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BANTA ET LA TORTUE

Banta était le chasseur le plus redoutable de la savane. Tout animal qui passait à
portée de sa lance pouvait se considérer comme mort, dépouillé et rôti. Banta
faisait fi de l’ancienne croyance selon laquelle l’homme qui tue une femelle
gravide ou accompagnée de son petit périra lui-même sans descendance. Au
demeurant, Banta était père de trois beaux enfants.
Chaque soir, il rentrait chez lui chargé de gibier, portant, autour de son cou, des
renards et des écureuils, dans les sacs attachés à sa ceinture, des lièvres et des
pigeons, et tirant par les pieds un zèbre ou une antilope. Il tuait plus que lui et
les siens ne pouvaient manger par goût du sang et du meurtre, pour le seul plaisir
de tuer. Banta aimait aussi à se vanter et nul ne pouvait le faire taire lorsqu’il se
lançait dans le récit de ses carnages.
Aujourd’hui, les animaux de la brousse se réunissent sous un manguier pour tenir
conseil. Il est temps de réagir et de mettre hors d’état de nuire cet
exterminateur avant que tous ne succombent, frappés par sa lance ou étranglés
par ses collets. Mais qui osera affronter Banta le chasseur ? Le lion baisse la
tête, très intéressé tout à coup par une fourmi qui passe entre ses pattes. Le
rhinocéros a justement à faire ailleurs, un rendez-vous de la plus haute
importance pour sa carrière de rhinocéros et l’éléphant se sent bien faible. Il
n’est pas le seul malade.
- Moi aussi j’ai dû attraper froid, dit le serpent.
Quant au charognard, il aura sans doute mangé de la viande trop fraîche.
En somme, nul n’est assez fou pour défier Banta le chasseur. Le carnage va
continuer. Le sang des animaux de la savane coulera jusqu’à la dernière goutte.
C’est alors qu’une toute petite tortue se porte volontaire. Elle demande
seulement aux autres animaux de rester cachés le lendemain, de ne quitter sous
aucun prétexte leurs gîtes, leurs terriers, leurs tanières.
Banta bat les buissons avec un bâton, il soulève chaque pierre, puis il renverse la
tête et fixe éperdument le ciel vide. Jamais la savane n’avait été si calme. En vain
cherche-t-il des empreintes dans le sable ou la poussière. Pas un souffle de vie,
pas un bruit d’aile. Pas un crocodile dans les marigots. Le soir venu, bredouille
pour la première fois, Banta se résigne à prendre le chemin du retour, le cœur
empli de colère et d’amertume.
Il n’a pas rêvé. Il a bien entendu les notes claires d’une kora, d’abord, puis un
chant mélodieux semble provenir de ce bouquet de hautes herbes. Intrigué,
Banta s’approche prudemment : c’est une toute petite tortue qui chante en
pinçant avec allégresse les cordes de son instrument. Voilà qui amusera mes
enfants, se dit Banta, et fera peut-être oublier l’insuccès de ma chasse. Et il
fourre la tortue dans un sac.
- Tu ne ramènes donc pas de gibier ? s’écrie son fils en le voyant entrer dans la
cour de la concession.
- J’ai mieux, répond Banta. Grâce à ma ruse et à mon adresse, j’ai capturé une
tortue qui chante. Écoutez-la.
Et devant la famille et les voisins réunis, la tortue docilement se met à jouer de
son instrument et à chanter. Banta reçoit les applaudissements comme s’ils lui
étaient adressés.
- Je tiens avec cette tortue une belle occasion de briller devant le roi, pense-t-il.
Le lendemain, il se présente au palais et demande audience.
- J’ai dressé cette petite tortue à chanter pour vous, noble roi.
- Reviens ce soir. Elle chantera devant la cour.
Et voici la cour rassemblée. Banta tient dans ses mains la tortue prodigieuse.
Avec un sourire de triomphe, il l’installe sur un tabouret et pose sa kora devant
elle.
- Vas-y, chante.
Mais la tortue reste muette.
- Chante, allez !
Mais la tortue reste muette.
- Chante, allez !
Mais la tortue lentement rétracte sa tête et ses pattes dans sa carapace. «
Honte sur Banta », crache le roi qui n’apprécie guère que l’on se moque de lui et
ordonne l’exécution du fanfaron. Une potence est dressée sur-le-champ.
Voici Banta à son tour pris au collet. Il suffoque et se débat, inexorablement, il
meurt. Et comme une ultime convulsion tord son corps supplicié. Dans le silence
funèbre, une kora soudain égrène quelques notes cristallines. Puis, une petite
voix entonne un chant étrange et gai, tandis que Banta grimaçant rend son
dernier soupir.

Comment le lion devin roi

Le lion n'était pas le roi des animaux. Du moins, il ne l'était pas au départ.
C'était plutôt Dankélé, un grand buffle noir de la savane, qui régnait sur le
peuple des bêtes. Le roi Dankélé était un grand tyran, un roi qui gouvernait sans
foi ni loi. Que tu aies raison, tu avais peur. Que tu n’aies pas raison, tu avais
raison d’avoir peur devant lui.
À cette époque, il y avait une seule rivière à laquelle tous les animaux venaient
boire, mais personne n’avait le droit de boire avant Dankélé. Et Dankélé ne se
contentait pas seulement de se désaltérer, il se baignait dans la rivière, s'y
roulait et y faisait tous ses besoins. C'est après que les autres pouvaient boire à
leur tour l'eau déjà souillée.
C'était injuste, mais c'était comme ça. Il fallait le supporter.
Mais la lionne mère, ce jour-là, ne put attendre l’arrivée du roi. Son lionceau qui
venait d’arriver au monde, allait mourir de soif. Elle lui donna un peu d’eau. Elle en
but un tout petit peu, elle-même.
Arriva le roi Dankélé. Il était accompagné des membres de sa cour, des griots et
des griottes qui chantaient ses louanges :
« Ô ! Grand buffle !
Tu es plus grand que Soundjata le grand
Plus grand que Da Monzon le grand
Plus grand qu’Alexandre le grand ! »
Mais le roi Dankélé, quand il fut au bord de la rivière, vit qu’on avait osé boire
avant lui, le roi. Il se tourna vers son peuple et les menaçant de son regard, hurla
sa colère. Et sa colère fit trembler tout le monde :
- Qui est-ce… Mais qui est-ce qui a donc osé boire avant moi le roi ? Si vous ne
me désignez pas le coupable, vous l’êtes tous !
Les animaux, terrifiés, se regardèrent dans les yeux. Tout le monde avait vu la
lionne donner à boire à son petit. Mais qui pouvait prendre la responsabilité de la
dénoncer à cette brute de roi ? L’hyène le fit :
- Moi, je ne vais pas payer pour une faute que je n'ai pas commise. C'est la lionne
qui a bu avant toi. Voilà, j'ai dit.
Et aussitôt, d'un bond, le roi Dankélé écrasa la lionne avec ses grosses pattes.
Mais le lionceau n’était pas mort. Il s’est sauvé à toutes pattes et est allé se
cacher. Il a attendu, attendu jusqu'à ce qu’il soit devenu grand. Quand il est
devenu un grand lion dont le rugissement retentissait à travers toute la savane, il
est sorti et il a dit au buffle :
- Buffle où est partie ma mère ?
Le buffle intimidé par la force que dégageait le lion, bafouille :
- Ta, ta, ta mère la lionne.
Un conseiller lui souffle à l’oreille :
- Il s’agit de la lionne que tu as tuée il y a de cela quelques années parce qu’elle
avait osé boire avant toi.
- Ah oui c’est vrai, dit le buffle en se tournant vers le lion. C’est la loi, ce n’est
pas moi. La loi, c’est la loi. Ta maman a osé boire avant moi alors la loi lui a été
appliquée. La loi, c’est la loi, la loi ce n’est pas moi.
- La loi ne s’applique qu’au plus faible est une loi injuste.
Et le lion se jette sur le buffle, le terrasse, et libère le peuple des animaux.
C’est depuis ce jour qu’il est le roi des animaux. C’est aussi depuis ce jour qu’il
s’efforce d’être juste et droit.
L’éléphant et le Hérisson

Il était une fois les animaux de la brousse. Ils vivaient entre eux. Seuls sur la
terre. Non, pas tout à fait. Il y avait aussi dans la brousse les génies, les grands
et les nains, qui, eux aussi, vivaient entre eux. Quant aux hommes, ils n’avaient
pas encore fait leur apparition sur la terre.
À cette époque-là, lointaine, très lointaine, il n’y avait sur toute surface de la
terre qu’un seul cours d’eau, une petite rivière aux eaux salées, qui appartenait
au petit hérisson. Un génie nain, un wokloni, avait eu la gentillesse de la lui
montrer :
- C’est pour toi. Si quelqu’un y boit sans ta permission, la rivière disparaîtra. Si tu
refuses à qui que ce soit la permission d’y boire, la rivière disparaîtra
pareillement.
De nature, le petit hérisson n’est pas méchant, malgré ses piquants qui lui en
donnent l’air. Il suffisait donc de lui demander : « Petit hérisson, je meurs de
soif. Est-ce que je peux aller boire dans ta rivière ? » Il répondait toujours par
oui. Et tu pouvais te désaltérer à satiété.
Mais un jour, l’éléphant, piqué par on ne sait quelle mouche, se leva et déclara :
- Moi, le plus grand de tous les animaux, le plus puissant, le plus fort, que je sois
obligé à chaque fois de demander la permission à ce petit rien de hérisson, est
inacceptable. Je ne le ferai donc plus. Désormais, je boirai sans sa permission !
Le petit hérisson n’était pas présent. Mais les autres animaux, qui attendaient
son arrivée, dirent à l’éléphant :
- Ne fais pas ça, éléphant. Il ne te coûte rien de demander la permission au petit
hérisson. Il n’a jamais refusé de l’eau à personne.
Mais l’éléphant ne les écouta pas. Il se leva et alla boire l’eau de la rivière. Mais à
peine eut-il commencé à boire que la rivière se retira. Et l’éléphant partit en
barrissant.
Quelques instants après, arriva le petit hérisson, qui trouva que sa petite rivière
aux eaux salées était à sec. Il se dressa sur ses petites pattes et demanda :
- Qui a bu toute l’eau de ma petite rivière ?
- C’est l’éléphant, répondirent en chœur les autres animaux. On le lui avait
pourtant déconseillé…
Et le petit hérisson de se dresser sur ses petites pattes et de chanter de sa
voix courroucée :
« Ma petite rivière à moi
L’éléphant l’a vidée
Si jamais je vois l’éléphant
Si jamais jamais je rencontre l’éléphant
Je me battrais avec lui
Et je lui ferai rendre ma rivière
Parole de hérisson. »
Ce disant, le petit hérisson partit à la recherche de l’éléphant, il trottinait tout
seul dans la brousse. De temps en temps, il se redressait sur ses petites pattes
ou montait sur un arbre pour chercher l’éléphant des yeux.
Il était vraiment en colère. Mais est-ce qu’un petit rien de hérisson peut vaincre
le grand éléphant ?
- Si ! Si ! Je le vaincrai, avait répondu le petit hérisson aux animaux qui l’avaient
mis en garde.
Le petit hérisson marcha ainsi pendant longtemps. Ce fut vers le petit soir qu’il
vit l’éléphant. Le gros pachyderme avait fini d’engloutir des tonnes et des tonnes
de nourriture et se reposait aux rayons couchants du soleil. Il dormait.
Le petit hérisson se dirigea droit sur lui. Il lui donna un coup de patte, puis un
autre et un autre encore. L’éléphant se réveilla.
- C’est toi, toi qui a bu toute l’eau de ma petite rivière à moi, hein ? demanda le
petit hérisson en colère.
- Oui, c’est moi. C’est bien moi. Et que veux-tu ? bougonna l’éléphant.
- Me battre avec toi !
- Ah ! ah ! ah ! éclata de rie l’éléphant. Te battre avec moi ? Est-ce que tu n’es
pas devenu fou ?
En réponse, le petit hérisson se mit à frapper l’éléphant. Et l’éléphant se fâcha.
Il se leva. Il leva sa trompe et frappa à son tour le petit hérisson. C’était ce qu’il
ne fallait pas faire. Le petit hérisson enfonça tous ses piquants dans la trompe
de l’éléphant qui hurla de douleur et appela tous les animaux au secours. Ceux-ci
vinrent supplier le petit hérisson d’enlever ses piquants de la trompe de
l’éléphant.
Le petit hérisson, malgré ses piquants, n’est pas méchant. Il accepta volontiers
de soigner l'éléphant. C’est depuis ce jour que l’éléphant, malgré sa force, ne
s’attaque jamais aux plus petits que lui.
Les trois amis

Il y a longtemps, très longtemps, oui c’était au commencement du monde, trois


amis : le vautour, le calao et la poule tombèrent malade. Le premier souffrait de
calvitie, le second d’une anomalie au bec, le troisième de crampes dans les pattes.
Pour se faire entendre, ils se mirent à chanter.
« Adaunia Nomba
Dauni Nomba yôyé
Dauni Nomba
Inden sanga nomba kôyé
La vie d’ici
Quelle vie ici !
La vie est aux enchères ! »
Dieu ne répondit pas, alors ils décidèrent d’aller directement voir Dieu pour qu’il
les guérisse. La poule contesta :
- Mes amis ne dépassons pas les bornes, Dieu ne va plus tarder. En agissant
comme vous envisagez de le faire, nous allons le mécontenter. Pourquoi nous
presser ?
Le vautour et le calao n’écoutèrent pas la poule et partirent au ciel de leur vol
lourd.
Tandis qu’ils montaient de plus en plus haut, Dieu arriva et guérit la poule. Depuis
ce jour, le vautour est resté chauve et le calao a un bec tordu. A présent ils
continuent à planer dans les airs à la recherche de Dieu.

L’hyene et les chevres

Il était une fois, dans un village, une vieille femme. Elle possédait beaucoup de
chèvres. C’étaient de grandes et grasses chèvres. Comme ses chèvres, en bêlant
et en gambadant sur les toits des maisons, embêtaient trop ses voisins du village,
la vieille femme alla fonder un autre village où elle habitait toute seule, au milieu
de ses chèvres.
C’était l’occasion qu’espérait Surukuba l’hyène qui, depuis longtemps, brûlait de
croquer les chèvres de la vieille femme. Elle ne pouvait pas, parce que simplement
elle en avait envie, aller comme ça, les prendre et les manger. Le lion, le roi des
animaux, lui demanderait de s’expliquer !
Alors, un jour, où Surukuba l’hyène se promenait dans la brousse, cherchant une
idée, une raison de manger les chèvres de la vieille femme sans qu’on ait à lui
demander des comptes. Alors qu’elle se grattait la tête, elle vit un oiseau. Elle
sauta et le captura. « Tiens, se dit-elle. Je vais donner ce volatile à la vieille
femme. Si elle le mange, j’aurais un bon prétexte pour dévorer ses chèvres à
belles dents ! ». Elle courut chez la vieille femme et lui dit :
- Bonjour grand-mère. Comme tu es vieille et sans force, et qu’il est de notre
devoir à nous les jeunes, d’aider les personnes âgées, je t’offre cet oiseau.
Mange-le, ça te fera du bien.
La vieille grand-mère prit l’oiseau, mais comme elle n’était pas bête, elle alla le
cacher dans le toit de sa case.
Dès le lendemain, voici l’hyène qui revient sur ses pas, toute joyeuse, pensant
que, puisque la vieille femme avait mangé son oiseau, elle pourrait à son tour
dévorer ses chèvres :
- Bonjour vieille femme. Bonjour à mon oiseau !
- Ton oiseau ? lui demanda la vieille femme avec l’air faussement étonné, je
croyais que tu me l’avais donné !
- Ah non ! Ah non ! Mon oiseau, je te l’avais seulement confié. Et si tu l’as mangé,
tu vas le payer avec tes chèvres !
- Non, Surukuba. Je n’ai pas mangé ton oiseau. Il est là, dans le toit de ma case.
Va le prendre !
- Comme les grands-mères ne comprennent rien de rien ! Je plaisantais avec toi
quand j’ai dit que tu allais le payer. Mange-le donc, cet oiseau. C’est pour toi. Foi
d’hyène !
Pour autant, la vieille femme ne voulut pas manger l’oiseau. Chaque matin, l’hyène
venait lui dire :
- Bonjour grand-mère ! Bonjour à mon oiseau.
Et quand la vieille femme lui disait de le reprendre, l’hyène refusait et s’en allait.
Cela dura pendant longtemps, très longtemps.
Jusqu’au jour où la vieille grand-mère étant partie dans la brousse chercher du
bois mort, sa petite fille venue du village voisin pendant son absence vit l’oiseau
et le mangea. On ne sut jamais qui rapporta la nouvelle à Surukuba l’hyène. Mais
ce jour-là, Surukuba l’hyène n’attendit même pas le lendemain. Dès l’après-midi,
elle arriva toute joyeuse chez la vieille femme.
- Bonjour vieille femme. Bonjour à mon oiseau !
Toute tremblante, la vieille grand-mère lui dit :
- Ton oiseau, ma petite fille l’a mangé !
- Ah bon, Eh bien puisque ta petite fille a mangé mon oiseau, moi aussi, je vais
prendre une de tes chèvres que je vais manger avec ma famille !
L’hyène prit deux chèvres et les emporta.
Le lendemain, elle revint chez la vieille femme :
- Bonjour vieille femme ! Bonjour à mon oiseau !
- Ton oiseau, je t’ai dit que ma fille l’a mangé !
- Eh bien, si ta fille l’a mangé, moi aussi, je vais manger trois de tes chèvres !
L’hyène emporta trois chèvres chez elle qu’elle mangea avec sa famille. Cela dura
pendant longtemps. A la fin, il ne restait plus qu’une seule chèvre dans l’enclos de
la vieille grand-mère.
Entre temps, le lion qui passait par là, le lion vit la vieille grand-mère, qui
pleurait. Il lui demanda :
- Grand-mère, qu’est-ce qui t’arrive donc ? La vieille femme lui expliqua que
l’hyène lui avait donné un oiseau que sa petite fille avait mangé.
- Et depuis, dit-elle, tous les jours, l’hyène vient enlever mes chèvres. Quand il
n’y en aura plus, c’est moi-même qu’elle va dévorer à belles dents !
Le lion alors lui dit de cacher dans sa case la chèvre qui restait et de l’attacher,
lui, le lion, à sa place, dans l’enclos.
- L’hyène viendra me trouver ici et on va voir ce qu’on va voir ! ajouta-t-il en
souriant.
C’est ce que la vieille grand-mère fit.
Ce jour-là, Surukuba l’hyène n’attendit même pas le matin pour venir. Elle vint
dès le crépuscule. Or, au crépuscule, l’hyène voit mal.
- Bonjour vieille femme. Bonjour à mon oiseau !
- Ton oiseau, je te l’ai déjà dix mille fois, ton oiseau, ma petite fille l’a mangé !
- Eh bien ! si ta petite fille a mangé mon oiseau, moi aussi, je vais croquer tes
chèvres.
- Il n’en reste plus qu’une seule. Va la prendre !
- C’est ce que je vais faire.
Et l’hyène alla détacher ce qu’elle croyait être une chèvre. La voici en train de la
conduire chez elle.
Soudain, alors qu’elle marchait devant ce qu’elle pensait être une chèvre, elle se
ravisa :
- Mon Dieu ! Je ne comprends rien. Les autres chèvres que j’ai amenées chez moi,
en marchant derrière moi faisaient craquer leurs articulations kumata kumata !
Celle-là, elle marche comme un félin ! Est-ce vraiment une chèvre ?
Le lion fit craquer ses articulations. Rassurée, l’hyène continua son chemin.
Mais quelques instants après, elle s’arrêta de nouveau :
- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Moi, je ne comprends rien du tout. Les autres chèvres
que j’ai amenées chez moi, que j’ai dévorées de belles dents, avec ma famille, ma
femme et mes enfants, ont bêlé au moins une fois, elles. Mais celle-là, elle n’a pas
bêlé une seule fois ! Est-ce une chèvre, vraiment ?
Le lion essaya de bêler mais ce fut un grand rugissement qui lui échappa.
Et l’hyène se sauva à toutes pattes. Le lion ne la laissa pas s’en tirer à si bon
compte. Il la poursuivit, l’attrapa et lui assena un grand coup de patte sur son
arrière-train. Il le fit et le refit plusieurs fois. Si bien que Surukuba l’hyène en
garda l’arrière-train bas, tout bas, toujours bas. Même de nos jours encore.
L’orphelin et les villageois.

Il était une fois, dans un village, un homme riche, très riche, qui possédait
beaucoup de troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons. Il n’avait qu’un seul
enfant, un garçon, encore très jeune dont la mère était morte après lui avoir
donné la vie !
Quand le vieil homme sentit venir sa propre mort, il s’inquiéta : qui allait
conseiller son fils afin qu’il ne se fasse pas dévorer par les vers mangeurs
d’homme, les vers mangeurs d’hommes qui migraient entre les deux grandes
rivières où chaque jour, il allait abreuver ses troupeaux ? Les villageois n’allaient
pas le faire. Au contraire, ceux-ci jubilaient déjà à l’idée de le voir mourir et son
jeune fils le suivre dès le lendemain, dévoré par les vers mangeurs d’hommes. Ils
allaient se partager ses troupeaux !
Il alla confier son garçon à un arbre, un vieux caïlcédrat :
- Je vais mourir, dit-il. Je te confie mon fils afin que tu le conseilles.
Puis il mourut.
Le matin, avant d’amener ses troupeaux au pâturage, le jeune garçon vint chanter
à l’arbre :
- Mon père m’a confié à toi, grand caïlcédrat. Dois-je conduire mes animaux à
Toubalitou ? Ou dois-je les amener à Diabalidia ?
L’arbre secoua trois fois ses lourdes branches chargées de feuilles et laissa
entendre :
- Va à Toubalitou. Ne va pas à Diabalidia. Les vers mangeurs d’homme seront
aujourd’hui à Diabalidia !
Il amena ses animaux à Toubalitou et vers le soir, retourna sain et sauf au
village.
Les villageois étaient étonnés et furieux. Quelqu’un devait conseiller le garçon
pour qu’il ne se fît pas manger par les vers ! Ils allaient trouver qui. Ce fut un
chasseur qui s’en chargea et leur rapporta le secret. Ils abattirent l’arbre, le
brûlèrent et jetèrent la cendre dans le fleuve.
Quand l’orphelin vint pour lui demander conseil, il ne vit rien. Il pleura et chanta
quand même sa chanson. On ne savait rien. Ce fut une tourterelle qui lui répondit.
Et de nouveau, il rentra au village saint et sauf. On s’étonna de nouveau. On était
furieux contre le chasseur. Il leur avait menti.
Le chasseur leur révéla de nouveau le secret et leur promit de tuer la
tourterelle. Il ne le put jamais. Il devint fou et court de nos jours encore en
tirant des coups de feu contre le ciel qu’il prend pour sa tourterelle.
C’est aussi depuis ce jour que les hommes et les femmes sages disent à leurs
enfants de ne jamais tuer une tourterelle.
La chèvre et le vieillard
Il y a très longtemps, dans une contrée lointaine où les forêts étaient partout,
vivait seul un hideux vieillard avec une chèvre qu’il aimait par-dessus tout. Celle-
ci était très vieille mais restait en vie par amour pour lui. Le vieillard désirait une
descendance.
Un beau jour, alors que le vieillard était allé couper du bois, sa chèvre voulant lui
prouver son amour alla voir le génie de l’arbre.
Arrivée là-bas, le génie lui demanda de sa voix grave :
- Que veux-tu petit animal ?
- Je voudrais rendre mon maître heureux.
- De quelle manière puis-je t’aider ?
- Mon maître souhaite une descendance et j’aimerais la lui apporter.
Le génie réfléchit un moment puis lui dit :
- Je peux te transformer en femme. Tout heureuse la chèvre sautait déjà
partout à l’idée de rendre le vieillard heureux.
C’est à ce moment-là que le génie énonça une phrase bizarre :
- Kalakou, Kalakou, bérékoukiiiiiiii
Et la chèvre se transforma en une superbe femme.
- Je te remercie grand génie de l’arbre.
Alors qu’elle s’en retournait, le génie lui cria :
- Tu sacrifieras ton cinquième enfant sur mon arbre.
Elle rentra chez elle sans prêter attention à ce que lui disait le génie. Quand le
vieillard rentra chez lui, il fut surpris de trouver une femme. La jeune femme
rassura le vieillard :
- C’est moi ta chèvre ! Je suis allée voir le génie de l’arbre pour qu’il me
transforme en femme afin d’assurer ta descendance comme tu le souhaitais.
Il la reconnut. Ils eurent un premier enfant puis un deuxième, un troisième, un
quatrième, et le cinquième. La vie se déroula, ils vécurent heureux, sans
problème. Un jour, alors que les enfants jouaient dans la forêt, le cinquième
enfant alla se cacher derrière un arbre. L’arbre l’attrapa et se mit à l’engloutir.
Il se mit à chanter en s’adressant à ses frères :
« Bori, bori, djinamori, bori
Bori djinamori
Ka ta fo m’bayé
Djinamori bori
Bori djinamori »
Les autres enfants, ayant entendu les cris de leur frère, allèrent prévenir leur
mère.
- Maman, Maman…
La mère entendit leurs cris et leur demanda :
- Mais que se passe-t-il mes petits ?
- Bourouki s’est fait engloutir par l’arbre et il chante
« Bori, bori, djinamori, bori
Bori djinamori
Ka ta fo m’bayé
Djinamori bori
Bori djinamori »
La femme se souvint alors de ce que lui avait dit le génie. Elle alla voir celui-ci
avec son mari, le vieil homme.
- Rends-moi mon enfant, dit-elle au génie.
Le génie lui répondit :
- Tu sacrifieras ton cinquième enfant sur mon arbre, souviens-toi. Tu l’as fait,
alors je le prends !
La femme lui répondit :
- Mais tu n’as pas précisé à quel âge je devais le sacrifier et ceci est une faute
dans les droits conférés aux génies. Tu dois donc me le rendre.
Le génie réfléchit et avoua :
- C’est vrai, malheureuse, tu as raison, je dois te le rendre. Ils repartirent donc
avec les cinq enfants et vécurent heureux.
Un oubli peut toujours être rattrapé.

Youma et le caiman
Youma était une orpheline. Sa mère était morte en lui donnant la vie. Très jeune,
on l’avait marié à un homme. Un homme jaloux, si jaloux qu’il avait quitté tout le
monde pour aller s’installer au milieu de la forêt. Tous les soirs, de retour de la
chasse, il battait Youma.
Ce soir-là, il fut particulièrement cruel. Après avoir battu Youma comme on bat
son mil, il s’empara de son fusil et menaça de la tuer. Youma se sauva dans la nuit.
Elle voulait rejoindre le village de ses parents. Mais le village de ses parents et le
hameau de son mari étaient séparés par une grande rivière. Dans cette rivière
vivait un vieux caïman mangeur d’homme. Une fois la nuit tombée, personne ne
pouvait traverser cette rivière sans se faire dévorer par le vieux caïman.
Youma se retrouva au bord de la rivière. Si elle s’y jetait, le vieux caïman allait la
dévorer. Si elle retournait chez son mari, celui-ci allait peut-être la tuer. Elle
tremblait, pleurait, se lamentait. Soudain, la rivière se mit à remuer dans tous les
sens, balayée comme par une tempête. Et dans l’obscurité, Youma vit émerger de
l’eau et nager vers elle quelque chose comme une île flottante. C’était le vieux
caïman. Il vint s’amarrer prêt de Youma et lui dit :
- Monte sur mon dos, ma fille. Je vais te faire traverser !
Youma monta et le caïman la transporta sur l’autre rive. En la déposant, il lui dit
cependant :
- Que cela reste entre nous ! Personne d’autre ne doit le savoir !
Youma rentra chez ses parents. Sa marâtre effrayée lui demanda :
- Qui t’a aidé à traverser la rivière ? Dis-moi !
Elle répondit en baissant les yeux :
- Personne.
Son père lui posa la même question. Les vieux du village, les jeunes, à tous elle
répondit :
- Personne.
Mais le jour où son copain d’enfance lui dit :
- Entre nous, qui t’a fait traverser la rivière ? Il y a le vieux caïman mangeur
d’homme. Même les plus braves chasseurs ne peuvent s’y hasarder une fois la nuit
venue ! Dis-moi le secret, entre nous !
Elle répondit :
- C’est le vieux caïman lui-même qui m’a aidé ! Mais que cela reste entre nous !
Mais cela ne resta pas entre eux. Car ce que Youma ne savait pas, c’était que la
petite tourterelle la surveillait. La petite tourterelle qui avait été témoin du pacte
avec le vieux caïman !
Arriva le jour où elle devait retourner chez son mari. De nouveau, toute seule, elle
se retrouva au bord de la rivière, dans la nuit. C’était le clair de lune. Le vieux
caïman émergea de l’eau et commença à nager vers elle quand la petite tourterelle,
perchée sur une branche, chanta :
- Son père le lui a demandé, elle a répondu : Personne !
Sa mère le lui a demandé : Personne !
Même les vieux le lui ont demandé, toujours : Personne !
Mais quand son copain le lui a demandé, elle a répondu :
- C’est le vieux caïman lui-même qui m’a aidée !
Le vieux caïman se tourna vers la tourterelle et lui dit :
-Ta chanson est certes belle. Mais je ne l’ai entendue que d’une oreille. Si tu venais
te percher sur ma langue pour la répéter, je l’entendrais des deux !
La petite tourterelle sauta sur la langue du vieux caïman et acheva sa chanson dans
l’estomac de celui-ci.
Ensuite, le vieux caïman vint se ranger auprès de Youma :
- Monte, ma fille. Je vais te faire traverser. Et gare à ton mari si de nouveau il
touche un seul de tes cheveux. Il aura affaire à moi ! Il fit traverser Youma et lui
donna beaucoup de richesses : des vêtements, de l’or et des chevaux. Elle devint
une reine et fonda sa dynastie.

Mechante coepouse
Il était une fois un roi qui avait une première femme, et vint à en épouser une
seconde. Lorsqu’arriva cette deuxième femme, la première ne put le supporter,
et s’en alla trouver les marabouts. Ceux-ci par leurs maléfices, finirent par
transformer la jeune femme en hyène, et celle-ci partit dans la brousse.
La marâtre dit à l’aîné des enfants que sa mère était devenue folle. Cependant, à
la nuit tombée, la mère venait derrière les maisons, et parlait avec sa fille :
- Arabadièkè, ma fille, dors-tu ?
- Non, non je ne dors pas !
- Il y a des arachides dans le grenier en as-tu donné à ton frère ?
- Il y a de la crème dans la petite gourde en as-tu donné à ton frère ?
- Ma méchante co-épouse m’a transformée en hyène. Oh la la !
Puis elle retournait dans la brousse. Cela dura longtemps, longtemps.
Cependant une petite vieille finit par s’apercevoir du manège, et s’en alla trouver
le roi :
- Roi, lui dit-elle, on dit que la mère de tes enfants est devenue folle ; mais elle
n’est pas devenue folle du tout, c’est sa co-épouse qui a lancé contre elle des
maléfices et la transformée en hyène.
- Quoi ?
- Parfaitement !
Alors le roi chargea son fusil et monta sur le toit d’une grande maison, et
attendit. À la nuit tombée, l’hyène arriva :
- Arabadièkè, ma fille, dors-tu ?
- Non, non je ne dors pas !
- Il y a des arachides dans le grenier, en as-tu donné à ton frère ?
- Il y a de la crème dans la petite gourde en as-tu donné à ton frère ?
- Ma méchante co-épouse m’a transformée en hyène. Oh la la !
Quand elle voulut s’en aller, le roi sauta du toit de la maison et l’attrapa. Il s’en
alla la montrer à sa femme.
- N’est-ce pas toi, lui dit-il, qui est responsable de cela ? N’est-ce pas le résultat
de tes maléfices ?
Alors, il déchargea sur elle son fusil et la tua. Et au moment même où il tuait la
marâtre, l’hyène perdit sa forme animale et redevint la jeune femme qu’elle était
auparavant.
Là où j’ai pris ce conte, je le remets.

Le lepreux et la princesse
n roi voulait marier sa fille, mais celle-ci ne trouvait aucun prétendant à son goût.
Les hommes les plus beaux, les plus riches, les plus nobles, les plus valeureux
faisaient en vain leur cour. En vain, ils déposaient fleurs et cadeaux à ses pieds,
qu’elle avait menus et fins, reconnaissons-le, et c’était soudain en les regardant
comme si le reste du monde n’était peuplé que de palmipèdes. Elle contemplait
dans les yeux des hommes sa beauté hautaine et implacable. Une telle perfection
n’est pas de ce monde, pensait-elle. Qui sont-ils tous pour se prétendre dignes de
moi ?
Par orgueil, elle se mura dans le silence et ne prononça bientôt plus un mot.
Était-elle devenue muette ? Le roi au désespoir promit d’accorder sa main à celui
qui saurait dissiper ce funeste sortilège et lui rendre la parole. Mais les multiples
tentatives de ses courtisans échouèrent les unes après les autres. Ni les
sacrifices ni les prières ne lui firent desserrer les lèvres.
Un jour, un lépreux se présenta devant la princesse. Il était vêtu de haillons
comme si son habit aussi avait contracté le mal hideux qui le dépouillait. Tout le
monde alentour se mit à rire et se moquer.
- Comment ! Les hommes les plus beaux du pays, les plus riches, les plus nobles,
les plus valeureux n’ont su réjouir son cœur et lui rendre la parole, et toi, chien
galeux, lépreux immonde, « guenillard », tu prétends y parvenir !
La fille du roi elle-même sembla se rembrunir davantage, mais le lépreux ne dit
rien. Il accorda à peine un regard à la princesse. Il s’assit sur ses talons et
commença à dresser un petit feu pour faire bouillir l’eau de son thé. Il ne mit que
deux pierres dans le foyer si bien que la théière mal assurée se renversa sur le
sable. Il l’emplit d’eau à nouveau, à nouveau il la posa sur les deux pierres, à
nouveau elle se renversa. Patiemment, il recommença, deux fois, trois fois encore
et deux fois, trois fois encore la théière se renversa.
À la cinquième tentative, la princesse excédée s’écria :
- Mets donc une troisième pierre dans ton feu pour assurer l’équilibre !
Et c’est ainsi qu’une très orgueilleuse princesse épousa un lépreux.

Le lion et le hérisson
Cette année-là, au pays des animaux, il ne tomba pas une seule goutte de pluie. Et
pour ne rien arranger, les criquets étaient venus dévorer le peu de végétation qui
avait poussé. Le lion, leur roi, les convoqua dans son palais et leur tint ce discours
:
« Chers sujets, comme vous le savez tous, il n’est pas tombé une seule goutte de
pluie dans notre pays. Il n’y a pas de nourriture. Aussi, moi, votre roi, le roi de
tous les animaux, je décrète :
Article 1 : Que personne ne vienne me demander à manger. Car je n’ai rien.
Article 2 : Que chacun se débrouille comme il peut.
Article 3 : Dispersez-vous ! »
Les animaux se dispersèrent, chacun allant de son côté. Mais avant, le cheval dit
:
« Moi, je vais rejoindre les hommes au village. Ces petits êtres à deux pattes
sont intelligents et ingénieux. En échange de mes services, ils me donneront à
boire et à manger ».
Il gagna le village en galopant. Il devint ainsi un animal domestique. L’âne, le
mouton, le dromadaire, bref, tous les animaux aujourd’hui domestiques dirent la
même chose et rejoignirent les hommes au village.
Mais l’hyène, après mure réflexion, trouva que c’était vrai que ces petits êtres
bizarres qui marchaient à deux pattes étaient intelligents et inventifs, mais qu’ils
possédaient un bâton, long, très long, qui crachait du feu ! Elle, l’hyène, par
prudence, allait attendre un peu et se débrouiller dans la brousse ! Le lion lui
donna raison. La girafe et l’éléphant lui donnèrent raison. Même le petit hérisson
trouva que l’hyène avait totalement raison. Parce que prudence est mère de
sûreté ! Tous les animaux aujourd’hui encore sauvages donnèrent raison à l’hyène
et préférèrent mourir de faim que de rôtir au fond d’une casserole ! Ils
s’enfoncèrent davantage dans la forêt.
Le petit hérisson, qui errait seul dans la brousse vit un arbre à samba, couvert de
fruit murs et délicieux. Il monta sur l’arbre et commença à manger. Vint le lion
qui le vit sur l’arbre. Le lion lui demanda de lui envoyer quelques fruits. C’était
vrai que lui, le roi de tous les animaux, il avait imposé à chacun de se débrouiller
tout seul. Mais cela faisait trois jours qu’il n’avait rien mis sous la dent. Le
hérisson lui envoya un premier fruit. Il le mangea. Hum ! C’était délicieux. Il
envoya un deuxième fruit. Le lion le mangea. Mais le troisième fruit vint frapper
le lion sur son museau royal ! « A moi ça ? A moi, petit hérisson, rugit le lion.
Malheur à toi ! Grand grand malheur à toi si tu descends ! »
Le petit hérisson resta dans l’arbre. Il pleurait. Il se lamentait. Quelques temps
après, arriva l’hyène. Elle vit le petit hérisson en train de pleurer abondamment.
Elle eut pitié et dit :
« Petit hérisson, que t’est-il arrivé ? Ton arbre est plein de fruits. Il faut
manger au lieu de pleurer ! »
En réponse le petit hérisson chanta :
« Tout à l’heure, le lion a dit que chacun devait se débrouiller comme il pouvait.
Mais voici ce même lion qui vient me demander des fruits. Le fruit est tombé sur
le museau, et il m’a dit : Malheur à toi. Grand grand malheur à toi petit hérisson !
»
L’hyène n’avait pas vu le lion. Quand elle le vit et que le lion la menaça de son
regard furibond, elle s’enfuit en disant : « Eh bien, malheur à toi ! Grand grand
malheur à toi petit hérisson ! »
La grande girafe au long cou, la girafe elle aussi passait par là. Quand elle vit le
petit hérisson en train de pleurer dans les branches de l’arbre à samba, elle eut
pitié et lui en demanda la raison. Mais quand la raison lui fut expliquée et qu’elle
eut vu le lion au pied de l’arbre, elle s’enfuit en criant « Eh bien, malheur à toi !
Grand grand malheur à toi petit hérisson ! »
Le buffle arriva et dit la même chose. Même le grand éléphant dit la même
chose. Tout le monde dit la même chose. Tout le monde ? Non.
Le petit lièvre arriva sur son cheval, en fait, un grand coq qui galopait en
chantant :
« La vérité, rien que la vérité et toujours la vérité ! »
Le petit lièvre vit le petit hérisson au sommet de l’arbre, qui pleurait, pleurait
sans s’arrêter. Il lui demanda :
« Que t’arrive-t-il, petit hérisson ? »
Le petit hérisson lui chanta sa petite chanson :
« Tout à l’heure, le lion a dit que chacun devait se débrouiller comme il pouvait.
Mais voici ce même lion qui vient me demander des fruits. Le fruit lui est tombé
sur le museau, et il m’a dit : Malheur à toi ! Grand grand malheur à toi petit
hérisson ! »
Le petit lièvre n’avait pas vu le lion au pied de l’arbre. Quand il le vit et que le lion
le menaça de son regard, il lui cria :
« Va-t’en d’ici ! C’est toi même qui a dit que chacun devait se débrouiller comme il
pouvait. Tu n’as pas le droit de venir menacer le petit hérisson ».
Le lion bondit pour attraper le petit lièvre. Mais celui-ci se sauva sur son cheval
de coq vers le village. Le lion le poursuivit. Mais à l’entrée du village, il y avait,
debout derrière un arbre, un homme qui tenait un long bâton. Quand le lion vit
cet homme, il retourna dans la brousse. Le petit lièvre entra dans le village et
devint le lapin.

L'origine du divorce
Il était une fois un homme et une femme mariés qui vivaient heureux. Lui allait à
la chasse et elle cultivait un grand champs de maïs qui s'étendait à l'infini.
Malheureusement, un groupe de gorille venait régulièrement piller la récolte. Un
jour, il fut sollicité par sa femme pour chasser les gorilles qui endommageaient le
champs. Mais il refusa, disant que s'il surveillait un coin, les gorilles allait
saccager de l'autre côté.

Un matin, la femme en eut assez et décida de chasser elle-même les gorilles de


son champs. Elle emporta au champs le carquois et l'arc de son mari pendant que
celui-ci dormait. Arrivée là-bas, elle se mit à l'affût, bien cachée derrière un
buisson. Peu de temps après, tout un groupe de singe arriva pour prendre le petit
déjeuner. La femme sorti une flèche du carquois et la décrocha sur le plus gros
d'entre eux, leur chef, qui s'écroula. Les gorilles s'enfuirent en emportant le
corps inanimé de leur chef. De retour au village, la femme alla annoncer à son
mari qu'elle s'était occupée elle-même des bêtes qui ravageaient sa récolte. Au
lieu de la féliciter, l'homme se mit en colère sous prétexte qu'elle avait perdu sa
flèche. Elle fut donc obligé de retourner sur ses pas pour la récupérer. Dans son
chagrin elle se mit à chanter :

Tiandé kwouè oho dé kwouè, tiandé


Ta di tabassoué, tiandé
Bou ayé soun, tiandé
Soun ayé bou, tiandé
Djrou ayé cloui, tiandé
Cloui ayé djrou, tiandé (etc)
(l'auditoire reprend " tiandé " à la fin de chaque phrase du conteur)
Mince alors ! aller chez les gorilles, aller chez les gorilles, mince alors !
La flèche a atteint quelle partie d'abord ? mince alors !
La jambe ou le bras ? mince alors !
Le bras ou la jambe ? mince alors !
La tête ou le ventre ? mince alors !
Le ventre ou la tête ? mince alors !(etc)
Elle marcha pendant deux jours et une nuit en suivant les traces des gorilles
avant d'arriver à leur village. Des centaines de gorilles immenses et féroces
s'étaient réunis pour pleurer autour du corps de leur chef mort. Et la fameuse
flèche était encore plantée dans sa poitrine. Alors, elle se jeta dans la foule et
se mit à pleurer tout en chantant (Tiandé kwouè…) et en faisant de grande
démonstration de douleur. Un peu surpris, les primates lui demandèrent qui elle
était car en ce temps là, les hommes et les animaux se comprenaient. Elle
répondit alors qu'elle était venu de très loin dès qu'elle avait appris le décès du
grand singe, qui était son parent éloigné mais adoré.

Au bout de plusieurs jours, même les enfants du chef étaient fatigués de pleurer
mais elle continuait à hurler et à se rouler par terre dans une mare de pleurs. De
sorte que tous les singes se sentaient gênés qu'une parente éloigné soit plus
chagrinés qu'eux-mêmes, ses proches. Alors, il lui demandèrent si quelque chose
pourrait diminuer sa peine. Elle leurs dit que s'ils pouvaient lui donner la flèche
qui était à l'origine du décès, elle rentrerait chez elle avec un souvenir de son
parent adoré. Ils lui donnèrent la fameuse flèche avant de la raccompagner aux
portes de leur village. Une fois rentrée chez elle, elle donna la flèche à son mari
et décida de le quitter. Ainsi, par eux, arriva le premier divorce.

L'Araignée et la famine
C'était pendant une période de grande famine dans la forêt. Les animaux ne
trouvaient plus de nourriture. L'araignée, qui n'avait pas mangé depuis des jours
se mit à marcher droit devant elle à travers la forêt pour chercher quelque
chose à se mettre sous la dent. Soudain, comme un mirage, lui apparut un champs
de bananes mûres à point, prêtes à être mangé et, de plus, dissimulé des regards
étrangers. Devant ce festin inattendu, l'araignée cria de joie : des bananes
mûres !

A la suite de cela, l'araignée tomba raide étendue par terre. Au bout de quelques
instants, une goutte de rosée vint chatouiller le nez de l'araignée qui se réveilla.
Alors, le bananier lui dit ceci : ne crie jamais mon nom quand tu me vois. Je te
laisse la vie sauve pour cette fois. Sers toi et mange mais surtout n'oublie pas ce
que je t'ai dis. L'araignée après avoir mangé tout ce qu'elle pouvait, se mit à
élaborer un plan.

Au bout de quelque temps, l'embonpoint de l'araignée commença à faire des


envieux, parmi les autres animaux. Un par un, ils venaient la voir pour connaître
son secret. Elle promit d'abord de le révéler au lézard parce qu'il n'était pas
très malin et qu'il n'avait pas la force de se venger s'il s'apercevait d'une
tromperie. Ils partirent donc ensembles et après de nombreux détours,
l'araignée l'amena à l'endroit où poussaient les fruits. Le lézard, surpris, s'écria
" des bananes mûres ! ! !" et tomba raide mort. Comme elle l'avait prévue,
l'araignée avait maintenant de la viande pour accompagner ses bananes.

Chacun à son tour l'accompagnait à la recherche de nourriture. Prenant confiance


dans sa ruse, elle se mit à manger des animaux de plus en plus gros et puissants
mais peu malins comme l'hyène ou l'éléphant. Au fur et à mesure que la forêt se
vidait, l'araignée grossissait. Il vint un jour ou elle n'eut même plus peur de
s'attaquer à des bêtes plus futées. Elle accompagna le lièvre affamé jusqu'à la
bananeraie. Mais arrivé là-bas, le rongeur fit celui qui n'avait rien vu.
" - Tu n'as encore rien trouvé ? , lui demanda l'araignée avec un large sourire
- Ben, non, et toi ? répondit le lièvre,
- Ici, on peut trouver des choses, il suffit de bien regarder, répondit l'araignée.
"
Au bout d'une heure de recherche, le lièvre n'avait rien trouvé:
- Je ne vois pas l'ombre d'une carotte dans le coin, on devrait rentrer chez nous
!
- On est pas en Europe, idiot, qu'est-ce qu'on trouve de bon ici...qui pousse dans
les arbres ?
- Je sais pas moi, des oranges ?
- En plus, c'est bien devant toi, là, tout jaune et mûr à souhait, tu vois pas là, dit
l'araignée excédée en montrant un énorme bananier couvert de fruits
- Quoi ! Des papayes ! Ici ! Montre-moi vite !
- Ça c'est quoi ? Imbécile ! une banane bien mûre ...Arghh ! Dit l'araignée en
mourant.
Sur ce, le lièvre pris l'araignée et les bananes pour son dîner.
Moralité : Il y a toujours une limite en tout. Celui qui se croit rusé, comme
l'araignée, trouvera toujours quelqu'un pour le surpasser.

Le roi qui voulait marier sa fille


Dans un village, vivait un roi qui avait une fille très belle. Pour pouvoir la marier
avec quelqu'un de son choix, il décida de l'enfermer dans une case sans porte.
Ainsi, il était sûr qu'elle ne tomberait pas amoureuse de n'importe qui. Les
servantes lui donnaient ses repas par une minuscule ouverture par laquelle aucun
homme n'aurait pu passer.

Ce printemps là, les prétendants arrivaient de toutes les contrées pour essayer
d'obtenir la main de la merveilleuse princesse. Le roi n'en trouvait aucun à son
goût. L'un était trop pauvre, bien que fils de roi : " va-t-en, pantalon troué ! "
l'autre trop vilain : " Il est laid, on dirait grain de riz ", le suivant trop rustre "
regarde moi ce gawou ! ", et ainsi de suite. Une année passa et le roi n'avait
toujours pas trouvé son gendre.

Un matin, les servantes qui apportaient à manger à la princesse entendirent des


pleurs de nouveau-né venant de la case. Affolées, elles accoururent chez le roi
pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Le roi les menaça de leur couper la tête
pour avoir osé porter atteinte à la dignité de la famille royale mais il dut se
rendre à l'évidence : tout le palais avait entendu les cris de son petit-fils et ne
parlait que de ça. Il envoya donc les gardes casser le mur de la case et ramener
sa fille pour lui faire avouer le nom de l'infâme séducteur qui l'avait enceinté. La
fille lui répondit qu'elle ne connaissait ni son nom ni son visage car elle le
recevait dans l'obscurité de sa case sans porte ni fenêtre.

Le roi décida de convoquer une grande assemblée dans le but de confondre celui
qui a fait un enfant à sa fille bien aimée et de le tuer. Au jour du neuvième mois
de son petit-fils, chacun vient chanter devant l'enfant les paroles suivantes pour
que celui-ci désigne son père en marchant vers lui :
Nan djou oh,
toï to toï,
Nan djou oh,
toï to toï,
Bo ni ma djou èh,
Mè nan yeh dji oh,
toï to toï,
toto toï,
toï to toï, Enfant qui commence à marcher oh,
A pas mal assuré,
Enfant qui commence à marcher oh,
A pas mal assuré,
Si tu es mon fils,
Marches et viens vers moi,
A pas mal assuré, (ter)
Tous les hommes de la tribu passent sans que l'enfant ne se manifeste. On fait
donc venir ceux des tribus voisines, mais aucun n'est le père. Finalement, le roi
se résigne à soumettre les animaux de la forêt à l'épreuve. Dans son orgueil de
roi, il fait passer en premier les animaux les plus forts mais le chant du lion, de
l'éléphant ou du léopard ne font qu'effrayer l'enfant.

Arrivé à l'écureuil, l'assemblée rigolait parce qu'il n'avait pas l'air d'être
capable de séduire et d'enceinter la belle princesse. Malgré les quolibets de la
foule, l'écureuil entonne la chanson et aussitôt, le " Nan djou ", qui écoutait avec
attention, se lève et va " toï to toï " vers son père. Un long silence se fit dans la
foule stupéfaite. Avant, que les gardes du roi n'aient réalisé ce qu'il se passait,
l'écureuil prend son fils et disparaît dans les arbres. En fuyant, le bracelet de
l'enfant tombe dans un champ d'arachide.

C'est pourquoi, quand on croise un écureuil entrain de fouiller dans un champ


d'arachide, il montre son bras pour dire qu'il cherche le bracelet de son fils
avant de se réfugier dans les arbres. D'autres que les Wobé diraient que l'animal
fait un bras d'honneur au propriétaire du champ dont il a mangé les graines…

histoire de la fille du roi Bagui


II était une fois une princesse nommée Sébahi, si belle que tous les jeunes gens
du monde désiraient l'épouser. Mais elle refusait toutes les demandes de
fiançailles, en disant :
- " Celui qui sera mon époux n'est point parmi vous. "
Un jour pourtant, un diable de brousse alla consulter un marabout et lui demanda
quel moyen utiliser pour gagner le cœur de Sébahi.
- " Cher génie, je vous prie de m'indiquer comment conquérir la fille du Roi, la
princesse Sébahi.
- "J'accepte de te le dire, répondit le génie qui avait l'apparence d'une chenille.
Le diable était à ce moment-là, la bête la plus laide que l'on puisse imaginer. Il
réclama tout d'abord la beauté.
- " Si tu vas demander au singe de brousse, ses cheveux blonds, dit le génie ; si
tu remplaces tes dents par des champignons choisis parmi les plus blancs, car tes
dents de diable ressemblent à celles des éléphants et tout le monde a peur de
toi ; si tu prends les pieds d'une taupe, les yeux d'une musaraigne, la belle figure
d'une girafe ; si tu fais tous ces emprunts, tu seras beau."

Le Guinarou remercia la chenille, et alla chercher tout cela. Il devint alors très
agréable à regarder et le sut. Aussi se mit-il sans retard en route pour aller
présenter sa candidature à la jeune fille. Lorsqu'il arriva à son village, il s'était
transformé en un homme très important.

Sébahi aima de tout son cœur ce Guinarou qui venait solliciter sa main. Elle dit : -
" Celui-ci sera mon mari pour l'éternité. Alors la petite sœur de la princesse qui
était sa gardienne, fut prévenue par la mouche tsé-tsé sa protectrice et
intervint :
- " Ah ma sœur ! ce n'est pas un homme que tu vas épouser. C'est un habitant de
la brousse. Sébahi répondit :
- "Vas-t'en, tu m'ennuies. La petite sœur se mit à pleurer sur le malheur de
Sébahi qui ne connaissait pas son destin.

Zédé fiança la fille. Il passa une belle nuit avec elle et au lever du jour les
parents leur apportèrent à manger, ignorant qu'un diable avait emprunté aux
habitants de la brousse, toutes les parties de son corps pour séduire leur fille.
Lorsqu'ils furent rassasiés, Sébahi fut autorisée à partir avec lui.

Sa jeune sœur lui dit alors :


- " Va dans la case où dorment les chevaux de ton père. Prends le plus petit que
tu trouveras et monte-le pour accompagner ton fiancé. Comme ça, il ne t'arrivera
rien de mal.
- " Comment oses-tu me parler ainsi, à moi la princesse ? la reine du monde ? Il
ne peut rien m'arriver de mal. C'est impossible. La petite ne put s'empêcher de
pleurer : " Sébahi va mourir. Elle ne connaît pas son avenir, elle ignore le malheur
qui va la frapper. " Elle pleurait interminablement. Pour arrêter ces larmes,
Sébahi alla chercher le petit cheval de son père, accepta des mains de sa sœur
un œuf de poule, une pierre blanche et un brin de raphia. Puis elle partit avec son
fiancé.

Lorsqu'ils eurent parcouru une longue distance, ils trouvèrent devant eux à un
détour de la piste, le champignon qui avait prêté ses dents au Guinarou. Il parla :
- " Ah ! bonne arrivée cher ami. Je suis heureux de te voir car les dents que tu
m'as données en échange des miennes m'ont empêché de manger. Je ne puis
dormir, car depuis ton départ, la faim me tenaille. Sébahi entendant ces mots, se
souvint de la mise en garde Je sa sœur et se demanda si ce qu'elle voyait était
vrai.
- " Je ne vais pas plus loin, je retourne chez mes parents, dit-elle au diable.
- " Non, c'est impossible car tu commences à voir mon personnage. Continuons tu
seras ma femme, répondit le Guinarou.La jeune fille ne pouvait s'échapper car la
distance était déjà trop longue. En suivant le Guinarou, elle hochait la tête de
désespoir : " Vraiment, je suis dans le malheur et le chagrin... "

Plus loin ils rencontrèrent sur la piste, la taupe qui les attendait.
- " Ah ! bonjour cher ami. Les longs pieds que tu m'as laissés en échange des
miens m'empêchent de marcher. Avec eux je ne puis couper les petits roseaux
que j'aime tant grignoter. Te voici arrivé à point. Prends tes pieds et rends-moi
les miens. Et le diable rechaussa ses grands pieds. Sébahi était très inquiète.

Ils reprirent le chemin et arrivèrent au village de la musaraigne.


- " Ah ! dit celle-ci, bonne arrivée mon ami. Avec les gros yeux que tu m'as
donnés en échange des miens, je ferme très difficilement les paupières et je
vois les objets tout drôlement aujourd'hui. Puisque tu es là, reprends tes yeux et
rends-moi les miens. Et le Guinarou lui rendit ses yeux. La femme suivant son
mari qui ressemblait de plus en plus au diable, chemina jusqu'au village de celui-
ci. Ils se marièrent et reprirent leur route.

Guinarou marchait à pieds et Sébahi suivait, montée sur son petit cheval. Ils
parvinrent ainsi au village du singe blond.
- " Ah ! tu as épousé la fille du Roi, la princesse ? C'est très bien. Merci mon ami.
Tu es brave. Mais les cheveux que tu m'as laissés en échange des miens
appesantissent ma tête et l'empêchent de bouger quand j'ai envie. Rends-moi
ceux qui me reviennent et prends les tiens. Et la fille le cœur battant continua
son chemin.
Le diable devenait de plus en plus laid. Il était si horrible qu'aucun être humain
ne pouvait le regarder. Et Sébahi qui avait refusé d'épouser un homme dont la
beauté n'égalât pas la sienne, eut peur. Elle courba la tête et pensa à la mort. Il
ne restait à présent au diable plus que son visage de girafe à restituer. En son
cœur, la fille se dit :
- "Bien qu'on lui ait enlevé ses dents, ses pieds, ses yeux, ses cheveux, je peux
encore si je le désire contempler son visage. L'un suivant l'autre, ils parvinrent à
la grande savane abritant derrière se" buissons, le village des girafes.
- " Bon, dit le Guinarou à Sébahi, attends-moi ici sans bouger. Je m'en vais uriner
derrière le buisson que tu vois. Et il s'éloigna. Il rencontra la girafe qui lui
demanda de lui rendre son beau visage et lui, retrouva sa vilaine gueule, sa
bouche affreuse crachant, le feu. Ayant ainsi repris complètement son
apparence de diable, il rejoignit sa femme, Sébahi la jeune fille.

Lorsque le petit cheval aperçut sa bouche fumante, il eut très peur et hennit
très fort. Il se cabra, fit volte-face et emporta la jeune fille au triple galop.
Derrière eux, le diable prit sa course et la poursuite commença. Le cheval courait
si fort qu'il se trompa de route et s'engagea sur la piste conduisant au village où
les femmes ne vont jamais. Le diable s'aperçut de l'erreur, mais Sébahi jeta
l'œuf de poule et une mer immense barra le chemin au Guinarou. Arrivant sur le
rivage, celui-ci dit :
- " Toi la mer, si ce n'est pas là la manière de ma première épouse, ne me laisse
pas le passage pour que je la rejoigne. Il donna un coup de lance et comme elles
étaient l'oeuvre de Sébahi, les eaux se fendirent, ménageant un étroit couloir.
Le diable s'y précipita et reprit sa poursuite.

Il courut si vite qu'il fut bientôt près de Sébahi. Alors elle jeta la brindille de
natte et une forêt dense, si dense qu'aucun mari ne pouvait y passer, qu'une
aiguille n'y trouverait pas son chemin, surgit entre eux. Et le diable répéta sa
prière :
- " Si cette forêt n'est pas l'œuvre de la main de ma première épouse, qu'elle ne
me laisse pas le passage. Mais si c'est son ouvrage, ouvre-moi mon chemin. Il tira
une flèche et une route toute droite s'ouvrit, sur laquelle il s'élança. Et la
poursuite continua.

Le diable courait. Il se rapprochait. Pour la troisième fois, il était près de


Sébahi. Bientôt, il pourrait la saisir. Alors elle jeta la pierre blanche et une
grande montagne se dressa, très haute, énorme, rocheuse, colossale. Le Guinarou
se mit à genoux :
- " Si cette montagne n'est pas l'œuvre de la main de ma première épouse
Sébahi, qu'elle ne me laisse pas le passage. Mais si c'est le fait de ma simple
femme, délivre-moi de cet obstacle, afin que je puisse passer.
Quand il donna de la lance contre le roc, son arme se brisa en deux.
- "Bon, dit le diable en regardant sa lance, Sébahi, je sais que tu vas dans le
village où les femmes ne peuvent pénétrer.

Élevant sa voix formidable, il appela ses camarades démons à la rescousse, pour


qu'avec lui, ils attendent la jeune fille sur la montagne et la tuent, lorsqu'elle se
trouvera dans l'obligation de revenir sur ses pas. Toujours galopant, le cheval
tourna sa tête et approchant ses naseaux de l'oreille de Sébahi, lui dit :
- " Nous voyons les cases du village où les femmes ne vont pas. Ici, sur mon
épaule gauche, arrache un poil afin qu'il te serve de pantalon. La jeune fille
enleva le poil et celui-ci devint un pantalon qu'elle enfila.
Le cheval parla encore :
- " ... de l'autre côté, sur mon épaule droite, arrache un second poil pour qu'il te
serve de boubou. Elle obéit et s'enveloppa d'un ample boubou.
- "... regarde sur mon cou, ajouta l'animal. Prends un autre poil et qu'il te serve
de chéchia. Et Sébahi se coiffa d'une chéchia.
- " Bon, dit le petit cheval en la regardant, c'est bien. Maintenant tourne-toi vers
le bout de ma queue, tire un crin et que cela te serve d'épée. Porte-la suspendue
à ton cou. Et la jeune fille fit ce que le cheval commandait.
- " ... prends ici au coin de ma paupière gauche, un cil, et fais-t'en une paire de
babouches. Quand tout ceci fut fait, la jeune fille avait pris l'apparence d'un
homme.

Elle s'approcha du village interdit, y pénétra, demanda à voir le chef en se


présentant comme le Roi d'un autre pays, venant faire une visite de voisinage. Le
chef la reçut courtoisement. Mais une vieille sorcière, de celles qui prévoient la
gâti de toutes choses, qui disent ce qui est bien, mauvais, mérité, ce qui n'est pas
dû, soupçonna une fraude en voyant Sébahi et déclara :
- " Je m'en vais faire l'épreuve des kolas. Elle fendit en deux une kola blanche
envoyée par le chef.
- " ... lorsque je les aurai lancés, si les deux morceaux de noix retombent la face
en l'air, c'est que le visiteur est garçon. Si l'une seule des faces est tournée
vers le sol, c'est que nous avons affaire à une femme. L'épreuve devait avoir lieu
devant le chef, mais il l'interdit au dernier moment et ses hommes
l'approuvèrent.
- " Non. Ce que vous soupçonnez est faux. Cette épreuve ne nous donnera pas la
vérité. L'étranger est un garçon. Mais si vous voulez que nous nous en assurions
demain à l'aube, tous les jeunes hommes du village partiront aux champs et en
rapporteront vingt gourdes de vin de palme très fort et dix de vin de palme
sucré. Ils faisaient tous ces projets à l'insu de Sébahi qui était allée dormir dans
une case.
- " Lorsqu'on va lui présenter le vin, disaient-ils, si c'est une femme elle ne
pourra pas boire le vin fort. Elle ne goûtera qu'au vin sucré. Elle révélera alors
son sexe et nous la tuerons. Si au contraire, c'est un homme, il choisira le vin
fort et nous le laisserons aller.
Ainsi parlaient le chef et ses hommes. Mais le cheval veillait. Resté à côté de la
case, il avait tout entendu.
- " Demain, dit-il à la jeune fille, on t'offrira du vin. Ne touche pas aux dix
gourdes qui seront mises à part. Sers-toi de celui des vingt autres qui se
trouveront à côté. Au matin, le chef du village fit apporter les trente gourdes. Il
groupa les dix de vin sucré, les vingt de vin fermenté et les présenta à Sébahi.
Elle tendit la main, saisit une gourde de vin sucré, la porta à ses lèvres :
- " Oh ! on dirait de la limonade s'écria-t-elle. Ce n'est pas bon. C'est une boisson
de femme, je n'en veux pas. S'emparant d'une gourde de vin fermenté, elle le
goûta.
- " Voilà ce que je préfère boire ! Le cheval l'avait prévenue. " Ce que tu boiras,
avait-il dit, c'est moi qui l'urinerai. Donc bois autant que tu pourras. "
Sébahi but ainsi les vingt gourdes de vin fermenté. Le chef et ses hommes dirent
alors à la sorcière :
- " Regarde, elle a bu les vingt gourdes de vin fort. Voilà la preuve qu'il s'agit
d'un homme. Tu nous as trompés et nous te tuerons à sa place. Ils exécutèrent
leur menace. Lorsque la jeune fille fut prête à partir, elle monta sur son cheval,
fit ses adieux au chef, aux hommes qui reçurent l'ordre d'accompagner
l'étranger jusqu'au prochain carrefour. Arrivée là, la princesse renouvela son
salut. Une fois loin d'eux, elle cria :
- "A vous qui dites que les femmes ne pénètrent jamais dans votre village, je dis
que moi, Sébahi, fille de Roi, j'y suis entrée et qu'à cause de moi vous avez tué
votre vieille. Aujourd'hui je connais votre manière de vivre.

Et elle s'élança au grand galop de son cheval. Le chef et ses hommes prirent
leurs montures, s'armèrent de lances, de flèches et se mirent à sa poursuite. Le
petit cheval courait, courait devant. En arrivant au pied de la montagne formée
par la pierre polie, il prit son élan et la franchit d'un bond. Il retomba sur le sol
devant le Guinarou et ses hommes tous surpris. Avant qu'ils aient pu reprendre
leurs esprits, il était déjà loin et derrière lui courait le diable et son train.

Après un long galop, il atteignit le village du père de Sébahi. Là, les parents et la
sœur, le cœur inquiet se désolaient. Ils se réjouirent tous grandement en la
retrouvant. Revoyant son village, la jeune fille rassembla les habitants et leur
parla ainsi :
- " Les conseils des parents et des petits enfants peuvent sauver la vie d'un
homme. L'histoire est à présent terminée. Lorsque votre petite sœur ou votre
petit frère vous donnera un conseil, ne dites pas :
" Comment toi si petit, tu veux me commander ? ". "

La création des hommes blancs, noirs, rouges et jaunes


" Autrefois, une grosse calebasse avala les hommes du monde entier, sauf une
femme en état de grossesse qui s'était cachée. Elle se réfugia dans la brousse et
y vécut seule sans aide d’aucune sorte. Un jour, elle accoucha de deux garçons
jumeaux. L'un se nomma " Théhé" qui signifie un fameux guerrier, l'autre eut
pour nom Oulaïne Gnon Soa qui veut dire : soldat de Dieu.
Ces enfants naquirent, armés de lances, arcs, flèches et couteaux de guerre Ils
grandirent aux côtés de leur mère. Parvenus à l'âge d'homme, ils étaient devenus
tous deux d'habiles chasseurs, tuant les éléphants, les panthères, mais surtout
les animaux cruels.
Un jour, leur mère leur dit :
- " La calebasse a avalé votre père, votre grand-père, votre grand-mère, tous vos
ancêtres et tous vos frères et sœurs. Les enfants furent vivement émus en
entendant ces paroles. Ils demandèrent :
- " Maman, où se trouve cette diable de calebasse ? La mère eut peur de la leur
montrer, car elle était dangereuse, ayant déjà avalé ses parents, son mari, et
tous les hommes du monde. Si elle parvenait encore à avaler ces derniers pauvres
enfants, la mère resterait seule, malheureuse et remplie de chagrin
- " Ne craignez rien Maman, lui dirent les jumeaux. Montrez-nous où se trouve la
cruelle calebasse pour que nous allions la combattre. Les jumeaux allèrent se
coucher.
Le matin, à l'aube, ils s'armèrent de lances, arcs flèches et couteaux de guerre,
puis partirent vers l'endroit désigné. De loir, ils entendaient les cris de la
calebasse au milieu de la forêt :
- " Toaclignolé, a clignoho... qui signifient : "C'est moi cette énorme calebasse qui
ai avalé les hommes du monde entier. Si j’en trouve d'autres aujourd'hui, je les
avalerai encore. "
Les enfants se murmurèrent l'un à l'autre de marcher tout doucement. En
approchant un peu, ils aperçurent l'énorme calebasse qui rugissait, roulant en
montant et descendant une côte. Ils se firent des signes. Immédiatement, l'un
passa du côté où elle descendait, l'autre de celui où elle montait. La calebasse
entre eux répétait ses menaces, en se dirigeant vers le haut. L'enfant, un genou
en terre, en position de guerre, envoya sa flèche.Peffih! Elle pénétra en plein
cœur de la calebasse qui roula de l'autre côté où le second enfant l'attendait.
D'un coup de lance, il la fendit en deux. La calebasse s'ouvrit : les hommes
étaient superposés comme les rayons de cire dans une ruche, sur quatre couches.
Sur le premier rayon, étaient les corps blancs, c'est-à-dire les Européens de
France ; sur le second : les corps jaunes, c'est-à-dire les Allemands ; sur le
troisième : les corps rouges, c'est-à-dire les Esquimaux des pôles nord et sud ;
sur le quatrième : les Noirs d'Afrique.
Après leur délivrance, les hommes repartirent dans leur pays. C'est grâce aux
deux jumeaux que des races de différentes couleurs vivent aujourd'hui sur
terre. "

L'araignée et une vieille femme tapidé


" II y avait autrefois sur une montagne une vieille femme Tapidé qui habitait
seule dans une grotte. Un jour, la famine éclata dans le pays de l'araignée. Très
affamée, celle-ci partit en promenade chercher de la nourriture. A quinze
kilomètres de son logis, apercevant une énorme montagne au milieu d'une grande
forêt, elle s'y dirigea et rencontra la vieille femme, seule dans sa grotte.
- "Bonjour chère grand-mère, dit-elle.
- "Bonjour cher enfant, répondit la vieille. Que désires-tu cher enfant ?
- "Chère grand-mère, je suis orphelin. Mon père et ma mère sont morts. Je n'ai
plus personne pour s'occuper de moi. J'ai faim.
La bonne vieille lui dit alors :
- "Viens avec moi, je te nourrirai. Mais je dois te dire une chose : moi, Tapidé, je
dors pendant six mois, et je reste éveillée les six autres mois de l'année.
Lorsque l'araignée arriva, il restait encore six mois à la vieille avant, de dormir.
Tapidé vécut pendant ce temps avec la pauvre araignée.

Au dernier mois. elle lui dit :


- "Cher enfant, mon temps de dormir arrive. Va chez toi, je ferme la montagne.
Très gourmande, l'araignée ne voulait plus s'en aller. Elle refusa
catégoriquement. Quand il resta deux jours à la vieille, celle-ci avertit encore
l'araignée, lui disant, que son sommeil serait long.
Mais l'araignée s'obstina. Le temps arriva et la vieille femme ferma la montagne.
Durant deux mois, l'araignée mangea le peu de nourriture qui restait, mais au
bout du troisième mois, la faim l'attaqua. Elle essaya de réveiller la vieille, en
chantant :
- " Tapidé é é é Tapidé toutaboho tapidé é é é tapidé... ce qui signifie : Réveille-
toi grand-mère...
Elle prit la vieille dans ses bras, la secoua, la brûla avec les tisons qui restaient
au foyer, mais la femme ne se réveilla pas. L'araignée frappa de ses poings les
parois de la grotte, mais la montagne demeura hermétiquement close. Au
quatrième mois, l'araignée mourut. A la fin du sixième, la vieille se réveilla et
trouva le corps de la mendiante et gourmande araignée tout sec. Elle le prit et le
jeta dehors."

Pourquoi le chimpanzé n'a pas de queue


"Autrefois, le chimpanzé avait une si belle queue, que tous les animaux la lui
enviaient. Le Bon Dieu les rassembla tous un jour et leur dit :
- " Le temps approche où la famine régnera. Il sera interdit de toucher aux
papayers. Celui qui en mangera perdra sa queue.
Quelques semaines plus tard, la famine sévit dans tout le pays. Le chimpanzé qui
se promenait, rencontra un papayer bien fourni. Il songea à la recommandation du
Bon Dieu, mais grimpa quand même à l'arbre, dévora quelques fruits, et sa queue
se sépara de ses jambes et de son corps et le quitta. Il descendit
précipitamment et en pleurant courut chez le Bon Dieu.
- "Ma queue est partie !
- " C'est parce que tu m'offenses, répondit le Bon Dieu.
- " Pardonne-moi, je ne recommencerai plus.
Le Bon Dieu lui rendit sa queue. A partir de ce jour, le chimpanzé ne toucha
aucune papaye pendant plus de dix ans.

Un moment arriva cependant où la famine réapparut. Le chimpanzé, qui se


promenait encore, rencontra un nouveau papayer. Il s'arrêta indécis, pensant au
conseil du Bon Dieu, mais se dit en lui-même :
- " Toutes les fois que je perdrai ma queue, le Bon Dieu me la remettra. Il grimpa
alors à l'arbre et passa plus de deux heures entre les branches, à manger des
fruits. Quand il redescendit, il n'avait plus de queue.
Il courut chez le Bon Dieu sanglota à ses pieds :
- " J'ai de nouveau perdu ma queue !
- "Je ne peux plus t'en donner d'autre. Va et reste ainsi durant toute ta vie.
C'est la raison pour laquelle le chimpanzé n'a pas de queue."

Comment est née l'expression "Si j'avais su"


" II y avait une fois, une pauvre femme qui vivait seule dans sa bicoque perdue au
cœur de la forêt. Nuit et jour, elle réfléchissait au moyen d'échapper à la vie
rude qu'elle menait.
Un matin, ne pouvant supporter plus longtemps sa solitude, elle leva les yeux et
les bras au ciel et à genoux implora Dieu de lui venir en aide. Deux lunes
passèrent, mais son isolement et sa misère restaient les mêmes. Alors dans un
dernier sursaut de courage, elle fit savoir au Dieu puissant du Très-Haut qu'elle
avait encore espoir.
Considérant le pitoyable état de cette femme, le Seigneur lui envoya un esprit
vivant appelé " Si quelqu'un pouvait me faire ceci... ". Il suffisait d'émettre un
désir pour le voir se réaliser immédiatement. Folle de joie, la femme alla se
dissimuler dans un coin de sa cabane pour exprimer sa gratitude au Seigneur.
Ensuite comme elle avait très faim, elle prononça ces mots :
- " Ah ! Si quelqu'un me faisait cuire à manger... Sa phrase n'était pas terminée
que déjà surgissaient de toutes parts d'énormes chaudrons de riz, de couscous,
de manioc, d'ignames et patates, et toutes sortes de plats également délicieux.
Sans perdre un instant, elle se jeta sur la nourriture et mangea tout son saoul.
Puis elle pria l'esprit de lui faire retrouver la jeunesse. Ainsi fut fait.
Quelques jours passèrent et un soir, alors qu'elle était assise dans le calme de sa
case, l'idée de demander un enfant lui traversa l'esprit. C'était là pour elle, le
plus sûr moyen de trouver le bonheur.
- " Ah ! Si quelqu'un pouvait me faire un enfant, dit-elle. Aussitôt à sa grande
stupéfaction, un joli petit garçon tout nu lui tomba dans les bras. Un plaisir très
doux inonda alors son cœur et pour manifester son allégresse, elle fit à l'enfant
qui lui répondit par des pleurs, un beau sourire avec ses lèvres rouges et ses
dents étincelantes de blancheur.
Des jours, puis des semaines passèrent et la femme demanda au génie de faire
grandir son fils. Rapidement, celui-ci grandit sous ses yeux. En une heure, il
devint, un colosse. Beaucoup de mois et d'années passèrent ensuite. La mère
vivait avec son fils dans la brousse sauvage. Ils étaient parfaitement heureux et
ne manquaient de rien, sans peine aucune.
Un jour pourtant, la femme redevint vieille, très vieille et la veille de sa mort,
bénit son fils, lui donna des conseils et lui transmit son pouvoir magique. Aussitôt
après, elle mourut. Le jeune homme eut beaucoup de chagrin. Il pleura pendant un
jour et une nuit puis demanda à l'esprit d'enterrer le corps de sa mère. Ce qui
fut fait en un éclair. Après, il pria le génie dont il était devenu le maître :
- " Construis-moi un grand village moderne, peuplé d'hommes, et fais de moi, leur
Roi. Les ordres furent exécutés et un important village peuplé d'hommes, de
femmes, d'enfants et d'animaux domestiques, ombragé de beaux arbres au
feuillage épais, s'éleva au bord d'une jolie rivière poissonneuse. Sur la place, une
foule tumultueuse se pressait pour élire son Roi qui n'était autre que le jeune
homme.
Assis sur son trône, entouré de griots qui chantaient ses louanges et qui
satisfaisaient tous ses caprices, le Roi s'adressa ensuite au génie :
- "J'ai envie d'aller au cabinet, dit-il. Emporte-moi sur une grande place, large,
bien dégagée, très propre. Il y fut aussitôt transporté.
- "... déshabille-moi, continua le garçon téméraire. Et le pouvoir magique le fit,
car il lui était absolument impossible de désobéir. Lorsque le jeune homme fut
tout nu, il entendit une voix venue d'en haut, qui lui disait :
- " J'ai mis ta mère sous la protection d'un génie, afin de soulager sa misère qui
me faisait pitié. Je ne t'ai pas permis de déshonorer mon pouvoir divin. Sois donc
dorénavant responsable de tes actes. Le jeune homme tremblant ouvrit alors ses
yeux que la crainte lui avait fait fermer et se vit accroupi, entièrement nu, sur
une place pleine de gens qui le regardaient avec des yeux moqueurs et
méprisants. Il eut alors si honte qu'il se changea en l'expression : " Si j'avais su
".

L'araignée chez les bosses


" Au temps jadis, survint une grande famine et l'araignée qui venait d'épouser
une très jeune fille ne trouvait même plus un morceau de manioc pour la nourrir.
Aussi alla-t-il en brousse à la recherche d'ignames sauvages.
Il marcha longtemps. Tout à coup à peu de distance de lui, il aperçut les Hommes
Bosses en train de faire les funérailles de leur vieux père. Lorsqu'un homme de
cette race meurt, la bosse qu'il a portée toute sa vie sur son dos ne le suit pas,
mais reste sur terre à la charge d'un de ses enfants ou petits frères. Le jeune
homme araignée s'approcha en disant :
- " Ah ! quel malheur ! Pourquoi, votre vieux père étant mort, ne m'avez-vous pas
appelé pour participer à la fête ? et les Hommes Bosses se laissèrent prendre à
la supercherie. Ils s'excusèrent en lui donnant un gros mouton, un sac de riz et
une tine d'huile rouge. L'araignée en échange accepta le souvenir du père, c'est-
à-dire sa bosse. Ainsi fut conclu le marché. Les premiers étaient satisfaits de ne
pas hériter de la bosse et le second se félicitait de son stratagème qui le
pourvoyait en provisions.
Cependant, la fête continuait. Les Hommes Bosses achevaient de distribuer aux
convives la viande cuite à l'occasion des funérailles. Dès que chacun avait sa part,
il regagnait sa case avec sa bosse. En effet, lorsqu'ils sont au village ou occupés
à la plantation, ou encore à la chasse en brousse, les Hommes Bosses peuvent
déposer leur bosse à terre, mais quand vient l'heure de rentrer au logis, la bosse
d'un coup saute sur leur dos dés qu'ils ont prononcé les paroles suivantes :
" Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé ingnouhin! qui signifient en
Ouobé : " Bosse de nos ancêtres, Toi qui vécus avec eux et qui es à présent
l'inoubliable souvenir que nous conservons d'eux, Viens, nous rentrons chez nous.
"
Ainsi procédait chacun des Hommes Bosses présents aux funérailles et l'une
après l'autre, chaque bosse posée à terre pendant le repas, sautait sur le dos de
son possesseur. Il ne resta plus sur le sol que la très vieille bosse du père, toute
barbue. Son nom était Zin, c'est-à-dire " bosse ". Elle attendait que le jeune
homme araignée l'endossât. Celui-ci s'était débrouillé pour recevoir le dernier sa
portion de nourriture, afin de rester seul et de s'enfuir. Mais les autres étaient
là, rassemblés, chacun avec la bosse de ses ancêtres sur son dos, impatients de
rentrer chez eux et attendant que l'étranger dit la prière. Celui-ci se vit obligé
de commencer :
- " Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé, ... clebedé... mais il ne prononça
pas le dernier mot qui lui donnerait la bosse et l'empêcherait de retourner
auprès de sa jeune épouse.
- " Dépêche-toi de dire ta prière, grondèrent les Hommes Bosses.
Et l'araignée recommença très lentement :
- " Kaobloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé... clebedé... Il ne pouvait se
résoudre à terminer. Se demandant comment sortir de ce mauvais pas, il
cherchait autour de lui, par où s'enfuir. Insensiblement, il se rapprocha d'un
coin. Puis, comme pour prononcer enfin la prière rituelle, il commença à réciter et
brusquement se pencha, trancha d'un coup de couteau la liane attachant le
mouton reçu en présent, le jeta sur son dos et chargé de tous les autres
cadeaux, il s'élança dans la brousse.
Il avançait dans la forêt noire en coupant les lianes qui gênaient sa marche. Si les
Hommes Bosses n'avaient pas osé le poursuivre, la vieille bosse barbue était là
derrière lui et, chaque fois qu'il tranchait une liane, elle en sectionnait une elle
aussi et passait. Car la puissance des ancêtres ne pouvait rester seule. Il lui
fallait être prise en charge par un homme vivant.
Il faisait grand nuit quand l'araignée arriva chez elle. Elle ouvrit la porte et
entra avec ses provisions. Sur ses talons, la bosse invisible se glissa sous le toit
de la case. Lorsque les deux époux se furent bien rassasiés avec les provisions,
l'araignée dit :
- " Aujourd'hui, j'ai trop froid. Nous ne coucherons pas par terre mais au
grenier.
A la vérité, elle avait peur de la bosse qu'elle imaginait rôdant dans la nuit,
autour de la case. Aussi, ferma-t-elle soigneusement la porte et suivie de sa
femme, grimpa au grenier. Lorsqu'ils furent couchés, la jeune femme demanda :
- " S'il vous plaît, où avez-vous trouvé tout ce riz, toute cette huile et ce mouton
?
- "Ah ! ma chère dame, vous voudriez le savoir ? répondit le jeune homme. Eh
bien voilà : quand je suis parti en brousse ce matin, j'ai rencontré les Hommes
Bosses en train de célébrer les funérailles de leur vieux père qui venait de
mourir. Je les ai abordés en leur demandant pourquoi ils ne m'avaient pas
prévenu ? Ils se sont excusés en me donnant ce sac de riz, cette tine d'huile et
ce gros mouton. Mais la bosse du vieillard m'est restée en partage. Je me suis
sauvé sans prononcer la prière comme ils me demandaient de le faire, car celui
qui la récite entièrement, voit la bosse lui sauter sur le dos. Ses paroles sont :
" Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé... clebedé... Non, ma chère
épouse, je ne puis pas les achever, c'est trop dangereux pour moi.
- " Si tu ne me les dis pas, je retourne chez mes parents, menaça la jeune femme
dévorée de curiosité.
- " Après tout, tant pis, fit le jeune homme. La bosse ne m'entendra pas. A cette
heure, elle doit être retournée chez elle. Rien ne m'empêche donc de te dire la
prière. Écoute : " Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé ingnouhin !
Ah quel malheur ! Sitôt ce dernier mot prononcé, la bosse creva le toit de la
case, arracha le papo et cogna le dos du garçon si violemment qu'il traversa le
plafond et tomba en bas, sur le sol de la case. L'araignée remonta auprès de sa
femme.
- " Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
- " Ce n'est rien, ma chère épouse, je m'étais mal couché et c'est ce qui m'a fait
tomber. Cependant, la bosse courbant son dos, elle ajouta :
- "... demain, j'irai à l'aube défricher la brousse qui envahit notre plantation de
riz. Toi, tu m'apporteras mon repas au champ dès que tu l'auras préparé. Mais à
l'entrée, tu m'appelleras afin que je sois prêt à te recevoir.
La femme répondit qu'elle ferait ce qu'il ordonnait.
Elle dormait encore lorsque l'araignée se leva et partit le dos courbé par sa
bosse, le lendemain matin. Son premier soin fut de désherber un endroit bien
ombragé et de creuser sur le côté d'une termitière, un trou à la dimension de sa
bosse, de façon que s'asseyant à terre, le dos appuyé à la termitière, sa bosse
fût invisible, cachée dans le creux. Cette précaution prise, elle entreprit le
débroussement du sol.
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque la femme vint apporter la nourriture
du matin. Elle appela son époux à l'entrée, et lui, abandonnant aussitôt sa
matchette, courut s'asseoir le dos à la fourmilière et souriant l'attendit. La
jeune femme s'approcha, déposa devant lui le canari et repartit sans avoir
remarqué la difformité de son époux. Tous les jours, le jeune homme procéda
ainsi. Le soir, il rentrait chez lui, longtemps après que la nuit fût tombée. Il
arriva pourtant que la jeune femme se demandât :
- " Comment se fait-il que mon mari ne se lève jamais devant moi ? et elle eut une
idée.
Le jour suivant, son repas prêt, elle partit ramasser des " fourmis guêpantes ".
Puis elle se rendit à la plantation un peu plus tôt que d'habitude et sans se faire
voir de son époux occupé ailleurs, libéra les fourmis dans les creux de la
termitière. Elle regagna ensuite l'entrée du champ et annonça son arrivée par de
grands cris :
- " Mari ! appella-t-elle. Mari ! je vous apporte à manger.
Aussitôt l'araignée se hâta de rejoindre son trou dans la fourmilière. Sa femme
déposa la nourriture devant lui et reprit le chemin de la case. Dès qu'elle se
trouva hors de la vue de son époux, elle se cacha derrière un palmier et surveilla
les gestes de l'araignée. Celle-ci était assise. Elle commença à manger puis à se
trémousser. Les fourmis la piquaient. Bientôt, il lui fut impossible de demeurer
en place et elle se leva. La jeune femme apercevant alors son dos tout courbé par
la bosse, s'écria :
- " Ah ! cher mari. Je vois la bosse que tu as sur le dos et je ne veux pas vivre
avec un mari infirme !
Sur ces mots, elle prit la fuite et rejoignit la concession de ses parents. Depuis
ce jour, l'araignée ne l'a point revue.
De l'aventure retracée par ce conte, date la possibilité pour une femme de
divorcer à sa guise. Mais la faute en revient à l'araignée qui n'a pas su conserver
pour elle, ce qu'elle devait garder dans le secret de son cœur. Souvenez-vous
aussi qu'il ne faut pas jouer avec la puissance des ancêtres que le garçon endosse
pour danser sous le masque. "

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