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BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE

Bernard Sesboüé

Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse

2005/1 - Tome 93
pages 107 à 160

ISSN 0034-1258

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Sesboüé Bernard, « Bulletin de théologie patristique grecque »,
Recherches de Science Religieuse, 2005/1 Tome 93, p. 107-160.
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BULLETIN

BULLETIN DE THÉOLOGIE
PATRISTIQUE GRECQUE
par Bernard SESBOÜÉ
Faculté de théologie, Centre Sèvres — Facultés Jésuites de Paris

I. Le IIe siècle : Pères apostoliques et apologètes (1-11)


II. Le IIIe siècle : Clément et Origène (12-23)
III. Le IVe siècle : Athanase, Basile, Grégoire de Nysse (24-37)
IV. Du Ve au Xe siècle : théologie mariale et tradition monastique, Maxime
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le Confesseur (38-46)
V. Théologie des Pères (47-57)

I. Le IIe siècle : Pères apostoliques et apologètes (de 1 à 11)

1. Odd MAGNE BAKKE,“Concord and Peace”. A Rhetorical Analysis of the First


Letter of Clement with an Emphasis on the Language of Unity and Sedition,
“Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2 Reihe” 141,
Mohr Siebeck, Tübingen, 2001, 390 p.
2. Hermut LÖHR, Studien zum frühchristlichen und frühjüdischen Gebet. Unter-
suchungen zu 1 Clem 59 bis 61 in seinem literarischen, historischen und
theologischen Kontext, “Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Tes-
tament“ 160, Mohr Siebeck, Tübingen, 2003, 652 p.
3. Aaron MILAVEC, The Didache, Texte, Translation, Analysis and Commentary,
Liturgical Press, Collegeville, Minnesota, 2004, 112 p.
4. ARISTIDE, Apologie. Intr., textes crit., trad. et commentaires par B. Pouderon,
M.-J. Pierre, B. Outtier, M. Guiorgagadzé, « Sources chrétiennes » no 470,
Cerf, Paris, 2003.
5. Adolf VON HARNACK, Marcion, L’évangile du Dieu étranger. Une monographie
sur l’histoire de la fondation de l’Église catholique, trad. par B. Lauret, suivi de
contributions de B. Lauret, G. Monnot, E. Poulat et M. Tardieu, coll. « Patri-
moines. Christianisme », Cerf, Paris, 2003, 588 p.
6. ATHÉNAGORE, Athenagorae qui fertur De Resurrectione mortuorum, edidit
M. Marcovich. « Supplements to Vigiliae Christianae », vol. LIII, Brill, Leiden-
Boston-Köln, 2000, 76 p.
7. Martin HEIMGARTNER, Pseudojustin — Über die Auferstehung. Text und Studie.
“Patristische Texte und Studien”, Band 54, W. De Gruyter, Berlin-New York,
2001, 362 p.

RSR 93/1 (2005) 107-160


108 B. SESBOÜÉ

8. Craig D. ALLERT, Revelation, Truth, Canon and Interprétation : Studies in


Justin Martyrs Dialogue with Trypho. “Supplements to Vigiliae Christianae”,
vol. LXIV, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2002, 312 p.
9. Apologie à Diognète. Exhortation aux grecs, Trad. par M. Bourlet, intr. et notes
par R. Minnerath, « Les pères dans la foi » 83, Migne, Paris, 2002, 152 p.
10. Éric OSBORN, Irenaeus of Lyon, University Press, Cambridge, 2001, 310 p.
11. Véronique MINET, L’empreinte divine. La théologie du corps chez saint
Irénée, Profac, Lyon, 2002, 160 p.

1. Sous le titre Concorde et Paix, O. M. BAKKE propose une analyse


rhétorique de la Première Lettre de Clément de Rome. Après avoir pris
position sur l’unité d’auteur de l’opuscule (qu’il estime pouvoir raisonnable-
ment identifier avec le Clément mentionné dans Le Pasteur d’Hermas) et la
date (qu’il situe dans la première décennie du IIe siècle), l’auteur s’intéresse,
non pas à la structure ecclésiale attestée dans la communauté de Corinthe
comme la plupart de ses prédécesseurs, mais à la nature de la sédition qui
en a suscité l’écriture et l’envoi. Il s’engage ainsi dans une longue vérification
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de la mise en œuvre des grands principes de la rhétorique dite « délibéra-
tive » (sumbouleutikon), selon Aristote, Quintilien et d’auteurs plus proches
de Clément, comme Dion Chrysostome et Aelius Aristide. Cette rhétorique
délibérative ou démonstrative est celle qui essaie à la fois de persuader,
d’exhorter et de dissuader. En l’occurrence, Clément urge par de pressants
appels et de multiples exemples le retour à la concorde dans la communauté.
Cette perspective rhétorique permet d’établir avec plus de précision le genre
littéraire, la fonction et la composition de la lettre. Son thème central est en
effet celui de la concorde (homonoia) qui doit faire cesser la sédition (stasis).
Deux grands chapitres forment le corps de l’ouvrage. L’un analyse le
vocabulaire de l’unité et de la discorde dans l’épître et repère les principaux
topoi utilisés. La référence au domaine politique est dominante. Le terme
cardinal de concorde (homonoia, 14 fois), celui de paix (eirènè, 21 fois) et
leurs nombreux synonymes sont des mots conventionnels de la vie politique.
Il en va de même pour l’ensemble des antonymes exprimant le conflit :
sédition, querelle, jalousie, haine, persécution, guerre, schisme, etc. Les
autres topoi sont l’ordre et l’harmonie de l’univers, la hiérarchie militaire,
l’unité du corps humain en ses divers membres, la charité au service du bien
commun. Tel est bien le thème principal de la lettre.
L’autre chapitre étudie la composition de la Lettre à la lumière des principes
de la rhétorique. Le texte s’inscrit clairement entre une adresse et une
salutation finale avec bénédiction (65,1-2). Son corpus se distribue en un
exorde (1,1-2,8) qui comporte une captatio benevolentiae ; une narratio
(3,1-4) évoquant la situation présente de révolte ; une longue probatio
(4,1-61,3) et enfin une peroratio qui résume et conclut l’ensemble avec une
prière (62,1-64,1). La probatio est elle-même répartie en deux temps :
d’abord la quaestio infinita ou thesis (4,1-39,9), c’est-à-dire le traitement
général de la question à partir d’exemples opposés tirés du passé (Ancien
Testament en particulier) et du présent, montrant l’enjeu respectif de la
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concorde et des désordres contraires, et appelant à la repentance, à


l’humilité et à la réconciliation. Cette section est un traité des principes de la
concorde pour une communauté chrétienne. Lui fait suite la quaestio finita ou
hypothesis (40,1-61,3), c’est-à-dire l’application de ces principes généraux
au cas concret et le traitement explicite de la situation à Corinthe avec l’appel
aux leaders de la sédition à se soumettre aux presbytres. Ici encore
exhortations pressantes et blâmes se succèdent. Cette étude permet de
mieux connaître l’environnement social de la lettre : la communauté de
Corinthe apparaît comme un monde où la question du point d’honneur joue
un grand rôle. De son côté, Clément semble être un homme familier non
seulement des topoi de la rhétorique (à l’exemple de Dion Chrysostome,
Aelius Aristide, et peut-être aussi de l’épître aux Romains), mais aussi de la
terminologie politique, ce qui n’est pas sans intérêt pour l’un des premiers
responsables de la communauté romaine.
Cette étude extrêmement fouillée et très scientifique ne se contente pas de
prouver techniquement ce que l’on savait déjà. Elle nous fait avancer dans la
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compréhension profonde de l’ouvrage et connaître la situation de la commu-

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nauté de Corinthe. Le découpage proposé par l’auteur est sensiblement
différent de celui donné en 1971 par Annie Jaubert dans l’édition des Sources
chrétiennes (n. 167). Le point de vue rhétorique fait saillir avec plus de relief
l’intention et la dynamique propre au texte que le découpage apporté a
posteriori à partir des contenus successivement traités.

2. Voici encore un ouvrage important sur Clément de Rome — qui


malheureusement ne connaît pas l’étude précédente : c’est la recherche de
H. LÖHR sur la grande prière située à la fin de l’épître (ch. 59-61). Ce texte
constitue la première prière chrétienne connue, après l’enseignement du
Pater dans les évangiles. L’auteur entend la situer dans le double cadre de la
prière chrétienne primitive et de la prière juive contemporaine. Selon l’usage
il commence par faire le point précis de la recherche antérieure sur son sujet
depuis l’époque de Harnack, pour constater que depuis des décennies
aucune étude d’importance ne s’était consacrée à cette prière. Le but de
l’ouvrage est d’apprécier la langue de ce document du christianisme primitif,
de reconnaître l’expression d’une piété populaire anonyme, mais digne
d’attention pour une théologie réfléchie, et de donner ainsi un aperçu du
monde de la foi et de la pratique chrétiennes des Ie et IIe siècles.
L’auteur propose une datation de la lettre un peu plus précoce que Bakke,
à la fin du Ie siècle au temps de Domitien. Il se livre également à l’analyse des
vocabulaires récurrents. Il découpe ainsi la structure de la prière : I. (59,2-3) :
Louange du Créateur, souverain et tout-puissant ; II. (59,4) : Intercession ; III
(60,1-2) : Louange et confession des péchés ; IV (60,3) : Demandes ; V
(61,1) : Intercession pour les gouvernants ; VI (61,3) : conclusion doxologi-
que, la mention du Christ faisant inclusion avec le début de la prière. Le texte
est donné en grec et en allemand dans une disposition qui isole sur chaque
ligne une unité élémentaire de sens et fournit sa forme au commentaire.
Quant à la réception de la lettre et à son usage liturgique dans l’Église
110 B. SESBOÜÉ

ancienne, on remarque que, si les Pères qui se réfèrent à Clément ne citent


jamais la prière, les Constitutions apostoliques fournissent, d’une part, des
contacts littéraires possibles et, d’autre part, la comparaison des interces-
sions et demandes de Clément avec les prières eucharistiques, témoins de la
tradition liturgique de l’Église ancienne, manifeste aussi des contacts réels. Il
existe une proximité entre le judaïsme et le premier christianisme dans cette
prière qui semble présupposer le judaïsme du second Temple.
Löhr donne un commentaire ample et continu de toute la prière, formule par
formule, ce qui occupe plus de 200 pages du volume. Sa richesse vient de la
multiplicité des rapprochements proposés avec l’AT, les prières juives et aussi
la piété hellénistique païenne. Ainsi la prière pour le pardon des péchés
rappelle les confessions des péchés de facture vétéro-testamentaire. Si la
prière pour les gouvernants affirme la légitimité de leur autorité, elle souligne
aussi leur limitation : car leur responsabilité s’exerce sous l’autorité de Dieu.
Un excursus important étudie le titre de Jésus comme enfant de Dieu (pais)
dans la littérature et la christologie primitives. Ce terme peut signifier à la fois
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fils ou esclave/serviteur, ce qui renverrait aux chants du Serviteur. Mais les

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diverses occurrences ne permettent pas d’opposer avec certitude une
christologie du Serviteur à une christologie du Fils. La bibliographie ancienne
et moderne est impressionnante et l’ouvrage d’une scientificité parfaite. Mais
son caractère extrêmement analytique laisse peu de place au bilan des
résultats et ne permet pas de dégager les grandes conclusions que doit
permettre une telle étude.

3. A. MILAVEC donne sous une forme brève une nouvelle étude de la


Didachè. Il est partisan d’une datation très haute et tient avec raison que le
texte ne dépend d’aucun des évangiles connus. Son travail comporte la
transcription de l’unique manuscrit, établie par Rendel Harris, à quelques
modifications près. La traduction anglaise est donnée en vis-à-vis. Les deux
textes sont présentés dans une disposition typographique analytique desti-
née à attirer l’attention du lecteur sur la valeur de chaque lexie et de ses
diverses reprises. L’auteur poursuit son travail par « un bref commentaire »,
résumé d’une étude beaucoup plus ample, qui aborde des points utiles sur la
catéchèse des deux voies (avec la reprise des commandements anciens et
l’insertion de commandements nouveaux) et sur la liturgie (insistance sur la
dimension sacrificielle de l’eucharistie). L’ouvrage, qui se présente comme un
instrument de travail destiné aux chercheurs, se termine par une liste de
25 questions posées sur l’opuscule et qui mériteraient de nouvelles investi-
gations.

4. L’Apologie d’Aristide d’Athènes est l’aînée ou la plus « archaïque » de la


série des apologies chrétiennes conservées du IIe siècle. Sa transmission
nous est parvenue sous quatre versions : deux fragments papyrologiques
grecs, une version grecque beaucoup plus ample insérée dans le Roman de
Barlaam attribué à Jean Damascène, une version syriaque et un fragment
arménien. L’option de cette édition a consisté à ne pas chercher à reconsti-
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tuer un texte originel et unique, comme l’avaient tenté autrefois Hennecke,


Seeberg et Zahn, car le résultat serait inévitablement artificiel, puisque établi
à partir de versions sensiblement divergentes, mais d’éditer chacune pour
elle-même. Le lecteur est ainsi à même de participer au débat concernant
leur valeur respective. Quatre chercheurs se sont répartis la tâche pour offrir
une étude quasi exhaustive de ces quatre textes savamment établis, traduits
et commentés, selon le stemma fort complexe qui les relie.
B. Pouderon, auteur de l’introduction générale, reprend à neuf la discus-
sion sur la valeur respective de ces versions. Après avoir exposé longuement
les diverses positions de la recherche, les parentés respectives des différents
textes entre eux, l’hypothèse de rédactions successives ou de prototypes
communs aux versions actuelles, il reconstitue l’histoire du texte en Égypte,
dans la péninsule balkanique et en Orient. Sa conclusion privilégie le texte et
la structure de la version syriaque. « C’est la traduction [syriaque] qui offre le
reflet le plus fidèle et le plus suggestif de ce que pouvait être l’Apologie
originelle » (p. 171).
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Aristide, « philosophe » athénien contemporain d’Adrien, nous est connu
par divers témoignages anciens, en particulier ceux d’Eusèbe et de Jérôme.
B. Pouderon estime devoir garder la datation de l’Apologie fournie par
Eusèbe, soit 124-125 : il s’agit d’un discours adressé à Hadrien, même si
l’hypothèse de R. Grant d’une seconde édition au temps d’Antonin ne peut
pas être totalement exclue. Le genre littéraire est-il déjà celui d’une apolo-
gie ? Ce serait plutôt un discours fictif ou une lettre ouverte qui s’adresse en
fait aux trois « races » barbare, grecque et juive, pour leur montrer la
supériorité religieuse de la « race » chrétienne. Le texte passe en revue le
culte des barbares ou des Chaldéens, caractérisé par l’adoration des
éléments cosmiques, le culte des Grecs, avec ses nombreuses généalogies
de dieux divers au mœurs fort humaines, des Égyptiens et de leur zoolâtrie,
des juifs croyants au Dieu unique et à la morale élevée, mais responsables
de la condamnation du Christ, enfin les chrétiens qui représentent la voie de
la vérité. Aristide est le témoin d’une rupture consommée entre chrétiens et
juifs.
Le contenu de la foi est exprimé de manière très brève. La doctrine
d’Aristide se ramène d’une part à un monothéisme vigoureux, exprimé en
termes philosophiques, et à un exposé bref de l’événement de Jésus, qui
évoque le kérygme apostolique. L’éloge de la vie morale des chrétiens
annonce le ton de l’Épitre à Diognète. La perspective eschatologique est très
présente.
Dans cette excellente étude nous nous permettrons de faire instance sur
deux points. La reconstitution d’un Symbole primitif à partir de l’Apologie
d’Aristide nous paraît aller trop loin et ne pas garder les prudences de Hahn
et de Harris. Le nombre de crochets et de parenthèses (p. 66) nécessaires
souligne le souci de ramener les affirmations d’Aristide à un modèle littéraire
de Symbole trinitaire qui ne pouvait exister à cette époque. Car celui-ci
suppose que le mariage entre les formules trinitaires et christologiques est
112 B. SESBOÜÉ

déjà accompli, alors que nous le voyons se réaliser progressivement chez


Justin et Irénée. Aristide est bien plutôt le témoin de la séparation de formules
encore en genèse. Il est vrai qu’il confesse, d’une part, un Dieu unique et
créateur (Syr. I,2 ; Barl. XV,1), mais pas dans les formules qui se répandront
par la suite. Il propose, d’autre part, un kérygme christologique (Syr. II,4 ;
Barl. XV,1-2) qui constituera plus tard le deuxième article du Symbole. Mais
il ne relie pas les deux points dans une formule construite. Il est enfin le
témoin, dans la seule version grecque de Barlaam, d’une formule de type
trinitaire (XV,3), mais séparée du kérygme christologique. La reconstitution
d’un symbole à la fois christologique et trinitaire chez lui est donc prématurée.
Une seconde instance concerne le rapport d’Aristide à l’AT et au NT.
L’éditeur nous paraît ici trop affirmatif. Est-il vrai qu’Aristide « évacue quasi
totalement les ouvrages vétéro-testamentaires en tant qu’Écritures chrétien-
nes » (p. 72) ? On ne peut que constater qu’il n’en parle pas, si ce n’est
indirectement, quand il utilise la formule des « Écritures des chrétiens » (Barl.
XVI,4) pour désigner les textes postérieurs à la venue du Christ, ce qui les
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réfère au concept vétéro-testamentaire d’Écritures. Les exposés d’Aristide

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sur les autres religions ne lui permettaient guère de citations. Il est vrai qu’il
est très bref sur la religion juive : mais il mentionne Abraham, Isaac et Jacob
et reconnaît le Décalogue. Ce qui est vrai, c’est qu’Aristide ne met jamais en
œuvre la grande argumentation du rapport entre les deux Testaments, qui
sera privilégiée par ses successeurs. Il est également très bref sur la doctrine
chrétienne, préférant s’étendre sur la moralité exemplaire des chrétiens. Son
apologie, archaïque encore une fois, n’entre pas dans un débat argumenté
entre chrétiens et païens ou chrétiens et juifs. Aristide recommande la lecture
des écrits chrétiens, ce qui suppose qu’il en existe bien à son époque. « Ce
sont les livrets évangéliques ou les manuels chrétiens » (p. 64), nous dit
l’éditeur. Il faut sans doute être ici plus circonspect. Qu’Aristide connaisse
une littérature chrétienne est une chose, qu’il connaisse « les livrets évan-
géliques » en est une autre. Il parle bien de « l’Écriture sainte de l’Évangile »
(Barl. XV,1), mais il ne cite aucun verset des récits évangéliques, il se
contente d’une évocation très globale de leur contenu, la vie, la mort et la
résurrection de Jésus. Sous ces expressions il faut entendre la globalité du
NT encore en genèse, dont les éléments les plus fermes sont les épîtres
pauliniennes et dont B. Pouderon reconnaît qu’elles ont exercé une influence
déterminante sur Aristide.
L’étude des sources et de la postérité de l’Apologie d’Aristide est très
documentée et permet de s’orienter dans l’horizon de la littérature juive et
chrétienne du temps. L’ouvrage s’achève par un long commentaire historique
et doctrinal du texte qui tient compte des diverses versions. Il faut remercier
les quatre auteurs de cet instrument de travail qui est au plan philologique un
modèle.

5. Bernard LAURET a traduit pour la première fois en français la célèbre


monographie de Harnack sur Marcion, à partir de sa seconde édition de
1924. Mais le texte de Harnack ne constitue que la moitié du volume. La
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 113

seconde partie est faite de quatre longues contributions qui font le point des
connaissances sur Marcion depuis Harnack et réfléchissent sur l’« actualité »
de celui-ci dans le débat chrétien. Distinguons l’ouvrage, déjà daté, de
Harnack des réflexions plus contemporaines.
Marcion. L’évangile du Dieu étranger est-il un livre qui a bien vieilli ? Mais
tout n’a-t-il pas a été dit sur un ouvrage qui a fait époque et demeure
aujourd’hui une référence incontournable des études sur Marcion ? Sa
lecture reste passionnante, même si le lecteur est gêné par la trop large
inconditionnalité de l’auteur à l’égard de « son » Marcion. On ne peut
qu’admirer l’acribie scientifique avec laquelle Harnack a décodé les rensei-
gnements fournis par les grands adversaires chrétiens de Marcion (Tertullien
et Hippolyte en particulier) en vue de reconstituer un curriculum vitae de
l’homme, son activité critique à l’égard des documents du NT, le nouveau
canon qu’il oppose à l’AT, le contenu de ses Antithèses, les points-clés de sa
doctrine autour de l’opposition du Dieu juste et du Dieu bon — à bien
distinguer de celle de ses successeurs —, l’histoire de son « Église » qui
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s’est largement répandue dans le bassin méditerranéen avec une éthique
particulièrement austère, la secte de son disciple Apelle, son rôle historique
et enfin sa signification pour la genèse de l’Église « catholique ». Harnack a
définitivement montré que Marcion n’était pas un « gnostique » et a bien
dégagé l’originalité de sa pensée, même s’il est généralement reconnu qu’il
a exagéré son rôle dans la constitution du canon du NT. Il y a là une étude
d’une grande probité et qui soulève l’admiration pour sa scientificité.
Mais l’ouvrage n’a pas seulement une prétention historique : il est aussi un
livre d’engagement chrétien déterminé sous la bannière de Marcion. L’en-
thousiasme de l’auteur pour son héros le pousse à boucher avec témérité les
trous de sa documentation pour reconstituer le portrait psychologique et
religieux de Marcion. Sa thèse, à portée théologique, voit en Marcion un
premier protestant (p. 223) et un premier Luther, l’auteur d’une « réforma-
tion » (p. 232). Ce point est trop régulièrement affirmé dans des formules
parlantes pour ne pas avoir habité lourdement la pré-conception qui a présidé
à toute l’enquête du savant : l’opposition de la Loi et de l’Évangile, Marcion
devant les prêtres de Rome comme Luther devant ses juges, le Dieu étranger
et le Deus absconditus, Marcion vrai disciple de Paul mais qui n’en reste pas
à ses demi-mesures, la dialectique d’opposition entre AT et NT, et aussi entre
un christianisme pur et le syncrétisme catholique. Marcion est vraiment le
« chaînon manquant » entre Paul et Luther. Il est aussi l’homme de la Bible,
c’est-à-dire du seul et unique NT, avec ses deux piliers, l’Évangile et Paul. Il
a été un initiateur prodigieux et a influencé l’Église de manière décisive, ne
serait-ce que par réaction. Marcion a voulu libérer celle-ci de l’AT, mais
l’Église l’a conservé à titre prudentiel. Tout cela aboutit à une thèse célèbre :
« Rejeter l’AT au IIe siècle était une faute que la Grande Église a rejetée avec
raison ; le conserver au XVIe siècle était une fatalité à laquelle la Réformation
n’a pas encore été capable de se soustraire ; mais, depuis le XIXe siècle, le
conserver encore dans le protestantisme comme document canonique est la
114 B. SESBOÜÉ

conséquence d’une paralysie religieuse et ecclésiale » (p. 240). Bref, si l’AT


peut rester une bonne lecture, il faut lui retirer son autorité canonique et ne
plus le considérer à l’égal du NT. Le christianisme de Marcion est bien près
d’être celui de Harnack. Celui-ci a répondu à un certain nombre de critiques
faites à sa monographie, en maintenant ses vues, mais en apportant
quelques précisions sur le Dieu de l’AT, qui n’est pas un Dieu mauvais
(comme dans le manichéisme), mais un Dieu juste au sens où la loi peut être
dite juste, mais qui ne sauve pas pour autant. Tertullien avait bien vu que « la
séparation entre la Loi et l’Évangile constitue l’œuvre propre et principale de
Marcion » (Contre Marcion I,19).
La question du rapport entre AT et NT est à l’évidence au cœur de la
pensée chrétienne et le livre de Harnack renvoie irrésistiblement son lecteur
au respect des auteurs du NT à l’égard de l’Ancien et aux grandes
affirmations des Pères de l’Église sur le dessein de Dieu qui ne fait rien
« soudainement », et s’exprime dans l’histoire à travers la corrélation entre la
prophétie et l’accomplissement. Ce lecteur pense aussi à tout le poids de la
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typologie — qui est plus qu’une simple allégorie — et qui permet de
comprendre chrétiennement l’AT. Il a du mal à admettre que la « falsification »
du message évangélique ait pu remonter vraiment à ces origines. Reste
toujours la manière de comprendre et d’articuler cette corrélation fondamen-
tale. Harnack met le doigt sur ce point sensible et souvent douloureux, car il
est inévitablement solidaire de la relation historique entre juifs et chrétiens.
B. Lauret se pose, avec d’autres chercheurs contemporains, la question de
l’actualité de Marcion. Dans une étude très fouillée, il reprend l’analyse du
thème d’un « christianisme pur » avant et après Harnack. Il reconnaît
volontiers que le schéma Loi-Évangile chez Harnack est outrageusement
simplifié et retrace l’itinéraire dégagé par le savant allemand de ce rapport :
subordination (Église ancienne), contraste (la Réforme), sélection/exclusion
(la tâche actuelle de l’Église). B. Lauret est aussi préoccupé par le rôle
historique que l’« antijudaïsme » de Harnack, radicalement proposé en 1924,
a pu jouer sur l’antisémitisme qui se développait déjà et alimenter les thèses
nazies. Il est vrai que des théologiens appartenant au groupe des « chrétiens
allemands », utiliseront son œuvre.
Émile Poulat fait un point détaillé de la réception de Harnack et de Marcion
dans la science française, de Duchesne à nos jours. Guy Monnot situe les
marcionites dans le cadre de l’hérésiologie musulmane. Enfin Michel Tardieu,
spécialiste de la gnose, remarque qu’aucune découverte du type de celle de
Nag-Hammadi n’a pu nous permettre de revenir aux textes originaux de
Marcion. Nous en sommes toujours réduits à le connaître à travers ce qu’en
disent ses adversaires. Tardieu note le ton passionné et lyrique du livre de
Harnack, qui tranche avec celui de ses œuvres précédentes et le conduit à
contredire certaines affirmations de son Manuel d’histoire des dogmes. Il
apporte enfin un certain nombre de compléments venus du progrès des
études marcionites depuis Harnack. L’ouvrage se termine par un impression-
nant répertoire bibliographique raisonné de tout ce qui a été écrit sur Marcion
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 115

de 1689 à 1921, c’est-à-dire avant Harnack, et ensuite de 1921 à 2002. Le


répertoire alphabétique est complété par diverses autres entrées. Nous
avons affaire avec cet ouvrage avec une somme sur Marcion par Harnack
interposé.

6. M. MARCOVICH donne une édition critique du De Resurrectione mortuo-


rum attribué à Athénagore. Cette présentation, très scientifique, ajoute en
appendice les Scholies d’Aréthas (Xe siècle) présentes dans le Codex A et le
texte parallèle Sur la résurrection attribué à Justin (sur lequel nous aurons à
revenir), repris de l’édition de K. Holl, mais elle ne comporte malheureuse-
ment pas de traduction. Nous ne disposons que d’un seul manuscrit de base
(codex d’Aréthas 913-914, copié pas son secrétaire Baanes) où le texte suit
celui de la Supplique au sujet des chrétiens d’Athénagore, mais les inscrip-
tions de ce manuscrit sont une addition des mains de Baanes et d’Aréthas.
Un doute demeure donc. La critique interne a étudié les ressemblances entre
la Supplique et le traité Sur la résurrection : les citations communes sont peu
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probantes, et M. Grant a souligné des différences doctrinales entre les deux

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ouvrages. Les positions sont donc très contrastées : L. W. Barnard et en
particulier B. Pouderon sont les grands champions de l’authenticité (cf. notre
recension de l’étude de ce dernier sur Athénagore d’Athènes dans RSR 80
[1992], p. 103-104, et de son édition et traduction du texte dans S.C. 379,
RSR 82 [1994], p. 423-424). M. Grant y est opposé, situe le texte à la fin du
IIIe ou au début du IVe siècle et le voit dirigé contre Origène. W.R. Schoedel
est du même avis, mais situe ce traité dans les discussions post-origéniennes
sur la résurrection. H. E. Lona place même le traité à la fin du IVe siècle.
E. Gallicet refuse lui-aussi l’authenticité, mais situe l’œuvre dans le cadre de
la littérature apologétique à la fin du IIe siècle. N. Zeegers-Vander Vorst
estime qu’il appartient à la littérature apologétique du IIe siècle et s’adresse
aux païens. La position finale de Marcovich, exprimée avec prudence, est
que l’opuscule n’est pas d’Athénagore, qu’il a été composé à la fin du
IIe siècle et qu’il est adressé avant tout aux païens.
Quoiqu’il en soit de l’authenticité, le texte est naïf et médiocre. Son
argumentation, peu consistante, est plus le fait d’un rhétoricien habile que
d’un vrai philosophe et manque d’unité et de cohérence. Ce n’est pas faire
injure à Athénagore que de lui dénier cette paternité. Disons en terminant que
Marcovich ne tient pas non plus l’authenticité de l’opuscule attribué à Justin
sur le même sujet.

7. Du pseudo-Athénagore passons donc au pseudo-Justin — au risque de


revenir au véritable Athénagore –, avec l’étude critique de M. HEIMGARTNER
d’un autre traité Sur la résurrection attribué à Justin. Ce court texte n’avait
pas encore fait l’objet d’une étude attentive et formelle. La littérature
secondaire à son sujet est très limitée. Justin lui-même ne parle pas de cet
écrit et le catalogue d’Eusèbe ne le mentionne pas. Jérôme et la bibliothèque
de Photius l’ignorent. Mais Jean Damascène et Procope de Gaza le citent au
début du VIe siècle. Les chercheurs sont divisés : les français sont plutôt
116 B. SESBOÜÉ

contre l’authenticité depuis Le Nain de Tillemont et Maran ; G. Archambault et


A. Puech ont émis des doutes graves à son sujet ; mais aujourd’hui P. Pri-
gent, et B. Pouderon la retiennent ; les allemands étaient d’abord plus
favorables en raison de la citation qu’en fait Méthode d’Olympe : Zahn, suivi
en un premier temps par Harnack, estimait, sans se prononcer formellement,
qu’il n’est pas invraisemblable que l’opuscule ait été écrit par un auteur situé
entre Irénée et Méthode, ce qui nous rapproche d’une authenticité possible.
A. Wartelle, après une comparaison des vocabulaires et de la grammaire,
estime que ceux-ci ne justifient pas l’authenticité justinienne. Heimgartner
essaie de sortir de cette aporie et d’avancer sur une question non-résolue, en
apportant un point de vue nouveau par rapport aux méthodologies précé-
demment utilisées.
Son enquête progresse en quatre temps : 1. D’abord l’attestation : l’attri-
bution à Justin ne remonte qu’au VIe siècle, alors que le texte est utilisé dès
les années 180 à Antioche (Théophile), Lyon (Irénée), et un peu plus tard à
Carthage (Tertullien) et Alexandrie (Clément). La citation de Méthode
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d’Olympe (18 mots) ne peut constituer un argument en faveur de l’authenti-
cité, car elle se situe dans le cadre de la discussion autour de la théologie
d’Origène. L’identification avec une partie du Syntagma perdu de Justin reste
une pure hypothèse. 2. Ensuite le texte édité sur la base d’une tradition plus
large que celle de Holl, la meilleure jusqu’à présent. L’auteur donne le
stemma des différents manuscrits, puis le texte et la traduction allemande des
divers fragments. Son travail apporte bien des éclaircissements et des
précisions sur la transmission, mais le texte de Holl demeure substantielle-
ment. 3. Vient alors l’étude du contenu et du contexte. Puisque l’authenticité
ne peut être décidée à partir de l’attestation, il est nécessaire d’analyser en
détail le contenu de l’opuscule sur la base du texte réédité. Le résultat de
cette enquête montre que les adversaires visés sont, d’une part, les
Encratites de l’entourage de Jules Cassien et, d’autre part, les arguments
anti-chrétiens de Celse. Dans l’horizon se trouve aussi la Lettre de Rhegi-
nos : cette lettre et le Discours vrai de Celse sont présupposés dans l’écrit,
dont l’auteur connaît également les ouvrages authentiques de Justin. 4. En
terminant, Heimgartner situe l’opuscule à la fin du IIe siècle, entre 153 et 185
à Alexandrie. Quant à l’auteur il propose l’hypothèse d’Athénagore. Les
arguments qui contestent l’authenticité justinienne sont à ses yeux décisifs :
ils sont tirés de la différence de style, de langue, de citations bibliques et de
nombreuses particularités de contenu. Au contraire, si la comparaison entre
la Supplique d’Athénagore et le texte Sur la résurrection qui lui était attribué
se révélait négative, elle donne ici des résultats très positifs et révèle une
parenté bien plus proche qu’avec les vrais écrits de Justin. Cette nouvelle
attribution a pour conséquence de confirmer l’inauthenticité de l’autre traité
Sur la résurrection attribué à Athénagore. L’auteur reconnaît qu’il est plus
difficile d’affirmer une authenticité que de la nier. Il conclut à une grande
vraisemblance de sa thèse. Mais il se fait aussi l’objection inévitable :
pourquoi l’opuscule ne serait-il pas d’un auteur inconnu, puisqu’il a vécu
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 117

longtemps sans attribution ? En tout cas le résultat a le mérite d’être ferme et


clair. Il étonne en un temps où les chercheurs visent plus à nier des
authenticités qu’à les prouver. L’histoire dira s’il rencontre un réel consensus.
Le travail de Heimgartner, d’une haute qualité scientifique, donne en
appendice le texte du Florilège dit de Vatopédi « Contre ceux qui disent que
les âmes existent avant les corps humains », l’édition critique de l’Epitome de
Procope de Gaza, une concordance du vocabulaire et une abondante
bibliographie.

8. Revenons maintenant au vrai Justin avec les études de C.D. ALLERT


intitulée Révélation, vérité, canon et interprétation à partir du Dialogue avec
Tryphon. L’auteur entend en effet rendre compte de la pensée de l’apologiste
à partir de ces quatre concepts. Il répond d’abord à ceux qui tiennent que le
Dialogue s’adresse avant tout aux païens. Une analyse rigoureuse des
arguments invoqués en ce sens, puis de ceux en faveur d’une destination
chrétienne et juive, conduit à la conclusion qui s’impose : le dialogue a été
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écrit en vue d’une audience juive. — En ce qui concerne le concept de

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révélation chez Justin, Allert fait appel à l’itinéraire philosophique et religieux
de l’apologiste, tel que celui-ci le décrit au début du Dialogue, dans sa
rencontre avec le vieillard. Justin recherchait la vérité dans le contexte du
moyen platonisme. Formé à l’idée platonicienne de la connaissance de Dieu,
il s’ouvre à celle de la parole entendue ou vue. Car le Logos se révèle. Le but
de la révélation est la venue du Logos en son incarnation. Justin a donc
changé sa conception de la connaissance de Dieu : Dieu s’est fait connaître
par les prophètes. C’est pourquoi il utilisera les prophètes et les mémoires
des Apôtres comme sources de la connaissance de Dieu. Ce que les
premiers avaient annoncé, les seconds en ont décrit l’accomplissement. Le
mouvement platonicien partait de la quête de l’homme, le mouvement
chrétien, révélé par le vieillard, vient de l’initiative de Dieu qui se donne à
connaître. Justin entend bien rester toujours un philosophe, car la révélation
appartient à son épistémologie. — Le Dialogue est aussi une longue recher-
che de la vérité, dont les conceptions sont différentes chez les hébreux, les
grecs et dans le NT. Si le début du Dialogue (1-9) est proche des dialogues
platoniciens, la suite (10-142) est une explication de la vérité trouvée : le texte
se fait alors apologie et l’argument prophétique devient la preuve de la vérité.
Parce que Justin a trouvé la vérité, il éprouve le besoin de l’exposer. La vérité
ne peut être connue directement que par quelqu’un qui a entendu ou vu Dieu,
comme ce fut le cas des prophètes. Le centre de cette présentation de la
vérité est l’événement de Jésus Christ, Verbe incarné. Dans ce concept de
vérité l’histoire est centrale, puisque tout culmine dans la vérité-salut pour
tous les hommes en Jésus Christ. (L’auteur reconnaît qu’il n’existe pas de
parallèle entre la théologie justinienne du Logos et l’évangile de Jean. Justin
ne cite jamais le prologue, p. 177-178). — La question qui se pose d’une
référence au canon du Nouveau Testament dans le Dialogue conduit à
celle des « harmonies » des quatre évangiles réalisées dès avant Tatien.
L’auteur estime que la source citée par Justin est une harmonie. Il entend
118 B. SESBOÜÉ

aussi distinguer le concept d’Écriture de celui de canon. Écriture désigne un


écrit reconnu comme faisant autorité ; canon désigne une collection d’écrits
estimée exclusive. Ce second concept est anachronique au temps de Justin,
car s’il présuppose celui d’Écriture, l’inverse n’est pas vrai. Justin a le sens du
statut du concept d’Écritures, mais il ne se réfère pas à celui de canon. Nous
sommes avec lui au cours du lent processus qui conduira vers une collection
fixée des écrits chrétiens. — Le dernier concept étudié est celui de l’inter-
prétation. L’exégèse de Justin est avant tout fonctionnelle. Elle reconnaît
deux lois : celle de l’AT, réservée aux Juifs, et la nouvelle alliance. Elle est
christocentrique et pour cette raison propose deux parousies du Christ, la
première du Messie souffrant, la seconde du Messie glorieux. — L’ouvrage
donne en appendice les citations et allusions évangéliques trouvées dans le
Dialogue. Il ne comporte pas de conclusion générale, ce que l’on peut
regretter, car, si les quatre concepts retenus sont analysés avec grande
compétence, on voit moins bien l’unité du projet et la capacité de ces études
à rendre compte de l’ensemble de la théologie de Justin.
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9. R. MINNERATH et M. BOURLET introduisent et traduisent deux documents
anonymes mais importants de l’apologétique des IIe et IIIe siècles, que le
P. Hamman considérait comme jumeaux en même temps que différents,
L’Apologie à Diognète et l’Exhortation aux Grecs, longtemps mise sous le
nom de Justin. L’introduction présente le développement du genre apologé-
tique et décrit les caractéristiques thématiques des deux opuscules. La
publication du premier texte se dit justifiée par les progrès de la recherche
depuis la belle édition d’H.I. Marrou. Mais, si l’annotation est assez riche,
l’introducteur, qui fait le point des questions toujours en suspens (unité du
texte, auteur, date et lieu), n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport
aux positions de Marrou. Pour L’exhortation aux Grecs, il reste très prudent
sur les mêmes questions (en particulier pour l’attribution à Jules l’Africain) et
situe l’œuvre dans la deuxième moitié du IIIe siècle où elle aurait été placée
sous le patronage de Justin. Les traductions sont agréables à lire et l’ouvrage
comporte les éléments pédagogiques habituels à la collection des Pères
dans la foi.

10. E. OSBORN présente avec culture, élégance et clarté la pensée d’Iré-


née rassemblée sous quatre concepts-clés correspondant à autant d’étapes
de son livre, l’intelligence et l’amour du Dieu unique (dont les attributs vont de
l’opulence à l’omniprésence) ; l’économie du salut dessinée par l’unique
créateur, architecte plein de sagesse et architecte du temps, en même temps
que roi souverain (l’auteur fait ici appel aux œuvres de Vitruve sur l’architec-
ture) ; la récapitulation comme réforme et achèvement, inauguration et
consommation de toutes choses ; la participation enfin, ici envisagée selon
quatre aspects : participation à la vérité à travers la règle de foi et la lecture
des Écritures prophétiques qui expriment la pensée et la volonté de Dieu ;
participation à la beauté (une esthétique théologique chez Irénée, à la
manière de Balthasar) ; participation à la vie (selon la loi de la progression qui
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 119

conduit l’homme de la création à la résurrection) ; participation enfin à la


bonté ou l’éthique de la participation (lien entre bonté et vérité ; le poids de la
liberté de l’homme). La conclusion revient sur la théologie de la gloire de Dieu
et sur l’homme.
Signalons seulement, parmi beaucoup d’autres, quelques considérations
suggestives qui émaillent le livre : les deux schèmes irénéens en tension sur
le rapport entre image et similitude, le rapport esprit/Esprit, la théologie de la
gloire ; de discrètes critiques adressées à l’utilisation des idées de M. Fou-
cault par le grand livre de A. Le Boulluec sur la notion d’hérésie (cf. RSR 76
[1988], p. 607-610) ; l’analyse de l’argument prophétique et des principes de
l’interprétation biblique chez Irénée, le rôle des images, la formation de la
Bible chrétienne et le statut du canon des Écritures à son époque (avec
peut-être une référence exagérée à la tradition orale par rapport au texte écrit
des évangiles pour les paroles du Seigneur, selon les vues de Y.-M.
Blanchard), la typologie, le rapport original d’Irénée à Jean et à Paul. Tout ce
qui touche à la Bible est particulièrement intéressant. Bref, ce livre limpide
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constitue, plus qu’une introduction à Irénée, une sorte de bilan de sa pensée.

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11. V. MINET est préoccupée par la question du corps pour des raisons
médicales et culturelles. Elle a essayé de l’éclairer théologiquement en
étudiant la théologie du corps chez saint Irénée sous le titre L’empreinte
divine. Son étude approche le problème du corps d’un triple point de vue :
l’anthropologie (l’homme comme corps, âme et esprit/Esprit ; l’homme créé à
l’image et à la ressemblance de Dieu ; l’image manifestée dans l’ouvrage
modelé lui-même) ; la christologie (le rôle médiateur de la chair et du corps
dans la personne du Verbe incarné) ; et l’eschatologie (la résurrection de la
chair, de la chair à l’Esprit, l’eucharistie, et la capacité de la chair à recevoir
l’incorruptibilité). Cela nous vaut une série d’analyses minutieuses et très
bien informées des grands textes de l’évêque de Lyon sur le thème du corps.
L’auteur manifeste un réel jugement dans l’interprétation et reste au plus près
des textes. À ce titre son travail rendra grand service. Mais il manque d’une
synthèse correspondant au sérieux de ses analyses et dégageant quelques
grandes avenues doctrinales. L’auteur reste très dépendante des auteurs
récents qu’elle cite avec presque trop de respect. La conclusion revient avec
justesse à l’apport de la pensée d’Irénée pour notre monde de culture.

II. Le IIIe siècle : Clément et Origène (de 12 à 23)

12. Clément d’ALEXANDRIE, Les Stromates, Stromate IV, Intr., texte critique et
notes par Annewies Van Den Hoek, trad. de Claude Mondésert, « Sources
chrétiennes » 463, Cerf, Paris, 2001, 368 p.
13. Clément d’ALEXANDRIE, Paedagogus, ed. M. Marcovich, avec J.C.M. Van
Winden, “Supplements to Vigiliae Christianae”, vol. LXI, Brill, Leiden-Boston,
2002, p. 240 p.
120 B. SESBOÜÉ

14. ORIGÈNE, Homélies sur les Nombres III, Homélies XX-XXVIII, Texte latin de
W.A. Baehrens (G.C.S). Nelle éd. par Louis Doutreleau, « Sources chrétien-
nes » 461, Paris, Cerf, 2001, 396 p.
15. ORIGENES, Contra Celsum. Libri VIII, edidit M. Marcovich, « Supplements to
Vigiliae Christianae », vol. LIV, Brill, Leiden-Boston-Köln, 2001, 638 p.
16-17. Pamphile et Eusèbe de CÉSARÉE, Apologie pour Origène, suivi de Rufin
d’Aquilée, Sur la falsification des livres d’Origène, texte crit., trad. et notes
par René Amacker et Éric Junod, t. 1-2, « Sources chrétiennes » no 464
et 465, Cerf, Paris, 2002, 338 et 316 p.
18. Daniel HOMBERGEN, The second Origenist Controversy. A New Perspective
on Cyril of Scythopolis’Monastic Biographies as Historical Sources for
Sixth-Century Origenism, “Studia Anselmiana” 132, Pontificio Ateneo S. An-
selmo, Roma, 2001, 448 p.
19. F. LEDEGANG, Mysterium Ecclesiae. Images of the Church and its members in
Origen. « Bibliotheca Ephemeridum theologicarum lovaniensium » CLVI,
University Press, Uitgeverij Peeters, Leuven, 2001, 848 p.
20. Henri de LUBAC, Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène,
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Œuvres complètes XVI, Cerf, Paris, 2002, 650 p.
21. Origene maestro di vita spirituale, a cura di Luigi F. Pizzolato e Marco Rizzi,
“Studia patristica Mediolanensia” 22, Vita e Pensiero, Milano 2001, 316 p.
22. Attila JAKAB, Ecclesia alexandrina. Évolution sociale et institutionnelle du
christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), « Christianismes anciens » vol. 1,
Peter Lang, Bern-Berlin etc., 2001, 376 p.
23. Patricia Andrea CINER, Plotino y Origenes. El Amor y la Unión Mistica,
Ediciones del Instituto de Filosofia, UNCuyo, Republica Argentina, 2001,
226 p.

12. Nous avons déjà fait le point de l’état de la traduction aux Sources
Chrétiennes des Stromates de Clément d’ALEXANDRIE (RSR 88, [2000],
p. 281-282) et présenté la parution du Stromate VI (RSR 90, [2002],
p. 258-259). Voici maintenant le Stromate IV, dont le P. Mondésert, grand
spécialiste de Clément, avait pu achever la traduction avant sa mort en 1990.
A. van den Hoek a repris pour base de l’établissement du texte l’édition de
Stählin-Früchtel-Treu (GCS 52/2, Berlin 1972/3) qu’elle a corrigée sur un
certain nombre de points dont la liste intégrale est fournie. Elle a restitué le
mouvement de l’œuvre dans son introduction et a abondamment annoté le
texte. Une bonne bibliographie et une série d’index complètent cette excel-
lente édition. Ne restent donc à éditer et à traduire que le Stromate III, et les
fragments du VIII.
Ce Stromate porte sur le martyre et la perfection du gnostique. Mais il est
bien difficile d’en dégager un plan, tant les méandres de cette « tapisserie »
sont variés. Clément y fait un large usage de sa grande culture en citant les
poètes, les philosophes grecs et les textes de l’Écriture. Le moraliste y
trouvera nombre de réflexions judicieuses sur les différentes vertus, en
particulier la foi, l’espérance et la charité, et la conduite d’une vie vraiment
gnostique, c’est-à-dire contemplative. L’évocation du martyre, auquel il ne
faut pas s’offrir spontanément, donne lieu à des pensées sur la souffrance, la
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 121

persécution et l’héroïsme, en particulier celui des femmes, qui sont tout


autant capables de perfection et de philosophie que les hommes. L’influence
stoïcienne est sensible, en particulier en ce qui concerne l’impassibilité et
l’attitude devant la mort. Les références au Christ et aux apôtres, et plus
généralement à la Bible, pénètrent et animent, élèvent et couronnent une
réflexion hautement philosophique.

13. L’établissement critique du texte du Pédagogue de Clément était


jusqu’à présent celui réalisé par Otto STÄHLIN en 1905 (G.C.S. 12). C’est la
seconde édition de ce texte (1936) que redonnaient, avec quelques correc-
tions les trois tomes des Sources chrétiennes (70, 108 et 158, H.-I. Marrou,
M. Harl, C. Mondésert, C. Matray), en parallèle avec la traduction française.
M. Marcovich estimait que cette édition n’était plus satisfaisante, en particu-
lier parce que Stählin n’avait pas été assez attentif à la pensée de Clément
et aux problèmes textuels. Celui-ci en était d’ailleurs conscient et avait
apporté de nombreuses corrections à son premier travail. Une nouvelle
édition critique était donc devenue nécessaire. La tradition manuscrite se
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réduit à un seul manuscrit, le Parisinus, et à deux apographes de ce
manuscrit pour les parties manquantes ou défectueuses. Marcovich a
cherché à améliorer l’édition de Stählin là où le texte transmis ne donnait pas
de sens, en se référant aux sources de Clément et à son propre lexique. Le
volume ne donne que le texte grec et son apparat critique, sans aucune
annotation et ajoute en appendice au texte un certain nombre de scholia.

14. Avec ce troisième volume de la nouvelle édition des Homélies sur les
Nombres d’Origène, L. DOUTRELEAU achève l’œuvre entreprise de rénover
l’ancienne édition de 1951 (no 29 des « Sources chrétiennes ») selon les
normes scientifiques de la collection en présentant les homélies XX-XXVIII.
Ce bulletin a recensé les deux volumes précédents (RSR 85, [1997], p. 633
— sous la plume de M. Fédou — et 90, [2002], p. 259). Le troisième est de
la même qualité et l’on ne saurait trop remercier L. Doutreleau de son travail
patient et fécond.

15. M. MARCOVICH donne une nouvelle édition des huit livres du texte grec
du Contre Celse d’Origène. Il rend compte dans son introduction de la
tradition manuscrite directe (surtout le Codex Vaticanus graecus 386) et
indirecte (la Philocalie composée par Basile de Césarée et Grégoire de
Nazianze), et des débats sur la valeur respective de chacune ; il fait le point
des travaux de P. Koetschau et de A. Robinson à la fin du XIXe siècle ; il
évoque la découverte du papyrus de Toura dont la valeur est inestimable ; il
loue la traduction de H. Chadwick et la « meilleure édition existante » due à
M. Borret aux Sources chrétiennes, — la première à utiliser le papyrus de
Toura. L’éditeur se pose alors la question : « Après les œuvres monumenta-
les de Koetschau et de Borret pourquoi une nouvelle édition du Contre Celse
était-elle nécessaire ? ». La réponse tient au fait que ni Koetschau ni Borret
n’ont été suffisamment attentifs aux erreurs et aux lacunes du texte transmis
par les scribes anciens. C’est à ces erreurs que s’attaque principalement
122 B. SESBOÜÉ

cette édition nouvelle. L’éditeur affirme que les corrections introduites par lui
sont légion. Il a suivi, ce faisant, les traces de Élie Bouhéreau qui, vers 1700,
avait contribué à restaurer le texte original d’Origène, plus que bien des
scholars modernes. Il affirme présenter au lecteur un texte raisonnablement
digne de confiance.
Le volume ne comporte que le texte grec avec son apparat critique, une
bibliographie sélective et les index usuels des œuvres citées et des noms
propres. Il ne propose aucune introduction à cette œuvre d’Origène et ne
donne aucune note. Son intérêt ne vient donc que de l’amélioration du texte.
Des collations que nous avons opérées par sondages dans chacun des huit
livres du Contre Celse, entre le texte édité par M. Borret et celui de
Marcovich, ne donnent que de très maigres résultats. Les deux textes sont
quasi identiques et les apparats critiques très proches. De temps à autre,
mais sur des points minimes tenant à la ponctuation, à un terme ou à une
expression mise entre crochets, à un verbe composé ou simple, à l’attribution
à Celse d’un texte annoncé par Origène en style indirect, les deux auteurs
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font un petit choix différent. Sans doute certains progrès philologiques ont-ils

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été réalisés. Quoi qu’il en soit, regrettons que Marcovitch n’ait pas lui-même
indiqué les principaux passages à propos desquels ses corrections ont une
réelle importance pour la compréhension du Contre Celse. Mais on se
tromperait à penser que « les erreurs et lacunes » mentionnées par lui
puissent concerner le sens même de l’écrit d’Origène. Ses corrections
n’invalident en rien l’œuvre magistrale que constituent l’édition, la traduction
et les abondantes notes de Marcel Borret.

16-17. Les « Sources chrétiennes » éditent et traduisent pour la première


fois de façon scientifique l’Apologie pour Origène rédigée par Pamphile avec
l’aide d’Eusèbe de Césarée au début du IVe siècle. Les éditeurs, R. Amacker
et E. Junod, présentent rapidement ce dossier historiquement complexe, tel
que Rufin nous l’a laissé. Ce dernier a traduit en latin le texte de Pamphile,
sans doute en intervenant lui-même ici ou là dans les réflexions mises sous
le nom de Pamphile, surtout quand il lui attribue la défense du consubstantiel.
Il a donné une préface à l’ouvrage et il écrit lui-même un opuscule intitulé Sur
la falsification des livres d’Origène. Sa thèse est que les hérétiques ont
souvent interpolé les œuvres des auteurs catholiques : ils ont donc pu le faire
aussi pour Origène. Rufin en conclut qu’ils l’ont fait, en s’appuyant sur une
lettre d’Origène se plaignant de la chose. Dans le texte de Pamphile, nous
avons à faire au début de la première querelle origéniste au IVe siècle (vers
307-310) ; avec Rufin, nous sommes à la fin du même siècle, vers 397. Le
débat avec Jérôme est intervenu entre temps.
Le texte grec de l’Apologie pour Origène de Pamphile est perdu. Nous
n’avons accès qu’à un livre sur six, à travers la traduction de Rufin. D’autre
part, Pamphile a pour méthode de justifier Origène à partir des propres textes
de l’Alexandrin qui occupent les deux-tiers de l’ouvrage. Des 70 citations, 34
ne nous sont connues que par cette Apologie. On en voit donc l’intérêt, car
elles nous ramènent à Origène lui-même. Pour ne prendre qu’un exemple,
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 123

signalons le magnifique texte sur le corps humain du Christ, extrait du De


Resurrectione, et qui montre à quel point Origène était attaché, contre toute
forme de docétisme, à l’humanité de Jésus (no 113 ; p. 179 sq.)
Pamphile entend montrer la pleine orthodoxie d’Origène, homme « catho-
lique et ecclésiastique », qui a vieilli et combattu dans l’« l’Église catholi-
que », et est resté fidèle à la tradition de la foi, telle qu’elle était transmise à
son époque. Il rappelle avec pertinence que la méthode d’interprétation des
Écritures selon Origène ne se présente pas comme apodictique. L’Alexandrin
cherche, fait des conjectures, avoue ses hésitations, invite son lecteur à
trouver mieux. Il n’est jamais dogmatique dans sa manière de parler, chaque
fois qu’il s’agit d’un point qui n’est pas encore clarifié par la tradition.
Pamphile cite le prologue du Peri Archôn, qui donne la liste des vérités
fermement affirmées par la tradition ecclésiastique au IIIe siècle : Trinité et
christologie, anthropologie (la philosophie de l’âme), création, résurrection et
eschatologie, interprétation des Écritures. Origène fait lui-même le point de
ce qui est défini et de ce qui ne l’est pas à son époque. Il donne même le
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portrait de l’hérétique. Chacun des points sur lesquels Origène était attaqué

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au début du IVe siècle sera éclairci par des citations de l’Alexandrin.
La traduction est excellente dans son ensemble et l’annotation très riche.
Quelques remarques cependant : pourquoi avoir traduit presbyterii dignitate,
par dignité sacerdotale et non par dignité presbytérale ? Les deux termes
n’étaient pas synonymes pour Rufin. Pourquoi avoir traduit subsistentia, par
principe existentiel et non pas tout simplement par « subsistence » (avec un
e comme l’habitude s’est prise pour les textes patristiques), puisque le terme
grec hypostasis est gardé en référence dans la traduction de Rufin ?
Les éditeurs s’étaient contentés dans le premier tome d’une présentation
brève. Leur second volume donne une longue étude circonstanciée de la
composition et du contenu du dossier, situé dans son contexte. Ils se livrent
à une évaluation de la vérité historique propre aux deux témoins-adversaires
que sont Jérôme et Rufin. Le premier est obsédé par le Peri Archôn et réfute
de façon mordante les thèses de Rufin. Il prétend que l’auteur de l’Apologie
est Eusèbe et non Pamphile. Mais sa bonne foi est parfois prise en défaut. De
son côté, Rufin se montre trop crédule. Sa théorie des interpolations
hérétiques dans l’œuvre d’Origène est une construction de son esprit. Son
opuscule demeure cependant fort intéressant sur l’histoire des fraudes
littéraires dans l’antiquité chrétienne. D’autres chapitres de cette étude
présentent des témoignages anciens intéressant le dossier, analysent le
genre littéraire de ce premier livre (discours rhétorique de forme judiciaire), la
langue de Rufin et enfin la tradition manuscrite. On trouve en annexe un
commentaire philologique et de nombreux index. Cette édition constitue une
petite somme d’érudition sur l’Apologie pour Origène.

18. De cette première controverse origéniste passons à la seconde, même


si celle-ci nous éloigne considérablement de la pensée véritable d’Origène.
D. HOMBERGEN, sous le titre, La seconde controverse origéniste, reprend le
dossier de ce qui s’est passé dans le monde monastique palestinien dans les
124 B. SESBOÜÉ

décennies qui ont précédé 553. Car notre documentation provient exclusive-
ment de sources hostiles. La principale est constituée par les biographies
monastiques écrites par Cyrille de Scythopolis. La précision des correspon-
dances historiques et des détails chronologiques donnés par cet auteur a
amené les historiens des temps modernes jusqu’à aujourd’hui (B. Flusin) à le
considérer comme un véritable historien et à lui faire confiance. C’est ce
préjugé trop favorable que l’auteur soumet à critique, au nom d’une fréquen-
tation des textes qui a accumulé ses doutes. Cyrille a décrit la seconde
controverse origéniste à la lumière de la « victoire » remportée sur les
origénistes ; son information était de seconde main et s’inscrit dans un
schème d’interprétation qu’on est en droit de soupçonner de partialité.
L’auteur présente donc en détail le corpus cyrillianum, plus particulièrement
la Vie de Sabas et la description qu’il donne de l’origénisme. Il analyse le
genre littéraire de ces biographies, celui de l’hagiographie issue de la
tradition initiée par la Vie d’Antoine d’Athanase. Il utilise le terme de
« discours hagiographique », proposé par M. de Certeau et repris par Van
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Uytfanghe, caractérisé par la stylisation de certains thèmes et archétypes.
On peut aussi parler de « biographie spirituelle ». L’hagiographie ne va pas
sans faire un certain angle avec la vérité historique ; or, c’est dans ce cadre
de biographies monastiques que l’histoire de l’origénisme se trouve incluse.
Cyrille accuse en particulier d’avoir été un leader du parti origéniste un
certain Léonce de Byzance que la critique identifie couramment avec le
théologien connu sous ce nom. Or ce que nous connaissons des œuvres du
théologien ne correspond nullement à cette accusation. Si l’on ne veut pas
remettre en cause l’identité des deux personnages, le témoignage de Cyrille
est alors sujet à caution. En fait, le portrait de Léonce de Byzance dépeint par
Cyrille apparaît comme une caricature, surtout quand celui-ci accuse Léonce
d’avoir été un crypto-origéniste prétendant défendre le concile de Chalcé-
doine. Hombergen en arrive ainsi à réhabiliter la thèse de Loofs en 1887.
Cyrille a écrit un récit partisan en faveur d’anti-origénistes qui défendaient en
même temps Théodore de Mopsueste dans l’affaire des Trois chapitres.
Cependant, la thèse de Loofs doit être conciliée avec la dénonciation
modérée de Théodore par Cyrille. Cela conduit à penser à une conversion du
camp anti-origéniste à l’orthodoxie impériale, qui prit ses distances avec
Théodore autour de 553. Il convient aussi de distinguer chez Léonce les
plans dogmatique et spirituel. Léonce n’est nullement origéniste au sens
doctrinal, position qui est aussi celle de B. Daley. Mais certains passages de
ses écrits révèlent une familiarité avec la spiritualité d’Evagre et l’environne-
ment inspiré par le mysticisme évagrien. La question devient donc celle du
conflit entre deux visions de la vie spirituelle. Le récit de Cyrille est erroné sur
les points les plus essentiels et reflète davantage les opinions postérieures
à 553 que les événements relatés. Cette conclusion ouvre la voie à de
nouvelles recherches, si l’on veut avoir une idée plus exacte du monde
monastique de la première moitié du VIe siècle, et prêter une plus grande
attention à la dimension spirituelle et cachée de cette crise. En définitive,
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 125

nous ne savons pas qui étaient les origénistes de Palestine au VIe siècle. Le
conflit central se joua sans doute entre deux conceptions de la vie monasti-
que. Tout ceci ne doit pas conduire à une réhabilitation complète des
origénistes, mais demande de reprendre sur des bases nouvelles la nature
du conflit. Ce gros travail fait fonctionner à bon escient le soupçon qui doit
habiter tout historien.

19. C’est une véritable somme origénienne que livre F. LEDEGANG avec la
traduction anglaise de sa thèse parue en hollandais en 1992 et intitulée
Mysterium ecclesiae. Images de l’Église et de ses membres chez Origène.
L’auteur regrette l’oubli de l’ecclésiologie de l’Alexandrin dans les manuels, et
introduit son travail par la recension des recherches sur ce point depuis 1950
(en particulier les études de J. Chênevert en 1965 et de J. Losada en 1969).
Après une brève réflexion sur le problème naguère discuté entre allégorie et
typologie chez Origène, il justifie son propos d’étudier les images en tant
qu’images, c’est-à-dire un langage figuratif qu’il est difficile de systématiser
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en raison de la « souplesse du sens métaphorique ». Chaque image consti-

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tue un monde en lui-même qui a sa propre organicité et enveloppe l’Église
dans son ensemble, mais aussi chacun des croyants selon leurs différentes
fonctions.
Les images majeures retenues et analysées, chacune comme un tout qui
peut être lu séparément, sont au nombre de cinq : l’Église corps du Christ,
l’épouse du Christ, la famille du Christ, la maison et le sanctuaire, le peuple
de Dieu. Un sixième chapitre rassemble les images secondaires tirées « du
mystère sacramentel de la nature ». Chaque chapitre est une véritable
monographie, étudiant sous tous ses aspects l’image considérée. — Celle du
corps a une portée évidemment anthropologique, puisqu’elle essaie de
rendre compte des relations d’intériorité et d’inhabitation nouées entre le
Christ et les chrétiens. Toutes les fonctions du corps (yeux, bouche, langue,
lèvre, oreilles, chevelure, mains, pieds, etc.) sont inventoriées ; l’âme n’est
pas oubliée. Enfin le Christ est la tête de ce corps et de tout le cosmos. —
L’Église épouse du Christ nous ouvre un nouveau monde et plonge dans le
commentaire du Cantique des cantiques, du Psaume 45, de Mt 22,1-14 et
25,1-13, et d’Ep 5. Origène donne une place importante à l’Église des
gentils. Mais l’épouse sainte et pure est aussi la prostituée menacée de
divorce. Chaque âme connaît des vicissitudes dans son itinéraire entre péché
et sainteté. — La famille du Christ détaille ce qui revient à la mère, aux fils,
aux filles (avec la légère misogynie reprochée à Origène), aux enfants et aux
adultes, aux frères et aux sœurs, et enfin aux serviteurs. Cette image a des
racines scripturaires mais elle n’intervient pas comme telle dans le NT. En fait
l’image de l’Église-mère est subordonnée à celle de l’épouse. — L’image de
la maison « bâtie de pierres vivantes » (1 Pi 2,5), et du sanctuaire ou du
temple, permet de détailler le rôle des constructeurs et celui de chaque
pierre. Le Christ est à la fois le bâtisseur, l’architecte et le rocher sur lequel
l’édifice repose. Tous les éléments de la construction (piliers, poutres, etc.)
prennent sens. Le sanctuaire et le temple, lieux de l’habitation de Dieu, ainsi
126 B. SESBOÜÉ

que les objets du culte, sont des images du futur culte christocentrique. — Le
chapitre sur le peuple de Dieu reprend toute l’histoire du salut depuis la
création. Les grands personnages de l’AT (Noé, les patriarches, les Ju-
ges, ...), de même que les événements fondateurs (le passage de la mer
rouge, l’exode, la conquête de la terre promise) sont des images de l’Église
en train de se construire, jusqu’au passage au second peuple de Dieu,
l’Église proprement dite. Un trait intéressant, parmi tant d’autres, est la place
donnée par Origène au rôle respectif des Juifs et des gentils, car ce sont des
croyants venant des deux univers qui constituent l’Église. Cette perspective,
fondée sur Ep 2, a été trop oubliée dans l’ecclésiologie classique. — Le
chapitre 6 recueille tout ce qui sur la terre multiplie les symboles des réalités
spirituelles : le cosmos, la terre habitée, les arbres et les plantes, les
animaux, la montagne et la lumière, les nuées, la mer et le sel. Le bestiaire
spirituel d’Origène est prodigieusement riche, avec le bœuf et l’âne, le cheval
et le chien, le cochon, la gazelle et le lion, le renard et le serpent, le chameau,
sans parler des oiseaux et des poissons.
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L’auteur s’est interdit toute systématisation de l’ecclésiologie d’Origène. En
conclusion, il livre pourtant une esquisse descriptive de celle-ci. L’Église est
toujours visée selon l’histoire du salut : elle est préexistante à sa réalisation
historique, présente dès le commencement et même dans le dessein éternel
de Dieu. Le peuple de Dieu de l’AT, le peuple de l’alliance en constitue la
première réalisation. La venue du Christ fait de lui le fondateur du nouveau
peuple de Dieu, celui qui rassemble désormais aussi les païens. Cette Église
qui croit au Père, au Fils et au Saint-Esprit devient son corps et son épouse.
L’auteur poursuit sa présentation en suivant le schème des quatre marques
de l’Église : unité (dans la pluralité des offices et des fonctions), sainteté
(mais aussi péché, hérésie, discipline de la pénitence), catholicité (« Hors de
l’Église pas de salut ») et apostolicité.
Cet ouvrage est le type parfait d’une étude de thèmes. À propos de
chacune des images, démultipliées presque à l’infini, l’auteur enquête dans
l’œuvre d’Origène et analyse avec minutie les textes afférents. L’ampleur de
l’enquête dépasse même le domaine de l’ecclésiologie et s’étend à toute la
théologie d’Origène. Car l’auteur sait le lien entre l’ecclésiologie et l’anthro-
pologie, la christologie et la pneumatologie. Il rend ainsi le service de mettre
à la disposition de son lecteur la richesse particulièrement inventive des
métaphores multiples développées par l’Alexandrin. Il fait également l’inven-
taire des commentateurs modernes. Cet ensemble de monographies cons-
titue un instrument de travail qui sera très utile à tout connaisseur d’Origène.
Par exemple, l’ecclésiologie africaine est en train de redécouvrir la théologie
de l’Église-famille : les théologiens intéressés par cette perspective seront
heureux de trouver ce thème largement mis en œuvre par Origène. Mais trop
attaché à l’analyse et à la description, l’auteur est resté prisonnier de son
désir de ne pas systématiser. La conclusion finale, quelque peu formelle, ne
constitue pas une synthèse à la hauteur des analyses. Le lecteur a du mal à
dégager de grandes avenues dans cette épaisse forêt.
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 127

20. La publication des Œuvres complètes du Cardinal Henri de Lubac,


entreprise par G. CHANTRAINE, consacre son tome XVI à la réédition du grand
livre que fut Histoire et Esprit. L’intelligence de l’Écriture d’après Origène,
paru en 1950. Le volume contient une présentation de l’œuvre par Michel
Fédou qui en retrace la genèse en son temps, souligne le travail de
« réhabilitation » d’Origène, « homme d’Église », réalisé par le P. de Lubac
dans son interprétation de l’exégèse des trois sens de l’Écriture mise en
œuvre par l’Alexandrin. Il montre la fécondité de cet ouvrage pour la théologie
de la seconde moitié du XXe siècle. Les éditeurs ont ajouté à ce volume deux
autres écrits concernant Origène : la préface donnée au livre de H. Crouzel
sur Origène et la « connaissance mystique », sous le titre « transposition
origénienne », et une longue étude publiée dans le Bulletin de littérature
ecclésiastique de Toulouse sur « La querelle du salut d’Origène aux temps
modernes ». Michel Fédou a assuré la traduction française des nombreuses
citations ou expressions grecques et surtout latines dont le P. de Lubac
émaillait spontanément ses textes. Ce travail de patience rendra un incon-
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testable service aux nouveaux lecteurs peu latinistes. Le volume s’achève

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par huit pages d’errata recensés dans le texte primitif par G. Chantraine et
M. Fédou, et un précieux index des noms de personnes, qui manquait à
l’édition primitive.
On ne peut que remercier les deux éditeurs du sérieux de leur travail. Mais
il est difficile de ne pas exprimer aussi un regret qui vaut pour la totalité de
l’édition des Œuvres complètes de H. de Lubac. Des contraintes financières
ont conduit à la réimpression anastatique du texte primitif gardé tel quel avec
sa pagination originelle. De ce fait, les errata n’ont pu être corrigés dans le
texte lui-même et donnent lieu à une liste difficilement utilisable ; la traduction
des textes grecs et latins n’a pu être insérée en note à la page où les citations
ont été faites. Le lecteur qui veut en profiter doit sans cesse quitter la page
qu’il lit pour se reporter à la fin du volume. Il est vraiment dommage qu’une
entreprise si importante pâtisse ainsi d’un manque d’argent et ne puisse
donner le texte vraiment amélioré que méritait l’œuvre du P. de Lubac.
Espérons que des mécènes permettront de pallier cette lacune pour la suite
de l’édition.
Histoire et Esprit, recensé aussitôt dans cette revue par Jean Daniélou
dans son « Bulletin des origines chrétiennes » (RSR 37, [1950], p. 605-
606 1), est un ouvrage qui n’a pas vieilli. À cinquante années de distance il
ouvre encore aujourd’hui une voie royale à la compréhension de l’exégèse
origénienne. Sans doute certaines vues ont pu être complétées, voire
corrigées par des recherches plus récentes comme celles de Jean Pépin, de
Pier Cesare Bori (Cf. RSR 80, [1992], p. 139-142) ou d’autres. Mais l’essen-
tiel demeure intact : c’est la mise au jour des trois grilles différentes qui
rendent compte, avec souplesse et selon des harmoniques subtiles, des trois

1. J. Daniélou regrettait déjà les « erreurs typographiques [qui] déparent un peu


ce beau livre ».
128 B. SESBOÜÉ

sens de l’Écriture dans la recherche inlassable d’Origène. Cette réédition


invite à la relecture.

21. Sous le titre Origène maître de vie spirituelle le « Groupe italien de


recherche sur Origène et la tradition alexandrine » du département des
sciences religieuses de l’Université de Milan propose, en trois temps, les
contributions données au cours d’un Congrès sur la spiritualité origénienne.
1. À propos du contexte, Ch. KANNENGIESSER fait le point des nombreuses
recherches accomplies au long d’un XXe siècle très « origéniste », de
G. Bardy, R. Cadiou et J. Daniélou, à P. Nautin et H. Crouzel, en passant
évidemment par Histoire et Esprit de H. de Lubac. Ces recherches ont en
particulier renouvelé la connaissance de la vie d’Origène et ont proposé une
nouvelle herméneutique de son œuvre. L’étude aborde également les débats
concernant le caractère systématique ou non de l’œuvre du grand alexandrin.
— R. Cacitti revient sur le point controversé des « thérapeutes d’Alexan-
drie », enthousiastes et apôtres de la sobria ebrietas, sur lesquels Eusèbe
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nous a laissé une notice (HE II,16,A) qui les présente comme les premiers

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hérauts de l’Évangile à Alexandrie, hérauts restés en lien avec le judaïsme de
la ville. On pourrait peut-être parler ici de frères en un premier temps
« jumeaux », selon l’expression mise en avant par André Paul. Peut-être
avec Origène nous trouvons-nous devant la « troisième fondation » du
christianisme à Alexandrie. — M. Rizzi traite du fondement épistémologique
de la mystique de Clément d’Alexandrie. Il montre qu’elle part du modèle
exprimé en 1 Co 13 : la foi correspond à la logique, l’espérance à la gnose ;
la nouvelle archè promise, qui ouvre le discours sur Dieu, correspond à
l’agapè. La philosophie chrétienne chez Clément se résout dans le silence
mystique de l’assimilation à Dieu. — 2. En ce qui concerne la doctrine
spirituelle d’Origène, L. Perrone commente le De oratione en s’appuyant sur
quelques passages du Contre Celse : la prière est une ascèse qui conduit à
la connaissance de Dieu, par le colloque qu’elle institue. — G. Lettieri traite
d’Origène interprète du Cantique des cantiques, à partir des deux homélies
qui livrent le secret de sa mystique. La visée est anti-gnostique, mais
l’Alexandrin reste passionné par le mythe valentinien et en tire des analogies
pour l’interprétation du personnage de l’épouse. — G. Bendinelli présente le
« maître » origénien situé entre l’amour des lettres et la recherche du Logos.
Le didaskalos représente un ministère distinct de celui du prêtre et de
l’évêque ; il est le chercheur en Écritures celui qui interroge le texte biblique
dans un climat de gratuité. — G.Lozza propose une comparaison rapide
entre les exégèses d’Origène et de Grégoire de Nysse sur le Pater noster.
3. L’influence de la spiritualité origénienne a été peu étudiée jusqu’à présent.
G. Visona fait une place importante à l’influence d’Origène sur la spiritualité
d’Ambroise dans une étude qui montre l’étroitesse de la dépendance du
milanais par rapport à l’Alexandrin. — N. Pace évalue l’exactitude de Rufin et
de Jérôme dans la présentation des idées d’Origène sur l’exégèse d’Ephé-
siens, à partir du commentaire de Jérôme et de l’Apologie de Rufin, thème
important dans la première querelle origénienne. L’exactitude de Rufin est
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 129

considérable, même s’il se livre à certaines exagérations. Jérôme prend plus


de recul mais sa position reste confuse et ambiguë. — B. McGinn propose
une série de quatre sondages sur l’influence d’Origène en Occident : Scot
Erigène, Bernard de Clairvaux, Hildegarde de Bingen, Maître Eckhart.
L’ensemble de ces études constitue un ensemble intéressant, mais reste
insuffisamment unifié.

22. Sous le titre Ecclesia alexandrina, A. JAKAB retrace avec toute la


prudence du scientifique l’histoire sociale et institutionnelle du christianisme
alexandrin depuis ses débuts fort obscurs jusqu’à la fin de l’épiscopat de
Denys. Cette thèse, qui fut dirigée à Strasbourg par A. Faivre, constitue le
correspondant, pour la période antérieure, de celle d’Annick Martin sur
Athanase d’Alexandrie et l’Église d’Égypte au IVe siècle (cf. RSR 85 [1997],
p. 640-643). « Alexandrie la Grande » est décrite depuis sa fondation, selon
sa géographie et son histoire, sa population et son statut juridique, avec
l’importante colonie juive qui y habitait non sans tension avec le reste de la
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population. C’est alors que commence l’exploitation mesurée des quelques

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sources dont nous disposons pour retracer l’émergence de la communauté
chrétienne dans la ville. Pour le Ie siècle, nous ne disposons d’aucun
document. Nous ne savons pas quand ni comment le christianisme est arrivé
à Alexandrie. Les Actes des Apôtres ne parlent jamais de cette ville, si ce
n’est pour dire qu’Apollos en était originaire (Ac 18,24-25). Aussi paraît-il
difficile de se fier au témoignage d’Eusèbe sur l’évangélisation de la cité par
Marc, alors que cette donnée est ignorée par Irénée, Clément et Origène. Il
s’agirait d’un « mythe fondateur ». Pour le IIe siècle la recherche est d’autant
plus méritoire que le jugement admis était que « nous ne savons rien » de
l’implantation du christianisme à Alexandrie. L’auteur estime cependant
pouvoir rassembler quelques informations relativement nombreuses, mais
fragmentaires et éparpillées, et donner « un tableau exact des incertitudes ».
Dans cette communauté « plurielle » il resitue l’importance respective des
courants « gnostique » (Basilide et Valentin, les écrits de Nag Hammadi) et
« non gnostique » (avec l’utilisation d’un passage de Justin, Apol. I,29,2-3).
Mais rien ne permet de trancher la question de savoir si le premier
christianisme alexandrin fut d’origine gnostique ou non. Il serait d’ailleurs
prématuré de parler déjà ici d’« orthodoxes » et d’« hétérodoxes ».
« L’École d’Alexandrie » est décrite et définie à partir des témoignages
anciens et de prises de position modernes très contrastées : « École caté-
chétique » (E. de Faye) et « Institution ecclésiastique » (A. Méhat), pour en
revenir finalement à la position de G. Bardy. L’origine de l’École fut le fait, vers
180, de l’initiative privée de Pantène dont on ne sait pratiquement rien.
Clément vient après lui, — ce qui ne veut pas dire formellement qu’il « lui
succède » selon la formule d’Eusèbe — entre 195 et 202, mais sans plus de
mandat. On ne le connaît qu’à travers ses œuvres et ses auditeurs semblent
appartenir à la classe aisée de la ville. Le terme d’inculturation est bien trouvé
pour exprimer certains aspects de sa pensée. L’École ne devient école
officiellement reconnue et constituée qu’avec Origène. Quant au curriculum
130 B. SESBOÜÉ

de ce dernier, l’auteur distingue les deux phases de son existence et essaie


de tirer des écrits de l’époque de Césarée des indications utiles pour
l’institution ecclésiale d’Alexandrie. Il discute avec acribie les informations
données par Eusèbe et se réfère souvent à la biographie d’Origène par
P. Nautin. Deux points surtout sont abordés : la nature de l’enseignement
d’Origène à Alexandrie (avec son double niveau, catéchétique d’une part,
philosophico-théologique ou « universitaire » d’autre part) et les raisons de
son départ de la ville.
La préoccupation majeure de l’auteur est de montrer le développement
institutionnel de l’Église d’Alexandrie tout au cours du IIIe siècle, dont Origène
est le témoin privilégié, en particulier en ce qui concerne la hiérarchie
ecclésiastique. L’analyse des témoignages de Clément sur la trilogie des
ministères ordonnés dans la ville à son époque est d’une réserve quelque
peu soupçonneuse, mais l’émergence du terme « technique » de laïc est bien
montrée. L’auteur retrace alors l’affirmation grandissante du « mono-
épiscopat », avec Démétrios, Héraclas et surtout Denys le Grand. Un
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chapitre, inspiré de Clément, propose une description du style de vie de la

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communauté chrétienne aisée de la ville ; un second, plus dépendant
d’Origène, s’attache à la vie ecclésiastique et sacramentaire, en particulier en
ce qui concerne la pénitence et le mariage. Pour le premier de ces
sacrements, il est étonnant que l’auteur ignore les études approfondies de
K. Rahner, parues dans cette revue, concernant « La doctrine d’Origène sur
la pénitence » (RSR 37 [1950], p. 47-97 ; 252-286 ; 422-456).
Ce livre comble avec richesse et talent une lacune importante dans notre
connaissance des débuts de l’Église d’Alexandrie. On doit louer l’auteur de
sa grande prudence devant les incertitudes de notre documentation (à une
exception près peut-être, par son insistance sur la situation dite « embryon-
naire » de la communauté d’Alexandrie à la fin du IIe et au début du
IIIe siècle). Certaines études récentes pèchent par le prurit de vouloir décider
de ce qui est indécidable au regard de nos sources. La modestie de certains
jugements est au service de la vérité.

23. Signalons une nouvelle étude de P. A. CINER sur Plotin et Origène.


Bien qu’Origène soit l’aîné des deux, l’auteur justifie son titre, qui se distingue
du classique Origène et Plotin de H. Crouzel, parce que les analyses
thématiques des deux auteurs commencent toujours par Plotin. La thèse
majeure de l’ouvrage souligne les différences : Plotin reste un continuateur et
un rénovateur de la tradition platonico-pythagoricienne, tandis qu’Origène est
avant tout un théologien chrétien. L’exposé, très didactique, est construit sur
l’opposition entre l’érôs plotinien et l’agapè origénienne. L’enjeu de l’agapè
n’est pas sans conséquence pour la théologie trinitaire et permet de laver
l’Alexandrin du soupçon trop répété de subordinatianisme. Dans la pensée
d’Origène, le Fils est à la fois subordonné et égal au Père, avec identité de
nature et égalité de pouvoir, thèse admise par Athanase et Hilaire (on pourrait
ajouter Basile). La subordination ne réside que dans le fait que le Père est
père et origine des deux autres personnes. Les autres grands thèmes de la
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 131

théologie origénienne sont également éclairés par la question de l’amour.


L’étude, influencée par les positions de H. Crouzel, est suggestive.

III. Le IVe siècle : Athanase, Basile, Grégoire de Nysse (de 24 à 37)

24. Athanasius von ALEXANDRIEN, Epistula ad Afros. Einleitung, Kommentar und


Übersetzung von Annette von Stockhausen, “Patristiche Texte und Studien”
Band 56, Walter de Gruyter, Berlin-New York, 2002, 366 p.
25. ASTERIUS, Psalmenhomilien. Eingeleitet, übersetzt und Kommentiert von
Wolfram Kinzig, erster und zweiter Halbband, « Bibliothek der Griechischen
Literatur » 56-57, Anton Hiersemann, Stuttgart, 2002, 626 p.
26. Nathan KWOK-KIT Ng, The Spirituality of Athanasius. A Key for Proper
Understanding of this Important Church Father, “Publications Universitaires
Européennes”, Series XXIII, Theology, vol. 733, Peter Lang, Bern-Berlin etc.,
2001, 392 p.
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27. Basilio tra Oriente e Occidente, Convegno Internazionale « Basilio il Grande

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e il monachesimo orientale », Collectif, Edizioni Qiqajon, Comunità di Bose,
2001, 288 p.
28. Origene e l’Alessandrinismo Cappadoce (III-IV secolo), Quaderni di “Vetera
Christianorum” 28, Atti del V. Convegno del Gruppo Italiano di ricerca su
« Origene e la tradizione alessandrina », a cura di Mario Girardi e Marcello
Marin, Epiduglia, Bari, 2002, 390 p.
29.30.31.Lexicon Gregorianum. Wörterbuch zu den Schriften Gregors von Nyssa,
hrggb. von der Forschungsstelle Gregor von Nyssa an der Westfälischen
Wilhems-Universität. Leitung : Wolf-Dieter Hauschild. Band III, ear-
heôsphoros, bearbeitet von Friedhelm Mann, Brill, Leiden-Boston, 2001,
850 p. ; Band IV, zalè-iôta, bearbeitet von Friedhelm Mann, 2002, 510 p. ;
Band V, kagkasmos-kôphoô, bearbeitet von Friedhelm Mann, Brill, 2003,
560 p.
32. Anne Richard, Cosmologie et théologie chez Grégoire de Nazianze, « Col-
lection des Études Augustiniennes. Série Antiquité » 169, Institut d’Études
Augustiniennes, Paris, 2003, 552 p.
33. Francesco PILLONI, Teologia come sapienza della fede. Teologia e filosofia
nella crisi ariana del IV secolo, “Nuovi saggi teologici” 56, Edizioni Deho-
niane, Bologna, 2003, 200 p.
34. Andrew CARRIKER, The Library of Eusebius of Caesarea, “Supplements to
Vigiliae Christiane, vol. LXVII”, Brill, Leiden-Boston, 2003, 358 p.
35. Ephrem de NISIBE, Hymnes sur la nativité. Intr. par François Graffin, trad. du
syriaque et notes par François Cassingena-Trévedy, « Sources chrétien-
nes », no 459, Cerf, Paris, 2001, 344 p.
36. Les apophtegmes des Pères 2, Collection systématique. ch. X-XVI, intr.,
texte crit., trad. et notes par Jean-Claude Guy, « Sources chrétiennes » 474,
Cerf, Paris, 2003, 420 p.
37. I Padri DEL DESERTO, Detti editi e inediti. Intr., scelta e trad. a cura di Sabino
Chialà e Lisa Cremaschi, monaci di Bose, Ed. Qiqajon, Comunità di Bose,
2002, 318 p.
132 B. SESBOÜÉ

24. Annette von STOCKHAUSEN a voulu s’intéresser à la Lettre aux Afri-


cains, écrit du « dernier » Athanase, qui a jusqu’ici trop peu retenu l’attention.
L’intérêt de cette lettre, qui constitue une reprise et un complément plus
tardifs à la Lettre sur les décrets du concile de Nicée est de porter sur le
Symbole de ce concile, fermement reconnu comme norme de la foi. Les
évêques africains destinataires de la Lettre sont fondamentalement fidèles au
sens de Nicée, et sont liés aux homéousiens, mais ils restent toujours
attaqués par les homéens qui veulent gagner leur région à leur cause. La
date exacte de l’écrit, qui se situe entre 366 et 373, est difficile à établir. Une
étude minutieuse de la situation ecclésiastique de l’époque la place dans le
courant de 367, donc avant la date de 369 souvent retenue. L’authenticité de
la lettre était généralement jugée hors de question jusqu’à une récente prise
de position contraire de Ch. Kannengiesser : l’auteur la tient fermement et se
contente de répondre point par point aux divers arguments de l’objectant.
Quant à la forme et au genre littéraire, il s’agit bien d’une lettre qui en
comporte tous les éléments, et une étude analytique en précise les relations
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avec d’autres écrits d’Athanase, pour ce qui concerne en particulier l’intro-

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duction des expressions ek tès ousias et homoousion dans le Symbole de
Nicée. A. von Stockhausen n’oublie pas la langue, la stylistique et la forme de
l’argumentation.
La seconde partie de l’ouvrage s’intitule Commentaire. On y trouve le texte
intégral de la lettre, selon le texte établi dans l’édition des Œuvres d’Atha-
nase, initiée par Opitz et récemment reprise (cf. RSR 85, [1997], p. 639-640),
ainsi que sa traduction allemande. Le tout est divisé en paragraphes assez
courts, faisant place à un abondant commentaire historique, théologique et
grammatical. De nombreuses indications historiques permettent de mieux
comprendre la conjoncture exacte de la lettre et sa visée. Les expressions
principales et les mots-clés au plan doctrinal sont passés au crible. Cette
somme d’érudition constitue un instrument de travail désormais nécessaire
pour la compréhension du rôle d’Athanase dans l’apologie du Symbole de
Nicée. On regrettera seulement que l’ouvrage ne comporte aucune conclu-
sion, permettant de faire un bilan un peu synthétique des enjeux théologiques
et historiques de cette lettre.

25. Marcel RICHARD avait publié en 1956 une collection de 31 Homélies


sur les Psaumes dues à un Astérius qu’il identifia, ainsi que Eiliv Skard, avec
Astérius le Sophiste, auteur arien de la première génération. Cette identifi-
cation n’avait pas été contestée à l’époque, mais les recherches de W. Kinzig
ont conduit à estimer que ni le style ni la théologie de ces Homélies ne
consonnent avec ce que nous savons du Sophiste, et que les attestations
extérieures ne suggèrent nullement de manière convaincante cette attribu-
tion. La réfutation de l’opinion de M. Richard a trouvé progressivement un
assentiment chez les chercheurs. Le corpus est homogène et doit être
attribué à un seul auteur. Il s’agit donc de le cerner au plus près et d’en
estimer la date. Nous ne savons de cet Astérius que ce que lui-même nous
dit de lui, c’est-à-dire pas grand’chose. Kinzig situe l’acmè de l’auteur et donc
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 133

l’écriture des Homélies entre 395 et 410, c’est-à-dire sensiblement plus tard
que dans l’hypothèse de l’attribution au Sophiste. Asterius devait être prêtre,
mais certainement pas évêque. Il doit avoir vécu en Palestine ou en Syrie de
l’Ouest, vraisemblablement à Antioche (où il y avait encore à cette époque
une forte communauté néo-arienne), et dépend de Jean Chrysostome. Il a
fait de bonnes études en droit et l’on peut penser qu’il est passé par les
écoles juridiques de Beyrouth.
Le genre littéraire est celui d’homélies destinées à la prédication publique
et non d’un ouvrage d’exégèse, comme Richard l’avait montré. La Bible
d’Astérius comprend les deutérocanoniques, et elle est proche de celle de la
tradition antiochienne. Astérius semble avoir eu à sa disposition un recueil de
testimonia renvoyant à une recension très ancienne, mais chrétienne, des
Psaumes. L’auteur est un témoin de leur interprétation « prosopologique »,
mise en relief par Marie-Josèphe Rondeau, qui est à la recherche de celui qui
parle dans le Psaume et de celui à qui le locuteur s’adresse. Son exégèse se
situe dans une position moyenne entre le sens littéral et le sens allégorique
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et se tient assez proche de celle d’Eusèbe de Césarée (tout en s’en

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distinguant par la pratique de la prosopologie). Quatre critères dominent ses
interprétations : un sens aigu de l’inspiration biblique, l’attention donnée au
titre et au genre littéraire du Psaume, afin d’en dégager le but (telos), la
référence au NT pour l’interprétation christologique, et enfin l’ordre de leur
succession qui a aussi valeur pour l’interprétation. Kinzig donne également
une analyse précise de sa langue et de son vocabulaire, comme de son style
assez typique et dit « asiatique » pour son usage de l’arsenal rhétorique et
son maniérisme. Astérius est animé par un réel antijudaïsme, il polémique
souvent avec les hérétiques tels qu’il les conçoit ; il est mesquin à l’égard des
païens. Mais le jugement de Kinzig sur Astérius est plus bienveillant que celui
de Skard. Ce n’est pas un exégète du rang d’Origène, de Didyme ou de
Diodore, mais il reste un bon témoin de l’homilétique chrétienne. Kinzig
donne la traduction allemande des 31 Homélies, sur la base du texte établi
par Richard, avec une abondante annotation. Son excellent travail jette une
lumière nouvelle sur la situation de ce corpus dans le cadre de l’exégèse
pastorale des Psaumes à la fin du IVe siècle.

26. C’est à une réhabilitation de la personnalité d’Athanase que se livre


N. Kwok-kit Ng avec son étude consacrée à la spiritualité du pape d’Alexan-
drie. Un certain nombre d’études modernes, en effet, ont patiemment déchiré
l’image « sublime » du pieux évêque, défenseur de l’orthodoxie nicéenne et
victime à ce titre de longues périodes d’exil. Depuis la fin du XIXe siècle
nombreux ont été les chercheurs en patristique qui, à la lumière des
documents provenant du camp arien, ont décrit Athanase comme un politi-
cien avide de pouvoir, violent et menteur, polémiquant pour des raisons qui
n’avaient rien à faire avec la foi. Le mot de « gangster » a même été
prononcé à son sujet. D’autres patristiciens sont cependant restés dans la
visée traditionnelle et aujourd’hui une position plus « centriste » se fait jour.
L’auteur propose d’apporter au débat la clé que constitue la spiritualité
134 B. SESBOÜÉ

d’Athanase, thème qui permet de mettre en regard ses actions et ses paroles.
Par spiritualité il faut entendre sa conviction religieuse exprimée par sa vie
intérieure et son comportement extérieur.
Une triple analyse des écrits d’Athanase est alors proposée : d’abord, celle
de ses écrits théologiques, car la séparation entre théologie et spiritualité
n’existait pas à l’époque. L’anthropologie et la sotériologie d’Athanase nous
présentent la création de l’homme dans le bien, son statut d’image de Dieu,
sa vocation à contempler Dieu, mais aussi sa chute, et enfin son salut par le
Verbe incarné qui lui permet de reprendre sa route vers la contemplation
divine grâce à une vie vertueuse. Cette vision dégage le chemin d’un progrès
spirituel qui conduit l’homme à Dieu. Il y a ensuite l’ensemble des enseigne-
ments ascétiques et monastiques qui s’inscrivent dans la tradition ecclésiale
et trouvent leurs racines dans les Écritures et les anciens Pères. Athanase
invite les vierges et les moines à la vie ascétique et les achemine à la
contemplation, sans qu’il s’agisse pour lui d’un programme de politique
ecclésiastique. Certaines interprétations données à ce sujet sont inaccepta-
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bles. Enfin, la Vie d’Antoine, œuvre centrale étant donné l’influence qu’elle a
exercée, montre que la voie vers Dieu a été rendue accessible par Jésus-
Christ. On y retrouve l’influence de la tradition biblique et patristique, et
spécialement celle d’Origène. Les chrétiens doivent cheminer sur la voie de
Dieu en cherchant à contempler Dieu avec une âme pure et dans une vie
vertueuse. L’ascèse est un moyen de l’avancement spirituel. Ces trois
enquêtes manifestent une grande cohérence entre ces divers témoignages.
Le point décisif sera donc de vérifier si la même cohérence existe entre ces
différents écrits et la « pratique » personnelle d’Athanase. L’auteur revient
alors aux débats du XXe siècle. Le « London papyrus 1914 », publié en 1924
et daté de 335, serait une nouvelle preuve de l’inconduite d’Athanase et est
venu alimenter une reconstruction de l’histoire de la crise arienne hostile à
l’évêque. Mais un jugement tout à fait autre est exprimé par Ch. Kannengies-
ser qui, en 1988, s’est insurgé contre le formidable préjugé de soupçon qui
semble s’être imposé aux études athanasiennes. D. W.-H. Arnold va dans le
même sens et propose une réinterprétation du témoignage de l’auteur arien
Philostorge et du fameux « London papyrus 1914 ». L’histoire de la vie
d’Athanase, suivie étape par étape, montre comment sa spiritualité a été
mise en œuvre dans sa propre vie et dans sa gestion de la controverse avec
les Ariens. C’est par une longue patience qu’il a pu obtenir la victoire finale.
Il a recherché toujours son réconfort en Dieu, orienté vers la récompense
céleste et porté par sa foi religieuse. En définitive, Athanase s’est inscrit dans
la tradition de la foi chrétienne telle qu’Alexandre la lui avait transmise. Les
deux sources antagonistes sont tellement contradictoires qu’elles sont irré-
conciliables. Constantin ne disait-il pas lui-même qu’il ne restait personne
que l’on put croire en l’affaire ? L’ensemble des accusations portées contre
Athanase est donc injustifié. À la limite elles lui font déjà le reproche de la
religion opium du peuple au profit des nantis et des puissants. L’évêque
d’Alexandrie était un homme de son temps et, à l’exemple de ses maîtres
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 135

Alexandre et Antoine, il a été motivé par sa propre spiritualité, fortement


monastique. Il a vécu ce qu’il enseignait ; sa conviction de foi et sa spiritualité
l’ont toujours conduit. L’intérêt de cette étude est d’avoir montré une
cohérence entre doctrine et pratique personnelle qui rend toute duplicité
impossible. Il est permis de renouveler notre compréhension de la crise
arienne, sans pour autant accabler Athanase.

27. Sous le titre très adapté de Basile entre l’Orient et l’Occident, plusieurs
groupes de chercheurs italiens présentent les actes d’une rencontre tenue en
Cappadoce sur le rôle de Basile dans le développement du monachisme.
Une première partie étudie Basile en son temps. Les contributions se réfèrent
inévitablement à la recherche de J. GRIBOMONT, quitte à apporter quelques
nuances ou tempéraments aux jugements parfois excessifs du bénédictin. Il
s’agit en particulier du cas douloureux d’Eustathe de Sébaste, grand témoin
de la vie ascétique en Cappadoce dans la première moitié du IVe siècle —
non sans un radicalisme exagéré —, qui tomba ensuite dans l’hérésie au
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sujet du Saint-Esprit. Basile lui devait beaucoup et le considérait comme son

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maître. La réhabilitation qu’en a donné Gribomont ne permet cependant pas
d’ignorer un caractère à la fois instable et entêté dans les questions
doctrinales. Le dossier de cette histoire depuis le concile de Gangres (vers
341) est ici repris (J. Driscoll) avec ses conséquences pour les orientations
du mouvement ascétique. L’action de Basile va dans le sens d’un meilleur
équilibre, plus social et plus ecclésial. J.-R. Pouchet revient sur la personna-
lité exceptionnelle de « l’homme-orchestre » que fut Basile à partir de sa
correspondance. Comment, dans une vie relativement brève, a-t-il pu être
présent sur tant de théâtres d’opérations ? À propos du rigorisme de Basile,
E. Baudry analyse sa conception du péché ; L. Cremaschi met en relief
certains traits de la vie commune dans les communautés basiliennes. Une
seconde partie aborde l’influence de Basile sur la tradition monastique
ultérieure, non seulement en Orient (monachisme byzantin, russe, Syrien et
Arménien), mais aussi en Occident (A. de Vogüé). Nous ne donnons ici qu’un
bref aperçu d’un ouvrage riche d’un large contenu.

28. Le groupe italien de recherche sur « Origène et la tradition alexan-


drine » publie sous le titre Origène et l’alexandrinisme cappadocien (IIIe-
IVe siècles) un ensemble de monographies distribué en trois sections. La
première est une présentation historico-critique du contexte, introduite par
M. SIMONETTI. Sur la base d’informations clairsemées et souvent incertaines,
ce dernier vise à restituer le mouvement de pensée exégétique et théologi-
que qui va d’Origène aux Cappadociens, via la rencontre du premier avec
Grégoire le Thaumaturge à Césarée de Palestine, et Firmilien dans l’autre
Césarée. Ces données, où la conjecture a sa part, ne doivent pas faire
oublier la lecture des écrits origéniens eux-mêmes par les jeunes cappado-
ciens. Le Remerciement à Origène, attribué à Grégoire le Thaumaturge —
attribution rejetée par P. Nautin, défendue par H. Crouzel, et jugée probable
par Simonetti -, est au centre du sujet. Le corps du volume est consacré à
136 B. SESBOÜÉ

l’origénisme des grands cappadociens. Basile et Grégoire de Nysse — qui


entendent rester fidèles à la priorité de l’Écriture et de la règle de foi, à
l’exemple de l’Alexandrin — prennent cependant, dans leurs commentaires
respectifs de l’Hexaemeron, leur distance à l’égard de l’exégèse spirituelle
d’Origène au profit d’une réhabilitation du sens littéral. Les deux auteurs ont
évolué par rapport à leur enthousiasme de jeunesse envers leur maître. Mais
Grégoire, dont la tournure d’esprit plus spéculative, présuppose toujours
dans ses Homélies sur les Béatitudes et sur le Cantique la légitimité de
l’allégorie, reste « un spiritualiste origénien, tempéré par l’équilibre hérité de
Basile et les précautions suggérées par les polémiques en cours » (M. Gi-
rardi). Il se sépare aussi de la thèse de la préexistence des âmes chez
Origène. En ce qui concerne Grégoire de Nazianze, J.P. Lieggi met en valeur
la parenté du thème de Dieu connaissable et inconnaissable chez Origène et
Grégoire. Une troisième partie aborde l’héritage des cappadociens, toujours
porteurs auprès d’autres auteurs (Evagre le Pontique) de la tradition d’Ori-
gène. Bien d’autres contributions judicieuses seraient aussi à signaler.
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Comme toujours dans les ouvrages collectifs, la variété des centres d’intérêt

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défie quelque peu le compte-rendu.

29.30.31. Nous saluons avec joie la parution des IIIe, IVe et Ve tomes du
Lexicon Gregorianum consacré aux œuvres de Grégoire de Nysse (cf. RSR
90 [2002], p. 268-269). L’œuvre progresse à un rythme rapide. Le réalisateur
en est toujours F. Mann. Le tome III parcourt de bout en bout la lettre epsilon.
On y trouvera des termes importants comme eikôn et ecclèsia. La forme
eipon du verbe legô et l’adjectif numéral eis donnent lieu à de véritables petits
traités grammaticaux et linguistiques. Quatre appendices viennent compléter
ce tome : le premier, dû au principal réalisateur de l’ouvrage F. Mann, est
consacré au verbe eimi selon ses différentes formes et ses multiples
significations, de la plus métaphysique à la simple copule, analysées en sept
chapitres, et comporte une centaine de pages. Il constitue une œuvre
exemplaire de philologie. L’appendice II, œuvre de V. Henning Drecoll,
regroupe en un ensemble très signifiant des mots fort importants de la
théologie trinitaire, comme energeia, energeô, ennoia, ennoéô, epinoia,
epinoeô, ergon, ergazomai, et de la christologie comme ensarkos, ensôma-
tos, enupostatos. L’appendice III, réalisé par R. Mariss est consacré au verbe
ekhô. Un quatrième appendice apporte enfin des compléments et des
corrections aux deux premiers tomes. Le tout constitue un volume assez
énorme de 850 pages.
Pour le tome IV, qui parcourt les lettres zèta et iôta, les auteurs ont renoncé
à intégrer la lettre kappa, car le volume aurait dépassé les mille pages ce qui
l’aurait rendu peu maniable. L’ensemble de l’instrument de travail dépassera
donc les sept tomes primitivement annoncés. Celui-ci traite de termes clés de
la pensée de Grégoire : vivre et vie (zaô, zôè, etc.), le vocabulaire de la
divinité (theios et theos, ce dernier article est un véritable livre de 90 pages et
de 270 colonnes), celui de la vision (en particulier theôria), celui des
propriétés (idios, idiotès, idioma), si important en théologie trinitaire. À travers
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 137

le vocabulaire c’est un véritable traité de la théologie de Grégoire qui se


constitue selon ses thèmes importants.
Le tome V embrasse toute la lettre kappa, de kagkasmos à kôphoô.
Signalons quelques termes plus importants au regard de la théologie de
Grégoire, comme kairos, kakia et kakos, révélateurs de la gestion du
problème du mal, kalos, kardia, koinônia, et encore kosmos, ktizô et ktisis,
petits traités sur la création, en enfin Kurios. Un appendice apporte quelques
compléments et corrections concernant les termes traités dans les tomes
précédents. On ne saurait exprimer trop de reconnaissance aux patients
réalisateurs d’une telle œuvre.

32. Cosmologie et théologie chez Grégoire de Nazianze, sous ce titre


A. RICHARD se livre à une analyse extrêmement fouillée de la pensée du
Cappadocien. Par cosmologie il ne faut rien entendre ici qui soit de l’ordre
scientifique — domaine pour lequel Grégoire était peu compétent et a priori
sévère —, mais une vision d’ensemble du monde et des êtres à un niveau
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métaphysique et théologique. La cosmologie concerne chez lui Dieu dans

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son rapport au monde qu’il a créé, donc sa transcendance absolue qui
dépasse toute connaissance. Les créatures se distinguent en créatures
spirituelles et créatures visibles et matérielles. Le symbole de tout ceci est
exprimé à travers l’image du Temple où le Saint des Saints, sphère divine, est
séparé par deux voiles des autres enceintes : une première tenture, devant
cinq colonnes, le sépare des créatures invisibles ; une seconde, devant
quatre colonnes, des créatures visibles. La césure la plus radicale reste celle
qui sépare Dieu du monde créé. L’homme, autre ange sur la terre, apparaît
comme un paradoxe dans cet univers bien ordonné, mais il permet de
dépasser cette dualité de base ; car il montre que l’esprit peut pénétrer la
matière et lui imprimer ses lois. De son côté, il révèle la vocation du monde
sensible à être transfiguré en Dieu, puisqu’il est à la fois spirituel et matériel.
Cette anthropologie se retrouve en christologie, où le Christ apparaît comme
l’union des extrêmes, puisque le Verbe de Dieu, en vue de sauver l’humanité,
s’anéantit pour habiter dans le créé sensible. Ces chapitres de la première
partie nous donnent de véritables monographies sur la transcendance de
Dieu et la création ; la providence et le problème du mal (traité comme chez
les autres Cappadociens dans des perspectives trop platoniciennes) ; le
monde intelligible (avec la difficile question de savoir si les anges ne
participeraient pas au cinquième élément d’Aristote, en ayant un corps
éthéré ; mais le vocabulaire de l’éther n’est sans doute qu’une métaphore
exprimant en même temps la nature spirituelle des anges et leur condition de
créatures) ; et la connaissance que les anges ont de Dieu. Le traité du ciel
pose le problème de son rapport au divin, mais Grégoire est très ferme dans
la distinction entre l’un et l’autre (le ciel lui-même appartient au monde
sensible et n’a qu’une analogie avec le monde intelligible) et s’inscrit dans la
tradition de la polémique contre l’astrologie. Le monde sensible est traité en
fonction de l’homme, puisqu’il a été fait pour lui. Son statut ontologique le met
dans une altérité radicale avec le monde intelligible, malgré le lien d’analogie
138 B. SESBOÜÉ

qu’ils entretiennent. L’homme se trouve ainsi écartelé, puisqu’il appartient à la


fois au monde spirituel et au monde sensible. Tout cet ensemble constitue
une hiérarchie dynamique qui a son origine comme sa fin en Dieu. À chaque
fois l’auteur s’impose de resituer le propos de Grégoire dans la double
tradition à laquelle il appartient : la tradition judéo-chrétienne (Philon, Justin,
Tatien, Clément, Origène), jusqu’à ses prédécesseurs immédiats (Athanase
et Basile), et la tradition de la philosophie hellénistique à laquelle il a été
formé à Athènes (Aristote, le Platon du Timée, le moyen et le néo-platonisme
avec Plotin). Chaque point traité met ainsi en série les positions diverses
jusqu’à Grégoire et l’ouvrage dépasse ainsi de beaucoup l’expression de la
pensée d’un seul théologien.
Une seconde partie, beaucoup plus rapide, aborde le Dieu trinitaire dans le
contexte de la crise arienne. Le traitement du thème classique de la
génération éternelle situe bien la dépendance de Grégoire à l’égard de son
ami Basile de Césarée pour l’élaboration de la théologie des relations.
L’indépendance de la vie Trinitaire et de cette génération par rapport au
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monde créé est soulignée. L’histoire du salut, telle que la comprend Grégoire,

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s’articule autour du Verbe de Dieu comme médiateur, à la fois en tant que
Dieu et en tant qu’homme. Il est dommage que l’auteur se justifie un peu vite
de ne pas parler de l’Esprit, alors que c’est un lieu où Grégoire apporte une
véritable nouveauté à la pensée de Basile. Le paradoxe de l’ouvrage est de
s’appesantir avec près de quatre cents pages sur la cosmologie de Grégoire,
dont l’auteur reconnaît qu’elle est d’un intérêt second pour le Théologien, et
de ne concéder que cent pages à l’étude de la Trinité dont elle affirme à juste
titre que là se trouve son apport doctrinal majeur. Le centre de gravité et
l’originalité du livre se trouvent effectivement dans le premier thème.

33. L’essai théologique et philosophique de F. Pilloni, Théologie comme


sagesse de la foi, reprend le dossier du débat de la deuxième génération
arienne, représentée par Eunome, avec les trois grands Cappadociens.
Après une mise en situation historique, l’auteur consacre un chapitre à Basile
et aux deux Grégoire, avant de revenir sur les présupposés philosophiques
de leur débat avec Eunome. L’essentiel de l’ouvrage porte sur la question
trinitaire et s’achève par une réflexion sur le débat cosmologique.
Le dossier historique, appuyé sur une large bibliographie, est bien informé.
L’auteur a raison de souligner que la méthode théologique des Cappado-
ciens, et de leur leader Basile, s’inscrit dans la confession de foi professée
lors du baptême, confession à laquelle correspond la doxologie trinitaire.
Mais il a tort de donner à penser, comme trop souvent d’ailleurs l’historiogra-
phie courante, que seul Grégoire de Nysse ait opposé à Eunome une
réponse spéculative, comme si Basile et Grégoire de Nazianze en étaient
restés à des arguments simplement doctrinaux. Malgré les dépréciations
polémiques exprimées à l’égard de la sagesse de l’extérieur, ces deux
hommes savent la mettre en pratique avec compétence. Le chapitre sur
Basile est particulièrement faible, car il ne prend pas sérieusement en compte
l’effort spéculatif intense accompli par l’évêque de Césarée sur le plan du
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 139

langage et des catégories, sur la portée des noms relatifs de Père et de Fils
— réflexion qui inspirera plus tard Augustin —, en vue de répondre à Eunome
sur le plan des raisons, plan « philosophique » annoncé par l’auteur 2. La
même critique pourrait être faite à son étude de Grégoire de Nazianze, qui
oublie que ce dernier a complété la réflexion basilienne sur les noms relatifs
en cherchant à caractériser l’origine du Saint-Esprit par une opposition
relative, celle de la procession. Ceci n’enlève rien à la valeur du Contre
Eunome de Grégoire de Nysse, dont l’auteur parle comme d’un chef-
d’œuvre, mais permet de mieux voir comment le « scholar » de la famille a
développé et systématisé les intuitions de son aîné.

34. A. J. CARRIKER nous fait visiter La bibliothèque d’Eusèbe de Césarée.


Il en retrace l’histoire qui remonte à l’installation d’Origène dans cette ville et
à l’école qu’il avait animée sur place. L’Alexandrin y déposa un certain
nombre de manuscrits : éditions et traductions des livres de l’Écriture,
instruments d’analyse des textes scripturaires (Hexaples, Tétraples), florilè-
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ges, œuvres et manuels de philosophie. Eusèbe conserva et amplifia les

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collections. Au cours du IVe siècle la bibliothèque fut fréquentée par plusieurs
Pères de l’Église, comme Grégoire de Nazianze et Hilaire de Poitiers. Elle
continua à exercer une grande influence au cours des Ve et VIe siècles. La
prise de la ville par les Perses Sassanides en 614 ne semble pas lui avoir
causé de dommages. Mais elle fut pratiquement détruite au temps de
l’occupation arabe à partir de 640. L’auteur estime que la bibliothèque
comportait 5 000 rouleaux de papyrus (et aussi un certain nombre de
codices), ce qui reste assez modeste au regard de la bibliothèque d’Alexan-
drie, dont les anciens disaient qu’elle en comportait 500 000, sans doute avec
une part d’exagération.
La méthode d’investigation consistait à partir des nombreuses citations et
références données par Eusèbe qui aimait citer les œuvres originales, à les
comparer aux autres témoins de la tradition manuscrite, et à interroger les
diverses formules d’introduction des citations. Cela permettait d’identifier les
citations qui sont de première main et de conclure qu’Eusèbe avait les textes
à sa disposition. Mais celui-ci a utilisé aussi d’autres bibliothèques comme
celle de Jérusalem. L’auteur passe ainsi en revue les différentes sections de
la bibliothèque, pour établir le degré de certitude auquel il est permis d’arriver,
degré plus facile à atteindre dans le cas de citations fermes que dans celui
d’allusions plus lointaines. Au terme de son enquête il feuillette en quelque
sorte le catalogue de la bibliothèque de Césarée au temps d’Eusèbe.
Philosophes : rien, semble-t-il, sur Aristote ; par contre, Platon (16 ou
17 dialogues intégraux), platoniciens et stoïciens très représentés, et Celse.
Poètes : ici la liste est très courte : Homère, Iliade et Odyssée, Hésiode, et

2. Celui-ci fait souvent référence à l’introduction que nous avons donnée aux
textes d’Eunome et de Basile, dans les Sources chrétiennes, mais il ignore, de même
qu’Anne Richard d’ailleurs, notre dernier ouvrage Saint Basile et la Trinité (Desclée,
1998) qui propose une analyse de tout ce débat sur le plan des raisons.
140 B. SESBOÜÉ

certaines anthologies, mais aucun orateur. Historiens : Abydène, Alexandre,


Cassius Longin, Denys d’Halicarnasse, Manéthon, Philon de Biblos. Rien de
sûr au sujet d’Hérodote, de Thucydide et de Dion Cassius. Littérature juive :
Aristobule, Josèphe, Septante et autres traductions de l’AT, apocryphes,
Philon d’Alexandrie (30 œuvres environ). Auteurs et documents chrétiens
(par ordre alphabétique) : Alexandre de Jérusalem, Anatole de Laodicée,
Apollonius, Ariston de Pella, Clément d’Alexandrie, Denys d’Alexandrie,
Héracléon, Hermas, Hippolyte de Rome, Ignace d’Antioche, Irénée de Lyon
(7 œuvres), Justin (7 œuvres), Méthode d’Olympe, nombreux évangiles et
actes apocryphes d’apôtres, Origène (21 œuvres complètes), Papias, Tatien,
Tertullien (l’Apologie), mais aussi Apollinaire de Hiérapolis, Hégésippe,
Méliton de Sardes, Théophile d’Antioche. Documents contemporains
d’Eusèbe : Maximin Daia, Constantin (nombreuses lettres), Alexandre
d’Alexandrie, Arius, Marcel d’Ancyre, Astérius le Sophiste. Les résultats
obtenus montrent la pertinence de cette curiosité pour une compréhension
meilleure de la méthode de travail des Pères de l’Église.
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35. Les « Sources chrétiennes », qui avaient déjà publié deux œuvres
d’Ephrem de Nisibe, en particulier les Hymnes sur le paradis, viennent de
donner les 28 Hymnes sur la nativité. L’introduction est signée du P. François
GRAFFIN, qui a lié son nom de travailleur infatigable à la Patrologie orientale
et qui vient de nous quitter dans sa 100e année. Que cette parution soit
l’occasion d’un hommage largement mérité, tant pour la grande compétence
de l’homme que pour sa souriante et discrète disponibilité. L’édition ne donne
pas le texte syriaque. La traduction, difficile pour un corpus poétique mais
réussie malgré quelques tournures précieuses, est de F. Cassingena-
Trévedy. Le genre littéraire est celui de couplets didactiques, séparés par un
refrain. Ephrem nous introduit aux fastes d’une liturgie orientale, tout en
donnant un enseignement. Il le fait par le jeu des formules et des antithèses
où les trouvailles sont nombreuses. Son inspiration est intarissable, parfois
prolixe, car il use largement du procédé associatif à la manière de Péguy. Elle
exprime une intériorisation lyrique des mystères du salut. La conception
virginale de Jésus est ici au premier plan de la méditation. Toute la Bible est
invitée à comparaître devant l’enfant né de Marie, dans un chatoiement
d’images. L’argument prophétique n’est pas mis en œuvre à des fins
apologétiques et théologiques, mais pour la présentation gratuite de la
beauté d’un dessein de Dieu contemplé dans tous ses tours. Les rapproche-
ments et les antinomies se répondent ; nombre de versets bibliques affleurent
en filigrane. Les correspondances symboliques sont légion, ne prenons
comme exemple que celle du parallèle entre la calomnie répandue sur la
virginité de Marie et celle sur le corps de Jésus enlevé du tombeau par ses
disciples : « Ils ont calomnié la conception : ‘Semence d’homme’ que cela ; et
aussi la résurrection : ‘Larcin d’homme’ que cela. Le sceau et le cachet les
ont condamnés et convaincus que tu étais du ciel » (X,9).
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 141

36. Les « Sources chrétiennes » publient le second tome des Apophteg-


mes des Pères, collection systématique, naguère préparée par J.C. GUY et
longtemps retardée en raison de sa mort prématurée. Le premier tome a paru
en 1993 (SC 387) grâce à la révision de B. Flusin. Il contenait la présentation
générale de la collection et les ch. I-IX (cf. RSR 82 [1994], p. 619). Ce second
tome a reçu ses finitions de B. Meunier et ne donne que du texte, celui des
chapitres X-XVI : « du discernement, la nécessité de toujours veiller, la prière
constante et vigilante, l’hospitalité et la miséricorde, l’obéissance, l’humilité,
l’endurance au mal ». Un prochain et dernier tome donnera les cinq derniers
chapitres, ainsi que les différents index et la concordance annoncée. Espé-
rons que ce volume suivra rapidement. On sait l’importance de ces collec-
tions au départ de la spiritualité monastique, à la fois en raison de la qualité
littéraire de leurs aphorismes facilement mémorisables, de leur saveur
pittoresque et de la théologie spirituelle dont elles témoignent sous une
naïveté apparente. Cette édition, fruit d’un long travail, est décisive pour la
connaissance de ce trésor patristique.
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37. Allons de l’édition scientifique à l’actualisation. Dans un élégant petit
livre, deux moines de Bose présentent une anthologie de paroles des Pères
du désert, choisies dans les différentes collections. Laissant l’ordre alphabé-
tique traditionnel et ne cherchant pas à imposer à ces « dits » un ordre
organique, les auteurs ont préféré procéder par thèmes antagonistes, pour
souligner leur caractère d’apophtegmes et de fragments d’une grande
mosaïque, que le lecteur a charge de recomposer dans l’équilibre de ses
desseins et de ses couleurs. Les rubriques des différents chapitres sont très
concrètes et se réfèrent à la vie quotidienne. Elle s’expriment souvent sous la
forme verbale, soulignant ainsi leur côté de sagesse éminemment pratique.
Les références des textes aux collections sont données. C’est un riche petit
manuel de vie spirituelle pour le quotidien, qui nous est ici proposé.

IV. Du Veau Xe siècle : théologie mariale et tradition monastique,


Maxime le Confesseur (de 38 à 46)

38. Proclus of Constantinople and the Cult of the Virgin in Late Antiquity, Homilies
1-5, Texts and Translations, by Nicholas Constas, « Supplements to Vigiliae
Christianae », vol. LXVI, Brill, Leiden-Boston, 2003, 450 p.
39. Barsanuphe et Jean de GAZA, Correspondance, vol. III : Aux laïcs et aux
évêques, Lettres 617-648., intr., texte critique, notes et index par F. Neyt,
P. de Angelis-Noah, trad. par L. Régnault, « Sources chrétiennes » 468, Cerf,
Paris, 2002, 356 p.
40. Jean-Claude LARCHET, Saint Maxime le Confesseur (580-662), « Initiation
aux Pères de l’Église », Cerf, Paris, 2003, 288 p.
41. Philipp Gabriel RENCZES, Agir de Dieu et liberté de l’homme. Recherches sur
l’anthropologie théologique de saint Maxime le confesseur, « Cogitatio
Fidei » 229, Cerf, Paris, 2003, 432 p.
142 B. SESBOÜÉ

42. Assaad Elias KATTAN, Verleiblichung und Synergie. Grundzüge der Bibelher-
meneutik bei Maximus confessor, “Supplements to Vigiliae Christianae”
vol. LXIII, Brill, Leiden-Boston, 2003, 324 p.
43. Giovanni Climaco e il Sinai, [Collectif], Atti del IX Convegno ecumenico
internazionale di spiritualità ortodossa sezione bizantina, a cura di S. Chialà
e L. Cremaschi, Edizioni Qiqajon, Comunità di Bose, 2002, 398 p.
44. Roman CHOLIJ, Theodore the Stoudite. The Ordering of Holiness, « Oxford
Theological Monographs », University Press, Oxford, 2002, 276 p.
45. Syméon LE STUDITE, Discours ascétique, Intr. texte critique et notes par
Hilarion Alfeyev, trad. par L. Neyrand, « Sources chrétiennes » 460, 154 p.
46. La tradition grecque de la Dormition et de l’Assomption de Marie, Textes
introduits, traduits et annotés par Simon Cl. Mimouni et Sever J. Voicu, Cerf,
Paris, 2003, 244 p.

38. Le travail de N. CONSTAS, Proclus de Constantinople et le culte de la


Vierge Marie dans l’antiquité tardive associe la présentation de la pensée
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christologique et mariale de Proclus à l’édition et à la traduction de cinq

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importantes homélies sur le Christ et la Vierge. Sa préoccupation est
historique, philologique et théologique. La partie historique relate l’itinéraire
de cet adversaire décidé de Nestorius qui deviendra son second successeur.
Comme nous savons peu de choses sur Proclus (né vers 390 et mort en
446), l’auteur nous présente la situation du christianisme devant l’hellénisme
à l’époque, ainsi que les successions épiscopales à Constantinople. Il est peu
probable que Proclus ait connu Jean Chrysostome, mais il a été le fidèle
secrétaire d’Atticus jusqu’à sa mort. La succession de ce dernier ouvrit un
conflit dans la ville entre deux prétendants, Philippe et Proclus qui furent
exclus au profit de Sisinnius. Proclus fut alors élevé à l’évêché de Cyzique,
mais ne put jamais prendre fonction, parce que les gens de Cyzique avaient
déjà élu un évêque. Il revint donc à Constantinople et à la mort de Sisinnius
il fut encore une fois évincé du siège de Constantinople au profit de Nestorius
(428) dont le comportement peu urbain semble avoir rapidement déplu. Dans
le climat du conflit dogmatique naissant, Proclus prit parti pour les opposants
et prononça, au moment de Noël 430, sa fameuse homélie sur le Christ et la
Vierge Theotokos. Nestorius lui répondit et, après un compliment d’usage,
affirma ses propres thèses. Proclus ne participa pas au concile d’Ephèse,
mais son homélie fut insérée par Cyrille dans les actes officiels du concile. La
déposition de Nestorius du siège de Constantinople relança les conflits
internes à la ville et Proclus fut une fois encore évincé au nom du principe
qu’un évêque ne pouvait changer de siège. La quatrième fois sera la bonne :
Proclus fut élu au siège de Constantinople par volonté de l’empereur aussitôt
après la mort de Maximien en 434. Il trouvait la situation fragile laissée par
l’Acte d’Union de 433, et intervint avec vigueur pour vaincre la grande
réticence de nombreux évêques de l’Orient à abandonner Nestorius. Jean
d’Antioche le soutint. Une pression ecclésiale et impériale fut exercée sur les
évêques syriens et en particulier Théodoret de Cyr pour obtenir le ralliement
à l’Acte d’Union. Comme la résistance à la condamnation de Nestorius se
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 143

maintenait, les évêques les plus récalcitrants furent exilés. La querelle mit
alors en cause les maîtres antiochiens de Nestorius et Proclus devint l’un des
protagonistes du combat contre Théodore de Mopsueste et l’école d’Antio-
che, qui aboutira plus tard à la condamnation des Trois chapitres en 553.
Pendant les douze ans de son pontificat, qui se situe entre Ephèse et
Chalcédoine, son activité fut confisquée par la controverse christologique et
la promotion du culte de la Vierge Marie Theotokos. — L’auteur donne
ensuite l’édition critique des cinq homélies, basée sur la collation de
20 manuscrits grecs du IXe au XVIIe siècle, sauf pour l’homélie 1, reprise du
texte établi par Schwartz. La traduction anglaise accompagne le texte grec en
vis-à-vis, avec introductions et notes. La première homélie est considérée
comme une pièce maîtresse de la littérature patristique et de la théologie
mariale. Le grec de l’orateur Proclus est très rhétorique et particulièrement
orné, presque baroque, soignant le rythme et multipliant les images, les
allitérations, les assonances et les rimes.
Proclus est donc intervenu dans la théologie mariale et la christologie.
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L’auteur relève la « poétique du son » : car Marie a conçu le Verbe de Dieu

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par l’oreille, puisqu’elle a entendu et cru la parole de l’ange. La voix de
Gabriel était porteuse de la Parole de Dieu : « J’ai entendu une parole et j’ai
conçu le Verbe et donné naissance au Verbe ». Ce thème était assez
répandu au Ve siècle. Le parallèle avec Eve était repris, puisque celle-ci avait
cru à la parole du serpent pour engendrer le malheur. Le Verbe a été conçu
sans que le sein ait été ouvert, de même que Jésus ressuscité apparaîtra aux
siens toutes portes closes. Proclus aime aussi employer l’image du sein de
Marie comme « métier à tisser » du voile de la chair du Fils de Dieu avec un
fil de pourpre. Cette perspective renvoie également à la robe rouge de la
passion, à la tunique sans couture de la croix et enfin au voile du Temple qui
se déchire. La christologie de Proclus est évidemment proche de celle de
Cyrille d’Alexandrie, pour les convictions fondamentales, l’affirmation de la
Theotokos, le refus de l’homme divinisé et la confession du Dieu incarné.
Cependant, l’archevêque de Constantinople, confronté aux difficultés venues
de l’Orient antiochien, reste plus prudent dans son vocabulaire. Il reprend à
son compte la formule de l’unique hypostase du Christ, mais jamais celle de
l’unique nature. Il affirme au contraire, dans une perspective pré-
chalcédonienne que cette unique hypostase assume dans l’unité deux
natures. Il lève ainsi l’ambiguïté monophysite du vocabulaire cyrillien. Sa
christologie est celle de l’unique médiateur, Verbe devenu chair, ni seulement
Dieu ni purement homme. Proclus sut lui aussi exercer un rôle de médiateur
entre les deux christologies rivales d’Antioche et d’Alexandrie. Cette mono-
graphie rend bien compte du rôle délicat qu’il a joué entre Ephèse et
Chalcédoine.

39. Voici le IIIe et dernier tome de la Correspondance entre Barsanuphe et


Jean de GAZA dont nous avons présenté et recensé les tomes et volumes
précédents (RSR 88 [2000], p. 297-298 ; 90 [2002], p. 276). L’équipe réali-
satrice reste la même. Une brève introduction résume les contenus très
144 B. SESBOÜÉ

divers des réponses des deux vieillards. Les destinataires sont le plus
souvent des laïcs et les évêques de Gaza et de Jérusalem qui ont posé des
questions à partir de leurs difficultés pastorales. Le genre littéraire reste celui
que nous avons décrit précédemment. Ces réponses témoignent de l’inser-
tion très concrète des deux moines dans l’Église et la société de leur région.
L’ouvrage se termine par un bon index thématique.

40. Jean-Claude LARCHET, qui a déjà beaucoup publié sur Maxime, donne
une présentation synthétique de Saint Maxime le Confesseur (580-662). Le
genre littéraire choisi est celui des Patrologies, qui passe en revue tout ce qui
concerne la vie, les œuvres et la doctrine de l’auteur. La liste des œuvres de
Maxime, classée ici selon l’ordre alphabétique des titres latins — certes
pratique, mais l’ordre chronologique aurait été également intéressant — est
précise et complète. Elle comporte, après la brève présentation du contenu
de chacune, l’état actuel des éditions, traductions modernes et études. La
même présentation est faite des sources anciennes concernant Maxime.
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L’essentiel de l’ouvrage expose sa doctrine par grands thèmes : Dieu, la

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Trinité, la cosmologie et la création, l’anthropologie, la christologie et la
sotériologie, l’Église et les mystères (= les sacrements), la doctrine spirituelle
et la pneumatologie, l’eschatologie. On sent poindre ici ou là le point de vue
proprement orthodoxe de l’auteur (surtout à propos de l’Église de Rome),
mais avec discrétion et ouverture. Celui-ci n’oublie pas que Maxime est
antérieur à la grande division entre Orient et Occident et souligne que son
influence s’est également exercée en Occident. Éminemment orthodoxe
quant à la foi, Maxime ne saurait donc être annexé au bénéfice exclusif de
l’Église Orthodoxe au sens moderne. Une dernière partie donne la traduction
de deux petites œuvres, jusque-là inédites en français. L’ouvrage est enrichi
d’une bibliographie de 54 pages. Cet excellent instrument de travail rendra
les plus grands services non seulement à tous ceux qui cherchent à s’orienter
dans l’œuvre profonde de Maxime, mais encore aux chercheurs toujours en
quête d’un renseignement particulier.

41. La recherche sur Maxime le Confesseur est étonnamment vivante et


un « signe des temps » pour la patristique. Malgré plusieurs ouvrages
récents sur des thèmes voisins, Ph. G. RENCZES, revient sur l’anthropologie
de Maxime avec sa thèse, Agir de Dieu et liberté de l’homme et entend mettre
en valeur le caractère synthétique de la pensée du Confesseur, dans sa triple
acception historique, structurelle et logique. Son œuvre s’intéresse à toutes
les régions de la théologie, sans jamais proposer un traité systématique,
anticipant ainsi sur la manière de procéder d’un Rahner. L’étude part de deux
concepts-clés, energeia et exis, tous deux difficiles à traduire étant donné leur
complexité, mais qui structurent le dessein de divinisation de l’homme.
Sensible à la caractéristique ternaire de la pensée de Maxime, Renczes
construit son travail sur la trilogie des modes de l’être : la raison de l’être (tou
einai) à dominante ontologique, celle de l’être-bien (tou eu einai) à dominante
éthique, et celle de l’être-toujours (tou aei einai), à dominante eschatologi-
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 145

que. Le premier mode donne lieu à l’analyse de l’energeia, le second à celui


de l’exis. Le troisième reprend les deux termes dans la perspective de la
divinisation.
Le concept d’energeia est analysé dans ses dimensions métaphysique et
économique. L’enquête remonte aux origines du terme étudié dans son
champ sémantique (qui peut se traduire suivant les cas par énergie,
opération, activité, actualisation ou acte), puis dans la tradition philosophique
grecque d’Aristote à Plotin, dans l’Écriture sainte et enfin dans la tradition
patristique, afin de situer l’originalité de la pensée de Maxime. L’héritage
aristotélicien est sérieusement pris en compte. La thèse dépasse donc le cas
de Maxime et constitue une précieuse monographie philologique et philoso-
phique. Chez Maxime energeia est l’épanouissement de la substance divine.
Sa pensée s’éloigne de l’opposition cappadocienne entre ousia et energeia.
Au sein de l’immanence divine energeia appartient à l’ordre apophatique dont
on ne peut rien dire. À l’égard des créatures l’energeia est l’activité qui se
diversifie en providence, production créatrice et incarnation, elle-même
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modèle de la divinisation du cosmos. Energeia et entelecheia coïncident. La
finalité tient la même position centrale chez Aristote et chez Maxime. Quant
à l’energeia des êtres créés, le mouvement leur appartient au titre même de
leur expression ontologique, plan sur lequel Maxime ne fait pas de différence
entre philosophie et théologie. Sa pensée s’élabore toujours sous le signe du
finalisme. Il met en œuvre différents schémas ternaires, du type ousia-
dunamis-energeia, ou dunamis-energeia-argia, pour rendre compte du mou-
vement finalisé des êtres créés.
L’étude du concept d’exis suit le même mouvement d’enquête (exis peut se
traduire par possession, par état ou par le terme latin d’habitus, bien différent
de celui d’habitude), à travers les mêmes références philosophiques, scriptu-
raires et patristiques. Exis joue un rôle fondamental dans la théologie
maximinienne de la divinisation. Nous sommes ici dans le domaine de
l’éthique et de la rencontre entre l’initiative de la grâce divine et la disposition
de la volonté humaine (gnômè, « faculté selon laquelle la personne dispose
sa volonté en vue de son bien final, naturel et surnaturel » p. 281). Exis et
energeia restent toujours en corrélation étroite dans l’acte du vouloir. L’exis,
qui est aussi vertu, souligne la différence ontologique entre l’homme et Dieu,
lui qui ne saurait avoir d’exis ni de propriétés, tandis que l’exis permet à
l’homme d’acquérir des caractéristiques divines et de progresser vers sa
propre divinisation.
Cette divinisation est le fait de la grâce divine pour des raisons qui tiennent
à l’ontologie (l’homme n’a pas de faculté susceptible de s’actualiser par une
divinisation) et à la réalité historique du péché d’Adam. Elle se réalise à
travers les missions du Christ et de l’Esprit, intervenant selon des modalités
complémentaires dans l’habitus réceptif de chaque divinisé. L’habitus de la
grâce intervient aussi dans les sacrements. La divinisation par la grâce
aboutit finalement à la divinisation dans la gloire. En terminant, l’auteur
évoque quelques traits de l’incidence actuelle de cette doctrine difficile et
146 B. SESBOÜÉ

hautement élaborée, comme la corrélation entre divinisation et humanisation


et l’exemple d’une théologie morale hautement personnelle.
L’auteur est conscient d’œuvrer sur un terrain déjà très labouré. Il men-
tionne plusieurs fois l’ouvrage de J.-Cl. Larchet, La divinisation de l’homme
selon Maxime le Confesseur, paru en 1996 (cf. RSR 86 [1998], p. 239-241).
Il sait l’antinomie entre les interprétations proposées par l’« école » de
M.-J. Le Guillou et les orientations de la recherche orthodoxe. Il a la sagesse
de proposer avec la plus grande sérénité les résultats de la sienne et ne
témoigne d’aucune inconditionnalité à l’égard de son auteur dont il parle avec
respect et estime. Son grand mérite est de situer la pensée de Maxime par
rapport à ses prédécesseurs et non par rapport à ses successeurs, en
particulier Grégoire Palamas. Maxime ne saurait en tout cas être invoqué
comme le garant de la distinction entre les énergies divines et l’essence de
Dieu.

42. Voici encore une étude sur Maxime, Incarnation et Synergie, de


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A. E. KATTAN, qui nous vient d’un horizon protestant et est animée d’une

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intention oecuménique. L’auteur entend combler une lacune de la bibliogra-
phie maximinienne récente, en analysant les fondements de l’herméneutique
biblique du Confesseur. Après un aperçu sur la vie dramatique et le contenu
de l’œuvre de Maxime, l’auteur fait l’histoire de la redécouverte de ce Père
depuis les années 1940. Largement ignoré jusqu’alors et considéré comme
un compilateur, le Confesseur devient une originale figure de proue de la
théologie du VIe siècle. Après la première étude de M. Viller sur les sources
de Maxime, ce fut sa grande réhabilitation par H. Urs von Balthasar avec son
livre Liturgie cosmique. Depuis lors, de décennie en décennie les études et
les débats se renouvellent pour l’élucidation de sa pensée (H.I. Dalmais,
I. Hausherr, M. Doucet en 1972, l’« école » Le Guillou en France, en
1980 F. Heinezers et R. Brakes en Allemagne, en 1990 P.M. Blowers et les
études de J.-C. Larchet).
Comme l’exégèse scripturaire n’est pas une région isolée de l’œuvre de
Maxime, l’auteur entend la situer dans la cohérence globale de celle-ci. Il
remonte donc aux fondements ontologiques de la doctrine du Confesseur
concernant les logoi des différents êtres, ce qui l’amène à refaire l’histoire du
concept de logos depuis Héraclite jusqu’au Pseudo-Denys, en passant par le
NT, Justin, Origène et Athanase. Les logoi des êtres sont chez Maxime, ici
influencé par la tradition alexandrine et le Pseudo-Denys, la base ontologique
de la création ex nihilo. Chaque créature visible ou invisible est créée selon
un logos déterminé qui constitue le principe qui la définit, en même temps que
son modèle. Le logos est aussi le terme du mouvement de divinisation d’une
créature rationnelle vers Dieu. L’auteur évoque ici la trilogie des raisons
d’être, d’être-bien et d’être-toujours dont nous avons rencontré l’analyse chez
Renczès. Ces logoi sont en Dieu et peuvent être considérés comme une
partie de Dieu. Ils sont donc en affinité étroite avec le Logos divin, qui en est
le centre. Seul l’événement du salut et l’incarnation du Logos permettent une
représentation de ces logoi. L’incarnation apparaît comme le fil d’Ariane à
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 147

partir duquel la structure des logoi ancrés dans le Logos divin peut être
articulée. L’herméneutique biblique du Confesseur a un autre fondement,
anthropologique, celui de l’ascension mystique. Celle-ci n’est possible que
par la rencontre et l’interpénétration de la nature divine et de la nature
humaine réalisées dans le Christ.
Sur cet horizon de compréhension, l’herméneutique biblique du Confes-
seur apparaît comme éminemment christologique. De même que le Confes-
seur affirme trois régimes de lois, la loi naturelle, la loi écrite et la loi de la
grâce, de même il enseigne trois modes d’incarnation du Logos, la première
par la présence du Logos dans le cosmos, la seconde par sa présence dans
l’Écriture (Maxime pose une sorte d’équivalence ou de symétrie entre
cosmos et Écriture) et la troisième par son incarnation historique. La doctrine
de ces trois lois lui permet de penser l’autocommunication de Dieu aussi bien
de manière horizontale dans l’histoire, que de manière verticale dans
l’expérience mystique. L’herméneutique biblique ne fait qu’un avec l’hermé-
neutique de la révélation. Sa conceptualité trouve dans la structure du Verbe
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incarné son principe organisateur et le modèle de son incarnation dans
l’Écriture, qui s’accomplit selon deux modes : l’un est à la surface du texte et
consiste dans les lettres, les syllabes et les voix, les textes et les histoires qui
fonctionnent comme autant de figures et symboles, et présupposent une
signification, parfois sous la forme d’énigme ; l’autre, à un niveau plus
profond, est le mouvement dans lequel le Logos abandonne son mode d’être
simple pour passer dans le multiple. Ce modèle christologique est aussi un
modèle anthropologique. Le principe de l’exégèse se modèlera donc sur la
relation entre les deux natures du Christ, telles que définies à Chalcédoine,
dans une sorte de périchorèse du divin et de l’humain et dans une dialectique
du se-dévoiler et se-cacher. Le sens littéral et le sens allégorique de l’Écriture
sont ainsi sans séparation et sans mélange. Sur tous ces points l’auteur tient,
avec Balthasar et Sherwood et contre Larchet, la dépendance de Maxime à
l’égard d’Origène, dont Maxime a lu et assimilé l’œuvre avec discrétion, afin
d’échapper aux reproches d’origénisme. L’exégèse de l’Écriture s’accomplit
dans la rencontre synergique et dynamique du logos du croyant avec le
Logos divin. L’Esprit Saint et l’effort humain y jouent aussi leur rôle. Cette
rencontre est un processus sans fin, car la parole de Dieu est inépuisable. La
distinction entre logos et tropos permet de comprendre que la multiplicité des
figures et des événements soit l’expression d’un Logos unique, puisque la
Parole de Dieu y devient chair. Quant à la pratique du Confesseur, elle met
en œuvre à la fois l’exégèse allégorique et l’exégèse théologique et dogma-
tique surtout dans ses écrits polémiques.
L’étude A. E. Kattan apporte une contribution importante sur un aspect
jusqu’ici négligé de la pensée de Maxime. Nul doute qu’elle ne doive trouver
place dans la considération totale de cette œuvre, même si elle doit
provoquer certains débats entre spécialistes. Elle apparaît sans doute bien
éloignée des préoccupations de l’exégèse contemporaine et ne se situe pas
148 B. SESBOÜÉ

au plan des méthodes. Mais ne rencontre-t-elle pas l’intérêt aujourd’hui


renouvelé sur la question de l’inspiration ?

43. Nous ne pouvons que signaler les actes de la IXe rencontre œcumé-
nique internationale de spiritualité orthodoxe consacrée à Jean Climaque et
le Sinaï. De nombreuses contributions situent l’higoumène dans le cadre du
monachisme sinaïtique de la fin du VIe et du VIIe siècles, ou de l’« école du
Sinaï » (I. Hausherr) ; elles étudient la spiritualité du livre l’Échelle, et
précisent les traits du portrait de ce « nouveau Moïse ».

44. R. CHOLIJ donne une étude synthétique sur Théodore Stoudite (759-
826), moine byzantin, higoumène de plusieurs communautés et réformateur
du monachisme. L’ouvrage contient sa première biographie moderne dé-
taillée, resituée dans le contexte de son temps et faite d’après les sources
originales. Sa vie fut très mouvementée en raison des conflits qui l’opposè-
rent à deux empereurs (en raison d’un mariage « adultérin » et de la reprise
de l’iconoclasme) et le contraignirent à trois exils successifs. Les œuvres de
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Théodore consistent en une Petite et une Grande Catéchèse, faites d’ins-
tructions données à ses moines, en quelques 600 lettres et autres écrits liés
à la Réforme Stoudite.
Le paradoxe de cet homme au rigorisme et à l’intransigeance légendaires
quant à l’obéissance de ses moines est qu’il s’opposa aux plus hautes
autorités de son temps, ecclésiales et séculières. Théodore était un homme
d’ordre, se référant à des structures de la société qu’il jugeait d’institution
divine. Respecter cet ordre demandait d’obéir aux autorités, qu’il s’agisse de
celles de l’empereur, de l’Église ou des responsables monastiques. Les
principes de l’autorité sont les commandements de Dieu, les ordonnances
ecclésiales, en particulier celles des conciles et les règles monastiques.
Toutes ont une égale force contraignante. La réforme monastique de
Théodore consistait en un retour au monachisme primitif, mais au mona-
chisme cénobitique et à ses grands législateurs. En disciple fervent de saint
Basile, il fut le docteur d’une obéissance monastique qui peut conduire
jusqu’au martyre. Or, ce même Théodore dut s’opposer aux autorités
impériales pour plusieurs cas graves. Mais il ne remettait nullement en cause
la doctrine traditionnelle du rôle spécial que l’empereur doit jouer dans la
société, car il est la tête d’un empire chrétien où la séparation de l’Église et
de l’État n’avait guère de sens. L’empereur est le protecteur suprême de ce
corps chrétien et de tous ses intérêts. La relation entre l’empereur et le
sacerdoce devait être une relation de concorde, où l’on attendait du premier
qu’il favorise la doctrine et la discipline de l’Église. Mais l’empereur n’est pas
au-dessus de la loi de Dieu. Il faut donc résister à tout ce qui attaque
publiquement l’intégrité de la vie chrétienne. Théodore s’opposa aux empe-
reurs seulement quand cette harmonie fut brisée et qu’ils abusèrent de leur
position pour promouvoir ce qui était contraire au bien de la foi et de la
morale. Il s’appuyait dans sa résistance sur la tradition de Chrysostome, de
Maxime le Confesseur et de Jean Damascène. Théodore s’oppose en fait au
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 149

césaropapisme, à l’intervention abusive de l’État dans les affaires ecclésias-


tiques. Il acceptait le principe de l’« économie », c’est-à-dire d’une mitigation
miséricordieuse de la loi ou d’un compromis dans les matières qui ne
concernent pas les fondements de la foi en vue du bien de la communauté.
Mais l’économie ne fonctionne pas avant d’agir (ad faciendum), mais dans
l’évaluation de ce qui a été fait (post factum). Sur l’adultère impérial Théodore
s’est prononcé pour la rigueur (akribeia). Le conflit ne portait pas sur le
principe mais sur les limites de son application.
L’auteur étudie enfin « les principes de sainteté » chez Théodore, c’est-à-
dire les principes du salut. Sa lettre au moine Grégoire passe en revue les
mystères ou les rites de sanctification (le myron, l’ordination, l’enterrement et
le mariage, l’onction des malades et la pénitence). Sa doctrine du baptême et
de l’eucharistie affirme clairement la non-validité ou l’inexistence de ces
sacrements célébrés par les hérétiques. La sanctification du laïc et du moine
repose sur une anthropologie de la création et de la chute, et de la
restauration de l’humanité dans le Christ. Le baptême fonde la sainteté du
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laïc et la profession monastique est un second baptême et un mysterion.
Théodore n’est pas un penseur original, mais un bon miroir de son temps. Il
fut davantage un organisateur et un leader qu’un penseur. Par exemple ses
vues sur le pape sont une expression intéressante de la pensée byzantine du
IXe siècle sur le ministère pontifical.

45. Le Discours ascétique de Syméon Le Studite nous est parvenu dans la


Philocalie grecque et se trouvait intégré aux chapitres de son disciple,
Syméon le Nouveau Théologien, jusqu’à ce que Denys de Zagora ne restitue,
au XVIIIe siècle, son attribution au maître. Ce jugement, fondé sur les écrits
du Nouveau Théologien et de Nicétas Stéthatos, est confirmé par la tradition
de deux manuscrits ; I. HAUSHERR le reprend à son compte. Ce Discours est
fait de 41 petits chapitres qu’édite et annote avec soin H. Alfeyev avec la
traduction de L. Neyrand. Si nous sommes relativement informés sur le
monastère studite fondé au Ve siècle par le patricien Stoudios et qui devait
être illustré plus tard par Théodore Stoudite dont il vient d’être question, ainsi
que sur son influence et ses activités éducatrices, nous ne savons que peu
de chose sur la vie et la personnalité de Syméon Le Studite (mort vers
986-987).
Syméon n’était pas le « fol en Christ » que certains ont cru discerner. Il était
un père spirituel qui n’appartenait pas à une tradition rigoriste et savait
subordonner l’obéissance de règle aux nécessités de la pédagogie et à la
liberté spirituelle. Son ouvrage n’a rien de systématique. Il est fait d’ensei-
gnements divers adressés aux moines, dont les thèmes principaux sont les
larmes et la componction, la lecture spirituelle et la prière. Il invite à la
confession quotidienne à l’higoumène ou à un autre moine choisi par
l’intéressé, à condition de n’en pas changer. L’opuscule reste mineur, mais
n’est pas sans intérêt. Il est heureux qu’il soit rendu accessible dans une
édition de qualité.
150 B. SESBOÜÉ

46. Sous le titre La tradition grecque de la Dormition et de l’Assomption de


Marie, S. Cl. MIMOUNI et S. J. VOICU présentent et traduisent cinq documents
de la tradition tardive sur « l’eschatologie mariale ». Les auteurs s’appuient
sur des éditions antérieures (K. von Tischendorf, A. Wenger, M. Jugie) et
savent que l’établissement scientifique de ces textes reste encore à faire. Sur
la base d’un utile inventaire des documents concernant le Transitus Mariae
selon les différentes traditions (syriaque, grecque, copte, arabe, éthiopienne,
latine, géorgienne et arménienne), ils ont fait le choix de ces cinq textes grecs
dont les deux premiers se rattachent au genre littéraire des apocryphes (la
Dormition grecque du Pseudo-Jean et le Transitus grec), tandis que les trois
derniers sont à l’origine de la tradition homilétique sur le sujet (le Discours sur
la Dormition de la sainte Vierge de Jean de Thessalonique et un Epitome du
même discours, et enfin l’Homélie sur l’Assomption de Marie). Le premier
texte remonterait à la seconde moitié du Ve siècle ; les autres à la première
moitié du VIIe siècle. Nous sommes donc en amont des grandes homélies
d’André de Crête et de Jean de Damas. Ces textes sont destinés à la liturgie,
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en particulier pour la célébration du 15 août. Quels que soient leurs écarts,

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tous ces documents respectent l’ordre d’un certain scénario où le merveilleux
tient une grande place : annonce angélique de la prochaine Dormition de
Marie ; réunion des apôtres autour d’elle ; enseignement de Pierre, départ de
l’âme de Marie au ciel, à la suite d’une apparition de Jésus ; hostilité et
outrages des juifs au cours des obsèques ; déposition du corps de Marie au
tombeau, puis son transfert au ciel ; visite du paradis par les apôtres. Ces
documents distinguent nettement la mort de Marie ou sa dormition, c’est-à-
dire le départ de son âme au ciel, puis la mise au tombeau de son corps et
enfin pour certains le transfert de son corps au ciel. Ils ne parlent pas de
résurrection. Les textes, agréablement traduits, font l’objet d’une annotation
abondante et de bons index. Cette publication met à la disposition des
théologiens et des chercheurs des textes peu connus mais importants pour la
théologie mariale (non seulement sur le thème de l’assomption, mais aussi
sur le développement de la titulature de Marie), et pourra stimuler une
recherche encore nécessaire.

V. Théologie des Pères (de 47 à 57)

47. Alistair STEWART-SYKES, From Prophecy to Preaching. A Search for the


Origins of the christian Homily, “Supplements to Vigiliae christianae” LIX,
Brill, Leiden-Boston-Köln, 2001, 306 p.
48. Andreas MERKT, Das Patristiche Prinzip. Eine Studie zur theologischen
Bedeutung der Kirchenväter, “Supplements to Vigiliae christianae” LVIII, Brill,
Leiden-Boston-Köln, 2001, 288 p.
49. Ramon TREVIJANO ETCHEVERRIA, La Biblia en el cristianismo antiguo. Preni-
cenos. Gnosticos. Apocrifos, « Introducción al Estudio de la Biblia » vol. 10,
Editorial Verbo divino, Estella, 2001, 488 p.
50. Martine DULAEY, « Des forêts de symboles ». L’initiation chrétienne et la Bible
(Ie-VIesiècle). « Le livre de poche », Librairie générale française, 2001, 288 p.
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 151

51. Plenitudo Temporis. Miscelanea Homenaje al Prof. Dr. Ramon Trevijano


Etcheverria, J.J. Fernandez Sangrador, S. Guijarro Oporto Coordinatores,
« Bibliotheca Salmanticensis », 249, Publicaciones Universidad Pontificia,
Salamanca, 2002, 562 p.
52. Ulrich VOLP, Tod und Ritual in den christlichen Gemeinden der Antike.
« Supplements to Vigiliae Christiane », vol. LXV, Brill, Leiden-Boston, 2002,
338 p.
53. Anne JENSEN, Femmes des premiers siècles chrétiens, avec la collaboration
de Livia Neureiter, Version française par Gérard Poupon, « Traditio chris-
tiana » XI, Peter Lang, Bern-Berlin-Bruxelles etc., 2002, 316 p.
54. Mirella SUSINI, Il Martirio cristiano esperienza du incontro con Cristo, Testi-
monianze dei primi tre secoli, Edizioni Dehoniane, Bologna, 2002, 160 p.
55. Les Pères de l’Église et l’astrologie : Origène, Méthode, Basile, Grégoire de
Nysse, Diodore, Procope de Gaza, Jean Philopon, Intr. Par M.-E. Allamandy,
annotations, etc. par M.-H. Congourdeau, « Les Pères dans la foi » 85,
Migne, Paris, 2003, 244 p.
56. Bernard MEUNIER, Les premiers conciles de l’Église. Un ministère d’unité,
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Profac, Lyon, 2003, 238 p.

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57. Brian E. DALEY, The Hope of the Early Church. A Handbook of Patristic
Eschatology, Hendrickson Publishers, Peabdy, Massachussets, 2003.

47. De la prophétie à la prédication, l’enquête de A. STEWART-SYKES porte


sur les origines de l’homélie chrétienne à l’époque antérieure à Origène. Les
prolégomènes à une telle étude sont complexes, car si nous avons bien
l’attestation d’une activité homilétique dans l’Église primitive, nous ne dispo-
sons pas de textes d’homélies formellement identifiables comme tels. Par
homélie il ne faut entendre ni la prédication missionnaire (kérygma), ni la
catéchèse (didaskalia), mais la communication orale de la parole de Dieu
dans la célébration liturgique de l’assemblée chrétienne. La grosse difficulté
réside dans l’établissement des critères formels d’une telle prédication.
Divers essais ont été faits pour les déterminer (Reicke, McDonald, Collins,
Siegert, Wills). Mais ces recherches, qui retiennent toutes l’idée d’exhortation
(paraklèsis), se heurtent à la même impasse. Pour aller outre, l’auteur se
tourne vers la pratique des formes homilétiques dans le Judaïsme, car la
synagogue pratiquait l’exhortation commentant l’Écriture après sa lecture,
ainsi que vers les modèles de prédication du monde hellénistique (diatribe,
logos protreptique et exposition démonstrative, epideiktikos logos). L’auteur
retient à titre de critères formels le traitement point par point de l’Écriture et
la présence de paroles de type prophétique ; et à titre de critères fonction-
nels, le discours destiné à conforter la foi de l’auditoire et l’exhortation morale.
Avec cette grille de lecture s’engage la recherche du genre littéraire de
l’homélie dans la littérature néo-testamentaire et post-apostolique. Deux
temps sont considérés : d’abord l’homélie tenue dans les maisons (la
prophétie chez Paul comme prédication domestique, la révélation d’Hermas,
la prophétie de Jean à Patmos, la prédication dans la Ia Petri) ; ensuite la
prédication dans des communautés organisées (les Actes des apôtres, les
épîtres de Jacques et aux Hébreux, la IIa Clementis ; et enfin la prédication
152 B. SESBOÜÉ

dans les écoles d’Asie (l’école johannique, l’Epistula apostolorum, Méliton),


dans celles de Rome (Justin, Valentin, Hyppolite), en Afrique (Tertullien) et à
Alexandrie.
Quelles conclusions peut-on tirer d’une telle enquête, subtile dans ses
analyses et ses comparaisons, mais grevée d’une part considérable d’hypo-
thèses ? Depuis les origines la Parole de Dieu a été communiquée aux
croyants dans le cadre de l’assemblée chrétienne. La prophétie semble avoir
constitué la forme primitive de l’enseignement chrétien dans les maisonnées.
Le premier mode dominant fut celui de la conversation. L’interprétation et la
vérification de la parole prophétique se faisaient à partir de l’Écriture. C’est
sans doute dans ce processus, plus que dans la pratique synagogale ou celle
des écoles hellénistiques, que se trouve l’origine de l’homélie. L’influence de
la Synagogue se manifesta davantage quand l’Écriture en vint à remplacer la
voix vivante. Mais la prophétie ne disparut pas quand les maisonnées se
développèrent en assemblées chrétiennes plus organisées. Cependant avec
le développement théologique, le respect croissant pour le canon des
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documents écrits et dans le cadre d’une organisation plus « scolaire »,

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l’Écriture en vint à dominer la prophétie. L’instauration de l’épiscopat y joua
son rôle. Ce développement se constate de Paul et d’Hermas à Jean, à Justin
et à Hippolyte. Ce changement affecte aussi l’exhortation morale qui ne
s’identifie ni à la prophétie ni à l’homélie. Cette évolution (dénommée en
anglais « scholasticization ») n’alla pas sans certains conflits entre prophétie
et prédication, comme en témoigne déjà l’écrit d’Hermas. La forme prophé-
tique sera attestée encore au IIIe siècle, en particulier dans le Montanisme.
L’exégèse ou diakrisis, qui servait d’abord à vérifier la prophétie à partir de
l’Écriture, devient l’interprétation de l’Écriture elle-même.

48. A. MERKT propose, sous le titre Das Patristiche Prinzip, une monogra-
phie consacrée au théologien luthérien Georges Calixte (1586-1656), per-
sonnage original en son temps en raison de positions que l’on pourrait
appeler « œcuméniques », et qui savait débattre amicalement avec des
catholiques. Il fut même considéré comme hérétique par ses coreligionnaires,
plus aimé des calvinistes et respecté par les catholiques qui appréciaient sa
modération et l’ouverture de ses positions. L’expression « principe patristi-
que » entend correspondre à la célèbre affirmation du « principe scriptu-
raire ». L’auteur resitue Calixte en son temps dans le courant humaniste, et
pour cette raison, irénique, qui traversait les frontières confessionnelles. Ses
positions se fondaient dans son concept de l’Église : tous ceux qui confes-
sent le Symbole de foi appartiennent à l’Église universelle et doivent se
considérer comme frères dans la foi, de même que dans une conception
scientifique de la théologie et une grande attention à l’histoire.
C’est dans ce climat intellectuel que Calixte élabora la théorie du consen-
sus quinque saecularis, qui entendait préciser le principe de Vincent de
Lérins, « ce qui est cru partout, toujours et par tous », dont Calixte avait édité
l’opuscule. Il entend surtout limiter le « toujours », en donnant à l’antiquitas
ecclesiastica un terme temporel clair. Ne peut aucunement valoir comme
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 153

ancien (antiquus) à ses yeux ce qui n’est reçu que depuis deux, trois, ou au
mieux quatre ou cinq des derniers siècles. L’antiquité chrétienne se termine
au plus tard au XIIe siècle, avec la figure du pape Grégoire VII, jugé comme
le premier exemple manifeste du caractère antéchrist du ministère papal.
Mais l’antiquité « authentique », celle qui fait foi, se termine entre les années
429 et 629. Dans un autre texte Calixte la limite même à l’an 500. Si une
doctrine a rencontré le consensus ecclésial pendant les cinq premiers siècles
de l’histoire de l’Église, elle doit donc être tenue pour authentique. Ce
consensus, qui doit se formuler « aperte, frequenter, perseveranter » s’ex-
prime par le témoignage des grands témoins de la patristique et par celui des
conciles qui ont défini les mystères de la Trinité et de l’incarnation. Il constitue
l’argument de tradition et fonde une certitude de foi qui ne permet pas de
douter de l’inerrance de l’Église. Il concerne ce qui est nécessaire au salut et
a même valeur que la règle de foi. Calixte pensait être ainsi allé à la rencontre
du principe catholique de tradition.
Cette thèse posait donc un principe de connaissance secondaire de la foi
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qui venait composer avec le principe luthérien de la sola scriptura, ce qui
relativisait fortement l’autorité des Pères. L’auteur l’expose largement, sans
oublier que les mêmes Réformateurs développèrent ensuite une compréhen-
sion de la tradition reconnaissant en celle-ci le « témoignage de la vraie
doctrine ». La théorie de Calixte provoqua une grave crise dans l’Église
luthérienne allemande du temps, avec la querelle dite du syncrétisme
(1645-1656), et le théologien fut censuré par l’orthodoxie luthérienne. Sans
doute son principe ne correspond-il pas à la position catholique, telle qu’elle
fut exposée à l’époque au concile de Trente et dans l’œuvre célèbre de
Melchior Cano sur les lieux théologiques. Les adversaires de Calixte, Véron
et Erbermann, le critiquèrent non seulement sur la césure temporelle
arbitraire mais encore sur le refus de reconnaître l’autorité pontificale en
matière de doctrine. Le principe de Calixte connut un échec historique total.
Il provoqua paradoxalement le choc en retour du confessionnalisme qui fit
ensuite place aux idées de tolérance de l’Aufklärung. Mais le problème de
l’autorité des Pères resta posé du XVIIe au XXe siècle avec la tension
grandissante entre une connaissance plus scientifique des Pères et la
doctrine ecclésiale. Au terme de son travail l’auteur prend acte du change-
ment structurel de la situation de la patristique. Non seulement les Pères ont
largement perdu leur valeur d’orientation de la théologie dans les Temps
modernes, où leur considération est dominée par la recherche historico-
critique, mais on a même perdu le sens de la normativité spéciale de l’Église
primitive. Quelle est la limite temporelle de cette normativité ? Y a-t-il
vraiment un consensus des Pères sur les points du contentieux œcuméni-
que ? Finalement, qu’est-ce qu’un « Père de l’Église » ? Ces réflexions
intéressantes restent trop solidaires de la problématique de Calixte à laquelle
l’auteur se réfère toujours.
Cette étude, qui a reçu le prix de la Kurt-Hellmich-Stiftung pour la
recherche œcuménique, est à la fois un travail scientifique de par la richesse
154 B. SESBOÜÉ

de son enquête historique, une œuvre authentiquement théologique par le


thème qu’elle met en œuvre (en particulier la relation entre la patristique
comme science et l’enseignement doctrinal de l’Église) et un travail œcumé-
nique au sens prometteur de ce terme. Le thème traité est toujours d’actualité
comme le montrent aussi bien les études des protestants A. Benoit et
G. Kretschmar, que des catholiques comme J. Ratzinger et H. Crouzel.
Souhaitons à la recherche contemporaine un meilleur succès qu’à celle de
Calixte.

49. Le dernier tome du manuel d’introduction à l’étude de la Bible de


R. TREVIJANO ETCHEVERRIA porte sur La Bible dans le christianisme antique.
Prénicéens. Gnostiques. Apocryphes. La première partie traite de l’exégèse
prénicéenne, c’est-à-dire d’abord de la formation et de la réception de la Bible
judéo-chrétienne, du témoignage christologique des Écritures selon les
lectures des Pères, c’est-à-dire la naissance et le développement de l’argu-
ment prophétique, les exégèses allégorique et typologique, et la lente
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formation du canon des Écritures. L’exégèse de quelques Pères (Justin,

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Irénée, Tertullien, Cyprien, Athénagore, Clément d’Alexandrie et Origène) est
brièvement évoquée. La seconde partie constitue un véritable traité du
gnosticisme : sources, caractéristiques et types divers, les grandes thèses
gnostiques : cosmologie, théorie de la connaissance, anthropologie, escha-
tologie, systèmes divers. Mais un seul chapitre aborde l’exégèse gnostique
proprement dite. La troisième partie s’occupe de la littérature des apocryphes
du NT : lettres, traditions des paroles du Seigneur, évangiles et actes
apostoliques apocryphes, apocalypses. Ce manuel, au contenu très informé
et aux riches bibliographies, reste quelque peu composite par rapport au titre
annoncé. Il constitue trois chapitres d’une patrologie. L’auteur, très soucieux
de la précision documentaire, ne prend pas toujours le recul qui lui aurait
permis de situer cet ensemble dans son horizon culturel et religieux.

50. Le petit livre de M. DULAEY, « Des forêts de symboles ». L’initiation


chrétienne et la Bible, est, pour prendre une image venue d’un tout autre
registre, un véritable collier de perles. Après deux chapitres sur la mise en
place et l’institutionnalisation de la catéchèse chrétienne et le rôle des images
et des symboles dans la formation des chrétiens des six premiers siècles,
l’auteur nous invite à un long voyage à travers les diverses représentations
picturales des scènes de la Bible. Car l’image, ou la séquence des images,
synthétise le récit en ses diverses phases et permet d’y lire les symboles
multiples de l’événement du salut. Partout la typologie est à l’œuvre. C’est
l’image du berger divin, l’une des plus anciennes dans les catacombes
romaines, avec sa portée paradisiaque et eschatologique, l’image du Verbe
incarné qui ramène la brebis perdue sur ses épaules ; c’est le signe de Jonas,
figure du Christ et parabole du salut, dont chaque épisode recèle une
signification originale ; c’est Moïse divisant la mer rouge et procurant de l’eau
dans le désert, double symbole du baptême ; c’est le sacrifice d’Abraham et
d’Isaac, symbole de la passion du Christ, mais aussi de sa résurrection ; c’est
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 155

Daniel et ce sont les trois hébreux dans la fournaise, signes eux aussi du
salut éternel et de la résurrection ; c’est la chaste Suzanne, image de l’Église
persécutée mais délivrée ; c’est Noé sauvé du déluge, parabole de la mort,
de la résurrection et de la nouvelle création, où l’eau et le bois, la colombe et
le corbeau prennent tout leur sens et où l’arche symbolise l’Église ; ce sont
Adam et Eve, confrontés aux deux arbres du paradis et à l’action du serpent ;
c’est Lot et sa femme, Lot fuyant Sodome et trouvant le salut ; ce sont enfin
les combats de David contre le lion, l’ours et le géant Goliath, symboles des
combats du Christ. Chaque thème est illustré dans sa riche polysémie par un
centon de textes patristiques, puis commenté à partir de plusieurs représen-
tations, soit de fresques soit de sarcophages, dont certaines sont données en
illustration. C’est toujours le thème du salut qui court dans le chatoiement de
ses multiples résonances : baptême, eucharistie, résurrection, eschatologie.
Chaque image de cette grande bande dessinée reste souple et sait se
transformer pour se renouveler, comme il arrive dans les surimpressions
cinématographiques. Il fallait beaucoup de science pour proposer de manière
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aussi claire les grands symboles qui ont porté la catéchèse de nos pères

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dans la foi.

51. Plenitudo Temporis, tel est le titre du volume d’hommages offert au


professeur R. TREVIJANO ETCHEVERRIA dont nous venons de présenter un
ouvrage. Les contributions rassemblées traitent des origines chrétiennes,
domaine de la chaire tenue par le professeur de Salamanque et héritier de la
tradition salmantine. Elles sont organisées autour de trois pôles, correspon-
dant à ses centres d’intérêt : le judaïsme de l’époque du second Temple (le
Livre des Jubilés, l’identité du maître de justice de Qumran, une édition du
Testament de Nephtali), le Nouveau Testament (plusieurs analyses de
péricopes de l’évangile de Mc et de textes pauliniens), le gnosticisme et la
patrologie (certains points de la théologie et de la sotériologie gnostiques),
ainsi que des études allant jusqu’à certains auteurs ibériques. Comme
toujours en ce genre d’ouvrages la multiplicité des contributions, très
spécialisées et fortement philologiques, rend impossible le compte-rendu de
leurs contenus. Les spécialistes sauront les retrouver et exploiter cette mine.

52. L’étude de U. VOLP porte sur La mort et son rituel dans les commu-
nautés chrétiennes de l’Antiquité et constitue la première monographie sur le
sujet depuis plus d’un demi-siècle. L’ouvrage commence par une large
enquête sur la relation avec les morts dans l’environnement du christianisme
ancien, la culture funéraire de l’Égypte, du Judaïsme, de la Grèce classique,
de la république puis de l’empire romain : rites d’enterrement, forme des
sépultures, repas et dons funèbres, musiques, rôle de la famille et de la
communauté, problèmes de l’impureté des morts... L’examen de ces sources
ne renvoie nullement à un monde de rites homogènes car les échanges
culturels dans l’empire romain laissaient la place à des traditions très
différentes. Ce contexte permet de situer les pratiques funèbres chrétiennes,
étudiées dans les sources littéraires, archéologiques et artistiques : locaux ou
156 B. SESBOÜÉ

espaces (en particulier les catacombes à partir du début du IIIe siècle,


émergence du terme de cimetière), processus des funérailles entre le
moment de la mort et l’enterrement, toilette funèbre, veille des morts,
lamentations, couleurs, musiques, repas et célébration du souvenir... La
documentation est extrêmement riche. De nombreuses reproductions illus-
trent le propos.
Les documents dont nous disposons ne permettent pas de reconstruire
complètement les rites d’enterrement ou de commémoration funéraire et
nous sommes en face d’une grande pluralité. Jésus et ses apôtres n’ont pas
équipé la jeune religion avec des prescriptions rituelles irrévocables en ce qui
concerne la mort et l’enterrement. Le christianisme ne dispose donc pas de
tradition rituelle distinctive. Les familles chrétiennes suivaient au départ les
coutumes locales, qu’elles soient juives, grecques ou romaines. Graduelle-
ment à partir du IIe siècle émergent des signes de modification intentionnelle
des traditions héritées, ce qui entraîna d’ailleurs des débats et des conflits en
matière de rituel. Une question centrale fut celle de la pureté ou de l’impureté
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liée à la mort. La loi juive était rigoureuse sur l’impureté du cadavre. La
réponse chrétienne fut sans ambiguïté, déjà dans le NT et plus encore chez
les Pères : les prescriptions juives en la matière n’avaient plus de valeur pour
les chrétiens. Mais cette attitude ne signifiait pas que la position chrétienne
était définitivement trouvée. Le fait que le défunt n’était plus regardé comme
impur ouvrira le culte chrétien aux rites de funérailles et de commémoration.
La question de l’impureté fut à nouveau soulevée dès avant le temps de
Constantin lorsque des fonctions publiques exercées dans les cultes païens,
où la pureté était d’une extrême importance, furent subitement reprises par
les chrétiens qui incorporèrent à leurs rituels des éléments païens de pureté
rituelle. Cette hypothèse, qui serait à confirmer par d’autres recherches,
pourrait expliquer les conflits soulevés à propos de la pureté des reliques
placées dans les Églises, qui émergèrent dans la seconde moitié du
IVe siècle. Les autorités chrétiennes dénièrent tout caractère impur aux
restes humains, ce qui constituait un changement décisif par rapport aux
positions du judaïsme et du paganisme. Elles prenaient au contraire en
compte la vertu (aretè) du défunt. La théologie des reliques était liée à la
conviction de la résurrection. La relique pouvait jouer un rôle purificateur,
puisque le défunt était endormi et non pas mort. La religion nouvelle ne se
contentait pas en effet de répondre aux questions existentielles, comme les
écoles philosophiques pouvaient le faire en s’en tenant à la simple idée de la
mort. Les textes chrétiens centraux mettaient au cœur de leur réflexion la
pensée de la résurrection des morts et réclamaient une intervention ecclé-
siale en cette sphère, au nom de la revendication universelle et totalisante
que le christianisme exerçait sur ses croyants. Les deux fonctions de religion
familiale et de culte public furent reprises par le christianisme au moins à
partir du IVe siècle. Même si l’Église de ce temps n’avait pas les ressources
et le personnel qui seront ceux du Moyen Age, cependant dès avant
Constantin nous rencontrons des rites et des fêtes dans lesquels les
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 157

responsables sacerdotaux remplissaient leur tâche liturgique. De telles


interventions dans les questions rituelles de la mort soulevèrent des ques-
tions difficiles à des évêques comme Jean Chrysostome et Augustin. Ce
dernier se montra très compréhensif par son respect de la souffrance
humaine et admit le besoin anthropologique d’un rituel de deuil permettant
d’en accomplir les diverses phases. La considération des rituels de la mort
confronte toujours à la question de ce que signifient pratiques païennes et
pratiques chrétiennes. Beaucoup de sources donnent l’image d’un antago-
nisme entre les unes et les autres. Il exista certainement. Cependant, même
dans les cas de conflits, on observe une transformation de pratiques
païennes en pratiques chrétiennes, et donc une certaine continuité. La vetus
et melior consuetudo ne fut pas toujours invoquée comme chez Minucius
Felix. Finalement nos sources suggèrent que les chrétiens ont fait la paix
avec l’esprit du temps en ce domaine. La crémation n’a jamais eu la
sympathie des chrétiens. Le bilan de cette étude très érudite est donc plein
d’enseignements sur tout un versant de l’existence chrétienne.
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53. Anne JENSEN publie, sous le titre Femmes des premiers siècles
chrétiens, un ensemble de textes patristiques concernant les femmes. Une
bonne introduction indique les grandes rubriques du volume : femmes
apôtres, prophétesses, martyres, ascètes, vierges et moniales, veuves et
diaconesses, docteurs, épouses et mères. Quelques thèmes sur la féminité,
ainsi que la présentation de figures exemplaires, achèvent le tout. Les textes
proposés reproduisent le même mouvement : ils partent du NT, n’oublient pas
les Actes apocryphes ni les informations sur les pratiques sectaires ou
hérétiques et conduisent le lecteur jusqu’à la fin du Ve siècle. Retenons
quelques traits de ce florilège. L’idéal de la « femme virile » fait que la femme
continente est regardée « comme un homme ». Étant donné la suppression
des sexes dans le Royaume de Dieu, les femmes y entreront comme
hommes. Dans les apophtegmes des Pères il y a place pour les paroles de
trois « Mères du désert » (sur 150). Le synode de Gangres (340) refuse que
les femmes ascètes aient les cheveux coupés courts, car Dieu a donné à la
femme une longue chevelure pour lui rappeler sa dépendance. Mais les
règles ascétiques sont les mêmes pour les deux sexes. Chez les ascètes il y
a place pour l’érémitisme, le cénobitisme et aussi le mariage spirituel,
c’est-à-dire le mariage continent, soit après la mise au monde des enfants,
soit dès la nuit de noces. L’idée d’une vie commune purement fraternelle
entre clercs et vierges donnera lieu à des abus, ceux des femmes « subin-
troduites », dénoncés par Jean Chrysostome. Certains textes relatent le
diaconat féminin, dont l’ordination donne lieu aujourd’hui à discussion.
Certaines femmes pouvaient enseigner en fonction de leur culture, être
didascales et devenir maîtresses spirituelles. Peu de documents nous
renseignent sur les plus nombreuses, c’est-à-dire les épouses et les mères.
La doctrine d’Augustin sur le bien du mariage mentionne non seulement la
procréation mais aussi l’affection mutuelle entre les époux. À propos d’Eve et
de Marie, Irénée ne dit rien de la soumission de la femme à l’homme ; mais
158 B. SESBOÜÉ

Tertullien est particulièrement sévère sur le sexe féminin, collectivement


responsable de la chute originelle. Augustin reconnaît à l’être spirituel de la
femme la qualité d’image de Dieu, mais pas à son être sexué. La femme est
auxiliaire de l’homme, donc un être secondaire. La division du travail est
affirmée selon le modèle patriarcal du ménage. La soumission au mari est
tempérée par l’amour lui aussi « patriarcal ». Mais Basile de Césarée,
influencé par sa sœur Macrine, enseigne l’égalité des sexes comme images
de Dieu. Le pèlerinage d’Egérie témoigne d’une belle liberté féminine. Cinq
figures sont présentées en fin de volume : une épouse et Mère, Proba,
poétesse chrétienne, Macrine et Marcelle, témoins de l’ascétisme féminin,
Olympias, veuve et diaconesse, amie de Jean Chrysostome, et le cas plus
exceptionnel de l’impératrice Pulchérie.
Ce dossier, intelligemment choisi et couvrant bien l’ensemble des situa-
tions féminines de la société ancienne, manque malheureusement d’une
conclusion synthétique. Mais ses auteurs féminins ont soigneusement évité
la tentation de la caricature. Quel bilan peut-on donner de ce « discours »
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patristique sur les femmes, largement tenu par des hommes ? L’Église s’est
développée à l’évidence dans une société gréco-romaine patriarcale et son
héritage juif allait dans le même sens. La hiérarchie des deux sexes était une
évidence culturelle. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer la pénétration
progressive du personnalisme chrétien au bénéfice de la femme et condui-
sant à la reconnaissance de l’égalité des deux partenaires humains. Les
questions en débat et les jugements de valeur exprimés sont ici tout aussi
intéressants que les faits. Une comparaison plus systématique entre mœurs
chrétiennes et mœurs païennes permettrait sans doute d’arriver à une
interprétation plus ferme de l’évolution générale.

54. Qu’est-ce qui peut pousser un croyant à souffrir avec joie le martyre
pour le Christ ? La réponse à cette question est une petite théologie du
martyre aux premiers siècles que propose M. SUSINI, Le martyre chrétien,
expérience de rencontre avec le Christ. Les principaux témoignages du NT
(Étienne, Paul, les évangiles et l’Apocalypse), les Lettres d’Ignace d’Antio-
che, le martyre de Polycarpe, quelques actes des martyrs (Lyon, Perpétue et
Félicité) et enfin l’Exhortation au martyre d’Origène, permettent de recueillir
un florilège impressionnant d’expressions exprimant non seulement la ren-
contre mais encore une sorte d’« identité » entre le martyre et le Christ. C’est
Étienne dont le martyre reproduit les traits de la passion de Jésus ; c’est Paul
qui dit : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20),
et pour lequel « vivre c’est le Christ et mourir est un gain » (Ph 1,21). C’est
Ignace qui veut être un imitateur de la passion de son Dieu (Rom 6,3), « le
froment de Dieu », et qui comprend son martyre en termes eucharistiques ;
c’est le Christ qui souffre dans le corps du martyr. Ces témoignages
(marturia) font apparaître le martyre comme une vocation, un charisme et une
récompense, la conformation suprême au Christ et une anticipation de
l’eschatologie.
BULLETIN DE THÉOLOGIE PATRISTIQUE GRECQUE 159

55. Sous le titre Les Pères de l’Église et l’astrologie, M.-H. CONGOURDEAU


et M.-E. ALLAMANDY présentent un dossier thématique sur un sujet qui n’est
pas aussi marginal qu’on pourrait le penser. Les sept auteurs choisis et
traduits (Origène, Méthode d’Olympe, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse,
Diodore de Tarse, Procope de Gaza et Jean Philopon) ne sont que d’heureux
échantillons d’une polémique anti-astrologique constante chez les Pères. Ce
florilège est l’objet d’une longue introduction de M.-E. Allamandy, qui retrace
les origines et le développement de l’astrologie dans le monde antique, des
chaldéens aux grecs et aux romains, et montre le problème à la fois
théologique et pastoral que la pratique répandue de l’astrologie dans les
milieux chrétiens posait aux Pères de l’Église. Les croyances astrologiques,
considérées comme superstitieuses et ridicules, entretiennent l’idée d’un
fatalisme capable de démobiliser la liberté. L’astrologie était aussi une
expression du pouvoir du mal dont le Christ est venu nous délivrer. Les
grands arguments sont ici recensés sous deux rubriques majeures, l’éluci-
dation du rôle possible des astres dans la vie humaine et la polémique aux
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raisons innombrables, théologiques, philosophiques, morales, logiques et
techniques. Ces arguments sont largement inspirés du philosophe païen
Carnéade, mais revitalisés par le souci de dénoncer l’impiété de ces
croyances. Les réalisatrices annoncent un dossier analogue d’auteurs latins.
Cet excellent instrument de travail mériterait d’être lu par les chrétiens
d’aujourd’hui tentés de se fier aux nouveaux horoscopes donnés par les
média.

56. Sous le titre, Les premiers conciles. Un ministère d’unité, B. MEUNIER


publie un cours donné à la Faculté de théologie de Lyon sur la naissance et
le développement de l’institution conciliaire dans l’Église ancienne, depuis le
« concile de Jérusalem » jusqu’à Chalcédoine. L’entreprise se veut essen-
tiellement historique et ecclésiologique et non proprement dogmatique. Elle
suit donc le cours de l’histoire pour repérer l’émergence des conciles ou
synodes locaux et régionaux à la fin du IIe siècle et dans le courant du IIIe et
aborde essentiellement les quatre grands conciles de Nicée à Chalcédoine.
À propos de chacun, les questions clés se trouvent abordées : sources,
contexte historique, présidence, acteurs, ordre du jour et calendrier, symbo-
les et définitions doctrinales promulgués, points disciplinaires, réception
enfin. Nicée conduit à l’émergence progressive de la théologie du concile
œcuménique ; Constantinople I est un cas original, puisque son oecuméni-
cité est rétroactive ; Ephèse aboutit à l’impasse de deux conciles rivaux,
jusqu’à la réconciliation provisoire de 433 ; la réception de Chalcédoine ouvre
une longue histoire conflictuelle. Un chapitre est aussi consacré aux conciles
qui ont suivi Nicée en raison des résurgences du conflit arien. Il en va de
même du brigandage d’Ephèse de 449. Les vicissitudes doctrinales de ces
conciles appartiennent en effet à la théologie du concile, car elles mettent en
avant le poids de la non-réception. Un chapitre de bilan revient sur la
définition et les critères d’un concile œcuménique, évoque le rapport délicat
160 B. SESBOÜÉ

d’autorité entre le pape et le concile, et montre comment celui-ci constitue un


ministère d’unité de l’Église.
Cet ouvrage est sans doute un manuel, mais il est clair, pédagogique, et
s’appuie sur une documentation très à jour. Il n’oublie pas le traitement des
concepts dogmatiques-clés et exerce un discernement très juste. On regret-
tera que l’itinéraire conciliaire ne se continue pas à travers Constantinople II
et III, dont le but était de donner une interprétation de Chalcédoine.
L’impression du livre est malheureusement assez déficiente (par ex. la
première lettre des noms manque dans les colonnes de l’index).

57. Saluons en terminant la réédition du manuel sur l’eschatologie patris-


tique de B. E. DALEY, L’espérance de l’Église ancienne, paru en 1991 aux
éditions Cambridge University Press, et qui était épuisé. L’auteur n’a pu que
corriger certaines erreurs et compléter la bibliographie. Ainsi cet excellent
parcours de l’apocalyptique chrétienne, poursuivi de siècle en siècle en
Orient et en Occident, continuera à rendre de précieux services. ¶
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