que l'on vient d'évoquer furent à
la fois partie prenante de l'Empire tout en étant au dehors des
souverains indépendants.

Les ressorts du passé. 149


À ces structures frontalières plus ou moins élastiques, qui
persistèrent longtemps encore jusqu'en pleine époque des États souverains,
correspondait la désignation sémantique d'une "Allemagne" qui se
cache derrière : les noms sont à peu près aussi nombreux que les
voisins, qui percevaient et désignaient les Allemands comme
Alémaniques, Saxons, Germains, Teutons, ou tout simplement
comme Allemands ou encore, et ce depuis longtemps, comme ceux L'osmose frontalière avait
dont on ne comprenait pas la langue. L'osmose frontalière avait gagné gagné la sémantique.
la sémantique. Elle offrait un prisme politique qui permettait de
mettre les Allemands géographiquement en perspective. Dans ces
conditions il restait difficile de former de l'intérieur ou de l'extérieur,
légitimée par un acte de souveraineté populaire, une seule et unique
nation. Plessner a insisté dans toutes ses analyses plus
particulièrement sur ce fait - jusqu'à l'unification populaire empêchée de force -
dont la chance s'offrit pour la première fois après la défaite de 1919,
quand les partisans autrichiens d'une grande Allemagne semblaient
prêts à s'allier au reste des Allemands.
Et là se pose la question : quand aurait dû se former la nation
allemande - et ce, suffisamment à temps pour ne pas entrer trop
tardivement dans la réalité. Est-ce au temps de Luther, quand se dessinait la
division confessionnelle ? Est-ce grâce à la Guerre des paysans qui
certes libérait des potentialités démocratiques mais qui fut réduite de
manière sanglante et selon leurs règles par les bourgeois souabes, par Quand aurait dû se former
les chevaliers et surtout par les princes d'Empire — et ceci à un la nation allemande - et
moment où tout poussait à un renforcement du pouvoir princier ? ce suffisamment à temps,
Ou la nation allemande aurait-elle dû se former lors des luttes pour ne pas entrer trop
défensives contre les Turcs à l'Est, les Français à l'Ouest, les Espagnols tardivement dans la réalité ?
au Sud et les Suédois au Nord ? En 1648, on avait en réalité réussi à
grand peine à garantir dans le cadre de l'Empire et en termes
internationaux les ensembles territoriaux afin de pouvoir mettre fin à trente
ans de guerre civile et de guerre tout court.
Aurait-on pu réussir la formation d'un État national lors de la
guerre de Sept-Ans, qui scellait le dualisme austro-prussien pour plus d'un
siècle ? Comment une nation allemande aurait-elle pu se dresser et se
légitimer dans la lutte contre les invasions françaises qui depuis la
Révolution inondaient l'Europe par vagues successives et la
restructuraient politiquement de fond en comble ? Il ne fut finalement possible
de chasser Napoléon que grâce à l'alliance avec l'Angleterre et la
Russie, deux alliées qui à aucun moment n'étaient favorables à un
grand Empire-nation, tout aussi peu que ne l'étaient l'Autriche ou la
Prusse - nonobstant les grandes déclarations intellectuelles et les
aspirations nationalistes dont elles faisaient preuve.
Aurait-on pu assister à la formation d'une nation allemande en
1848 ? Ceci aurait signifié que tous les conflits latents avec le
Danemark et la Pologne sous domination russe, à l'intérieur de la
Bohème et de la Hongrie comme en Italie et à l'Ouest auraient trouvé
leur solution - en tout état de cause aux frais de la grande puissance
européenne que représentait l'Autriche-Hongrie, qui, pour partie,
était intégrée à la confédération germanique et, de l'autre, constituait
une monarchie dépassant justement les cadres nationaux.

150 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


Enfin, aurait-il fallu que la Prusse s'attaque en 1859 à cette même
Autriche, au moment où ses possessions italiennes l'amenaient à faire
la guerre à la France et à la Savoie, à la seule fin de détruire cette
Autriche réunissant plusieurs peuples et de créer une grande
Allemagne qu'aucune des grandes puissances européennes n'était
prête à tolérer ? En fait, notre questionnement s'arrête avec les guerres
d'unification de l'époque bismarckienne, qui, parallèlement aux
guerres d'unification de Cavour en Italie, offraient une solution
minimale " kleindeutsch" et de ce fait imparfaite mais moins coûteuse en
"sang et en fer" que les guerres nationales de l'époque
révolutionnaires, la guerre de sécession à la même époque aux États-Unis ou la
guerre de Crimée, sans parler de la Première Guerre mondiale -
chacune de ces guerres ayant coûté cent fois plus de victimes.
Quel était donc le bon moment pour la formation d'une nation
allemande, si la deuxième moitié du XIXe siècle était elle-même "trop
tardive" ? Notre rétrospective suggère que la question telle qu'elle a été
formulée est mal posée. Elle cherche, en se tournant vers le passé grâce à
une téléologie ex post, à poser des normes de formation de la nation qui
présupposent une histoire en termes d'optatif. La facticité du passé
interdit de parler d'une "nation attardée". Il est, par contre possible, de parler La facticité du passé interdit
d'une formation incomplète, ou - comme l'a proposé Theodor Schieder de parler d'une "nation
- imparfaite de la nation. Dès lors, on peut inclure dans l'analyse l'avenir attardée".
encore ouvert d'un passé où une "parlementarisation" plus poussée, une
plus grande participation de toutes les classes à la vie politique,
l'intégration des Autrichiens de langue allemande dans un État commun
auraient pu favoriser et finalement rendre acceptable une
démocratisation, en termes nationaux, du peuple allemand. Tous ces espoirs — et
utopies - ont, nous le savons aujourd'hui, finalement échoué après 1918 et,
plus encore, à cause et au cours de la guerre suivante.
À proprement parler il n'existe de "nation allemande", telle que
l'envisageait Plessner, que depuis 1990 : après la réunification d'une
Allemagne divisée naguère par les puissances victorieuses ; après la Il n'existe de "nation
formation d'une nation autrichienne autonome depuis 1955 ; après le allemande", telle que
déplacement vers T'Allemagne" de tous les Allemands vivant hors la l'envisageait Plessner,
République fédérale d'Allemagne dans ses frontières actuelles - un que depuis 1 990.
processus qui fut engagé en 1919, continué par la force et de façon
terroriste par les SS pour se retourner amèrement en 1945 et qui ne
trouve que maintenant une fin relative avec le retour des Allemands
de Roumanie et de la Volga dans une Allemagne qu'ils avaient quittée
voici 800 ou 250 ans. Au vu de ces dimensions temporelles, la notion
de "retard" devient à proprement parler irréelle.

Une tradition fédérale masquée par le modèle


de l'État-nation.
Le concept même
de "nation" peut engendrer
Il n'y a guère de doute, le cheminement qui a amené les Allemands des difficultés
au statut de nation qu'ils occupent maintenant a été un chemin de compréhension
marqué par de faux succès, de vraies catastrophes et des crimes des spécificités de l'histoire
séculaires, commis par eux-mêmes, pour finir dans une modestie qui per- de l'Allemagne.

Les ressorts du passé. 151


met de comprendre pourquoi on parle aujourd'hui d'une nation
allemande sans trop d'émotion.
Cela nous amène à une autre question : dans quelle mesure la
notion de nation est elle encore appropriée pour répondre aux
structures et événements d'une histoire dite "allemande" ? Que la notion de
"retard" ait été théoriquement trop faible et en termes empiriques
plutôt inappropriée pour expliquer l'histoire "allemande" a été
l'argument principal jusqu'ici. Désormais il nous faut aller encore plus loin
dans notre scepticisme. Le concept même de "nation" peut, du moins
hypothétiquement, engendrer des difficultés de compréhension dont
l'élimination serait le préalable pour jeter un regard plus libre sur les
spécificités de l'histoire allemande.
Le concept de "nation" s'est employé en allemand, sans toucher à
la force du terme français, plutôt pour désigner les spécificités
culturelles, géographiques ou ethniques, qui caractérisaient par exemple
les Sorabes5, les Danois ou les Polonais, ou encore les Saxons et les 5 Les Sorabes sont des Slaves habitant
Bavarois dans l'Empire même. Le concept de "peuple" répondait par une région fluviale près de Berlin, le
Spreewald, et en Haute-Silèsie qui
contre à une acception plus large qui réunissait des connotations possèdent un statut spécifique en tant
politiques et théologiques (la dimension sociale étant mise à part). D'un que minorité ethnique, [note des
traducteurs].
côté il se référait à la notion romaine du populus visant ainsi dans la
tradition du droit naturel le corps politique (qui pouvait regrouper
plusieurs ethnies différentes), de l'autre le "peuple" impliquait les
messages biblique et théologique d'un peuple élu qui se rapprochait
par certains côtés du concept de peuple tel qu'il avait cours parmi les
Français, les Britanniques, les Polonais ou les Italiens au XIXe siècle,
qui revendiquaient pour eux en tant que nation une mission de
progrès toute particulière dans le processus historique.
Le sens des mots "nation" ou "peuple" pouvaient se contredire
dans l'usage allemand ou occidental ; en termes structurels ils
exprimaient alternativement les mêmes revendications et les mêmes faits.
Le peuple allemand n'était pas le seul à revendiquer au xixe siècle ses
particularités et son unité linguistique et culturelle. La nation
française ne revendiquait pas moins sa langue comme un facteur de
civilisation face auquel les dialectes minoritaires devaient battre en retraite.
L'opposition entre une "nation de langue" ou une "nation de culture" [.'"État-nation" n'a de réalité
et l'"État-nation" n'a de réalité que politique et n'a pas de substance. que politique et n'a pas
Les revendications nationalistes se ressemblaient d'un côté et de de substance.
l'autre des frontières. Ce qui semblait s'exclure mutuellement, était
structurellement la même chose, ou au moins assez semblable si l'on
veut être plus prudent en termes d'historien.
C'est pourquoi il faut reformuler la question : le concept de
"nation" est-il théoriquement approprié pour saisir l'histoire
al emande en termes analytiques ? Ni la notion de nation ni celle de peuple -
cette dernière étant spécifique d'une certaine idéologie allemande -
ne sont des catégories appropriées pour mettre en évidence les
aspects particuliers de l'histoire allemande. Ne l'oublions pas, le
peuple allemand n'existe que depuis le xvnie siècle, comme concept
d'attente d'un accomplissement à venir. Du point de vue de l'histoire
sociale comme de celle des mentalités, ce peuple allemand perçu
comme un concept englobant la somme des peuples répartis en des

152 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


États territoriaux, n'existe que depuis que la France a réussi à former
une "nation". Et de fait, sur le plan politique comme sur celui du droit
international, ce n'est qu'en tant que souverain de la constitution de
Weimar que ce "peuple" devient réalité. La constitution de 1867,
comme celle de 1871, n'était qu'une association fédérant les princes
allemands, qui - pour la protection du peuple allemand - donnaient
à leur association politique le nom d'Empire allemand.
J'en arrive à ma thèse finale. Si la nation allemande n'apparaît
timidement, mais non sans arrogance, qu'en 1871, c'est qu'elle avait Les structures à long terme
jusqu'alors été empêchée de le devenir, les structures à long terme de de l'histoire allemande n'ont
l'histoire allemande n'ayant jamais été nationales mais toujours - déjà jamais été nationales mais
fédérales. Ce sont ces structures fédérales de l'histoire allemande qui toujours déjà fédérales.
nous distinguent de nos voisins, qui ont trouvé bien plus tôt que nous
la voie de la création de la nation. Et ce sont ces mêmes structures qui
ont empêché pendant des siècles que se forme quelque chose comme L'histoire allemande se fait
une nation-état allemande au sens moderne et démocratique du terme. au gré de formations
Depuis le Haut Moyen-âge, les puissants, princes-électeurs, fédérales toujours
princes, chevaliers, bourgeois des villes et même paysans sont renouvelées.
organisés sur le mode fédéral. Qu'il s'agisse d'une action en commun de
ces États (Stânde6') ou d'une simple union entre certains d'entre eux, 6 La notion de "Stânde" a une double
l'histoire allemande se fait au gré de formations fédérales toujours signification : dans son sens premier
elle recouvre celle des "États"
renouvelées, qui, en se mettant en travers de la hiérarchie féodale de (nationaux ou provinciaux) courant en
l'Empire, n'ont cessé de s'organiser de manière paritaire afin d'être français ; le deuxième sens correspond à
la notion d'"ordre" telle que la
capables d'agir. Ce principe d'organisation recelait même une définis ait Charles Loyseau. L'ambiguïté tient
composante républicaine qui s'est imposée dans la constitution des au développement spécifique du
cercles d'Empire de l'époque moderne. "Stàndestaat" (État d'ordres) qu'ont
connu les territoires de l'Empire dès le
Quand on veut aujourd'hui expliquer les spécificités allemandes de xvie siècle qui confond ordre politique
l'histoire allemande par rapport aux pays voisins, on ne peut plus en et ordre social cette spécificité
germanique est l'une des raisons de la
:
sous estimer les structures fédérales On n'est jamais parvenu à une "séparation entre État et société" qui
monarchie englobant l'ensemble de ces forces politiques en une seule caractérise la philosophie et la
sociologie politique allemande au XIXe siècle
structure étatique, parce que tous ces états ou Stânde ont joui eux- (Hegel/Marx) [note des traducteurs].
mêmes ou entre eux d'une liberté de s'associer, qui, à l'opposé de la
hiérarchie féodale, est restée très vivante. Certains éléments se sont
successivement détachés : en premier les paysans, lors de la Guerre dite
des Paysans, qui leur ôta leur liberté de s'unir, ensuite, également au
xvie siècle, les chevaliers, puis ce fut le tour de la bourgeoisie des villes,
surtout celle de la Hanse, qui n'était plus capable de se reconnaître par
les traités de Westphalie une quelconque qualité en droit international.
Les vainqueurs furent les voisins et les princes, qui continuaient à
conserver au sein du Reich leur liberté d'union, l'exemple le plus
probant étant en 1785 l'Alliance des Princes, qui empêcha définitivement la
constitution monarchique de l'Empire voulue par les Habsbourg.
Cette liberté de s'unir propre aux Stânde, qui est toujours restée au
regard du droit de l'Empire semi illégale mais qui politiquement n'en
était que plus décidément maintenue, a eu en tant qu'élément
récurent de la politique allemande des conséquences à long terme : L'Empire était, dans
(1) L'Empire était, dans les conditions de communications les conditions
d'alors, beaucoup trop vaste pour être institutionnalisé en État. de communications d'alors,
C'est la raison pour laquelle aucun peuple allemand beaucoup trop vaste pour
politiquement organisé n'a jamais pu voir le jour. La réalité des liens être institutionnalisé en État.

Les ressorts du passé. 153


entre "états" ne permettait que des structures territoriales, où
les princes pouvaient tout au plus contracter des alliances
régionales ou supra-régionales.
(2) Ces alliances ou ces unions pouvaient à terme, bien qu'elles
aient été conclues pour des raisons pragmatiques, acquérir le Ces alliances remplissaient
statut de grande puissance. Ce faisant, elles en venaient à des fonctions qui, à l'Ouest
remplir des fonctions qui, à l'Ouest, en France par exemple, contribuaient à la formation
contribuaient à la formation de l'État. L'Alliance souabe fut ainsi la de l'État.
seule organisation militaire et politique, qui, plus puissante que
les princes, fut capable d'éteindre de la manière la plus brutale
l'incendie allumé par les révoltes paysannes dans l'Allemagne
du Sud et l'Allemagne moyenne. En 1525 elle était une grande
puissance européenne.
(3) Mais cette liberté de s'unir entre les états (Stândè) pouvait
aussi mener directement à la constitution d'un État : comme ce
fut le cas pour les cantons suisses ou les Pays-Bas, qui tous deux
sis à la périphérie de l'Empire, s'émancipèrent d'une manière
semi-légale de l'Empire. Jouait en leur faveur le fait que leurs
seigneurs territoriaux faisaient partie de la dynastie des
Habsbourg et que se détacher de la Maison impériale facilitait le
détachement de l'Empire. Leur modèle fondateur n'en était pas
moins fédéral, dans la tradition même de l'histoire de l'Empire.
(4) La liberté d'union existant depuis le Haut Moyen Âge a eu
encore bien d'autres conséquences que l'on peut considérer
comme de portée universelle. Elle permettait en effet que les
ligues formées pour protéger la Réforme, voire la Contre-
Réforme, trouvent à se regrouper sur des modes traditionnels
et pré-confessionnels. Si sanglantes que furent les luttes entre
Unions et Ligues, une parité sur le plan confessionnel ne fut
possible que parce que les corps constitutifs de l'Empire
pouvaient se regrouper régionalement de manière très
traditionnelle - ne serait-ce désormais que pour prendre la défense de
leur confession. La tolérance enfin reconnue en 1648 - à
défaut d'alternatives - était elle aussi avant tout le résultat de
la liberté de s'allier structurellement acquise bien avant la
Réforme.
C'est ce qui distingue fondamentalement l'histoire allemande sur la
longue durée comme structurellement de celle des États voisins. En
France, les chances fédérales des "états" ou de ce qui leur
correspondait, et plus particulièrement de la noblesse calviniste, ont été
successivement minées et finalement anéanties au profit d'une église d'État
intolérante, véritable préalable à une philosophie des Lumières
radicale et à la Révolution française.
En Grande-Bretagne, la guerre civile a anéanti toutes les
possibilités fédérales et à proprement parler paritaires entre l'Angleterre, En Grande Bretagne
l'Ecosse, l'Irlande et le Pays de Galles. Ce qui a triomphé ce fut une la guerre civile a anéanti
église d'État anglicane qui, en alliance avec le parlement, rabaissait toutes les possibilités
toutes les autres confessions à de simples entités tolérées avant que ne fédérales.
puisse au cours du xixe siècle se répandre une véritable tolérance
religieuse et politique.

154 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


La république de Pologne, qui, avec sa monarchie élective et ses
structures fédérales ressemblait jusqu'à un certain point à la
constitution de l'Empire allemand teintée de fédéralisme, ne put empêcher
que l'église catholique s'impose comme une église d'État exclusive
ouvrant la voie à une intolérance nationale qui allait marquer encore
notre siècle au cours duquel l'État polonais avait enfin pu renaître.
La multiplicité des États italiens avec leurs libertés fédérales, qui
avaient été le modèle des formations fédérales allemandes à la fin de
l'époque médiévale et au début de l'époque moderne n'a finalement
pas pu maintenir ses capacités fédératives autonomes au cours de
l'époque moderne. Les dynasties des Bourbons, des Habsbourgs et de
Savoie largement déterminées de l'extérieur restaient, conformément
à la volonté de la papauté, fidèles à une politique catholique, qui ne
laissait guère de chance à la tolérance religieuse .
On peut donc dire que les structures fédérales de l'histoire
allemande ont créé les conditions de possibilité d'un fait absolument
particulier dans l'histoire européenne : à savoir avoir permis de Les structures fédérales
maintenir et de garantir, au moins en termes institutionnels, même si ce ne de l'histoire allemande ont
fut pas toujours intentionnel, une tolérance confessionnelle. C'est à ce créé les conditions
point de vue que l'Empire allemand (mais pas la monarchie de possibilité d'une tolérance
habsbourgeoise) passait au xvme siècle pour un modèle, tout à fait confessionnelle.
comparable à la confédération helvétique et aux Provinces-Unies dont la
capacité à se montrer tolérantes correspondait également à des
structures fédérales.
Or ce furent précisément ces structures fédérales qui allaient
survivre à la chute de l'Empire. Dans un certain sens, elles allaient même
réellement s'épanouir après 1800, soit à l'intérieur de la confédération
du Rhin, plutôt périphérique, de Napoléon, qui sut utiliser de façon
instrumentale et égoïste ces données fédérales ou, après 1815, dans la
confédération germanique. Celle-ci servit à empêcher la formation
d'une nation allemande, afin de ne pas créer, pour reprendre une
observation de Humboldt, un bloc étatique à l'intérieur de l'Europe,
tout en rassemblant assez de forces pour pouvoir résister contre
d'éventuelles menaces françaises ou russes.
C'était là une vieille figure du droit de l'Empire que de pouvoir C'était là une vieille figure
engendrer des alliances particulières à l'intérieur même d'une du droit de l'Empire, que
structure federative. L'Union douanière reprenait en termes de droit de pouvoir engendrer
constitutionnel et international ce type de structure récurrente. Elle des alliances particulières
unissait sous l'égide prussienne de plus en plus d'États allemands, à l'intérieur même
afin de garantir derrière les barrières douanières la liberté du d'une structure federative.
commerce tout en augmentant les revenus de tous les partenaires.
L'Autriche fut du même coup rejetée en termes économiques dans
la situation d'un pays en voie de développement que l'Union
douanière dépassait avec grand succès. C'est là qu'il faut chercher une
condition préalable du deuxième empire à venir. Le premier
parlement commun de l'Empire bismarckién fut le parlement douanier
de 1867, qui n'était d'ailleurs nullement disposé à voter dans le sens
prussien.
Cela ne veut pas dire que, de façon directe et unilinéaire, l'on
puisse conclure de cette constellation d'intérêts économiques à la création

Les ressorts du passé. 155


de l'unité allemande. Mais les possibilités fédérales s'offraient
littéralement à travers les âges pour ouvrir de nouvelles voies vers une
unification de l'Allemagne.
Et de fait l'Empire bismarckien fut en effet d'abord une fédération
de princes souverains qui donnèrent à leur association le nom
d'Empire allemand. Sans cette limitation de la revendication d'une
souveraineté directe du peuple allemand - dont Bismarck se servait
cependant très habilement - le deuxième Reich n'aurait en réalité jamais vu
le jour. De même il n'aurait pu exister sans la donnée permanente
d'une fédération toujours possible entre les différents États
territoriaux dont Bismarck ne savait pas moins tirer profit.
Qui oserait qualifier cette solution intermédiaire - au vu surtout Qui oserait qualifier
des catastrophes qui allaient suivre - comme attardée ou inadaptée ? cette solution intermédiaire -
Si les données fédérales pluriséculaires s'étaient opposées jusque-là à au vu surtout
l'institutionnalisation d'une nation allemande, les guerres de des catastrophes qui allaient
l'unification offraient une chance unique de constituer en termes suivre - comme attardée
constitutionnels une nation allemande, et cela en tant qu'État fédéral. Une des ou inadaptée ?
expériences spécifiques de l'histoire fédérale de l'Allemagne tient au
fait que seule l'union paritaire entre partenaires inégaux peut garantir
l'égalité entre ces éléments inégaux et que seul un minimum de
capacité de compromis permet d'obtenir un maximum de succès. Cette
leçon avait été reçue par les princes et villes d'Empire de génération
en génération et Bismarck avait su s'en servir de façon raffinée,
malgré l'effort des libéraux et des démocrates pour promouvoir, avec
emphase et une forte dose de nationalisme, un seul et unique peuple
allemand.
Dès que l'on prête attention à ces structures fédératives, qui ne se
sont modifiées que très lentement au gré des situations, la question de
la nation attardée paraît devenir secondaire et idéologiquement L'histoire allemande est,
marquée. Au cours de ses analyses, Plessner s'est bien rendu compte de grâce à ces structures
cet aspect. Grâce à ces structures fédérales, l'histoire allemande est fédérales, depuis toujours à
depuis toujours à la fois pré- et post- nationale. Elle n'exige, comme il la fois pré- et post- nationale.
le notait, "une solution ni dans le sens d'une quelconque idée
d'empire œcuménique avant tout État-nation ni, dans le sens post-national
d'une organisation d'États unis de l'Europe, qui de toute façon
manquerait son époque, étant ou d'avant-hier ou d'après-demain" Ce n'est pas la formation
(ouvrage cité, p. 27 dans la première édition, p. 40 dans la seconde). d'une nation au bon moment
Cette formulation faite dans l'exil hollandais après 1933 témoigne qui constitue le vrai défi,
d'une grande lucidité dans l'analyse et dans la prévision. Ce n'est mais celle des formes
justement pas la formation d'une nation au bon moment, comme le d'organisation étatiques,
souligne la partie suggestive de la deuxième édition, qui constitue le vrai inter-territoriales
défi, mais bien au contraire celle des formes d'organisation étatiques, et internationales,
inter-territoriales et internationales, qui empêchent les nations de qui empêchent les nations
devenir la dernière instance normative sans alternatives communes. de devenir la dernière
Dans cette perspective, l'histoire de la nation allemande, qui ne instance normative sans
s'est en réalité affirmée en tant qu'histoire nationale que depuis la alternatives communes.
guerre contre la France en 1870, et lors de la Première et de la
Deuxième Guerre mondiale, gagne sa signification particulière. Un
champ d'expériences commun est né de ces guerres - tout comme les
guerres de la Révolution sont devenues pour les Français un titre de

156 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


légitimité nationale, réaffirmé lors de la guerre de Crimée et d'Italie,
brimé à l'issu de la guerre franco-allemande en 1870-71.
Ce n'est en effet qu'au cours de la Première Guerre mondiale qu'est
née l'idée d'une communauté du peuple allemand, à laquelle devaient
se référer par la suite tous les partis s'ils voulaient rester crédibles et Ce n'est qu'au cours
capables d'agir. Il n'empêche que même la République de Weimar de la Première Guerre
restait une fédération, où la Bavière s'opposait en 1919 au mondiale qu'est née l'idée
démembrement de la Prusse et tentait vainement en 1932, d'empêcher la d'une communauté
soumission de cette même Prusse social-démocrate aux pouvoirs dictatoriaux du peuple allemand,
du Reich. La destruction de la structure fédérale de la République de à laquelle devaient se référer
Weimar et l'anéantissement d'une Prusse autonome furent le premier par la suite tous les partis
pas vers la prise de pouvoir national-socialiste l'année suivante. s'ils voulaient rester
Ce qui suivit désormais s'est accompli au nom et avec l'assentiment crédibles et capables d'agir.
de ce que l'on appelait le peuple allemand : "Ein Volk, ein Reich, ein
Fùhrer". Ce fut l'égoïsme national qui a porté Hitler et l'a aidé à prendre
le pouvoir. Mais tous les projets et buts que Hitler a poursuivi après 1933
déniaient tous les titres de légitimité qui auraient pu se référer à un idéal
d'État-nation commun à l'Europe et que Plessner ne cessait de
revendiquer dans son exil néerlandais. Hitler et son parti se servaient en effet de
vieilles revendications nationales reconnues comme telles, mais
seulement pour les abandonner aussitôt qu'ils passaient à la pratique. Des
masses furent mobilisées, sans égard à leur légitimité nationale, tout
comme on invoquait des races, afin d'établir un système de terreur qui
détruisait jusqu'au dernier titre d'autonomie sociale, ethnique ou
nationale. L'anéantissement des juifs, des Roms et de millions d'humains
définis et disqualifiés comme slaves - sans parler d'autres groupes
catégorisés de la même manière - fut accompli par des Allemands, mais leurs
maximes d'actions ne furent plus justifiées en termes nationaux, mais en
termes ouvertement racistes, supranationaux et avec des promesses de
salut qui devaient profiter seulement aux soi-disant surhommes.
Plessner, précisément, n'eut de cesse d'analyser ces errements
idéologiques, qui, se détachant des catégories nationales, mirent en œuvre
un matérialisme biologique. Rédigeant son texte en 1933, il a mis en
évidence de façon prophétique des traits de l'histoire allemande, qui -
après la catastrophe - pouvaient être classés sous la rubrique de la "poli-
tischer Verfùhrbarkeit bûrgerlichen GeisteÊ'1. Il cherchait des 7 "La disposition de l'esprit bourgeois
explications sociologiques et intellectuelles, sans vouloir les rattacher à des à se laisser séduire".
constantes nationales. Ce faisant, son texte s'insurgeait déjà en 1933
contre une construction idéologique qui, après 1968, allait se répandre
en Allemagne sans rencontrer de critique : celle du Sonderweg allemand.

Le Sonderweg : une explication sans


consistance épistémologique.

Face à des meurtres de masse qui, jusqu'en 1940, furent


inimaginables et qui ensuite furent administrativement et industriellement
mis en œuvre par des acteurs fanatiques, on ne peut pas ne pas poser
la question de savoir comment une telle chose est explicable dans le

Les ressorts du passé. 157


contexte de l'histoire allemande. Avec la thèse du Sonderweg on tente Avec la thèse du Sonderweg
de déduire de l'histoire allemande ces crimes monstrueux et uniques on tente de déduire
par leur nature. Mais cette thèse est théoriquement aussi mal fondée les crimes monstrueux
que celle de la "nation attardée". et uniques perpétrés pendant
S'il s'agit dans le cas de la thèse de la nation attardée d'une téléo- le 111e Reich par leur nature
logie ex post sans alternative, comme nous l'avons montré plus haut, de l'histoire allemande.
la thèse du Sonderweg suggère une chaîne causale sans faille qui
devait nécessairement mener à la catastrophe coupable. Cette
possibilité d'explication contient plusieurs faiblesses argumentatives que
Plessner déjà avait tenté d'éviter dans ces analyses subtiles.
Supposer un Sonderweg allemand implique en effet la proposition
que l'histoire allemande ne soit pas seulement singulière, comme le
sont toutes les histoires nationales, mais unique. De même, qualifier
de sans précédent la destruction des juifs, n'implique pas
nécessairement d'expliquer le caractère effroyable de leur anéantissement par
une histoire non moins effroyable. Une telle proposition axiomatique
comporte plusieurs illogismes.
Tout d'abord la thèse du Sonderweg, qui ne serait propre qu'à la
nation allemande, amène nécessairement à la conclusion que toutes
les histoires nationales - et ceci par définition - relèvent en tant que
telles d'un cheminement particulier. Au niveau de l'enchaînement des
événements, toutes les histoires nationales sont uniques et se laissent
chacune comparativement définir comme un Sonderweg en soi. Dans
ce cas, l'histoire française se différencie fondamentalement de
l'histoire britannique, l'histoire russe de celle de la Pologne, celle du L'axiome de l'unicité,
Mecklembourg de celle de la Prusse et ainsi de suite... L'axiome de qui dans le domaine
l'unicité, qui dans le domaine de l'événementiel se vérifie toujours, de l'événementiel se vérifie
interdit d'ériger l'un ou l'autre de ces cheminements en Sonderweg. toujours, interdit d'ériger
Si l'on pose, par contre, la question de la comparaison afin de mettre l'un ou l'autre de
en évidence des différences ou des traits communs entre les différentes ces cheminements
histoires nationales, le résultat ne peut logiquement pas aboutir à en Sonderweg.
l'affirmation d'un cheminement unique et singulier. L'analyse présuppose des
conditions communes minimales, afin de faire ressortir les différences.
Notre tentative de confronter la formation de l'État-nation en Europe
avec des structures d'action fédérales nous a laissé envisager un champ
de possibilités, qui allait de la Pologne en passant par l'Empire à la
Suisse, aux Pays-Bas et puis à l'Italie, la France et la Grande-Bretagne.
Suivant cette analyse on peut formuler la thèse que l'histoire allemande
est caractérisée par des structures fédérales qui ont empêché ou retardé
la formation d'une nation sans que cela autorise pour autant de dire que
cela se soit fait "trop tard". La thèse moralement préformée du
Sonderweg se trouve ainsi éliminée en termes méthodologiques.
Ceci nous amène à une toute dernière question qui doit avoir un
effet à proprement parler déterminant pour toute théorie d'un
cheminement à part. Jusqu'où faut-il faire remonter la chaîne causale pour
faire ressortir l'unicité d'une histoire allemande ? Jusqu'à Arminius,
jusqu'à Charlemagne, Luther, Frédéric n de Prusse, Napoléon ou
Bismarck ou seulement jusqu'à Hindenburg et Hitler lui-même, pour
ne citer que ces quelques noms qui, d'une façon ou d'une autre, se
trouvent mêlés au débat, que ce soit en termes négatifs ou positifs ? Il

158 Transmettre aujourd'hui. Retours vers le futur.


n'y a, en termes théoriques, aucun début irrécusable d'une chaîne Il n'y a, en termes
causale qui puisse être construite ex ante. Pour chaque événement et théoriques, aucun début
chaque ensemble événementiel on peut fait appel à autant de causes irrécusable d'une chaîne
qu'il y a d'événements et ensembles d'événements. Si l'on cherche par causale qui puisse être
exemple à mettre en évidence la préhistoire antisémite des meurtres construite ex ante.
commis après 1940 on trouvera vers 1905 le cas français, où l'anti-
dreyfusisme faisait alors rage, aussi important que celui de la Russie
où pogromes et excès d'antisémitisme furent la règle, tandis que
l'Empire allemand se montrait plutôt favorable aux juifs. Afin d'analyser en
Allemagne pour 1905 la genèse causale des meurtres à venir, il
faudrait des approches autrement plus subtiles qui trouveraient, par
exemple, dans le refoulement de l'antisémitisme un facteur non
négligeable de l'origine de ces meurtres.
Dès qu'un événement s'est produit, il est trop facile d'en affirmer
l'apparente nécessité par un dédoublement causal. C'est là même que
réside l'insuffisance théorique de telles offres d'explication. Ce n'est
pas parce qu'un événement s'est effectivement produit qu'il devait se
produire. Derrière de tels linéaments causals se cachent des illogismes La responsabilité morale de
et des simplifications - post hoc, ergo propter hoc. Avec de tels ceux qui agissent librement,
arguments on peut démontrer n'importe quoi. Mais ce qu'un tel argument donc la responsabilité
laisse de côté, c'est justement la dimension morale de la question que des vrais acteurs, est réduite
la thèse du Sonderweg érige en analyse causale. Car la responsabilité à néant par une histoire
morale de ceux qui agissent librement, donc la responsabilité des omnipotente, qui aurait tracé
vrais acteurs, est ainsi réduite à néant par une histoire omnipotente, aux Allemands le chemin
qui aurait tracé aux Allemands le chemin à suivre. L'exigence morale à suivre.
de la thèse du Sonderweg y perd toute sa force. Ceci vaut aussi pour
les thèses de Goldhagen8.
Ici il vaut la peine d'écouter le Plessner de 1933, quand il essayait 8 «Daniel Jonah Goldhagen, Les
de dégager des constellations qui limitaient les possibilités de choix bourreaux volontaires d'Hitler, Paris Éd.
Seuil, 1997 pour la traduction française

:
dans l'histoire allemande tout en ouvrant des chemins nouveaux. De (1ère éd. 1996). [note de l'éditeur]
telles constellations dépendent aussi des constellations que
connaissent les pays voisins et leurs peuples, de sorte qu'il faut envisager un
minimum d'interactions, afin de pouvoir prendre la mesure exacte de
l'unicité ou du caractère spécifique de la situation historique d'une
nation donnée.
Que ce soient justement les structures fédérales qui permettent de
caractériser l'histoire allemande comme pré-moderne et, comme on
aime le dire aujourd'hui, aussi comme post-moderne doit nous inciter
à d'autres réflexions. Car ces structures contiennent des variantes
d'action que nous n'avons pas créées nous mêmes, mais qui peuvent
néanmoins inciter à agir. Nulle part il est écrit que la nation est un but
de l'histoire et que l'atteindre est un devoir temporel qui ne tolère Nulle part il est écrit que la
point de retard. Ce qui est sûr, c'est que la liberté d'action en matière nation est un but de l'histoire
politique ne saurait être maintenue sans une certaine capacité de et que l'atteindre est
compromis et que la reconnaissance de minorités, donc l'égalité de un devoir temporel, qui
ceux qui ne sont pas des égaux, est un des préalables de la ne tolère point de retard.
communauté des peuples européens : deux vieilles règles qui nous viennent
d'une histoire marquée par des structures fédérales.

Les ressorts du passé. 159

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