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de leurs applications
Costabel Pierre. La mécanique dans l'Encyclopédie . In: Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, tome 4, n°3-4,
1951. pp. 267-293;
doi : https://doi.org/10.3406/rhs.1951.4338
https://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1951_num_4_3_4338
dire, si l'on y tenait, qu'il s'est pillé lui-même. En aucun cas, cette
constatation ne permet de lui enlever une originalité que personne
ne saurait contester dans une discipline où il reste un très grand
maître.
L'étude que nous nous proposons apparaît donc comme une
étude de la pensée et de la doctrine de d'Alembert en mécanique,
et la vraie question que l'on pourrait se poser ici serait de savoir
ce qu'ajoute le fait de l'exposé de cette pensée à travers le découpage
des articles de Y Encyclopédie. Mais il faut se garder d'un préjugé.
Le découpage n'est certainement pas arbitraire, il est a priori
intelligent, ce n'est pas une raison suffisante pour entamer la
recherche avec l'idée qu'il doit être aisé de découvrir un plan, un
plan qui soit, disons-le, le résultat d'une tactique habile à l'égard
des censeurs et des ennemis du dehors. L'Encyclopédie ne comporte
pas de table de lecture. La généralité de l'ouvrage, les vicissitudes-
de l'impression étendue sur de nombreuses années en sont peut-être
les causes. C'est à la fin de la partie « Mathématiques » de
l'Encyclopédie méthodique (l) que l'on trouve une table de lecture, due
sans doute à l'abbé Bossut, car on y retrouve le style du discours
préliminaire de celui qui assuma cette section de la nouvelle
édition. L'intention louable qui préside à cette table est clairement
exprimée. L'auteur veut être utile « à ceux qui n'auraient sous la
main que ce Dictionnaire pour toute bibliothèque mathématique »,
ce qui « arrive souvent dans les villes de province ». Il donne donc
« la table des principaux articles rangés selon l'ordre dans lequel
ils doivent être lus » et « par ce moyen le Dictionnaire aura l'avantage
d'un traité suivi ». Les explications qui suivent et visent à persuader
le lecteur qu'il ne sera « maître de son sujet qu'après la deuxième
lecture » sont elles-mêmes assez sibyllines pour exiger plus d'une
lecture. En fait, elles se rapportent à l'ensemble de la matière
mathématique dont les grandes divisions : Arithmétique, Algèbre,
Analyse, Géométrie, sont nuisibles à une intelligence générale, si
elles s'accompagnent de cloisons étanches, et qui nécessitent par
conséquent, des coupures, des chevauchements. La mécanique,
première branche des mathématiques mixtes et appliquées (2),
placée à un rang qui suppose manifestement la possession de
l'outil mathématique, ne semble pas devoir bénéficier des mêmes
(1) Encyclopédie méthodique, Mathématiques, t. III, Ir« Partie, pp. 182-183 (1789).
(2) Encyclopédie méthodique, Mathématiques, t. I, Discours préliminaire, p. i (1784).
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pour les jansénistes. Que conclure, sinon que l'amitié de ces deux
hommes de science est un beau témoignage qui- les honore l'un et
l'autre, un témoignage de ce que leurs positions doctrinales ne
constituaient pas pour chacun d'eux cet écran destructeur de la
vision réelle de l'interlocuteur, ce prisme déformant de la complexe
personne humaine, grâce auxquels se forgent d'ordinaire les
sectarismes. Et l'on énerverait essentiellement ce témoignage si
l'on cherchait, au-delà de ce que permettent les documents, à le
fonder sur une certaine communion des deux hommes dans l'idéal
et dans l'esprit scientifiques. L'humain vrai et fort se situe toujours
à une profondeur qui dépasse les explications et les schématisations
rationalisantes. Ce qui ne veut pas dire que la communion à
laquelle nous venons de faire allusion n'a pas d'importance. Elle
•doit être relevée au contraire en ce qui concerne Bossut, pour
l'objet que nous étudions. Fervent admirateur de Pascal, l'abbé
Bossut, dans l'introduction qu'il écrivit pour une nouvelle édition
des Provinciales (1), ne craignit pas de dire : •
Tout ce qui reste de notre auteur montre en général la préférence qu'il
donnait à la méthode des géomètres sur les autres moyens de chercher la
vérité. L'avantage de cette méthode consiste en ce qu'elle définit
clairement toutes les choses obscures ou inconnues, qu'elle n'emploie jamais
dans ses définitions que des termes justes et bornés à la seule acception
qu'on leur attribue, qu'elle évite soigneusement la redondance des mots
et des idées.
(1 ) Les provinciales avec le discours sur la vie et les ouvrages de Pascal, par l'abbé Bossut,
éd. Fortin-Masson, 1842. Édition préparée par Bossut, publiée longtemps après sa mort.
Notre citation est de la p. lxxxiii.
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Il semble, est-il dit, qu'on n'a pas été jusqu'à présent fort attentif
ni à réduire les principes de cette science au plus petit nombre, ni à leur
donner toute la clarté qu'on pouvait désirer... en général on a été plus
occupé à augmenter l'édifice qu'à en éclairer l'entrée, et on a pensé
principalement à élever sans donner aux fondements toute la solidité
convenable.
En général, dans les mouvements variés dont les causes sont inconnues,
il est évident que l'effet produit par la cause soit dans un temps fini, soit
dans un instant, doit toujours être donné par l'équation entre le temps et
les espaces. Cet effet, une fois connu et le principe d'inertie supposé, on
n'a plus besoin que de la géométrie seule et du calcul pour découvrir les
propriétés de ces sortes de mouvements. Pourquoi donc aurions-nous
recours à ce principe dont tout le monde fait usage aujourd'hui, que la
force accélératrice ou retardatrice est proportionnelle à l'élément de
vitesse ? Principe appuyé sur cet axiome vague et obscur que Yeffet est
proportionnel à sa cause. Nous n'examinerons pas si ce principe est de
vérité nécessaire, nous avouerons seulement que les preuves qu'on en a
apportées jusqu'ici ne nous paraissent pas hors d'atteinte. Nous ne
l'adopterons pas non plus, avec quelques géomètres, comme de vérité
purement contingente, ce qui ruinerait la certitude de la mécanique et
la réduirait à n'être plus qu'une science expérimentale ; nous nous
contenterons d'observer que, vrai ou douteux, clair ou obscur, il est
inutile à la mécanique et que, par conséquent, il doit en être banni.
(1) II s'agit de l'opinion de Newton selon laquelle les Anciens n'ont cultivé la
mécanique que par rapport aux effets de la pesanteur. C'est aussi l'opinion de d'Alembert, sans
aucun doute, mais ce n'est pas dit. La prudence est ici manifeste.
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(1) Nous renvoyons à notre article, Histoire du moment d'inertie (Revue d'Histoire
des Sciences, octobre-décembre 1950).
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(1) Lettre publiée dans Y Essai d'une nouvelle théorie de la manœuvre des vaisseaux, de
Jean Bernoulli (Bale, 1714) {Opera Omnia, Lausanne-Genève, 1742, t. II).
(2) La métaphysique de Newton ou parallèle des sentiments de Newton et de Leibniz
par M. de Voltaire, Amsterdam, 1740, p. 68. • •
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Après tout ce que nous avons dit, cette explication n'étonne pas,
mais on ne peut manquer de remarquer que la chasse aux êtres
métaphysiques a subi un raté. La notion de « cause » subsiste dans
la définition. Dira-t-on qu'il n'y a là qu'un accident, dû à la
commodité du langage. La chose ne paraît pas aussi simple.
D'Alembert entreprend, en effet, de montrer qu' « un corps mis
une fois en mouvement par une cause quelconque, doit y persister
toujours uniformément et en ligne droite, tant qu'une nouvelle
cause différente de la première n'agira pas sur lui ». La démons-
(1) Encyclopédie, article Accélératrice, passage cité plus haut; article Cause. Id.,
Encyclopédie méthodique.
(2) Encyclopédie, article Force, p. 114.
(3) Fin de l'article Cause de l'Encyclopédie.
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Pour nous" qui venons deux siècles après, la clef, au moins sur
la difficulté de base qui préoccupait d'Alembert, est apparente.
C'est que d'Alembert a réglé une fois pour toutes, d'un trait de
plume, sans y revenir jamais, la question du rôle des axiomes.
masses sont en raison inverse des vitesses avec lesquelles ils tendent
à se mouvoir ». La démonstration qui se trouve détaillée dans le
Traité de dynamique et simplement résumée dans l'article présent,
est aussi . embarrassée et aussi faible que les précédentes. Seule
mérite d'être notée la conscience où d'Alembert se trouve d'étudier
le problème de l'unicité de l'équilibre. Ceci est un gain positif dû
à l'esprit mathématique et qui ne sera pas perdu.
Nous en avons ainsi terminé avec l'exposé des trois principes
fondamentaux de la mécanique selon d'Alembert et l'on voit qu'il
n'y a rien à modifier aux réflexions que nous avons déjà faites à la
suite de l'étude du premier. Il y a confirmation complète. Avant de
passer outre, il faut accorder quelques mots à l'addition signée (J)
dans Y Encyclopédie méthodique, au présent article. On cherche-
rait en vain dans les listes d'auteurs l'identification du sigle (J),
il ne s'y trouve pas. D'après le texte, on peut penser qu'il s'agit
de Lagrange, mais ce n'est qu'une conjecture. Les Mémoires de
l'Académie de Berlin de 1752, ont donné une démonstration du
principe général de l'équilibre par Euler, le but de l'auteur inconnu
est de la développer étant donné son utilité. En se représentant
une force quelconque comme un agrégat de « filets contractiles »,
et en posant comme axipme que « toute force agit autant qu'elle
peut », on parvient aisément à un principe de minimum. « La somme
de tous les efforts ( / P dxj doit être minimum pour l'équilibre. »
Ne doivent intervenir dans le calcul que les forces qui peuvent
imprimer quelque mouvement, en particulier pour une chaîne
suspendue, il est inutile de faire intervenir les efforts des clous,
pour un liquide dans un vase, les pressions sur les parois. Ce texte
qui contraste violemment avec le début de l'article, encore que ses
démonstrations de base soient sujettes à caution, prouve que
depuis le début de la publication de Y Encyclopédie certaines idées
ont acquis droit de cité. Non seulement l'idée de principe varia-
tionnel, mais l'idée de traduction analytique qui sera si essentielle
dans la Mécanique de Lagrange.
Descendant la table de lecture de Bossut, c'est maintenant
l'article Dynamique qui retient normalement notre attention. Il
est encore identique dans les deux Encyclopédies et dû à d'Alembert.
Celui-ci commence par rappeler la définition de Leibniz dv = f dt,
puis renvoie à son article Accélératrice où il déclare ce principe en
général malfaisant, et ne mentionne pas l'article Force, dans lequel
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— c'est une partie dont nous n'avions pas fait état encore, à
dessein — il expose qu'il ne peut s'agir d'un principe de mécanique,
mais d'une simple définition : la force accélératrice n'est qu'une
« expression abrégée » de la dérivée de la vitesse. A tout le moins,
on peut dire que le lecteur de Y Encyclopédie a de la peine à
s'y retrouver dans ce dédale. Ce qui intéresse d'Alembert dans
cet article relativement court, c'est, on s'en aperçoit aisément,
beaucoup plus de donner son principe général de dynamique, celui
qui reste effectivement sa gloire, que de discourir sur la notion
de force.
Quelque parti que l'on prenne sur la métaphysique qui lui sert de base,
[au principe de Maupertuis], il n'en sera pas moins vrai que le produit
•de l'espace par la vitesse est un minimum dans les lois les plus générales
de la nature.
4 Mais il est très clair par la suite de l'article que cette prudence
ne peut s'interpréter uniquement par désir de ne pas trop s'engager
personnellement à la suite de Newton. C'est que
Et plus loin :