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Le 14 juin 2018

Le très honorable Justin Trudeau, C.P.


Premier ministre du Canada
Édifice Langevin
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A2

Monsieur le Premier ministre,

Par la présente et conformément à la Loi sur les enquêtes, je vous demande officiellement
de lancer une enquête publique sur l’Initiative de transformation de l'administration de la
paye de la fonction publique fédérale, que j’appellerai ici le projet Phénix par souci de
concision.

Comme vous le savez, les rapports indépendants du cabinet Goss Gilroy Inc. et du
Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) ont mis au jour d’inquiétants
renseignements sur la conception et la mise en œuvre de Phénix. En fait, ces rapports
ont confirmé de nombreuses préoccupations que l’Alliance de la Fonction publique du
Canada et les autres syndicats de fonctionnaires fédéraux avaient déjà exprimées au
sujet de Phénix.

D’autres renseignements ont été découverts dans des documents précédemment tenus
cachés du public et des syndicats, notamment l’analyse de rentabilisation de Phénix
préparée en 2009 et rendue publique par les médias à l’automne 2017.

Pour reprendre les mots du vérificateur général, Phénix a été « un échec


incompréhensible » sur toute la ligne. Un tel désastre ne doit pas se reproduire. Le
rapport de Goss Gilroy et les rapports du BVG ont clairement indiqué que les problèmes
qui ont mené au fiasco Phénix demeurent. Même si les deux examens du BVG font
ressortir d’importants problèmes, ni l’un ni l’autre n’avait pour mission de faire des
recommandations pour régler ces problèmes. Comme le vérificateur général l’a lui-même
dit, il faudrait des « changements qui vont au-delà des recommandations formulées dans
[son] rapport » pour garantir que ce genre d’échec ne se répètera pas.

J’attire votre attention ci-dessous sur certains problèmes qui doivent être réglés. Je ne
vise pas à suggérer des limites à l’étendue d’une enquête publique, mais plutôt à
démontrer la nécessité d’un tel exercice.

Manque de consultation véritable

Comme je l’ai déjà dit, ni les syndicats ni diverses autres parties prenantes n’ont obtenu
l’analyse de rentabilisation de la transformation de la paye en 2009. L’AFPC l’avait
demandé à la première réunion du Comité consultatif patronal-syndical de l'Initiative de
transformation de l'administration de la paye en 2012, mais le ministère qui s’appelle
maintenant Services publics et Approvisionnement Canada nous l’avait refusée. Lorsque
nous avons finalement pu prendre connaissance de cette analyse des années plus tard,
nous avons constaté qu’elle présentait de stupéfiantes lacunes.

Par exemple, elle affirme sans la moindre parcelle de preuve que l’initiative allait
améliorer le travail et l’efficacité, réduire considérablement les coûts et faire ressortir la
sous-traitance comme une option à sérieusement étudier dans l’avenir. Elle établit une
liste de dix risques à considérer, mais étrangement ne mentionne pas le risque que des
fonctionnaires ne soient pas payés. Même si la liste des risques mentionne l’état de
préparation et la protection de la vie privée, elle n’offre aucune mesure pour atténuer les
risques. On a donné suite au projet en s’appuyant sur des données qui le favorisaient,
sans chercher à déterminer s’il permettrait de régler de véritables problèmes ni si bon
nombre de ses objectifs étaient réalisables ou avantageux.

L’analyse de rentabilisation était un document important; c’est ce document qui a


convaincu le Conseil du Trésor et le Cabinet d’approuver le projet Phénix. Si nous avions
obtenu cette analyse quand nous l’avons demandée en 2012, même sans l’avantage des
connaissances apprises après coup, nous aurions soulevé nos inquiétudes par rapport à
ses hypothèses, à ses lacunes et à l’absence de stratégies d’atténuation des risques.

Ce n’est là qu’un exemple du défaut du gouvernement de mener des consultations


sérieuses avec les syndicats du secteur public fédéral. Une véritable consultation,
comparativement à des paroles creuses, est un important moyen de gérer les risques
pour les initiatives de changement du gouvernement. En outre, le gouvernement continue
de prendre des décisions importantes concernant la viabilité de Phénix sans consulter
les syndicats au préalable. Comme les rapports du BVF et de Goss Gilroy l’ont clairement
établi, les problèmes culturels et systémiques qui ont mené au fiasco Phénix existent
toujours.

Responsabilisation

Dans un projet de l’envergure de Phénix — et un échec aussi énorme —, beaucoup


peuvent être mis au banc des accusés, mais il n’y a pas qu’un seul responsable.
Néanmoins, c’est seulement en suivant la hiérarchie des responsabilités qu’on pourra
tirer des leçons de ce désastre et prévenir d’autres fiascos du genre dans l’avenir. Nous
avons besoin de savoir qui a pris les décisions et comment et pourquoi les décisions ont
été prises.

Le deuxième rapport du BVG fournit certaines réponses, mais il n’est pas exhaustif sur
le sujet de la responsabilisation. À cet égard, il dit par exemple ceci : « Nous n’avons pas
examiné les événements qui ont conduit à la centralisation des postes de conseillers en
rémunération ni les événements survenus après la mise en œuvre de Phénix. » La
conception du processus de centralisation est un élément central du fiasco Phénix, y
compris le démantèlement de toutes les capacités existantes en matière de traitement de
la paye avant que les nouvelles capacités aient été mises en place et dûment testées.

De même, à un moment donné dans le projet, on a déterminé que 550 employés à


Miramichi et un nouveau programme informatique pourraient remplacer 1 200 employés
et l’ancien système – mais comment on est arrivé à une telle conclusion reste un mystère.

Le rapport du BVG mentionne les problèmes systémiques reliés aux rôles des hauts
fonctionnaires et à leurs relations avec les élus — semblables à ceux qui avaient été
soulignés dans les rapports Gomery et Tait et aussi d’autres rapports —, mais ne propose
pas de mesures pour les éliminer. Le fiasco Phénix découle d’un vieux problème touchant
la responsabilisation à l’égard de l’intérêt public, et il faut étudier ce problème et
déterminer pourquoi personne dans un poste d’autorité n’a stoppé le projet Phénix.

Pour prévenir d’autres désastres pangouvernementaux, il faut aussi s’interroger sur la


responsabilité que les ministères et les organismes face à leurs employés. Le manque
de préparation des ministères a été une énorme erreur pangouvernementale parce que
les ministères ont activement participé au démantèlement de leurs capacités internes en
matière de traitement de la paye.

Le projet Phénix a aussi permis de constater que le Conseil du Trésor tend à abandonner
son rôle d’orientation face aux ministères.

Changement de culture

Les rapports du BVG et de Goss Gilroy mettent en lumière la très néfaste culture qui
règne dans l’administration fédérale et qu’il faut absolument enrayer.

Il y a par exemple la culture organisationnelle à Services publics et Approvisionnement


Canada qui a amené des douzaines de fonctionnaires à faire avancer un projet pourtant
extrêmement lacunaire. Il y a aussi le refus de consulter et d’écouter les travailleurs de
première ligne en rémunération — de la conception, à la mise en œuvre et par la suite.

Nous savons que la culture n’a pas changé. Nous le constatons tous les jours dans nos
efforts pour travailler avec le gouvernement pour atténuer ou résoudre les problèmes.
Nous savons aussi que rien ne changera sans un effort concerté.

Audiences publiques

Les rapports du BVG et de Goss Gilroy nous en ont beaucoup appris sur le fiasco Phénix.
Toutefois, ils ne nous présentent que les résultats des examens. Une enquête publique
fournirait un forum public où on pourrait présenter des témoignages et autres
renseignements. Plus important encore, un tel exercice offrirait à ceux qui ont été le plus
touchés par les ratés de Phénix, soit les fonctionnaires fédéraux, une occasion de faire
connaître les problèmes qu’ils sont vécus.
Je vous prie de bien vouloir considérer ma requête et j’espère recevoir une réponse très
bientôt.

Sincèrement,

Le président national,

Chris Aylward

c.c. L'honorable Scott Brison, Président du Conseil du Trésor


L’Honorable Carla Qualtrough, Ministre des Services publics et de
l’Approvisionnement
L'honorable Ralph Goodale, Ministre de la Sécurité publique et de la Protection
civile

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