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tentation.

On ne peut donc faire état de la com rautabilité du


seul corpuscule pour écarter la notion d’ « in d iv id u », car le
corpuscule pourrait être com m utable sans porter atteinte à
P « individu », tout de même que, dans un corps organisé, l’in­
terchangeabilité fies atom es dans les rôles qu’ils peuvent jouer
ne fait pas perdre au corps organisé son « in d ivid u alité ».
Le fait que l ’on ne peut ind ividu aliser P « in d ivid u » quan­
tique à la m anière d ’un ind ividu organique, ne suffit pas à faire
rejeter la notion d* « in d ividu ». Quelqu’un qui ne pourrait jeter
un coup d ’oeil sur la terre que tous les cent ans pourrait esti­
mer que les in d ivid u s hum ains ne sont pas individualisâm es,
alors qu’ils n’en existen t pas m oins en tant qu’ind ividu s. D ’un
point de vue philosophique, on pourrait d ’ailleurs envisager la
théorie quantique com m e un m oyen de préciser la notion d’ « in­
dividu », en la définissant com m e ce qui nécessite une double
représentation com plém entaire.

SEANCE DU 18 FEVRIER
EXPOSE
de T kistan TZARA.
SUR LE POETE DANS LA SOCIETE
(On trouvera la substance de l’exposé en partie dans ce nu­
méro, voir p. 29, et la suite dans le prochain.)

DISCUSSION
Caillais. — Tzara pose la question en term es pertinents, mais
ne la pose pas assez en term es de valeur. Il nous faut choisir
entre la pensée dirigée et non dirigée. Nous avons conscience
d ’une pensée dom inatrice qui nous im porte plus. Des forces dis­
cip lin ées font la force de la pensée. La pensée non dirigée cor­
respond à une nostalgie vague, à des instin cts de paresse, esti­
m ables, d’ailleurs. Un objet de conquête, voilà com m ent la pen­
sée doit envisager le m onde actuel. Comment choisissez-vous?
Tzara. — J’ai parlé des m odes de penser dans leurs rapports
avec la poésie. Pour montrer leur interdépendance, il m’a sem­
blé nécessaire de les situer dans le cadre historique du déve­
loppem ent de l ’hom me, en prenant com m e pôles l ’homme pri­
m itif et l’hom me actuel. Aujourd’hui, le penser dirigé domine,
sans que le non-dirigé ait disparu com plètem ent. Mais l’évolution
se poursuit. Je laisse l ’histoire faire son chem in, sans préférence
pour ma part.
Unik. — Vous pensez que la poésie-activité de l’esprit domine
actuellement.
Tzara. — Elle est liée aux m oyens d ’expression. Je constate
une tendance de la poésie à abandonner la form e. On peut con­
sidérer que Rimbaud, après avoir abandonné la form e, a vécu
la poésie dans ses caractères essentiels.
Monnerot. — Rim baud a-t-il cessé d ’accorder une valeur vitale
à ses Illuminations? A un m om ent, il a cessé de leur accorder
cette valeur.
Tzara. — La lycanth rop ie a continué à fon ctionner, quoique
sous une form e différente.
Calamaris. — Le schém a ne vaut-il pas aussi pour un homme
de science? Chez Vinci, par exemple, les mobiles affectifs vers
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la poésie ou la scien ce sont indiscutables. N’y a-t-il pas un ré­
volté chez l ’hom m e de scien ce? Le révolutionnaire n ’est-il pas
un révolté? Peut-on différencier le poêle et le savant?
Tzara. — V inci, plus qu’un savant, est un artiste. Les mobiles
affectifs de la lycanth rop ie valent pour plusieurs catégories d ’in ­
dividus. Il n ’est pas exclu qu’un mathématicien soit en une cer­
taine mesure poete. Ni le contraire. Ce sont des caractères au­
tres (représentations du m onde, processus d’identification avec
des objets (des personnages, des substitutions) liés à des modes
de penser particuliers qui distinguent l ’homme de science du
poète. L’hom m e de scien ce n ’est pas forcément un révolté.
Quant au terme « révolutionnaire », l ’abus qu’on en a fait et
la confusion qui s ’y attache, tantôt sur le plan artistique, tantôt
sur celui de la lutte sociale, sont devenus si fréquents que mieux
vaudrait ne plus l ’em ployer sans en préciser le contenu.
Chastel. — L’état de la société que vous souhaitez étant à
venir, vous postulez une équation entre l ’acte révolutionnaire et
l ’acte poétique. Spender réalise ce qu’il veut faire.
Tzara. — Spender parle de cette opposition dans les mêmes
termes que les surréalistes. Je me suis déjà longuement expliqué
sur ce sujet. La révolution n ’est pas pour moi une éruption
brusque, com parable aux forces déchaînées de la nature, mais
un travail lent et m inutieux, basé sur la lutte des classes et les
rapports sociaux. Son caractère politique l’emporte sur celui
de la révolte individuelle. Dans ces conditions, il n’y a pas d’op­
position fon cière entre la poésie et la révolution sociale. Spender
a une concep tion romantique de la révolution.
Monnerot. — C’est le problème de la com patibilité qui importe.
Reich. — Le rêve peut être considéré comme une pensée diri­
gée sur d’autres objectifs, mais non pas comme la pensée non
dirigée. Vous mettez en rapport cette pensée non dirigée avec
les lupercales, par exem ple, qui sont des cérémonies. Comment
voyez-vous pratiquem ent la distinction entre les modes de pen­
ser?
Tzara. — J’ai dit que la lycanthropie est un mode affectif
de la con scien ce du poète. Comme tel, en remontant dans l ’his­
toire, on lui trouve de plus en plus à état aigu, un caractère
de clan. La poésie serait donc une fonction de clan. Il m ’a
semblé constater dans certaines cérémonies des traces de cet
état lycanthropique. Ces cérém onies elles-mêmes se sont gref­
fées sur un état de choses préexistant. Quant à la distinction des
modes de penser, je n ’ai jamais prétendu qu’elle était totale,
mais pour pouvoir connaître, il faut distinguer.
Caillois. — Il n ’y a pas de pensée dirigée ou non dirigée à
l ’état pur. Le savant a une évolution comparable à celle du poète.
Dans les sociétés prim itives, il est difficile de les distinguer. A
l ’origine, la lycanth rop ie est commune au poète et au savant.
Plus tard, le poète se fonde sur un caractère asocial. Le poète
a revendiqué ce qui intéressait l ’homme intérieur; de caractère
individualiste, il se dresse contre la société organisée. Le savant
dirige son esprit vers la systém atisation d ’un système du monde,
vers la cohérence. L’un trouve l ’appui chez l’autre. Le monde
où nous vivons ne représente plus un ordre, mais un désordre,
et le savant, hom m e de l ’ordre, se dirige contre la société; il
prend une attitude révolutionnaire qui est redevenue ce qu’elle
a été prim itivem ent.
Unik. — 11 y a eu des poètes qui s'élevaient contre certaines
restrictions, m ais n ’étaient pas des révoltés. Le poète révolté
est un phénom ène récent et provisoire.

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Tzara. — La révolte du poète se produit toujours contre le
milieu ambiant, l’assimilation de ce milieu avec la société est en
effet un phénomène moderne. Mais ce qui reste constant est
l’état de turbulence qui est à l’origine de la détermination du
poêle. C’est lui qu’il importe de mettre en évidence.

SEANCE DU 3 MARS
EXPOSE
de Jean AUDARD
SUR LA PSYCHANALYSE ET LE MATERIALISME
HISTORIQUE
ARGUMENT ANALYTIQUE
Le problème des rapports de la psychanalyse et du matéria­
lisme historique n’est pas seulement un problème technique,
c ’est un problème d’ordre philosophique et humain. La psy­
chanalyse est, en effet, comme le matérialisme historique, un
système général d’interprétation des superstructures qui cons­
tituent la civilisation de la société capitaliste; mais, alors que
c ’est d’un point de vue initialement économique que les tenants
du matérialisme historique ont abordé l'étude de la psycholo­
gie et de l’idéologie individuelle, la psychanalyse a vu dans
Tes rapports sociaux l’expression des tendances instinctives que
l’analyse individuelle des névroses lui avait permis de déceler.
Il semblerait donc qu’il y ait une opposition très nette entre
les deux doctrines qui ont à certains égards le même but, et des
points de départ opposés. En réalité, cette opposition n’est que
superficielle : le matérialisme historique est une sociologie, et
ne vise aucunement à rendre compte des phénomènes indivi­
duels, la psychologie de Freud est une psychologie individuelle
et ne peut présenter qu'une conception de l’histoire de l’indi­
vidu, non de l’histoire universelle.
Pour qu’une conciliation soit possible, il faut que la psycha­
nalyse s’accorde avec la théorie matérialiste de la connaissance
en général. Or, si l’on définit le matérialisme comme la doc­
trine qui « voit le principe initial dans la nature, et non dans
l’esprit > (Engels, Ludwig Feuerbach), c ’est-à-dire comme l’éli­
mination de toute téléologie, comme la tentative de ramener le
complexe au simple, le supérieur à l’inférieur, il est certain que
la psychanalyse est matérialiste. II y a des lois en psychanalyse,
il semble même que la psychanalyse perdrait tout son sens si
l’homme était métaphysiquement libre. Ne postule-t-elle pas que
toute notre destinée est dans la dépendance de certaines expé­
riences infantiles dont nous avons perdu le souvenir sous l’in­
fluence du refoulement? Ce déterminisme psychique ne lui per­
met pas de considérer l’activité intellectuelle autrement que
comme une réaction par rapport au monde matériel. Toute la
dialectique du principe de plaisir et du principe de réalité, du
refoulement, de la sublimation et des névroses confirme la these
matérialiste selon laquelle la pensée est déterminée par l’être.
Après un rappel des principales notions utilisées par la psy­
chologie freudienne dans l’analyse des superstructures, on peut
conclure par cette formule du psychanalyste Jones : « L'évolu­
tion du principe de plaisir et les modifications qu’il doit subir

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