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Ce texte a été publié en traduction italienne dans Grasseni, Cristina (Ed.), Ecomuseo-logie. Pratiche e
interpretazioni del patrimonio locale Quaderni del CE.R.CO., n. 6. Rimini, Guaraldi Editore, 20 10.
Introduction
Or il est encore trop souvent déformé et trahi, selon deux processus pervers et
contradictoires:
- pour les chercheurs, il est d'abord un objet d'études scientifiques, source
d'articles, de livres, de thèses dont les principaux intéressés, les détenteurs réels,
sont exclus ou simplement réduits au rôle d'informateurs;
- pour les entreprises du secteur touristique, le même patrimoine est traité comme
du folklore et les membres de la communauté peuvent vite devenir des
marionnettes à qui l'on fait jouer des rôles convenus devant un public payant.
Je ne veux pas définir une fois de plus le patrimoine immatériel et ses composantes,
mais il me semble utile d'en reprendre les principales catégories pour décrire ce
qu'elles représentent pour moi et pour de nombreux collègues qui agissent sur des
territoires. Je prendrai quelques exemples concrets pour mieux faire comprendre leur
rôle dans les processus de développement.
Les croyances
Des convictions aux pratiques religieuses, des légendes et des superstitions aux
appartenances spirituelles ou sectaires, de l'athéisme à la libre pensée, des principes
moraux hérités aux valeurs de la laïcité, nos communautés humaines connaissent
toutes ces formes de croyances qui conditionnent, de manière généralement
inconsciente, les comportements quotidiens et de nombreuses décisions, y compris
politiques.
2
Nous sommes ici au sommet du patrimoine immatériel, le plus intime et le plus privé,
mais qui se reflète quotidiennement dans la vie sociale. Il n'est pas négociable, ni
modifiable, mais on doit en tenir compte, et aussi se rendre compte de ses évolutions
très lentes, liées à la culture dominante, qui dépendent du passage des générations
et d'influences sur lesquelles nous n'avons aucun pouvoir, du moins localement.
La mémoire longue
Mais elle est aussi un facteur d'immobilisme, une source d'arguments négatifs, dès
lors que l'actualité risque de porter atteinte à une idée du passé qui serait
proprement réactionnaire. C'est ainsi que la modernisation du tissu économique local
est parfois ralentie ou empêchée par l'attachement à des activités traditionnelles:
dans de nombreuses régions d'Europe, la mémoire culturelle des populations
minières a ainsi ralenti la reconversion des bassins houillers et l'implantation de
nouvelles activités.
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Il en va de même pour les attitudes des autochtones européens face à l'immigration
économique venant des pays anciennement colonisés: la mémoire des siècles de
domination et même du commerce d'esclaves dévalorise des populations entières et
empêche une gestion juste et équitable des flux migratoires. On peut dire aussi que
14 siècles de rivalités religieuses, guerrières et commerciales entre l'Europe
chrétienne et les empires musulmans d'Afrique du Nord et du Proche Orient exercent
une influence inavouée mais réelle sur les relations réciproques entre Etats et entre
peuples.
La mémoire contemporaine
C'est la nôtre, qui se rattache à celle de la génération qui nous précède. Elle tient
compte de choses qui restent très vivaces affectivement, comme la dernière guerre
mondiale, les guerres coloniales, les crimes du racisme, du nationalisme et des
dictatures, les mouvements néo-fascistes, ou même le souvenir des catastrophes
naturelles ou des crises sociales de notre temps.
Au niveau du village, les relations entre familles et clans locaux, les conflits
héréditaires et les alliances matrimoniales font partie du contexte de la paix locale et
de la coopération de voisinage. Il faut les connaître et ne pas les sous-estimer.
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Les compétences d'usage et les savoirs
C'est un inventaire que tout développeur devra faire et mettre sans cesse à jour, puis
qu'il devra être capable d'exploiter le moment venu.
La vie associative, qui est un des éléments fondamentaux du capital social, est
basée, non seulement sur les intérêts sectoriels des citoyens, mais aussi sur la mise
en commun des compétences et des efforts de ceux-ci, autour de leurs besoins et de
leurs enthousiasmes. Le développeur apprendra à l'utiliser, à combiner leurs moyens
et leurs énergies: lors de la fondation de l'écomusée du Creusot-Montceau, au début
des années 70, nous avions réussi à obtenir l'engagement de 250 associations, à qui
nous demandions seulement de mettre symboliquement 5% de leur potentiel au
service du projet de musée.
1
www.mirers.org/
5
Les parentés, les voisinages
Même sans faire appel à des facteurs génétiques, il existe un patrimoine familial
complexe à l'intérieur de chaque communauté et entre les communautés voisines.
On l'a déjà noté, les relations quotidiennes à l'intérieur des groupes humains et les
réactions en cas de crise ou devant des actions ou des décisions imprévues
dépendent de ce patrimoine: les calculs les mieux établis, les projets les plus
soigneusement élaborés peuvent se heurter à des impondérables venus d'éléments
enfouis dans la toile de la micro-société.
Ce sont des relations qui ne sont pas de classe, au sens de la lutte des classes
décrite par le marxisme, mais qui dépendent de hiérarchies subtiles, d'histoires "de
famille". C'est aussi valable, bien que pas à la même échelle, en milieu rural qu'en
milieu urbain, et aussi dans les espaces péri-urbains où la population est composée
de couches successives d'arrivants issus d'origines très diverses. C'est ainsi que,
vers 1990, dans la banlieue Nord de Lisbonne, les stratégies de développement
culturel et social devaient tenir compte des habitants autochtones (ceux des villages
ruraux qui avaient été intégrés dans le tissu urbain), des nouveaux arrivants ruraux
venus du Portugal intérieur, des jeunes ménages du centre de Lisbonne attirés par
les loyers modérés, des rapatriés portugais des colonies africaines, des immigrés
africains venus de ces mêmes colonies. Chaque catégorie avait ses propres codes
culturels et familiaux, ses langages affectifs et en général tout un patrimoine
immatériel propre qui devait être pris en compte pour toute action lancée par les
pouvoirs publics ou par les associations.
C'est dans ce même cadre que doivent se placer les actions de solidarité, lesquelles
vont sans doute devoir respecter les clivages entre groupes sociaux, tout en les
transcendant.
6
traditionnels, les habitudes, la politesse et le savoir-vivre, les jeux des enfants
comme des adultes.
Ici encore, il s'agit d'un fonds riche et multiple de coutumes et surtout de pratiques
qui constituent la base de la vie quotidienne, une source de revenus (la
gastronomie), de loisirs (la musique ou les jeux), un moyen d'éducation et de
transmission entre générations (des automatismes acquis dans l'enfance, la relation
aux morts).
Les langages
Toute communauté parle une grande diversité de langages, avec parfois des accents
particuliers, selon les origines sociales, professionnelles, ethniques, et selon les
générations. Au delà de l'intérêt proprement linguistique et anthropologique de ces
différences, on se trouve là devant un véritable problème de communication, dès lors
que l'on souhaite informer la population, en recueillir des avis et des opinions, et
encore plus si l'on souhaite la faire participer réellement à des décisions et à la mise
en œuvre d'actions.
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On a alors besoin d'interprètes lors des réunions, ou de traducteurs pour les rapports
d'étude et autres documents de travail. Et les équipes de terrain doivent être en
quelque sorte polyglottes, pour pouvoir être comprises en temps réel par leurs
interlocuteurs.
Le capital social
Enfin, ce que l'on appelle le "capital social", c'est-à-dire l'ensemble des relations qui
agissent à l'intérieur de la communauté – associativisme, coopération, solidarité,
confiance en soi et auto-estime, individuelle et collective – est évidemment la
résultante de l'ensemble des forces positives qui agissent à l'intérieur de celle-ci.
Les cas les plus achevés de programmes Leader, depuis 25 ans, ont montré
comment aboutir à la création de ce capital social en milieu rural: je citerai en
particulier le Maestrazgo (Aragon, Espagne 2) et la Serra d'Algarve (Portugal) 3. En
milieu urbain, on connaît également des exemples de développement social local,
notamment en Grande Bretagne. Divers cas européens ont été analysés dans le cas
du Conscise Project4. C'est la démonstration de la contribution du capital culturel que
représente le patrimoine (immatériel) au capital global du territoire.
En réalité, il n'existe qu'un patrimoine, qu'il prenne une forme naturelle ou culturelle,
matérielle ou immatérielle.
Tout élément de patrimoine matériel comporte une dimension immatérielle: parmi les
monuments historiques classés ou les sites, dans les objets de musée, chacun est
porteur et support de sens, d'histoires, de significations, non seulement pour les
savants et les spécialistes, mais aussi pour les habitants voisins, pour certains
2
www.maestrazgo.org/adema.htm
3
http://base.d-p-h.info/pt/fiches/premierdph/fiche-premierdph-4681.html
4
The Contribution of Social Capital in the Social Economy to Local Economic Development in Western Europe -
www.malcolmread.co.uk/conscise/entry.htm
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visiteurs motivés, qui se rattachent à leur patrimoine immatériel individuel ou collectif.
Les autres éléments du patrimoine physique, une croix de chemin, une collection de
photos de famille, un paysage agricole, un immeuble urbain, ont aussi leurs
significations, plus ou moins affectives, plus ou moins partagées dans la
communauté. Et l'interprétation de tout ce patrimoine nécessite la contribution des
mémoires, des usages, des apports subjectifs de nombreuses personnes. Elle ne
peut être réservée aux seuls experts extérieurs, aussi compétents soient-ils.
C'est pour ces raisons que l'on peut douter de la validité et de l'utilité autre que
touristique de musées qui présentent des collections soi disant représentatives des
cultures locales: tous ces objets n'ont plus leur contenu immatériel, ou bien ce
contenu leur est attribué par des personnes qui se disent spécialistes et affirment
connaître suffisamment leurs significations 5. Or de tels objets, parce qu'ils ne vivent
plus de leur vie originelle, sont morts. On pourrait en dire autant de ces œuvres
religieuses, fruit de la piété des générations passées, qui se trouvent maintenant
montrées, pour leur rareté ou leur valeur esthétique, à des publics incapables de
comprendre leur sens profond. Le "son et lumière" du retable baroque de Peillonnex
en Haute Savoie6 rassemble toutes les données religieuses, culturelles et artistiques
qui permettent de comprendre l'œuvre et son cadre : sans lui le retable demeurerait
largement incompréhensible dans toute sa profondeur. Mais il est une exception.
5
Le musée dit "du Quai Branly" à Paris est un bon exemple de ces institutions qui mettent en avant des concepts esthétiques
profanes européens pour justifier l'appropriation d'objets à caractère majoritairement religieux provenant d'autres civilisations
6
Une antenne de l'écomusée Paysalp: www.paysalp.asso.fr/Prieure.htm#Bas
7
www.cooperative-de-beaufort.com; voir également H. de Varine (éd.), La dynamique du développement local; les choix du
Beaufortain, Asdic, Ed. du Papyrus, 2006
9
A quoi sert le patrimoine immatériel ?
Par contre, comme je l'ai déjà signalé à plusieurs reprises, toute action de caractère
culturel, social ou économique, portant sur un territoire et sur une communauté,
devra tenir compte de facteurs immatériels de type patrimonial. Et il sera impératif de
les connaître, de les respecter, de connaître leurs éventuelles interactions, de prévoir
les effets de chaque mouvement sur tel ou tel d'entre eux, avec les réactions qui en
découleront et auront un effet positif ou négatif sur les résultats obtenus. On est déjà
là dans le domaine de la recherche de soutenabilité.
8
Voir la fiche pratique "Le bilan patrimonial", in H. de Varine, Les racines du futur, Ed. ASDIC / Les Editions du Papyrus, 2005,
p. 126-128 – Traduction italienne: Le Radici del futuro, Clueb, 2005, p. 110-113.
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apportée. Une expérience récente dans des communautés autochtones du Québec
et dans des communautés Guarani du Brésil (Etat de Rio) a montré la vitalité
créative de membres de ces communautés qui étaient capables rapidement
d'absorber des connaissances nouvelles (telles que le design ou les média audio-
visuels) et de les appliquer à des créations matérielles.
D'autres éléments sont plutôt négatifs, ou doivent être contournés pour ne pas gêner
le bon déroulement des programmes de développement. C'est la somme de tous les
préjugés, des blocages, dus au conservatisme qui va avec l'accent mis sur le
patrimoine. En effet, plus on insiste sur la "valeur" de l'héritage, plus ses détenteurs
veulent le conserver: d'où le danger du conservatisme, qui se transforme souvent en
passéisme. Ceci se concrétise encore plus nettement lorsque certains membres
d'une communauté, souvent les derniers arrivés et les plus "cultivés", cherchent à
s'approprier un patrimoine (matériel ou non) dont ils ne sont pas les héritiers directs.
J'ai connu, dans le milieu rural, de nombreux exemples de villages dont le
développement naturel était bloqué par les exigences de quelques "résidents
secondaires" d'origine urbaine, désireux de refuser tout changement dans un
environnement qu'ils avaient choisi pour des raisons esthétiques, sentimentales ou
écologiques.
Enfin, il y a des éléments que l'on peut considérer comme neutres a priori, car ils
peuvent devenir positifs ou négatifs, selon l'usage qui en est fait et les objectifs qui
leur sont attribués. C'est principalement le cas du langage et de la tradition. Le
langage (un dialecte, un patois, un accent, des phénomènes d'illettrisme) peut être,
on l'a vu, un obstacle à la communication, un enfermement identitaire, un symbole
d'arriération culturelle, un prétexte à rejet de nouveaux membres de la communauté
qui ne le pratiquent pas. Mais il peut être aussi un facteur de fierté et un véhicule du
capital social communautaire, comme ce fut le cas dans certaines régions irlandaises
il y a vingt ou trente ans, ou bien pour le Pays Basque espagnol et français, avec les
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initiatives de développement économique basées sur la culture vivante, les traditions
de coopération et la langue basque 9.
De même la tradition, cultivée comme une religion intangible, peut-être un frein à tout
changement et marquer la prépondérance d'une génération tournée vers le passé et
la nostalgie. Elle peut aussi être un terreau sur lequel vont pousser des idées
nouvelles: c'est par exemple ce que tentent de faire les Sami (lapons) du Nord de la
Suède, autour du musée de Jokkmokk et ce que l'Inde a fait depuis cinquante ans
pour l'essor des savoirs artisanaux, selon la volonté de Gandhi, avec les "cottage
industries".
9
Voir en particulier le projet d'économie solidaire de Hemen-Herrikoa, www.hemen-herrikoa.org, et l'expérience coopérative de
Mondragon, www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html
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pas faire peur, il s'exprime dans le langage commun: on peut alors utiliser la
méthode que j'appelle des "actions-prétexte". Cela consiste à lancer un petit projet
local, très lié à la culture vivante et au patrimoine, pour en confier la responsabilité et
la mise en œuvre à des groupes d'habitants volontaires. L'objectif principal n'est pas
celui qui est fixé officiellement à l'action, il est de donner aux participants de celle-ci
le sentiment de leur responsabilité et de leur capacité de réussir par eux-mêmes, là
où habituellement ce sont des professionnels salariés qui agissent.
C'est ainsi que j'ai suscité, il y a trente ans, dans une petite vallée proche de Paris, la
création d'un itinéraire pédagogique de découverte, qui a été réalisé par une
quinzaine d'habitants d'un village, sous le prétexte d'apprendre à des touristes
parisiens à respecter l'environnement et les travaux agricoles. Le travail a consisté à
rassembler les connaissances "patrimoniales" de chacun des membres du groupe
sur les différents points du territoire. Cet itinéraire existe toujours, mais surtout cette
opération qui a duré environ un an a provoqué la formation de dix associations
spontanées dans la population du village. J'ai utilisé la même méthode de
nombreuses fois depuis, avec le même résultat, réellement "endogène".
Enfin, ce patrimoine immatériel peut être matérialisé pour servir de matériau aux
programmes de développement:
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- des expositions temporaires, itinérantes, des dossiers et des mallettes scolaires
Toute une ingénierie est nécessaire pour tirer le meilleur parti de ces opportunités:
les services culturels traditionnels ne sont pas équipés pour cela; ils n'ont pas de
compétence de management et leur objectif est culturel, donc très loin des logiques
économiques. Seule une structure qui peut combiner le culturel, le social et
l'économique sera capable de jouer ce rôle. Nous verrons plus loin à quelles
conditions le musée peut être cette structure.
La question de la propriété
Le patrimoine immatériel est beaucoup plus flou, diffus, et ne relève pas du droit
formel. Il résulte d'une évolution longue, d'une alchimie subtile, à laquelle des
générations et de très nombreux individus ont contribué. Il faut donc tenter d'apporter
des réponses qui ne pourront être que multiples et complexes.
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La propriété du patrimoine immatériel
Outre l'intérêt que ce patrimoine "privé" peut présenter pour la communauté, il existe
également un patrimoine réellement communautaire, partagé par tout ou partie de la
population du territoire, voire même par celle des territoires voisins. C'est le cas par
exemple des musiques, des légendes et des danses traditionnelles, des modes
d'exploitation des terres et d'élevage des bestiaux. C'est aussi celui des pèlerinages
locaux, qui appartiennent à tous les croyants d'une religion donnée.
Individuel ou collectif, il faut aussi mentionner les éléments de patrimoine qui sont
introduits sur le territoire par de nouveaux arrivants, comme des modes de vie
urbains en milieu rural, ou des traditions exogènes en musique ou en gastronomie
apportées par des étrangers, surtout les étrangers arrivés en nombre de territoires
éloignés mais riches aussi en patrimoine qu'ils apportent avec eux. Je me souviens
de la conquête immédiate de la population de mon village par la mode du méchoui et
du couscous, suite au séjour pendant deux ans d'ouvriers algériens employés sur les
chantiers d'une autoroute. Le Brésil est un exemple frappant de pays où les
immigrations successives d'Europe ou du bassin méditerranéen, voire du Japon,
sans parler de l'Afrique ont laissé leur marque sur la nourriture, sur le folklore, sur les
pratiques religieuses.
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dimension économique immédiate et qu'elle touche au plus intime des gens,
individus, groupes ou communautés. Dans tous les cas ce droit existe et doit être
reconnu et respecté.
On entre ici dans un domaine très délicat, qui ne m'est pas familier
professionnellement, mais qu'il faut explorer, car le patrimoine immatériel est trop
souvent l'objet d'abus divers, que le droit positif ne prévoit pas ou qui ne sont pas
réprimés en raison de la concurrence d'intérêts "nobles", comme la culture et l'intérêt
scientifique. Je distinguerai, en première analyse et comme une incitation à la
réflexion et à la recherche des étudiants et chercheurs, surtout juristes:
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bien était utilisé au détriment de leur communauté ou de certains de ses
membres.
Je tiens à insister une fois de plus sur la spécificité des biens (matériels comme
immatériels) relevant du domaine du sacré, quelle que soit la religion ou la spiritualité
d'appartenance. Trop souvent, les professionnels de la culture – et bien des
aménageurs – regardent les phénomènes religieux comme de simples expressions
culturelles, et les apprécient en fonction de leur beauté, de leur rareté, de leur
caractère exotique, ou encore de leur intérêt scientifique "objectif". Si cela s'ajoute à
la poursuite d'un objectif touristique en direction de visiteurs étrangers à la culture
locale, il y a risque d'aliéner la communauté qui ne peut accepter ce contre-sens.
L'exemple cité plus haut du retable de Peillonex montre qu'il est possible, et
profitable pour tout le monde, de combiner histoire de l'art et histoire religieuse en
respectant le sens profond et spirituel de l'œuvre. Inversement, combien de concerts
de musique dite "sacrée" ne réservent pas la moindre place au sens des textes
chantés ou des cérémonies pour lesquelles ces musiques avaient été composées.
Or, le sens religieux d'un rite, d'un pèlerinage, d'une danse, d'un texte liturgique issus
de communautés d'Europe, d'Afrique ou d'Asie permet une approche plus profonde
de ces manifestations qui sont certes culturelles, mais avec une dimension plus
haute pour les croyants locaux.
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Des rôles pour le musée
Cela s'appelle un musée, mais pas n'importe quel musée. En effet, le musée
traditionnel, dans ses missions clairement décrites par la définition de l'ICOM, est
organisé essentiellement autour d'une collection permanente, inaliénable, qui peut ou
non avoir une relation à la communauté ou au territoire, mais qui est sous la seule
responsabilité de son personnel scientifique et technique qui est nommé par une
autorité supérieure et selon des critères de diplômes, de compétences et de statut.
Cette collection a elle-même été sélectionnée en fonction de critères subjectifs et/ou
scientifiques, sans aucun rapport avec le développement du territoire ou avec les
besoins de la population. Ce musée traditionnel se justifie par des raisonnements
scientifiques, de politique culturelle générale, de stratégie touristique, de recherche
d'image, mais il ne peut pas offrir les services que l'outil brièvement décrit ci-dessus
doit rendre au patrimoine global du territoire. Il a donc fallu inventer autre chose.
C'est ce qui s'est produit dès les années 70 du siècle passé et c'est ce qui se produit
encore sans cesse, dans de nombreux pays et sur de nombreux territoires, avec les
musées communautaires et les écomusées, dans le cadre du mouvement appelé la
"nouvelle muséologie"10. Nous connaissons maintenant suffisamment d'expériences
10
La meilleure référence sur la nouvelle muséologie est un ouvrage déjà ancien, en français seulement: A. Desvallées,
Vagues, Une anthologie de la Nouvelle Muséologie, Tomes 1 et 2, Presses Universitaires de Lyon, Coll. Museologia, 1992 et
1994. De nombreux exemples de terrain, récents, peuvent être trouvés sur www.interactions-online.com.
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et de réalisations pour pouvoir en tirer des leçons générales, sur les missions, les
moyens et les méthodes de "l'outil musée" lorsqu'il est mis au service du
développement du territoire et de la communauté au sein desquels il est implanté.
Transformer en objets des éléments immatériels, pour les étudier, les conserver,
les travailler: photos, films, CD, DVD, copies, maquettes, cartes. Ceci ressort plus
de la démarche de l'archivage fonctionnel que de celle de la collection au sens
muséologique
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Accueillir, aider et encadrer les chercheurs et les étudiants qui souhaiteraient
prendre le territoire et sa communauté comme sujet d'étude, en leur imposant un
partage équitable avec les porteurs locaux de savoirs
C'est un mot à la mode mais il faut l'aborder, au moins brièvement, pour souligner la
nécessité d'inventer, dans chaque cas et en fonction des circonstances, une formule
capable de résoudre les complexités d'une institution originale, dont il n'existe pas de
modèle11 et qui doit poursuivre autant d'objectifs et de missions.
Dans tous les cas, il me semble que ce type de musée ne peut vivre et survivre s'il
ne repose pas sur trois piliers plus ou moins égaux: l'institution locale administrative
et politique, la communauté et ses structures actives, une équipe de professionnels
et de volontaires formés et responsables. L'organisation des relations entre ces trois
pôles dépendra évidemment des personnalités en présence et il y aura toujours un
"porteur" plus fort et dynamique que les autres. Mais il ne devra jamais s'imposer aux
autres pôles comme détenteur d'une vérité unique et d'un pouvoir exclusif.
11
L'expérience a prouvé que tout modèle était voué à l'échec: Laura Gavinelli a démontré que les écomusées (dans la
situation italienne) fonctionnaient sur un système de réseaux interactifs composés de personnes physiques ou morales
tellement différentes qu'aucune règle ne pouvait être établie pour leur articulation et leur fonctionnement. Voir L. Gavinelli, Le
territoire comme système de relations: le rôle de l'écomusée:
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communauté. Cela impliquera sans doute de réserver une place de choix à des
personnes, peut-être peu médiatiques ou peu influentes, mais qui sont ce que les
japonais appellent des monuments vivants parce qu'ils savent et peuvent
transmettre.
C'est ainsi que l'une des expériences les plus originales de muséologie
communautaire, l'Ecomuseu – Museu Comunitário de Santa Cruz (Ville de Rio de
Janeiro, Brésil) a été créé comme un outil d'animation et de diffusion du patrimoine,
par le Núcleo de Orientação e Pesquisa Histórica de Santa Cruz (NOPH) 12, fondé par
des militants locaux en 1983. Ce musée, qui pratique surtout des programmes
d'éducation patrimoniale au sein d'un quartier de plus de 200.000 habitants et qui n'a
pas réellement d'espaces muséographiques ni de collections, possède un journal
bimestriel "Quarteirão" qui est le reflet fidèle du patrimoine immatériel et de la
mémoire de la communauté.
12
Association d'orientation et de recherche historique. Voir sur: www.quarteirão.com.br
13
Voir mon article "Le musée communautaire est-il hérétique ?" [28.08.2006] sur ce même site.
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qu'un tel musée vive difficilement la disparition de ses fondateurs et en général de la
génération de ceux-ci. La nouvelle génération active le verra d'un autre œil et pourra
ne pas lui maintenir sa confiance et les moyens d'existence dont il aura quand même
besoin.
Conclusion
J'espère avoir montré que ce qui est important pour un développeur, c'est le
patrimoine, et pas seulement le musée. Celui-ci, quelle que soit son appellation, est
seulement un instrument local de mise en valeur (mise en scène), dont les membres
de la communauté sont nécessairement les principaux acteurs, opérateurs et
bénéficiaires, puisqu'ils sont à la fois détenteurs (shareholders) et usagers
(stakeholders) du patrimoine.
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le second, qui doivent se compléter et s'enrichir mutuellement. Les usages de
l'ethnologie coloniale ont trop souvent ramené l'habitant au rôle d'informateur
exploité, sans lui reconnaître la dignité de détenteur de savoirs de créativités.
L'actualité des écomusées italiens, mais aussi celle des écomusées et musées
communautaires dans de nombreux pays, montre qu'il est urgent de créer des
programmes et des opportunités de formation de l'ensemble des responsables de
ces musées, mais aussi des personnes (dont font partie les anthropologues, les
agents de développement économique, les agents du tourisme, les responsables
associatifs, etc.) qui sont et seront associés à la mise en valeur et à l'utilisation du
patrimoine. Je prendrai comme exemples les séminaires de formation qui sont
organisés depuis plusieurs années pour les musées communautaires d'Amérique
Latine par le groupe des musées communautaires d'Oaxaca (Mexique) 14 et le
séminaire de formation écomuséologique qui va avoir lieu à la fin d'octobre 2009 à
Santa Cruz (Rio de Janeiro) à l'initiative de l'association brésilienne des écomusées
et musées communautaires (ABREMC). Il ne s'agit pas là d'imposer une doctrine et
des règles, mais de provoquer de la part des acteurs de terrain eux-mêmes une
formation réciproque, à partir de leurs contextes locaux.
Hugues de Varine
Lusigny, le 16 août 2009
14
www.museoscomunitarios.org/hacemos.html
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