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A MONSIEUR LE PRÉSIDENT DU

CONSEIL D’ETAT
RÉFÉRÉ LIBERTÉ
article L. 521-2 du code de justice administrative)
LEVOTHYROX : Dame B. & al. c./
Ministère de la santé

= REQUÊTE ET MÉMOIRE =

POUR

1. Madame Patricia D.

2. Madame Caroline R.

3. Madame Emmanuelle L.

4. Madame Catherine H.

5. Madame Nancy M.

6. Madame Stéphanie M.

7. Monsieur Y.

Requérants initiaux

Ayant pour avocat

Maître CHRISTOPHE LÉGUEVAQUES


SELARL CHRISTOPHE LEGUEVAQUES Avocat
Avocat au barreau de Paris
4, avenue Hoche 75008 PARIS
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

CONTRE

L’ordonnance du Président du Tribunal administratif de Paris en date du


3 juillet 2018 (Pièce n° E5)

OBJET : Référé liberté tendant

(i) à enjoindre à Madame le Ministre des


Solidarités et de la Santé de demander,
en application de l’article L. 1413-4 du
code la santé publique à l’AGENCE
NATIONALE DE SANTÉ PUBLIQUE de
prendre toute mesure appropriée en son
pouvoir pour garantir la distribution
sur le territoire national de la spécialité
EUTIROX (lévothyroxine sodique dont
l’excipient principal est le lactose)

(ii) à enjoindre à Madame le Ministre des


Solidarités et de la Santé de demander
à Monsieur le Ministre de l’économie et
des finances de soumettre, en
application de l’article L. 613-16 du code
de la propriété intellectuelle, la société
MERCK au régime de la licence d’office

(iii) à inviter Madame le ministre des


Solidarités et de la Santé, si mieux
aime, à prendre et ordonner toute
mesure en son pouvoir afin de garantir
aux malades de la thyroïde présentant
des effets indésirables persistants avec
la nouvelle formule du LÉVOTHYROX ou
tout autre traitement de substitution,
leur droit d’accéder à un traitement
thérapeutique adapté à leur état de
santé et associant levothyroxine
synthétique et lactose.

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

PLAISE AU PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ÉTAT

1. Au-delà des huit demandeurs à la présente procédure, il est évident que la


nature, l’ampleur et l’importance vitale des injonctions sollicitées
démontrent que le nombre réel de requérants dépasse les capacités
classiques de traitement par le système judiciaire.

C’est pourquoi, la vision restreinte adoptée par le Tribunal Administratif ne


parait pas sérieuse ou représente plus un moyen commode de fuir ses
responsabilités et de ne pas répondre à une demande sociale et sanitaire
évidente.

Cela signifie que, même si les huit demandeurs n’apportent pas la preuve
de leur impossibilité de trouver de l’EUTHYROX, cette question est
indifférente car le Conseil d’État doit statuer globalement1 en tenant compte
du nombre considérable de malades qui ne supportent ni la nouvelle formule
ni les spécialités alternatives et qui attendent anxieusement une solution
pérenne à leur problème de santé.

2. Devant cette situation inédite, le Conseil d’État doit se départir de son rôle
premier de conseil de l’État pour assumer celui de protecteur de l’intérêt
général en recherchant une véritable égalité des armes, à défaut de quoi
il exposerait la France à une condamnation par la CEDH en raison du
caractère inéquitable de la procédure.

Cette égalité des armes doit se traduire par un traitement égalitaire dans
les modes de preuve. Si l’on exige un haut niveau de preuve des demandeurs,
le Conseil d’Etat, contrairement au Tribunal administratif, ne peut pas se
contenter de déclarations, d’affirmations ou de considérations dénuées de
preuves et résultant de simples pétitions de principe proféré par
l’administration.

Cela est d’autant plus intolérable que les demandes chiffrées sur les
répartitions géographiques des dosages et l’approvisionnement des officines
sont présentées par les associations de malades depuis le début de la crise
(automne 2017) et ont fait l’objet de demande en justice.

1 CE, sect., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes et Société Sud-est assainissement, n° 229562). Dans l’appréciation de la
condition d’urgence, il revient au juge des référés, en mentionnant tous les éléments l’ayant déterminé, de mettre en
balance l’ensemble des intérêts publics et privés en présence, « objectivement et globalement ». Il tient donc compte à la
fois de l’urgence créée par l’atteinte aux intérêts du requérant que des intérêts publics. Parmi les intérêts pouvant être
pris en compte figurent ainsi la salubrité et la santé publiques (CE, 15 mars 2006, Ministre de l’agriculture et de la pêche c/
GAEC de Beauplat, 286648),

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L’administration a toujours refusé de les communiquer et a tout fait


pour rendre cette communication impossible, entretenant la suspicion
sur les causes réelles ou supposées de son refus.

3. Enfin, il convient de rappeler un principe essentiel du droit de la santé


publique : sauf disposition expresse s’enracinant dans la loi (par exemple la
vaccination), l’administration ne peut pas s’ériger en médecin des
malades.

La libre prescription2 d’un médicament est un principe qui surpasse les


tentatives autoritaires d’imposer des médicaments génériques pour des
raisons avant tout financières.

Le changement de formule du LEVOTHYROX n’est causé par aucune


raison thérapeutique ou d’amélioration du service médical rendu.

La sécurité et la stabilité de la nouvelle formule de la spécialité


LEVOTHYROX ne se trouvent pas établies et, au contraire, se trouvent
ouvertement critiquées par des savants de premier plan (Pr William
ROSTENE).

Dès lors, l’intrusion de l’administration dans la sphère privée, afin d’imposer


un changement de formule, au seul bénéficie de l’industriel, soulève des
questions de démocratie sanitaire et de respect des libertés fondamentales
des millions de malades obligés de consommer ce médicament.

4. Au demeurant, le Conseil d’État devra faire application du principe de


proportionnalité, tout autant que du principe de précaution :

- D’après les informations parcellaires communiquées, la décision


de changement de la formule aurait été prise parce qu’une enquête
de pharmacovigilance de 2010/2012 aurait établi une intolérance
au lactose et/ou un nombre d’effets indésirables mettant en cause
la stabilité de l’ancienne formule.

2 Article R. 4127-8 du CSP : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il
estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et
ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des
inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »
Article L. 1110-5 du CSP dispose que toute personne : « a le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier
des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances
médicales avérées. »
Article R. 4127-40 du CSP : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme
dans les thérapeutiques qu’il administre, de faire courir au patient un risque injustifié. »

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

o Tout d’abord, il convient de constater que malgré des


demandes incessantes aux autorités sanitaires, ces
dernières ont toujours refusé de révéler les rapports devant
établir ces faits ou de communiquer la source de leurs
affirmations péremptoires. Ce refus de transparence
peut s’interpréter comme la volonté de dissimuler – y
compris au juge – des informations déterminantes
dans la prise de décisions.

o Ensuite, d’après des articles de presse non contestés six


mois après leurs révélations, le nombre d’effets indésirables
entre 2010 et 2012 serait de l’ordre de … 23.

o On en déduit que pour 23 effets indésirables signalés sur 24


mois, les autorités sanitaires auraient décidé de chambouler
le traitement de trois millions de personnes qui n’en
demandaient pas tant et qui étaient, dans leur immense
majorité des cas, équilibrés depuis de longues années

- Aujourd’hui, après la troisième réunion du comité de suivi du 6


juillet 2018, les autorités sanitaires sont obligées de reconnaître
avoir reçu plus de 30.000 signalements d’effets indésirables
sur moins de 12 mois imputables à la nouvelle formule du
Lévothyrox.

- Les malades ne comprennent pas pourquoi, pour 30.000


signalements d’effets indésirables parfois graves, les autorités
sanitaires ne prennent pas la décision de faire cesser
immédiatement cette crise sanitaire en organisant durablement et
la production et la distribution de l’ancienne formule du
Lévothyrox pour tous les malades détenteurs d’une prescription de
leur médecin ; ce qui n’empêcherait de continuer à produire et
distribuer la nouvelle formule ou d’autres spécialités alternatives.
Les mesures sollicitées visent à restaurer la liberté de choix des
médecins afin d’offrir à chaque malade le traitement le mieux
adapté à son cas et lui évitant le plus possible des effets
indésirables indiscutables (primum non nocere)

- Il convient d’insister sur un point essentiel : contrairement aux


considérations du Tribunal, le nombre de 30.000 signalements ne
doit pas être confondu avec celui des demandeurs à un retour du
Lévothyrox ancienne formule avec lactose.

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Il s’agit simplement des personnes qui ont pu suivre la procédure


de signalement. Le nombre de malades souhaitant retrouver
le Levothyrox ancienne formule (Euthyrox, Eutirox etc) est
compris entre 150 000 et 300 000. C’est pour ces malades que le
retour du Lévothyrox avec lactose constitue une attente
indispensable et urgente.

Et si ce chiffre est discuté par les autorités, cela provient du fait


que l’ANSM ou le ministère de la santé n’a jamais exigé de
MERCK la communication de ses ventes dans les pays limitrophes
(Belgique, Allemagne, Suisse, Italie, Espagne) qui aurait permis
de constater un accroissement considérable des ventes de
Levothyrox avec lactose’.

Le Conseil d’État retiendra l’étude de l’association VIVRE SANS


THYROIDE. En consultant trois pharmacies proches de la
frontière franco-allemande, l’association a pu recueillir les chiffres
de survente communiqués à l’ANSM et débattu lors du comité de
suivi du 2 mai 2018 : sur les trois derniers mois de 2017, ces trois
pharmacies ont vendu plus de 16.000 boites de 100 comprimés par
rapport à la même période de 2016, ce qui représente 1.600.000
comprimés vendus sur la période. Il convient de signaler qu’une
pharmacie, spécialisée dans les ventes par internet, indiquait
avoir vendu plus de 5.200 traitements pour une année.

Cette information permet d’affirmer que

• De première part, l’administration n’a pas cherché (ou


refuse de communiquer) les chiffres des ventes de
Lévothyrox avec lactose à l’étranger afin de minimiser
la crise et continuer à prétendre que les mesures
adoptées sont largement suffisantes

• De deuxième part, cette situation de « bricolage » oblige


les malades à se fournir en dehors des circuits
traditionnels les exposants à des risques pour leur santé
(on a même vu des ventes de Levothyrox avec lactose sur
ebay à des prix prohibitifs)

• De troisième part, ces faits démontrent la mauvaise foi


de l’administration, qui tente de tromper les malades et
les juridictions, et la carence dans la réponse apportée à
une crise sanitaire majeure.

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L’histoire jugera sévèrement le comportement des acteurs de


cette sinistre farce.

- L’argument de la mise en place d’une offre thérapeutique alternative


avec six nouvelles spécialités ne tient pas la route.

o En effet, les sociétés savantes américaine et française


d’endocrinologie recommandent de ne pas changer de marque de
médicament en cours de traitement, sauf à s’exposer à devoir trouver
un nouvel équilibre, à supposer que les excipients utilisés ne génèrent
pas des difficultés à certains malades.

L’Association Américaine des Endocrinologues Cliniques (AACE), de


Société Endocrinienne (TES), et des autres membres d’Association
Américaine de Thyroïde (ATA) conclut leur déclaration conjointe sur
l’utilisation et l’interchangeabilité des produits de la thyroxine dans
les termes non équivoques suivants :

CONCLUSION:

MEILLEURES PRATIQUES MÉDICALES:

Les patients doivent être maintenus sous la même


marque de lévothyroxine. Si la marque d'un
médicament à base de lévothyroxine est changée, soit
d'une marque à une autre, soit d'une marque à un produit
générique, soit d'un produit générique à un autre produit
générique, les patients devraient être testés une nouvelle
fois en mesurant la TSH sérique six semaines plus tard, et
le médicament réitéré au besoin.

Puisque de petits changements dans l'administration de


lévothyroxine peuvent entraîner des changements
importants dans les concentrations sériques de TSH, un
contrôle précis et exacte de la TSH est nécessaire pour
éviter les effets iatrogènes indésirables potentiels.

o L’ANSM et la Sécurité sociale ont reconnu en 2010 la spécificité du


LEVOTHYROX un des rares produits pharmaceutiques échappant à
la politique pro active en raison de sa « marge thérapeutique étroite ».

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Cette marge thérapeutique étroite a entrainé des conséquences


connues de tous, puisque l’AFSSAPS (ancêtre de l’ANSM)3 avait
rendu le 25 mai 2010 une « Recommandations sur la substitution des
spécialités à base de lévothyroxine sodique - Lettre aux professionnels
de santé » dans les termes suivants :

Compte tenu des variations de l’exposition qui


pourraient survenir lors de changement de spécialités à
base de lévothyroxine chez certains patients à risque au sein
des catégories suivantes : en particulier chez les patients traités
pour cancer thyroïdien, mais également ceux atteints de troubles
cardio-vasculaires (insuffisance cardiaque ou coronarienne,
troubles du rythme), femmes enceintes, enfants, sujets âgés, ainsi
que dans certaines situations où l’équilibre thérapeutique a été
particulièrement difficile à établir, et afin de prévenir tout
risque de surdosage ou de sous-dosage, une surveillance est
nécessaire en cas de changement entre deux spécialités à base de
lévothyroxine: spécialité de référence vers spécialité générique,
spécialité générique vers spécialité de référence ou spécialité
générique vers une autre spécialité générique.

De même, par l’Arrêté du 4 mai 2012 portant approbation de la


convention nationale organisant les rapports entre les pharmaciens
titulaires d’officine et l’assurance maladie4 tire toutes les
conséquences de la décision de l’AFSSAPS en date du 12 mars 2011
concernant le répertoire des génériques et de sa mise en garde sur la
substitution des génériques de LEVOTHYROX®. D’ailleurs, dans son
rapport « Les médicaments génériques : des médicaments à part
entière (Décembre 2012) », l’ANSM rappelle

Suite à l’observation d’un nombre significatif de


notifications de perturbation de l’équilibre
thyroïdien après une substitution du princeps par
un générique lors de l’arrivée sur le marché de spécialités
génériques de lévothyroxine sodique, substance dont
l’ajustement de la posologie nécessite une grande précision,
des recommandations aux professionnels de santé ont été
émises.

Ce changement de spécialité entraîne donc un coût pour la collectivité


car il nécessite une surveillance accrue, sans que les avantages de ces
changements soient clairement établis.

3 http://ansm.sante.fr/S-informer/Informations-de-securite-Lettres-aux-professionnels-de-sante/Recommandations-sur-la-
substitution-des-specialites-a-base-de-levothyroxine-sodique-Lettre-aux-professionnels-de-sante
4 JO 6 mai 2012, p. 34 et s.

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

A ce titre, le Conseil d’état retiendra la déclaration de l’ANSM devant


le Tribunal administratif de Montreuil selon laquelle il n’existe pas
d’étude coûts/avantages pour comparer l’ancienne et la
nouvelle formule de Levothyrox !

o Imposer de manière autoritaire une substitution de spécialités est en


contradiction avec les données acquises de la science et les bonnes
pratiques recommandées par les spécialistes.

Depuis le mois de septembre 2017, l’association VIVRE SANS THYROIDE


explique qu’il est possible de produire et distribuer les deux formules afin d’offrir
aux malades détenteurs d’une prescription adéquate « de recevoir les soins les plus
appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui
garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales
avérées ».

En vain.

Après avoir refusé de communiquer les rapports, études et documents à


l’origine du changement de formule, l’Administration fait la sourde oreille aux
plaintes des malades en adoptant un comportement cynique : le temps joue pour
nous, à nous regarder ils s’habitueront. Un tel comportement est aussi indigne
qu’illégal et impose des mesures efficaces pour protéger les malades.

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

FAITS ET PROCÉDURE

5. Sans le moindre effet indésirable, les sept requérants à la présente instance,


représentant les intérêts catégoriels de plusieurs milliers de malades sont
traités, depuis plusieurs années, par la spécialité LEVOTHYROX, fabriquée
et commercialisée par les laboratoires MERCK.

Cette spécialité à base de levothyroxine, hormone thyroïdienne de synthèse,


contenait comme excipient principal du lactose depuis sa première
autorisation de mise sur le marché (AMM) datant de 1980
(Pièces Série B1).

6. Consommée par près de 3 millions de malades de manière quotidienne, cette


spécialité présente, pour les requérants, la caractéristique d’être
indispensable à leur survie et ne faisait guère l’objet de signalements d’effets
indésirables : quelques dizaines de cas chaque année.
Pièces n°B8-9 et B8-11

7. A l’approche de l’expiration de son dernier brevet (prévu pour le printemps


2019), les laboratoires MERCK ont décidé de modifier la formule de la
spécialité LEVOTHYROX pour remplacer le lactose par du mannitol et de
l’acide citrique anhydre. Le principe actif du médicament reste toutefois
inchangé
(Pièces n° B7-1 et B9-9)

Cette modification de la formule s’est traduite par une simple modification


de l’AMM initiale. La commercialisation de la nouvelle formule a débuté le
27 mars 2017
(Pièce n° B8-14).

8. Dans les mois qui ont suivi, un accroissement considérable des signalements
d’effets indésirables a été constaté. C’est ainsi qu’entre mars et décembre
2017, plus de 24.000 signalements ont été reçus par l’ANSM, ce qui
représente plus du tiers des signalements annuels reçus toutes spécialités
et dispositifs médicaux confondus.
(Pièces Série B3).

C’est ainsi notamment que 24 pétitions demandant le retour de l’ancienne


formule du LEVOTHYROX avec lactose totalisent à ce jour 592 604
signataires.
(Pièces Série A9-3).

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

9. En janvier 2018, M. Thierry HULOT, président de MERCK France,


reconnaissait que « 90 % des malades n'ont aucun problème avec le nouveau
Levothyrox », c’était reconnaître qu’au moins 10 % ne supportait pas la
nouvelle formule ce qui représente 200 à 300 000 malades.
(Pièce n° B9-11)

10. De son côté, l’association VIVRE SANS THYROÎDE a pu procéder à une


« analyse des statistiques de ventes et de consommation des médicaments à
base de lévothyroxine en France en 2017 » à partir de la source Medic’Am
2017 accessible sur le site de la CNAM.

Les conclusions de cette étude sont sans appel. Ce ne sont ni 0,75 % ni 10 %


des malades qui ont changé de médicament à base de levothyroxine entre
janvier et décembre 2017 mais bel et bien 31 % soit près d’un million de
malades, dans le cadre d’une évaluation basse car le chiffre des achats à
l’étranger est sous-estimé.

(Pièce n° B7-4)

11. Les effets secondaires, graves et invalidants, de la nouvelle formule du


Lévothyrox ont été reconnus par les deux ordres de juridiction.

C’est ainsi tout d’abord que le Conseil d’Etat a considéré que :

« ainsi que le fait apparaître une enquête de pharmacovigilance


portant sur la période allant de fin mars au 15 septembre
2017, qui dénombre 14 633 signalements reçus par les centres
régionaux de pharmacovigilance, représentant 0,6 % des 2,6
millions de patients traités par Levothyrox, de nombreux
patients ont rapporté des effets indésirables tels que fatigue,
maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires et
musculaires et chute de cheveux, susceptibles de résulter des
difficultés rencontrées dans le réajustement du dosage lors de
la modification du traitement. »

« face à l'importance de ces effets indésirables et au risque que


certains patients n'interrompent leur traitement malgré la
gravité des conséquences qui pouvaient en résulter, le ministre
chargé de la santé a invité la société Merck Santé à solliciter
l'autorisation d'importer des unités de la spécialité Euthyrox,
initialement destinée au marché allemand et correspondant à
l'ancienne formule du Levothyrox. »

(Conseil d’État, 13 décembre 2017, M. B., req. n°415207).

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Ensuite et surtout, la Cour d’appel de Toulouse, confirmant une ordonnance


de référé du Tribunal de grande instance de Toulouse, a jugé que :

« La nouvelle formule du Levothyrox est à l’origine d’effets


indésirables invalidants, que les pouvoirs publics et la SASI
Merck Santé ont permis la mise sur le marché du Levothyrox
ancienne formule grâce à l’importation du Euthyrox, que
toutefois au jour où le juge des référés a statué la preuve était
faite que ce médicament n’était pas systématiquement
disponible pour les intimés, malgré les prescriptions médicales
et qu’au jour où la cour statue et au vu des attestations de
certains pharmaciens, l’approvisionnement n’est pas assuré
correctement. […] Dans ces conditions, il apparaît que :

L’urgence est caractérisée au regard des troubles


ressentis, du caractère temporaire de l’autorisation
d’importation du 19 janvier 2018 qui n’a été délivrée que pour
trois mois sans que la SASU Merck Santé n’ait précisé si elle
avait été reconduite ;

Il n’existe pas de contestation sérieuse sur le lien causal entre


les effets indésirables ressentis et la prise du Lévothyrox nouvelle
formule ;

L’imminence d’un dommage est certaine dans son principe dès


lors que les troubles ou effets indésirables apparaîtront en cas
de rupture du traitement par Euthyrox. »

(Cour d’appel de Toulouse, 7 juin 2018, Madame Jeanne


Bessou et autres c/ SASU Merck Santé, arrêt n° 208/393 –
Pièce n° D8

12. Les requérants se trouvent confrontés à une situation d’urgence impérieuse


dans la mesure où :

- d’une première part, tous malades, car dépourvus


de thyroïde doivent recevoir quotidiennement une
dose d’hormone thyroïdienne, au risque de mettre
leur vie en danger. Or, il est médicalement établi
qu’ils ne supportent pas ni la nouvelle formule du
LEVOTHYROX ni les traitements alternatifs
proposés. D’ailleurs, chacun de leur médecin
recommande le retour à l’ancienne formule du
Lévothyrox avec lactose.
(Pièce Séries A1 à A8s)

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

- d’une deuxième part, ces mêmes requérants ont


réussi à se constituer un stock de LEVOTHYROX
ancienne formule avec lactose, le plus souvent à
l’étranger, mais ils sont dans l’impossibilité
d’assurer avec certitude leur consommation
au-delà du 30 juin 2018 et ce, d’autant plus que les
laboratoires MERCK ont annoncé la fin de la
production LEVOTHYROX ancienne formule avec
lactose, dans toute l’Union européenne, pour le 31
décembre 2018.

Les documents communiqués par l’ANSM ont


trompé la religion du tribunal qui a considéré qu’en
l’état de stocks disponibles, il était possible d’assurer
l’approvisionnement pendant 11 semaines … pour
50.000 malades. Ce stock se réduit comme peau de
chagrin si l’on considère que le nombre de malades
désirant acheter de l’Euthyrox est plutôt de l’ordre
de 150 000 personnes (soit 4 semaines de stock) et si
le chiffre fleurte avec les 300 000, la durée du stock
se réduit à moins d’un mois…

- d’une troisième part, sont confrontés à l’inertie de


Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé
qui, bien qu’elle ait été sollicitée en ce sens par une
lettre datée du 12 avril 2018 refuse toujours de
prendre les mesures nécessaires qui sont pourtant en
son pouvoir pour leur assurer la poursuite d’un
traitement adéquat.
(Pièce n° E4)

13. C’est la raison pour laquelle, ils demandent au juge administratif, statuant
en référé sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative de bien vouloir :

- (i) enjoindre à Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé de


demander, en application de l’article L. 1413-4 du code la santé publique
à l’Agence nationale de Santé Publique de prendre toute mesure
appropriée en son pouvoir pour garantir la distribution sur le territoire
national du médicament EUTIROX ;

- (ii) enjoindre à Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé de


demander à Monsieur le Ministre de l’économie et des finances de
soumettre, en application de l’article L. 613-16 du code de la propriété
intellectuelle, la société MERCK au régime de la licence d’office ;

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

- (iii) inviter Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé, si mieux


aime, à prendre et ordonner toute mesure en son pouvoir afin de garantir
aux malades de la thyroïde présentant des effets indésirables
persistants avec la nouvelle formule du LÉVOTHYROX ou tout autre
traitement de substitution, leur droit d’accéder à un traitement
thérapeutique adapté à leur état de santé et associant thyroxine
synthétique et lactose.

CRITIQUES DE L’ORDONNANCE DU 3 JUILLET 2018 RENDUE


PAR LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

Dans son ordonnance de rejet, le tribunal considère que

« En premier lieu, l'ANSM justifie à l'audience du renouvellement,


après celles données en septembre et en novembre 2017, de
l'autorisation d'importation accordée le 19 janvier 2018, certes, pour
une durée de trois mois, d'environ 336 000 boites d'Euthyrox® de
100 comprimés conditionnées dans les dosages de 25 à 200
microgrammes. En outre, la ministre des solidarités et de la santé
justifie que les stocks importés n'ont pas été épuisés en produisant un
état estimatif des stocks de boites d'Euthyrox® au 31 mai 2018
s'élevant à environ 130 000 boites, correspondant à près de 12
semaines de vente, sans que les requérants puissent utilement
déduire de la différence des stocks en début et en fin de période
observée d'octobre 2017 à mai 2018, qui correspond à la distribution
effectuée, une pénurie imminente et certaine de la disponibilité des
boites d'Euthyrox®. Si les requérants soutiennent que la ventilation
des dosages disponibles ne concernerait que 45 000 patients, et dans
le dernier état de leurs écritures, environ 30 000 patients, ils ne
l'établissent pas, ni ne démontrent qu'eux- mêmes ne pourraient
accéder aux dosages conformes à leurs prescriptions médicales. »

« les requérants n'établissent pas l'impossibilité matérielle et concrète


dans laquelle ils seraient localement placés de se fournir en boites de
médicaments d'Euthyrox® dans les dosages qui leur ont été
prescrits »

Le Tribunal confond urgence personnelle et urgence collective. Par là


même, il suit le raisonnement de l’Administration qui nie l’existence d’un très
grand nombre de malades qui ont été contraints de « bricoler » des
approvisionnements parallèles en raison de la carence dans la fourniture de
l’EUTHYROX ou des obstacles mis sur la route des malades pour mieux justifier
les mesures de contraction du marché.

Comme dans toute prophétie auto-réalisatrice, l’astuce consiste à dire :


regardez les prévisions se sont réalisées en oubliant que l’on a manipulé les
conditions pour que la réalité corresponde au plan annoncé.

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Dans le cas d’espèce, en septembre 2017, l’ANSM a estimé qu’il existait


environ 30 à 50 000 « irréductibles » qui souhaitaient garder l’ancienne formule
avec lactose. Pour calmer les esprits, elle a obtenu de quoi les satisfaire et a mis
en place des verrous pour figer le nombre de bénéficiaire de cette mesure.

Dans le même temps, elle niait une double évidence : la demande du retour
de l’ancienne formule faisait l’objet de pétitions signées par plus de … 500 000
personnes (!) et les malades s’organisaient pour se procurer à l’étranger ou sur
internet la formule avec lactose, sans que l’ANSM ne prenne la peine de chiffrer
ces achats parallèles.

Dès lors, l’ordonnance encourt la censure pour ne vouloir reconnaître


l’intensité d’une crise d’approvisionnement qui perdure au-delà des apparences
organisées par l’administration et le fabricant. Par ailleurs, le tribunal ajoute :

à le supposer maintenu dans son principe et sa date


d'application, l'arrêt, par les laboratoires Merck à la date du 31
décembre 2018, de la ligne de fabrication de la spécialité
d'Euthyrox®, qui correspond à l'ancienne formule du
médicament Levothyrox®, cette cessation programmée de la
fabrication, qui relève d'une politique industrielle et
commerciale des laboratoires Merck, au demeurant contrainte
par les lignes directrices de l' Agence européenne du
médicament, n'est pas de nature à révéler une situation
d'urgence qui nécessiterait une intervention du juge des référés
dans un délai extrêmement bref.

Dans cet attendu, le juge des référés commet une erreur en fait et une
erreur en droit

- En fait : il n’existe pas de lignes directrices de l’agence européenne


du médicament imposant à MERCK le changement de formule
dans toute l’Union européenne. L’administration ne produit aucun
élément en ce sens. Bien au contraire, en produisant les documents
remis par MERCK à la FDA, les requérants démontrent le double
langage de l’industriel des deux côtés de l’Atlantique : pour un
même produit issu de la même usine, le Lévothyrox ancienne
formule était réputée respectait la norme 95/105 % de principe
actif aux USA, mais ne pas la respectait en Europe.

- En droit, l’intervention du juge des référés dans un délai


extrêmement bref s’impose car, entre la décision à intervenir et la
réalisation industrielle, il peut se passer plusieurs semaines
pendant lesquels le risque de rupture d’approvisionnement
s’accroit. De plus, chaque jour qui passe peut rendre irréversible
la production de l’ancienne formule avec lactose.

15
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Enfin, le tribunal exige des requérants ce qu’il ne demande pas à


l’administration

la production (…) de pièces médicales complémentaires


actualisées ne permet ni d'établir l'intolérance pérenne,
après plusieurs dosages infructueux, à tous les médicaments
de substitution disponibles sur le marché, ni de démontrer la
recherche vaine de dosages très précis dans les médicaments
alternatifs à base de lévothyroxine.

Il suffit de rappeler que les sociétés savantes recommandent d’éviter les


changements de spécialité pour considérer que le tribunal se montre
particulièrement exigeant dans la charge de la preuve. Peut être qu’une
hospitalisation ou un avis de décès pourra constituer … trop tard … une preuve.

Un tel positionnement consiste à nier le caractère préventif et


conservatoire des mesures sollicitées en référé5.

C’est d’autant plus incompréhensible que ces mesures profiteraient à un très


grand nombre de malades et éviteraient des conséquences médicales lourdes ou
irrémédiables.

Par ailleurs, le tribunal considère qu’il n’existe pas de carence de


l’administration dans la gestion de la crise

au contraire, les autorités sanitaires et les laboratoires Merck


se sont engagés à poursuivre la distribution des stocks jusqu'à
fin 2018 ; enfin, l'offre de produits substituables a été
augmentée et diversifiée, de sorte qu'à la date la présente
ordonnance, cinq autres médicaments à base de
lévothyroxine sont disponibles dans les pharmacies. (…)

Il résulte de tout ce qui précède qu'aucune carence


caractérisée ne peut être relevée à l'encontre de la ministre
des solidarités et de la santé dans l'usage des pouvoirs qu'elle
détient du code de la santé publique dans les choix
scientifiques, médicaux et juridiques de politique de santé
publique au regard des difficultés posées par
l'approvisionnement des pharmacies en boites de
médicament d'Euthyrox® et par la mise en œuvre et le
contrôle d'alternatives thérapeutiques.

5 « En outre, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 du code de
justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les
mesures de sauvegarde nécessaires. » (Conseil d’Etat, 13 décembre 2017, M. B, précité).

16
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Cette appréciation est surprenante car

- Le tribunal ignore les conditions douteuses à l’origine du


changement de formule au point qu’une plainte pour trafic
d’influences a été déposée6 ;

- il refuse de prendre en compte les observations médicales et


scientifiques présentées par les requérants ;

- il nie que la migration forcée vers d’autres spécialités à base


de levothyroxine est loin d’être une panacée et constitue un
parcours du combattant pour des malades qui étaient bien
équilibrés jusqu’au changement de formule, étant précisé que
les effets indésirables s’inscrivent dans le temps et
s’aggravent. De plus, l’étude des autorités italiennes et
l’expérience vécue par certaines françaises démontrent que le
changement d’excipient d’un tel médicament peut entrainer
des troubles mortels.

- il refuse de prendre en compte les mécanismes de


minimisation de la crise mise en place et la volonté de
l’administration de briser la résistance des malades au profit
de l’industriel ou pour éviter de reconnaître sa responsabilité

Bref, le tribunal n’a pas pris en compte l’intégralité des faits et conséquences
résultant de sa saisine.

C’est pourquoi cette décision devra être annulée et réformée en faisant droit
aux demandes des requérants.

6 https://www.francetvinfo.fr/sante/levothyrox/info-franceinfo-levothyroxj-une-centaine-de-patients-porte-plainte-pour-
trafic-d-influence_2837769.html

17
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

DISCUSSION
1. OBSERVATIONS PRÉALABLES : RENVERSEMENT DE LA CHARGE DE
LA PREUVE

1.1 Les autorités sanitaires, MERCK et les pharmaciens ont refusé de


communiquer des informations sur les stocks disponibles.

Il résulte des procédures (Série D) que pour préparer le référé-libertés, les


requérants avaient pris la peine de solliciter diverses informations afin
d’éclairer la juridiction.

Force est de constater que les autorités sanitaires et MERCK se sont


ingéniés à refuser de communiquer les documents en leur possession plaçant
volontairement les requérants, simples malades, dans la situation
impossible d’apporter une preuve qui était tenue sous clé.

Cette situation entraîne un renversement de la charge de la preuve.

Pour les 150 à 300 000 malades actuellement sous Euthyrox/Eutirox


ancienne formule (en comptant que ceux qui se procurent l’EUTHYROX
à l’étranger par un dangereux bricolage), les autorités sanitaires doivent
apporter la preuve que, sur tout le territoire de la République (en ce
compris les territoires d’outre-mer), les malades peuvent trouver à tout
moment et de manière pérenne le médicament prescrit par leur
médecin pour des raisons médicales.

Or, les documents communiqués par l’ANSM dans le cadre de l’instruction


devant le Tribunal permettent d’observer

- Ces documents sont des simples déclarations de


MERCK et n’émanent pas des grossistes-répartiteurs
ou du conseil de l’ordre des pharmaciens comme
annoncé à l’audience.

- Ces documents indiquent qu’il existerait un stock


disponible de 130.026 boites (toutes doses
confondues), ce qui ne permet de soigner qu’entre 30
et 50 000 malades, très loin de la capacité minimale
de soin nécessaire pour 150.000 malades.

- L’ANSM tente de figer arbitrairement la prescription


d’EUTHYROX aux « seuls patients pour lesquels la
transition vers une solution alternative pérenne est
complexe et nécessite une dispensation d’EUTHYROX
de manière transitoire ».

18
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

- Autrement dit, l’ANSM refuse de reconnaître le nombre


réel de malades concernés et tente par des mesures
autoritaires de la figer dans le temps, sans tenir compte
de l’arrivée massive des malades qui se sont procurés de
l’EUTHYROX par leur propre moyen à l’étranger. Nous
sommes face à un déni de la réalité qui justifie derechef
l’intervention du juge administratif pour briser le cercle
vicieux « je ne veux pas voir donc qu’il n’y a pas de
problème ».

1.2 Aucune livraison d’EUTHYROX depuis le 1er trimestre 2018

Dans son arrêt du 13 juin 2018 (Pièce n°D9), la cour d’appel de Toulouse a
relevé que

Ainsi, le document produit par le ministère de la santé à l’audience du


vendredi 29 juin couvre
- des quantités déterminées ;
- à titre transitoire
- pour une période maximale de trois mois.

Cette analyse de la cour d’appel de Toulouse a été confirmée par les


documents communiqués par l’ANSM au cours de l’instruction devant le Tribunal.
En effet, l’ANSM a reconnu que la dernière livraison d’EUTHYROX est en date du
19 janvier 2018.

On peut donc considérer que depuis le 19 avril 2018 (date de l’arrêté + 3


mois), il n’est plus possible d’importer de l’EUTHYROX en France. Comme les
boites de 100 comprimés permettent de couvrir une période de 3 (trois) mois, on
peut considérer qu’au-delà du 30 juin 2018, il deviendra impossible de se
procurer de manière pérenne et en quantité suffisante l’EUTHYROX pour
plus de 150 000 malades en attente d’EUTHYROX.
Ce fait caractérise tout à la fois la carence des pouvoirs publics et l’urgence
absolue d’agir rapidement pour éviter qu’au cours de l’été 2018, des centaines de
milliers de malades ne se retrouvent dans une situation dangereuse.

19
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

1.3 Les livraisons temporaires d’EUTHYROX en provenance de


l’Allemagne étaient notoirement insuffisantes.
Le tribunal ne doit pas se laisser abuser par les informations communiquées
par l’ANSM qui tend à créer la confusion entre le nombre de boites mises en
circulations et le nombre de malades pouvant être traités.
Dans son arrêt du 7 juin 2018 (Pièce n° D9), la cour d’appel de Toulouse a
relevé que l’’importation en France de l’EUTHYROX (LEVOTHYROX
ancienne formule avec lactose) a été autorisée les 19 septembre, 20
novembre 2017 et 19 janvier 2018 dans des quantités déterminées par
l’ANSM.
Dans son compte rendu du Comité de suivi du 2 mai 2018 (Pièces n° B7-6 et
B8-25), la DGS indique que, depuis septembre 2017, les laboratoires
MERCK ont importé 744 264 boites (531 994 boites ont été mises à
dispositions des grossistes répartiteurs, 348 172 ont été dispensés au 15
avril 2018 et 190 000 devraient être dispensés), de telle sorte que les besoins
des trois prochains mois (soit jusqu’à 1er juillet 2018) seraient assurés.

Mais une étude plus fine des chiffres permet de douter de cette affirmation
émanant du ministère de la santé.
Il convient de tenir compte d’une information importante : il existe 8 dosages
possibles. Dès lors, l’annonce de l’arrivée de 200 000 boites doit se répartir
entre les différents dosages (avec des comprimés de 25µg en surnombre,
pour les nombreux patients qui combinent des demi-comprimés de 25µg avec
un dosage standard pour obtenir un dosage intermédiaire).
Cette répartition est révélée par l’ANSM (22/12/2017): http://solidarites-
sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/point-de-
suivi-des-approvisionnements-en-levothyroxine-pour-les-patients. À partir
de ces données brutes, on peut déterminer le nombre de boites disponibles
dans chacune des 20.000 pharmacies :

Dosages Boites Nombre par pharmacie.


(sources
ANSM)
25 µg 40 000 2
50 µg 40 000 2
75 µg 50 000 2,5
100 µg 50 000 2,5
125 µg 25 000 1,25
150 µg 11 000 0,55 (La moitié des pharmacies reçoit une
boite.).
175 µg 0 0
200 µg 0 0

20
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

A la lecture de cette étude statistique, on comprend mieux les plaintes des


malades (et des pharmaciens…) qui ont dû subir la rupture de stocks rapide
des comprimés de 25µg pourtant indispensables aux dosages intermédiaires.

On peut le synthétiser de la manière suivante : Il y a en moyenne 10


malades prenant de l’EUTHYROX par pharmacie mais la livraison de 200
000 boites de comprimés ne permet de servir, en moyenne, que 2 malades
par pharmacie.

Dès lors, on comprend mieux le sentiment d’abandon et de désarroi des 8


malades qui n’ont pu obtenir de l’EUTHYROX et qui ne souhaitent pas
tester d’autres spécialités en raison du risque de ne pas les trouver le mois
suivant en pharmacie (disponibilité aléatoire), les patients devant à chaque
changement de spécialité, contrôler et éventuellement adapter leur dosage
afin de retrouver un équilibre hormonal.

Ces chiffres attestent non seulement de l’insuffisance des mesures prises en


approvisionnement mais surtout de la défaillance notable des autorités à
estimer avec justesse les besoins des patients français.

Ces mesures ont donc provoqué davantage de désarroi pour une large
majorité des patients désireux de se procurer de l’EUTHYROX, un
sentiment d’abandon et beaucoup de stress. Ces chiffres permettent
également d’expliquer l’accroissement des achats à l’étranger.

Par ailleurs, les spécialités qualifiées d’alternatives au LEVOTHYROX


nécessitent pour chaque malade une errance médicale de plusieurs mois pour
retrouver un équilibre thyroïdien convenable.

De plus, la disponibilité de ces alternatives n’est pas assurée de manière


uniforme sur l’ensemble du territoire, plaçant les malades dans l’obligation de
supporter la nouvelle formule ou de prendre des risques inconsidérés pour se
fournir à l’étranger, tant que cela est encore possible ;

L’EUTIROX « italien » fabriqué à Bourgoin-Jallieu à destination du marché


italien présente les effets thérapeutiques, avec la même qualité et la même
sécurité, que l’ancienne formule du LEVOTHYROX avec lactose, étant
précisé qu’en 2013, lors d’un précédent épisode de rupture de stocks du
LEVOTHYROX, l’ANSM avait distribué gratuitement de l’EUTIROX aux malades
français, sans qu’il soit constaté ou révélé l’apparition d’effets indésirables.

21
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

II. ATTEINTE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE

II.1. EN DROIT

Si, dans sa décision Bunel du 8 septembre 2005, req. n° 284803, le Conseil


d’Etat a jugé que « si en raison du renvoi fait par le Préambule de la
Constitution de 1958 au Préambule de la Constitution de 1946, la protection
de la santé publique constitue un principe de valeur constitutionnelle, il n'en
résulte pas, contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge que « le droit à la
santé » soit au nombre des libertés fondamentales auxquelles s'applique
l'article L. 521-2 du code de justice administrative », cette appréciation peut
être nuancé.

D’abord parce que dans le même arrêt, le Conseil d’Etat a considéré que :
« toutefois, entrent notamment dans le champ des prévisions de cet article le
consentement libre et éclairé du patient aux soins médicaux qui lui sont
prodigués ».

Ensuite et surtout parce que dans un arrêt récent, la même juridiction a


retenu :

« Une carence caractérisée d'une autorité administrative


dans l'usage des pouvoirs que lui confère la loi pour mettre en
œuvre le droit de toute personne de recevoir, sous réserve
de son consentement libre et éclairé, les traitements et les
soins les plus appropriés à son état de santé, tels
qu'appréciés par le médecin, peut faire apparaître, pour
l'application de l'article L. 521-2 du code de justice
administrative, une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle risque
d'entraîner une altération grave de l'état de santé de
la personne intéressée. »

(Conseil d’État, 13 décembre 2017, M. B, req. précité).

Il peut être souligné que cette décision suit les conclusions du rapporteur
public, Charles Touboul qui, sous cet arrêt observaient qu’il ne fait

« guère de doute qu’une décision ou carence caractérisée d’une


autorité administrative pour permettre l’accès à des spécialités
prescrites aux patients pourraient, dans certaines circonstances,
être regardée comme une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2
du code de justice administrative ».

22
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

II.2 EN L’ESPÈCE –

Si à l’époque où il s’est prononcé, le Conseil d’État a pu considérer que M. B


ne soutenait pas :

« avoir des difficultés à se procurer le médicament que lui a


prescrit son médecin et ne peut utilement, à l'appui de sa
demande présentée au titre de l'article L. 521-2 du code de
justice administrative, critiquer le caractère temporaire des
mesures prises pour permettre l'importation parallèle de la
spécialité Euthyrox. »
(Conseil d’Etat, 13 décembre 2017, M. B, req. précité),

votre juridiction devra nécessairement retenir une appréciation différente.

En effet il s’avère aujourd’hui que la mesure provisoire prise par Madame le


Ministre des Solidarités et de la Santé arrive à son terme.

De plus, il est constant et démontrer que les mesures prises n’ont pas permis
de satisfaire la demande légitime des malades qui n’ont trouvé d’autres
solutions que de s’approvisionner à l’étranger ou sur le net, mettant en
danger la filière du médicament et entrainant un stress partagé entre les
malades et les personnels de santé (médecins et pharmaciens).

Ainsi, les quantités de spécialités alternatives ont été notoirement


insuffisantes, obligeant les malades à supporter les maux d’une spécialité
qu’ils ne supportaient pas.

Ensuite et surtout, la société Merck a officiellement annoncé qu’elle


arrêterait toute production de Lévothyrox avec lactose à la fin de l’année
2018.

Cette décision induit nécessairement un risque imminent d’arrêt de la


dernière chaine de production du Lévothyrox avec lactose, tant par les soins
propres de la société Merck que par ceux de son façonnier, le laboratoire
Pathéon à Bourgoin Jallieu.

Or, cet arrêt condamnerait à terme toute reprise possible de la fabrication


de Lévothyrox avec lactose.

23
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

III. ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE

III.1. EN DROIT –

Comme on l’a vu, le Conseil d’Etat considère que :

« « Une carence caractérisée d'une autorité administrative dans


l'usage des pouvoirs que lui confère la loi pour mettre en œuvre
le droit de toute personne de recevoir, sous réserve de son
consentement libre et éclairé, les traitements et les soins les plus
appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin,
peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du
code de justice administrative, une atteinte grave et
manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle
risque d'entraîner une altération grave de l'état de santé de la
personne intéressée. »

(Conseil d’État, 13 décembre 2017, M. B, req. précité).

III.2 EN L’ESPÈCE –

La carence constatée de la Ministre des Solidarité et de la Santé à agir,


malgré

i) les demandes dont elle a pu être destinataire,

ii) le constat d’une crise sanitaire grave qui affecte de très


nombreux malades (entre 500 et 1 000 000 malades ont refusé
la nouvelle formule du LEVOTHYROX),

iii) les nombreuses pétitions et actions en justice qui sont initiées


par ces derniers, constitue manifestement une atteinte grave
et illégale de la part de celle-ci, entrainant une inégalité de
traitement entre les malades suivant qu’ils seront entendus ou
non par une juridiction et risquant d’entrainer un
embouteillage judiciaire venant perturber le service public de
la justice, faute d’une décision applicable sur l’ensemble du
territoire de la République.

24
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

IV. AGISSEMENT DE L’ADMINISTRATION SUR LE FONDEMENT D’UN


POUVOIR LUI APPARTENANT

IV.1. EN DROIT

L’article L. 1110-1 du code de la santé dispose :

« Le droit fondamental à la protection de la santé doit


être mis en œuvre par tous moyens disponibles au
bénéfice de toute personne. Les professionnels, les
établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance
maladie ou tous autres organismes participant à la prévention
et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les
usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de
chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et
assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire
possible. ».

Le Conseil d’Etat précise que ce droit de droit fondamental : « à la protection


de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles au bénéfice
de la personne ; » (Conseil d’Etat, 14 février 2014, Mme E. G., req. n°
375081).

L’article L. 1110-5 du même code ajoute :

« toute personne a, compte tenu de son état de santé et de


l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de
recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les
soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques
dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la
meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement
possible de la souffrance au regard des connaissances
médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de
traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances
médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au
bénéfice escompté. Ces dispositions s'appliquent sans préjudice ni de
l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits
de santé ni de l'application du titre II du présent livre.

Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et


accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les
professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur
disposition pour que ce droit soit respecté. »

Ces deux articles s’inscrivent au titre premier, du livre premier, de la


première partie législative du code de la santé publique intitulé : « Droit des
personnes malades et des usagers du système de santé », comme les souligne
le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité ((Conseil d’Etat, 14 février 2014, Mme
E. G.).

25
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

La haute juridiction en conclut « qu’il résulte de ces dispositions que toute


personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans
que les actes de prévention, d’investigation et de soins lui fassent courir des
risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ; » (même arrêt).

Ainsi, loin de constituer une simple pétition de principe, ces articles


matérialisent un droit opposable pour tous les patients et malades
concernés.

Ce droit du patient d’accéder au médicament le plus approprié s’articule


avec celui dont il dispose de prendre, avec le professionnel de santé, les
meilleures décisions concernant sa santé.

A cet égard, l’article L. 1111-4 du code de la santé publique énonce :

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et


compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui
fournit, les décisions concernant sa santé.

Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un


traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le
médecin, notamment son accompagnement palliatif. »

Un tel droit pourrait rester vain si plusieurs dispositions du code de la santé


publique n’organisaient pas l’obligation, pour les pouvoirs publics comme
pour les titulaires d’autorisation de mise sur le marché, d’assurer un
approvisionnement constant et régulier des officines en médicaments.

L’article L. 5121-29 du code de la santé publique prévoit à cet égard que :

« Les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et les


entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments
assurent un approvisionnement approprié et continu du marché
national de manière à couvrir les besoins des patients en France.

À cet effet, ils approvisionnent de manière appropriée et


continue tous les établissements autorisés au titre d'une activité
de grossiste-répartiteur afin de leur permettre de remplir les
obligations de service public mentionnées au premier alinéa de
l'article L. 5124-17-2. Ils prennent toute mesure utile pour
prévenir et pallier toute difficulté d'approvisionnement et
permettent, en cas de rupture de stock, la mise à disposition
des informations dont ils disposent aux pharmaciens d'officine,
aux pharmaciens de pharmacie à usage intérieur définie à
l'article L. 5126-1 et aux pharmaciens responsables ou
délégués des grossistes-répartiteurs. »

26
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Les articles L. 5121-31 et 32 du même code précisent :

Article L. 5121-31 : « Pour les médicaments d'intérêt


thérapeutique majeur mentionnés à l'article L. 5111-4 pour
lesquels, du fait de leurs caractéristiques, la rupture ou le risque
de rupture de stock présente pour les patients un risque grave
et immédiat, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché
et les entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments
élaborent et mettent en œuvre des plans de gestion des
pénuries dont l'objet est, dans l'intérêt des patients, de prévenir
et de pallier toute rupture de stock.
Les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et les
entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments
élaborent et mettent en œuvre les plans de gestion des pénuries
prévus au premier alinéa pour les vaccins mentionnés au b du
6° de l'article L. 5121-1 dont la liste est fixée par arrêté du
ministre chargé de la santé.

Les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et les


entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments
déclarent à l'Agence nationale de sécurité du médicament et
des produits de santé la liste des médicaments pour lesquelles
ils élaborent des plans de gestion des pénuries prévus au
présent article. […] »

Article L. 5121-32 : « L'entreprise pharmaceutique exploitant


un médicament d'intérêt thérapeutique majeur mentionné à
l'article L. 5111-4 informe l'Agence nationale de sécurité du
médicament et des produits de santé de tout risque de rupture
de stock ou de toute rupture de stock sur ce médicament.
L'entreprise met en place, après accord de l'agence, des
solutions alternatives permettant de faire face à cette situation
et met en œuvre, pour les médicaments d'intérêt thérapeutique
majeur mentionnés à l'article L. 5121-31, les mesures prévues
dans le plan de gestion des pénuries mentionné au même article
L. 5121-31.

L'entreprise prend, après accord de l'agence, les mesures


d'accompagnement et d'information des professionnels de
santé, ainsi que les mesures permettant l'information des
patients, notamment par l'intermédiaire des associations de
patients. »

C’est sur le fondement de ces dernières dispositions qu’il a été jugé que :

« […] en vertu des articles L. 5121-31 et L. 5121-32 du code


de la santé publique, les titulaires d'autorisation de mise sur le
marché et les entreprises pharmaceutiques exploitant des

27
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

médicaments doivent élaborer et mettre en œuvre un plan de


gestion des pénuries pour les vaccins dont la liste est fixée par
le ministre chargé de la santé. Ils doivent, sous le contrôle de
l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits
de santé, prendre pour ces vaccins, au même titre que pour les
autres médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, les
solutions permettant de faire face aux risques de rupture de
stock. Et les pouvoirs publics disposent du pouvoir de
sanctionner les laboratoires et entreprises ne respectant pas ces
obligations légales. De plus, en vertu de l'article L. 613-16 du
code de la propriété intellectuelle, le ministre chargé de la santé
peut, dans l'intérêt de la santé publique, demander au ministre
chargé de la propriété intellectuelle de soumettre par arrêté le
brevet délivré pour un médicament au régime de la licence
d'office au bénéfice d'un établissement pharmaceutique, ou au
bénéfice, désormais, de l'Agence nationale de la santé publique
en vertu des dispositions de l'article L. 3135-1, laquelle a repris
les compétences sur ce point de l'ancien Etablissement de
préparation et de réponse aux urgences sanitaires, afin
d'assurer sa mise à disposition en quantité suffisante. Enfin, en
vertu des mêmes dispositions, cet établissement peut, dans
l'intérêt de la santé publique et à la demande du ministre chargé
de la santé, procéder notamment à l'acquisition, la fabrication,
l'importation et la distribution de médicaments pour faire face
à leur commercialisation ou production insuffisante.

7. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen


de la requête sur ce point, que le ministre chargé de la santé ne
pouvait légalement, alors même qu'il avait décidé d'engager au
cours de l'année 2016 une " concertation citoyenne " sur la
vaccination, se borner à " rappeler les laboratoires à leurs
obligations " en refusant, par sa décision du 12 février 2016,
de faire usage des pouvoirs qu'il détient en vue d'assurer la mise
à disposition du public des vaccins permettant de satisfaire aux
seules vaccinations obligatoires. Son refus doit en conséquence
être annulé dans cette seule mesure. »

Et que le Conseil d’État a enjoint, sous astreinte au Ministre des Affaires


Sociales et de la santé, en état de la législation :

« de prendre des mesures ou de saisir les autorités


compétentes en vue de l'adoption de mesures destinées à
permettre la disponibilité de vaccins correspondant aux
seules obligations de vaccination prévues aux articles L.
3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique, dans un
délai de six mois à compter de la notification de la présente
décision. »

28
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

IV.2 EN L’ESPÈCE –

A la lecture des dispositions qui précèdent et considération prise de la


situation thérapeutique des requérants, comme de très nombreux autres
malades, Madame le Ministre des Solidarités est tenue d’exercer les
pouvoirs qui sont les siens pour garantir leur effectivité du droit à la santé.

C’est d’ailleurs bien à cette fin qu’elle a déjà invité la société Merck à
solliciter une autorisation d’importer des unités de la spécialité Euthyrox,
initialement destinée au marché allemand et correspondant à l’ancienne
formule du Levothyrox.

Cette mesure n’était toutefois prise qu’à titre temporaire, le temps


notamment que d’autres solutions thérapeutiques soient mises à disposition
des patients et cette mesure ne permettait de couvrir que les besoins de
quelques milliers de malades alors que les demandes concernaient des
centaines de milliers de malades.

Cette situation explique pourquoi les pharmacies ont été « dévalisées » et


pourquoi des milliers de malades se sont fournis à l’étranger ou par internet.

Une mesure de même nature doit nécessairement être prise aujourd’hui de


manière pérenne afin de garantir aux requérants et aux autres malades qui
le justifient, un traitement vraiment adapté à leur pathologie, en
l’occurrence l’accès au Lévothyrox ancienne formule (sous quelque
appellation qui soient la sienne) ; et ce dès lors qu’il est le seul médicament
qu’ils supportent et qui leur est donc prescrit par leurs médecins.

Et ce, d’autant que l’urgence est parfaitement caractérisée.

29
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

V URGENCE

V.1. EN DROIT –

Les procédures de référé traduisent l’existence, à un double titre, d’un «


contentieux de l’urgence » :

• d’une part, en permettant au juge, selon la formule du professeur


Chapus7, « de prendre, dans les moindres délais, sinon de façon
immédiate, les mesures justifiées par l’existence d’une situation
d’urgence » ;

• d’autre part, en lui ouvrant la faculté « de prescrire des mesures


dont, étant donné ce qu’elle sont, la bonne administration de la
justice justifie qu’elles puissent être décidées aussi rapidement que
possible, comme si leur intervention était urgente ».

La condition d’urgence est parfois regardée comme remplie, en principe,


pour certains actes administratifs, du fait tant de leur objet que de leurs effets :
cette présomption d’urgence est ainsi reconnue, en matière d’expropriation,
pour les arrêtés de cessibilité (CE, 5 décembre 2014, Consorts L., 369522) ou, en
matière de collectivités territoriales, pour les arrêtés modifiant la répartition de
leurs compétence (CE, 30 décembre 2009, Syndicat intercommunal à vocation
unique de gestion du centre social intercommunal rural, 328184). Elle a également
été reconnue pour les assignations à résidence prises sur le fondement de l’article
6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (CE, sect., 11 décembre 2015,
M. D., 395009).

On peut en conclure qu’en matière de protection de la santé des


malades pour lesquels l’accès à un médicament est vital, nous sommes bel et bien
en présence d’une présomption d’urgence.

Par son arrêt du 28 février 2003, Commune de Pertuis, req. n° 254411 le


Conseil d’État a entendu bien distinguer le référé liberté du simple référé
suspension s’agissant notamment de l’urgence :

« Considérant qu'en distinguant les deux procédures ainsi


prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2 le législateur a
entendu répondre à des situations différentes ; que les
conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces
dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs
dont dispose le juge des référés ;

Considérant qu'en l'absence de circonstances particulières le


maintien en vigueur des dispositions des articles 27, 28 et 30
du règlement intérieur du conseil municipal de Pertuis ne

7 R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 13e éd., 2008.

30
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

caractérise pas une situation d'urgence impliquant, sous réserve


que les autres conditions posées par l'article L. 521-2 soient
remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté
fondamentale doive être prise dans les 48 heures ; ».

Dans son arrêt, Commune du Raincy, du 28 mars 2008, req. 314368, le


Conseil précise à cet égard que :

« Considérant qu'en distinguant les deux procédures ainsi


prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2, le législateur a
entendu répondre à des situations différentes ; que les
conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces
dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs
dont dispose le juge des référés ; qu'en particulier, le requérant
qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions
de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit
justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité
pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature
de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet
article ; »

V.2 PRÉSENTATION SOMMAIRE DE L’URGENCE –

Les 7 requérants sont « l’avant-garde » d’une procédure au fond regroupant


plus de cinq cents demandeurs, représentatifs des centaines de milliers de malades
qui hésitent à intenter une procédure.

Il est à présent acquis que le nombre de malades ne supportant la nouvelle


formule du LEVOTHYROX est compris entre 300 000 et 1 000 0000.

Plus d’un an après le changement de formules et quelques mois après


l’ouverture du marché à des spécialités alternatives, ils sont encore des centaines
de milliers ne supportant ni la nouvelle formule ni les alternatives.

Ce ressenti des malades est confirmé par des médecins endocrinologues, des
chimistes et d’éminents spécialistes des hormones

Pièces Série 4

Pour le moment, ces malades vivent sur les stocks d’ancienne formule qu’ils
ont constitué mais qui ne leur permettra pas de durer, et donc de vivre au-delà de
quelques semaines. Il est impossible d’être plus précis, compte tenu des
incertitudes savamment entretenues par l’administration sur les stocks existants
et sur les informations brouillées et confuses délivrées aux malades.

La ministre de la santé, relayant les informations communiquées par


MERCK, confirme que la production de Levothyrox avec lactose s’arrêtera à la fin
de l’année 2018.

31
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Or, il existe une usine exploitée par le façonnier PATHEON sur le territoire
national à BOURGOIN-JALLIEU qui produit de la lévothyroxine sodique avec
lactose sous licence MERCK et sous la dénomination EUTIROX.

Lors de la dernière crise d’approvisionnement de LEVOTHYROX ancienne


formule en août 2013, l’ANSM n’avait pas hésité à distribuer de l’EUTIROX aux
malades français, sans que le moindre signalement d’effets indésirables n’ait
défrayé la chronique, démontrant au passage la parfaite compatibilité entre
l’EUTIROX (italien) et l’EUTHYROX (allemand).

Si le juge administratif est saisi au fond pour obtenir le maintien de la


production et de la distribution du LEVOTHYROX avec lactose (ancienne formule),
le temps qu’une décision intervienne, MERCK aura le temps de cesser
définitivement et de manière irréversible la production directe ou
indirecte du LEVOTHYROX avec lactose dans toute l’Union européenne.

Ainsi, outre la survie des malades requérants, l’urgence d’une particulière


intensité se trouve démontrée en raison du caractère imminent et permanent
des décisions prises par MERCK au détriment des malades. Une fois les
derniers stocks stratégiques consommés, il ne sera plus possible de revenir
après en arrière.

32
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

V.3 CARACTÉRISATION DES DIFFÉRENTES FORMES DE L’URGENCE


PROPRE À UN RÉFÉRÉ-LIBERTÉ

V.3.1 Détacher immédiatement l’épée de Damoclès qui pèse sur le moral


et la santé des malades

Dans son témoignage à la barre, le Dr Joëlle COHEN, endocrinologue, a


rappelé cette évidence :

« Des chaînes de solidarité se sont mises en place, beaucoup de


« débrouille ». Il y a beaucoup d’angoisses, une perte totale de confiance
(dans les labos, les médecins, le gouvernement ...).

Les gens ont l’impression de vivre avec une « épée de Damoclès » (la
disparition de l’ancienne formule) programmée pour la fin de l’année vient
s’ajouter aux difficultés rencontrées pour se procurer, dès à présent, de
l’’EUTHYROX ».

Les mesures utiles sollicitées dans le cadre du référé-liberté permettront aux


malades de retrouver immédiatement un confort de vie satisfaisant en
faisant cesser l’angoisse de mort liée à la disparition programmée de la
fabrication de l’EUTHYROX (cf. § 2.3).

Ce confort de vie leur permettra de retrouver un horizon temporel supérieur


à trois mois, leur permettant de reprendre le travail, de se projeter dans une
vie familiale ou tout simplement de reprendre goût à la vie.

Bref, au-delà de la protection de la santé, c’est bel et bien une liberté


fondamentale de mouvement et d’organiser leur vie que les malades
recherchent même s’ils ont compris que la mise en jeu des mesures sollicitées
pouvait prendre un peu de temps8.

V.3.2 Un approvisionnement en EUTHYROX erratique et aléatoire

Dans une étude publiée par l’Ordre des Pharmaciens9, ce dernier déplore
une situation qui pose des problèmes de santé publique : l’accroissement
considérable des ruptures d’approvisionnement :

La France a connu dix fois plus de ruptures d’approvisionnement de


médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) en 2014 qu’en 2008.

Ce constat de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits


de santé (ANSM) confirme ce que chacun d’entre nous, dans nos pharmacies
de ville ou d’établissements de santé, ne cesse de dire. Les ruptures
d’approvisionnement sont de plus en plus fréquentes.

8 « La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre
chose qu’elle-même est fait pour servir ».
9 http://www.ordre.pharmacien.fr/Le-Dossier-Pharmaceutique/Ruptures-d-approvisionnement-et-DP-Ruptures

33
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Ce qui signifie, pour les patients, pertes de chances, voire potentielles mises
en jeu du pronostic vital, désagréments et angoisses

Ce problème n’est pas simplement français mais concerne tous les pays de
l’Union européenne au point que "Les ruptures d’approvisionnement de
médicaments constituent une véritable préoccupation de santé
publique. »10

Les causes des ruptures d’approvisionnement sont nombreuses et


multifactorielles. Parmi les principales causes, on retrouve :

• les difficultés liées à la production : capacité de production


insuffisante, retard ou incapacité de production, défaut de
qualité (suspension de l’activité d’un établissement, fabricant
ou exploitant, à la suite d’inspections qui remettent en cause la
qualité des médicaments...) ;

• la mondialisation de la fabrication (une seule usine pour tous


les pays11) et de la demande ;

• l’augmentation subite des ventes (recommandations


d’utilisation d’un pays, report d’un médicament sur un autre…)
;

• la libre circulation des biens et la distribution vers des pays à


prix plus avantageux."

Dans ce contexte général, le cas du LEVOTHYROX est d’autant plus


sensible que, déjà en 2013, la France a dû subir une rupture
d’approvisionnement.

Dans son étude de cet épisode sensible12, la LEEM explique

La gestion de la tension d’approvisionnement Levothyrox de Juin


à octobre 2013.
LES FAITS : Le Levothyrox, médicament contre l’hypothyroïdie est fabriqué
par Merck Serono, dans son usine de Darmstadt en Allemagne. Ce
médicament fait l’objet d’une demande en très forte croissance. Il en existe
huit dosages différents et Merck Serono a rencontré de réelles tensions
d’approvisionnement pendant quelques mois courant 2013, en particulier
pendant l’été, affectant parfois plusieurs dosages en parallèle.
LA GESTION DE LA RUPTURE : Le stock de Merck Serono en France allant
se trouver proche de la rupture, l’entreprise a réagi extrêmement rapidement
et de façon proactive :

10 https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/02/13/les-signalements-de-rupture-de-stock-de-
medicaments-ont-bondi-de-30-en-2017_855112
11 Les documents de la Série B11 relatifs à la FDA démontrent qu’en 2005, le Lévothyrox pour le marché nord-américain
était produit par la même usine allemande que pour le marché français
12 https://www.leem.org/sites/.../Dossier-de-presse-Atelier-presse-20-mai-2014_0.pdf

34
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

- En réservant des stocks de sécurité dès l’identification des tensions sur le


site de production.
- En important d’Italie, dès le mois de juin, en pleine coopération avec
l’ANSM, un stock complémentaire d’une spécialité équivalente, au cas où ce
recours serait nécessaire,
- En assurant, dans la période de tension, la continuité de
l’approvisionnement des pharmacies en cas de rupture chez le grossiste via
un numéro vert et des livraisons directes sur le stock de sécurité,
- En augmentant de façon considérable, dans un délai très court, sa capacité
de production afin de résoudre le problème.
Ce cas a été très médiatisé, en raison notamment des quelques 3 millions
de patients utilisant ce médicament en
France.

La Haute juridiction retiendra qu’en août 2013, l’ANSM avait distribué


gratuitement de l’EUTIROX « italien » fabriqué à l’usine de Bourgoin-
Jallieu13. A partir des données publiques et vérifiables, nous démontrerons
au § 3 qu’il existe un risque immédiat de rupture d’approvisionnement
de l’EUTHYROX au cours de l’été 2018. Ce risque devient une certitude
après le 31 décembre 2018 quand on prend connaissance des déclarations
officielles de MERCK et du Ministre de la santé.

IV.2.3 La certitude de l’arrêt de la production au 31 décembre 2018

IV.2.3.1 Déclarations officielles de MERCK sur la fin de production de


l’EUTHYROX dans toute l’Union européenne

Lors de la conférence de presse du 14 décembre 2017, repris


unanimement dans la presse14,

LE LABORATOIRE MERCK NE DISTRIBUERA PLUS


L’ANCIENNE FORMULE DU LEVOTHYROX APRÈS 2018

L’ancienne formule du médicament pour la thyroïde est réimportée en


France depuis octobre à la suite des plaintes concernant les effets
indésirables de la nouvelle.

13 http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Levothyroxine-mise-a-disposition-de-la-specialite-italienne-
Eutirox-Point-d-information
14
https://mobile.lemonde.fr/securite-sanitaire/article/2017/12/14/le-laboratoire-merck-ne-distribuera-plus-l-ancienne-formule-du-
levothyrox-apres-2018_5229723_1655380.html
https://www.francetvinfo.fr/sante/levothyrox/levothyrox-le-laboratoire-merck-ne-prevoit-pas-de-fournir-l-ancienne-formule-du-
medicament-au-dela-de-2018_2514569.html
http://www.leparisien.fr/societe/levothyrox-merck-ne-prevoit-pas-de-fournir-l-ancienne-formule-au-dela-de-2018-14-12-2017-
7452438.php
https://www.lesechos.fr/amp/0301025877293.php
https://m.huffingtonpost.fr/2017/12/14/merck-ne-prevoit-pas-de-fournir-lancien-levothyrox-apres-2018_a_23307085/
https://www.vidal.fr/actualites/22453/euthyrox_le_conseil_d_etat_rejette_une_plainte_merck_annonce_la_fin_prochaine_de_son_im
portation/
http://sante.lefigaro.fr/article/levothyrox-l-ancienne-formule-ne-sera-plus-disponible-apres-2018/
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/chimie-pharmacie/merck-va-stopper-l-importation-de-l-ancienne-formule-du-
levothyrox-en-2018-761703.html

35
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Le laboratoire allemand Merck Serono a annoncé, jeudi 14 décembre, qu’il


ne prévoyait pas de distribuer l’ancienne formule du Levothyrox au-delà
de 2018, alors qu’elle doit être progressivement remplacée dans l’ensemble
des pays européens au cours de l’année.

« Nous n’allons pas éternellement réimporter » en France, a prévenu


Thierry Hulot, le patron des activités biopharmaceutiques de Merck Serono
en France, précisant qu’une nouvelle importation était prévue très
prochainement pour que le pays puisse tenir jusqu’à mars [2018].

Ces documents établissent la volonté affirmée de MERCK de cesser la


production et la distribution de l’EUTHYROX au plus tard le 31 décembre
2018.

Mais la date du 31 décembre 2018 parait être la date ultime.

En effet, l’arrêt de la production peut intervenir à tout moment.

A cet égard, le tribunal doit prendre en considération la pratique des


industriels qui pour des raisons économiques, produisent et stockent un
médicament pour l’année. Puis arrêtent la production, nettoient la chaine et
passe à la production d’un autre médicament.

IV.2.3.2 Déclarations officielles de Mme BUZYN sur l’arrêt de la production


de l’EUTHYROX dans toute l’Union européenne à la fin 2018

Dans une réponse de Mme BUZYN15, ministre de la santé, à un sénateur en


mars 2018, il est porté à la connaissance du parlementaire les informations
suivantes :

Durant le mois d'octobre, près de 200 000 boîtes ont ainsi été
importées. Une nouvelle importation, à compter de la mi-décembre, a
permis la continuité des traitements au moment de leur
renouvellement (près de 215 000 boîtes pour permettre aux patients
concernés d'être traités jusqu'en mars 2018). Le laboratoire Merck
santé va poursuivre les importations courant 2018, sachant que les
autorisations de mise sur le marché (AMM) dans les autres États
membres sont en cours de modification afin de passer à la nouvelle
formule et qu'il ne devrait donc plus y avoir d'ici à fin 2018
d'Euthyrox « ancienne formule » dans l'ensemble de l'Union
européenne. Une fois que les importations prendront fin, les patients
à ce jour sous Euthyrox pourront se voir prescrire par leur médecin
traitant, parmi les alternatives thérapeutiques pérennes disposant
d'une AMM pleine et entière en France, la spécialité la plus adaptée à
leur situation clinique.

15 https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ180303569.html

36
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

On pourra prendre également connaissance de la réponse à un député16 au


mois d’avril 2018, dans laquelle, la Ministre de la santé confirme que

il n'y aura plus, d'ici fin 2018, dans l'ensemble de l'Union, des spécialités à
base de lévothyroxine « ancienne formule », ayant MERCK SANTE pour
titulaire d'AMM

Enfin, il suffit de lire le mémoire en réponse déposé le 29 juin 2018 par les
autorités pour constater que

• le Ministère avoue être parfaitement conscient que Merck est en


train d'organiser l'impossibilité de poursuivre
l'approvisionnement de l'Europe en « ancienne formule » de
LEVOTHYROX (l'import en France était possible car AMM dans
d'autres pays européens) "Et à la demande des pouvoirs publics,
MERCK SANTE va poursuivre les importations courant 2018.
Néanmoins, une procédure est en cours au niveau européen
pour autoriser la « nouvelle formule » dans les autres États
membres où un produit identique à l' « ancienne formule » est
encore disponible sous d'autres noms. (…) , il n'y aura plus, d'ici
fin 2018, dans l'ensemble de l'Union, des spécialités à base
de lévothyroxine « ancienne formule », ayant MERCK
SANTE pour titulaire d'AMM"

• la Ministre de la santé assume avec cynisme les effets indésirables


du switch et de la prochaine disparition de l'EUTHYROX du
marché. Le seul « vrai problème » (sic !) à régler (selon le
ministère) est dans la persistance des effets " La prescription
d'Euthyrox est exclusivement destinée en dernier recourt aux
patients qui rencontrent des effets indésirables
durables" et " Une fois que les importations prendront fin, les
patients à ce jour sous Euthyrox pourront se voir prescrire par leur
médecin traitant, parmi les alternatives thérapeutiques pérennes
disposant d'une AMM pleine et entière en France, la spécialité la
plus adaptée à leur situation clinique."

Contre toute attente, l’administration s’érige en prescripteur de


médicament, violant la liberté de choix des médecins libéraux et privant les
malades des médicaments les mieux adaptés à leur situation médicale.

16 http://www2.assemblee-nationale.fr/questions/detail/15/QE/7821

37
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Il convient de rappeler ici les propos tenus à l’audience par le Professeur


William ROSTENE : les « alternatives thérapeutiques » constitue un leurre.

En effet, les malades ne pourront pas passer de tel produit à tel autre sans
une période d’adaptation plus ou moins longue. Comme le reconnaît l’ANSM elle-
même, le LEVOTHYROX est un médicament à marge thérapeutique étroite.

C’est la raison pour laquelle les sociétés savantes américaines et


savantes déconseillent de changer de médicament en cours de traitement
en passant d’une marque à une autre (Pièces n° B1-8 et B1-10).

Lors de son intervention à la barre le 29 juin 2018 confirmant ses


déclarations passées (Pièces n° B4-5 et s.), le professeur William ROSTENE a
encore tenu à préciser son analyse scientifique par un mail reçu dimanche 1 er
juillet 2018

Tout cela ne retire en rien le fait que cette nouvelle formule, même si elle n'avait
touché qu'un seul patient, a provoqué des effets que l'ANSM ou le ministère ne sont
pas capables aujourd'hui d'en analyser les causes, laissant les patients démunis.

Mon argument scientifique est qu'une étude de bioéquivalence ne permet pas


d'estimer le métabolisme d'une molécule dans le sang telle que sa demi-vie et donc
son efficacité. Pour cela une véritable étude de biodisponibilité avec des mesures de
T3 et T4 liés et libres ainsi que de la TBG et de la TSH sont nécessaires et ce, avec
les concentrations correspondant à la réalité thérapeutique, c'est-à-dire 100
microgrammes de L-thyroxine pendant au moins 1 mois.

La ministre devrait se tourner vers des laboratoires publics, indépendants de l'ANSM,


et qui seraient tout-à-fait capables de réaliser ce type d'expériences chez l'animal et
chez l'homme dans le cadre d'une action concertée et un appel d'offres.

Tester non seulement l'AF versus la NF mais aussi les autres spécialités ce qui devrait
permettre d'obtenir une réponse scientifique claire, ce qui n'est pas le cas
actuellement. Il faut que de telles expériences puissent être réalisées avant que les
produits ne disparaissent.

En parallèle, une étude de ces divers spécialités mises sur le marché en HPLC et
spectrométrie de masse avec des standards de référence devraient donner une bonne
idée de ce qui peut se passer dans le temps avec ces produits et déterminer leurs
qualités qualitatives.

Non seulement il existe le produit de Bourgoin Jallieu mais au moins 3 laboratoires


commercialisent la L-thyroxine avec lactose en UK. Teva, Actalis et Mercury Pharma.
Est-ce que ces génériques sont vraiment de mauvais produits ? Ont-ils été testés ? Je
ne pense pas que les autorités britanniques soient plus laxistes que les nôtres pour
délivrer des autorisations de mise sur le marché.

Vous savez sans doute qu'il existe un véritable scandale depuis des années sur
l'approvisionnement en médicaments en France. Mais il faut aussi savoir que parfois
les laboratoires pharmaceutiques préfèrent vendre leurs produits dans des pays où la
marge commerciale est plus intéressante que dans notre pays.

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Le tribunal retiendra qu’il n’existe aucun impératif thérapeutique à ce


changement de formule. Le « Switch » entre l’Ancienne et la Nouvelle formule du
LEVOTHYROX perturbe encore, plus d’un an après, de nombreux malades (cf. les
témoignages des requérants).

Il est particulièrement inconséquent de leur imposer contre le gré un


changement de médicament dont la seule raison est le refus par l’administration
de reconnaître son erreur et de la réparer en prenant des mesures simples,
économiques et humaines.

A ce titre, il convient encore une fois de constater la carence des autorités


sanitaires qui affirment mais refusent de communiquer les éléments de preuve
permettant d’étayer leurs affirmations.

Ainsi, à l’audience, les représentants de l’Administration ont-ils expliqué


que l’EUTIROX « italien » ne respecterait pas la norme 95 / 105 % du principe actif
« comme l’ancienne formule ». Or, cette affirmation est doublement douteuse :

- d’une part, les autorités ne communiquent aucune étude ou expertise


permettant de vérifier que l’EUTIROX « italien » ne respecterait pas
la norme 95/105 % qui résulte d’une directive européenne17 remontant
à 1991.

- D’autre part, en communiquant des documents de la FDA (Série B11),


nous avons démontré qu’en 2005, MERCK revendiquait pour toute sa
production de l’usine allemande de LEVOTHYROX le respect de cette
norme 95/105 %.
Nous reproduisons ci-après certains documents émanant directe de
MERCK et transmis en 2005 à la FDA. Le rapprochement avec les
affirmations péremptoires selon laquelle l’ancienne formule du
LEVOTHYROX ne respectait pas la norme de 95/105 % de principe
actif est directement contredite par les documents rédigés par
MERCK.
Or, dans son arrêt du 13 décembre 2017, le Conseil d’État avait fait
de cette information essentielle le point de départ de son analyse. Si,
dès 2005, la production à base de levothyroxine provenant de la même
usine allemande respectait la norme 95/105 % de principe actif pour
les USA, le changement de dénomination commerciale
(NOVOTHYROX, LEVOTHYROX, EUTHYROX) était indifférent sur
la composition et la quantité de principe actif dans un comprimé.

17 Directive Européenne n°91-507 du 19 juillet 1991 (transposée par la loi n° 96-452 du 28 mai 1996) prévoyait déjà depuis
… 1991 que « Sauf justification appropriée, les écarts maximaux tolérables en teneur de principe actif ne peuvent
dépasser + 5 % dans le produit fini, au moment de la fabrication. ».

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Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Merck KgaA présente sa filiale nord-américaine Genpharm. Merck KgaA


se présente comme un des principaux producteurs de spécialités à base de
levothyroxine dans le monde.

MERCK ne distingue pas : les 9,7 milliards de comprimés vendus entre


2001 et 2005 l’ont été dans 62 pays et cette spécialité est approuvée par la
FDA et la Commission européenne

40
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

MERCK signale la seule différence entre le produit européen (de couleur


blanche) et le produit nord-américains (qui contient des colorants en
fonctions du dosage).

Dans ce tableau, MERCK démontre que pour les dosages, le principe actif
de son produit à base de levothyroxine issu de la même usine allemande à
destination de nombreux pays (notamment USA et France) est bien
compris entre 95-105 %

41
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

VI. POUR CONCLURE : LA JUSTICE EST LE DERNIER ESPOIR DES


MALADES QUI SOUFFRENT, AUSSI, DE NE PAS ÊTRE ENTENDUS ET
RESPECTÉS PAR LES AUTORITÉS SANITAIRES.

Dans un article remarquable18, Tatiana Gründler, Maître de conférences en


droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre et Membre du Centre de
Recherches et d’Etudes sur les Droits Fondamentaux (CREDOF) présente les
nombreux arguments qui permettent d’affirmer l’effectivité du droit à la
protection de la santé. Dans sa démonstration, Tatiana Gründler commence
par rappeler un principe affirmé par les Nations Unies19 :

« Les États parties devraient encourager les magistrats et


tous les autres professionnels de la justice à s’intéresser
davantage, dans l’exercice de leurs fonctions, aux atteintes
au droit à la santé. »

Comme le remarque l’auteur « Cette adresse faite aux États par le Comité
onusien chargé de veiller au respect du Pacte international des droits économiques,
sociaux et culturels (PIDESC) témoigne de l’indispensable implication du juge,
une fois la consécration du droit acquise ».

De la même façon, Tatiana Gründler constate que

Ce droit bénéficie d’une solide assise juridique.

Il est consacré de façon quasi unanime par l’ensemble des


textes de protection des droits de l’Homme.

Sur le plan international, cette reconnaissance apparaît dans


les instruments généraux tels que la Déclaration universelle
des droits de l’Homme ou le PIDESC20. Les textes retenant une
approche plus ciblée des droits de l’Homme, du point de vue
de leur objet ou des catégories de bénéficiaires, énoncent
également ce droit. Ainsi en est-il logiquement, eu égard à son
objet, de la Constitution de l’Organisation mondiale de la
santé339, mais également des conventions relatives à la lutte
contre les discriminations - raciales ou à l’encontre des femmes
- ou encore de celle sur les droits de l’enfant.

Ce principe se traduira en droit français par la reconnaissance d’une licence


d’office en application de l’article L. 613-16 du Code de la propriété intellectuelle
qui trouve à s’appliquer « Si l'intérêt de la santé publique l'exige ».

18
Tatiana Gründler, Le droit à la protection de la santé, La Revue des Droits de l’Homme, juin 2012,
http://revdh.files.wordpress.com/2012/06/le-droit-c3a0-la-protection-de-la-santc3a9.pdf
19
CODESC, Observation générale n° 14, Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, 11/08/2000, E/C.12/2000/4, § 61.
20
Évoqué à l’article 25§1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, ce droit est explicitement consacré
à l’article 12 du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels de 1966

42
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

En conclusion, Tatiana Gründler renvoie au juge la responsabilité de rendre


effectifs les principes et dispositifs prévus par la Constitution, les traités et la loi :

Le droit à la protection de la santé vient en effet utilement


rappeler que la justiciabilité dépend, plus que d’une prétendue
nature des droits, de l’exploitation par cet acteur qu’est le juge
des potentialités offertes par le système juridique auquel il
appartient.

La santé publique et la santé particulière de centaines de milliers de


personnes appellent une réponse à la hauteur de l’enjeu. En ces temps où les
autorités sanitaires donnent l’impression d’écouter avant tout les intérêts
particuliers, il appartient à la juridiction administrative d’avoir le courage d’ériger
un rempart contre l’érosion de l’intérêt général et de rendre effective la nécessaire
protection de la santé des demandeurs, quand bien même cela offusquerait un
industriel puissant.

Au regard de la démonstration qui vient d’être opérée et compte tenu de ce


que la situation des requérants, permet à votre juridiction de prononcer à bref
délais les mesures de sauvegarde nécessaires à la sauvegarde de leur droit à la
santé, les requérants sollicitent de votre juridiction les injonctions ci-après .

- ANNULER l’ordonnance du 3 juillet 2018 et statuant à nouveau,

- ENJOINDRE à Madame le ministre des Solidarités et de la Santé,


en application de l’article L. 1413-4 du code de la santé publique,
de demander à l’Agence Nationale de Santé Publique (ANSP) de
prendre toute mesure appropriée en son pouvoir pour garantir, de
manière pérenne et en quantité suffisante, la fabrication, le
stockage et la distribution sur le territoire national du
médicament EUTIROX fabriqué par le façonneur PATHÉON France
dans son usine de Bourgoin-Jallieu, pour tous les malades
justifiant d’une prescription ad-hoc de leur médecins traitants ;

- ENJOINDRE à Madame le ministre des Solidarités et de la Santé,


en application de l’article L. 613-16 du code de la propriété
intellectuelle, de demander à Monsieur le ministre de l’Économie
et des finances de soumettre au régime de la licence d’office la
société MERCK au bénéfice de l’Agence Nationale de la Santé
Publique (ANSP) et/ou des laboratoires PATHÉON pour sa
spécialité LÉVOTHYROXINE SODIQUE (dénomination commune
internationale) dont le lactose est l’excipient principal et connue
également sous les noms de LEVOTHYROX « ancienne formule »
EUTHYROX ou EUTIROX, façonnée par les laboratoires PATHÉON
France à Bourgoin-Jallieu, et d’attribuer ladite licence à l’Agence
Nationale de Santé Publique.

43
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

- ENJOINDRE à Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé,


si mieux aime, à prendre et ordonner toute mesure en son pouvoir
afin de garantir aux malades de la thyroïde présentant des effets
indésirables persistants avec la nouvelle formule du LÉVOTHYROX
ou tout autre traitement de substitution, leur droit d’accéder à un
traitement thérapeutique adapté à leur état de santé et associant
thyroxine synthétique et lactose.

VII. A TITRE SUBSIDIAIRE, ORDONNER LA CONSULTATION DE L’ANSP


ET DU HCP

Force est de constater que, saisis d’une demande de mise en jeu de la licence
d’office (article L. 613-16 du code de la propriété intellectuelle) et de réquisition de
la fabrication et de la distribution de Lévothyrox ancienne formule avec lactose,
conformément aux dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique,
la ministre de la santé

- n’ont pris la peine de consulter pour avis l’ANSP et n’ont pris la peine de
solliciter une étude d’impact afin d’établir le bilan coût avantage entre
les mesures parcellaires adoptées et les mesures sollicitées,

- n’a pas consulté le Haut Conseil de la santé publique (HCSP)


conformément à l’article L. 3131-2 du code de la santé publique ;

- n’a pas demandé au ministre chargé de la propriété intellectuelle de


prendre un arrêté de licence d’office. Cet arrêté est pris sur « avis
motivé » d’une commission dont la composition est déterminée par
l’article R. 613-10. Afin de rendre son avis motivé, la commission ad hoc
désigne un rapporteur, membre de la commission, et peut lui adjoindre
des experts auprès des tribunaux (article. R. 613-11 et R 613-12). Si elle
est saisie en application de l’article L. 613-16 (licence d’office), la décision
de saisine prend la forme d’une décision motivée du ministre chargé de
la propriété industrielle, notifiée dans les 48 heures au propriétaire du
brevet et publiée sans délai au Bulletin officiel de la propriété
industrielle (article R. 613-13). Après débat contradictoire avec le
propriétaire du brevet (articles R. 613-14 et R. 613-15), la commission se
prononce dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision de
saisine est parvenue à son secrétariat (article R. 613-17). L’arrêté de
licence d’office est « pris immédiatement après l’avis de la commission »
(article R. 613-17).

En bloquant volontairement tout le processus préalable de


consultation des agences et comités compétents en la matière, la ministre
de la santé a excédé ses pouvoirs et a démontré une carence volontaire
dans l’exercice de ses prérogatives légales.

44
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

Par ailleurs, l’article L. 1413-5 du code de la santé publique dispose que

L’agence peut être saisie de toute question relevant de ses


missions par le ministre chargé de la santé, le cas échéant, à
la demande des autres ministres ou des autres établissements
publics de l’Etat, et par tout organisme représenté à son conseil
d’administration.

L’article L. 1413-1 et l’article R. 1413-1 1°) ; 4°) ; 9°), 17°) et 18°) du code de
la santé publique précisent les missions de l’ANSP qui cherche tout à la fois à
apporter l’excellence scientifique et l’observation de la santé des populations.

Observateur attentif, doté d’une mémoire des crises précédentes, l’ANSP


était naturellement l’interlocuteur des ministres et de l’ANSM dans leur prise de
position.

Les informations épidémiologiques et scientifiques, le savoir-faire auraient


utilement contribué à la prise de décision du ministre en tenant compte de la
réalité et non d’hypothèses contredites par les faits.

• Absence d’études d’impact et violation de l’article L. 1413-6 du


Code de la santé publique

L’article L. 1413-6 du code de la santé publique précise que

L’agence met à disposition du ministre chargé de la santé, des


agences sanitaires et de la Conférence nationale de santé les
informations et données issues de l’observation et de
la surveillance de la santé des populations, nécessaires
à l’élaboration et à la conduite de la politique de santé.

Elle met en outre à disposition des autres ministres, dans les


mêmes conditions, celles de ces informations et données qui
les concernent.

Ce texte signifie qu’avant de prendre une décision, particulièrement


en présence d’une crise sanitaire avérée, le ministère de la santé doit
consulter l’INPS pour obtenir une « image fidèle » de la situation de
l’état de santé des populations.

Cette action est complémentaire à celles des autres autorités


sanitaires. En effet, comme le rappelle le rapport au Président de la
République21,

La ligne de force de la future agence est construite autour de


l’axe populationnel, ce qui permet clairement de la
différencier des autorités chargées des produits (ANSM),
des risques (ANSES) ou des pratiques (HAS).

21
§ 4 du Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale
de santé publique (JO n° 89, du 15 avril 2017, texte n° 39).

45
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

L’ambition portée est bien d’être au service des populations sur


l’ensemble du champ sanitaire, de la production de
connaissances à l’action de prévention ou en réponse à
une situation de crise.

• VIOLATION DE L’ARTICLE L. 3131-2 DU CODE DE LA SANTÉ


PUBLIQUE

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a été créé par la loi du 9


août 2004 relative à la politique de santé publique et mis en place en
2007 (article 2). La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre
système de santé a modifié les missions du HCSP par la nouvelle
rédaction de l’article L.1411-4 du Code de la santé publique.

Le HCSP a pour mission de :

• contribuer à l’élaboration, au suivi annuel et à l’évaluation


pluriannuelle de la Stratégie nationale de santé ;

• fournir aux pouvoirs publics, en lien avec les agences


sanitaires, l’expertise nécessaire à la gestion des risques
sanitaires ainsi qu’à la conception et à l’évaluation des
politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ;

• fournir aux pouvoirs publics des réflexions prospectives et des


conseils sur les questions de santé publique ;

• contribuer à l’élaboration d’une politique de santé de l’enfant


globale et concertée.

Au sein du HCSP, il existe une commission dont la compétence aurait


permis aux Ministres d’obtenir une expertise sur la question de la prise
chronique de lévothyroxine.

En effet, « la commission spécialisée « maladies chroniques » réunit


l’expertise scientifique nécessaire à l’analyse de l’ensemble des questions
liées aux maladies chroniques, aux limitations d’activité et aux
altérations de la qualité de vie liées à des problèmes de santé, qu’elles
soient dues à des maladies chroniques, au vieillissement, à des
affections d’origine anténatale ou périnatale, ou à des traumatismes
d’origine accidentelle »22.

Par ailleurs et surtout ; l’article L. 3131-2 du code de la santé publique


dispose que

Le bien-fondé des mesures prises en application de l'article L. 3131-


1 fait l'objet d'un examen périodique par le Haut Conseil de la santé
publique.

22
https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/groupe?clef=107

46
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

De plus, comme pour l’EUTHYROX (Allemand), le ministre de la santé avait la


possibilité de solliciter, dès septembre 2017, une ATU ou une AMM pour l’EUTIROX
(italien). En effet, cette spécialité est agréée en Italie et protégée par le principe de libre
circulation à l’intérieur de l’Union européenne. Cette décision aurait permis de faire cesser
les tensions sur les approvisionnements et de répondre durablement et valablement à une
demande sociale forte.

Compte tenu de cette carence organisée par la ministre de la santé pour paralyser
la mécanique de mise en place des mesures correctives à une menace sanitaire grave et
afin d’éclairer utilement les débats ultérieurs devant le juridictions, il est demandé, à titre
subsidiaire,

ORDONNER à la ministre de la santé,

o De saisir et réunir l’AGENCE NATIONALE DE SANTÉ PUBLIQUE (ANSP) en


application de l’article L.1413-5 du Code de la santé publique dans les
48 heures de la décision à intervenir ;

o De saisir et réunir le HAUT CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE (HCSP) en


application de l’article L.3131-2 du Code de la santé publique dans les
48 heures de la décision à intervenir ;

o Sans attendre les avis de l’ANSP et du HCP, prendre toutes les mesures
imposées par l’urgence vitale des malades et notamment en
réquisitionnant les stocks existant d’EUTIROX en France et en assurant
une distribution équitable sur le territoire national, y compris les
territoires d’outre mer ;

o Dès réception des avis de l’ANSP et du HCP, prendre toutes les mesures
prévues par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique et
notamment réquisitionner la fabrication et la distribution équitable
d’EUTIROX (levothyroxine sodique avec lactose) sur le territoire
national, y compris les territoires d’outre mer ;

o Saisir l’ANSM pour obtenir une ATU (autorisation temporaire


d’utilisation) ou une AMM (autorisation de mise sur le marché)pour
l’EUTIROX.

* *
*

47
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

PAR CES MOTIFS


Vu les articles L. 1110-5 et s., L 1413-4 et s, R. 4127-89, R. 4127-40 du code de la santé publique
Vu l’article L. 613-16 du code de la propriété intellectuelle
Vu l’ordonnance du 3 juillet 2018 rendue par le président du Tribunal administratif de Paris

ANNULER en toutes ses dispositions l’ordonnance du 3 juillet 2018 rendue par le


président du Tribunal administratif de Paris

STATUANT À NOUVEAU,

- ENJOINDRE à Madame le ministre des Solidarités et de la Santé, en application


de l’article L. 1413-4 du code de la santé publique, de demander à l’Agence
Nationale de Santé Publique (ANSP) de prendre toute mesure appropriée en son
pouvoir pour garantir, de manière pérenne et en quantité suffisante, la fabrication,
le stockage et la distribution sur le territoire national du médicament EUTIROX
fabriqué par le façonneur PATHÉON France dans son usine de Bourgoin-Jallieu,
pour tous les malades justifiant d’une prescription ad-hoc de leur médecins
traitants ;

- ENJOINDRE à Madame le ministre des Solidarités et de la Santé, en application


de l’article L. 613-16 du code de la propriété intellectuelle, de demander à Monsieur
le ministre de l’Economie et des finances de soumettre au régime de la licence
d’office la société MERCK au bénéfice de l’Agence Nationale de la Santé Publique
(ANSP) et/ou des laboratoires PATHÉON pour sa spécialité LÉVOTHYROXINE
SODIQUE (dénomination commune internationale) dont le lactose est l’excipient
principal et connue également sous les noms de LEVOTHYROX « ancienne formule »
EUTHYROX ou EUTIROX, façonnée par les laboratoires PATHÉON France à Bourgoin-
Jallieu, et d’attribuer ladite licence à l’Agence Nationale de Santé Publique.

- ENJOINDRE à Madame le Ministre des Solidarités et de la Santé, si mieux aime,


à prendre et ordonner toute mesure en son pouvoir afin de garantir aux malades
de la thyroïde présentant des effets indésirables persistants avec la nouvelle
formule du LÉVOTHYROX ou tout autre traitement de substitution, leur droit
d’accéder à un traitement thérapeutique adapté à leur état de santé et associant
thyroxine synthétique et lactose.

A TITRE SUBSIDIAIRE, ORDONNER à la ministre de la santé,

o De saisir et réunir l’AGENCE NATIONALE DE SANTÉ PUBLIQUE


(ANSP) en application de l’article L.1413-5 du Code de la santé
publique dans les 48 heures de la décision à intervenir ;

o De saisir et réunir le HAUT CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE (HCSP)


en application de l’article L.3131-2 du Code de la santé publique
dans les 48 heures de la décision à intervenir ;

48
Référé Libertés « Lévothyrox » | Appel devant le Conseil d’État

o Sans attendre les avis de l’ANSP et du HCP, prendre toutes les


mesures imposées par l’urgence vitale des malades et notamment
en réquisitionnant les stocks existant d’EUTIROX en France et en
assurant une distribution équitable sur le territoire national, y
compris les territoires d’outre mer ;

o Dès réception des avis de l’ANSP et du HCP, prendre toutes les


mesures prévues par l’article L. 3131-1 du code de la santé
publique et notamment réquisitionner la fabrication et la
distribution équitable d’EUTIROX (levothyroxine sodique avec
lactose) sur le territoire national, y compris les territoires d’outre
mer ;

o Saisir l’ANSM pour obtenir une ATU ou une AMM pour


l’EUTIROX.

Fait à Paris le 12 juillet 2018

Christophe Lèguevaques
Avocat au barreau de Paris
Docteur en droit

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