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INTRODUCTION GENERALE

CHAPITRE I : LA CONCEPTION DE L’ETHIQUE ET SES RESSORTS CHEZ LES


ANCIENS EGYPTIENS DE L’ANCIEN EMPIRE ET LE PEUPLE BINAM DE
BANDJOUN ET DE BANGANGTE PRECOLONIAL

CHAPITRE II : LA CONCEPTION DE L’EDUCATION ET SON ORGANISATION CHEZ


LES KEMETYOU (ANCIEN EMPIRE) ET LE PEUPLE BINAM DE BANDJOUN ET DE
BANGANGTE PRECOLONIAL

CHAPITRE III : LE LIEN ENTRE L’ETHIQUE ET L’EDUCATION CHEZ LES


EGYPTIENS DE LA VALLEE DU NIL (2780-2280) ET LE PEUPLE BINAM DE
BANDJOUN ET DE BANGANGTE

CHAPITRE IV : LES RETOMBEES DU LIEN ENTRE L’ETHIQUE ET L’EDUCATION


DANS L’ANCIENNE EGYPTE (2780-2280) ET L’ESPACE BINAM (DE BANDJOUN ET
DE BANGANGTE) PRECOLONIAL

CONCLUSION GENERALE
2

INTRODUCTIONGENERALE
INTRODUCTION GENERALE

I. Les raisons du choix du sujet

1. Raisons socio-affectives

La rédaction du présent travail est premièrement sous-tendue par des raisons d’ordre
socio-affectif. Au moment où les sociétés africaines postcoloniales dans un élan commun,
amorcent tant bien que mal leur ascension collective dans le concert des nations, elles sont
confrontées manifestement à une série de difficultés qui ne manquent pas de susciter des
inquiétudes. Ainsi les dérapages multiples que nous observons dans la société aujourd’hui, ne
nous ont pas laissé indifférent et ont finalement incité l’élaboration de la présente réflexion.
En effet sur le plan politique, on peut observer les problèmes profonds d’alternance politique
qui découlent le plus souvent sur l’ivresse du pouvoir ou ‘‘le despotisme obscur1’’ pour
parler comme Edem kodjo. A ce triste tableau viennent s’ajouter en outre dans le domaine
économique, les prodigalités souvent injustifiées de l’Etat ainsi que les concussions et actes
de gabegie qui, minent en réalité la croissance économique du pays et ne favorisent pas
subséquemment son développement sur la durabilité. Enfin le volet social ne saurait y
échapper. En effet l’augmentation du taux de délinquance juvénile couplé au taux de chômage
endémique, le communautarisme rivalitaire, ainsi que l’impéritie (dûe à la corruption et au
favoritisme) ont également retenu notre attention. Face à ces goulots d’étranglement mettant
profondément en péril l’évolution de notre pays et le devenir de ses habitants, nous sommes
venus à nous interroger inexorablement sur les origines d’une telle anomie. C’est donc dans le
souci de faire la lumière sur la rémanence de maux qui minent jadis les Etats africains en
général et le Cameroun en particulier, que nous avons choisi de s’intéresser au présent travail.
1
Encore appelé parti unique dévoyé ou monopartisme rigide, il s’agit d’un regime caractérisé par l’extrême
concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, la quasi-inexistence des libertés fondamentales, et
l’abscence de contre-pouvoir. En réalité plusieurs leaders africains ont tenté d’en justifier la nécessité de
l’instaurer au lendemain des indépendances. C’est ainsi que le leader ivoirien Houphouet Boigny s’exprima en
ces termes : ‘‘Nous naissons à peine à la vie indépendante, nous avons hérité des Français non pas une nation,
mais un Etat ; la nation est une construction de longue haleine… partout où on a tenté le multipartisme, on a
ressuscité des querelles tribales, or nous devons dépasser ces querelles tribales. En Côte d’ivoire comme la
plupart des pays africains, le multipartisme ne sert pas la cause de l’unité’’. Mais le président du syndicat
agricole africain ne fut pas le seul à justifier le parti unique, car à coté de lui, se trouve Léopold Sédar Senghor,
qui, ayant tiré les leçons de la rivalité aigue qui l’opposa à Mamadou Dia, affirma : ‘‘Je pense que dans un pays
sous-développé, le mieux est d’avoir, sinon, un parti unique, du moins un parti unifié, un parti dominant, ou les
contradictions de la réalité, se confondent entre elles au sein du parti dominant, étant entendu que, c’est le parti
qui tranche.’’ In Afrique, une histoire du 20 ème siècle, acte 3 (1965-1989), ‘‘Le règne des partis uniques’’, une
émission d’Elikia M’bokolo, Philippe Sainteny et Alain Ferrari, produite par Tancrède Ramonet, France
télévisions, Ina, Temps noir, 2010.
3

A côté de ces motivations sociales, des raisons d’ordre historique ont pesé de tout leur
poids sur notre dévolu jeté sur le dit thème.

2 - Raisons historiques

Comme dans toute discipline scientifique, le choix d’un sujet de recherche avant tout
n’est rien d’autre que le reflet d’une motivation profonde qui habite tout chercheur, et qui de
ce fait s’inscrit dans une perspective évolutive, c’est-à-dire apporter une esquisse de réponse à
un problème social spécifique. C’est dans cette mouvance que s’inscrit Jacques Pycke
lorsqu’il affirme à propos du choix du sujet en histoire que ‘‘le sujet choisi s’efforcera donc
de faire progresser cette connaissance de l’humanité en société dans la référence au passé2’’.

En effet, tout au long de notre cursus scolaire et universitaire, nous avons été imprégnés
par la force de caractère d’une minorité de leaders nationalistes africains, qui malgré leur
séjour estudiantin en occident, et donc imbus de culture occidentale, ne se sont pas totalement
coupés de leur milieu, et ont toujours démontré dans la pratique leur attachement indéfectible
à la mère patrie. Cependant, qu’est ce qui pouvait expliquer une telle attitude de ces leaders
africains ? Certainement leur profonde immersion commune dans les valeurs traditionnelles
africaines, celles-là qu’ils considéraient d’une part comme la planche de salut de leurs pays
qui ployaient alors sous le joug colonial, et d’autre part comme le soubassement même de la ‘‘
Renaissance africaine’’. Nous pensons de ce fait à kwame Nkrumah et son consciencisme,
Kenneth Kaunda, Julius Nyerere, Jomo Kenyatta et le mouvement Kikuyu, et Nelson
Mandela. Toutes ces élites se sont viscéralement opposées à l’assimilation culturelle et autres
valeurs occidentales distillées par les métropoles respectives à l’époque.

A côté de cette élite politique africaine, se trouve en quelques sortes une élite
intellectuelle et universitaire, dont les immenses travaux portant sur le réarmement moral des
masses africaines, mériteraient d’être cités. Nous pensons donc à Cheikh Anta Diop3, Alioune

2
J. Pycke, La Critique Historique, 3ème Edition, Louvain-La-Neuve, Editions Bruylant-Académia, 2000, p.33.
3
Savant sénégalais ayant démontré à travers la consistance matérielle de ses travaux, la parenté culturelle et
génétique des anciens Egyptiens de la vallée du Nil et les peuples noirs situés au Sud du Sahara. Procédant d’une
analyse rigoureuse des mensurations crânologique et ostéologique des momies, il aboutit à la conclusion selon
laquelle les Egyptiens anciens appartiennent incontestablement à la variété biologique mélano-africaine. Ensuite
il établit en plus de cette filiation génétique, une parenté culturelle en recourant à la linguistique historique
comparative. Il compara le Wolof au Ra en kemet et y ressortit plusieurs similitudes d’ordre phonétique (sonorité
d’une langue), morphologique (sa forme), syntaxique (sa grammaire), et lexicologique (son vocabulaire). Il en
déduit que le Ra en kemet est tout simplement, la forme écrite attestée la plus ancienne des langues négro-
africaines. L’égyptien ancien selon ce linguiste, anthropologue et préhistorien Dakarois, n’appartient donc ni aux
langues sémitiques (arabe, hébreu, araméen, phénicien, sumérien, akkadien) comme a voulu le démontrer
l’érudition moderne, encore moins aux langues indo-européennes (notamment les langues romanes).
4

Diop, Aimé Césaire, Frantz Fanon, Théophile Obenga qui, de par l’abondance de leurs
productions scientifiques, ont contribué nonseulement à ressortir significativement toute
l’acuité qu’il y a pour les masses africaines de renouer vivement avec leur passé (face à
l’occident chrétien impérialiste et un monde arabo-musulman de plus en plus expansionniste),
mais aussi à façonner notre insatiable avidité pour les études historiques, en occurrence les
civilisations africaines depuis la vallée du Nil.

Les raisons qui sous-tendent la présente réflexion ayant été évoquées, examiner le cadre
spatio-temporel dans lequel s’inscrit ce travail est à présent nécessaire.

II. De la délimitation de l’étude

D’une façon générale l’examen objectif d’une problématique dans la discipline


historienne, s’inscrit à la fois dans une perspective spatiale et chronologique. Ceci répond
certainement à un besoin d’efficacité méthodologique et à agir de manière circonspecte car,
comme le dit un adage romain ‘‘qui embrasse trop mal étreint’’. Délimiter un sujet de
recherche consiste donc, à le situer correctement aussi bien dans sa propre géographie (telle
qu’elle a existé autrefois) que dans sa propre chronologie, afin de mieux rendre compte de sa
trajectoire évolutive dans l’histoire.

1. Cadre spatial

Le présent travail porte sur l’Egypte ancienne4 et le pays ‘‘bamiléké’’ précolonial. Ainsi
l’Egypte est un pays situé au Nord-Est de l’Afrique et défini par des frontières naturelles
précises. Au Sud, il part des premières cataractes du Nil au Nord de l’Ethiopie ; au Nord, il est
limité par la mer méditerranéenne, à l’Ouest par le désert du Sahara et les falaises libyennes5,
et enfin à l’Est par la mer rouge et les chaines arabiques. De ce qui précède, il en ressort
manifestement une géographie particulière qui semble se plier aux caprices d’un
fleuve ‘‘omnipotent’’, jadis source de vie et de prospérité : c’est le Nil (dont les hommes en
4
Il faut savoir que le terme Egypte est une appéllation qui a vraisemblablement une origine extra-africaine
notamment latine. En effet selon Omotundé, le pharaon soudanais Narimari qui est parti du Sud de la région de
Nekken (Hiérakonpolis des Grecs) pour aller unifier les différents clans de la vallée, fonda sa capitale à Menn-
nfr (Memphis des Grecs). Là il batit le temple de l’âme de Ptah, Hout ka Ptah, qui devint alors, l’un des premiers
noms de Kemet. Ensuite cette appellation a subi des transfuges, ce qui donnera Aegyptos, et puis aujourd’hui
Egypte, l’appellation connue de tout le monde. Pour appeler leur pays selon Omotundé, les kamit anciens
faisaient recours à des termes tels Ta djeser (le pays sacré), Ta-meri (le pays bien-aimé), ou Taouy (parlant de
l’union des deux terres). Jean-Philippe Omotundé, in ‘‘ Vérités-Mensonges’’, L’Egypte Antique fut Nègre,
youtube. Voir par ailleurs les cartes des sociétés étudiées aux documents Annexes I et II.
5
B. Menu, Maât l’ordre du monde, Paris, Editions Michalon, 2005, p.15.
5

avaient fait un dieu : Hâpi). Toutefois, la terre de Taouy ne présente aucune similitude
spatiale avec l’espace Binam ancien, deuxième pôle géographique privilégié de notre étude.

En effet, le second pôle géographique de cette étude, à savoir l’espace Binam dans
l’Afrique ancienne, correspond aux hauts plateaux de l’Ouest, situés au centre de la dorsale
camerounaise. Cet ensemble de hautes terres d’une altitude supérieure à 2000 m correspond
(avant le découpage arbitraire du Cameroun par le corps expéditionnaire franco-britannique
en Mars 1916), à la région des Grass Fields qui englobe les divisions administratives de
l’Ouest et du Nord-Ouest. Ils sont limités à l’Ouest par la dépression de Mamfé, à l’Est par le
Mbam, au Sud-Ouest par le bassin côtier, au Nord par la frontière nigéro-camerounaise. C’est
donc dire concrètement que, l’espace Binam précolonial s’étend sur les régions actuelles de
l’Ouest et du Nord-Ouest, couvrant une superficie évaluée à plus de 30 000 km carré.

Le choix porté sur l’espace égyptien ancien et le pays bamiléké précolonial, s’explique
en définitive par la logique du ‘‘continuum et de l’unité culturelle qui caractérisent et lient ces
peuples, (ceci en dépit des diversités réelles ou supposées), depuis leurs foyers originels de
migrations jusqu’à leurs sites actuels 6’’.

Si délimiter spatialement un sujet, revient à le situer exactement dans sa propre


géographie, le circonscrire chronologiquement s’avère vital, dans la mesure où il permet de
rendre compte des transformations qui ont affecté un phénomène social, et ont par ce fait
même participé soit à son progrès d’une part, soit à son recul d’autre part : d’où le cadre
temporel.

2. Cadre temporel

Tout d’abord, ‘‘l’historien qui veut remonter le passé sans repères chronologiques
ressemble à un voyageur qui parcourt dans une voiture sans compteur, une piste sans
bornes7’’. Ainsi le choix du cadre temporel dans lequel s’inscrit la présente étude a été pour ce
qui est de l’Egypte ancienne, porté sur l’Ancien-Empire. Il s’agit de la charpente du passé
comprise entre 2780-2280 av J-C. Ce choix peut se justifier par plusieurs raisons, dont les
plus significatives sont : Premièrement, cette période correspond à un niveau assez élevé de
l’éthique et l’humanisme, tous deux contenus de l’éducation dans l’ancienne Egypte. De par

6
A.Tagué Kakeu, ‘‘Le sous-développement dans l’Afrique indépendante au regard du dévelopement dans
l’ancienne Egypte et le pays Bamiléké de la période précoloniale’’, Thèse de Doctorat ph.D en Histoire,
Université de Yaoundé I, 2007, p.7.
7
J. Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique noire d’hier à demain, Paris, Hatier, 1972, p.16.
6

le foisonnement des Enseignements moraux (notamment ceux d’Imhotep, Ptahhotep), ou ceux


des rois tels que Khéops, on a pu mesurer le degré d’ascèse morale et spirituelle au quel était
parvenue la société égyptienne antique.

Deuxièmement, le choix porté sur la période (2780-2280 av J-C) peut s’expliquer par le
fait qu’en réalité, les Enseignements moraux, puis les biographies sus-évoqués, ont concouru
à un apaisement des tensions sociales (c’est-à-dire en dépit de la stratification sociale assez
visible) et par conséquent à une meilleure tolérance intersubjective. Ceci vient témoigner une
fois de plus la valeur remarquable du système éducatif égyptien ancien.

Enfin, il se justifie par le fait selon lequel durant l’Ancien Empire, on peut observer à
travers l’érection généralisée des grands édifices architecturaux qui parsèment les sites de
Gizeh, Saqqarah et Meidoum, l’extrême indissociabilité du fait religieux du fait éducatif.
L’éducation est un instrument entre les mains de Pharaon (Hor nebou, nesou bity) qui lui
permet d’accomplir de manière efficiente la volonté de son père Atoum-Rê : veillez à
l’application de la Maât.

Pour ce qui est des sociétés anciennes (spécifiquement le peuple Binam Bandjoun et
Bangangté du Cameroun), le choix du cadre temporel s’explique ici par le fait que, l’éthique
et l’éducation paraissent avoir une plus grande valeur dans la société, et ont fini par avoir une
influence significative sur la hiérarchisation sociale de ce peuple. De ce fait, la période
‘‘antécoloniale’’ de ce peuple, c’est-à-dire avant les intrusions occidentales dans les structures
sociales et éducatives, constitue intrinsèquement le référentiel temporel idéal. Cela permet de
mieux rendre compte de la valeur du modèle éducatif Binam dans l’évolution sociale des
peuples des Grass Fields.

En outre, ce choix peut également se justifier par le fait selon lequel, la période
précoloniale correspond au rayonnement véritable des coutumes ‘‘Bamiléké’’ depuis la
fondation des premières chefferies au 17ème siècle, à la culture ‘‘Bamiléké’’ dans toute sa
‘‘pureté’’, exempte alors de tous reproches avant les affres de la colonisation8. En effet, on est

8
Certains auteurs comme Emmanuel Ghomsi, dans sa Thèse de Doctorat de 3ème cycle (les Bamiléké du
Cameroun : essai d’étude historique des origines à 1920, p.48.), pense que c’est probablement après 1920, que
les chefferies Bamiléké seront confrontées au fait colonial ; Ainsi à travers ses recherches, il démontre que la
civilisation traditionnelle Binam n’a pas eu à souffrir de la présence germanique. Par contre c’est avec la prise de
possession du territoire camerounais par la France selon l’auteur, qu’il y a eu de grands chamboulements. Dans
cette mouvance, il est possible de consulter l’ouvrage de Sylvain Ndzache Zeffa intitulé les chefferies bamiléké
dans l’enfer du modernisme camerounais, où l’auteur y fait une lecture critique des effets de la modernité dans
l’architecture politique et sociale des Grass Fields.
7

notable parce qu’on l’a mérité après avoir rempli plusieurs modalités : ‘‘la bravoure dans les
parties de chasse, l’adresse au combat lors des guerres inter-villages’’9. Toutefois la
colonisation, à travers le passage des populations camerounaises de l’économie d’auto-
subsistance à une économie monétaire, donc de marché, viendra travestir les données
culturelles en y introduisant la marchandisation du pouvoir dans les chefferies Binam (la
conception de l’élitisme et de la titularisation nobiliaire sera alors travestie). Par conséquent,
force est de constater avec Flore Madefo qu’aujourd’hui, ‘‘ce n’est plus le notable traditionnel
qui a une place prépondérante au sein de la société, c’est plutôt celui qui a de l’argent, bref les
moyens financiers, qui est respecté’’10.

Le cadre temporel clarifié, il est important, à présent, d’exposer concrètement les


objectifs poursuivis par la présente étude.

III. Les objectifs de l’étude

Il faut le dire, les objectifs assignés à ce travail, lorsqu’il était alors en gestation, n’ont
pas toujours été claires à établir dans l’immédiat. Ils sont nés des incessantes discussions et
entretiens que nous avons eus avec notre encadreur dans le cadre de la redaction du dit travail.
Les questions posées, reflétaient concrètement nos diffcultés relatives à la méthodologie, et
également à la compréhension des contours de notre sujet de recherche. Fort heureusement,
ces échanges se sont avérés fructueux, dans la mesure où les réponses, observations,
éclaircissements et suggestions formulés par ce dernier, ont finalement infléchit, la vision
simpliste que l’on se faisait de la consistance du travail à effectuer.

En effet, l’objectif principal de cette recherche est de montrer que, tout modèle éducatif
est d’abord culturel.

Ainsi ancré profondément dans ces croyances ancestrales, un peuple élabore


minutieusement, à partir de sa perception du monde, des hommes et des dieux, un modèle
d’éducation pour sa progéniture, à travers lequel il pourra se reconnaitre et s’identifier. De cet
objectif clairement énoncé découle des objectifs subsidiaires qui sont entre autres :

9
F. Madefo Kamdem, ‘‘élitisme et titularisation nobiliaire à Bamendjou et Bandjoun (Ouest-Cameroun) :1910-
1990’’, Mémoire de Maitrise en Histoire, Université de Yaoundé I, 2005, p.2.
10
Ibid., p.3.
8

Démontrer que la vision du monde d’un peuple, détermine substantiellement son


système éducatif, qui à son tour influence le modèle de développement qu’il va adopter.

Ensuite, présenter toute l’impérieuse nécessité qu’il y a d’analyser la crise éducative


actuelle dans une perspective culturelle, c’est-à-dire sous le prisme de la culture.

Enfin, il vise à montrer manifestement, qu’aussi bien dans l’Egypte antique que dans les
sociétés africaines anciennes, notamment chez le peuple Binam, l’aspect éthico-humaniste de
l’éducation tire dans un certain sens ses origines de la religion ou des croyances religieuses
dans lesquelles il s’enracine. Par conséquent, on ne peut envisager aujourd’hui, d’analyser
avec succès l’éthique et l’humanisme égypto-africain en les dissociant de ‘‘la religion
africaine’’11.

De ce qui précède, quel intérêt cette étude pourrait-elle susciter pour la communauté
scientifique et au public auxquels elle s’adresse ?

IV. L’intérêt de l’étude

En effet, ce travail présente à plus d’un titre un intérêt certain qui peut s’apprécier sur un
triple plan :

Premièrement l’intérêt de ce travail se veut d’abord historique, car on peut


éventuellement y saisir à travers les sociétés à étudier, le degré de prépondérance de
l’éducation au même titre que la religion dans le développement de l’Egypte antique (durant
près de 3500 ans) d’une part, et chez les peuples ‘‘bamiléké’’ de l’Ouest-Cameroun d’autre
part.

Ensuite, il se veut culturel dans la mesure où il permet de comprendre que, le citoyen


camerounais devrait face à l’avènement d’un ‘‘village planétaire’’ chercher impérativement à
s’enraciner dans sa culture tout en la prenant comme socle de sa vie, au risque de se voir
engloutir définitivement par les méfaits de l’uniformisation des cultures. D’ailleurs, Cheikh

11
Parlant de la religion africaine, il faut souligner ici que ce terme ne fait pas toujours l’unanimité entre
chercheurs et écoles de pensée. Certains d’entre eux préfèrent plutôt parler de ‘‘vie africaine’’ en ce sens
qu’avant la désarticulation introduite par l’occident selon Kange Ewane, la distinction formelle (au sens
occidental du terme) entre la vie et la religion n’est pas claire. Il y a comme une sorte d’entremêlement, voire
imbrication de ces deux réalités. En effet, la vie en Afrique noire repose fondamentalement sur une vision du
monde fortement endocentrique, de laquelle découle une ‘‘éthique de la concaténation’’. Pour d’amples
informations, confère A.Stamm dans Les religions africaines, B.Holas dans les Dieux d’Afrique noire, ou encore
D. Zahan dans religion, spiritualité et pensée africaines, et A. Kagame dans La philosophie Bantu comparée.
9

Anta Diop ne disait-il pas à ce propos que : ‘‘ce qui est indispensable à un peuple pour mieux
orienter son évolution, c’est de connaitre ses origines’’.12

En dernier lieu, ce travail peut également intéresser et interpeller les hommes politiques,
dans la mesure où il pourrait les amener à s’inspirer de nouveau de leur histoire ceci, en leur
présentant leur passé ancestral comme modèle à suivre. Ceci les inciterait à prendre des
mesures radicales visant à remédier aux innombrables insuffisances du système éducatif
actuel, en pleine déliquescence. Le titre d’un des ouvrages de Kange Ewane L’Afrique des
pharaons interpelle l’Afrique des présidents n’est-il pas assez évocateur ?

Les objectifs et l’intérêt de ce travail étant présentés, un examen des théories permettant
de cerner ce sujet dans toute sa complexité s’avère fort indispensable.

V. Du cadre théorique

La question à analyser ici est celle de la place de l’éthique dans l’éducation des négro-
africains de la vallée du Nil et de l’espace Binam. De ce fait plusieurs théories permettant
d’orienter la lecture du présent travail existent. Entre autre l’on a pu relever la théorie
culturaliste d’abord, et la théorie fonctionnaliste ensuite. Certes nous l’avons relevé il en
existe une myriade de théories pouvant irriguer la compréhension de la présente réflexion,
mais les deux approches identifiées ont paru plus appropriées et ce, pour plusieurs raisons.

1. Approche culturaliste

C’est une approche qui met en relief l’importance de la culture dans le façonnement
psychologique et comportemental des individus d’une communauté spécifique, mais aussi
dans la structuration même de la dite société. Comme le montre Mbonji Edjenguèlè, ce
mouvement de pensée a pris son essor autour de 1940 avec des auteurs comme Ralph Linton,
Abraham Kardiner, Margaret Mead, Ruth Benedict, tous ayant la particularité d’être des
chercheurs formés par Franz Boas. En effet la culture selon lui, est un ensemble de croyances,
de coutumes et d’institutions sociales qui caractérisent et individualisent les différentes
sociétés. C’est pourquoi selon lui, chaque société constitue une sorte de particularisme
historique. Selon ce courant de pensée, l’individu ici n’est ce qu’il est que par la ‘‘vertu de la
12
C.A.Diop, Nations nègres et culture, tome II, 1979, cité par Alexis Tagué Kakeu, p.19.
10

culture ou processus appris ou ‘‘acquis’’ et non par ‘‘la nature (innée), c’est-à-dire un réflexe
de notre biologie’’. Nous naissons en effet avec certains réflexes dits innés, c’est-à-dire qui ne
nécessitent aucun apprentissage, c’est pourquoi ils sont qualifiés d’automatiques. Mais mise à
part ces automatismes naturels, l’homme développe au moyen de la culture, ou de
l’apprentissage, d’autres facultés ou dispositions (indispensables à son existence) qui sont
instituées par la société dans laquelle il évolue. C’est pourquoi on peut constater comme l’a si
bien remarqué Mbonji Edjenguèlè13 :

Les femmes ne font pas la cuisine, ne bercent pas des bébés, ne portent pas des jupes ‘‘naturellement’’,
mais parce qu’elles ont appris à le faire au terme ou ne savent pas danser naturellement, mais parce
qu’elles l’ont appris à le faire au terme d’une norme instituée par des communautés données ; les hommes
ne vont pas à la guerre, ne grimpent pas sur les arbres ni ne sont chefs, rois, généraux d’armées, prêtres ou
mécaniciens ‘’naturellement’’, ils le deviennent par moulage culturel et la discrimination de sexes.

Ainsi, cette approche peut être d’un grand apport à la présente réflexion, parce qu’elle
permet de mieux mettre en valeur le particularisme éthique aussi bien de l’Egypte ancienne
que du peuple Binam de la période précoloniale. La culture dans ces deux milieux a façonné
profondément les comportements, la pensée, mieux elle a stimulé un savoir-être et un savoir-
faire qui ont permis, aux différents peuples à étudier, de s’adapter à la géographie. C’est donc
l’ensemble des croyances, coutumes des négro-africains qui, permettent de comprendre le rôle
joué par l’éthique dans le développement du système éducatif de ces peuples respectifs.

2. L’approche fonctionnaliste

Le fonctionnalisme de manière holistique, est une théorie anthropologique à l’origine


formulée par Bronislaw Malinowski au 20ème siècle, qui se focalise sur la notion de fonction.
Selon Mbonji Edjenguèlé il est la réaction de Bronislaw Malinowski et Alfred Reginald
Radcliffe-Brown aux thèses évolutionnistes du 19ème siècle, postulant une trajectoire
unilinéaire à la marche de l’humanité vers la civilisation14. Chaque culture ainsi, est composée
de données ou éléments interdépendants ; ces éléments jouent respectivement un rôle
important dans la stabilité et la pérennité de la structure sociale. La société ici n’est donc plus
analysée à partir de son histoire, mais plutôt à partir de la fonction jouée par chacune de ses
composantes. La recevabilité de cette argumentation permet effectivement de constater que,
13
M. Edjenguèlè, l’etho-perspective ou la méthode du discours de l’ethno-anthropologie culturelle, Yaoundé,
Presses universitaires de Yaoundé, 2005, p.22.
14
Ibid, p.19.
11

toute culture de par ses éléments qui la composent, est une réponse élaborée à la satisfaction
des besoins individuels et sociaux car, la culture c’est-à-dire ‘‘le corps complet
d’instruments, les privilèges de ses groupes sociaux, les idées, les croyances et coutumes
humaines, constituent un vaste appareil mettant l’homme dans une meilleure position pour
affronter les problèmes concrets particuliers qui se dressent devant lui dans son adaptation à
son environnement pour donner cours à la satisfaction de ses besoins’’. De ce qui précède, la
société comme tout organisme possède un système et est organisée en un tout compact ; et
chacun de ses éléments de par sa fonction, représente une partie indispensable à la totalité
ainsi formée.

Cette approche qui fut l’un des paradigmes les plus importants de l’univers socio-
anthropologique du 20ème siècle, peut s’avérer importante dans la compréhension de la
présente étude. En effet dans le cadre de cette étude, le fonctionnalisme permet, de mettre en
exergue la contribution d’un des éléments culturels des sociétés traditionnelles africaines au
développement des dites sociétés. Il ressort l’apport du système éducatif négro-africain dans
la stabilité et la pérennité de la structure des sociétés égyptienne ancienne et Binam
précolonial.

Le cadre théorique de cette étude présenté, examiner logiquement les concepts majeurs
autour desquels elle s’articule s’avère nécessaire.

VI. De l’éclairage conceptuel

La présente recherche s’articule autour de deux termes majeurs qui, de par leur
extension en constituent le socle. Il y a d’un côté l’éthique, et d’un autre côté l’éducation. Il
importe ici d’analyser chacune de ces deux terminologies, à travers leur sens dénoté d’une
part, et leur utilisation pluridisciplinaire d’autre part pour en dégager la quintessence.

1. L’éthique

Etymologiquement éthique vient du grec éthikos (moral) et de éthos (mœurs)15, qui


traduit les principes de la morale. C’est la recherche du bonheur individuel et les moyens d’y
parvenir. Elle se soucie de notre agir dans l’atteinte de nos objectifs ou buts que l’on s’est

15
Dictionnaire Larousse universel, Paris, Nathan, 1987, p.387.
12

fixé. Elle s’articule autour de la question : comment agir mieux dans ce que nous entreprenons
de faire au quotidien ? Quelles sont les limites de mon action vis -à-vis des autres ?

En effet l’action humaine étant au centre des préoccupations de l’éthique, elle se donne
donc pour mission d’indiquer aux humains, comment ils doivent se comporter, agir et être
entre eux et envers ce qui les entoure. Il s’agit dans notre quête du bonheur, d’imposer à
notre action des limites pour qu’elle ne puisse en aucun cas porter atteinte aux autres. Elle est
la manière de dire comment tout être humain se doit de vivre, et à partir de quoi il doit juger et
décider. Par éthique il faut donc entendre, un système de valeurs culturelles mis sur pied pour
encadrer les pratiques humaines au sein d’une communauté spécifique. Il existe en général
deux grandes catégories d’éthique : l’éthique générale et l’éthique appliquée.

L’éthique générale, c’est l’éthique en tant qu’ensemble de normes sociales visant à


responsabiliser ou conscientiser l’action humaine dans sa quête du bien-être. Il s’agit de
contrôler la trajectoire comportementale et psychologique de tout individu dans sa quête de
réussite, à travers ses rapports intersubjectifs. Quant à l’éthique appliquée, elle de son côté,
exprime l’ensemble des préoccupations d’ordre moral relatives à un domaine de l’activité
humaine comme les sciences, la gouvernance, la santé, le monde du travail, le journalisme,
l’informatique, l’environnement etc. Et l’application de l’éthique à un métier ou à une
profession conduit à l’élaboration de la déontologie, c’est-à-dire, un ensemble de devoirs qui
incombent aux individus exerçant le même métier.

De ce qui précède, il ressort explicitement que la recherche du bonheur ou du bien-être


ne peut s’effectuer en marge de règles édictée par une société, car elles ont pour but de
vérifier la moralité des actes que nous posons au quotidien, dans le but de réussir ou d’être
heureux. Par conséquent toute société où la recherche du bonheur, la satisfaction des désirs et
passions est inconditionnelle, c’est-à-dire n’est pas régulée ou contrôlée, est une société
propice à l’anarchie, et à l’état de nature. Et dans ce contexte, les plus forts seront tentés de
rechercher leur bien-être sur la douleur et la souffrance des plus faibles : d’où l’importance
d’instaurer d’un corps de normes générales, appelé morale ou éthique16.

16
Pour avoir des informations supplémentaires et indispensables à une meilleure compréhension de ce qu’est
l’éthique lato sensu, le lecteur peut consulter deux ouvrages essentiels qui ont retenu notre attention : J. Cassien-
Billier, Introduction à l’éthique, Paris, PUF, 2010, et D.Collin, Morale et justice sociale, Paris, Seuil, 2001. Pour
le premier ouvrage bien voir les pages 10, 17, 18, 20 et 21 ; quant au second voir pp.9-15.
13

La notion d’éthique étant éclaircie, amorçons l’analyse du second terme majeur de ce


travail : L’éducation, mot complexe de par la variété d’approches qui la traversent, et lui
donnent un sens concis.

2 - L’éducation

Jean jacques Rousseau à propos du mot ‘‘éducation’’ a pu dire : on façonne les plantes
par les cultures et les hommes par l’éducation ; Par cette assertion le philosophe genevois a su
saisir tout l’enjeu que représente l’éducation dans le façonnement psychologique et
comportemental d’un individu. Ainsi l’éducation de manière globale, est une thématique qui
stupéfait de par l’immensité des travaux dont elle fait l’objet dans différentes disciplines, si
bien que l’aborder aujourd’hui peut paraitre superfétatoire. On a pu parler des sciences de
l’éducation, comme pour recenser les divers champs disciplinaires, qui de par la conjonction
de leurs approches respectives, concourent à élucider les problèmes liés à la réalité éducative
notamment : pédagogie, didactique, andragogie, docimologie et taxonomie.

Loin de s’inscrire dans cette démarche, l’objectif ici est de la définir en démontrant,
qu’elle est une construction sociale qui peut être analysée à la fois, comme ‘‘processus
d’intégration sociale’’ d’une part, mais aussi comme ‘‘accomplissement de soi’’ d’autre part.

Du latin ‘‘éducatio’’pour certains, et ‘‘éducere’’ pour d’autres notamment pour


Foulquié (1969) et Ardoino (1978)17, l’éducation étymologiquement c’est ‘‘conduire, mener,
transporter d’un lieu à un autre’’18. C’est aussi l’action ou manière d’éduquer, d’être éduqué
(confère dictionnaire Larousse 1987, p.343). De ce qui précède l’éducation peut être définie
par conséquent, comme le fait de conduire un être humain de l’état d’enfance considéré
comme terminus a quo, point de départ, à l’état adulte posé comme terminus ad quem, comme
point d’arrivée19. On part d’un point d’inachèvement ou d’imperfection qui correspond,
probablement à l’enfance ou adolescence, à un point d’achèvement ou de perfection,
correspondant à la maturité, au processus ‘‘d’adultisation’’. Norbert Sillamy a pu définir
l’éducation comme étant ‘‘l’art de développer les qualités potentielles physiques,
intellectuelles et morales d’une personne’’20.

17
D. Mvogo, L’éducation aujourd’hui : quels enjeux ?, Yaoundé, Presses de l’Ucac, 2002, p.13.
18
Ibid
19
Ibid
20
N. Sillamy, Dictionnaire encyclopédique de la psychologie, Tome I, Paris, Bordas, 1980, p.415.
14

De leur côté Auroux et Weil voient surtout en l’éducation : ‘‘l’apprentissage des gestes,
des conduites, des normes morales qui permettent l’intégration de l’enseigné à un groupe
social déterminé’’.21

a - Education comme intégration sociale

Ces différentes définitions en réalité considèrent l’être comme un individu qui doit
mettre le développement de ses potentialités plurielles (cognitives, physiques, etc…) au
service de la société, et doit par la suite se conformer aux normes sociales. L’individu est
donc valorisé ici en fonction de son utilité sociale ; par conséquent le bonheur de la société ou
de la collectivité considéré comme marque de progrès est priorisé au détriment du bonheur
individuel, qui lui est subordonné. Dans cette perspective, il est évident que l’humain apparait
philosophiquement comme un moyen et non comme une fin car, l’individu en lui-même
‘‘n’est rien et ne vaut rien’’ ; ce qui le fait être et le valorise, c’est ‘‘son utilité, son aptitude à
servir’’. l’Etat en tant qu’émanation de la volonté collective et par extension réalité supra
individuelle, coordonne tout et est au centre de tout. C’est lui qui ‘‘dicte et impose ses fins à
l’éducation’’, et tout par conséquent ‘‘doit lui être sacrifié, même la vie individuelle’’. c’est
dans cette mouvance que s’est inscrit Tyrtée lorsqu’il affirme : ‘‘ il est beau de mourir, tombé
au premier rang, en brave qui combat pour la patrie’’22.

En définitive, l’éducation comme processus de socialisation (comme le démontre Emile


Durkheim) à travers l’éclosion des multiples compétences d’un individu, est un instrument au
service de la société, qui constitue la seule et unique finalité de toute action humaine. Ainsi
analyser l’éducation individuelle sous le prisme de l’adulation des idéaux de la communauté,
mieux de leur ‘‘déification’’, c’est probablement aboutir dans une certaine mesure au sacrifice
de l’être humain ; Or comme Dominique Mvogo le souligne de manière truculente, ‘‘ la
déification et l’idolâtrie de la communauté aboutissent souvent à la réitification et à
l’aliénation de l’homme’’ : D’où l’acuité d’examiner le processus éducatif sous un autre
prisme, en l’occurrence comme accomplissement de soi.

b - Education comme accomplissement de soi

21
Y. Auroux et S.Weil, Dictionnaire des auteurs et des thèmes de la philosophie, Paris, Hachette, 1991, p.111.
22
Tyrtée, cité par Marrou, in D. Mvogo, Education aujourd’hui, p.20. Cette affirmation est empruntée à une
locution latine ancienne qui dit ‘‘dulce et decorum est pro patria mori’’, c’est-à-dire, qu’ ‘‘il est doux et beau de
mourir pour la patrie’’.
15

Il est clair que l’éducation comme processus d’intégration sociale, ne favorise pas
véritablement l’épanouissement de l’être car, sa personnalité ou ses envies personnelles
s’effacent littéralement devant la satisfaction des besoins sociaux (propre à la volonté
générale Rousseauiste), et ne permet pas l’émergence d’une véritable pensée personnelle,
source d’évolution et de progrès. C’est la raison pour laquelle dans leur écrasante majorité, les
philosophes sont fréquemment incompris, et qualifiés souvent d’insolites, de subversifs ou
d’iconoclastes, parce que non seulement ils n’adhèrent pas toujours aux normes définies par la
société, mais aussi parcequ’ils analysent les réalités existentielles non pas en fonction des
postulats d’une société, mais en fonction de leur système métaphysique. En effet, comme
‘‘accomplissement de soi’’, l’éducation n’est rien d’autre comme le pense Neill que
‘‘l’expression du besoin fondamental d’un enfant de vivre sa propre vie plutôt que celle que
lui imposent souvent ses parents et la société des adultes23’’.

Les termes centraux de ce travail étant exposés, un examen à présent de quelques


travaux antérieurs qui ont été effectués (en rapport avec notre étude) s’avère impérieux pour
évaluer l’état de la question.

VII. De la revue critique de la littérature

Parlant de l’importance de cette dernière dans l’évolution et la crédibilité du travail de


l’historien, Jacques Pycke dans son ouvrage, a pu dire ‘‘ce recours aux travaux antérieurs est
légitime et nécessaire car le chercheur ne peut espérer tout vérifier par lui-même à l’occasion
des études qu’il entreprend’’24. Par ailleurs l’importance de cette rubrique traditionnelle dans
la discipline historienne se traduit par le fait que, la consultation de ces travaux pionniers bien
évidemment, nous permet de savoir ‘‘comment ses prédécesseurs, dans la mesure où ils ont
utilisé les mêmes sources, les ont comprises, interprétées, commentées, et mises en œuvre’’25.
Ce n’est donc pas une étape ad libitum, mais bel et bien un pan obligatoire de la recherche
permettant au chercheur d’innover par rapport à ces prédécesseurs.

En effet pour cet exercice, il s’en est agi d’examiner l’apport de certains ouvrages
phares, dans la compréhension et l’extension de la présente réflexion. Tout naturellement
nous nous sommes intéressés aux travaux de Dominique Mvogo, ensuite ceux de Pierre Erny

23
Ibid., p.22.
24
J.Pycke, La critique historique, p.35.
25
Ibid.
16

et Miki Kasongo, Emmanuel Ghomsi, en outre ceux de Léon kamga, et enfin ceux de Nicolas
Grimal, Serge Sauneron et Adolf Herman.

A travers son ouvrage, D. Mvogo 26


a abordé la lancinante question de l’éducation à
l’ère de la mondialisation, réalité effective caractérisée par l’omnipotence et omniprésence de
la science et de la technique. Il y développe une réflexion forte intéressante en montrant que la
techno-science a investi tous les domaines, l’éducation dont il est question n’y échappe pas.
Face à cette éventuelle menace qu’elle représente pour les cultures, il est plus que jamais
impérieux de questionner et de définir, les objectifs et les méthodes de nos systèmes éducatifs.
Et cette reconfiguration du système éducatif doit nécessairement passée par une priorisation
absolue de ‘‘l’enracinement du petit de l’homme à la fois dans son être propre et dans sa
communauté’’. De ce qui précède, le projet éducatif selon l’auteur ne saurait plus se définir
alors en termes d’alternative (individu ou société), mais en termes de conjonction ou
combinaison (individu et société) en vue d’y établir des rapports de complémentarité.
Cependant bien que l’auteur y consacre dans cet opus un chapitre lumineux aux méthodes
relatives à l’éducation traditionnelle, on peut lui objecter le fait qu’il ne démontre pas
suffisamment à notre sens que, l’éducation avant la période coloniale était une éducation
initiatique qui obéissait dans son écrasante majorité à une série de rites complexes à travers
lesquels, un individu affirmait sa personnalité sa maturité, et pouvait dès lors prendre
activement part à la vie communautaire.

Pierre Erny27 dans son ouvrage culte, aborde magistralement la problématique de


l’éducation coutumière en y examinant la véritable signification, la fonctionnalité et les
différentes fins qu’elle poursuit à partir d’une approche ethnologique, sans toutefois nier
l’apport des autres disciplines (telles que l’anthropologie et la psychologie culturelles). Ainsi
il démontre que la description et l’analyse de l’atmosphère morale et émotionnelle dans
laquelle baigne et grandit un enfant, conditionne sa psychologie et sa conduite. Certes il a le
mérite d’avoir montré que l’élucidation des problèmes psychopédagogiques liés au système
éducatif actuel, peut s’appuyer sur la pédagogie coutumière comme piste de solution ; mais il
ne ressort pas la contribution de la pédagogie traditionnelle dans l’émergence d’un type
d’homme, résolument tourné vers le respect de la nature, enclin à innover et à produire.

26
D. Mvogo, l’éducation aujourd’hui : quels enjeux ?, Yaoundé, Presses de l’Université catholique d’Afrique
centrale, 2002.
27
P. Erny, l’enfant et son milieu en Afrique noire : essai sur l’éducation traditionnelle, Paris, Harmattan, 1987.
17

Dans une démarche analogue à la précédente, Miki Kasongo28 face aux insuffisances du
système éducatif issu de la colonisation, montre toute l’urgence qu’il y a aujourd’hui de
repenser l’école en Afrique. En effet, bien que l’auteur reconnaisse que l’éducation dans tout
pays a toujours constitué le terreau de son développement, mieux ‘‘la pierre angulaire pour la
construction de son avenir’’29, il reste cependant dubitatif sur les résultats escomptés par
‘‘l’école dite moderne de la colonisation’’. Si l’éducation traditionnelle permettait hier à
l’enfant africain de connaitre parfaitement son milieu, ainsi que de maitriser ses racines et son
histoire, l’auteur cependant montre que cette école rend l’individu tributaire du groupe (qui
revêt ici une valeur sacrée), car l’initiative individuelle est plombée par l’esprit du groupe.
Cette forme de contrôle permanent du groupe30sur l’individu n’est pas mauvaise en soi, car
elle permet d’éviter la naissance et le développement de certaines dérives individuelles, qui
sont le propre des sociétés libérales occidentales. Cependant à la longue, ce contrôle devient
frustrant dans la mesure où, certaines initiatives individuelles sont étouffées, voire muselées
par l’idéologie du groupe. Cela peut constituer donc un frein rédhibitoire à l’émergence de
l’esprit critique pourtant vital à la créativité et au progrès. Il propose donc aux Africains de
procéder aujourd’hui à un savant assemblage de ces deux formes d’école, afin de pouvoir
pallier à la crise que traverse l’enseignement en Afrique.

Si l’éducation en Afrique semble être la préoccupation majeure des deux auteurs


précédents, l’historien Emmanuel Ghomsi31 lui analyse dans sa Thèse de Doctorat, la
fondation des chefferies Bamiléké de l’Ouest-Cameroun à l’avènement du fait colonial.
L’auteur procède à une lecture systématique de l’organisation politique, économique et
sociale du peuple Binam avant la période coloniale. Si d’après l’auteur, les chefferies
bamiléké fondés pour la plupart par des tribus de chasseurs (Bandjoun, Bangangté, Bangwa)
n’ont pas souffert durant l’ère allemande (1884-1914), elles seront réellement mises à
l’épreuve à partir de 1920, date à laquelle le protectorat allemand est définitivement remplacé
par l’administration coloniale française.

28
M. Kasongo, Repenser l’école en Afrique entre Tradition et Modernité, Paris, Harmattan, 2013.
29
Ibid, p.19.
30
A propos de ce contrôle pesant qu’exerce en Afrique noire la famille ou le groupe sur l’individu, certains
intellectuels (tels Babacar Ndiaye) sont venus à s’interroger sur son impact dans le redressement du continent
africain en ces termes :’’ Nous avons en Afrique, une notion très étendue de la structure familiale. C’est très bien
d’un point de vue humain mais la question se pose de savoir si ce système constitue un frein dans la course au
développement. Devons-nous essayer de bâtir le développement autour de cette structure familiale ou au
contraire chercher à réduire la pression que la famille exerce sur l’individu’’. Babacar Ndiaye in Daniel Etounga
Manguelle, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?, Paris, Nouvelles du Sud, 1993,
p.23.
31
E. Ghomsi, ‘‘les Bamiléké du Cameroun (essai d’étude historique des origines à 1920)’’, Thèse de Doctorat
3ème cycle en Histoire, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 1978.
18

Léon kamga32quant-à-lui aborde dans une perspective holistique la stratification sociale


des peuples des Grass Field en prenant le cas de Bandjoun. Il y analyse le domaine politique
(à travers l’initiation royale durant neuf semaines, le conseil des neuf), puis le domaine
religieux (notamment la conception du ‘‘kè’’), enfin social (éducation des filles et des
garçons, mariages, la maladie et la mort). Certes il a le mérite d’avoir examiné dans la
cinquième partie de son ouvrage (le savoir-vivre dans le temple), la place de l’éthique dans la
société bamiléké (à travers les bonnes manières, la vie en famille), mais il n’analyse pas
comme cela a été le cas avec Pierre Erny, le rôle de l’éthique dans le façonnement du système
éducatif traditionnel ‘‘bamiléké’’.

Nicolas Grimal33 pour sa part, aborde la question de l’éducation à kemet, dans un article
intitulé : la transmission des savoirs et les écoles de sagesses dans l’ancienne Egypte. Il
démontre que le développement des enseignements à travers la floraison des ‘‘écoles de
sagesses’’, dans l’ancienne Egypte de façon panoramique, répondait plus à un souci de
sécurité (au double plan cosmique et sociale) que de culture. En effet, La transmission des
savoirs repose sur le désir, voire la nécessité ‘‘d’apprendre à vivre en conformité avec le lien
fondamental de la société égyptienne’’ (notamment la Maât), ceci pour éviter selon l’auteur
de revenir au chaos initial. Pour se faire, le roi garant terrestre de cet équilibre y veillait
rigoureusement (de par le respect des cultes, rites et autres traditions), et se faisait aider dans
l’accomplissement de cette lourde responsabilité, des fonctionnaires (scribes) qui rédigeaient
des traités d’éducation, sous forme de ‘‘contes, fables, recueils de maximes, proverbes, etc.’’.
Certes cet éminent égyptologue a le mérite d’avoir, démontré que le développement de
l’enseignement à kemet participait foncièrement à cette recherche de la stabilité, donc du
Maâtisme34 ; mais il ne ressort pas l’idée selon laquelle, l’éducation en Egypte a été moulée
par une synergie d’éléments qui ont orienté l’entendement que se font les Kemetyou.

Serge Sauneron de son côté, aborde la question sacerdotale dans l’Egypte antique dans
un ouvrage remarquable, intitulé : les prêtres dans l’Ancienne Egypte. Dans cette aventure
inédite, l’auteur explore pour nous l’organisation, le fonctionnement et le droit aux charges
sacerdotales en montrant que, en s’intéressant à la vie cléricale, à la prêtrise, au monde des
scribes et des lettrés dans l’Egypte ancienne, on se donne probablement les moyens de

32
L. kamga, la’akam ou le guide initiatique au savoir être et au savoir vivre bamiléké, Yaoundé, Schabel, 2008.
33
N.Grimal, www.Canal académie.com/ida 5808/La transmission des savoirs et les écoles de sagesse dans
l’ancienne Egypte. 14 novembre 2017, 18h45.
34
Selon F. kange Ewane, il s’agit de la recherche permanente d’équilibre et d’harmonie en lui-même et autour
de lui-même ; ‘‘Religion et écologie’’ in actes du colloque international sur l’éthique écologique et
reconstruction de l’Afrique, Bafoussam, 1997, p.120.
19

pénétrer ‘‘un système de pensée ; mieux nous aurons compris la mentalité profonde d’une des
plus importantes civilisations de l’antiquité’’35. Ensuite il analyse les différentes obligations
morales aux quelles étaient astreints tous les desservants du culte (obligations de propreté
physique, la circoncision, les interdits alimentaires liés à la religion du nôme, l’abstinence
sexuelle au moins durant la période de présence dans le temple, style vestimentaire imposé,
etc.) et montre que, l’accession au sacerdoce obéissait à trois facteurs distincts, qu’il résume :
aux droits de l’hérédité, la cooptation et enfin l’achat. Il faut donc savoir gréer à Sauneron, le
mérite d’avoir non seulement procéder le plus loin possible à une analyse assez exhaustive du
clergé égyptien et des réalités y afférentes, mais aussi de nous avoir permis de comprendre
‘‘ le climat spirituel dans lequel s’élabora la science sacerdotale’’.

Enfin Adolf Erman et Hermann Ranke pour leur part, analysent dans leur ouvrage, le
déroulement de l’éducation à kemet, à travers trois chapitres importants : les chapitres 8 (la
famille), 14 (la science) et 15 (les belles-lettres). En effet dans ce collectif, les auteurs
montrent au chapitre 8, que l’éducation de l’enfant se déroulait en grande partie dans le cadre
familial, considéré alors comme le laboratoire où se peaufinent les premiers rudiments de la
société à inculquer à l’enfant. De plus, ces auteurs montrent que dans l’Egypte ancienne, ‘‘les
enfants des gens de qualité quittaient souvent la maison dès leur jeunesse la plus tendre et
étaient élevés dans le palais royal avec les enfants du souverain’’36. A défaut de cette piste, les
auteurs pensent que ces enfants devaient déjà se préparer à embrasser ‘‘leur carrière de
fonctionnaire, dans l’école d’une administration’’. L’enseignement dispensé à ces derniers de
manière générale portait selon les auteurs, sur l’enseignement scientifique, des exercices de
gymnastie, ainsi que la natation, sans oublier avant tout l’enseignement de la sagesse pratique,
de la science de la vie et des bonnes manières à adopter en société. En définitive si on peut
leur concéder le fait qu’ils ont su examiner de façon foncière l’ensemble des réalités relatives
à l’éducation familiale, force est de constater qu’ils ne ressortent pas suffisamment le fait que,
la littérature didactique de l’Egypte ancienne, a concouru de façon significative au
façonnement de l’éducation sociale égyptienne ancienne.

En définitive la consistance de ces travaux ne devrait en aucun cas laisser croire, que
c’est dans cette perspective que le présent travail s’inscrit. Loin de là nous avons tout
simplement suivi le chemin déblayé par ces prédécesseurs, en montrant les mérites ainsi que
les insuffisances de leurs travaux par rapport à notre champ d’investigation. Aucun de ces

35
S. Sauneron, Les prêtres dans l’ancienne Egypte, Paris, Seuil, 1998, p.8.
36
A. Erman et H. Ranke, La civilisation Egyptienne, Paris, Payot, p.222
20

auteurs en effet, ne s’est véritablement penché sur l’importance de l’éthique, dans l’érection
d’une véritable conscience sociale dans l’Afrique ancienne. Aucun d’eux par ailleurs ne
démontrent véritablement que l’éducation des peuples anciens, orientée et éclairée par le
‘‘maatisme’’, a impregné la quasi-totalité des domaines de la vie de ces peuples, au point d’en
constituer la toile de fonds de leur développement.

VIII. De la problématique aux hypothèses de recherche

De nombreux instruments de mesure de développement comme l’IDH, 37 permettent


d’évaluer la qualité de l’éducation dans un Etat à travers le taux de scolarisation, la qualité des
infrastructures scolaire et universitaire. Toutefois, on remarque progressivement que, malgré
un taux de scolarisation sans cesse croissant en Afrique subsaharienne, la qualité du système
éducatif qui a droit de cité, ne parvient pas véritablement à produire les effets escomptés
(notamment former un être qui soit en totale alchimie avec son milieu pour lui permettre d’en
avoir prise). Ce qui tend à susciter de l’anxiété et des interrogations en raison des multiples
dérapages que nous pouvons observer dans la société (népotisme, favoritisme, gabegie,
corruption). Or en plongeant aussi bien dans le passé des Egyptiens anciens que dans le passé
du peuple Binam précolonial, on se rend compte très vite que, ce qui prévaut actuellement
n’avait pas droit de cité, ou du moins n’avait pas l’ampleur qu’il a aujourd’hui. C’est dire
qu’aussi bien dans l’ancienne Egypte (2780-2280 av j-c) que dans le pays Binam précolonial,
la stabilité politique et administrative qui a regné, accompagnée d’une relative prospérité
économique n’est qu’en réalité le résultat de la qualité du système éducatif qui avait droit de
citer. C’est en effet ce système éducatif moulé profondément par la maât, qui a concouru à
l’émergence de véritables leaders (pharaon et le Fô), porteurs du message divin. Tout ceci a
créé donc les conditions favorables à la mise au pas de toutes les forces actives de ces
différentes communautés. Dans le contexte actuel à cet effet, tout porterait à croire que,

37
F. Anctil et L. Diaz, Développement durable, enjeux et trajectoires, Laval, Presses de l’Université de Laval,
2015, pp.142-143. Selon ces deux auteurs, l’indice de développement humain (IDH) a été élaboré à partir des
travaux d’une équipe d’économistes mandatée par le PNUD dans les années 1990, dont principalement le prix
Nobel d’économie Amartya Sen. Il s’agit des premières réponses aux nombreuses critiques du concept de
développement centré exclusivement sur la croissance économique et mesuré uniquement par le PIB. Ainsi en
mesurant les transformations du revenu par habitant, de l’espérance de vie à la naissance et du taux de
scolarisation, il est selon ces auteurs, possible de mieux refléter comment la qualité de vie dépend de conditions
qui ne sont pas la conséquence directe d’une croissance de la production économique au sein d’un pays ; (…) cet
indice porte une idée du progrès plus complexe et pluridimensionnelle que celle qui réduit le développement à la
croissance du PIB.
21

certains éléments essentiels auraient été négligés ou omis par le pédagogue contemporain 38.
Face à ce recul manifeste du système éducatif actuel et la recrudescence de certaines tares
qu’il entraine, certaines hautes personnalités ont exprimé des remords pour la morale
traditionnelle, socle du système éducatif ancestral. L’une d’elles, Alpha Oumar Konaré l’a
exprimé sans ambages à une journaliste du monde (1993) en ces termes :

(…) notre système éducatif a été conçu au départ pour former des agents de l’administration coloniale.
Aussi cette école est-elle, au pis, une immense fabrique des chômeurs, au mieux une fabrique de cadres
qui n’ont aucune prise sur la réalité. Car cette école ne prend en charge ni les cultures locales, ni
l’environnement, elle communique dans une langue étrangère. Cette école est une école d’exclusion 39.

Il en ressort de ce discours froid et incisif un appel, une invite, une exhortation à


retourner vivement à la morale traditionnelle africaine, jadis source de ‘‘stabilité’’ des
sociétés africaines anciennes. De ce qui précède, face à la déliquescence de ce système, on se
pose la question fondamentale qui est de savoir : quelle a été la place de l’éthique
traditionnelle dans le développement du système éducatif de l’Egypte ancienne et dans la
société ‘‘bamiléké’’ ante-coloniale ? S’il est vrai qu’une société ne peut connaitre que ‘‘le
destin que lui a forgé son système éducatif’’ pour parler comme Hilaire Sikounmo40, quel a
été le degré d’implication de l’éducation dans le processus de développement des sociétés à
étudier ? Telles sont là quelques interrogations dont la présente recherche se propose d’y
apporter des éléments de réponse.

IX. La méthodologie : de l’heuristique à l’exploitation des données accumulées

L’élaboration de la présente réflexion nous a amené à recourir à la mise sur pied d’une
méthode car, comme le disait Nietzsche ‘‘pour mener à bien une recherche donnée, les
richesses les plus précieuses sont les méthodes’’41. A cet effet, nous avons divisé notre
méthodologie en deux parties d’égale importance : D’un côté nous avons les sources, et de
l’autre nous avons les méthodes d’analyse.

1. Les sources utilisées dans ce travail

38
Rompu lui-même aux réalités de son milieu, et dont la mentalité et la conduite ont été façonnées par les
programmes éducatifs des anciennes puissances coloniales.
39
Alpha Oumar Konaré cité par H.Tourneux et O. Iyebi-Mandjeck, l’école dans une petite ville africaine
(Maroua, Cameroun), Paris, Karthala, 1994, p.264.
40
H.Sikounmo, l’école du sous-développement, gros plan sur l’enseignement secondaire en Afrique, Paris,
Harmattan, 1992, p.120.
41
F. Nietzsche cité par M. Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, p.67.
22

Elles ont été réparties en cinq catégories essentielles à savoir : les sources orales et les
sources écrites, les sources linguistiques, numériques, iconographiques, et enfin audio-
visuelles.

La collecte et l’exploitation des sources orales nous ont amené à effectuer des descentes
à l’Ouest-Cameroun. Nous avons d’abord été à Bandjoun (dans le Koung-khi) où nous avons
beaucoup séjourné, puis nous avons continué à Bangangté (dans le Ndé) où on s’est rendu
dans les quartiers de Mfetom et Fatgo-neta. Le mode de sélection des interlocuteurs s’est
effectué sur la base de leur âge, de leur statut social, mais aussi de leur maitrise avérée des
coutumes et traditions Binam.

Après avoir glané les données orales (sur la base d’un guide d’entretien privé), il s’est
agi de procéder à un amoncellement des différentes sources écrites qui ont permis la rédaction
du dit travail. Ce qui nous a conduit logiquement dans les différents centres de documentation
publics et privés de Yaoundé : la bibliothèque centrale du MINRESI, l’institut national de
l’éducation, l’institut français de la culture (IFC), les bibliothèques des Universités protestante
et catholique d’Afrique centrale à Djoungolo et Nkol-Bisson, ainsi qu’au cercle d’Histoire-
Géographie-Archéologie de Yaoundé I et à la bibliothèque de la Falsh. Nous avons pu
exploiter non seulement les ouvrages d’Histoire de la civilisation égyptienne, mais aussi les
ouvrages relatifs à l’anthropologie, l’ethnologie, à la psychologie de l’Ouest-Cameroun. Cette
approche a permis une meilleure lecture critique et évolutive tant de l’éducation coutumière
que de l’éducation moderne, héritée de la période coloniale.

Ensuite, nous avons eu à recourir aux sources égyptiennes pour une lecture satisfaisante
de ce que fut l’éthique et l’éducation en Egypte antique. Et pour se faire, il a fallu faire appel à
la linguistique historique qui nous a aidées, tant du côté égyptien (à travers les textes
égyptiens) que du côté Binam (les contes). En effet, comme dans toute étude comparative (de
deux sociétés aux réalités sociohistoriques contrastées), la linguistique historique permet au
chercheur d’exhumer les réalités d’une civilisation révolue par la maitrise des sources
épigraphiques y afférentes. D’ailleurs fort conscient de cela, Emmanuel Bitong a eu à relever
avant nous l’importance de cette discipline complémentaire de l’histoire en ces termes : ‘‘La
linguistique est une arme efficace, pour défossiliser les réalités immergées que cache la
langue42’’.

42
E.Bitong, ‘‘l’Egyptien Medou Netjer et le bassa bangà : deux désignations originales de l’écriture comme
Paroles divines chez les Negro-africains’’, Mémoire de DEA en Histoire, Université de Yaoundé I, 2003, p.11.
23

Nous ne pouvons achever cette étude sans spécifier les différentes méthodes d’analyse à
adopter.

2. Les méthodes d’analyse

Dans ce travail, il a été question de faire recours à l’approche qualitative comme mode
d’investigation idéale, pour analyser de façon significative l’éducation dans l’Afrique
ancienne en général. Ce choix s’explique par le fait qu’en sciences humaines comme en
sciences sociales, l’approche qualitative est une approche qui vise à donner sens au
phénomène étudié au-delà de l’observation, de la description, de l’analyse, de l’interprétation,
ou de l’appréciation du contexte. En plus, elle a la particularité de pouvoir mieux mettre en
lumière les mentalités, les attitudes et les comportements (qui ne sont pas des données
quantifiables à proprement parler) qui existent dans une communauté humaine, et lui donnent
un visage particulier. Après avoir choisi l’approche qualitative comme technique
d’investigation appropriée à la réalisation de cette étude, nous avons par la suite adopté
comme démarche scientifique, la démarche hypothético-déductive car elle fonde son action
ou analyse aussi bien sur nos sens que sur la raison. En partant de l’observation et de la
description, on formule un certain nombre d’hypothèses qui, en faisant appel à nos sens
nécessitent un travail de terrain, visant à les vérifier. En cela elle combine aussi bien les atouts
de la démarche inductive que ceux de la démarche déductive.

Cela étant, nous avons opté dans ce travail, pour une approche transdisciplinaire. La
transdisciplinarité a consisté à interpreter, les faits éthique et éducatif à partir des données de
l’anthropologie et de la psychologie culturelle, pour en faire une Histoire des civilisations.

On ne peut clore ce volet méthodologique, en passant sous-silence la nécessité


d’exposer l’importance de l’approche comparative43 dans ce travail. En effet, la formulation
même de la présente réflexion, laisse transparaitre le dessein d’étudier et de confronter deux
peuples, mieux d’établir un parallélisme entre ces deux sociétés afin d’extraire ce qui a fait
leur ‘‘originalité’’ culturelle respective. Une telle approche implique par conséquent que l’on
décrive, analyse et interprète en amont, les caractéristiques de chacune de ces deux
communautés sociales. Puis que l’on fasse ressortir les similitudes ou convergences que

43
Dans toute approche comparative, certes il s’agit de prime abord d’examiner la similarité ainsi que les
dissemblances existantes entre deux sociétés ; mais en réalité le but véritable est de montrer que, bien qu’il existe
des points de convergence et de contraste entre elles, le plus important c’est surtout de ressortir la théorie de
Franz Boaz selon laquelle, chacune des sociétés ou communautés (à étudier), de par la morphologie voire la
configuration de ses éléments internes, de par la structuration de ses institutions, constituent un
particularisme historique.
24

peuvent éventuellement partager ces deux civilisations, et enfin relever les différences, voire
les contrastes qui existent en raison des variances géographiques.

3. Enonciation du schéma de structuration et de rédaction du travail

Le present travail intitulé ‘‘Ethique et éducation en Négro-culture : le cas des anciens


Egyptiens (2780-2280) et du peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté’’, par souci
d’éfficacité méthodologique, a été structuré en quatre chapitres44, tous repondant
graduellement à la préoccupation centrale du dit travail.

Le premier chapitre intitulé ‘‘La conception de l’éthique et ses ressorts chez les anciens
Egyptiens de l’Ancien Empire et le peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté’’, expose
l’entendement que se font les Africains antiques de cette réalité. D’une part, il montre que
l’éthique est même au fondement de l’ordre dans sa double dimension sociale et cosmique. De
ce fait, elle concoure parfaitement à l’équilibre, à l’harmonie communautaire, en faisant de
l’individu sur le plan sociétal, un être en adéquation avec son environnement. D’autre part, il
montre que cette singularité de vivre en société des Kamit, n’est en réalité que, le résultat de la
conjugaison d’une mosaique de facteurs, dont les cosmogénèses45.

Intitulé ‘‘La conception de l’éducation et son organisation chez les anciens Egyptiens
(2780-2280) et le peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté’’, le deuxième chapitre lui,
présente l’éducation comme un processus cognitif et affectif qui humanise l’individu, tout en
lui permettant d’acquérir le savoir-faire nécessaire à son insertion socio-professionnelle.
Ensuite, il décrit et analyse les différentes phases de ce processus.

Le chapitre trois, est quant-à lui, formulé ‘‘Le lien entre l’éthique et l’éducation chez les
anciens Egyptiens de la vallée du Nil (2780-2280) et le peuple Binam de Bandjoun et de
Bangangté’’. Il examine la corrélation qui existe entre ces deux réalités, tout en montrant
qu’elle va connaitre des mutations aux périodes postérieures à celles étudiées.

Pour sa part, le chapitre conclusif s’intitule ‘‘Les retombées du lien entre l’éthique et
l’éducation chez les Kemetyou et le peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté’’. Il examine
explicitment l’impact de la causalité qui existe entre ces deux realités au triple plan :
politique, économique, et social.

44
De façon générale, ces quatre chapitres visent à étayer la profondeur de l’unité égypto-africaine.
45
Cosmogénèse n’est qu’un synonyme de cosmogonie ; son emploi ne devrait en aucune façon contrarier le
lecteur.
25

X. Les difficultés rencontrées

Nous refermons cette rubrique introductive, par un examen des difficultés concrètes
auxquelles la réalisation effective du présent travail s’est heurtée. En effet l’élaboration de la
présente réflexion ne s’est pas faite sans anicroches. De ce fait lors de nos descentes que ce
soit dans le Koung-Khi ou dans le Ndé, nous avons noté une certaine réticence plus ou moins
voilée de la part de nos interlocuteurs, qui semblaient alors embarassés. Bien que cet état de
chose soit naturellement compréhensible, il faut penser que ces réalités n’ont pas du tout
facilité la collecte des données orales. En plus soulignons-ici l’indisponibilité de deux
informateurs potentiels importants qui auraient pû apporter une lumière au présent travail : les
chefs supérieurs de Bandjoun et de Bangangté, ses majestés Djomo Kamga Honoré et Nji
Moluh Seydou Pokam. Nous avons sollicité à les rencontrer, mais cela n’a pas été
manifestement possible car, tandis que le chef supérieur de Bandjoun était en déplacement du
fait de ses fonctions sénatoriales, celui de Bangangté devait présider ce jour d’importantes
réunions à la chefferie. A côté de ces indisponibilités royales, nous déplorons parailleurs le
fait que, le chef de la communauté Bandjoun de Yaoundé, le député Albert Kounché et son
adjoint Mr Wafo, n’aient pas accéder à notre demande d’obtenir au près d’eux des
informations. Malgré notre insistance, et les pièces justificatives que nous avons présentées,
aucun d’eux n’a daigné nous recevoir. S’il ne nous revient de juger une telle attitude, il faut
croire qu’elle est apagogique car, les raisons avancées par leur service d’accueil, nous ont
montré explicitement, qu’ils voyaient (à tort) en cette investigation, une manœuvre dolosive et
périlleuse. Toutefois, nonobstant cette déconvenue, nous avons essayé tant bien que mal, de
rassembler des informations auprès de certaines personnalités des cours royales et
d’intellectuels des dites villes. En outre, à coté de ces difficultés liées à la collecte des sources
orales, soulignons également l’absence de certains ouvrages. En effet, le facteur humain n’est
assurément pas le seul qui ait constitué une entrave à la réalisation du dit travail. De
nombreux documents en Egyptologie46 et sur la civilisation Binam, auraient pû abonnir la
qualité de ce travail, et lui aurait permis de facto, de gagner en épaisseur scientifique.

Espérons donc à présent que, les difficultés et obstacles sus-évoqués ne puissent


entacher la qualité de ce travail.

46
Des ouvrages tels P.Vernus, les Sagesses dans l’ancienne Egypte, J. Pyrenne religion et morale dans
l’ancienne Egypte, C. Desroches Noblecourt, La femme dans l’ancienne Egypte au temps des pyramides, Z.
Zaba, Les Maximes de Ptahhotep, D. Bonneau, La crue du Nil, divinité égyptienne, sans parler de certains
ouvrages de J. Assman. A côté de cela, les sources épigraphiques relatives au système éducatif à kemet durant
l’ère des monuments de pierre, ont partiellement fait defaut à cette étude.
26

CHAPITRE I
CHAPITRE I : LA CONCEPTION DE L’ETHIQUE ET L’EDUCATION CHEZ LES
ANCIENS
LA CONCEPTION EGYPTIENS
DE L’ETHIQUE ET RESSORTS
ET SES LE PEUPLECHEZ
BINAM
LES ANCIENS
EGYPTIENS (2780-2280) ET LE PEUPLE BINAM BANDJOUN ET BANGANGTE
DEDEBANGANGTE

Le cloisonnement linguistique de l’Afrique traditionnelle a longtemps servi de prétexte à


l’érudition moderne raciste pour recuser toute parenté nègre à la civilisation égyptienne
ancienne. Fort heureusement l’unité culturelle de l’Afrique aujourd’hui, grâce aux immenses
travaux de penseurs noirs, ne fait plus l’ombre d’un doute. Or affirmer l’unité culturelle du
continent noir, c’est aussi soutenir l’homogénéité des traditions africaines en démontrant une
certaine constance dans le savoir-vivre, dans l’éthique, dans la bienséance quotidienne. Ainsi
l’éthique ou manière de vivre en général, correspond au savoir-être, à la capacité de produire
des actions et réactions adaptées à la société humaine et à l’environnement. Elle exprime
également l’ensemble des conceptions vitalistes religieuses et philosophiques dans lesquelles
est immergée une communauté humaine, et qui par delà, influencent sa conduite.

Dès lors il s’agit dans ce chapitre, de présenter la conception de l’éthique et ses


différentes manifestations (sociale et cosmique) dans ces deux univers culturels, tout en
ressortant le fait selon lequel, ce sapere-vivere n’est en réalité que la matérialisation de
l’influence d’une myriade de facteurs.

I - L’éthique chez les anciens Egyptiens et le peuple Binam : De la / m3ct/


maât47 au savoir-être Bamiléké (en Medumbà nu ne ku ndà neta48)

L’éthique est un vocable plurivoque et dont la perception véritable, varie d’une aire
culturelle à une autre. Or dans chaque société, elle se manifeste à travers des us et coutumes
qui ponctuent au quotidien les interactions. Ces us et coutumes, qui font jurisprudence en tant
que normes de la conduite anthropologique sur le plan social et cosmique, ne sont pas des
données écrites codifiées. Si elles ne sont consignées dans aucun texte par le canal de l’écrit
(comme c’est le cas du constitutionnalisme moderne), cela n’affecte en rien leur juridicité et

47
La période étudiée dans l’Ancienne Egypte est l’Ancien Empire ; mais étant donné la rareté et donc
l’insuffisance des sources y relatives, des incursions sont faites de temps en temps dans d’autres périodes.
48
G. Nana, Proverbes des Grass fields ou reflet des mœurs Binam, Yaoundé, Ifrikiya, 2014, p.133.
27

leur sacralité. Leur sacralité est liée aux ancêtres fondateurs, qui les ont élaborées et fixées
définitivement pour le bien de la communauté. De ce fait, elles deviennent inviolables,
inviolables parce que cette sacralité ancestrale à laquelle elles sont liées, leur confère un
caractère éminemment divin, voire transcendantal. Ce rappel nous permet ainsi de
comprendre la raison pour laquelle, les Africains anciens, n’ont à aucun moment, éprouvé la
nécessité de codifier les règles régissant le fonctionnement de leur société. Ici seule
l’intentionnalité de la norme est valorisée.

Il importe par conséquent, de décrire et d’analyser l’éthique (en tant que norme) dans sa
double dimension sociale et cosmique dans l’Afrique ancienne.

1 – Ethique comme fondement de l’action humaine sur le plan social

De manière holistique toute langue véhicule une vision du monde, mieux celle d’un
peuple qui s’enracine dans un cadre géographique particulier. Et ce cadre spatial a ses réalités
qui lui sont propres, et qui par conséquent façonnent la mentalité et le comportement des
composantes sociologiques qui y vivent. En effet c’est pour dire que ce qu’on appelle
aujourd’hui éthique, renvoie chez les kemetyou à la Maât49, réalité sociale millénaire.
Contrairement à la pensée occidentale qui, en raison de sa forte connotation individualiste

perçoit l’éthique comme une recherche d’abord du bien personnel, la / m3ct/


maât quant à elle, se veut une quête permanente du bien collectif, de la volonté générale car,
ici l’individu pris isolément (et calfeutré sur lui-même) est un élément faible et
contreproductif. Ses efforts déployés n’ont de valeur que lorsqu’ils concourent à
l’épanouissement de la société, à sa stabilité. D’ailleurs c’est pour souligner la primauté de la
société sur l’individu et la nécessité pour ce dernier de collaborer avec ses semblables qu’un
proverbe Binam (notamment Medùmbà) dit ‘‘ be ta’ tù ke tù’ fèn50 ’’, c’est-à-dire ‘‘un seul
arbre ne fait pas la forêt’’.

Maât en outre, ce concept fédérateur de vérité-justice renvoie d’abord à l’ordre. Pour


certains égyptologues, il ne s’agit pas d’un ordre imposé par le divin, mais plutôt d’une
émanation de la volonté populaire d’implémenter un corps de normes devant régir de manière
efficiente la vie sociale. Il s’agit également de la volonté librement exprimée par les Egyptiens

49
Voir R.O.Faulkner, A concise Dictionary Of Middle Egyptian, p.126 et R. Lambert, Lexique hiéroglyphique,
Paris, Paul Geuthner, 1925, p.172. Voir aussi W.Budge, An Egyptian Hiéroglyphic Dictionary, p. 432. Ces trois
auteurs sont spécialisés dans la lexicographie égyptienne ancienne.
50
G. Nana, Proverbes des GrassFields, p.137.
28

anciens, d’instaurer un climat de confiance mutuelle qui concoure au bon fonctionnement de


la société. C’est dans ce sens qu’il faille cerner cette affirmation de Guillemette Andreu
lorsqu’elle dit :

La maât régit l’Egypte, mais ce n’est pas un ordre imposé par le haut, elle émane de l’esprit égyptien. Car
c’est ce peuple qui, comme c’est le cas dans toutes les sociétés anciennes, a inventé, créé ses dieux et ses
rois(…) Et le respect, l’adhésion, l’affection que le peuple égyptien porte à son pharaon sont intimement
liés au fait que celui-ci est le garant de la maat et de l’accord avec les dieux 51 .

De son côté Jean-Claude Goyon dans une mouvance analogue à la précédente, pense

que l’ordre établit à kmt /Kemet ne résulte ni du divin, encore moins du vouloir
spontané des Egyptiens d’instaurer un climat propice à la stabilité et la prospérité. Mais cet
ordre pour lui est intimement lié au souci permanent (de tout Egyptien) d’échapper aux affres
de tout système anarchique où rien ne subsiste à la fin. C’est dans ce sens qu’il
affirme : ‘‘œuvrant pour Maât et selon Maât, l’ordre pour la vie, le peuple d’Egypte a enfermé
son histoire dans la conviction de sa responsabilité commune, librement consentie ou imposée
par la crainte d’une rupture d’équilibre entrainant la catastrophe cosmique’’.52

La dimension sociale de Maât53 dans l’ancienne Egypte se traduit ainsi par le fait que, le

/Nbty/Nebty54 (Pharaon), en tant que, fils de Rê et substitut terrestre d’Horus, se doit

de veiller continuellement au maintien de l’ordre, de la /htpw/hetepou (paix) et


de la justice sociale. Bien évidemment ceci passe par une soumission absolue (qui en est la
condition sine qua none pour toute réussite) des populations au guide suprême, mais aussi par
une solidarité sans faille dans toute initiative individuelle ou collective. C’est pourquoi en tant
qu’ordre social, la notion de maât repose sur la prépondérance du bien-être collectif, qui n’est
rien d’autre que la conformité au pharaon, devenant de ce fait la clé de voûte de tout un
système parfaitement coordonné.

51
G. Andreu, ‘‘la vie quotidienne au temps des Pharaons’’, in Le Point, Paris, décembre 2002, n°1579-1580,
p.134.
52
J-C Goyon, ‘‘Le secret des Egyptiens’’, in Revue Sciences et vie, Paris, décembre 1996, hors-série n°197,
pp.154-156.
53
Pour plus d’informations, lire à ce propos, l’ouvrage de J. Assman, Maât ou l’idée de justice sociale dans
l’Egypte pharaonique, Paris, Julliard 1988, et celui de B. Menu, Maât l’ordre du monde, Paris, Michalon, 2005.
Voir en outre, M. Perraud, ‘‘Maât entre ordre universel et justice’’, in magazine Toutankhamon, Paris, fevrier-
mars, 2003, n°7. Ces trois auteurs comme les trois précédents lexicographes (Faulkner, Budge, Lambert) font
une analyse détaillée de la maât, en essayant d’exprimer les différents sens qu’elle revêt dans la culture
pharaonique.
54
Signifiant les deux maitresses protectrices (vautour Nekhbet et le cobra Ouadjet) de la Haute et de la Basse-
Egypte, c’est l’un desTitres portés par Pharaon depuis l’Ancien Empire.Voir A.Erman et H.Grapow, Wörterbuch
der Aegyptischen Sprache, p.233. Dans cette lancée lire Faulkner, A concise Dictionary of Middle Egyptian,
p.129, et Sir W.Budge, An Egyptian Hiéroglyphic Dictionary, volume I, p. 358.
29

De même, ce savoir-vivre en tant que recherche perpetuelle de l’ordre et la justice sur le


plan social, est également visible chez le peuple Binam. En effet, chez le peuple Binam55 en
général, Bangangté et Bandjoun en particulier, l’éthique consiste en un savoir-être ou savoir-
vivre qui est la somme, d’un ensemble d’interdits et de règles sociales qui facilitent l’insertion
progressive de l’individu sur le plan communautaire. Et comme nous nous trouvons en
Afrique traditionnelle, cette éthique est chez le peuple Binam, intimement liée au sacré. En
effet dans la société Binam, on peut noter dans diverses expressions (qui sont également des
noms propres) l’omniprésence d’un Dieu suprême, de cette entité intemporelle et incréée
(coextensive à toute idée et à toute chose dans la nature) qui semble occuper littéralement
toutes les pensées dans les villages Bandjoun et Bangangté. Cette crainte de Si56 ou Tchiepo57
qui incite le paysan à un meilleur comportement, est visible à travers les expressions en
Bandjoun telles que : Si be Fo (dieu est roi), Si ka ti (dieu veille), ou encore Si tam dzé (que
dieu passe devant), you bi Si (soumet toi au seigneur), ou encore Si pieng (dieu a accepté) et
Si kapieng (dieu n’a pas accepté). De ce qui précède, on peut observer que la religion est la
source de tout chez le peuple Binam et rien ne peut véritablement se concevoir en dehors
d’elle. Elle est le socle de toute réalité à telle enseigne que les autres éléments tels que
l’éthique (dont il est question) se trouve inféoder à elle. C’est dans cette perspective qu’il
faille donc cerner Léon Kamga58 (à propos de la religiosité du peuple Binam) quand il
affirme :

Dans cette civilisation, l’imbrication inextricable du profane et du religieux transforme l’espace vital en
un véritable temple peuplé de dieux, d’autels, de prêtres, d’esprits et de totems (...) dans ce microcosme
sacré, toute violation même inconsciente, des normes fondamentales peut être fatale pour l’individu et
nocive à l’équilibre cosmique global. La mort elle-même n’est pas une impasse mais plutôt une traversée
vers une vie supérieure…

L’éthique dans l’ancienne Egypte, c’est rechercher le bien dans ses relations sociales, en

valorisant la vérité pour contrecarrer l’instauration de /Isft/Isefet (désordre, de


l’iniquité). De même chez le peuple Binam, le savoir-vivre selon les mpfesi59 (les ancêtres),

55
Le terme Binam désigne géographiquement l’Ouest, c’est-à-dire, ‘‘ là où le soleil se couche’’. Sur le plan
culturel il renvoie à l’ensemble des peuples de l’Ouest-Cameroun qui, nonobstant leur forte diversité linguistique
et coutumière, forment qu’un seul peuple à travers les modes de vie.
56
En Medumbà, l’Etre suprême est appelé ‘‘Nsi’’ ; on voit bien que l’orthographe est presque le même qu’en
Ghomàlà sauf qu’il y a l’ajout du N en amont.
57
Il s’agit d’une des divinités les plus importantes du panthéon Binam ; Léon Kamga l’assimile au ‘‘Dieu
suprême’’ dans son ouvrage. Voir la page 408.
58
L.Kamga, Le la’akam ou le carnet d’initiaton, p.13.
59
En Medumbà, on les appelle ‘‘Mângᵾdnzeh’’ selon Nanja Neutchap Théophile, Yaoundé, 27 octobre 2017.
Spécialiste en linguistique Medumbà, il fait partie du Comité de langue et d’étude pour la production des œuvres
Medumbà (CEPOM) basé à Bangangté. Il a publié Le verbe et la conjugaison en Medumbà, Yaoundé, CEPOM,
2017, mais aussi Medumbà, l’orthographe, Yaoundé, CEPOM, 2017.
30

c’est dire la vérité (noue-ninio60), c’est faire le bien (noue-pepoung61). Agir selon les ancêtres,
c’est aussi éviter de faire du mal (noue-tcheupoung62) à l’autre en banissant le mensonge
(tchwa-noue63). D’ailleurs Justin Fotso résume l’éthique traditionnelle ‘‘bamiléké’’ en ces
propos :

Hier m’a conçu, aujourd’hui m’a accouché et demain m’a pris et m’a mis dans la terre ; c’est pour dire
que l’éthique c’est le fait de vivre chaque étape de la vie pour être heureux(…) le savoir-vivre chez nous,
c’est savoir comment plaire à l’autre et être content que l’autre est content. On dit en bandjoun ‘‘mum
teum diè keke’’ c’est-à-dire savoir quelles sont les causes qui t’ont fait sortir de chez toi pour venir me
rencontrer ; cela permet qu’on puisse échanger 64.

Par ces propos nous pouvons remarquer que, l’éthique consiste pour chaque Bandjoun à
chercher à tisser les relations humaines solides qui témoignent, de leur souci d’unité et de
cohésion sociale. Cette approche permet de renforcer les liens sociaux et favorise une plus
grande solidarité.

Le savoir-vivre dans toute communauté se matérialise en outre, par des marques de


civilité entre différents individus qui se connaissent ou non. Cette courtoisie ou déférence
quotidienne dont les uns et autres, font preuve, doit être mutuelle ou réciproque car, elle
exprime le respect absolu de la hiérarchisation sociétale. C’est pourquoi le savoir-vivre chez
le peuple Binam, c’est le fait de savoir s’adresser à des ainés (par delà toutes privautés), de
savoir les saluer car cela traduit toute la considération qu’on a pour nos supérieurs ; Justin
Fotso a pu dire à cet effet :

l’éthique c’est le fait de savoir s’arrêter devant un ainé et de pouvoir le saluer en lui demandant de ces
nouvelles et celles de sa famille ; il peut ne pas te répondre que cela ne te décourage pas, salue le quand
même tu auras fait ton devoir(…) l’éthique c’est le fait de savoir prendre avec deux mains (ntu nteu
ntubu) ce qu’on vous donne car la gratitude est une valeur sacrée à l’Ouest 65.

Si la courtoisie est de rigueur chez le peuple Binam, reconnaitre sa place en acceptant de


porter ‘‘le sac d’un plus grand’’ fait partie également de la conduite morale à tenir en société.
En effet il n’y a pas de honte d’accepter l’aide d’un plus grand car la vie étant dynamique et
non statique, nous sommes appelés à travailler dur pour changer notre situation et atteindre si
possible les cimes de la hiérarchie sociale. Nous ne devons donc en aucun cas, ressentir de
l’amertume ou de la jalousie au regard du succès ou de la réussite de certaines personnes. Au

60
L.Kamga, Le la’akam ou le carnet d’initiation, p.24. En Medumbà, on parle de ‘‘ne nᵾn’’ ; Nanja Neutchap
Théophile, 27 octobre 2017.
61
Nanja Théophile. En Medumbà, on parle de ‘‘mebwo’’.
62
Idem. En Medumbà, on parle de ‘‘kebwo’’.
63
Idem. En Medumbà, on parle de ‘‘tadte’’.
64
Fotso Justin, 79 ans, traditionaliste, Bandjoun, 26 avril 2017.
65
Idem.
31

contraire il doit être pour nous une source de motivation supplémentaire dans notre quête du
bien-être. Léon Kamga l’a parfaitement cerné quand il s’exprime en ces termes :

Il n’y a aucune honte à accepter l’autorité d’un plus puissant. Cela ne veut aucunement dire que l’individu
restera figé, immobile. Au contraire la société encourage et reconnait à chacun le droit de progresser
jusqu’aux cimes de l’échelle sociale. Il suffit tout simplement de travailler dur et d’exceller dans son
domaine66.

A coté de cette politesse, le savoir-vivre dans l’Afrique ancienne se matérialise de plus,


par l’amour du prochain qui, dans une certaine mesure engendre l’hospitalité, ce penchant à la
convivialité et à l’accueil désintéressé des étrangers. Nous connaissons la fameuse hospitalité
legendaire africaine pour qui, l’étranger se doit d’être considéré comme une richesse. Sous ce
prisme, l’Egypte ancienne semble avoir été, et ce durant des siècles, une terre d’accueil pour
les étrangers et les exilés. Les populations étrangères67 telles que les Nubiens, les Libyens, les
Perses, les Assyriens et même le peuple Hébreux (attesté dans la Torah) y ont séjourné pour
des raisons multiformes. Nous savons par ailleurs, que les savants Greco-romains furent
légion à s’établir à Ta-méri au cours d’un pèlerinage intellectuel et scientifique. Nous
pouvons citer Hérodote d’Halicarnasse, Polybe, Strabon, Pythagore de Samos, Diodore de
Sicyle, Thalès de Milet, la liste est loin d’être limitative. Ce penchant à vouloir ériger
l’hospitalité et l’oblativité en une norme sociale, est même prescrit et recommandé par les
moralistes égyptiens anciens. C’est dans cette mouvance que s’inscrit le sage Aménémopé en
ces termes : ‘‘N’oublie jamais que l’étranger est ton frère, et ne passe à pas coté de lui avec ta
jarre d’huile sans t’arrêter68’’.

Toutefois cette qualité qu’est l’hospitalité ne se veut exclusivement l’apanage de Taouy.


Elle se retrouve également chez les peuples situés au Sud du Sahara, pour qui, un hôte mal
reçu, est un déshonneur et une honte pour la maison lui ayant servi d’abri. C’est pourquoi, on
peut le remarquer à travers ce conseil prodigué par un père Ouest-africain à son fils : ‘‘Quand
tu seras grand, tu ouvriras ta porte à l’étranger, car le riz cuit appartient à tous. L’homme est
un peu comme un grand arbre : tout voyageur a droit son ombre. Lorsque personne ne viendra
chez toi, c’est que tu seras comme un arbre envahit par des fourmis rouges : les voyageurs te
fuiront69’’.

66
L.Kamga, La’kam ou le carnet d’initiation, p.258.
67
Le cosmopolitisme à kemet a de tout temps été la preuve de son indéniable hospitalité ; seulement toutes les
populations sans exception qui s’implantaient étaient naturellement soumises aux législations en vigueur.
68
E. Laffont, Les livres de Sagesses des Pharaons, Paris, Gallimard, 1979, p.124.
69
S. Badian, Sous l’orage, Paris, Présence africaine, 2001, p.118.
32

De nos jours il est vrai que l’on dit souvent ‘‘le bonheur des uns fait le malheur des
autres’’ ; mais en réalité cette conception est étrangère à la culture africaine en générale, et
kamito-Binam en particulier. En effet le bonheur d’un individu lié à une circonstance (attente
d’un enfant, réussite sociale) ne faisait pas uniquement sa joie, mais également celle de son
entourage. De même les événements douloureux auxquels il faisait face, n’étaient en aucun
cas considérés comme étant son fardeau à lui seul, mais plutôt celui de toute la société (en
témoigne les rites de purification, et de protection). Ce sentiment de solidarité était motivé par
le fait que chacun ne sait pas ce que lui réserve le destin. C’est pourquoi un proverbe Binam
en Medumbà dit ‘‘yàm sèn, yu ndamn ju70’’, aujourd’hui mon tour, demain le tien.

Mais cette solidarité n’est pas synonyme de charité, car la structure sociale repose sur la
méritocratie, sur le culte de l’effort. La solidarité chez les Bandjoun et Bangangté se mérite
dans la mesure ou une solidarité gratuite, c’est-à-dire une aide inconditionnelle peut
hypothéquer dangereusement le culte de l’effort et ouvrir la porte à des maux tels la paresse,
la mendicité ou le parasitisme. C’est la raison pour laquelle chez les peuples de l’Ouest, il
existe un proverbe qui, mettant en garde les flemmards et parasites, dit : ‘‘on ne saurait laver
convenablement celui qui ne se donne même pas la peine de se frotter’’.

Cependant, bien que l’éthique (Maât) à Taouy est une réalité normative de la vie
humaine en société, dans l’espace Binam Bandjoun et Bangangté par contre, elle correspond
concrètement à un savoir-vivre hérité des ancêtres qui, consiste à l’intériorisation d’un
ensemble d’interdits71 de diverses natures tous liés aux croyances traditionnelles. Et c’est
précisement à ce niveau qu’il faille relever le contraste avec kemet. Pour des raisons de
concision nous n’en évoquerons que deux grandes catégories : les interdits d’ordre alimentaire
(y compris agricole et pastoral) et les interdits d’ordre cosmique.

Dans toute investigation à caractère ethnographique, tout chercheur qui s’aventure à


analyser les mœurs et coutumes du peuple Binam est confronté à l’extrême variabilité des
coutumes de l’Ouest-Cameroun dans la mesure où chaque chefferie (structure politique et
religieuse) a ses réalités qui lui sont spécifiques. L’entendement ou la perception d’une réalité
à Bangwa ou à Tomdjo, n’est pas forcément le même qu’à Bangangté ou à Bandjoun.
D’ailleurs le géographe et sociologue Jean Hurault l’avait déjà souligné dans son ouvrage la
structure sociale chez les Bamiléké en ces termes : ‘‘ la principale difficulté de cette étude est

70
G. Nana, Proverbes GrassFields ou reflet, p.137.
71
Pour avoir une vue globale des interdits Binam en général, et Bandjoun en particulier, lire L.Kamga, La’akam
ou le carnet d’initation, pp.258-259.
33

la grande variabilité des coutumes d’une chefferie à l’autre ; il n y a pas deux chefferies
identiques ; chacune forme un univers ayant ses lois, sa structure, ses croyances, sa langue 72’’.
Certes l’hétérogénéité des us et coutumes Binam est une lapalissade, mais l’on ne doit pas
perdre de vue que les sociétés Binam constituent en réalité, des sociétés reposant sur un fond
commun de culture. En effet le bon sens étant la chose la mieux partagée, les différents
peuples de l’Ouest (notamment Bangangté et Bandjoun) bien que marqués par une diversité
de langues partagent presque les mêmes valeurs ou idéaux, si bien qu’il serait absurde d’en
contester la véracité. C’est dans cette mouvance que semble s’inscrire Léon Kamga lorsqu’il
affirme :

Malgré leurs diversités, toutes les coutumes d’Afrique cultivent chez l’homme les mêmes vertus de
simplicité, d’honnêteté, d’altruisme et le même sens de l’amour de l’autre. Il en résulte par conséquent
que l’éthique exigée par la cohésion et l’harmonie sociale en pays Bamiléké est à quelques rituels près, la
même qui s’impose aux zoulou de l’Afrique du sud, aux baluba du Congo démocratique ou aux bambara
du Mali, bref, à toute l’Afrique au sud du Sahara 73.

Sur le plan agropastoral, on retrouve des interdits qui frappent ici les femmes74, là des
hommes, conférant à chaque genre une sorte de monopole économique. Les femmes dans leur
écrasante majorité supportent le poids des travaux agricoles. Elles sont autorisées à cultiver la
banane douce, les ignames, les tomates, les haricots, patates etc. Toutefois il leur ait proscrit
la culture du plantain et de certaines cultures arbustives. En effet si comme le montre Jean
Hurault, le régime de plantain constitue le présent par excellence que tout habitant va porter
au chef quand il va le visiter, plusieurs considérations magico-religieuses, entourées d’un
voile d’incertitude, s’accordent à souligner la fonction occulte de cette culture. Jean Hurault a
pu lors de son séjour à Bandjoun et à Batié recueillir les raisons y afférentes, en voici
l’économie :

on pense que si un homme magicien possédant le pouvoir de se changer la nuit en panthère ou en un


autre animal, c’est par l’intermédiaire d’un des plantains de sa concession qu’il demeure lié à son corps
au cours de ses expéditions nocturnes. Ainsi s’explique qu’une des sanctions appliquées à un homme
accusé de sorcellerie consiste à venir couper ses plantains 75.

72
J. Hurault, La structure sociale des Bamiléké, Paris, Mouton, 1962, p.1.
73
L.Kamga, La’a Kam ou le carnet d’initiation, p.8.
74
Selon le Prof. Mbah Gabriel (linguiste spécialiste du Ghomàlà et membre de l’ANACLAC), ‘‘une femme
pouvait avoir sa volaille, mais elle ne vendait jamais le coq, car le coq est reservé toujours pour le mari. De
même elle pouvait récolter les bananes mais pas le plantain car, c’est lui qui distribue le plantain et le vend. On
estime que c’est l’homme qui procure à la femme l’huile et le bois pour préparer. C’est encore lui qui achète des
médicaments pour la soigner quand elle est malade et pourvoie à d’autres besoins de la maison’’. 23 Novembre
2017 à l’Université de Yaoundé I.
75
J.Hurault, La struction sociale des Bamiléké, p.17. Sur cette même page, l’auteur montre que l’essentiel du
travail agricole à l’Ouest-Cameroun, est réalisé par la gente feminine.
34

Cet éclairage vient à point nommé car il permet, de mieux comprendre pourquoi cette
culture est dans certaines régions Binam l’apanage de l’homme. Sur le plan pastoral,
notamment de l’élevage la femme subit en outre des interdits ; si elle peut élever des poules et
des cochons, elle ne peut élever (excepter les mafo) ni chèvre ni mouton, ni coq. S’il ne nous
revient nullement de juger ces interdits agropastoraux il faut reconnaitre qu’ils sont de nature
plus sociale que religieuse car, ils servent à légitimer en réalité la supériorité de l’homme sur
la femme dans l’univers Binam.

A côté de ces interdits d’ordre alimentaire et pastoral en milieu Binam, il faut relever
l’usage de l’eau chaude76 car pour certains traditionalistes, l’eau chaude a plus un pouvoir
destructeur que bénéfique sur la nature. D’ailleurs lors de notre descente dans le Ndé
(notamment à Fatgo -Neta à Bangangté), taâ Toukam Tchamdjou Ndeffo a pu nous révéler les
raisons de cet interdit en ces termes :

Quand tu vois les plantains, l’igname ou le kolatier au début, ils sont petits, mais peu à peu ils
grandissent (comme nous les hommes) au point où tu t’étonnes de leur taille ou des fruits qu’ils
produisent ; c’est tout simplement parce que la terre que nous voyons et sur laquelle nous marchons,
abrite des éléments de vie que l’homme ne peut voir. Ce sont ces éléments crées par Nsi qui, au contact
de la pluie ou du soleil, permettent aux semences que l’on enterre de germer et de rendre abondante les
récoltes. Or lorsqu’on verse de l’eau chaude directement sur la terre sans la tamiser, elle détruit tous ces
éléments dotés de vie et rend la terre donc vulnérable. C’est pourquoi on interdisait ici avant aux femmes
à Fatgo-neta (bien que cela ait changé aujourd’hui), de verser directement l’eau chaude sur la terre sans la
tamiser d’abord. Elles devaient recueillir une partie dans un recipient, et attendre que celle-ci se
refroidisse avant de la verser alors. Il faut donc retenir que, l’eau chaude n’entretient pas la vie, au
contraire, elle est destructrice pour la nature. 77

De ce qui précède, l’on peut comprendre à présent les raisons qui justifient l’aversion
du peuple Binam en général, et Bangangté (en particulier) pour l’eau chaude.

Nous avons analysé jusqu’ici, les différentes manifestations de l’éthique sur le plan
social à travers les règles de bienséance et de convivialité qui la ponctuent. Il est impérieux
par conséquent, de s’atteler dès lors sur sa dimension cosmique.

2 - L’éthique comme fondement de l’action humaine sur le plan cosmique

Nous venons d’observer que l’éthique en tant que savoir-vivre, se manifeste sur le plan
social par une série de règles de bienséance, et d’interdits qui facilitent l’incorporation
individuelle. Mais bien que la maât exprime une certaine réalité sociale chez les Kemetyou,
elle exprime parailleurs l’équilibre cosmique. En tant qu’ordre et équilibre cosmiques, il s’agit

76
L.Kamga, La’akam ou le carnet d’initiation, p.259.
77
Toukam Tchamdjou Ndeffo Dieudonné, 85 ans environ, Ghégué ‘‘herboriste et médecin traditionnel’’, Fatgo-
Neta (à Bangangté), 02 Mai 2017. C’est aussi parceque la terre est la demeure de Si ; en tant que lieu sacré où
séjournent les morts, elle ne doit pas faire l’objet de blasphème. Les hommes sont donc tenus de l’honorer.
35

dès lors de l’ordre voulu et institué au début de la création par le démiurge Atoum-Rê
(cosmogonie d’Iounou), de cette énergie qui maintient l’existence du monde matériel et

immatériel. Pharaon (on parle aussi du /Nb T3wy/neb Taouy) se doit à cet effet
d’invoquer de façon régulière les dieux pour qu’ils veillent à la préservation de cet équilibre
(entre les deux mondes sus-évoqués) menacé par les forces du chaos primordial. En effet la
précarité d’un tel ordre menacé par les forces destructrices selon Vercoutter, amène l’égyptien
à adopter une attitude conséquente. Ainsi ne pas obéir aux divinités égyptiennes dans un
contexte pareil, c’est d’une part exposer l’équilibre originel au danger, mais c’est aussi et
surtout d’autre part selon Vercoutter, ‘‘risquer de remettre en question la régularité des
phénomènes qui assurent la vie en Egypte, tels le lever et le coucher du soleil, retour
périodique de l’inondation78’’. Pour que cette harmonie indispensable à l’existence de toute
forme de vie, soit maintenue, il est impérieux selon l’auteur que, le peuple et pharaon, en tant
que légataires du patrimoine osirien se conforment à l’ordre conçu par les dieux, ceci à travers

la piété et la justice sociale. Il va de soi que, de par sa fonction cosmique,


/m3ct/maât apparait comme une réalité suprasensible et intemporelle sur laquelle repose la
création. D’ailleurs avant nous, Erik Hornung l’avait déjà souligné dans ces propos lorsqu’il
affirme :

Il y a une manière plus significative d’écrire maât : un socle taillé en biseau sur lequel, par exemple, est
posé le trône des divinités. De ce point de vue, Maât est ce qui constitue le fondement de l’équilibre du
monde créé, la base sur laquelle repose toute vie cosmique et sociale. Par-là déjà se traduit l’actualité
intemporelle de ce concept79.

Il ressort que l’éthique sur le plan cosmique dans l’ancienne Egypte, se traduit par la
soumission des kemetyou aux divinités (anthromorphes pour la plupart) qui assurent la
pérennité du fonctionnement cosmique de Taouy. Le religieux semble alors inextricablement
lié au cosmique à kemet. On peut dire qu’il est même à l’origine du comportement écologique
de l’égyptien pour qui, tout élément de la nature se doit d’être profondément respecté. C’est
d’ailleurs cette ubiquité du fait religieux dans tous les domaines de la vie égyptienne, qui a
fait dire à Erik Hornung : ‘‘Pour tous les domaines de l’égyptologie, la compréhension de la
religion égyptienne est aussi essentielle que la connaissance de la langue. Même l’économie,

78
J.Vercoutter, ‘‘ la religion égyptienne’’, in Encyclopaedia Universalis, corpus 6, Paris, France S.A, 1985,
p.721.
79
E.Hornung, L’esprit du temps des pharaons, cité par Michel Eoné, ‘‘Maât/Mataa ou l’éthique de vérité-justice
des Egyptiens anciens et des Africains modernes : essai d’approche historique du droit africain’’, Mémoire de
Maitrise en Histoire, Université de Yaoundé I, 2004, p.13.
36

le droit et la science de l’Egypte ne peuvent être appréhendés si l’on néglige leur


interpénétration avec le monde de la pensée religieuse80’’.

De même comme nous venons de l’observer chez les anciens Egyptiens, la dimension
cosmique de l’éthique chez les Binam de Bandjoun et de Bangangté, réside dans le sens qu’ils
donnent au dialogue entre l’homme et l’invisible. Au sud du Sahara en général, et dans les
villages Binam en particulier, le cosmos est un système de forces et d’énergie (circulant dans
le monde invisible) qu’on peut capter, exploiter, diriger, neutraliser, non par la technique
mécanicienne et mathématique, mais par le canal de la religion. Or face aux obstacles
quotidiens auquel le Bandjoun ou le Bangangté est confronté, il éprouve le besoin d’une aide
supraterrestre. Mais afin de bénéficier de ces forces, il doit se conformer tout comme
l’égyptien, à l’ordre établi par les divinités, qui ne sont autres que les manifestations
diverses81 de l’Etre suprême Si. La conformité à l’ordre préétablit ici, c’est le respect de la
sacralité de l’espace, de l’environnment. L’espace ici a d’abord une fonction cultuelle en
raison de son rôle joué dans les cosmogonies. Il existe ainsi des lieux de culte en rapport avec
la terre (montagnes, grottes, collines et sommets), avec l’eau (sources, rivières, fleuves, lacs et
mares), mais aussi avec la flore à travers certaines espèces d’arbres sacrés considérés comme
le refuge de certaines entités spirituelles.

Comme la plupart des peuples d’Afrique noire, la terre chez les Binam de Bandjoun et
de Bangangté, est considérée comme la demeure de Si. Elle est valorisée par le paysan ici, en
raison de sa double fonction. Elle est simultanement comme l’a remarqué D.Zahan,
‘‘puissance nourricière et lieu d’ensevelissement82’’. C’est pourquoi l’auteur pense qu’elle
réunit en elle-même les deux aspects antagoniques de l’existence, à savoir la vie et la mort. En
effet les montagnes, les collines et les grottes constituent à l’Ouest des lieux cultuels car elles
expriment la solidité et le caractère inébranlable de certaines réalités suprasensibles. Il existe
des rites agraires dans l’espace Binam, qui visent à accroitre la rentabilité champêtre, à
augmenter les récoltes. Ils sont généralement effectués par certains groupes secrets et
magiques de la chefferie tels que le Masso (à Bandjoun). L’espace est donc un régulateur de
la vie liturgique Binam car il exerce une influence opaque sur le paysan en prière. C’est la
raison pour laquelle, conscient du caractère vivant de son cadre de vie, le paysan Binam cesse
de voir en l’éthique, un ensemble d’us et coutumes prescrits par la tradition, mais une somme

80
E.Hornung, La grande Histoire de l’Egyptologie, Monaco, Editions du Rocher, 1998, p.83.
81
Chez les anciens Egyptiens en général, et ceux d’Iounou en particulier, on parle d’Atoum et ses hypostases.
82
D.Zahan, Religion spiritualité et pensée africaines, Paris, Payot, 1970, p.42.
37

de pratiques écologiques vitales garantissant son devenir post-mortem. C’est dans cette
perpective que s’inscrit Léon Kamga lorsqu’il affirme :

Dans ce contexte, même le savoir-vivre cesse d’être une simple somme de règles de politesse facultatives,
commandées par la bienséance et la convivialité, pour devenir un rituel et un impératif vital. L’exercice
qui consiste à cheminer allègrement entre les multiples écueils de la vie jusqu’à une mort paisible et
digne, est un art complexe dont l’apprentissage n’est rien moins qu’une initiation83.

Cependant, bien que l’on observe chez les Egyptiens anciens et les Binam de Bandjoun
et de Bangangté une constance dans les modes de vie sur le plan cosmique, il y a une
différence qui s’impose du côté Binam : celle des interdits.

L’équilibre cosmique chez les Binam de Bandjoun et de Bangangté est ponctué d’un
ensemble de tabous. Pour leur part les interdits cosmiques renvoient à un ensemble de règles
formulées pour sécuriser la vie individuelle à certains moments. En général à Bandjoun
comme à Bangangté, il est formellement prohibé aux enfants de sortir à une certaine heure de
la nuit sans être accompagnés par un adulte, ou encore moins de faire des bruits susceptibles
d’horripiler les esprits. C’est d’ailleurs cette raison qui poussa Chinua Achebe à affirmer
que, ‘‘les enfants étaient avisés de ne pas siffler la nuit de crainte des esprits malfaisants’’84.
Comme partout ailleurs en Afrique traditionnelle, la nuit est l’instant de prédilection pour le
déroulement des batailles occultes. Au cours des dites confrontations mystiques, voire
ésotériques, les ‘‘dioum’’ ou vampires-mangeurs d’hommes, se liguent pour expurger de ce
monde des personnes innocentes, coupables ou susceptibles d’entraver leurs machinations
pernicieuses. Désiré Talom a pu nous révéler les raisons qui sous-tendent ou justifient cette
interdiction à Bandjoun :

Si on interdit aux enfants de sortir la nuit à une certaine heure à Bandjoun, c’est parce qu’en réalité, c’est
le moment où les totems ou doublures des grands notables et parfois celui du roi se rejoignent pour se
lancer dans des expéditions punitives contre les Ndim ou tout fauteur de troubles(…) c’est aussi parce que
la nuit chez nous à Bandjoun est un moment favorable à la manducation, c’est pourquoi les parents
étaient tenus d’interdire strictement à leurs enfants toute sortie nocturne tardive 85.

Cette déclaration vient renchérir dans une certaine mesure le point de vue de Chinua
Achebe et conforter notre analyse qui, est celle de démontrer que la nuit constitue ici chez le
peuple Binam, un moment impitoyable, une ‘‘chasse aux sorcières’’, dont les non-initiés et
enfants étaient littéralement mis à l’écart pour ne pas en compromettre les résultats
escomptés. Ceci étant on peut retenir que l’éthique chez le peuple Binam, est un savoir

83
L.Kamga, Le La’akam ou le carnet, p.13.
84
C. Achebe, Le monde s’effondre, Paris, Présence Africaine, 1972, p.2.
85
Talom Désiré, 35 ans, notable siégeant au Nkam sombue (conseil des sept), Bandjoun, 30 avril 2017.
38

vivre ‘‘nu ne ku ndà neta’’ (en Medùmbà), ponctué d’un ensemble d’interdits de nature à
encadrer la conduite de tous les habitants d’un village afin qu’ils ne puissent pas tomber dans
la démesure.

De ce qui précède, il ressort que l’éthique égypto-africaine c’est le fait que pharaon86 (au
même titre que le Fô ou le Mvem) dans la structure sociale égyptienne remplit une double
fonction qui lui permet non seulement de veiller à la bonne marche des institutions (à travers
le contrôle d’un gouvernement fonctionnariste), mais aussi et surtout d’apaiser les dieux afin
qu’ils lui soient favorables. Sa fonction au sein de la société égyptienne au niveau moral, est
ponctuée par deux grandes relations. La verticalité de la première relation se traduit par ses
devoirs multiples (prières et offrandes votives au quotidien) envers les divinités égyptiennes,
tandis que l’horizontalité de la seconde exprime, la nécessité de veiller au bien-être de son

peuple, ce troupeau sacré dont les /ntrw/netjerou (dieux) lui en ont confié jalousement
la garde. C’est dans cette logique que semble s’inscrire Rudolph Anthès (à propos de cette
double attente du peuple vis-à-vis de son souverain) lorsqu’il affirme :

Maât maintient la cohésion sociale de ce microcosme et en fait une composante de l’ordre universel. Elle
est la livraison des récoltes, elle est la probité de l’homme dans ses pensées, ses paroles et ses actes ; elle
est la bonne gestion de l’administration ; elle est la prière et le sacrifice du roi au dieu. Maat enserre
toutes les créatures, lesêtres humains, le roi, ledieu ; elle imprègne l’économie, l’administration, le service
divin, le droit. Tous ces courants confluent en un point unique, le roi. Il vit de Maât et la transmet non
seulement vers le haut, le Dieu-soleil, mais aussi vers le bas, vers ses sujets87 .

Mais l’éthique durant l’Ancien-Empire égyptien encore appelé l’ère des pyramides,
c’est le fait qu’avant la démocratisation de l’accès à l’immortalité introduite par la révolution

Osirienne, les rmṯ/remetj/les populations de Kemet croient en pharaon qu’elles voyent


comme un démiurge.

Détenant alors le monopole de l’accès à l’éternité, c’est le hm nṯr88 qui décide des
personnes qui vont l’accompagner dans son voyage ultime afin de le servir dans le monde des
bienheureux. Cependant avec les réformes liées à la révolution Osirienne, pharaon voit
s’envoler ce grand privilège qui lui était jusque lors réservé. Désormais la physionomie de
l’au-delà ayant changé, tout Egyptien (qu’importe la classe sociale à laquelle il appartient) est

86
En tant qu’intercésseur suprême du double royaume.
87
R. Anthès cité par Hornung, L’esprit du temps des pharaons, in Michel Eoné, ‘‘Maat/Maata ou l’éthique de
vérité-justice’’, p.17.
88
Titre porté par pharaon en tant que prêtre suprême de l’Egypte Ancienne. W. Budge dans son dictionnaire parle
de ‘‘servant of God, a priestly Title’’ p. 644. Y.Somet évoque de même cette titulature royale liée à la prêtrise
dans son ouvrage, cours d’initiation à la langue égyptienne pharaonique, Paris/Dakar, Khepera/PUD, 2007,
p.31.
39

désormais plus optimiste pour son destin post-mortem. Chaque sr/ser fonctionnaire
de ce fait, après une longue et riche carrière, demande que soit gravé sur son tombeau ou sur
son cénotaphe, ses qualités réelles ou supposées par lesquelles il s’est illustré durant son
passage ici-bas, ceci, afin qu’il puisse avoir accès au monde Osirien. Ce qui importe au
dédicataire à ce moment comme le montre François Daumas, ‘‘c’est de mettre en valeur
quelque qualités sur lesquelles il compte particulièrement pour jouir en paix, durant l’éternité,
de son somptueux tombeau’’89.

Nous ne disons aucunement que ces qualités furent vraiment le propre de tout Egyptien
(car il y a eu certainement des brebis galeuses), mais comme le dit Daumas : ‘‘on ne juge pas
seulement une société sur ce qu’elle a pu faire, mais aussi sur ce qu’elle a voulu faire’’. Et
parmi ces épitaphes90, on peut relever celles de Nédjemyeb sur laquelle il est écrit : ‘‘J’étais
aimé des hommes. Jamais je ne fus frappé en présence de quelque officier depuis que je suis
né. Jamais je ne me suis emparé du bien de quiconque par vol (ou violence). J’ai fait ce que ne
cessent de louer tous les hommes’’91. D’autres personnages à la suite de Nedjemyeb ont
poursuivi sur cette même lancée en exposant les valeurs ou idéaux qu’ils firent prévaloir dans
leurs relations humaines. Parmi eux, Herkhouf dont on a pu lire sur la tombe :

J’étais quelqu’un d’excellent…aimé de son père, loué de sa mère, un être que tous ses frères ne cessèrent
d’aimer. C’est que j’ai donné du pain à l’affamé et des vêtements à qui était nu. J’ai fait aborder (à la rive
opposée) qui n’avait point de bateau. J’ai dit ce qui était parfait et répété ce qu’on aimait. Jamais je n’ai
dit de mal à un puissant contre quelque homme que ce soit, parce que je désirais que mon nom fût parfait
en présence du dieu grand. Jamais je n’ai jugé deux frères… de façon qu’un fils soit privé des biens de
son père92.

Des inscriptions comme celles-là, abondent dans l’Ancien-Empire, et viennent


témoigner du degré d’ascèse morale et spirituelle auquel parvinrent ou aspirèrent les
Egyptiens anciens.

Toutefois pour mieux cerner le savoir-vivre des Africains anciens, Egyptiens et Binam
Bandjoun et Bangangté en particulier, il faut s’intéresser à présent, aux éléments qui l’ont
influencé, qui l’ont façonné de fond en comble et lui ont imprimé des particularités : d’où les
ressorts93 de l’éthique.

89
F. Daumas, ‘‘La naissance de l’humanisme dans la littérature de l’Egypte Ancienne’’, in Oriens Antiques,
volume I, Paris, 1962, p.158.
90
Inscriptions gravées sur des tombeaux, faisant prévaloir les qualités du défunt durant son passage terrestre.
91
F. Daumas, ‘‘La naissance de l’humanisme dans la littérature’’, pp.158-159.
92
Ibid. p.159.
93
Par ressort, il faut entendre, ce qui met en mouvement, ce qui est à l’origine, un catalyseur ou un stimulant.
40

II - Les ressorts de l’éthique chez les Anciens Egyptiens (2780-2280) et le peuple


Binam Bandjoun et Bangangté

Tout peuple est caractérisé par une manière de penser et une attitude particulière face à
l’existence humaine. Mais cette vision du monde sui generis n’est pas certainement le fruit
d’une génération spontanée, encore moins celui d’une injonction divine imposée à l’homme.
Elle est en réalité le résultat d’une synergie de facteurs divers ayant chacun des spécificités.
En effet ces différents éléments façonnent la pensée humaine et impriment au comportement
des marques indélébiles. Or pour comprendre l’éthique et l’éducation des Africains de la
vallée du Nil et au Sud du Sahara, il faut s’intéresser d’abord au cadre naturel dans lequel ils
ont vécu, à leur conception de la personne humaine, et enfin aux cosmogonies qui ont rythmé
leur croyance.

A- Le poids du milieu géographique dans le façonnement éthique des anciens Egyptiens


et du peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté

La nature de manière holistique, est un macrocosme bipolaire. Le premier pôle renvoie


à sa dimension physique ou matérielle, tandis que le second représente sa dimension supra-
sensible. Pour le cas égyptien, il est important de s’attéler sur le premier pôle.

1 - L’environnement des Kemetyou : une création Nilotique et humaine

Parler du déterminisme géographique de la pensée égyptienne revient à dire qu’en


réalité, toute pensée en général est fille de son environnement en ce sens que, le milieu
renferme des éléments ou réalités qui modulent la psychologie humaine et impacte
mécaniquement son comportement. Mais du fait qu’il est un roseau pensant, l’homme de par
son inventivité et sa créativité s’adapte progressivement à ces réalités au point de les rendre
apaisantes pour sa condition mortelle. En effet pour amorcer la connaissance tant de l’Egypte
ancienne que de l’Egypte contemporaine, seule une vision soigneuse comme l’a montré J.C
Goyon, de la carte peut réellement donner une idée de l’ensemble des conditions du problème
géographique posé par l’existence même de la terre des pharaons94. L’Egypte est un pays situé
au Nord-Est de l’Afrique ; au Sud, il part des premières cataractes du Nil au Nord de
l’Ethiopie. Au Nord il est limité par la mer méditerranéenne, à l’Ouest par le désert du Sahara
et les falaises libyennes, et à l’Est par la mer Rouge et les chaines arabiques. Dans un pays
chaud au climat désertique accablant, la découverte de la moindre oasis chichement

94
J-CGoyon, Rê, Maât et Pharaon, p.11.
41

disséminée dans un relief ‘‘tourmenté’’ constitue une manne pour les populations. On peut
donc aisément comprendre que la recherche permanente de l’humidité, de la fraicheur, d’une
ombre agréable dans un tel environnement, est incontestablement la préoccupation majeure
des populations du dit milieu. Fort heureusement, les dieux n’ont pas oublié pour autant de
penser au bonheur de l’Egyptien car, il y avait là le Nil (voire figure 1), cette formidable
artère nourricière, ce fleuve divinisé par les rameṯou, en raison de l’incommensurabilité des
services qu’il leur a rendu. Fleuve à multiples casquettes, le Nil est et surtout connu pour sa
compétence de ‘‘grand arroseur et de fertilisateur95’’.

Mise à part cette compétence, il joue en période de /3ḫt/akhet, (crue


ou inondation), un rôle notoire dans le transport des blocs de pierre, des fûts de colonnes ou
des obélisques dont certains pesaient, selon François Giron, entre ‘‘350 et 600 tonnes’’96.

C’est donc au regard de son caractère exceptionnel, qu’Hérodote a pu affirmer ‘‘ l’Egypte est
un don du Nil’’. Autrement dit sans la présence du fleuve, de l’humidité et de la fraicheur
qu’il apporte au petit paysan le soir avec sa famille, l’Egypte serait à l’image d’un désert, et
donc un espace peu propice à l’implantation humaine.

Cependant abonder littéralement dans le sens d’Hérodote, c’est probablement minorer


l’apport du travail humain dans la productivité du Nil97’’. Certes le fleuve a d’énormes
capacités agricoles naturelles, mais elles n’auraient été d’aucune utilité si les kemetyou
n’avaient pas œuvré à l’élaboration des techniques visant à les rendre plus performantes.
Après avoir creusé des canaux d’irrigation, puis des digues et des rigoles afin de délimiter les
champs, vergers et pâtures, les anciens Egyptiens doivent nécessairement élever l’eau, c’est-à-
dire ‘‘ l’amener vers des terrasses alluviales98’’ et ceci, grâce au shadouf. C’est pourquoi au

95
F. Giron, ‘‘Le Nil Fleuve de Vie’’, in Le Point, spécial Egypte, Paris, 2002, n° 1579-1580, p.126.
96
Ibid, p.129.
97
Selon certains égyptologues à l’instar de J.P. Omotundé, ces propos ne correspondent pas exactement à la
déclaration de l’historien grec. La déclaration originale aurait éventuellement été travestie pour masquer
l’origine africaine des kamites et créer une dualité entre l’Egypte et la Nubie en dépit des déclarations des Grecs
et de la signification même des hiéroglyphes. En effet dans son livre II (celui d’Hérodote), il est mentionné ‘‘la
partie de l’Egypte oừ aborda les vaisseaux grecs, est une terre d’alluvions, un don du fleuve(…) autrefois les
Egyptiens n’avaient point de pays, on sait en effet que leur Delta, et ils le disent eux-mêmes (et c’est mon
sentiment), était une terre d’alluvions, une terre peut-on dire nouvellement apparue’’. De ce qui précède, on
s’aperçoit concrètement que l’historien, parlant de la crue du Nil, ne faisait pas référence à l’ensemble du
territoire, il n’englobait pas l’intégralité de kemet ; mais il faisait référence ou limitait son appréciation à une
partie de kemet, notamment le Delta, cette partie du territoire égyptien situé au Nord, qui connaissait une
importante concentration humaine étrangère, notamment les Grecs. Le Delta, terre d’alluvions, bordure de la
méditerranée, pour Hérodote, est un don du Nil car, autrefois cette terre inexante, était recouverte par la mer. J.P.
Omotundé, in ‘‘ Vérités-Mensonges’’, L’Egypte Antique fut Nègre, youtube.
98
J.C Goyon, Rê, Maât et pharaon, p.23.
42

regard de l’importance de l’action humaine dans la rentabilité du fleuve nourricier,


Guillemette Andreu affirme : ‘‘ l’Egypte n’a pu prospérer que grâce à l’extraordinaire ardeur
des Egyptiens à exploiter au mieux les capacités agricoles que le Nil leur apportait99’’. En
effet dans ce pays100 où le soleil règne en maitre, il est tout à fait normal que, toute
l’ingéniosité des peuples de la vallée du Nil, s’est au fil des siècles, acharnée à optimiser les
conditions de mise en eau permanente. Toutefois, cette amélioration des conditions de mise en
eau permanente, a dû reposer sur une certaine solidarité sociale et l’obéissance au chef.
L’obéissance ici ou la soumission dans un tel contexte constitue l’un des principaux leviers de
réussite, car sans elle, la construction des temples et pyramides bref la mise en valeur de
kemet à travers l’exploitation efficiente de toutes ses potentialités n’aurait pas été possible.
D’ailleurs le caractère sacré de cette règle (l’obéissance) dans l’Egypte ancienne est visible à
travers le texte des pyramides cité par Menu :

Je suis Horus qui a reconstitué son œil de ses mains, je t’ai restauré (il s’agit du royaume d’Egypte,
autrefois divisé), Toi qui devait être restauré, Je vous ai mis en ordre, vous mes établissements, Je t’ai
reconstruite, toi ma cité. Vous ferez pour moi toute bonne chose que je (désirerai).Vous agirez en ma
faveur partout où j’irai, Vous n’obéirez pas aux Occidentaux,Vous n’obéirez pas aux Orientaux,Vous
n’obéirez pas aux Septentrionaux,Vous n’obéirez pas aux Méridionaux,Vous n’obéirez pas à ceux qui
sont au centre de la terre, Mais vous m’obéirez, c’est moi qui vous ai restaurez, c’est moi qui vous ai
érigés, c’est moi qui vous ai organisés, Et vous ferez pour moi tout ce que je vous dirai, ou que j’aille 101.

Dans un cadre naturel particulièrement ingrat, les Egyptiens se sont ainsi rendu compte
que toute violence attirerait la violence, qu’un mauvais chef ne pouvait que les épuiser à long
terme et inhiber leurs capacités de production. Au contraire seul des efforts disciplinés soumis
à une direction, ainsi qu’un échange de services est préférable à la lutte égoïste pour la
satisfaction des instincts individuels. Tout cela au final, a constitué au fond, la meilleure
condition vers un gouvernement fort, durable et sain.

De ce qui précède, il ressort que l’environnement102 a manifestement stimulé le


comportement des Kemetyou. De par leur créativité et persévérance dans l’élaboration des
techniques aratoires, les anciens Egyptiens ont réussi à survivre dans un milieu qui ne leur

99
Andreu, ‘‘La Vie Quotidienne Au Temps Des Pharaons’’, p.140.
100
Le calendrier égyptien antique était divisé en trois saisons principales regulées par le Nil ; la première est
‘‘l’Inondation’’ (akhet en égyptien ancien, el-nil en arabe) qui part du 19-20 juillet à la mi-novembre ; la seconde
était ‘‘les sémailles’’ (peret en ra n kmt, ech-chila en arabe) qui va de la mi-novembre à la mi-mars ; enfin la
troisième ‘‘ les récoltes’’ ( shemou en égyptien antique, es-seif en arabe) de la mi-mars au 18-19 juillet.
101
B. Menu, ‘‘Une Approche De La Notion Du Travail Dans l’Ancien-Empire Egyptien’’, in Stato, Ecommiia,
Lavaro Nel Vicino Oriente Antico, Milan, 1988, p.211.
102
Pour d’amples informations sur l’importance nilotique, bien vouloir consulter les ouvrages ci-après : D.
Bonneau dans son ouvrage maitre La Crue Du Nil, Divinité égyptienne, à travers mille ans d’histoire, Paris,
1964 ; M.A.Bonhême et A.Forgeau, Pharaon Les secrets du pouvoir, Paris, Armand Colin, 1988 ; enfin J.P.A
Erman et H.Ranke, la civilisation égyptienne, Paris, Payot, 1976.
43

était pas pourtant favorable de prime à bord. Mais contrairement aux Kemetyou, le peuple
Binam lui a été marqué surtout par l’aspect immatériel de la nature.

Figure 1 : Le fleuve Nil en période de crue en Egypte ancienne durant la période Armanienne

Source : F. Giron, ‘‘Le Nil fleuve de vie’’, in Le Point, spécial Egypte, pp.128-129.

2 - De l’influence suprasensible du milieu Binam : l’existence de créatures


métapsychiques

Géographiquement parlant, l’univers Binam est à l’inverse de kemet103, un cadre propice au


peuplement humain. De par son climat, et ses ressources naturelles abondamment diversifiées,
l’Ouest-Cameroun constitue sans doute un milieu écologique favorable à toute implantation
humaine. Ce n’est donc certainement pas la géographie, c’est-à-dire cet aspect matériel ou
visible de la nature qui a estampillé la psychologie sociale du peuple Binam ; il faut plutôt
chercher dans la dimension immatérielle. Si nous insistons sur cet aspect nouménal de la
nature, c’est parcequ’en Afrique subsaharienne, le culte des morts et des ancêtres n’a cessé de
revetir une importance sans cesse croissante. Ce culte des ancêtres et des morts, n’est pas
seulement une marque de déférence envers ceux qui ont impregné la société, mais il est la
matérialisation de la croyance communautaire aux trépassés, et surtout en leur possibilité
d’agir: c’est donc cette croyance aux multiples forces suprasensibles, qui a stimulé pour une
large part la piété et l’attitude écologique du peuple Binam Bandjoun et Bangangté. En effet,
chez les Africains en général, et le peuple Binam en particulier, se trouvent d’autres éléments

103
Les kemetyou appellaient également leur pays par le nom de ‘‘Ta-djéser’’, c’est-à-dire la terre sacrée.
44

dont se sert l’immanent pour aider ou réprimer les êtres humains selon leurs qualités ou
defauts. Ces différentes entités qui appartiennent au règne invisible sont également des êtres
avec qui l’homme cohabite perpétuellement, et dont la portée de leur imbrication dans la
sphère humaine mérite d’être élucider afin de ressortir la véritable nature des rapports qu’elles
entretiennent avec l’homme. Donc cette rubrique (loin d’être facétieuse) se justifie par le fait
que l’existence africaine étant rythmée par le magico-religieux, c’est par conséquent dans cet
univers invisible, que les maux que subissent les humains au quotidien, doivent trouver leur
explication : il s’agit des esprits, des genies et des ancêtres.

Il faut le dire bien que l’homme africain ne ressente pas objectivement la présence de
ces êtres étranges (les esprits) du fait de leur caractère immatériel, il peut néanmoins
‘‘justifier’’ voire ‘‘prouver’’ leur existence à partir des bienfaits ou malheurs qu’il constate
ou observe de façon répétitive dans son environnement. Et ces événements heureux ou
malheureux il le sait, ne se manifestent pas par enchantement, mais sont plutôt concrètement
le fruit de l’intervention de forces supra-sensibles. C’est dans cette perspective que Jimi
Zacka affirme que : ‘‘la cosmogonie africaine comprend des êtres humains vivants ou morts
et spirituels (ancêtres ou êtres démoniaques) et des objets doués de vie et de forces ou dotés
de la capacité de s’influencer mutuellement et constamment’’104. Du fait de la nature
incomplète de l’homme, cette catégorie d’entités immatérielles est occasionnellement
convoquée par ce dernier, pour jeter la lumière sur une difficulté au quelle il est confronté et
qui l’empêche visiblement d’évoluer, pour se guérir des attaques de sorcellerie, pour le succès
d’une entreprise. Les esprits étant les forces prédominantes du monde invisible, leur action est
cependant supplée par celle des génies.

En effet certains spécialistes des ‘‘religions africaines’’ comme Anne Stamm, pensent
que l’inaccessibilité de l’Etre suprême due à son éloignement spatio-temporel, nécessite de
‘‘concevoir des genies ou des médiateurs du côté divin dans la pensée africaine105’’. Et ces
médiateurs qui ne sont autres que les génies106, sont appelés Sué en Ghomàlà. Dans les
traditions africaines les génies107 renvoient de façon holistique, à de sorte de divinités

104
J. Zacka, Les possessions démoniaques et exorcismes dans les églises pentecotistes en Afrique centrale,
Yaoundé, Editions Clés, 2010, p.47
105
A. Stamm, Les religions Africaines, Paris, PUF, 1995, pp. 10 -11
106
En langue Medumbà, génie c’est ‘‘ziâghe’’. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de langue Medumbà,
Yaoundé, 28 octobre 2017.
107
Il faut penser que ces créatures, qui peuvent être assimilées dans une certaine mesure au Mami wata chez les
Batenga et les Mabea (peuples de l’océan), procurent le plus souvent aux hommes selon M.Hebga ‘‘la prospérité,
la fécondité, garantissent la pêche, si l’on sait s’attirer leur bonne grâce’’. Croyances et guérisons, Yaoundé,
Clés, 1973, p.9.
45

secondaires auxquelles a échu, la responsabilité d’un ou de plusieurs éléments de la nature.


Ces éléments qui peuvent être entre autres l’eau et la terre, le vent et le feu, la pluie et le
brouillard, sont donc régulés par ces êtres rocambolesques qui, en raison de l’extrême
versatilité de leur humeur, peuvent déclencher arbitrairement et à tout moment, des
cataclysmes naturels quelles que soient les conséquences qui en découlent. C’est pourquoi
leur invocation par l’homme est loin d’être une bénignité. Mais il faut le reconnaitre mise à
part leur caractère oppressif en général, ils savent également rétribuer certains individus dans
la société en fonction de l’attitude de ces derniers ou des rapports qu’ils ont su créer avec eux.
C’est ce qui peut expliquer la réussite sociale de certains êtres, la stabilité des mariages, bref
la prospérité ou le succès dans ce qu’ils entreprennent de faire. Les génies sont au final des
entités spirituelles dont l’accord des grâces ou le déchaînement des malheurs est largement
tributaire de leurs humeurs. Près d’eux se trouvent une dernière catégorie d’entités
immatérielles qui sont là pour, pérenniser l’harmonie et l’équilibre communautaire en
persuadant les autres composantes invisibles supérieures d’accorder leurs bénédictions : ce
sont les ancêtres.

Dans l’univers Binam, la notion d’ancestralité exige la conjonction la plus exhaustive


possible des valeurs cardinales qui, une fois réunis entre les mains du défunt lui permettent
d’intégrer le monde des immortels et avoir donc la possibilité de se réincarner. C’est pourquoi
Jimi Zacka pense que les ancêtres dans l’univers africain sont au-delà de la lignée biologique,
et appartiennent au processus de réincarnation post-mortem108. Ces derniers pour la plupart
communiquent avec leur communauté, par le biais des songes pour les prévenir de
l’imminence d’un événement, qui soit de nature, à créer de la joie et du bonheur au sein du
groupe, soit à saper l’harmonie qui y règne. En effet de par leur expertise, les ancêtres 109
(Mpfési) éclairent les vivants et les rassurent devant la complexité des épreuves de la vie, ceci,
au moyen des prémonitions qu’ils inspirent aux vivants : ceux-ci revêtent alors une fonction
préventive. De Rosny a pu affirmer dans ce sens ‘‘qu’ils réapparaissent brusquement dans la
vie en cas de calamité, dans le cadre des anciens rites. Ils sont de ce fait la référence ultime
dans la société110’’. Toutefois, pourque cette bienveillance des ancêtres soit effective sur la
famille et la communauté, les vivants se doivent de leur obéir, d’observer leurs
recommandations (par voie de songes), bref de multiplier des sacrifices et offrandes. S’ils ne
le font pas, alors ils s’exposent à la colère de ces derniers qui, réagissent alors comme une

108
J. Zacka, Les possessions démoniaques et exorcismes, p.49.
109
En ra en kemet, on parle d’Ikemouseki ou Itkan, tandis qu’en Medumbà, on dit mangᵾd nzeh.
110
E. De Rosny, ‘‘Apaiser les Ancêtres’’, in Guérison, la voie des religions, actualités religieuses, 2004, p.23.
46

sorte de police invisible. Par là ils ne revêtent plus seulement une fonction préventive, mais
aussi une fonction répressive. C’est d’ailleurs ce qui ressort de cette vision de Jean-Claude
Froelich, lorsqu’il affirme :

Les vivants doivent obéir aux morts et la sanction de leur indiscipline affecte leur longévité, leur
ascendance, leur richesse ; ceci est general, mais on admet en outre qu’un homme malheureux de son
vivant peut se venger après sa mort ; un oncle maternel delaissé par ses neveux pourra attirer sur leurs
têtes toutes sortes de calamités. L’ancêtre peut donc etre hostile, méchant, rancunier et accabler ses
descendants ; ses pouvoirs équivoques, tantôt bons, tantôt mauvais, suscitent chez ses héritiers un climat
de méfiance, de crainte et de suspicion.111

Comme le montrent plusieurs auteurs, l’ancêtre112 était celui qui, durant son passage
terrestre s’est illustré non seulement par une progéniture importante, mais aussi tant par la
qualité de ses actions (son sens du bénévolat) que de ses interventions dans la société. C’était
celui-là qui, avait fini par acquérir une place privilégiée dans la vie communautaire, de par
l’incroyable expérience qu’il a engrangé. Il était celui-là qui, de par le temps qui l’a vu naitre
jusqu’à son vieillissement, a suffisamment été confronté à toutes sortes de situations, si bien
que leur complexité lui a permis d’engranger une certaine philosophie existentielle,
susceptible de bénéficier aux nouvelles générations d’individus, alors en proue de sagesse.
C’est dans cette perspective que se situe Dominique Zahan lorsqu’il affirme :

Ne pouvait prétendre à l’ancestralité, que, celui qui, parvenu à un grand âge, a accumulé avec la
longévité, une profonde expérience des hommes et des choses. On l’oppose ainsi aux personnes peu
avancées en âges, à celles que la crédulité et l’inexpérience de la vie classent dans la catégorie des enfants
ou des jeunes ; à ceux-là habituellement on n’accorde pas des funérailles exceptionnelles, et ils ne
recevront jamais un culte113.

De ce qui précède il ressort que, de par leur interaction permanente avec le monde
humain, les ancêtres114 constituent assurément la matrice de la vie communautaire en Afrique
noire. Ainsi le négro-africain est immergé dans une vision spécifique du monde, qui tient
largement compte des réalités magico-religieuses de son milieu socio-culturel. Cette vision

111
J-C Froelich, Animisme, Paris, Editions L’Orante, 1964, p.164.
112
Mbonji Edjenguele montre dans un ouvrage, que la notion d’ancestralité est toujours liée à la longévité
naturelle d’un individu. En effet toute personne qui mène une vie paisible et sereine n’a pas de raison de mourir
jeune ou de façon prématurée. C’est dans ce sens qu’il a affirmé ‘‘ la bonne mort est celle qui survient au terme
d’une existence longue et remplie, en laissant derrière soi une progéniture nombreuse et une renommée établie
sur les critères d’exemplarité et d’épanouissement personnel et de respect de l’harmonie du groupe’’. Morts et
vivants en Négro-culture : culte ou entraide, Yaoundé, PUY, 2006, p.69. Autrement dit, le véritable ancêtre ne
meurt pas d’une mort provoquée, mais plutôt d’une mort naturelle. Le peuple Beti du Cameroun semble partager
cette conception de l’ancestralité dans des propos que l’on entend régulièrement lors des deuils comme ‘‘enyin
ene he beki’’ c’est-à-dire, ‘‘on ne peut atteindre l’âge de la vieillesse que dans le respect des interdits sociaux et
de l’éthique sociale’’. in L. Mebenga Tamba, Anthropologie des rites funéraires en milieux urbains, Yaoundé,
Harmattan, 2009, p.217.
113
D. Zahan, Religion Spiritualité et Pensée africaines, p.83.
114
Pour avoir d’avantage une idée sur la place du culte des ‘‘Mpfési’’ (ancêtre en Ghomàlà) à Bandjoun, voir nos
entretiens avec Mr Kouemo Choupa Simon Alphonse, et le prof. Mbah Gabriel.
47

tournée vers l’intérieur dont il fait preuve, se traduit logiquement par une attitude fortement
écocentrée car, la nature y revêt une valeur hautement sacrée.

L’environnement Egypto-Binam ayant influencé significativement l’éthique, d’autres


facteurs comme la conception de la mort conjuguée à celle de la personne mériteraient d’être
exposées pour en mesurer le degré d’importance.

B - L’influence de la conception de la personne humaine sur l’éthique

De façon générale la saisie exhaustive des fondements de l’éthique, de cette manière


totale de vivre, d’agir et de raisonner en société dans l’Afrique ancienne, passe par la saisie de
la conception de la personne humaine. Ceci s’explique par la sacralité du corps humain115,
mieux de ses constituantes qui, remplissent respectivement une fonction tant sur le plan
biologique (physique) que sur le plan spirituel (de l’invisible). Cette sacralité du corps humain
constitué des éléments matériels (putrescibles et par conséquent mortels), et immatériels
(immortels) est observable à travers les cosmogonies les plus anciennes de l’univers égyptien.
A cet effet le mythe de la résurrection osirienne en est un bel exemple.

Destiné à régner sur le royaume d’Egypte (de par le droit d’ainesse), Wsr/Ousir

l’ainé des enfants de Gb/Geb et Nwt/Nout est assassiné par son frère cadet
Seth. Ce dernier va ensuite disséminer les différentes parties du corps de son défunt frère dans

le Nil. 3st/Aset sœur et épouse d’Osiris, aidée de Nephtys (Neb-Hout)


va user de ses pouvoirs magiques pour retrouver les restes du corps de son défunt époux,
éparpillés à travers le Nil. Une fois entrée en possession des restes de son époux, elle va les

confier au dieu à tête de chacal Inpw/ Inepou (Anubis). Celui-ci va par la suite
procéder à recoller les morceaux d’Osiris, puis à les entourer de bandelettes et pour finir par
l’embaumer, réalisant de ce fait la première momie dans l’histoire égyptienne. C’est alors

115
La sacralité du corps humain est un mystère que seules les sciences occultes (Hermétisme, l’Esotérisme)
peuvent en dissiper l’opacité des lois qui le regulent, et juguler nos apréhensions à ce propos. Pour preuve, si
l’on assiste dans nos villes africaines, à une certaine resurgence des crimes rituels ou trafic d’organes humains,
c’est parce que les protagonistes de cette industrie du crime, ont compris la valeur mystique que renferment
certaines parties du corps humain. Les éléments les plus sollicités sur ce marché macabre, sont généralement le
sang, le cœur, le foie. L’emploi de ces organes sur le plan mystique, à travers des pactes établis avec le monde
des ténèbres, précipite l’ascension sociale de certaines personnes, leur accorde la prospérité matérielle et autres
grandes réalisations. D’ailleurs dans la plupart des pactes obscurs, le sang est l’un des éléments les plus exigés.
En effet à partir d’un des éléments de notre corps, on peut nous faire du mal, on peut nous atteindre
mystiquement. C’est pourquoi Kange Ewane a pu affirmer : ‘‘chaque élément de mon corps est une partie
constitutive de tout mon Etre’’. Kange Ewane, ‘‘ religions africaines et écologie’’, p.119.
48

seulement qu’après avoir procéder à la momification d’Osiris que, la résurrection de

/wnn m33t (c’est-à-dire l’être perpétuellement juste) a été possible. Autrement


dit cette résurrection d’Osiris du point de vue de la mythologie n’aurait pas été envisageable
si, son épouse la divine Isis, n’avait pas rassemblé les différentes parties du corps de son
époux.

De ce qui précède on peut souligner à suffisance le degré de valeur de la conservation du


corps du défunt, dans le déroulement harmonieux et satisfaisant des rites funéraires en Egypte
Ancienne. C’est pourquoi par la suite, les Egyptiens anciens soucieux de se voir transformer

en un nouvel Osiris après la mort, ou en des im3ḫw/imakhou (bienheureux ou


âmes justifiées) vont accorder une importance aux différentes constituantes de l’être, plus
précisément les composantes immatérielles de l’homme, synonyme d’immortalité. Or c’est
cette sacralité du corps humain dans sa totalité qui va influencer considérablement l’éthique
d’une part chez les Egyptiens anciens, et d’autre part chez le peuple Binam de la période anté-
coloniale.

La conception de la nature humaine dans l’Afrique ancienne ayant profondément


affectée l’éthique sociale, un examen des différentes composantes de l’être humain s’avère à
présent indispensable pour mieux étayer notre propos.

1 - Les composantes matérielles de la personne humaine chez les Négro-


africains de la vallée du Nil et de l’espace Binam

Les différentes sources égyptiennes à l’instar du livre de sortie au jour116(en ra n kmt


mdjat m pr n hrw), font mention de trois principes physiques putrescibles, et donc voués à la
mort. On a pu identifier, tant chez les Egyptiens anciens que chez le peuple Binam de la
période précoloniale117, le djet, le khat et l’ib qui correspondent respectivement chez le peuple
Binam, au na’à (meu) ou wud, fuê (meu) ou fe mèn, et enfin au timm ou ntᵾ.

116
C’est le terme qu’ont employé les kemetyou pour appeler, ce qu’ont maladroitement nomé certains érudits, le
livre des mort. C’est un outil apotropaique vital pour le mort, car il lui permet, d’écarter les forces hostiles qui
tentent d’entraver son périple dans le monde souterrain et son arrivée dans la maâty ou salle de la double vérité.
Voir aussi la définition d’Arne Eggebrecht dans son ouvrage L’Egypte ancienne : 3000 ans d’Histoire, p.474.
117
D’une manière holistique, les termes ‘‘précoloniale’’, ‘‘antécoloniale’’ et ‘‘traditionnelle’’, employés dans le
présent travail, correspondent selon Achola O. Pala et Madina Ly, à la période antérieure à 1900, c’est-à-dire à
la période qui s’est écoulée avant que les communautés ‘‘ indigènes’’ contemporaines fussent mises
administrativement en contact direct les unes avec les autres par une puissance coloniale. Donc le lecteur ne
devrait en aucun cas s’inquiéter de la variation de leur emploi dans la présente étude. Achola O. Pala et Madina
Ly, La femme africaine dans la société précoloniale, Paris, UNESCO, 1979, p.9.
49

- Le djet / nat (mo) ou wud118 : l’enveloppe corporelle

La notion de djt renvoie au corps physique, à cette structure visible et palpable de l’Etre
qui peut se mouvoir en raison de la complexité des facultés motrices et psychiques dont elle
pourvue. Il s’agit précisément sur le plan ontologique, de la matérialité de l’image du grand
corps céleste. Ainsi le grand corps céleste de l’homme devient une fois intégré dans une
enveloppe charnelle, la manifestation fondamentale de la vitalité de l’être, c’est-à-dire la
preuve même de la vie. Le djet apparait alors de ce fait comme étant, la matérialisation de
l’unité cohérente et harmonieuse d’autres éléments constitutifs de la personne humaine.
Toutefois cette preuve de l’existence humaine (le djet), est soumise continuellement à un
certain nombre de processus (croissance, maturité, maladie vieillesse et la mort), et de besoins
(dormir, manger, s’abreuver, déféquer, se laver et se divertir) biologiquement explicables.

- Le khat / pfe (mo) ou fe mèn: le cadavre

Le khat est le corps du défunt (c’est-à-dire ce que l’on nome trivialement la dépouille) ;
mieux c’est cet état du corps physique qui permet au médecin de constater cliniquement la
cessation physique de l’existence humaine, et de déclarer le décès d’un individu. Par ailleurs
il s’agit dans l’Afrique ancienne de cet élément physique qui se voit retirer le souffle ou
l’énergie vital (cette matrice qui anime ou maintient en vie toute créature) et qui, par
conséquent, est vouée à l’inhumation en raison de sa putrescibilité. Chez les rmṯ cette partie
inanimée de l’être a fait l’objet d’une synergie de procédés complémentaires dont la réussite
traduit leur inter dépendance : il s’agit de l’embaumement et de la momification. Exécutés par
les disciples de Sekhmet (c’est à dire les médecins notamment funéraires), ils visent à rendre

impérissable le khat, afin de garantir la poursuite de son existence dans la


/dw3t/douat (monde souterrain).

Toutefois chez le peuple Binam, l’inhumation de ce principe physique inanimé répond


au souci de faciliter, l’introduction du défunt dans la communauté des ancêtres 119 (largement
tributaire de la qualité des actions posées au cours de son passage terrestre).

118
En langue Medumbà, Nanja Neutchap Théophile, spécialiste du Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
119
Pour avoir une idée du déroulement des donations, offrandres aux ancêtres dans l’espace Binam, ainsi que du
rôle fondamental de l’héritier ou dzudie dans le culte des ancêtres familiaux, consulter, J.B Gankem, ‘‘Les
donations au clergé traditionel bamiléké : un cas patent de parenté culturelle avec l’Egypte pharaonique’’,
Mémoire de Maitrise en Histoire, Université de Yaoundé I, 2004.
50

- L’ib / le tum120 ou ntᵾ : le cœur

Le cœur121 est cet organe central interne du corps humain, situé dans la poitrine dont le
rôle fondamental, consiste sans doute à actionner la circulation sanguine. Mais en réalité il est
bien plus qu’un organe physique en ce sens qu’il joue, un rôle crucial dans le jugement divin
post-mortem. Ce rôle s’explique par le fait qu’en Afrique ancienne, le cœur est perçu
véritablement comme étant, le siège de la pensée humaine, des sentiments divers qu’un
individu éprouve et qui peuvent mécaniquement influencer son comportement, ses actions
vis-à-vis de son entourage. Il s’agit du laboratoire intérieur de tout individu où se peaufine
minutieusement sa personnalité. Par conséquent c’est de ce lieu qu’émane toutes intentions
bienfaisantes (constructrices) ou malsaines (destructrices) d’un individu, et permet à son
voisinage de découvrir sa véritable nature.

En Egypte antique l’importance de cet élément vital dans la religion Osirienne, se traduit
par le fait qu’il est utilisé lors de la cérémonie post mortem de la psychostasie (ou encore la
pesée du cœur, voire figure 2). C’est au cours de cette cérémonie (selon le livre des morts),
que les quarante-deux divinités présentes dans la m33ty (salle de la double vérité), peuvent en
juger du degré de droiture ou de vice d’un individu, ceci en pesant simultanément son cœur et
la plume de vérité.

Figure 2 : scène de la pesée du cœur ou cérémonie post-mortem de la psychostasie

120
J. Fotso, ‘‘la notion ethnolinguistique de la personne chez les Bamiléké de l’Ouest-Cameroun’’, Mémoire de
Maitrise d’Ethnologie, Strasbourg, 1976, pp.108-126.
121
ntᵾ en langue Medumbà. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste du Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
51

Source : Encyclopédie Universalis corpus 6, p.733.

Chez le peuple Binam la remarque est la même, à savoir que les mauvais actes ou paroles sont
l’émanation du cœur122 ; c’est pourquoi on dit généralement en Gohmala123 ‘‘sock timm’’ ou
méchanceté. Au final chez le peuple Binam un cœur124 pur a toutes les chances d’être accueilli
chaleureusement dans le monde ancestral, par contre un cœur impur synonyme de vice est
tout simplement rejeté, et condamné à errer indéfiniment.

A côté de ces composantes physiques de l’être, figurent d’autres principes cette fois
immatérielles, relevant du noumène, et dont certains sont libérés probablement après le décès.

2 - Les composantes spirituelles ou immatérielles de la personne chez les anciens


Egyptiens et le peuple Binam

122
R.M. Piaplie Njimfo, ‘‘La conception de la maladie chez les anciens Egyptiens et les Bayangam de l’Ouest-
Cameroun’’, Mémoire de Master II en Histoire, Université de Yaoundé I, 2014, p.25.
123
Le Ghomàlà, litteralement ‘‘ la langue du village ou du pays’’, est l’une des onze langues du peuple Binam au
Cameroun ; elle est parlée dans les départements de la Mifi (Bafoussam), Koung-Khi (Bandjoun), Hauts-
Plateaux (Baham), Menoua (Dschangs), et Bamboutos (Mbouda). C’est elle qui est parlée à Bandjoun, l’une des
deux villes Binam auxquelles nous nous sommes particulièrement intéressés en y effectuant des descentes. Mais
à Bandjoun ou Leng djo, c’est le Ghomàlà centre qui est parlée, de même qu’à Bahouan (leng wen), et à
Bayangam (yogam).
124
Cette thèse selon laquelle toute méchanceté provient du cœur est également attestée à travers les
Enseignements du Christ dans la Bible en ces termes : ‘‘car c’est du cœur que viennent les mauvaises pensées,
les meurtres, les adultères, les débauches, les vols, les faux témoignages, les calomnies’’. Le Nouveau Testament,
Matthieu 15, Verset 19, version Louis Second, AIG, 1984, p.31.
52

Il n’existe pas de façon péremptoire un nombre déterminé des différentes instances


spirituelles de la personne humaine dans l’Afrique ancienne. Le nombre de ces différents
principes spirituels varie d’un espace culturel à un autre selon l’entendement qu’il s’en fait de
la personne humaine. C’est pourquoi la complexité de la religion funéraire résulte de la
conception égyptienne de la personnalité humaine125, mieux de la diversité d’éléments
immatériels qui la composent, et font d’elle un véritable mystère. En effet tandis qu’on peut
dénombrer sensiblement six éléments spirituels chez les kmtyw, on compte plus de sept chez
le peuple Binam, tous renvoyant biensûr à un sens commun.

- Le Ba ou ywèle126 : l’âme

Symbolisé dans l’Egypte ancienne par un oiseau à tête humaine, le ba est l’un des
principes spirituels de l’individu, qui après la mort de ce dernier, retrouve son individualité et
peut errer à son gré. Il peut alors apparaitre et agir indépendamment de son support physique
qu’est le djet. D’ailleurs l’un de nos informateurs, Toukam Tchamdjou Ndeffo à ce propos
nous a exposé le rôle de la mort dans la libération des différents principes immatériels de
l’être, en ces termes :

Chez les Bangangté, la mort n’est pas la fin de la vie, mais plutôt la continuité de l’existence humaine
sous une forme invisible. Si la mort mettait vraiment fin à la vie, les gens ne devaient pas avoir peur des
cimétières, ou le culte des ancêtres ne devait pas exister (…) ; le fait que nos ancêtres agissent dans nos
vies par des bénédictions ou des punitions, prouve qu’ils ne sont pas partis pour toujours. La mort est
pour ceux qui ont vécu dans la droiture et la justice, la possibilité de continuer d’aider leurs proches en
mettant à profit leurs nouvelles facultés d’agir. Mais pour ceux qui ont vécu dans le mal, elle est la
sanction de leurs mauvais comportements et le moyen d’expier leurs fautes éternellement. C’est donc en
resumé, l’affranchissement définitif des parties invisibles de l’homme, du corps qui les maintenait
prisonniers127.

Selon certains auteurs, le ba peut éventuellement être assimilé au jumeau de l’être,


mieux à son double, qui du fait de son caractère immatériel, ne peut connaitre ou endurer les
réalités ou maux que subit en permanence le djet ; c’est dans cette mouvance que s’inscrivent
Nadine Guilhou et Janicé Peyré lorsqu’ils affirment : ‘‘l’âme est cette composante parfois
représentée comme le jumeau de la personne, et c’est ainsi qu’il apparait dans les sciences de

125
J. Vercoutter, ‘‘La religion égyptienne’’, in Egypte Antique (civilisation), Encyclopédie Universalis, Corpus
6, Paris, S.A, 1985, p.725.
126
En Medumbà. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste du Medumbà, Yaoundé, le 28 octobre 2017.
127
Toukam Tchamdjou Ndeffo Dieudonné, 85ans environ, herboriste et médecin traditionnel, Fatgo-Neta à
Bangangté, 03 Mai 2017. Les propos de ce noble vieillard se vérifient dans la thèse du père M. Hebga selon
laquelle ‘‘ une tombe est une concentration de la présence invisible ; le cimétière où dorment les ancêtres est un
lieu sacré. C’est là où on leur adresse des offrandes et on les consulte dans des cirocnstances grâves’’. M. Hebga
in J. Zacka, Possessions démoniaques et exorcismes, p.47.
53

la naissance royale ou divine, double de l’être conçu en même temps que celui existant dès la
naissance, il est une sorte d’image de la personne, insensible aux atteintes du temps128’’.

- Le ka ou force vitale

Constituant selon Jean Vercoutter, le principe spirituel le plus complexe à définir, il est
souvent traduit comme étant l’énergie vitale ou la force qui entretient la vie. C’est la
puissance invisible qui anime tout être vivant ; c’est aussi la force qui entretient la vie de toute
créature de l’univers. Comme le montre Vercoutter, l’expression ‘‘passer à son ka’’ qui
signifie mourir, semblerait indiquer en effet que ce principe, mène une une existence
autonome durant la vie sur terre, malgré le fait que, suivant les sources iconographiques, il
soit façonné en même temps que le corps (djet) : D’où la complexité de ce principe spirituel.
Conséquence, bien que de nature invisible, il a besoin d’un support pour agir dans toute sa
plénitude. En effet une fois le khat inhumé, ce dernier pour survivre a besoin tant des cultes
funéraires que des offrandes alimentaires.

- l’akh ou mbah129 : la puissance

L’akh désigne le principe immortel qui représente la puissance céleste. C’est aussi cette
instance spirituelle de l’individu qui, une fois mort lui permet de se transformer en étoile
impérissable et de rejoindre alors le monde des dieux. A T3wy, il est représenté par un oiseau,
notamment l’ibis à aigrette qui symbolise l’esprit lumineux.

- Le nom : / rn / ren ou netsu130 ou lèn131

Selon l’anthroponymie africaine ancienne, le nom de façon holistique n’est pas qu’un
simple assemblage de mots pour identifier ou distinguer un individu d’un autre. Il est une
partie vivante de l’être qui, de par sa prononciation ou évocation permanente tant dans le
monde visible que dans le monde invisible, garantit la pérennité de l’existence de celui qui le

porte. Une fois /ḫpr/kheper (venu à l’existence) l’homme reçoit un nom qui le rattache à la
communauté ethno-linguistique à laquelle il appartient, et de ce fait perpétue la lignée de
laquelle il descend. C’est pourquoi en Afrique, le nom n’est pas donné fortuitement, mais

128
N. Guilhou, J. Peyré, La mythologie égyptienne, Paris, Editions Marabout, 2005, p.245.
129
En Medumbà. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste en Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
130
J. Fotso, ‘‘la notion ethnolinguistique de la personne chez les Bamiléké’’, pp.108-126.
131
En Medumbà. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste en Medumbà, Yaoundé, 28 octobre2017.
54

méticuleusement car, il vise non pas à décrire l’être dans sa matérialité ou dans sa
superficialité, mais à reveler sa nature profonde. C’est dans cette logique qu’il faille
comprendre Agamaka Baza Mata quand il affirme :

Dans la culture négro-africaine, le nom est un élément sacré, il ne se donne pas au hasard, car ce dernier
n’identifie pas l’entité physique mais au contraire l’être dans sa profondeur pour ne pas parler de l’esprit.
Le nom est en réalité le pont entre l’homme et son entité spirituelle, ce qu’on appelle génénralement Ange
Gardien.Tu ne dois porter qu’un nom issu de ta lignée de tes racines pour entretenir le lien de filiation
nécessaire en vue d’un avenir prospère132.

Le nom a pour fonction occulte voire ésotérique, de pourvoir l’individu d’une


personnalité spécifique (de laquelle dérivent sa psychologie, ses comportements, ses humeurs,
actes bref son tempérant) qui le connecte alors au monde invisible. En effet Doumbi Fakoly a
pu affirmer dans cette perspective qu’ ‘‘à la naissance, on attribue un nom à l’enfant et ce
nom est lourd de signification, ce nom le lie, le connecte directement au monde invisible133’’.
Et c’est pourquoi, fort conscients de cette dimension ‘‘magique’’ du nom entant que condensé
de la formule ésotérique de son porteur134, les kemtyw n’hésitèrent pas soit, à rédiger sur tous
papyrii ou parois murales d’une tombe le nom d’un souverain au règne positif (en vue de
l’immortaliser), soit à l’effacer pour produire l’effet inverse (c’est-à-dire l’annihiler
définitivement).

- L’ombre/ shou/ tchingneu ou netchang135

De toutes les composantes immatérielles de la personne humaine chez les Africains


antiques, l’ombre est cette partie vivante de l’être qui, en même temps est immatérielle et
visible. C’est une représentation immatérielle du soi consubstantielle de l’individu, en raison
des différents liens mystiques qui les unissent : c’est en cela que consiste sa particularité. En
effet elle n’est pas que visible en journée, c’est-à-dire lorsque le soleil après avoir triomphé
des forces du chaos (durant son voyage nocturne), se manifeste pour apporter sa lumière
bienfaitrice à toutes les créatures. Elle est également visible au contact de toute source
d’énergie, notamment la lumière qui, projetée sur un individu, laisse apparaitre sa silhouette.

Cependant il ne s’agit pas d’une simple silhouette, car certains auteurs voyent en elle,
sur le plan ontologique, un principe vital de l’homme, une donnée indispensable à sa vie.
C’est la raison pour laquelle sur le plan metaphysique, l’ombre est une autre représentation du

132
A. Baza Mata, Afrique Diagnostique d’un revenant, p.18.
133
D. Fakoly, Introduction à la prière négro-africaine, Paris, Menaibuc, 2005, pp.12-13.
134
D. Fakoly, Les chemins de la maât, Paris, Menaibuc, 2008, p.32.
135
En Medumbà. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de Medumbà, Yaoundé, le 28 octobre 2017.
55

soi consubstantielle à l’être, qui prend pleinement part aux initiatives tant intellectuelles que
physiques de l’individu. C’est dans cette mouvance que se situe M.Nouhoumo lorsqu’il
affirme :

En fait l’ombre est un concept spécifique de l’anthropologie africaine qui désigne toute la personne
invisible contrairement à d’autres cultures ou parlant de l’ombre d’une personne, on voudrait montrer sa
propre natation, l’ombre est donc un principe spirituel responsable des activités de la vie psychique de
l’homme136’’.

Néanmoins, il faut souligner le fait que, cette compagne fidèle de l’homme durant son
passage terrestre, ne le quitte qu’à sa mort, car contrairement au djet qui disparait dans sa
totalité, elle est liberée définitivement et condamnée à poursuivre son existence de façon
autonome ; autrement dit, la mort l’affranchit de l’individu en la dotant de la capacité de vivre
indépendamment de support matériel et physique qu’est le corps. C’est ce qui semble ressortir
de ce point de vue de Philip Laburth Tolra lorsqu’il affirme (à propos de la conception de
l’ombre chez les Beti-pahouin du Sud-Cameroun) : ‘‘elle est impérissable et continue à exister
dans l’au-délà après la mort137’’.

L’influence de la conception de la personne humaine138 sur l’éthique aussi bien à

/T3wy/Taouy qu’à l’Ouest-Cameroun, est une lapalissade aujourd’hui si bien que le


réaffirmer serait un pléonasme. La perception de la personne dans deux aires culturelles
comme on a pu l’observer, présente de nombreuses similitudes et ne diffère que sur rares
points. Dès lors présenter les cosmogonies dans laquelle elle s’insère parait vital car, de ces
cosmogonies découlent une vision du monde qui, influence durablement l’organisation d’une
société sous toutes ses formes.

C - De la vision du monde des Egyptiens anciens et du peuple Binam : l’influence des


cosmogonies sur l’éthique

Tout groupe ou collectivité humaine baigne indubitablement dans une cosmogonie (de
laquelle émergent des croyances religieuses) qui rythme sa vie spirituelle de manière
holistique et, de ce fait impacte mécaniquement son organisation sociétale dans toutes ses
dimensions. C’est ce que laissent transparaitre ces propos d’Edem kodjo lorsqu’il affirme :

136
M., Nouhoumo, ‘‘La conception Bantu-Grass Field de la personne humaine’’, Mémoire de Maitrise en
philosophie, Université de Yaoundé I, 1990, p.33.
137
P. Laburthe-Tolra, Initiation et sociétés sécrètes au Cameroun : essai sur la religion béti, Paris, Karthala,
1985, p.45.
138
Pour comprendre d’avantage la conception de la personne humaine (à l’Ouest-Cameroun) du point de vue
ontologique, bien voir notre entretien avec Mr Ndjické Demenou Charles Hubert, ancien membre du Temple
solaire à Bastos, vivant à Bangangté.
56

‘‘c’est un fait indéniable que l’idée que l’homme se fait du monde, de la vie et de sa propre
existence influe sur l’organisation sociale qu’il se donne dans tous les domaines139’’. Un
peuple à partir de ses us et coutumes, se forge une certaine vision du monde de laquelle
découle une véritable éthique (c’est-à-dire une manière de penser la vie en société),
génératrice de bonheur ou de méfaits dans la nature. Présenter ici les différentes cosmogonies
dans lesquelles s’inscrivent les peuples Egyptiens et Binam, demeure fondamental.

1 - De la cosmogonie d’Héliopolis à la théorie du fondement du monde chez les


Binam

Une cosmogonie de façon globale est une théorie cohérente (bien que fictive et
mythique) portant sur la création de l’univers ; elle est élaborée en réalité par des théologiens
soucieux de rendre l’univers compréhensible pour la race humaine. La plupart des grands
centres religieux à Taouy ont élaboré plusieurs théories relatives à l’origine du monde, des
dieux et des hommes.

Mais nous insistons sur la cosmogonie d’Iounou140, qui est la mieux élaborée et la plus
connue. En voici l’économie en texte hiéroglyphique141 :

ink itm m m wnn

inek Item em ounn

Je suis Atoum quand j’existe

wc wr r.k m Nnw

ouâ our rek em Nenou

étant seul dans le Noun

139
E. Kodjo, Et demain l’Afrique, Paris, Stock, 1985, p.71.
140
C’est le nom authentique par lequel les kemetyou désignaient la ville d’Héliopolis. Héliopolis n’est que
l’appellation grecque, tout comme les villes suivantes : Hermopolis (Khemenou), Hiérankonpolis (Nekkhen),
Abydos (Abdjou), Thèbes (Ouaset), Saou (Sais), etc. La plupart des villes Kemteyou ont adopté des noms grecs
après que Taouy passa sous la domination grecque, à travers l’hellénisation. Dans cette entreprise historique
Alexandre le Grand, fils de Philippe II de Macédoine, joua un rôle majeur.
141
Essai de transcription, de lecture et traduction par Zoah Ottou Michel. Voir T.Obenga, pp.36-37.
57

ink nṯr 3C ḫpr ḏs.f mw nw Nnw nw

ink netjer aâ kheper djesef mou nou Nenou nou

Je suis le dieu grand venu à l’existence de lui-même du Noun

it.f nṯ rw

itef netjerou

qui est le père des dieux.

En effet, les théologiens d’Iounou pensent (bien qu’il s’agisse de conjectures) qu’à
l’origine, il n’existait que le chaos, cette masse liquide inerte (infinie et intemporelle) encore

nommé océan primitif : le Nnw142/ Nenou (le Noun). Cet océan primordial
contenait en lui toutes les virtualités et tous les germes en attente de création. Les forces

bienfaisantes de ce chaos originel étaient représentées par le démiurge / Itm/Item


(forme de conscience primitive sommeillant au sein de cette même eau abyssale), tandis que

les forces destructrices étaient incarnées par le serpent 3ppf/Apepef/Apophis143. Par


la suite, un événement majeur marqua le début des temps, celui de l’apparition de la première
butte car, c’est cette colline primitive sans doute, qui permit au soleil Atoum de venir au jour

et de se lever sur la pierre /Bnbn/benben, à Héliopolis. De par sa nature androgyne, le


démiurge qui était alors venu à l’existence de par sa seule volonté (d’où l’expression

/ ḫpr-ḏs.f/kheper-djes-ef’’, c’est-à-dire venir de lui-même à l’existence), pratiqua

l’onanisme et fit naitre /Šw/Chou (le dieu de l’air) et / Tfnt/Tefnout

142
R.Faulkner, A concise dictionary of Middle egyptian, Oxford, Griffith Institute, 1962, p. 56; l’auteur definit le
Noun par l’expression ‘‘god’s father’’ c’est le père des dieux, it- netjerou. De son coté E. W.Budge le définit soit
comme étant ‘‘the mass of water which existed in primeval times or celestial waters’’ c’est-à-dire, l’étendu
liquide qui exista au debut des temps ; puis il parle de ‘‘the deified primeval water whence everything came’’ ;
ici il parle du Noun en tant qu’eau primitive déifiée ou divinisée de laquelle tout vint ou tout est venu.
143
Selon P.Barguet, c’est le serpent géant qui tente de faire chavirer la barque solaire, en particulier quand elle
arrive à l’Occident. Le livre des morts des anciens égyptiens, Paris, Les éditions du Cerf, 1967, p. 43. C’est aussi
ce gigantesque serpent originel qui représente les forces destructrices des eaux abyssales primordiales.
58

(déesse de l’humidité), les deux formant ainsi le premier couple divin (voire figure 3).
Symbole de l’air et de la lumière, Chou s’unit à sa sœur Tefnout pour donner naissance à Geb

(dieu de la terre) et Nout (déesse du ciel). Ce second couple divin était si enlacé que
rien ne pouvait circuler ou s’interposer entre eux ; pire les enfants de Nout ne parvenaient pas
à naitre. C’est alors que le dieu de l’air (Chou) souleva Geb (la terre), afin de créer un espace
permettant aux créatures de vivre et de respirer. Nout le ciel finit donc par mettre au monde,
deux paires de jumeaux, toutes de nature divine : Ousir et Aset pour la première paire, ensuite
Neb-Hout et Seth pour la seconde : c’est ainsi que fut née l’ennéade Héliopolitaine

/psḏt/pesedjet, cette corporation de neuf divinités ayant pour sommet le soleil


Atoum. Ces nouveaux dieux allaient marquer une nouvelle ère dans l’histoire des hommes,
car contrairement aux précédents, ils vont s’établir sur terre, et plus précisément dans le
royaume d’Egypte. En tant qu’ainé des enfants de Geb et Nout, Ousir se voit hériter de son
père Geb, le royaume d’Egypte. Il commença alors à enseigner aux hommes le respect des
dieux, l’agriculture et l’ordre universel (Maât), devenant de ce fait le dieu civilisateur tant
attendu par la race humaine. Malheureusement cette vocation messianique Osirienne, ne plut
pas à tout le monde. En effet jaloux et furieux du succès de son frère ainé au près des
humains, Seth tendit un piège à ce dernier. Selon Vercoutter, Seth invite son frère Osiris à un
banquet, au cours duquel, aidé de ses partisans, réussit par une ruse, à enfermer Osiris dans un
coffre que les conjurés jettent au fleuve144. Nous connaissons la suite du réçit, car, Isis va

chercher la dépouille de son défunt époux et frère, qu’elle va remettre au dieu


/Inpw/Inepou. Elle va donc profiter de cette résurrection temporaire d’Osiris, pour concevoir
de lui un fils, du nom d’Horus qu’elle va, nous dit Vercoutter, cacher et elever toute seule
dans les marécages du Delta pour le soustraire à la vindicte de son oncle Seth. Devenu adulte,
Horus, avec l’aide inconditionnelle de sa mère, la divine Aset, va revendiquer l’héritage qui
lui revient de droit, celui de son défunt père Wsir : la royauté terrestre en général et
égyptienne en particulière. Dans cette lutte aux péripeties mulitples pour la reconnaissance
d’Horus comme l’unique et legitime souverain d’Egypte, Aset, prend ardemment le parti de

son fils devant le tribunal divin présidé par Atoum-Rê, le /nb-r-ḏr/neb-er-djer,


c’est-à-dire le ‘‘Maitre de l’univers’’. Ce dernier avec les autres quarante-une divinités de la

144
J.Vercoutter, ‘‘La Religion égyptienne’’, p.723.
59

maâti (pourtant secrètement favorable au depart à Seth), finit par donner entièrement raison à
Horus en disant : ‘‘acclamez, acclamez… Horus, fils d’Isis145’’.

Ainsi au-delà même du récit, de cette ‘‘transmission du pouvoir monarchique legitime


par loi de filiation’’ pour reprendre la formule de J-C Goyon, que faut-il retenir ? Comment
cette merveilleuse histoire pourtant anodine de prime à bord a-t-elle impregné la psychologie
des kemetyou, et ce, durant des millénaires ?

Premièrement par le biais de ce formidable reçit, les Egyptiens en général, et ceux


d’Iounou en particulier, ont pu comprendre tout simplement que, la mort (phénomène inhérent
à la nature humaine) est à la fois une dissociation totale des instances plurielles de la personne
humaine, en même temps que le seul moyen pour elle, d’accéder au divin et donc à
l’universalité cosmique. En effet dans le cadre cosmogonique Héliopolitain, la mort-
dissociation selon Jean-Claude Goyon, c’est ‘‘le meurtre et le demembrement du dieu-
homme’’, tandis que la mort-passage vers le divin, c’est ‘‘la reconstituion du corps mortel et
du support de la parcelle d’énergie divine qui anime tout être’’. Nous voyons bien que dans
cette histoire se trouvent-même les clés de compréhension de tous les rites et pratiques
funéraires dans l’Egypte ancienne.

Ensuite, comme on a pu l’observer, l’amour est au cœur même de la dite cosmogonie ;


c’est ce sentiment qui est le moteur de l’évolution des événements décris dans la dite
cosmogonie. C’est l’amour, ce désir irrépressible de vouloir faire le bien, qui amène le
démiurge, sorti de l’océan primordial, à se masturber en vue de donner la vie aux autres
divinités qui vont former progressivement, la fameuse ennéade (pesedjet). Autrement dit, le
soleil-Atoum, a ressenti, le besoin d’amener à l’existence, les autres dieux, pour donner un
sens à sa vie. Une existence solitaire ne lui aurai procurée aucune satisfaction, aucun plaisir
réel car, le plaisir dit-on, n’a de valeur que lorsqu’il est partagé. Et ce désir de donner la vie ne
va pas s’arrêter avec le démiurge car, ses enfants vont perpétuer cette tradition, donnant
naissance au ciel et la terre. Nous voyons comment l’existence, mieux la vie146 au sein de
l’univers qui au départ vide, commence à prendre forme. Cette forme atteignit son apogée
avec la descendance de Geb et Nout. Osiris, en effet ayant hérité de cette volonté d’accomplir
le bien, va enseigner aux hommes les vertus de la civilisation pour donner un sens à leur vie,

145
G. Lefebvre, Les aventures d’Horus et Seth cité par Jean Vercoutter, ‘‘La femme en Egypte ancienne’’, in
Histoire mondiale de la femme : de la préhistoire à l’antiquité, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1965, p.72.
146
En Medumbà, se dit ‘‘yog’’ ; quant à la mort on dit ‘‘vᵾ’’. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de
Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
60

pour les rendre heureux. C’est donc ce modèle de vie menée par les dieux de l’ennéade, qui va
influencer subconsciemment les Egyptiens, leur conception de la vie, de l’amour, ce sentiment
noble à l’origine du progrès véritable.

C’est pourquoi, la vie familiale dans l’Egypte ancienne comme l’a montré J.C Goyon,
est calquée sur le modèle des ennéades, mieux sur la vie des couples divins. En effet Isis
épouse d’Osiris, deviendra pour de nombreux foyers égyptiens, le modèle de l’épouse
parfaite, et ce, pour plusieurs raisons : d’abord c’est elle qui, fidèle dans l’adversité et les
difficultés, recherche la dépouille mortelle de son mari. C’est encore elle qui, soutenue par

ḏhwty147 et Neb-out, rend provisoirement le souffle vital au souverain mort ;


c’est aussi elle qui attentionnée et devouée à son fils, brave avec détermination et intrépidité
tous les obstacles, ceci, pour faire prévaloir les droits de son fils à l’héritage du défunt Osiris.
Les Egyptiens sont donc renseignés que seul l’amour apporte la vie, contrairement à la haine
qui n’apporte que destruction et déséquilibre. C’est cette leçon Héliopolitainne qui va les
amener d’avantage, à connaitre l’importance de la Maât (vérité-justice) dans une société :
d’où la soumission indéfectible du peuple à pharaon

De ce qui précède, on observe que la cosmogonie d’Héliopolis a certainement


influencé, la conception de la vie des Egyptiens, le sens qu’ils se faisaient de la vie en
famille ; peut-on dire autant des cosmogonies Binam ?

Figure 3 : Scène de séparation de Nout déesse-ciel et Geb dieu-terre dans la cosmogonie


Héliopolitainne

147
Cette désignation égyptienne du dieu Thot, se lit djehouty.
61

Source : Papyrus de Nespakachouty (1069-945 av. JC), Haute-Egypte, Thèbes-Ouest, in


Encyclopédie universalis corpus 6, Paris, 1985, p.727.

Contrairement à kemet, la région Binam compte très peu de mythes148 consacrés à


l’origine de l’univers, c’est-à-dire ‘‘la totalité de ce qui existe’’. Cet état déplorable de chose
selon Léon Kamga, s’explique par la défiance qu’ont exercée les conquérants Mbum et Tikar
(fondateurs de micro-royaumes dans la dorsale Ouest-Cameroun), pour les puissances
cosmiques qui les ont précédés sur le site. Politiquement, il leur fallait raser selon l’auteur,
toutes institutions antérieures à leur arrivée, éliminer systématiquement toutes survivances
d’éléments culturels, qui pourraient leur rappeler qu’ils n’étaient pas totalement maitre du
nouveau territoire. Et pour se faire, ces rois chasseurs instaurèrent un fort culte de la
personnalité, faisant d’eux, des personnalités sacrées et immortelles, sorte de démiurge,
capable de dompter et de réorganiser le cosmos dans son entièreté.

Nous voyons bel et bien que, dans un tel contexte (avéré ou non), l’élaboration des récits
cohérents (à l’image de celui d’Héliopolis ou d’Hermopolis) sur l’origine du monde ne
pouvait être possible. Toutefois certaines cosmogonies dans l’univers Binam ont réussi à nous
parvenir, quoique ne parlant pas d’une eau abyssale inaugurale et intemporelle, contenant déjà
toute la matière première qui va être exploitée par le démiurge.

148
Nous savons que l’histoire du peuplement au Cameroun, s’est faite de migrations importantes au cours
desquelles, chaque nouveau occupant, à chercher à assujetir ces prédecesseurs sans pour autant oblitérer toute
trace de leur culture. Ainsi les autochtones et allogènes avaient alors une alternative, soit se ranger ou soumettre
à la vision du nouveau maitre (tout en conservant leurs croyances), soit se déplacer vers d’autres lieux pour
preserver leur indépendance politique. C’est pourquoi cette thèse de L. Kamga sur le déficit cosmogonique dans
l’espace Binam (à la page 23 de son ouvrage sus-évoqué) ne nous parait pas plausible.
62

Nous avons pu y avoir accès à travers l’ouvrage de Jean Hurault. Elle narre la création
du monde par Si. A son réveil, l’homme trouva que Si, ‘‘l’Au-dessus des hommes149’’ avait
déjà tout créé dans l’univers : la terre et la cuvette de pluie, deux immenses feuilles larges, les
herbes, les arbres, les animaux, ainsi que les astres que sont le soleil, la lune et les étoiles. Puis
Si se retira pour laisser l’homme vivre et contempler les merveilles qu’il avait façonnées de
ses propres mains. L’homme vivait alors bien, il n’avait ni faim ni soif, il ne ressentait ni le
froid encore moins la chaleur ; bref il vivait dans une sorte d’univers paradisiaque qui ne
connaissait, ni souffrances, ni maladies, etc. Accompagné de son fidèle ami le chien (qui
parlait alors au temps de la création), l’homme consacrait la plupart de son temps à la chasse,
qui constituait alors sa distraction de prédilection. Un jour, Si entreprend un périple à pied
pour visiter la terre, son atelier, pour revoir et contempler la magnificence de ses œuvres.
Epuisé par son voyage, Si trouva repos à l’ombre du vieil arbre ‘‘yam’’ qui était entouré de
‘‘pfuenkan’’ verdoyants ; c’est à ce moment précis que les vagissements des jumeaux qui
venaient de naitre du couple humain qu’il a créé, se firent entendre. Aussitôt l’Au-dessus des
hommes (Si) épris d’une immense joie, vint et pris les nouveaux nés entre ses mains, et les
nomma ‘‘pomnye pa150’’ ; puis il leur dit de grandir vite afin qu’ils viennent travailler dans
son champ fertile. Ensuite il remit aux parents tagne et magne, deux belles tiges de
‘’pfuenkan’’ en leur demandant de songer à lui rendre visite régulièrement avec les enfants à
cet endroit sacré, précisément au pied de l’arbre sacré ‘‘yam’’. Mais les parents ont vite tôt
fait d’oublier les prescriptions de l’Etre suprême, si bien que le temps passa et Si, dans son
attente, ne vit toujours pas tagne et magne lui rendre visite comme il l’avait pourtant prescrit.
C’est alors qu’à bout de patience, ‘‘l’Au-dessus des hommes’’ entra dans une colère noire
sans précédente, et envoya le caméléon et le crapaud leur transmettre le message suivant :
‘‘puisqu’il en est ainsi, vous verrez, vous mourrez151’’. Cette déclaration de Si eut l’effet
d’une boite de Pandore car, avec elle vint tous les malheurs, les souffrances, et autres
malédictions jusque-là inconnus de tagne et magne. Dorénavant les hommes naissent,
grandissent, travaillent dur pour subsister, puis vieillissent avant de mourir. Toutefois, dans
son immense mansuétude, Si décide d’épargner les jumeaux qu’il avait bénis auparavant (qui
étaient innocents) ; les jumeaux ainsi meurent mais ne disparaissent pas ; les magne à leur
tour font à présent usage de pfuenkan, tandis que les hommes prient et font désormais des
sacrifices au pied de l’arbre sacré yam, lieu saint reservé à Dieu. S’ils le font c’est sans doute

149
J.Hurault, La structure sociale des Bamiléké, p.233.
150
Ibid.
151
Ibid, p.234.
63

dans l’espoir de retrouver dans ce lieu sacré, le bonheur qu’ils ont perdu, c’est-à-dire le lieu
de leur dernière rencontre avec Si alors en visite sur terre.

Cette cosmogonie telle que relatée, reflète parfaitement les us et coutumes Binam à plus
d’un titre. En effet l’analyse de ce récit permet de comprendre pourquoi, l’arbre ‘‘yam’’ ainsi
que le pfuenkan ont une valeur sacrée à l’Ouest-Cameroun, car l’un deux a servi d’abri à Si
pour se reposer au terme de son voyage, tandis que l’autre a été offert aux parents des
jumeaux pour perpétuer l’harmonie, la paix. En outre, on peut comprendre pourquoi
aujourd’hui dans les villages Binam, le crapaud et le caméléon, sont des animaux dont on se
garde de tuer inutilement car, ce sont eux qui furent les porteurs du message divin. Enfin on
peut comprendre les raisons qui justifient la place de choix qu’occupent les jumeaux dans les
coutumes Binam car, en plus d’avoir fait la joie de leur grand-père Si à leur naissance, ils ont
été bénis par lui et épargnés d’une mort totale, contrairement aux autres créatures. Ce mythe
apparait subséquemment comme une sorte de fenêtre ouverte sur les modes de
fonctionnement de la culture Binam dans toute sa diversité.

Au terme de ce chapitre, nous retenons que, pour les peuples de l’Afrique ancienne en
général, et les Egyptiens et Binam en particulier, le monde obéit à une certaine structuration
auquelle l’homme essaye de se résilier en se conformant aux différentes normes qui le
régissent. Ainsi, l’éthique ici, n’est rien d’autre que la conception qu’a une communauté des
relations humaines, du monde et de l’Etre suprême ; c’est même le principe organisateur du
monde.

Mais cette conception de la vie en société, comme nous l’avons constaté, a été façonnée aussi
bien par l’environnement que par la perception plurielle152 de la personne humaine, sans
oublier biensûr les cosmogonies153.

Cependant, afin de suppléer et meubler notre saisie de l’éthique africaine, il est à présent
fort utile de découvrir et de décrire d’une part, la lecture que les Africains anciens se font de
l’éducation individuelle au sein de la société, et la structuration de cette éducation.

152
La théologie chrétienne conçoit l’homme comme étant une entité dualiste faite de chair et d’esprit. Ce qui
n’est pas le cas chez les anciens Egyptiens et les peuples au Sud du Sahara. Ces derniers voient en la personne
humaine, un ensemble pluriel, et dont la mort ne favorise qu’une dissociation définitive des dits constituants et la
possibilité pour certains d’eux de s’exprimer véritablement.
153
En scrutant les cosmogonies des peuples de l’Afrique ancienne en général, de Taouy et de l’espace Binam en
particulier, on remarque très vite que le monde a été façonné par une divinité primordiale, qui, de par ses actes
salutaires, a permis à l’univers de passer progressivement d’un stade de vacuité à un stade de plénitude, de
totalité.
64

CHAPITRE II
CHAPITRE II
LA CONCEPTION DE L’EDUCATION ET SON ORGANISATION CHEZ LES
Dans le précédent chapitre, il s’est agi d’examiner l’éthique comme fondement de la conduite
ANCIENS EGYPTIENS (2780-2280) ET LES BINAM BANDJOUN ET BANGANGTE
morale quotidienne des peuples de l’Afrique ancienne. Cependant une meilleure extension de
bbBBANGNBBBBBBBANGANN BANGANGTE BANBangangtBANGANGTE
La saisie de l’éthique en tant que théorie normative de l’action individuelle, à Taouy et chez
les Binam Bandjoun et Bangangté, passe inéluctablement par la conception dont se faisaient
ces derniers de l’éducation. Cette démarche se justifie par le fait que, aussi bien pour les
Egyptiens de l’Ancien-Empire que pour les Bandjoun et les Bangangté, l’éducation avait
d’abord une dimension morale, avant de se prolonger dans la proféssionnalisation des
individus par l’acquisition des savoirs-faire spécifiques. Tout ceci concourait ipso facto à
mieux humaniser l’être, car comme l’a dit Rabelais, ‘‘science sans conscience n’est que ruine
de l’âme154’’.

Il importe dans ce deuxième chapitre, de présenter d’abord la conception de l’éducation


chez les Kemetyou et les peuples Binam de Bandjoun et de Bangangté, en insistant sur
l’étymologie culturelle du concept même. Ensuite il est question d’analyser la structuration du
système éducatif dans ces deux espaces avant les influences extérieures, tout en s’attardant sur
les différentes étapes ponctuant ce processus.

I - La conception de l’éducation des anciens Egyptiens (2780-2280) et du peuple Binam


(Bandjoun et Bangangté)

Pour de nombreux spécialistes tels Erny et Zahan, l’éducation en Afrique ancienne,


constitue une entreprise qui ouvre l’individu sur son environnement. De par les connaissances
reçues, l’individu devient le résultat de l’action permanente d’une communauté. C’est
pourquoi, c’est un processus cognitif.

1 - L’éducation : une expérience cognitive

L’éducation nous l’avons dit, c’est le développement des facultés cognitives, mentales et
physiques d’un enfant en vue de l’inféoder à l’éthique du milieu. Elle consiste plus
exactement en la transmission du savoir ancestral à un enfant dans le but de l’initier au savoir-
vivre et à un savoir-faire, qui vont faire de lui plus tard, une plus-value à la communauté à
laquelle il appartient. L’enfant en Afrique ancienne, est considéré comme un être fragile de
154
F. Rabelais cité par E. Kemogne, Comprendre la Philosophie, deuxième édition, Yaoundé, PUY, 2005, p.45.
65

par son immaturité physique et son instabilité émotionnelle, naïf de par sa vision idyllique
voire angélique des événements qui se trament autour de lui, et enfin inconscient en raison de
son absence de discernement qui ne lui permet pas de mesurer la gravité des actes qu’il pose.
Or ces différentes caractéristiques ne sont pas susceptibles de le rendre réceptif aux normes
qui régissent la vie du groupe. Conséquence on est en face d’un être caractériel, littéralement
déconnecté du milieu dans lequel il est appelé à vivre, à s’émanciper et à prendre pleinement
part aux activités communautaires. Il incombe donc à l’adulte, non de déteindre sur lui, mais
de donner une orientation durable à la vie de l’enfant155, par un contrôle intransigeant de ses
comportements (ce qui implique de le gratifier ou de le punir selon les circonstances). En
agissant de la sorte, l’adulte réussit à faire transiter l’enfant du stade d’hétéronomie au stade
d’autonomie : c’est pourquoi nous disons que l’éducation est donc en réalité un processus de
socialisation.

La socialisation d’un individu ici, c’est concrètement le fait pour un adulte ou toute
personne suffisament outillée (à en juger son degré d’ascèse), de s’adjuger de la formation ou
de l’encadrement d’un individu, en participant à l’éclosion, au développement et au
perfectionnement de cet individu par des actions répétitives qui s’inscrivent sur une certaine
durée, ceci, afin de créer des automatismes. Dans l’Afrique traditionnelle, la socialisation
c’est-à-dire cette transformation de l’individu en un être sociable et responsable parfaitement
en adéquation avec son cadre de vie, est un projet collectif. Ce qui signifie qu’elle n’incombe
pas uniquement aux parents biologiques, mais à toute la communauté. Par conséquent l’enfant
s’adapte facilement à son environnement et intègre parfaitement le groupe car, son éducation
(par delà toute idiosyncrasie) n’est rien d’autre que la fusion des critiques, remarques et
observations d’un groupe solidaire et unit. C’est pourquoi Joseph Ki- Zerbo a pu affirmer : ‘‘il
s’agit d’un accouchement collectif qui prolonge l’enfantement biologique individuel156’’.
Ainsi, le savoir-vivre et le savoir-faire auquel il est initié, lui permet de répondre aux
exigences du milieu dans lequel il évolue, mais aussi favorise et renforce la cohésion au sein
du groupe.

155
A ce propos, Mme Mbiada Youtha Madeleine ‘‘ sage-femme retraitée’’, 68 ans, nous a exposé les buts visés
par l’éducation d’un enfant à Bangangté en ces termes : ‘‘On accouche d’un enfant mais il vient au monde avec
son propre cœur, ses propres habitudes, ses comportements, qui ne cadrent pas toujours avec l’éthique de la
société. Elever un enfant, c’est-à-dire lui apprendre le respect des traditions et coutumes, est important, parceque
si on ne le fait pas, on pousse l’enfant à faire sa propre volonté et non celle de la communauté. Il faut donc
veiller à ce que l’enfant dans ses actions quotidiennes, soit en conformité avec les lois établit par la société. On
commence d’abord très tôt par lui apprendre à appeler toute femme qu’il voit maman, car la maman chez nous,
n’est pas seulement la génitrice de l’enfant. Mais c’est celle-là qui peut donner des conseils importants à
l’enfant, celle-là qui peut l’amener à acquérir de la sagesse’’.
156
J. Ki-Zerbo, cité par Miki Kasongo, p.20.
66

S’il est vrai que l’éducation n’est pas mécaniquement un facteur de changement et de
progrès, cela dépend pour une large mesure des objectifs et finalités assignés au système
d’enseignement. Dans le cadre par exemple d’une société fortement dominée par des
préoccupations d’ordre économique et matériel, il va de soi que le modèle d’enseignement
n’aura évidemment pour finalité, que de prioriser la formation professionnelle des individus,
créant de ce fait les conditions d’un véritable développement économique. Or ce n’est pas le
cas des sociétés africaines traditionnelles vivant au Sud du désert Saharien. En effet elles
avaient pour préoccupation majeure, la conservation et la déification du milieu naturel, le
respect de la diversité des éco-systémes, qui revêt alors ici un caractère sacro-saint.
Conséquence, l’enseignement précolonial ne pouvait que former des personnes ou individus,
habités par le souci permanent de respecter la nature, et de ne pas lui causer préjudice.
D’ailleurs Benoît Alima passéiste dans une certaine mesure, a examiné la finalité de
l’enseignement précolonial en ces termes :

L’éducation précoloniale, en ne coupant pas l’enfant de la société et de la vie lui permettait de connaitre
ses véritables capacités et ses limites, d’en faire un homme épanoui physiquement, moralement, tant sur
le plan intellectuel qu’artistique ; en intégrant l’individu à son contexte social, elle lui permettait de
devenir responsable et solidaire des autres de la société157.

Or en tant que processus, l’enseignement durant la période précoloniale, nécessite une


importante mobilisation de moyens pluriel (les jeux, les dévinettes, la tradition orale, les rites)
pour faciliter l’instruction individuelle. Les moyens ici ont pour fonction de faciliter le
passage délicat d’un individu, du stade instinctif (ou pulsionnel) au stade rationnel (celui de la
rationis). Le but c’est de l’amener à voir en la communauté à laquelle il appartient, non pas le
cimetière où viennent s’enterrer son individualité et son affectivité, mais plutôt la planche de
salut de son existence. C’est pourquoi, l’éducation c’est également la mise en œuvre des
moyens pour assurer la formation et le développement d’un individu afin de garantir son
insertion socio-culturelle. Et dans ce processus d’insertion, l’individu doit démontrer cette
volonté sacrificielle afin d’intégrer lui aussi le monde adulte. Il doit vouloir spontanément
braver les différents obstacles qui parsèment et émaillent son quotidien. C’est seulement en
voulant s’impliquer lui-même dans cet apprentissage, qu’il pourra le rendre fructueux.

Au final, l’éducation c’est le processus d’édification progressive d’un individu


poursuivant une finalité qui peut s’apprécier sur un triple plan : personnel, social, et culturel.

157
B. Alima, La réforme éducative au Cameroun, regard sur les activités post et périscolaires, Yaoundé, Clés,
2002, p.29
67

La dimension personnelle de l’éducation lui permet de s’adjuger, de domestiquer ou


d’incorporer les différents apports extérieurs concourant à la constitution de sa personnalité.
La dimension sociale vise à faire de lui un acteur qui s’implique dans la vie du groupe en se
solidarisant des initiatives prises par lui. La dimension culturelle enfin a pour souci de faire de
lui le reflet d’une manière particulière de saisir l’homme, la nature et les dieux. C’est dans
cette perpsective que s’inscrit P.Erny (parlant de la triple intégration poursuivit par
l’éducation) lorsqu’il affirme :

L’intégration personnelle qui est aptitude à rassembler en un moi unitaire toutes les multiples influences
qui s’exercent du dehors. L’intégration sociale qui permet à l’individu de participer comme membre actif
à la vie du groupe au quel il appartient, comme sien et d’être reconnu par lui ; enfin l’intégration
culturelle qui fait de la personnalité l’expréssion vivante et la porteuse adéquate d’une manière de vivre,
de penser, d’être au monde158.

Il ressort que l’éducation traditionnelle159, c’est une réalité cognitive et psycho-


pédagogique, car, elle analyse le sujet dans ses interactions sociales au quotidien. C’est aussi
la société elle-même (en tant que responsable de l’ordre), c’est la vie de tous les jours. C’est
pourquoi c’est une éducation qui permet à l’individu de connaitre bien sa culture et son
milieu.

Il revient dès lors, de l’analyser selon son étymologie en montrant, qu’il s’agit d’un
vocable communautaire plurivoque.

2 - De l’étymologie : une réalité communautariste polysémique

A l’Ancien-Empire, il n’existe pas des mots spécifiques pour exprimer l’éducation.


Pour les Egyptiens de cette période, l’éducation160 correspond à une activité intellectuelle et
cognitive161, au processus d’enseignement, d’instruction. C’est pourquoi à Taouy les habitants

emploient le verbe /sb3/seba, qui signifie ‘‘instruire ou enseigner’’. L’éducation est


donc dans cette perpective, une activité qui permet d’assagir (comme le montre les Sagesses

158
P. Erny, L’enfant et son milieu, p.20.
159
A propos de ces deux formes d’écoles, consulter aussi ‘‘L’éducation et le développement endogène de
l’Afrique : évolution et perspectives’’ ; c’est un rapport issu de la conférence des ministres de l’éducation et les
ministres chargés de la planification économique des Etats membres d’Afrique. Elle fut organisée par l’Unesco
avec la coopération de la CEA et de l’OUA, au zimbabwé (Hararé), du 28 juin au 03 juillet 1982.
160
Dans l’Ancien Empire, il n’existe pas de mots spécifiques pour désigner éducation. Eduquer ici renvoie au
verbe instruire, enseigner, ‘‘seba’’. La véracité de l’emploi de cette expression est corroborée par plusieurs
auteurs : Y. Somet, Cours d’initiation à la langue égyptienne pharaonique, p.189, ensuite chez T. Obenga, La
philosophie africaine de la période pharaonique pp.210-211 ; enfin les lexicographes R. Faulkner A concise
Dictionary Of Middle p.243, A. Gardiner Egyptian Grammar p.444, et R. Lambert, Lexique hiéroglyphique,
Paris, Paul Geuthner, 1925, p.309.
161
Car elle permet à l’individu d’acquérir des informations sur son environnement.
68

égyptiennes) l’individu tout en lui permettant d’acquérir des connaissances susceptibles de l’ouvrir sur
son environnement.

De même tout comme les kemetyou, le peuple Binam tend à employer de manière
générale plusieurs expressions en langue pour dire éducation. En Guemba par exemple, on
utilise des mots tels ‘‘jô’’ (voir, observer), ‘‘feutche162’’ (imiter), ou ‘‘chou’’ (entendre,
comprendre). Ces expressions peuvent se justifier par le fait que l’enfant doit être capable de
bien observer (car il ne s’agit pas d’une observation contemplative mais participante) ce qu’on
lui montre, de bien comprendre ou entendre ce qu’on lui dit pour espérer vite intégrer la
communauté des adultes. Chez les Bandjoun par contre, éduquer renvoie à ‘‘djite’’ ou
‘‘dagne’’, c’est-à-dire ‘‘apprendre à faire quelque chose’’, d’où les expressions telles : ‘‘ge
wo dagne jupche’’ j’apprends à chanter, ou ‘‘ge wo dagne na nang163’’ j’apprends à danser.
Chez les Bangangté on utilise en Medumbà des expréssions telles que : ‘‘ne kwiêgte164’’ c’est-
à-dire éduquer parlant d’un enfant, ou ‘‘ ne tswite165’’, enseigner un enfant ; Par ailleurs on
peut employer des verbes comme ‘‘jù166’’ entendre ou écouter attentivement, mais aussi
‘‘cùi’’ montrer (quelque chose dans l’objectif d’inciter à faire pareil). Nous voyons bien que
quelle que soit la variabilité des mots d’une communauté à une autre que l’on a utilisé pour
savoir à quoi renvoie l’éducation, un fait commun apparait pour ces expressions : celui de
l’observation. En effet l’observation chez le peuple Binam comme partout ailleurs dans
l’Afrique ancienne, joue un rôle important dans l’éducation, mieux dans l’apprentissage de
l’enfant. Seulement il s’agit d’une observation qui (par le phénomène de vividité) incite
l’enfant à reproduire ce que lui montre son ainé. C’est pourquoi Justin Fotso a pu définir
l’éducation comme suit : ‘‘ l’éducation est une reproduction de la vie mais en essayant
d’apporter des nouveaux éléments pour l’embellir(…) c’est pourquoi chez nous on dit, mou

162
En Medumbà, imiter c’est ‘‘ne fih te’’ tandis qu’entendre c’est ‘‘ne juhu’’. Nanja Neutchap Théophile,
spécialiste de langue Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
163
Fotso Justin, 79 ans, traditionaliste, Bandjoun, 28 avril 2017. C’est ce monsieur qui, faisant montre d’une
maitrise avérée des traditions Bandjoun, nous a appris quelque expressions et verbes en langue Ghomala. Par
ailleurs, il est docteur en théologie.
164
Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de langue Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017. Pour dire par
exemple, j’apprends à chanter en Medumbà selon ce monsieur, on dit ‘‘me tchwè de nzihte ne yobkwi’’,
j’apprends à danser, ‘‘me tchwè de nzihte ne nya nsa’’.
165
Idem. Nous avons remarqué au cours de notre entretien avec ce linguiste et informaticien que, le Medumbà
présente de nombreuses similitudes linguistiques avec la langue Bamoun tant au niveau de la sonorité des mots
(phonétique), qu’au niveau de la lexicologie (vocabulaire) et de la morpho-syntaxe (c’est-à-dire la grammaire).
D’ailleurs certains Bangangté comme on l’a constaté lors de notre descente dans cette ville, sont musulmans
comme chez les Bamoun du Noun. C’est-à-croire qu’ils viendraient du Noun et se seraient établis dans le Ndé,
tant les similitudes entre ces deux peuples sont assez cinglantes. D’ailleurs une archéologie linguistique
rigoureuse permettrait de dissiper les doutes à ce sujet.
166
J. voorhoeve, contes Bamiléké, musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, Belgique Annales, 1976, p.119.
Ayant effectué un séjour à Bangangté de 1961-1962, il a pu glaner d’énormes informations sur la culture
Bangangté grâce aux autochtones, qui se sont particulièrement montrés très ouverts à son endroit.
69

san dje ne pa ko pe bi fé, c’est-à-dire, l’oiseau connait tisser son nid en regardant comment
son frère fait’’167.

Il ressort de cette définition que, l’éducation chez les Bandjoun, repose sur un fond de
mimétisme doublé de la volonté de mieux faire en y apportant des innovations susceptibles
d’améliorer les rapports sociaux.

Toutefois pour approfondir d’avantage notre lecture de l’éducation dans l’Afrique


ancienne, il est impératif de connaitre à présent, la structuration du système éducatif des
Egyptiens durant l’Ancien-Empire, mais également du peuple Binam Bandjoun et Bangangté
de la période précolonial.

II - La structuration du système éducatif dans l’Ancien-Empire Egyptien et l’espace


Binam precolonial

L’éducation de manière globale dans l’Egypte ancienne et dans l’espace Binam est un
processus (c’est-à-dire ce qui exige un certain temps pour parvenir à maturité, à un état
définitif) qui se déroule en deux principales étapes d’inégale importance. La première étape se
déroule au sein de la famille et la seconde étape dans des centres d’instruction (l’ât sebay et la
maison de vie) et écoles de différentes administrations, mais aussi à travers des sociétés de
classes d’âge (telles que le Me kué et le Madjoun).

1 - Les différentes phases de l’éducation chez les Africains anciens : Le rôle de la

/mhwt/mehout (famille) /ntunn dâ168 (en Medumbà)

La cellule familiale constitue sans doute le premier foyer de socialisation d’un individu
à Taouy. Ce principe égyptien antique de toute organisation étatique et morale selon Jean
Claude Goyon, est calqué sur l’exemple royal, ‘‘lequel est divin169’’ ; d’ailleurs la plupart des
triades170 du panthéon égyptien ancien (à l’instar d’Osiris-Isis-Horus, Amon-Mout-Khonsou)
reflètent parfaitement l’importance de cette réalité. C’est au sein de cette unité de base de la
société égyptienne que les parents transmettent progressivement à l’enfant, les connaissances
rudimentaires, les prérequis l’aidant à s’insérer d’abord dans la famille et par extension dans

167
Fotso Justin, 79 ans, ethnologue et traditionaliste, Bandjoun, 30 avril 2017.
168
Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de la langue Medumbà, Yaoundé, 28 octobre, 2017.
169
J-C Goyon, Rê, Maât et Pharaon ou le destin de l’Egypte Antique, Lyon, Editions A.C.V, 1998, p.69.
170
Une autre triade dans le panthéon égyptien ancien : Ptah-Sekhmet-Nefertem. C’est la triade de Memphis.
70

la société. Le constat est le même chez le peuple Binam de Bandjoun et de Bangangté à savoir
que, l’éducation comme cela est le cas à Taouy, se déroule en deux grandes phases dont
l’objectif est de faire de l’enfant, un être indépendant171 et responsable. La première phase est
axée autour des parents et la famille d’abord et de la société ensuite ; la seconde phase quant à
elle vient entériner cet apprentissage (amorcé au niveau familial) par le truchement de
l’initiation (lato sensu).

A sa naissance, dans l’ancienne Egypte, c’est la /mwt/mout (mère) en tant

qu’épouse et /nbt pr/nebet per172(maîtresse de maison) qui prend soin de

/ms/mes ou /krd/kered (l’enfant). Soucieuse de son extrême fragilité, et en raison du


taux de mortalité infanto-juvénile élevé à kemet, la mère173 faisait de la santé du nouveau-né
sa priorité. Pour se faire, elle l’allaitait jusqu’à l’âge de trois ans environ, ce qui assurait une
meilleure contraception pour elle. Mais cette approche de s’occuper du nourrisson contrastait
d’un milieu à un autre car, dans les familles appartenant à la bourgeoisie égyptienne, le

/nb-pr/neb-per (maître de maison) pouvait prendre une nourrice chargée de


s’occuper de l’enfant jusqu’à une certaine période.

Mais cette réalité égyptienne diffère légèrement de celle rencontrée dans l’espace
Binam Bandjoun et Bangangté. En effet lorsqu’un enfant vient au monde que ce soit en pays
Bandjoun ou Bangangté, la mère ‘‘mâ’’ ou ‘‘magne’’ (si elle accouche des jumeaux), allaite
l’enfant quelques temps. Durant et après la grossesse, c’est sa mère qui l’assiste et prend soin
d’elle et du nouveau-né. Si la mère ne vit plus ou qu’elle est indisponible, cette responsabilité
incombe à ses tantes, ou à ses coépouses si elle vit dans un foyer polygamique. Le moins que
l’on puisse dire c’est que toute femme au village, de par son expérience de mère peut assister
la nouvelle maman et lui administrer des soins traditionnels concourant à la retablir. En effet,

171
Il ne s’agit pas d’une indépendance qui sous-entend un détachement total du groupe.
172
J.Vercoutter, ‘‘La femme en Egypte ancienne’’, in Histoire mondiale de la femme : de la préhistoire à
l’antiquité, Besançon, Presses de l’imprimerie moderne de l’Est, 1965, p.100. Voir aussi W.Budge p.519, et
Faulkner p. 113.
173
Ibid, p.73. En raison de leur extrême attachement aux enfants, calqué sur l’exemple d’Aset pour Horus,
Vercoutter a pu dire de la femme égyptienne, qu’elle est un modèle de fidélité conjugale et de dévouement
maternel. D’après cet égyptologue, les déesses de la mythologie égyptienne, dans leur majorité ont
considérablement influencé le sens de la maternité chez la femme égyptienne, si bien que celle-ci a fini par
devenir ‘‘ la gardienne par excellence de la famille et de l’enfant’’.
71

ne dit-on pas en Medumbà, ‘‘ne fit mebe174’’, c’est-à-dire, ‘‘assister celle qui vient
d’accoucher’’.

A sa naissance l’enfant à kemet, recevait ainsi un nom qui en réalité, témoigne de la joie
du père, du genre ‘‘quelle satisfaction’’, ‘‘l’éveillé’’. Mais il pouvait également recevoir le

nom d’un dieu comme ca été le cas du vizir /Pthhtp/Ptahhetep, c’est-à-dire, ‘‘ le


dieu Ptah est satisfait ou content’’. En raison de la faible espérance de vie à l’ère des
pyramides (environ de trente à trente-cinq ans selon Trassard175), les enfants étaient
considérés comme une grande joie pour leurs parents (ils permettent de resserrer les liens
familiaux) mais aussi comme le garant d’une vieillesse tranquille. Dans cet Etat où une
progéniture abondante est unanimement encouragée, on évaluait subséquemment un foyer,
non à l’abondance de ces biens matériels, mais à la descendance qu’il pouvait engendrer.
C’est ce qui explique qu’un foyer qui n’avait pas encore d’enfant après quelle que années de
vie commune faisait l’objet de suspicions et de commentaires peu charitables de la part de son
voisinage. D’ailleurs François Trassard l’a sien bien relevé dans son ouvrage en ces termes :

Mais la réputation d’un homme ou d’une femme, et leur place dans la société sont intimement liées à la
descendance qu’ils sont capables ou non d’assurer. C’est sur ce point surtout qu’ils sont jugés (...) Et si
une ribambelle d’enfants peut devenir un sujet de vantardise, une femme qui n’aura point fait l’expérience
de la maternité se verra fort dépréciée aux yeux de ses contemporains 176.

Toutefois si une abondante descendance constitue une nécessité pour le renouvellement


et la perpétuation du groupe, encore faut-il comprendre que le choix du sexe de l’enfant pour
l’Egyptien ancien était déterminant pour l’avenir de la famille. En effet, l’attente d’un garçon
au sein d’un couple fait l’objet d’une immense joie qui peut s’expliquer par deux raisons
principales : des raisons économiques et des raisons religieuses. La première catégorie de
raisons s’explique par le fait que le garçon de par son initiation à un métier bien rémunéré
assure mécaniquement l’entretien permanent de la famille en subvenant à ses besoins. La

deuxième catégorie tient du fait que seul un /s3/sa (garçon) en principe, a le droit de
s’occuper en théorie du ‘‘service des offrandes en faveur de son père défunt177’’.

Mais l’Egypte n’est pas la seule aire culturelle où, la venue au monde d’un enfant
suscite un climat d’allégresse, car d’autres peuples ont également une conscience élevée de la
valeur humaine. Ainsi tout comme à Taouy, la naissance d’un enfant chez le peuple Binam,
174
Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de la langue Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
175
F.Trassard, La vie des Egyptiens au Temps des pharaons, l’histoire au quotidien, Paris, Larousse, 2002, p.11.
176
Ibid, p.10.
177
Ibid, p.18.
72

fait toujours l’objet de festivités grandioses, qui témoignent de la joie incommensurable dans
laquelle le groupe se trouve.

En effet dans l’univers Binam, l’enfant ‘‘mo178’’ ou ‘‘mèn179’’, mieux le patrimoine


humain est considéré comme le principal baromètre de la réussite sociale. Cette position
s’explique par le fait que les naissances au sein d’une communauté permettent de renouveler
le lignage et de lui insuffler une nouvelle dynamique. Par ce fait, la venue d’un enfant
symbolise concrètement l’espoir, espoir parce que grâce à lui la famille est revitalisée et
échappe mécaniquement aux caprices du temps, notamment le vieillissement et la mort. C’est
pourquoi en Afrique noire, l’homme marié et ayant des enfants est considéré comme celui-là
qui inscrit son existence dans une trajectoire giratoire, à l’inverse du célibataire180 qui inscrit
la sienne dans mouvement linéaire et rectiligne, et donc sans possibilité de retour. Par ailleurs,
quand on est un grand notable disposant de lopins de terre importants comme nous la confié
Gabriel Mbah, ‘‘cette situation exige naturellement une progéniture conséquente pour une
exploitation rationnelle de la propriété foncière181’’. D’après ce linguiste, si un notable
possède un patrimoine foncier évalué en hectare, comme cela est monnaie courrante à l’Ouest,
à quoi lui servirait d’avoir un ou deux enfants ou d’être monogame ? Ce serait là d’après lui
une absurdité dans la mesure où ‘‘l’entretien de la dite propriété, dépasserait largement les
possibilités d’exploitation des deux enfants du notable182’’. Cette analyse nous permet donc
d’infirmer voire déconstruire l’hypothèse selon laquelle, la polygamie à l’Ouest-Cameroun est
dictée par des raisons purement socio-économiques ; car en réalité bien qu’elle est une preuve
tangible que l’homme est financièrement à même de régler les dots de ses épouses et de
construire leurs cases, le souci premier est d’abord la perpétuation de la famille. C’est
pourquoi l’enfant est perçu comme ‘‘le garant de la reproduction de la lignée familiale’’183.

178
En Ghomàlà selon Fotso Justin.
179
En Medumbà selon Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
180
Sa mort laisse transparaitre en réalité, l’inachèvement de son accomplissement existentiel.
181
Entretien avec le Prof. Mbah Gabriel, linguiste, 23 novembre 2017, Université de Yaoundé I.
182
Idem.
183
J. Pokam Wadja Kemajou, ‘‘Pression démographique et dégradation de l’environnement dans une région
forestière du Sud-Cameroun : Le cas du Moungo’’, rapport d’étude pour l’UEPA, Dakar-Ponty, Presses de la
Sénégalaise de l’imprimerie, N° 29, 1998, p.78. A travers ce rapport d’étude particulièrement intéressant, cet
ancien chargé de recherche à l’INC, cherche grâce à la formule de Barry Commoner, à mesurer le poids exact de
la démographie dans la détérioration de l’environnement. A la page78 de ce rapport, il établit un parallèle entre
la conception de l’enfant à l’Ouest et dans le Moungo. Dans ces deux régions, il ne fait aucun doute que l’enfant
est un don de Dieu à multiplier conformément aux enseignements de celui-ci. C’est pourquoi comme il le
montre, un adage fort répandu dans ces deux zones culturelles, dit ‘‘Si tu as un seul enfant, tu n’as pas
d’enfants’’.
73

Bien que le poids des parents dans l’encadrement de l’enfant soit remarquable à l’Ouest,
d’autres ethnologues pensent que l’éducation de l’enfant ne repose pas uniquement sur les
parents, et n’hésitent pas à ressortir le rôle d’autres acteurs non négligeables dans la formation
de l’enfant184.

Une fois que l’enfant ait suffisamment intégré les valeurs distillées au sein de la cellule
parentale, ses parents l’envoient chez d’autres membres de la famille (grands parents, oncles
et tantes) car comme le dit une maxime Ngoni, ‘‘un enfant appartient à tout le village, tous
peuvent le soigner et le corriger185’’. En effet ce départ traumatisant de la tanière parentale
(qui ne doit être considéré comme un exutoire pour les parents), lui permet de faire la
connaissance des autres membres de la famille et de la société lato sensu pour qu’il puisse
être accepté et admis de tous. Cette étape est fondamentale car elle lui permet d’accroitre sa
capacité d’adaptation et de réduire significativement sa dépendance à la cellule familiale. Bref
en un mot elle vise l’autonomisation de l’individu par le biais de son admission définitive
dans la collectivité. D’ailleurs Pierre Erny avait déjà souligné l’importance du détachement de
l’enfant de la cellule parentale en ces termes : ‘‘l’enfant est mis au contact de la parenté la
plus large possible et apprend à voire au-delà de la famille restreinte. On estime positivement
que cette séparation est favorable à une bonne éducation, menée avec plus de fermeté’’186.

Et dans cette quête de connaissance et de sagesse que constitue l’éducation, le recours


aux grands parents est fondamental, car dans les sociétés traditionnelles à forte tendance
gérontocratique et reposant sur la prégnance de l’oralité, l’intervention des personnes du
troisième âge dans l’édification morale de l’enfant est inéluctable. Considérés comme les
dépositaires du savoir ancestral de par la longue et riche expérience qu’ils ont engrangée, les
grands parents (en tant que trait d’union entre le passé et le présent) ont pour mission très
souvent d’enraciner l’enfant de par leur maitrise avérée des réalités que véhicule la langue.
C’est dans cette perspective que s’inscrit Pierre Erny lorsqu’il affirme :

Les grands-parents apparaissent partout comme des agents éducatifs importants dans les domaines qui
n’ont pas directement trait à l’activité productive, et en particulier dans l’enseignement oral ; leur rôle
n’est nullement négligeable (…) c’est souvent chez eux que va habiter le petit enfant après le sevrage, ou

184
A ce propos, le lecteur pourra consulter l’article de J.P.Warnier, ‘‘éducation traditionnelle et dynamisme
bamiléké’’ ; là l’ethnologue analyse chez les Bamiléké de la région de Mankon, le rôle fondamental joué par le
‘‘ndi mon’’ (l’ainé des enfants) dans l’éducation de l’enfant. Au terme de l’analyse de ce personnage important,
il aboutit à la conclusion selon laquelle, l’éducation chez les Mankon repose sur le ndi mon, qui en est la cheville
ouvrière.
185
P. Erny, L’enfant et son milieu en Afrique noire, p.53.
186
Ibid, p.64.
74

quand à quatre ans (il commence à voir les choses et à poser des questions) et est donc jugé trop grand
pour continuer à dormir dans la case maternelle 187.

De ce qui précède, il ressort que dans toute communauté vivant sur un territoire, nous
remarquons que, l’éducation donnée à un enfant dès son bas-âge est en réalité, révélateur du
type de personnalité valorisé sur le plan sociétal. Les parents jouent un rôle fondamental dans
la première phase de l’éducation de l’enfant dans l’Afrique ancienne en générale ; cette action
est supplée et approfondie par les grands parents qui ouvrent l’esprit de l’enfant aux secrets et
mystères de son environnement. Ainsi chaque membre de la famille à l’instar des parents
biologiques, les grands parents, les coépouses (dans les foyers polygamiques), les oncles et
tantes, et même les autres membres de la société, apportent mutatis mutandis leur pierre
repective à l’édifice que représente l’enfant.

La famille joue donc un rôle majeur dans la socialisation de l’enfant aussi bien à Ta méri
que dans l’espace Binam antécolonial. Mieux elle est le lieu privilégié où s’élabore le
caractère de l’enfant, sa personnalité à telle enseigne que, l’enfant même une fois intégré dans
une école, se retrouve déjà avec presque tous les éléments futurs de son comportement et de
sa psychologie.

Le choix du sexe masculin étant l’un des sexes les plus sollicités dans l’Afrique
ancienne (en raison de la prédominance des sociétés patrilinéaires comme Taouy et la société
Bandjoun et Bangangté), chercher la réponse au pourquoi envoyait-on un enfant à
l’école dans l’Egypte ancienne et vers les sociétés de classe d’âge (chez le peuple Binam)
parait primordial car, cela permet non seulement de connaitre les ambitions que nourrissait
tout parent pour sa progéniture, mais aussi les raisons sous-jacentes à ces choix : d’où la
nécessité de s’intéresser à la seconde phase de socialisation d’un individu.

2 - La seconde phase de l’éducation chez les kemetyou et les peuples Bandjoun et


Bangangté : des centres d’instruction (l’ât sebayt et le per ankh) aux sociétés de classe
d’âge (me kué et le ma djon)

Il faut souligner d’entrer de jeu que toute réalité étant consubstantielle à son
environnement, on peut d’ores et déjà admettre que le système de formation professionelle à
kemet ne saurait parfaitement correspondre au modèle éducatif Binam.

187
Ibid, p.79.
75

En effet tout parent à kemet caresse un rêve particulier en envoyant son enfant à l’école.
Compte tenu du caractère harassant des travaux manuels tels que celui des ouvriers de carrière
et des mines, des fermiers et des artisans, le souhait de toute famille était de voir son fils

devenir /sš/seche (scribe188). D’ailleurs ayant consacré une analyse au métier de scribe
dans l’Egypte antique, T.G.H James éclaire notre lanterne en ces termes :

De toutes les carrières qui s’offraient au jeune égyptien, la plus avantageuse était sans conteste celle des
scribes. Car l’apprentissage de l’écriture et de la lecture ouvrait les portes de la bureaucratie égypto-
pharaonique à tout jeune homme ambitieux. Etre scribe revenait à bénéficier d’une situation
privilégiée s’accompagnant de divers avantages qui échappèrent aux égyptiens ordinaires illettrés. C’était
un signe de respectabilité189.

Mise à part le fait qu’il n’exerce pas un travail physiquement éprouvant contrairement

aux /ikyou (ouvriers) et /skt.y/seketyou (agriculteurs), c’est surtout le fait


qu’être scribe à kemet c’est également le fait d’être exempte des taxes fiscales et impôts
contraignants auxquels échappe rarement l’Egyptien analphabète. Etre scribe à kemet, c’est
aussi sécuriser financièrement son existence et celle de sa famille. C’est également un moyen
de gravir facilement les différents échelons de l’administration, jusqu’atteindre si possible les
cimes de la hiérarchie, comme ce fut le cas de Mahou, Any et Aménémopé. C’est dans cette
logique qu’il faille comprendre cette affirmation de Wilfried Seipel :

La charge de l’Etat reposait sur les fonctionnaires et les prêtres en tant que représentants de pharaon (...).
La sécurité de l’existence liée à la carrière de fonctionnaire, le prestige social et surtout le fait d’être plus
ou moins proche du roi rendirent le choix de ce métier, indissolublement lié à celui de scribe
particulièrement attractif. Le gout du prestige, de la puissance et de la richesse était, alors comme
toujours, un objectif pour les ambitions personnelles (…)190 . .
Si dans les familles issues du ‘‘prolétariat’’191 égyptien, l’enfant passe directement sous le
contrôle de son père dont il est appelé à marcher sur les traces, tel n’est pas le cas dans les

188
Certes au cours de cette invstigation, nous n’avons pu obtenir des données sérielles relatives au choix du
métier de l’enfant (à l’Ancien-Empire), pour affirmer par extrapolation que celui de scribe fut le plus priorisé ;
mais compte tenu de la présence emphatique tant dans la Satire des métiers que dans le papyrus Lansing,
d’innombrables passages soulignant à suffisance les prérogatives liées au métier de scribe, tout porte à croire que
ce fut en réalité, la fonction la plus convoitée.
189
T.G.H. James, Le peuple de Pharaon : culture, société, et vie quotidienne, Paris, Editions Le Rocher, 1988,
p.137.
190
W.Seipel, ‘‘L’Etat et la Société’’ in L’Egypte Ancienne : 3000 ans d’histoire et de civilisation au royaume
des pharaons, A. Eggebrecht (s.d), Paris, Bordas civilisations, 1989, pp.148-149.
191
Certes à kemet, il n’existe pas à proprement parler d’une classe prolétarienne au sens marxiste ; mais la
stratification sociale visible, et surtout l’existence d’une classe inférieure produisant la richesse du double pays,
et qui était astreinte aux travaux pénibles et au paiement de l’impôt, autorise à penser qu’il a existé une sorte de
prolétariat, quoique, sous une forme raffinée. Le ‘‘prolétariat’’ égyptien était majoritairement composé
d’ouvriers, artisans, fermiers, forgerons, tailleurs de pierre, potiers, maçons, tissérands, chasseurs, jardiniers,
oiseleurs, pêcheurs, arracheurs de papyrus. Nous observons que ce ‘‘prolétariat’’ en réalité, regroupait toute
catégorie de personnes exercant une activité manuelle ou physique particulièrement éprouvante, et dont les
revenus ne permettaient pas toujours de subsister convenablement.
76

milieux aisés. En effet une fois que la cellule parentale observe une certaine évolution du
comportement de l’enfant, l’enfant est envoyé dans deux départements d’instruction pour
compléter et approfondir les prérequis, c’est-à-dire le savoir relatif à son environnement que
lui ont transmis ses parents : on a dans un premier temps l’ât seba (y.t)192 ou lieu
d’enseignement ou département d’instruction, ensuite on a dans un deuxième temps la maison
de vie ou per ankh. Chacune de ces étapes poursuit sur le plan intellectuel des finalités
différentes en ce sens que la première en réalité fournit à l’enfant des rudiments pratiques
(savoir lire, écrire, calculer) lui permettant d’intégrer probablement la bureaucratie
égyptienne ; la seconde quant à elle insiste sur la spécialisation dans le domaine des sciences
sacrées, expérimentales, bref elle vise l’érudition, car le candidat en y passant de longues

années acquiert un savoir encyclopédique à l’instar des prêtres de /Iwnw/Iounou

(Héliopolis), de /Mnn-nfr/Menn-nefer (Memphis), et de /W3st/Ouaset


(Thèbes).

Toutefois si comme on l’a observé à kemet, la formation professionnelle (ou


l’apprentissage d’un metier) d’un enfant est en réalité le reflèt du statut de son père dans la
société, nous devons comprendre que cette réalité est aussi valable chez les Binam Bandjoun
et Bangangté.

Le garçon chez les Bandjoun et les Bangangté est appelé à marcher sur les traces de son
père. Si certains parents donnent la latitude à leur progéniture de choisir leur métier, en
réalité, au niveau familial le garçon est initié pour substituer son père. On estime que par cette
approche, non seulement le fils peut bénéficier gratuitement de l’enseignement de son père ou
de son oncle193, mais aussi et surtout le fait que la protection des secrets et les avantages
particuliers dont ont joui le père et la famille, se trouvent perpétués. D’ailleurs Warnier
semble relever cet engouement du père de transmettre à son fils son métier, en s’exprimant
comme suit : ‘‘En fait, un père transmettait autant que possible son propre métier, sa clientèle,

192
http://fr.wikipédia.org/wiki/Ecole dans l’Egypte antique, 14 novembre 2017, 17h42.
193
A ce propos, l’un de nos informateurs Chemgne Temwo Isidore, menuisier, 54ans, Bandjoun, a pu nous dire
comment sest deroulé son apprentissage : ‘‘ la formation d’un enfant à Bandjoun se fait auprès de son père ou de
ses oncles, ou même auprès des amis de son père. Moi mon père était cultivateur, mais je m’intéressais beaucoup
au travail du bois, et je passais tout mon temps durant les vacances, dans la menuserie de mon oncle ; je
regardais comme il fabriquait les meubles et petit à petit la passion pour ce metier est née. Lorsque mon père a
descellé mes aptitudes pour ce travail, après mon cap, il m’a envoyé vivre chez mon oncle pour approfondir mes
connaissances. Jai passé trois ans là bas. Et à la fin de chaque mois durant mon apprentissage, ma maman
envoyait à mon oncle des sacs d’arachide, un peu d’huile, du sel et des ignames. Cette façon de former à l’Ouest
est très courante car, quand le père ne peut pas former l’enfant dans le metier qu’il exerce, il établit un contrat
avec d’autres membres de la famille ou de la société afin que son fils puisse le remplacer demain.’’
77

ses outils, son réseau d’amitié s’il était marchand, à l’un de ses fils. Mais la plupart des pères
avaient à cœur de pouvoir un certain nombre de leurs fils, l’ainé et les mieux doués, au moins,
de connaissances spécialisées’’194.

En fait cette ascendance du père sur le choix du métier du fils (comme dans l’ancienne
Egypte) peut tout simplement se comprendre par l’amour du père de son métier, et le souci de
le pérenniser à travers son fils. Bien que cette formation de l’enfant se justifie par l’amour du
père de survivre en son fils, cela s’explique pour une large mesure par la stratification sociale
à l’Ouest-Cameroun. En effet comme le montre Mbah Gabriel, chaque enfant qui vit dans une
famille ayant un statut social spécifique, doit avoir des culturem, c’est-à-dire, ‘‘des manières
de se comporter qui réfèrent à la classe sociale de ses parents 195’’. Autrement dit, le savoir-
vivre et le savoir-faire transmis à un enfant à Bandjoun ou Bangangté, correspondent
généralement au statut social de ses parents. C’est pourquoi, lorsqu’on observe les enfants
d’un chasseur, d’un potier, ou de celui qui pratique la forge traditionnelle, ces enfants comme
le démontre une fois de plus Mbah Gabriel, ‘‘vont grandir avec des manières de se comporter
qui sont liées à la profession des parents’’. Ainsi dès que le père constate que le garçon peut
s’en passer de la protection maternelle (vers 14 à 15 ans), il l’initie à des travaux réservés aux
hommes. Et parmi ces travaux comme l’a observé Pierre Warnier, il y a ceux qui peuvent
s’apprendre assez rapidement, au cours de l’adolescence, ensuite ceux dont l’apprentissage
s’amorce dès l’adolescence mais se prolonge durant des années (la fonte du fer, la forge196, la
sculpture et la médecine ordinaire), enfin ceux qui exigent une certaine maturité spirituelle à
travers une kyrielle d’initiations magico-religieuses (le cas des Mkamsi)197. Si le rythme
d’apprentissage d’un métier quelque soit son degré de complexité est tributaire des facultés de
retention et d’assimilation de chaque individu, il n’en demeurre pas moins vrai que,
l’acquisition du savoir-technique ici, se veut une initiation tatillonne durable. C’est d’ailleurs
pourquoi, les Latins ont pû dire à cet effet : ‘‘Ars longa, vita brevis’’, c’est-à-dire, l’art est
long, la vie est courte.

Ici s’il n’existe ni l’ât sebayt ni maison de vie, l’éducation néanmoins semble poursuivre
les mêmes fins qu’à Taouy, car elle vise l’enracinement de l’enfant pour lui permettre d’avoir
194
J.P Warnier, ‘‘Education traditionnellle et dynamisme Bamiléké’’, p.18.
195
Entretien avec le Prof. Mbah Gabriel, linguiste, 23 novembre 2017, Université de Yaoundé I.
196
Pour avoir une idée sur la forge traditionnelle à Bandjoun, bien voir notre entretien avec Mr. Kamga Watio
Léopold André, petit-fils de forgéron. Il nous a expliqué comment se déroule l’apprentissage de ce métier
particulièrement éprouvant, qui peut nécessiter de nombreuses années avant d’être assimilé.
197
A Leng djo (Bandjoun) comme partout dans le pays Binam, il s’agit des hommes ou des femmes inspirés par
Si, sorte de prophètes guérisseurs. Il s’agit des personnes ayant reçu de Dieu le pouvoir d’après L. Kamga, de
guérir leur contemporain. A propos de leur formation lire L.Kamga, pp.168-169.
78

prise sur la nature. Cet enracinement, c’est-à-dire cette immersion totale d’un individu dans
les valeurs traditionnelles ancestrales de la communauté ethnolinguistique à laquelle il
appartient, est un processus rythmé par la présence de plusieurs acteurs (ou dépositaires) qui
approfondissent l’apprentissage de ce dernier au moyen de trois éléments fondamentaux : La
tradition orale, l’expérience et les rites d’initiation. C’est assurément à ce niveau qu’on peut
déceler une nuance fondamentale avec kemet. Une fois qu’il avait bravé avec succès tous ces
obstacles (prévus et établis par les ancêtres), il avait alors la reconnaissance de sa
communauté et pouvait dès lors prétendre au même titre que les autres, prendre pleinement
part aux activités du groupe. En effet lorsque les parents observent une certaine évolution
dans la psychologie et le comportement de leur progéniture, ils entament l’éducation des
garçons et des filles séparément car chacun de ces sexes est destiné à des activités spécifiques
qui poursuivent des finalités différentes. Le père prend naturellement le destin du garçon198 en
main tandis que la mère quant à elle s’occupe de la fille. .

Ainsi à Taouy, Vers la fin de la quatrième année, l’enfant est envoyé à l’

/ ct sb3/ ât sebayt (salle d’instruction) pour poursuivre son éducation


amorcée au niveau familial. En raison de la complexité de l’écriture hiéroglyphique égypto-

pharaonique199 /Mdw nṯr /medou netjer (paroles divines), l’apprentissage des


élèves se déroule en écriture cursive qui semble alors être, la forme la plus connue et
maitrisée. Ainsi mise à part les textes administratifs et des lettres officielles rédigés sur
papyrus, la forme cursive a servi pour la plupart à la description de l’ensemble des réalités
communes aux kmtyw. D’ailleurs John Baines et Jaromir Malek semblent s’inscrire dans cette
dynamique lorsqu’ils affirment :

Deux faits remarquables caractérisent cet apprentissage. D’abord il se faisait principalement en écriture
cursive, laquelle fut dès le début la forme la plus connue. Il fallait sans doute être plus avancé pour
aborder l’écriture hiéroglyphique des monuments, qui était comprise par peu de gens ; si l’on met part les
textes administratifs, les lettres (plis), etc., l’écriture cursive servait à des objectifs non essentiels,
notamment (à ce que nous croyons) à la transmission des œuvres littéraires 200.

Ceci étant, il faut le préciser, les enseignements sont dispensés par un fonctionnaire de
l’administration civile qui, lui-même avait suivi une formation de scribe. De ce fait les

198
En Medumbà, ‘‘nshum’’ ou ‘‘mèn nshum’’. Nanja Neutchap Théophile, spécialiste de langue Medumbà,
Yaoundé, 28octobre 2017.
199
En raison de leur valence idéogrammique, phonogrammique et pictographique, les hiéroglyphes étaient
rarement accéssibles à l’Egyptien des milieux défavorisés. Encore que même ceux appartenant aux classes
moyennes ne les maitrisaient pas tous. Les hiéroglyphes étaient une écriture dédiée aux temples et monuments,
c’est pourquoi elle était beaucoup plus utilisée par la classe sacerdotale, mais aussi l’administration égyptienne.
200
J. Baines et J. Malek, Atlas de l’Egypte ancienne, Paris, Fernand Nathan, 1981, p.198.
79

écoliers sont initiés à l’écriture, à la lecture, et au calcul, car il s’agit de leur fournir les bases
intellectuelles nécessaires à l’exercice de leurs fonctions futures dans l’administration
égyptienne telles que : scribes, juges, gestionnaire des domaines divins ou des greniers
royaux, surveillantes de harem, etc... Mais certains égyptologues ne semblent toujours pas être
de cet avis à l’instar de Trassard. Il pense que les administrations, tout comme les temples, se
sont en effet dotées d’écoles destinées à former leur personnel, notamment aux arcanes de
l’écriture et du calcul201. La pertinence de cette analyse peut se justifier par le fait qu’à
l’Ancien-Empire, il n’existe pas à proprement parler des écoles spécialisées (comme de nos
jours) car c’est chaque administration qui accueillait en son sein, des jeunes étudiants
prometteurs, puis les formait à l’exercice de leurs futures tâches.

Une fois les écoliers202 initiés à l’écriture, à la lecture et au calcul, le maitre procède
alors à l’étude des genres littéraires que sont : les textes religieux, enseignements moraux,
biographies historiques et spirituelles203. A travers ces Sagesses égyptiennes, il est question
pour le maitre de conformer l’existence de ses élèves à l’éthique sociale enseignée, c’est-à-
dire à la Maât. Cependant mise à part l’enseignement des trois genres littéraires que sont les
sagesses égyptiennes, les textes religieux et les biographies spirituelles, Wilfried Seipel pense
que d’autres branches étaient enseignées, telles que les mathématiques, la sculpture et la
peinture, la géographie et le sport204. Bien évidemment ce serait une erreur de croire que
durant les enseignements, tout se passe pour le mieux. En effet comme partout ailleurs, les
enseignants ici, sont confrontés à des élèves qui sont parfois réfractaires à la discipline, et ce,
nonobstant les objurgations de leurs maitres. Ce qui les amène inéluctablement à adopter une
attitude plus ferme à l’endroit de tels écoliers pour leur inculquer les valeurs sociales. A ce
propos le papyrus Lansing datant de la 20ème dynastie nous rapporte le climat de discipline qui
régnait dans les salles d’instruction en Egypte ancienne en ces termes : ‘‘J’ai été élevé comme
enfant, tandis que j’étais à tes cotés (du professeur). Tu m’as frappé sur le dos, et ainsi ton

201
F. Trassard, La vie des Egyptiens au temps des pharaons, p.20.
202
Dans les salles de classe, les élèves se servaient naturellement de calame et d’ostracon. Les calames sont des
roseaux taillés utilisés dans l’Antiquité pour écrire ; les ostraca de leur coté, désignent de sortes de tablettes sur
lesquelles ils peuvent prendre des notes. En raison du coût exhorbitant des papyri, les élèves étaient obligés de
recourir aux ostraca.
203
F. Daumas, La civilisation de l’Egypte pharaonique, Paris, Editions Arthaud, 1965, P.381. A ce propos,
l’auteur pense que de l’Ancien Empire, l’on ne connait de cette période foisonnante que, trois genres littéraires :
la poésie religieuse, les Enseignements moraux, la biographie. Ainsi, malgré cette production morale, déjà fort
abondante en ce temps pour reprendre les mots de l’auteur, il ne subsiste qu’un livre complet celui du vizir
Ptahhotep.
204
W. Seipel, ‘‘L’Etat et la société’’, p.162.
80

enseignement est entré dans mes oreilles205’’. Pourtant en dépit de la sourde oreille, mieux de
l’entêtement dont faisaient preuve certains écoliers, il y a comme une sorte de détermination
du maitre à aller au bout de sa mission, voire de ses convictions ; c’est ce qui semble ressortir
du papyrus Sallier I de la 19ème dynastie, dont on peut voir écrit :

Mon cœur est dégouté de faire des recommandations et celui en qui tu devrais voire un grand modèle, il
crie de colère.. Je te donne 100 coups, mais tu n’y fais pas du tout attention. Tu es pour moi comme un
âne battu, qui après un jour est à nouveau solide ; tu es pour moi comme un nègre qui baragouine, que
l’on a apporté avec un tribut... je ferai pourtant de toi un homme, méchant garnement 206.

Toutefois, contrairement à la formation des élèves à Taouy, celle du jeune garçon chez
les Binam Banjoun et Bangangté s’avère plus draconienne. Dans l’espace Binam en général,
Bandjoun et Bangangté en particulier, la formation du garçon s’annonce plus rude et
impitoyable que celle des autres espaces ethniques du Cameroun. Cette réalité peut
s’expliquer par plusieurs raisons, dont les plus significatives sont d’ordre démographique. En
effet, comme l’a démontré Warnier, le pays ‘‘Bamiléké’’ est caractérisé par de très fortes
densités de population, les plus fortes du Cameroun qui comptent entre 20 et 120 habitants au
kilomètre carré sur de grandes étendues. Du fait de cette croissance démographique galopante
dictée comme nous l’avons sus-évoqué par des raisons culturelles d’abord et économiques
ensuite, il s’en suit logiquement une augmentation des besoins des populations et par
conséquent une forte pression exercée sur les ressources naturelles. Malheureusement du fait
de cette croissance vertigineuse de la population, on assiste à une réduction significative de
l’espace consacré à l’habitat et aux travaux champêtres. Tout le monde à l’Ouest-Cameroun
ne peut plus disposé d’un lopin de terre, ce qui diminue les chances de survie et de réussite
des uns et autres. C’est certainement l’un des facteurs207 qui expliquent avec pertinence les
migrations ‘‘Bamiléké’’ vers d’autres régions en quête d’un espace vital, mais aussi une
certaine frugalité dans la manière de vivre de ce peuple208. Tout ceci en réalité a des

205
Cette traduction du papyrus Lansing est une version proposée par Helmutt Brunner, utilisée par W. Seipel
dans son article p.162.
206
Papyrus Sallier I de la 19ème dynastie, version d’Helmutt Brunner employée par Wilfried Seipel. P.162.
207
En effet la croissance démographique non maitrisée dans l’espace Binam a entrainé des courants migratoires
importants vers le littoral (comme le cas du Moungo) car, l’espace vital était devenu très exigu pour contenir
cette population sans cesse galopante. Et cette réalité n’est certainement pas l’apanage du peuple Binam, car
partout dans le globe, on a assisté dans l’histoire à un déferlement massif parfois violent et brûtal, des peuples
étrangers sur les côtes africaines à partir du 18ème et 19ème siècle. Cela a été le cas du Portugal, qui très peuplé à
l’époque, a fini par trouver en Afrique une terre d’accueil pour le surplus de sa population.
208
A l’inverse des Beti-Bulu-Fang qui, philosophiquement hédonistes et épargnés de l’explosion
démographique, n’hésitent pas très souvent à savourer les plaisirs de la vie, et à mener une vie de satrape
lorsque les conditions matérielles réunies le permette.
81

conséquences sur l’éducation, car dans un espace surpeuplé209 comme le pays ‘‘Bamiléké’’, la
formation des garçons prend alors l’allure d’une compétition pour la survie individuelle. Par
conséquent dans des sociétés plus enclines au mérite et réfractaires à l’oisiveté, la mendicité,
la seule chance pour les parents de voir leur fils émerger c’est de lui donner une éducation
rigoureuse centrée sur le culte de l’effort et de l’excellence, de la détermination. Pour se faire,
on commence précocement à éveiller chez lui le sens des responsabilités à l’incitant à la
débrouillardise, ce qui peut d’une certaine façon stimuler sa créativité, son inventivité. En un
mot il s’agit d’amener l’enfant à être entreprenant dès la base pour limiter sa dépendance à la
cellule familiale. C’est dans cette mouvance que se situe Léon Kamga qui, ayant fait le même
constat s’exprime en ces termes :
Dans les villages surpeuplés des hauts plateaux de l’Ouest Cameroun, la course pour la vie prend l’allure
d’un véritable combat au sein du sexe masculin. Les étapes de socialisation des garçons sont nombreuses
et coûteuses. A l’arrivée le système ne retient que les meilleurs et relègue à la marge ceux qui n’ont pas
pu faire preuve de courage, d’ingéniosité et de persévérance. Dans ces conditions chaque papa cherche à
développer chez ses garçons un tempérament de guerrier. Plus la formation à la base est rude, plus
l’enfant acquiert le moral nécessaire à son insertion dans un monde compétitif et impitoyable 210.

Cependant, cette socialisation du garçon à l’Ouest-Cameroun, c’est-à-dire le fait pour


les parents, de préparer la réussite de leur progéniture mâle (voire qu’ils fassent partir de
l’élite du village), passe certainement, par son intégration dans les sociétés de classes d’âges
de la communauté, tout comme le passage des élèves de kemet à l’at seba et au per ankh : Le
Mekué et le Madjoun. Ces deux associations de classe d’âge sont parmi toutes les sociétés de
la chefferie, les seules véritables cercles qui s’ouvrent aux adolescents et jeunes initiés aussi
bien à Bandjoun qu’à Bangangté. Elles sont en quelle que sorte des structures primaires visant
à faire connaitre un enfant des autorités de son quartier en lui transmettant les valeurs
essentielles (discipline, respect, bénévolat) sur lesquelles reposent l’ordre communautaire.

Vers l’âge de dix à quinze ans, tout enfant qu’il soit de Bandjoun ou de Bangangté, doit
ainsi faire partie du me kué de son quartier, tout comme chaque enfant en Egypte doit investir
l’ât seba comme on l’a vu. Ceci s’explique par le fait qu’il doit se faire connaitre des
responsables du quartier pour préparer et faciliter dans l’avenir, son admission éventuelle dans
les autres sociétés constitutives de la chefferie (sociétés de notable, totémiques, et magiques
ou mystiques). Pour cela, l’adolescent doit rassembler et apporter au responsable de son
quartier (placé sous l’autorité royale), ‘‘un fagot de bois mort’’ (d’où le nom de ‘‘kué’’) à la

209
Pour d’amples informations sur les migrations Bamiléké, bien consulter R.Joseph, Le mouvement nationaliste
au Cameroun, Paris, Khartala, 1986. Au chapitre intitulé ‘‘Histoire des peuples du Cameroun’’, l’auteur examine
les causes de l’expansion des populations bamiléké et leur arrivée massive dans le Moungo.
210
L.Kamga, Le la’akam ou le carnet d’initiation, p.274.
82

fin de chaque mois durant son initiation. Cet acte est plus que symbolique, car en raison du
déboisement massif dans l’espace Binam dû à l’explosion démographique, il devient une
marque d’estime au sein de la société. Mais à partir du moment où il est circonscis vers l’âge
de quatorze-ans, le jeune homme arborant son premier cache sexe, doit intégrer à présent une
autre association d’âge, pour enteriner sa socialisation primaire : le Madjoun.

Nous voyons bien que l’individu pour amorcer son insertion socio-culturelle et
professionnelle, intègre, qu’il soit dans l’Egypte ancienne ou dans l’espace Binam (Bandjoun
et Bangangté), une première structure éducative qui est soit l’ât seba, ou le Mekué. Certes ces
deux institutions éducatives poursuivent des finalités différentes, mais elles ont en commun de
faire de l’intégration sociale et professionnelle de l’individu, leur priorité. Ceci étant, après
leur admission et passage dans ces premières structures de socialisation classiques dans leurs
aires repectives, ils doivent ensuite intégrer des structures sécondaires différentes.

Après son passage à l’ât sebayt211, l’ /sb3/seba (écolier) dans l’Ancien-Empire


peut éventuellement approfondir ses connaissances dans un domaine précis en vue de se
spécialiser : la maison de vie212.

Le /pr-cnḫ/per-ankh (maison de vie) apparait comme étant, la seconde étape


de l’enseignement de l’enfant durant l’ère des pyramides. Elle désigne concomitamment une
institution et un lieu d’enseignement chargé d’accueillir la progéniture de l’élite égyptienne :
les fonctionnaires, les scribes et les membres du corps sacerdotal. Ceux-ci sont envoyés là
pour recevoir des connaissances susceptibles de concourir à la pérennisation de la vie
administrative, économique et artistique des temples. En effet, la principale différence entre
l’ât sebayt et le Per-ankh est que certes, les deux sont de véritables pôles de savoir à Taouy,
mais la maison de vie quant à elle est intégrée à un temple religieux dont elle en est tributaire.
Les fouilles archéologiques, ont permis de localiser les vestiges de ces institutions sacrées des
temples égyptiens, dans plusieurs villes notamment : Memphis, Abydos, El Amarna, Akhnim,

211
Le lecteur pourra en savoir d’avantage en consultant T. Obenga, la philosophie africaine de la période
pharaonique p.210. Il pourra lire les chapitres intitulés ‘‘éloge de la vie intellectuelle’’ et ‘‘le rôle civilisateur
de l’Egypte’’. A travers ces deux chapitres, il fait une lecture holistique de la formation des écoliers à Kemet,
mais aussi et surtout la formation et la place de la classe scribale dans la société Egyptienne.
212
W. Budge l’a définit de la manière suivante: house of life, the name for the school or college of the temple
p.400. Il s’agit donc pour lui, du nom de l’école ou d’un institut d’enseignement supérieur voire spécialisé
rattaché à un temple. Elle était dotée d’une bibliothèque appelée ‘‘per-medjat’’ c’est-à-dire maison du livre.
Faulkner en parle également p. 113. Il parle de house of life, qui signifie pour lui, temple of scriptorium, c’est-à-
dire temple des scribes. L’admission dans cette structure est considérée comme une ébauche d’illumination.
83

Coptos, Esna et Edfou213. On peut donc affirmer dans une certaine mesure que, chaque temple
d’une certaine importance théologique et doctrinale, possédait sa propre maison de vie. Elle
constitue en réalité le cœur du dit temple car, c’est dans ce haut lieu de l’érudition égypto-
pharaonique, que furent élaborées et développées les sciences sacrées ou sciences
sacerdotales. Par sciences sacerdotales, il faut y voir un ensemble de disciplines
complémentaires des sciences religieuses, dont l’appui et l’apport concourent à fournir aux
membres du clergé, les grilles de compréhension et d’interprétation des réalités existentielles,
mais aussi des phénomènes cosmiques dans l’Egypte ancienne. Les domaines de la science
sacerdotale sont connus aujourd’hui, grace à certains ouvrages retrouvés, appartenant
visiblement à des bibliothèques sacerdotales. Couvrant plusieurs champs de connaissances,
ces ouvrages retrouvés en effet, portaient entre autre sur : l’histoire et la géographie,
l’astronomie, la géométrie et l’architecture, la médecine et la science des animaux,
l’interprétation des songes et la magie, droguerie et pharmacie, enfin la littérature. La fonction
principale de la maison de vie dans tout temple égyptien d’après Sauneron, consiste ainsi à
préparer les ouvrages religieux nécessaires à l’exercice du culte. Les membres de cette
institution (maison de vie)214 à cet effet, sont chargés d’élaborer les textes de théologie
spécifiques à leurs cosmogonies. Puis ils procédaient à la confection des grimoires magiques
de protection. Après cela le responsable de la maison de vie, faisait appel à des artistes,
peintres et décorateurs, chargés de couvrir d’inscriptions et de bas-relief les parois murales
des temples, puis peindre les hiéroglyphes et les scènes gravées sur les dits murs, enfin
remedier à certaines défections murales susceptibles d’endommager la gravure des
hiéroglyphes. Le per ankh, de par sa bibliothèque (pr-mḏ3t) remarquablement achalandée ou
assortie, constitue ainsi le prolongement intellectuel et scientifique de l’ât sebayt car, les
enseignements et connaissances dispensés, sont approfondis de façon substantielle pour
permettre à l’étudiant d’embrasser un champ spécialisé du savoir avec beaucoup de rigueur.
C’est pourquoi à kemet, l’admission dans cette structure, est une démarche supplétive de
l’initiation individuelle amorcée à l’ât sebayt.

213
S. Sauneron, Les prêtres de l’Ancienne Egypte, p.152.
214
Il n’est pas sans intérêt de signaler que, toutes les villes dans l’Egypte ancienne durant la période Memphite,
ne possédaient pas toujours simultanément l’ât sebayt et le per-ankh. Pour preuve, les fouilles archéologiques
n’ont à ce jour, qu’identifié quelques cités urbaines qui en possédaient. C’est pour dire que certaines villes
pouvaient avoir seulement l’un de ces centres d’instruction. Seules les villes d’une certaine importance
théologique et doctrinale, pouvaient en posséder les deux réunis. Donc, cela autorise à penser que, lorsqu’une
cité n’en disposait que d’un de ces centres d’instruction, les élèves étaient obligés de se rendre vers d’autres
villes qui possédairent des maisons de vie, ceci, afin, de parfaire leur formation intellectuelle.
84

De même à l’Ouest- Cameroun, comme nous l’avons observé chez l’Egyptien intégrant
la maison de vie après son départ de l’at sebayt, le jeune enfant poursuit son initiation dans
une autre institution bel et bien différente de la maison de vie égyptienne. Bien que
l’intégration du jeune homme dans cette seconde structure de masculinisation, vise selon
Emmanuel Ghomsi, à rassembler les jeunes en vue de diriger leur énergie vers l’exécution des
travaux utiles (clôtures champêtres, réparation des toits d’habitat), ce n’est concrètement pas
là son véritable but. Signifiant espion ou éclaireur (‘djoun’ ou ‘djon’), le Madjoun est d’abord
une société qui priorise l’endurcissement physique de l’individu en vue de faire de lui,
quelqu’un d’impavide sur qui la communauté peut compter en temps de guerre ou de conflit
imminent. C’est probablement la rigueur avec laquelle sont formés les individus, qui a fait
dire qu’elle est assuremment ‘‘une école de préparation militaire215’’. Au début à en croire
Emmanuel Ghomsi, elle fut la première société créée par les pères fondateurs des chefferies,
pour rassembler tous les jeunes individus désirant devenir chasseurs, et leur servant de cadre
d’entrainement.

Nous observons ainsi que, les sociétés de classe d’âge ou d’initiation à ‘‘la vie en
société’’, au même titre que les différentes structures d’instruction à kemet, jouent un rôle
fondamental dans l’évolution éducative de l’enfant ou de l’adolescent en ce sens qu’elles
déclenchent et stimulent chez eux, le sens de responsabilité et développent, leur créativité (de
par les obstacles et difficultés auxquels ils font face durant l’initiation). Elles constituent par
ce fait même, le lieu où se forgent véritablement les éléments de sa personnalité sociale, si
bien que le priver de ces structures, c’est édulcorer assurement son apprentissage. Ainsi, que
l’on soit à Taouy ou à Bandjoun et à Bangangté, on peut remarquer que l’éducation a une
dimension professionnelle et éthique qui concoure à l’épanouissement individuel.

Mais après avoir analysé l’initiation du jeune garçon à Taouy et chez les Binam,
découvrir à présent celle de la fille s’avère complémentaire, car les finalités n’étant pas les
mêmes.

Durant l’Ancien-Empire Egyptien, l’éducation de la /s3t/sat jeune-fille comme


le montre les Sagesses égyptiennes, est en partie confinée à l’acquisition des civilités ou des
règles de bienséance. En plus, elle doit apprendre la cuisine et à se soumettre aux différentes
règles qui régissent son statut social. Elle peut également s’instruire à travers les divers

215
E. Ghomsi, ‘‘Les Bamiléké du Cameroun des origines à 1920 (essai d’étude historique)’’, p.174.
85

départements d’instruction sus-mentionnés si elle est d’une famille nantie. Mais sa place est et
demeure dans son foyer où elle semble astreinte à l’autorité maritale. Certes certaines femmes
ont occupé des hautes fonctions au sein de la pyramide administrative (en l’occurrence
Nitocris), mais cela reste une exception car, dans leur écrasante majorité, la femme ploie sous
le poids des travaux domestiques ou menagers sans pour autant être une esclave.

Il va de même pour la fille dans l’espace Binam Bandjoun.Contrairement à la formation


des garçons, l’éducation de la fille (ngo216) se veut plus souple. L’objectif de l’éducation de la
femme217 dans l’univers Binam, est de la préparer comme dans l’Ancien-Empire, à devenir
d’abord une bonne épouse appréciée de sa belle-famille et du reste de la communauté, et
ensuite une bonne maman, c’est-à-dire celle-là qui donne la vie et qui sait prendre soin de sa
progéniture en lui donnant une éducation de qualité. En effet toute petite, la fille accompagne
sa maman (mâ) dans ses activités champêtres ; la maman et ses tantes, voire les autres femmes
(mennzwi) du village en profitent pour l’initier aux techniques culturales, bref aux secrets de
la terre (si) pour faire d’elle plus tard, une ‘‘massou’’, ce qui signifie mère de la houe. Mais la
maman ne s’arrête pas là, car la valeur d’une épouse à l’Ouest-Cameroun se mesure aussi à sa
maitrise parfaite de la cuisine. Et pour se faire, toutes les occasions sont bonnes pour la
maman afin d’initier sa fille le plus rapidement possible aux secrets de l’art culinaire. Mise à
part la nécessité d’apprendre à cultiver et à préparer, la femme idéale dans l’espace culturel
Binam c’est celle qui sait également se tenir en public, qui connait les règles de bienséance.
C’est pourquoi très tôt la mère inculque à la fille les valeurs qui régulent les relations
humaines, et n’hésite pas au besoin à punir ou corriger sa fille, car c’est ‘‘l’image de toute la
lignée maternelle qui est enjeu218’’. Dès qu’elle atteint la puberté, la surveillance de la maman
vis-à-vis de sa fille s’accroit considérablement car un accouchement prénuptial serait perçu
comme le signe de la légèreté de son éducation. Or comme l’a montré Warnier, la virginité
d’une fille219 est l’un des critères de la famille de tout éventuel prétendant et le signe de la
rigueur avec laquelle elle a été éduquée. Au moment d’aller en mariage (entre 16 et 18 ans), la

216
En Medumbà, la fille renvoie à ‘‘ngoun’’. On voit qu’il n’ ya que l’ajout du u et n à la fin de ngo. Nanja
Neutchap Théophile, spécialiste de langue Medumbà, Yaoundé, 28 octobre 2017.
217
A propos de l’éducation de la femme à l’Ouest-Cameroun avant le fait colonial, le lecteur pourra consulter J.
Fame Ndongo, M.Nnomo, R.Omgba, La femme camerounaise et la promotion culturelle, Yaoundé, Clés, 2002 ;
A l’intérieur de ce collectif, le lecteur pourra s’intéresser à l’article de A.P.Temgoua ‘‘Statut et rôle de la Femme
dans la société bamiléké précoloniale’’.
218
L.Kamga, Le la’akam ou le carnet d’initiation, p.274.
219
Il pourra également, afin d’avoir une idée globale sur l’éducation des femmes en Afrique noire précoloniale,
consulter les deux ouvrages ci-après : Achola O. Pala et Madina Ly, La femme africaine dans la société
précoloniale, Paris, Unesco, 1979, et C. Coquéro-Vidrovitch, Les Africaines histoire des femmes d’Afrique noire
du 19ème siècle au 20ème siècle, Paris, Desjonqueres, 1994.
86

jeune fille220 a parfaitement assimilé l’essentiel de ses connaissances agricoles et ménagères,


ainsi que quelques techniques artisanales (poterie et la vannerie) qui font d’elle à présent, un
levier fondamental du développement rural, une force avec qui désormais il faut compter.

De ce qui précède, il ressort que l’éducation dans l’Ancien-Empire et dans l’espace


Binam Bandjoun et Bangangté, est un processus au cour duquel, les parents de par leur
maturité et en toute unanimité, jugent nécessaire d’orienter la formation de leur progéniture
vers l’acquisition d’un savoir-être et d’un savoir-faire, qui puissent répondre aux exigences
sociétales. C’est pourquoi J. Ki-Zerbo a affirmé à cet effet qu’il s’agit ‘‘ d’un accouchement
collectif’’.

Au final, il ressort de ce chapitre que l’éducation dans l’Afrique traditionnelle, est un


processus de transformation lente et progressive de la personnalité humaine, indissociable de
la notion de rite qui en constitue la clef de voûte. Tout adulte aussi bien à Ta-méri que dans
l’espace Binam est un acteur de l’éducation, car de par son expérience, il est susceptible
d’accompagner l’enfant dans sa croissance progressive pour lui permettre d’intégrer la
communauté adulte à son tour. Diverses structures pédagogiques (ât sebayt, per-ankh, mekué,
madjoun) existent à cet effet pour lui permettre de libérer son potentiel afin d’être utile à sa
famille d’abord, puis à la société.

Mais après avoir examiné la conception et la structuration de l’éducation à kemet et dans


l’espace Binam, quel lien à présent peut-on véritablement établir entre l’éthique et
l’éducation ?

Il importe alors de vérifier la corrélation (opaque ou manifeste) existante entre l’éthique


et l’éducation dans l’Afrique ancienne, ceci, par l’analyse de certains éléments qui permettent
de l’établir tant du coté égyptien ancien que du coté Binam.

Pour avoir des informations complémentaires sur l’éducation de la jeune fille à l’Ouest en général, et dans le
220

Ndé en particulier, voir notre entretien avec Madame Keutcha Tapamou Germaine.
87

CHAPITRE
CHAPITRE III : LE LIEN ENTRE III ET L’EDUCATION CHEZ LES
L’ETHIQUE
ANCIENS
LE LIEN ENTRE EGYPTIENS
L’ETHIQUE ET LE PEUPLECHEZ
ET L’EDUCATION BINAM
LES ANCIENS
EGYPTIENS ET LE PEUPLE BINAM DE BANDJOUN ET DE BANGANGTE

L’univers sous le prisme de l’endocentrisme repose sur la concaténation, c’est-à-dire


‘‘l’enchainement logique et évident des éléments de la création’’221. Cet enchainement traduit
selon Kange Ewane, la parenté réelle de ces éléments. Dès lors ce rappel est d’autant plus
important qu’il permet de comprendre que tout élément dans la nature est étroitement lié aux
autres éléments, par des liens invisibles indissolubles. Il y a donc une sorte d’imbrication,
voire d’entremêlement filandreux entre les différents domaines ou éléments qui existent. Et ce
lien intime qui les unit entraine une certaine interdépendance, mieux une complémentarité
voilée par l’opacité des lois qui le régulent. Par conséquent tout porte à croire que certains
éléments ne sauraient exister sans d’autres (le Bien222 et le Mal, ou la paix et la guerre), ou du
moins en les isolants les uns des autres, ils perdent automatiquement toute leur signification
humaine, et deviennent des éléments sémantiquement fragiles. L’éthique et l’éducation qui
font l’objet de la présente réflexion, n’échappent pas à cette logique. En effet, la présence de
‘‘et’’ qui est une conjonction copulative, indique bel et bien qu’il existe un lien entre ces deux
réalités.

Il s’agit ici, d’étudier le lien de réciprocité qui unit l’éthique à l’éducation de façon
théorique, et de vérifier ensuite l’imbrication empirique de ces deux réalités dans l’Afrique
ancienne tout en montrant que, ce lien connaitra par la suite de profondes altérations.

I - Ethique et éducation : De la démonstration théorique du lien de causalité

Dans son ouvrage intitulé Histoire du Cameroun, Enoh Meyomesse affirme :

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, 1939-1945, Joseph Staline, qui dirigeait l’union des
républiques socialistes soviétiques, de 1923 à 1953, avait modifié le contenu des manuels d’histoire de
son pays, dans le but de rendre sa population belliqueuse (…) Joseph Staline était convaincu du désir

221
F.Kange Ewane, ‘‘Religions africaines et écologie’’, p.125. Il faut le dire, cet enchainement logique et évident
des éléments de la création est la preuve, voire traduit parfaitement leur corrélativité, mieux une certaine
interdépendace implicite qui conduit alors, dans une certaine mesure à leur complémentarité. Dans
l’endocentrisme, aucun élément de la création, n’a de sens s’il est déconnecté des autres, car tous sont liés par
des lois métaphysiques. C’est aussi le fait que tous vivent ou existent grâce à l’énergie émise par une centrale
nourricière unique diversement nommée par les peuples du monde.
222
Le Bien n’a de sens que par rapport au Mal ; de même la paix n’a de valeur que par rapport à la guerre. On ne
connait la valeur du Bien et de la paix, que lorsque règnent le mal et la guerre. Par conséquent bien que ces
notions soient antinomiques, cela n’enlève rien au fait qu’elles se complètent.
88

d’Adolf Hitler d’envahir inéluctablement, l’Union soviétique. En conséquence, le pacifisme dans lequel
baignait la population, était devenu dangereux pour celle-ci223.

Selon l’auteur, Staline dit ‘‘l’homme de fer’’ a modifié le contenu des manuels
d’histoire de son pays l’URSS, parce qu’il a eu à ce moment la ferme conviction que
l’éthique (qu’il assimile alors au pacifisme) dans laquelle baignait son peuple mettait
profondément en péril la sécurité territoriale. Or persuadé du désir irrépressible du führer
d’envahir son pays, il a pensé qu’il fallait urgemment revisiter les programmes éducatifs du
territoire soviétique, car seuls des amendements significatifs apportés à l’éducation (en tant
que formation des individus) pouvaient être susceptibles de concourir à l’émergence d’un
esprit de résistance, d’endurcissement. Comme pour dire que le rôle de l’éthique dans la
réussite éducative d’un être est fondamental, voire capital. Cette affirmation d’Enoh
Meyomesse vient ainsi, illustrer parfaitement l’importance du lien qui existe entre ces deux
réalités. Il incombe alors de démontrer théoriquement qu’il existe une corrélation manifeste
entre ces deux termes.

1 - Education comme vecteur de l’éthique

L’éducation on la souligné dans l’Afrique ancienne, est un moyen de s’intégrer à la fois


sur le plan cosmique et sur le plan social. Mais en réalité l’éducation chez les anciens
Egyptiens et le peuple Binam, est bien plus qu’un outil d’intégration : elle est un moyen de
transmettre l’éthique (en tant que conception de l’existence humaine propre à une
géographie), d’inféoder un enfant à la vision du groupe afin de lui permettre de puiser tous les
éléments culturels essentiels à sa croissance totale. C’est probablement dans cette mouvance
que se situe Pierre Erny lorsqu’il affirme à cet effet, que ‘‘l’éducation se fonde sur une vision
de l’homme, des attitudes face au monde et à la vie, d’un système de valeurs jouissant en
général d’un haut degré de cohérence224’’. Donc tout peuple par souci de pérennité identitaire
aspire à transmettre de générations en générations, un ensemble de valeurs qui lui sont
propres, faisant de lui un particularisme. Et pour mieux diffuser cette vision du monde à
travers le territoire, l’éducation se sert de la langue, de l’art et des rites comme outil de
communication. Le lien qui unit l’éducation à l’éthique se traduit par le fait que, c’est
l’éducation qui véhicule la vision à laquelle est rattachée une communauté humaine. En effet
c’est éventuellement à travers l’éducation d’un individu que l’on peut ressortir les modèles de
valeurs qui existent dans sa société. Par exemple il est de notoriété historique que dans la

223
D. Enoh Meyomesse, Histoire du Cameroun de 1940 à nos jours, Tome 1, Du 27 aout 1940 à la chasse aux
patriotes en mai 1955, Yaoundé, Les Editions du Kamerun, 2010, p.13.
224
P.Erny, L’enfant et son milieu en Afrique noire, p.26.
89

Grèce antique225 du 5ème siècle av-J-C, les Spartiates recevaient à leur naissance une éducation
guerrière, sans doute parce qu’ils évoluaient dans une société dont la vision du monde reposait
sur l’omnipotence de la guerre. Cette éthique de la guerre226 (on parle alors de bellicisme) les
a conduits inévitablement à se heurter à Athènes lors de la fameuse guerre du Péloponnèse.
En outre, c’est également l’éducation en tant qu’instrument dont se sert tout guide temporel
pour sensibiliser les masses populaires à une meilleure pensée, à un meilleur agir. L’éducation
au sein d’une société en définitive, est un moyen d’insuffler en chaque individu, les valeurs
communautaires. Dès lors si comme nous l’avons souligné, il existe un lien de réciprocité
entre l’éthique et l’éducation, quelle peut être à présent l’influence de l’éthique sur
l’éducation ?

2 - L’éthique comme guide et boussole de l’éducation

De manière globale, l’éducation en tant qu’apprentissage ou initiation d’un individu, se


déroule dans un cadre moral bien précis, rythmé par des idéaux chers à un peuple : ce cadre
moral n’est rien d’autre que l’éthique. En effet c’est l’éthique en tant que vision du monde et
manière globale de penser en société qui oriente l’éducation (en tant que formation d’un être).
C’est pourquoi Charles Hubert Ndjické Demenou à ce propos, a pu affirmer : ‘‘dans toute
société traditionnelle, c’est le savoir-vivre qui a lieu de citer, qui influence la manière d’élever
nos enfants227’’. En outre c’est elle qui, en tant que corps de normes sociales, élabore les
finalités assignées à l’éducation et lui propose des modèles de valeurs. On forme ou on
éduque pour parvenir à un résultat, c’est pourquoi la valeur d’une éthique se mesure à la
qualité d’éducation qu’elle produit ou qu’elle secrète. A titre d’illustration nous savons que la
pensée occidentale est sous-tendue dans une certaine mesure par le matérialisme228. C’est en
effet cet esprit de vouloir dominer ou transformer la matière, voire de percer ses innombrables

225
Au 5ème siècle av JC, la Grèce n’existe pas à proprement parler. Ce sont les cités - Etat appelées polis qui
existent. Eprises d’autonomie et de liberté, elles guerroient les une contre les autres, et procèdent parfois à des
alliances pour augmenter leur force, face à la précellence militaire et économique d’une plus grande cité.
226
Pour mieux comprendre l’éthique des Spartiates, voir C. Mossé, Une Histoire du monde antique, Paris,
Larousse, 2005. Voir la page 139 qui donne brièvement des informations sur l’éducation des enfants à Spartes.
227
Entretien avec Mr. Ndjické Demenou Charles Hubert, enseignant retraité, 67ans, Bangangté, 25 novembre
2017.
228
En réalité le matérialisme occidental en tant que philosophie de l’existence qui soutient et défend le primat de
la matière sur l’esprit, peut s’expliquer à la lumière de l’éthique protestante Weberienne. En effet, à travers cette
éthique, il ressort que l’homme, ayant été chassé du paradis à cause de sa désobéissance, est condamné à
travailler pour se racheter, pour obtenir son salut personnel. Et ce salut personnel pour l’homme, passe par sa
transformation en un être nouveau, mieux un être promothéen, celui-là qui invente et découvre. C’est ainsi qu’il
va étudier la nature, l’exploiter, et la transformer afin de solutionner les difficultés ou obstacles auxquels il fait
face, mais aussi de donner un sens à son existence.
90

mystères, qui a stimulé profondément les innovations technoscientifiques des 18ème et 19ème
siècles.

C’est encore l’éthique en tant que vision du monde qui, compte tenu des antagonismes
ou des divergences d’opinion qui existent naturellement au sein d’une société, permet
d’évacuer ces différences en polarisant les membres autour des idéaux communs. En effet la
coexistence humaine229 en société n’est pas un fait inné, mais plutôt une construction
collective méthodique. Elle nait du fait que l’homme, reconnaissant son imperfection et par
conséquent son auto-insuffisance ontologique, décide de joindre les autres pour augmenter ses
probabilités de réussite dans la vie. Conséquence il est tenu de supporter les autres tants dans
leurs qualités humaines que dans leurs défauts.

Enfin c’est aussi l’éthique qui à travers l’éducation, influence le comportement des
individus appartenant à un groupe et impacte mécaniquement son organisation dans tous les
domaines. L’éthique c’est le savoir-vivre, et ce savoir-vivre s’appuie sur des croyances et
cosmogonies qui façonnent la psychologie et le comportement des habitants d’un village à
telle enseigne que, même l’organisation politique, économique et sociale de cette
communauté est très souvent calquée sur cette vision, sur ces croyances.

De ce qui précède, il ressort que l’éthique et l’éducation entretiennent manifestement


des rapports de complémentarité qui, débouchent logiquement sur une certaine miscibilité.
Dès lors il importe de démontrer non plus dans la théorie, mais dans la praktikê, ce lien de
réciprocité, voire fusionnel dans l’Afrique ancienne. Mieux il faut montrer comment
s’observe ce lien indissoluble durant l’Ancien-Empire Egyptien et chez le peuple Binam du
Cameroun.

II - Examen empirique du lien existant entre l’éthique et l’éducation dans l’Afrique


ancienne

Nous avons jusque là eu à discourir sur le lien théorique qui uni l’éthique à
l’éducation en général. Dès lors il apparait important ici, de transcender cette étape abstraite et
spéculative pour pouvoir en mesurer la rigueur de la véracité sur le plan pratique. En d’autres

229
La coexistence humaine au sein d’une communauté n’est pas une contingence mais bel et bien une nécessité
d’ordre vital. En effet, l’imperfection de l’espèce humaine entrainant l’inanité de certains efforts individuels, les
hommes sont obligés de se regrouper pour accroitre leur possibilité de réussite ou de succès.
91

termes, il s’agit de ressortir à travers chaque étape de l’éducation dans l’Afrique ancienne, le
pont reliant ces deux réalités tant au niveau de la famille, qu’au niveau des centres
d’instructions égyptiens et sociétés de classe d’âge Binam.

1 - Au niveau familial

Dans l’ancienne Egypte tout comme dans l’espace Binam, la cellule familiale a toujours
été de tout temps, la base même de la société. Le lien entre l’éthique et l’éducation s’observe
d’abord au niveau des parents avant d’être perceptible au niveau de l’éducation de l’enfant.
Ceci s’explique par le fait que la responsabilité éducative repose premièrement sur les parents.
C’est pourquoi, ces derniers doivent élaborer en toute unanimité un programme de vie
commune (qu’ils doivent refleter à travers leur comportement) avant de l’infuser à l’enfant, de
peur que son éducation n’en pâtisse. En effet le maitre et la maitresse de maison se doivent
d’établir certaines règles nécessaires à la stabilité et à la longévité conjugale. L’une de ces
règles n’est autre que le respect et la fidélité que chacun voue à l’autre car, si les parents ne
font pas montre de respect et de fidélité l’un envers l’autre, l’enfant risque inéluctablement
d’être le principal dommage collatéral. D’ailleurs cette volonté maritale de faire du respect et
de la fidélité le principal baromètre de la santé du couple, est sensible à travers ces propos :
‘‘Je t’ai prise pour femme lorsque j’étais un jeune homme. J’ai été fidèle. Puis j’ai conquis
tous les grades, mais je ne t’ai pas abandonnée et n’ai point souffrir ton cœur’’230.

La fidélité ici est source d’harmonie et repose sur la perception qu’a chacun de l’autre, c’est-
à-dire l’image qu’on a du sexe opposé. En effet pourquoi l’homme doit respecter et honorer sa
femme ? Car répondre à cette interrogation, s’est probablement dissequer, voire chercher à
savoir la place qu’occupe à kemet et dans l’espace Binam, la femme au sein de la création. La
sacralité de la femme est sans doute liée d’abord à sa morphologie si différente de celle de
l’homme : D’où son caractère énigmatique et impénétrable. Selon D. Zahan231, la femme
symbolise simultanément deux éléments porteurs de vie au sein de la création. Le premier est
la terre, c’est-à-dire la matière inerte et passive qui renferme la vie dans son sein et supporte
tout ce qui est nécessaire à l’existence de l’homme ; le second est l’eau, source de

230
F. Trassard, La vie des Egyptiens au temps des pharaons, p. 10.
231
Confère Religion spiritualité et pensée africaines, pp.147-150. D’après cet ethnologue, la sacralité de la
femme est aussi liée au fait que, chacun de ses organes vitaux, ainsi que leurs parties annexes, révèlent, par les
analogies qu’ils évoquent, différentes parties de la création. C’est pourquoi il n’est pas surprenant dans ces
conditions, de constater la place immense qu’elle occupe dans le domaine de la nyctosophie.
92

prolifération et d’abondance. Toutes ces différentes considérations de la féminité sont à la


base des principes éthiques imposés à l’homme par la communauté vis-à-vis de sa compagne.

Une fois que le respect et la fidélité réciproques cessent d’être une abstraction pour devenir le
partage des parents, ceux-ci peuvent parconséquent mieux éduquer leur progéniture. A ce
niveau le lien qui uni l’éthique et l’éducation consiste, à infuser à l’enfant des modèles de
valeurs notoires dans la société, tout en lui expliquant les difficultés existentielles auxquelles
il s’expose s’il vient à s’en écarter. Comme ces parents, la première valeur inculquée à un
enfant, aussi bien à Taouy que dans les chefferies Binam, est le respect vis-à-vis des
personnes qui font partie intégrante du milieu bio-physique dans lequel il évolue. Ceci
s’amorce tout d’abord par le respect de l’enfant envers ses parents en général, et sa mère en
particulier. Cette approche qui insiste sur la cagoterie dont doit faire preuve l’individu envers
sa mère, est loin d’être discrimatoire et fortuite. Dans le chapitre précédent, l’on a pu mesurer
le degré d’implication maternelle dans la socialisation de l’homme. Bien que l’homme joue
un rôle important dans le développement affectif de l’enfant, l’allaitement maternel puis le
seuvrage, sans parler de l’hygiène infantile et la nutrition permanente y afferente font de la
mère, l’artère vital du développement éducatif et moral de l’individu. C’est pourquoi l’enfant
doit apprendre à lui témoigner sa gratitude, à lui être soumis entièrement et combler le
moindre de ces desirs. C’est dans cette perpective qu’il faille comprendre ces conseils
prodigués à un jeune homme, dans les Sagesses d’Any au Nouvel Empire : Rends au double
les aliments que t’a donnés ta mère, porte-la comme elle t’a porté ; tu as été pour elle une
charge lourde et fatigante, mais elle ne t’a pas abandonné (…) alors qu’on t’apprenait à écrire,
chaque jour elle veilla à ta nourriture, portant le pain et la bière de sa maison232.

Nous avons observé comment se matérialise le lien entre l’éthique et l’éducation au niveau
familial. A présent il est nécessaire de le verifier au niveau des structures éducatives chez les
Négro-africains de l’ancienne Egypte et de l’espace Binam.

2 - Au niveau des centres d’instructions et des sociétés de classe d’âge

L’édification individuelle amorcée au niveau familial est relayée par les départements
d’instruction (l’ât sebay.t et le per ankh) et les sociétés de classes d’âge chez les peuples
Binam (le Me kué et le Ma djoun). Nous avons analysé précédemment la fonctionnalité des

232
F. Trassard, La vie des Egyptiens au temps des pharaons, p.9.
93

dites structures. Mais comment s’observe alors ici le lien de causalité entre l’éthique et
l’éducation ?

A la quatrième année de son existence, l’Egyptien intègre l’ât sebayt dans le souci
d’apprendre à lire, écrire et calculer, tandis que l’enfant Binam vers l’âge de 10 ans doit faire
partie du Me kué. Si la formation du premier vise à lui fournir les rudiments facilitant son
admission et ascension dans le fonctionnarisme pharaonique, celle du second ambitionne
d’éperonner chez l’adolescent des valeurs telles que la serviabilité et la disponibilité. Dans
cette perspective, la langue joue un rôle fondamental car, chaque langue véhicule une vision
particulière du monde, mieux décrit un ensemble de réalités matérielles et immatérielles qui
ne sont compréhensibles que par le peuple qui le parle. La langue est donc dans l’Afrique
ancienne, plus qu’un outil communicationnel, elle est un moyen d’inféoder un individu à la
vision du groupe. C’est dans cette mouvance qu’il faille comprendre Marcien Towa à propos
de l’importance de la langue lorsqu’il affirme :

En élevant nos langues au rang de ce véhicule national de culture moderne, nous édifions un univers
conceptuel et scientifique clair, transparent parce qu’il sera en rapport métaphorique avec l’univers
familier et bien connu de notre expérience immédiate, et nous éviterons de creuser un fossé trop profond
entre l’élite intellectuelle et la masse populaire(…)233.

Tandis que chez les Egyptiens antiques de la période Memphite, le /rn


kmt/ ra n kemet (langue égyptienne) exprime à travers les Sagesses égyptiennes un idéal
comportemental sur le plan social, le Ghomàla et le Medumbà234 quant-à-elles, traduisent
parfaitement de par les contes, des fléaux que la communauté Binam vitupère et les valeurs
qu’elle promeut.

Au niveau de l’ât sebay.t et du per ankh, le lien entre l’éthique et l’éducation se traduit
par le fait que, durant les cours dispensés par le scribe, l’accent est mis sur la discipline et la
bibliophilie, en tant que ferment de la consolidation de la puissance de l’Etat égyptien. Il faut
transformer par une action pédagogique continue et ininterrompue, chaque apprenant en
bouquineur susceptible d’implémenter divinement à sa sortie, la somme extraordinaire des
connaissances reçues. Et pour s’assurer du succès de cette entreprise, quoi de plus persuasif

233
M.Towa in revue Abbia, n°29-30, P.112., cité par Victor Kamga, Duel camerounais, Démocratie ou
barbarie, Paris, l’Harmattan, 1985, p.151. Dans cet ouvrage, Victor Kamga fait une lecture critique de la
situation politico-institutionnelle, et socio-économique de l’Etat camerounais sous le règne d’Ahmadou Ahidjo
(1958-1982) et ainsi que des premières années d’espoir suscitées par le renouveau (notamment le début de l’ère
Biya).
234
C’est l’une des onze langues du peuple Binam du Cameroun auquelle on s’est intéressé dans le cadre de ce
travail. Elle est parlée surtout dans le département du Ndé, avec pour principaux bastions : Bangangté, Bakoung,
Bangoulap et Bahouoc.
94

que l’adoption d’une attitude sévère et ferme à travers l’instauration de châtiments corporels ;
Il faut exposer aux apprenants les qualités recommandées et appréciées (la diligence) par
l’administration, mais aussi les vices (telles que le sommeil et la flemme) fustigées par elle.
C’est sans doute l’idée qui ressort de ces propos d’Adolf Erman : ‘‘

La discipline à l’école est sévère. Le sommeil prolongé n’y est pas toléré : A ta place ! Les livres se
trouvent (déjà) devant les camarades, attrape les vêtements, cherche ( ?) les sandales autour de toi (…) O
scribe, ne soit pas paresseux, ne soit pas oisif, si non on te punira comme il convient (…) Ne passe pas
pas un jour dans l’oisiveté, sinon on t’administrera une correction. Car les oreilles du jeune garçon sont
sur son dos, et il écoute quand on le frappe. Fais en sorte que ton cœur entende ce que je dis, tu en
éprouveras l’utilité (…)235.

Certes l’application des châtiments corporels peut paraître exhubérante, mais la finalité
poursuivie par elle n’est pas anodine. La reprimande en milieu éducatif dans l’ancienne
Egypte n’a pas été conçue comme un moyen d’étriller les apprenants, mais l’idée par du fait
que, comme on dresse les lions, on dompte des chevaux, on affaite des faucons, la réprimande
peut subséquemment être un moyen de correction (pour l’élève), l’amenant de ce fait à sortir
de sa passivité et léthargie pour devenir un acteur dynamique. Et pour se faire, le scribe
marque un temps d’arrêt sur les Maximes égyptiennes. Par Maximes ou Enseignements
moraux, il faut entendre un recueil d’instructions et de préceptes éthiques à caractère
sapientiel élaborés par un père à l’attention de son fils, ou d’un maitre à l’attention de son
disciple, dans le souci d’orienter sa conduite vers la Maât. Selon Leclant, il s’agit d’un corps
de préceptes et d’instructions qui fournissent des conseils pratiques s’articulant autour de la
conduite humaine sur le plan social. Elles nous montrent selon lui ‘‘comment choisir ses amis,
quelle conduite tenir envers les étrangers, la police, les ennemis ou les membres de la
famille236’’. En effet ces préceptes éthiques revêtent une dimension sapientielle, en raison de
leur caractère injonctif ou interpéllatif ayant pour finalité le salut de l’homme. Ainsi la maât
c’est la vérité-justice, la rectitude, le silence, la tempérance, humilité et le partage. Cette
notion fondamentale de la pensée égyptienne a beneficié d’une écriture performante (les
Hiéroglyphes) pour son implémentation. Le verbe donne naissance à la vie (connaissance),
tandis que l’écrit le fixe pour l’éternité. Ce qui n’a pas été le cas du peuple Binam.

En effet, n’ayant connu que très tardivement l’écriture, les peuples africains situés au
Sud du Sahara ont élaboré un système de connaissances reposant essentiellement sur l’oralité.

235
A. Erman, H. Ranke, La civilisation égyptienne, p.422.
236
J.Leclant, ‘‘La littérature égyptienne’’, in Egypte Antique (civilisation), Encyclopédiae Universalis corpus 6,
p.736.
95

Ce sont les civilisations qui, faute de n’avoir pas connu à l’inverse de kemet, une civilisation
écrite, ont fait de l’oralité le principal vecteur du savoir. Dans ces sociétés, les valeurs
culturelles et sociales, ainsi que les savoirs de diverse nature (ésotérique, pharmacologique,
connaissance des institutions, grands événements du passé) sont transmis de générations en
générations par le canal de la parole. Certes bien que la principale difficulté relative à ce mode
de transmission du savoir, réside dans la fragilité des repères chronologiques, mais c’est le
moyen le plus approprié à l’édification des individus.

Nous avons analysé jusqu’ici le lien qui existe entre l’éthique et l’éducation, tant au
niveau de l’ât sebayt et de la maison de vie, qu’au niveau du Me kué dans la société Binam ;
Mais comment se matérialise t-il au niveau du Ma djoun ? Quant on sait qu’il s’agit de la
seconde société d’initiation du jeune enfant en milieu Bandjoun et Bangangté. Nous avons dit
que vers l’âge de 14 ans, le jeune homme doit entrer dans cette société que l’on retrouve
d’après E. Ghomsi, dans toutes les chefferies Bamiléké, et même dans certaines chefferies du
Cameroun occidental, dans la réfion de Bamenda notamment. A l’origine, elle devait réunir
tout jeune individu affriolé par le métier de chasseurs et leur servait à cet effet de cadre
d’entrainement. Mais avec le temps, ses objectifs ont été orientés vers le développement des
aptitudes et potentialités physiques de l’individu, pour en faire quelqu’un d’utile sur un
double plan. Le premier concerne son implication dans l’exécution des travaux d’intérêt
général (construction des cases telles les Bundie ou nemo, réfection des clôtures et toitures)
exigeant mécaniquement une certaine présence masculine.

Le second recherche à susciter chez lui, la nécessité de se surpasser au cours des


entrainements physiques, ceci, pour mieux assurer la défense de la chefferie si un conflit vient
à éclater. Le lien entre l’éthique et l’éducation s’explique par le fait que, au-delà du
développement des aptitudes physiques du jeune garçon, on lui montre surtout comment peut-
il les mettre au profit de la société (pour éviter de les galvauder), comment peut-il les
exploiter de manière efficiente, à quelles fins doivent-elles servir. En effet, on ne développe
les capacités physiques de l’individu ici, que dans un dessein ou but préçis. L’individu doit
etre capable d’utiliser de manière optimale et à bon escient, les potentialités physiques
acquises tout au long d’un entrainement rigoureux.

Il s’est agit d’examiner la correlation empirique qui existe, entre l’éthique et l’éducation
au niveau de la famille et des centres d’apprentissage extérieurs dans l’Afrique ancienne. Il
importe dès lors, d’analyser la fonction pédagogique et didactique des Sagesses égyptiennes
96

en montrant comment, elles ressortent parfaitement à kemet, la complémentarité existante


entre ces deux concepts.

1 – Les Maximes égyptiennes

Nous l’avons dit, par Maximes il faut entendre un recueil d’observations et de


remarques relatives à l’existence quotidienne des hommes. Elles sont élaborées pour orienter
et infléchir le comportement de certaines personnes, source de déconvenue dans leur
entourage. Le but c’est d’amener l’individu à tirer les leçons de ses multiples échecs pour
mieux le fortifier car, on n’apprend et ne progresse que si l’on sait extraire de nos tribulations
et vicissitudes, l’expérience qui nous immunisera par la suite. C’est pourquoi l’ayant cerné,
Raymond Aron a pû affirmer : ‘‘Dans l’histoire de la pensée, les erreurs sont souvent plus
instructives que les vérités237’’.

a - Extraits de Maximes de Ptahhotep238

Les Maximes de Ptahhotep toutes comme celles de Kagemni, sont des sentences
contenues dans le papyrus Prisse. En effet, elles visent à encadrer durablement la conduite de
l’homme en toute circonstance. En effet à travers ces écris, on peut lire :

m ‘3 ib.k hr rḫ.k

em âa ibek her rhek

dans la grandeur/en tant que grand, ne soit pas orgueilleux de ce que tu connais239

nḏnḏr.k hnc ḫm mi rḫ

nedjnedjerek henâ khem mi rekh

237
R. Aron, La société industrielle et la guerre, Paris, Plon, 1959, p.4.
238
Essai de transcription, de lecture et de traduction par Zoah Ottou Michel.
239
Essai de transcription, de lecture et de traduction par Zoah Ottou Michel.
97

mais prends conseil/ou soit en compagnie/de celui qui ignore comme de celui qui connait

Ir gm.k ḏa is m at.f

Ir gemek dja is em atef

Si tu trouves un opposant entrain d’agir/ou de faire quelque chose

Ḫrp ib m ikr rk

Kherep ib em iker rek

Qui sait contrôler son Coeur, un homme plus habile que toi

ḫ3m c
wy.k hm s3.k

Kham âouyek hem sak

Plie tes bras courbes ton dos

imi.k hr m rmṯ

imik her m remetch

Tu ne dois pas répandre la terreur (ou l’effroi) parmi les hommes ou les Egyptiens240.

En dépit du caractère incomplet de cet extrait de /ṯ sw241/tchesou(Maximes) de


Ptahhotep, vizir du roi Izézi (5ème dynastie), l’on peut déjà observer à ce niveau la
quintessence du message éducatif et philosophique qu’il délivre. En effet malgré la distance
spatio-temporelle qui nous sépare de kemet, on ne peut rester insensible à la clarté et à la
profondeur d’un texte de cet acabit. Constituant l’un des genres littéraires les plus anciens de

240
Essai de transcription, de lecture et de traduction par Zoah Ottou Michel.
241
R.O.Faulkner, A concise Dictionary, p.308. Tchesou meaning Maxim or Sentence.
98

Taouy, les Maximes ou sentences, nous l’avons dit, sont en réalité des traités de morale, qui
du fait de la longue expérience et notoriété de leurs auteurs, font une appréciation profonde de
l’éthique, la psychologie, ainsi que des bouleversements politiques et sociaux qui ont ponctué
la trajectoire historique de kemet. A travers ce fragment d’Enseignements, le vizir exhorte son
fils mais aussi tout Egyptien à la maitrise de soi, à une meilleure retenue de ses émotions.
Ceci passe par l’humilité et la simplicité car pour le vieux vizir, la puissance de l’humilité
dont fait preuve le sage, se mesure au respect et à l’admiration dont il fait l’objet dans son
entourage. C’est pourquoi il dit ‘‘ne soit pas orgueilleux de ton savoir, mais prends conseil de
l’ignorant comme de l’homme cultivé’’. En outre Ptahhotep, montre que l’homme doit savoir
s’incliner devant quelqu’un de plus excellent que lui car, en réalité, c’est la preuve qu’il est
conscient de ses limites, et de ce qu’il pourrait apprendre auprès des autres. C’est dans ce sens
qu’il dit ‘‘si tu trouves devant toi un opposant qui sait diriger son cœur, un homme plus
excellent que toi, plie tes bras et courbes ton dos’’. Bien entendu les Maximes de Ptahhotep,
ne sont pas les seules Sagesses dans l’ancienne Egypte, à établir le lien existant entre l’éthique
et l’éducation. A côté d’elles parailleurs, relevons celles du moraliste Kagemni.

b - Extraits de Maximes de Kagemni

A travers cet extrait, Kagemni nous exhorte à vivre selon la Maât dans ce texte, où il est
écrit :

ir hmsi.k hnc c
s̱ at

ir hemesi.k hena âchat

lorsque tu es assis avec les gens de ton rang ou de ta classe

ḫw wr pw 3fC iw ḏbcwt im

kou our pou afâ iou djebâout im

la gourmandise est récriminée


99

iw ikn n mw c
ẖm mw f ib.t

iou iken en mou âkem mw ef ibet

un verre d’eau étanche la soif

im mc pr.i rn.k

im mâ peri renek

laisse aller en avant ton nom242

nist.k m c
3 ib.k hr ḫpš

nistek em âa ibek her kepech

Quand tu es appelé, ne te vante pas de ta puissance.

La puissance de persuasion (en raison de la pertinence des conseils prodigués) de ce


fragment des Maximes de Kagemni243 est inextricablement liée à la longévité administrative
exceptionnelle du dit vizir. En effet maire et vizir sous les règnes respectifs des souverains
Houni (dernier roi de la 3ème dynastie) et Snéfrou (1er roi de la 4ème dynastie), Kagemni fort de
son expérience, a suffisamment été moulé aux réalités de la bureaucratie égypto-pharaonique
pour tirer, certaines conclusions dont la maturité ne fait aucun doute. A travers cet extrait, le
vieux vizir, bien après avoir cerné véritablement les arcanes du pouvoir à Taouy, exhorte ses
enfants à résolument tourner leur existence vers l’acquisition de la vertu. Cette acquisition de
la vertu passe progressivement par la maitrise de soi, l’humilité, la modération, et surtout sur
la prudence sur lequel le vizir semble insister.

242
Essai de transcription, de lecture et de traduction par Zoah Ottou Michel.
243
J.Leclant révèle dans son article ‘‘La littérature égyptienne’’ le fait selon lequel, l’Enseignement de Kagemni
n’a pas été rédigé par lui. Ces Maximes ont été écrites par un certain Kaires dont l’identification est récente. ‘‘La
littérature égyptienne’’ in Egypte Antique (Civilisation), Encyclopédie Universalis, corpus 6, paris, S.A, 1985,
p.739.
100

Premièrement par maitrise de soi244, l’auteur démontre toute l’importance qu’il y a de


savoir garder le contrôle de ses affections, en un mot la retenue dans nos actes. C’est
d’ailleurs pourquoi il dit ‘‘ lorsque tu es assis en compagnie, évite le mets que tu aimes, ce
n’est qu’un bref moment de maitrise de soi’’. La maitrise de soi dans la société égyptienne,
c’est-à-dire la retenue dans nos actes est l’une des valeurs les mieux appréciées. Si on est à
table comme il l’a décrit, on doit savoir faire preuve de pudeur dans la consommation des
aliments qu’on nous sert, car cette attitude est un indicateur de l’éducation du concerné. C’est
d’ailleurs ce qui l’amène à stigmatiser sans réserve la gloutonnerie car, la gloutonnerie expose
de manière ostentatoire notre avidité pour des plaisirs éphémères, d’où cette remarque : ‘‘ la
gloutonnerie est bassesse et est reprouvée’’. Après cette remarque sur la nécessité de la
maitrise de soi, le vizir souligne l’importance du partage et de la solidarité dans les relations
humaines, car savoir donner à autrui, c’est probablement savoir ce que ressent autrui dans les
moments ou situations difficiles. Lorsqu’on sait partager, ce qu’on donne avec amour et
sincérité n’est jamais petit ; c’est pourquoi il écrit ‘‘Un verre d’eau étanche la soif, une
bouchée de légumes réconforte le cœur, un peu tient lieu de beaucoup’’. Profondément
attaché à cet idéal de maitrise de soi, l’auteur montre toute l’importance d’être humble et
taciturne, car la vantardise est un manque d’assurance et la marque de l’ignorance humaine.
C’est dans cette mouvance qu’il se situe lorsqu’il dit ‘‘laisse aller en avant ton nom, quand tu
es appelé ne te vente pas de ta puissance’’.

Au final, les Maximes de Ptahhotep et de Kagemni constituent irréfutablement les


prémices des Sagesses égyptiennes en raison du grand retentissement psychologique et
spirituel qu’elles eurent. En effet ces joyaux éthique et philosophique n’ont pas disparu avec
leurs auteurs. Ils leur ont survécu à travers les différentes périodes de l’histoire égyptienne, de
par l’influence significative qu’elles ont exercée sur la conduite des anciens Egyptiens de
toute couche sociale. Mais à côté d’elles, l’Enseignement de Khéti plus connu sous le nom de
la Satire des métiers (contenue dans le payrus Lansing), ressort l’importance du métier de
scribe, en faisant une peinture sombre des autres professions.

244
Par maitrise de soi il faut y voir, la contenance de nos émotions par une violence de soi. C’est aussi la faculté
de dompter les différentes pulsions contradictoires qui rythment notre vie psychique, et qui nous poussent parfois
à commettre des actes repréhensibles. Cette qualité recherchée n’est pas une donnée innée, mais une quête
permanente qui exige de nous, une certaine paix intérieure, c’est-à-dire l’ataraxie voire l’aponie. C’est donc une
construction méthodique et patiente de l’esprit humain, qui s’articule autour du contrôle absolu de l’appétence de
l’homme, mieux des desirs et voluptés charnels.
101

c - Extraits du papyrus Lansing245

Le papyrus Lansing est un manuel scolaire ou livre d’école datant du Nouvel-Empire


(1567- 1085). T.g.h James pense qu’il s’agit de brèves instructions qui furent rédigées pour
l’instruction des aspirants scribes et rassemblées sur des rouleaux de papyrus. C’est pourquoi
il pense que le nom adapté au papyrus Lansing est ‘‘Miscellanées’’, c’est-à-dire des manuels
traitant de la fonction et de la formation de scribe dans l’Egypte antique. Ce fragment qui en
est un extrait, semble comme c’est le cas d’autres papyri246 panégyriques (papyrus Anastasi
IV, papyrus Insinger), exalter les mérites et les avantages liés au métier de scribe dans
l’ancienne Egypte. Il vise à ressortir l’importance de la vie intellectuelle en exposant aux
élèves, la place incontournable qu’occupe le scribe dans la société égyptienne en général et
dans la bureaucratie égypto-pharaonique en particulier. D’ailleurs il est écrit :

ir sšw n p3 nty rḫ sw 3ḫ sw r

ir sechou pa nety rekh sou akh sou er

Ecrire pour qui connait, c’est préférable

i3wt nb.t

iaout nebet

Que toutes les autres fonctions

c
nḏm sw r kw

nedjem sou er âkou

C’est mieux que boire et la nourriture,

245
Essai de transcription, de lecture et de traduction par Zoah Ottou Michel.
246
Ces différents papyrii, couvrent d’éloges la fonction scribale à Taouy au regard des privilèges y afférents. Bien
consulter pour cela, A.Eggebrecht, L’Egypte ancienne, 3000 ans d’histoire et de civilisation. Le lecteur pourra
s’intéresser particulièrement aux pages 148, 150, 163, 203 et 204.
102

sbk sw r iwc kmt

sebek sou er iouâ kemet

mieux qu’un heritage à kemet

r hbsw r sgnn

er hebesou er segenn247

mieux que des vêtements et de l’onguent.

En effet ce fragment de texte issu du papyrus Lansing, couvre d’éloge tout Egyptien248
qui sait lire, écrire et calculer, c’est-à-dire le scribe. Ainsi la vie intellectuelle à kemet est au
fondement même de l’Etat pharaonique. Ce sont les fonctionnaires, prêtres ou toute autre
classe sachant manier un calame et un papyrus, qui ont de par leur formation, façonné
profondément la pensée égyptienne et érigé un système de valeurs, qui ont permis à Taouy de
se maintenir durant plus de trois millénaire au sommet de la pyramide des peuples du monde.
En spéculant sur l’absolu, en inventant une diversité de cosmogonies (admirablement ficelées)
ils ont rendu plus compréhensible l’univers dans lequel ils vivent, et plus performante
l’administration dans laquelle ils évoluent, en identifiant les difficultés de leur environnement,
mais aussi en recherchant les moyens d’y remédier. C’est pourquoi nous pouvons dire que la
classe intellectuelle de par sa réflexion totale, couvrant divers champs de la connaissance, a
secrété et orienté durablement le développement l’Egypte ancienne.

De ce qui précède, il ressort que le papyrus Lansing exprime l’importance de la place du


scribe dans la structure sociale égyptienne. Eduquer un enfant à l’Ancien-Empire, c’est lui
inculquer la nécessité de devenir plus tard scribe. Toutefois comme nous allons le voir, les
Maximes kmtyw ne sont, assurement pas les seuls moyens d’édification individuelle dans
l’Afrique ancienne. On retrouve également cette fonction instructive dans la tradition orale
Binam.

247
C’est une sorte de parfum ; il renvoie aussi à une sorte de pommade à base de corps gras.
248
Pour avoir une idée du vocabulaire relatif à l’enseignement des élèves à Taouy, ainsi que du matériel utilisé
par eux, voir T. Obenga, La philosophie africaine de la période pharaonique, pp.208-212.
103

2 - La tradition orale Binam : la valeur éducative des contes

L’enseignement précolonial des enfants au Sud du Sahara en général, et dans l’espace


Binam au Cameroun particulier, s’appuie sur un élément fondamental : la tradition orale dont
les contes.

En raison de son caractère distrayant et récréatif, le conte est chez le peuple Binam, le
moyen le plus utilisé pour édifier ainsi les plus jeunes individus (enfant, adolescent) du
groupe. De par son utilisation permanente, le pédagogue amorce progressivement
l’enracinement du petit enfant, enracinement par lequel, la société peut se reconnaitre en lui et
lui autoriser subséquemment à prendre activement part, aux activités collectives. C’est dans
cette perspective que semble s’inscrire Rodrigue Tchamna lorsqu’il affirme : ‘‘les contes,
mythes et légendes sont les moyens les plus utilisés par les africains pour véhiculer des
messages. Les contes, mythes et légendes sont donc les moyens d’éducation les plus
appropriés pour édifier les enfants249’’. Si nous avons préferé analyser les contes plutôt que
les proverbes, c’est sans doute parce que, le conte de par son aspect distrayant véhicule un
message digeste pour un adolescent. En effet, quand on est petit, c’est ce qui est récréatif et
désopilant qui capte notre attention. Or le proverbe en raison de l’intérêt éthique et
philosophique sous-jacent, demande une certaine maturité d’esprit, et donc est difficilement
assimilable par un enfant. Donc dans l’Afrique ancienne en général, et l’espace Binam en
particulier, toute communauté humaine, par souci de pérenniser son identité culturelle, recourt
généralement aux récits, pour transmettre aux générations présentes et à venir, l’éthique
ancestrale, ce savoir-vivre séculaire. D’ailleurs Jérôme-Ledoux Fouotsa avait déjà souligné
cette vocation qu’ont les contes, à traverser le temps pour maintenir vivace la culture d’un
peuple en ces termes : ‘‘les bamiléké, fermement attachés à leur us et coutume par un pacte
occulte, ont le devoir de transmettre à leur descendance, dans le respect scrupuleux de
l’éthique séculaire, les récits ancestraux qui regorgent d’une pédagogie
pluridimensionnelle250’’.

Nous avons montré jusqu’ici, qu’il existe effectivement un lien inextinguible entre
l’éthique égypto-africaine et l’éducation. Toutefois, comme toute réalité comprise dans ce

249
R.Tchamna, A nâ’ be mbwè, Contes bamiléké racontés en Medumbà, Yaoundé, Editions Jets D’encre, 2015,
p.3.
250
J. L.Fouotsa, Contes et légendes bamiléké, Yaoundé, Presses universitaires d’Afrique, 2009, p.5.
104

monde, ce lien n’a certainement pas été épargné par la vindicte du temps. Il a donc évolué aux
autres périodes de l’histoire de ces peuples.

III - L’évolution du lien entre l’éthique et l’éducation chez les kemetyou et le peuple
Binam : De la première période intermediaire à l’avènement du fait colonial

L’histoire a dit Marc Bloch, est ‘‘la science des hommes dans le temps’’251. Elle est la
connaissance sur l’évolution des sociétés humaines à travers le temps. Et cette évolution des
groupes humains qui s’inscrit sur la durée, est ponctuée de transformations et mutations qui,
lui donnent toute sa signification véritable. Ainsi, aucun fait social ne peut faire abstraction du
temps, car c’est une donnée insaisissable transempirique dont les effets ne sont perceptibles
qu’à travers les altérations produites dans notre environnement. En effet le lien qui existe
entre l’éthique et l’éducation en négro-culture, ne peut échapper à cette notion de durée, dans
la mesure où il a certainement connu des transformations politiques, économiques et
religieuses qui, l’ont affecté en bien ou en mal. Il importe d’examiner de façon panoramique,
la dynamique de ce lien dans l’ancienne Egypte (de la première période de troubles au
Moyen-Empire), et dans l’espace Binam (à travers la colonisation et son lot de corollaire).

1 - De l’analyse contextuelle de la fin de l’Ancien-Empire à l’irruption du fait colonial

A la fin de l’Ancien-Empire, Kemet va ainsi sombrer dans une profonde période (de
plus de deux siècles environ) de troubles socio-politiques caractérisée par une sorte de
polyarchie. En effet tandis que le Delta oriental est sous-domination asiatique, on assiste à une
guerre entre les principautés : c’est la première période intermédiaire ou période des royautés
multiples. C’est également à cette même période qu’on assiste à une conquête des droits
funéraires par le peuple, communément appelée révolution Osirienne.

Cependant c’est aussi durant cette ère, que l’on assiste paradoxalement à une
consolidation de la foi du peuple égyptien en son créateur. Le paradoxe tient du fait que, tout
peuple en temps de guerre ou de troubles, est plongé logiquement dans la tourmente, voire le
désespoir. Ce qui n’a pas été le cas des Egyptiens antiques. C’est une période où les
Kemetyou, horrifiés par la violence et l’anarchie qui y règnent en souverain, affichent une
pleine assurance dans le divin. D’ailleurs Daumas l’a relevé, en montrant le rôle joué par cette
période obscure dans l’endurcissement mental des Egyptiens, en ces termes : ‘‘Les troubles
251
M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand colin, 1956, p.18.
105

sociaux ont mûri la sagesse des scribes. Mais ils ne furent pas les seuls. Les rois aussi ont
médité sur les événements auxquels ils assistaient et les plus doués d’entre eux ou les plus
intelligents ont écrit ou fait écrire le fruit de leur réflexion pour le transmettre à leur fils’’252 .
Et cette attitude de l’Egyptien durant cette période, est stimulée d’avantage par deux œuvres
littéraires fondamentales : Enseignement d’Akhtoès III pour son fils Mérikarê et les plaintes
de l’oasien. Bien évidemment, l’ancienne Egypte n’est assurément pas le seul territoire à avoir
connu ce type de mutations. L’espace Binam en général comme tout autre peuple au sud-
Sahara, a en effet fait face à des mutations suite au fait colonial qui, signalons-le n’a pas été
sans conséquences.

Toute société de manière générale, comme l’ont souligné Henry Tourneux et Olivier
Mandjeck, met en œuvre de façon plus ou moins formalisée diverses procédures, qui lui
permettent de se survivre en ses enfants253 : Cet ensemble de procédures pour survivre en sa
progéniture n’est autre que l’éducation. Mais cet ensemble de procédures visant à faire de
l’enfant, le reflet de son groupe, le produit de sa société, peut être perturbé le jour où, ‘‘un
ennemi vainqueur pour reprendre H.Sikounmo, venu de trop loin entreprend de la substituer
avec une détermination cynique, une éducation conforme à ses desseins impérialistes,
étrangères à la mentalité de ses victimes’’254 : c’est ce que Tibor Mende a appellé ‘‘ rencontre
déformante255’’ ou collision interculturelle.

Ce qui a été le cas du continent africain avec la poussée impérialiste occidentale vers la fin
du 19ème siècle. L’impérialisme c’est la doctrine qui légitime et préconise la domination
politique, économique, culturelle et religieuse des Etats les plus forts sur ceux techniquement
moins avancés, faibles ou trop divisés pour résister. C’est pourquoi elle a fini par engendrer
la colonisation. Par colonisation, il faut entendre ‘‘le processus d’expansion territoriale ou
démographique d’un Etat qui se traduit, par des flux migratoires importants se déroulant sous
la forme d’une immigration, d’une occupation plus ou moins rapide, voire d’une invasion
brutale d’un autre territoire’’256. On peut également y voir ‘‘une activité uniquement physique
et matérielle, menée par la seule force des armes au profit des seuls intérêts économiques et

252
F.Daumas, ‘‘La naissance de l’humanisme dans la littérature de l’Egypte ancienne’’, p163
253
H.Tourneux, O.Iyebi-Mandjek, L’école dans une petite ville africaine (Maroua), Paris, Karthala, 1994, p.193.
254
H.Sikounmo, L’école du sous-développement, p.120.
255
T. Mende, De l’aide à la recolonisation : les leçons d’un échec, Paris, Seuil, 1972, pp.41-45. Kange Ewane
parlera pour sa part, de ‘‘rencontre destructurante’’et de la ‘‘prostituion des valeurs’’ au prisme des
modifications socio-économique et religieuses en Afrique.Voir Semence et moisson coloniales, pp.133-142.
256
https://fr.m.wikipédia.org/wiki/colonisation, 09 mars 2018, 13h28.
106

politiques’’257. L’origine de ce branle-bas, est sans doute éminemment économique car, la


découverte des terres du Nouveau–monde en 1492, conjuguée aux révolutions industrielles du
18ème et 19ème siècle, favorise l’expansion économique européenne. Toutefois, cette expansion
entraine une surproduction, mais aussi un besoin accru de matières premières. La seule
alternative pour y remédier, est de trouver alors de nouveaux territoires où ils pourront non
seulement écouler leur surplus de production (débouchés), mais également se ravitailler tant
en ressources naturelles qu’en ressources humaines. C’est pourquoi vers le milieu du 19ème
siècle, l’Afrique devient le ‘‘continent privilegié’’ de l’expansion coloniale européenne.

Nous avons jusque là défini la période Héracléopolitaine ainsi que la colonisation chez
les Binam. Il est important de ce fait, de relever et d’analyser les mutations et les
conséquences engendrées.

2 - Les conséquences morales de l’ébranlement de la monarchie Memphite à la


désorientation éducative introduite par la colonisation dans l’espace Binam

Durant la première période intermédiaire, l’éthique exprime un certain murissement de


la psychologie égyptienne. En effet, face à l’effondrement de la monarchie Memphite
caractérisée par le gigantisme de ses monuments de pierre, l’Egyptien a fini par cerner le
caractère éphémère des biens matériels, qu’il ne sert à rien de consacrer tant d’effort à
l’érection de tels monuments, si une guerre venait à éclater. On a donc tiré pour reprendre
Daumas les leçons du passé depuis l’Enseignement pour Merikarê. Les œuvres les plus
solides, on le sait maintenant, peuvent être détruites, seule la justice demeure. D’où l’option
pour une approche plus modérée, une vie plus simple faite d’indulgence et d’entraide. Il s’agit
donc en définitive d’une période chargée de conséquences, en ce sens qu’elle a apporté des
transformations sociales qui ont affecté la psychologie et le comportement des Kemetyou.
Spectateurs horrifiés de la décadence Memphite, ils ont tiré les leçons des différents
événements successifs qui se sont produits.

Il importe dès lors, de s’appesantir sur l’une des œuvres littéraires de la première
période intermédiaire ou période Héracléopolitaine. Ceci va mieux permettre de ressortir au
délà des conjectures historiques, les valeurs véritables auxquelles est convié le peuple
Egyptien.

F.Kange Ewane, Semence et moisson coloniales : un regard d’africain sur l’histoire de la colonisation,
257

Yaoundé, Editions Clés, 1985, p.8.


107

a - L’enseignement pour Mérikarê ou L’Enseignement d’Akhtoès III

La société Héracléopolitaine à travers cet enseignement, a pû demontrer le degré de


maturité auquel elle est parvenue. En voici l’économie de cet enseignement :

Sois un artiste en paroles et tu seras plus fort. La langue c’est (…) et une épée pour le roi. La parole est
plus qu’aucune arme. On n’en impose point à un homme instruit. Instruis ta cour sur la natte. Le sage est
une école pour les grands. Ceux qui savent son savoir ne l’attaqueront pas. Le mensonge ne se produit pas
autour de lui. La vérité vient à lui pétrie, à la manière des dits Ancêtres. Exerce la justice pour durer sur
terre : apaise celui qui pleure ; n’opprime pas la veuve ; Ne chasse aucun homme du bien de son père ; Ne
fais de tort à aucun grand dans ses possessions. Garde-toi de punir à tort. Ne tue point ; cela ne te sera
point utile ; Punis par le bâton et la prison ; Et ainsi le pays sera bien fondé. Exception (soit faite) pour le
rebelle dont les plans ont été découverts, car Dieu connait celui qui a le cœur pervers ; Et il frappe pour
leur crime jusqu’au sang. C’est l’homme doux (qui passe heureusement son) temps de vie 258 (…).

Cet enseignement destiné à Mérikarê, vise à faire de lui, un roi enclin à la bonne
gouvernance (gouvernance par l’amour), à rechercher soigneusement la justice divine, source
de sagesse et longévité pour l’homme. C’est l’application impartiale de la justice par
l’homme, qui le rend digne du royaume des bienheureux et lui garantit une certaine assurance
post-mortem. D’ailleurs on retrouve cette invite à la pratique de la justice dans des phrases
telles ‘‘exerce la justice pour durer sur terre’’, ‘‘apaise celui qui pleure’’, ‘‘n’opprime pas la
veuve’’. La pratique de la vertu pour tout Egyptien, garantit sa quiétude intérieure. Un roi qui
punit à tort, ou qui sacrifie les sujets malgré leur innocence, est un roi au règne évanescent
car, comme le souligne ce passage ‘‘Dieu connait celui qui a le cœur pervers et il frappe pour
leur crime jusqu’au sang’’. Au contraire celui-là, qui exerce la volonté de Dieu, est celui qui
‘‘passe heureusement son temps de vie’’car Dieu le protège et l’accompagne dans toutes ses
initiatives. En définitive, cet extrait de l’Enseignement d’Akhtoès III pour son fils, est une
exhortation à la gouvernance par l’amour, à une morale désintéressée. Bien évidemment cette
doctrine du gouvernement par l’amour, ne se veut l’apanage de la période Héracléopolitaine
(au sud du Fayoum), car on la retrouve aussi au Moyen-Empire.

Nous voyons clairement que, les conséquences morales de la chute de l’Ancien-Empire


sur le comportement des Kemetyou est visible à travers la littérature égyptienne. De même la
colonisation de son côté, a provoqué une certaine désorientation de l’éducation dans l’espace
Binam traditionnel.

Bien que plusieurs raisons aient été avancées par les occidentaux, pour justifier cette
entreprise qui s’est parfois accompagnée du massacre des populations autochtones, on peut
s’interroger encore aujourd’hui, sur les impacts qu’elle a produits dans les sociétés africaines

258
F.Daumas, ‘‘La naissance de l’humanisme’’, pp. 165-167.
108

traditionnelles. L’une de ces sociétés, en l’occurrence le peuple Binam du Cameroun, n’a pas
échappé à cette entreprise.

Si comme le montre Emmanuel Ghomsi, les coutumes Binam n’ont pas eu à souffrir de
la présence allemande, néanmoins elles ont été confrontées dans leur écrasante majorité, au
fait colonial à partir de 1920. La plausibilité de cette thèse peut s’expliquer par le fait que,
jusqu’à leur départ précipité du Cameroun dû à la guerre, les Allemands n’avaient pas encore
totalement soumis, voire ‘‘pacifié’’ le pays. La plupart des sociétés fonctionnaient donc
comme à la période anté-coloniale. Mais c’est à partir de la période coloniale française, que
de grands bouleversements politiques et économiques (sous-tendus par des supputations
inavouées) auront lieu dans les chefferies Binam. Ces profondes mutations ont été
occasionnées par la diminution de l’autorité des chefs259, mais aussi et surtout l’action des
missions catholiques et des écoles qui, ont joué un rôle crucial dans le musellement de
l’éducation coutumière.

En effet, lorsque le colonisateur arrive en brandissant la fameuse mission civilisatrice, il


est logique qu’il va chercher à imposer son idéologie, mieux ses valeurs culturelles, les
postulats du milieu auquel il est attaché260. Et cette entreprise passe pour lui obligatoirement
par une éviction des valeurs du colonisé, une dilution progressive de son savoir-vivre et
savoir-faire, mieux un détachement aux croyances ancestrales afin de le mouler à l’idéologie
nouvelle (pour en faire quelqu’un de malléable et de servile). C’est dans cette mouvance
théorique que s’inscrit Marcien Towa (à propos de la fonction de l’éducation coloniale) quant-
il dit :

Chaque fois que l’on se propose d’introduire des transformations importantes dans les idées, les
croyances et les dispositions des hommes, il s’offre un seul moyen adéquat : l’éducation. La colonisation
visait à reduire les indigènes en moyen de production. Pour qu’ils se plient au rôle que les colons
voulaient leur assigner, ils devaient subir au préalable une transformation profonde grace à l’éducation,
ou plus exactement un dressage261.

259
Légion sont les chefs africains qui deviendront après le second conflit mondial, des courroies de transmission
entre l’administration coloniale et les masses paysannes. Leurs accointances avec le monde politique semblent à
l’origine de la dégradation de leur moralité et du sens des responsabilités leur incombant. C’est pourquoi on
constate aujourd’hui que, les relations entre les dits chefs ‘dévoyés’ et les paysans sont un vrai baril de poudre.
260
Il va de soi partout où le colonisateur s’est implanté et établi, il a toujours voulu juger la culture du colonisé
en se fondant non sur des critères objectifs et impartiaux, mais plutôt sur les critères de développement liés à sa
propre culture, considérée alors comme objective et universelle. R. Mauny avait déjà relévé cette propension
pathologique du colonisateur à vouloir juger le colonisé sous le prisme de sa culture d’appartenance, en ces
termes :’’Lorsqu’une civilisation en juge, elle le fait sauf rarissimes exceptions d’après ses propres critères pour
s’estimer elle-même évidemment supérieure’’. Les siècles obscurs de l’Afrique noire, Paris, Fayard, 1970, p.5.
261
M.Towa, ‘‘Principes de l’éducation coloniale’’, in Revue culturelle camerounaise Abbia, Yaoundé,
Septembre 1963, p. 29.
109

Cette approche colonialiste recherchait le moyen d’amener ‘‘l’indigène’’ à se hair lui-


même, à être convaincu de sa non-valeur tout en l’amenant désormais à s’identifier au colon,
symbole de perfection absolue : c’est ce qu’on appelé ‘‘l’assimilationnisme’’, triste réalité
ayant pour finalité le renoncement total du soi au profit d’une autre culture.

Le colon262 devenu la référence, il a pu dès lors persuader mentalement le nègre du


caractère salvateur et attrayant de l’oppréssion, d’aimer travailler pour son maitre
inconditionnellement, de lui être toujours reconnaissant, en un mot il s’agissait selon la thèse
Marcienne, ‘‘d’inoculer à l’esclave le masochisme’’. Ainsi comme le montre Jaap van
Slageren, une fois les missions catholiques implantées à l’Ouest-Cameroun, elles vont au
moyen du mythe biblique de Cham (pour légitimer la domination occidentale), concourir
d’une certaine façon ‘‘au meurtre culturel’’ des villages Binam. Ensuite, les prêtres
catholiques vont mener une sournoise croisade (mais en vain) contre le culte des crânes, en
montrant aux populations locales, qu’il s’agit d’œuvres sataniques et de superstitions, en un
mot d’élucubrations condamnées par le dieu d’Israël. Ceci étant, pour introduire
progressivement la nouvelle religion, les prosélytes aidés de l’administration coloniale, vont
en réalité obliger les parents à envoyer leurs enfants au culte chaque dimanche, mais aussi les
jours de fêtes religieuses. Ensuite, ils vont, comme l’a montré de plus Jaap Van Slageren,
créer des internats pour jeunes filles afin de les soustraire dès le plus jeune âge à l’influence
du milieu traditionnel et de les façonner d’après le moule du Christianisme européen : Ceci
constitue la première entorse à l’éducation coutumière.

Les premières conséquences aussi bien de la période Héracléopolitaine que du fait


colonial sont notoires. Mais la période Héracléopolitaine a influencé également, l’idée que les
Kemetyou se sont fait de la justice et de la gouvernance. Et cette rédefinition de la
gouvernance et de la justice est palpable à travers le conte de l’Oasien, autre œuvre littéraire.

b – Les plaintes de l’oasien ou conte du paysan éloquent

Le conte de l’oasien263 connu en français sous le nom de ‘‘plaintes du Fellah’’, est un


conte qui relate les aventures d’un habitant de l’Ouadi Natroun nomé khoun-inepou. Ce

262
En général, le terme employé par les penseurs occidentaux racistes (tels Pascal Blanchard) pour attenuer,
voire masquer la gravité de la gigantesque ponction démographique occasionnée par les colons, est ‘‘campagne
de pacification’’ des cultures ‘‘indigènes’’. En réalité il s’agit là d’une pseudo terminologie scientifique
employée par l’historiographie coloniale, pour occulter les abominations perpetrées par la colonisation le long
des côtes africaines, malgré les multiples résistances plus ou moins vives qui lui étaient opposées. En un mot, il
sert à justifier le fait colonial.
263
Bien voir A. Erman, qui en parle également, la civilisation égyptienne, p.487.
110

dernier selon Daumas fut dépossedé de son bien par un fonctionnaire prévaricateur264. En
effet l’histoire commence lorsque le paysan et son âne arrivent sur les terres du

/imy-r pr wr Rnsy s3 Mrw/‘‘imy-er per our Rensy sâ


Merou’’, c’est-à-dire du grand intendant Rensi, fils de Mérou. Ces terres étaient surveillées
par Nemtynakht265, le responsable de la sécurité du dit domaine. Célèbre pour ses méfaits,
celui-ci voyant le paysan arrivé sur son âne, lui tend un piège en étalant sur la voie un
vêtement qui, oblige le paysan et son âne à piétiner les cultures. Epuisé par la longueur du
trajet, l’âne du paysan n’a pu s’empecher de manger logiquement les grains de céréales qui se
trouvaient sous ses yeux. Satisfait de la réussite du piège, Nemtynakht s’empare de l’âne qu’il
confisque par la suite. Le paysan humilié entreprend alors de récupérer son bien (âne) par le
recours à la justice. Pour cela il cherche le noble Rensi, qu’il fini par trouver près de la rivière
de la ville d’Héracléopolis. Là l’intrépide paysan rapporte au noble Rensi entouré de ses
juges, ce qui s’est passé, et demande que justice soit faite. Rensi écoute attentivement la
plainte du paysant, et emerveillé par son talent oratoire, il décide alors de la porter à la
connaissance de pharaon. Bien entendu pharaon bien qu’impréssionné par la qualité de la
plaidoirie du paysan, ne lui donne pas raison immédiatement. Ce qui l’emmène à poursuivre
sa plaidoirie tout en espérant obtenir du souverain, justice. Après avoir redigé son neuvième et
dernier discours, le paysan perplexe sur l’issue du procès en raison de sa durée, se démoralisa
puis entrepris de quitter la ville. C’est alors que le pharaon après avoir lû le dernier discours
du paysan, fasciné, demande à Rensi de faire revenir Khoun-Inepou. Dès son retour, le paysan
se voit rehabiliter et obtenir gain de cause. En effet, Amenemhat, demanda qu’on lui rende
son âne, et que tous les biens de Nemtynakht, reconnu alors coupable, lui soient attribués en
dédommagement. Ce récit du fellah plaideur est corroboré par Jean Leclant266.

Nous avons pu constater à travers la concordance des sources relatives à cette histoire,
que le jeune paysan en mauvaise posture au départ, réussit quand même à obtenir gain de
cause au près de pharaon. Ce récit souligne à suffisance la primauté de la justice sur la force,
mieux le triomphe de la maât sur Isefet. Pharaon entant que seigneur du double royaume, fait
preuve ici d’impartialité, car il décide de donner la chance à tous ses sujets, quel que soit leur
statut.

264
F. Daumas, ‘‘L’Egypte pharaonique’’, in Egypte Antique (Histoire), Encyclopaedie Universalis, corpus 6,
Paris, France S.A, 1985, p.707.
265
https://fr.wikipédia.org/Conte du paysan éloquent, 14 novembre 2017, 18h40.
266
J. Leclant, ‘‘La littérature égyptienne’’, in Egypte Antique (civilisation), Encyclopédiae Universalis corpus 6,
p.707.
111

Les plaintes de l’Oasien au même titre que l’Enseignement pour Merikarê, constituent
ipso facto deux œuvres littéraires, qui décrivent les préoccupations éthiques indissociables de
cette période. La colonisation aussi, comme l’a été la période Héracléopolitaine, a généré
d’autres impacts dans l’éducation traditionnelle Binam.

La seconde entorse est liée aux différentes écoles instaurées par le colonisateur dans
l’espace Binam. Nous le savons, l’école coloniale au même titre que la nouvelle religion,
véhicule une idéologie. Dans l’optique de ‘‘diviser pour mieux régner’’, le maitre dispense
des cours sur les notions (étrangères aux sociétés traditionnelles) d’individualisme, de liberté,
d’accumulation de la richesse et surtout de la propriété privée (et donc de la recherche du
profit). De prime à bord cela peut paraitre anodin, mais en réalité c’est cela qui est à l’origine
du recul progressif de l’esprit de solidarité car, la liberté dans cette perspective colonialiste,
c’est le fait d’agir indépendamment des autres. La propriété privée quant à elle, met un accent
sur l’individualisme. L’homme passe d’abord et la société ensuite. Ceci constitue donc, le
passage de la conscience collective à la conscience individuelle267. Conséquence, les jeunes
acculturés, ne se sentent plus obligés de partager, de venir en aide, ou encore se soumettre
totalement aux traditions. Moulés désormais au matérialisme, les riches commerçants et
opérateurs économiques, à la recherche des honneurs et titres de noblesse dans leurs villages,
vont introduire dans les chefferies, le monnayage des titularisations nobiliaires. Dès lors, le
notable n’est plus celui qui, autrefois, se distinguait par sa conduite morale et ses aptitudes
physiques admirables ; mais c’est celui qui peut faire la démonstration de l’abondance
matérielle, voire de l’opulence dans laquelle il vit.

La seconde entorse à l’éducation traditionnelle Binam, comme on vient de l’observer,


est liée au passage des populations locales à l’école européenne. Ainsi le lien qui existe entre
l’éthique et l’éducation, à Taouy durant la première période de troubles, va également se
prolonger, au Moyen-Empire. Le conte de Sinouhé en est la parfaite illustration.

Au Moyen Empire, qui marque non seulement le début de l’hégémonie Thébaine, mais
aussi le second apogée268 de l’Egypte dans l’antiquité, cette éthique axée sur le gouvernement
par l’amour et la justice est sensible à travers le conte de Sinouhé. La version relatée ici n’est
autre que celle proposée par Jean Leclant269. En effet l’action se situe probablement au début

267
G.A. Kouassigan, L’homme et la terre, Paris, Berger-Levrault, 1966, p.190.
268
Notamment avec le règne des nesou bity Montouhotep de la 11ème dyanstie, celui des Amenemhat et des
Sésostris de la 12ème dynastie.
269
J. Leclant, ‘‘La littérature égyptienne’’, p.736.
112

de la 12ème dyanstie. Haut dignitaire à la cour royal, Sinouhé270 est en campagne avec le
prince héritier, quand parvient abruptement la nouvelle du décès d’Amenemhat 1er. Pris de
panique pour des raisons obscures selon l’auteur, sans doute la crainte d’être compromis dans
une collusion, il s’en fuit en Asie. Arrivé là-bas, il erre longtemps, puis triomphe en duel d’un
bravache local, avant d’être accueilli et accepté par une tribu de Bedouins, où il finit par
occuper une place honorable. Les années passent, mais malgré son bonheur, Sinouhé est en
proie au mal du pays. En effet il ne peut se resoudre à l’idée d’être inhumé chez les barbares,
car seul le rituel funéraire traditionnel assure une vie après la mort. Répondant à l’appel du roi
Sésostris 1er, il retrouve sa patrie avec des transports d’allégresse. Arrivé au palais royal, il est
surpris d’être rehabilité de nouveau dans ses anciennes fonctions, et avec tous les honneurs
qu’il avait alors perdus après son départ. Cette nouvelle expérience qui commença pour lui le
marqua à telle enseigne, qu’il a pu affirmer : ‘‘Vêtu désormais de belles étoffes de lin, oint
d’huile fine et dormant sur un lit, (…) j’ai été l’objet des faveurs royales jusqu’à ce que vint le
jour du trépas271’’. Ce recit émouvant du Moyen-Empire, tout comme le conte de l’oasien,
met en relief la justice et l’amour au centre de la gouvernance royale. Bien que s’étant senti
trahi par le départ brûtal de Sinouhé, Sésostris prend tardivement connaissance des raisons
expliquant le départ prématuré de son ami, et lui pardonne non seulement en l’autorisant de
revenir à kemet, mais aussi en le reprenant à son service. Ainsi d’un coté Sinouhé confesse
son erreur et demande à Dieu d’amener le souverain regnant à être miséricordieux à son
égard, et de l’autre coté on a un souverain qui n’a pas oblitéré de sa mémoire, le rôle joué par
Sinouhé dans l’échec du complot visant à le renverser. Nous voyons à quel niveau ce principe
du gouvernement par l’amour et la justice est palpable.

Toutefois, il en est une toute autre réalité chez les Binam. La colonisation ici semble
avoir désarticulé l’économie traditionnelle, et par extension celle du monde de l’emploi.

En effet, il est évident que les transformations économiques qui ont accompagnée la
colonisation, ont créé de nouveaux besoins, dans différents secteurs de développement ; donc
de nouveaux emplois ont pu voir le jour. A partir de ce moment, le colonisateur et ce dans
toutes ses possessions d’outre-mer272, a posé l’équation selon laquelle, éducation égale à
scolarisation. Seulement à bien y observer, on voit que les individus qui sortent de cette école
occidentale, ne savent rien faire d’autre que ce qu’on leur a appris ou enseigné. Conséquence,

270
Bien voir aussi A. Erman qui analyse ce reçit, la civilisation égyptienne, pp.484-486.
271
Ibid.
272
On parle aussi dans le jargon colonial, de ‘‘territoire d’Outre-Mer’’, d’où le sigle TOM.
113

ils peuvent techniquement se retrouver dans l’oisiveté, sorte de chômage si la concurrence


devient rude à cause des milliers de diplômés qui sortent chaque année. Or cette tare n’avait
pas à proprement parler, droit de citer dans la société traditionnelle. La pédagogie coutumière
très tôt, permet à l’individu d’acquérir, des aptitudes techniques et professionnelles qui
correspondent à ses réalités sociales.

La désarticulation de l’économie traditionnelle Binam par la colonisation, comme pour


tous les autres peuples d’Afrique noire, est un truisme. Le colon a imposé des modes de
production et de distribution des richesses, qui ont vite fait, d’isoler l’Africain de ses réalités
quotidiennes. Le recul des espaces consacrés aux cultures vivrières, au profit des cultures
dites de rente, en ai une illustration. On produit alors ce qu’on ne consomme pas, et l’on
consomme ce qu’on ne produit pas.

Au total, à travers ce chapitre, la miscibilité des réalités que sont l’éthique et l’éducation
dans l’Afrique ancienne ne fait aucun doute. Elles constituent un tout homogène indissociable
que l’on a pu établir à partir de certains textes hiéroglyphiques et des récits Binam en
Medumbà. Les sagesses égyptiennes et les contes Binam véhiculent ainsi, une philosophie de
la vie qui fait ressortir de grandes similitudes entre ces deux aires culturelles différentes. Bien
entendu ce rapport qui unit l’éthique à l’éducation a évolué aux autres périodes de l’histoire
égyptienne, compte tenu des bouleversements politiques et transformations sociales qui s’en
sont suivis. C’est une éthique dorénavant qui insiste sur la justice et l’amour, pour tout
gouvernement aspirant à la stabilité et à la longévité. Le constat en est le même pour le peuple
Binam pour qui, le fait colonial n’a pas été sans impacts.

La corrélation entre l’éthique et l’éducation ayant été établie, dès lors il est logique de
rechercher à présent les retombées de ce lien dans l’Afrique ancienne.
114

CHAPITRE IV : LES RETOMBEES


CHAPITREDU
IVLIEN ENTRE L’ETHIQUE ET
L’EDUCATION CHEZ LES ANCIENS EGYPTIENS ET LE PEUPLE BINAM
LES RETOMBEES DU LIEN ENTRE L’ETHIQUE ET L’EDUCATION CHEZ
LES KEMETYOU (2780-2280) ET LES BINAM BANDJOUN ET BANGANGTE
BANGANGT

L’imbrication de l’éthique dans le domaine éducatif en Afrique ancienne est un truisme. En


effet le respect des normes et principes communautaires a impacté durablement l’organisation
des sociétés négro-africaines dans tous ses domaines. Elle a concouru à façonner des
individus non parfaits, mais soucieux de rechercher l’intérêt général. Cependant cette
miscibilité de l’éthique et l’éducation comme tout mélange, a des retombées sur la société
dans laquelle on évolue.

Il est donc question dans ce dernier chapitre, d’examiner ces retombées afin d’évaluer
leur importance dans le développement de l’Afrique ancienne. Autrement dit, il s’agit
d’analyser l’agir, cette quête permanente du bien collectif et de la justice273 dans l’Afrique
ancienne sur un triple plan : politique, économique, et social.

I - Les retombées du lien entre l’éthique et l’éducation sur le plan politique

Globalement, cette première partie vise à analyser l’agir des dirigeants ainsi que leurs
collaborateurs dans le domaine politique tout en ressortant, les similitudes et contrastes qui
existent. L’Etat n’étant qu’en réalité l’émanation de la volonté collective, il nous incombe
alors d’examiner le rôle joué par chaque fonctionnaire égyptien et notable Binam Bandjoun,
dans le souci de faire resplendir l’ordre, la vérité et la justice. Mais avant de décrire et

273
L’importance de ce concept se traduit par son universalité. Dans un Etat de droit, l’application objective et
impartiale de la justice garantit la paix et la stabilité sociale. Or si certains individus sont au dessus-de la loi au
regard des forfaits et exactions qu’ils commettent impunément et de façon continue, ceci provoque
progressivement des frustrations et malaises, puis sert de détonateur par la suite aux séditions, mouvements
insurrectionnels et dissidences qui auront vite fait d’hypothéquer la stabilité et la prospérité du térritoire. C’est
pourquoi, il est vital pour tout dirigeant, de garder toujours à l’esprit le lien indissoluble qui existe entre les
quatre éléments qui suivent : justice-paix-stabilité-prospérité. En effet au cours de l’histoire, et notamment en
Afrique noire, au lendemain des indépendances, l’on a assisté à une série de conflits politiques qui témoignent de
l’omission, voire de la négligence de ce lien par certains leaders nationalistes. Cela a abouti à une prolifération
déconcertante des coups d’Etat (environ 180 entre 1956 et 2001 selon A.Oumar Konaré). Il faut donc retenir que,
chaque fois que l’expression de la majorité est bloquée, et que la persprective de l’état de droit n’existe pas, la
seule option féconde qui reste à la majorité, pour rétablir la justice, n’est autre que le recours à la voie armée.
Pour une meilleure appréciation de cette note explicative, le lecteur pourra voir le documentaire : ‘‘Afrique (S),
une autre histoire du 20ème siècle, Acte 4 (1990-2010), les aventures chaotiques de la démocratie’’, une émission
d’Elikia M’bokolo, Philippe Sainteny et Alain Ferrari, produite par Tancrède Ramonet, France télévisions, Ina,
temps noir, 2010.
115

d’analyser cette manière de gouverner dans l’Afrique ancienne, ainsi que les obligations
auxquelles ils sont astreints, il faut au préalable relever et analyser les contraintes relatives.

1 - Les contraintes inhérentes à la gestion du pouvoir : le cas de l’impétrant royal dans


l’Afrique ancienne

L’Egypte et l’espace Binam sont respectivement soumis à l’autorité du neb kâou274 et du


Fô. Mais dans ce type de régime politique, avant d’analyser l’agir des dirigeants envers la

/whyt/ouheyt (nation), il est primordial d’analyser les difficultés liées à


l’exercice du pouvoir, car ce sont en réalité ces difficultés qui conditionnent et déterminent
l’agir politique de ces deux guides. S’il y eut dans l’histoire de la royauté égyptienne des
souverains étrangers (ce qui n’est pas le cas Binam), l’accession au pouvoir est en général
héréditaire tout comme dans l’espace Binam. Autrement dit la transmission du pouvoir repose
en réalité sur les liens de filiation ou de parenté biologique, ce qui a donné naissance à des
dynasties. Et c’est là où réside la plus grande difficulté. En effet que l’on soit à kemet ou à
Bandjoun, certaines crises successorales tirent leurs origines des mésententes, ou
mécontentements au sein de la famille royale regnante. C’est pourquoi en Afrique ancienne,
celui qui obtient le titre de roi (l’impétrant), malgré sa légitimité, ne fait pas toujours
l’unanimité. Pour étayer notre propos, intéressons nous au chef Baleng Tchoungap dont les
tréfonds de la succéssion, n’ont pas véritablement faits l’objet de serieuses investigations.

Ceci remonte probablement au 16ème siècle selon E.Ghomsi et R.Tagne. En effet, comme
l’atteste la tradition orale historique de Bandjoun, le chef Tchoungap avait trois fils dont Tayo
l’ainé, Ngwotouom le second (futur fondateur de la chefferie Bandjoun) et enfin Tayo le
tardillon de la famille. Un jour, une dispute venielle de prime à bord éclate entre les trois
princes Baleng, au sujet de la répartition de sept calebasses d’huile de palme apportées par un
notable Baleng, comme droit d’entrée dans la prestigieuse association ‘‘komla’’ de cette
chefferie. L’histoire ne dit pas réellement si les trois princes avaient trouvé un terrain
d’entente pour resoudre le problème. Toujours est-il que le frère ainé Tayo aurait
naturellement voulu avoir la plus grande part, mais il se serait heurté au refus catégorique de

274
Autres titres de pharaon, signifiant le Maitre des couronnes. La première couronne ou couronne blanche
(symbolisant la Haute-Egypte ou Taméou) est appelée Hḏt/Hedjet ; la seconde couronne ou couronne rouge
(renvoyant à la Basse-Egypte ou Taméi), est appelée Dšrt/Decheret. L’ensemble de ces deux couronnes est
nommé Sḫmty/Sekhemty, et était arboré par le monarque égyptien en guise d’unification. On parle aussi de Hor
nebou (Horus d’or), l’un des cinq noms composant la titulature royale égyptienne.
116

ces frères cadets (favorables alors à une équipartition). Le temps passe, et les forces de
Tchoungap, chef Baleng, s’amenuisent si bien qu’il finit par expirer un jour. A sa mort Tayo,
l’ainé de la fratrie lui succède. Cependant, forts conscients du ressentiment de leur grand frère
suite à la dispute sus-évoquée, Ngwotouom et Wafo par crainte de représailles, décident de
s’exiler malgré eux.

Au-delà du recit, il faut préciser que la mort de Tchoungap en réalité, ouvre la voie à
une succession difficile, et ce, pour plusieurs raisons. En effet, au moment du décès du vieux
chef, Ngwotouom et Wafo ont pleinement conscience que le départ inopiné de leur père
augure pour la suite une tournure plus orageuse car, Tayo dès lors va se servir de son nouveau
statut de chef pour les museler. C’est pourquoi ils remirent en cause la légitimité du nouveau
chef car, s’il est vrai que c’est le fils ainé qui doit succeder, Tchoungap ne l’aurait
certainement pas désigné comme dzudie, s’il eu vent d’un tel projet. Au contraire, le chef
imbu des valeurs éthiques de ses ancêtres, a inévitablement demandé à l’ainé de rester
protéger ces frères cadets. Or sachant que les princes dechus, pouvaient contester sa légitimité
en raison de la nature dérisoire et fangeuse de sa vindicte indigne d’un chef, il les frappa
d’ostracisme de peur que l’affaire ne s’ébruite. Nous voyons bel et bien que l’intronisation du
Fô Tayo s’est ouverte sur un fond de crise succéssorale, suite aux velleités contestataires de
ces frères cadets.

Toutefois il serait apagogique de restreindre les crises de legitimité qu’au seul pays
Bamiléké. En effet, Adolf Erman montre que Pharaon dans la réalité ne gouverne pas comme
un dieu, contrairement à ce que laisse croire la théorie officielle. Il n’est pas entièrement libre
de ses mouvements, ce qui le pousse à agir très souvent par contrainte. A côté de lui se
trouvent généralement des vieux conseillers qui ont servi sous le règne de son père, et qui en
raison de leur longévité administrative, jouissent d’une certaine influence sur la classe des
scribes et fonctionnaires qui leur sont entièrement soumis. Et à cela il faut ajouter l’armée

composée des /imy-r mšc/imy-er mechâou/généraux qui, le plus souvent font


allégeance aux vieux conseillers royaux, ce qui tend à amenuiser l’autorité royale. Lorsqu’il
accède au pouvoir, pharaon trouve une certaine situation économique qui a lieu de citer. Cette
situation économique fait en réalité le bonheur de la classe dirigeante (noblesse, les
nomarques, les fonctionnaires, la classe sacerdotale, etc…) et le malheur de la classe dominée,
le bas peuple (ouvriers, fermiers, artisans, agriculteurs). Toutefois pour se maintenir au
pouvoir, il est vital pour lui de ne pas remettre en question de façon péremptoire ces pratiques,
117

de crainte d’exaspérer les anciens collaborateurs de son père ou de son prédécesseur. Sa


longévité au sein de la pyramide étatique sera tributaire donc de sa capacité à pouvoir
composer avec toutes ces contraintes, en les confrontant les unes aux autres, bref de trouver le
parfait équilibre entre respect de l’ordre ancien et nécessité d’introduire et d’imposer de
nouvelles règles. Tout souverain dès son avènement, cherche à introduire des reformes
nouvelles qui scient à sa vision politique et lui permettent de jeter les bases de la puissance et
du succès de son règne. Or en science politique, science selon Machiavel qui s’intéresse au
pouvoir, à son obtention, son maintien, son accroissement, et sa perte275, le plus dur pour un
souverain ou un guide, est son affirmation par la redistribution de nouvelles cartes sur
l’échiquier politico-diplomatique. D’ailleurs Machiavel en avance sur son époque, l’avait déjà
remarqué en ces termes : ‘‘Car souvenez-vous que rien n’est plus difficile à bien conduire,
plus casuel à réussir, et plus dangereux à manier, que de se rendre chef en introduisant des
nouveautés : parce que l’introducteur se fait des ennuis de tous ceux qui se trouvent bien de
l’ancien état des choses, (…)’’276.

Cependant quand bien même le souverain africain parvient à surmonter ces difficultés
d’ordre externe, c’est-à-dire, ces réalités administratives et économiques liées à son
prédécesseur, il doit encore faire face à des difficultés d’ordre interne, car elles sont liées à
son entourage direct, présentes dans sa cour : sa propre famille. Comme l’ont montré une fois
de plus A. Erman et H.Ranke dans leur ouvrage collectif, l’ennemi le plus redoutable du
souverain, peut se trouver au sein de sa propre famille même. Ce dernier l’épie durant de
longues années, pour lui porter le coup fatal si la moindre occasion venait à se présenter. Cet
ennemi intrafamilial peut être un frère ou un oncle, courroucé du fait qu’il croit avoir des
droits au trône plus que l’impétrant royal. Cela a été le cas de la reine Hatschepsout (5ème
souverain de la 18ème dynastie et épouse de Thoutmosis II) et son beau-fils Thoutmosis III.
Dans cette rubrique, on peut relever également sous la période Lagide277, le cas de la reine
Cléopâtre VII Théa Philopator et son époux et frère Ptolémée XIII. Mise à part les oncles ou
frères du roi régnant, son ennemi peut probablement être, les veuves ou femmes de son défunt
père. Celles-ci peuvent ressentir le sacre du nouveau souverain, comme un affront
irrémissible, du fait que leur fils ‘‘ ne puisse ceindre la couronne au lieu du fils d’une rivale

275
R.G. Schwartzenberg, Sociologie politique, éléments de Science politique, Paris, Montchrestien, 1988, p.3.
D’après cet auteur, le prince de Machiavel est une ‘‘étude clinique du pouvoir, de son anatomie, et de sa
pathologie’’.
276
N. Machiavel, Le prince, p.30.
277
Selon A. Eggebrecht, c’est le nom donné aux Ptolémées, d’après le nom de Lagos, père de Ptolémée 1er.
L’Egypte ancienne, 3000 ans d’histoire, p. 474.
118

abhorrée278’’. C’est l’une des raisons qui expliquent l’instauration du lévirat et du sororat dans
les chefferies Binam. En effet, le lévirat est une pratique culturelle fort répandue en Afrique
noire, qui consiste pout tout homme, à prendre les épouses de son frère defunt. Elle permet
justement au Fô dans la chefferie, d’éviter la colère et le ressentiment des veuves du souverain
précédent. Ainsi toutes ces frustrations et vexations familiales cristallisées autour du roi,
créent un climat d’incertitude politique propice à des tentatives de renversement permanent,
orchestré et envenimé par des personnages de la cour parfois étrangers à la famille royale.
Conséquence quel que soit l’avènement d’un nouveau souverain ayant usurpé le pouvoir,
celui-ci est obligé dans la plupart des cas, d’entamer son règne par l’éviction de ses rivaux et
d’entreprendre parfois une lutte sournoise contre ceux qui l’ont aidé à y parvenir.

De ce qui précède, il ressort que, contrairement à cette image paradisiaque des sociétés
africaines anciennes présentées comme de modèles de stabilité politique, l’histoire de la
royauté africaine, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, voire une sinécure. En effet
comme dans toute collectivité humaine, la fonctionnalité du regime monarchique a souvent
été entravée par des facteurs internes et externes qui ont abouti dans certains cas, à des crises
successorales, synonyme de périodes de troubles.

Mais après avoir relevé la complexité liée à la gestion du pouvoir à Taouy et dans
l’espace Binam, analyser dès lors, comment les acteurs agissent dans leur quête du bien-être
collectif, est impérieux.

2 - L’éthique et l’éducation comme base de l’action politique : le mode de gouvernance


dans ces deux espaces centralisés279

L’Etat en philosophie politique ou en science politique renvoie à une réalité supra-


individuelle. C’est un ensemble organisé d’hommes dont le fonctionnement permanent est
assuré et régi, par d’institutions politiques et administratives, économiques, juridiques,
policières, sous un gouvernement autonome et indépendant. C’est donc une communauté
juridique autonome280. Si cette définition que nous a donnée E. Kemogne de l’Etat moderne
correspond parfaitement au modèle d’organisation humaine en vigueur à kemet, son
application néanmoins dans les chefferies Binam reste plus ou moins malaisée en raison des

278
Ibid.
279
Kemet et l’espace Binam constituent, à l’inverse des sociétés lignagères ou segmentaires (ou règnent un
certain égalitarisme), deux espaces centralisés, presque isomorphes d’un point de vue politique. Mais cette
centralisation du pouvoir, n’est pas synonyme ici d’autocratie ou d’absolutisme.
280
E. Kemogne, Comprendre la philosophie, p.74.
119

disparités spatiales énormes que l’on peut établir avec Taouy. Il importe ainsi, de décrire la
stratification administrative dans ces deux espaces politiques fortement centralisés, tout en
ressortant la conduite des acteurs sur le plan politique.

Au sommet du microcosme politique égyptien, se trouve naturellement pharaon281 qui

en est l’épicentre. /s3-râ/ sa-rê/ Fils de Rê et substitut terrestre du roi divin Horus (Hr),
pharaon à ce titre est considéré comme étant, l’administrateur principal du double royaume
unifié. Son omnipotence de nature divine (ce qui fait de kemet une théocratie), lui permet en
outre d’être le chef de toutes les formations militaires du territoire, le premier magistrat de
Taouy et enfin le prêtre suprême de l’Egypte antique. Cette concentration de pouvoirs aussi
importants entre les mains d’un seul individu, a poussé certains historiens, à parler de
‘‘despotisme éclairé’’. En tant que représentant des dieux sur terre, sa mission consiste à
accomplir et veiller au maintien de la maât, c’est-à-dire assurer l’harmonie, l’équilibre entre
les individus qui sont implantés sur son territoire. La miscibilité de l’éthique et de l’éducation
à ce niveau est assez visible dans la mesure où, en tant qu’intercesseur suprême, il se doit de
veiller à la stabilité sociale. Or cette stabilité sociale passe par la paix qui, n’est qu’une
résultante de la justice sociale. Pharaon282 est le ‘‘neb taouy’’, c’est-à-dire le maitre de la
Haute et de la Basse Egypte ; et à ce titre, il doit veiller de manière permanente à ce que ses
sujets ne soient pas mécontents de sa gouvernance, de sa politique économique et sociale. Et
pour se faire il doit comme un père pour ses enfants, œuvrer à les protéger contre toute
insécurité intérieure comme extérieure. Observateur attentif de tout ce qui se passe au sein de
son pays, il doit comme un bon père, savoir se montrer à la fois autoritaire et permissif à
l’égard de son peuple. En effet en se montrant seulement autoritaire d’une part, ceci par
l’application trop rigoureuse de la loi283, il catalyse et accroit le mécontentement du peuple
qui, peut enfin de compte s’insurger contre lui. D’autre part en se montrant permissif ou en
agissant seulement avec libéralité, il laisse la voie à la floraison de nombreux maux qui feront
vite, d’étioler son administration et de causer un climat d’anarchie généralisée, synonyme de
désagrégation et de morcellement étatique. En outre comme on le sait, le souverain égyptien,
de par sa maitrise des forces cosmiques, garantit l’abondance, la fertilité et la prospérité de
son pays.

281
Pharaon tout comme le Fô ou le Mvem, sont simultanement des guides temporels et séculiers.
282
Voir aux Annexes III, l’image du pharaon Djoser-Azezi de la troisième dynastie (Ancien-Empire).
283
A ce propos, un adage latin de droit dit ‘‘Summum jus, summa injuria’’, ‘‘comble de justice, comble
d’injustice’’. Cité par Cicéron, cet apophtegme entend par là, qu’on commet souvent des injustices par une
application trop rigoureuse de la loi.
120

Cette capacité est liée au pouvoir que renferme la parole créatrice284 ‘‘houe’’ sur les
éléments invisibles de la nature. De par l’harmonie de son peuple avec les dieux, de par les
offrandes et donations au panthéon, le ‘‘hm nṯ r’’ puise dans le monde astral, toute l’énergie
nécessaire pour accroître la rentabilité agro-pastorale de l’Egypte.

De ce qui précède, on observe que par pharaon se perçoit tout le système égypto-
pharaonique. L’éducation qu’il reçoit dès sa tendre enfance le prépare, à agir conformément à
la Maât, ceci en œuvrant jour et nuit pour la stabilité et la prospérité de son territoire, legs
d’Osiris. D’ailleurs parlant de la fonction messianique de pharaon dans l’Egypte ancienne,
Ange Bonhême et Anne Forgeau ont résumé l’importance de ce personnage en ces
termes : ‘‘Personnalité démiurgique et historique, le roi est à la fois le dépositaire de l’énergie
du démiurge et un ritualiste qui par ses actes historiques, art, littérature, offrande et
gouvernement de l’Egypte, arrête les forces maléfiques et œuvre pour l’équilibre du
monde’’285.

De même comme nous venons de l’observer à Ta-méri, l’organisation politique à


Bandjoun est également centrée sur la personne du chef (Fô), dont les prérogatives sont
analogues à celles du monarque égyptien.

Chez les Bandjoun, le chef est le descendant de l’ancêtre fondateur, Ngwotouom 1er286 .
C’est pourquoi en général on dit qu’il est né sur la peau de panthère (posséder du sang royal
dans ses veines), c’est-à-dire, qu’il appartient à une longue lignée de souverains qui ont bâti
progressivement le village et l’ont marqué d’un sceau indélébile. Ainsi durant sa réclusion
initiatique (neuf semaines) au La Kam (littéralement ‘‘maison du notable’’), le chef est initié à
la maitrise des arcanes du pouvoir. Cette initiation est rythmée par un ensemble de rites
spécifiques, mais aussi par des leçons de gouvernance et d’instruction civique. Il est question
d’amener le futur ‘‘Fo287’’ ou ‘‘Mvem’’ à devenir un être proche de son peuple, en lui
apprenant l’humilité, la piété, l’impartialité et l’équité, toutes, des qualités nécessaires à la

284
A ce sujet, le patriarche Mayi Matip, dans son ouvrage, expose clairement dans le système traditionnel bassa
bangà l’éfficacité de la parole du Mbom Mbock sur les phénomènes naturels tels que, la pluie, le vent et la
foudre. T. Mayi Matip, L’univers de la parole, Yaoundé, Editions Clé, 1982. Dans cette même perpective,
Sauneron apporte du coté égyptien, des éclaircissements forts importants sur l’importance que revêt le verbe
dans l’imagérie populaire égytienne pharaonique. C’est pourquoi il affirme ‘‘La parole n’est pas en effet, dans
l’esprit égyptien, un simple outil social facilitant les rapports humains, elle est l’expréssion audible de l’essence
intime des choses ; elle reste ce qu’elle fut à l’origine du monde, l’acte divin qui suscita la matière’’. Sauneron,
Les prêtres de l’ancienne Egypte, p.142.
285
M.A Bonhême, A. Forgeau, Pharaon les secrèts du pouvoir, Paris, Armand Colin 1988, p.42.
286
Fils du chef Baleng Tchoungap au 16ème siècle. E.Ghomsi, R.Tagne, Bandjoun à l’heure de la
mondialisation, Yaoundé, Africa multimédia, p.12.
287
Voir aux annexes IV et V, les images des chefs Gnie Kamga II et Njih Moluh Seydou Pokam de Bangangté.
121

longévité de son règne. Bref d’une certaine façon, durant cette initiation, tout est mis en
œuvre pour inhiber la part d’égoisme et d’orgueil du futur chef, de peur qu’il ne verse plus
tard dans le despotisme obscur. Le chef devient alors une entité démiurgique imprégnée des
réalités du pouvoir, toutes nécessaires à l’orientation de la vie sociale. A sa sortie du La
Kam288 qui est accompagnée de la cérémonie de son intronisation, le Fô ou ‘‘nomtema289’’ ou
‘‘mbéleng290’’ incarne à présent, l’unité et la force du peuple. Il concentre entre ses mains tous
les pouvoirs du royaume qui font de lui, le véritable centre névralgique du village : pouvoir
exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire.

De même, de par la complexité de son initiation au lakam, initiation au cour de laquelle


lui ai transmis des pouvoirs magico-religieux, le chef devient logiquement le principal guide
spirituel du village, ce qui lui permet d’officier (avec l’aide de la société secrète Masso) la
cérémonie mystique bisannuel du kè, et d’en être le bénéficiaire des retombées occultes et
magiques. Toutefois, de par l’éducation qu’il a reçu au la kam, le chef a pour mission, de
veiller à la paix au village, en conciliant les antagonismes nés du règne de son prédécesseur ;
Et cette conciliation des positions antagoniques au sein du village, passe par le fait de resorber
les clivages communataires d’une part, mais aussi par la résolution des conflits intra et inter-
familiaux d’autre part. Ainsi, de par la maitrise des éléments cosmiques, il devient le garant
de la prospérité de son village. Cette prospérité se traduit par l’abondance des récoltes liées à
la fertilité des sols, par des naissances nombreuses, aussi par des réussites individuelles. Si
dans l’Afrique ancienne, la terre n’est jamais considérée comme res nullius, il n’en dmeurre
pas moins vrai que le Fô, a un droit de regard indéniable. Représentant les Mpfesi, il est le
détenteur de la terre, et la répartit en fonction des besoins et projets de celui ou celle qui en
fait la demande. Il peut la retirer à qui il veut selon la gravité des injustices causées ou le
degré d’immoralité du fautif. En raison de sa sacralité, la terre est ici un bien inaliénable, car

288
Lors de notre entretien avec le notable Desiré Talom, à Bandjoun, 03 Mai 2017, il a pu nous révéler l’une des
raisons de l’initiation du chef au sein de l’institution sacrée que constitue le La’akam en ces termes : ‘‘le chef est
celui là qui est appellé à protéger des vies, de veiller sur les individus qui occupent la terre de ses ancêtres ; mais
comment pourrait –il protéger véritablement des vies s’il n’a pas encore fait l’expérience de la paternité lui-
même ? C’est pourquoi son initiation dans la maison sacrée du La’kam constitue un test, une épreuve de neuf
semaines pour voir s’il peut produire lui-même la vie, s’il est à même d’en grosser la djuikam, cette femme
qu’on lui donne au la’akam ; autrement dit on veut éprouver sa virilité et surtout sa fécondité, car un chef qui ne
peut procréer ne peut comprendre en réalité les véritables enjeux de sa mission future, l’ampleur des tâches qui
l’attende ; ainsi si après son initiation il en sort sans avoir engrosser la femme qui lui a été donnée pour lui tenir
compagnie durant sa réclusion, on dit alors Fo bé ko la’akam, peu yim ne djo, c’est-à-dire, rien ne s’est passé de
concret, attendons encore voir ce qui se passera lorsqu’on lui donnera une autre femme puberte, en âge de
procréer’’.
289
L’une des épithètes des chefs à l’Ouest-Cameroun, signifiant en Ghomàlà-Bandjoun, le lion.
290
Autre épithète royale dans l’espace Binam signifiant l’outre royal, E.Ghomsi, R.Tagne, Bandjoun à l’heure de
la mondialisation, p.12.
122

elle est le lieu où séjourne les morts, elle est la demeure de Si, le dieu suprême comme son
nom l’indique. Par conséquent elle ne doit en aucun cas faire l’objet d’une tractation
commerciale quelconque.

Nous venons d’observer que le neb kâou et le Fô, sont manifestement, les maîtres de
leurs territoires respectifs. Cependant du fait que le souverain égyptien ne peut être
omniprésent, en raison du bipartisme du pays dû à sa configuration géographique, il délègue
l’exécution de ses injonctions et décisions à une pléthore de fonctionnaires, scribes et prêtres.
Ces derniers constituent l’essentiel de l’appareil administratif de l’Egypte ancienne durant
l’Ancien-Empire. Mais pour des raisons d’efficacité, il est question d’analyser l’agir de cinq
grandes catégories de fonctionnaires : le vizir (ṯ aty291), le trésorier (imy-r khetemet), les
nomarques (sepatyou292), la classe sacerdotale (celle des hm-nṯ r) et enfin l’armée (mšc293)
composée de soldats ou fantassins (mnfyth). Le schéma est le même pour le chef dans l’espace
Binam Bandjoun et Bangangté. Ce personnage, à l’image du guide suprême égyptien, est
assisté d’une cohorte d’individus qui, de par les pouvoirs administratifs et magico-religieux
qu’ils rassemblent, l’aident à gouverner efficacement le village : Ce sont le Kwi-pou, le wafo,
le wala ka et wala sisi, le conseil des neuf notables ou mkam-vu, le conseil des sept notables
ou mkam-sombue. C’est un exemple qui montre qu’il a conscience de ses limites, et qu’il a
besoin des autres pour remplir sa mission294.

A tout seigneur tout honneur, en effet la deuxième personnalité la plus importante à


s’imposer (du point de vue politico-administratif) après pharaon, est sans doute le vizir.
Toutes les sources consultées s’accordent sur le fait que ce haut magistrat représente la
deuxième personnalité politique à Taouy. D’ailleurs A. Erman corrobore cette idée en les
termes ci-après :

Depuis l’époque de Ménès et jusqu’en pleine XVIIIème, il existait un personnage éminent qui prenait
place immédiatement en dessous du dieu-roi et qui lui servait de remplaçant à la tête de l’Etat dédoublé :
c’était le vizir, le guide des grands de la haute et de la basse Egypte, le second après le roi dans la cour
d’entrée du palais, (…) aucune fonction n’a joui d’une aussi grande faveur auprès du peuple à toutes les
époques de l’histoire295.

La position exceptionnelle que ce personnage occupe peut se justifier par l’immensité


des charges qui lui incombe. Afin de suppléer efficacement l’action du neb taouy, le ṯ 3ty

291
Y. Somet, Cours d’initiation à la langue égyptienne pharaonique, p.181.
292
R. Faulkner, A concise dictionary of Middle Egyptian, p.246.
293
A. Gardiner, Egyptian grammar, p.479.
294
Entretien avec Mr. Nguemdjio Kouotsa Raphael, ingenieur agronome, 53 ans, Bandjoun, 28 novembre 2017.
295
A. Erman, H. Ranke, La civilisation égyptienne, p.113.
123

(Imhotep, Ptahhotep ou Kagemni) de façon globale est chargé de superviser l’ensemble des
travaux du territoire. Pour se faire, il veille au bon fonctionnement de l’administration en
mettant un accent sur la discipline qui doit être observée par tous les fonctionnaires et scribes.
Chef de l’exécutif, il lui incombe de contrôler la comptabilité du royaume d’Egypte, fonction
qu’il partage avec un autre haut magistrat, le trésorier. Ce contrôle permanent de la
comptabilité, c’est-à-dire, les impôts, les taxes, etc. est nécessaire car, c’est sur cela qu’il
s’appuie pour établir des prévisions, lancer la construction des temples, des canaux

d’irrigation et des digues. La prévision permet donc au / ṯ 3ty/tjaty, de faire mieux


des provisions en cas de sécheresse ou guerre. A côté de cela, relevons aussi le fait qu’il est
responsable de l’archivage, de la justice, de la police et des transports. Par Le contrôle
rigoureux de l’exécution de ces travaux à travers le double royaume, le ṯ 3ty devient
logiquement le ‘‘Bak du roi’’car il participe pleinement, au même titre que pharaon, au
maintien de l’équilibre, de l’ordre, et de la vérité.

Nous constatons à Taouy que le nesou bity est secondé dans ses fonctions regaliennes
par le vizir, sorte de premier ministre chargé d’implémenter sa vision politique, économique,
et judiciaire à travers l’étendu du térritoire égyptien. Dans les chefferies Binam, le Fô ou le
Mvem, est également assisté dans ses lourdes responsabilités, par un personnage important de
la chefferie, et dont le rôle est comparable à celui du vizir égyptien : le wala ka ou wala d’en
haut.

En réalité si le kwi-pou (frère consaguin du Fô) semble sur l’échiquier politique, être la
deuxième personnalité du territoire, le wala ka lui, détient véritablement le pouvoir d’agir sur
la vie du groupe. C’est d’ailleurs pourquoi en cas de décès du chef à Bandjoun, ce n’est pas le
kwipou qui assure l’intérim, mais plutôt le wala ka en attendant que le futur Fô soit intronisé.
Le wala ka à l’image du vizir est investi selon Léon Kamga, de pouvoirs couvrant
pratiquement tous les domaines importants tels que : la sécurité, la justice, la diplomatie,
l’espionnage, et la gestion du patrimoine royal. Il est assisté dans l’exercice de ses fonctions
politiques, d’une équipe de trois hautes personnalités ayant un domaine d’intervention sociale
spécifique : le Kouguè pour veiller à l’ordre, le Tieghope pour sanctionner des infractions de
moindre importance, et le fefe pour l’exécution des grands travaux296. Donc le wala ka à
l’inverse du kwipou (qui exerce une fonction ad honores), est le personnage à Bandjoun,
pourvu de la plus grande marge d’action politique et administrative après le Fô. C’est l’une

296
L. Kamga, Le La’kam ou le carnet, p.166.
124

des raisons qui expliquent le fait qu’il soit, parmi toutes les personnalités importantes de la
chefferie, le seul individu qui ‘‘peut remplacer le chef dans toutes les cérémonies
publiques’’297. Il est secondé par un autre wala : le wala sissi.

S’il est vrai que le vizir apparaît comme le véritable administrateur du royaume
d’Egypte en raison de son importance au sein de l’immense pyramide administrative, il ne
peut à lui seul (comme son maitre pharaon) tout accomplir. C’est pourquoi il partage certaines
de ses prérogatives avec d’autres magistrats de haut rang tels que le trésorier, qui semble
proche de lui.

Le trésorier dans la cour royale égyptienne, à quelque exception près, est presque l’égale
du vizir, bien qui lui demeure toujours subordonné et inféodé à toutes les périodes de

l’histoire de kemet. Comme son nom l’indique, il est le / imy-r ktm/imy-er


ketem (directeur des choses scellées298), c’est-à-dire de l’ensemble du trésor égyptien
emmagasiné. C’est ce qui fait de lui un dignitaire incontournable dans les prises de décisions
importantes tant par Pharaon que par le vizir. Il a pour mission principale, d’organiser et de
superviser différentes expéditions ayant pour but de rechercher, à travers l’étendue du
territoire, l’ensemble des biens et matières premières indispensables au fonctionnement du
régime pharaonique. A côté de cela il lui revient également d’identifier par la voie du
commerce, les ressources dont ne dispose pas son pays afin d’y remédier. La comptabilité du
royaume relevant de sa responsabilité, il assiste chaque jour un rapport fait au pharaon par le
vizir, sur l’état des finances du royaume. Enfin le trésorier dans l’Egypte ancienne est chargé
de fournir les biens et matériaux, nécessaires aux cultes, comme le façonnage d’images
divines. Le moins que l’on puisse dire de ce haut magistrat, est qu’en raison du caractère
sensible des charges qui lui sont échues, sa nomination par pharaon devait certainement être
entourée de nombreuses précautions, voire d’enquête de moralité. Toutefois cette fonction ne
semble pas avoir des équivalences au sein des chefferies Binam, dans la mesure où le Wala ka
est assisté par un autre wala aussi, et dont les prérogatives (comme on va le voir) sont loins de
concerner l’ensemble des finances, et du trésor royal comme dans l’ancienne Egypte.

297
J.P. Notué, ‘‘Contribution à la croissance des arts Bandjoun’’, Mémoire de Maîtrise en Histoire de l’art,
Université de Yaoundé I, 1978, p.42.
298
Faulkner, dans son dictionnaire parle de per - nebou, c’est-à-dire la maison de l’or ou la trésorerie. Et c’est
justement à ce haut magistrat que revenait la garde et la gestion du trésor égyptien, biensûr sous le contrôle du
vizir.Voir p. 113. Gardiner à la page 506 de sa grammaire, appelle aussi ce magistrat, sḏ3wty/sedjaouty.
125

A l’inverse du wala ka dont le pouvoir est beaucoup plus politique, le wala sissi ou wala
d’en bas, est quant-à-lui, investi d’un très grand pouvoir religieux. Ce sont ces pouvoirs
religieux qui lui confèrent une stature exceptionnelle, et font de lui le gardien du Fam ka299 et
le prêtre du culte des ancêtres du roi. La sacralité de cette fonction à Bandjoun, se justifie par
le fait qu’il est en contact permanent avec les ancêtres du chef, de par les offrandes et
sacrifices qu’il effectue régulièrement, et du fait qu’il soit aussi chargé de réchauffer ces
crânes royaux en allumant un feu. C’est au regard de l’importance de ce haut dignitaire dans
la sphère religieuse, qu’Emmanuel Ghomsi et René Tagne ont pu affirmer que, le wala sissi
est le vrai chef mystique de la chefferie. Cependant, Léon Kamga pense que son rôle ne se
confine pas au seul domaine religieux, car l’action du wala sissi est également tournée vers la
gestion quotidienne du palais et des problèmes privés du roi. A cet effet il lui revient par
exemple, de marier les différentes princesses ou ‘‘ngo Fô’’ à des hautes personnalités du
village, ou d’une communauté voisine, afin d’étendre le pouvoir et l’influence du Fô.

De ce qui précède, l’on remarque que le souverain qu’il soit à kemet ou dans les
chefferies, est entouré d’une véritable machine administrative composée, de personnalités qui
de par les responsabilités qui leur incombent, constituent une véritable courroie de
transmission entre le souverain et son peuple. Cependant, au regard de l’histoire égyptienne
durant l’Ancien-Empire, certaines fonctions semblent avoir reveti une importance
considérable en raison du rôle joué par ces personnalités au quotidien. C’est le cas des
nomarques ou gouverneurs de provinces, les prêtres égyptiens et l’armée. De même dans la
société traditionnelle Binam Bandjoun et Bangangté, il existe aussi des institutions
importantes, et dont le rôle n’a cessé d’aller crescendo. Leur importance se traduit par le fait
que l’une d’elles (mkam vu’u ou conseil des neuf) intrônise et tempère le pouvoir du chef,
tandis que l’autre (mkam sombue ou conseil des sept) veille plutôt à sa stabilité et à sa
consolidation. Il importe alors d’analyser chacune des fonctions sus-mentionnées.

Dans l’Ancienne Egypte, les /spatyw/sepatyou (nomarques) bien que ne

siégeant pas à l’inverse des précédents, au /pr-nsw/per-nesou (palais royal),


constituent une autre catégorie de fonctionnaires, dont l’importance n’a cessé de croitre
surtout durant les périodes de troubles. Comme nous le savons, l’Egypte dès l’Ancien Empire

299
Nécropole royale dans les villages Binam au Cameroun, et dont l’accès n’est autorisé selon E. Ghomsi, qu’à
certaines personnalités importantes de la chefferie telles : le chef lui-même, le kuipou, les mwala, les pomwa, les
tadje, et les kemtza. C’est aussi dans ce haut lieu saint de la chefferie à Hiala, que se déroulent les cérémonies du
culte adressées aux anciens chefs.
126

est divisée sensiblement en quarante-deux nomes d’inégale importance dont, vingt-deux pour
la Haute-Egypte (Ta-Shemaou) et vingt pour la Basse-Egypte (Ta-Mehou). A l’origine il
s’agit de micro principautés égyptiennes, indépendantes les unes des autres, et dont le
processus de formation est sans doute antérieur à l’unification du double pays réalisée sous les
rois de la première (notamment Ménès) et de la deuxième dynastie. C’est la raison pour
laquelle, l’on est tenté de les considerer avec A. Erman comme des survivances de la plus
ancienne formation politique du pays.

Les /Sp3tw/Sepatou (nomes) ou circonscriptions administratives sont en réalité,


des provinces dirigées par des gouverneurs300. Ceux-ci représentent directement la royauté,
c’est pourquoi ils étaient en même temps fonctionnaires judiciaires et administratifs. A titre
d’illustration, le nomarque Oune qui avait exercé de bons et loyaux services sous Phiops Ier
(dont-il devint le favori), fut élevé par Menrerê Ier au rang prestigieux de directeur de la Haute
Egypte depuis le premier nome Yêb (Eléphantine en grec) jusqu’à Aphroditopolis. Afin d’en
justifier cette marque d’estime, il s’employa à administrer de façon efficiente la Haute Egypte
par les faits suivants : ‘‘il répartissait équitablement les corvées, et, deux fois, il fit dresser des
relevés de toutes les propriétés et de tous les revenus du roi dans la Haute Egypte. Jamais,
auparavant, on n’avait fait chose pareille301’’. Ce modèle de comportement adopté par Oune
se perpétua jusqu’au Moyen Empire (2160-1780) alors en plein essor Thébain. A travers la
célèbre nécropole de Beni Hasan (Moyenne Egypte), dans le 16 ème nome renfermant la ville
de Men‘at Khoufou (c’est-à-dire Nourrice de Khéops), on peut se faire à travers les
inscriptions tombales d’Ameni, une idée de l’immense admiration dont il fût l’objet dans son
entourage. en pleineDe même en tant qu’agents du roi, comme nous venons de l’observer
avec Oune, les nomarques sont chargés à ce titre de percevoir en son nom, les impôts et les
taxes, de veiller à l’entretien des canaux d’irrigation et des digues, mais aussi de réprimer au
besoin, les troubles ou insurrections de leur ressort. Ces différentes prérogatives énumérées en
réalité, ont fait d’eux les vrais administrateurs du royaume d’Egypte. En effet, du fait qu’ils
soient en contact permanent avec les réalités du milieu où ils sont affectés d’une part, et de la
distance les séparant du pouvoir central d’autre part, ils peuvent gérer arbitrairement les
divisions territoriales qui leur sont échues pour en tirer parti. C’est justement cette marge de
manœuvre sans cesse croissante, qui est à l’origine, de leur refus progressif de toute immixion

300
En Ra en Kemet sepatyou ; dans l’empire Perse, on parle de satrapes, des gouverneurs à la tête des provinces
nommées satrapies.
301
A. Erman, H. Ranke, La civilisation égyptienne, p.117.
127

royale dans leur sphère de compétence d’une part, et de leur velléité d’affranchissement,
d’émancipation d’autre part. Certains nomes s’érigeaient ainsi en de véritables seigneuries
(entités politques composées de domaines et des reserves seigneuriales), dont le nomarque se
transformait en seigneur. Grand propriétaire foncier, désormais, c’est lui qui concède les fiefs
aux fonctionnaires qui lui jurent obéissance et fidélité, faisant basculer ipso facto, kemet dans
une sorte de féodalisme analogue au Moyen-âge européen302. Conscients ainsi de l’étendu des
avantages que leur procurait le régime féodal naissant, et jaloux de leur nouveau statut de
seigneur, certains nomarques vers la fin de la Vème dynastie, ont voulu sécuriser leur fonction
en la rendant héréditaire, comme c’est le cas de la charge sacerdotale. Ceci biensûr n’était pas

partagé par le /ity (souverain) qui voyait en cela, un moyen de le supplanter, et le


prélude d’une hypothèque de l’unité du pays.

Ces velléités d’autonomisation des provinces, seront progressivement à l’origine de


l’affaiblissement du pouvoir central, puis à l’effondrement définitif de la royauté égypto-
pharaonique de l’Ancien Empire avec la fin du règne interminable de Pépi II303. En effet
certains égyptologues pensent que l’émancipation de ces hauts fonctionnaires de
l’administration égyptienne à l’Ancien Empire, est dans une certaine mesure, à l’origine de la
décadence de la puissance Memphito-Hélioplotaine. L’un d’eux, J-C Goyon l’a exprimé de
façon remarquable en ces termes :

L’importance de la part, tant visuelle que matérielle, prise par les pyramides, la monumentalité des
édifices royaux des premières dynasties (…) font trop souvent oublier le contexte social, celui des sujets
du monarque-dieu, piliers de l’ordre établi, fonctionnaires bien rodés à leurs taches centralisatrices de
gouvernement de tout un peuple d’agriculteurs et d’artisans assurant la double prospérité du pays.
Curieusement, ces dignitaires disciplinés seront, au moins pour certains, à l’origine de l’effondrement du
pouvoir royal qui va marquer la fin du temps des pyramides de pierre et des grands chantiers
Memphites304 .

En effet pour cet auteur, la concentration de tous les pouvoirs et richesses diverses de
l’Egypte autour de cette zone géographique qu’est Memphis-Héliopolis, créait déjà ‘‘les

302
Le Moyen-âge européen se caractérise par le pacte féodo-vassalique, c’est-à-dire un pacte entre le seigneur ou
suzerain et son vassal. Ce dernier lui jure fidélité et obéissance absolues (sorte d’allégeance). En contre partie, le
seigneur, lui octroie un domaine, un fief, qui est l’essence même du pacte féodo-vassalique. A cela ajoutons que
cette période morose se caractérise par la prédominance de deux pratiques : la simonie et le Nicolaisme. La
première désigne la vente institutionnalisée des biens et charges écclésiastiques, la seconde elle autorise les
membres du clergé à se marier, s’opposant de ce fait à leur célibat.
303
Selon J.Vercoutter, le pharaon Pépi II-NeferkaRê eut le plus long règne de l’histoire. Il resta au pouvoir
pendant quatre-vingt-quatorze ans. Souffrant d’aphasie et de dégénérescence maculaire vers la fin de sa vie, Il
est possible selon l’auteur que, ‘‘la durée de ce règne même, explique, en partie du moins, l’accélération de la
décadence qui se produisit alors en Egypte’’. Vercoutter, ‘‘La femme en Egypte ancienne’’ in Histoire mondiale
de la femme, préhistoire et Antiquité, p.93.
304
J.C Goyon, Rê, maât et pharaon, p.61.
128

facteurs d’un profond déséquilibre’’. Toutefois au regard de l’histoire égyptienne, on peut dire
que tous les nomarques ne se sont pas détournés de l’autorité royale, certains d’entre eux ont
fait preuve de soumission totale au pharaon, et d’abnégation aux tâches qui leur ont été
assignées. C’est le cas d’Hirkhouf nomarque d’Assouan sous les règnes de Mérenrê 1 er et de
Pépi II (encore appelé Phiops II305).

Certes à Leng djô (Bandjoun de son vrai nom selon la toponymie Binam) comme nous
l’avons observé, le chef et le wala sissi possèdent la majorité des pouvoirs religieux ; mais
leur action est tempérée par l’existence d’un conseil religieux puissant et multiséculaire
nommé mkam mvu’u, ou conseil des neuf.

A l’origine, il s’agit probablement d’un conseil consultatif de neuf personnages


inamovibles choisis parmi les compagnons du fondateur Ngwotouom 1er, ou des hauts
dignitaires trouvés sur place à la création du village. Désignés de père en fils suivant les
traditions mystico-théocratiques de Bandjoun, ce sont eux qui intrônisent le chef et peuvent au
besoin le destituer en cas de forfaiture irrémissible. Leur éducation les prépare non seulement
à éclairer la conduite du chef durant son règne, mais aussi à l’assister dans toutes ses
importantes décisions législatives. De ce fait le conseil des neuf n’apparaît plus seulement
comme un conseil magico-religieux, mais aussi dans une certaine mesure, comme étant un
conseil politique de premier ordre. En tant qu’élément constitutif du royaume et pièce
maitresse d’un système théocratique multiséculaire, le conseil des neuf a aussi selon Léon
Kamga, un droit de regard sur l’activité de toutes les autres sociétés secrètes du village.
D’ailleurs c’est au regard de l’incoercibilité et de l’influence considérable de cette assemblée
délibérative (mkamvu’u) sur la vie politique de la chefferie, que Gabriel Mbah affirme à ce
propos :

Comme un chef d’Etat dans son pays entouré du parlement, il en est de même pour le chef Bandjoun qui
est entouré du conseil des neuf. Ce conseil fait office de parlement, c’est-à-dire de principal organe qui
modère le pouvoir du chef… si bien que lorsqu’il y a des sujets à débattre, un chef ne parle pas, il ne dit
que ce que les autres ont décidé. Il ne peut pas se lever un matin et dire, j’ai pris une décision. C’est
pourquoi quand vous venez lui posez un problème, il dit : j’ai compris. Il vous rappelle quelque temps
après pour vous faire part de la décision, parce que le problème aura été posé aux neuf notables. S’il
communique officiellement une décision sans avoir préalablement demandé l’assentiment des neuf, on
sait ou on le tien, on peut lui faire du mal à la minute… ne voyez pas le chef Bandjoun comme il est là, il

305
A. Erman, H. Ranke, La civilisation égyptienne, p.55. Selon eux, Phiops II dernier souverain de la VIème
dynastie regna durant quatre-vingt-dix ans. Voir p.55, pp.112-121, l’analyse relative au rôle joué par les forces
centrifuges ou décentralisatrices (les princes nomarques) dans la décomposition de l’Etat en principautés.
129

y a des notables qui n’enlèvent pas leurs chapeaux devant lui, parcequ’ils sont supérieurs à lui sur le plan
traditionnel et secret qu’on ne peut pas vous dire. Mais ces personnes le respectent en tant que chef ; il y a
même des rites qui ne sont pas effectué par le chef Bandjoun, parce qu’il n’a pas ce pouvoir là. Donc
comme vous le constatez, c’est tous ces facteurs qui font en sorte que chez nous, le pouvoir du chef est
modéré, ce n’est pas un pouvoir autocratique 306.

De ce qui précède, on remarque que le pouvoir royal à Bandjoun est sérieusement


tempéré par le mkam mvu’u, qui est à la réalité, un organe de contre-pouvoir, et dont la
mission principale est d’empêcher un possible glissement royal vers la tyrannie. C’est
pourquoi l’existence même de ce conseil à Bandjoun, contraint tout chef de toujours rester
dans l’expectative, de peur d’être sanctionné.

Mais l’existence de cet organe de contre-pouvoir ne se veut l’apanage de la société


traditionnelle Binam car, à Taouy durant l’ère des pyramides, il existe une institution
semblable au conseil des neuf : le clergé égyptien. Si nous disons qu’il constitue dans une
certaine mesure un organe de contre-pouvoir (canalisant l’autorité royale), c’est parceque le
clergé est une institution autonome qui, disposant d’importants domaines fonciers, peut agir
indépendamment du pouvoir central et inciter parfois à des séditions populaires. C’est
pourquoi dans cet Etat, tout souverain, excepté Aménophis IV307 au Nouvel-Empire, a
cherché rarement à contrarier cette puissante et redoutable institution séculière.

A l’Ancien Empire, la monumentalité des édifices royaux et des temples exprime en


réalité la puissance de la classe sacerdotale. Pharaon comme on le sait, a pour mission de
pérenniser l’équilibre cosmique et de combattre les forces du Mal qui cherchent à le rompre.
Cet entretien de l’équilibre cosmique exige de nombreux cultes journaliers à travers l’étendu
du double pays. C’est la raison pour laquelle Pharaon ne peut à lui seul en assurer l’exécution

matérielle. Pour se faire, il délègue une parcelle de ses pouvoirs séculiers aux /hmw
nṯr/hemou netjer (prêtres) appartenant aux différents centres théologiques et doctrinaux de son
pays. Dans cette perspective, le prêtre (hm) est chargé de suppléer pharaon dans l’exécution
matérielle des rites quotidiens, ponctués d’oblations et donations. Toutes ces cérémonies
religieuses visent à établir la communication avec les dieux pour leur demander des grâces,
mais elles recherchent également le moyen de les apaiser lorsqu’ils sont en colère. La fonction
306
Entretien avec le Prof. Mbah Gabriel, linguiste, Université de Yaoundé I, 24 novembre 2017.
307
Souverain au passé peu reluisant, son règne durant la période amarnienne fut caractérisé par l’instauration
subversive du culte atonien. Cette apostasie lui valu une vive hostilité de la part des prêtres d’Amon, qui ne se
remirent de cette avanie que sous le règne de Toutânkhamon et d’Horemheb (qualifiés de calotins). En effet ces
derniers rétablirent le lien brisé avec le clergé d’Amon. Conserver l’immensité de l’œuvre théologico-
philosophique et hymnologique, de ce souverain, taxé de renégat ou d’hérétique, est un impératif mémoriel.
130

de prêtre pour la plupart dans l’histoire de kemet, est héréditaire (bien que pharaon pouvait
aussi nommer les prêtres qui lui conviennent) et on distingue plusieurs catégories de prêtres
dont les plus importantes sont : les prêtres ouêb ou purificateurs, les prêtres khérihêb ou
lecteurs, les prêtres serviteurs de dieu et enfin les prêtres funéraires ou prêtres setem308, ou du
ka (hm-ka). Forts conscients de l’importance de leur tâche et mission, ces officiants
procédaient avant tout accès au temple et au sanctuaire, par une longue purification physique
(notamment corporelle) et spirituelle, faite de prières intenses personnelles, ainsi que
d’abstinence (sur le plan sexuel durant plusieurs jours). Par cette forme d’ascétisme
momentané obligatoire (et non facultatif), les desservants peuvent mieux faire monter leurs
intentions personnelles vers la divinité prédominante de leur temple ou de leur nome, à travers
trois cultes journaliers : culte matinal, culte de midi, et culte du soir. Ainsi on peut retenir que,
bien que les temples égyptiens anciens (à la différence de nos synagogues, chapelles, et
mosquées actuelles) n’admettent pas de foule en général, ils jouent un rôle fort précis dans
l’équilibre cosmique du territoire ; à cet effet ils sont composés de plusieurs officiants
spécialisés qui en tant que substituts provinciaux et territoriaux de pharaon, veillent à
‘‘entretenir l’intégrité de la présence divine sur terre, dans le sanctuaire des temples ou elle à
consenti à s’établir’’309. Mieux ils sont chargés de suppléer pharaon dans sa fonction
religieuse principale : celle de maintenir l’ordre universel sous la forme où les divinités
primordiales l’ont créé.

Le clergé comme on l’a vu constitue bel et bien une institution manifestement affranchit
du pouvoir royal, et qui dans une certaine mesure, a fini par représenter un organe qui tempère
la royauté pharaonique. De même dans l’architecture institutionnelle Binam Bandjoun et
Bangangté, nous avons remarqué que le conseil des neuf assure pleinement cette fonction.
Mais certains chefs dans l’espace Binam, en vue de se prémunir de la puissance et du
caractère comminatoire d’un tel conseil, ont essayé de l’étioler, voire de l’avarier en créant
d’autres organes tels que, le conseil des sept ou mkam sombue.

Le conseil des sept ou mkam sombue est un conseil qui, à la différence du précédent, est
composé des personnalités nommées par le Fô. De ce fait ils ne sont pas inamovibles mais
révocables. En théorie ils ne disposent pas de pouvoirs politiques à proprement parler ; mais
leur dispersion stratégique au sein des quatre coins du village, fait d’eux, des agents de
renseignement précieux pour le chef. Choisis parmi les ta djé (ou gouverneurs de provinces),

308
P. Barguet, Le livre des morts des anciens Egyptiens, p.39.
309
S. Sauneron, Les prêtres de l’ancienne Egypte, p.45.
131

ils ont pour mission de contrecarrer, voire désamorcer toute éventuelle tentative de
déstabilisation du pouvoir royal à l’intérieur du royaume.

Certes il a été question jusqu’ici d’analyser l’agir des différents acteurs de


l’administration égyptienne et Binam dans leur quête commune de Maât, mais il ne faudrait
pas négliger le rôle central de certains corps comme l’armée (‘‘mechâ310’’en ra n kmt) tant
dans la sécurité intérieure que dans la sécurité extérieure d’une collectivité.

Comme l’ont remarqué A. Erman et H. Ranke, la prospérité intérieure, pour un pays,


entraine inexorablement un accroissement de sa puissance extérieure (ce que Nietzsche nome
‘‘volonté de puissance’’). Et dans cette mouvance expansionniste et hégémoniste territoriale,
l’armée joue un rôle dont l’importance se résume souvent par cet adage latin ancien : si vis
pacem, para bellum, si tu veux la paix, prépare la guerre. Et en tant que garant de la paix et de
l’équilibre du double pays, pharaon a besoin à cet effet de protéger son peuple de toute
invasion extérieure, ou de toute tentative de déstabilisation de ses propres intérêts : d’où la
fonction punitive et préventive de l’armée dans l’Egypte antique.

En effet l’armée au nom de pharaon a pour fonction, de conquérir des milieux


susceptibles de renfermer des ressources naturelles dont l’Egypte ne dispose qu’en infime

quantité ou pas du tout. La /k3s/kas ou Kach (Nubie), géographiquement


contiguë, semble être la principale destination des conquêtes militaires et commerciales
égyptiennes. Ce territoire situé au sud (Resy en égyptien) de kemet, et au nord (Mehety en
égyptien) du Soudan est particulièrement riche en or et par ce fait, a vite fait l’objet de
concupiscence des territoires comme l’Egypte. Ainsi, l’éthique dans ce cadre en Egypte
ancienne, consiste donc pour chaque soldat311, à protéger au péril de sa vie pharaon et son
peuple tant des dangers intérieurs que des agressions extérieures.

Dans l’espace Binam Bandjoun et Bangangté, nous avons vu qu’il existe une société de
classe d’âge destinée à développer et à renforcer les aptittudes physiques de chaque mâle :
c’est le Ma-djon. En réalité, elle représente au sein du village, une véritable formation
guerrière au service du roi. Elle emploie tout homme valide animé par la volonté de protéger
la chefferie jusqu’au sacrifice suprême s’il le faut. La principale tâche qui lui est assignée tout
comme l’armée à Ta-méri, c’est de veiller à la défense et à la sécurité du village, tant à

310
A. Gardiner, Egyptian Grammar, p.479.
311
A. Gardiner appelle les soldats en ra en kemet, ‘‘ menefyt’’, Egyptian Grammar, p.479.
132

l’intérieur qu’à l’extérieur. Cette société a également pour rôle, non seulement de conquérir
sous ordre du chef des espaces susceptibles de garantir la prospérité du village, mais aussi de
participer à l’exécution des travaux pénibles exigeant une certaine endurance et vigueur.

Il ressort que l’armée aussi bien à Taouy qu’à Bandjoun et à Bangangté assure le rôle
qui lui ai dévolu, celui de veiller continuellement à la stabilité interne et externe du territoire
et de ses institutions séculaires.

La parfaite homogénéisation de l’éthique et l’éducation dans l’Afrique ancienne, comme


nous venons de l’observer, a impacté profondément la façon d’agir des dirigeants sur le plan
politique. Ces leaders qu’ils soient à kemet, ou dans l’espace Binam312 précolonial, ont
compris qu’ils détiennent réellement leur pouvoir du peuple qui, par besoin de soumission à
une direction unique, le leur a confié. C’est pourquoi le Sa-Rê et le Sa gouon durant leur
règne, ne font pas leur propre volonté, mais ne sont qu’en réalité le porte-parole de leur
peuple vis-à-vis de l’Etre suprême.

I’agir politique des dirigeants ayant été marqué par la maât, découvrons et analysons à
présent les retombées de cette miscibilité dans le domaine économique.

II - Les retombées du lien entre l’éthique et l’éducation sur le plan économique

Par économie, il faut entendre l’ensemble des activités d’une collectivité humaine,
relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses. Bien
évidemment dans ce domaine, les échanges (internes et externes) loins d’être menu fretin
jouent un rôle capital car, c’est sur cet élément que s’appuie tout développement commercial
orthodoxe. Il importe dès lors d’examiner, dans une certaine mesure l’organisation
économique de ces peuples, en insistant beaucoup plus sur l’agir des individus sur le plan
économique. Mais d’abord, intéressons nous au mode de production.

1 - La production

La production est l’action de produire. Produire c’est donner naissance à une richesse
économique, ceci, par l’exploitation des multiples potencialités géographiques. Cependant, la

312
Pour connaitre d’avantage le fonctionnement politique de la chefferie Bandjoun, voir nos entretiens avec Mr
Nguemdjio Kouotsa Raphael et le Prof. Mbah Gabriel. Voir aussi, B. Maillard, Pouvoir et religion, les structures
socio-religieuses de la chefferie de Bandjoun, Berne, Editions Peter-Lang, 1984.
133

production à kemet, ne s’amorce véritablement qu’au néolithique il y a 6000 ans av-JC.


Constituant un tournant majeur dans l’hominisation, la Néolithisation est la phase la plus
importante du développement technique des sociétés humaines préhistoriques. En
perfectionnant sans cesse ses techniques de transformation du fer, l’Egyptien cesse d’être un
prédateur (ce qui le rendait nomade) pour devenir un producteur. Il domestique dorénavant les
animaux qu’il ne faisait que chasser, et apprend à cultiver. On assiste alors au passage d’une
économie de chasse et de cueillette à une économie productive, centrée sur l’agriculture et
l’élevage. On constate ainsi, que l’essor de la métallurgie du fer combiné à la découverte et à
l’exploitation des surfaces arables, sont l’un des facteurs de sédentarisation de la population
égyptienne, mais aussi, de la stabilisation des migrations internes. Ce rappel est d’autant plus
important qu’il nous permet logiquement de cerner de ce qui précède, comment est on passé
de l’émergence à la proéminence du secteur agricole dans l’ancienne Egypte313.

La civilisation égyptienne de manière globale doit sa prospérité, et ce à toutes les


périodes, à l’agriculture314, qui en est le fondement. Certes d’autres activités telles que
l’artisanat, la pêche, l’élevage et la chasse constituent des leviers de croissance économique
non négligeables dans l’Egypte antique ; mais comparées à l’agriculture, leurs revenus restent
appréciables. Toute organisation agricole obéit à la météréologie en vigueur dans un espace
de vie. Le calendrier agricole égyptien comme nous l’avons précédemment évoqué, est reparti
en trois saisons dictées par le Nil. La première est l’Inondation (akhet) et va du 19-20 juillet à
la mi-mars. Cette période est caractérisée par une augmentation extraordinaire du débit du Nil
(crue), ce qui fait d’elle automatiquement, un tournant décisif duquel dépend alors le destin
alimentaire de Taouy. Après l’Inondation, la deuxième saison à kemet est la période des
Sémailles (Peret) et va de la mi-mars à la mi-novembre. Comme son nom l’indique, les
paysans profitent de la quantité d’eau inesttimable déversée par le fleuve sur toute l’Egypte,
pour sémer diverses plantes. La troisième saison correspond à la période de récoltes (Shemou)
et va de la mi-mars au18-19 juillet. Ainsi la société égyptienne est constituée à quatre-vingt-
dix pour cent des paysans qui de par leur implication dans les travaux agricoles, produisent
toute la richesse du pays. C’est donc certainement ce poids considérable qu’occupe

313
Située en Afrique septentrionale, c’est un Etat caractérisé en général par des récoltes céréalières à profusion,
ceci, en dépit de la rigueur climatique. C’est dire qu’à chaque milieu géographique correspond un type de culture
spécifique.
314
Pour avoir une idée du poids de l’agriculture dans l’économie égyptienne, le lecteur peut voir dans l’ouvrage
d’A. Erman, le chapitre 17 portant sur l’agriculture. Notamment pp. 578- 588.
134

l’agriculture315 dans la vie sociale, qui a fait dire à de nombreux égyptologues que, l’Egypte
ancienne était un pays essentiellement agricole. Mais cette incroyable prospérité de
l’agriculture égyptienne316 n’est pas le fruit du hasard. En effet, durant la période de
l’inondation, le Nil en tant que voie de déversement des grands lacs de l’Afrique tropicale317,
transporte sur les terres arides et asséchées de l’Egypte, cette matière vitale qu’est le limon.
C’est cet élément qui, recouvrant le sol d’une boue noire, est à l’origine de la fertilité des
champs et de l’abondance des récoltes dans l’Egypte ancienne. Les produits de cette
agriculture sont nombreux et d’une extrême variété. Parmi eux on retrouve les céréales318, les
oignons, les orges, les concombres, les haricots, les fèves. En dehors de ces cultures, le paysan
égyptien a cherché également à cultiver des légumes, de la laitue, des melons, des pastèques,
des courges et des courgettes, des radis, des poireaux, etc. Nous l’avons vu, les produits de
l’agriculture égyptienne, comme François Giron319 l’a montré sont innombrables et ont fait le
bonheur des paysans et ouvriers.

De même, tout comme à /T3-mri/Ta-méri, l’économie à Bandjoun repose


fondamentalement sur l’agriculture qui en constitue le centre névralgique. A n’en point
douter, l’espace Binam constitue un milieu aux conditions écologiques favorables à l’essor
des activités agropastorales. En effet de par l’extrême fertilité des terres de la région des hauts
plateaux (encore appelée Grass land), l’espace Binam est prédisposé à être la plaque tournante
de l’agriculture nationale. Cependant il semble qu’avant la période coloniale, et précisément
au 18ème et au début du 19ème siècle, la chasse fut une activité économique beaucoup plus
importante qu’elle ne l’est de nos jours. Nous savons d’ailleurs d’après E.Ghomsi, que
certaines chefferies ont été fondées par des princes chasseurs ; c’est le cas des chefferies
Baleng, Foto, Bandeng, Bangangté, Bangoulap, et Bandjoun 320. Il semble que l’extrême
rentabilité de cette activité au début de la fondation des chefferies Binam, a permis aux

315
Voir aux annnexes VI, l’image d’une scène d’activités agricoles et culinaires à Kemet, ceci gravée sur la
tombe de Nakht, 18ème dynastie.
316
A propos de l’organisation agricole à Kemet, voir aussi S.Sauneron, ‘‘L’Egypte’’ in Histoire générale du
travail (préhistoire et antiquité), Paris, Nouvelle librairie de France, 1965. Là l’auteur fait une lecture de
l’organisation des activités économiques ainsi que les conditions dans lesquelles ils travaillaient. Voir les pages
111,115. Le lecteur peut également consulter l’article de Manfred GutGselt ‘‘L’économie, l’agriculture et
l’artisanat’’ in A. Eggebrecht, L’Egypte ancienne : 3000 ans d’histoire et de civilisation.
317
A. Erman, H. Ranke, la civilisation égyptienne, p.23. Par ailleurs, il reçoit aussi selon les auteurs, toutes les
eaux provenant des vastes hauts plateaux de l’Abyssinie et dévalant vers l’Ouest.
318
Surtout le blé qui était la principale culture céréalière du royaume. D’ailleurs c’est l’abondance particulière
des récoltes de cette céréale à Taouy, qui a fait d’elle, l’un des principaux greniers à blé de tout le Croissant
fertile dans l’Antiquité. A. Erman déclare à ce propos que, ‘‘ c’est uniquement à son exubérante fertilité, le blé y
mûrit souvent trois fois en une année, que l’Egypte doit son importance’’. Voir dans son ouvrage, pp.29-30.
319
F. Giron, ‘‘La vie quotidienne au temps des pharaons’’, p.136.
320
E. Ghomsi, ‘‘Les bamiléké du Cameroun, essai d’étude historique des origines à 1920’’, p.181.
135

différents chefs d’en tirer énormement profit pour asseoir et affermir leur pouvoir politique.
Mais le caractère giboyeux de cet espace va progressivement disparaitre, à cause du
déboisement intensif provoqué par la démographie321. En effet les migrations animalières
causées par la déforestation massive dans cette region, vont entrainer une émaciation des
revenus ou dividendes liés à ce secteur de l’économie. C’est donc cette situation qui a amené
les populations à se détourner de la chasse, pour se consacrer au travail de la terre : d’ où la
proéminence progressive de l’agriculture. Il s’agit donc de s’intéresser particulièrement au
secteur agricole en montrant, comment l’éthique ancestrale a impacté l’exploitation de la
terre, puis la distribution des richesses, et enfin stimulé les échanges intercommunautaires.

Nous l’avons dit, l’agriculture constitue le fer de lance de l’économie des villages
Binam. Cependant l’exploitation de la terre nécessite l’autorisation du chef qui, en est de par
ses ancêtres, le dépositaire. En effet il existe deux catégories de terre dans la chefferie. Il y a
des terres qu’on peut concéder, celles où le chef installe des paysans qui en font la demande,
et les terres qu’on ne peut concéder. A cette catégorie appartiennent les lieux sacrés. C’est ce
qui fait qu’à Leng djô, la terre est une propriété inaliénable que autochtones comme étrangers
(kwa), sont tenus de respecter. D’ailleurs Jean Hurault semble partager cet avis lorsqu’il
affirme : ‘‘Il n’est pas d’usage de louer la terre contre de l’argent, mais il est courant de
donner le droit de cultiver, ou de faire paitre pendant un an, sous réserve de laisser la clôture
établi à cet effet et de donner un panier de récoltes322’’. Le savoir-vivre dans cette perspective
se traduit par le fait que les plantations sont beaucoup plus collectives qu’individuelles. Afin
de stimuler l’esprit de solidarité et d’entraide, les populations créent de grandes plantations,
spécifiquement des plantations familiales. Ces plantations familiales nécessitent la
mobilisation de tous les membres qui, apportent chacun sa contribution. Cependant, Il existe
aussi des plantations individuelles, mais elles se caractérisent aussi bien par leur exiguité que
par l’insuffisance de leurs récoltes. Dès lors, l’on est tenté de penser que, c’est probablement
pour remédier à la contreproductivité des plantations personnelles, que les dirigeants ont
encouragé la création de grandes exploitations agricoles. Ainsi, les produits issus de
l’agriculture à Bandjoun sont nombreux et extrêmement variés comme à Taouy : On retrouve
des champs de légumes (ou culture maraichères), des champs de tubercules et féculents (tels

321
L’expansion démographique est l’un des facteurs d’extension et d’intensification des activités anthropiques.
322
J. Hurault, La sturcture sociale des Bamiléké, p.7.
136

que la patate, le macabo, le manioc, igname), le palmier à huile, la kola323 et le maïs, pommes
de terre, taro, arachides, haricots, etc.

Comme dans tout village de l’espace Binam, les activités agricoles à Bandjoun obéissent
à quatre saisons contrairement à kemet. La première appelée ‘‘Chouozu324’’ou petite saison
sèche, s’étend approximativement du mois d’octobre au mois de novembre ; la deuxième du
nom de ‘‘Lem325’’ ou grande saison sèche va de novembre à février ; la troisième
‘‘Tchue326’’ou petite saison pluvieuse s’étale sensiblement du mois de mars au mois de juin ;
enfin la dernière ‘‘Soh327’’ ou grande saison des pluies, va de juillet à septembre.

Bien évidemment cette répartition saisonnière dans l’espace Binam en général, et à


Bandjoun en particulier, a des conséquences sur l’organisation des travaux agricoles. Mieux
elle fixe le calendrier agricole qui se déroule de la manière suivante : de janvier à février, les
habitants de Bandjoun, en synergie procèdent en trois phases : le désherbage ou Kemghe, le
brûlis ou Ntoka, et enfin le labourage ou Dzu’ne. Ensuite de mars à mai, ils poursuivent avec
les sémailles (Ndze-tze) et le sarclage (Tom-Ne ou Sune). Après la période de sarclage, suit la
récolte de maïs (Tchouaguefa) et d’arachides (Kem biyè) qui va du mois de juillet à
septembre.

Mais à partir du mois d’octobre jusqu’au mois de décembre, c’est le retour progressif de
la saison sèche qui s’accompagne de la culture et récolte du haricot et de la patate.

Il s’est agi jusqu’ici, d’analyser les modes de production aussi bien dans l’Ancienne
Egypte que dans l’espace Binam Bandjoun. Examiner dès lors, les modes de distribution
s’avère nécessaire.

2 - Les modes de distribution

Nous avons remarqué que le rôle du Nil dans le développement agropastoral de l’Egypte
ancienne est indéniable. Toutefois, dans un espace sémi-désertique comme l’Egypte, et où les
insuffisances de la crue du Nil causent parfois des pénuries (source de famine et de grève),

323
Très apprécié au sein de la communauté Binam et considéré également comme une richesse, ce fruit a
concouru à la notoriété du dit peuple auprès des autres par la voie du commerce. Les commerçants Binam ont pû
tisser des relations très profondes avec les peuples du Cameroun septentrional, qui l’apprécient particulièrement.
324
E. Ghomsi, R.Tagne, Bandjoun à l’heure p.49.
325
Ibid.
326
Ibid.
327
Ibid.
137

l’action des autorités égyptiennes est alors d’un grand apport pour garantir une distribution
efficiente des richesses au sein l’Etat pharaonique. En effet, pharaon a parfaitement
conscience que seule, une politique réellement axée sur une meilleure répartition des
ressources agricoles entre les habitants, permet d’éviter la famine, les grèves et les
insurrections populaires. C’est pourquoi sur injonction royale, le vizir délègue des scribes et

autres fonctionnaires, chargé de se rendre dans différentes /ḫbsw/khebesou328


exploitations agricoles du pays. Une fois arrivés, ces derniers vérifient la production agricole
de chaque champ qu’ils consignent sur des rouleaux de papyrus, puis délèguent des individus,
chargés de transporter les récoltes contenues dans les sacs. Ces milliers de sacs sont
emmagasinés dans les greniers royaux, et comptabilisés dans le trésor égyptien. Si tout
égyptien comme on le sait, dispose de son propre champ ou jardin, il a le devoir de fournir à
pharaon une partie de sa récolte. C’est ce qui explique que les scribes des greniers royaux au
nom de pharaon, prélèvent sous forme d’impôts et de taxes, une partie de la récolte de chaque
paysan. Cette approche n’a aucunement été élaborée pour spolier le petit égyptien, de ses
ressources ; au contraire elle a été conçue pour augmenter la marge de survie des populations
en période de sécheresse, et dont la mémoire collective a conservé de douloureux souvenirs.
Cette stratégie vise à redistribuer équitablement les richesses alimentaires (pains, poissons,
fruits, viandes, légumes, etc.) à tous les habitants, de façon qu’ils soient satisfaits. Donc en
réalité, contrairement au système économique occidental centré sur la propriété privée des
biens et des moyens de productions (terreau où germent de nombreuses disparités), le
système économique de kemet est plutôt basé sur la propriété collective. Ceci se justifie par le
fait que le nsw-bity animé par la maât, se soucie en permanence du bien-être de ses sujets, de
leurs préoccupations, et des difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Ce soucie des
souverains Egyptiens est d’ailleurs perceptible à travers ce texte de Ramsès II datant de l’An
huit ; en voici l’économie :

Pour vous, dit encore le texte, les greniers seront gonflés de blé… ; chacun d’entre vous aura des
provisions pour un moins. J’ai aussi empli les magasins de toutes sortes de choses, pains, viandes, gâteaux pour
vous protéger (de la faim), des sandales, des vêtements, de nombreux onguents… J’ai aussi mis en place un
nombreux personnel pour subvenir à vos besoins : des pêcheurs vous apporterons des poissons ; d’autres
jardiniers, feront pousser des légumes ; des potiers travailleront (…), pour vous, l’eau sera fraîche à la saison
d’été329.

Le moins que l’on puisse dire, est que Ramsès II dit ‘‘le Grand’’, a parfaitement
conscience des difficultés que rencontrent les ouvriers dans l’exécution des travaux, liés à

328
Khebesou signifie également les champs de l’Etat.
329
Extrait d’une inscription de Ramsès II, in T. Obenga, La philosophie africaine, pp. 451-452.
138

l’érection des monuments, temples et édifices royaux. C’est pourquoi à travers cette lettre, il
leur témoigne sa profonde reconnaissance et leur garantit de son soutien indéfectible.

Nous venons d’observer que la distribution à Ta-djeser est soumise au contrôle


rigoureux du monarque égyptien. Ce dernier pour éviter toute éventuelle catastrophe
alimentaire, procède dans une certaine mesure à une planification (comme dans les pays
communistes) de la répartition des richesses au sein du territoire. C’est pourquoi nous
constatons que la distribution est centralisée, bien que chacun puisse avoir son champ.

Cependant, à l’inverse de Taouy, le mode de distribution dans l’espace Binam n’est pas
centralisé, ou n’obéit pas à la décision du chef. Ceci s’explique par le fait que, chaque paysan
à Bandjoun ou à Bangangté, associé ou non aux membres de sa famille, dispose d’une
exploitation, nonobstant la qualité des rendements. De ce fait, il peut assurer sa subsistance et
celle de sa famille sans rien attendre du chef. Ce n’est donc pas le chef ici, qui assure le
partage des récoltes. Mais chaque habitant, a le devoir de lui verser sous forme d’impôt330 ou
de tribut, une partie de sa production. L’action du chef dans la distribution chez les Binam, est
beaucoup plus palpable au niveau de la gestion de la propriété foncière. Nous l’avons
souligné, la distribution des lopins de terre, est assurée par le chef en tant que dépositaire. Ce
dernier le concède en fonction de la nature de la demande.

De ce qui précède, il ressort que le mode de distribution dans l’ancienne Egypte obéit à
une certaine planification. Cette planification s’est imposée, compte tenu du caractère ingrat
de la géographie, comme une nécessité absolue. Ce qui n’est pas le cas dans l’espace Binam
car ici, le chef certes perçoit l’impôt, mais ne décide pas du partage de la production agricole.
Son champ d’action dans la distribution des richesses est beaucoup plus confiné au patrimoine
foncier.

Il importe ainsi, de jeter un regard sur les modes d’échanges au sein de ces deux
communautés culturelles.

3 - Les flux économiques

En tant que puissance économique, l’Egypte a établi des relations commerciales avec les
peuples voisins, dans le but d’obtenir non seulement des produits exotiques, mais aussi ceux
dont elle ne dispose qu’en faible quantité. C’est le cas avec la Nubie (pour l’or et l’encens), la
Syrie et la Palestine (pour s’approvisionner en bois de qualité), le pays de Pount (pour ses
330
Selon le notable Désiré Talom, on appellait cet impôt à Bandjoun, ‘‘ la collecte culturelle pour le chef’’.
139

résines aromatiques, l’or, l’ébène, l’ivoire), l’Anatolie (pour s’acheter l’étain et faire des
réserves supplémentaires de cuivre), et enfin la Crète (pour s’approvisionner en huile d’olive).
Cependant ces échanges reposent sur la maât car, chez les kemetyou331, c’est le souci d’équité,
d’égalité, de solidarité, voire de transparence qui préside aux échanges. En effet la recherche
du profit ou l’idée de plus-value est une notion probablement étrangère à la pensée
égyptienne. De même la notion d’accumulation des richesses leur est inconnue. Cette attitude
de l’Egyptien antique s’explique par le fait que maât, en tant que réalité sociale, est basée sur
l’amour de l’autre. Par conséquent faire de l’homme la finalité de toute action devient dans
une certaine mesure, pour l’Egyptien, son leitmotiv.

Tout comme l’Egypte ancienne, les flux économiques dans l’espace Binam occupent
une place fondamentale dans le développement de Bandjoun. Les échanges commerciaux à
Bandjoun et à Bangangté avant la colonisation, s’effectuent sous-forme de troc, c’est-à-dire,
un échange entre personnes d’objet sensiblement de même valeur. Et dans cet échange ou
transaction, le plus important n’est pas d’en tirer profit, mais de donner satisfaction aux deux
personnes. C’est cet esprit de partage, d’équité et d’entraide qui préside aux échanges à
Bandjoun. En effet, chaque paysan après avoir récolté les fruits de son champ, va offrir en
signe de respect au Fô A-djô, une infime partie de sa récolte. De même, lorsqu’un membre de
la communauté est frappé par un malheur quelconque, tous les habitants du village se doivent
de l’assister tant sur le plan moral que sur le plan matériel. Ceci permet de renforcer les liens
sociaux et de maintenir une certaine cohésion au sein du groupe. Donc dans l’espace Binam
en général, et à Bandjoun en particulier, les échanges sont calqués sur la morale ancestrale,
synonyme de paix et de justice. Tout le monde doit travailler pour récolter le fruit de son
labeur. Le travail, mieux le culte de l’effort est au centre de l’éthique sur le plan
économique332.

De ce qui précède, l’on a pu observer que la recherche de l’intérêt général, c’est-à-dire


l’éthique, a façonné également le domaine économique dans l’Afrique ancienne. Le sens que
revêt la production ici, contraste avec le nôtre aujourd’hui. En effet que l’on soit dans
l’ancienne Egypte ou à Bandjoun et à Bangangté, on ne produit pas pour en bénéficier tout
seul, car l’individualisme qui tend dans cette perspective à l’égoïsme, est une entorse à la

331
J.P. Omotundé, Qu’est-ce qu’etre kamit (e) ?, Paris, Menaibuc, 2010, p.86. C’est le terme utilisé pour
désigner les Egyptiens anciens, ce terme désigne lui aussi, ‘‘les Noirs’’ ou encore ‘‘ceux qui tiennent de la
nation des êtres parfaits’’.
332
Voir aussi nos entretiens avec le Prof. Mbah Gabriel, et Mr Nguemdjio pour avoir une idée du
fonctionnement de la vie économique à Bandjoun durant la période précoloniale.
140

maât et aux valeurs ancestrales Binam. On produit pour jouir naturellement des fruits de son
labeur, mais aussi pour en partager car, dit-on, il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.

Ainsi le politique et l’économique semblent avoir reçu l’emprunte des acteurs et


décideurs dans l’Afrique ancienne. Il nous importe parconséquent de montrer comment
l’éthique entant que recherche de l’intérêt collectif s’observe sur le plan social dans l’Afrique
ancienne.

III - Les retombées du lien existant entre l’éthique et l’éducation sur le plan social : Un
impact réel sur la conception de certaines festivités communautaires (le cas du mariage)

Il s’agit de montrer que l’agir de l’homme est également sensible sur le plan social. En
effet le social en Afrique ancienne en général, kemet et l’espace Binam précolonial en
particulier, est dominé par l’importance de certaines cérémonies festives ou tragiques qui (en
raison de leur sacralité) font l’objet de grande mobilisation humaine. Et parmi ces cérémonies,
on peut relever le mariage, l’union sacrée de l’homme et de la femme. Il s’agit ici d’examiner
la conception nuptiale des Africains anciens, en s’intéressant à la psychologie et au
comportement des protagonistes, et aux attentes escomptées par chacune des deux familles.

A - De la sacralité du mariage chez les anciens Egyptiens et le peuple Binam

Le mariage est l’union d’un homme et d’une femme dans l’objectif de fonder une
famille. Mais aujourd’hui cette réalité anthropologique semble ainsi avoir perdu ce caractère
sacré et béatifique qu’elle revêtait autrefois car, la valeur sentimentale du mariage
aujourd’hui, compte tenu de la conjoncture, est délaissée au profit de sa valeur économique.
C’est dire que les unions sont beaucoup plus intéressées que désintéressées 333. Cette
conséquence résulte du fait que l’homme, ne cerne plus véritablement le sens de cette réalité.
Il revient à cet effet, de montrer qu’il n’en a pas toujours été ainsi aussi bien dans l’ancienne
Egypte que dans l’espace Binam précolonial.

1 - La conception du mariage chez les Egyptiens et les Binam : une réalité sociale
béatifique

333
En témoigne le taux de divorce et de célibat dans nos sociétés contemporaines. Derrière ce constat, se
dissimulent des raisons économiques et philosophiques diverses. La fameuse conception de la liberté, disséminée
par l’occident à travers ses colonies, a eu des effets même sur la conception africaine de cette réalité.
141

Le mariage dit-on, est l’union d’un /s/homme et d’une /hmt/hemet femme.


Mais à kemet, comme le montre Trassard, il ne s’agit pas toujours d’un contrat établit par la
société d’un point de vue civil ou religieux. En effet seule la cohabitation entre l’homme et la
femme à cette période, suffit à prouver que deux êtres sont mariés. C’est dans cette
perspective que s’inscrit Jean Vercoutter (alors aporétique sur l’effectivité de l’état civil ou à
l’église) lorsqu’il affirme :

La cohabitation est le fait essentiel qui révèle et prouve le mariage. On ignore, en effet, quoi qu’on ait pu
dire, si les ‘‘noces’’étaient marquées ou non par une fête quelconque ; Il semble certain qu’il n’y avait
pas de cérémonie religieuse, car nulle part, ni dans les représentations figurées, ni dans les textes, on ne
trouve mention d’une telle cérémonie 334.

Ainsi le mariage durant la période Memphite, est un acte posé entre deux familles
parfaitement en accord pour renforcer leurs rapports. Et ce pacte d’une manière ou d’une
autre, scelle l’union des deux individus. Donc il s’agit d’un acte juridique ou non, librement
consenti ou imposé visant à sceller l’union entre l’homme et la femme. Par cet acte, l’homme
(s) devient simultanément le conjoint officiel d’une femme et le maître de son foyer (nb-pr),
tandis que la femme (set) de son côté devient, son épouse légale (mehet) et par la même
occasion la maîtresse du foyer (nbt-pr). Mais cette union exige que l’homme réunisse
certaines conditions matérielles minimales pour y prétendre. C’est ce qui semble ressortir de
ces propos de Ptahhotep lorsqu’il affirme : ‘‘si tu t’es déjà fait un nom, alors tu peux fonder
ton foyer 335’’. Autrement dit dans le cas inverse, il n’est pas envisageable pour l’homme de
se marier. Ces propos du vieux vizir témoignent du souci permanent de la société de veiller au
bonheur et à l’épanouissement de la femme durant sa vie conjugale.

Le terme mariage dans l’Egypte pharaonique correspond plus exactement et ce à toutes


les périodes, à l’expression ‘‘fonder une maison336’’. En effet, si certaines exigences de
nature matérielles sont imposées à l’homme, en réalité le mariage lui est fondé, par le besoin
de l’homme et de la femme de former une seule et même chair de laquelle naitra une
progéniture. La conception du mariage à kemet a été façonnée par l’éthique doublée des
croyances religieuses. Calquée sur le modèle royal qui est à l’image du divin sur terre, elle
repose sur la nécessité de fonder un foyer duquel naitra un enfant (khered), symbole de la
fertilité du couple, mais aussi et surtout moyen de le pérenniser. En effet, le mariage se
conçoit à taouy comme étant cette nécessité de reproduction biologique, qui va permettre aux

334
J. Vercoutter, ‘‘La femme en Egypte ancienne’’, p.138.
335
Les maximes de Ptahhotep, in F. Trassard, La vie des égyptiens au temps des pharaons, p.12.
336
Cette expréssion est corroborée par A. Erman, H.Ranke, la civilisation égyptienne, p.209.
142

deux familles qui ne font qu’une désormais, de se perpétuer. Par cette union, l’extinction de la
famille337 est évitée, et sa relève est assurée. Si l’Egyptien éprouve le besoin de fonder un
foyer, c’est aussi parce qu’il a compris que seul, son bonheur est incomplet, tandis qu’uni à
une femme il devient exhaustif. Le mariage apparait donc comme cet engagement consensuel
qui permet aux concernés de donner un sens à leur existence, en y mettant un certain ordre,
une certaine harmonie dont, une vie solitaire ou monotone ne peut en connaitre les délices.
C’est dans ce sens que le sage Ani a pu dire : ‘‘construis-toi une maison, tu verras que cela
éloigne la haine et le désordre338’’.

Nous voyons bien que le mariage à l’ère des pyramides339 /mrw/merou ou


période Memphito-Héliopolitaine, constitue un événement qui concoure à instaurer de
l’exultation au sein d’une famille. S’il remplit aussi bien une fonction sociale que biologique
(liée à la reproduction), il exige cependant une somme de conditions materielles que tout
homme devrait réunir. C’est pourquoi les deux belles familles généralement sont
précautionneuses en ce sens que, la famille de la femme voudrait garantir son confort.

De même dans l’espace Binam Bandjoun et Bangangté, la conception du mariage dont il


est question ici, épouse la même logique à savoir, procurer du bonheur aux deux familles en
favorisant par l’union de deux individus, l’unité et la solidarité au sein du groupe. En effet le
mariage chez le peuple Binam concoure manifestement à resserrer les liens sociaux. Ceci
s’explique par la place qu’occupe l’enfant dans les coutumes. L’enfant nous l’avons dit est
considéré comme la principale richesse d’un groupe, en ce sens qu’il permet son
renouvellement, mais aussi en assure la pérennisation du patrimoine culturel. Comme le
montre Emmanuel Ghomsi, le mariage340 était autrefois dans la société Binam, une institution
qui pouvait commencer très tôt. En effet il arrive qu’un homme du village, subjugué par le
caractère exemplaire d’une femme, décide d’épouser la fille qui viendra à naitre d’elle plus

337
Faulkner, pense que le mot employé en Egypte ancienne pour désigner la famille, est ‘‘mhwt/mehout’’.
Confère son dictionnaire, p.137.
338
La Sagesse d’Ani, in J. Vercoutter, ‘‘la femme en Egypte ancienne’’, pp. 138-139.
339
En égyptien ancien ‘‘mr’’, il s’agit en réalité, non pas seulement de colossales sépultures pharaoniques (c’est-
à-dire de gigantesques endroits ou enclots faits de pierre où l’on inhume le souverain à l’Ancien-Empire), mais
des monuments voués véritablement à l’exaltation de la fonction royale et de son caractère divin. Ils servent à
magnifier la royauté égyptienne pharaonique et par delà même ressortir son caractère sacré. Pour en cerner la
signification solaire et cosmique, consulter dans l’ouvrage de J-C Goyon, Rê Maât pharaon ou le destin de
l’Egypte antique, le chapitre II intitulé Memphis et le temps des pyramides ; lire également à cet effet G. Goyon,
Le secret des bâtisseurs des grandes pyramides, Paris, Pygmalion, 1977. Ces ouvrages fournissent des
éclaircissements particulièrement édifiants sur la signification véritable de ces monuments de pierre au caractère
pittoresque.
340
Pour une idée sur l’organisation du mariage dans la société traditionnelle Bandjoun, voir également notre
entretien avec Madame Kamdja Bogni Léontine Hortense.
143

tard. Il apporte alors régulièrement à sa future belle-mère un ‘‘fagot de bois-mort’’, devenant


de ce fait son ‘‘tchue-kue’’, c’est-à-dire son ‘‘cherche-bois’’. Cette relation entre le beau-fils
et la future belle-maman durait jusqu’à ce que la fille parvienne à maturité. Par ce fait, le
beau-fils avait déjà eu le temps de connaitre ses beaux-parents et d’établir un climat de
confiance mutuelle. Mais selon l’auteur, cette pratique a disparu à cause des changements liés
à la colonisation, et notamment le regard critique que portait les missionnaires sur de telles
pratiques culturelles. Ainsi que ce soit sous le régime dotal ou dans le régime de ‘‘nta nkap’’
(littéralement ‘‘le père de l’argent’’), le mariage poursuit une même double finalité qui
s’apprécie, tant par la consolidation des liens tissés entre les deux belles- familles que par leur
immortalisation à travers la progéniture qui en découle. C’est dans cette perspective qu’il
faille comprendre une fois de plus, Emmanuel Ghomsi lorsqu’il affirme : ‘‘le mariage
Bamiléké est une institution solide qui crée les liens non seulement entre les deux époux, mais
surtout entre les deux belles-familles qui sont les vrais agents de ce mariage341’’.

Il ressort que la satisfaction des deux familles impliquées dans le mariage, en Négro-
culture, soit l’une des plus importantes finalités poursuivies par le mariage. Mais soulignons
ici que, toute conception du phénomène nuptial au monde, s’enracine dans des croyances
religieuses ou des recueils sapientiaux. Par exemple, il est évident que longtemps, la
conception occidentale du mariage a dû reposer sur les textes bibliques judéo-chrétiens. Nous
pensons de même que la manière de concevoir le mariage tant à Taouy qu’à Bandjoun et à
Bangangté, a subi l’influence des croyances religieuses.

2 - Une réalité moulée par les croyances religieuses et la conception de la richesse

Nous l’avons dit, le besoin ainsi de fonder un foyer dans l’Egypte ancienne, durant
l’Ancien-Empire est calqué sur les croyances religieuses. Pour en contrôler la véracité,
intéressons-nous à l’ennéade (pesedjet) d’Iounou.

Il est connu qu’Itum-Râ est la première entité démiurgique à émerger de Nenou (le
Noun). Mais ce qu’on n’explique pas clairement, c’est pourquoi il a procédé par onanisme par
la suite pour donner naissance au premier couple de divinités primordiales (que sont Shou et
Tefnout). Si le démiurge s’est masturbé, c’est parce qu’il a ressenti une certaine solitude, et il
a voulu de ce fait se créer une compagnie pour rendre son existence moins ennuyante et plus
significative. Le schéma est presque le même pour Shou et Tefnout car, seuls tous les deux, le
bonheur n’était pas à son comble, conséquence comme les deux divinités primordiales
341
E. Ghomsi, ‘‘Les Bamiléké du Cameroun’’, p.149.
144

précédentes, ils vont s’unir. Le moins que l’on puisse dire est que, les Egyptiens dès
l’enfance, sont moulés à la réalité que constitue le mariage, et des exigences que cela
implique. En effet, malgré le silence des sources sur la condition féminine à l’Ancien-Empire,
et le fait que certains auteurs montrent que la condition de la femme, est caractérisée durant la
période Héliopolitainne, par une dépendance économique accrue et une subordination absolue
de la femme à l’autorité maritale, le mariage est un engagement qui implique des
responsabilités partagées aussi bien par l’homme que par la femme. C’est même cet ensemble
de responsabilités incombant à chacun des partenaires, qui fait même son essence, et en
constitue la finalité. Par conséquent, durant cette cohabitation, l’homme a le devoir de traiter
sa conjointe avec beaucoup d’attention et de délicatesse ; c’est d’ailleurs ce qui ressort de ses
mots de Ptahhotep lorsqu’il affirme :

Si tu es un homme de bien, garde ton foyer, aime ta femme comme il convient. Remplis son ventre,
habille son dos, ce sont les soins à donner à son corps… comble ses désirs tout le temps de son existence.
Ne sois pas brutal, la douceur conduira mieux ta femme que la violence. Son bienêtre et son bonheur,
voilà ce à quoi aspire son cœur et voilà ce qu’elle attend de toi342.

Si le vieux moraliste, recommande à l’homme d’agir avec douceur, celle-ci (la femme)
en revanche, se doit de lui être entièrement soumise.

Nous voyons donc que dans l’Egypte antique et particulièrement à l’Ancien-Empire, le


mariage est une réalité sociale profondément moulée par les croyances religieuses et la morale
osirienne. Par conséquent, ce sont ces croyances par le biais de l’éthique et l’éducation, qui
amènent l’homme et la femme à comprendre que ‘‘fonder une maison’’, est un engagement
qui relève de nombreux enjeux et qui implique des responsabilités, dont l’accomplissement ne
peut que concourir à l’épanouissement du couple : d’où sa sacralité à Taouy.

Contrairement à Taouy, le mariage dans l’espace Binam Bandjoun, revêt une


signification qui a été influencée sans doute par la conception de la richesse.

En effet avant l’introduction de l’économie monétaire dans les chefferies Binam, la


richesse n’était seulement pas considérée comme cet ensemble de biens matériels éphémères
quantifiables assurant le confort individuel, mais elle était considérée comme une situation
heureuse partagée par l’entourage. Autrement dit, elle était beaucoup plus symbolique que
quantifiable car ce qui importait ici, c’était de rendre les gens indispensables à notre vie en
partageant avec eux, nos joies et peines. A cet effet elle pouvait se traduire par une réussite
dans la vie du point de vue comportemental et psychologique, mais aussi et surtout par une
342
Les Enseignements de Ptahhotep, in F.Trassard, La vie des égyptiens, p.12.
145

progéniture importante, symbole de bénédiction ancestrale. C’est d’ailleurs ce qui ressort de


ses propos de Jean Joseph Chendjou lorsqu’il affirme :

Une des caractéristiques de la richesse était donc de ne pas être seulement financière ou de n’être pas
seulement dans un état de sécurité matérielle, mais de permettre une situation heureuse partagée par
l’entourage car la richesse ne doit pas être solitaire. Il y a de ce fait dans la richesse une notion de
solidarité souvent difficile à expliquer. Ainsi par exemple un bamiléké est heureux lorsque dans le
malheur come dans le bonheur il se sent fortement entouré 343.

Il ressort explicitement de ces propos, que la conception de la richesse en pays Binam


est étroitement liée à la notion de solidarité (qui en constitue le socle inavoué) dans la mesure
où, la richesse est un moyen non de jouissance individuelle exclusive, mais un moyen
matériel d’assistance de l’entourage, aussi bien dans des circonstances joviales que tragiques.

De ce qui précède, on remarque que la conception du mariage des Kemetyou présente


des similitudes frappantes avec celle du peuple Binam précolonial. En effet dans ces deux
espaces culturels, le mariage ici est une institution sacrée parce qu’il procure du bonheur aux
familles concernées, mais aussi concoure à resserrer définitivment les liens familiaux par la
venue d’un enfant.

Au terme de ce chapitre, il ressort que la miscibilité de l’éthique et de l’éducation a


impregné l’action humaine au point d’mpacter la quasi-totalité du fonctionnement politique,
économique et sociale de ces deux espaces culturels. Les rétombées analysées à kemet, ne
sont pas très différentes de celles observées chez le peuple Binam de Bandjoun et de
Bangangté. La recherche alors de la justice semble être au cœur même de la conception
anthropocentrique de la politique. La politique ici, n’est que l’art de bien gouverner les
hommes, en veillant à leur bonheur et à leur sécurité. L’économie c’est le fait de garantir une
production efficiente pour une meilleure justice distributive. Le social enfin, c’est le fait de
considérer le mariage comme une source de renforcement de liens sociaux, et donc d’union.

J.J. Chendjou Nganso, ‘‘Les Bamiléké de l’Ouest-Cameroun : Pouvoirs, économie et société (1850 – 1916)’’,
343

Thèse de Doctorat 3ème cycle en Histoire, Université de Paris I, Panthéon- Sorbonne, 1986, p.454.
146

CONCLUSIONGENERALE
CONCLUSION GENERALE

En entreprenant cette étude, nous entendions à travers une perspective culturaliste et


fonctionnaliste dégager le plus clairement possible, la place de l’éthique dans l’éducation en
Afrique ancienne. Y avons-nous totalement réussi ? Nous ne le savons. Toujours est-il que
nos investigations à travers un pèlerinage tant dans l’ancienne Egypte que dans l’espace
Binam précolonial, nous ont permis d’aboutir à un certain nombre de constats. Premièrement
nous avons constaté que l’éthique et l’éducation en Négro-culture, constituent deux réalités
corrélatives parfaitement imbriquées l’une dans l’autre en raison des lois de causalité et de
réciprocité qui les unit. Parconséquent elles ne peuvent être analysées séparement, si ce n’est
en synergie. En effet l’éthique en tant que cadre normatif de l’action individuelle, oriente et
encadre la conduite des membres d’une communauté dans l’atteinte d’un idéal de vie sur le
plan social. De son côté l’éducation en tant que forme d’apprentissage et d’initiation à un
savoir-vivre et savoir-faire spécifique, est un accouchemement collectif qui fait de l’individu,
le réflet du groupe d’abord, et de la société par extension. L’individu n’est donc finallement
que le fruit d’un processus participatif qui témoigne du souci de la société de former un type
d’homme. Mais ce serait idyllique, voire illusoire de croire que ce savoir-vivre et ce savoir-
faire des Africains anciens, sont le fruit du hasard, ce qui nous a conduit au deuxième constat.
En effet, l’éthique Egypto-africaine, que l’on appelle Maat, principe organisateur du monde
dont la complexité s’explique par la diversité des significations qu’elle peut revetir, ne saurait
se définir par la fortuité. La psychologie et le comportement tant des Egyptiens anciens que
du peuple Binam antécolonial au Sud Sahara face à la nature, ne sont mécaniquement que le
réflet de la combinaison de plusieurs données, qui impriment un comportement particulier à
l’Africain. L’éthique et l’éducation des négro-africains depuis la vallée du Nil à l’univers
Binam, est une réalité qui s’est progressivement construite au contact de multiples réalités
d’ordre géographique et culturel. Toutes ces variables ont permis d’en déduire que la pensée
et les comportements humains ne sont pas des données anthropologiques immuables, car elles
s’adaptent et se façonnent à la mesure des conditions imposées par l’environnement, mais
aussi l’influence durable des croyances magico-religieuses qui s’enserrent dans un univers
culturel bien conçis. De plus, en parcourant les multiples avantages que procure l’approche
qualitative mettant en relief la mentalité et les comportements humains dans une société, cela
a permis d’établir à travers un examen anagogique des Sagesses égyptiennes et de la tradition
orale Binam, le troisième constat de cette étude : celui de savoir que les Enseignements
147

moraux conjugués aux éléments de l’oralité Binam, ne sont pas des données à vocation
récréative. En effet, nous avons observé le fait selon lequel, les Maximes Kmtyw et les récits
Binam, expriment généralement les préoccupations multiples de leurs sociétés du point de vue
philosophique, moral, politique, religieux et se veulent subséquemment être des guides
réflexifs personnels. Tous ces ressorts de l’éthique en Afrique ancienne ont logiquement
influé sur l’agir des hommes sur un triple plan (politique, économique et social) : d’où le
quatrième et dernier constat posé. L’éthique et l’éducation se trouvent même au cœur de
l’action politique, économique et social des hommes dans leur société.

Cependant, la mondialisation aujourd’hui entant qu’uniformisation des cultures, est un


fait dont ne saurait faire abstraction l’Africain. C’est une macro-réalité effective
transnationale caractérisée par une suppréssion quasi-totale des frontières entre les peuples.
Cette suppression des frontières concoure malheureusement dans une certaine mesure, à
l’absorption des cultures minoritaires ou cultures receptrices (Sud), par les cultures
dominantes ou cultures donatrices (Nord). La seule option féconde qui reste alors à l’Africain
dans ce contexte, est d’adopter une démarche transculturaliste. La transculturation est une
approche, qui met l’accent sur le fait que lors de l’interpénétration culturelle, chaque culture
consciente des enjeux que cela présente, choisit non pas de dominer l’autre, mais emprunte
plutôt des éléments nouveaux qu’elle juge susceptibles de l’enrichir (on parle aussi
d’éclectisme). C’est une approche qui met en valeur l’enrichissement interculturel tout en
vitupérant la moindre velléité de domination de l’une sur l’autre. Pour le peuple africain en
général et Binam en particulier, il s’agit ainsi de rester polariser sur ses traditions ancestrales
séculaires, tout en essayant de prélever dans l’école occidentale ce qu’elle a de positif, et
élaguer ce qu’elle a d’excessif. C’est dans cette logique que semble abonder Pierre Erny,
lorsqu’il affirme : ‘‘la culture, ce n’est pas l’emmagasinement du savoir, mais l’aptitude à
nouer des relations, à répondre aux défis, à critiquer les acquis de l’expérience humaine
présente et passée en se les incorporant et en les traduisant dans une action créatrice’’344.

Il est donc temps que, les Africains en quête d’un développement endogène (ce qui
n’exclut pas qu’ils s’ouvrent aux autres cultures), songent à resilier urgemment leurs
compétences aux nouveaux besoins de la mondialisation s’ils ne veulent pas être condamnés à
vivre éternellement sous l’éteignoir.

344
P.Erny, l’Enseignement dans les pays pauvres, modèles et propositions, Paris, Harmattan, 1977, p.83.
148

Entretien avec le Dr Fotso Justin, théologien, ethnologue et traditionaliste, 79 ans,


Bandjoun

Z.O.M : Bonjour monsieur Justin Fotso

F.J : bonjour mon fils

Z.O.M : pouvez-vous s’il vous plait nous décrire la conception du savoir-vivre (éthique) chez
les peuples de l’Ouest-Cameroun ?

F.J : l’éthique ou le savoir-vivre chez les peuples de l’Ouest-Cameroun en général, et


Bandjoun en particulier, c’est rechercher le bien dans tout acte que l’on pose dans la vie. C’est
pratiquer la justice et dire ce qui est vrai contre le mensonge. C’est également le respect dans
le vécu du milieu ; c’est au final le fait d’adopter un comportement honorable dans toutes
situations de la vie ou circonstances quelconques.

Z.O.M : Est-ce donc dire que l’éthique se resume en une certaine manière de vivre et de
penser en société ?

F.J : chez nous, on dit ‘‘hier m’a conçu, aujourd’hui m’a accouché et demain m’a pris et m’a
mis dans la terre’’ ; c’est pour dire que l’éthique, c’est le fait de vivre chaque étape de la vie
pour être heureux. Le savoir-vivre chez nous les Bandjoun, c’est savoir comment plaire à
l’autre et etre content que l’autre soit content. A cet effet on dit en Ghomàlà, ‘‘mum teum diè
keke’’, c’est-à-dire quelles sont les causes qui t’ont fait sortir de chez toi pour venir me
rencontrer. Cela permet qu’on puisse échanger. L’éthique au sein du village ou de la chefferie,
c’est le fait de savoir s’arrêter devant un ainé et de pouvoir le saluer en lui demandant de ses
nouvelles et celles de sa famille ; il peut ne pas te repondre que cela ne te décourage pas, salue
le quand même tu auras accompli ton devoir. L’éthique chez les peuples de l’Ouest, c’est en
outre savoir prendre avec deux mains ‘‘ntu nteu ntubu’’ ce qu’on vous donne car, la gratitude
est une valeur sacrée à l’Ouest. C’est enfin savoir respecter le bien d’autrui, et savoir
reconnaitre sa place dans la société.

Z.O.M : et dans cette recherche du bonheur social, quelle est la place des ancêtres
(Mpfési), quand on sait qu’ils constituent le cœur même de la spiritualité Binam ?

F.J : L’éthique, c’est suivre la voie tracée par les ancêtres, parce qu’ils ont été des exemples
quand ils étaient encore en vie ; c’est essayer de copier leur exemple pour recevoir les
bénédictions qu’ils ont reçu de leur vivant. Si on les appelle ancêtres, c’est parcequ’ils ne sont
149

pas morts en réalité, et qu’on continue de se souvenir d’eux à travers les œuvres qu’ils ont
laissées à la postérité. Si ils sont important, c’est parcequ’on peut palper, contempler les
œuvres qu’ils ont laissées, et surtout évaluer le degré de patience qui leur a fallu pour les
realiser. Même après la mort, ils continuent de vivre pour nous rappeller de ne point s’écarter
du chemin qu’ils ont frayé pour notre réussite. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à sanctionner
ceux qui transgressent leur règle, et bénissent ceux qui leur obéissent. Les ancêtres sont une
espèce de protecteurs invisibles du village. Moi par exemple, à mon âge, quand je me lève
chaque matin, je m’en vais me recueillir sur la tombe de ma mère derrière la concession. Je la
salue et lui demande de ses nouvelles, puis je lui demande de veiller sur ma famille et de me
reserver une place la-bàs.

Z.O.M : Mr. Justin Fotso, nous savons à quoi renvoie à present l’éthique dans l’espace Binam,
mais que peut-on dire de la conception de l’éducation dans le pays ‘‘Bamiléké’’ ?

F.J : éduquer chez nous, c’est ‘‘djite’’ ou ‘‘dagne’’, c’est-à-dire apprendre à faire quelque
chose, d’où les expréssions telles : ‘‘ge wo dagne jupche’’, j’apprends à chanter, ou ‘‘ge wo
dagne na nang’’, j’apprends à danser. L’éducation c’est la transmission du savoir traditionnel
à un enfant, en vue de le faire grandir pour intégrer pleinement la communauté, le village.
Quand on éduque, le souci majeur est d’amener l’enfant à faire comme nous, à copier ce
qu’on lui montre pour qu’il soit accepté de tous. Car l’enfant n’est pas appelé à rester
seulement avec ses parents ou sa famille, mais il est appelé à vivre avec tous les membres de
la communauté ; il faut donc que chacun puisse se reconnaitre en lui. L’éducation est donc
une reproduction de la vie mais en essayant d’apporter des nouveaux éléments pour
l’embellir. C’est pourquoi chez nous on dit, ‘‘mou san dje ne pa ko peu bi fé’’, c’est-à-dire,
l’oiseau connait tisser son nid en regardant comment son frère fait. L’éducation permet à un
enfant d’intégrer les valeurs sociales, de vivre conformement en société et d’évoluer avec elle.
L’éducation est donc une transmission des valeurs sociales.

Z.O.M : et quelles sont ces valeurs qui sont transmises ?

F.J : ici au village, on reconnait qu’un enfant est bien eduqué, par plusieurs signes extérieurs :
la politesse, le travail, le partage, l’amitié, l’amour, la droiture ou la rectitude.

Z.O.M : mais est ce que ce savoir-vivre n’a pas évolué avec le temps, quant on sait que le
blanc est arrivé avec sa mentalité ?
150

F.J : biensûr. La colonisation a eu des effets sur la manière de vivre des villageois. Comme
toute rencontre des cultures, elle est une bonne et mauvaise chose à la fois. Bonne chose
parcequ’elle a permis la construction des écoles, et autres infrastructures permettant à l’enfant
de s’épanouir.

Z.O.M : et qu’a-t-elle eu de négatif ?

F.J : vous savez, aujourd’hui à Bandjoun, on observe de plus en plus un certain recul des
traditions, face à l’avancée des technologies dont j’ai en parlées. Les enfants s’instruisent par
la télé, par les resaux sociaux, ce qui tend à amenuiser le rôle éducatif des parents.

Z.O.M : pensez vous que ce soit une mauvaise chose alors ?

F.J : non, mais seulement comme ils (les enfants) voyent ce qui se passe ailleurs, cela les
amène à se désinteresser absolument des contes, des épopées, bref la tradition orale. En
dehors de la chefferie à Hiala, symbole vivant des coutumes et interdits, les familles à Leng
djo vivent les traditions différemment dans leurs maisons. Autrement dit, il y a des maisons
où elles sont encore appliquées rigoureusement, et d’autres où les parents tendent à l’assouplir
du fait qu’ils sont convaincus qu’elles sont caduques aujourd’hui. L’Etat est en partie
responsable de cette situation déplorable.

Z.O.M : et pourquoi l’Etat en est partiellement responsable de ce recul des traditions, quand
on sait qu’il lutte pour un retour vers nos langues ?

F.J : c’est ce qu’ils disent tous les jours. Mais en réalité, il n’y a plus ici à Bandjoun
l’enseignement des langues, on n’écrit plus nos langues. Tout se rédige en français, même nos
enfants à la maison, on leur dit des petites expréssions en Ghomàlà. Mais en réalité, en partant
à l’école, le maitre ou le professeur dialogue avec eux, rarement en Ghomàlà, mais plus en
français ou en anglais. Et cela entraine petit-à-petit, la mort de nos cultures et traditions. C’est
l’Etat qui doit prendre ce problème au serieux, car les pays développés n’ont jamais
abandonné leurs langues, comme c’est le cas de la Chine, l’Inde. Dans ces pays, leurs langues
sont parlées en premier, et les autres langues viennent en second.

Z.O.M : Dr Justin Fotso, je vous remercie.

Entretien avec Talom Desiré, notable au conseil des sept, 35 ans, Bandjoun

Z.O.M : Bonjour monsieur le notable,


151

T.D: bonjour monsieur

Z.O.M: comment se conçoit l’éthique, c’est-à-dire la vie en société chez les peuples de
l’Ouest-Cameroun ?

T.D : vous avez bien fait de dire à la fin ‘‘vie en société’’, car l’éthique chez les bamiléké,
c’est la manière de vivre avc les gens au village tous les jours ; il y a une conduite à tenir
quand on vit avec les gens, pour être accepté par tout le monde. Ainsi savoir vivre c’est savoir
chercher à plaire aux autres, c’est vouloir qu’ils soient d’abord heureux. C’est en un mot
rechercher la paix dans nos relations avec autrui.

Z.O.M : et comment se manifeste ce savoir-vivre chez l’enfant ?

T.D : le savoir-vivre ou la vie en société pour l’enfant, c’est de savoir que le repas se prend en
famille autour du père, car le repas a une plus grande valeur lorsqu’il est pris en communauté.
C’est le fait de savoir saluer les ainés, s’incliner chaque fois qu’on les voit en signe de respect.

Z.O.M : à vous suivre, on peut dire que le savoir-vivre à l’Ouest se resume donc en une
somme d’interdits, de nature à mouler le comportment individuel ?

T.D : le savoir-vivre, c’est l’ensemble des interdits qui regulent dans un village, la vie en
société. Moi par exemple, très tôt j’accompagnais mon père partout oú il allait, je l’assistais
dans toutes ses initiatives. Je portais son sac, je me tenais toujours près de lui, et non derrière
lui. C’est comme cela qu’il m’a fait connaitre des autres notables, et m’a introduit dans les
sociétés de la chefferie. Une fois là bàs, j’attendais à l’exterieur, pendant que mon père était
en réunion avec les autres notables ; je n’y entrais que pour servir du vin de raphia, et des
kolas, puis je regagnais l’extérieur. Lorsque je rentrais à la maison, je ne pouvais m’asseoir
sur le fauteuil de mon père, même en son absence. Je ne pouvais non plus désobéir au
moindre de ses ordres, car ici en pays bamiléké, le fils doit marcher sur les traces de son père,
parceque ce dernier connait ce qui est bien pour lui.

Z.O.M : à part ces interdits d’ordre familial, y a t-il d’autres ?

T.D : évidemment il y a en plusieurs. Par exemple chez nous (à Bandjoun), les femmes n’ont
pas le droit de travailler au champ pendant la période du kè ou ngoukè, ou année de la magie.
Ce sont les hommes qui les remplacent durant cette période. Elles n’ont pas également le droit
de pleurer à l’annonce de la mort du chef ou de celle d’un grand notable. A coté de cela, il est
152

aussi interdit aux enfants de sortir la nuit à une heure tardive, s’ils ne sont accompagnés d’un
adulte.

Z.O.M : et quelle en est la raison si cela n’est indiscret ?

T.D : vous savez quelqu’un a dit ‘‘les morts ne sont pas morts’’. En effet la nuit à Bandjoun
pour ceux qui appartiennent à des sociétés secrètes, savent que c’est le moment ou les
personnes mortes qui n’ont pas été admises dans le monde des Mpfesi à cause de leur
mechanceté, errent dans le village. Mais comme elles ont été cruelles durant leur vie, elles
sont susceptibles de faire à nouveau du mal aux enfants innocents. Une autre raison est que, si
l’on interdit aux enfants de sortir la nuit à une certaine heure à Bandjoun, c’est parcequ’en
réalité, c’est le moment ou les totems ou doublures de grands notables et parfois celui du roi
se rejoignent pour se lancer dans des expéditions punitives contre les ndim ou tout fauteur de
troubles (…) c’est aussi parceque la nuit chez nous à Bandjoun, est un moment favorable à la
manducation. C’est pourquoi les parents étaient tenus d’interdire strictement à leurs enfants
toute sortie nocturne tardive.

Z.O.M : monsieur Talom, vous avez montré ce que c’est le savoir-vivre dans la société
Bamiléké en général, et Bandjoun en particulier, pouvez-vous à présent nous ressortir ce
qu’est l’éducation chez les peuples de l’Ouest-Cameroun, en quoi consiste-t-elle exactement ?

T.D : Chez nous, éduquer, c’est montrer à un enfant le chemin à suivre pour être un exemple
en lui prodiguant des conseils. C’est transmettre à l’enfant, le savoir qui lui permettra de
s’asseoir avec les adultes ; mais cela doit suivre des étapes précises. Chez nous tout le monde
éduque et montre à l’enfant ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. La maman par exemple,
chaque soir lorsqu’elle prépare, raconte des histoires aux enfants qui se retrouvent autour du
grand feu. Les enfants écoutent les histoires, et retiennent la leçon que la maman en tire de
chaque conte narré. Le père comme je l’ai dit tantôt, a pour rôle d’initier son fils à son metier,
en l’amenant ou il travaille, en lui montrant comment cela se passe, bref préparer l’enfant à
prendre sa relève. Les oncles paternels jouent aussi un rôle, car ils aident le père à former
l’enfant. Moi par exemple, c’est auprès de mon oncle que j’ai appris l’électricité, et quelque
technique de chasse. Bien que je sois un notable à la chefferie, je vis surtout de mon métier
d’électricien, et de la vente de quelques gibiers que je capture parfois. C’est le fils et non la
fille, qui est appellé à être le chef de famille (héritier) si le père vient à mourir. C’est
pourquoi, l’initiation du garçon est l’une des plus grandes priorités du père à l’Ouest.
153

Z.O.M : et que se passe t-il pour la fille ?

T.D : la fille c’est différent ; on se dit qu’elle est appelée à se marirer et donc à s’établir dans
sa belle-famille. Cela dit, la fille apprend aux cotés de sa mère, mais aussi de ses tantes.

Z.O.M : et que lui montre t-on ?

T.D : en dehors de la cuisine et des travaux champêtres, on lui montre tout ce qu’elle devra
faire dans sa belle-famille, puisqu’elle est appelée à se marier, avoir des enfants pour
perpétuer la lignée familiale. Ce sont les deux choses sur lesquelles repose son initiation. Mais
le plus important pour elle, est d’accouchez, car cela lui permet de mieux comprendre
certaines réalités de la vie.

Z.O.M : l’enfant a-t-il une si grande valeur dans la société Binam ?

T.D : l’enfant a une grande importance chez les bamiléké. Il nous apprend à être responsable,
à savoir s’occuper des autres, à savoir se préoccuper mieux des autres ; le chef par exemple,
est celui là qui est appelé à proteger des vies, de veiller sur les individus qui occupent la terre
de ses ancêtres ; mais comment pourrait-il protéger des vies s’il n’a pas encore fait lui-même
l’expérience de la paternité ? C’est pourquoi son initiation dans la maison sacrée du la’akam,
constitue un test, une épreuve de neuf semaine pour voir s’il peut produire la vie, s’il est à
même d’en grosser la djuikam, cette femme qu’on lui donne au la’akam. Autrement dit on
veut éprouver sa virilité et surtout sa fécondité, car un chef qui ne peut procréer, ne peut
comprendre en réalité les véritables enjeux de sa mission future, l’ampleur des tâches qui
l’attendent. Si après son initiation, il en sort sans avoir engrossé la femme qui lui a été donnée
pour lui tenir compagnie durant sa réclusion, on dit alors ‘‘ Fô be ko la’akam, peu yim
nedjo’’, c’est-à-dire rien ne s’est passé de concret, attendons voir ce qui se passera lorsqu’on
lui donnera prochainement, une femme encore en âge de procréer.

Z.O.M : mais ce savoir-vivre a connu des changements certainement liés à l’arrivée du blanc ?

T.D : oui, on le voit aujourd’hui. Le monde a changé, il faut accepter que nous pouvons plus
vivre comme autrefois, car nos grands-parents étaient confrontés à des réalités qui ne sont
plus tout-à-fait les mêmes que rencontrent les générations actuelles. Mais on essaye seulement
d’évoluer avec le temps, c’est-à-dire en adaptant nos traditions et coutumes aux différents
changments sans toutefois en modifier le fond. Par exemple il y avait un tribut, appelé collecte
culturelle pour le chef à l’époque de mon grand-père qu’on se vevait de payer obligatoirement
154

au chef du village. Personne ne devait s’en soustraire ; il était exigé par les membres de la
chefferie, et chaque famille se devait de prelever dans sa récolte quelque chose pour l’offrir au
Fô. Le chef alors avait d’énormes avantages car, tout le monde veillait toujours à lui apporter
des presents régulièrement. Mais depuis, les choses ont changé à Bandjoun, car, les gens
n’offrent plus comme avant les cadeaux au chef ; certains ne se sentent même plus obligés de
le faire, car rien ne les contraint juridiquement. Le chef survit maintenant grâce au patrimoine
de ses ancêtres, mais aussi et surtout du droit d’entrée dans les différentes confréries et
associations de la chefferie, du droit d’implantation d’un étranger sur ses terres (bien que c’est
rare), et enfin des âmes de bonne volonté encrées encore dans la tradition malgré les ravages
de la modernité.

Z.O.M : monsieur le notable, je vous remercie.

Entretien avec Chemgne Temwo Isidore, menuisier, 54 ans, Bandjoun

Z.O.M : Bonjour monsieur Chemgne,

C.T.I : bonjour

Z.O.M : pouvez-vous nous dire comment se déroule l’éducation des garçons à Bandjoun ?

C.T.I : lorsque l’enfant nait, et plus précisement dans un foyer polygamique comme cela est
fréquent ici, ce sont les coépouses de sa mère qui s’occupent de lui les premiers jours. Elles
s’occupent également de la maman en lui donnant en manger. Si ce sont les jumeaux qu’elle a
accouché, on place des tiges de pfuokeng (arbre de la paix) devant l’entrée de la maison. C’est
tout l’entourage qui vient alors participer à la joie de la famille concernée. Les voisins
apportent des presents tels que : de l’huile, du sel, le savon, les macabo et les ignames. Le
père étant le chef de famille, c’est-à lui que revient le droit de donner un nom à l’enfant.

Z.O.M : et lorsque l’enfant grandit, comment se passe son initiation ?

C.T.I : dès qu’il a atteint un certain âge, il entre dans des sociétés de classes d’âge, qui
regroupent les enfants de son âge. Le but est de lui transmettre les règles qui assurent le
fonctionnement du village. Il entre d’abord au mekué, puis au madjon. Dans la première
société, il doit ramener le bois durant sa formation, aux differents responsables du quartier. En
le faisant, il rentre dans leur estime et s’attire de leur grâce. Dans la seconde, il est formé à
participer aux travaux manuels, à la construction des cases, la refection des barrières et
toitures.
155

Z.O.M : et lorsqu’il a achevé son éducation à travers ces deux structures, comment se déroule
son apprentissage à un métier ?

C.T.I : à Bandjoun, c’est le père qui initie le fils à son métier futur. Les garçons ici, sont
appelés à quitter vite la maison pour se marier. Or avant de se marier, ils doivent avoir les
moyens pour pouvoir entretenir leurs femmes. C’est pourquoi, très tôt, vers l’âge de 12 ans, le
père amène le fils partout où il va, pour familiariser son enfant au métier qu’il exerce. Il lui
montre les méthodes de travail, l’utilisation des instruments.

Z.O.M : mais que se passe t-il au cas où le fils ne caresse pas le rêve de suivre son père ? Que
fait le père à ce moment ?

C.T.I : tous les enfants à l’Ouest, ne marchent pas forcément sur les traces de leurs parents ;
l’enfant peut avoir des aptitudes à faire un métier autre que celui de son père. Dans ce cas, le
père l’oriente alors vers la personne qui peut le former. Il passe un contrat avec cette
personne, paye le matériel d’apprentissage, et envoie soit de l’argent, soit des provisions à la
famille chargée de l’accueillir.

Z.O.M : vous êtes menuisier, pouvez vous nous dire comment s’est justement déroulé votre
apprentissage ?

C.T.I : comme je vous l’ai dit, la formation d’un enfant à Bandjoun se fait auprès de son père
ou de ses oncles, ou même auprès des amis de son père. Moi mon père était agriculteur, mais
je m’intéressais beaucoup plus au travail du bois ; je passais tout mon temps durant les
vacances, dans la menuiserie de mon oncle. Je regardais comme il fabriquait les meubles, et
petit-à-petit, la passion pour ce métier est née. Lorsque mon père a descellé mes aptitudes
pour ce métier au regard des travaux que j’effectuais à la maison, après mon cap, il m’a
envoyé vivre chez mon oncle pour approfondir mes connaissances ; j’y ai passé pratiquement
trois ans. Et à la fin de chaque mois durant mon apprentissage, ma mère envoyait à mon oncle
des sacs d’arachide, un peu d’huile rouge, du sel, sans oublier des tubercules. Cette façon de
former à l’Ouest est très courante car, quand le père ne peut pas former l’enfant dans le métier
qu’il fait, il étudie les aptitudes de son fils, et en parle à ses frères, ou même à ses amis. Si
ceux-ci font un métier auquel correspondent les aptitudes de l’enfant, le père établit un contrat
avec l’oncle ou l’ami qui exerce le métier ; cette manière de former est utile, car elle permet
au fils de vite être indépendant de sa famille, et de remplacer son père demain.

Z.O.M : monsieur Chemgne je vous remercie.


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Entretien avec Madame Kamdja Bogni Léontine, menagère, 57 ans, Bandjoun

Z.O.M: Bonjour madame Kamdja

K.B.L: bonjour

Z.O.M: la manière d’elever un enfant ou un individu, varie d’une communauté à une autre au
Cameroun. Dans le grand Ouest-Cameroun, et à Bandjoun, comment cela fonctionne t-il ?

K.B.L : chez nous, lorsqu’une femme est enceinte, c’est la maman qui s’occupe d’elle, qui lui
donne des conseils, qui lui montre les nouvelles attitudes à adopter, car, cela influence le
comportement de l’enfant qui va naitre. C’est pourquoi, il est recommandé à la jeune femme
enceinte, d’adopter un nouveau mode de vie, car s’il si elle est gourmande ou belliqueuse par
exemple, son enfant risque de ne pas échapper à ses defauts. Lorsque l’enfant nait donc, c’est
la mère de la nouvelle maman, aidée de ses sœurs, qui lui administrent les premiers soins
traditionnels. Si la nouvelle mère, vit dans un foyer polygamique, les autres épouses ont pour
devoir de l’assister sans toutefois remplacer sa mère. C’est toujours sa mère qui est la
première personne à la secourir dans cette opération.

Z.O.M : et lorsqu’il (l’enfant) grandit, qui prend concrètement en charge son encadrement ?

K.B.L : lorsque les enfants grandissent, les parents s’occupent de leur encadrement selon les
sexes. Si c’est le garçon, il est pris en charge par son père et ses oncles, tandis que si c’est la
fille, sa mère en assume la responsabilité, mais aussi ses tantes et toute autre femme dans le
village ayant déjà accouché. En effet, la maman chez nous, c’est toute femme qui, par une
certaine expérience est susceptible d’accompagner l’enfant vers l’âge adulte, en lui prodiguant
de precieux conseils. C’est pour cela qu’à l’Ouest, la maman n’est pas seulment celle qui a
enfanté, mais toute femme qui, en raison de sa vie exemplaire, est jugée capable de s’occuper
d’un enfant.

Z.O.M : comment se passe justement l’apprentissage de la fille à Bandjoun ?

K.B.L : je vous ai dit que la fille est elevée par sa mère mais aussi par ses tantes, et toute autre
maman au village car, le but est de lui donner un encadrement qui fasse consensus au sein de
la communauté. Etant petite, sa maman lui apprend la cuisine, à servir des étrangers, à se tenir
en public, et à savoir cultiver la terre. Ces différents éléments de son apprentissage ont pour
fonction, de lui permettre de trouver un mari. L’objectif lorsqu’on élève la fille à l’Ouest,
157

c’est de la preparer à être une bonne épouse, mais aussi une bonne maman, celle là qui couvre
d’affection sa progéniture et veille à son encadrement.

Z.O.M : comment demande t-on en mariage une femme à l’Ouest en général, et chez les
Bandjoun en particulier ?

K.B.L : chez nous, c’est le père qui donne en mariage sa fille ou ses filles lorsqu’il a payé la
dot de sa femme. S’il n’a pas doté sa femme, c’est le grand-père maternel ou son representant
qui devient le ‘‘ta nkap’’, c’est-à-dire le père de l’argent. En clair, dans cette lancée, c’est le
grand-père de derrière qui donne ses petites-filles en mariage et perçoit leur dot. Ainsi la
cérémonie se déroule d’une manière banale. Le papa d’un garçon lui fait savoir qu’il a trouvé
une femme, celle avec qui, il devra batir son foyer. Après le papa du garçon accompagné de
quelques membres de sa famille, amène son fils pour rencontrer sa future belle-famille. Ce
moment est important car, c’est une occasion pour les deux familles de se jauger, d’évaluer la
moralité des futurs mariés. C’est aussi une opportunité pour ces deux belles-familles, de
mieux se connaitre, et de faire part des préoccupations qui taraudent chaque membre. Après
cela, le père du garçon dépose sur la table des invités, une calebasse de vin de raphia ou vin
blanc, qu’il partage avec le père de sa belle-fille. Après ce moment de partage du vin entre les
beaux-pères, le père de la fille prend la parole pour clarifier ce qui les a amenés à se
rassembler. Puis il en profite, pour retracer les différents événements qui ont ponctué la vie
de sa fille de l’enfance à l’âge adulte, tout en montrant que c’est une grande satisfaction pour
lui, de la voir quitter le toit familial pour bâtir le tien ailleurs, chez un homme dont il a
reconnu les qualités, et le mérite. Après ce discours, l’héritier du grand-père paternel du
garçon et celui du grand-père de derrière de la fille, partagent ensemble à leur tour, une
cuvette de vin, ceci, afin de temoigner leur accord pour l’union de leur enfant. Le papa de la
fille peut alors fixer la dot de façon symbolique. Ensuite la fille reçoit la bénédiciton des
membres de sa famille, une sorte d’adieu, avant d’être amenée par ses oncles paternels dans la
case sacrée (case des crânes). Là bàs, il est question pour elle, de faire savoir aux ancêtres,
que le temps pour elle, est venu de quitter définitivement la maison de son père pour rejoindre
celle de son mari. C’est alors à ce moment que, ses oncles paternels prennent la calebasse
rempli de vin blanc, et aspèrgent les crânes avec cela, en guise de communion en ce moment
de joie. C’est après toute cette cérémonie, que les festivités peuvent réellement commencer.

Z.O.M : madame Kamdja je vous remercie.

Entretien avec Mr Kamga Watio André, 58 ans, opérateur économique, Bandjoun


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Z.O.M: Bonjour Mr Kamga Watio

K.W.A: bonjour

Z.O.M: pouvez vous nous dire quelle est la conception de l’enfant à Bandjoun ?

K.W.A : l’enfant est considéré d’abord comme une source de joie dans la famille au sein de
laquelle il nait. Il est une source de joie parceque, sa venue est considérée par les autres
membres de la famille comme étant une bénédiciton des ancêtres. En plus, l’enfant est
considéré comme étant aussi, une main d’œuvre supplémntaire, en ce sens qu’au fur à mesure
qu’il grandit, il met alors ses capacités physiques au service de ses parents et de la
communauté toute entière. C’est pourquoi très tôt, les parents en vue d’assurer la relève, lui
inculquent les valeurs qui régissent la vie en communauté, ceci afin d’accélerer son
intégration au sein du village. Il est donc considéré comme celui-là, qui vient épauler les
parents dans leurs travaux quotidiens, et aussi, celui qui garantit leur vieillesse en toute
tranquilité.

Z.O.M : y a-t-il des structures traditionnelles qui assurent son éducation sur le plan
communautaire ?

K.W.A : A Bandjoun il y en a plusieurs, notamment le mekue et le madjon. Ces structures ont


été instituées par les fondateurs du village pour encadrer la formation des garçons à Bandjoun.
Elles mettent l’enfant à l’épreuve, et lui transmettent les valeurs sur lesquelles repose la vie au
village ; ces valeurs sont le mérite, le travail, l’endurance, le respect, et la solidarité. En
intégrant ces différentes structures, l’enfant prend progressivement connaissance de l’esprit
qui préside aux échanges individuels, au rapport entre petit-petit, grand-grand, ou petit-grand.

Z.O.M : à quel niveau interviennent les grands-parents dans ce processus ?

K.W.A : les personnes agées à Bandjoun, sont considérées comme etant les représentants des
ancêtres, car, si elles sont encore en vie, c’est parceque les ancêtres voudraient certainement
qu’elles servent de guide aux jeunes générations. C’est pour dire lorsque les parents observent
une nette évolution ou, des changements dans la personnalité de l’enfant, généralement, les
personnes les plus indiquées pour mieux parfaire ce processus, sont les grands-parents.
Parcequ’ils maitrisent la langue et les réalités qu’elle vehicule et décrit, ils ont pour rôle de
l’enraciner dans sa culture. Et dans cette optique, les contes et les proverbes jouent un rôle
décisif, car, le conte ne met pas seulement en relief des personnages fictifs ou surnaturels
159

embarqués dans un événement précis ; le conte à travers les personnages et les événements
narrés, décrit les maux d’une société, et la conduite idéale à tenir pour y remedier. C’est
pourquoi au village, la tradition orale est un moyen de communiquer à l’enfant, le savoir-
vivre prescrit dans son environnement. Elle est donc, au même titre que les structures de
classe d’âge, le moyen d’intégrer l’enfant dans sa communauté ancestrale.

Z.O.M : et comment se déroule l’apprentissage de l’enfant à un métier ? Qui le forme ?

K.W.A : dans la société, la manière d’élever un enfant correspond au rang social de ses
parents, de sa famille. Je veux dire qu’il y a une façon d’élever les enfants des notables, des
chefs, des princes, des artisans, des agriculteurs. Par exemple, l’enfant d’un forgeron, n’a
certaienement pas le même encadrement que celui d’un wafo. L’enfant d’un forgeron est
appelé très tôt, à se familiariser aux metaux, aux instruments qu’utilise son père. Puisqu’il est
généralement appelé à marcher sur les traces de son père, il l’accompagne regulièrement dans
sa forge. Là il voit dans l’atelier, les différents instruments qu’utilise son père pour fabriquer
des outils à usage social, comme les outils agricoles, ou ceux destinés à la guerre. Lorsqu’il
atteint un certain âge, et que le papa le juge à présent apte à recevoir les connaissances que
requiert l’exercice du métier, le père entame la formation de son fils, en lui montrant les
rouages du dit métier. Il procède alors en deux phases : une phase théorique et une phase
pratique, comme dans les lycées techniques aujourd’hui. Dans la première phase, il expose au
fils, la fonction de chaque instrument ou objet notamment : les soufflets, le four haut de trois
mètre, le brasier et le fourneau. Dans la seconde phase, il est question de montrer à l’enfant,
comment on manipule ces instruements. Entant que petit-fils de forgeron, j’ai pu y avoir accès
à ce monde privilegié de la fonte du minerai, et observer comment cela fonctionne.

Z.O.M : pouvez vous s’il vous plait nous le relater ?

K.W.A : il faut savoir que les forgerons traditionnels coulent le fer à partir du minerai trouvé
dans le lit. Le four, haut de trois mètre, est en terre melangée avec de la paille ; il est toujours
bati sur une dénivellation. Une étroite ouverture à la base laisse voir une colonne de terre
creuse conduisant l’air venu des soufflets jusqu’au niveau du sol, base du brasier. La fonte du
minerai est un travail long et pénible, particulièrement pour celui qui active les soufflets
parfois en peau de chèvre, qui assurent une chaleur suffisante et continue dans le haut
fourneau. Après que le forgeron ne jette une poignée de minerai dans l’orifice supérieur du
four, le metal fondu commence alors à couler. Mais le travail du forgeron est loin encore
d’être terminé ; il doit par la suite, marteler longtemps cette portion de métal pour la rendre
160

utilisable. Puis il va l’écraser plusieurs fois sur une pierre plate afin d’en séparer tout le
mâche-fer ; enfin il va la chauffer dans des récipients de poterie jusqu’à la rendre pâteuse, et il
va la frapper sur l’enclume pour fabriquer les outils qu’on lui a commandés. Vous voyez bien
qu’il s’agit d’un métier particulièrment éprouvant. De tous les petits-fils de mon grand-père,
seuls deux, ont décidé de suivre ce chemin. L’un d’eux est implanté ici à Bandjoun, l’autre à
Banefo (après Bafoussam). Il s’agit donc, d’un métier qui peut exiger plusieurs années de
formation, pour que l’apprenant parvienne à produire les resultats escomptés.

Z.O.M : vous nous avez parlé de l’apprentissage du garçon à Bandjoun jusqu’ici, mais
comment se déroule celui de la fille ?

K.W.A : comme celui du garçon, l’apprentissage de la jeune fille se fait auprès de sa mère, de
ses tantes, et même auprès des autres femmes de la communauté. On lui apprend comment
elle doit se tenir en public, comment elle doit saluer les ainés et les servir. On lui apprend
également à cultiver la terre, à préparer, et quelque notion de couture. Si la jeune fille vit dans
une famille polygamique, les coépouses de sa mère, qui sont aussi ses mamans, ont le devoir
de lui montrer comment elle devra éduquer plus tard ses enfants.

Z.O.M : parlant de la polygamie, quelle conception les hommes se font-ils d’elle à Bandjoun ?

K.W.A : la manière de concevoir la polygamie ici à Bandjoun, est aussi valable partout dans
l’Ouest-Cameroun.Vous savez, j’ai dit que l’enfant est considéré chez nous, comme une
source de joie. La polygamie, c’est le moyen pour l’homme de maximiser ses chances d’avoir
une progéniture abondante, qui pourra perenniser sa lignée. Par les naissances, une
communauté prolonge son existence et renouvelle ses forces. En effet lorsqu’une
communauté est caractérisée par un taux de natalité faible, cela se fait ressentir sur son
dynamisme économique. Regardez la Chine aujourd’hui, ainsi que l’Inde, vous comprendrez
tout. L’exploitation de la nature exige une force de travail, une main d’œuvre. Or en faible
quantité, cette main d’œuvre ne pourra pas y arriver. C’est pourquoi la polygamie permet de
renforcer la main d’œuvre au sein du village, et ceci, par le biais des naissances. Elle n’est
donc pas une mauvaise chose comme veulent le faire croire les blancs, mais plutôt un moyen
de rendre heureux la famille en l’agrandissant. Elle est aussi un moyen pour la famille de
participer à la mise en valeur, des richesses du sol qu’ont conquis nos ancêtres, au prix de leur
sang.

Z.O.M : Mr Kamga Watio je vous remercie.


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Entretien avec Mr. Kouemo Choupa Simon Alphonse, notaire, 60 ans, Bandjoun

Z.O.M: Bonjour Mr Kouemo

K.C.S: bonjour

Z.O.M: nous avons remarqué tant à travers des ouvrages que lors de notre séjour à Bandjoun,
que, la vie, mieux l’existence humaine ici, a d’abord une signification religieuse. Chaque
concession de notable a son propre lieu sacré où est célébré le culte des crânes. Ce culte des
crânes est si important parfois qu’à la veille de son déroulement, il mobilise une foule de
personnes qui, viennent des quatre coins du pays pour y assister. Alors quel peut être le lien
qui existe entre le savoir-vivre chez les Bandjoun et le culte des ancêtres ?

K.C.S : chez nous, les gens des autres régions du Cameroun sont toujours étonnés devant les
importants déplacements de personnes que cette cérémonie sacrée provoque. A l’Ouest, pour
vivre longtemps, il faut chercher à imiter ce qu’ont fait les ainés en bien, il faut chercher à
reproduire les actes par lesquels se sont illustrés certains individus au sein de la communauté :
et ces individus ne sont autres que les ancêtres. Les ancêtres sont des personnes qui, de leur
vivant, se sont distingués par leur comportement exemplaire. Ils savaient intervenir
efficacement dans la résolution des conflits au village. Ils recherchaient toujours le bien et la
justice dans toute leur initiative. C’est pourquoi, une fois mort, on les elève au rang d’ancêtre.
Et en tant que tel, on doit les honorer frequemment en organisant, des cultes au cour desquels,
on leur fait des offrandes et sacrifices afin de bénéficier de leur bénédiction, leur conseil, leur
expérience. C’est pourquoi, tout bamiléké sait qu’il ne doit en aucun cas manquer, ce rendez-
vous crucial pour son devenir. C’est au cour du culte des ancêtres, que généralement,
l’héritier, qui est le principal officiant de la famille, soumet les problèmes de la famille aux
ancêtres familiaux. C’est pourquoi chacun doit être là, afin d’exposer aux crânes par
l’intermédiaire du ‘‘dzudie’’ (héritier), ses préoccupations, ses difficultés. Une absence
volontaire ou injustifiée à cette cérémonie, est interpretée comme étant un signe de mépris,
envers ceux-là, qui ont travaillé toute leur vie, pour nous faire jouir pleinement, du fruit de
leur labeur. Donc pour répondre à votre question, oui, il y a effectivment chez nous, un lien
très étroit entre le savoir-vivre et le culte des ancêtres. C’est la vie menée par ces derniers
durant leur passage terrestre, qui nous inspire, et nous pousse à agir dans le sens de la justice.
Le bamiléké sait qu’il doit travailler dur pour gagner honnêtement sa vie. Il sait que seul le
travail est la clé du succès, et le moyen pour lui, de continuer l’œuvre entamée par nos
ancêtres. Nos ancêtres ont combattu pour avoir l’espace dans lequel nous vivons. Ils ont
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travaillé dur également pour mettre en valeur les richesses de ce milieu. Le culte qu’on leur
rend est donc, pour nous, une occasion de témoigner notre gratitude.

Z.O.M : mais en dehors du prêtre heritier ou dzudie, quelqu’un d’autre ne peut-il pas célébrer
le culte des ancêtres ?

K.C.S : en dehors du dzudie, personne ne peut le faire car il y a, à cela, une raison simple.
Avant de mourir, le chef de famille qui, généralement est polygame, délègue son autorité
parmi toute sa progéniture, à un individu. Et quel que soit son âge et son sexe, les autres
devront respecter ce choix. Il y a aussi une autre explication qu’on peut y trouver à cela. En
effet, on dit souvent chez nous que, la sagesse est le privilège de la vieillesse. Lorsqu’un père
sur le point de mourir, rassemble ses enfants, et désigne l’un d’eux pour le succéder, ou
continuer son œuvre, il a longtemps refléchi sur ce choix. Ce choix n’est donc pas hatif, mais
il a été calculé méticuleusement. En plus de cela, si personne ne peut célébrer au sein de la
famille, le culte des Mpfesi en dehors du dzudie, c’est parcequ’il est celui-là, qui a reçu à
travers son père, le privilège ancestral de veiller sur la famille entière. C’est pourquoi, être
dzudie à l’Ouest, et à Bandjoun précisement, n’est pas le moyen de s’enrichir ou de dominer
les autres. Au contraire cela implique d’énormes responsabilités, d’énormes attentes de la part
de votre entourage familial. Il faudrait dès lors, juger avec droiture et impartialité, les
problèmes qu’on vous soumettra. C’est pourquoi pour réussir cette mission, le dzudie doit
demander impérativement l’aide des Mpfesi, car comme on le sait, nul n’est parfait. Afin de
resister à la tentation, et au malin, l’injustice, il doit implorer l’aide des Mpfesi, pour guider
ses pas, lui procurer l’intélligence requise.

Z.O.M : Mr Kouemo Choupa, je vous remercie.

Entretien avec Mr Nguemdjio Kouotsa Raphael, ingenieur agronome, 53 ans, Bandjoun.

Z.O.M: Bonjour Mr. Nguemdjio

N.K.R: bonjour

Z.O.M: comment conçoit-on la vie en société à Bandjoun ?

N.K.R : A Bandjoun, le savoir-vivre se conçoit comme le respect des règles édictées par la
chefferie, mais aussi comme l’intégration par un individu des interdits arretés par les ancêtres.
La violation de ces règles, et interdits est considérée comme une entorse grâve aux coutumes.
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Ici, on respecte tout le monde, chacun connait sa place, et personne n’est au-dessus des lois
du village, y compris le chef Bandjoun.

Z.O.M : comment ce savoir-vivre se perçoit-il sur le plan politique ?

N.K.R : le chef est la tête de la chefferie ; il est généralement désigné par le précédent à sa
mort, tout ceci sous le contrôle des puissants notables qui en gardent le secret. Le chef ne peut
pas tout diriger, c’est pourquoi il transmet une partie de ses privilèges au kwipou, wafo,
mkamvu’u, mkamsombue, wala ka et wala sissi, sans oublier les gouverneurs de provinces ou
de quartiers de la chefferie. C’est un exemple qui montre qu’il a conscience de ses limites, et
qu’il a besoin des autres pour remplir sa mission. Un autre détail de son pouvoir est que,
même s’il est le chef, cela ne veut pas dire qu’il peut prendre n’importe quelle décision au
détriment de ses collaborateurs. Le chef ici à Bandjoun, avant de prendre toute décision
importante, demande d’abord le consentement des grands notables, et les autres membres des
puissantes confréries mystiques. Ce sont ces différentes confréries qui lui autorisent à agir
d’une façon précise. Donc, la politique menée par le chef à Bandjoun, est très souvent le
résultat d’une action concertée, voire élaborée par les différents membres de la chefferie.
C’est pourquoi le chef ne fait pas ce qu’il veut, car son commandement est tempéré par
d’autres cercles, qui veillent à ce que, les règles de la chefferie, édictées par les mpfési
fondateurs, ne soient en aucun cas transgressées.

Z.O.M : et comment le chef perçoit-il l’organisation économique du village ?

N.K.R : je vous ai dit que le chef ne peut être present dans tout le village. C’est la raison pour
laquelle il est appuyé dans cette lourde responsabilité, par les chefs de quartiers ou ‘‘ta djé’’.
Lorsqu’un individu veut s’approprier d’une portion de terre, il va voir le chef de son quartier,
et celui-ci va voir le chef pour le lui fait savoir. Le chef transmet son agrement ou son refus
par l’intermédiaire du ta dje. Egalement, chaque habitant du village, avant l’arrivée du blanc,
devait verser aux representants du Fô, des impots qu’ils collectaient et allaient le donner au
chef. Le chef en outre, veillait aussi à la redistribution équitable des terres entre les villageois.
Il concedait de grandes parcelles à ceux qui voulaient créer des champs, car il encourage le
travail et reconnait le mérite de tout paysan. Lorsque le temps des récoltes était arrivé, chaque
paysan prélève dans sa récolte quelque chose pour le donner au chef. Cette manière de
procéder favorisait l’esprit de partage, mais aussi d’assistance mutuelle. De même lorsque le
chef entame la construction d’un nemo ou bundie, c’est-à-dire de grandes cases au sein de la
chefferie, ou chez certains notables, les jeunes garçons du village sont conviés à prendre part à
164

cette construction en fédérant leur énergie. Ce travail ne visait pas seulement à embéllir le
village, mais d’abord à rassembler tous les dignes fils de la communauté, afin de créer un
climat de confiance et d’harmonie.

Z.O.M : et sur le plan social, comment se perçoit ce savoir-vivre ?

N.K.R : il y a des cérémonies auxquelles tout le monde se doit d’y prendre part au village, car
ces cérémonies concernent tous les habitants du village. C’est le cas de la mort d’un individu
ou du mariage d’un autre. Dans chacun de ces événements, on se doit d’assister la famille
endeuillée, ou celle concernée par le mariage. Le mariage à Bandjoun est un moment de
bonheur qui doit etre partagé par tous les villageois, car, il sert à renforcer les liens sociaux, et
à reduire parfois les conflits entre les clans. De même le deuil permet à chacun de savoir que
nous sommes tous égaux devant le temps et Si, le dieu suprême, n’épargnera personne de cette
triste réalité. C’est pourquoi, les hommes en cette période, doivent se serrer les coudes malgré
leurs divergences d’opinion.

Z.O.M : Mr Nguemdjio je vous remercie.

Entretien avec le Prof. Mbah Gabriel, linguiste, Université de Yaoundé I

Z.O.M: Prof. Mbah Gabriel bonjour

M.G: bonjour

Z.O.M: de manière particulière, comment élève t-on un enfant à Bandjoun ?

M.G : A Bandjoun, il y a un panel de critères que la société traditionnelle utilise pour encadrer
les comportements humains. Bien que l’on observe aujourd’hui des mutations sociales qui ont
entaché cette façon de faire, cette façon d’élever l’enfant est restée longtemps l’une des
caractéristiques du patrimoine culturel Bandjoun. Chez nous, l’enfant est attaché à ses
parents ; mais les parents très tôt par souci d’insérer l’enfant ou de le faire connaitre au reste
de la famille et du groupe, envoyaient l’enfant chez les oncles et tantes, afin que ceux-ci lui
inculquent les directives de la vie. L’encadrement de l’enfant était donc une affaire sociale,
complète et globale.

Z.O.M : et pourquoi est-ce une affaire globale, c’est-à-dire qui ne concerne pas exclusivement
la cellule parentale ?
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M.G : elever un enfant à Bandjoun comme partout ailleurs à l’Ouest-Cameroun, est une
affaire communautaire et non individuelle ou familiale et ce, pour plusieurs raisons. L’une des
raisons c’est que, la famille n’avait pas la restriction que nous nous faisons d’elle aujourd’hui.
L’enfant n’était l’enfant de quelqu’un lorsqu’il était encore dans le ventre de sa maman ; dès
qu’il voit le jour, il n’appartient plus, selon la communauté, aux seuls parents. On voyait
l’enfant comme un produit de la communauté, et non comme un produit parental ou familial ;
c’est ce qui fait que, quelque soit l’adulte ou le parent, qui trouvait sur son chemin un enfant,
il avait l’obligation de lui donner, comme n’importe qui le ferait, des directives et conseils
necessaires à sa vie future.

Z.O.M : il ressort de vos propos, le poids incontestable de la société dans l’encadrement de


l’enfant chez les Bandjoun ; mais à present, peut-on avoir une idée claire du rôle de la famille
dans l’éducation de l’enfant ?

M.G : c’est la famille qui de façon générale oriente l’education de l’enfant en fonction du
statut qu’elle revêt sur le plan social ; chaque famille ayant un statut social, chacun enfant de
ce fait, doit avoir des ‘‘culturem’’, c’est-à-dire des manières de se comporter en société, qui
réfèrent à la classe sociale de ses parents. Ainsi, l’enfant d’un chasseur, d’un potier, ou de
celui qui fait dans la forge traditionnelle, on remarquera vite que ces enfants appartenant, à
trois catégories sociales différentes, grandiront avec des manières de penser et d’agir, qui sont
toutes liées aux professions de leurs parents.

Z.O.M : à bien vous suivre dans cette perspective, l’éthique, c’est-à-dire cette manière de
concevoir le bien-être et l’existence, est propre à chaque classe sociale dans la société
traditionnelle ?

M.G : vous savez, les valeurs socio-culturelles ou éthique, c’est-à-dire les valeurs relatives au
savoir-etre sur le plan communautaire, sont transmises dans chaque famille ; et chaque famille
pour rester en conformité avec les valeurs de ses ascendants, tient à ce que l’enfant se
comporte comme tel. Cela ne voudrait en aucun cas dire que, l’enfant ne devrait pas obéir aux
personnes, ou suivre l’exemple des membres ne faisant pas partir de sa famille restreinte ; car
comme je l’ai souligné, le père biologique ne suffit plus. Toute personne ayant l’age relatif à
celui de votre père est considérée comme le votre.

Z.O.M : nous remarquons que, l’éducation à l’Ouest-Cameroun, comme l’ont montré


plusieurs ethnologues et anthropologues occidentaux, est très stratifiée, mais pouvez-vous
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éclairer notre lanterne sur la notion de ‘‘notabilité’’ à l’Ouest en général, et à Bandjoun


précisement ?

M.G : beaucoup de gens extérieurs à la region de l’Ouest-Cameroun, ont des


incompréhensions sur la notion de notable ou kam chez nous. Cela a été occasionné par des
changements sociaux. Il y a deux catégories de notable à Bandjoun. Il y a d’abord ceux qui
ont une notabilité innée, liée à leur statut dans le village : c’est le cas des fils de chefs, et des
grands notables comme ceux du conseil des neuf. Il y a ensuite, ceux qui acquièrent leur
notabilité au prix de leur distinction sur le plan social, et autres faits : à travers leur
engagement dans les groupes de travaux communautaires, leur attitude exemplaire, leur
progéniture importante, mais aussi leur réalisation matérielle au sein du village.

Z.O.M : et nous savons justment à ce propos que, l’un des critères de l’ancestralité à l’Ouest,
c’est l’acquisition des titres nobiliers, qu’avez-vous à dire à propos de la notion d’ancestralité
à Bandjoun ? Qu’est-ce qui motive véritablement le culte des ancêtres à l’Ouest-Cameroun ?

M.G : Il faut retenir que, l’atteinte de l’ancestralité passe inévitablement par l’acquisition de
la notabilité à Bandjoun. Et je vous l’ai expliqué, il y a plusieurs voies pour accéder à la
notabilité. Par exemple, parceque tu as beaucoup fait pour la communauté par le genre de
service que tu lui as rendu, ou par ton adhésion à d’autres strcutures sociales ayant une
fonction spécifique. Or tout futur notable doit y faire partie. En effet dans la société
traditionnelle, il y a des structures qui canalisent les hommes et les femmes, et qui permettent
d’insuffler en chacun des membres du groupe, l’esprit communautaire. Parmi ces structures,
ou associations, il y a les guerriers du village qui ont leur association ; il y a aussi les
‘‘muop’’, une force de travail que le chef utilisait à l’époque pour l’aider à travailler dans ses
plantations, mais on avait en outre des groupes de danse. Toutes ces structures d’initiative
commune existaient déjà, pour promouvoir le travail en groupe, et pour faciliter la mise en
valeur des richesses naturelles. Aujourd’hui je viens cultiver ton champ, demain tu viendras
faire de même. Cet esprit de travail en groupe pour réduire les difficultés individuelles était
présent dans d’autres initiatives telles que, attacher les clôtures et les bocages. Chacun pouvait
compter sur les jeunes garçons qui l’aidaient à attacher les bambous et les lianes.

Z.O.M : on dirait que les groupes d’initiative commune dans la société traditionnelle
Bandjoun, mieux de l’entrée d’un individu dans ces structures collectives dépendait son
acquisition de la notabilité ?
167

M.G : l’implication personnelle dans ces associations à vocation communutaire, était un


moyen idéal pour grimper la hiérarchie sociale. C’est pourquoi lorsque l’enfant grandit
progressivement, on lui apprend toutes ses différentes structures sociales ainsi que les
différentes confréries, pourqu’il les repecte, et surtout l’effort à fournir pour prétendre y
accéder.

Z.O.M : en quoi consiste donc l’importance du culte des ancêtres pour revenir à notre
question ?

M.G : chez nous les Bandjoun, toute personne qui est morte, appartenait ou avait de son
vivant, un statut social ; donc on le vénère par rapport à cela. Maintenant il pouvait faire partie
des confréries, cela pouvait accroitre d’avantage son prestige. Pour répondre simplement,
nous savons que dans la société traditionnelle, il y a entre ceux qui sont morts et nous les
vivants, une relation logique qui obéit à une tradition séculaire. Si nous les vivants recourons
aux ancêtres, c’est parceque nous savons qu’ils peuvent intercéder pour nous, auprès de Si. En
effet quand vous avez des problèmes et des libations, vous vous approchez d’eux pas par
fortuité, mais parceque cela est un tremplin, un moyen d’intercéder efficacement. Quand vous
les catholiques, vous dites ‘‘ sainte vierge Marie priez pour nous’’, c’est pourquoi ?
Certainement pourqu’elle intercède pour vous auprès de son fils Jesus-Christ. C’est donc la
même chose pour les ‘‘bamiléké’’. Les gens doivent ainsi arrêter de voir, dans le culte des
crânes, une pratique surannée, quelque chose d’irrationnel, de négatif. Le constat est le même
pour la conception du totémisme dans la société traditionnelle ‘‘bamiléké’’.

Z.O.M : pourquoi dite vous que c’est la même chose pour le totémisme ?

M.G: c’est simple. Si les Européens eurent pendant longtemps une vision étriquée des sociétés
africaines traditionnelles, et notamment de la notion de ‘‘totémisme’’, c’est parcequ’ils n’ont
pas cerné sa fonction véritable au sein de la société africaine. Dans la société Bandjoun, le
dédoublement avait une double fonction qui s’appréciait tant au niveau sécuritaire qu’au
niveau thérapeutique. Quand quelqu’un dort chez lui, il a son totem là qui est tapis quelque
part dans les parages. Tu as cambriolé une maison, et tu ne sais pas que tu viens de passer à
coté du totem. Or le totèm lui, t’a déjà vu, ce qui veut dire que le propriétaire du totem connait
l’identité de celui qui a volé. Et le lendemain quand on vous appréhende, vous ne savez pas
comment les gens ont sû que c’est vous le voleur : c’est donc là la fonction sécuritaire du
totémisme à Bandjoun. Maintenant, les propriétaires des totems, observaient les
comportements des animaux lorsqu’ils sont malades. Ces animaux pour se soigner eux-
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mêmes, mangeaient certaines plantes qui avaient des vertus thérapeutiques. C’est donc ces
propriétaires de totem, qui allaient renseigner alors les guérisseurs traditionnels, sur les
éléments de la pharmacopée traditionnelle : c’est la fonction thérapeutique du totémisme. Les
gens doivent cesser de débiter des sottises à propos du totémisme. J’entends certaines
personnes dire souvent, que les totems font parfois du mal, ce qui est d’ailleurs vrai. Mais cela
est logique car, voyez-vous, lorsque tu insultes ou manques de respect à quelqu’un, c’est
normal qu’en signe de représailles, la panthère le soir, vienne manger tes porcs ou ta volaille.

Z.O.M : en dehors du culte des crânes et du totémisme, d’autres regards sont portés également
sur la polygamie dans la société traditionnelle ‘‘bamiléké’’. Pouvez-vous nous présenter la
conception de la polygamie à l’Ouest en général, et à Bandjoun spécifiquement ?

M.G : dans la culture Bandjoun, le nombre de femmes qu’on pouvait avoir montrait votre
importance sociale, et surtout les femmes que vous prenez à partir de plusieurs villages. Il faut
aussi comprendre que les gens avaient de grandes plantations et les femmes étaient de ce fait,
une force de travail. Quand on est un grand notable et qu’on possède de lopins de terre
importants évalués en hectare, comme cela est fréquent, cette situation exige naturellement
une progéniture conséquente pour une exploitation rationnelle de la propriété foncière. En
effet, si un notable aujourd’hui dispose de vastes espaces, à quoi lui sert d’avoir un ou deux
enfants, ou d’être monogame ? D’après moi ce serait là, une absurdité dans la mesure où,
l’entretien de la dite propriété, dépasserait largement les possibilités d’exploitation des deux
enfants du notable.

Z.O.M : vous semblez approuver la polygamie, quels sont d’autres avantages que cela
procure, en dehors du fait que, cela représente une force de travail significative ?

M.G : en effet, le père reçoit dans un foyer polygamique, la nourriture de toutes ses épouses le
soir. Il y a ainsi, un moment du soir où, tous ses enfants sont rassemblés autour de lui.
Personne ne doit sortir de la maison, et il entame alors le partage du repas avec sa progéniture
et ses différentes femmes. C’est comme cela qu’il règle les divergences au sein du foyer. On
voit bien que la vie au sein de ce type de famille, stimule notre sens du partage, de l’entraide,
de la redistribution. En dehors du fait que la polygamie représente un atout économique,
derrière cela, il y a toute une philosophie de gestion des hommes et des biens.

Z.O.M : et ainsi quelle est place de la femme dans cette lancée ? Y at-il des interdits auxquels
elle est astreinte ?
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M.G : la femme doit servir indéfectiblement son mari, et s’occuper convenablement de ses
enfants selon les traditions. Une femme pouvait avoir sa volaille, mais elle ne vendait jamais
le coq, car le coq est reservé toujours pour le mari. De même elle pouvait récolter les bananes,
mais pas le plantain car, c’est lui qui distribue le plantain et le vend. On estime que c’est
l’homme qui procure à la femme de l’huile et le bois pour préparer. C’est encore lui qui
achète les médicaments pour la soigner quand elle est malade, et pourvoit à d’autres besoins
de la maison. Ces différents interdits ne sont pas de nature à limiter le rôle de la femme, mais
c’est pour tenir compte des responsabilités de l’homme dans son foyer au quotidien.

Z.O.M : nous savons que les échanges commerciaux au sein de la société traditionnelle ont
existé, comment est-ce que cela fonctionnait ?

M.G : les échanges à Bandjoun et dans tous les villages de l’Ouest-Cameroun, avant l’arrivée
du blanc, étaient rythmés par le marketing et la vente en reseau. Vous savez, le marketing a
existé dans la société traditionnelle. Ceux qu’on nomme dans nos marchés, ‘‘ les apacheurs’’,
c’est-à-dire des personnes qui sont des intermédiaires entre les grands magasins et les
potentiels achéteurs existaient déjà. En fait, cette personne part prendre la marchandise à la
boutique, parceque tu ne pouvais pas avoir à ce prix, et puis il vient négocier le prix avec toi.
C’était la même chose dans les marchés bamiléké avant la période coloniale. Au village, tu
vas vers quelqu’un qui est au marché, dont on sait qu’il est ‘‘dealer’’ ou négociateur des prix.
Quand tu apportes ta chèvre, tu dis, je veux vendre ma chèvre à 5000 fcfa par exemple ; puis
il regarde ta marchandise et essaye de l’évaluer, il voit s’il peut le vendre après avoir analysé
la nature du marché. Il va vendre à 5200 ou 6000, voire plus. Ce qu’il gagne au-dessus, c’est
le profit qu’il a tiré de la vente de ta chèvre, et cela ne te regarde plus, parce qu’il t’a donné
les 5000 de la chèvre que tu as exigés. C’était comme cela que fonctionnait donc le marché à
cette époque.

Z.O.M : et comment se déroulait la vente en reseau dont vous évoquez toute à l’heure ?

M.G : la vente en reseau dans la société traditionnelle a existé. Un grand commerçant à


Bandjoun connaissait le marché, puisqu’il faisait tous les marchés de l’Ouest, et ceux situés
au-delà. Ils ont vendu la kola au Nord-Cameroun, et ils connaissaient tous les grands clients
qui sont là bas. Il est à Bandjoun, et sait que telle personne veut à Baham, à Bansoa. Il sait la
quantité que ces revendeurs veulent et en disposent. C’est comme cela qu’il ajuste sa
livraison. En outre, l’aide ou le prêt au sein de la société, dépendait de la capacité de
rembourser de celui qui en faisait la demande. Certes on aidait les gens selon leurs difficultés,
170

mais on l’assistait d’avantage en fonction de sa capacité de s’acquitter des dettes qu’il avait
contracté au sein de la société. La vie économique reposait sur les échanges, sur des
associations pour investir, ce qu’on appelle aujourd’hui tontine. Les tontines et les cotisations
existaient donc dépuis. Ce n’est qu’avec l’introduction de l’argent, qu’elles ont pris une plus
grande ampleur.

Z.O.M : vous nous avez parlé de la vie économique jusqu’ici, mais comment fonctionne la
chefferie sur le plan politique ?

M.G : il faut préciser que la chefferie, n’est pas la propriété personnelle du chef. C’est vrai
que ce dernier peut avoir plusieurs femmes et enfants. Mais toutes ces épouses n’ont pas
forcement leurs maisons au sein de la chefferie. Aussi les enfants du chef, ne grandissent pas
à la chefferie car c’est un espace communautaire et non privé. Dès que les enfants atteignent
l’âge de partir à l’école, la mère les envoie chez ses sœurs et ses oncles, pour vivre làbas.
L’enfant ne peut vivre à la chefferie parcequ’elle est constituée de nombreux lieux sacrés et
d’espaces interdits. L’enfant peut y entrer par inadvertance, mais subit à cet instant, les affres
que toute personne non initiée pourrait subir. Même le chef actuel de Bandjoun a sa propre
maison en dehors de la chefferie.

Z.O.M : mais quelle est, à present, la place du chef au sein de la chefferie à Bandjoun ?

M.G : la société Bandjoun est divisée en regions ; c’est pourquoi quand une assise a lieu, et se
termine, le chef sait qu’il a parlé ce soir. Pas besoin de bouger, car les chefs de région sont
chargés à cet instant, d’appliquer l’ensemble des décisions issues de la dite assise. En effet
comme un chef d’Etat entouré du parlement, il en est de même pour le chef Bandjoun, qui est
entouré du conseil des neuf. Ce conseil fait office de parlement, c’est-à-dire de principal
organe qui modère le pouvoir du chef… si bien que lorsqu’il y a des sujets à débattre, un chef
ne parle pas, il ne dit que ce que les autres ont décidé. Il ne peut pas se lever un matin et dire,
j’ai pris une décision. C’est pourquoi quand vous venez lui poser un problème, il dit : j’ai
compris. Il vous rappelle quelque temps après pour vous faire part de la décision, parceque le
problème aura été posé au neuf notables. S’il communique officiellement une décision sans
avoir préalablement demandé l’assentiment des neuf, on sait où on le tien, on peut lui faire du
mal à la minute. Ne voyez pas le chef Bandjoun comme il est là, il y a des notables et des gens
qui n’enlèvent pas leurs chapeaux devant lui, parcequ’ils sont supérieurs à lui sur le plan
traditionnel et secret, qu’on ne peut vous dire. Mais ces personnes le respectent en tant que
chef. Il y a même des rites qui ne sont pas effectué par le chef Bandjoun, parcequ’il n’a pas ce
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pouvoir là. Donc comme vous le constatez, c’est tous ces facteurs qui font en sorte que chez
nous, le pouvoir du chef est modéré, ce n’est pas un pouvoir autocratique.

Z.O.M : Prof.Mbah Gabriel, je vous remercie pour votre éclairage.

Entretien avec Toukam Tchamdjou Ndeffo Dieudonné, herboriste et médecin


traditionnel, 85 ans environ, Fatgo-Neta (Bangangté)

Z.O.M: Mr Toukam Ndeffo bonjour,

T.T.N: bonjour mon fils.

Z.O.M : pouvez-vous nous dire ce qu’est ‘‘éduquer’’ (en parlant d’un enfant) chez les
Bangangté ?

T.T.N : ‘‘éduquer’’ chez nous, c’est élever un enfant, c’est lui transmettre une façon de vivre
en société, afin d’être accepté par tout le monde. C’est pourquoi ce n’est pas seulement la
famille qui s’en charge, mais toute personne au village capable de le faire.

Z.O.M : comment ‘‘eduque’’ t-on ici ?

T.T.N : il y avait l’existence de l’arbre à palabre, cet arbre qui procure de l’ombre, et autour
duquel se rassemblaient le chef de famille et ses enfants. Celui-ci avec les autres membres de
la famille debattaient des problèmes, ce qui était fort instructif pour les enfants et leur
permettait de voir comment la vie fonctionne en réalité. Il y avait aussi le fait que le soir,
autour d’un grand feu, le grand-père racontait des histoires aux enfants, et les amenait à
s’interroger sur les conclusions, ou leçons à en tirer. Cela avait de bons résultats.

Z.O.M : en parlant des contes, est-ce qu’il n’y avait que cela pour instruire l’enfant, ou
l’individu ?

T.T.N : nos parents ne connaissaient pas l’écriture, donc la parole était le principal vecteur du
savoir. A coté de cela, ily avait le milieu même ainsi que les rites initiatiques, qui permettent à
l’individu de grandir et de s’assagir.

Z.O.M : vous parlez du milieu, comment ‘‘eduque’’ t-il un individu ?

T.T.N: le milieu conditionne l’individu ; les événements qui s’y produisent l’éduque, façonne
sa manière de penser, et de réflechir.
172

Z.O.M : à quel niveau interviennent les interdits et les rites initiatiques ?

T.T.N : il faut savoir qu’encadrer un enfant dans la société traditionnelle Bangangté, c’est
commencer par lui faire connaitre les interdits qui regissent la vie au village ; savoir ces
interdits pour l’individu, c’est éviter d’être puni ou chatié, mais c’est également faire la
volonté des ancêtres.

Z.O.M : pouvez-vous nous citer quelques uns de ces interdits ?

T.T.N : les femmes ne doivent pas par exemple, partir au champ pendant le nké, elles ne
doivent pas pleurer dans la maison ou sont nés des jumeaux, elles ne doivent pas aussi élever
les bœufs, et les chèvres, et elles ne peuvent pas aller en mariage contre la volonté de leurs
pères, ou de l’héritier de leur famille ; elles ne doivent entretenir aucun rapport sexuel durant
leur veuvage. A coté de cela, il faut dire aussi que l’eau chaude ne doit pas être utilisée
n’importe comment, ni versée n’ importe où.

Z.O.M : et pourquoi ?

T.T.N : c’est simple. Quand tu vois les plantains, les ignames ou le kolatier au début, ils sont
petits. Mais peu à peu ils grandissent (comme nous les hommes) au point ou tu t’étonnes de
leur taille ou des fruits qu’ils produisent à la fin ; c’est tout simplement parceque la terre que
nous voyons et sur laquelle nous marchons, abrite des éléments de vie que l’homme ne peut
voir. Ce sont ces éléments crées par Nsi, qui, au contact de la pluie et du soleil, permettent
aux sémences que l’on enterre de germer et de rendre abondantes les récoltes. Or lorsqu’on
verse de l’eau chaude directement sur la terre, sans la tamiser, elle détruit tous ces éléments
dotés de vie, et rend donc la terre vulnérable.

Z.O.M : mais à coté de ces interdits multiples dans l’évolution de l’enfant, les vieilles
personnes jouent- elles un rôle particulier ?

T.T.N : Je n’ai pas beaucoup fréquenté, mais quelqu’un avait dit, ‘‘ un vieillard qui meurt,
c’est une bibliothèque qui brûle’’. Chez les Bangangté, la parole des vieilles personnes, est
très considérée parcequ’elle vient des ancêtres ; elle permet aux jeunes d’éviter beaucoup de
pièges dans cette vie, et de vivre heureux. C’est pourquoi à l’Ouest, les parents prennent
l’habitude d’envoyer très tôt, les enfants en congé chez leurs grands-parents. On veut qu’ils
profitent de leur conseil, voire de leur expérience. Suivre les conseils des vieux ou vieilles,
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c’est marcher sur le chemin des ancêtres. Or beaucoup de jeunes de nos jours, s’en sont
écartés, c’est pourquoi ils meurent très vite.

Z.O.M : parlant de mourir Mr Tchamdjou Ndeffo, comment les Bangangté perçoivent-ils la


mort ?

T.T.N : chez les Bangangté, la mort n’est pas la fin de la vie, mais plutôt la continuité de
l’existence humaine sous une forme invisible et supérieure. Si la mort mettait vraiment fin à la
vie, les gens ne devraient pas avoir peur des cimétières, ou le culte des ancêtres ne devrait pas
exister (…) ; le fait que nos ancêtres agissent dans nos vies par des bénédictions ou des
punitions, prouve qu’ils ne sont pas partis pour toujours. La mort est pour ceux qui ont vécu
dans la droiture et la justice, la possibilité de continuer d’aider leurs proches en mettant à
profit leurs nouvelles facultés d’agir. Mais pour ceux qui ont vécu dans le mal, elle est la
sanction de leurs mauvais comportements et le moyen d’expier leurs fautes éternellement.
C’est donc en résumé, l’affranchissement définitif des parties visibles de l’homme, du corps
qui les maintenait prisonniers.

Z.O.M : en parlant toute à l’heure des enfants d’aujourd’hui, comment l’éducation que le
blanc est venu avec, a-t-elle influencé leur manière de vivre ou de se comporter ?

T.T.N : l’école du blanc, a entrainé beaucoup de chose dans la société Medumbà. Aujourd’hui
par exemple, les gens influents achètent des titres de notables pour le prestige. Ils passent leur
temps à mouiller la gorge du chef Njih Moluh Seydou Bokam, pour qu’il leur accorde des
titres au sein de la chefferie ; mais cela ne se passait pas comme cela avant car, pour obtenir
un titre de notable, il fallait le mériter en étant vaillant, imposant, humble et serviable, et avoir
beaucoup d’enfants.

Z.O.M : mais à part cela, qu’est ce que l’école du blanc a-t-elle entrainé en outre ?

T.T.N : elle a éloigné les enfants de leurs traditions, elle les a rendu étranger à leur propre
culture. Rendez-vous compte qu’il y a beaucoup de chose au village que les enfants ne
connaissent plus ; les plantes, les lieux sacrés, les cérémonies religieuses. Cette ignorance les
rend vulnérables face à certaines situations de la vie. Si les ainés ont vécu longtemps, c’est
parcequ’ils ont appris à savoir toutes ces choses, qui les ont protégé des dangers de la vie. Or
si les jeunes meurent beaucoup aujourd’hui, c’est parcequ’ils ne cherchent plus à vivre
comme leurs ancêtres.
174

Z.O.M : donc, insinuez vous que c’est la manière actuelle des jeunes de vivre, qui est à
l’origine de leur échec, de leur disparition précoce ?

T.T.N : vous savez, vivre en société, c’est chercher toujours à se soucier des autres, c’est
rechercher le bien, et surtout la justice dans notre environnement. C’est savoir partager ce
qu’on a (même si c’est peu) chaque fois avec le voisin, c’est savoir accueillir un étranger ou
un invité, mais c’est aussi savoir être reconnaissant envers quelqu’un qui vous a aidé. Or, ce
n’est plus le cas aujourd’hui, beaucoup d’individus ne respectent plus totalement ces principes
sacrés, car, ils sont devenus égoistes. Ils cherchent à s’enrichir seuls s’en vouloir en partager
les fruits avec les autres. Ils veulent prospérer sur la souffrance des autres ; c’est pourquoi
avec de tels comportements, ils ne durent pas longtemps.

Z.O.M : c’est donc parceque ce qui était sacré hier, a perdu de sa sacralité aujourd’hui, que
l’on observe un certain recul de l’éducation ?

T.T.N : voyez-vous, la mort était sacrée, le mariage était sacré, la nature l’était également.
C’est le respect de toutes ces réalités qui garantissait la longévité terrestre d’un individu.
Aujourd’hui, on voit des gens venir aux enterrements pour des raisons qui ne sont pas
toujours clairs, pour se faire remarquer à travers leur richesse, leur influence, en un mot pour
s’attirer des faveurs. De même, les gens aujourd’hui abattent (les arbres) ou exploitent la
nature sans rite, ou sans le demander aux ancêtres, qui en sont d’abord les dépositaires. C’est
toutes ces violations qui attirent le malheur dans leur vie.

Z.O.M : papa Tchamdjou Ndeffo je vous remercie.

Entretien avec Mr Nzemen Sévérin Magloire, ancien capitaine des forces armées, 64 ans,
Bangangté

Z.O.M: Bonjour Mr Nzemen Mbiakeu,

N.S.M: bonjour

Z.O.M: quelles sont les obligations du Mvem (c’est le Fô en Medumbà) à Bangangté ?

N.S.M : il faut savoir que, le Mvem est le chef de tout le village. Il est assisté par les notables
et autres dignitaires de la chefferie. Ce sont eux qui l’assistent quotidiennement, ce sont eux
qui lui évitent de tomber dans des erreurs. C’est aussi eux qui l’aident à mieux gouverner le
175

village. C’est pourquoi, le chef ne commande pas en réalité, mais il applique et valide
simplement les décisions de ses collaborateurs.

Z.O.M : on sait que le chef est assisté par le conseil des neuf, quel est le rôle de ce conseil
séculaire ?

N.S.M : je vous ai dit qu’ici, à Bangangté, le chef est celui qui veille au bon fonctionnement
du village, à la paix. Il est interpellé parfois pour régler les graves litiges entre les familles.
Mais dans cette entreprise, il est assisté par une institution spéciale, le conseil des neuf ou
mkam mvu. Ce conseil est chargé de surveiller le chef, de contrôler ses actions, pour qu’il ne
fasse pas n’importe quoi. Si le Mvem devient dangereux pour la chefferie, alors il (le conseil
des neuf) peut intervenir en le destituant. C’est par ailleurs ce conseil qui l’intrônise ou le
porte au trône, c’est aussi lui qui peut l’enlever. C’est pourquoi le Mvem n’agit pas au village
en son nom, mais au nom de toutes les sociétés qui surveillent ses actes.

Z.O.M : si le Mvem est empeché, qui le remplace dans ses fonctions à Bangangté ?

N.S.M : à cette question, répondre n’est pas aisé parceque, il y a deux personnes qui peuvent
le faire, le wala ka et le kuipou, le frère du Mvem. Tous les deux sont initiés au La’akam
comme le Mvem. C’est la raison pour laquelle ils sont respectés au village.

Z.O.M : est-ce que l’école du blanc, l’école avec laquelle il est venu, a modifié le schéma de
vie des habitants de ce village ?

N.S.M : le blanc a apporté de bonnes et mauvaises choses chez nous. Avant, les hommes ici,
étaient solidaires, ils s’entraidaient lorsqu’un malheur frappait l’un d’eux. Les femmes
s’assistaient entre elles ; elles partageaient leurs récoltes, et donnaient à celles qui n’avaient eu
assez. Si un enfant était intelligent, et que ses parents n’avaient les moyens de l’envoyer à
l’école, les femmes du village vendaient une partie de leurs récoltes pour aider la famille en
question. Il y avait l’amour du prochain. Or lorsque le blanc est arrivé, il a transmis sa façon
de vivre et de penser. Pour le blanc, réussir, c’est chercher d’abord son bonheur personnel,
avant de penser aux autres. Malheureusement nos enfants ont copié cette façon de faire.

Z.O.M : mais est-ce que la recherche du bonheur personnel est une mauvaise chose dans la
société traditonnelle Bangangté ?

N.S.M : non, mais à force de ne penser qu’à soi, on devient égoiste. Aujourd’hui, l’argent a
fait en sorte qu’on n’accorde plus d’importance au mérite. Certaines personnes ici, riches, se
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servent de leurs moyens pour acheter des titres de noblesse qu’ils ne méritent pas en réalité.
Les enfants s’éloignent des traditions ; beaucoup parmi eux, ne savent même plus parler leur
langue. Ils font tout ce qu’ils voient faire le blanc à la télé. Quand ils tombent malades, leurs
parents les amènent à l’hopital du blanc, alors qu’il y a des remèdes traditionnels qui soignent
très bien cela. En plus, certains ne connaissent même plus l’histoire de leur famille
(généalogie), de leurs ancêtres. Tout ceci fait en sorte qu’ils ne vivent plus assez longtemps, et
meurent vite.

Z.O.M : que pouvez-vous leur dire pour changer cette intolérable situation ?

N.S.M : que leurs parents les amènent au village regulièrement ; ils doivent voir comment se
déroulent les cérémonies traditionnelles, les rites, les cultes. Ils doivent chercher à connaitre
les interdits et règles qui régissent la chefferie. Ils doivent connaitre le nom de leurs ancêtres,
parceque ceux-ci, continuent toujours de veiller sur eux. Or si les parents et les enfants ne
viennent pas pour faire des offrandes sur les tombes de ces gens, ils auront beaucoup de
problèmes dans la vie ; tout ce qu’ils vont faire, aura toujours des problèmes pour réussir.

Z.O.M : Mr Nzemen je vous remercie.

Entretien avec Madame Mbiada Youta Madeleine, sage femme traditionnelle, 62 ans,
Mfetom, (Bangangté)

Z.O.M : Bonjour Mme Mbiada Madeleine

M.Y.M : bonjour

Z.O.M : en quoi consiste le savoir-vivre chez les Bangangté ?

M.Y.M : le savoir-vivre chez les Bangangté, consiste à vivre selon la tradition. C’est observer
les règles de la communauté afin d’être accepté. C’est respecter les ainés, c’est savoir se
montrer disponible ; c’est aussi savoir honorer les ancêtres en leur faisant des ofrandes
parcequ’ils veillent, et continuent, de veiller sur nous. C’est enfin agir conformement aux
règles de la chefferie.

Z.O.M : comment élève t-on un enfant ici à Mfetom ?

M.Y.M : on accouche d’un enfant mais pas son cœur. C’est pourquoi l’éducation ici, a un rôle
important parcequ’elle permet d’orienter le comportement d’un enfant vers les attentes de la
société, en un mot vers les traditions. Si on ne le fait pas, si on n’éduque pas convenablement
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l’enfant, si on ne lui montre pas les interdits, les limites à ne pas franchir dans ses actions
quotidiennes, on le pousse alors à faire ce qu’il veut, c’est-à-dire faire sa propre volonté, celle
de son cœur. C’est pourquoi, éduquer un enfant ou individu, c’est éduquer son cœur et non
son corps, car les mauvais actes qu’il pose, viennent du cœur. Le changement de
comportement d’un enfant passe par le changement de son cœur.

Z.O.M : comment se passe son insertion dans la famille puis dans la société ?

M.Y.M : lorsqu’il nait, il est allaité par sa mère ; ses tantes et les autres femmes du village
peuvent s’occuper de lui. Au fur et à mesure qu’il grandit, on commence d’abord très tôt par
lui apprendre à appeler toute femme qu’il voit maman, car la maman chez nous, n’est pas
uniquement celle qui a accouché. Mais c’est celle-là qui peut donner des conseils importants à
l’enfant, bref celle-là qui peut l’amener à acquerir de la sagesse.

Z.O.M : à quel niveau interviennent les grands-parents ?

M.Y.M : avant que le blanc ne vienne avec son école, il existait déjà l’école traditionnelle,
c’est-à-dire l’école de la sagesse, des interdits sociaux et des secrets de la nature. Et cette
école, mieux ces connaissances étaient acquises auprès des grands-parents, vieilles personnes
considérées comme étant les gardiens de la coutume. Les parnts ne peuvent à eux seuls elever
l’enfant, c’est pourquoi ils l’envoient auprès de ses grands-parents, pourqu’ils lui transmettent
la sagesse traditionnelle, le sens de la nature et des règles qui la régissent. Et comme ils
maitrisent très bien la langue (Medumbà), ils enseignent l’enfant à travers les contes, les
proverbes, soit autour d’un grand feu le soir, soit autour d’un arbre.

Z.O.M : est-ce dire qu’ils ont un rôle si important dans l’éducation de l’enfant ?

M.Y.M : les grands-parents sont les seuls à puvoir transmettre correctement les connaissances
traditionnelles aux enfants. Ils ont la méthode appropriée, et ils ont surtout de l’expérience ; ce
qu’ils ont vu durant leur vie, est bénéfique pour les enfants, car cela permet aux enfants
d’éviter les embûches de la vi et de vivre heureux longtemps.

Z.O.M : comment elève t-on la fille chez les Bangangté ?

M.Y.M : la fille chez nous, est généralement encadrée par sa mère, les coépouses de sa mère,
ses tantes. On lui apprend la cuisine, on lui apprend à savoir cultiver, on lui montre
également comment faire du commerce. Dans toutes les cérémonies au village, elle l’amène à
178

assister les autres femmes, pour voir comment ces dernières agissent. C’est en travaillant
auprès des autres femmes, qu’elle est finalement admise au sein du groupe.

Z.O.M : à quel niveau intervient le mariage ?

M.Y.M : les garçons sont de passage tandis que les hommes batissent des foyers. C’est pour
dire que les enfants ne demeurent pas éternellement des nfants. Ils doivent grandir, pour
pouvoir être des personnes responsables, des personnes respectées par les autres, des
personnes sur qui on peut dorénavant compter. Et le mariage ici, permet de donner du bonheur
car, il élargit la famille, la renouvelle et la requinque. Une femme mariée, et qui a des enfants
connait le sens de la vie, parcequ’elle est responsable des vies ; parcequ’il faut qu’elle
s’occupe de sa belle-famille, il faut qu’elle veille à la santé de ses enfants. Le mariage est
donc une étape importante dans la vie de l’homme et de la femme, parcequ’il leur ouvre les
yeux sur le sens du mot responsabilité. C’est pourquoi, ici, le père très tôt, initie le fils à un
métier, car c’est pourqu’il puisse s’affranchir et prendre une femme. Un homme ou une
femme qui ne se marie pas, risque de demeurer enfant, dans la mesure ou ils ne connaitront
pas la signification concrète de la vie, le sens du pardon, du partage, de la solidarité. Quand on
est marié, il y a des choses qu’on ne peut plus se permettre de commettre comme celui qui vit
seul. Le mariage permet à l’homme et à la femme d’éviter les désagrements d’une vie
solitaire.

Z.O.M : qui donne la femme en mariage ici ?

M.Y.M : cela depend de celui qui est le chef de famille. Tant que le grand-père maternel vit,
il a son mot à dire. Si le père de la fille n’a pas pu doter sa mère, c’est lui (grand-père
maternel ou de derrière) qui donne son accord pour que les petites fillesaillent en mariage.
C’est lui à qui on soumet la dot, c’est lui qui examine les prétendants, c’est lui qui les met à
l’épreuve. Le père peut donner son avis, mais dans le regime de ‘‘tâ nkap’’, c’est le grand-
père maternel qui envoie ses petites-filles en mariage et qui fixe, le montant des cadeaux
qu’on doit lui offrir.

Z.O.M : on sait quelle idée se font maintenant les Bangangté du bien, de la justice, mais
quelle idée se font-ils à présent de la mort ?

M.Y.M : je vous l’ai dit, ici à l’Ouest, les gens savent que lorsque des personnes meurent,
elles ne disparaissent pas totalement. La preuve, il y a de fois, vous entendez souvent dire, on
a aperçu un fantôme là. La mort n’est que la poursuite de la vie dans un autre monde et sous
179

une autre forme. C’est pourquoi, on honore les morts ici, parcequ’on sait qu’ils ne sont pas
partis définitivement. Quand on a des problèmes, on se rend sur leurs tombes, et on les
appelle, pourqu’ils les resolvent. Ils sont comme des anges-gardien pour le village.
Regulièrement, on leur fait des offrandes pour les bénédictions qu’ils accordent, et pour les
malheurs dontils nous en préservent.

Z.O.M : Mme Mbiada Madeleine, je vous remercie.

Entretien avec Madame Ketcha Tapamou Germaine, enseignante, 50 ans, Bangangté

Z.O.M : Mme Ketcha bonjour

K.T.G : bonjour mon fils

Z.O.M : comment elève t-on un enfant particulièrement dans le Ndé ?

K.T.G : dans la société traditionnelle Bangangté, lorsque l’enfant vient au monde, la manière
de l’élever dépend généralement du statut de ses parents dans la communauté. Par exemple,
l’enfant d’un notable ou d’un chef, a une manière de se tenir en société ; et cette manière de se
comporter n’est pas la même chez l’enfant d’un artisan, d’un guérisseur traditionnel ou d’un
devin. C’est pour dire qu’élever un enfant dan la société traditionnelle, c’est l’élever en
fonction du rang social de ses parents. Le but est de lui transmettre les rouages de la
profession de son père, pourqu’il puisse le substituer, une fois que celui ne pourra plus
exercer. L’encadrement de l’enfant vise ainsi à préparer la relève du père, pour conserver les
secrets du métier.

Z.O.M : vous êtes une femme, et entant que telle, vous savez certainement comment se
déroule l’encadrement de la jeune fille à Bangangté. Pouvez-vous nous le décrire ?

K.T.G : ici il y a une précision que j’aimerai d’abord relever. Quand l’enfant nait, il n’est plus
seulement la propriété de ses parents, mais il est désormais celle de toute la communauté, dont
chaque membre de par sa maturité, peut lui faire en partager. Et ceci implique donc, des
punitions en cas de mauvais comportment, car, il est question d’amener l’individu à être
accepté de tous les membres du village. La jeune fille est elevée par sa mère, les sœurs de sa
mère, ainsi que toutes les autres femmes expérimentées du village. Elle assiste sa mère et les
autres femmes du village, dans des travaux ou initiatives reservés uniquement aux femmes.
Les femmes, y compris sa mère, lui apprennent à cultiver, à faire la cuisine, et l’initie à
certaines techniques dans le domaine de l’élevage. Elle ne peut cependant elever tous les
180

animaux, car s’il lui ai permis d’élever les poules, en revanche elle n’est autorisée à elever les
coqs et les bœufs. Ces derniers sont reservés exclusivement aux hommes. Mais lorsqu’elle
atteint la puberté, les conseils et remarques de la part de sa mère et de ses tantes à son égard,
se font de plus en plus vifs car, il est question pour elle, d’éviter de tomber enceinte, ce qui
serait alors un déshonneur pour la lignée maternelle. C’est pourquoi, on accroit sa surveillance
et on évite qu’elle joue dorénavant avec les garçons de son âge.

Z.O.M : mais bien qu’on lui interdise désormais, de s’amuser avec des garçons en âge de
procréer, la finalité de son encadrement reste de la voir devenir une maman à son tour n’est ce
pas ?

K.T.G : si on encadre une fille dès sa tendre enfance, c’est parcequ’on veut lui montrer le
chemin que toute femme normale doit suivre avant de devenir génitrice un jour. Or chez nous,
un accouchement avant le mariage est mal vu, et fait l’objet des commentaires qui finissent
par ternir l’image de sa famille.

Z.O.M : et une fois qu’elle se marie, qu’attend t-on d’elle ?

K.T.G : une fois qu’elle se marie, la communauté attend d’elle deux choses fondamentales.

Z.O.M : lesquelles ?

K.T.G : le village attend d’elle d’abord, qu’elle puisse concevoir, car la stérilité est très mal
interpretée ; certes chez nous, une femme qui n’a pas enfanté, généralement remplit sa maison
des enfants de ses frères et sœurs qui ont eu, cette grâce. Mais il faut savoir qu’à sa mort, la
tradition dit qu’on mettra dans le creu de sa main, une pierre qu’elle devra remettre à Nsi.
Pourquoi la pierre ? Parceque, c’est avec cet élément que Nsi à crée ou façonné le monde,
c’est pourquoi on parle de pierre de la création. C’est aussi la raison pour laquelle, il est
interdit à la fille de s’asseoir sur de la pierre, car elle peut être frappée de malédiction comme
la stérilité. Ensuite, la communauté après qu’elle ait enfanté, attend d’elle, qu’elle soit une
épouse entièrement devouée à son mari. Ceci implique que même lorsque, celui-ci n’agit pas
toujours bien, elle doit le lui faire savoir d’une façon modérée. Enfin, la communauté attend
d’elle, qu’elle traite les autres enfants qui ne sont pas les tiens comme ses propres enfants, car
l’amour et le bien, dépassent les liens de sang. D’ailleurs je me souviens, ma grand-mère en
dehors de ses filles, a élevé de nombreuses femmes du village, qui lui ont rendu hommage à
sa mort. Dans leur témoignage, elles disaient que ma grand-mère les a élevées avec un amour
inconditionnel, si bien qu’elles ont fini par la considérer comme étant leur propre mère. Cela a
181

touché énormement les invités, et c’est donc cela qu’on attend d’une véritable maman. Celle-
là qui est capable de manifester de l’amour aux enfants qui ne sont pas les tiens, sans arrière
pensée ou intérêt quelconque.

Z.O.M : à vous entendre parler, on pourrait dire que cela a changé aujourd’hui ?

K.T.G : tout à fait. Certes il y a encore beaucoup de foyers au village qui essayent de rester
fidèles à cet idéal, mais il faut dire que la notion de famille introduite par le blanc, a
extremement pertubé la conception que l’on se faisait des relations sociales. Aujourd’hui,
pour beaucoup, mon enfant, est seulement celui que j’ai accouché, les autres sont secondaires.

Z.O.M : Mme Ketcha je vous remercie.

Entretien avec Mr Ndjické Demenou Charles Hubert, enseignant retraité et ancien


membre du temple solaire de Bastos, 65 ans, Bangangté.

Z.O.M : Mr Ndjické Demenou bonjour

N.D.C.H : bonjour

Z.O.M : pouvez-vous nous dire comment se manifeste le savoir-vivre (éthique) dans la


tradition Medumbà ?

N.D.C.H : le savoir-vivre chez les peuples du Ndé, c’est le fait que, chaque individu connait la
place qui est la tienne dans la société. Ainsi, le respect des ainés, est une donnée qui traduit
toute l’estime que l’on pour quelqu’un, qui de par son expérience, a accompli beaucoup de
choses. Le savoire-vivre, c’est aussi se montrer solidaire, en prenant part aux initiatives
communes organisées au village. Le but ici, est de renforcer les liens sociaux en favorisant le
dialogue, la communication. Le savoir-vivre en outre, se matérialise chez nous, par le respect
des interdits, car c’est sans doute la trangression des interdits sur le plan coutumier qui,
généralement apporte les malheurs dans une société.

Z.O.M : quel lien dès lors, peut-on établir entre le savoir-vivre et la manière d’élever un
enfant chez les peuples du Ndé ?

N.D.C.H : c’est le savoir-vivre qui a lieu de citer dans une communauté, qui d’une manière ou
d’une autre, oriente la façon d’élever un enfant. Ce savoir-vivre n’est pas né hier, mais il est
en réalité le legs de nos ancêtres qui, après avoir jugé de son caractère vertueux et fructueux,
ont choisi de nous le transmettre afin qu’on en fasse bon usage.
182

Z.O.M : il est dit que la conception de la personne humaine à l’Ouest-Cameroun, a eu une


certaine influence sur le savoir-vivre en société. La preuve, il y a le culte des ancêtres.
Pouvez-vous élucider cela ?

N.D.C.H : biensûr, les cultes des ancêtres, c’est-à-dire le fait de celébrer nos ancêtres, prouve
que la mort n’est pas la fin absolue de l’existence humaine. Lorsque vous lisez les saintes
écritures, on dit que Jesus arriva où on avait enterré son ami Lazare ; et puis lorsqu’on lui dit,
seigneur, mais Lazare est mort, comment peut-il de nouveau revenir à la vie ? Jesus répondit,
Lazare n’est pas mort, il s’est endormi, puis il le ressuscita. Vous voyez, Jesus compara de ce
fait, la mort à un profond sommeil. Et bien, je pense que c’est donc la même chose pour nos
ancêtres.

Z.O.M : est-ce donc dire que la croyance d’une vie après la mort, est le partage des peuples du
Ndé ?

N.D.C.H : vous savez, de par sa nature spirituelle, l’homme est lié incontestablement au
monde invisible. C’est pourquoi son état physique, n’est toujours que, la matérialisation de ce
qui lui arrive sur le plan astral.

Z.O.M : est-ce affirmer la prédominance de l’esprit sur le corps ?

N.D.C.H : vous savez, l’esprit est le contenu et le corps est le contenant. Le contenu ici est le
plus important car, il est au corps, ce qu’est le carburant à la voiture. L’esprit, est cette force
invisible qui anime le corps humain, et lui donne la possibilité de se mouvoir. C’est lui qui
coordonne toute la vie mentale et psychique d’un individu. D’ailleurs, dans les Saintes
écritures, il est écrit : rechercher le royaume de Dieu en esprit et en vérité ; pour dire que c’est
à travers l’esprit, que l’homme crée à l’image de la transcendance, s’élève, et non pas à
travers le corps. C’est pourquoi l’agréssion d’un homme sur le plan spirituel, à parfois des
répercussions physiques, comme le fait qu’un membre du corps, commence à se putrefier, ou
alors, que vous ressentez, des douleurs physiques dont vous avez eu à ressentir durant votre
sommeil.

Z.O.M : et dans la société traditionnelle Bangangté, quelles sont les parties qui disparaissent,
et celles qui subsistent après la mort ?

N.D.C.H : le corps appelé aussi dépouille, se décompose au contact de la chaleur qui favorise
la prolifération des bactéries et microbes. Tous les organes visibles compris dans le corps
183

disparaissent également, comme le cœur et le cerveau. Toutefois, certains éléments, eux au


contraire, retrouvent leur liberté comme l’esprit ou force vitale, l’ombre, et le nom. Si je
demande aux jeunes de chercher à connaitre le fonctionnement profond de la nature humaine,
c’est parceque j’ai compris le rôle de l’esprit dans la prospérité, le succès ou dans l’indigence
et la misère.

Z.O.M : et comment est-ce que, la nature immatérielle de l’espèce humaine chez les
Bangangté, influe sur sa nature physique ?

N.D.C.H : vous savez, dans les religions orientales, notamment le Bouddhisme et le


Shintoisme, il y a ce qu’on appelle le ‘‘Karma’’. C’est un concept qui exprime la bipolarité de
la vie humaine, c’est-à-dire que, l’existence de l’homme est partagée entre deux bornes
significatives : le Bien et le Mal. Le Karma, c’est donc la somme des actions posées par un
individu durant son existence et qui, ont des conséquences sur sa destinée. Autrement dit, les
actes que l’on pose au quotidien, qu’ils soient positifs ou négatifs, ont un effet boomerang,
c’est-à-dire produisent des conséquences qui retombent sur nous, qui en sommes les auteurs
ou instigateurs. C’est pourquoi, on dit qui sème le vent, moissonne la tempête. Si vous agissez
dans le sens du bien au sein de votre entourage, il va de soi que, vous serez recompensez à
l’image de vos actions ; par contre, si vous agissez négativement, vous récolterez le
mécontentement de votre entourage, et certainement des ripostes ou représailles de sa part.

Z.O.M : vous nous avez dit que, parmi les instances de la personne humaine chez les
Bangangté qui subsistent même après la mort, il y a le nom. Qu’est-ce que le nom
concrètement dans la société traditionnelle Medumbà ?

N.D.C.H : vous savez dans l’occultisme, de toutes les différentes parties immatérielles de
l’homme sur le plan ontologique, qui attirent l’attention, c’est bel et bien le nom. En fait, nous
croyons naivement que le nom n’est qu’un ensemble de mots conjointement choisi, par le père
et la mère pour désigner leur enfant. Rien n’est plus fallacieux. En effet, le nom dans
l’ésotérisme, l’occultisme ou l’hermétisme, est en réalité le lien occulte qui unit les différents
corps de l’homme qui existent : corps physique, corps étherique, corps animique, et corps
spirituel ou corps astral. Le nom désigne la nature profonde de l’être et établit ou relie l’être
au monde suprasensible ou astral. C’est pourquoi dans les sciences divinatoires, vous verrez
toujours si vous êtes attentif, qu’on vous demande votre nom, car, en prononçant ou en
évoquant le nom d’une personne, toute sa vie quotidienne et même antérieure se déroule dans
la boule de chrystal du médium. De même, pour ceux qui prétendent entrer en contact avec les
184

trépassés, on vous demande toujours votre nom, et le nom de celui ou de celle avec qui, vous
desirez communiquer. Même dans le monde invisible, tout ce qui existe, est doté de nom.
Encore autre chose, dans la pratique du vaudou chez les Béninois, il y a une sorte de
marionnette que l’on place, et à qui on implante des aiguilles. Avant généralement qu’on aille
en profondeur, on demande le nom de la personne, à qui vous souhaitez faire du mal. Dès lors
que le nom est donné, l’officiant commence à infliger des douleurs à la marionnette, qui se
répercutent physiquement sur la personne dont on a prononcé le nom. C’est pourquoi, je dis
toujours aux jeunes, d’être jaloux et avares avec leurs noms, car les sorciers dehors peuvent
faire beaucoup de choses pernicieuses avec cela.

Z.O.M : Mr Ndjické Demenou, je vous remercie.


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RESUME

La présente réflexion s’intitule, ‘‘Ethique et éducation en Négro-culture : le cas des


anciens Egyptiens et du peuple Binam Bandjoun et Bangangté’’. Elle s’intéresse au lien qui
existe, entre l’éthique et l’éducation dans l’Afrique ancienne, tout en relevant leur
indissociabilité empirique. Elle montre également que chacune de ces réalités revêt une
signification anthropologique et sociale particulière liée à une mosaique de facteurs. Loin de
s’enliser dans d’interminables débats relatifs à l’unité culturelle du continent noir, l’objectif
central de cette étude est de montrer comment, depuis l’Ancienne Egypte, l’éthique égypto-
africaine a orienté d’une façon spécifique et durable, l’éducation en Afrique. La miscibilité de
ces réalités aussi bien chez les Kemetyou que chez les Binam, a favorisé l’émergence d’un
type d’individu, véritables porteurs du message divin. Mais peut-on dire de même des sociétés
actuelles ? En effet la scolarisation des individus ainsi que l’amélioration relative de leurs
conditions de vie, ne suffisent plus à occulter l’anomie régnante, la profonde dépravation des
mœurs que traversent nos sociétés. Au premier banc des accusés, figure le système éducatif
qui, influencé par les intrusions occidentalo-chrétienne et arabo-musulmane, a fini par isoler
le sujet de ces réalités culturelles. Face donc à la remanence de certaines incohérences
inhérentes au système éducatif actuel, quelle a été alors de ce qui précède, la place de
l’éthique dans l’essor du système éducatif africain ancien ? Bien entendu, la réponse à cette
intérrogation s’est bâtie autour de quatre chapitres, théoriquement appuyés par une démarche
culturaliste et fonctionnaliste. L’exploitation des sources orales et écrites, sans oublier les
documents linguistiques et audio-visuels, a irrigué notre compréhension de la pertinence et de
l’importance du lien de causalité qui unit ces deux réalités dans l’Afrique ancienne. Les deux
premiers chapitres tentent une reconstitution historique de l’éthique et l’éducation en Afrique
ancienne. Le troisième examine le lien qui les unit à travers une anagogie des Maximes
kemetyou et contes Binam. Le dernier lui, analyse les impacts de cette corrélation sur le
fonctionnement endogène des sociétés étudiées. Au terme de cette entreprise, l’on est parvenu
à tirer un certain nombre de conclusions, qui font indéniablement du lien sacré entre l’éthique
et l’éducation, le soubassement même du développement des dites sociétés. Nous constatons
alors que dans un contexte régional charrié par les impératifs de ‘‘Renaissance africaine’’, la
reddition des civilisations negro-africaines face aux progrès technoscientifiques, ne deviendra
utopique que lorsque les Africains, procéderont à une refonte de leur mentalité.

Mots clés : éthique, éducation, système éducatif, initiation, Négro-culture, Kemetyou, Binam,
Maximes égyptiennes, tradition orale, développement.
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GLOSSAIRES

Cette rubrique permet de fournir des renseignements forts utiles sur des expréssions
employées en trois langues dans le cadre de cette étude comparative. Tout d’abord, nous
avons procéder par l’explication succincte des expréssions utilisées en langue Ghomàlà et
Medumbà, puis en Ra en kemet.

Glossaire du Ghomàlà et du Medùmbà – Français :

Si ou Nsi : c’est l’expréssion employée par les peuples de l’Ouest-Cameroun dans leur
écrasante majorité pour désigner l’Etre suprême. Ce terme en langue Binam, est aussi utilisée
pour désigner la ‘‘terre’’, cette donnée anthropologique inaliénable (dont le chef en est le
garant suprême et le dépositaire) en raison de son caractère sacro-saint.

Mpfési ou Mângᵾdnzeh : ce terme habituellement est employé chez le peuple Binam pour
désigner les ancêtres, c’est-à-dire ces trépassés qui ont fini par être élevés au rang de
bienheureux par leur communauté, en raison de leur longévité exceptionnelle, bravoure,
l’exemplarité de leur vie terrestre et aussi leur progéniture importante.

Dzudie ou njᵾndâ : il désigne l’héritier en langue Binam. Celui-ci est généralement membre
d’office de l’association ou siégeait son père. Il est aussi le chef du culte des ancêtres de sa
famille.

Fô ou Mvem : désigne le chef chez les peuples de l’Ouest-Cameroun. Par ailleurs c’est la
personnalité la plus importante (de la structure sociale) placée au centre des rites à l’Ouest-
Cameroun.

Djuikam : nom donné à la femme qui tient compagnie au futur chef durant sa réclusion
initiatique dans l’enceinte sacrée du La’akam.

MaFô ou Mâ Mvem : il s’agit de la mère ou de la génitrice du chef. Autant dire qu’elle jouit
à ce titre, d’énormes privilèges qui font d’elle, en réalité, la personnalité la plus influente au
près de son fils. En outre toutes les épouses du chef y compris la koung-Fô lui sont soumises
littéralement, de même que les sujets du chef tels que les tchofo et les tabué.

La’akam ou La’akuang : enceinte sacrée chez le peuple Binam, reservée principalement à


l’initiation du futur chef durant neuf semaines. Elle est également reservée à l’initiation du
187

souop kouekelong, du kuipou, et de certains notables. Elle est pour tout futur chef, un passage
obligé pour l’exercice de ses fonctions temporelles et magico-religieuses.

Fam kà : expréssion employée pour désigner la nécropole des ancêtres royaux à l’Ouest. Son
accès est strictement prohibé à tout étranger, voire même certaines personnalités de la
chefferie.

Mkamvu’u : le conseil suprême de neuf notables inamovibles (de par le rôle joué par leurs
ancêtres aux cotés du chef fondateur de la chefferie) ; leur fonction est d’assister le chef, mais
aussi de contrôler et temperer son action. De ce fait, il joue donc un rôle éminemment
politique car, il constitue en réalité, une assemblée consultative incontournable dans toutes les
prises de décision, engageant la vie de la communauté toute entière. Par ailleurs c’est ce
conseil qui intrônise le chef et peut éventuellement le démettre de ses fonctions, en cas de
forfaiture grâve, jugée irrémissible.

Mkam sombue : conseil de sept notables, constitué de personnalités cette fois nomméés par le
Fô, et donc, revocables. Contrairement au conseil des neuf, ce conseil est une sorte
d’instrument institué par les chefs au cours de l’histoire des chefferies, pour se libérer
progressivement de l’emprise trop rigoureuse du conseil suprême des neuf. C’est donc un
organe d’interposition entre le chef et le conseil tutelaire des neuf notables.

Wala ka ou wala kuang : deuxième personnalité dans la chefferie du point de vue politico-
administratif ; c’est lui en fait qui coordonne les activités au sein du village composé des
provinces. Il veille à l’application des législations votées et adoptées par la chefferie et le
conseil des neuf. Son influence politique, fait de lui, le successeur du chef en cas de vacances
à la chefferie.

Wala sissi : contrairement au wala précédent, ses prérogatives sont beaucoup plus d’ordre
religieux ; en effet le caractère sacré de cette fonction, s’explique par le fait que, c’est à ce
dernier, qu’incombe, le culte des ancêtres royaux ; autrement dit, il a accès aussi bien au Fam
ka (nécropole royale) qu’au votsa (forêt sacrée). Tout ceci fait de lui incontestablement, le
véritable chef spirituel et mystique du territoire.

Kuipou : prince héritier et frère consanguin du Fô jouissant d’une grande influence au sein de
la chefferie ; ce lien de parenté avec le chef, fait de lui son adjoint.
188

Tadjé : sorte de chef ou gouverneurs placés par le chef à la tête de chaque quartier. Ils sont en
réalité des agents de renseignement car, du fait qu’ils veillent au maintien de l’ordre et de la
justice dans les quartiers qui leur ont été échus, ils informent le chef régulièrement de la
situation qui prévaut.

Mkamsi : littéral. ‘‘Notables de Dieu’’ ; il s’agit des hommes ou femmes qui ont reçus des
revelations divines, et des pouvoirs de guérison. Ils sont une sorte de prophètes guerrisseurs
reconnaissables à leur accoutrement atypique à l’Ouest-Cameroun.

Kè ou kuang : il s’agit de la cérémonie la plus importante placée au centre de la religiosité


Binam. Elle a lieu deux fois l’année au sein du village, et est présidée par un groupe magico-
religieux puissant et très redouté appelé masso. Cette cérémonie (ponctuée d’offrandes et
sacrifices) qui dure près de six à sept mois, est un moment de purification générale du village,
de communion, et surtout de rites agraires au sein du village. Elle est au final, une sorte de
cure de jouvence, car elle permet au chef sur le plan magico-religieux, de se régénérer, de se
requinquer pour mieux diriger son peuple avec sagesse et droiture.

Pfuokeng ou pfuékang : arbre de la paix dont la principale vertu ésotérique, est d’apaiser ou
pacifier des couples en conflits ou en crise, de décrisper des situations tendues... En un mot, il
est le symbole de la paix, l’harmonie, la stabilité, et l’équilibre.

Tagne et magne : noms donnés aux parents des jumeaux dans l’espace Binam. Ils jouissent
d’une certaine considératon qui s’explique par les croyances religieuses.

Mô ou mèn ou Mèn shum : enfant, garçon ou homme à l’Ouest-Cameroun.

Ngo ou ngoun : fille

Djui ou mennzwi : la femme

Massou : expression désignant ‘‘la mère de la houe ou reine de la houe’’. Elle est utilisée
pour qualifier une femme aux aptitudes remarquarbles sur le plan agricole.

Noue-ninio ou nenᵾn : la vérité

Noue- pepoung ou mebwo: le bien, la vertu.

Noue-tchouepong ou kebwo : le mal, le vice, la méchanceté.

Tchwa- noue ou tadte : le mensonge


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Ghom ou ntchoube : la parole ou le verbe.

Madjon ou madjoun : première société de classe d’âge à bandjoun et à bangangté, axée sur
l’endurcissement physique du garçon. Elle veille à transmettre une formation de guerrier aux
garçons de la communauté, afin de les préparer à protéger, défendre le village, en cas de
conflit imminent.

Ma kué : autre société de classe d’âge à bandjoun et bangangté, qui développe chez
l’individu, le sens des responsabilités, des engagements, et des devoirs qui lui incombent dans
son quartier. En effet, chaque mois, l’individu intégré dans cette société, doit déposer durant
son initiation, un fagot de bois mort, chez le chef de son quartier, pour lui faire savoir qu’il
appartient à sa juridicition. .

Dioum ou dừm : sorcier spécialisé dans l’antropophagie ou la manducation. Il se fortifie sur


le plan mystique grâce au sang de ses vicitmes.

Sué ou ziâghe : génie maléfique invoqué pour la prospérité matérielle, pour l’abondance de la
richesse. certains voient en lui, le fondement même du fame làh (qui veut dire donner ou
donne-moi). En effet, il s’agit d’un être intemporel suprasensible avec qui certains individus,
passent un accord pour s’enrichir brûsquement (sur le plan matériel), ce qui éveille le plus
souvent des soupçons, controverses et suspicions dans l’entourage. Il accorde de la richesse à
ceux ou celles qui la désirent, en échange d’un sacrifice humain.

Glossaire du Ra en kemet – Français :

nb-t3wy/neb-Taouy: le seigneur du Double pays

: s3 Rc/sa- Râ ou sa-Rê. Cette expression veut dire ‘‘fils du soleil’’, l’un des titres arborés
d’abord par les pharaons de la 5ème dynastie, à l’Ancien Empire.

: pr- c3/per- âa. C’est la grande maison, qui a fini par désigner la personne de pharaon à partir
du Nouvel-Empire, précisement la 18ème dynastie.

: nsw-bity/ nesou-bity. Nesou bity signifie celui qui appartient au jonc et à l’abeille, donc roi de
Haute et de Basse Egypte.
190

ou : pr - cnḫ/per-ankh. C’est la maison de vie, qui dans l’Egypte ancienne, est une institution
rattachée à un temple, spécialisée dans l’élaboration des sciences sacrées.

: sr/sèr. C’est le fonctionnaire ou le noble dans l’ancienne Egypte.

: ṯ3ty/tjaty. C’est le vizir, c’est-à-dire la deuxième personnalité politique après le neb


taouy.

: sš/seche. C’est le scribe, écrivain, copiste, intellectuel ou lettré.

: ikr/iker. Iker signifie excellent, habile, meilleur, adroit.

: hm nṯr/hem netjer. C’est le prêtre, c’est-à-dire, celui qui est au service de dieu.

: mdw nṯr/medou netjer. les paroles divines, ou écriture divine.

: msw/mesou. Ce sont les enfants.

: Sḫty/sekhety. C’est le paysan, agriculteur ou cultivateur.

: iky/iky. C’est l’ouvrier

: kmt/kemet. C’est la terre noire, le pays des noirs, et par extension l’ancienne Egypte.

Kmtyw/Kemetyou : Ce sont les anciens Egyptiens

rmt/remetj: Ce sont populations de Kemet

im3ḫhw/ imakhou : Ce sont les morts justifiés, les ancêtres

whyt/ouheyt : la nation

ou ḫbsw/ khebesou : Ce sont les champs de l’Etat ou exploitations agricoles


étatiques.

/m3‘t/ maât : la justice, l’ordre, l’harmonie, l’équité, la vérité en tant que réalité
sociale
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/m3ct/maât : L’ordre déifié ou la justice divinisée. Il s’agit ici d’une réalité


suprasensible, et donc cosmique.

: /htpw/hetepou : paix

/Isft/Isefet : Le désordre, l’injustice, le chaos, l’instabilité.

/nb-r-ḏr/neb-er-djer: Le maitre de l’univers.

/3ḫt/akhet : La crue ou l’inondation, l’une des trois saisons de Taouy.

/dw3t/douat : C’est le monde souterrain

/T3wy/Taouy : le double pays formé de Taresi et Tamei, Kemet du Sud et le Delta

/spatyw/sepatyou : Ce sont les nomarques ou responsables provinciaux

/ ct sb3/ ât sebayt : département d’instruction ou d’enseignement

Documents Annexes

Annexe I : Statue du pharaon Djoser-Izézi, retrouvée au pied de la pyramide à degrés de


Saqqarah, troisième dynastie, Ancien-Empire, Encyclopadia universalis, corpus 6,
PL.III
192

Annexe II : photo du Fô Bandjoun Gnie Kamga entouré de deux ‘‘tchoffo’’ (serviteurs).


193

Annexe III : image du Fô actuel de Bandjoun, Djomo Kamga Honoré lors d’une
cérémonie traditionnelle publique.
194

Annexe IV : image du Mvem actuel de Bangangté, Nji Moluh Seydou Bokam dans
l’enceinte sacrée de la chefferie.
195

Annexe I : Ethique-éducation et développement endogène en Afrique noire moderne

Longtemps immergé dans la lutte pour l’autonomie interne au lendemain de la conférence


franco-africaine de Brazzaville (janvier-fevrier 1944), les colonies d’Afrique noire stimulées
196

par le second conflit mondial et la défaite française de Dien-Bien-Fu, accèdent


majoritairement aux indépendances dans les années 60 (excepté les colonies portugaises qui
viennent d’entamer leur guerre de libération, et l’ANC de Mandela venant juste de passer à la
lutte armée). La magie des indépendances laisse planer alors le spectre du redécollage du
contient Africain, l’espoir dans son redressement, l’amorce de sa longue marche vers son
unité et sa reconstruction, outragée par des siècles de traite et d’assujétissement. Mais très
vite, nombreux sont ceux qui n’ont rencontré peu de temps après, que désillusion car grande
fut la déception qui succède à l’euphorie des indépendances. En effet, si beaucoup de pays
nouvellement indépendants sont d’abord placés sous le regime du multipartisme, la plupart
dans les années qui suivent adopteront le système de parti unique ou monopartisme (et dont la
rigidité laisse transparaitre dans une certaine mesure, la marque du centralisme principataire).
Certains d’entre eux à l’instar d’Houphouet Boigny ont tenté d’en justifier l’instauration en
ces termes :

Nous naissons à peine à la vie indépendante, nous avons hérité des français non pas une nation, mais un
Etat ; la nation est une construction de longue haleine…Partout ou on a tenté le multipartisme, on a
ressuscité des querelles tribales or nous devons depasser ces querelles tribales. En Côte D’ivoire comme
la plupart des pays africains, le multipartisme ne sert pas la cause de l’unité345.

En réalité bien que la véracité de cet argument s’est vérifiée dans des pays comme le
Nigéria et le Rwanda indépendants (déchirés et fragilisés par des querelles ethno-
communautaristes aigues), prétendre que le multipartisme exacerbe les divisions ethniques et
ne sert pas la cause de l’unité, c’est galvauder dans un certain sens la notion d’unité, c’est
l’obscurcir à la laissant prisonnière des intérêts et ambitions de politique politicienne, voire de
politicaillerie. Le multipartisme dans un Etat de droit, en réalité, n’est que l’expression de
l’unité dans la diversité ; c’est l’expréssion de l’acceptation et de l’admission des
contradictions, des divergences d’opinons, ou d’idéologie au sein d’un pays. D’ailleurs Victor
Hugo, n’a-t-il pas affirmé que ‘‘du débat des idées, jailli la lumière’’. L’objectif de cette
analyse, est de montrer que vingt-ans après les indépendances africaines, face aux multiples
échecs des politiques de développement entrepris par les pères de l’unité africaine et
l’essouflement manifeste du projet panafricaniste, certains intellectuels africains ont proposé

345
Felix Houphouet-Boigny, ‘‘Afrique, une autre histoire du 20ème siècle, acte 3 (1965-1989), Le règne des partis
uniques’’, une émission audio-visuelle d’Elikia M’bokolo, Philippe Sainteny et Alain Ferrari, commentaire dit
par Carole Karemera, France télévisions, Ina, Temps noir, 2010. Mais le président du syndicat agricole africain
ne fut pas le seul à justifier dans son pays, le régime de parti unique, car à coté de lui, Léopold Sédar Senghor
(ayant tiré les leçons de la rivalité aigue qui l’opposa à Mamadou Dia) a pu dire à cet effet : ‘‘Je pense que dans
un pays sous-developpé le mieux est d’avoir, sinon, un parti unique, du moins un parti unifié, un parti dominant,
ou les contradictions de la réalité, se confondent entre elles au sein du parti dominant, étant entendu que, c’est le
parti, qui tranche’’. In ‘‘Afrique, une autre histoire du 20 ème siècle, acte 3’’.
197

un nouveau paradigme de développement pour inverser la situation déplorable dans laquelle


se trouve leur continent : le concept de développement endogène. C’est une approche dont les
promoteurs, pensent que la recherche des solutions aux difficultés multiformes du continent,
doit venir de l’intérieur. L’Afrique represente un enjeu géopolitique et géostratégique majeur
qui en fait un continent convoité. De par les potentialités plurielles et diverses qu’elle regorge,
cela autorise à penser qu’elle est le continent de l’autosuffisance virtuelle. Toutefois, si elle
semble tarder à accomplir son destin, c’est parcequ’au lendemain des indépendances, sa
conception éthique, et éducative s’est trouvée profondement affectée par l’école coloniale.
Comment expliquer qu’un continent autrefois ou le pouvoir politique traditionnel, n’était que
l’expréssion d’un consensus du conseil des sages à porter un être representatif (alors considéré
comme étant la ré-incarnation de l’ancêtre primordial) de toutes les divergences sociales, sest
retrouvé juste après les indépendances, objet d’autocratie civile et dictature militaire
sanglantes qui l’ont fait sombrer dans une situation internationale intolérable ? Ce qu’il faut
aux Africains, c’est un véritable recyclage à l’éducation démocratique, à la culture
démocratique346. L’éducation à la culture démocratique, ici, c’est le fait de montrer aux
Africains que le pouvoir, en Afrique, a toujours été dans l’Afrique traditionnelle, une donnée
inexpugnable indissociable du sacré et servant avant tout les intérêts du peuple, et non ceux
d’un individu. En effet une décennie sensiblement après les indépendances, les pays africains
dans leur immense majorité sont confrontés aux problèmes de dictature ou de tyrannie civile
ou militaire. Or souvenons que dans une société, chaque fois que l’expréssion plurielle (qui
n’est autre que la démocratie ou les intérêts du grand nombre) est étouffée par un individu ou
une minorité oligarchique et ploutocrate (sourd et insensible aux revendications populaires),
la seule option féconde qu’il reste alors à la majorité pour se faire entendre ou changer de
regime, c’est de recourir inévitablement à la voie armée. Alphar Omar Konaré au regard du
caractère infructueux et oppressant des regimes dictatoriaux (déguisés en forme de
démocratie) en Afrique, a souligné cette necessité de prioriser l’alternance politique en ces
termes :

On pouvait expliquer le parti unique les premières années de l’indépendance ; mais quand les crises
politiques ont commencé à apparaitre, et que ces crises politiques sont le reflet de divergences d’intérêts,
ca veut dire qu’il y avait de l’espace pour laisser se créer d’autres partis ploitiques. C’est ca qui ne s’est
pas produit, et c’est cela qui a aiguisé les contradictions et a conduit aux coups d’Etat militaire parce qu’il
n’y avait pas d’autres possibilités de changer de regime. Et les coups d’Etat militaire c’était une tragédie,
car en Afrique entre 1956 et l’an 2001 il y a eu plus de 180 coups d’Etat et ca continue malheureusement
encore… ca veut dire que chaque fois que l’expréssion plurielle est bloquée, et que la perpective de l’etat

346
Daniel Etounga Manguelle à ce propos, est venu à s’interroger sur cette possibilité de savoir ‘‘ l’Afrique a-t-
elle besoin d’un programme d’ajustement culturel’’, car pour cet auteur, ‘‘la cause globale, la cause unique, celle
qui est à l’origine de toutes les déviations, c’est la culture africaine’’… Daniel Etounga Manguelle, op.cit., p.21.
198

de droit n’existe pas, il faut s’attendre en ce moment qu’il y ait des coups d’Etat ; et les coups d’Etat ne
sont pas des solutions, surtout si ces coups d’Etat interviennent et que ceux qui le font s’inscrivent dans la
dynamique de la culture unique et du parti unique 347.

Si le parti unique dans sa forme pervertie (appelée despotisme obscur ou parti unique
dévoyé selon Edem Kodjo) en Afrique, semble se caractériser par l’extrême concentration des
pouvoirs entre les mains d’un seul homme, la quasi-inexistence des libertés fondamentales et
l’absence de contre-pouvoir, en réalité on aurait tort d’y voir la source de tous les maux,
‘‘l’incarnation du mal absolu348’’. L’instauration du parti unique peut être une solution, une
perspective politique idéale momentanée envisageable dans un Etat selon les situations, les
circonstances exceptionnellles, les événements, les crises majeures ; il servirait de ce fait à
rassembler ou réunir les forces centrifuges désorientées par le cours de l’histoire, dispersées
et fragilisées par des divergences partisanes et idéologiques (sans lendemain historique). C’est
pourquoi, il parait constituer dans cette mouvance, la première étape unitaire dans un pays
devant déboucher plus tard et logiquement, sur le pluralisme : on parle alors de monopartisme
rationalisé ou de parti unique idéalisé, c’est-à-dire, une période transitoire nécessaire (vers la
démocratie) en vue de juguler les risques de cacophonie ou d’anarchie que pourrait
occasionner ou générer une fragmentation et un éparpillement irrationnel et brutal des forces
sociales. Promouvoir le développement endogène en Afrique sur le plan politique, c’est donc
favoriser et encourager l’émergence d’une véritable culture démocratique chez les Africains,
pour qu’ils comprennent qu’on n’a pas besoin en Afrique, d’hommes forts, mais d’institutions
fortes, baties sur des législations qui réfletent et traduisent parfaitement nos réalités
culturelles. C’est aussi faire comprendre aux Africains, que, dans un continent ou les biens
économiques et financiers sont probablement sous la coupe des multinationales étrangères, la
carrière politique, n’est assurement pas le seul moyen de faire fortune. En effet le domaine
politique en Afrique, tant à exercer un certain attrait sur les jeunes, qui ne sont alors,
généralement que de simple courroie de transmission entre l’élite dirigeante ‘‘gérontocrate’’
et les masses ; par conséquent ils se retrouvent parfois entrain d’être l’allié d’un régime
d’exclusion, qui de par ses méthodes et ses lois, opprime le peuple. L’éducation à la culture
démocratique, du point de vue politique, c’est également faire comprendre que la jeunesse (au
regard de son importance démographique) doit cesser d’être, un instrument entre les mains du
pouvoir politique, lui permettant d’accomplir ses funestes projets et de se maintenir ad vitam

347
Alpha Omar Konaré, Afrique, une autre histoire du 20 ème siècle, acte 3, (1965-1989), le règne des partis
uniques, une émission d’Elikia M’bokolo, Philippe Sainteny et Alain Ferrari, commentaire dit par Carole
Kamerera, France télévisons, Ina, Temps noir, 2010.
348
Edem Kodjo, …Et demain l’Afrique, Paris, Stock, 1985, p.159
199

aeternam. Elle doit plutôt être, au centre des préoccupations politiques, car en tant que
principale force active d’un Etat349, l’establishment devrait lui accorder d’avantage
d’importance, en l’associant dans la prise de décision, en la consultant, sans intention de la
reprimer si elle venait à emettre un avis qui soit aux antipodes de la vision politique du
pouvoir en place. Les pays industrialisés eux, l’ont très vite compris et ont voté un arsenal de
lois qui favorisent, l’égalité des chances. En outre, l’évolution des jeunes ne devrait plus être
conditionnée dans les Etats du tiers-monde. En effet, dans un univers ou la mystification du
pouvoir tend à faire de sa posséssion, l’apanage de personnes du troisième-âge, les jeunes
dans leur quête effrenée de l’emploi350, sont le plus souvent conditionnés. Certes nous ne
disposons de témoignages de ces jeunes victimes de tels abus, pour le corroborer
(quantitativement parlant) ; mais c’est une oppressante réalité qui s’est faite jour au lendemain
des indépendances. D’ailleurs dans des pays ou la susceptibilité du régime en place, combinée
à l’ubiquité de la censure, rendent délicat l’usage de la parole et incite par conséquent les
hommes à agir de manière circonspecte, aucun individu ne risquerait de dévoiler ses déboires
relatifs à ce système inique qui, admet d’une part ceux qui se soumettent silencieusement aux
conditions imposées, et écarte d’autre part ceux qui n’y adhèrent pas. L’accès aux cercles
magico-religieux, dans la plupart des capitales d’Afrique noire, est devenu à quelque degré
près, le critère inavoué d’évolution socio-professionnelle de la jeunesse, entrainant de ce fait
une sorte d’impéritie (car la compétence est alors sacrifiée au profit des parrainages et
coptations) au sein de la bureaucratie africaine. Or dans tout pays digne de ce nom,
l’évolution individuelle devrait être basée sur le mérite, l’effort personnel, la persévérance des
uns et des autres, l’amour et le souci du travail bien fait, l’abnégation aux tâches et missions
assignées, bref la conscience professionnelle et l’atteinte des résultats escomptés : c’est ce
qu’Abdoulaye Wade a appelé le ‘‘travaillisme’’ ou culte du travail. Le travaillisme selon lui
est une doctrine qui fait du travail, le fondement de tout développement humain, facteur
principal de la production économique ; en sublimant le travail, l’auteur montre que, c’est ce
par quoi, l’homme est libéré et valorisé. Ainsi par le culte du travail, l’Afrique réservoir
d’importantes ressources humaines, main-d’œuvre et ressources intellectuelles, devrait

349
Pour souligner le rôle déterminant de la jeunesse dans le redressement du continent, Abdoulaye Wade a pu
dire, lors d’un congrès des jeunes de son parti : ‘‘Dis-moi quelle jeunesse tu as, je te dirai quel peuple tu seras’’,
Un destin pour l’Afrique, Paris, Michel Lafon, 2005, p.52.
350
Le système éducatif dans l’Afrique actuelle, mieux l’enseignement supérieur, génère chaque année, de
nombreux diplômés universitaires qui se lancent alors, dans une course effrenée à l’emploi ; c’est ce qui entraine
d’une part la saturation du monde du travail, et d’autre part le fait que la compétition en devient rude et
sélective.
200

pouvoir se construire en toute liberté et indépendance351. Les Etats africains doivent donc
promouvoir le culte du travail en faisant de lui, le seul et unique critère de l’ascension
individuelle sur le plan socio-professionnel, au lieu d’instituer des mécanismes qui
conditionnent et régulent l’évolution de la jeunesse, mécanismes à connotation sectaire (voire
sectariste) n’ayant pour finalité que, de les dévoyer en inhibant leur esprit critique, et par
extension leur créativité. Ils doivent aussi arrêter de faire de la délation, le signe de la loyauté
des individus envers le souverain. Nous savons que, l’une des caractéristiques fondamentales
du parti-Etat ou parti-Léviathan, est la délation institutionnalisée au sein de la société. Le
parti-Léviathan pour se maintenir, et déjouer les complots qui viseraient à le renverser, se doit
de connaitre ce que pensent et projettent de faire les différents individus du territoire ; il ne
peut alors se nourrir que du dénoncement permanent des uns et des autres. Dans ce contexte,
il va de soi que chacun, ne voit qu’en l’autre, un danger, ce qui fragilise les relations
humaines en général, et l’harmonie sociale en particulier. Chacun est tenu de sacrifier ses
amitiés, de dénoncer l’autre pour plaire au despote, et espérer s’attirer ses grâces : on parle
alors de sycophantocratie ou gouvernement fondé sur la délation généralisée. Or il n’y a rien
de plus déshonorant, que de sacrifier ses amitiés sur l’autel des calculs égoistes, voire
machiavéliques, tout ceci, pour obtenir des grâces éphémères, qui ne concourent en rien au
salut personnel. L’homme doit toujours être la finalité de l’action, et non un moyen d’y
parvenir, nous le rappelle les sagesses égyptiennes et la morale Kantienne.

Enfin, le développement endogène sur le plan politique, c’est le fait d’inoculer aux Africains,
le virus de l’unité, la nécessité d’une unité non chimérique et mirifique, mais réaliste en raison
des multiples enjeux que représente l’unification térritoriale du continent africain. L’unité
accroit les possibilités de réussite dans la vie, dans toute entreprise ou initiative ; un espace
(comme l’Afrique) aussi fragmenté par des pseudo-Etats352 aux frontières (protégées par le
principe d’intangibilité) ‘‘artificielles’’ nées du découpage arbitraire amorcé à Berlin, et

351
Abdoulaye Wade, Un destin pour l’Afrique, L’avenir d’un continent, Paris, Editions Michel Lafon, 2005,
p.94.
352
Pour de nombreux intellectuels africains, l’un des obstacles majeurs à l’unification politique du continent,
c’est la persistance de croire que les Africains peuvent s’unir tout en demeurant prisonniers de micro-espaces
politiquement et économiquement fragiles (qu’ils appellent allègrement Etat, protégé par le fameux principe de
l’intangibilité des frontières auxquels ils sont jalousement attachés) qui ne correspondent pas toujours aux
critères de l’Etat moderne. C’est dans ce sens que l’un d’eux, Bechir Ben Yahmed a pu affirmer : ‘‘Le projet du
Dr Nkrumah d’un gouvernement pour l’ensemble du continent pourrait sembler une utopie. Et pourtant, en
Afrique, les frontières sont arbirtraires, les Etats à peine constitués et souvent si miniscules qu’ils ne sont pas
viables, ne reposant, au sud du Sahara surtout, sur aucune base nationale, s’ils ne peuvent vivre et grandir,
pourquoi, en effet, ne pas les grouper en seul ? Tel est le fondement rationnel de la thèse du Dr Nkrumah. Elle
est le contraire d’une utopie. Ce qui est utopique, c’est de persévérer dans la construction d’une Afrique
mosaique de pseudo-Etats’’. Jeune Afrique, 27 juillet 1964, in Edem Kodjo, op.cit., p.245.
201

enteriné durant le traité de paix de Versailles en juin 1919, ne constitue en réalité, qu’un
espace morcellé, fragile, à la merci des autres nations unifiées politiquement et
économiquement parlant. Or comme l’a montré Edem Kodjo, ‘‘l’unité demeure la source
première de la grandeur et de la puissance des peuples353’’. Nous le savons aujourd’hui, le
véritable mal dont souffre le continent aujourd’hui a été diagnostiqué : c’est l’extraversion des
structures de développement du continent, c’est l’extraversion des économies africaines, c’est
au final l’extraversion de la conception même que se font les Africains de la notion de
développement. De nombreux intellectuels africains et africanistes ont ergoté sur ce concept
fondamental de la pensée africaine contemporaine (en raison des enjeux de l’heure) et
continuent de le faire sans cesse ; l’on peut relever Réné Dumont qui a abouti à la célèbre
conclusion selon laquelle l’Afrique noire est mal partie, Jacques Giri d’après lequel l’Afrique
serait en panne, Axel Kabou qui est venu à s’interroger sur le fait selon lequel ‘‘ et si les
Africains refusaient le développement’’, Ben Yacine Touré pour qui ‘‘le développement de
l’Afrique ne se fera pas sans culture’’, et Samir Amin354 d’après lequel ‘‘la raison ultime de la
faillite du développement, c’est l’abscence de révolution agricole’’, etc.. Tous ces auteurs y
compris ceux n’ayant pas été mentionnés (en l’occurrence Tibor Mende, Babacar sine, etc),
ont en commun de remettre en cause le mimetisme qui a prévalu durant des décennies et
faisant du modèle de développement occidental, la référence en la matière, l’idéal à atteindre ;
Ben Yacine Touré a pu parler à cet effet d’ethnocentrisme épistémologique européen355. Le
développement c’est l’amélioration qualitative et durable d’une économie et de son
fonctionnement en vue de sortir les individus d’un espace territorial de la misère matérielle et
mentale pour une société d’hommes et de femmes historiquement épanouis et libres ; Roger.
Granger de son côté le conçoit, comme étant, ‘‘un projet global de transformation de la
société aux points de vue politique, économique, sociologique, culturel. 356’’. Mais ce dont
beaucoup semblent ignorer ou ne pas savoir, c’est que ce projet de transformation de la
société s’inscrit toujours dans un cadre culturel bien préçis, avec sa vision du monde, ses
réalités, ses coutumes et traditions : c’est pourquoi il s’agit d’abord avant toute chose selon

353
Edem Kodjo, op.cit., p.231.
354
Samir Amin est un éminent économiste égyptien de notoriété internationale et dont la contribution à
l’explication et la compréhension des problèmes de développement de l’Afrique et du tiers-monde aura été
cruciale. L’immensité de son œuvre repose globalement sur le développement et l’échange inégal. Parmi ses
ouvrages notables on peut relever : L’Accumulation à l’échelle mondiale, Paris, Anthropos, 1970, Le
Développement inégal, Editions de Minuit, 1973, L’impérialisme et le développement inégal, Editions de
Minuit, 1976, L’Echange inégal et la loi de la valeur, Anthropos, 1973, Impérialisme et sous-développement en
Afrique, Anthropos, 1976.
355
Ben Yacine Touré, Afrique, l’épreuve de l’indépendance, citée par Edem Kodjo, op.cit., p.285.
356
Roger Granger, Droit, in ‘‘Développement économique et social’’, Encyclopédia universalis, corpus 6, Paris,
France S.A, 1985, p.34.
202

Ben Yacine Touré d’un ‘‘phénomène socio-culturel global357’’. Autrement dit, tout modèle de
développement est d’abord culturel, repose sur un ensemble de croyances qui conditionnent
ou déterminent la conception qu’un peuple s’en fait. Or les dirigeants africains au lendemain
des indépendances, ont entamé un développement calqué sur les schémas idéologiques de
l’Ouest et l’Est, comme-ci les réalités culturelles et géographiques de ces milieux sont les
mêmes que les leurs. On peut citer comme exemple cinglant des pays africains s’étant
enganger résolument dans cette voie, le Ghana de Nkrumah (dit l’Osagyefo), la Tanzanie de
Julius Nyerere, le Sénégal de Senghor, La république arabe d’Egypte de Gamal Abdel-Nasser,
l’Algérie de Boumédienne, etc... Tous ces pays énumérés, ont opté pour la voie socialiste
comme modèle de développement économique. Mais comme il fallait s’y attendre, tous
essuyèrent des échecs, dont les raisons sont simples.

Quand Marx conçu ou imagina le socialisme, il est évident qu’il ne pensait pas à des pays à
économie balbutiante ou attardée comme la Russie tsariste, encore moins aux pays asiatiques
et africains. L’auteur du matérialisme historique, pensait en le concevant, à des pays
économiquement avancés comme son pays l’Allemagne (dont l’unité s’est constituée à partir
du Deutscher Zollverein) et la Grande-Bretagne, berceau de la révolution industrielle. En
effet, Marx a conçu le socialisme pour des sociétés scientifiquement avancées, et ou, le
caractère considérable de la production, pouvait permettre alors une repartiton, une
redistirbution optimale et satisfaisante des ressources entre les individus d’une société. Dans
le système socialiste tel que conçu et apréhendé par Marx, le socialisme est le stade suprême
de la société capitaliste (mais dans un sens mélioratif) car, les producteurs qui, sont par
ailleurs les principaux créateurs et pourvoyeurs de la richesse, seraient placées à la tête de la
société dont ils poseront désormais des actes allant dans le sens de l’intérêt collectif (et non
plus individuel).

Biensûr les pays ayant essuyé l’échec de la voie marxiste du développement économique ne
furent pas les seuls déçus dans l’histoire, car les expériences de la voie capitaliste connûrent le
même sort. Si l’expérimentation de ce système typiquement occidental fut un échec, c’est tout
simplement du à la conception erronée que se sont faits les dirigeants africains du fondement
même véritable qui sous-tend cette doctrine, cette idéologie. Ainsi, le capitalisme s’enracine
dans la philosophie individualiste occidentale basée sur la lutte pour la survie (l’homme étant
un loup pour l’homme), la capitalisation de toute occasion ou circonstance qui s’offre à

357
Ben Yacine Touré, Afrique, l’épreuve de l’indépendance, citée par Edem Kodjo, op.cit., p. 285.
203

l’homme pour améliorer son existence et aller de l’avant : ce que Max Weber à identifier à
l’éthique protestante. L’idéologie capitaliste en outre se fonde sur l’accumulation de la
richesse qui permet à long terme de financer ‘‘les programmes de développement et les
entreprises industrielles’’, mais aussi de créer un marché de consommation pour l’écoulement
des denrées produites. Toutes ces conditions cependant, sont quasi-inexistantes sur le sol des
pays africains qui voulurent expérimenter ce système.

Si les dirigeants africains ont échoué dans leur expérimentation des modèles de
développement importés d’ailleurs, c’est parcequ’ils n’ont pas sû domestiquer intelligemment
ces systèmes ; d’autres pays ont plutôt réussi dans cette perspective tels que le japon et la
Chine qui, tous triomphent parfaitement dans le système économique mondial dominant
qu’est l’économie de marché, ou libre-échange. Ces géants d’Asie ont su s’intégrer dans le
système capitaliste occidental, en le réajustant à leurs réalités socio-culturelles respectives, si
bien qu’ils constituent aujourd’hui des exemples de réussite économique. Pourquoi nous-
Africains ne pouvons donc pas réussir à notre tour ?

C’est donc cette transposition maladroite des schémas importés de l’Ouest et l’Est aiguisée
par le manque de politique économique viable (le tout servi par une abscence de capitaux),
qui fait nonseulement des pays africains des Etats perpétuellement assistés, mais aussi des
marchés non-compétitifs qui (en raison du caractère déficitaire de leur balance commerciale)
constituent des sources substantielles concourant plutôt à accroitre et à alimenter la croissance
économique des pays développés.

Mais en déhors du mimétisme contreproductif des sociétés africaines, le développement


endogène de l’Afrique, passe aussi par la mise en question de ce qu’Edem Kodjo, nomme le
‘‘millénarisme’’. Mais qu’est-ce le ‘‘millénarisme’’ ?

Le millénarisme d’après l’auteur, c’est le profond attachement que manifestent aveuglement


les Africains à un ordre immuable du monde et ce depuis des millénaires ; ces cultures
traditonnelles dans laquelle ils semblent se complaire, figent dans une certaine mesure leur
pensée et paralysent mécaniquement leur action. Par conséquent embarqués dans le train
multiforme de la mondialisation, nous constatons que c’est l’ensemble de ces croyances
tradionnelles qui compromet alors leur ascension, et comment ?

Lorsque l’on se tourne retrospectivement sur l’histoire du continent africain, une analyse
attentive nous amène à remarquer que sa trajectoire évolutive dans le temps et l’espace, fut
204

ponctuée par la permanence et la pregnance d’un principe dualiste fondamental dont ont
rarement conscience les Africains eux-même : c’est le concept d’agression-Résistance. Nous
le savons, le contient africain durant son histoire, a subi deux vagues d’agression déterminante
de par les conséquences politiques, économiques et démographiques qu’elles ont engendrées :
il s’agit de la traite negrière ou commerce de bois d’ébène (c’est-à-dire les noirs) et de la
colonisation imposée par des guerres violentes et sanglantes. Naturellement à ces agressions
extérieures multiformes358 sus-mentionnées, les Africains ont repondu par des résistances
héroiques et salutaires qui font encore aujourd’hui, la fierté de son peuple. Cependant, le
paradoxe ici, tient du fait que, de tous les peuples ayant subi des invasions à connotation
hégémonique, les Africains sont ceux-là qui n’ont pas su tirer les leçons qui s’imposent. La
vision angélique qu’ils se font des relations internationales peut en témoigner. Autrement dit,
ces douloureuses épreuves historiques qu’ils ont traversées avec bravoure et héroisme, n’ont
pas affermi leur comportement, n’ont pas infléchi leur conception de la vie, conception qui en
raison de sa forte passivité, ne peut impulser aucun développement véritable. Or comme le
montre Edem Kodjo, ‘‘c’est au regard de ces leçons du passé que les Africains doivent
envisager l’avenir de leur continent359’’. Ainsi il importe de souligner que, la conception
religieuse qu’un peuple se fait de la vie, en réalité, influe profondement sur la prédisposition
des hommes aux grands efforts et moyens que nécessite et exige le développement moderne ;
autrement on note une absence en générale d’un principe transcendantale qui fait de l’homme,
un être condamné à travailler perpétuellement pour satisfaire ses besoins. En effet, nous
connaissons la fameuse prescription divine dans la pensée religieuse judéo-chrétienne ‘‘tu
gagneras ton pain à la sueur de ton front’’ ; en réalité cette prescription relative au paradis
perdu (en raison de la désobéissance humaine), va conduire l’homme, à voir dans le travail
dorénavant, la seule et unique source de son salut personnel. N’attendant plus rien de son
créateur (qui l’a condamné à vivre de par ses propres moyens et ressources), l’homme dans un
tel contexte psychologique, mieux dans une vision protestante Weberienne, doit obtenir son
salut, son absolution voire rédemption, par son ardeur au travail ; ce qui implique

358
Ces deux agressions étaient en réalité sous-tendues par une idéologie bien élaborée et dont la réussite sur le
continent s’est traduite par une durée exceptionnelle ; c’est donc dire que l’importance d’une agression culturelle
délibérément voulue dans un contexte de confrontation interculturelle, s’évalue toujours à sa longévité (donc au
temps), mieux à l’éfficacité de l’idéologie qui la sous-tend et dont les conséquences sont répérables.
Parconséquent toute agression qui s’illustre par son caractère éphémère, voire évanescent, n’est qu’une pseudo
agression bati sur une idéologie fragile, sans consistance théorique. C’est dans cette perpective que Me
Abdoulaye Wade affirme : ‘‘Chaque phénomène d’agression est sous-tendu par une idéologie, car, sans
idéologie et justification culturelle, il ne peut qu’être un phénomène passager et non durable’’. Abdoulaye Wade,
Un destin pour l’Afrique, Paris, Michel Lafon, 2005, p.111.
359
Edem Kodjo, … Et demain l’Afrique, Paris, Editions Stock, 1985, p.223.
205

subséquemment une transformation logique de son milieu naturel par la connaissance et le


savoir-technique, en un mot la science. Mais tel n’est pas le cas de la conception religieuse
africaine de la vie, car l’homme ici est présenté comme étant le maillon fragile, d’un immense
ordre parsemé d’entités suprasensibles dont la supériorité (liée à leur antériorité), lui impose,
un certain respect de l’environnement. Ce qui fait que l’exploitation de la nature ici, est
considérée dans une certaine mesure, comme étant une entorse à la nature, une atteinte, un
viol brutal considéré alors comme sacrilège. C’est d’ailleurs au regard de la passivité de cette
conception africaine de la vie, qu’Edem Kodjo abouti à la conclusion selon laquelle : ‘‘l’objet
de la science n’était pas l’asservisement de la nature et de l’homme, mais plutôt sa libération,
grâce à une symbiose permanente entre l’individu, l’être et son environnement’’.

Malheureusement, comme nous pouvons l’observer, ce ‘‘millenarisme’’ n’a pas,


contrairement à l’éthique protestante, catalysé le développement tant attendu par les
Africains ; c’est pourquoi il doit connaitre des ajustements significatifs, car l’exploitation et la
maitrise de l’environnement, puis sa transformation progressive par une mise en relief
rationnelle de ses ressources et potentialités, passe par une métamorphose littérale de la
pensée africaine, l’émergence d’une sorte de vision prométhéenne.

De ce qui précède, nous avons pu constater que, le concept de développement endogène


nécessite en réalite, une refonte de nos cultures, de notre éducation, de notre éthique
longtemps moulée au millénarisme et au mimétisme. Il ressort à cet effet, que, le problème du
développement en Afrique comme partout ailleurs, est d’abord culturel, avant d’être politique
et économique. Ainsi, sans une éthique revisée, un système éducatif reformé ainsi qu’un
recentrage urgent de notre conception du développement, le continent africain, assurément,
court tout droit vers sa perte, et ne pourra que continuer dans son interminable chute libre
dont nul ne peut envisager la fin. Il est donc temps que les Africains changent de logiciel
mental !
206

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‘‘Afrique (s), une autre histoire du 20ème siècle - Acte 3 (1965-1989) - Le règne des partis
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‘‘Afrique (s), une autre histoire du 20ème siècle - Acte 4 (1990-2010) - Les aventures
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Mbiada Youta Madeleine, sage-femme retraitée, 68 ans, Mfetom (Bangangté).

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