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De l’<IR> à l’« Integrated Risk Scorecard » ?

Une
analyse exploratoire à partir de deux études de cas
Stéphane TRÉBUCQ1

Résumé
Deux études de cas de multinationales sont mobilisées afin d’évaluer
le degré d’innovation et d’inertie dans les pratiques de reporting
intégré (<IR>). Les résultats des observations empiriques montrent
la poursuite d’un découplage entre les cartographies consacrées à la
stratégie et aux risques, en dépit d’une innovation majeure introduite
par SAP, ayant créé un « integrated scorecard ».

Abstract
Two case studies are developed with the analysis of practices of
two main multinational companies, and the way the communicate
and publish their corporate information and integrated reports
(<IR>). Empirical and qualitative results show that there still exists
a decoupling between strategy maps and risk maps, despite a major
innovation introduced by SAP, entitled the “integrated scorecard”.

Introduction

En élaborant un cadre de référence international sur le rapport intégré, ou <IR> (« in-


tegrated reporting »), l’IIRC (Comité pour le reporting intégré international) a ouvert
de nouvelles perspectives de normalisation en termes de publication et de traitement
de l’information financière et extra-financière2. Toutefois, comme cela est précisé dans
son cadre conceptuel publié fin 2013, l’objectif premier est d’arriver à la mise en place
d’une pensée et d’une gestion dites intégrées. Celles-ci sont appelées à être dévelop-
pées à la fois selon un axe temporel, avec un horizon décisionnel plus étendu, et selon

1 Stéphane TRÉBUCQ : Professeur des Universités, IAE Bordeaux – Université de Bor-


deaux, IRGO – Equipe de Recherche en Contrôle et Comptabilité Internationale (ERCCI) -
stephane.trebucq@u-bordeaux.fr
2 D’aucuns y verront une énième norme, venant s’empiler à d’autres propositions (voir le pro-
cessus de Tétranormalisation, tel que décrit par Savall et Zardet). Toutefois, l’IIRC propose un rap-
prochement logique entre les rapports annuels conformes aux IFRS, et les rapports de développement
pouvant suivre la norme GRI.

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une approche systémique, conduisant à identifier et à retracer l’ensemble des en-


trées et des sorties de l’entreprise, ses externalités, ainsi que les interactions entre ses
­sous-systèmes. Empruntant aux expériences de Skandia (Edvinsson, 1997) et d’Analog
Devices (Kaplan & Norton, 1992), l’approche préconisée par l’IIRC est celle d’une meil-
leure explication des mécanismes de création de valeur à destination des investisseurs,
en mobilisant notamment l’analyse de l’ensemble des capitaux immatériels, ainsi que
leurs interactions possibles. On pourra aussi parler de relations de cause à effet, ou de
« connectivité » selon le vocabulaire utilisé dans le cadre de l’<IR>. La publication d’un
rapport intégré appelle également à lier huit composantes fondamentales, à savoir : la
présentation de l’organisation concernée et de son écosystème, sa gouvernance, son
modèle économique, ses risques et ses opportunités, sa stratégie d’allocation des res-
sources, sa performance, ses perspectives et finalement, ses modalités de consultation
des parties prenantes et de reddition de comptes. Dans le cadre de cet article, nous
étudions les conséquences de ce nouveau référentiel en termes de transformation et
d’intégration des outils de gestion, notamment en matière de suivi des performances
et des risques. Nous cherchons de ce fait à étudier les conséquences de la mise en
œuvre d’un reporting intégré. Celle-ci devrait conduire à mieux relier les contenus des
cartographies stratégiques et des cartographies de risques. Pour ce faire, nous nous
appuyons sur le modèle théorique institutionnaliste de Burns et Scapens (2000), et
l’analyse exploratoire du cas de deux entreprises multinationales. La première est lea-
der mondial du retraitement des déchets nucléaires ; la seconde est le leader mondial
des systèmes d’information d’entreprise. Compte tenu de la sensibilité du sujet traité,
et de la difficulté d’accès aux terrains, la méthodologie mobilisée est celle de l’obser-
vation non participante, en se fondant sur une analyse documentaire et qualitative
des publications et des communications diffusées publiquement. Dans une première
partie, nous présentons la littérature académique consacrée aux balanced scorecard
et aux cartes stratégiques, ainsi qu’aux systèmes de management des risques et aux
cartographies de risques, en montrant comment ces deux catégories d’outils relèvent
de conventions et de logiques différentes. Cependant, ces derniers apparaissent en
pratique proches, et pourraient être parfaitement connectés et intégrés dans le cadre
d’un « risk scorecard ». Dans une seconde partie, nous montrons comment, en présence
d’un reporting intégré, les systèmes de management et de reporting de la performance
peuvent évoluer de manière radicale vers un « integrated scorecard », tout en restant
parfaitement découplés des systèmes de management des risques.

1. Vers un « Integrated Risk Scorecard » ?

C’est à l’occasion de la récente crise des subprimes intervenue en 2008, que des doutes
ont commencé à émerger sur l’efficacité des systèmes de management des risques en
place dans les banques et les entreprises (Huber & Scheytt, 2013 ; Power, 2009 ; Soin &
Collier, 2013). Or, si l’on revient aux fondements de la gestion des risques, ces derniers
apparaissent intimement liés à la gestion stratégique (Dickinson, 2001). Toutefois,
comme le reconnaît Kaplan (2009) lui-même, fort peu de choses ont été écrites sur
les rapprochements possibles entre l’outil clé du management stratégique, à savoir
le « balanced scorecard », et le management des risques [voir les cas de la banque du
Piedmont (Vola, Broccado & Truant, 2009), ou de Fannie Mae à l’origine de la crise

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partir de deux études de cas

des subprimes (Trébucq, 2011) ne traitant pas explicitement des risques]. Dans cette
première partie, nous présenterons aussi les possibilités récemment développées d’une
évolution possible du « balanced scorecard » vers un « integrated risk scorecard », à la
fois sur un plan pratique (1.1.) et sur un plan théorique (1.2.).

1.1. Une intégration attendue des risques et du balanced scorecard


Pour Kaplan (2009), la mesure et le management des risques diffèrent tellement de la
logique de mesure et de mise en œuvre de la stratégie, qu’il serait selon lui préférable
de maintenir les deux systèmes séparés. Ce point de vue n’est toutefois pas partagé
par certains chercheurs (Savall, Zardet, Bonnet, 2008) et les experts du cabinet Ernst &
Young (Lonergan et al., 2009). Ceux-ci estiment que l’approche par les performances et
celle par les risques forment les deux facettes d’une même recherche, avec pour intérêt
respectivement la recherche d’opportunités et l’évitement d’événements indésirables
(absentéisme, perte de personnel, accidents, défauts de qualité, coûts d’opportunité).
Au balanced scorecard classique (Kaplan & Norton, 1996), composé d’indicateurs de
performance (KPIs ou « key performance indicators »), Lonergan et al. (2009) pro-
posent aussi d’ajouter une colonne spécifique d’indicateurs de risques (KRIs ou « key
risk indicators »). Pour ces derniers, une telle structure est à même de mieux mettre
en évidence l’information concernant les risques, et de clarifier de manière unifiée la
définition donnée aux risques ainsi que les zones de tolérance acceptées à propos des
risques encourus délibérément. On doit à Calandro et Lane (2006) d’avoir les premiers
proposé l’idée d’un « Risk Scorecard », autrement dit d’un tableau de bord prospectif
orienté et centré sur les risques. Les risques sont ainsi classés en quatre catégories
(financiers, commerciaux, processuels, apprentissage), et à chaque risque correspond
un indicateur (solvabilité : taux d’endettement, concurrence : nouveaux entrants, hu-
main : démission de collaborateurs, apprentissage : réalisation des gains de productivité
attendus). De fait, telle que présentée sous cette forme, le « risk scorecard » apparaît
distinct du « balanced scorecard » classique. Aussi, selon Beasley et al. (2006, 2010),
le suivi des indicateurs de performance (KPIs) apparaît insuffisant dans le cadre des
contrôles effectués au sein des conseils d’administration. Les indicateurs de risques
(KRIs) servent aussi à mieux comprendre les variations de performance, et anticiper
l’exposition à l’émergence de certains risques. L’inclusion d’indicateurs de risques est
donc supposée créer un système d’alerte et de pilotage plus fiable, servant notamment
à réviser les initiatives en cours, ou la stratégie poursuivie. Dans un document encore
plus récent élaboré avec le soutien du COSO, Faris et Ballou (2013) développent l’iden-
tification des risques liés au développement durable et à la responsabilité sociétale
des organisations en contrepoint de la recherche d’une performance soutenable. En
pratique, cela nécessite en effet d’intégrer l’opinion exprimée par les parties prenantes,
avec une prise de conscience et une forte implication des dirigeants. Cette dernière
étude renvoie à la question de savoir si l’outil de management stratégique proposé par
Kaplan et Norton est réellement en mesure d’intégrer les problématiques de dévelop-
pement durable et de responsabilité sociétale (Meyssonnier & Rasolofo-Distler, 2011).

Or, à partir du début des années 2000, le balanced scorecard est apparu de plus en plus
controversé (Norreklit, 2000). Celui-ci est notamment apparu notamment difficilement
capable de prendre en considération les facteurs exogènes, impactant la performance

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(Voelpel, Leibold, Eckhoff, Davenport & et al., 2006). L’émergence des problématiques
liées au développement durable a conduit également à remettre en question l’orien-
tation très actionnariale de l’outil. À ce titre, les travaux de Bieker (Bieker, 2002 ;
Bieker & Waxenberger, 2002), ainsi que ceux de Figge et al. (2002) ont commencé à
s’interroger sur l’ordre et le bon nombre d’axes à placer dans un balanced scorecard.
D’autres auteurs ont aussi proposé que les parties prenantes et la responsabilité sociale
deviennent plus centrales dans la réflexion stratégique (Van der Woerd & Van den
Brink, 2004 ; Wolf & Körnert, 2004). Finalement, Sureshchandar et Leisten (2005) ont
proposé de renommer l’axe apprentissage plus explicitement à destination des « em-
ployés », et de créer deux nouveaux axes. Le premier est en relation avec les aspects
sociaux et le second avec le capital intellectuel. Ce rapprochement et cette intégration
entre balanced scorecard et capital intellectuel sont également défendus par d’autres
auteurs (Bose & Thomas, 2007 ; Wu, 2005). Cette tendance au rapprochement entre
capitaux immatériels et balanced scorecard avait d’ailleurs été anticipée par Kaplan et
Norton (2004). Leur modèle de 2004 conduit en effet à citer explicitement le capital
humain, le capital informationnel et le capital organisationnel, ces capitaux étant tous
rattachés à l’axe apprentissage. On notera cependant que la notion de risque n’est pas
explicitement traitée, ni même évoquée par Kaplan et Norton. La possibilité d’intégrer
le développement durable sera quant à elle intégrée plus tardivement, notamment dans
le cadre d’une étude de cas tirée de l’exemple de la société Amanco (Reisen de Pinho &
Kaplan, 2007). Dans ce dernier cas, la carte stratégique est composée de six axes, dont
un notamment consacré aux questions sociales et environnementales (« environmental
and social dimension »), et un autre axe où l’objectif de création de valeur durable et
partenariale est explicitement mentionné (« triple bottom line »). De plus, la thématique
du management des risques devient centrale, celle-ci étant placée au milieu de l’axe
« système d’information et processus ». Cependant, selon Othman (2008), il semble
indispensable de compléter l’approche du balanced scorecard et de la carte straté-
gique par une technique de prospective et d’anticipation de différents scénarii. Pour
un auteur comme Hadders (2010), la réflexion de Kaplan concernant les immatériels
et les parties prenantes reste inachevée. Il propose de mieux distinguer les parties
prenantes internes et externes, ainsi que le capital naturel et social, en supplément du
capital financier, humain et physique.

C’est dans ce contexte de recherche d’un modèle idéal que le nouveau référentiel de
l’IIRC (« International Integrated Reporting Committee ») a été élaboré (Cheng, Green,
Conradie, Konishi & Romi, 2014). Six capitaux immatériels y apparaissent clairement
définis, à savoir le capital financier, manufacturier, intellectuel, humain, social et rela-
tionnel, et finalement naturel. Ces capitaux ne sont pas hiérarchisés, et apparaissent
autant en entrées qu’en sorties du système de production de l’entreprise. Les capi-
taux immatériels apparaissent de ce fait autant comme des ressources mobilisées,
que comme des domaines affectés positivement ou négativement par les activités de
l’entreprise. La circularité du processus est clairement mise en évidence, avec une boucle
décrivant le retour des capitaux immatériels affectés à l’état de ressource à nouveau
mobilisable en entrée du système de production de l’entreprise. De ce point de vue, la
modélisation semble plus aboutie que celle du « balanced scorecard » présupposant
seulement le capital financier comme finalité principale. Le fait de placer par exemple
le capital humain ou le capital naturel dans la zone des résultats et des impacts, permet

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partir de deux études de cas

de mieux comprendre que leur dégradation peut se retourner contre l’entreprise, en


dégradant sa future capacité à mobiliser de tels capitaux, et en mettant en danger à
terme sa réputation, son capital social et relationnel, et sa pérennité. Par ailleurs, le
référentiel appelle à répondre à la question suivante : « quels sont les opportunités et
les risques spécifiques qui affectent la capacité de l’organisation à créer de la valeur
à court, moyen et long terme, et comment l’organisation les traite-t-elle ? ». La rédac-
tion d’un rapport intégré nécessite de ce fait de lister les opportunités et les risques
impactant l’ensemble des capitaux, à en apprécier les probabilités et les impacts, et à
en détailler les mesures adoptées pour en maîtriser les effets. Du reste, pour un auteur
comme Olson (2007), risques et opportunités apparaissent comme des dimensions
complémentaires. De même, Lonergan et al. (2009) considèrent les risques en termes
de protection de la valeur, alors que les opportunités sont liées à un projet de création
de valeur. Selon une logique de transparence, l’organisation est aussi appelée selon
l’<IR>, à expliciter son modèle économique, autrement dit ses objectifs stratégiques
et leurs relations, ainsi que les risques et les opportunités qui leurs sont associés. En
ce sens, le référentiel appelle à la mise en place d’un nouvel outil de gestion, que l’on
peut qualifier d’« integrated risk scorecard ».

1.2. Un rapprochement difficile des risques et du balanced scorecard


Si le lien entre gestion des risques et création de valeur ne fait pas de doute (Woon,
Azizan & Samad, 2011) (voir aussi la norme ISO 31000), les questions de l’identification
fiable des risques et de leur mesure restent encore à l’ordre du jour. Certaines études
adoptent cependant une approche beaucoup plus scientifique, en étudiant par exemple
les risques psychosociaux à partir de questionnaires conduits auprès du personnel (Vestly
Bergh, Hinna, Leka & Jain, 2014). Toutefois, l’analyse des risques passe habituellement
par un processus de consultation des responsables opérationnels. Ces derniers sont
alors appelés à s’exprimer sur les risques encourus, puis en évaluent les probabilités et
les impacts potentiels (Zuckerman, 2010). Comme le souligne Kaplan (2009), on peut
distinguer trois niveaux de risques. Le niveau 3 est composé de risques opérationnels
et de problématiques de conformité (fraude, négligence, erreur, rupture, insuffisance,
inadaptation). À ce niveau, l’audit interne et les plans de formation du personnel peuvent
former des réponses adaptées. Le niveau 2 relève des risques stratégiques (risque
financier, logistique, environnemental, humain, informationnel, technologique). Reste
le niveau 1, englobant les risques globaux inconnus, et non prévus. Kaplan préconise
aussi une revue stratégique régulière et collective des risques de niveau 2 et 1, selon
un mode de contrôle interactif (Naro & Travaillé, 2010 ; Simons, 2013). L’un des points
de faiblesse du balanced scorecard et de la carte stratégique reste cependant que ces
outils ne proposent aucune démarche méthodologique structurée d’identification des
risques (Savci & Kayis, 2006), même si certaines expériences de rapprochement entre
balanced scorecard et risques ont bien été menées à bien (Wang, Lin & Huang, 2010).
Cependant, en dépit des souhaits de certains de placer le management des risques au
cœur des processus décisionnels et de gouvernance Developing intellectual capital at
Skandia (Drew & Kaye, 2007 ; Drew & Kendrick, 2005), un autre point non traité est
celui de la captation de ce domaine par les auditeurs internes (Spira & Page, 2003). Rien
n’indique dès lors qu’un terrain d’entente puisse être spontanément trouvé entre les
contrôleurs de gestion, en charge de la performance, et les auditeurs internes, auxquels

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les risques ont été confiés. Il n’est pas certain que ces acteurs parlent un même langage
et puissent se comprendre (Mikes, 2009). De plus, l’usage concret des cartographies
de risques mérite d’être mieux compris. Ces dernières peuvent être principalement
considérées par leur contenu textuel, qui s’insère au sein d’une interaction sociale, et
qui renforcent l’impression de maîtrise et de confiance (Jordan, Jørgensen & Mitterhofer,
2013). Le management des risques est aussi, pour d’autres auteurs, un instrument de
pouvoir au sein des organisations (Huber & Scheytt, 2013). Il peut également faire
l’objet de pratiques plus ou moins formalisées, avec une réflexion et une implication des
dirigeants plus ou moins poussée (Mikes, 2011). L’ensemble de ces recherches amène
par conséquent à douter qu’une fusion ou une intégration du balanced scorecard et de
la cartographie stratégique soit facilement réalisable.

Le projet d’<IR> recommande pourtant explicitement un rapprochement des dimen-


sions de performance et de gestion des risques/opportunités. Toutefois, certaines
dimensions culturelles à l’échelle des pays apparaissent plus favorables à l’adoption
d’une telle logique. Garcia-Sanchez et al. (2013) ont montré à partir des 2000 plus
grosses sociétés cotées dans le monde, et sur la période 2008-2010, que le degré de
collectivisme et de féminisme, au sens des dimensions identifiées par Geertz Hofstede,
amènent à une plus forte adoption du reporting intégré. Cependant, l’aversion pour
l’incertitude n’apparaît pas significativement comme un facteur explicatif.

Le modèle théorique proposé par Burns et Scapens (2000) propose également une
série de pistes explicatives potentiellement pertinentes. Leur approche de l’évolution
potentielle des outils de contrôle de gestion est institutionnaliste. Certaines règles de
fonctionnement sont transformées en routines organisationnelles, et inversement ces
dernières infléchissent les règles. Il est à noter que ces règles et routines apparaissent
profondément influencées par le cadre institutionnel dans lequel elles sont immer-
gées, et dans lequel on retrouve de nombreux a priori et présupposés. Les pratiques
de gestion se déduisent de ces règles et routines, et donnent lieu aussi à un processus
de reproduction, de telle sorte que les évolutions des systèmes de contrôle de gestion
apparaissent à la fois difficiles et minimes. Nous reprenons ci-après le modèle de Burns
et Scapens (2000), en y ajoutant une composante de transition, formée par l’<IR>. Il
s’agit alors de savoir si ce nouveau référentiel est à même de contrarier le processus
de reproduction des pratiques, et d’engendrer une transformation dans les routines
et règles en place.

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partir de deux études de cas

Graphique 1 - Processus d’institutionnalisation et de transformation


des systèmes de contrôle de gestion
Domaine institutionnel
a d a d

e
routines routines

<IR>

règles règles

b b b b b b
c c c c Temps

Domaine de l’action
Légende : a = encodage, b = enactement, c = reproduction, d = institutionnalisation, e = transition

2. Deux études de cas illustrant les problèmes d’intégration

Dans le cadre de cette seconde partie, nous étudions plus précisément le cas de deux
multinationales, et leurs pratiques de reporting et de communication en matière de
performances et de risques. Après avoir présenté les sources analysées et leur trai-
tement qualitatif, nous développons les résultats empiriques obtenus et leur intérêt.

2.1. La méthodologie d’analyse qualitative des cas d’Areva et SAP


Les deux multinationales retenues sont Areva et SAP. Ces deux sociétés sont réputées
l’une et l’autre être à la pointe des technologies dans leur secteur. Areva est une société
française, spécialisée dans le secteur du nucléaire. Elle intègre différentes activités
allant de l’extraction de combustibles jusqu’au recyclage des déchets. Cette entre-
prise emploie de très nombreux ingénieurs. Son activité dans le secteur de l’énergie
nucléaire la rend également extrêmement sensible à la notion de risque. Du fait de
son actionnariat étatique, Areva fait également l’objet d’un contrôle public régulier
de la cour des comptes. Areva dispose donc a priori d’une activité, de compétences et
d’une pression institutionnelle prédisposant le groupe à l’organisation d’un système
de management particulièrement sophistiqué. En ce qui concerne SAP, il s’agit d’un
groupe dont le siège est situé en Allemagne, et fournissant des solutions de systèmes
d’informations aux organisations privées et publiques dans le monde entier. Ce second
cas est intéressant à étudier, car SAP pour des raisons commerciales, se transforme en

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vitrine des technologies qu’elle souhaite vendre à ses clients. À ce titre, en 2013, SAP
a publié, pour la première fois, un reporting intégré.

Le sujet de notre recherche, traitant de la gestion des risques, apparaissant particu-


lièrement sensible, l’approche retenue est celle d’une observation non participante,
reposant sur la documentation disponible publiquement. Les documents collectés
correspondent aux différents rapports annuels et de développement durable, ainsi
qu’aux présentations stratégiques destinées aux analystes ou aux investisseurs (2010-
2013), aux rapports postés sur le « carbon disclosure project » (2012-2013), disposant
d’informations concernant les risques (avec évaluation des probabilités et des impacts),
et aux diagnostics élaborés par les sociétés indépendantes d’analyse telles que Xerfi
(2014) et Datamonitor/MarketLine (2010-2014) (cf. Annexe).

L’analyse qualitative a été effectuée à l’aide du logiciel NVivo. Celui-ci permet de réaliser
un codage des matériaux collectés. Dans notre cas, celui-ci s’opère à la fois en isolant les
passages significatifs, mais également en prenant une série de notes sur les éléments
analysés. Les aspects relevés sont en lien avec les objectifs stratégiques et les risques,
y compris lorsque ces derniers sont évoqués implicitement. Une attention particulière
est également apportée aux capitaux immatériels, puisque ces derniers sont à la fois
cités dans les travaux de Kaplan et Norton (2004), ainsi que par l’IIRC. De ce fait, le co-
dage adopté est dit « élaboré », en retenant des catégories fixées a priori (Auerbach &
Silverstein, 2003). Le traitement à l’aide d’un logiciel comme NVivo se justifie car nous
optons pour une analyse interprétative et critique. Ce travail ne peut donc être réalisé
à l’aide de logiciels d’analyse automatique de contenu. Nous cherchons notamment à
déterminer la nature des liens établis entre les objectifs stratégiques et les risques,
et la façon dont ces aspects sont présentés. Par ailleurs, l’analyse effectuée cherche à
tester dans quelle mesure le nouveau référentiel de rapport intégré est de nature à
transformer les pratiques de reporting.

L’analyse des documents collectés permet d’opérer plusieurs comparaisons. Celles-ci


peuvent être réalisées dans le temps, en étudiant l’évolution des reportings, et entre
les deux multinationales étudiées. La mobilisation de sources plus spécialisées, comme
celles du CDP (« carbon disclosure project »), permet de mieux comprendre l’écart de
reporting, ou degré de transparence, en appréciant la différence entre les informa-
tions internes disponibles, issues des systèmes d’information, et transmises au CDP, et
celles rendues publiques, dans les rapports annuels ou de développement durable. Les
rapports émis par les sociétés Xerfi ou Datamonitor/MarketLine servent également à
mieux comprendre à la fois comment les performances et les risques sont évalués par
des organismes indépendants, et quelles sont les attentes exprimées par les opérateurs
de marché et les experts externes.

Au final, nous cherchons à mieux comprendre les possibilités d’émergence d’un nou-
veau modèle de pilotage, intégrant à la fois les approches par la performance et par
les risques. Selon Otley (1999), cinq caractéristiques apparaissent fondamentales pour
les outils de management de la performance, à savoir l’explicitation des objectifs, la
clarification des stratégies et des plans poursuivis, la précision des cibles à atteindre,
et la définition du système de récompenses rattachées à l’atteinte de ces cibles et la

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partir de deux études de cas

mise en place d’un système de boucle de rétro-action ou d’amélioration continue. Ces


dimensions sont aussi intégrées à notre analyse et à notre discussion.

2.2. Les résultats des observations empiriques


À l’aide de NVivo, il est tout d’abord possible d’identifier la fréquence et la répartition de
l’usage des termes « stratégique » et « risque ». On constate ainsi pour Areva que la notion
de « risque » apparaît 1031 fois, et la notion de « stratégique » 721 fois. S’agissant de SAP,
la notion de « risque » intervient 868 fois, et seulement 206 fois pour « stratégique ».
Lorsque nous croisons les passages associant à la fois les termes de « stratégique » et
de « risque », 111 passages sont identifiés pour Areva, et 62 pour SAP. Ces derniers
apparaissent principalement situés dans les rapports annuels classiques, avec un taux
de couverture de 0,20 % équivalent pour Areva et SAP (années 2009 à 2013). Ce taux
passe en revanche à 0,01 % pour le rapport de développement durable 2010 d’Areva,
et 0,00 % pour celui de SAP en 2007. La notion de « risque stratégique » est clairement
évacuée des rapports de développement durable. En revanche, ce taux reste à 0,18 %
pour le rapport intégré de SAP, mais n’augmente pas significativement. On peut en
déduire que le rapport intégré n’apporte pas d’éléments probants supplémentaires
en termes de risque stratégique, par rapport à un reporting classique.

En ce qui concerne les documents remis au Carbon Disclosure Project, les taux de couver-
ture sont respectivement de 0,52 % pour Areva, et de 0,33 % pour SAP. Cette différence
peut donc être révélatrice d’une stratégie délibérée de communication des entreprises,
qui gèrent en fonction de leur public la mention des problématiques de risque.

La situation dans le cadre des études indépendantes apparaît plus contrastée. On peut
notamment relever dans le cadre de l’étude Xerfi concernant les groupes intervenant
dans le secteur du nucléaire, un tableau qui présente les faiblesses et les risques des
entreprises, ainsi que les principales priorités stratégiques. Toutefois, aucun lien n’appa-
raît clairement entre les deux. S’agissant de SAP, aucune étude n’opère un lien explicite
entre la stratégie et les risques. Nous en déduisons la relative difficulté pour les analystes
externes à croiser les référentiels de performance et d’objectifs stratégiques, avec ceux
concernant les risques. Le croisement dans NVivo entre les passages comprenant soit
le terme « performance » soit celui de « risque » amène à des observations similaires,
avec toutefois la possibilité d’identifier pour SAP un croisement entre la performance
économique et le risque stratégique lié à la concurrence :

« Threats : Intense competition may lead to pricing pressures thereby adversely


impacting the financial performance and market share of the company » [source
SAP : S20, étude MarketLine 2014].

Cette première exploration de contenu étant effectuée, l’analyse qualitative nécessite


une lecture plus précise de la documentation. Dans le cas d’Areva, tout d’abord, aucun
reporting intégré n’a été publié. Les reportings correspondent aux documents de réfé-
rence déposés à l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), et il n’existe pas de rapport
de développement durable publié annuellement. Dans le cadre de ce document de
référence, on note une disproportion entre la section consacrée aux risques, et celle
dédiée à la stratégie. Les facteurs de risque sont développés sur 26 pages (ex : source

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A04, pp. 13-38), alors que la stratégie n’est explicitée qu’en une seule page (ex : source
A04, pp. 59-60). De plus, ces deux parties sont présentées de manière totalement
distinctes et séparées. Sans que le groupe Areva dispose officiellement d’un balanced
scorecard formalisé, la logique de pilotage stratégique est explicitée selon trois ob-
jectifs clés (priorité commerciale accordée à la création de valeur, sélectivité dans les
investissements, maîtrise de l’endettement) et selon cinq piliers d’amélioration de
la performance (sûreté-sécurité, compétitivité économique et réduction des coûts,
opérations clients, technologies et innovations, et ressources humaines3) (sources :
A01 à A04, et A06). La stratégie d’Areva est donc centrée sur la supériorité de l’offre
de produits-services reposant sur les processus d’innovation et de conformité, afin de
sécuriser la marque et la réputation de l’entreprise. Telle que présentée, la stratégie
aborde l’axe apprentissage en envisageant les ressources humaines, l’axe processus
avec l’innovation et la conformité, l’axe clients avec les opérations et la réputation,
et l’axe finance avec la compétitivité économique et la rationalisation de l’allocation
des ressources financières. Aucun objectif chiffré n’est précisé, de telle sorte qu’il est
impossible d’évaluer avec précision le degré de performance atteint, même si les in-
dicateurs suivis sont précisés (voir notamment la source A06, p. 59). Parallèlement
à ce schéma stratégique global, chacune des cinq branches d’Areva dispose de ses
propres objectifs stratégiques, dont certains sont formulés d’une manière très vague
(ex : atteindre une meilleure rentabilité, développer la présence commerciale en Asie,
valoriser l’expérience dans le démantèlement, devenir un acteur de référence dans le
domaine solaire…). Dans ce cas, les objectifs stratégiques situés en amont, permettant
d’atteindre de tels objectifs pour les branches, ne sont pas précisés. Les risques sont
quant à eux présentés de manière globale et non pas par branche. S’agissant de l’un des
cinq piliers de performance, le degré de transparence concernant les risques apparaît
extrêmement faible. On note uniquement quatre paragraphes courts, mettant en avant
la possibilité d’un manque possible de compétence du groupe pour le développement
de certaines activités :

« Le groupe doit en effet dans certains domaines s’appuyer sur des expertises
dont il ne dispose pas en interne afin de mener à bien ses projets. Le groupe
ne peut garantir qu’il trouvera les compétences adaptées pour la bonne
réalisation de certaines activités, ce qui pourrait avoir un impact négatif
significatif sur lesdites activités et sur la situation financière du groupe.
Le groupe s’est engagé dans un programme de redéploiement de ses compétences
qui inclut notamment un volet mobilité soutenu par un important volet formation.
Le groupe ne peut garantir qu’il sera en mesure de mener ce programme avec
succès ou qu’il pourra s’adjoindre les ressources nécessaires à son développement
en temps utile ou à des conditions satisfaisantes » [source AREVA : A04, p. 38].

Comme on peut le constater, il est précisé que l’impact RH pourrait être significatif,
mais le cheminement des conséquences organisationnelles d’un tel manque de compé-
tence n’est pas décrit. En d’autres termes, le reporting pratiqué par Areva ne mobilise
pas la notion de « connectivité » requise par l’<IR>. En revanche, on peut constater

3 Les objectifs stratégiques RH n’apparaissent pas explicitement. Dans le cadre du rapport de


développement durable publié en 2010, sur cette partie, un des 10 défis listés est formulé comme suit :
« offrir des perspectives de développement à tous les salariés ».

174
De l’<IR> à l’« Integrated Risk Scorecard » ? Une analyse exploratoire à
partir de deux études de cas

notamment dans le cadre du plan stratégique 2016 que l’ensemble des risques straté-
giques (concurrence, risque clients, risques économiques, perte d’image), opérationnels
(risques naturels, risques d’accident aérien, indisponibilité en ressources, défaillance)
ou de conformité (protection des travailleurs, protection des populations, enjeux de
développement durable) sont abordés implicitement. Ces aspects sont donc traités,
mais sans reprendre explicitement une typologie précise de risques, et la notion même
de risque. Aucun chiffrage précis n’est également mis en avant, de telle sorte que la
culture de gestion du risque apparaît fortement qualitative, au sens avancé par Mikes
(2009). D’autres points apparaissent en revanche non traités, tels que les risques
de gouvernance (relations siège-branches, manque de coordination, pertinence des
systèmes d’information). Finalement, la consultation des informations transmises au
Carbon Disclosure Project permet d’attester des choix effectués par le groupe en ma-
tière de transparence. À titre d’exemple, les cartes de risques autour de la notion de
gaz à effet de serre y sont reproduites, alors que ces informations sont absentes dans
le document de référence.

Dans le cas du groupe SAP, la section sur le risque intitulée « risk report » est déve-
loppée sur 30 pages [source : S04, pp. 122-151]4 alors que la stratégie est explicitée
en uniquement 2 pages [source : S04, pp. 55-56]. Cependant, on note dans le rapport
annuel 2013, une section complémentaire intitulée « business model », directement
inspiré par les exigences du référentiel de l’<IR>. Cette dernière section, portait un
nom différent en 2012 (« business activity and organization »), avec un développement
beaucoup limité, tout comme la section consacrée à la stratégie. Le passage en 2013
au reporting intégré a donc eu des conséquences sur le rapport annuel standard, avec
un accroissement significatif des explications sur la stratégie poursuivie et le modèle
économique mis en œuvre. En revanche, les notions de performance, stratégie et risque
n’apparaissent pas liées et connectées.
Année [source] 2011 [source S02] 2012 [source S03] 2013 [source S04]

parties expliquant :
la stratégie 114 mots 313 mots 855 mots
le modèle économique Aucune rubrique 216 mots 713 mots

4 Le niveau de reporting concernant les risques pour SAP est supérieur à celui d’Areva,
puisque la matrice d’évaluation des risques est clairement présentée comme suit.

175
N°81 - Novembre 2015

Le groupe SAP insiste sur trois parties prenantes principales : les actionnaires, avec des
objectifs de chiffre d’affaires et de marge opérationnelle, les clients, avec des objectifs
de loyauté, et les salariés, avec des objectifs d’engagement. Les éléments stratégiques
concernant les produits sont de trois ordres : passage de l’offre en « cloud », harmo-
nisation des interfaces, simplification de l’expérience utilisateur. Parallèlement, SAP
entend innover et défendre la spécialisation et l’adaptation sectorielle de ses solutions
aux besoins spécifiques de ses clients. Comme on peut le constater, les principales
thématiques stratégiques énoncées par Kaplan & Norton sont bien reprises, avec une
moindre importance des processus de conformité, comparativement à Areva. La stratégie
poursuivie par SAP relève de la supériorité produit, avec à la fois une spécialisation
sectorielle et une forte capacité d’innovation technologique, ce qui rend les processus
de R&D clés en termes de création de valeur. Ce point est d’ailleurs repris dans les
présentations destinées aux analystes financiers et investisseurs, avec 25 % du chiffre
d’affaires à l’horizon 2020 correspondant à des produits-services nouveaux [sources
S11, S12, et S13].

L’apport majeur réalisé par SAP ne se situe toutefois pas dans son rapport annuel
classique, mais dans son rapport intégré (source S10). On y trouve un rapport intégré
sur la performance, avec un modèle de performance totalement innovant. La présen-
tation de Kaplan & Norton n’est pas retenue, car les relations de cause à effet entre
les 14 domaines stratégiques référencés partent dans tous les sens. Il n’est donc plus
possible de repérer quatre axes. Le modèle devient circulaire, en distinguant les trois
domaines principaux de résultats (ECO : économie, SOC : social, ENV : environnement).

176
De l’<IR> à l’« Integrated Risk Scorecard » ? Une analyse exploratoire à
partir de deux études de cas

Graphique 2 - Modèle de performance de SAP (« Integrated


Scorecard »)

ECO1 Chiffre ECO2 Marge


d’affaires opérationnelle

SOC7 Engagement ECO3 Succès


des salariés clients

SOC6 Culture ENV1 Empreinte


organisationnelle carbone

ENV2
SOC5 Fidélisation
Consommation
des salariés
énergétique

SOC4 Promotion ENV3 Energie des


des femmes centres de données

SOC3
ENV4 Energie
Investissement
renouvelable
social

SOC2 Capacité SOC1 Marque


interne employeur

À partir de ce modèle de performance circulaire, SAP fournit de manière interactive


sur le web un système de relations de cause à effet. À titre d’exemple, le point stra-
tégique ENV1 (empreinte carbone) a un effet sur ECO3 (succès client), ECO1 (chiffre
d’affaires), SOC7 (engagement des salariés), SOC6 (culture organisationnelle), SOC1
(marque employeur). De plus ENV1 apparaît comme étant la résultante des points
ENV2, ENV3, ENV4 tous liés à des consommations énergétiques. Toutefois, le modèle
interactif ne permet pas de consulter les risques associés aux consommations éner-
gétiques, ainsi que les effets induits dans l’hypothèse où la réduction des émissions
de gaz à effet de serre serait insuffisante. La connectivité des domaines stratégiques
n’est donc pas intégrée aux problématiques de risques. Du reste, si l’on retrouve dans
le rapport concernant les risques la notion de « capital humain », celle-ci est absente
du modèle de performance. Le thème stratégique qui s’en rapproche le plus est celui
de la fidélisation du personnel, mais il faudrait aussi lui adjoindre d’autres questions
comme l’attractivité, autrement dit la capacité à embaucher des talents. Le modèle de
performance n’intègre pas en ce sens la notion de risque liée au « capital humain »,
pourtant présente dans les développements liés aux risques.

De fait, les notions de performance et de risque apparaissent pleinement intégrables,


mais toujours non rapprochées. Encore faudrait-il qu’il y ait une harmonisation des
systèmes de contrôle émanant de services et de fonctions différentes. L’approche d’un

177
N°81 - Novembre 2015

« integrated risk scorecard » n’est pas encore pratiquée, mais SAP a mis au point un
« integrated scorecard ». Cela reste une innovation remarquable, car cette présentation
circulaire représente en elle-même une micro-révolution par rapport au modèle du
balanced scorecard classique. Cette nouvelle approche confirme que le modèle vertical
et linéaire de Kaplan & Norton est perçu par certaines entreprises comme une simpli-
fication abusive du maillage dense des interactions entre l’ensemble des thèmes et des
objectifs stratégiques d’une entreprise. L’introduction de la notion de « connectivité »
dans le cadre de l’<IR> a conduit SAP à introduire une véritable innovation dans les
systèmes de management de la performance.

Les récentes difficultés, courant 2015, vécues au sein du groupe Areva (démantèlement,
restructuration, réduction d’effectifs) montrent aussi tout l’intérêt d’une approche
intégrant les risques, évitant par là-même un système de management stratégique
parfois irréaliste, et ignorant les dangers encourus. Pour l’heure, les outils de gestion,
et les attentes des membres des instances de gouvernance, apparaissent aussi trop
limités. Or, s’il est avéré que les parties prenantes souhaitent connaître la stratégie et
la performance de l’entreprise, peut-on encore considérer que cette information est
suffisante si les résultats obtenus apparaissent sensibles à des facteurs parfaitement
prévisibles et connus par le management ? Non seulement, dans une optique de gestion,
l’intégration des risques et des objectifs stratégiques apparaît souhaitable, mais aussi,
dans une optique de transparence, afin de s’assurer de la qualité du pilotage stratégique
et de la gestion des risques associés.

Conclusion

Si l’« integrated scorecard » vient d’être inventé par SAP, l’intégration des notions de
performance et de risque ne semble pas encore effectuée. S’il n’est pas masqué par
manque de transparence dans les publications officielles des entreprises, ce rapproche-
ment est en tout cas attendu dans le cadre de l’<IR>. Dans les cas d’Areva et de SAP, les
stratégies recherchent une supériorité produit avec des investissements importants en
termes de R&D. Toutefois, l’investisseur peut difficilement évaluer à partir des infor-
mations qui lui sont présentées la sensibilité et la robustesse du modèle économique
de ces entreprises. Ce problème n’est naturellement pas propre aux cas d’Areva et SAP,
il est général. Il met en lumière l’intérêt à la fois de mettre au point des modèles de
performance plus sophistiqués, afin qu’ils intègrent les risques, et d’ajuster en consé-
quence les exigences de la transparence attendue dans les référentiels comme celui de
l’IIRC. L’analyse des évolutions futures des reportings nécessiterait aussi des approches
longitudinales plus importantes, permettant d’observer les entreprises de l’intérieur.

178
De l’<IR> à l’« Integrated Risk Scorecard » ? Une analyse exploratoire à
partir de deux études de cas

Annexe – Liste des documents analysés

Sources AREVA SAP


• [A01] 2010 document de réfé- • [S01] 2010 annual report
rence • [S02] 2011 annual report
• [A02] 2011 document de réfé- • [S03] 2012 annual report
Rapports rence • [S04] 2013 annual report
annuels • [A03] 2012 document de réfé-
rence
• [A04] 2013 document de
référence
• [A05] 2010 rapport de crois- • [S05] 2007 sustainability re-
sance durable port
• [S06] 2008 sustainability re-
port
Rapports de
• [S07] 2009 sustainability re-
développe-
port
ment durable
• [S08] 2010 sustainability re-
port
• [S09] 2011 sustainability
report*
Rapports • [S10] 2013 integrated report
intégrés
• [A06] 13 déc 2011 Action 2016 • [S11] 04 fév 2014 investor
• [A07] 26 fév 2013 résultats symposium
Présentations
annuels • [S12] 10 mar 2014 financial
analystes /
• [A08] Sep 2013 business & analyst and investor program
actionnaires strategy overview • [S13] 21 mai 2014 annual ge-
neral meeting of shareholders

Rapport • [A09] 2012 CDP investor infor- • [S14] 2013 CDP investor infor-
« Carbon mation request mation request
Disclosure
Project »
• [A10] Déc 2013 Areva
Etudes Xerfi • [A11] Mars 2014 Nuclear
Group World
• [A12] 05 mai 2009 • [S15] 19 jun 2009 Datamonitor
Datamonitor • [S16] 23 jul 2010 Datamonitor
Etudes
• [A13] 03 déc 2010 Datamonitor • [S17] 09 sep 2011 Datamonitor
Datamonitor/
• [A14] 06 déc 2011 Datamonitor • [S18] 10 sep 2012 MarketLine
MarketLine
• [A15] 03 déc 2012 MarketLine • [S19] 08 oct 2013 MarketLine
• [A16] 20 dec 2013 MarketLine • [S20] 25 avr 2014 MarketLine

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