You are on page 1of 58

POINTS

DE VUE
INITIATIQUE S

CAHIERS DE LA GRANDE LOGE DE FRANCE


N° 20 (Ancienne série n 40) Décembre 1975
Iu
SOMMAIRE
DU NUMERO 20
(Ancienne série N° 40)

Pages

La Foi d'un Franc-Maçon 3

Discours moral, prononcé le 23 août 1765 par l'Orateur de


la Loge des Amis Réunis 7

L'Etoile Flamboyante 13

Poèmes

Espérer 18

Tout vouloir, Tout chanter 19

Rester jeune 20

L'Utopie 21

La Grande Loge de France vous parle


..de la Solidarité 35

L'Hérésie de Manès 40

La compréhension de l'autre et la tolérance 45

Le vieil homme et l'enfant 49

Les livres 55
Le Sérénissime Grand Maître de la Grande Loge de
France vient de publier à la Librairie PION, un important
ouvrage « LA FOI D'UN FRANC-MAÇON ». li a bien voulu
répondre à quelques questions et nous sommes heureux
de publier dans « POINTS DE VUE INITIATIQUES «, l'entre-
tien qu'il a bien voulu nous accorder.

LA FOI D'UN FRANC-MAÇON

Question : Sérénissime Grand Maître, vous venez de publier chez


Pion un ouvrage sur la Franc-Maçonnerie et vous l'avez intitulé
La Foi d'un Franc-Maçon «. Pouvez-vous dire pour nos lec-
teurs pourquoi vous avez choisi ce titre ?

Réponse : On a publié un très grand nombre d'ouvrages sur la


Franc-Maçonnerie, et certains sont excellents, mais très sou-
vent ils n'étudient cette vénérable confrérie que du point de
vue de l'histoire profane, disons d'un point de vue exotérique,
j'ai voulu étudier la Franc-Maçonnerie du point de vue ésoté-
rique, montrer ce qui en constitue l'essentiel, c'est-à-dire la
construction du temple intérieur par chaque initié, construc-
tion qui ne peut s'opérer que selon une méthode.

Question : Oui très justement. Mais en quoi consiste selon vous


cette méthode maçonique, cette méthode initiatique ? Quel
est son content! ?

3
Réponse Je commencerai par vous répondre qu'elle est diffici-
lement traduisible dans une sorte de discours rationnel. Très
souvent on l'aborde en procédant de l'extérieur vers l'intérieur
et l'on aboutit à une dénaturation, à une méconnaissance totale
de ce qu'est l'ascèse initiatique. Il faut, au contraire, si l'on
veut la comprendre dans son authenticité, se placer au centre
du cercle, aller de l'intérieur à l'extérieur, privilégier l'existentiel
par rapport au rationnel, au didactique. Ce qui est avouer que
toute description, aussi fidèle soit-elle, en trahit l'esprit
véritable.
Question : Quel est d'après vous alors le but, la finalité de cette
ascèse initiatique «, pour reprendre une expression qui
vous est chère ?

Réponse L'objectif essentiel c'est de réaliser ou d'essayer de


réaliser l'équilibre de l'homme et ce sur un double plan. Tout
d'abord au plan intérieur trouver ou retrouver une harmonie
:

entre les multiples et différentes tendances, forces qui se


partagent le moi. Puis de rechercher cette harmonie avec
le monde extérieLir, celui de la nature, du Cosmos (1) mais
aussi avec la société, avec le monde des hommes qui nous
entoure. Et il s'agit de substituer des rapports harmoniques
à des rapports antagoniques. Enfin il s'agit de trouver un
équilibre entre la pensée et l'action.
Question Vous nous avez dit, Sérénissime Grand Maître, que
:

vous ne vouliez pas vous placer à un point de vue historique.


Cependant, vous consacrez un chapitre entier à l'Histoire et
la Légende de la Franc-Maçonnerie.

Réponse : C'est exact. Mais l'histoire n'est pour moi ici qu'un

moyen, un véhicule. Elle ne peut servir qu'à mieux éclairer


la démarche initiatique du Franc-Maçon de tous les âges et
de tous les temps.

(1) Et n'oublions pas que le mot Cosmos signifie Ordre.

u
Question : Vous êtes, Sérénissime Grand Maître, Franc-Maçon et
Franc-Maçon écossais. Que signifie ce terme écossais ? Quel
est l'originalité, la spécificité de la Franc-Maçonnerie écos-
saise ?
Réponse : Toutes les Francs-Maçonneries du monde sont issues
d'un tronc commun, c'est-à-dire des loges de Francs-Maçons
opératifs dont on a tracé depuis le début du XIVe siècle (voir
Manuscrit Régius de 1350) Les Loges Ecossaises procèdent
donc de cette Franc-Maçonnerie opérative mais elles pro-
cèdent également de confréries chevaleresques. Cela on ne
peut le comprendre qu'en se reportant à la légende des
Templiers, persécutés par Philippe le Bel, c'est-à-dire à un
ordre chevaleresque. C'est ainsi que la Franc-Maçonnerie
écossaise est à la fois opérative et chevaleresque, qu'elle
fait appel aux outils des compagnons et aux armes des che-
valiers.

Question : Dans sa finalité, la Franc-Maçonnerie veut dégager une


morale universelle, elle veut construire l'universalisme véri-
table. Qu'entendez-vous par là ?

Réponse Il s'agit de continuer de construire le Temple de Salo-


mon, un Temple universel, destiné à tous les hommes, dans
tous les temps, pour toutes les races, tous les pays, toutes
les sociétés. Pendant des siècles nous avons vécu sur des
morales immuables, des morales fermées «, s'exprimant en
interdits et en commandements. Il s'agit de nous dégager du
poids de nos habitudes et d'aller vers une morale de l'élan, de
la liberté et de l'amour. Cette morale doit posséder une triple
qualité autonomie, évolution, universalité. Ainsi, et ainsi seu-
lement, nous pourrons unir véritablement tous les hommes de
bonne volonté.

Question : Enfin, Sérénissime Grand Maître, une dernière question.


Qu'entendez-vous par parole perdue « et parole retrou-
vée ?

5
Réponse r Selon moi, c'est l'essence même de la loi cosmique qui
permet à ceILli qui a su la pénétrer, grâce à l'initiation, de
retrouver l'éternel et d'accéder à l'universel. C'est l'identi-
fication du moi « avec le non-moi «, qui nous permet de
participer activement à la vie universelle.
L'initiation passe par trois stades : exploration, construction,
participation.
Et c'est la prise de conscience de la solidarité, de ' l'amitié «,
dLI microcosme avec le macrocosme, de la partie avec le tout,
de l'individu avec la collectivité, de l'homme enfin avec l'âme
universelle, que nous symbolisons dans le vocable de Grand
Architecte de l'Univers.

6
Discours moral,
prononce le 23 Août 1765,
par l'Orateur de la loge
'
des Amis réunis (1)

T. V. Maîtres, Mes Chers Frères,

L'objet e plus digne d'un Ordre quelconque, est de faire des


heureux ; l'association qui remplit le mieux ce but, semble s'élever
au-dessus de l'humanité, et mériter la préférence sur toutes les
sociétés qui dans l'enchaînement des liaisons civiles, n'ont pour
base que le désoeuvrement, l'ennui de la solitude, et le besoin de
se faire au moins des connaissances. La Maçonnerie étend ses
soins bien au-delà ; sa gloire, sa récompense est dans la satisfac-
tion de ceux qui adoptent ses règles ; elles ont la Justice pour
mobile, la vertu pour point de vue, la paix, l'innocence et le plaisir
en aplanissent toutes les difficultés : point de remords, point de
craintes, de complots, de séditions les Maçons ignorent tout
ce qui peut déranger l'harmonie l'amour de l'ordre lui soumet
tous les coeurs, et cimente sa puissance : tel est exactement, mes
chers Frères, la noble prérogative du lien qui nous unit, l'intérêt
qui divise le reste des hommes, n'a point de prise sur des coeurs
qui par état se vouent à l'amitié la plus sincère, à la charité la
plus active si j'ai bien connu nos préceptes, ils se réduisent à

(1) Baron Tschoudi : L'Etoile Flamboyante.

7
ce double sentiment que j'appellerais mieux l'exercice géminé
d'une vertu qui se reproduit sous mille formes agréables et avan-
tageuses.

Le ton du siècle a consacré des mots respectables, qui jour-


nellement n'expriment aucune idée précise ; le nom d'ami devenu
une épithète de convention, n'annonce ni la sensation que l'on
éprouve, ni la façon de penser que l'on désire un véritable ami,
;

cet être si rare, si précieux, et si consolant, ne se trouve plus que


chez ce petit nombre d'hommes vertueux que la corruption n'a
pas encore gagné, ou qui échappent à la contagion, en se réfugiant
dans nos loges : tout y rappelle habituellement la valeur de ce
terme, dont flOLl5 apprécions l'étendue, les devoirs et les douceurs.
Soigneux d'écarter tout ce qui pourrait y porter atteinte, l'Ordre
a pris à cet égard les précautions les plus prudentes : l'exclusion
du beau sexe n'était peut-être pas la moins nécessaire. L'amour
et l'amitié sont difficilement d'accord, les prétentions de l'un
nuisent aux droits de l'autre partout où la rivalité commence,
la bonne intelligence finit. L'amitié ne veut que des partisans,
l'amour ne cherche que des victimes. La raison trop faible, garantit
rarement des pièges qu'il sait tendre ; les jeux, les plaisirs le
précèdent et masquent au premier coup d'oeil les soins cuisants,
les regrets qui le suivent en vain la plus austère morale déclame
contre ce tyran, et retrace tous les maux qu'il a faits sur la terre
notre aveuglement est tel que nous ne voulons nous instruire
que par notre propre expérience, nous nous flattons toujours d'être
plus habiles ou plus heureux : telle est l'opinion des hommes
ordinaires, dont la mesure est toujours le volume d'amour-propre,
dont chaque individu ose hardiment le carresser. Les Maçons au
contraire qui voient tout de l'oeil de la vérité, qui ne s'enorgueil-
lissent jamais, qui ne s'en font accroire sur rien, n'ont pas assez
présumé de leurs forces pour s'exposer aux dangers de l'occasion,
et par une précaution prudente, ils ont écarté de l'enceinte
respectable de leurs travaux, cette belle partie de l'Univers, ce
sexe agréable et terrible dont la séduction pourrait exposer l'âme
aux risques de l'indiscrétion, aux pièges de la curiosité, à la fougue

8
des passions violentes, qui peut-être étoufferaient un sentiment
plus tranquille, plus doux, celui de l'amitié, le seul que nous
désirions, et qui nous convienne : les fatales équivoques que la
calomnie du profane a semé à ce sujet sur la conduite des Frères,
ne peuvent nous nuire ni nous affecter ; la honte en retourne sur
ses auteurs, et tandis que, hors de loge, nous rendrons toujours
à la Reine d'Amathonte le culte pur qui lui est dû ; tandis que le
Maçon laborieux, actif et sage, multipliera ses offrandes, sans
mêler jamais aux roses de l'amour des fleurs indignes d'être unies
à ses guirlandes ; qu'il borne ses hommages dans le temple de
la vertu à la Déesse du sentiment que l'amitié seule y règne
despotiquement pour sa gloire et son bonheur.

Soigneuse d'éloigner tout ce qui peut y porter atteinte, la


Maçonnerie n'a rien oublié nos conversations ont des bornes
prescrites ; tout objet de contestation est proscrit, controverse
politique, idiomes étrangers, dissertations profanes, germes fu-
nestes d'opinions, de schismes et de systèmes ; nous vous lais-
sons à des hommes dont le désir semble celui de ne s'accorder
jamais ; nous voulons être toujours à l'unisson. La médisance,
cette fille chérie du siècle, qui depuis la naissance du monde
paraît être le pis aller du désoeuvrement est absolument bannie
de nos assemblées; nous y respectons les absents, et nous n'y
disons jamais mal de personne ; en cela bien différents du profane,
qui nous déchire, sans nous connaître, nous ne nous échappons
jamais sur son compte, quoique nous le connaissions bien l'ironie
:

piquante, la saillie aigué, la satyre amère ne repose jamais sur


les lèvres d'un vrai Maçon, parce qu'elle n'est jamais dans son
coeur : l'envie de briller, d'amuser, ou de plaire ne nous fait jamais
égayer le propos aux dépens du prochain. Nous savons à merveille,
qu'en attaquant la réputation ou les ridicules d'un tiers, on est
presque sûr d'être applaudi et toujours écouté. On ne se refuse
guère au plaisir d'entendre dégrader des gens dont quelquefois
le mérite fait ombrage celui qui se charge de cet emploi vii fait
adroitement sa cour à ceux qui l'écoutent', il les élève, pour
ainsi dire, en abaissant les autres. Mais dans ce cas le discoureur

9
est un lâche, l'auditeur un complaisant indigne. Ce commerce de
critique, de censure, de médisance, souvent de calomnie, est le
plus grand fléau de l'humanité. Ces monstres odieux guidés par
l'envie, soutenus par l'ignorance, foulent aux pieds l'innocence
et la vérité triste et abattue ne peut jamais réparer entièrement
le tort que lui font ces ennemis cruels. De leur bouche impure
coule un fiel, qu'elle répand à son gré, et qui laisse toujours après
lui quelques traces des impressions qu'il a faites : en vain pour
légitimer cette méthode barbare ose-t-on avancer que la charité
elle-même exige que l'on corrige les hommes, et que le moyen
le plus sûr est de leur faire apercevoir leurs torts sous l'enveloppe
du badinage, de la plaisanterie, et même de la satyre : la charité
des Maçons n'a pas ce caractère ; elle est doLice, compatissante,
tranquille, patiente elle éclaire ses frères, les instruit, les corrige,
mais sans jamais les flétrir, les choquer, les aigrir ; indulgente
sur leurs fautes, autant qu'attentive à leurs besoins, son rôle
est de ramener par la persuasion, et de secourir par une assis-
tance secrète, honnête, généreuse, qui n'humilie ni ne chagrine.
A la noblesse de ces procédés, mes chers Frères, pourrait-on
méconnaître celle de notre institution ? A la beauté de nos pra-
tiques, à leur utilité, n'aperçoit-on pas le prix de l'union et de
l'ensemble ? Aux charmes de notre morale, au sérieux de nos
travaux, ne devine-t-on pas faci!ement le but de notre association ?
Il n'est énigme que pour ces génies lourds, esclaves des surfaces,
et malheureusement fixés dans les limites que nos crayons
semblent circonscrire ; génies étroits qui jamais ne s'élancent
hors de la sphère des images que l'on met sous leurs yeux t

mais qui même en s'y bornant, acquéreraient encore les qualités


du coeur si précieuses, qui nous distinguent et nous honorent
car tel est en effet, nies Frères, l'avantage réel de la Maçonnerie,
que même en décomposant son tout, pour le réduire aux simples
notions qu'elle offre aux premiers grades, aux explications symbo-
liques dont elle essaye ses proselytes il en résulterait toujours
;

l'amour des vertus qu'elle prescrit, qu'elle fait faire aimer, et dont
la pratique et l'habitude s'amalgament avec notre propre existence.
Peut-être, mes vénérables Frères, dans ce faible essai vous ai-je

10
mieux exprimé ce que l'Ordre doit être que ce qu'il est effective-
ment; mais condamneriez-vous la pureté d'une doctrine, d'un culte
quelconque, d'après l'abus et les torts de quelques-uns de ses
Ministres : les erreurs particulières de quelques Maçons qui nous
avilissent peut-être, qu'il faudrait connaître, convaincre, ou expul-
ser, ne nuisent point à l'Ordre en général, ses principes n'en sont
pas altérés, et j'ai la satisfaction particulière de les voir maintenus
avec pureté dans cette respectable loge. C'est sur la conduite
de ceux qui la composent que j'ai calqué les préceptes de morale,
que ce discours d'instruction m'a permis de vous détailler : puis-
siez-vous, toujours fidèles à des devoirs que vous connaissez et
que vous remplissez si bien, ne jamais oublier le nom des trois
principales colonnes qui soutiennent l'édifice. Entreprenons avec
force tout ce qui conduit au bien ; conduisons-nous avec prudence
et sagesse dans toutes les actions de la vie. La beauté de notre
Ordre dépend de la perfection de notre oeuvre. Daigne, ô grand
Architecte, protéger toujours les ouvriers de paix que je vois
réunis pour la reconstruction de ton auguste temple ; répands sur
eux la prospérité dont l'intarissable source est en toi. Fortifie leur
zèle, échauffe leur coeur, anime leur esprit, soutient leur courage,
décide leLir succès. Enfants de la mère commune le limon qui
les forma fut pétri par tes mains bienfaisantes ; ouvre-les avec
profusion en leur faveur, et sans jamais permettre qu'ils abusent
de tes graces, dirige l'emploi des trésors que tu leur réserves,
aux fins indiquées par ta sagesse infinie, pour ta gloire, pour le
bien de l'humanité, pour leur bonheur particulier, et pour l'accrois-
sement de l'empire de la vertu, dont ils renouvellent à ton nom
et en ta présence le voeu solennel, d'être sans relâche les plus
zélés spectateurs. Houzé, houzé, houzé.

11
L'ÊTOILE FLAMBLOYANTE

Un sujet est souvent un concours de circonstances, le fruit


d'une floraison de coïncidences. Celui que je vais tâcher d'effleurer
en est sans doute le plus frappant exemple. Au départ il y eut
d'abord une illumination :lisant Le symbolisme occulte de la
Franc-Maçonnerie de notre vieux Maître O. Wirth, je fus soudain
ébloui par cette phrase consacrée à 'Etoile flamboyante : Cet
astre peut être connu par le néophyte dans son flamboiement qui
est perceptible au compagnon attentif aux radiations vitales. Tout
en dernière analyse n'est que vibration. Or l'être qui vibre s'étend
au-delà de son organisme pondérable sous forme d'une aura de
lumière astrale.
Ainsi à propos de l'Etoile flamboyante je retrouvais sous la
plume d'Oswald Wirth, cette mystérieuse aura « déjà évoquée en
maints livres d'occultisme et explicitée d'une étrange manière,
avec un luxe infini de détails par un certain Lobsang Rampa.
Curieux personnage en vérité que ce lama londonien qui prétend
être la réincarnation d'un sage tibétain
Mais je ne m'attarderai pas au personnage, car, lama ou pas,
ce médecin britannique est incontestablement un initié ». Et
quel initié puisque nous le trouvons ainsi d'accord non seulement
avec O. Wirth mais aussi avec toute une chaîne de penseurs qui,
eux, n'ont fait toutefois que traiter allusivement ces secrets
explosifs que notre XXe siècle met à présent avec une brutalité
sur laquelle je m'interroge à la portée des plus vastes publics...
Mais, qu'est-ce donc que l'aura ?...
En physique ancienne si l'on prend la définition du grand
Larousse, c'est un souffle, une émanation subtile «. Au figuré,
c'est l'atmosphère immatérielle qui enveloppe certains êtres.
En quoi déjà l'aura se rapproche de l'auréole, ce cercle lumineux,

13
ce halo que l'usage religieux donnait, abusivement parce que trop
extensivement, aux visages des saints.
Il faudrait toutefois se garder de rapprocher l'aura et l'auréole
car nous aboutirions, je le crains, à une piste sans issue. D'autre
part la définition classique est fausse car l'aura n'enveloppe pas
seulement certains êtres, elle enveloppe tous les êtres... Sans
exception.
Mais avant d'aller plus loin, il me faut à présent vous livrer
quelques banalités de la physique moderne. Tout ce qui existe
vibre et l'homme n'est guère qu'une masse de molécules gravi-
tant à grande vitesse, Il n'y a pas de différence d'organisation
entre l'animal, le végétal, le minéral, le gazeux, ce qu'Hermès
Trismégiste, dans sa lumineuse sagesse avait déjà traduit par
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas «. Notre corps
est un amas de soleils et de nébuleuses, un univers qui contient
à son tour des milliers, des millions d'univers.
Tout mouvement engendre l'électricité et notre cerveau, qui
fonctionne comme émetteur-récepteur, produit un courant qui a
pu d'ailleurs être mesuré. Notre corps entier en fait est électrisé
et entouré d'un champ magnétique celui-là même qui enrobe
les planètes et accompagne les molécules. Et ce champ magné-
tique peut être vu, détecté, dans certaines conditions :depuis
longtemps les ésotéristes l'on baptisé l'éthérique «. Cet éthé-
rique s'apparente à certains phénomènes qui intriguaient fort
jadis nos grands-pères, tels le feu Saint Elme que les marins
voyaient dans certaines conditions transfigurer la coque et les
mâts de leur bateau. Il s'apparente aussi au phénomène bien
connu des ingénieurs d'EDF. : celui de la « couronne «qui
entoure parfois les fils de haute tension. li a même eu une appli-
cation toute récente dans un fait divers que vous avez pu lire
dans la presse une explosion de gaz provoquée à l'extérieur
:

d'un immeuble et qui était due en fait à une ionisation de l'atmos-


phère. On le retrouve encore chez les yogi orientaux dont les
vêtements, comme protégés par le fluide de l'aura, se tiennent
immobiles sous le vent le plus violent.
L'aura n'est, elle, que la personnalisation « de cet éthé-
rique. Elle a une forme, une densité, des couleurs variables,
affirment les occultistes et Lobsang Rampa prétend ainsi que
l'homme entier peut se définir et être jugé selon les couleurs
de son aura...

14
Mais j'ai peur ici d'aller un peu loin... Alors, ramenons la
chose à ses proportions toutes simples, à des faits que tout le
monde connaît. Vous avez tous ressenti pour telle personne une
attraction irrésistible - vous direz presque à présent magné-
tique une sympathie ou une antipathie, au contraire, irrai-
sonnée. Souvent vous avez fait cette réflexion le bleu lui va
bien, ou au contraire le jaune ne lui convient pas... Ainsi, l'aura
:

invisible a-t-elle revêtu pour vous un sens précis, ainsi faites-


vous de l'occultisme sans le savoir. Car jamais vous n'avez
recherché l'explication profonde, l'au-delà de l'apparence...
Les animaux sont plus subtils que nous ils voient l'aura,
dit-on et jugent par elle un homme beaucoup plus qu'en fonction
de sa bonne (ou sa mauvaise) mine...
Aujourd'hui l'importance du magnétisme, cher à notre illustre
Frère Mesmer... et n'est plus niée par personne. On sait que deux
aiguilles magnétiques découpées dans le même aimant restent en
sympathie, quelle que soit la distance. Les russes ont établi, mais
sans pouvoir l'expliquer, que des champs magnétiques interféraient
avec les phénomènes cérébraux en hypnotisant un sujet et en le
:

persuadant qu'il voit des points lumineux il suffit d'un aimant ma-
noeuvré dans sa nuque pour que les points lumineux lui paraissent
se déplacer dans la direction indiquée par l'aimant. Les savant les
plus autorisés en sont arrivés à cette conclusion qu'on peut modi-
fier le champ de force qui entoure le corps humain de façon à
agir sur les centres du cerveau ».
Mais dans tout cela où est l'Etoile flamboyante, chère au
coeur de tout maçon [et que le compagnon, le jour de son élévation
au second degré a vu en son universalité], centre unique d'où
part la vraie Lumière. Eh bien précisément, c'est un catéchisme
hermético-maçonnique, celui du baron de Tschoudy, collecté par
Stanislas de Guaita, qui nous permet d'établir le lien, déjà suggéré
par O. Wirth. Commentant ce catéchisme Stanislas de Guaita en
effet déclare En fait c'est tout l'électro-magnétisme de la
personne (ce que nous avons, nous, nommé l'aura) que symbolise
l'Etoile
L'Etoile flamboyante qui était chez les égyptiens l'image
du fils d'lsis et du Soleil, d'Horus, symbole de la materia
prima »', source de vie, étincelle du feu sacré, comme la qualifie
Ragon, l'Etoile, signe favori des pythagoriciens qui la définissaient
en rapport avec le Nombre d'or «, signifie très exactement

15
l'initié en qui le feu est éveillé « Feu de la volonté, de la person-
nalité bien sûr O. Wirth parle du signe magique se rapportant
aux pouvoirs de la volonté humaine « qui associe l'homme à
l'astre, ainsi que le voulait cet autre initié Paracelse, parlant de
l'ambiance impondérable qui constitue notre sphère d'influence
mystérieuse ». Feu intérieur encore, bien connu des adeptes de la
méditation yogique qui s'élève du niveau physico-chimique de la
calcination au niveau astral du feu solaire pour redescendre à la
quête du feu qui brûle en nous.
Les flammes du pentagramme dit encore O. Wirth, font allu-
sion à la puissance dont l'ouvrier dispose, si, maître de lui-même
et instruit des règles du grand Art, il sait extérioriser son feu
intérieur, afin de le mettre en oeuvre au bénéfice de son travail
désintéressé.
Ainsi s'expliquent les actions à distance, analogues en vérité
pour l'aura (ou l'Etoile flamboyante) à ce que sont les rayons de
la lumière ou les ondes de la chaleur.
Ainsi en arrive-t-on à cette mise en application d'une télégra-
phie sans fil, sans autre support matériel que les ondes que nous
émettons, à cette télépathie sur laquelle les savants russes et
américains poursuivent à l'heure actuelle, dans le plus grand secret,
des expériences qu'on dit passionnantes.
Mais ne flamboie pas qui veut. N'est pas étoile qui en rêve.
L'esprit a subi une profonde involution dans la matière et il est
difficile de s'en libérer. En fait la Franc-Maçonnerie est l'une des
rares voies où se trouve, dans son authenticité, la tradition la
plus pure. Mais si elle offre ses symboles il faut bien comprendre
que ce ne sont au départ que des outils. L'Etoile flamboyante n'est
rien, tant que l'on n'a pas décidé de la faire surgir de notre gangue
charnelle. Nous souvenant de la leçon de Platon, cet autre initié,
qui enseignait que les dieux étoilés avaient créé les hommes et
que ceux-ci devaient retourner à leur étoile après la mort.
Serions-nous donc ces étoiles éteintes qu'il nous appartient,
initiés, de faire à nouveau flamboyer ?.. Alors se vérifierait la
parole du Zohar « « Tout ici-bas se passe comme en haut. Sur
le firmament qui enveloppe l'univers, nous voyons de nombreuses
figures formées par les étoiles et les planètes. Elles révèlent des
choses cachées et de profonds mystères. De même sur notre peau
qui entoure l'être humain, il existe des formes et des traits qui
sont les étoiles de nos corps «...

16
Et quand un maçon apprend à manier ce feu intérieur, celui-là
même des vrais alchimistes de naguère, c'est sur son aura qu'il
agit. Son aura qu'il doit purifier, régénérer, jusqu'à la rendre rayon-
nante de force, de sagesse, de beauté. Mais alors, ce maçon-là,
c'est un saint. C'est le véritable apôtre de l'Eglise du Paraclet
dont ont rêvé beaucoup de nos maîtres.
Pour l'heure (certainement), il ne s'agit que d'une voie à suivre,
d'une forêt à défricher. Avec l'aide de la science, la clairvoyance
de nos symboles, la ferme volonté de nos coeurs. Car en ce
domaine, là encore les initiés ont précédé les savants, et peut-
être encore les techniciens. Mais tout vient en son heure. Et
demain des hommes, nos frères peut-être, parleront de l'aura
comme nous parlions simplement de l'esprit...
Ceux-là toutefois car ceci reste notre privilège ne
sauront pas que c'est l'Etoile flamboyante qui nous avait montré
le chemin.

17
Espérer
Espérer, espérer. Ce mince filet d'eau
Qui coule au flanc de la montagne, humble ruisseau
Ou fleuve voyageur oublieux de la source,
N'a-t-il pas tout au long de sa chantante course
Le désir, l'espérance, hélas peut-être en vain,
D'aller grossir les flots d'un océan lointain ?

Méditer, travailler, se demander : demain,


Saurai-je utilement me rendre plus humain ?
Faire ce qui ne fut au cours de l'âge tendre
Le parfum est exquis des roses de novembre...

Puis il viendra le jour impossible à prévoir


Où nous apparaîtra l'immense abîme noir...
Lors tout sera fini, notre chair sera morte,
Mais son souffle vivra dans le vent qui l'emporte.

18
Tout vouloir,
Tout chanter...
J'ai voulu tout aimer, et je suis malheureux,
Car j'ai de mes tourments multiplié les causes.
(SULLY PRUDHOMME : La Vie Intérieure).

Tout vouloir, tout chanter, tout saisir, tout aimer,


Tendre les bras au ciel, au soleil, à la terre,
Tout voir beau, grand, sublime et digne de germer,
Subir l'ingratitude et sans haine se taire

Sentir qu'on est lié par d'innombrables fils


A tout ce qui murmure, à tout ce qui respire,
Et que les choses même ont des anneaux subtils
Pour nous mieux enchaîner à leur immense empire

Ne pas craindre pour soi les rudes coups du sort,


Mais souffrir pour autrui, pour toute la nature,
Et s'identifier à leur vie, à leur mort,
Comme un des éléments de leur architecture,

C'est d'un coeur généreux le problème et, déjà...


Tel, qui s'en va portant son âme en quarantaine,
Comme un fardeau pesant, comme une lourde chaîne,
A le ciel dans les yeux et de l'or sur les bras.

19
Rester Jeune
C'est vouloir que l'esprit conserve ses vingt ans,
Même si les cheveux sont plus rares et blancs.
C'est sourire au matin comme un enfant qui chante,
S'émerveiller des soirs. Si la lune est absente
La créer pour soi-même et d'un ciel étoilé
Illuminer la nuit et l'horizon voilé.

Se nourrir de projets, d'illusions, de rêves,


Oublier que les ans «ont que des heures brèves,
Car il en est du temps comme de l'être aimé,
Dont chaque instant grandit à nos yeux la beauté
Garder au coeur l'élan, l'amour, l'enthousiasme
L'âge affaiblit l'ardeur mais il enrichit l'âme.

20
L'UTOPIE
Le point de départ de l'Utopie est la chute telle qu'elle est
décrite dans la génèse car, c'est à partir de là que l'homme prend
conscience de sa nudité, de son imperfection et c'est là donc que
commencera sa quête incessante d'un infini, d'un paradis perdu.
Cette condition fondamentale de l'homme c'est l'intuition du poète
plus que le raisonnement du philosophe qui nous la dépeint borné
dans sa nature, infini dans ses voeux, l'homme est un Dieu tombé
qui se souvient des cieux '. Lamartine. Cette dichotomie naturelle
chez l'homme déchiré entre deux pâles, Jean Servier, en Socio-
logue, la trouve dans un examen de la société : la cité tradition-
nelle ayant été construite sur le plan mythique de l'univers, sa
pureté, c'est-à-dire sa fidélité au mythe, ne peut que s'altérer dans
le temps malgré la répétition des rites de consécration. La Société
traditionnelle cherche à se rapprocher de la perfection des origines
et à prolonger le moment primordial de sa fondation.

Partant d'une analyse sociologique, Jean Servier, constate


l'impossibilité où se trouve l'homme des civilisations tradition-
nelles de penser objectivement pour rejoindre la perfection ori-
ginelle nous dirons l'Lltopie tellement il confond les lois et
les coutumes avec une nécessité plus puissante que les dieux
mêmes selon l'expression de Platon.

21

k
Cette réflexion qui débouche sur l'utopie n'est possible qu'en
temps de crise spirituelle, sociale ou économique. Chez Platon
et les philosophes grecs en pareille période, c'est e désir de
restructuration « de la Cité afin d'être plus fort à l'avenir. On
ne songe pas à la cité parfaite dans l'univers connu E OIKOU-
MENE qui engloberait Grecs et Barbares, comme plus tard Saint
Paul voudra abolir les barrières entre JLIifs et Gentils. C'est donc
le christianisme qui fait éclater le concept de la cité tradition-
nelle repliée sur elle-même en unissant les hommes dans un
même amour... Cette utopie comment peut-on aimer les Perses
quand on est Grec est fondée sur la fraternité humaine, le
mépris des richesses, c'est le règne nouveau que prêchent les
apôtres du christianisme primitif. Jean XXI!l qui reprendra cette
idée d'une OIKOUMENE tolérante et fraternelle où les Francs-
Maçons ne seraient pas exclus je le rappelle ne fait que rejoin-
dre l'Utopie initiale. Cette utopie qui est présente chez l'homme
d'Etat, le penseur, l'industriel, l'homme d'église, le révolution-
naire, chez tous ceux qui rêvent de transformation du monde
sans parfois savoir qu'ils ont un dénominateLr commun. Voici
comment Jean Servier décrit ce rêve utopique. «Elle est avant
tout une volonté de retour aux structures immuables d'une cité
traditionnelle dont ils se veulent les maîtres éclairés, une cité se
dressant par delà les eaux troubles du rêve, comme une île au
bout de l'océan, comme la cité de l'homme délivré de ses angoisses
au bout de la nuit «.

Les premiers à nous fournir une application concrète de


l'idéal utopique à la cité sont les Grecs. Hippodamos qu'Aristote
décrit ainsi :' Hippodamos, fils d'Euryphon. citoyen de Milet, celui
qui inventa le tracé géométrique des villes et découpa le Pirée
en damier... « est au dire de Jean Servier non seulement le premier
urbaniste de son époque mais aussi le premier architecte qui ait
eu l'occasion de rebâtir des villes entières et de jeter du même
coup les grandes lignes d'une constitution.

Ce qui nous intéresse chez Hippodarnos de Milet c'est qu'on


l'appelait OIKOUMENE c'est-à-dire le spécialiste des phénomènes
célestes dont la tâche était de relier la vie citadine à l'harmonie
cosmique. C'est ici qu'intervient la notion d'utopie car si le mot
grec OIKOUMENE veut dire au sens propre celui qui disserte sur
les corps OLI les phénomènes célestes, nous savons qu'au sens
figuré tel qu'on le retrouve dans e Cratyle de Platon ce mot

22
signifie celui qui disserte à perte de vue, qui se perd dans les
nuages, d'où l'Utopie.

Nous voyons apparaître chez les Milésiens qui tracent les


premières cartes du monde connu, E OIKOUMENE, la terre des
hommes aux lignes impeccables, le symbole de la raison et, à
côté, comme en opposition, ATLANTIS, l'Atlantide, c'est-à-dire
l'inconnu, le rêve.

Toutefois l'Utopie Platonicienne, elle, appelle certaines réser-


ves. Pour Platon l'utopie passe par la cité emblême de la raison.
la cité grecque du type milésien. L'Atlantide qui, à notre sens,
symbolise mieux l'utopie est considérée comme l'antithèse de cet
idéal. Pour comprendre cela il faut examiner la conception toute
personnelle qu'avait Platon de la cité idéale. Dans La République,
Platon donne sa vision rationaliste de la stratification sociale
les chefs sont en or, ceux qui exécutent les ordres d'argent, les
laboureurs et les autres de fer et d'airain. La famille doit être
supprimée, l'instinct sexuel ne peut être satisfait que sous le
contrôle de l'Etat et les citoyens reproduits (il n'y a pas d'autre
terme ici) selon un eugénisme qui fait penser à l'élevage du
bétail. Que La République de Platon ait été admirée sur le plan
politique par des gens respectables « a écrit Bertrand Russell
est peut-être l'exemple le plus frappant de snobisme littéraire
dans l'histoire.

Dans cette cité platonicienne, il ne saurait être question de


rêve. L'Atlantide, cité du rêve est l'opposée d'Athènes, cité de
la raison.

Comment les choses pourraient-elles être autrement car dans


l'esprit de Platon, cette île perdue a abrité les amours du dieu et
de la déesse Clito dans une union libre qui eut pour fruits deux
enfants tous nés en dehors de tout contrôle étatique Mais
l'Atlantide rappelle aussi l'Orient (de la guerre de Troie, des
Perses) mais surtout l'Orient dont le principe politique est la
monarchie de droit divin face à Athènes, le rempart de la démo-
cratie. Au-delà de l'opposition de l'Orient et de l'Occident dont
René Guenon a suffisamment démontré l'humanité, ce qu'il importe
de constater ici c'est le fossé que Platon creuse entre le rêve et
la réalité.

23
Revenons maintenant à la genèse au moment ou Libram/
Abraham reçoit la promesse de Dieu. Cette promesse n'est autre
que la terre promise vers laquelle lsraèl s'est mis en marche pour
ne jamais s'arrêter. Si cette marche est éternelle car l'homme
infini dans ses voeux reste borné dans sa nature, elle passe par
un mieux être social, par un bonheur terrestre dans un pays où
coulent le lait et le miel. Cette utopie spirituelle sera la force
d'Israêl dans les combats de tous ordres que ce peuple mènera
par la suite.

Cependant, cet heureux mariage de la cité terrestre et de la


cité céleste dans l'ancien testament semble être un sujet de
conflits dans le monde judéo-chrétien des premiers siècles.
Saint Augustin les oppose de manière formelle : Deux amours
ont fait deux cités l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de
soi a fait la cité céleste, l'amour de soi poussé jusqu'au mépris de
Dieu a fait la cité terrestre «. Mais cette opposition n'est que
le reflet de la vieille opposition entre Athènes et l'Atlantide qui
va se matérialiser dans le monde occidental par la cité terrestre
matérialiste et jouisseuse et la cité spirituelle, celle de la frater-
nité humaine et de l'amour qui je cite encore Jean Servier -
sera « le rêve de tous les révolutionnaires même lors qu'ils croiront
avoir rejeté le Christ.

Ce rêve se manifeste en Occident déjà sous Charlemagne


quand on assimile l'empire carolingien à une manifestation
concrète du concept augListinien de la cité de Dieu. Ceci donnera
lieu dans les siècles qui suivront à des entreprises telles que les
Croisades et la colonisation la vulgarisation mondiale en sorte
:

de cette richesse spirituelle... Quand Urbain li prêche la croisade,


son souci est d'ordre spirituel. Apparemment, la terre que vous
habitez déclare-t-il cette terre, fermée de tous côtés par des
mers et des montagnes, tient à l'étroit votre trop nombreuse
population ; elle est dénuée de richesses et fournit à peine la
nourriture à ceux qui la cultivent. C'est pour cela que vous vous
déchirez et dévorez à l'envi, que vous vous combattez, que vous

24
vous massacrez les uns les autres. Apaisez donc vos haines et
prenez la route du Saint Sépulcre (J. Servier)..

Le souci spirituel, apparent ici, cache bien des préoccupations


démographiques et politiques. L'attrait des richesses et trésors
de l'Orient n'y est pas absent. Le rêve spirituel et la réalité
matérielle se trouvent étroitement liés au Moyen Age. L'utopie
serait plutôt l'affaire de ceux qui ont soif de justice sociale et
qui se précipiteront sur les chemins de la Croisade en Guenilles,.
une piétaille à l'assaut d'une utopie spirituelle qui les délivrera
de leur misère spirituelle et matérielle. C'est ainsi que s'exprime
R. Le BertoLine (le Contrefait) dans le conte satirique de Rutebuf.
J'aimerais étrangler les nobles et les prêtres jusqu'au dernier.
De braves travailleurs fabriquent le pain d'orge mais jamais ils
ne l'ont sous la dent; ils ne recueillent que le son, et du bon vin, ils
ne boivent que la lie et de bons habits ils n'ont que les dépouilles.
Tout ce qui est bon et savoureux va aux nobles et aux prêtres.
Ce que les croisades sont pour le Moyen Age, l'ère des grandes
découvertes qu'inaugure Christophe Colomb, le sera pour la Renais-
sance. Jean Servier écrit :La cruauté d'un Cortez ou d'un Pizarre
ne reflète pas uniquement une vilaine âme. Leur cupidité leur est
dictée par des rois exigeants et, au delà, par la volonté de l'Europe
de répondre, à un volume plus important de transactions, par une
masse suffisante de métaux précieux «. Cet aspect si matériel
des choses revêt alors les couleurs châtoyantes du rêve utopique
sous les tropiques, c'est la recherche de l'Eldorado.

Cette notion de Terre Promise adaptée aux besoins de ce


monde ne se concrétisera pas au Pays de l'Eldorado, c'est-à-dire
en Amérique Latine catholique mais en Amérique du Nord protes-
tante, avec les premiers colons puritains de Nouvelle Angleterre
un siècle plus tard. Car c'est là comme beaucoup s'accordent à
le reconnaître que prend naissance le capitalisme américain par le
souffle qui lui donne vie, c'est-à-dire cette conception protestante
qui veut que les biens de ce monde soient une bénédiction de
Dieu. Toute l'énergie que l'on reconnaît dans le capitalisme améri-
cain des temps modernes a pour origine de toute évidence une
utopie spirituelle.

Mais les Grands Penseurs de la Renaissance évitant le piège


de la richesse inviteront les hommes à voguer sur les eaux du

25
rêve qui reprend ses droits vers le Pays de Nulle part, ce seront
T. More et F. Rabelais.

L'oeuvre de F. Rabelais s'insère dans une structure socio-


politique où les grandes monarchies se dressent contre l'autorité
du Pape et de l'Empereur. En 1513, Nicholas Machiavel a déjà écrit
Le Prince. Thomas More publiera l'Utopie trois années plus tard en
1516. Lorsque l'on se met à lire les oeuvres de Rabelais (publiées
pour la première fois entre 1532 et 1534), l'Europe connaît les
effets de la Réforme et de la Renaissance, c'est-à-dire de l'huma-
nisme. L'Abbaye de Thélèrne est le rêve humaniste de la tolérance
et du libéralisme dont la devise résume la philosophie Fais ce
:

que tu voudras. Ceci rappelle Saint Augustin, aime et fais ce que


tu veux. Si la règle monastique est quelque peu bousculée à
Thélème, c'est que le monachisme de la Renaissance asservis-
sait plus qu'il n'édifiait et Rabelais a voulu troLiver la fraternité
au-delà de ces contraintes qui réduisaient l'homme plLitôt qu'elles
ne l'élevaient. C'est une véritable libération que propose Rabelais.
li écrit : « Parce que gens libérés, bien nés, bien instruits, conver-
sant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et
aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et retiré de vice
lequel ils nommaient honneur...

Nous n'avons pas de peine, je crois, à reconnaître le dynamique


des gens libres conversant en honnête compagnie...

Le libéralisme foncier de F. Rabelais l'empêchera de prendre


parti dans la querelle des protestants (les Papefigues) et les Catho-
liques (les Papimanes), estimant sans doute que la vérité ne se
trouvait pas exclusivement d'un seul côté Notre vérité c'est de
n'en point posséder «. C'est bien le sens du libéralisme humaniste
rabelaisien.

Nous notons chez Rabelais la thématique du voyage :Pan-


tagruel voguant sur la mer pour visiter l'oracle de la dive bouteille.

Ce thème dii voyage sur l'eau est un leitmotiv de la littérature


utopique les Argonautes et la Toison d'or, la recherche de l'Eldo-
:

rado, Robinson Crusoé, Gulliver et jusqu'à la conquête spatiale. On


le retrouve également dans l'Utopie de Th. More.

26
Il me semble que dans toute analyse de l'Utopie de Sir Th. More,
on ne peut passer sous silence deux dominantes : premièrement que
c'est une oeuvre où la religion est présente car elle est écrite par
quelqu'un qui mourra martyr de sa foi et dont le nom figure en
martyroloçjie de l'Eglise Catholique et, deuxièmement, que la vision
politique du Chancelier d'Angleterre y est manifeste. Si certains y
ont vu la première oeuvre de polémique communiste, on comprend
pourquoi.

La première édition de l'Utopie est publiée en 1516 dans l'ori-


ginal latin. Les Anglais en général la connaissent de nos jours
dans une traduction de 1557. Quand l'auteur de la traduction la
plus récente, Paul Turner, annonça à des amis anglais qu'il tra-
duisait Th. More, beaucoup, d'un air étonné, lui ont demandé
en quelle langue ?

Assez curieusement, l'Europe de la Renaissance, elle, connais-


sait mieux l'utopie. Les grands noms de la Renaissance tels Pierre
Gilles ou Erasme l'avaient lu. Un évêque anglais très sensible à
l'actualité littéraire de l'époque n'avait-il pas entrepris de se faire
nommer évêque d'utopie ?

Le livre est divisé en deux parties. La première est un dialogue


entre Th. More qui s'était rendu aux Pays-Bas en mission pour le
Roi Henri VIII et Raphaêl, célèbre navigateur qui avait voyagé en
compagnie d'Américo-Vespucci, et qui par conséquent donnait au
voyage un aspect d'actualité. L'Amérique avait été découverte une
vingtaine d'années auparavant, les lecteurs d'alors étaient tout
prêts à ajouter foi à ce genre de récit.

Th. More tout en donnant un caractère vraisemblable à son livre


pour sauver les apparences littéraires d'une part, tente, d'autre
part, d'envelopper ses personnages comme le pays qu'il décrit
d'un voile. Raphaèl (Dieu a guéri) applique une thérapeutique aux
maux de l'Angleterre par l'invitation au voyage utopique, mais il
est aussi, d'après l'étymologie de son nom de famille, celui qui
dit des bétises. Utopie, l'île, se situe nulle part. Est-ce une précau-
tion dans cette Angleterre des Tudors où l'on tranchait les têtes
si aisément ? On peut le croire Mais au-delà de la forme du
récit, ce qui nous intéresse c'est le contenu.

27

L
Raphaêl raconte à Th. More comment il visita l'Angleterre et
engagea une discussion avec un certain homme de loi sur la peine
capitale pour vol. Je pense qu'il n'est pas superflu de vous trans-
mettre son argumentation qui, on a peine à le croire, date du xvie
siècle. Sous ce rapport, vous autres anglais, comme la plupart
des autres nations, me rappelez les pédagogues incompétents qui
préfèrent donner des coups de canne à leurs élèves plutôt que de
les enseigner. Au lieu d'impliquer ces punitions horribles, il serait
plus indiqué de donner à chacun quelque moyen de subsistance
de sorte que personne ne se trouve dans l'affreuse nécessité de
devenir d'abord tin voleur et puis un cadavre.

Venant d'un des plus éminents personnages d'Angleterre dont


les revenus étaient substantiels cela atteste d'une vision sociale et
politique peu commune.

Raphaèl, qui est le porte-parole de 'auteur en quelque sorte,


aborde cette question terrible pour l'époque nier moutons mangent
les hommes c'est-à-dire les troupeaLix de dus en plus nombreux
des nobles et de certains écclésiastiques. Ces moutons non seule-
ment réduisent la sLlperficie de terre cultivable, mais leurs proprié-
taires clôturent ces vastes champs, ne laissant rien à l'agriculture,
gagne-pain des petites gens. Cette question sera posée quelques
siècles plus tard dans un aLitre contexte géographique, aux Etats-
Unis, mais le problème est le même (1). Raphaél poursuit son idée
et souligne les conséqLlences sociales désastreuses de cet exode
rural le vagabondage, l'oisiveté, la mendicité dans les villes.
:

En d'autres mots dit Raphaél vous créez des voleLirs que vous
punissez après pour vol ! Comme remède à ce mal social, Raphaêl
propose un système inspiré du droit romain. Il cite cette forme de
servitude pénale qu'est le travail dans les mines et carrières où
les prisonniers étaient logés et nourris [2). Une sorte de libérali-
sation des peines judiciaires. Il semble bien que l'Angleterre de
ce début du XVl siècle ignorait ou passait sous silence cet aspect
du droit romain.

Le problème des clôtures, des fils barbelés qui ont illustré beaucoup
de « westerns
Au lieu d'être tout simplement soumis à la peine capitale.

28
L'entretien entre Raphaêl et Th. More se poursuit et ils abor-
dent une autre question brûlante d'alors la propriété privée. Voici
comment Raphaêl voit les choses ...à dire vrai, mon cher More,
je ne vois pas comment vous obtiendriez une vraie justice ou la
prospérité aussi longtemps que la propriété privée existe et tout
est évalué en terme d'argent «. L'argument de Th. More qui fait
l'avocat du diable est de lui opposer l'absence de motivation qui
résulterait d'un système où la propriété privée serait abolie et où
chacun compterait sur son voisin pour travailler à sa place. A
ceci, Raphaèl ne donne pas une réponse directe car peut-être
il n'y en a pas, mais il cite l'Utopie car, dit-il, si vous m'aviez
accompagné en Utopie vous auriez constaté que c'est possible I

Cette invitation à l'utopie est une invitation au dépassement des


idées arrêtées et une ouverture de l'intelligence aux possibilités
la Maçonnerie.

C'est dans la deuxième partie du livre que Th. More nous


donne un aperçu de l'application pratique de ces théories. Tout
d'abord, au gouvernement où aucune décision n'est adoptée le
jour où elle est proposée et Raphaèl s'explique : Autrement
quelqu'un pourrait dire la première chose qui lui vient à l'esprit
et puis se mettre à penser à des arguments pour justifier ce qu'il
a dit au lieu de décider de ce qui convient le mieux à la commu-
nauté. Une telle personne est tout à fait capable de sacrifier le
public pour son propre prestige tout simplement parce que, aussi
absurde que cela puisse paraître, elle a honte d'admettre que sa
première idée aurait pû être fausse ceci alors que sa première
pensée aurait dû être de réfléchir avant de parler «. Nous mesurons,
j'en suis persuadé, la sagesse d'une telle attitude...

Une telle sagesse politique se traduit dans le quotidien. Les


enfants apprennent l'agriculture à l'école. Si un enfant désire
apprendre un métier on l'adopte dans une famille qui pratique le
métier qu'il veut apprendre. Mais on peut se demander comment
ce pays qui connaît des journées de travail de six heures peut
être si florissant. Raphaèl l'explique par le fait que tout le monde
travaille en Utopie et que le faisant pour le bien de la communauté
sans motif de profit, la production dépasse largement la consom-
mation. Il fait remarquer que dans bien des pays les femmes ne
travaillent pas, c'est-à-dire que la moitié de la population est
inactive, je cite
: Et puis il y a tous les écclésiastiques et les

29
Membres des prétendus ordres religieux quelle quantité de
travail fournissent-ils ? Ajoutez les riches, particulièrement les
propriétaires fonciers communément appelés nobles et gentils-
hommes. Incluez leurs domestiques... finalement ajoutez à la liste
les mendiants qui sont en parfaite santé mais qui prétendent être
malades afin de faire excuser leur paresse. Quand vous les aurez
comptés, vous serez étonnés de constater combien peu de gens
produisent ce que le genre humain consomme

Chose étonnante en ce pays, ils ne contraignent jamais les


gens à travailler indûment car le but principal de leur économie
est de donner à chaque personne autant de temps libre de toute
corvée que le permettent les besoins de la communauté de sorte
qu'il puisse cultiver son esprit, ce qu'ils considèrent comme le
secret d'une vie heureuse.

Nous constatons aussi que les hôpitaux se trouvent à l'extérieur


des parties de la ville afin de faciliter l'isolation des malades er
cas d'épidémie. Ces hôpitaux conçus en petites unités sont bien
dirigés, l'équipement médical ne manque pas, les infirmières sont
consciencieuses et avenantes, les médecins nombreux et acces-
sibles, e résultat est que les utopiens bien que n'y étant pas
contraints préfèrent se rendre à l'hôpital plutôt que de rester chez
eux quand ils sont malades. Quand on pense aux conditions épou-
vantables des londoniens pendant la peste qui sévit à Londres
exactement 150 ans après la publication de ce livre, on peut se
demander pourquoi l'Angleterre n'a pas su faire usage des idées
d'un homme politique d'une telle sagacité

Les utopiens n'attachent pas d'importance au raffinement


vestimentaire. Après tout, disent-ils, le mouton qui porta la laine
de tel costume n'était autre qu'un mouton. Comme tout un peuple
pense ainsi, la question du vêtement est simplifiée et le luxe dis-
paraît. Ils méprisent l'or car ils considèrent que l'or n'a de valeur
que parce que les gens le veulent bien. Il suffit de lui ôter sa
valeur artificielle pour que le fer devienne plus utile que lui. Pour
eux, tout ce qui est naturel est bon. La religion qui est faite d'un
ascétisme morose n'est pas la leur, ils veulent vivre la leur dans
la joie. Leur principe est que nous devons d'abord aimer Dieu qui

30
nous a créés et à qui nous devons notre vie et notre capacité
d'être heureux et ensuite que nous devons vivre aussi aisément
et joyeusement que possible en aidant notre prochain à faire de
même.

Les mariages ne sont conclus qu'après examen corporel mutuel.


Je m'explique. Le fiancé chaperonné par une dame d'âge res-
pectable examine la fiancée, la fiancée accompagnée d'un monsieur
convenable fait de même pour le fiancé. Raphaèl prévient les
rieurs en leur soumettant l'argument suivant. Si vous achetez un
cheval sur lequel vous ne misez qu'une petite somme d'argent vous
l'examinez complètement. Et quand vous choisissez une compagne
pour la vie, poursuit-il, pour le meilleur et pour le pire, vous vous
contentez de quelques centimètres de visage. Pour bien saisir cet
argument, il faut connaître le costLlme des Tudor, cela va de soi.
En Utopie, on traite les fous avec douceur et bienveillance. Grande
sagesse s'il en fut, car il suffit de penser à l'Angleterre de
Ch. Dickens, trois siècles plus tard, où ces malheureux étaient
enfermés et battus pour nous rendre compte de la vision sociale
de More.

La franchise qui règne en Utopie fait qu'il n'existe pas de


cour de justice à proprement parler. Il n'y existe aucun code de
loi. Le citoyen s'adresse au juge et lui expose fraternellement son
cas. Cette franchise simplifie la procédure et évite les subtilités
de la justice traditionnelle. Les fonctionnaires utopiens ne peuvent
être corrompus, l'argent ne leur étant d'aucune utilité. Ils ne
comprennent pas que les nations aient à signer des traités. Les
être humains ne sont-ils pas des alliés naturels ? Si quelqu'un
ignore ce bien fondamental accordera-t-il beaucoup d'importance
à des mots qui le lient aux autres ?

Les utopiens ne signent pas de traité, ils n'en voient pas


la nécessité. Cette grande ouverture sur le plan politique se
traduit par le plan religieux par la tolérance, un des principes les
plus anciens d'Utopie.

Cette attitude si positive envers la vie est la même envers


la mort. La mort est une étape joyeuse de la vie car l'homme va
rejoindre Dieu. Ici je voudrais citer un exemple, la propre mort
de Th. More. Comme il montait l'escalier branlant de l'échafaud

31
où il allait être décapité, il demanda à l'officier de l'aider « Je
:
I
vous prie, Messire Lieutenant, aidez-moi à monter je me chargerai
de descendre tout seul «, humour qui est le reflet d'une très
grande sérénité.

En guise de conclusion, je voudrais poser une question. Celle-


ci : pourquoi les hommes ont-ils été tentés à travers les siècles par
ces deux philosophies :'Utopie et la Franc-Maçonnerie. Deux
visions du monde qui ne sont rien pour le profane, mais tout pour
l'initié. Pourquoi ?

32
de la Solidarité
L'interlocuteur
Vous n'en voudrez pas, j'en suis sûr, à un interlocuteur de bonne foi de
poser, à vous-même et à vos Frères de la Grande Loge de France, une question
qui peut paraître embarrassante, voire même insidieuse...
Le Franc-Maçon
Je vous écoute avec le plus grand intérêt
Merci, Monsieur! Vous n'ignorez pas qu'à l'heure actuelle, à travers le
monde, on invoque à tort et à travers le principe de la Solidarité, en tant que
règle de conduite entre peuples plus et moins favorisés, plus et moins déve-
loppés.
Comment pourrions-nous l'ignorer ?

Or, il se trouve que certains Etats en détresse en appellent aux pays nantis
en faisant valoir l'intérêt de ces derniers à accorder leur assistance -
intérêt qui peut se traduire par des transactions commerciales et financières,
par des crédits, des emprunts, des missions éducatrices, des stages de forma-
tion, en somme par des échanges profitables aux deux parties. D'autres peuples
sous-développés se réclament du principe humanitaire, de la solidarité : au
fond, ils demandent exactement les mêmes services que ceux que j'ai décrits
en premier, mais avec une motivation différente. Un troisième groupe se fait
menaçant : si on ne nous aide pas, cela se traduira finalement par la guerre
ou quelque autre phénomène violent. Trois solidarités différentes sont ainsi
évoquées : celle des intérêts, puis la solidarité humaine, enfin la solidarité
devant un péril mortel. Quelle attitude ado ptez.vous, en tant que Francs-Maçons,
vous qui avez depuis des siècles pratiqué un genre de solidarité inspiré avant
tout par des considérations éthiques et morales ?
En effet, votre question embarrasserait bien des gens Essayons donc,
ensemble, de voir plus clair. J'ai l'impression que sous un même vocable, on
entend des comportements fort différents les uns des autres. Ce que nous
pouvons tenter avec quelques chances de succès, c'est de clarifier les idées,
ainsi que les termes employés pour les exprimer. La solidarité pratiquée
par les Francs-Maçons pourrait nous servir d'étalon de mesure et d'évaluation.
Ce serait déjà fort utile
Alors commençons par déblayer le terrain posons les jalons d'une
structure logique ;et voyons l'édifice que nous pouvons y construire.

35

L
Vous considérez donc vos méthodes traditionnelles comme aptes à être
appliquées à un problème très moderne ?
En lui-même, le problème ne comporte rien de fondamentalement neuf
ce qui a changé avec le temps, c'est la technique à laquelle on peut avoir
r
recours pour lui apporter des solutions. Constatons d'emblée que nous avons
affaire à quelque chose de typiquement humain aux autres paliers de la
;
nature, nous trouvons bien ce qu'on appelle l'instinct grégaire, l'action com-
mune d'un certain nombre d'unités de la même espèce - non structurée
chez les animaux vivant en troupeaux, excepté peut-être pour le chef de file
qui sert de guide ou de veilleur davantage organisée chez les insectes
de la ruche, de la termitière ou de la fourmilière, mais où le système de
reproduction est principalement sinon exclusivement en cause. Chez les
hommes, par contre, un acte conscient intervient dès les premières mani-
festations de la vie à deux ou à plusieurs appelons cela provisoirement
l'interdépendance le couple, puis la famille, plus tard la tribu, le clan, le
t

village, la peuplade, le peuple et aujoLlrd'hui l'espèce humaine toLit entière


prennent conscience du fait que sans un minimum de comportement
combiné, la vie de tous et de chacun est menacée dans son fonctionnement
et son déroulement.
Nous sommes encore dans le domaine de la sociologie.
L'aspect change à partir du moment où des règles de comportement sont
instituées. Dans la Bible, nous rencontrons sans tarder le commandement I
Aime ton prochain aime-le comme toi-même aime-le parce qu'il est
l'enfant d'une même paternité ou maternité divines « Or, simultanément
naît la notion d'ennemi - la notion décrivant celui qui n'est pas comme toi,
qui n'a pas de liens familiaux avec toi, qui appartient à LIne autre collectivité
locale, tribale, sociopolitique, raciale l'ennemi parce qu'il entend vivre à tes
dépens, et qu'à tout prendre est préférable de l'asservir que de lui obéir.
Dernière étape la notion de I' « Autre «, celui qui se distingue de toi à
n'importe quel titre, et avec lequel tu peux établir des rapports bons ou
mauvais, selon ton choix.., ou le sien.
Nous n'avons pas encore quitté le plan général.
Mais nous nous en rapprochons. Constatant que l'homme se trouve
continuellement placé devant un choix quant aux rapports qu'il se propose
d'entretenir avec ses semblables, mais qu'en même temps, ce choix sera
différent selon les êtres humains auxquels il aura à faire face
I
constatant
en outre que le meilleur choix sera celui qui minimisera les périls et maxi-
misera les chances et constatant enfin que le résultat optimal sera
obtenable lorsqu'une certaine équité se sera établie entre les hommes de
toutes descriptions, le Franc-Maçon proclame, en un raccoLirci simplificateur,
cette règle de conduite t« Fais à autrui ce que tu voudrais qu'il te fît à
toi-même

N'est-ce point une simplification quelque peu arbitraire ?


Nous avons le souci de couvrir toutes les motivations concevables, de
parer à tous les périls qui peuvent se présenter et de nous ouvrir à toutes
les chances d'un résultat heureux. Mais cela ne nous dispense aucunement
de la nécessité d'examiner avec le plus grand soin les conditions d'applica-
tion de notre règle. Nous nous évertuons donc à en faire un apprentissage
sérieux.

36
Faites-vous allusion à la solidarité entre Francs-Maçons ?
Non si vous entendez par là une limitation quelconque au profit des
membres de notre Ordre oui si nous procédons du simple au complexe,
du microcosme représenté par la Loge jusqu'au macroscosme représenté par
l'humanité tout entière.

Je ne vous comprends pas encore très bien...


Voyez-vous, nous avons prévu, dans la structure de nos Ateliers, une
fonction de la première importance sans laquelle notre Ordre serait impen-
sable cette fonction est exercée par l'un des nôtres qui prend le titre
d' hospitalier ». Son devoir consiste à dépister tout ce qui peut être une
source de malheur pour un Frère (à commencer par ceux de la Loge), à
chercher les moyens d'y porter remède, à mobiliser les forces nécessaires
à cet effet, à en contrôler l'entrée en jeu et le déploiement, Il agit en étroite
communion avec le président de la Loge et, si le besoin s'en fait sentir,
avec d'autres Frères. Il alerte, le cas échéant, l'Orphelinat Maçonnique ou
'Entraide Fraternelle.

Y a-t-il des limites à cette action ?


Naturellement. Mais contrairement à ce que croient nos détracteurs, notre
action ne s'arrête pas aux frontières de la Franc-Maçonnerie. Elle prend seule-
ment des formes différentes. Ainsi, lorsqu'un malheur dépasse, en proportion
et en étendue, ce à quoi une Loge peut porter remède de par ses propres
forces, c'est la Grande Loge, autrement dit la fédération de toutes les Loges
de l'Obédience, qui intervient. La Grande Loge compte parmi ses officiers
un Grand Hospitalier lequel, à l'échelle de la collectivité, se charge des actes
de solidarité requis.
Même au profit rie non-Maçons ?

Souvent au profit de non-Maçons Quand quelque part dans e monde,


il se produit une catastrophe naturelle ou que, pour toLite autre raison, une
aide matérielle ou morale devient nécessaire, il appartient essentiellement
au Grand Hospitalier, au nom de la Grande Loge tout entière, de s'en charger.
Nous évitons par là l'éparpillement des efforts, les retards dans l'exécution de
nos décisions et la revendication de mérites personnels déplacés.
Je suis tout disposé à vous croire, Monsieur - à une condition, cepen-
dant que vous me disiez comment la Franc-Maçonnerie s'y prend pour remé-
dier aux maux qui, de nos jours, causent de si graves souffrances aux hommes
de moindre développement, aux peuples éloignés, aux systèmes réfractaires
à la pénétration occidentale. Vos méthodes ne deviennent-elles pas vite inap-
plicables, soit devant la gravité, soit devant l'importance des problèmes à
résoudre ?
Je serais tenté d'affirmer le contraire. Nous n'avons pas attendu les confé-
rences internationales qui ont été organisées, au cours des dernières années,
pour traiter des problèmes de la faim dans le monde, du surpeuplement, de
l'énergie, de l'environnement et de bien d'autres. Nous avons sensibilisé nos
Frères pour que chacun, ayant pris conscience de l'enjeu humanitaire, cherche
les moyens à sa disposition pour y faire face. Il est vrai que notre Obé-
dience n'a guère adressé de rapports hautement techniques aux instances

37
F

compétentes pour recommander des solutions que nous aurions inventées


nous-mêmes. Notre sphère d'action se situe dans un cadre plus large mais
elle commence seulement à se dessiner avec netteté d'où le retard que
l'on peut constater, voire déplorer.
Comment la voyez-vous, cette sphère d'action spécifique?
Dans le motif qui vous a inspiré, vous, Monsieur, quand vous êtes venu
me voir aujourd'hui dans la nécessité de voir clair et de voir juste. Je ne
:

prétends pas que nous soyons déjà arrivés à des résultats spectaculaires et
mirifiques :nous croyons seulement nous être engagés dans la voie qui
correspond le mieux à nos principes.., en même temps qu'à vos préoccupa-
tions.
C'est-à-dire ?
Nous avons constaté que le terme même de « solidarité « ne réussit pas
à entraîner une action assez puissante ni à inspirer les responsables dans ce
qu'ils doivent entreprendre. A qui la faute ? Ou encore, à quoi attribuer cette
carence ? Que vous preniez les exhortations pontificales ou les recomman-
dations du secrétaire général des Nations Unies, les programmes politiques
des gouvernements de toutes tendances, ou encore les oeuvres généreuses
des auteurs jouissant de l'audience la plus large,
déclarations faites maintes et maintes fols par les Francs-Maçons eux-mêmes
il se produit toujours ceci : on demande aux hommes, à tous les échelons
-
et je n'oublie pas les

civiques et à tous les niveaux philosophiques, de faire quelque chose qui n'est
pas inscrit dans leur nature profonde. Vous n'avez pas besoin de dire : Mange
à ta faim « Chacun le fera dans la mesure de ses possibilités. Mais vous
dites « Au lieu de manger à ta faim, partage avec celui qui n'a pas de
quoi se nourrir ou encore Au lieu de gaspiller ou de laisser chômer tes
moyens, donne-les à celui qui n'en dispose pas l « Et on ne vous écoute
pas Inutile de dire « Aime tes proches ! Tu te sacrifies volontiers pour
ta famille. Mais suggérer Aime ton prochain « ne rencontre qu'un écho
faible et insuffisant. Pourquoi, mon ami ? Pourquoi ?
Vous me prenez au dépourvu...
Eh bien, parce que vous ne savez pas vous ne savez pas, ou vous ne
voulez pas savoir, que les hommes se conditionnent les uns les autres vous
oubliez en quoi chacun dépend des autres et vous ne vous rendez pas compte,
de ce fait, que les autres dépendent de vous Vous préconisez la liberté,
soit mais vous oubliez les liens, les rapports obligatoires Vous vous compor-
tez comme des enfants pour qui la vie est faite de jeux et de contraintes
d'apprentissage, sans prendre conscience de ce que cela impose à leurs
parents et leurs éducateurs
Et vous en concluez ?..
Quand une branche tombe de l'arbre ou qu'une automobile renverse un
piéton, vous avez recours aux lois de la physique pour vous l'expliquer -
vous allez même mettre en garde vos enfants contre les périls matériels
qui les menacent. Quand un homme meurt de faim ou qu'un autre est privé de
toute affection, vous incriminez.., quoi exactement ? les lois de la société I

Mais cette société, c'est vous-même, c'est Toi et Lui et Elle et Moi qui agissent
à tort ou pèchent par omission.., ou qui ignorent comment se comporter en
tant que membres de la société ! A mesure que notre vie devient plus complexe,
notre interdépendance s'accroit, et nous ressentons avec de plus en plus

38

1.
d'acuité les carences humaines qui causent les souffrances des autres êtres
humains ! Cela durera-t-il éternellement, ou peut-il y avoir un changement?
Dites-le moi
Vous ne m'avez pas encore convaincu
Vous devez vous en convaincre vous-même. Croyez-vous qu'il existerait
une Franc-Maçonnerie si elle n'avait pas reconnu les lois de l'interdépen-
dance des hommes ? Croyez-vous que nous préconiserions et pratiquerions
la Fraternité si elle ne nous paraissait pas comme une nécessité ? Croyez-
vous que la notion même de solidarité subsisterait parmi nous si nous n'étions
pas convaincus de ses vertus, au sens le plus élevé du terme ?

Est-ce à dire que vous donnez une forme et un contenu nouveaux à des
nécessités humaines que la plupart des hommes ne reconnaissent pas comme
telles ?
Soyons modestes : disons que nous allons dans cette direction, mais
qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. Je ne tiens absolument
pas à ce que la Franc-Maçonnerie se pare de vertus qu'elle n'a pas assez
nettement définies et suffisamment approfondies jusqu'ici. Aucun miracle ne
se produira, vraisemblablement. La seule promesse réside dans l'effort.
J'en reviens donc à ma question initiale : la Franc-Maçonnerie croit-elle
pouvoir agir efficacement dans le sens de la solidarité entre les hommes et
les peuples, /es races et les classes ?
Vous la jugerez selon les hommes qui la composent et selon l'accom-
plissement de l'oeuvre à laquelle ils se sont voués.

SEPTEMBRE 1975

39

t
p
L'HRSIE DE MANÈS
Connaissez-vous MANES ? Ce nom ne vous dit rien ?

li s'agit d'un homme qui naquit au deuxième siècle à Mardin, un village


du Kurdistan, et dont la tête était pleine à la fois de textes bibliques et de
légendes persanes, Il ne se prenait pour rien moins que le Saint-Esprit et,
voulant concilier sa double croyance, il conçut pour expliquer l'homme et la
création une théorie étrange,
Il fonda même une école, que dis-je une école l une église. Autour de
sa sainte personne, douze apôtres, assistés de soixante-douze évêques,
prêchaient son évangile.
Durant des siècles, celui-ci se répandit dans l'Orient et le Moyen-Orient.
Certains y voient même l'origine des croyances cathares et albigeoises qui
furent étouffées par le feu des bûchers,
Pourquoi donc évoquer un si vieux personnage ?
- Parce que, comme beaucoup de nos contemporains, vous êtes peut-
être, sans le savoir, un moderne émule de MANES.

A la lecture de votre quotidien du matin, à l'audition des nouvelles que


la radio vous apporte à midi ou au spectacle de votre journal télévisé du soir,
vous frémissez, à juste titre, d'indignation en apprenant que de paisibles
boutiques ont été saccagées, qu'une mère de famille a trouvé la mort dans
un accident d'auto volontairement provoqué, qu'un employé de bureau a été
tué à coups de matraque dans le métro, que des otages attendent dans un
bureau de banque assiégé par la police ou dans un coin perdu de désert,
la libération ou la mort,
Devant cette violence répandue à tous les niveaux et à tous les instants
de la vie quotidienne, ne vous est-il pas advenu de vous écrier : Ceux qui
font cela sont des démons, il faut les abattre sur le champ dès qu'ils sont
pris, et sans jugement, comme des chiens enragés. «
Si une telle pensée a un jour traversé votre esprit, vous avez commis
l'hérésie de MANES.

40
MANES posait en postulat l'existence de deux principes contraires
le bien et le mal synthétisés par la lumière et les ténèbres, l'esprit et la
matière, le Dieu bon et le Diable.
Un combat sans merci s'engagea entre ces deux forces antagoniques et
les ténèbres étaient sur le point de triompher de la lumière lorsque le bon
Dieu imagina de créer l'Homme. Celui-ci, doté de toutes les perfections, allait
combattre à ses côtés pour le triomphe du bien sur le mal.
Hélas, cet homme créé fLit vaincu par ses besoins naturels la concupis-
:

cence et l'envie firent de lui le prisonnier de la matière et il est, depuis lors,


gouverné par l'esprit du mal.
MANES et ses disciples, les auditeurs et les parfaits, ne voyaient de
salut pour cet homme déchu que dans une évasion de la matière par le
jeûne, la prière et les chants sacrés.
L'oeuvre de rédemption entreprise par Jésus devait trouver son achève-
ment dans le renoncement à toute existence matérielle et le retour à l'esprit
créateur.

Si vous croyez au dualisme inconciliable dLI bien et du mal, du blanc et


du noir, de l'esprit et dela matière, du créateur et de la création, de la
science et de la morale, alors à votre insu, mais sans le moindre doute. vous
êtes manichéen.
Dès lors, vous ne pouvez trouver de satisfaction que dans l'abandon de
votre vie terrestre, c'est-à-dire, en clair, dans la mort.
Si au contraire vous désirez découvrir ou donner un sens à votre existence,
à celle des aïeux qui vous ont engendré depuis la nuit des temps et à celle
de votre descendance, il vous faut opter pour la vie, c'est-à-dire pour l'action.
Car vivre ce n'est pas subir, c'est agir,

Vous êtes-vous demandé pourquoi les sociétés contemporaines sont en


proie à un phénomène de décivilisation inouï ?
L'histoire des sociétés comme celle des individus s'inscrit dans une
triple loi de progrès expansion. organisation, sélection.
:

Or, ilsemble que les groupes humains traditionnels soient en train de


se dissocier, de se déliter, de se décomposer. Les uns tirent à hue, les autres
à dia. Au lieu de se conjuquer, les efforts se dispersent et se contrarient. Ceux
qui travaillent ne recueillent que sarcasmes, critiques et rebuffades. Ceux
qui essaient de réfléchir en sont empêchés par ceux qui hurlent. Ceux qui
agissent sont freinés. Ceux qui voudraient avancer sont bloqués par une
foule dont les courants s'annihilent et rendent vains leurs efforts.
Les idées constructives sont noyées à la fois dans les routines et les
innovations farfelues.

41
Les démarches de progrès sont ruinées par le défaitisme, les préjugés
et le désordre des esprits.
Pourquoi ?

Est-ce parce que durant ce XX siècle nous avons été trop combles ou
au contraire trop malheureux, trop nantis ou trop pauvres, parce que les inéga-
lités sont trop criantes ou le nivellement excessif, parce que nous avons trop
de liberté ou pas assez ?
- Qui est responsable de ce déplorable état de chose, /e système
ou le psychisme, la société ou l'homme, la collectivité ou l'individu, la fatalité
ou vous-même ?
Autrement dit, subissez-vous un état de fait imputable au monde extérieur
ou au contraire un état d'âme collectif dont chacun de nous est comptable ?

*
**
L'idée que je puisse insinuer que vous avez une parcelle de responsabilité
dans une attaque de banque, une agression ou une prise d'otage vous révolte,
dites-vous ?
Eh bien ! calmez votre indignation et réfléchissons ensemble.
Etes-vous bien certain d'avoir toLijours fait ce que vous pouviez, ce que
vous deviez pour maintenir un équilibre social dont la rupture mettrait en
péril votre liberté, vos conditions de vie et peut-être votre existence et celle
des êtres que vous aimez ?
N'avez-vous pas contribué par votre comportement de tous les jours à
créer ce climat de violence que vous dénoncez maintenant ?
Vous êtes libre, donc responsable. Vous êtes aLitonome, donc solidaire.
Votre responsabilité et votre solidarité dépassent largement le cadre de
votre famille, de votre cité et de votre nation. Elles s'étendent à tous les mem-
bres de la communauté humaine,
Si vous pouvez aller et venir, manger, dormir et faire l'amour c'est grâce
à l'énergie créatrice de milliers d'inventeurs, grâce aussi au travail de millions
d'hommes et de femmes qui, jour après jour, contribuent à votre confort et à
votre sécurité.
Dans votre travail, dans vos loisirs, dans votre vie familiale, dans vos
activités diverses, éprouvez-vous toujours un sentiment de gratitude et de
fraternité profonde à l'égard des êtres qui vous entourent et du bien-être qu'ils
créent continuellement pour vous ?
Ne vous insurgez-vous pas souvent in petto contre les multiples contraintes
que vous impose la promiscuité grandissante de la vie en société, et incons-
ciemment n'avez-vous pas fait vôtre cette amère boutade égoïste à prétention
philosophique L'enfer, c'est les autres » ?
En ronchonnant à tout propos contre les moindres événements qui vous
contrarient n'avez-vous pas contribué à créer ce climat d'aigreur et de défiance
qui empoisonne les rapports sociaux actuels ?

42
Bien mieux, n'avez-vous jamais détourné la tête et continué votre chemin
en voyant un passant attaqué dans la rue par un voyou, de crainte de prendre
un mauvais coup, alors qu'avec les dizaines d'indifférents pressés qui vous
entouraient il vous eût suffi de vous approcher pour mettre le malfrat en
fuite ?
N'avez-vous jamais, en voyant une voiture en panne sur l'autoroute,
appuyé sur l'accélérateur plutôt que de vous arrêter à un poste téléphonique
pour appeler un dépanneur, de crainte d'arriver à l'étape quelques minutes
plus tard que vous ne l'aviez prévu ?
N'avez-vous jamais fui lâchement à la vue d'un accident de crainte d'être
impliqué comme témoin dans une procédure ennuyeuse ?

*
**
Vous me dites que vous vous acquittez de votre devoir de charité en
cotisant régulièrement à telle, telle et telle oeuvre philanthropique. C'est bien,
mais ce n'est rien...
Les hommes ne vivent pas seLilement de pain, lis vivent aussi d'amour.
Eh oui ! d'amour.
Et c'est souvent lorsqu'ils ont trop de pain et pas assez d'amour qu'ils
deviennent méchants et violents.
Perdus dans une foule indifférente, ils surcompensent leur solitude par
un appétit boulimique de plus en plus dévorant pour les biens matériels.
Vous n'êtes pas un ange parce que vous n'avez jamais attaqué une
épicerie, et ceux qui prennent des otages pour se procurer à tout prix cet
argent par lequel ils croient follement acheter le bonheur qui les fuit, ne sont
pas des démons.
Ils sont faits de la même pâte que vous-même.
N'y avez-vous pas songé, quand avec stupéfaction vous avez appris que
le conducteur du stock-car meurtrier assassinant de sang-froid une innocente
jeune femme, n'était qu'un pauvre petit manchot probablement frustré d'affec-
tion ?
Seriez-vous étonné d'apprendre que le voyageur du métro que vous avez
laissé sanglant sur le quai après une attaque à laquelle vous aviez assisté
impavide, est sorti le lendemain dans la rue avec un revolver, pour tirer sur
tous ceux qui ressembleraient de près ou de loin à ses agresseurs de la
veille ?
*
**
Ne vous méprenez pas sur mon propos. Tenter d'expliquer ne signifie ni
accepter ni excuser. Les actes de violence sont injustifiables. Leurs auteurs,
quels qu'en soient les motifs ou les mobiles, en portent la responsabilité première
et on ne saurait y substituer celle d'une société, entité morale et abstraite,
dont on oublie trop volontiers que son climat général n'est que la résultante
des tendances des individus qui la composent.

43
L'hérédité et l'éducation ne sont, en vérité, que peu de chose face à la
volonté d'un être conscient et raisonnable. Prétendre le contraire aboutit à
priver l'homme de toute liberté, donc de toute dignité, à faire de chacun
de nous un irresponsable, donc un esclave,
Je voudrais simplement vous pénétrer de l'idée que, comme membre de
cette société, vous ne pouvez vous en abstraire et la juger de l'extérieur sans
démissionner de votre condition humaine, Vous ne pouvez à la fois tout attendre
d'elle et ne rien lui apporter.
Ma seule ambition est de tracer, face au portrait de l'homme objet, égoïste,
irresponsable, revendicatif et pleurnichard, la silhouette de l'initié, libre, éclairé,
présent et agissant.
Celui-là croit qu'en fournissant ses quarante heures de travail, en payant
ses impôts et en faisant la charité de quelques sous il est quitte envers la
grande famille des hommes. Celui-ci en revanche, sait qu'il n'a jamais fini de
s'acquitter de sa dette de reconnaissance envers ses semblables, ceux du
passé, du présent et du futur, et qu'il leur doit, non seulement son concours
matériel mais aussi sa présence cordiale, son sourire, son réconfort et son
amour. Un geste de compassion apporte mille fois plus qu'un don matériel,
si généreux, soit-il.
Car si parfois « l'enfer c'est les autres , on peut dire que, sans les autres,
le paradis lui-même n'est qu'un désert.
Il est grand temps que nous prenions tous nettement conscience de la
nécessité très actuelle de compléter l'adage négatif de la morale formelle
Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fît «, par ce précepte
positif qui constitue depuis toujours l'unique commandement de la morale
maçonnique : Commence par faire pour autrui tout ce que tu souhaiterais
que l'on fît pour toi-même.

OCTOBRE 1975

44

I
LA COMPRÉHENSION
DE L'AUTRE
ET LA TOLÉRANCE
Pour bien préciser le rôle de la Grande Loge de France dans les divers
aspects de la pensée contemporaine, il n'est sans doute pas inutile, sinon
de remonter à ses origines, du moins de s'arrêter un instant sur ses prin-
cipes fondamentaux dans leur plus récente rédaction, celle de 1968.
Dans notre Constitution, il est proclamé que la Franc-Maçonnerie a pour
but essentiel , l'amélioration constante de la condition humaine, tant sur le
plan spirituel et intellectuel que sur le plan du bien-être matériel «, et le
document ajoute Dans la recherche constante de la vérité et de la justice
les Francs-Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune
limite. »

C'est pour cela que les Francs-Maçons de la Grande Loge de France


s'efforcent de trouver la voie qui conduit au perfectionnement intellectuel et
moral de l'humanité et travaillent individuellemennt et collectivement pour
diminuer au maximum possible la souffrance des humains et accroître ce que
nous appelons couramment leur bonheur.
Nos rituels, nos coutumes, notre symbolisme, sont essentiellement des
moyens psychologiques pour nous préparer à cette recherche de la vérité et
de la justice.
s
**

Mais d'abord qu'est la vérité ?


Suggérons la définition suivante : la vérité est l'accord parfait entre une
affirmation de faits et toutes les expérimentations possibles.
Mais une affirmation n'est vraie et totale que dans un domaine donné,
dans un laps de temps donné et dans des conditions données. Elle ne peut
donc être universelle.

45
Ce que nous appelons habituellement la vérité n'est donc que la descrip-
tion du réel dans un domaine donné, dans un temps donné et dans des
conditions données.

Et le réel est une vérité qui ne peut être que partielle ou provisoire
dans le temps et dans l'espace.

Nous devons donc être prudents dans nos affirmations et toujours prêts
à la critique. Car nos affirmations ne sont trop souvent que le résultat d'un
pari avec plus ou moins de probabilités de vérité.
D'où cette prudence dans nos jugements. De ce fait, très souvent, dans
nos Loges les jugements diffèrent de l'un à l'autre. Chacun respecte la
pensée d'autrui dans sa libre expression.

Chacun est libre de critiquer la pensée de ses frères mais doit surtout
remettre sur la sellette sa propre pensée.
Le Maçon, dans sa Loge, recherche la synthèse des diverses conceptions,
synthèse qui convient le mieux à élaborer une morale et une condition
d'action qui conduira au but envisagé.

Notre travail consiste d'abord à exprimer nos conceptions individuelles


le plus clairement et le plus concrètement possible, Il consiste aussi à savoir
écouter les conceptions des autres avec respect, certes, mais avec le plus
d'esprit critique possible, Il consiste enfin à savoir modifier honnêtement
son point de vue quand on a découvert des éléments cachés que l'on ne
soupçonnait pas et qui modifient nos conclusions.

Savoir raisonner correctement est aussi un grand sujet de méditation


dans nos Loges. Beaucoup de personnes font de la logique sans le savoir,
comme M. JOURDAIN faisait de la prose. Mais la logique a ses fondements
et ses règles qu'il s'agit de savoir utiliser avec maîtrise, ce qui n'est pas si
facile qu'il peut paraître.
Les règles de la logique actuelle ne sont pas définitives, loin de là.
Combien, inconsciemment et en toute bonne foi, sommes-nous exposés à ce
que l'on appelle des sophismes, c'est-à-dire à des déductions qui ne répondent
pas au réel expérimental.

C'est là, peut-être, la source vive des plus grands malheurs de l'humanité.
Les Grecs anciens, ces grands penseurs, ont bien médité sur les sophismes.
Rappelons Zénon d'Elée avec son exemple d'Achille et la tortue, Il montre
et prouve par un raisonnement qui semble impeccable qu'Achille, qui court
après la tortue, ne l'atteindra jamais, alors que la plus simple expérience nous
prouve immédiatement le contraire.

46

E
Combien de raisonnements honnêtes et scrupuleux sont du même type.
GALILEE a été condamné par le Pape et la curie, qui arguaient que son
raisonnement était contraire au bon sens, et cependant...

Les physiciens, dans leurs recherches, se heurtent souvent à des diffi-


cultés de base dans l'énoncé de leurs prémisses et de leurs axiomes. Par
exemple on peut citer les questions suivantes : Divisible ou indivisible, fini
ou infini, onde ou corpuscule, et combien d'autres.
Et cependant il faut agir. Alors on raisonne par ce que l'on appelle complé-
mentarité. On choisit les axiomes les plus fructueux, quitte, à l'occasion, à
changer d'hypothèses et de principes.
Les découvertes surgissent où on les attendait le moins. FLEMING est
avisé qu'il a été commis une erreur dans son laboratoire, de ce fait, une
expérience de culture devient inutilisable et il faudra tout recommencer. Alors
le génie du savant découvre que cette erreur engendre une découverte fonda-
mentale et il en conclut sans idée première, à la naissance de la pénicilline
qui va bouleverser bien des concepts médicaux.
On parle souvent du nez de Cléopâtre ou du calcul de Cromwell.
C'est pourquoi le Franc-Maçon, devant le réel du moment, reste prudent
et parfois sceptique.
Voilà pour la vérité.

Abordons maintenant la morale comme règle de conduite dans les rapports


entre humains, comme règle à respecter pour la bonne marche de l'huma-
nité par rapport à nos buts, comme nous venons de le dire.
Cette morale, cet ensemble de règles qui a pour fondement la justice,
qu'on le veuille ou non, ne peut être qu'évolutive selon les situations et les
événements.
Longtemps on a cru que le perfectionnement de la morale conduisait à
un ensemble définitif et absolu. L'expérience nous a enfin montré qu'il n'en
est rien. Nous-mêmes l'avions cru mais nous avons été dans l'obligation
d'en arriver à cette conclusion et l'étude de la morale, de la justice, est un
sujet constant d'évolution sans fin.
C'est pourquoi il est dit que dans nos Loges l'élaboration de ce que nous
appelons notre édifice, ne sera jamais terminée.
Donc, dans nos travaux, dans nos recherches, dans nos conclusions, il
y a bien souvent des différences de points de vue qui s'affrontent, cela est
inévitable, mais aussi précieux, voire indispensable pour rechercher l'efficacité.

47
C'est pour cela que nous attachons une si grande importance à la tolérance
dans nos principes et c'est là que je voulais en venir.
C'est pourquoi nous nous efforçons d'avoir pour principe et règle absolus
de laisser à chacun la liberté d'exprimer ses opinions alors même que
nous ne les partageons pas toujours.
Cela consiste, non à renoncer à ses convictions, ou à s'abstenir de les
manifester, mais à s'interdire tous moyens violents, injurieux ou dolosifs,
en un mot à proposer ses opinions sans chercher à les imposer.
II
Mais alors se pose une question la tolérance a-t-elle des limites ? Je
réponds OUI, devant l'intolérance.
Et pour conclure, je ne peux pas m'empêcher de citer notre Frère
VOLTAIRE qui, dans son dictionnaire philosophique au mot Tolérance écrit
Qu'est-ce que la tolérance ? C'est l'apanage de l'humanité. Nous sommes
pétris de faiblesse et d'erreurs. Pardonnons-nous réciproquement nos sottises,
c'est la première loi de la nature.
Voilà pourquoi tous les membres de la Grande Loge de France font de
la tolérance leur principe absolu, et voilà pourquoi tous les Francs-Maçons
s'efforcent de s'entendre pour le plus grand bien de l'humanité.

Ainsi, les auditeurs qui nous ont fait l'honneur de nous écouter ce matin,
auront peut-être une idée plus claire de nos préoccupations dans les divers
aspects de la pensée contemporaine. I

NOVEMBRE 1975

48
--

LE VIEIL HOMME
ET L'ENFANT
C'était par une nuit très profonde. La fraîcheur avait progressivement
remplacé la chaleur torride de la journée. Les étoiles scintillaient par miriades
dans le ciel et la terre se rechargeait en énergie cosmique. Les hommes,
dans un calme absolu, goûtaient un repos bien mérité.
Dans le Temple qui se profilait sous la voûte céleste, régnait l'activité
fébrile des soirs d'initiation. Toutes blanches, les silhouettes des hiérophantes
glissaient le long des murs de porphyre noir vers les lieux sacrés. Encastrés
dans les murs, les lampes à huile répandaient leurs lumières blafardes sur
les bas-reliefs aux inscriptions cabalistiques.

A quelques pas de là, dans une petite salle annexe, le Vieil Homme,
philosophe, savant et érudit notoire attendait qu'on l'initiât. Les épreuves pré-
liminaires de son initiation devaient comporter l'exposé do son testament
philosophique, reflet exact de sa pensée. Tandis qu'il s'apprêtait à en donner
lecture, essayant dans l'obscurité de la pièce de scruter ses interlocuteurs, il
parvint à distinguer peu à peu les traits de l'un d'entre eux. C'étaient ceux
d'un enfant blond, au sourire angélique, aux yeux pétillants et aux cheveux
tout bouclés. L'enfant était absolument seul. Il n'y avait plus personne d'autre
Manifestement, il s'agissait là d'une erreur cet enfant ne pouvait rien
comprendre à son discours.. Le vieil homme appela, protesta, vociféra, puis,
comme personne ne venait, il se tut et se mit à réfléchir. Dans la pénombre
devant lui, l'enfant continuait à sourire. Ce fut la première épreuve du vieil
homme...

Quelques heures plus tard, un hiérophante entra dans la pièce. Sa haute


stature contrastait avec celle de 'enfant. Tu es venu chercher la lumière
et c'est vers elle que constamment se dirigeaient tes pas, mais c'est dans
l'obscurité qu'elle se cache. Ce qui te paraît brillant n'est qu'illusion. Le

49
chemin de la vérité passe par celui des ténèbres. Accepte-les, deviens leur
enfant, l'enfant de la veuve noire, alors, seulement, tu deviendras le fils du
soleil. En acceptant la mort, tu accèderas à la vie, car l'une ne va pas sans p
l'autre. Mourir, c'est vivre et vivre, c'est mourir. C'est en acceptant la mort
que la vie comporte en elle que tu accéderas au couple de la vie et de la
mort, dont la symbiose constitue la vie éternelle. De même l'homme en
s'accouplant avec son opposé féminin, engendre la vie de l'enfant, cet enfant
blond auquel tu n'as pas su parler tout à l'heure.
Bois à présent de ce breuvage et accomplis ton voyage dans l'obscurité
révélatrice... Le silence régna à nouveau dans la pièce et le vieil homme
médita... La flamme de la lampe vascillait de plus en plus et projetait sur
le mur des ombres gigantesques et tourmentées. Bientôt elle s'éteignit et tout
plongea dans les ténèbres... Le viel homme eut peur un moment il regretta
;

d'être venu, Quelque part on entendait l'eau ruisseler sur le mur.


Le vieil homme fixa son attention sur elle et laissa gambader son esprit...
Il rêva d'une ville ancienne dans laquelle il marchait sans cesse. Les
rues en paraissaient désertes et il n'y avait personne aux fenêtres. Pourtant,
à en juger d'après les marchandises sur les étalages, il s'agissait d'une ville
bien peuplée. Peut-être qu'à force de marcher ne remarquait-il plus ses habi-
tants. Lorsque l'on prend l'habitude de passer par les mêmes rues, devant les
mêmes magasins, devant les mêmes personnes, on finit par ne plus les
remarquer. C'est ainsi que notre marcheur fut très étonné lorsqu'une fenêtre
s'ouvrit et qu'une vieille femme lui cria d'entrer pour se désaltérer. « Je n'ai
pas l'habitude, lui répondit-il ma vie consiste à marcher et si je m'arrêtais,
je ne serais plus moi-même car je suis le marcheur des rues. La ville
était de la sorte remplie de différentes catégories d'hommes-automates qui
accomplissaient tous leur métier. Les uns calculaient, faisaient des statis-
tiques, spéculaient, vendaient les autres cherchaient, soignaient, surveil-
laient, jugeaient et aucun ne pouvait s'arrêter. C'est pour cette raison que la
ville paraissait déserte, car les marcheurs ne pouvaient apercevoir que les t
marcheurs, les spéculateurs que les spéculateurs, les juges que Tes autres
juges et les dignitaires que les autres dignitaires. Chacun d'eux ne pouvait
concevoir qu'il pût exister une autre conception de l'existence que Ta leur.
Au fond d'eux-mêmes ils avaient peur de l'inconnu mais n'avaient pas assez
de courage pour se l'avouer. Pour vivre en paix avec eux-mêmes, ils préfé-
raient mépriser les autres corporations plutôt que de chercher à les connaître.
Le vieil homme se réveilla dans une pièce aux couleurs bleues. Au fond,
apparaissait un grand cercle d'or, à l'intérieur duquel figurait le chiffre 13 et
tout à côté, à droite du cercle, une spirale d'ivoire. Le vieil homme fixait avec
curiosité et étonnement ce graphisme lorsque une voix se fit entendre
Observe bien ce cercle, les hommes automates de ton rêve s'y trouvent,
prisonniers, comme l'écureuil dans sa roue (le vieil homme eut à peine le
temps de s'étonner que Id voix eut connaissance de son rêve, car elle

50
enchaînait aussitôt). Le cercle, c'est le symbole de l'automatisme de la vie. II
concerne les réactions dont l'homme est le jouet son conditionnement par
:

le milieu qui l'entoure, son emprisonnement par les idées qu'il croit dominer
et qui le dominent, parce qu'il a peur d'en changer et enfin sa dépendance
d'autrui parce qu'il croit devoir s'affirmer par rapport aux autres et non par
rapport à lui-même.

La voix se tut quelques instants, puis reprit


Le grand cercle zodiacal du cosmos est divisé en 12 parties dont
nous subissons les influences à notre naissance et durant toute notre exis-
tence terrestre. Ceux qui traversent le cycle zodiacal, autrement dit, l'année,
n'ayant, en aucun point progressé, affrontent la 13 étape, c'est-à-dire à
nouveau la première, comme un recommencement stérile. C'est la signifi-
cation maléfique du chiffre 13, la raison pour laquelle, par exemple, on évite
d'être 13 à table. Ceux, au contraire, qui traversent le cycle zodiacal en pro-
gressant, affrontent la 13 étape, comme le passage d'un état donné vers un
état plus avancé.

C'est la signification bénéfique du chiffre 13 la raison pour laquelle


on le considère comme un porte-bonheur.

Les hommes qui progressent passent de la vie en cercle vers la vie en


spirale, symbole de progrès évolutif, celui qui les mène du stade de l'homme
animal vers celui de l'homme dieu.
Le 25 décembre, les hommes fêtent la naissance du Christ. Nous sommes
à l'époque du solstice d'hiver. Les jours sont réduits à leur plus courte durée
et longues sont les nuits. Mais voilà que, sortant de l'obscurité, les jours se
mettent à croître et diminuer les nuits. La lumière entame sa revanche sur
les ténèbres, la victoire n'est cependant pas encore assurée. C'est à l'équinoxe
de printemps qu'elle le sera. La durée du jour y égale, puis dépasse celle de
la nuit ; c'est la renaissance du Christ solaire, l'Eglise fête Pâques. Par la
suite, le Christ solaire continue en vainqueur son Irrésistible ascension vers
la victoire totale, celle du solstice d'été, couronnée par la fête de la
Pentecôte.

De sa durée la plus courte, à la Saint Jean d'Hiver (Jean l'Evangéliste), à


sa durée la plus longue, à la Saint Jean d'Eté (Jean le Baptiste), le jour
oscille entre les deux pôles déchirants de la dualité.
li faut qu'il croisse et que je diminue '., dit Jean l'Evangéliste à propos
de Jean le Baptiste.

C'est au sommet de la croissance, autrement dit à la Pentecôte, que se


joue le dénouement du drame cosmique. Ou bien l'homme reçoit, comme les
saints apôtres, l'Esprit Saint, autrement dit, prend conscience du troisième
terme, et sort de la dualité, ou bien il retombe, avec les jours qui diminuent.

51
vers le cycle sans fin du calendrier liturgique. C'est le choix entre le cercle
karmique des réincarnations successives et celui de la rédemption qui en T
libère. Souviens-toi bien, reprit le Grand Maître, que la nature et le cosmos
sont les éternels guides de l'homme. Chaque année, l'arbre qui suit le cycle
des saisons grandit et pousse vers le ciel. De même l'homme peut s'inspirer
de la nature pour progresser. C'est en toi que tu construiras le temple sacré
par l'observation des affinités naturelles de la coïncidence des gestes avec
les temps universels. La magie du sacré est de savoir faire le geste juste,
dans le milieu juste, au moment cosmiquement juste »'. Et le vieil homme
répéta pour mieux se souvenir La magie du sacré est de savoir faire le
geste juste dans le milieu juste au moment cosmiquement juste «. Le geste
du semeur serait inutile s'il ne s'accomplissait à la bonne saison.
Un bruit du vent emplit le temple. Le Grand Maître se retira. Au loin
les hiérophantes terminaient leur chant. A nouveau, le vieil homme se sentit
confronté à lui-même. A cet instant un curieux personnage fit son apparition.
Son costume tenait de la mascarade et son visage grimaçait. Oui
êtes-vous ? « lui demanda le vieil homme. Je suis le fou «, lui répondit le
personnage et il se mit à interprêter toute une série de rôles dont le cornique
ne manqua pas de faire sourire le vieil homme. Le fou était intarrissable ses
mimiques et ses gestes révélaient en lui le talent d'un grand comédien. Pour
terminer, il déclara avec le plus grand sérieux : Le grand sage, c'est moi
puis comme le visage du vieil homme exprimait le doute devant de telles
allégations, il éclata de rire et reprit ' Oui, je suis plus sage que toi car je
suis fou et tu vas comprendre pourquoi ma folie est plus proche de la
sagesse, que toute ta science. Si je joue sans cesse des rôles et en change,
comme on change de chemise, c'est que je sais que ma réalité se trouve tou-
jours en dehors des rôles que j'interprôte. Les interprétant tous, je sais que
tous, ils sont faux, tous artificiels et vides. « A cet instant, le vieil homme
comprit le sens profond des carnavals et leur portée initiatique. Il comprit
également pourquoi aux époques où le monde était encore gouverné par des
sages, les monarques s'entouraient toujours d'un fou, unique personnage de
la cour qui avait le droit absolu de tout dire à son monarque.
Les idées bourdonnaient dans la tête du vieil homme, Il pensait à la
réalité, à ce qu'elle devait être. A présent, il la sentait confusément, très
confusément poindre à l'horizon de sa conscience. Le fou avait disparu. Dans
la pénombre, la voix de l'hiérophante se fit entendre à nouveau « La réalitê
est toute simple, ouvre-toi à elle...

Comment ? «, murmura le vieil homme.

C'est simple, cesse de confondre le menu avec le repas lui-même, les


mots avec les évidences, les concepts avec la nature des choses. Abandonne
les idées, les théories, les brillantes constructions oratoires et écoute, écoute I
ton intuition et ta spontanéité. Méfie-toi des savants, des docteurs, des
avocats, des hommes de lettres, ils croient savoir, mais ne connaissent rien,

52

L.
leur savoir analytique se borne au domaine des conséquences et des causes
superficielles. Lorsque tu fais la planche sur l'eau, tu relâches tous tes muscles
pour pouvoir flotter, car si tu te crispais, l'eau cesserait de te porter. Il en
est de même pour ton esprit. Relâche-le et alors la réalité pourra y pénétrer
librement et spontanément. La réalité n'a pas besoin de définitions, d'ana-
lyses de synthèses ou de belles théories. Il faut la laisser venir à toi et non
aller vers elle : pour y parvenir, adopte une attitude mentalement neutre et
ouvre ton coeur aux émotions. L'émotion constitue le meilleur moyen de
confondement. En te confondant avec quelque chose soit par concentration, soit
par amour, tu quitteras la dualité et te rapprocheras de l'unité. Ne l'oublie
jamais : comprendre quelque chose, c'est s'identifier à elle et non l'analyser ».

Le silence s'établit à nouveau. L'enfant blond réapparut. Le vieil homme


tressaillit, li s'imagina la façon dont cet enfant avait dû le percevoir tout
à l'heure, lui, si rigide, si enferré dans ses théories, dans sa dignité illusoire,
dans son rôle de savant, et, à présent, si déconfit et si perdu qu'il en sourit.
Il se voyait à travers les yeux de l'enfant, inintéressant et vieux, comme une
vieille écorce devenue inutile, mais, chose curieuse, ce spectacle ne l'emplis-
sait pas de chagrin mais le faisait rire. L'enfant, lui aussi s'était mis à rire et
le son de sa voix résonnait dans le temple. Ce n'était plus le vieillard qu'il
voyait, mais un être jeune, déguisé en vieillard. Leurs deux rires s'accordèrent,
s'amplifièrent, se confondirent en un seul. L'enfant emplissait le coeur du vieil
homme, le vieil homme emplissait le coeur de 'enfant. Leurs âmes vibrèrent
au même rythme. La sagesse du vieillard pénétra l'enfant. Les forces vives
de l'enfant pénétrèrent e vieil homme et sa renaissance se réalisa.
Dehors, les étoiles s'éteignaient une à une. Au loin, le coq poussait son
cri strident et derrière le temple, resplendissant de lumière et de gloire, le
soleil victorieux franchissait l'horizon...

DECEMBRE 1975

53
LES LIVRES

Raymond RUYER
Les nuisances idéoogques
(Colmann-Lévy)

Les épidémies idéologiques sont les pestes noires de notre


temps «. En effet si l'homme de notre temps est surtout frappé par
les nuisances des techniques. il semble aveugle devant les nuisances
de l'idéologie. Ce sont celles-ci, que R. Ruyer veut dénoncer dans un
livre brillant, riche en analyses, et où l'humour sait s'allier au sérieux, la
passion discrète à une culture sûre et vaste. Notre époque vit sous
l'empire des idéologies, celles du racisme et du nationalisme, celles
du sexualisme ou du marxisme, celles non moins dangereuses, de
la civilisation technologique, et de la société industrielle, sans oublier
celles de la nouvelle pédagogie, et de la culpabilisation universelle
que véhiculent, la télévision, la radio, et la presse en général.
R. Ruyer les étudie successivement, les décrit, en démontre le
mécanisme. Il définit l'idéologie en général comme une ' théorie en
contrefaçon «, comme un système d'interprétation sur lequel on
s'appuie pour juger dogmatiquement la vie et la société humaines.
L'idéologue est un croyant « qui se déguise en ' savant «, qui prend
son auto-suggestion pour une prise de conscience, et la lecture hallu-
cinée qu'il fait du monde, pour un déchiffrement. Toute idéologie en
effet répond à une envie de comprendre mais selon une envie de
croire. Elle est une arme qui se donne comme une théorie. De plus
chaque idéologie se présente comme un outil à tout faire, une sorte

55
de clé universelle qui permet de tout comprendre, par une seule idée,
par une seule « écriture sainte », souvent résumable en une formule
élémentaire et simpliste.
Ajoutons enfin que l'idéologie se présente d'abord comme une
intoxication, ensuite comme intimidation. R. Ruyer démontre avec beau-
coup de finesse ce qu'il appelle le « truc « des idéologues et en donne
quelques exemples. C'est ainsi que l'idéologie marxiste se donne d'abord
comme une science, un système général de déchiffrement social
les intérêts économiques entraînent des contradictions qui débouchent
sur la lutte des classes et seule la révolution socialiste peut absorber
ces contradictions. Ces intérêts économiques constituent des infra-
structures qui rendent compte de toute l'histoire de l'humanité. Cepen-
dant, le marxisme ne se limiterait pas là : il ajoute si vous n'adoptez
pas cette théorie et cette vision de l'histoire vous êtes un aveugle
ou mieux un complice de l'exploitation des hommes, c'est-à-dire en
définitive un « salaud «.
De la méthode psychanalytique admirable en elle-même découle
aussi une sorte d'idéologie freudiste « ou sexualiste, (dont faut-il
ajouter, Freud n'est pas plus responsable que Marx ne l'est de certaines
formes du marxisme). Le freudiste « nous donne un déchiffrement
de la vie psychique tout entière, à partir des seuls instincts sexuels,
une explication qui se veut exhaustive et totale. Et si vous n'acceptez
pas intégralement cette explication, c'est que là aussi, vous êtes vous-
mêmes aveuglés par vos propres complexes, complètement refoulé, et
soumis aux plus archaïques tabous (sic). Là encore, honte à vous -
homme d'un autre âge et d'un autre passé. Quant à l'idéologie de Nietzsche,
ce ' philosophe au marteau qui brise nous dit-il toutes les anciennes
valeurs, de justice, de bonté, de fraternité humaine, quant à l'idéologie
nietzschéenne, elle vous tient pour un esclave, « un pauvre type
attaché à la morale traditionnelle de « papa et de grand-papa «, et
digne donc du plus grand mépris.
A l'intoxication succède l'intimidation et à l'intimidation, le
terrorisme qui hélas dans certains cas, n'est pas qu'intellectuel voilà
le fond commun de nos morales à la mode, de nos snobismes intellec-
tuels, que véhiculent à qui mieux mieux, la télévision et la radio, le
cinéma et la presse écrite. Entreprise de culpabilisation universelle,
et de démagogie délirante. Démagogie de l'esprit plus dangereuse
encore que la démagogie politique. Celle-ci nous trompe pour conquérir
le pouvoir. Celle-là corrompt l'esprit de chacun pour être à la mode,
et se faire un réputation. Quelle réputation, seigneur mon Dieu
Cette démagogie idéologique qui s'attaque à toutes les règles tra-
ditionnelles, à toutes les valeurs, présentées au bon public archaïque
comme autant de préjugés dépassés et de tabous, entraîne néces-
sairement la fin de notre civilisation et la mort de l'homme lui-même.
La paranoïa de nos chers intellectuels est plus néfaste encore que la
folie des politiques.

56
R. Ruyer propose ironiquement de constituer une commission des
fraudes idéologiques ', une sorte de bureau veritas qui obligerait
les vendeurs de poisons cérébraux à mettre sur leurs livres « Dange-
reux pour la santé mentale et morale
Les idéologues stupéfient leurs adversaires en parlant sans cesse
du « sens de l'histoire « car il est évident que eux seuls la connais-
sent et savent l'interpréter. Et peut-être pendant un certain temps
peuvent-ils sembler avoir raison. Mais les autres, ceux qui n'ont que leur
simple bon sens, devraient aussi comprendre qu'il y a des lois plus
puissantes encore que le sens momentané et provisoire de telle partie
de l'histoire. Ce sont les lois de la vérité elle-même. Cet optimisme
à long terme doit aider l'honnête homme de notre temps à supporter
les erreurs et les nuisances innombrables et variées mais éphémères
des idéologies.
M. Raymond Ruyer a écrit là un beau livre qui rompt avec ce
néo-conformisme d'une certaine « intelligentsia à la mode un livre
franc, sain et tonique. Puissent tous ceux qui sont attachés aux valeurs
fondamentales de nos civilisations, et tous ceux qui veulent défendre
un authentique humanisme aujourd'hui plus que jamais menacé, lire
ces pages et les méditer.

HADES
Les mystères du zodiaque
Albin Miche! [CoIl. Les chemins de l'impossible 28 F).

Les mystères du zodiaque sont évoqués par Hadès (1) qui en cet
ouvrage fournit les notions capitales des signes zodiacaux. Dans d'autres
écrits l'auteur a montré comment s'établissait un thème ce n'est donc
;

pas un manuel pratique, mais une dissertation qui vise le plan spirituel
peut-être la Tradition révèle-t-elle ici un visage moins ésotérique tel que
celui évoqué par les ouvrages de Volguine qui e su lier l'homme au
Cosmos et en montrer les lois éternelles.

(1) Albin Miche!, cou. Les Chemins de l'impossible : 28 F.

57
I
Christopher MCINTOSH
L'astrologie dévoilée
Fayard.

Après ce livre d'une recherche de la pensée spirituelle voici de I


Christopher Mclntosh L'astrologie dévoilée (2). Ce livre traduit de l'anglais
par Jean-Bernard Blandenier suit le cheminement de l'astrologie à travers
l'histoire avec l'évocation des civilisations nous voyons que chacune
d'elles a été préoccupée par la puissance des astres sur la nature
humaine. Un livre de bon ton, mais on se demande ce que représente
la préface de Bharati qui nie finalement le contenu de l'ouvrage.

Roger CAILLOIS
La dissymétrie
(NRF)

Remarquable ouvrage, d'une densité et d'une somme de réflexions


intenses, tel se présente ce petit ouvrage de 90 pages La dissymétrie
:

(NRF). Roger Caillois, de l'Académie Française, oppose la dissymétrie


à l'asymétrie, c'est-à-dire à l'absence totale de symétrie. Par ces notions
nous parvenons à l'entropie mais l'auteur débouche curieusement sur la
liberté. Roger Caillois étudie aussi les valeurs de la main, de la droite
et de la gauche. « Ainsi la tyrannie de la symétrie annonce dans un
premier temps une diminution de l'invention créatrice «, (p. 75). Et
recherchant le rôle de la dissymétrie dans la société et dans l'art, Roger
Caillois aborde quelques formes d'interdits. Voici une très belle suite à
L'homme et le sacré.

(2) Fayard.

58

b
Luc BENOIST
Signes, symboles et mythes
PUF, Que sais-je ? n° 1605.

Luc Benoist qui a écrit de nombreux livres dans la collection Que


sais-je ? enrichit encore cette féconde et intéressante formule des
Presses Universitaires de France par Signes, Symbo!es et Mythes (no 1605:
4,50 F). C'est un livre très riche, trop riche pour ces 128 pages, où l'au-
teur ne peLit qu'effleurer ces thèmes qui vont de la théorie du geste,
à l'ambivalence des symboles (que ce soit le centre, l'axe du monde, les
couleurs, le monde souterrain] mais aussi aux rites, aux mythes. Le
lecteur reste un peu sur sa faim, mais il est aussi certain que Luc
Benoist sait faire découvrir un monde en restant dans la pensée
traditionnelle.

Symbolisme des couleurs


La revue Atlantis (30, rue de la Marseillaise, 94300 Vincennes) fait
paraître deux numéros consacrés à la o Symbolique des Couleurs «,
n 282 et 283. ,jacques d'Arès, rédacteur en chef, souligne dans son
éditorial l'apport de l'excellent livre de Frédéric Portai ' Des couleurs
symboliques dans l'antiquité, le Moyen Age et les temps modernes
et dont les rééditions sont presque toutes épuisées (les Editions de la
Maisnie viennent de sortir ce livre). Après ce grand ouvrage d'une symbo-
lique qui débouche sur l'unité, notons également de René Lucien Rousseau
Les couleurs, livre publié par Flammarion en 1959. Nous avons nous-
mêmes participé le 8 août, à l'émission de Frédéric Christian consacrée
aux couleurs (et à leur symbolisme) sur la chaîne de France-Cuiture.
Notons que le Traité des Couleurs de Goethe (1), cet étonnant ouvrage
qui analyse les couleurs physiologiques, physiques, chimiques en donnant
leur rapport avec la philosophie, la pathologie, les valeurs psychiques
vient d'êtêre réédité. Les Editions Triades ont repris l'introduction
et les notes de Rudolph Steiner (1883), un ensemble de 46 pages.
L'ensemble de ce remarquable ouvrage e été traduit par Henriette
Bideau (1). Ainsi biologistes, psychologues, physiciens, artistes
symbolistes prendront un grand intérêt à la lecture de ce livre que
Goethe considérait comme important dans son oeuvre.

Editions Triades 4, R. Grande-Chaumière, Paris (6')


Le livre de Poche.

59
Les arts se rapprochent de pensées métaphysiques et la plasticité
des oeuvres denses, qui paraissent figées, parce que sans doute éter-
nelles. C'est ainsi que Jean Laude étudie avec minutie et grand esprit
Les Arts de l'Afrique noire (2). Il y a une pénétration spirituelle et
Jean Laude, en respectant la pensée d'un peuple qui reste mystérieux
a su montrer la valeur éternelle de cet art ésotérique, dont le message
nous émeut. D'abondantes illustrations montrent la beauté émouvante
de ces statuettes et de ces masques fascinants.

Jean-Michel ANGEBERT
Les cités magiques $

(Albin Michel)

Les Cités magiques de Jean-Michel Angebert nous enchantent. Non


seulement parce que les auteurs nous entraînent à Thèbes, Jérusalem,
Rome, Prague, Machu-Pichu, Benarès, Lhassa, mais aussi parce que cette
visite montre toute la valeur ésotérique de ces constructions. Cet écrit
reflète l'esprit traditionnel et montre que cette architecture a été liée
aux grandes lois cosmiques. Aussi tout ce livre fournit des notes pré-
cieuses la ville d'autrefois, cette ville traditionnelle, permet d'évoquer la
valeur intrinsèque des obélisques, des coupoles, de la couleur verte, des
carrés magiques. On passe de la Kabbale à la pensée tantrique, des
Incas aux Egyptiens ou aux Thibétains. Un livre plaisant à lire, un guide,
mais qui débouche sur des valeurs éternelles, sur le comportement
humain. Je vous recommande ce livre.

P. KOLOSIMO
Planète inconnue
Albin Michel (coli. Les chemins de l'impossible).

Peter Kolosimo sait nous entraîner à la découverte d'un univers


fabuleux avec La Planète inconnue. Après ses ouvrages Des Ombres
:

sur tes Etoi!es, Archéologie spatiale, l'auteur examine notre planète,


la Terre, et nous en révèle les aspects inconnus. D'intéressantes notes
sur la mer Albienne qui se situait au Sahara (p. 90) Kolosimo reprend
la théorie des continents de Wegener (p. 38) et il évoque l'Atlantide,

60
Mer, lie de Paques ; mais il parle également du Prêtre Jean, de l'Agartha,
des monstres marins, comme le serpent de mer, les dragons. Un livre
riche d'aperçus, qui nous permet d'avoir une meilleure connaissance des
mystères qui nous entourent.

J.-P. BERTAUD
Bonaparte et le duc d'Enghien
(Robert Laffon. Coli. Les Ombres de l'Histoire).

L'homme reste fort mystérieux. Pour éclairer cette « Ombre de


l'Histoire « Jean-Paul Bertrand traite Bonaparte et le duc d'Enghien
ou du duel des deux France >'. Portraits saisissants du Maître
de la France de 1804 qui découvre le complot tramé par Cadoudal,
l'ancien chef de l'armée catholique et royale, l'ex-général Pichegru et
l'un des plus prestigieux soldats de la République, le général Moreau.
Le Consul fait arrêter hors de France le duc d'Enghien, le plaçant déli-
bérément à la tête du complot et les exécutions de ces hommes per-
mettent au Permier Consul de s'orienter vers l'Empire. Un livre très
sérieux, au ton très plaisant, avec une abondante iconographie, des
notes, des repères, une fort intéressante bibliographie.

Robert AMBELAIN
Symbolique des outils dans l'art royal
(ABI).

Avec la Scala Philosophorum Robert Ambelain étudie la Symbo-


lique des outils dans l'Art Royal «. C'est un remarquable ouvrage, qui
déjà publié, restait introuvable. Robert Ambelain e revu ce classique
qui s'inscrit dans la recherche de l'Art Royal, mais il a revu et augmenté
son texte. Après des remarques générales sur la Franc-Maçonnerie, ses
origines, sa pensée, Robert Ambelain a étudié les outils aux trois
degrés initiatiques. C'est ainsi que nous aurons des remarques et des
analyses sur le maillet, le ciseau, le niveau, le compas, l'équerre, mais
aussi sur les gants portés par les Francs-Maçons. Robert Ambelain

61
I
s'éloigne des commentaires souvent puérils de ses devanciers ; on y
voit d'étonnantes correspondances analogiques avec les qualités, les
vertus, les facultés spirituelles et bien entendu l'ensemble étant
contrôlé par les lois de l'astrologie et de l'alchimie. Les outils jugés
de cette manière entraînent vers de longs commentaires axés sur les
valeurs traditionnelles et la pensée spirituelle. Un livre vivant qui
mérite une lecture approfondie.

Roger COTTE
La musique maçonnique
et ses musiciens
(Ed. du Baucens).

Roger Cotte apporte une contribution précieuse avec La Musique


maçonnique et ses musiciens. C'est le premier ouvrage d'ensemble sur
un tel sujet, et nul mieux que lui pouvait dresser ce panorama docteur
en musicologie de l'Université de Paris, fondateur du ' Groupe d'lnstru-
nients anciens de Paris , professeur à la Schola Cantorum, Roger
Cotte a dirigé de nombreux concerts il a enregistré plusieurs disques
sur la musique maçonnique. Ce livre est riche de documents et s'il y
a un grand chapitre sur Mozart, compositeur maçonnique par excellence,
nous aurons aussi des renseignements sur les loges de régiments, sur
la musique employée par Mesmer, Peladan.
On apprendra que Savalette de Langes était aussi un excellent
violoncelliste, que Rouget de l'lsle était un ingénieur militaire, mais
aussi comme on le sait un compositeur. Un livre riche qui se clôt
même par un ' dictionnaire des musiciens « (30 pages) et par une
excellente bibliographie. Un ouvrage très utile à conserver et à
reprendre car il est une mine de renseignements.

62

You might also like