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Société Française d'Économie Rurale
(SFER)
Édition électronique
URL : http:// Édition imprimée
economierurale.revues.org/3034 Date de publication : 23 mai 2011
DOI : 10.4000/economierurale.3034 Pagination : 36-54
ISSN : 2105-2581 ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Jocelyne Delarue et Hubert Cochet, « Proposition méthodologique pour l’évaluation des projets de
développement agricole. L’évaluation systémique d’impact », Économie rurale [En ligne], 323 | mai-juin
2011, mis en ligne le 23 mai 2013, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
economierurale.revues.org/3034 ; DOI : 10.4000/economierurale.3034
Avec
Ce qu’il faut mesurer :
Le différentiel d’indicateur d’impact
Sans « avec » - « sans » entre t0 et t2 (représen-
té par les deux aires hachurées)
t0 t1 t2 Temps
Indicateur
d’impact
t0 t1 t2 Temps
témoignent les nombreux travaux réalisés d’individus non touchés par le projet et dont
dans le monde sur cette question, de nom- l’évolution peut être assimilée à celle qu’au-
breux « développeurs » et « évaluateurs » se raient suivie les individus concernés dans la
contentent encore trop souvent de cette idée, situation « sans projet ».
par trop rassurante, que tout serait resté à En toute rigueur, le différentiel ainsi
l’identique, constant, si l’intervention sous obtenu résulte non seulement de l’impact du
forme de projet n’avait pas eu lieu. projet mais également de différences exis-
Autrement formulée, la construction du tantes préalablement entre les individus des
scénario « sans projet » permet de ne pas deux groupes, créant un « biais de sélec-
faire l’erreur d’attribuer au projet les effets tion » dans la mesure de l’impact. Il est par
que les événements extérieurs ou les dyna- conséquent indispensable de s’assurer que la
miques endogènes des systèmes étudiés ont comparaison est réalisée entre des individus
également eus sur les individus. les plus semblables possibles au départ. Il
Dans l’idéal, il faudrait donc pouvoir sera ainsi nécessaire d’identifier et d’appa-
observer, pour les individus concernés par le rier des agriculteurs dont les systèmes de
projet, la façon dont leur situation aurait production et les dynamiques étaient les
évoluée en l’absence de celui-ci mais une mêmes avant le projet – chacun de ces sys-
telle observation est par définition impos- tèmes étant alors modélisé (infra) – et de
sible. Il est par conséquent nécessaire de construire des scénarios avec et sans projet
rechercher dans la population un groupe pour chacun de ces sous-groupes.
Cette diversité doit donc être conservée d’impact se décompose alors nécessaire-
par l’échantillonnage afin de s’assurer que ment entre une mesure des premiers résul-
les différents groupes concernés directe- tats obtenus (différentiel d’impact ex post)
ment et indirectement par le projet ont bien et une projection de ce différentiel dans
été identifiés et effectivement enquêtés (voir l’avenir (ex ante).
infra). Enfin, le choix de l’indicateur d’impact
(ou des indicateurs d’impact) doit être soi-
2. Situation avec projet et choix de ou des gneusement raisonné pour donner une
indicateur(s) d’impact image fidèle de l’impact réel du projet. Il
La définition précise de la situation avec peut s’avérer peu pertinent de choisir un
projet est tout aussi importante et présente indicateur correspondant stricto sensu aux
non moins de difficultés que la construction objectifs affichés par le projet, s’il ne per-
du scénario sans projet. met pas d’appréhender certains effets inat-
Il s’agit en premier lieu de bien cerner les tendus. Il est commun, par exemple, de
contours de l’intervention, et de ne pas lui choisir pour indicateur le revenu moné-
attribuer, par exemple, les effets de projets taire des familles : or, dans la plupart des
plus anciens qui auraient tardé à se maté- pays du Sud, l’autoconsommation tient
rialiser : ceux-ci doivent, en effet, être inclus une part importante dans les stratégies des
dans le scénario sans projet. ménages, de sorte que la mesure du revenu
De plus, le raisonnement sur le scénario économique, plus délicate car incluant la
avec projet doit permettre de préciser le pas production autoconsommée1, est en géné-
de temps de la mesure d’impact : il faut en ral mieux adaptée. Nous en donnerons un
effet établir un différentiel qui s’étende du exemple avec la mesure d’impact de la
démarrage du projet jusqu’au moment où SOGUIPAH (infra).
les effets de celui-ci s’estompent, les inves-
tissements consentis arrivant à bout de 3. La qualité des informations collectées
souffle, et non pas seulement sur la durée L’échantillonnage des individus à enquêter
de vie de la « structure projet » le plus et la construction rigoureuse des scénarios
souvent beaucoup plus éphémère. avec et sans projet sont des moyens de
L’exemple de la Société guinéenne de pal- s’assurer que le différentiel mesuré est
miers à huile et d’hévéas (SOGUIPAH, bien attribuable au projet, et non à d’autres
voir infra) illustre l’importance de mesurer facteurs d’évolutions, exogènes ou endo-
les impacts de ce projet sur toute la durée gènes.
de vie des plantations, soit 40 ans pour Ces principes méthodologiques ne peu-
l’hévéa : la mesure d’un différentiel unique vent cependant suffire à assurer une mesure
à un temps t donnerait une image erronée valide de l’impact, car un protocole d’en-
de l’impact du projet, dans la mesure où les quête irréprochable peut livrer des infor-
rendements des plantations varient au cours mations erronées. Ainsi, dans la plupart
du temps, tout comme l’ensemble des prix des contextes agraires des pays en déve-
relatifs... loppement, les informations chiffrées sur le
Cela implique en principe de réaliser revenu économique des agriculteurs ne
l’évaluation en ex post mais on perd alors un sont pas disponibles et il est indispensable
des avantages de l’évaluation en cours de de consacrer du temps à des enquêtes dif-
projet, celui de pouvoir servir de base pour ficiles, nécessitant de soigneux recoupe-
la réorientation du programme. Il s’avère ments, pour pouvoir obtenir des données de
donc préférable dans la plupart des cas de qualité.
réaliser l’évaluation d’impact bien avant
cette échéance (in itineri). Le différentiel 1. Celle-ci étant valorisée à son coût d’opportunité.
Mesurer l’impact des projets Il semble d’ailleurs que cette méthode ait
Les méthodes employées surtout été utilisée pour mesurer l’impact de
programmes sociaux consistant à distribuer
Lorsque les évaluateurs prennent à bras-le- un service ou un bien (équipement d’écolier,
corps le problème du scénario sans projet repas gratuit, médicaments, etc.), ou des
(ou situation contrefactuelle) et se donnent subsides avec conditionnalité (Duflo et Kre-
les moyens de le reconstituer, plusieurs mer, op. cit.). Il est alors concevable de
méthodes sont couramment employées. comparer deux échantillons statistiquement
représentatifs et définis a priori, d’une part
1. Les méthodes quantitatives de la population ayant bénéficié de la dis-
Ces méthodes2, du domaine des statistiques, tribution du bien ou service en question, et
permettent la mesure de l’indicateur d’im- d’autre part de la population n’ayant pas
pact sur un grand nombre d’individus appar- bénéficié du même avantage, tout en s’as-
tenant aux groupes concerné (ou groupe de surant que l’action du projet n’a pas d’effet
traitement) et non concerné (ou groupe indirect sur le groupe témoin4.
témoin) par le programme. La valeur du Pourtant, bien que la simplicité théo-
différentiel obtenue est réputée fiable en rique de la méthode expérimentale la rende
raison de la grandeur de l’échantillon. séduisante, il apparaît difficilement conce-
Parmi les méthodes quantitatives, la vable d’en envisager l’application dans le
méthode expérimentale (ou de randomisa- domaine du développement agricole. La
tion) s’efforce de réduire le biais de sélection majorité des projets de développement
entre les deux groupes en réalisant avant agricole et rural sont en effet d’une com-
l’intervention, et dans une population donnée, plexité beaucoup plus grande que la simple
un tirage aléatoire des individus qui vont distribution de cahier d’écolier ou de médi-
être concernés par l’intervention et des indi- caments, notamment lorsqu’une phase
vidus qui constitueront le groupe témoin d’investissement productif a lieu en début
(les individus sont ainsi statistiquement équi- de projet (aménagement parcellaire, sys-
valents) (Duflo et Kremer, 2003). tème d’irrigation, etc.). Par ailleurs, le
Cette méthode peut apparaître comme la risque de passage d’un individu du groupe
plus rigoureuse dans la mesure où l’impact du « témoin » au groupe « cible » et récipro-
projet est mesuré par la seule différence de quement ou l’existence d’effets indirects du
résultat entre le groupe touché et le groupe programme sur les non bénéficiaires sont
témoin. Par ailleurs, elle permet une inter- hautement probables et rendent l’utilisation
prétation simple et immédiate des données3. de la randomisation difficile.
trajectoire sans projet). Ce modèle se nour- La qualité des données recueillies assu-
rit d’une compréhension fine des unités de rée et la construction des scénarios avec et
production enquêtées, et en particulier des sans, argumentée pour les différents sys-
modalités de fonctionnement des systèmes tèmes de production, des enquêtes plus
de production. Il ne s’agit pas ici de mener étendues peuvent être réalisées pour vali-
des enquêtes sur un échantillon large, par der la représentativité des résultats (Ancey,
l’intermédiaire d’enquêteurs recrutés en 1983). Il convient de s’appuyer sur un cas
grand nombre, ni d’obtenir une moyenne des précis tel que celui du projet guinéen de
effets supposés du projet sur les agricul- palmier à huile et d’hévéas (Soguipah,
teurs de la région. République de Guinée).
Bien que les différences objectives entre
les unités de production enquêtées sem-
L’évaluation systémique d’impact
blent laisser une certaine place à la sub-
à l’épreuve des faits
jectivité du chercheur dans la constitution
de la typologie et dans l’échantillonnage rai- Cette approche systémique de l’évaluation
sonné, il faut souligner que la logique de d’impact a été conduite entre 2003 et 2006
fonctionnement des systèmes de produc- en République de Guinée. Elle concernait la
tion et l’analyse de leurs trajectoires évo- Société guinéenne de palmiers à huile et
lutives permettent au contraire de dépasser d’hévéas (Soguipah), créée en 1987 par le
l’arbitraire résultant d’une classification gouvernement guinéen pour prendre en
sur la base de seuils (par exemple sur les charge le développement de la production
tailles d’exploitation, ou sur les revenus). Le d’huile de palme et de caoutchouc au niveau
passage d’un nombre restreint d’enquêtes au national. La première unité agro-industrielle
modèle se base sur la mise en évidence de de la SOGUIPAH, la seule existant à ce
« lois d’organisation qui sous-tendent la jour, a été implantée dans les sous-préfec-
réalité et qui créent des types de structures tures de Diécké et de Bignamou (préfec-
en nombre limité. Les individus observés, en ture de Yomou), à l’extrême sud de la Gui-
nombre fini, permettent de comprendre ces née forestière (carte 1).
lois d’organisation et de caractériser ces Soutenue par plusieurs bailleurs de fonds,
structures, et par conséquent de donner la Soguipah a rapidement mis en place son
une vision générale de l’organisation du programme de plantations industrielles en
réel. » (Couty et Winter, 1983) négociant avec les agriculteurs la mise à
disposition 22 830 ha : 1 558 ha de pal-
La caractérisation des systèmes de pro- miers à huile et 4 574 ha d’hévéas furent
duction peut en outre s’alimenter de tra- plantés entre 1988 et 1993, tandis que le
vaux d’enquêtes antérieurs, si tant est qu’ils reste de ces surfaces réquisitionnées furent
aient été bien réalisés et qu’ils concernent mises en défens en attendant une mise en
des pratiques observées in situ chez les agri- valeur ultérieure. Par ailleurs, des plantations
culteurs et non pas seulement les techniques « sous contrat » avec les villageois (1 552 ha
testées dans les stations de recherche ou de palmiers et 1 396 ha d’hévéas) et l’amé-
celles préconisées par les projets. La qualité nagement de 1 093 ha de bas-fonds pour le
des informations recueillies se base toutefois développement de la riziculture inondée
in fine sur la compréhension de la logique furent réalisés entre 1989 et 1998, en plu-
des systèmes et l’enquête directe auprès des sieurs programmes successifs.
agriculteurs. L’implication directe de l’éva- C’est l’impact de ce projet complexe de
luateur dans la collecte des données est développement agricole qui a été mesuré à
indispensable d’où, encore une fois, la l’aide de la méthode proposée. Après avoir
nécessité d’un échantillonnage restreint. reconstitué avec soin le scénario « sans »
projet ou contrefactuel, l’analyse du scéna- de système agraire évoqué plus haut et aux
rio « avec » projet a permis de mettre en évi- questions soulevées en matière de transfor-
dence, pour chaque catégorie de produc- mations du mode d’exploitation du milieu.
teurs, un différentiel de revenu [avec – sans] Or, les effets directs et indirects de la
projet, pouvant ainsi être considéré comme Soguipah sur lesquels nous reviendrons
imputable au projet. plus loin, ont été si étendus, qu’ils ne lais-
sent aucune perspective de trouver dans sa
1. Le scénario sans projet zone d’intervention des agriculteurs qui ne
La situation se résume par une réduction de soient pas concernés de près ou de loin par
la durée des friches sur les versants, un déve- le projet.
loppement de la riziculture de bas-fond et une Pour aborder cette question, une série
extension des plantations de café et cola. Il d’enquêtes et d’entretiens historiques portant
s’agit tout d’abord de reconstituer ce qui se sur la situation « avant » projet a été réali-
serait passé si les plantations tant « indus- sée pour reconstituer un « point de départ »
trielles » que « sous contrat » n’avaient pas avec le maximum de fiabilité. Deux vil-
été installées par la Soguipah. lages kpèlè ont été retenus pour les
Quelle aurait été la dynamique du système enquêtes : le village de Kpoo pour illustrer
agraire et comment auraient évolué les sys- les conséquences de la réquisition d’une
tèmes de production et le niveau de vie des partie du finage villageois pour les planta-
agriculteurs ? Ce premier type de question- tions industrielles et y étudier la dynamique
nement nous renvoie au diagnostic en termes de plantations « sous contrat » et d’aména-
être caractérisé par un système de production • Enfin, les producteurs disposant de sur-
(Delarue, 2007). faces plus réduites (type 3)
Ils devaient emprunter à d’autres des par-
• Les grands propriétaires fonciers (type 1) celles pour cultiver le riz pluvial chaque
Ils forment un premier groupe homogène, année, avec un temps de friche inférieur à
disposant à cette époque de vastes sur- 6 ans, donc de moins bonnes conditions de
faces de versant et de main-d’œuvre suf- reproduction de la fertilité... Une surface de
fisante pour cultiver 3 à 4 ha de riz pluvial 1,5 ha en moyenne, parfois davantage,
par an, avec plus de 10 ans de friche. Les avait été consacrée par leurs parents, sou-
bas-fonds étaient consacrés à la production vent allochtones, à des plantations de café
de vin de palmier-raphia, indispensable et de cola pour en assurer le marquage
notamment pour abreuver les groupes de foncier et, ce faisant, l’appropriation défi-
journaliers agricoles. Les plantations nitive. Ces producteurs cultivaient déjà à
anciennes dont disposaient ces familles cette époque du riz de bas-fonds, en rota-
s’étendaient sur 2 ha environ, la production tion avec une friche de 3 à 4 ans et les
de cola dominant celle de café. La pro- raphias n’étaient donc que peu exploités.
duction d’huile de palme de ces agricul- Les revenus agricoles de ces agriculteurs,
teurs était forte, notamment chez les plus plus élevés que ceux du type 2 grâce aux
jeunes. En francs guinéens constant de plantations de café, atteignaient 1,9 million
2005, leur revenu agricole total (autocon- GNF (500 000 GNF/actif/an, soit
sommation comprise) s’élevait à 2,3 mil- 100 euros/actif/an).
lions GNF (600 000 GNF/actif/an, soit
environ 120 euros/actif/an), dont une Dynamiques agraires régionales et scénario
bonne part provenait des productions de riz contrefactuel : quelles trajectoires pour les
et de vin de raphia. systèmes de production « sans » projet ?
Ces producteurs aux situations contrastées
• Une autre catégorie de producteurs (type 2) ont, bien entendu, évolué de façon très dif-
Cette catégorie possédait en 1987 de moins férente au cours de la période s’échelon-
grandes surfaces que le groupe précédent, nant de 1987 à 2005. Les trajectoires des
du fait des divisions du foncier par héritage, systèmes de production ont tout d’abord
et disposaient d’une main-d’œuvre plus été influencées par des changements impor-
limitée. Les unités de production de ce tants dans les densités de populations. La
groupe ne pouvaient alors cultiver que guerre au Libéria et au Sierra Léone entraîne
1,5 ha de riz pluvial par an, avec 7 ans de l’arrivée à Yomou d’environ 20 000 réfugiés
friche. Ils n’avaient pas de plantations de en 1990 et de 27 000 en 1994 (Van Damme,
café, celles-ci étant restées sous le contrôle 1999). Les premiers s’installent dans les
de l’aîné de la famille, et n’exploitaient villages et sont pour la plupart des Gui-
pas régulièrement de raphias, en raison de néens revenus au pays. En revanche, les
leur faible force de travail. En complé- réfugiés de 1994 n’ont pas de liens en Gui-
ment de leur production rizicole, leur pro- née : ils restent en majorité dans la zone de
duction d’huile de palme était en partie la Soguipah pour profiter de son bassin
commercialisée. Leurs revenus agricoles d’emploi. L’anthropisation du milieu s’en
atteignaient environs 800 000 GNF trouve accélérée.
(250 000 GNF/actif/an, soit seulement Ainsi, les essarts rizicoles sont étendus
50 euros /actif/an). Ceux qui avaient pu jusqu’aux limites des finages avec une den-
planter du café, grâce à une force de travail sification consécutive de la palmeraie « sub-
familiale plus grande gagnaient environ spontanée ». La durée des périodes de recrû
400 000 GNF/actif/an (type 2 bis). intercalaire entre deux cycles de riziculture
Graphique 1. Évolution des prix relatifs des différents produits de Guinée forestière (1987-2005)
3 500
3 000
Prix / Kg (en GNF constant 2005)
2 500
Riz paddy
Café
2 000
Cola
Cacao
1 500
Huile de palme
Caoutchouc
1 500
500
0
87
89
91
93
95
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01
03
05
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Source : Delarue (2007)
renforce l’attrait de ce système de culture par permis d’exploiter une véritable planta-
les revenus supplémentaires qui lui sont tion de raphias et de produire des volumes
associés (production d’huile de palme) 11. importants d’huile de palme (trajectoire
Ce système de prix relatifs (graphique 1) Galaye 1).
reflète en réalité celui du scénario « avec »
• Les producteurs de type 2, qui n’avaient
projet. En effet, la production industrielle
pas de plantations à l’origine, et des sur-
d’huile de palme de la Soguipah a concur-
faces de versant réduites, ont tout de même
rencé directement l’huile de palme villa-
choisi de suivre la tendance à planter en
geoise. Nous avons pu ainsi établir12 que la
réduisant leurs temps de friche sur les ver-
production de la Soguipah avait entraîné un
sants. Ceux qui disposaient d’un bas-fond
relatif repli des prix de l’huile : ils aug-
de bonne taille en ont aménagé une partie.
mentent de près de 3 % par an de 1989 à
La priorité donnée au riz et leur défaut de
1995, mais de 0,9 %/an seulement dans
main-d’œuvre ne leur a pas permis d’ex-
les années suivantes correspondantes à
ploiter des raphias ni de produire des
l’entrée en production des plantations du
volumes importants d’huile de palme. Les
projet (en GNF constant). En conséquence,
plantations de café et de cola, entrées en
il nous a fallu, pour retracer le scénario
production au début des années 90 leur
« sans projet » tenir compte de meilleurs
ont par contre assuré un complément de
prix pour l’huile de fabrication villageoise.
revenu important à partir de cette date
Notre hypothèse est que le taux de crois-
(trajectoire Galaye 2).
sance constaté de 1989 à 1995 se serait
maintenu au-delà de cette date si les plan- • Les producteurs de type 3 ont également
tations du projet Soguipah n’étaient pas fait évoluer leur système malgré leurs
entré en production à ce moment-là. faibles marges de manœuvre. Ils ont inten-
Compte tenu de ces différents aspects, sifié la riziculture inondée et aménagé une
les trajectoires d’évolution des trois sys- petite portion de leurs bas-fonds grâce aux
tèmes de production identifiés à Galaye, revenus de leurs plantations. Ils ont réalisé
Kpoo et Guilamou, peuvent être clairement une nouvelle plantation de café et de cola
énoncés, permettant ainsi de reconstituer le de taille réduite, et ont éliminé les planta-
scénario contrefactuel. tions anciennes, libérant de l’espace pour
• Les producteurs de type 1, au cours de le riz pluvial. Les producteurs les mieux
cette période, avaient à la fois les res- pourvus en main-d’œuvre ont également
sources foncières et les ressources en main- planté des raphias en association avec du
d’œuvre suffisantes pour réaliser de nou- cacao, et produisent de grandes quantités
velles plantations sans compromettre leur d’huile de palme artisanale (trajectoire
système de riziculture pluviale. Les enjeux Galaye 3).
d’appropriation autour des bas-fonds les
ont conduits à aménager ceux-ci, pour en Il conviendrait enfin ajouter à ces diffé-
sécuriser la propriété et alléger les temps rentes trajectoires celle des agriculteurs qui
de travaux. Leur force de travail leur a se sont installés dans les années 1990 au vil-
lage. Tandis que les agriculteurs originaires
du village pouvaient cultiver du riz pluvial
11. La densité de palmiers serait en moyenne de et du riz inondé tous les ans et ont com-
84 pieds/ha sur les versants consacrés au riz pluvial, mencé à planter caféiers, colatiers et
contre 37 pieds/ha dans les systèmes agroforestiers
cacaoyers, les allochtones arrivés récem-
périvillageois (Madelaine, 2005) (graphie diffé-
rente en biblio : Madelaine). ment devaient louer des terres de versant
12. Entretiens menés auprès des commerçantes pour y cultiver le riz, et n’avaient pas la
d’huile de la région. possibilité de réaliser des plantations.
Graphique 2. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 1, à Galaye (sans projet)
et Guilamou (avec projet)
16 000 000
Mesure d’impact Projection
ex post ex ante
12 000 000
GNF constant
8 000 000
4 000 000
Guilamou 1 Galaye 1
0
87
90
93
96
99
02
05
08
11
14
17
20
23
26
29
32
38
41
19
19
19
19
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20
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Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)
lement cultivé ; on y exploite de surcroît (55 ans13) des résultats du groupe de Galaye
environ cinq palmiers-raphias chaque année (« sans projet ») est supérieure de 42 mil-
pour la consommation familiale et l’ap- lions GNF constants (2005), soit environ
provisionnement des groupes d’entraide. 8 000 € (graphique 2). Les plantations
Conformément au programme d’inter- « sous contrat » et « privées » ne font donc
vention de la SOGUIPAH, ces agriculteurs pas la différence, preuve qu’elles ne suffi-
ont reçu en 1992 une parcelle d’environ sent pas à augmenter les revenus.
1 ha de bas-fond aménagé, puis des plants
• Les agriculteurs de type 3
d’hévéas et de palmiers à huile un à deux ans
L’impact est positif pour ces agriculteurs
plus tard. Mais le travail nécessaire à la
capables d’investir dans de grandes planta-
mise en saignée de la plantation d’hévéa a
tions « sous contrat ». Ils se sont intégrés
entraîné chez ces agriculteurs une réduc-
précocement au programme de plantation
tion sensible de la surface de riz pluvial
sous contrat de la Soguipah, dans l’objectif
(– 30 %), et un relatif report de la riziculture
d’obtenir une meilleure valorisation de leurs
vers les bas-fonds non encore aménagés.
faibles surfaces. Ils ont réussi à capter de la
L’intérêt suscité au début par les planta- main-d’œuvre au moment où l’entretien des
tions a conduit ces agriculteurs à augmenter
« hors projet » leurs surfaces plantées en 13. Le différentiel d’impact est mesuré depuis la
hévéas et palmiers, sous forme « privées » réquisition des terres par la Soguipah en 1987 et sur
(infra) à partir de 2001, bien que l’enclave- toute la durée de vie des plantations « sous contrat »
ment de leurs parcelles limite l’ampleur de et des plantations privées réalisées à partir de 93 –
ces extensions. 94 par les agriculteurs, c’est-à-dire de 1987 à 2041.
Les données de 1987 à 2005 ont été obtenues par
Malgré ces différences très importantes enquêtes, puis les projections au-delà de 2005 ont été
de trajectoire avec les agriculteurs de type réalisées sur la base d’hypothèses sur les évolutions
1 du scénario contrefactuel (Galaye), la des systèmes de production (élaborées avec les agri-
différence en termes de résultats écono- culteurs), des rendements et des prix relatifs. À ce
sujet, une vingtaine d’entretiens sur les évolutions du
miques que nous avons pu mettre en évi-
système agraire et 33 entretiens approfondis sur les
dence reste finalement minime, plutôt en unités de production ont été réalisés par J. Delarue
faveur du scénario « sans projet » : la à Kpoo, Guilamou et Diécké au premier semestre
somme sur la durée de vie des plantations 2004 puis en avril-mai 2005 et octobre 2005.
plantations s’avérait particulièrement lourd : de terres dans la zone, dont 2 920 à Kpoo.
main-d’œuvre malinké saisonnière ou main- Les agriculteurs qui étaient propriétaires de
d’œuvre « réfugiée ». Leurs réseaux de rela- ces terres ont été indemnisés pour les plan-
tions personnelles et des capacités finan- tations perdues, mais pas pour les surfaces
cières tirées du commerce ou d’une activité qu’ils consacraient au riz pluvial, ni pour
salariée à la Soguipah, leur ont permis d’ob- les palmiers raphias qu’ils exploitaient dans
tenir davantage de plantations que la leurs bas-fonds. Il ne leur est resté que de très
moyenne (2 ha de palmiers et 2,5 ha d’hé- petites surfaces enclavées entre les planta-
véas). En outre, ces producteurs ont planté tions industrielles de la Soguipah.
du café sélectionné (0,5 ha). Le vin de raphia a tout de suite pris le relai
Par la suite, les revenus des plantations de leurs activités antérieures et conserve
sous contrat ont permis à ces producteurs de tout au long de la période une part très
reprendre une phase d’investissement en importante dans les revenus de ces produc-
achetant des terres, et en réalisant des plan- teurs. Au début des années 90, ces produc-
tations « privées ». Le riz pluvial a été aban- teurs pouvaient encore emprunter ou louer
donné rapidement par ces producteurs qui des surfaces de versant éloignées des plan-
ont consacré la totalité de leurs surfaces de tations industrielles pour continuer à culti-
versant aux plantations. Ils cultivent une ver du riz pluvial. Ils y ont souvent réalisé
parcelle de bas-fonds mais ne parviennent de petites plantations de café et de cola,
pas à atteindre l’autosuffisance rizicole. pour s’en assurer définitivement la pro-
La comparaison avec Galaye est ici très priété, et tentent aujourd’hui de planter des
en faveur du scénario « avec projet » : la palmiers « hors projet ».
somme sur 40 ans des résultats économiques La production d’huile de palme, relati-
du groupe de Kpoo (« avec projet ») est vement importante pour ces agriculteurs au
supérieure de 316 millions GNF constant début des années 90, est en réduction à par-
(2005), soit environ 63 000 € (graphique 3). tir des années 2000 tout simplement parce
que la multiplication des plantations mono
3. L’impact des expropriations spécifiques de palmiers à huile et d’hévéas
Afin de mettre en place ses plantations a raréfié les palmiers spontanés.
« industrielles » et garantir ainsi l’approvi- D’autres activités peu courantes, telles que
sionnement de son usine de transformation, la pêche ou la production d’œufs, procurent un
la Soguipah a réquisitionné au total 22 830 ha revenu non négligeable à ces agriculteurs.
Graphique 3. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 3, à Galaye (« sans » projet)
et à Kpoo (« avec » projet)
40 000 000
Mesure d’impact Projection
ex post ex ante
30 000 000
Galaye 3 Kpoo 3
GNF constant
20 000 000
10 000 000
0
1987 1997 2007 2017 2027 2037
- 10 000 000
Graphique 4. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 1, à Galaye (« sans » projet) et Kpoo (expro-
priation dans le cadre du projet)
16 000 000
Mesure d’impact Projection
ex post ex ante
12 000 000
GNF constant
8 000 000
4 000 000
Kpoo 1 avec réquisition Galaye 1
0
87
90
93
96
99
02
05
08
11
14
17
20
23
26
29
32
38
41
19
19
19
19
19
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)
Graphique 5. Évolution du revenu agricole des agriculteurs de type 2, à Galaye (situation sans projet)
et Kpoo (situation avec projet)
16 000 000
Mesure d’impact Projection
ex post ex ante
12 000 000
GNF constant
8 000 000
4 000 000
Galaye 2 Kpoo 2
0
87
90
93
96
99
02
05
08
11
14
17
20
23
26
29
32
38
41
19
19
19
19
19
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
20
Source : Enquêtes J. Delarue et F. Ravelomandeha (2004-2006)
qu’ils occupent souvent un poste de sai- sentent malgré tout un avantage certain
gneur à temps plein à la Soguipah (dont le (graphique 5).
salaire est inclus dans les résultats écono- Il est hautement probable que la diffusion
miques ci-dessous). Ainsi, les nouvelles spontanée des plantations privées de pal-
plantations réalisées par ces producteurs miers à huile n’aurait pas eu lieu sans l’ins-
sont souvent peu entretenues les premières tallation du projet et peut donc être inter-
années, ce qui entraîne d’importantes des- prétée comme un effet indirect du projet. Il
tructions par les ravageurs (agoutis), et la s’agit d’un volet original et novateur de la
nécessité de reprendre plusieurs fois la plan- dynamique actuelle de développement des
tation d’une même parcelle. Leurs planta- plantations pérennes car on a là un exemple
tions de café et de cola sont également très frappant de diffusion spontanée (non prévue
peu désherbées. au départ) de matériel végétal nouveau (et
Pendant les premières années de ces plan- de techniques parfois inconnues aupara-
tations, leurs revenus a reposé essentielle- vant) bien au-delà du périmètre initial du
ment sur la culture de riz pluvial, associé aux projet et touchant une population non com-
nouvelles plantations de café et de cola. À prise dans les « groupes cibles » identifiés
partir de 1999, leur activité extérieure de sai- au départ.
gneur a assuré un complément de revenu. En
outre, ils prennent en location des parcelles
de bas-fonds aménagés dont l’exploitation Conclusion
est compatible en termes de calendrier avec En replaçant la démarche systémique au
la culture de riz pluvial et exploitent un centre de la démarche d’évaluation des pro-
petit nombre de raphias. jets de développement agricole, la méthode
Lorsque les plantations privées entrent d’évaluation systémique d’impact propo-
enfin en production (à partir de 2006, pour sée dans cet article permet la construction
les palmiers), le revenu de ces agriculteurs des scénarios « avec » et « sans » projet
connaît une progression significative. Leurs pour les différents types de producteurs en
résultats sont supérieurs à ceux du scénario présence et permet de mesurer, en termes de
« sans projet », à hauteur de 178 millions différentiel et dans la durée, le ou les indi-
GNF constants (2005), soit 36 000 € envi- cateurs d’impact choisis. Les interventions
ron. Malgré la faible qualité du matériel publiques en matière de développement
végétal employé, il semble donc que pour agricole s’inscrivent toujours dans une
ces agriculteurs les plantations privées repré- dynamique agraire qui les dépasse très lar-
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