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Horizons modÈles Économiques

Goldman Sachs a quitté son siège initial, où il


a connu la crise, pour se rapprocher de Ground
Zero. Le projet, d’un montant de 2,4 milliards
de dollars, a bénéficié d’un milliard de dollars
de « Liberty Bonds ».

Wall Street
La banque d’investissement
b loom berg
en forme
S’il faut que « tout change pour que rien ne facilités et de recevoir des dépôts. Effet de levier, compte
change », l’aristocratie bancaire américaine a réussi. propre, titrisation, CDS (Credit Default Swaps), la régu-
lation post-crise doit éviter les abus. Goldman Sachs et
Morgan Stanley sont ainsi soumises aux mêmes règles
par Zoé Durand et Sylvie Guyony que les autres, avec les mêmes impératifs de fonds propres
notamment. L’arrivée de Donald Trump à la présidence
@SylvieGUYONY remet-elle en cause la loi Dodd-Frank de 2010 ? Si les
+ EMAIL sguyony@agefi.fr banques de taille moyenne en ont tiré parti, celles de Wall
Street, systémiques, doivent toujours se plier aux tests
Il y a dix ans, Lehman Brothers faisait faillite, le de résistance annuels réalisés par la Fed ou se doter de
14 septembre. Une semaine plus tard, la Réserve fédérale « testaments ». La philosophie est intacte. Si la titrisa-
des Etats-Unis (Fed) autorisait les deux dernières banques tion, par exemple, qui culminait en 2007, a chuté puis
d’investissement du pays, Goldman Sachs et Morgan retrouvé 80 % du niveau de l’époque en 2017, c’est que
Stanley, à changer de statut pour devenir des établisse- «  les affaires sont revenues à la normale, estime Lam
ments commerciaux, leur permettant de bénéficier de ses Nguyen, director chez Freeman Consulting. Il y a plus de

10 L’agefi hebdo / DU 6 au 12 septembre 2018


régulation, mais en même temps, il y a un flux d’argent très de rentabilité sur laquelle sont indexées les rémunéra-
bon marché. Le rendement sur capitaux propres (ROE) tions de James Gorman et de Lloyd Blankfein, PDG de
est en dessous des 10 % car la régulation a augmenté les Goldman Sachs. Pour justifier cet arrangement, la Fed
coûts. » Toutefois, le ROE de Goldman Sachs s’est établi a expliqué que la réforme fiscale de 2017 avait réduit
à 12,8 % au deuxième trimestre ; celui de Morgan Stanley la valeur de certains actifs fiscaux détenus par les deux
est ressorti à 13 %. Plus qu’une réduction des frais de ges- banques, les faisant aborder les stress tests avec des
tion, c’est la baisse de la fiscalité adoptée en fin 2017 aux réserves de capitaux affaiblies.
Etats-Unis qui explique en bonne partie cette performance. Le salaire des patrons avait fait scandale lors de la
crise : Lloyd Blankfein comme James Dimon (JPMorgan
stress tests Chase), John Mack (Morgan Stanley) et Brian Moynihan
JPMorgan Chase, Bank of America, Goldman Sachs, (Bank of America), étaient perçus comme des « profi-
Citigroup et Morgan Stanley : les résultats annoncés
« En 2007, teurs de crise ». Depuis, une certaine modération est de
par les principales banques américaines cet été ont tous les banques rigueur. Lorsque John Mack touchait 41,7 millions de
été supérieurs aux attentes. Le bénéfice de Morgan
Stanley a atteint 2,4 milliards de dollars (2,06 milliards européennes dollars, en 2007, James Gorman en a perçu 27 millions
en 2017 pour la direction de Morgan Stanley. Quant à
d’euros) fin juin, contre 1,8 milliard de dollars un an avaient 18 % la rémunération de Lloyd Blankfein, elle est passée dans
plus tôt et… 1,03 milliard au deuxième trimestre 2008. cette période de 68,5 millions à 24 millions de dollars. En
Son produit net bancaire (PNB) trimestriel a quant à du marché poste depuis 2006, lui qui avait déclaré à la commission
lui dépassé les 10 milliards de dollars. Il n’était que de
6,5 milliards de dollars il y a dix ans. Commentant ces
des M&A aux parlementaire d’enquête sur la crise financière : « Nous
nous sommes laissés griser par l’écume des marchés (...).
résultats, James Gorman, PDG de Morgan Stanley, a Etats-Unis. Nous avons cédé à une autosatisfaction qui, après ces
évoqué la méthodologie de la Réserve fédérale pour ne se reproduira plus de mon vivant », va
ses tests de résistance (stress tests), soulignant que les En 2017, elles événements, prendre sa retraite cette année. Son successeur, le ban-
scénarios extrêmes étaient plus noirs que ce que la n’avaient quier d’affaires David Solomon, héritera d’un groupe qui
banque avait traversé pendant la crise financière. Et a fait état d’un bénéfice net de 2,6 milliards de dollars
d’ajouter : « 2018 semble être une année de transi- plus que au deuxième trimestre 2018, contre 2,1 milliards dix ans
tion. Pour l’avenir, nous pensons être en mesure de
continuer à investir dans nos activités et à offrir à nos
9 % » plus tôt - en fait, son meilleur résultat depuis - pour un
PNB quasi-identique à 9,4 milliards de dollars à mi-2008
actionnaires un rendement attractif tout en maintenant —Lam comme aujourd’hui.
une base prudente de fonds propres ». Avant qu’elles Nguyen, Certes, les banques américaines ont été dans l’en-
ne bouclent la publication des comptes à mi-année, ris- director chez semble favorisées au premier semestre par le double
Freeman
quant d’échouer à une partie de ses stress tests, Morgan Consulting. relèvement des taux opérés par la Fed, mais l’on peut
Stanley et Goldman Sachs se sont vus proposer par s’interroger : le modèle de Wall Street a-t-il changé ?
la Fed de diviser presque par deux le montant qu’ils « La caractéristique du ‘mix’ d’activités de Goldman
prévoyaient de verser à leurs actionnaires, à 13 mil- Sachs et Morgan Stanley était une grosse activité de
liards de dollars, leur permettant de la sorte des plans banque d’investissement (M&A, ECM, DCM), une
des rachats d’actions et l’amélioration d’une mesure activité equity significative et celle de ‘fixed income’
moins importante en taille
relative, rappelle Bruno de
Saint-Florent, associé du cabi-
GOLDMAN SACHS TOUJOURS EN TÊTE
net Oliver Wyman (lire l’entre-
Commissions de conseil en fusions-acquisitions en millions de dollars
tien). Ce ‘mix’ n’a pas changé,
2007 Du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018
même si le modèle par activité
Goldman Sachs 2.188 Goldman Sachs 1.676 a évolué. » Cette affirmation
est assez clairement illustrée
JPMorgan 1.467 JPMorgan 1.399
par la répartition des activi-
Bank of America Merrill Lynch 1.424 Morgan Stanley 1.169 tés chez Morgan Stanley : les
trois segments de 2008 et leurs
Morgan Stanley 1.392 Citi 804
poids relatifs ont été préser-
Citi 1.009 Evercore Partners 703 vés avec Institutional Services
pour 56 % du PNB en 2008
S O UR C E : F R E E M A N CO N S U L T I N G

Barclays 991 Barclays 609


et 54 % aujourd’hui ; Wealth
Credit Suisse 926 Bank of America Merrill Lynch 600 management à 37 % il y a dix
ans pour 40 % en juin 2018 ;
UBS 852 Credit Suisse 562
et Investment management.
Lazard 429 Jefferies 537 Toutefois, les montants en jeu
380 430
pour les deux principales caté-
Deutsche Bank Centerview Partners
gories ont changé : la première
0 500 1.000 1.500 2.000 2.500 0 500 1.000 1.500 2.000 pesait 3,6 milliards en juin

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Une expertise 2008, contre 5,7 mil-


liards aujourd’hui ;
transformait aussi. Comptant parmi les consolidateurs
(comme Bank of America-Merrill Lynch) et désormais
dans la gestion la deuxième est passé
de 2,4 milliards à
les wealth managers d’envergure, Morgan Stanley a
par ailleurs réalisé des économies, avec notamment
4,3 milliards de dol- l’amputation d’un quart des effectifs de la division fixed
lars. Morgan Stanley income il y a deux ans, ce qui n’a pas empêché l’activité
bénéficie à la fois d’une de rebondir.
plateforme mondiale qui s’est enrichie depuis 2008
– de 35 à 41 pays aujourd’hui - pour servir les clients l’offre marcus
entreprises et d’une expertise dans la gestion de fortune. Les activités de sa grande concurrente, Goldman
Son objectif, depuis la crise est de rendre ses revenus Sachs, ont pour leur part été redistribuées de
plus prévisibles et de diminuer ses actifs pondérés par Investment banking ; Asset management and securities
le risque, d’où l’importance des métiers générateurs de services et Trading and principal investment, une
commissions, mais aussi de dépôts comme la gestion de division représentant à elle seule 60 % du PNB il y
fortune. Depuis 2008, Morgan Stanley s’est assurée du a dix ans, sous quatre intitulés visiblement orientés
soutien du géant bancaire nippon MUFG, qui détient clients et plus équilibrés : Investment banking (22 %
23 % de son capital, et a manœuvré au plan straté- du PNB actuel) ; Institutional client services (38 %
gique, notamment en prenant la majorité du réseau du PNB avec les institutionnels), Investing & lending
de courtiers de Smith Barney, puisque Citigroup se (21 %, avec les corporates ), Investment management
(19 %, avec les particuliers). La diversification est
réelle. Goldman Sachs va même lancer des comptes
d’épargne puis des prêts pour les particuliers
britanniques, a révélé le Financial Times. L’offre
LA PARO L E B run o de S a i n t- Flore n t ,
À...
Marcus démontre un tournant dans l’histoire de
associé du cabinet Oliver Wyman la firme, négocié il y a moins de trois ans, mais ne
masque pas le fait que le trading génère cette année
« Les banques européennes un volume de revenus nets qui se rapprochent de
en deuxième division » 2008. De plus, « fondamentalement, 10 ans après, le
modèle économique des banques d’investissement est
toujours le même, juge Lam Nguyen. Au niveau des
La crise a-t-elle changé la donne Morgan Stanley et Goldman Sachs prêts et des fusions-acquisitions, le niveau de revenus
entre Europe et Etats-Unis ?  n’étaient pas supervisées par la a dépassé celui de 2007. En revanche, les revenus liés
C’est un paradoxe : la crise est née Fed. Elles ont changé de statut pour aux IPO et aux actions ont chuté. Cela s’explique
aux Etats-Unis (une responsabilité bénéficier de ce support et recevoir de par l’explosion du nombre de cabinet de ‘private
des banques américaines), mais la liquidité en échange du respect equity’. En 2007, il y avait 200 à 300 cabinets, en
2017, il y en a 3.000 à 4.000. Cela fait beaucoup plus
dix ans plus tard, ce sont de certains ratios. De plus, la
d’acheteurs potentiels plus rapides. Les entreprises se
ces mêmes banques qui politique de la Fed en 2009
font racheter plus vite, donc les revenus des activités
dominent le marché, avec a permis de gagner de de conseil en IPO baissent. » La cinquième banque
une taille relative du double l’argent de l’activité de fixed américaine par les actifs a par ailleurs procédé à des
des européennes. Si l’on income pour se renflouer. réductions de coûts dès 2011, au-delà des bonus.
considère les activités de Le marché américain s’est L’univers concurrentiel a bougé à Wall Street. Une
fixed income, d’equities et de restructuré rapidement. Avant la
DR

fois passée sous un statut commun, les banques d’in-


fusions-acquisitions, Deutsche Bank, crise il y avait au moins trois acteurs vestissement traditionnelles, qui ont enregistré la dis-
Barclays, HSBC et UBS sont derrière indépendant de plus : Bear Stearns, parition de Lehman Brothers, mais aussi Bear Sterns
JP Morgan, Goldman Sachs, Morgan Lehman Brothers et Merrill Lynch. et Merrill Lynch, se sont renforcées, même si « des
Stanley et Citigroup, avec un fort boutiques créées il y a moins de dix ans aux Etats-
décalage. Désormais, les banques Les banques européennes ont-elles Unis, comme Centerview ou Evercore Partners, ont
européennes jouent en deuxième été exclues du paysage ? pris des parts de marché, en tous cas dans les fusions-
division. Or, en 2007, les chiffres Un certain nombre d’acteurs non- acquistions, pointe Lam Nguyen. Elles ont été créées
étaient beaucoup plus équilibrés : américains ont réduit leur activité par des anciens de grosses banques. Le private equity
Deutsche Bank était comparable à aux Etats-Unis pour ne pas être finance les opérations qu’ils conseillent. » Si la crise
JP Morgan; Credit Suisse proche de pénalisés par la « règle Tarullo » pour n’a pas changé le modèle des banques d’investisse-
Morgan Stanley. les banques étrangères et les bank ment, elle a mené à la mise à l’écart des européennes
holding companies. D’autres, qui (UBS, Deutsche Bank, etc), à des rapprochements
Pourquoi les banques américaines domestiques et à une diversification des activités par
avaient une présence significative aux
établissement et, finalement, à concentrer le marché
s’en sont mieux sorti que les Etats-Unis, ont été affaiblis par des
tout en transférant certains risques, notamment de
européennes ? amendes. liquidité, hors du système bancaire. A

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