You are on page 1of 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

barons politiques, voire de mafias puissantes, poussent


aux règlements de comptes. Mais cette année, avant
Au Brésil, les agressions politiques se
même le début officiel de la campagne, l’assassinat
multiplient avant le second tour de Marielle Franco annonçait un climat délétère.
PAR JEAN-MATHIEU ALBERTINI
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 18 OCTOBRE 2018

Des soutiens de Jair Bolsonaro après la publication des résultats du


premier tour, le 7 octobre 2018 à São Paulo © Reuters / Ueslei Marcelino.
Des soutiens de Jair Bolsonaro après la publication des résultats du
premier tour, le 7 octobre 2018 à Sao Paulo © Reuters / Ueslei Marcelino. La caravane de Lula a ensuite été touchée par plusieurs
Les agressions à caractère politique se multiplient à balles sans faire de victimes. En septembre, c’est le
l’approche du deuxième tour de la présidentielle au candidat d’extrême droite qui a subi une attaque au
Brésil, où le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro couteau de la part d’un déséquilibré. La situation s’est
est donné grand favori. Les militants du PT, les encore dégradée : depuis le premier tour du 7 octobre,
journalistes, les minorités sexuelles ou encore les cent quatre agressions ont été recensées par la carte
activistes sans-terre sont les premiers visés. La haine des violences électorales, dont 85 % ont été perpétrées
nourrit la campagne de Bolsonaro, qui multiplie les par des soutiens de Bolsonaro.
références à la dictature brésilienne. « Bolsonaro stimule cette violence par son discours
Rio de Janeiro (Brésil), de notre correspondant radical, explique Marcos Alvarez, sociologue à
- Moa do Katendê discute tranquillement avec son l’université de São Paulo (USP). Le passage de la
frère et un cousin dans un petit bar du centre de rhétorique à l’acte n’est ni simple ni automatique,
Salvador de Bahia. Ce dimanche, l’ambiance est mais il a plus de chance de se produire dans certains
un peu moins décontractée qu’à l’accoutumée. Jair contextes. Bolsonaro ne peut pas se dédouaner. » Sa
Bolsonaro a failli être élu au premier tour de l’élection réaction après l’assassinat du maître de capoeira a été
présidentielle. Maître de capoeira et militant engagé des plus molle. Après avoir déploré un « excès », il a
dans le mouvement noir, le sexagénaire n’est pas ajouté qu'il ne pouvait « rien y faire ». Sur Twitter, il
vraiment l’électeur type du candidat d’extrême droite. est revenu sur le sujet en appelant ceux qui commettent
des actes violents « à ne pas voter pour lui », avant
Soudain, un coiffeur de 36 ans, fervent soutien de
d’ajouter qu’un mouvement cherchait à attribuer ces
Bolsonaro, vient se mêler à la discussion. Exalté, il
attaques à ses soutiens.
s’emporte rapidement contre les trois hommes qui
défendent la candidature de Fernando Haddad, avant Pour le chercheur, cette difficulté à se positionner
de quitter les lieux. Cinq minutes après, le coiffeur clairement contre l’usage de la violence est liée
surgit armé d’un couteau et s’acharne sur Moa de à sa campagne, fondée justement sur ce discours
Katendê qui s’effondre sans même avoir vu son violent : « C’est ainsi qu’il s’est construit et qu’il
assaillant. Les douze coups de couteau reçus dans le gagne des votes. » À la différence d’autres leaders
dos lui sont fatals, son frère est aussi blessé. d’extrême droite, Bolsonaro n’a pas d’idéologie claire.
Aujourd’hui, il profite d’un mouvement de rejet de
Les agressions à caractère politique se sont multipliées
la politique traditionnelle d’une grande partie de la
tout au long d’une campagne extrêmement polarisée.
population qui considère la violence comme légitime.
En théorie, ce sont les élections locales qui sont
entachées de violences au Brésil. Les intérêts de petits

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

Son discours simpliste et autoritaire est d’autant Les activistes sans-terre aussi visés par
plus facilement acceptable dans une société ultra Bolsonaro
violente. Jair Bolsonaro a d’abord attiré ses électeurs Le processus s’est d’abord concentré sur Internet,
en défendant les exécutions extrajudiciaires. Et ce notamment contre des journalistes. Pourtant la presse
n’est pas un hasard si son geste de prédilection pendant nationale ne le présente même pas comme étant
ses meetings est de mimer le maniement d’une arme à d’extrême droite et se contente de qualifier ses
feu. Après son agression, sa première photo publiée le déclarations violentes de « polémiques ». Mais aucune
montre sur son lit d’hôpital, faisant ce geste. Il avait, critique n’est acceptée et certains passent à l’acte : le
quelques jours avant, appelé à « mitrailler les militants dimanche du premier tour, à Recife (nord-est du pays),
du PT », le parti de Lula, en saisissant un pied de une journaliste qui portait son badge de presse a été
caméra en guise de mitrailleuse, lors d’un meeting prise à partie par deux hommes, dont l’un portait un T-
dans le nord du pays. shirt à la gloire de Bolsonaro.
Parfois direct et radical, parfois sur le ton d’un « Quand le “commandant” sera élu, vous autres de la
« humour » considéré « politiquement incorrect », presse, vous allez tous mourir », ont-ils lâché avant
son discours agressif s’est peu à peu fait une place de se disputer pour savoir s’il fallait mieux la violer
dans l’espace public. Dans un entretien au quotidien ou la taillader. Ils ont pris la fuite quand une voiture
espagnol El País, le philosophe Vladimir Safatle est passée en klaxonnant. Depuis le début de l’année,
rappelle, en citant Adorno, comment l’adhésion au soixante-deux journalistes ont été physiquement
fascisme en Europe s’est faite parce que « personne ne agressés en lien avec contexte électoral.
croyait à ce qui était énoncé. L’ironie sert à assumer
La haine s’est banalisée et nourrit sa campagne.
une éthique de conviction difficilement supportable au
Bolsonaro n’est pas le seul responsable, mais c’est
premier degré ».
lui qui a su le mieux en tirer profit. Avec l’élection
Pour les plus radicaux, le discours est non seulement de 2014, le pays s’est polarisé et la situation n’a
accepté, mais mis en pratique. Le discours homophobe fait qu’empirer jusqu’à l’impeachment de 2016 à
du candidat place déjà les LGBT en première ligne. l’encontre de Dilma Rousseff, ce moment-clé où
Une transsexuelle, ancienne chanteuse d’un groupe de Bolsonaro se révèle lors de son vote rageur en faveur
funk, a été tabassée à coups de barre de fer dans la de la destitution.
banlieue de Rio par des soutiens du candidat d’extrême
Presque tout son programme de gouvernement
droite. Dans le centre de São Paulo, un travesti a été tué
aujourd’hui tient dans la justification de son vote
par un groupe hurlant « sous Bolsonaro, la chasse aux
contre Dilma ce jour-là [voir la vidéo ci-dessous] : une
pédés sera libérée ! »
apologie de l’armée, de la dictature et de son principal
Jair Bolsonaro ne s’attaque pas à des adversaires bourreau, le même qui a torturé Dilma Rousseff. Une
politiques, mais à des « ennemis intérieurs » supposée menace communiste représentée par le PT
qu’il faut combattre, voire exterminer. Le PT, qui s’attaquerait à la famille traditionnelle et aux
taxé de communiste, est considéré comme l’unique enfants. Et l’hommage à l’armée du Duque de Caxias,
responsable de l’effondrement des valeurs morales, connu pour avoir écrasé au XIXe siècle, une révolte
de la corruption, de la criminalité, de la pédophilie de Noirs et d’indigènes qui font aujourd’hui partie
et menacerait la démocratie. Une logique fascisante des minorités qui selon lui doivent « s’adapter à la
qui s’appuie sur son extraordinaire réseau de majorité ou disparaître ».
communication développé via la messagerie de
téléphone WhatsApp où il diffuse depuis plusieurs Avec le déclin progressif de la droite classique,
années de nombreux mensonges. Bolsonaro a pu occuper l’espace. Pour Marcos
Napolitano, de l’USP, ceux qui n’ont pas souffert sous
la dictature ont développé « une mémoire souterraine,

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

privée et idéalisée grâce à un fantasme de croissance « Si Bolsonaro perd, il y a un risque de violence à


économique et de sécurité publique qui justifie la cause de sa dénonciation systématique de supposées
censure, la torture ou les assassinats d’opposants ». fraudes dans le processus électoral », analyse Marcos
La démocratie n’a pas su se confronter à ce passé et Alvarez. « S’il l’emporte, même s’il respecte le jeu
cette mémoire de la dictature a finalement ressurgi démocratique, la violence devrait augmenter contre
dans l’espace public à la faveur de la crise économique certaines populations. Surtout en cas de victoire
et politique. nette. » Dans les favelas d’abord, où la police devrait
L’essentiel des vingt-sept années de mandat du député multiplier les opérations violentes sans craindre de
Bolsonaro a d’ailleurs été consacré à la défense de la condamnations, déjà bien rares, en cas d’abus.
dictature qui aurait sauvé le pays du communisme. La Dans les campagnes également, les activistes
crainte du « rouge », qui semble anachronique, est devraient faire face à un regain de violence venu
extrêmement vivace dans une partie de la population de grands propriétaires terriens ou des grilheiros,
« désinformée par des années de propagande sous des voleurs de terres publiques. Bolsonaro a ainsi
la dictature et une presse ultra conservatrice qui a récemment déclaré qu’il mettrait fin « à toute
continué d’associer toute la gauche au communisme », forme d’activisme » et que les membres du MST
précise Marcos Napolitano. Bolsonaro et ses soutiens (mouvement des sans-terre) devaient « être reçus à
vont plus loin : le pape, l’Onu, le Ku Klux Klan ou coups de fusil ».
encore l’historien Francis Fukuyama ont été qualifiés
de communistes ces derniers jours.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

You might also like