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POUR UN DEVELOPPEMENT
A LONG TERME
Mars 2005
Emmanuelle ANDRIANJAFY
Docteur en Sciences Sociales
(en développement – population - environnement)
Gaëtan FELTZ
Docteur en Histoire
Gouvernance et
Politiques
Publiques
Pour un
Développement
Humain Durable
Programme PNUD
MAG/97/007 –
DAP1
SOMMAIRE
Résumé exécutif…………………………………………………………………… . 3
Introduction…………………………………………………………………………. 5
• Le contexte de l’étude………………………………………………………. 6
• La méthodologie …………………………………………………………… 7
• Les principaux axes de réflexion…………………………………………… 8
7. Recommandations………………………………………………………... 66
9. Bibliographie et sources………………………………………………….. 72
RESUME EXECUTIF
Les facteurs sociologiques qui doivent permettre de jeter les bases d’un développement
humain et durable reposent sur un corpus de paramètres que nous avons déterminé à partir
d’une analyse fine de la société malagasy, à travers ses éléments historiques et
sociologiques. L’objectif final de cette étude est de voir comment ces facteurs
sociologiques que nous formulons dans nos recommandations, permettent d’assurer un
développement humain et durable à long terme et par voie de conséquence de diminuer la
pauvreté de moitié en 2015.
Une analyse approfondie des modes de fonctionnement nous a permis de mettre l’accent
sur une catégorie d’acteurs, celle qui est la première concernée par toute forme d’action de
développement. Nous avons pris en considération les acteurs de base que nous retrouvons
en général dans le fokonolona, une structure sociale qui a évolué dans le temps et dans
l’espace, surtout à partir de la formation du « royaume de Madagascar » au XIXe siècle et
de l’impulsion qu’elle a donnée dans tout le pays, pour ensuite être reprise par la
colonisation, puis par les trois républiques jusqu’à aujourd’hui.
C’est ainsi que la logique du développement doit tenir compte des principes de base qui
déterminent les logiques communautaire et socioculturelle. L’une ne va pas sans l’autre,
elles sont étroitement liées et sont en constante interaction. On peut croire que les
paramètres de la logique socioculturelle constituent un « blocage » au développement, ce
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
qui n’est pas le cas. Si blocage il y a, cela provient surtout d’une mauvaise perception des
communautés de base, de leurs modes de fonctionnement et surtout de leur propre
perception du modèle de développement.
Les ambitions dans le DSRP pour un développement humain et durable en symbiose avec
les objectifs du Millénaire dans la réduction à moitié dans dix ans la pauvreté à
Madagascar sont des enjeux majeurs et font partie de challenge que l’ensemble des acteurs
du développement (Etat, secteur privé, société civile et acteur de la base) doit défier.
Partant des analyses de ces facteurs sociologiques et historiques, nous proposons les
indicateurs suivants qui tiendront compte des éléments vitaux de la société malagasy pour
un développement à long terme :
o Mettre en synergie tous les acteurs concernés par une action de développement.
o Tenir compte des spécificités et de l’originalité de chaque groupe socio ethnique.
o Prendre en considération la trilogie fokonolona, tanindrazana et fihavanana.
o Utiliser selon les situations la capacité de résistance et la faculté d’adaptation de la
population.
o Mettre en exergue l’articulation villes-campagnes, campagnes-villes.
o Revenir au système traditionnel de la gouvernance locale afin de l’adapter aux
contextes socio-politiques et socio-économiques actuels.
o Exploiter la potentialité de travail effectué par les femmes.
o Mettre en harmonie l’ « institutionnalisation » du fokonolona par l’Etat avec les
aspirations des communautés locales.
o Tenir compte des variables dans la hiérarchie sociale d’un groupe, d’une
communauté.
o Exploiter les variables de l’économie populaire dans le processus de
développement.
o Gérer les patrimoines et les ressources.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
INTRODUCTION
L’objectif de cette étude est de contribuer à inclure dans les stratégies de développement
tous les aspects sociologiques et historiques qui ont marqué la société malagasy tout le
long de son histoire et qui sont susceptibles d’influencer le développement à long terme
dans le futur. Le développement humain et durable est ainsi pris comme objectif du
gouvernement actuel. Évoquer un développement humain et durable signifie de prendre en
considération dans toutes ses dimensions tous les facteurs qui permettent de favoriser
l’épanouissement de la société afin que cette société puisse constituer un vecteur du
développement à long terme. Cette perspective est alors significative puisqu’il montre une
stabilité, une continuité dans toutes les actions entreprises et à entreprendre. Les stratégies
de développement à élaborer tiendront compte du long terme mais ne se limitent plus à des
politiques de développement à court terme qui ne résistent pas aux premières crises
(politiques, économiques, etc.).
Dans cette étude, une place importante a été donnée aux acteurs de développement
notamment le fokonolona, qui n’est pas seulement une entité de référence mais surtout un
acteur de développement à part entière. Cette connaissance du fokonolona permet ainsi de
faire l’analyse des facteurs sociologiques et historiques qui déterminent les comportements
de la société malagasy à travers les contextes auxquels elle est confrontés.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
• LE CONTEXTE DE L’ETUDE
Madagascar est classé parmi les pays les moins avancés à faible revenu et à déficit vivrier
(PERDV). Plus de 70 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté (soit moins de
1 dollar par jour), et 80 % de la population rurale vit en dessous du seuil de pauvreté. Selon
une enquête faite dans le cadre du projet « Madio », en 1993, 76 % des Malgaches vivaient
avec moins de 1 USD par jour. En 1997, la situation s’est aggravée, passant à 79 %.
Aujourd’hui, la situation s’est quelque peu améliorée en milieu urbain. Mais, selon nos
propres enquêtes effectuées dans tous les arrondissements de la capitale (décembre 1999 –
avril 2000), plus de 50 % des ménages vivent avec moins de 10.000 Fmg (soit moins de
2.000 Ariary) par jour, donc avec moins d’un dollar et demi pour une famille de quatre
personnes. Dans la catégorie des pauvres, de nombreuses familles n’arrivent pas à gagner
plus de 3.500 Fmg par jour. Les conséquences parmi ces démunis sont très graves :
malnutrition, maladies de la peau, turberculose, analphabétisme, prostitution, etc … Le
constat est clair : 54 % de la population malgache est analphabète, 26 % des ménages ont
seulement accès à l’eau potable. Six Malgaches sur dix occupent un logement d’une seule
pièce. Quoique le PNB soit passé de 235 USD en 1995 à 276 USD en 1999, « tous les
ingrédients de la pauvreté sont là et la situation risque encore de s’aggraver » selon le
Programme national de la Population (2000), et il s’est aggravé surtout depuis la crise de
2002.
Le gouvernement malgache, sous la pression des institutions internationales, a été amené à
formuler un plan national de lutte contre la pauvreté, qui deviendra le Plan Stratégique de
Lutte contre la Pauvreté (DSRP) en 2001 du développement du pays en lieu et place du
Document Cadre de Politique Economique (DCPE) élaboré en 1997.
Nous sommes en présence d’une situation paradoxale quand on connaît le potentiel des
ressources de ce pays : cultures d’exportation, ressources minérales, ressources
halieutiques, écotourisme qui fait de Madagascar une destination privilégiée. Ajoutons à ce
constat une dégradation de l’environnement et des réserves forestières. Selon rapport de
LDI, la dégradation de l’environnement à Madagascar est étroitement liée à l’aggravation
de la pauvreté en milieu : « Si les tendances des 20 dernières années se poursuivent
jusqu’en 2020, l’expansion des terres agricoles se fera au détriment de 500.000 ha de
forêts, juste pour maintenir la production de riz au niveau de 1995 ; la pire déforestation se
produira dans la région de Moramanga où 80 % du reliquat de forêts seront détruits ». Les
causes de ce constat sont profondes et complexes et les conséquences sont à la mesure du
« laisser-aller » des autorités depuis la révolution de 1972.
C’est ainsi que le DSRP a pour ambition d’atteindre les neuf objectifs de la Déclaration du
Millénaire pour 2015 : (1) réduire de moitié la proportion de la population vivant dans la
pauvreté extrême, (2) réduire de moitié la proportion de personnes souffrant de la faim, (3)
réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de cinq ans, (4) réduire de trois
quarts le taux de mortalité maternelle, (5) scolariser tous les enfants dans le primaire, (6)
réduire de moitié la proportion de personnes privées d’accès à l’eau potable, (7)
promouvoir l’autonomisation des femmes en éliminant les inégalités entre garçons et filles
dans l’enseignement primaire et secondaire, (8) mettre en œuvre, d’ici 2005, des stratégies
nationales de développement durable, afin de pouvoir inverser dès 2015 la tendance à la
dégradation des ressources écologiques d’ici 2015, (9) arrêter la progression du VIH/SIDA
et commencer d’inverser la tendance. Ces objectifs, pour fiables qu’ils sont dans leur
prospective, certains pouvant être atteints, d’autres non, doivent s’appuyer sur des
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
• LA METHODOLOGIE
La méthodologie que nous avons utilisée est des plus classiques : (1) référence aux sources
documentaires, documents officiels, rapports de terrain, (2) travaux personnels, rapports
d’études sollicités par des organismes internationaux, (3) notre propre perception des
choses.
- Les sources documentaires : les données utilisées reposent sur des travaux et études
déjà effectuées sur l’ensemble du pays, à savoir des documents officiels, tels les rapports
des travaux effectués par des organismes non étatiques mais qui sont financés par les
bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale, le PNUD, par des études commanditées par
des ONG’s internationales sur la gouvernance locale, la dégradation de l’environnement
dans des zones sensibles (CRS, PACT-Madagascar, Conservation International).
- Nous avons utilisé aussi des études de cas effectuées personnellement suite à une
demande formulée par des organismes internationaux oeuvrant pour la sécurité alimentaire,
la lutte contre les endémies et pandémies, la conservation de la biodiversité à Madagascar,
des rapports de mission et des travaux de recherches plus fines comme celle d’une
« Evaluation et perspectives des transferts de gestion de ressources naturelles
renouvelables (TGRNR) dans le cadre du Programme environnemental 3 », à partir de la
loi 96-025 sur la Gestion locale sécurisée (GELOSE). Ce qui nous a permis de mieux
connaître la perception des communautés locales concernant le processus de la mise en
place d’un transfert de gestion de ressources naturelles renouvelables. Ces recherches
anthropologiques et sociologiques sont en grande partie l’outil de travail à partir desquels
nous posons nos préalables et nos résultats. Trois grandes parties de l’île ont été le champs
de ces études : les Hautes Terres centrales, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest malgache. Ces
différentes données sont ainsi utilisées afin de comprendre d’une manière précise les
réalités sociales dans les différentes régions. Notre objectif est alors de confronter les
données qualitatives avec les données quantitatives fournies selon les domaines tout en
tenant compte des objectifs finaux correspondant à ceux présentés au niveau du DSRP et
des Objectifs de la Déclaration du Millénaire. Ce qui nous a permis d’analyser la
dynamique des sociétés locales dans le temps et l’espace depuis le XIXe siècle.
- Enfin, nous appuyons et formulons des perspectives à long terme par rapport à notre
perception des divers terrains que nous avons effectués avec nos étudiants des Sciences
sociales du Développement, permettent de mieux cerner les problématiques de la mise en
place d’une stratégie de développement humain et durable. Mais, nous avons essayé de ne
pas tomber dans le piège de la génération hâtive sur les comportements des uns et des
autres, à partir d’un cas particulier.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
2. Nous identifierons les principaux facteurs historiques et sociologiques qui ont fortement
marqué la société malagasy et les générations des Malgaches dans le passé. Plusieurs
facteurs seront ainsi soulevés qui permettront de comprendre les comportements, les
mentalités, le mode de fonctionnement et les dynamiques sociales de ces acteurs. Sans
entrer dans les réalités vécues par les gens, il n’y a pas moyen de se mettre à leur place ou
de les comprendre. Les données statistiques sont très importantes pour situer
quantitativement l’évolution ou bien la régression des différents indicateurs
socioéconomiques de base. Mais elles devraient être complétées par des résultats d’enquête
qualitative et participative qui démontrent avec clarté des situations concrètes.
3. Nous pensons que la dimension du fokonolona au cours de son évolution dans le temps
et l’espace nous permettra de mieux cerner les motivations et les dynamiques de la société
malagasy à travers son histoire et au vu de sa diversité régionale. Ce troisième point peut
paraître fastidieux au lecteur de part sa longueur, mais il est cependant nécessaire de bien
comprendre qu’une des principales composantes de base de la société malagasy est cette
institution qui a beaucoup évolué dans le temps et dans l’espace.
4. Nous définirons ensuite les fondements de ces facteurs sociologiques qui sont les
principes fondamentaux pouvant déterminer tous les comportements et les modes de
pensée de la société. Nous les analyserons dans le temps et l’espace. Car nous devons
remonter au XVIIIe siècle, voire plus en avant, afin de comprendre comment fonctionnait
la société malagasy du temps des royaumes, sous la colonisation et sous les trois
républiques. Certaines constantes apparaissent au cours de ces différentes séquences
historiques.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
6. Ces différentes logiques que nous avons identifiées dans le cinquième point sont en fait
en interdépendance étroite et donc sont en interaction. A ce niveau, nous pourrons faire une
analyse approfondie et rétrospective de l’évolution de ces interactions ainsi que leurs
impacts dans le processus de développement. Le maintien de ces logiques en interaction
sur une longue période a permis à la société malagasy de faire face à toutes les crises
économiques et politiques et aux modèles de développement que l’on est en train
d’ « expérimenter » à Madagascar au cours de ces dernières décennies.
7. Après avoir pris connaissance de ces différents éléments et les éventuels facteurs de
« blocage », il sera désormais possible de cerner les facteurs sociologiques porteurs d’un
développement durable. Nous savons très bien que dans ce domaine, tout en prenant acte
de l’objectif d’atteindre un développement durable dans une perspective « humaine et
sociale », il est nécessaire qu’il soit pris en compte les principes de base d’un mode de
fonctionnement « crédible et acceptable » de la société malagasy.
La rétrospective à faire ne doit pas être limitée à la période d’après l’accès de Madagascar
à l’indépendance des années 60, mais doit remonter au temps des royaumes. Cette vision à
long terme permettra ainsi de voir qu’il existe une certaine continuité dans le
comportement de la grande majorité de la population, comportements qui ont mûri de
longue date grâce à sa capacité de résistance, à sa facilité d’adaptation, qui ne risque pas de
changer ou de disparaître. Tenir compte des différentes logiques de la société malagasy,
c’est déjà préparer son lendemain. Connaître le passé, c’est améliorer et maîtriser le
présent, afin de prévoir et préserver le futur.
8. Enfin, nous nous permettrons d’émettre des considérations d’ordre comparatif avec
d’autres sociétés et pays dans lequel nous avons travaillé pendant plusieurs années, entre
1967 et 1990, en particulier avec certains pays de l’Afrique des Grands Lacs (Rwanda,
Burundi et Congo/Zaïre) et ailleurs selon nos pérégrinations. Nous pouvons déterminer des
similitudes et des dissemblances entre Madagascar et les pays ou régions de l’Afrique
bantoue.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
L’objectif de cette première partie n’est pas de définir les acteurs de développement. Il est
toutefois important de mettre l’accent sur les principaux rôles que devrait jouer chacun
d’entre eux. Les différents acteurs de développement reconnus par tous actuellement sont
d’abord, l’Etat, ensuite, le secteur privé et la société civile. Ces trois acteurs sont en fait les
piliers du développement économique reconnus comme tels à Madagascar et ailleurs. Mais
en dernier lieu, il y a la grande majorité de la population qui représente les acteurs de la
base ou encore les communautés de base dont les fokonolona. Cette dernière catégorie
d’acteurs qu’on ne cite qu’à l’occasion, doit être prise en considération dans le processus
de développement.
Ce qui veut dire que le rôle de l’Etat est toujours primordial dans le développement, même
si à un moment donné certains bailleurs de fonds ont insufflé une stratégie de
développement « avec moins d’Etat », en donnant la possibilité au secteur privé de
prendre des initiatives, tout en tenant compte des impacts qu’auront ces industries sur
l’environnement. Le secteur privé est à la base du développement en s’appuyant sur les
différents secteurs de productivité, à savoir l’agriculture, l’artisanat, le tourisme, certains
secteurs industriels porteurs pouvant favoriser les exportations comme l’aquaculture dans
la partie Ouest et Nord-Ouest de Madagascar. Enfin, la société civile contribue entièrement
au développement en dehors de ses actions sociales philanthropiques et sert de relais aux
actions du gouvernement.
Mais il faut reconnaître aussi que la grande majorité de la population peut être un potentiel
économique et social non négligeable. C’est en ce sens qu’il est impératif de la connaître
en tant qu’acteurs de développement à part entière. Sur quels acteurs allons-nous focaliser
notre étude ? Les acteurs de la base, c’est-à-dire ceux des communautés de base connus
habituellement sous l’appellation de fokonolona, constitueront le primat de cette réflexion.
En fait se référer aux acteurs de la base c’est montrer un intérêt au fokonolona. Il ne s’agit
pas du fokonolona au sens où l’a défini Georges Condominas en 1960, mais selon une
notion plus sociologique et plus proche des réalités locales (Hautes Terres et Côtes) au sens
large. Le renouveau des recherches dans le domaine du développement, notamment en
anthropologie et en sociologie, a mis l’accent sur l’approche systémique qui met en
interaction les systèmes de pouvoir, le rôle des acteurs, les contraintes et les dynamiques
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Selon le même auteur, on doit reformuler les interactions entre structures et acteurs à
travers une meilleure intégration entre les études empiriques qui renouvellent les
connaissances des réalités et les préoccupations théoriques qui ne sont pas encore basées
sur de nouveaux apports empiriques2. C’est ce courant de pensée qui propose en fait un
renouvellement d’une approche systémique, dans lequel on reconnaît l’importance de
l’analyse des interactions entre structures et acteurs, pour saisir la complexité et les
contradictions des processus de développement réels dans une analyse contextualisée.
C’est dans cette optique que se focalise la construction des acteurs dont le fokonolona
comme acteurs collectifs qui se réfèrent à leurs identités territoriale et culturelle, et dont
l’existence ne doit pas être liée aux crises économiques récentes mais le produit d’un
processus historique de longue période. La prise en considération de ces acteurs de la base
a ouvert des pistes de réflexion sur leur manière de vivre, leur stratégie d’action et de
résistance, leur identité socioculturelle qui convergent vers leurs actions et vont aider à
comprendre leurs comportements. On observe que ces gens qui sont vus comme des
pauvres disposent d’une capacité d’initiative et de résistance capable de faire face aux
crises économiques, permettant de s’adapter aux problèmes sociaux. D’où la prise en
considération des facteurs historiques et sociologiques qui ont marqué ces acteurs dans le
passé et dans le futur que nous allons développés dans le second point.
Une connaissance approfondie du fokonolona historique nous semble dès lors importante
et sera développée dans le troisième point afin de voir ses caractéristiques et comprendre la
continuité de son rôle dans les pratiques et la résistance face aux différents contextes
historiques.
LDI, Plan de travail. Préambule & Présentation du Programme. Mai 1999-Juillet 2002, Antananarivo, 1er
avril 1999, p. 2.
Cf. le Rapport BM de 1997 ….
1
SCHUURMAN F., « Introduction : Development Theory in the 1990’s », Beyond the impasse, New
directions in development theory, London, Zed Books, 1993, pp. 31-31.
2
SCHUURMAN F, op. cit., p. 3
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Plusieurs éléments doivent être pris en compte, ayant reflété directement ou indirectement
les comportements de la société tant du point de vue socioculturel que du point de vue
politique et économique. Ces éléments sont perceptibles au cours du temps, ce qui permet
d’affirmer qu’il existe une continuité séculaire au niveau de ces pratiques.
2. Malgré ce qu’on dit, la vie en communauté, telle qu’elle existe au niveau du fokonolona
ou d’une communauté villageoise, des réseaux familiaux ou encore des réseaux sociaux,
reste le noyau de communication de l’ensemble des populations.
3. La réticence devant les initiatives de l’Etat et des organismes d’appui (ONG, et les
agences d’exécution) : en effet, le mouvement associatif des années 1980 – 1990 supplée
aux carences de l’Etat, ce que les gens de la base ont bien perçu depuis lors et ont très
compris leurs difficultés pouvaient être résolus grâce à l’appui apporté par des associations
ou ONG’s.
4. « La perception suivant les intérêts » : les gens observent en général les situations selon
leur degré de perception par rapport à ce qu’ils souhaitent atteindre et ne s’y appliquent
que si ils y trouvent un intérêt. Mais quel est-il cet intérêt ? Pouvoir accomplir ce qu’ils
estiment « prioritaires » dans leur vie : vivre c’est travailler et donc gagner de l’argent afin
de pouvoir envoyer les enfants à l’école pour améliorer la connaissance, améliorer leur
niveau de vie. À ce stade, l’amélioration du niveau de vie dépend de l’origine de la
personne. Les gens de la ville perçoivent cette amélioration du niveau de vie comme une
possibilité de gagner de l’argent afin de pouvoir joindre « les deux bouts » à la fin du mois.
Les objectifs étant de vivre de façon à ce que la famille mange trois fois par jour, que les
enfants soient scolarisés et qu’ils puissent avoir un toit à la portée de la famille, ce qui est
loin d’être le cas en milieu urbain. Et en dernier lieu, accomplir les obligations sociales ou
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
familiales, entretenir le tanindrazana selon les moyens. Ce sont donc tous ces « objectifs »
qui permettent aux individus d’atteindre un « mieux-être ». Les gens vivant à la campagne
ou notamment dans leur tanindrazana perçoivent autrement cette amélioration de leur
niveau de vie avec d’autres intérêts qui touchent directement leur tanindrazana car toute
leur vie y est attachée. A savoir que les ruraux souhaitent atteindre ce « mieux être » avec
des moyens qu’il est nécessaire d’acquérir : 1) une attente de l’Etat d’éradiquer le
banditisme, 2) atteindre la sécurité alimentaire par l’introduction de nouvelles cultures,
sachant maintenant que la riziculture n’est peut-être la « panacée » miracle des générations
futures.
Les conséquences à long terme sont de plusieurs ordres, certaines peuvent constituer une
base d’un développement durable, d’autres peuvent être un frein :
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
créer une micro-entreprise. Cela est très perceptible dans les villes et plus
particulièrement dans la capitale.
- A ces stratégies qui se sont développées dans l’économie informelle, une catégorie
d’individus s’est marginalisée en tombant dans la spirale de la pauvreté d’où il est
quasi impossible de s’en sortir sans une aide venant de l’extérieur.
- Mais, même dans les cas de pauvreté extrême comme on peut le voir en milieu
urbain, le respect des traditions reste vivace, ce qui explique pourquoi le
famadihana est très fortement pratiqué dans les couches sociales défavorisées.
4. - Les relations campagne - ville occupe un rôle central dans les stratégies de vie des
acteurs, au cœur de leur reproduction en tant qu’acteurs sociaux. Ils établissent un lien
entre les deux types d’espace, ce qui permet d’effacer la dichotomie entre les deux
« mondes » proposée par toutes les politiques de modernisation. Leur vie est à la fois à la
ville et à la campagne. À travers leurs pratiques et le rôle central du tanindrazana, l’espace
rural n’est pas dévalorisé par rapport à l’espace urbain, mais au contraire il est fortement
valorisé. Les acteurs ruraux entrent, par migrants interposés, dans la modernité urbaine, et
les acteurs urbains considèrent que la vraie sécurisation des conditions de vie repose dans
la permanence du milieu traditionnel rural. Cela se traduit par la revalorisation de l’espace
rural en maintenant les us et coutumes traditionnelles, mais aussi en s’adaptant aux
influences externes basées sur le transfert d’argent et les retombées de la modernité des
milieux urbains.
5. - Pour ne pas être à la merci des effets négatifs de la modernité, les paysans réitèrent leur
position de « gardiens de la tradition » en contribuant à l’entretien de tous les éléments qui
font état de leur identité, craignant l’insécurité de l’espace urbain. C’est ce que nous
pouvons voir dans les diverses manifestations sociales et culturelles, lorsque un organisme
se manifeste dans un village pour « évoquer » ou « inciter » à mettre en place une structure
de développement et/ou de conservation, comme cela peut se voir lors de la construction
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
d’une école primaire, d’un centre de santé de base, d’une nouvelle culture, etc … Il est
toujours nécessaire de faire un sacrifice, afin d’avoir le consentement des ancêtres. Nous
devons tenir compte de la prégnance des autorités traditionnelles à côté des autorités
institutionnelles représentant l’Etat dans toute action de développement et/ou de
conservation – lors de la mise en place d’un transfert de gestion.
1. Une forte articulation villes-campagnes et campagnes - villes, ainsi il existe une forte
interaction entre les différentes Régions, du point de vue économique. Mais, on ne peut pas
réduire les rapports campagnes – villes à une simple dimension économique. Les
campagnes ne sont pas un monde à part et en retard (c’est l’image qu’on lui donne
souvent), en attente de modernisation, du fait que le moteur du développement, qu’est la
croissance économique, est plus perceptible dans les villes qu’à la campagne.
2. La présence des tombeaux familiaux sur la terre des ancêtres contribue en grande partie
à l’attachement socioéconomique et culturel au tanindrazana dans le milieu rural. En effet,
dans bon nombre d’endroits où des migrants des Hautes Terres se sont installés pour
travailler, les morts sont enterrés provisoirement en un lieu, en attendant que la famille ne
puisse « rapatrier » les restes afin qu’ils soient inhumés dans le caveau « familial ».
3. Sachant très bien que 85 % de la population rurale est pauvre pour deux raisons que
nous connaissons bien : la première est le non-accès à la terre : près de la moitié des ruraux
sont des « paysans sans terre ». Que ce soient sur les Hautes Terres (province
d’Antananarivo) ou dans les régions côtières, de nombreux migrants n’ont pas accès à la
terre « directement », voire à la « ressource », nous pensons notamment au complexe
rizicole de Marovoay ou encore dans les villages de pêcheurs de crevettes et d’autres
ressources halieutiques dans la baie de Narindra, au sud d’Analalava. Les migrants ne
peuvent avoir accès à la ressource sans avoir pratiqué le « faty drà » avec un ami
autochtone et ensuite sans avoir pris femme dans ce milieu. La protection de la
« ressource », que ce soit la terre ou la crevette ou une autre ressource, peut être déjouée
d’une manière ou d’une autre, mais les autochtones, même ceux qui sont assimilés aux
autochtones (les « valovotaka »), resteront toujours propriétaires des ressources.
4. Nous pensons que dans les régions où les problèmes de sécurité alimentaire sont
cruciaux, le Malgache accepte volontiers de changer de « mode de vie », dans la mesure où
le riz n’est pas la base alimentaire de la communauté. Il a été capable de pratiquer d’autres
cultures vivrières, comme le maïs, le manioc ou encore la pomme de terre, voire de mettre
en place des cultures de rente, comme la vanille, le caféier, etc … Les ONG’s
internationales qui se sont penchés sur les problèmes de sécurité alimentaire ont très bien
réussi dans l’introduction de nouvelles plantes de rapport. Donc, la valorisation
économique de l’espace rural est plausible.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
1. Il y a beaucoup de non-dit derrière les actes et dans les discours. Nous sommes en
présence d’une société qui est très sensible aux actes et aux paroles, chaque geste
correspond à un fait ou à une situation. Une décision prise brutalement peut
provoquer une sorte de mécontentement et peut casser les relations sociales. Cela a
un effet direct et indirect sur le fihavanana.
2. La société malgache met un accent particulier sur l’importance des liens sociaux et
les rapports sociaux, phénomènes généraux mais qui se diversifient selon les
milieux (ruraux ou urbains). Mais, nous devons bien reconnaître que les valeurs du
fihavanana se manifestent différemment, que l’on soit en milieu rural ou en milieu
urbain. Suite à l’accentuation de la pauvreté, les réseaux normatifs qui caractérisent
le fihavanana sont plus restrictifs en ville qu’à la campagne, nous imaginant que
l’individualité de la « modernité » imprègne plus le monde urbain que la campagne.
La réciprocité dans les pratiques sociales est primordiale et s’il n’y a pas de réciprocité, la
solidarité n’a pas de sens. Cette réciprocité est littéralement vécue dans le monde rural
selon sa logique sociale et culturelle. C’est ainsi que toutes les pratiques économiques
effectuées sont fortement liées aux pratiques sociales dans tous les domaines. Les pratiques
qui ne sont pas monnayées reçoivent en retour d’autres services non marchands. Le respect
de cette réciprocité fait le fihavanana dans le milieu rural. Cela ne veut pas dire qu’elle est
gratuite. La non participation d’un individu à des travaux d’intérêt collectif ou le non
paiement d’un adidy au sein de la collectivité l’écarte de toute la logique communautaire et
donc l’exclut des privilèges auxquels donne droit l’appartenance à celle-ci. Si un décès
3
RAISON-JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar…, op. cit., pp. 828-829.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
survient dans un des foyers du village, ou une naissance s’annonce, c’est tout le village qui
s’en occupe. Et ainsi de suite.
2. Cette attitude est observée pendant toutes les périodes qui se sont succédées, les
différents régimes qui ont marqué l’histoire de la nation. Si les comportements de la
population sont restés imprégnés du respect de la hiérarchisation sociale, il faut bien
reconnaître aujourd’hui que certaines stratégies de développement concourent à
transformer la société en créant des conflits d’autorité au sein des communautés locales.
Nous faisons allusion aux problèmes engendrés lors de la mise en place d’un transfert de
gestion des ressources naturelles renouvelables auprès d’une communauté de base créée à
cet effet et qui doit être « représentative » du fokonolona. Ce qui s’est avéré dans bon
nombre de cas le contraire, souvent pour diverses raisons : pour l’organisme d’appui, il est
plus facile de s’appuyer sur un « courtier », qui est cultivé et proche des développeurs que
d’essayer de comprendre qui détient le pouvoir dans la communauté locale.
Ces différents éléments qui entrent dans la manière de vivre et de se comporter au sein la
société malagasy nous conduit à focaliser nos idées sur les fondements de ces facteurs
sociologiques et historiques, ce qui nous permettra de voir leur évolution dans le temps.
17
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Bien avant la période monarchique, le fokonolona tenait une place non négligeable dans la
société merina, du point de vue social et économique. De ce fait, il joue un rôle important
au niveau de l’évolution de l’économie communautaire, au niveau de la composition et
construction des rapports sociaux dans le cadre communautaire et la valorisation de leur
espace de vie depuis le XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Mais on ne peut parler du fokonolona sans parler de l’économie populaire car ce sont les
pratiques économiques et socioculturelles du fokonolona qui sont illustrées dans
l’économie populaire. Donc, connaître le fokonolona, c’est se référer de ses activités. Nous
faisons allusion à l’économie populaire qui a existé depuis des siècles, depuis même
l’apparition des tsena, marchés locaux au XVIIIe siècle au cours duquel s’est développé
des activités économiques.
Sur le plan économique, le lien au fokonolona résidait dans la possession d’un même
territoire dont seules les rizières et un certain nombre de terres de cultures sèches
appartient proprement à des familles restreintes. Toutes les activités économiques de
18
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
l’époque se trouvaient concentrées sur le vohitra4 et ses alentours. Chaque foko tire alors sa
subsistance du territoire qui entoure le vohitra où se situent leurs demeures, eux et leurs
ancêtres. L’activité prédominante était l’entretien et l’exploitation des rizières ménagées au
fond des vallées, ou la culture sur les parties basses des pentes (taro, haricots, divers
légumes et plus tard manioc, maïs…). Si un homme quitte ce domaine fermé de la famille,
il sera perdu, et tout ce qu’il possède reviendra à la communauté, à moins qu’il soit admis
dans un autre vohitra, et s’y installe définitivement pour recevoir alors une rizière et des
terrains à exploiter.
Il faut bien insister sur le fait que l’histoire longue de la civilisation malgache, sur base de
la formation de milliers de terroirs, exprimés dans la construction de milliers de
fokonolona, n’a rien d’un processus idyllique. L’histoire des fokonolona est indissociable,
pendant des siècles antérieurs à la formation du royaume de l’Imerina, de conflits
multiples, d’envergure différente selon les régions et les époques, liés à des tentatives plus
ou moins éphémères de construire des petits ensembles politiques régionaux. Les
fokonolona locaux ont été pris dans ces conflits, soit comme participants actifs, soit comme
des victimes de campagnes militaires.
Du point de vue qui nous préoccupe ici, ce point doit être souligné, parce que cela signifie
que le fokonolona bien avant la période royale n’avait rien d’une communauté
traditionnelle autarcique, enfermée sur elle-même. Il était partie prenante d’une dynamique
politique et économique qui dépassait ses limites. Cela signifie aussi que la culture
paysanne de ces siècles ne peut être confondue avec la seule dimension d’une culture
visant à construire et à reproduire le seul terroir. Elle a dû aussi générer des composantes
permettant de maintenir la cohérence du fokonolona, malgré les pressions ou sollicitations
extérieures. C’est dire alors que les pratiques populaires d’adaptation et de résistance ont
ainsi une très longue histoire, puisque le fokonolona de cette époque avait déjà survécu à
des nombreuses vicissitudes, pressions et agressions extérieures.
En effet, avant que les rois de l’Imerina n’imposent leur autorité à un groupe de fokonolona
(comme les rivaux en imposaient à d’autres groupes), puis à l’ensemble des foko des
Hautes Terres, les seules unités politiques existantes étaient ces clans fokonolona possédant
chacun un (ou plusieurs) vohitra, sommet de colline où était établi le village au centre d’un
territoire dont les fonds de vallée étant aménagées en rizières irriguées. Chaque clan devait
défendre ses habitants et le territoire qui les fait vivre contre les entreprises des autres
fokonolona établis sur les vohitra voisins, et avec lesquels ils entretiennent par ailleurs des
relations d’échanges.
4
Vohitra ou village.
19
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Le fait que le fokonolona était bien loin d’être une communauté paisible, fermée sur la
construction de son harmonie interne, est attesté par la forme des villages et inscrite dans
les paysages ruraux dès cette époque. L’insécurité et la volonté d’autonomie qui dressent
les villages les uns contre les autres font qu’ils sont bâtis au sommet des hauteurs qui
commandent les vallées. Une grande partie des villages étaient déjà fortifiés, protégés par
des fossés remplis d’eau et entourés de murs fermés par de lourdes portes gardées par les
milices de villages. Chaque village est entouré de fossés circulaires et les sentiers qui en
descendent sont eux-mêmes creusés en tranchées.
C’est cependant dans ce cadre que s’est construit le fihavanana et que se sont mises en
place toutes les valeurs sociales qui ont persisté jusqu’à aujourd’hui, et forment une
composante essentielle de la sociabilité populaire à Madagascar. Et c’est à partir de ce
regard historique que l’on peut comprendre que le fihavanana a eu dès son origine une
dimension territoriale essentielle à son mode d’exister.
20
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
en culture, et donc pour augmenter la production agricole. En même temps, il devient aussi
un moyen politique pour conforter l’assise du pouvoir royal.
La répartition des travaux d’utilité publique lui avait été également affectée. La
décentralisation du pouvoir au niveau du fokonolona par Andrianampoinimerina a permis
d’exécuter des grands travaux comme le creusement du canal d’Andriantany, la
construction des digues, l’aménagement des marais et l’assèchement des marécages dans
les vastes plaines de l’Imerina.
Il faut bien souligner ici que la réforme royale n’était pas une rupture avec l’ordre ancien,
mais une transformation accélérée de ce dernier, en accentuant les aspects de jouissance
individuelle des terres qui existaient déjà dans le fokonolona antérieurement ; le hetra était
déjà une composante du fonctionnement du fokonolona.
6
Échelon régional du pouvoir royal, cf. F. RAISON-JOURDE, Bible et pouvoir…, op. cit.,
p. 829.
7
JULIEN G., Institutions politiques et sociales de Madagascar, Tome I, Paris, E. Guilmoto,
1908, pp. 193-194.
8
Idem. p. 279.
9
CAHUZAC A., Essai sur les Institutions et le Droit malgache, vol 2, Paris, Librairie
21
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
sorte d’usufruitier, le fokonolona restant propriétaire, pouvant les reprendre (les terres) à un
moment donné10.
Suite aux réformes foncières décrétées par lui, le roi Andrianampoinimerina, confirmant le
caractère individuel des terres au sein d’un fokonolona, disait : « Dans chaque tribu, les
rizières furent partagées par le fokonolona entre tous les membres de la collectivité.
Chacune de ces divisions porte le nom de hetra. Le détenteur du hetra se nomme mitondra
hetra, littéralement : celui qui porte le hetra… ». La réforme entreprise par le pouvoir
royal à la fin du XVIIIe siècle a donc consolidé une tendance ancienne à l’appropriation de
la terre. L’objectif était fiscal, puisque dorénavant les détenteurs de hetra devenaient la
base de la fiscalité royale.
Les forêts ne sont pas divisées en hetra afin que tous les membres des fokonolona puissent
y trouver des moyens d’existence complémentaires. Il est important de souligner ici que
ces droits fonciers communautaires des fokonolona n’ont pas disparus et sont restés gérés
par ceux-ci comme patrimoine commun. En outre, le régime foncier n’était qu’un des
éléments qui faisait la cohésion du fokonolona. Un autre élément essentiel était les formes
de coopération entre les membres du fokonolona dans l’organisation du travail agricole. Le
travail agricole et en particulier celui des rizières demandent la cohésion du groupe entier,
une bonne organisation et également une collaboration étroite : l’entraide permet
d’accroître considérablement le rendement de la main-d’œuvre. Cet aspect n’a pas été
remis en cause par la réforme royale. Celle-ci a au contraire nécessité un renforcement de
la coopération pour augmenter la productivité, afin de faire face aux exigences de la
fiscalité royale, pesant sur l’ensemble des membres du fokonolona.
Le roi fixa lui-même les bornes des grands districts de l’Imerina. Dans leur limite a lieu la
répartition par groupe, par clans, d’après le nombre des chefs de famille. Il est défendu de
quitter le terrain assigné pour en choisir un autre dans des pays plus riches. Sur base des
éléments ci-dessus, on peut dire que le fokonolona qui a été une institution de base
encadrant les pratiques socioéconomiques des populations rurales dès avant la
centralisation royale, a gardé cette capacité après les réformes mises en œuvre par celle-ci.
Le fokonolona est donc au cœur d’une histoire longue de la capacité de reproduction des
pratiques paysannes. Et on peut affirmer ainsi qu’il est une composante majeure, depuis
des siècles, du fonctionnement de la société en termes économique, social et même
politique.
Cependant, ceci ne doit pas faire approcher le fokonolona en terme d’une société
homogène socialement, ou d’une communauté autarcique, traditionnelle et indifférenciée.
Au contraire, la différenciation en germe à l’époque précédent la centralisation royale s’est
22
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
accentuée sous l’impact de celle-ci dans les régions rurales.Après la réforme royale, le
fokonolona au XIXe siècle est réparti entre quatre groupes statutaires : les andriana ou
nobles, les hova, hommes libres ou roturiers, les mainty enin-dreny ou esclaves royaux et
les andevo ou esclaves.
Le pouvoir royal a consolidé la place des andriana qui reçoivent des fokonolona en fiefs :
le fokonolona andriana ou menakely. A l’initiative du pouvoir royal, soucieux de renforcer
une aristocratie qui lui était liée, des hova furent installés sur les menakely et y étaient
plutôt considérés comme des dépendants et non comme des vassaux. Le fokonolona en
menakely comprenait alors des andriana mais aussi des hova, des hommes libres dont le
degré de liberté se réduisait fortement à travers la nouvelle évolution. Ces derniers sont
soumis aux lourdes redevances ou hajia et aux services des andriana mais encore plus ils
doivent au roi la corvée et les impôts. Le terme menakely désigne à la fois le territoire et
les hova.
Mais la plus grande partie de l’Imerina relevait directement du domaine royal : le menabe.
Les fokonolona en menabe relevant directement du souverain, pouvaient garder une
autonomie plus large que ceux en menakely et se maintenir en monde clos. Les hova du
menabe se réclamaient dans leur fokontany d’un ancêtre qui lui était le premier propriétaire
merina du sol sur lequel ils se sont établis. Une différenciation se crée entre le domaine
royal, menabe et les fiefs, les menakely. C’est surtout en menabe que l’institution du
fokonolona pouvait se maintenir sous une forme « semi-démocratique ».
Mais dans le menakely où le seigneur fait figure de souverain local, (puisqu’il conserve la
moitié des impôts qu’il ramasse pour le roi et perçoit directement le hajia ou les
redevances seigneuriales), la hiérarchisation des castes joue dans toute sa rigueur. Les hova
sont des serfs (plus ou moins soumis selon leur degré de servitude) et leur ancêtre n’est
qu’un vassal, un ancêtre de second ordre, à côté de celui dont se réclament les andriana et
dont la tombe sert de pôle religieux. En menakely, le véritable fokonolona est constitué par
le domaine des andriana. Cependant il s’agit de nouveaux fokonolona créés par le pouvoir
royal et qui s’étendent en fait sur les territoires de plusieurs fokonolona anciens, de taille
plus petite. Ceux-ci n’ont pas disparu pour autant, et donc les anciens fokonolona des
communautés paysannes continuent à survivre, même si leur autonomie a été réduite à
travers le nouveau système de servage que le pouvoir royal cherche à mettre en place, en
s’appuyant sur les andriana.
23
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
On peut donc dire que dans l’Imerina, la période royale a fait évoluer le fokonolona à la
fois vers une territorialisation plus forte et une différenciation sociale plus visible. Vers le
haut, l’aristocratie des andriana consolide ses privilèges, tandis que vers le bas se
multiplient les esclaves qui tout en ne faisant pas partie du fokonolona comme membres
actifs, constituent une partie croissante de la force de travail de ce dernier. Si ils ne peuvent
constituer des fokonolona autonomes, ils font cependant bien partie du fokonolona de leurs
propriétaires.
D’une manière générale, on peut dire que la politique du roi a développé dans la population
des nouveaux modes de coopération, sur une base élargie par rapport aux territoires des
anciens fokonolona. Le fokonolona transformé était devenu la base d’un nouvel ordre
social, avec des éléments contradictoires de nouvelles solidarités sur base d’une identité
élargie, mais aussi avec des éléments nouveaux de contraintes, voire d’abus. Des abus se
sont fait sentir par la perception des impôts en nature et surtout la corvée au cours de
laquelle les travailleurs n’étaient ni payés, ni nourris.
D’une part, la corvée donna lieu à des abus, car les andriana pourvus de menakely en
imposent pour leur seul bénéfice privé. Les officiers et les hauts fonctionnaires devaient la
corvée au roi ; mais ils tenaient, par cela même, le privilège d’asservir pareillement tous
ceux dont la situation était inférieur à la leur. Et cette délégation de pouvoir ne s’arrêtait
qu’au bas de l’échelle, au niveau de ceux qui n’avaient plus personne sur qui la faire
retomber.
11
Ils sont les esclaves du roi Andrianampoinimerina, et seul le roi peut les vendre.
24
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
D’autre part, dans de nombreux cas, les taxes étaient perçues d’une façon arbitraire et
l’administration « paternelle » d’Andrianampoinimerina s’est forgée un caractère de plus
en plus tyrannique sous ses successeurs.
D’une manière générale, on peut voir le XIXe siècle comme une période de mutation
économique et une ouverture du royaume aux nouveautés européennes : l’évangélisation,
la scolarisation, les tentatives d’industrialisation, l’entrée de l’économie de marché. Ces
nouveautés ne manquent pas de toucher le fokonolona.
La tentative d’industrialisation par exemple, dont celle de Jean Laborde par la mise en
place d’un complexe sidérurgique et une fabrique d’armement à Mantasoa a eu un effet
désastreux sur les populations et l’économie communautaire locale. En effet, cet ensemble
sidérurgique (qui se voulait moderne) était fondé sur l’utilisation du charbon de bois,
l’emploi d’esclaves et surtout de corvéables. Les victimes se chiffrent par milliers12.
L’intensification de la corvée, la spoliation des terres et les déplacements forcés de
population, ont entraîné la résistance de celle-ci, le sabotage du travail et provoqué une
montée de la xénophobie. Le refus de travailler pour l’entreprise se traduisit entre autres
par l’application de l’ordalie du tanguin (poison) à l’égard de ceux qui voulaient
collaborer. Laborde tombé en disgrâce, le complexe de Mantasoa a été démoli par la
population.
A travers ce cas concret on peut constater comment la mise en œuvre d’un projet industriel
moderne a pu avoir un effet déstructurant, voire destructeur, sur les systèmes populaires de
production dans une vaste région, notamment parce que le « moderne » reposait en fait sur
une mobilisation forcée des ressources humaines et matérielles du « traditionnel ». La
disparition de ce projet a contribué à revitaliser les activités économiques du fokonolona
des régions concernées, notamment parce que les populations ont pu reprendre leurs
activités agricoles et artisanales, et ainsi réapprovisionner les tsena qui existaient bien
avant le projet industriel éphémère.
12
Ibidem, pp. 80-81.
13
Sur la gouvernance historique, cfr. Ph. De LEENER, F. DEBUYST, B. KHADER, J.-Ph.
PEEMANS, sur l’Introduction à l’ Atelier 3 du Forum, Une solidarité en actes. Gouvernance locale,
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Le pouvoir royal a cherché à contrôler les institutions locales, mais n’a pu les maîtriser
totalement. On peut dire que au fur et à mesure que le pouvoir royal cherchait à faire du
fokonolona un instrument de sa centralisation, le fokonolona se dédoublait entre une
institution officielle et un espace informel, dont la survivance s’inscrivait dans les cadres
du vécu quotidien et de la mémoire des populations. C’était à ce niveau que se
maintenaient et se réinventaient les pratiques de la vie locale, assurant la reproduction des
conditions de vie de collectivités désormais soumises à une pression très forte du « haut ».
Mais à cette pression a répondu une nouvelle culture de résistance, silencieuse et souvent
invisible pour le pouvoir lui-même.
A Madagascar cette résistance s’est manifestée sous diverses formes reposant sur la
continuité de pratiques préexistantes à la période royale. Ces pratiques étaient animées par
l’esprit du fihavanana et ancrées dans les exigences du tanindrazana. Ces pratiques n’ont
pas disparu pendant la période de la modernisation tronquée entamée par le pouvoir royal.
Même si les projets de modernisation ont échoué, car ils ne correspondaient pas aux
demandes de la société, on ne peut limiter l’histoire à ce point, car ces autres pratiques ont
survécu et ont permis à la grande majorité de la population de faire face aux exactions
royales quelles que soient leur nature.
C’est cette résistance des régions les plus soumises au pouvoir royal qui a d’ailleurs
stimulé l’esclavage dans les régions périphériques de l’Imerina historique pour contourner
les résistances passives des populations déjà organisées depuis des générations dans des
fokonolona dynamiques. Mais la chasse aux esclaves a suscité elle-même des réactions des
populations des périphéries soumises à ces exactions, réactions favorisant la mise en place
de nouvelles formes moins organisées, et désormais informelles, de fokonolona .
Donc, à côté du changement introduit incontestablement par la politique des rois et reines,
on a eu aussi une continuité qui elle concerne précisément les acteurs du « bas ». C’est
cette histoire là qui a assuré le maintien des valeurs et des pratiques populaires à travers les
changements et les nouvelles formes d’oppression. Ces résistances ont sans doute
contribué à affaiblir les efforts de modernisation des élites dirigeantes, et se sont ajoutées
aux conflits et contradictions qui divisaient celles-ci. Il faut souligner ici combien les
divers projets industriels de cette époque ne peuvent être abordés simplement en termes de
réussite ou échec technico-économiques. Ils doivent être avant tout approchés dans le
cadre de mobilisation forcée du travail que la royauté merina a mis progressivement en
place, dès la fin du XVIIIe siècle, pour réaliser ses ambitions politiques et militaires. Les
projets industriels s’inscrivent dans cette logique : ils reposaient sur l’extension multiforme
de la corvée et de l’esclavage pour recruter la main d’œuvre ou approvisionner les
entreprises en matières premières locales.
Fondamentalement les populations organisées dans le fokonolona pouvaient vivre, non pas
en autarcie, puisque les marchés locaux et régionaux existaient, mais sans devoir avoir
recours massivement au salariat. On ne peut pas dire non plus que ces populations étaient
oisives : au contraire l’économie locale, basée sur la riziculture, exigeait beaucoup de
travail, et la diversité des productions agricoles et artisanales mobilisait toutes les forces
disponibles. Il n’existait donc pas de moyen de mobiliser économiquement une main-
d’œuvre abondante salariée.
économie sociale, pratiques populaire face à la globalisation, du 27 et 28 mars 2001, Institut d’études
du développement, Université Catholique de Louvain, 2004, pp. 221-240.
26
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les réformes foncières introduites par le pouvoir royal ont encore intensifié le problème,
puisque désormais une partie du travail paysan était mobilisable, par la contrainte, pour
travailler les terres de la nouvelle aristocratie royale. L’insuffisance de main-d’œuvre a
d’ailleurs introduit une situation de crise permanente, à partir de l’époque de la
centralisation renforcée, et a favorisé le développement de la traite des esclaves à
l’intérieur de l’île.
Les couches populaires dans l’économie communautaire des campagnes devaient s’adapter
à cette situation. Ainsi, la vie de tous les jours des simples sujets se faisait en fonction de la
disponibilité des hommes et des femmes. Malgré cette contrainte et ces pressions souvent
insupportables, l’économie communautaire a survécu et s’est adaptée au nouveau contexte.
Le fokonolona reste bien l’institution centrale, et dans les faits une grande partie des hova
libres, mais sans esclaves, et des andevo, constituent la base du fokonolona « éternel », et
ils sont les acteurs de l’économie communautaire qui s’y perpétue, dorénavant sous
contrainte du « haut ».
On doit tenir aussi compte du fait que les catégories inférieures des petits nobles de la caste
des andriana, dans la pratique, ne vivent pas de manière radicalement différente de celles
des autres membres du fokonolona. Leur vie matérielle concrète n’était pas bouleversée par
l’affirmation du pouvoir royal, elle était en fait issue d’une évolution multiséculaire. Cela
atténue la tendance à la différenciation sociale ou la rend moins visible pour la masse de la
14
GRANDIDIER A. et G., Collection d’ouvrages anciens concernant Madagascar, Paris,
Comité de Madagascar, 1903, p. 15.
27
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
population. Mais de toute manière, on ne peut oublier que c’est l’agression étrangère qui a
mis fin à l’expérience malgache de développement au XIXe siècle, et cette rupture s’est
manifestée à travers l’invasion militaire française et la conquête coloniale.
Mais très rapidement le fokonolona réinventé par l’administration coloniale pour ses
besoins a connu des problèmes qui ont révélé ses limites. Selon les instructions du 1er
janvier 1905, « les services du fokonolona ne doivent s’appliquer qu’à des travaux de
première nécessité et d’intérêt local profitant directement à la communauté, tels que la
construction, l’entretien et la réfection des digues et des canaux d’irrigations des
rizières, l’entretien des chemins et sentiers du fokontany, la destruction des sauterelles,
la réparation des dégâts causés par un cyclone, etc. »15.
L’arrêté du 29 mars 1905 soumet à autorisation l’exécution des travaux de solidarité,
lesquels ne doivent être effectués que pendant la période de morte-saison agricole, en juin,
juillet et août16.
De même dans un arrêté datant du 6 mars 190717, les fokonolona ne peuvent être tenus à
des travaux d’intérêt général, ni à des travaux d’intérêt privé. On a expliqué cette
limitation par le fait que des abus des notables locaux et des chefs de district avaient
entraîné un accroissement des travaux obligatoires qui retombaient sur la population, ou
encore que celle-ci elle avait été tenue à exécuter des travaux en dehors des
circonscriptions de rattachement. Et sans doute, l’autorité coloniale craignait que ces
abus entraîne un retour des rebellions qui avaient requis une intervention militaire
massive pour pacifier le pays. Ces mouvements de résistance très actifs apparus dès
l’occupation, s’étaient transformés en formes d’insoumission, appelées brigandages par
les autorités coloniales, soucieuses de réprimer ces brigands ou fahavalo.
15
Cité par Laurent PAIN, De l’institution du Fokon’olona à Madagascar, Thèse de doctorat
(Sciences politiques et économiques) Faculté de Droit de l’Université de Poitiers, A. Masson, 1910, p.
81. Soulignons cependant que dans ces instructions, le Gouverneur général n’a pas en vue que le seul
intérêt des autochtones, mais également celui des chefs d’entreprises employant la main d’œuvre locale.
16
Cité par CONDOMINAS G., op. cit.
17
Cité par CONDOMINAS, op. cit.
28
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Cependant la réforme du fokonolona avait bien eu pour but de pouvoir mobiliser la main
d’œuvre pour exécuter des travaux définis par l’autorité coloniale comme prioritaire
pour ses besoins. Et l’administration coloniale n’a nullement renoncé à cet objectif
prioritaire. Donc des interventions comme les décrets de 1905 avaient pour but
effectivement de limiter des abus de fonctionnaires locaux trop zélés ou cherchant à
détourner le travail disponible à des fins privées, ou bien il s’agissait au contraire de
limiter les tâches d’intérêt local qui pouvaient concurrencer la mobilisation de la main
d’œuvre par les autorités centrales.
De toute manière dès que les autorités locales, nommées cependant par le pouvoir
colonial, prenaient des initiatives qui ne correspondaient pas aux exigences de la tutelle,
celle-ci intervenait pour leur rappeler leurs limites.
Alors que l’affirmation du rôle du fokonolona avait été basé sur son caractère de
structure décentralisée et sa proximité des populations, très rapidement il s’est avéré
n’être qu’un échelon du pouvoir dans une administration coloniale à la fois autocratique
et centralisée. La totalité du pouvoir tend, en effet, à se concentrer entre les mains du
chef de district, le « le roi de la brousse »18, et des autorités supérieures résidant dans la
capitale et en métropole. Concernant plus précisément les chefs élus, ils restent de
simples exécutants, utilisés pour les seuls intérêts de l’administration et des colons
français.
Un autre fait atteste de cette évolution du fokonolona administratif en porte à faux par
rapport aux principes invoqués initialement pour en faire un pivot de l’administration
coloniale. Entre 1904 et 1920, cette dernière a étendu son système de fokonolona à tout
Madagascar. On a déjà dit que le fokonolona était historiquement une institution merina,
même si dans d’autres régions de Madagascar, des institutions semblables étaient apparues,
elles aussi avant la période de centralisation royale, mais chacune avec leur particularité.
Le royaume merina avait déjà cherché à étendre le fokonolona aux nouvelles régions
conquises. Le système colonial français l’étend par le haut à l’ensemble du pays.
Cette extension du fokonolona dans le pays tout entier ne tenait aucun compte des réalités
socio-politiques et économiques locales, biens différentes de ce qui existe en Imerina où le
fokonolona suppose la fixation des masses rurales dans les villages administratifs. Dans
d’autres régions, comme chez les pasteurs Mahafaly dans le sud de Madagascar qui ont un
mode de vie semi-nomade et pratiquent la transhumance, on rencontre la juxtaposition des
structures claniques préexistantes à la nouvelle collectivité imposée, ce qui conduit la
population locale à rejeter le nouveau cadre de la politique coloniale. Seule une répression
accrue permettait à l’administration de faire respecter ses injonctions.
18
DESCHAMPS H., Roi de la brousse, Mémoires d’autres Mondes, Nancy, Berger-Levrault,
1975. RABEARIMANANA L., « L’administration et les masses rurales à Madagascar pendant la
colonisation », Omaly sy Anio, n° 37-38, 1995, p. 235.
29
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les prestations se sont alourdies en 1920 pour des prétextes économiques. En effet, les
progrès de l’économie de traite dans les années 1910, auxquels s’ajouta « l’effort de
guerre », posèrent avec plus d’acuité qu’auparavant le problème de l’insuffisance de
main-d’œuvre destinée à la mise en place de l’équipement public et également celle
nécessaire au secteur privé19.
La hausse des cours des produits de traite survenue en 1919-1920, génératrice d’une
nouvelle extension des plantations, amena l’administration à « donner le maximum
d’efficacité à cette main-d’œuvre gratuite et à étendre les occasions où elle pourrait y
recourir »20.
L’arrêté du 3 novembre 1920 donne ainsi une plus grande extension à des travaux
d’intérêt général et plus seulement vicinal, et les indigènes les accomplissent aussi bien
dans leur circonscription qu’ailleurs.
La « mise en valeur » de la colonie étant donc jugée nécessaire aussi par les autorités
locales que par celles de la métropole, et son exécution reposait sur le seul effort du
pays, et essentiellement sur le travail des membres des collectivités de base.
Dans les années 1920, les gouverneurs généraux Garbit et Olivier ont entrepris une
politique de grands travaux d’infrastructures (réseau ferroviaire, ports, routes, etc.).
Cette politique a accentué le problème du recrutement de la main d'oeuvre et entraîné la
mise en place du SMOTIG (Service de la Main d’Oeuvre pour les Travaux d’Intérêt
Général) à partir de 1926. Les nationalistes ont dénoncé ce service comme une nouvelle
forme de travail forcé21.
Les travailleurs étaient employés sur de vastes chantiers qui leur assuraient en théorie le
logement, la nourriture et les soins médicaux. Il ne s’agissait pas de migration de longue
durée pour les travailleurs impliqués, mais bien d’un déplacement obligé sous contrainte
administrative, théoriquement compensée par une rémunération dérisoire, source de très
modestes revenus monétaires recyclés dans l’économie locale d’origine.
Face au pouvoir absolu de l’administration, les masses rurales débordées par leurs
obligations, sont soumises dans ces périodes à une pression qui, laissée à elle même,
peut tendre à déstructurer gravement les communautés rurales et leurs systèmes de
gestion des ressources locales pour le bien-être commun.
La population a été soumise de plus en plus lourdement aux obligations fiscales. Pour
honorer les impôts, les paysans sont obligés de se procurer du travail salarial dans les
grandes concessions agricoles, soit dans le secteur moderne du secteur secondaire
souvent situé loin des lieux d’habitation des travailleurs. Ainsi, le manque de main
d’œuvre affecte bel et bien le monde rural.
La spoliation des terres par les grandes sociétés d’exploitation qui accaparent les terres
occasionne l’exode rural en désorganisant les régions. En plus, la généralisation du
fokonolona dans tous Madagascar, par le regroupement des villages pour faciliter
l’administration de la population s’est traduite par la désorganisation des régions.
On peut dire qu’à la veille de la seconde guerre mondiale, le fokonolona administratif était
bien devenu un instrument de contrainte et de contrôle bien rôdé, mais avait échoué en ce
qui concerne l’objectif initial de créer une liaison forte entre administration et populations
19
RABEARIMANANA L.., « L’administration et les masses rurales à Madagascar pendant la
colonisation », Omaly sy Anio, n° 37-38, p. 241.
20
CONDOMINAS G., op. cit.
21
BOITEAU P., Contribution à l'histoire de la nation malgache, Paris, Editions sociales, 1958.
30
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
sur base du respect des institutions traditionnelles. Après quarante ans de colonisation, le
fokonolona en Imerina s’était adapté au système du représentant élu, intermédiaire entre
l’administration et elle, sans qu’on puisse affirmer pour autant que le contact ait été établi.
Les chefs de quartier sont souvent les vrais « notables », qui ont de l’influence sur les
autres membres de la communauté, qui émergent de celle-ci par leurs richesses, par les
liens établis avec la ville, et qui se voient confier également des responsabilités au temple
ou à l’église22.
Sur les Hautes Terres centrales comme dans les régions côtières, on peut considérer le
fonctionnement du fokonolona colonial jusqu’à 1940 comme un échec. L’administration
n’a pas pu l’utiliser comme un moyen d’établir le contact entre elle et les masses rurales.
Au contraire, il apparaît comme un instrument utilisé pour opprimer celles-ci. En fait, le
fokonolona officiel est considéré par la grande majorité de la masse de la population rurale
comme donc un moyen d’exploitation et d’oppression.
Il semble cependant difficile de réduire les populations rurales au rôle de simples victimes
passives de la colonisation, et les anciennes couches privilégiées au rôle de simples relais
de l’administration coloniale. Les tentatives du régime colonial, dès le départ, de soumettre
la population par l’utilisation du fokonolona à son profit sont vouées à l’échec sur
l’ensemble du pays car la population en Imerina et surtout celle des régions côtières n’ont
jamais accepté la politique coloniale et ne se sont jamais laissées soumettre.
Dès les années 1900-1920, dans beaucoup de régions, les communautés villageoises se
mettent en position de résistance passive, malgré les discours officiels, à tout ignorer de
leurs «devoirs », notamment chez les Bara et les Mahafaly. Seule la menace de la
répression fait exécuter les obligations qui pèsent sur les communautés rurales. En fait
l’administration coloniale n’a jamais pu asseoir une légitimité morale et politique auprès
des populations. De ce point de vue, les études ethnologiques sur lesquelles prétendait se
baser le pouvoir colonial n’ont pas été d’un grand secours pour ce pouvoir. Leurs critères
de classification restaient extérieurs à ce qui constituaient vraiment les liens sociaux et
culturels des communautés de base depuis des siècles.
22
RAISON J. P., Les Hautes Terres de Madagascar et leurs confins occidentaux.
Enracinement et mobilité des sociétés rurales, Paris, ORSTOM/Karthala, 1984, 2 tomes, 658 p. et
605 p.
31
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Et c’est dans cette invisibilité relative que le fokonolona historique réel a pu survivre, en
décalage par rapport à l’image du fokonolona officiel. L’administration coloniale n’a
jamais pu « capturer » entièrement la masse populaire, ni contrôler l’ensemble de ses
occupations. Dès le début de la colonisation, les villages ont subi certes une pression
plus forte pour s’adapter aux changements imposés du haut. La reprise de la corvée par
l’administration coloniale, l’orientation vers l'économie de marché, la nouvelle
orientation de l'agriculture vers l’exportation, la formation exploitations et industries
coloniales, l’accélération de la monétarisation par l'établissement de la Banque de Paris
à Madagascar, le changement du régime foncier vont affecter le mode de vie de la
population, surtout la masse paysanne, qui vivait essentiellement pour assurer ses
propres besoins.
Ces nouveautés ont effectivement transformé le mode de vie des paysans. Les familles et la
communauté doivent s’organiser pour les activités artisanales, l’agriculture et les cultures
en respectant les obligations coloniales comme la reprise de la corvée qui accapare
beaucoup de temps. Les paiements de l’impôt alourdissent davantage les exigences
coloniales au détriment de l’économie de subsistance dans les milieux ruraux. Le système
salarial qui procure de l’argent pour honorer une forte demande d'impôts est devenu
inévitable pour certains.
Mais à côté de ces changements, il y a aussi une grande continuité des activités des
petits producteurs ruraux et urbains. En fait toutes les activités anciennes du fokonolona
qui n’intéressent pas l’administration peuvent se poursuivre, voire se diversifier.
Bon nombre de régions des Hautes Terres centrales propices aux cultures vivrières en
général et à la riziculture en particulier, sont restées au niveau de l’autosubsistance. Si
l’économie de marché y a pénétré malgré tout, c’est surtout pour des raisons politiques,
à cause des obligations fiscales et du travail forcé.
La majorité de la population, difficile à administrer malgré la création des collectivités
autochtones rurales et les collectivités rurales autochtones modernisées23, se trouve dans
une situation économique toujours précaire et s’efforce de se maintenir par les activités
complémentaires non agricoles ou dans l’exploitation agricole individuelle ou familiale.
Les activités artisanales et complémentaires des paysans assurent une grande partie des
revenus de la population rurale et urbaine sont laissées en l’état puisque elles ne
représentent aucun intérêt pour l’autorité coloniale. C’est une économie invisible,
insignifiante pour cette dernière. Mais elle est la base de la vie des collectivités locales,
et elle se poursuit suivant la logique qui la caractérise depuis des siècles.
En matière agricole, les entretiens et les constructions de digues, reconnues
explicitement comme des tâches des fokonolona, leurs permettent de continuer à
exploiter leurs terres de cultures et leurs rizières pour leur subsistance mais également
pour vendre le surplus agricole aux marchés hebdomadaires. Les activités artisanales se
diversifient et trouvent l’essentiel de leurs matières premières dans la végétation. La
23
RABERIMANANA L., « L’administration et les masses rurales pendant la colonisation », op. cit.,
p. 243.
32
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
population des différents villages peut échanger leurs produits dans les marchés
hebdomadaires.
Les populations sont amenées à chercher des ressources susceptibles de procurer le
numéraire désormais indispensable pour le paiement d’impôt. Les activités se sont
diversifiées suivant les besoins immédiats, vendre les produits agricoles, travailler dans
la briqueterie sur les bords des rivières, élever les bœufs de la boucherie et des vaches
laitières, devenir porteur pour le transport car les moyens de communication font défaut.
Désormais il fallait nécessairement produire davantage en agriculture pour vendre les
récoltes sinon entrer dans un système moderne afin de payer l’impôt et de satisfaire les
nouveaux besoins introduits par les boutiquiers nouvellement installés dans les régions.
Par ailleurs, les activités se sont également multipliées pour des besoins diversifiés, à
savoir les articles de confection, les vélos, les outils de travail aux champs.
En outre, pendant cette période, la résistance passive des populations a obligé
l’administration coloniale a réprimer (dès 1907) les abus des responsables locaux,
français ou malgaches, dans les prestations imposées à la population et puis à
reconnaître (décret de 1926) les droits des communautés à disposer de réserves de terre
qui n’étaient pas confinées seulement aux terres directement cultivées par les petites
exploitations. Les réformes foncières introduites par le pouvoir colonial français ont
toujours été dans le sens de favoriser l’émergence de la petite propriété individuelle. La
réforme de 1926, allant dans le sens de codifier plus strictement les droits fonciers des
communautés, résultait de l’idée que l’agriculture paysanne individuelle devait être
encouragée, parce qu’elle pouvait s’avérer être un moyen de soutenir l’agriculture
d’exportation à un niveau de coût moindre que l’agriculture coloniale. L’administration
coloniale à cette époque se donnait même comme tâche, faisant partie de l’oeuvre
coloniale, de faire émerger des petits entrepreneurs malagasy. Cela faisait partie du
projet colonial plus large de faire émerger ce qu’était appelé une « élite indigène »
destinée à soutenir l’administration coloniale et à être une exécutante de sa politique24.
Cette réforme permettait à l’administration de convertir les droits fonciers communautaires
en droits individuels de pleine propriété pour tous les exploitants qui ont fait la mise en
valeur d’une terre. Cette réforme foncière a certainement favorisé l’émergence d’une petite
couche de planteurs malagasy, issus le plus souvent des notables ou des petits
fonctionnaires locaux, liés au fonctionnement de l’administration coloniale. Mais, de
manière générale, la réforme n’est pas parvenue à faire émerger une large classe de
moyens fermiers. Au contraire la forte expansion de la production de café et de cacao entre
1926 et 1940, est due essentiellement aux communautés villageoises25.
Cette évolution s’est faite en faveur des «petits exploitants » locaux, et des familles
membres de la communauté villageoise travaillant pour leur propre compte, et permit au
système de groupes de s’adapter à la nouvelle organisation socio-économique. Elle a été
OLIVIER M., Six ans de politique sociale à Madagascar, Paris, Grasset, 1931.
24
33
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
favorable à l’économie locale dans le cadre des fokonolona, et a donné une certaine liberté
dans les activités à entreprendre et à échanger leur savoir-faire avec d’autres populations.
Les pratiques économiques et sociales locales ont permis à la population de surmonter les
difficultés rencontrées par les obligations fiscales et les prestations coloniales, sans oublier
les abus des mpiadidy et les chefs de villages.
Bien que le système reposait fondamentalement sur une spoliation des ressources
naturelles, détenues antérieurement par les fokonolona, au bénéfice des intérêts coloniaux,
il resta donc un espace rétréci qui permettait la survie des communautés, mais dans une
logique de reproduction, elle aussi rétrécie.
On peut dire que c’est durant cette période que s’accentue une transition de l’économie
communautaire vers l’économie populaire, c’est-à-dire d’une économie dont les
membres sont soumis au respect des règles et des institutions sociopolitiques
prévalentes, à une économie où les initiatives individuelles et collectives se multiplient
tout en restant encastrées dans la reproduction des liens sociaux.
L’économie communautaire gardait donc une base, mais une base fragilisée.
L’économie populaire émergente contribue alors à maintenir la cohésion sociale mais en
même temps à compléter les revenus, à honorer les impôts afin d’éviter la saisie des
biens. Elle est soumise aux nouvelles exigences de l’économie du marché véhiculée par
le développement des échanges interrégionaux et à l’exportation internationale.
Cette économie populaire émergente est indissociable du fokonolona informel qui survit
en se dissimulant derrière le fokonolona colonial officiel. Les couches populaires
rurales, gonflées en Imerina des anciens esclaves reconvertis en métayers, doivent
s’organiser pour survivre face à la pression de l’administration coloniale.
C’est pendant l’époque coloniale que se renforce le système du vadin’asa, celui de la
mobilisation de l’initiative individuelle combinée avec celle des réseaux familiaux,
lignagers et communautaires pour s’adapter à un environnement défavorable et tirer le
meilleur parti possible des circonstances les plus aléatoires.
L’activation des pratiques de vadin’asa stimule les liens sociaux exprimés à travers le
fihavanana, la confiance réciproque. Le vadin’asa et le fihavanana permettent le
maintien d’un fokonolona, souterrain et invisible, qui maintient et fait évoluer les liens
communautaires anciens, en filigrane du fokonolona colonial, qui d’une certaine
manière lui sert d’écran et assure sa survie.
Dans l’Imerina, la privatisation des terres n’a pas entraîné la dissolution du fokonolona,
puisque la plupart des petits paysans, hova, hommes libres sous le régime royal ont pu
ainsi s’assurer une parcelle de terre. Le rôle des institutions communautaires est certes
affaibli par cette mesure une fois que les attributions ont été faites, mais l’organisation
34
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
26
RASOLOMANANA D., « L'intégration du phénomène d’esclavage vue à travers les
proverbes : cas d’une région du Nord-Betsileo », in L’esclavage à Madagascar, Aspects historiques
et résurgences contemporaines, Actes du Colloque International sur l’Esclavage, Antananarivo, 24-28
septembre 1996, Institut de Civilisations-Musée d’Art et d’Archéologie, Antananarivo, 1997, pp. 319-
337.
27
RAMAMONJISOA J., « Blancs et Noirs : les dimensions de l'inégalité sociale. Documents
sociolinguistiques », Cahiers des sciences sociales, EESDEGS, Université de Madagascar, n°1, pp.
39-75.
35
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
36
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Entre 1915 et 1940, l’administration coloniale poursuit une politique de répression active
contre tous les individus (comme l'instituteur betsileo Ralaimongo, les pasteurs andriana
Rabary et Ravelojaona)) et groupuscules (comme le mouvement VVS- Vy Vato Sakelika)
qui réclament la fin du régime colonial et le retour de l’indépendance30.
La résistance à la colonisation a toujours été forte et n’a pas été seulement le fait des
populations de l’Imerina. Les années 1920-1930 sont émaillées de faits d’insoumission
dans un grand nombre de régions31
Seule une petite minorité est liée à l’administration coloniale et consolide son assise
économique grâce à cette collaboration. Elle se recrute essentiellement parmi les andriana
et les hova, mais on y retrouve aussi des descendants d’andevo, ayant bénéficié de la
promotion sociale offerte a ceux qui réussissent dans le système scolaire français. Mais
dans les trois couches sociales en question, les collaborateurs, assurant vraiment une
fonction de gestion pour le pouvoir colonial, ne représentent qu’une petite minorité. Vers
1940, sur environs cinq millions de malgaches, un cinquième était merina, dont moins de
la moitié pouvait être rattachés aux groupes des andriana et des hova, soit quatre cent mille
personnes32.
La proportion était encore plus faible dans les autres ethnies. C’est à partir de ces
collaborateurs que s’est constituée progressivement une bourgeoisie merina et non merina
bénéficiant du régime colonial, et ouvrant la voie à une différenciation sociale plus
poussée, visible dans les villes et les campagnes.
Mais à l’inverse, une majorité écrasante de la population merina et non merina, continuait
à vivre dans une logique de reproduction de la vie familiale et communautaire. L’insertion
plus forte au marché, pas plus que les contraintes coloniales ne parvenait vraiment à
remettre en cause ce soubassement profond de la vie rurale malgache depuis des siècles.
A la fin des années trente, l’administration coloniale reconnaît de facto son incapacité de
transformer radicalement le fokonolona et d’y consolider notamment la propriété foncière
individuelle. A défaut de voir croître la couche des exploitants individuels comme elle le
souhaite, elle se satisfait de voir l’organisation communautaire être à la base de l’expansion
des cultures d’exportation.
Cette tolérance relative est liée notamment aux tensions existant tant à l’intérieur du
pouvoir colonial qu’entre lui et diverses catégories de colons. Une partie de
30
ESOAVELOMANDROSO F., « Différentes lectures de l’histoire. Quelques réflexions sur
la V.V.S. », Recherches, Pédagogie et Culture, n° 50, 1981, pp. 100-111.
31
ESOAVELOMANDROSO F., « La région de Port-Bergé dans les années trente, un foyer
d’opposition à la colonisation », Omaly sy Anio, n°17-20, 1983, pp. 461-482.
32
RANDRIAMARO J.R., op. cit. , pp. 74 -75.
33
GUERIN du MARTERAY C., Une colonie pendant la guerre ou les origines d'une révolte.
Madagascar : 1939-1947, Thèse d'Etat, Université de Nice, 1977, pp. 218-225.
37
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
38
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
récoltes dans une cachette, une sorte de silo tahiry ou lava-bary 38 à l’intérieur de la
maison pour éviter la réquisition et permettre aux membres de la famille de se nourrir.
A Antananarivo se développe une population flottante de ruraux difficilement intégrés à
la vie urbaine, qui n’a pas rompu avec ses origines. Cette population est obligée par la
force des choses de s’appliquer à faire face à toutes les difficultés sociales et
économiques du milieu urbain. Cette liaison transpose la logique d’adaptation au niveau
des moyens de subsistance.
La période de guerre est donc un moment où le vadin’asa devient un élément important
de la capacité d’adaptation et de survie des émigrés récemment arrivés en milieu urbain.
Par exemple, le district de Manjakandriana, situé à une soixantaine de kilomètres à l’est
de la capitale fournit un contingent important de migrants temporaires effectuant des
mouvements réguliers qui s’amplifient pendant la guerre et alimentent le groupe
professionnel des charretiers ou de tireurs de pousse-pousse de la capitale39. Il s’agit
d’un moyen de transport prisé par la majorité de la population en ville par sa facilité
d’adaptation et son moindre coût. La population rurale fournit la base des commerçants
ambulants be korontana que l’on trouve dans la capitale et les grandes villes des régions
environnantes.
Une culture commune du vadin’asa rapproche les milieux populaires urbains et ruraux,
même si les modalités pratiques en sont différentes. En outre à cette époque, les liens
entre migrants temporaires et milieu rural restent très forts. Les migrants temporaires
restent attachés à leur fokonolona d’origine.
Avec l’effort de production exigé par la participation de la colonie à la guerre, les
regards de l’administration se tournent à nouveau vers le fokonolona, comme cadre
d’action sur les masses rurales, et vers les responsables, qui devraient assurer la liaison
entre leurs supérieurs hiérarchiques et celles-ci. La conférence de Brazzaville de 1944
marque le changement dans les relations de la France avec ses colonies. Concernant le
cas de Madagascar, la Conférence propose la restauration du fokonolona, base de
l’administration indirecte qui, seule, rend possible une véritable politique indigène
applicable dans tous les domaines de la vie sociale et développe le sens des responsabilités
collectives»40.
Le pouvoir central insiste, en outre, pour que l’administration régionale à différents
échelons rétablisse le contact direct avec les contribuables, qui sont en même temps les
travailleurs et les producteurs pour faire mobiliser la population et la faire travailler.
Dans les faits, les pressions de tout genre exercées sur la population rurale pendant la
guerre, aussi bien par les autorités pétainistes que gaullistes, ont joué un rôle important
pour entraîner le soutien massif des populations au mouvement de rébellion de 1947,
menés par les mouvements nationalistes.
Le retour à la paix en 1945 annonça l’espoir et l’enthousiasme dans les pays colonisés.
Pour les Malagasy, cette période de l’après-guerre représente l’espoir d’une liberté bien
méritée et d’une amélioration de leur situation de colonisés. Madagascar a participé à la
guerre aux côtés de la métropole, non seulement par l’envoi de soldats et d’ouvriers
38
Tahiry ou lava-bary, est un local se trouvant à l’intérieur de chaque maison rurale où les
familles puissent garder le paddy pour l’année.
39
RABEARIMANANA L., «Le district de Manjakandriana (province d’Antananarivo)
pendant la Seconde Guerre Mondiale : désorganisation économique et restructuration sociale», Omaly
sy Anio n° 29-32, 1989-1990, pp. 433-455.
40
Conférence de Brazzaville. Politique indigène. Madagascar, Aix-en-Provence, CAOM : A.P.C 2201
D1.
39
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
techniciens41 mais encore par une aide économique substantielle : il doit en particulier
fournir à la métropole du riz, du café, du graphite, du caoutchouc naturel, des paillettes
d’or, en d’autre terme c’est l’« effort de guerre ».
Cet « effort de guerre » soumet les Malagasy à un régime de sujétion encore plus
marquée qu’auparavant et réduit leur niveau de vie : les prestations sont doublées et
toutes sortes de corvées instituées par les administrateurs locaux occasionnent des abus
tels que d’après le haut commissaire De coppet, « il faut reconnaître qu’à Madagascar la
juste mesure a été dépassée. Toutes les réquisitions de travailleurs pratiquées sur une
grande échelle, souvent au détriment des cultures vivrières les plus indispensables aux
autochtones, n’étaient pas justifiés par l’effort de guerre »42. Ce qui explique quand
même que les colonisateurs ont pris conscience de l’exagération des exactions
demandées aux colonisés et que l’effort de guerre n’est qu’un élément de plus.
Pour faciliter l’application de ces mesures, l’indigénat a été renforcé et « tout le climat
d’exception, de mesures arbitraires et d’oppression qui avait prévalu au début de
l’occupation française resurgit de manière brutale »43. Mais la production du riz diminue
fortement à partir de 1942-1943, beaucoup de rizières étant laissés incultes à cause de
l’augmentation de prestations exigées des autochtones. L’administration coloniale se
croit obligée de créer l’Office du riz en février 1944 pour régulariser les réquisitions de
riz.
Toutes ces mesures ont pour conséquences, outre les souffrances quotidiennes pour le
peuple malagasy un net recul démographique, alors qu’avant la guerre, l’excédent des
naissances sur les décès était de 35 000 par an en moyenne, il tombe à 20 000 en 1940, à
1000 en 1943 et en 1944, il y a 25 000 décès de plus que de naissance44.
Mais une fois la guerre terminée, les Malagasy pensent que tant de sacrifices et de
dévouement vont être récompensés. Ils ont d’autant plus de confiance en l’avenir que la
France promettait des changements et que le contexte international s’y prêtait.
Pour sa part, le Comité français de Libération nationale, dès sa création en 1942
affirmait sa volonté de bâtir sur des bases nouvelles les relations entre colonisateurs et
colonisés. Il avait aussi promis à l’Indochine en 1943 « un statut politique nouveau où
les libertés des divers pays formant l’Union seront étendues et consacrées… »45.
D’une part, lors de la Conférence de Brazzaville46 tenue au début de 1944 « qui écartait
toute idée d’autonomie et toute possibilité d’évolution hors du bloc français de
l’empire », elle n’affirmait pas moins la nécessité d’une nouvelle conception de l’empire
colonial.
Le général de Gaulle y affirmait précisément en ce sens « qu’en Afrique française,
comme dans tous les territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait
aucun progrès si les habitants sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et
matériellement, s’ils ne pouvaient pas s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront
41
Les soldats sont plus de 15 000 à avoir intégré les rangs de l’armée française de 1940 à
1945. Quant aux ouvriers techniciens, ils étaient surtout des spécialistes du travail des métaux, in
RABEARIAMANANA L., La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956, Antananarivo,
Librairie mixte, 1980, p. 64.
42
TRONCHON J., L’insurrection malgache de 1947, Paris, F. Maspéro, p. 123.
43
Ibidem.
44
BOITEAU P., Contribution à l’histoire de la nation malgache, Paris, éd. Sociales, 1958, p. 344.
45
GRIMAL H., La décolonisation 1939-1963, Paris, Armand Colin, 1965, p. 126.
46
La Conférence de Brazzaville elle a réuni les gouverneurs généraux des Colonies et ne
comportait aucune délégation autochtone.
40
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de
la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi »47.
Par rapport à l’évolution des débats d’ordre international concernant les empires
coloniaux, les intellectuels malgaches se mirent à s’intéresser à la vie politique,
notamment par la participation aux activités politiques, telles que l’élection à
l’Assemblée Constituante, dès le mois d’octobre 1945.
À partir de 1946, avec l’instauration de la liberté de réunion et d’association, de
véritables partis politiques se constituaient et se rivalisaient devant la divergence des
tendances politiques à suivre. D’où la création des partis politiques dès le début de
l’année 1946 du P.D.M., du M.D.R.M. et du PADESM si on n’évoque que ces trois
pour l’insurrection de 1947.
Les événements de 1947 vont changer totalement l’ambiance politique de l’après-
guerre : à l’espoir et à l’enthousiasme succèdent le mutisme et la résignation chez les
Malgaches. Ils portent aussi un coup d’arrêt aux intenses activités politiques auxquelles
participent bon nombre d’autochtones de toutes les régions de l’Île48.
Quoi qu’il en soit, cette insurrection de 1947 est lourde de conséquences pour les
mouvements nationaliste malagasy : elle est suivie en premier lieu d’une sévère
répression surtout le MDRM : celui-ci est décapité par l’arrestation de ses hauts
responsables, les députés mais aussi les dirigeants des sections même là où rien ne s’est
produit. Le parti est dissout en avril 1947. L’état de siège est institué dans de
nombreuses localités de la région orientale où a éclaté l’insurrection. Enfin, le nombre
total des Malagasy morts à cause de l’insurrection et surtout de la répression qui s’ensuit
peut être évalué à 90 000 et 100 000 49.
Cette répression brutale et sanglante de la rébellion a eu un impact déstabilisant très
profond sur les régions rurales et la paysannerie des régions du Centre et du Sud-Est
particulièrement, là ou le mouvement avait été le plus actif. Dans ces régions, la
paysannerie a payé un lourd tribut sanglant à son appui à la lutte nationaliste menée par
les élites. Des dizaines de milliers de familles paysannes ont été décimées ou ont perdu
tous leurs biens.
Ce cataclysme social s’est conjugué avec l’impact des mesures prises par le pouvoir
colonial pour essayer de stabiliser le régime et de lui donner un appui plus large dans la
population. Dans ce but, l’administration coloniale réactive notamment la politique
d'expansion de la propriété foncière privée immatriculée. L’idée est que une classe de
petits propriétaires ruraux sera un élément de stabilisation et d’adhésion à la politique
coloniale.
Dans la pratique, cette politique a bien stimulé l’émergence d’une couche plus large de
petits exploitants, transformés en fermiers orientés vers les cultures commerciales, pour le
marché intérieur et l’exportation. Le contexte économique d’après guerre y était favorable,
bien que l’économie soit restée dominée très largement par les activités des entreprises
françaises, en agriculture comme dans les autres secteurs.
47
SILVERA V., Passé de l’union Française et avenir de la Communauté, Paris, Librairie
Générale de Droit et de Jurisprudence, 1958.
48
RABEARIMANANA L., op. cit., p. 73.
49
Evaluation approximative donnée par l’état major français.
41
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
50
RABEARIMANANA L., « La société rurale de Vakinakaratra dans la lutte contre le
pouvoir colonial à Madagascar (1945-1960) » in : Histoire sociale de l’Afrique de l’Est (XIXe-XXe
siècle), Département d’Histoire de l’Université du Burundi, Paris, Karthala, 1991, pp. 117-134.
51
ROY G., Contribution à l'histoire des indépendances malgaches 1959-60 et 1972, Paris,
ORSTOM, 1987, pp. 11-12.
42
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Le centre moderne de la ville coloniale s’élargit, et c’est lui qui est la référence du
changement, mais en même temps la ville populaire, périphérique, commence à s’élargir
elle aussi. Elle n’a pas de visibilité pour les élites, mais elle devient bien une
composante majeure des rapports campagnes-villes pour les « acteurs du bas ». Acteurs
qui à l’époque, il faut bien le reconnaître, sont en position de faiblesse et en voie de
marginalisation par rapport à la tendance dominante. Mais leur proportion dans la
population reste toujours la même : au moins 90% qui vivent l’« ailleurs » de la
modernisation qui s’accélère.
Dès cette époque pour les migrants, acquérir un petit pécule, doit permettre soit
d’entretenir la parcelle de terre et la tombe au village, soit en acquérir une pour faire
construire l’autre. Malgré l’évolution défavorable, l’attachement au tanindrazana, reste
vif, car il représente le facteur identitaire de chaque groupe ou individu, c’est aussi un
repère qui fait que les gens se rappellent de leur origine, qui fait également la cohésion
familiale, liée par le fihavanana. Les gens n’ont pas perdu la notion du tanindrazana
malgré le changement du milieu de résidence. Dans une conjoncture qui leur est
mauvaise, ils continuent à faire la part des choses entre les lieux d’origines et les lieux
de passages éphémères.
Dans les années 1950, derrière l’apparente rupture avec les temps anciens, l’économie
populaire est l’espace social de l’immense majorité de la population, ou se maintient la
continuité des interactions entre fokonolona, fihavanana et tanindrazana, à travers des
tentatives de réinvention de pratiques de vadin’asa adaptées à la dureté des temps. Cet
attachement explique en grande partie toutes les pratiques sociales et économiques qui
se font afin de préserver la reproduction sociale et économique et le renforcement des
liens sociaux.
43
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les rôles joués par le fokonolona montrent alors que l’ensemble de la population
participait pleinement à la construction de l’Etat mais et surtout essayait de maintenir leur
position sociale avec les différentes activités ayant permis de compléter leurs revenus. Du
temps colonial, l’objectif était différent puisque il s’agit plutôt d’une mobilisation de main
d’œuvre pour les obligations coloniales.
Tenant compte des responsabilités attribuées au fokonolona tout le long de ces périodes de
l’histoire du pays et leur ingéniosité de ne pas succomber aux innombrables exactions,
nous nous permettons d’avancer que le fokonolona peut être un élément majeur et un
acteur collectif du développement de Madagascar. Le fokonolona possède la qualité
d’adaptation et de flexibilité, de créativité et d’initiative face aux difficultés économiques
et politiques auxquelles il doit faire face.
44
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les différentes institutions ont à leur tour voulu instrumentaliser le fokonolona sans arriver
à le « capturer »52. Ce même fokonolona se réfère toujours à un territoire qui lui est
précieux, le tanindrazana. Pour la société malagasy, le tanindrazana est à la fois le point
de départ et le point de destination. De ce fait, le tanindrazana se trouve à plus forte raison
dans les consciences de la population. Dans les activités économiques et les revenus,
notamment pour les gens de la campagne, l’entretien du tanindrazana entre dans le budget.
L’entente et l’harmonie sociale, le fihavanana au niveau du fokonolona se sont construites
dans le cadre d’un territoire, le tanindrazana.
Cette trilogie est aussi valable en milieu urbain mais avec un autre degré. Le fokonolona ne
représente pas le fokonolona de l’époque royale ni de l’époque coloniale. C’est le
fokonolona avec une nouvelle image qui s’est interposé en ville. Un mode de
comportement propre à un nouveau genre de vie est adopté par la population vivant en
ville. L’adaptation sociale n’est pas automatique et parfois pose de sérieux de problèmes de
cohabitation. Mais les gens se rendent compte qu’ils doivent lutter ensemble d’abord pour
rendre un endroit inhospitalier habitable, ensuite pour affronter des acteurs extérieurs qui
partagent les mêmes quartiers. Chacun se croit différent des autres parce qu’il vient
d’ailleurs, mais à force de se côtoyer et partager le même milieu de vie, l’esprit
communautaire émerge car chacun se rend compte qu’il y a des intérêts communs à
défendre : la sécurité pour tous. Peu à peu s’est créé un mode de vie commun au-delà des
différences d’origine.
52
HYDEN G, « La crise africaine et la paysannerie non captive », Politique africaine, n°18, 1985.
45
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les fokonolona auront à gérer leurs budgets locaux et auront le droit d’établir leurs propres
statuts légaux ou dina et d’assurer la sécurité à l’intérieur des villages. Finalement, ils
éliront leurs représentants aux assemblées locales, régionales, nationales.
Cette réforme implique la responsabilisation des populations rurales afin qu’elles puissent
se prendre en main et diriger ses propres affaires. Les communautés seront même libres de
s’exprimer culturellement de façon autonome, de s’organiser politiquement à leur gré et de
choisir les options de développement qui leur conviennent. C’était donc une réforme
radicale, du moins en théorie, mais dont l’orientation a suffi à la faire désigner comme
« populiste ».
Le programme du colonel Richard Ratsimandrava a fait pour la première fois, le pari que la
population rurale pourrait être amenée à croire en la bonne foi du gouvernement et
accepterait l’offre qui lui est faite de se transformer, de travailler et de produire, en
échange de la reconnaissance d’une large autonomie. Les contacts et échanges établis entre
le colonel Richard Ratsimandrava et les populations dans toutes l’île durant ses tournées
officielles dans toutes les régions de Madagascar lui ont permis de mieux connaître les
besoins de la population et ses inspirations et d’élaborer son programme en fonction de ses
besoins.
Dès 1975, la décentralisation devient très rapidement la principale revendication par tous
les groupements politiques. La politique de Didier Ratsiraka allait donc renverser les
priorités en mettant la réforme des fokonolona en second plan, alors que la décentralisation
46
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
aurait dû être une conséquence implicite de la réforme des fokonolona, réforme de base sur
laquelle toutes les autres seraient greffées.
L’Armée populaire a été créée et reçue comme mission d’aider au développement du pays
en remplissant le rôle de police, en dirigeant les travaux agronomiques, la construction des
routes, etc. en encadrant les populations rurales dans le Plan de la formation idéologique
dans les campagnes. Cette armée jouera donc un rôle de premier plan, elle éduquera,
organisera les paysans et sera à la base de la coordination du plan de développement.
Avec la redéfinition du rôle de l’armée, la différence d’orientations qui préside aux deux
réformes des structures rurales apparaît clairement. La réforme de Ratsiraka renforçait en
fait le pouvoir de l’Etat central sur les collectivités paysannes, tout en utilisant un langage
révolutionnaire, voulait mobiliser celles-ci pour servir les objectifs politiques et
économiques de l’Etat.
La réforme des fokonolona projetée par Ratsimandrava et la réforme des structures rurales
inclues dans le programme de Ratsiraka étaient donc inspirées par des visions très
différentes du monde rural et de la paysannerie.
La Deuxième république est alors caractérisée par une forte emprise étatique sur la
paysannerie, suivie d’une acceptation sans conviction du programme de Ratsiraka. Le
fokonolona est ainsi présenté comme le fer de lance d’un développement populaire.
L’échec du programme de Ratsiraka durant son mandat par une sorte de « repli sur soi » du
monde paysan, la paupérisation grandissante de la grande majorité de la population en
milieu urbain, expliquent en partie la non considération des inspirations et des besoins de
la population et la négligence de leur attente en matière de développement. Le monde de la
paysannerie est jugé comme étant ignorant.
Il ressort de ce fait que la réforme des structures rurales de Ratsiraka ne reflète en rien la
trilogie fokonolona, fihavanana et tanindrazana sur laquelle repose toutes les logiques de
fonctionnement de la société malagasy notamment, celle qui se base en milieu rural. À
travers cette trilogie, le fokonolona urbain et rural est aussi un territoire, un lieu où se
construit l’identité. Une identité qui n’a rien de statique, de figé, mais qui s’accommode
bien de la mobilité, du mouvement et de changement. C’est autour de ce lieu que
s’articulent les différentes composantes économiques, sociales et culturelles de l’identité.
La terre tanindrazana joue un rôle central dans cette articulation, et son rôle ne se limite
pas à être un simple support de l’activité agricole. Elle est le lieu où se construisent les
tombes familiales. C’est autour de la terre que se construit l’identité, notamment parce
qu’elle est le lieu de mémoire. La dimension territoriale est donc importante dans ce que
sont les pratiques du fokonolona.
47
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Depuis les trois dernières décennies, force est de constater que les besoins de la population
ou encore les priorités de la population ne correspondent pas aux objectifs de l’Etat. Tout
au long de son histoire, l’Etat a toujours voulu « instrumentaliser » le fokonolona.
Aujourd’hui, par un récent décret (celui de 2002-1170 du 7 octobre 2002), l’Etat a
institutionnalisé les structures de base – fokontany et fokonolona – en considérant le
fokonolona comme une entité géographique et une subdivision administrative du fokontany
(art. 3), ce qui ne va pas sans poser des problèmes majeures dans les communautés rurales
fortement imprégnées de « traditionnalité ». Du simple fait que dans beaucoup d’endroits
de Madagascar, le fokonolona est étroitement lié au fokontany d’une commune, même si
deux types d’autorité, l’une traditionnelle, l’autre administrative, se superposent ou
s’interposent pour gérer l’espace social.
Les conséquences à plus ou moins court terme de ces réformes sont un risque de
déstabilisation sociale, une désorganisation de la vie communautaire, une difficulté
supplémentaire pour les communautés rurales d’accomplir leurs pratiques culturelles
traditionnelles qui font leur identité territoriale et culturelle.
Compte tenu de la façon dont l’Etat a agi à l’encontre des priorités des populations tant en
milieu rural qu’en milieu urbain, nous proposons dans la quatrième partie d’analyser les
différentes logiques de fonctionnement de la société malagasy.
48
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Trois logiques sont ainsi identifiées pour comprendre comment fonctionne la société
malagasy : la logique de développement, la logique communautaire et la logique
socioculturelle.
La logique d’autosubsistance
53
Le concept informel se réfère à toute activité qui n’obéit pas à des règles déterminées ou qui n’a pas de
caractère officiel dans « Définitions du secteur informel », Synthèse des interventions et des discussions qui
ont eu lieu au cours d’une réunion de l’OCDE portant sur le thème « Secteur informel et cadre institutionnel
dans les pays en développement », Paris 10-12 décembre 1990), par O. LEBRUN, C. MORRISSON, R.
TEZSZTER, J. CHARMES, C. LIEDHLOM, C. MALDONADO, M. FARBAMAN, C. BRADFORD.
54
ANDRIAMANINDRISOA E., L’économie populaire, territoire et développement : les dimensions
historiques, économiques et socioculturelles du fokonolona. Études de cas : la commune rurale de
Masindray et la commune urbaine d’Anosibe,
49
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Dans cette logique d’autosubsistance, les pratiques de ces activités économiques ont donc
permis aux malgaches de vivre et devant les problèmes économiques et crises sociales,
elles ont permis de survivre. C’est une des façons de faire preuve d’audace et d’initiatives
de la part de l’ensemble de la population devant des situations difficiles dans des contextes
difficiles.
Par ailleurs, cette logique peut être lu d’une autre manière : elle risque d’entretenir la
pauvreté car si au départ, celle-ci était prévue pour répondre à des conjonctures
particulières temporaires, la logique tend à se pérenniser (« ny hanina anio tadiavina
anio, produire uniquement ce que l’on consomme ») dans les réalités quotidiennes et ainsi
dans les mentalités, notamment en milieu urbain, à tel point qu’il est difficile de la
transformer en une logique « d’investissement » – quid de « l’homo economicus »
malagasy ? – nécessaire en vue d’un accroissement quantitatif des produits (en argent ou
en nature). La logique de subsistance est devenue un « cercle vicieux » qui peut freiner les
initiatives individuelles. En milieu rural, cet aspect est fortement critiqué puisque il faut
vraiment rencontrer des familles dépourvues de terres de cultures et de rizières pour
produire quotidiennement ce dont la famille doit consommer.
50
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Trois critères doivent être retenus dans cette logique de l’autosubsistance face à la
projection des objectifs du millénaire. 1) la redistribution du fruit du développement doit
passer au niveau de la base, 2) la société malgache comme nous l’avons montré est une
société hiérarchisée (le pouvoir de l’aîné, le Olo-be, les zanaka ou enfants), il faut
considérer l’existence de cette hiérarchie comme complémentarité et non pas sources de
conflit, 3) la coopération fait partie de l’éthique des comportements malgaches à travers
l’histoire comme le valin-tanana ou une volonté d’aider l’autre (le voisin et la famille et
par extension le fokonolona).
Subvenir à ses propres besoins, c’est déjà lutté contre la pauvreté et le manque matériel et
financier. Cette logique est lue comme une sorte d’offensive par rapport aux interventions
des différentes organisations non gouvernementales qui agissent soit-disant pour
l’humanité ainsi que les associations qui profitent des situations des gens, mais aussi
l’autosubsistance peut être lue comme une défensive par rapport à la faiblesse de l’Etat à
procurer du travail et à offrir à la population les structures essentielles pour leur
épanouissement. On ne doit pas lire cette autosubsistance comme une simple solution au
manque d’emploi. Pour ces gens, la lutte contre la pauvreté ne doit pas venir d’ailleurs
mais de son propre effort « Andriamanintra tsy manampy izay tsy manampy ny tenany ».
L’Etat à son tour, doit donner à la population les moyens d’étendre leurs activités selon les
codes d’investissement, les prêts bancaires qui aident les gens à avoir une facilité de
paiement, etc.
Avec l’éducation, la santé constitue les deux piliers du capital humain. Elle constitue un
catalyseur pour l’augmentation de la productivité. Tenant compte des données
quantitatives fournies par les services statistiques, des améliorations et des efforts en
matière de santé ont été fournis par l’Etat, suppléés par les organisations non
gouvernementales. Pour l’année 1997, la part du budget de fonctionnement total santé sur
le budget général ne cesse d’augmenter. En 2001, elle atteignait 10,2% contre 8,2% en
1997. Les efforts sont concentrés au niveau de construction des centres de santé de base,
l’attribution des matériels et des infrastructures de santé dans les différentes régions de
l’île, la vulgarisation des médecins d’Etat dans les régions reculées, la formation des
personnels de santé.
Mais malgré ces efforts, force est de constater qu’en 2001, Madagascar ne dispose que
d’un médecin public pour 6692 personnes, un dentiste pour 128275 personnes, un infirmier
pour 3249, et enfin, une sage femme pour 11110 personnes.
51
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Ces indicateurs montrent le faible accès de la population aux soins de santé publique.
Selon l’indicateur officiel récent (2005), 1 Malgache sur 5 seulement a accès au service de
santé, c’est-à-dire à payer la consultation du médecin et à pouvoir acheter des médicaments
dont les prix ne sont pas du tout à la portée de la masse populaire. Les traitements plus
complexes qui nécessitent des interventions chirurgicales sont encore hors prix et ne sont
accessibles qu’à une très faible minorité de population. Et ce chiffre est encore plus
catastrophique en milieu rural à cause de la distance des lieux de soin et le coût élevé des
soins. Il existe de ce fait une forte inégalité dans la possibilité de se faire soigner entre les
gens pauvres et les gens riches, mais aussi en ville et à la campagne.
L’Etat a mis en place des dispositifs qui ont permis à l’ensemble de la population aussi
bien en ville qu’à la campagne d’accéder facilement aux soins de santé : par des
subventions des médicaments et l’arrivée des médicaments génériques, des interventions
qui coûtent plus cher, la construction des centres de santé de base dans toutes les
communes du pays et de doter des moyens matériels adéquats pour la bonne marche de ces
centres de santé. Les ONG interviennent également dans des cas ponctuels et dans des
communes particulières en les dotant de matériels de soin spécifique, à ravitailler les
centres de soin en médicaments, à effectuer des vaccins gratuits, à dépister certaines
maladies gratuitement, en particulier les IST et le sida. Ce qui veut dire quand même que
des actions positives sont à mettre au crédit de l’Etat et des organismes internationaux.
Malgré ces initiatives, on ne peut pas dire que tous les Malgaches peuvent se soigner selon
leurs besoins avec les moyens dont ils disposent. Il faut noter d’ailleurs que les diagnostics
ne sont pas toujours conformes aux réalités, ce qui conduit à des décès qui auraient pu être
évités. Aussi se présenter au centre de santé est le dernier recours à faire pour les gens de la
campagne.
C’est une attitude « étrange » si l’on tient compte de la présence de ces bâtiments en milieu
rural. La raison repose sur le fait que les gens sont toujours habitués à fréquenter les
guérisseurs traditionnels qui restent toujours très prisés en milieu rural. L’utilisation des
plantes médicinales reste recommandée et souvent efficace s’il ne s’agit que d’une simple
maladie qui ne demande pas d’intervention chirurgicale ou des soins intensifs.
Parallèlement à cela, il faut voir aussi la consultation des devins qui complète souvent le
travail des guérisseurs. Les gens de la campagne ont plus confiance aux guérisseurs
traditionnels qu’aux médecins. Les guérisseurs sont en contact permanent avec la
population tandis que les médecins se trouvent en dehors du cercle. D’ailleurs ces derniers
ont du mal à s’intégrer en milieu rural, parfois hostile car il existe des contradictions entre
les pratiques de la médecine moderne et les pratiques de la médecine traditionnelle.
C’est aussi le cas des mères de familles qui consultent les renin-jaza pour le suivi de leur
grossesse et leur accouchement. Avec les renin-jaza, beaucoup de compromis peuvent se
faire comme l’accouchement à domicile où il n’est pas nécessaire de courir jusqu’au centre
de santé ou d’aller à l’hôpital qui se trouve souvent très loin des lieu d’habitation pour
accoucher. Des conseils pratiques sont proposés par ces renin-jaza qui créent des relations
de confiance entre elles.
Ainsi, la construction d’un CSB en milieu rural n’est pas toujours accueilli de la même
manière par les populations d’un fokontany qui en bénéficient : l’exemple d’Anakao dans
la commune de Salary – Atsimo est très concret : les populations vezo d’Anakao – bas sont
52
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
moins enclines à « profiter » de ces installations qui sont un trait de « modernité » que les
populations tanalana d’Anakao – haut. Donc, il faut bien considérer un élément
d’argumentation comme quoi la population malagasy est extrêmement diversifiée tant au
niveau des pratiques culturelles que des comportements sociaux. Il est certainement vrai
que des actions de sensibilisation doivent être menées dans ce sens, car certaines pratiques
sociales ne peuvent être conformes à la valorisation du tourisme sur une grande partie du
littoral sud-ouest de Madagascar.
Est-ce que la consultation de ces guérisseurs traditionnels, les renin-jaza, les devins
empêchent-il l’universalisation ou l’amélioration de la santé maternelle et infantile ? Ce
qu’il ne faut pas oublier c’est que la vulgarisation des centres de santé n’empêche pas les
gens de les consulter car cette consultation fait partie intégrante du mode de vie de la
société. Ce qui est matériel et immatériel dans la vie courante sont gérés par ces personnes
(l’astrologie, la divination, construction des tombeaux ou de l’habitation, l’avenir d’un
enfant, etc.). C’est l’amélioration des infrastructures d’accueil, les moindres coûts
médicaux, une forte et importante sensibilisation pourraient peut-être inverser la situation.
En ville, cet attachement est moindre puisque l’accès au centre de santé est plus simple et
les sensibilisations à travers la vulgarisation des journées de vaccination et autres touche
beaucoup plus facilement les gens que ceux de la campagne. La rupture avec les pratiques
traditionnelles conduiront davantage au refus de tout ce qui vient de la société moderne.
En milieu rural, la présence des dépôts de médicaments dans les petites boutiques locales
reste toujours prisée parce qu’elle ne nécessite pas une consultation auprès d’un médecin.
L’épicier joue souvent le rôle de conseiller médical en inscrivant les médicaments à
prendre pour des maladies courantes comme la diarrhée, le paludisme, les maux de têtes et
les aux de dents, les simples infections.
Il est indéniable d’admettre que l’éducation joue un rôle important pour le bien être social
d’un individu. Elle constitue un élément essentiel du capital humain. Les Malagasy ont
compris ce privilège depuis l’introduction de l’enseignement à Madagascar dès le début du
XIXe siècle. C’est ainsi que l’enseignement, de pair avec l’évangélisation a pris une
dimension de plus en plus importante depuis l’arrivée des missionnaires britanniques à
Madagascar au début du XIXe siècle jusqu’à maintenant. Et l’évolution de cet
enseignement dans le temps et dans l’espace, malgré le refus, les contraintes, les réticences
de la part des Malagasy et les tensions qui existaient entre les instructeurs et les
autochtones (élimination physique des instituteurs britanniques et de leurs familles), est
aussi impressionnante, notamment pendant la période coloniale où le décret sur
l’obligation de mettre tous les enfants à l’école fut promulgué. Aller à l’école est en fait
une manière d’éduquer les enfants et la scolarisation fait partie intégrante de l’éducation.
La connaissance n’est plus un luxe. Au temps du roi Radama Ier, les enfants de la cour
étaient les seuls à avoir le privilège et l’exclusivité de fréquenter l’école. Plus tard,
l’enseignement s’est généralisé petit à petit touchant les familles en dehors de la Cour, puis
53
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
devenu accessible à tout le monde. À l’époque coloniale, même si le système éducatif était
un facteur discriminatoire et d’élimination des enfants malagasy, les enfants des couches
populaires étaient obligés d’aller à l’école dès l’age de 8 ans.
Si telle était l’éducation dans le passé, le constat montre que l’enseignement n’arrêtait plus
d’évoluer et de se perfectionner depuis ce temps jusqu’à nos jours. Après l’accès de
Madagascar à l’indépendance, la Première république a vu proliférer la construction de
bâtiments pour l’enseignement primaire et secondaire publics, dans tous le pays avec la
construction de l’Université de Madagascar dans la capitale.
Dans le temps présent, l’objectif est « L’éducation pour tous », ce qui nécessite des efforts
complémentaires assez importants non seulement de la part du gouvernement mais surtout
pour l’ensemble de la population. L’éducation pour tous doit se traduire par l’accès de tous
à l’enseignement, moyennant que les écoles soient créées où il en faut, moyennant qu’il
soit formé les instituteurs nécessaires au fonctionnement de ces écoles.
Mais malgré ces efforts et dispositifs entrepris par les gouvernements, il reste encore des
problèmes et des difficultés à surmonter au niveau de l’éducation à Madagascar. Ces
problèmes sont démontrés par le taux de scolarisation encore faible en milieu rural et
l’accès à la scolarisation encore difficile en milieu urbain. On reconnaît que ce ne sont pas
tous les enfants qui vont à l’école car il existe de nombreux critères d’élimination : les frais
scolaires proposés par les différentes écoles privées excluent automatiquement les enfants
de la couche sociale défavorisée. Cette dernière est ainsi obligée de mettre ses enfants à
scolariser dans les écoles publiques ou encore dans des églises confessionnelles qui se
chargent des enfants des familles pauvres.
Il existe également selon les régions des inégalités d’accès à la scolarisation entre les filles
et les garçons. Les garçons sont plus sollicités pour aller à l’école que les filles. Ces
dernières sont appelées à aider les mères de familles dans les tâches ménagères et aux
travaux de la campagne. Certaines mères de familles vont même envoyer leurs filles pour
le travail de ménage en ville. Cette situation tend à s’inverser dans les campagnes en
prenant conscience qu’il faut mettre tous les enfants à l’école pour améliorer le niveau de
vie.
54
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
écoles qui sont à créer dans les zones à risques (les aléas climatiques comme les cyclones
qui détruisent les bâtiments scolaires) doivent être construites en dur de façon à éviter de
reconstruire chaque année une école, ce qui nécessite des fonds financiers et des bras
disponibles, mais surtout pour éviter la discontinuité de l’enseignement. Et l’extrême
pauvreté des populations du Sud fait que les jeunes – garçons et filles – quittent l’école
poussés par la « fièvre du saphir ». Il suffit de voir que plus de 200.000 personnes sont
venus grossir les fronts pionniers de la région du saphir entre Sakaraha et
Andohan’Ilakaka.
• La première catégorie concerne l’enseignement dans les écoles publiques qui est
généralement accessible à tous, dont le ministère de l’éducation définit les
programmes d’enseignement. Les frais de scolarité sont les moins coûteux mais qui
nécessitent néanmoins les participations des parents. La langue d’enseignement
était en malagasy notamment pendant la période de la deuxième république dans le
but de la malgachisation de l’enseignement. L’enseignement en langue française
était délaissé au profit de l’enseignement en langue maternelle. Pendant cette
période, les élèves ne maîtrisent plus ni la langue maternelle, ni la langue française.
Et le problème imminent se situe au niveau de l’enseignement supérieur et
universitaire où la langue d’enseignement reste celle de la langue française.
Beaucoup d’étudiants sont ainsi calés et se trouvent devant l’échec à répétition, ne
serait-ce qu’au niveau de l’expression orale et écrite sans entrer dans le domaine de
l’enseignement proprement dit. Ils arrivent difficilement à la fin des études
universitaires.
55
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
• Et la quatrième catégorie constitue les écoles françaises, les écoles américaines, qui
reçoivent les enfants des expatriés en mission permanente au pays et dont les
programmes d’enseignement correspondent à ceux des pays d’origine. L’accès des
enfants nationaux dans ces écoles est conditionné évidemment par de coûteux frais
de scolarité, sauf pour les enfants malgaches bi-nationaux qui peuvent bénéficier
d’une bourse de l’Etat français, si les parents n’ont pas suffisamment de moyen
pour payer leur scolarité.
L’existence de ces quatre catégories montre déjà qu’il est difficile de parler de
l’universalisation de l’enseignement à Madagascar. Il sera difficile, voire impossible de
changer la situation puisque aucune loi n’interdit la création d’école privée dans le pays.
L’ouverture d’une école privée est libre à Madagascar. À ceux-là s’ajoutent d’autres
éléments comme la mauvaise qualité de l’enseignement, l’inaccessibilité aux systèmes
d’information, le poids des facteurs historiques et des déterminismes sociaux. Concernant
ces facteurs historiques et ces déterminismes sociaux, l’accent est mis sur les points
suivants :
La société malagasy est essentiellement une civilisation orale et n’a connu l’écrit – sauf
pour des groupes du sud-ouest ayant connu les écritures arabes – qu’avec l’arrivée des
premiers européens sur l’île au XVIIe siècle. Tout s’est fait oralement. L’utilisation de
supports écrits dans l’enseignement se heurte donc au poids de cet héritage historique, qui
est encore visible dans des milieux enclavés sans contacts avec l’extérieur. Cette oralité est
toujours vivace et reste active dans la plupart des communautés dans toute l’île. On se
transmet tout oralement de génération en génération, avec les lovan-tsofina, les angano
(anecdotes que les anciens racontent à ses enfants pour tirer des leçons dans la manière de
vivre), les hira gasy. Les familles malagasy ont toujours cette tendance de respecter les
directives ou encore les conseils issus de ces lovan-tsofina.
56
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Les valeurs éducatives transmises aux enfants par leurs « mpanabe » traditionnels ne sont
pas identifiées dans les contenus scolaires offerts par le système éducatif moderne.En
poussant plus loin l’analyse, même si on insiste sur les traits caractéristiques communs de
la société Malagasy, les spécificités existent et doivent être considérées. Les conditions
géographiques différentes influent sur les représentations que l’on fait de la nature, qui ont
une importance particulière en milieux ruraux. Sur le plan de la forme, les manuels
scolaires contiennent des textes et figures qui représentent la nature (faune et flore),
d’autant plus que l’image de la richesse naturelle de l’île dans ce domaine est véhiculée.
Cette « emblématisation » à but pédagogique peut être diversement accueillie car chaque
société peut avoir une symbolique différente – qui sont parfois opposées – des figures
animales ou végétales proposées, d’où la difficulté de l’uniformisation des manuels
scolaires.
55
Voir à sujet le livre de DUBOIS sur l’identité malgache.
56
Enquête emploi MADIO, 1997.
57
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Concrètement, la gouvernance locale n’est pas une nouveauté pour la société malagasy.
Les tentatives de l’Etat de soumettre le fokonolona à plusieurs reprises, depuis le royaume
merina jusqu’à la Troisième république, en passant par le système colonial, ont été vouées
à l’échec. L’Etat a toujours voulu dominer et instrumentaliser le fokonolona pour le
soumettre à ses objectifs. Cet échec politique s’est accompagné d’un échec économique,
puisque l’Etat a montré son incapacité de contrôler les activités économiques du
fokonolona. Les tentatives de rapprochement de l’Etat avec le fokonolona ont toujours été
tournées vers une logique de soumission et d’exploitation au détriment des acteurs locaux.
On peut dire que l’écart qui sépare le fokonolona de l’Etat subsiste depuis le temps de la
monarchie jusqu’à présent, écart difficile à combler à cause des objectifs étatiques qui ne
correspondent pas aux attentes des populations.
Cette logique fonctionne quand il s’agit de conforter et de renforcer les liens sociaux
notamment au niveau des réseaux familiaux pour l’intérêt des familles qui sont liées par
des liens de sang. Ces familles composent les habitants de la communauté villageoise.
Mais il est difficile d’inventer cette logique communautaire, ou encore d’imposer une vue
d’ensemble dont l’objectif ne correspond pas aux besoins de l’ensemble des familles.
58
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
.
3. La logique socioculturelle (mode de pensée, valeurs morales, respect du
fihavanana, les pratiques culturelles traditionnelles mettant en valeur l’identité
culturelle et l’attachement au tanindrazana).
Les aspects culturels sont inséparables des deux autres aspects. En dehors du cadre
économique et de la vie communautaire, les pratiques culturelles entrent pleinement dans
la vie de tous les jours. Elles occupent une place non négligeable dans les préoccupations
des gens. Une partie assez conséquente du revenu est préservée d’avance, sinon il faut
absolument trouver les moyens financiers ou autres pour pouvoir préparer toutes les
festivités ou rites qui sont annoncées généralement quelques années auparavant.
La culture occidentale, adoptée par une minorité de la société malagasy, met les pratiques
culturelles et traditionnelles en dernière position, car pour elle, les pratiques culturelles
sont des facteurs de blocage au développement. Cette vision est largement partagée dans
les milieux intellectuels et persiste à être acceptée comme telle jusqu’à nos jours. Pour eux,
au lieu d’investir dans l’économie afin d’améliorer les conditions de vie, les gens
investissent dans les rites coutumières qui ne leur permettent pas de se développer
économiquement. Or des épargnes sont faites mais elles sont partagées dans deux voies
différentes : la première partie assurera les investissements à subvenir aux besoins, à savoir
l’achat d’un fond de commerce ou d’un terrain, à payer les travailleurs journaliers des
champs de culture et des rizières, etc., et la deuxième partie consistera à financer les
pratiques culturelles et les préparatifs aux événements et aux rituels.
Chacun a sa responsabilité dans la bonne marche et la bonne réalisation des projets car cet
événement doit apparaître comme une sorte de réussite sociale, de référence et d’identité
culturelles. La question est de savoir pourquoi les gens mettent plus d’importance sur ces
pratiques et dépenses pour leur parfait accomplissement alors qu’ils sont « enferrés » dans
des problèmes de survie au quotidien ? Toutes les sociétés malgaches sont concernées par
ces pratiques culturelles, celles du Sud, du Nord, à l’Ouest et à l’Est de Madagascar et
donnent une place importante à leurs réalisations. Ceux qui ne favorisent plus les pratiques
culturelles traditionnelles donnent une place plus importante à leur mode de vie et à la
religion chrétienne, souvent à travers les sectes religieuses. Mais, pour tout Malgache, le
fait même de s’attacher au tanindrazana conforte davantage les pratiques et met la
personne en confiance et en sécurité vis-à-vis de ses ancêtres.
59
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Pour élucider les problèmes qui persistent devant l’incompréhension des comportements de
la population face à l’exécution des programmes élaborés pour le développement, il est
impératif de mettre l’accent sur tout ce qui touche de près les acteurs, aussi bien ceux de la
ville que ceux de la campagne, avant de voir quels sont les impacts directs ou indirects de
ces programmes au niveau de la population.
La population fonctionne selon ses logiques et si l’on constate des échecs dans la
réalisation des projets de développement, il faut se demander si les projets convenaient aux
logiques de cette population concernée. Il en est de même pour les programmes nationaux
de développement qui prennent une ampleur de plus en plus importante. Depuis trente ans,
le bilan de ces programmes de développement est plutôt maigre, car ces politiques et
programmes ne correspondent pas aux logiques de la population.
Par exemple, l’utilisation du fokonolona au niveau des hautes intensités de main d’oeuvre
(HIMO) ou autres activités, est évidente. L’HIMO permet aux hommes et aux femmes de
travailler et de gagner de l’argent. Mais selon les constatations, les hommes et les femmes
n’arrivent guère à achever leur tâche jusqu’au bout, car le fokonolona avec une « logique
de résistance » dans le sens où il existe des impératifs sociaux et économiques qui sont à
l’opposé de ce que souhaitent obtenir les développeurs et l’Etat. Peut-on ainsi parler de
blocages au sein de la société rurale ? Blocage s’il y a, d’où vient-il ?
Loin des données statistiques, il existe d’autres éléments qui ne sont pas à négliger. Il
s’agit des données qualitatives tirées des enquêtes, des réalités des personnes concernées
qui relatent de manière concrète les faits et leur vécu. À travers ces données, on a pu
constater qu’il existe d’autres logiques, en dehors des logiques économiques normatives,
qui ont permis à la masse de la population de vivre ou de survivre.
Ces logiques qui sont des logiques économiques, logiques communautaires et logiques
socioculturelles, relèvent de longues expériences vécues depuis des générations. C’est
l’image d’une longue trajectoire historique. Ces logiques s’interpénètrent et sont en
interaction étroite. Pour comprendre le comportement de la population dans le contexte
actuel, ces trois logiques ne peuvent pas être étudiées de façon isolée. On les retrouve
toujours agir ensemble dans la vie quotidienne des gens aussi bien en milieu rural qu’en
milieu urbain. Ce n’est pas une attitude adaptée selon les contextes mais des
comportements mûris de longue date.
La logique économique qui tient compte des pratiques économiques qui se retrouvent dans
l’économie populaire sont complexes et mettent en interaction l’économique à partir des
pratiques économiques y compris le vadin’asa, le social et le culturel, perceptibles à
travers le rôle du fihavanana, l’attachement au tanindrazana et aux coutumes ancestrales,
les fomba, le tout dans le cadre institutionnel du fokonolona qui joue un rôle central dans
l’évolution.
60
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
L’équilibre entre ces différentes logiques conduit à affirmer que le fokonolona réel laissé à
lui-même s’est renouvelé en fonction des nouvelles circonstances, et notamment en
s’insérant dans une nouvelle logique de réseau, plus large et dynamique qu’auparavant. Les
crises multiformes traversées par le pays n’ont certainement pas entraîné le repli sur soi des
communautés. Bien au contraire, elles ont forgé, à travers elles, une nouvelle faculté
d’adaptation.
La première chose à prendre en considération est que les paysans des années 80 et 90 ne
correspondent en rien, pas plus qu’avant, aux clichés qui les représentent comme passifs,
incapables de comprendre les normes du monde moderne. Il ne s’agit pas pour eux de
résoudre des problèmes économiques et sociaux connus depuis les années soixante dix et
quatre vingt. Il s’agit plutôt de logiques séculaires de développement qui se sont
construites à travers le temps et à travers l’espace et qui sont entrées dans les pratiques
économiques, sociales et culturelles ainsi que les us et coutumes de la société malagasy.
Nous reprenons dans cette analyse le cadre conceptuel de l’historien F. Braudel. Pour lui,
le développement humain a une histoire bien plus longue et s’est manifesté dans toutes les
sociétés. C’est l’histoire de la construction de la vie matérielle à travers laquelle tous les
peuples ont peu à peu maîtrisé leur environnement matériel, et en ont mobilisé les
ressources pour s’assurer des conditions de vie supportables. C’est là que se trouve la base
de la vie quotidienne : la nourriture, l’habitat, le vêtement et toutes le techniques qui peu à
peu ont permis non seulement de maîtriser le milieu naturel, mais aussi d’améliorer sans
cesse les conditions de la vie matérielle à travers un apprentissage continu des techniques
et pratiques sociales, dont les acquis se transmettent et s’enrichissent à travers les
générations.
Toutes les activités de la grande majorité des paysans sont intimement liées aux croyances
véhiculées par le respect des fomban-drazana. La majorité de leurs activités (constructions
des maisons, des tombeaux, famadihana, travaux des champs, recherche d’un travail) sont
soumises aux fomba, conformes aux normes sociales locales et générales établies depuis
des générations, et qui se sont transmises aux descendants par les traditions orales, les
lovan-tsofina.
Ces trois logiques, qui doivent s’intégrer dans une dynamique de développement, sont un
atout pour la société à Madagascar, dans la mesure où elles sont à même de faire prendre
conscience aux Malgaches des nouveaux enjeux socioéconomiques et des opportunités
issus de la « mondialisation ». Si certaines d’entre elles ont permis à la population de faire
face à tous les problèmes que Madagascar a connus jusqu’à aujourd’hui, les potentialités
que l’on peut tirer de l’interaction des trois logiques permettent d’éviter toute sorte de
dérapages. La condition essentielle est que Madagascar doit « sauvegarder » son identité, à
travers ses coutumes et ses traditions.
C’est dans ce sens que toutes stratégies pour la lutte contre la pauvreté doivent partir. C’est
d’ailleurs à travers ce respect fondamental de l’ « âme malagasy » que les diverses
stratégies de développement, que ce soit au niveau de l’environnement, de la lutte contre la
malnutrition infantile, de la scolarisation, de la santé et de la lutte contre le sida, pourront
mieux s’intégrer dans le mental des gens. Et certainement que le milieu rural est plus à
même de saisir ces « opportunités du développement » que le milieu urbain, qui, lui, est
plus sensibles aux sollicitations externes et donc sujets à des dérapages certains. C’est,
61
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Que représente cette lutte contre la pauvreté pour la société malagasy ? Il ne s’agit pas
seulement d’avoir tous les biens matériels dont disposent les familles issues des grands
pays industrialisés. Les biens sont représentés par la possession de maison d’habitation, les
tombeaux pour le repos éternel, des champs de cultures pour assurer la sécurité
alimentaire. Cette sécurité alimentaire est véhiculée par le souci de préserver l’avenir
(mitsinjo ny vodiandro merika). Quand l’épargne permet d’assurer les périodes dures, les
gens sont loin du souci de pauvreté. Les autres problèmes reviennent à l’Etat de les
résoudre en mettant à la disposition de la population tous les services sociaux essentiels en
matières éducation, santé, eau et assainissement.
Pour la grande majorité des Malagasy, la lutte contre la pauvreté signifie trois choses
importantes dans leur existence : posséder une terre qui constitue leur point d’ancrage (le
tanindrazana), assurer l’avenir de leur progéniture en leur transmettant les savoir-vivre, la
sagesse et le respect des anciens et des ancêtres dans le cadre de la communauté ou du
fokonolona. C’est préserver le fihavanana au niveau le plus restreint jusqu’au niveau plus
général et global, c’est-à-dire au niveau même de la nation, et pouvoir accomplir leur
obligations à travers toutes les pratiques culturelles et traditionnelles qui représentent leur
identité et leur existence.
Par ailleurs, ces différentes logiques ne devraient pas être un frein au développement
puisqu’elles sont la base même de l’existence de la société malagasy. La prise en
considération de ces logiques ainsi que leur interaction contribue à donner plus de sécurité
à l’ensemble de la population. Sécurité par rapport à l’accès à la terre qui génère la sécurité
alimentaire donc une possibilité d’exploiter le secteur agricole, et l’affirmation de droit à la
terre. Sécurité par rapport à la logique communautaire. Cette logique communautaire dont
le fihavanana est en la pierre angulaire peut fonctionner en termes de réseaux économiques
importants dans un cadre local en premier lieu, en réseaux commerciaux, réseaux de
distribution des produits par la suite, etc.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
Or dans la grande majorité des cas et pour l’immense majorité des Malgaches, les fomban-
drazana quels qu’ils soient représentent tout, leur identité, repère et référence culturelles et
sociales. C’est leur croyance et le respect du passé. D’où ils font partie d’un des objectifs
de la société. Dans la vie quotidienne, sa place et son rôle ne sont pas négligeables car ils
se trouvent dans les faits et gestes et surtout dans la pensée. Ils sont ancrés dans le mode de
vie et de pensée de la société. Les différentes ethnies vivant à Madagascar respectent
chacune dans sa région ses fomba et y consacrent une grande partie de leurs biens et de
leur temps pour pouvoir satisfaire leurs objectifs. De ce fait, pour la société malagasy, il ne
s’agit pas d’une perte de temps et d’argent. C’est au contraire une des façons de reproduire
les liens sociaux, c’est aussi une forme de dynamisme social et économique et ce sont des
pratiques de résistance populaire par rapport à la perception qu’ont les praticiens du
développement57.
La construction des tombeaux est devenue un métier à part entière et au XIXe siècle, elle
exigeait la contribution de tout le fokonolona. Le tombeau renvoie toujours à un effort
collectif, car les techniques traditionnelles, toujours les mêmes jusqu’à nos jours, exigent le
concours d’une foule de gens qu’il faut pouvoir réunir et nourrir pendant le temps de
travail. Ainsi, la construction des tombeaux pendant la saison sèche rapporte de l’argent
aux maçons et fait travailler un certain nombre de personnes, aussi bien des hommes et des
femmes. Ceux-ci s’entraident à casser et à tailler les pierres pour en faire des moellons. Le
travail peut aller de trois à six mois, selon la distance entre la carrière de pierres et l’endroit
et le nombre de personnes qui y travaillent. Il dépend également de la disponibilité
d’argent des familles qui font construire le tombeau..
Pour cette société, la fondation d’une nouveau tombeau est une des bases de la conception
populaire du développement ou fandrosoana, parce qu’elle assure la reproduction du lien
familial et du lien social dans le long terme. C’est une des bases du développement durable
dans la conception populaire. Rien n’est plus important que d’assurer la reproduction du
lien avec la famille et le fokonolona, et c’est ce qui assure la sécurité de ce dernier, et
chacun dans ce dernier. Le développement qu’on évoque ici n’a rien à voir avec la logique
purement économique connue dans les pays industrialisés. Il s’agit en fait d’une étape de
l’ascension sociale, accessible à tous. Cela veut dire que la personne en question et sa
famille sont un exemple de réussite sociale car ce qui lui semble essentiel est réalisé. La
construction du tombeau, de la maison d’habitation ainsi que celle du temple impliquent un
même enjeu de légitimation.
Ces fomban-drazana sont en fait reconnus comme des besoins et entrent bien dans la
logique socioculturelle de la grande majorité de la société malagasy qui les pratique sans
faire la distinction entre la société rurale et la société urbaine. C’est pourquoi, il n’est point
57
RAJOELISON Germain, Revue documentaire. Culture et Prospective, PNUD, pp. 11 – 18 (chap. 2 :
« Le temps dans la culture malgache ».
63
ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
C’est ainsi que le tanindrazana est une des bases sociales à laquelle le Malgache ne peut
pas déroger, même lorsqu’il « s’expatrie en Europe » pour des raisons familiales et/ou
professionnelles. Il existe dans tout Malgache une volonté d’attachement à la terre des
ancêtres, ce qui est loin d’être le cas pour les Européens, voire même les Africains. Donc,
même si l’on vit dans une grande ville, l’attachement au tanindrazana est la pierre
angulaire sur laquelle s’articule toute la vie de l’individu, depuis sa naissance jusqu’à sa
mort. Dès sa naissance, tout Malgache sait où il sera enterré, à moins que lui-même ne soit
à l’origine d’une nouvelle lignée en construisant un nouveau tombeau … dans le même
tanindrazana.
Donc, cette culture liée au tanindrazana a certainement une incidence sur le renforcement
et la permanence du fihavanana. L’attachement populaire aux valeurs morales et
culturelles renvoie au respect du fihavanana. La population malagasy attache beaucoup
d’importance aux valeurs morales basées sur la solidarité de tous les membres de la société
qui aspirent à un même idéal. La sagesse qui repose sur ces valeurs morales tire l’essentiel
du maintien des bonnes relations parentales ou familiales par le respect du fihavanana, une
bonne harmonisation entre les individus, les familles, les groupes statutaires.
Nous sommes convaincus donc que tout projet de développement doit tenir compte de ces
dynamiques sociales, même si le cahier des charges des organismes de développement ne
permet pas « d’attendre » le « bon vouloir des intéressés », même si les développeurs
veulent prendre en considération ces variables que sont le développement « endogène » ou
« participatif » ou encore le développement « intégré », sachant très bien que tout projet est
impulsé du haut vers le bas, et non le contraire. C’est ainsi que nous formulons un certain
nombre de recommandations qui prévalent pour assurer un développement humain et
durable.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
6. RECOMMANDATIONS :
LES FACTEURS SOCIOLOGIQUES D’UN
DEVELOPPEMENT HUMAIN ET DURABLE
Les recommandations que nous faisons ci-dessous doivent permettre de réfléchir sur les
facteurs sociologiques d’un développement humain et durable, dans la mesure où nous
considérons que ces indicateurs peuvent évoluer dans le temps ou bien se transformer en
fonction de l’espace dans lequel ils se situent. En effet, nous ne pensons pas qu’un
indicateur puisse être considéré comme inflexible. La société malagasy est ce qu’elle est
aujourd’hui, elle ne sera certainement plus la même dans cinq, voire dix ans. Elle évoluera,
c’est une évidence en fonction des transformations sociales qui seront apportées suite aux
impacts des diverses stratégies de développement. Donc, il est évident qu’une évolution se
fera aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. La question essentielle est de savoir si
les divers objectifs formulés dans les OMD et le DSRP, pour un développement humain et
durable, pourront être atteints en 2015. L’objectif final étant de réduire de moitié la
pauvreté à Madagascar dans dix ans.
Nous sommes convaincus que nous devons accepter comme point de départ ce qu’est la
société malagasy aujourd’hui. Ce qui nous a conduit à analyser les modes de
fonctionnement de la société malgache et nous sommes parvenus à un constat, à savoir
qu’on ne peut pas transformer la société, si besoin est, en imposant un schéma de
développement de l’extérieur. Donc, nous devons partir de l’ « état zéro », à savoir ce
qu’est la société aujourd’hui, et ensuite voir dans quelle mesure on peut « concilier » la
« malgachitude » avec les impératifs socioéconomiques nécessaires pour arriver à ordonner
un développement humain et durable, suivant les objectifs que l’on s’est assigné pour
2015.
Mais, il faut bien admettre que l’on ne pourra atteindre en partie ces objectifs que si un
préalable est mis en évidence, à savoir qu’il est primordial d’assurer la sécurité
alimentaire de toutes les couches sociales défavorisées. L’on ne peut envisager d’arrêter
la progression du VIH/SIDA, d’arrêter la dégradation de l’environnement et des ressources
naturelles, d’atteindre le taux de 100 % au niveau de la scolarisation des enfants dans le
primaire, d’éliminer les inégalités entre garçons et filles à l’école, que si le plus grand
nombre possible d’individus n’ont pas à penser quotidiennement à leur minimum vital. La
sécurité alimentaire du milieu rural est une des primautés pour enrayer l’accroissement de
la pauvreté.
Réduire de moitié la proportion des personnes privées d’accès à l’eau potable, réduire de
trois quarts le taux de mortalité maternelle, réduire de deux tiers la mortalité infantile,
réduire enfin de moitié la proportion de personnes souffrant de la faim, éliminer le travail
des enfants de quelque manière qu’il se présente (domesticité, travail dans les carrières de
pierre, travail dans les zones minières). Ces objectifs ne seront atteints que si la sécurité
alimentaire est assurée pour toute famille malagasy vivant dans n’importe quel milieu
naturel. Ce n’est qu’à ce prix que la pauvreté arrivera à s’éliminer progressivement d’elle-
même. Cela nécessite donc de mettre en place des stratégies de développement
« acceptables et acceptées par toutes les catégories sociales où que l’on se trouve ». Donc,
cela demande d’être à l’écoute des divers groupes sociaux et pour ce faire, il est nécessaire
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
de mettre en place des stratégies de développement qui reposent sur les dynamiques
sociales qui ont caractérisé et qui continuent de caractériser la société malagasy. Nous
présentons ci-dessous 11 indicateurs de base.
1. Mettre en synergie tous les acteurs concernés par une action de développement.
Les acteurs tels que nous les entendons dans cette étude doivent être consultés à tout
moment. On ne doit pas calquer le mode de développement des pays industrialisés sur
celui qu’on voudrait impulser à Madagascar. Les sociétés occidentales ont connu une autre
trajectoire qui est l’image et la référence même de ce que ces sociétés ont vécu, avec tous
leurs travers et débordements que nous connaissons aujourd’hui. Cela implique dans un
pays comme Madagascar que chaque collectivité décentralisée – à savoir la commune et
ses subdivisions - arrive à s’impliquer dans son processus de développement, grâce à une
sensibilisation au niveau de la formation des cadres communaux, à l’appui d’associations
locales et d’Ong’s régionales ou nationales, avec le concours de l’Etat.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
objectifs des dirigeants oscillent souvent dans le cadre d’une ambivalence entre la
modernité d’une part et la traditionnalité d’autre part
7. Exploiter la potentialité de travail effectué par les femmes aussi bien en milieu rural
qu’en milieu urbain afin de la rendre rentable, en éliminant toutes formes de discrimination
entre les hommes et les femmes.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
9. Tenir compte des variables dans la hiérarchie sociale d’un groupe, d’une
communauté : les jeunes envers les aînés, les aînés envers les jeunes, les jeunes
intellectuels ayant des connaissances et les aînés ayant vécu les expériences, mettre les
deux compétences en synergie, afin d’éviter certains dérapages tels que nous les
connaissons dans les sociétés industrialisées du Nord.
Il est donc nécessaire de mettre à profit la politique de décentralisation menée par l’Etat
depuis la fin de l’année 1996, avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux, afin de
« valoriser » les collectivités décentralisées, à savoir les communes rurales et urbaines.
C’est à ce prix qu’un développement humain et durable pourra être déterminé et assuré.
C’est à ce prix seulement que la pauvreté pourra être réduite de moitié en 2015,. C’est
aussi à ce prix que les Malgaches, en particulier en milieu rural où la pauvreté est
dominante, pourront prendre en considération leur propre développement.
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
1. Des similitudes
2. Des dissemblances
- Le « culte des ancêtres » est beaucoup plus conséquent à Madagascar que partout
ailleurs en Afrique, dans le sens où les morts « participent » à la vie du groupe, de
la communauté, au monde des vivants. Dans la culture bantoue, une fois qu’on est
mort, l’homme a perdu « sa force vitale » - son « umutima ». Donc, il n’est plus
rien. Peu de groupes sociaux édifient des tombeaux, comme en Imerina ou ailleurs
sur les Hautes Terres. Peu de groupes sociaux « enjolivent » leurs tombeaux,
comme chez les Vezo, les Mahafaly, les Sakalava, etc … Ce qui pourrait expliquer
(peut-être) que les projets de développement réussirent mieux qu’à Madagascar
(opinion qui demande quand même à être vérifiée).
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
- La société malagasy « cultive » une variété de tabous (fady) tant au niveau local
que régional. On pourrait voir à travers ces interdits des « freins » au
développement. Au contraire, ils peuvent aider à mieux réguler certains
comportements identitaires locaux, dans le sens où les interdits permettent d’établir
des limites à ne pas dépasser. De nouveaux interdits pourraient être émis à partir
des notables locaux afin de mieux gérer les ressources naturelles. Ces attitudes
sociales sont quasi inexistantes dans l’Afrique bantoue spécifiquement composée
d’agriculteurs ; il n’en est pas de même pour les sociétés pastorales de l’Afrique de
l’Est, où le primat de la richesse repose sur le grand bétail vis-à-vis duquel un code
de conduite existait (mais qui tend à disparaître aujourd’hui).
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ETUDE DES FACTEURS SOCIOLOGIQUES POUR UN DEVELOPPEMENT A LONG TERME
9. BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
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Semaines
24 janv- 31 janv – 7 févr - 14 févr - 20 21 févr – 28 févr – 07 mars-
Travaux à faire 31 janv 6 févr 13 févr févr 27 févr 06 mars 13 mars
Documentation et
bibliographie
Dépouillement
Rédaction
Correction et
consultation
Finalisation et
remise du travail
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