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* Sauf indication contraire, les traductions sont de nous.Les éditions utilisées pour
les traités aristotéliciens sont les suivantes: Ethica Eudemia, R. R. Walzer, J. M. Mingay
(edd.), Oxford University Press, Oxford, 1991; Ethica Nicomachea, I. Bywater (ed.),
Rhetorica, Vol. XXIII, Issue 1, pp. 1–36, ISSN 0734-8584, electronic ISSN 1533-
8541. ©2005 by The International Society for the History of Rhetoric. All rights re-
served. Please direct all requests for permission to photocopy or reproduce article
content through the University of California Press’s Rights and Permissions website,
at www.ucpress.edu/journals/rights.htm.
1
2 RHETORICA
d’un seul jet. Les indices sur lesquels s’appuient les commentateurs
pour proposer une datation sont divers. Ainsi les renvois opérés
par le philosophe à des événements historiques connus par ailleurs
permettent d’avancer une ou plusieurs datations absolues de la
Rhétorique. D’autre part, les références, implicites ou explicites (par
le biais de citations) à la doctrine développée dans d’autres traités
(les Topiques, les Réfutations Sophistiques, les Politiques, les Analytiques)
fournissent autant d’arguments recevables pour une datation rela-
tive de certains passages de la Rhétorique. Enfin, les incohérences
ou les contradictions que le texte donne à lire ont permis à certains
spécialistes de tirer des conclusions d’ordre génétique, découpant la
Rhétorique en plusieurs «couches» successives et sans doute trop vite
considérées comme inconciliables les unes avec les autres; d’autres
critiques ont préféré ne pas accorder trop d’importance à ces contra-
dictions internes pour chercher à identifier le noyau invariable qui
constitue le noyau de la Rhétorique.1
L’étude suivante se propose de démontrer l’existence d’une de
ces incohérences textuelles: elle concerne l’emploi d’θικì̋ dans la
Rhétorique. Lorsque cet adjectif qualifie la λèξι̋ des discours en Rhét.
III, 7 (1408 a 11, 1408 a 25) et III, 12 (1413 b 10), il revêt en ef-
fet un sens particulier, que l’on ne retrouve ni dans le reste de la
Rhétorique, ni dans les autres traités aristotéliciens. Afin de mener à
bien cette démonstration, il faudra dégager dans un premier temps
les différentes significations que possède cet adjectif dans les traités
d’Aristote, puis confronter les résultats de cette analyse au sens que
revêt θικì̋ dans les trois passages de la Rhétorique cités plus haut.
Oxford University Press, Oxford, 1894; Catégories, texte établi et traduit par R. Bodéüs,
C. U. F., Paris, 2001; Poétique, texte, traduction et notes de J. Lallot et R. Dupont-Roc,
Collection Poétique, Editions du Seuil, Paris, 1980; Politica, W. D. Ross (ed.), Oxford
University Press, Oxford, 199212; Ars Rhetorica, R. Kassel (ed.), De Gruyter, 1976.
1
Cf. Ch. Rapp, Aristoteles Rhetorik, übers. und erl., in Aristoteles Werke in deutscher
Übersetzung, Band 4: Rhetorik, Akademie Verlag, Berlin, 1, 2002, p. 178–193, et J. M.
Rist, The Mind of Aristotle: a Study in Philosophical Growth, University of Toronto Press,
1989, p. 85–86 et 136–144.
2
Cf. aussi H. Bonitz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, réimpr. Graz, Akademischer
Druck und Verlagsanstalt, 1955, s.v. θικì̋.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 3
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de neutre substantivé employées dans le passage laissent en effet en
suspens la question de savoir s’il s’agit de parties divisibles ou de
facultés logiquement séparables).3 L’un de ces éléments est en tout
cas dépourvu de raison (τä λογον), tandis que l’autre la possède
(τä δà λìγον êχον).4 Ces deux éléments sont à leur tour divisés
de la suivante: dans la partie irrationnelle, on distingue une
partie commune à tous les êtres vivants, cause de la nutrition et
3
Aristote emploie aussi le mot φÔσι̋ «nature» (I, 13, 1102 b 13) pour faire
référence à ces «parties».
4
EN, I, 13, 1102 a 28.
4 RHETORICA
5
Cette partie purement irrationnelle est tour à tour appelée dans l’EN τä θρεπ-
τικìν «le nutritif» (I, 13, 1102 b 11) et τä φυτικìν «le végétatif» (I, 13, 1102 b 29).
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6
Cf. EN, I, 13, 1102 b 13–14: êοικε δà καÈ λλη τι̋ φÔσι̋ τ¨̋ ψυχ¨̋ λογο̋ εÚναι,
µετèχουσα µèντοι πηù λìγου «mais il semble qu’il y a dans l’âme une autre nature
irrationnelle, qui toutefois participe en quelque manière à la raison».
7
EN, I, 13, 1102 b 14–18 et 1102 b 26–28.
8
Cf. EN, I, 13, 1103 a 3: τä δ' ¹σπερ τοÜ πατρä̋ κουστικìν τι.
9
Cette partie est appelée τä âπιθυµητικäν καÈ íλω̋ τä æρεκτικìν «appétitive ou,
d’une générale, désirante» (EN, I, 13, 1102 b 30).
10
EN, I, 13, 1103 a 10.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 5
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désigner ce qui est «relatif à l’ªθο̋» et compte tenu des éléments
exposés précédemment, valables pour tous les traités éthiques aris-
totéliciens, le sens qui s’attache à θικì̋ lorsqu’il qualifie les substan-
tifs ρετ (vertu) (et deux de ses espèces: âλευθεριìτη̋ et σωφροσÔνη)
et κακÐα (vice) apparaı̂t désormais avec évidence. L’éξι̋ θικ (disposi-
tion éthique) désigne à son tour la d’être habituelle de l’ªθο̋.
Si cette disposition constitue un juste milieu dans le domaine des ac-
6 RHETORICA
tions et des passions,11 elle renvoie alors à l’ρετ θικ (vertu éthique),
telles que l’âλευθεριìτη̋ (libéralité) et la σωφροσÔνη (tempérance). Cette
vertu est distinguée de l’ρετ διανοητικ (vertu dianoétique ou intel-
lectuelle), dont les conditions d’acquisition sont différentes.12 Dans le
cas contraire, la disposition de l’ªθο̋ est vicieuse et l’on parle alors
de κακÐα (vice).
L’adjectif θικì̋ qualifie également dans les Éthiques un type de
φιλÐα (amitié), ainsi que les φιλοÐ (amis) unis par ce lien d’amitié. L’ªθο̋
impliqué dans la désignation de cette φιλÐα renvoie au caractère
moral, considéré cette fois en un sens exclusivement favorable (c’est-
à-dire qu’il renvoie à l’ρετ θικ ) des amis. Opposée à l’amitié
fondée sur le χρησιµìν (utile) et sur l’δÔ (agréable), la φιλÐα θικ ,
qui est fondée sur l’γαθìν (bien), est celle des «hommes vertueux
et semblables selon la vertu (sc éthique). Ceux-ci souhaitent en effet
pareillement les biens les uns aux autres en tant qu’ils sont vertueux,
et ils sont vertueux en eux-mêmes».13
Pour les besoins des démonstrations ultérieures, il faut souligner
ici l’importance du lien qui unit, dans les Éthiques, la notion d’ªθο̋
à celle de προαÐρεσι̋ (choix préférentiel). Aristote définit l’ρετ θικ
(vertu éthique) comme une éξι̋ προαιρετικ (disposition capable de choix
préférentiel).14 Autrement dit, la vertu éthique est, pour emprunter les
mots de P. Aubenque:
une disposition qui exprime une décision dont nous sommes le principe,
qui engage notre liberté, notre responsabilité, notre mérite: l’adjectif
it fa
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προαιρετικì̋ désigne la différence spécifique qui sépare la vertu morale,
ç
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n
qui nous est imputable, de la vertu naturelle, que nous n’avons aucun
mérite à posséder, parce qu’elle ne concerne pas notre proairesis.15
11
Cf. par exemple EN, II, 5, 1106 b 24–28.
12
EN, II, 1, 1103 a 15–17.
13
Cf. EN, VIII, 4, 1156 b 7–10: τÀν γαθÀν . . . καÈ κατ' ρετν åµοÐων; οÝτοι γρ
τγαθ åµοÐω̋ βοÔλονται λλ λοι̋ ªù γαθοÐ, γαθοÈ δ' εÊσÈ καθ' αÍτοÔ̋.
14
EN, II, 6, 1106 b 36 et EE, II, 10, 1227 b 5–11.
15
P. Aubenque, La Prudence chez Aristote, Quadrige, P. U. F., Paris, 1963, p. 119–120.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 7
ΟÊκειìτατον γρ εÚναι δοκεØ τ¨ù ρετ¨ù καÈ µλλον τ ¢θη κρÐνειν τÀν
πρξεων.
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EN, III, 4, 1111 b 5–6.16
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n
traités éthiques Aristote emploie également θικì̋ pour qualifier plus
largement un certain type de traités, de questions, de problèmes ou
de discussions qui ont partie liée avec l’objet étudié dans les traités
que l’on appelle «éthiques». L’adjectif qualifie dans ce cas les sub-
stantifs θεωρÐα, πραγµατεÐα, λìγο̋ (pris dans son sens d’«argument»)
ou πρìτασει̋, mais on le trouve également employé de ab-
solue au neutre pluriel pour renvoyer à tout ce qui relève de la
problématique éthique, que ce soient les questions «éthiques», les
«exemples» tirés des Éthiques, ou encore les livres des Éthiques
eux-mêmes.
Il faut également ranger dans cette catégorie l’occurrence d’θι-
κì̋ employée dans les Politiques avec un substantif désignant l’in-
strument musical qu’est l’αÎλì̋. Aristote détermine, dans le chapitre
6 du dernier livre des Politiques consacré à l’éducation des jeunes
gens par la musique, les types d’instruments qu’il faut employer. La
flûte doit, selon lui, être exclue:
16
Cf. aussi EE, II, 11, 1228 a 2–5: καÈ δι τοÜτο âκ τ¨̋ προαιρèσεω̋ κρÐνοµεν ποØì̋
τι̋; τοÜ δ' âστÈ τä τÐνο̋ éνεκα πρττει, λλ' οÎ τÐ πρττει. ÃΟµοÐω̋ δà καÈ κακÐα τÀν
âναντÐων éνεκα ποιεØ τν προαÐρεσιν «et c’est pour cette raison que nous jugeons que
quelqu’un est tel ou tel à partir de son choix préférentiel, car c’est là le ‘ce en vue de
quoi’ il agit, et non l’objet de son action. Semblablement, le vice aussi oriente le choix
préférentiel en vue des contraires», et EE, II, 11, 1228 a 11–15: ^Ετι πντα̋ âπαινοܵεν
καÈ ψèγοµεν εÊ̋ τν προαÐρεσιν βλèποντε̋ µλλον £ εÊ̋ τ êργα; καÐτοι αÉρετ¸τερον
âνèργεια τ¨̋ ρετ¨̋, íτι πρττουσι µàν φαÜλα καÈ ναγκαζìµενοι, προαιρεØται δ' οÎδεÐ̋
«en outre, nous louons et blâmons tous les hommes en portant notre regard sur leur
choix préférentiel plutôt que sur leurs actions—et ce, même si l’activité est préférable
à la vertu—parce qu’on accomplit des actes vils quand on y est forcé, et que personne
ne les choisit délibérément».
8 RHETORICA
^Ετι δà οÎκ êστιν å αÎλä̋ θικìν λλ µλλον æργιαστικìν, ¹στε πρä̋
τοÌ̋ τοιοÔτου̋ αÎτÀú καιροÌ̋ χρηστèον âν οÙ̋ θεωρÐα κθαρσιν µλλον
δÔναται £ µθησιν.
Pol. VIII, 6, 1341 a 21–24.
En outre, la flûte n’est pas un élément éthique, mais bien plutôt [un
élément] orgiastique, si bien qu’il faut l’employer dans les occasions où
le spectacle a une fonction de purification plutôt que d’apprentissage.17
Ici, θικì̋ renvoie à ce qui «est relatif à l’ªθο̋», l’ªθο̋ étant pris dans
un sens bien particulier qu’il s’agit de cerner.
Tout d’abord, la solution qui consisterait à reconnaı̂tre à cet
emploi d’θικì̋ le sens de ce qui est «capable d’exprimer l’ªθο̋» est
oblitérée par le fait même qu’Aristote n’évoque nulle part l’idée que
l’αÎλì̋ (ou d’ailleurs tout autre instrument de musique) possède—
ou non–, à l’instar des mélodies et des harmonies, une propriété
mimétique.18
Selon une autre interprétation,19 on pourrait admettre qu’θικì̋
désigne ici ce qui est «capable de susciter un ªθο̋». Cette signification
se tire en effet de l’opposition æργιαστικì̋ vs θικì̋, où le premier
adjectif renvoie sans ambiguı̈té à la capacité de produire un état -
enthousiaste - chez le sujet qui écoute une musique exécutée sur une
flûte. On en déduit assez aisément qu’θικì̋ revêt un sens parallèle:
à savoir, ce qui est «capable de produire l’ªθο̋» chez un individu
donné.
Dans cette hypothèse, Aristote contesterait alors l’idée que l’utili-
sation de la flûte contribue à produire un ªθο̋ particulier: c’est ce que
vient confirmer un passage ultérieur des Politiques où le philosophe
signale en effet que l’αÎλì̋ fut supprimée de l’éducation quand on
comprit que sa pratique ne tendait pas à la vertu (éthique):
Υστερον δ' πεδοκιµσθη δι τ¨̋ πεÐρα̋ αÎτ¨̋, βèλτιον δυναµèνων κρÐνειν
τä πρä̋ ρετν καÈ τä µ πρä̋ ρετν συντεØνον.
Pol. VIII, 6, 1341, a 37–39.
Mais plus tard, elle (sc la flûte) fut disqualifiée à cause de l’expérience
qu’on en (sc l’art de la flûte)20 avait, quand on fut mieux capable de juger
ce qui incitait à la vertu et ce qui n’incitait pas à la vertu.21
17
Pol. VIII, 6, 1341 a 21–24. Pellegrin modifiée (Aristote, Les Politiques, traduction
et présentation par P. Pellegrin, GF Flammarion, Paris, 1990, 19932 ).
18
Cf. infra: les Politiques.
19
Sur cette hypothèse, cf. aussi infra.
20
Cf. Pol. VIII, 6, 1341 a 32: αÎλητικ .
21
Pol. VIII, 6, 1341, a 37–39. Trad. Pellegrin modifiée.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 9
Dans le vocabulaire des sophistes, ils (sc les adjectifs en -ικì̋) ont égale-
ment servi pour désigner les aptitudes ou les capacités d’une personne
(. . .) L’emploi de l’adjectif en -ικì̋ (. . .) apparaı̂t très souple: αÎξητικì̋
chez Aristote et dans la prose scientifique signifie ‘apte à s’accroı̂tre’ et
‘qui fait croı̂tre’; κινητικì̋ ‘qui met en mouvement’ (Xénophon, etc) et
‘qui peut se mouvoir’ (Plutarque); λυπητικì̋ ‘qui afflige’ ou ‘qui s’afflige’
fa
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n
(κοιν ); Íπνωτικì̋ chez Aristote ‘somnolent’, ‘soporifère’, etc.23
22
C’est d’ailleurs l’interprétation de P. Pellegrin, qui, traduisant le passage
concerné de la suivante: «de plus, la flûte n’a pas un effet éthique mais
plutôt orgiastique», joint cette annotation: «la flûte ne provoque pas de disposi-
tions éthiquement bonnes (courage, maı̂trise de soi. . .), mais aide à provoquer des
états d’enthousiasme et de transe, par exemple, dans les Mystères» (19932 , p. 538).
23
P. Chantraine, La Formation des Noms en Grec Ancien, Klincksieck, Paris, 1933,
réimpr. Honoré Champion, Paris, 1979, § 322, p. 391 et 392.
10 RHETORICA
24
Poét. 6, 1450 a 39.
25
Poét. 6, 1450 a 15–23.
26
Poét. 6, 1450 a 23–29.
27
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
fa
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La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 11
28
Poét. 6, 1449 b 36–38: âπεÈ δà πρξε¸̋ âστι µÐµησι̋, πρττεται δà Íπì τινων
πραττìντων, οÏ̋ νγκη ποιοÔ̋ τινα̋ εÚναι κατ τε τä ªθο̋ καÈ τν δινοιαν . . . «puis-
qu’elle (sc la tragédie) est une représentation d’action et que les agents en sont des
personnages en action qui doivent nécessairement avoir des qualités dans l’ordre du
caractère et de la pensée. . .». Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc.
29
Poét. 6, 1450 a 25.
30
La Poétique livre une première définition des caractères, sur laquelle nous ne
nous attarderons pas. Cf. Poét. 6, 1450 a 5–6: τ δà ¢θη, καθ' ç ποιοÔ̋ τινα̋ εÒποµεν τοÌ̋
πρττοντα̋ «[j’appelle] les caractères ce qui nous permet de qualifier les personnages
en action».
12 RHETORICA
^Ετι δà τ εÒδη ταÎτ δεØ êχειν τν âποποιÐαν τ¨ù τραγωúδÐαø, £ γρ πλ¨ν
£ πεπλεγµèνην £ θικν £ παθητικ ν;
Poét. 24, 1459 b 8–10.
En outre, l’épopée doit comporter les mêmes espèces que la tragédie:
elle peut être simple, complexe, éthique ou pathétique;
31
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
32
Cf. Poét. 18, 1455 b 32–33: Τραγωúδ Ðα̋ δà εÒδη εÊσÈ τèσσαρα (τοσαÜτα γρ καÈ τ
µèρη âλèχθη) «il y a quatre espèces de tragédies (c’est aussi le nombre des parties dont
nous avons traité)». Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc.
33
Cf. J. Lallot et R. Dupont-Roc, Aristote, Poétique, Collection Poétique, Éditions
du Seuil, Paris, 1980, p. 292–298.
34
Cf. Poét. 24, 1459 b 15–16: δà ÇΟδÔσσεια (. . . ) θικ «l’Odyssée (. . .) est éthique».
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 13
Τ¨ù δà λèξει δεØ διαπονεØν âν τοØ̋ ργοØ̋ µèρεσιν καÈ µ τε θικοØ̋ µ τε
διανοητικοØ̋; ποκρÔπτει γρ πλιν λÐαν λαµπρ λèξι̋ τ τε ¢θη καÈ τ̋
διανοÐα̋.
Poét. 24, 1460 b 2–5.
Il faut travailler le style dans les parties sans action, celles qui ne sont ni
éthiques, ni pathétiques; car inversement, un style trop brillant détourne
l’attention des caractères et de la pensée.35
35
Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
36
Poét. 24, 1459 b 8–12.
37
Cf. supra, p. 3.
14 RHETORICA
38
Cf. supra.Trad. J. Lallot, R. Dupont-Roc modifiée.
39
Pol. VIII, 7, 1341 b 34 et 1342 a 28.
40
Pol. VIII, 7, 1342 a 3. Le terme d’ρµονÐα que nous traduisons ici par «harmo-
nie» recouvre en réalité plusieurs sens: «(1) c’est un type d’échelonnement de sons
organisés dans le cadre d’un ‘système’ (par exemple, l’octave): il se traduit alors par
‘échelle’; (2) c’est une échelle musicale d’une certaine teinture, il se traduit alors par
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 15
^Εστι δà åµοι¸µατα µλιστα παρ τ̋ ληθιν̋ φÔσει̋ âν τοØ̋ ûυθµοØ̋ καÈ
τοØ̋ µèλεσιν æργ¨̋ καÈ πραìτητο̋, êτι δ' νδρεÐα̋ καÈ σωφροσÔνη̋ καÈ
πντων τÀν âναντÐων τοÔτοι̋ καÈ τÀν λλων θÀν.
Pol. VIII, 5, 1340 a 18–21.
Et il y a, surtout dans les rythmes et les mélodies, des ressemblances,
très proches de la nature véritable, de la colère, de la douceur, mais aussi
du courage et de la tempérance ainsi que de tous leurs contraires et des
autres caractères.
‘harmonie’. Mais ce mot n’a pas le sens moderne d’accord de deux ou plusieurs notes
émises simultanément; (3) opposé à rythmos, il désigne l’ensemble des sons musicaux,
distingués des simples bruits» (P. Pellegrin, 19932 , p. 534, note 24).
41
Pol. VIII, 5, 1340 a 8–12.
42
Cf. Pol. VIII, 5, 1340 a 32–34: ^Ετι δà οÎκ êστι ταÜτα åµοι¸µατα τÀν θÀν,
λλ σηµεØα µλλον τ γιγνìµενα σχ µατα χρ¸µατα τÀν θÀν «en outre, ceux-ci
(sc les objets visibles que produisent par imitation la peinture et la sculpture) ne
sont pas des ressemblances des caractères, mais les figures et les couleurs produites
sont bien plutôt des signes des caractères». La spécificité de cette µÐµησι̋ musicale,
exprimée par le grec åµοÐωµα, est ainsi caractérisée par J. Pépin, 1985, p. 28 (qui
traduit åµοÐωµα par «correspondance» ): «les formes produites par les plasticiens ne
sont pas des åµοι¸µατα, elles n’ont rien qui corresponde vraiment aux dispositions
morales; mais celles-ci sont signalées à l’extérieur par les formes et couleurs qui
se produisent naturellement sur le corps. (. . .) Ainsi, par le truchement des signes
naturels, sculpteurs et peintres finiront par imiter indirectement les sentiments, sans
toutefois parvenir à en réaliser des åµοι¸µατα. Il en va tout autrement de la musique,
dont on a vu qu’elle imite directement les dispositions morales et que (de ce fait, peut-
on penser) elle en offre, elle, des åµοι¸µατα. C’est à établir cette différence qu’Aristote
voulait en venir dans cette apparente digression sur les arts visuels, ainsi d’ailleurs
que l’ont généralement compris les interprètes modernes. On y trouvera confirmation
de ce que la notion d’ åµοÐωµα n’est pas partout réductible à celle d’image; car, bien
16 RHETORICA
que relayée, l’imitation des sentiments par le peintre ou le sculpteur n’est nullement
dénuée de valeur d’illustration; ce n’est d’ailleurs pas ce qu’Aristote lui reproche,
mais bien de ne pouvoir agir sur les dispositions morales, alors que le musicien le
peut, précisément en raison de cette correspondance privilégiée, qu’il exploite plus
qu’il ne la produit, et qui s’exprime par le nom d’åµοÐωµα». (cf. J. Pépin, «ΣΥΜΒΟΛΑ,
ΣΗΜΕΙΑ, ÃΟΜΟΙΩΜΑΤΑ. À propos de De Interpretatione 1, 16 a 3–8 et Politique VIII,
5, 1340 a 6–39», p. 28, in: Aristoteles Werk und Wirkung. I. Band, Aristoteles und seine
Schule, J. Wiesner (ed.), De Gruyter, Berlin, New-York, 1985, p. 22–44).
43
Pol. VIII, 7, 1341 b 34.
44
P. Pellegrin, 19932 , p. 542, note 4.
45
Cf. supra.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 17
it
et qu’il possède au plus haut point un caractère courageux. De plus,
e
ç
o
puisque nous louons le milieu entre les excès, et que nous affirmons
qu’il faut le poursuivre, et que le dorien, comparé aux autres harmo-
nies, possède cette nature, il est évident que les mélodies doriennes
conviennent davantage à l’éducation des jeunes gens.46
i
e
ç
o
D’après ce passage, le dorien est une harmonie qui r la qualifica-
tion d’«éthique» en vertu de son ªθο̋ νδρεØον.47 En d’autres termes,
il ressemble au caractère courageux, c’est-à-dire qu’il reproduit di-
rectement, selon le mode particulier de la représentation musicale,
cette vertu éthique.
Plus généralement, lorsque les mélodies ou les harmonies r
vent la qualification d’«éthiques», cela signifie qu’elles sont autant
d’åµοι¸µατα (ressemblances) d’¢θη—qualifiés positivement.
46
Trad. P. Pellegrin modifiée.
47
La même remarque peut être formulée à propos des rythmes «éthiques». Cf.
Pol. VIII, 5, 1340 b 8–10: οÉ µàν γρ ªθο̋ êχουσι στασιµ¸τερον οÉ δà κινητικìν, καÈ τοÔτων
οÉ µàν φορτικωτèρα̋ êχουσι τ̋ κιν σει̋ οÉ δà âλευθεριωτèρα̋ «certains [rythmes] ont
un caractère plus régulier, d’autres, un [caractère] vif, les uns avec des mouvements
plus grossiers, les autres [avec des mouvements] plus dignes d’hommes libres». Trad.
P. Pellegrin.
18 RHETORICA
fa
ç
o
n
,
48
Cf. Rhét. 2, 1356 a 1–4: αÉ µàν γρ εÊσιν âν τÀú ¢θει τοÜ λèγοντο̋, αÉ δà âν τÀú τäν
κροατν διαθεØναÐ πω̋, αÉ δà âν αÎτÀú τÀú λìγωú, δι τοÜ δεικνÔναι £ φαÐνεσθαι δεικνÔναι
«(sc parmi les moyens de persuasion techniques), les uns résident en effet dans le
caractère de celui qui parle, les autres dans le fait de disposer l’auditeur de telle ou
telle les autres dans le discours lui-même, par le fait qu’il démontre ou paraı̂t
démontrer».
49
Sur cette question, nous renvoyons entre autresà: W. W. Fortenbaugh, «Per-
suasion through Character and the Composition of Aristotle’s Rhetoric», Rheinisches
Museum, 134, 1991, p. 152–156; W. W. Fortenbaugh, «Aristotle’s on Persuasion through
Character», Rhetorica, 10, 1992, p. 207–244; W. W. Fortenbaugh, «Aristotle’s Accounts
of Persuasion through Character», in: Theory, Text, Context Issues in Greek Rhetoric
and Oratory, Ch. L. Johnstone (ed.), State University of New-York Press, 1996, p.
147–168; W. W. Fortenbaugh, «On the Composition of Aristotle’s Rhetoric: Arguing
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 19
[Il y a persuasion] par le caractère, quand le discours est fait de telle sorte
qu’il rend celui qui parle digne de foi. Car nous faisons confiance plus
volontiers et plus rapidement aux gens honnêtes, sur tous les sujets en
général, et même totalement sur les sujets qui n’autorisent pas un savoir
exact et laissent quelque place au doute; il faut aussi que cela soit obtenu
par le moyen du discours et non à cause d’une opinion préconçue sur le
caractère de celui qui parle.
the Issue, Emotional Appeal, Persuasion through Character, Character tied to Age
and Fortune», in: ΛΗΝΑΙΚΑ, Festschrift für C. W. Müller zum 65. Geburtstag am 28.
Januar 1996 Ch. Müller-Goldingen, K. Stier (edd.), Teubner, Stuttgart, 1996, 165–188;
E. Garver, «La Découverte de l’Ethos chez Aristote», in: Cornilliat F., Lockwood R.
(edd.), Ethos et Pathos, Le Statut du Sujet Rhétorique, Actes du Colloque International
de Saint-Denis, 19–21 juin 1997, Honoré Champion, Paris, 2000, p. 15–35; W. M. A.
Grimaldi,Rhetoric: a Commentary, Fordham University Press, New-York, 1980 (t.I) et
1988 (t.II), p. 184–185; A. B. Miller, «Aristotle on Habit (êθο̋) and Character (ªθο̋).
Implications for the Rhetoric», Speech Monographs, 41, 1974, p. 309–316; F. Piazza,
«\Ηθο̋ e Πθο̋ nella Retorica dell’Aristotele», Giornale filologico Ferrarese, 13, 1990, p.
5–33; P. L. Rosenthal, «The Concept of Ethos and the Structure of Persuasion», Speech
Monographs, 33, 1966, p. 114–126; R. C. Rowland, D. F. Womack, «Aristotle’s View of
Ethical Rhetoric », Rhetoric Society Quarterly, 15, 1985, p. 13–31; E. Schütrumpf, «The
Model for the Concept of ethos in Aristotle’s Rhetoric», Philologus, 137, 1993, p. 12–17;
J. Sprute, «Ethos als Überzeugungsmittel in der aristotelischen Rhetorik», in: Rheto-
rik zwischen den Wissenschaften: Geschichte, System, Praxis als Probleme des historischen
Wörterbuches der Rhetorik, G. Üding (ed.), Max Niemeyer Verlag, Mayence, 1963, p.
281–290; V. V. Val’čenko, «Ethos in Aristotle’s Rhetoric», Vestnik Drevnej Istorii, 168,
1964, p. 37–59; F. Wisse, Ethos and Pathos from Aristotle to Cicero, Hakkert, Amster-
dam, 1989; M. H. Wörner, Das Ethische in der Rhetorik des Aristoteles, Verlag Karl Alber,
Freiburg / München, 1990.
50
Cf. Rhét. II, 1, 1378 a 6–16: ΤοÜ µàν αÎτοÌ̋ εÚναι πιστοÌ̋ τοÌ̋ λèγοντα̋ τρÐα
âστÈ τ αÒτια; τοσαÜτα γρ âστι δι' πιστεÔοµεν êξω τÀν ποδεÐξεων. ^Εστι δà ταÜτα
φρìνησι̋ καÈ ρετ καÈ εÖνοια; δι' φροσÔνην οÎκ æρθÀ̋ δοξζουσιν, £ δοξζοντε̋
æρθÀ̋ δι µοχθηρÐαν οÎ τ δοκοÜντα λèγουσιν, £ φρìνιµοι µàν καÈ âπιεικεØ̋ εÊσιν λλ'
οÎκ εÞνοι, διìπερ âνδèχεται µ τ βèλτιστα συµβουλεÔειν γιγν¸σκοντα̋. Παρ ταÜτα
οÎδèν. Ανγκη
Ç ρα τäν παντα δοκοÜντα ταÜτ' êχειν εÚναι τοØ̋ κροωµèνοι̋ πιστìν «les
20 RHETORICA
raisons pour lesquelles ceux qui parlent sont eux-mêmes persuasifs sont au nombre
de trois: il n’y a pas davantage de raisons en effet qui, mises à part les démonstrations,
nous font accorder notre confiance. Ce sont la prudence, la vertu et la bienveillance:
ils trompent en effet sur les sujets dont ils parlent ou sur lesquels ils conseillent,
ou bien pour toutes ces raisons, ou bien pour l’une d’entre elles. Ou bien faute de
prudence, leur opinion est erronée, ou bien, leur opinion étant correcte, c’est par
méchanceté qu’ils ne donnent pas leur avis, ou bien ils sont prudents et honnêtes,
mais pas bienveillants: et c’est pour cette raison qu’il est possible de connaı̂tre le
meilleur parti sans le conseiller. Hors ces cas-là, il n’y en a pas d’autre. Il est donc
nécessaire que celui qui semble posséder toutes ces qualités inspire confiance à ceux
qui l’écoutent».
51
Cf. Rhét. 8, 1365 b 21–28: Μèγιστον καÈ κυρι¸τατον πντων πρä̋ τä δÔνασθαι
πεÐθειν καÈ καλÀ̋ συµβουλεÔειν τä τ̋ πολιτεÐα̋ πσα̋ λαβεØν καÈ τ áκστη̋ êθη καÈ
fa
ç
o
n
νìµιµα καÈ συµφèροντα διελεØν. ΠεÐθονται γρ παντε̋ τÀú συµφèροντι, συµφèρει δà τä
σÀúζον τν πολιτεÐαν «la plus importante et la principale de toutes choses pour pouvoir
persuader et bien conseiller, c’est de saisir tous les régimes politiques sans exception,
et d’analyser pour chacun d’eux les habitudes, les institutions et les intérêts. Tous
les hommes sont en effet persuadés par l’intérêt, et ce qui est intérêt, c’est ce qui
sauvegarde le régime».
52
La dont est ici défini l’èthos se distingue de Rhét. II, 1, 1378 a 6–16 pour
deux raisons. Aristote cite en I, 8 deux vertus: ρετ (exprimée ici par l’adjectif γαθì̋)
et εÖνοια, tandis qu’il mentionne en II, 1 trois vertus: ρετ , φρìνησι̋, εÖνοια. Cette
première difficulté peut être levée si l’on considère que l’ρετ de I, 8 renvoie à
cette vertu générique, formée par l’union de l’ρετ θικ (i.e. l’ρετ prise dans son
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 21
ÇΕπεÈ δà περÈ éκαστον µàν γèνο̋ τÀν λìγων éτερον ªν τèλο̋, περÈ πντων
δ' αÎτÀν εÊληµµèναι δìξαι καÈ προτσει̋ εÊσÈν âξ Áν τ̋ πÐστει̋ φèρουσι
καÈ συµβουλεÔοντε̋ καÈ âπιδεικνÔµενοι καÈ µφισβητοÜντε̋, êτι δ' âξ Áν
θικοÌ̋ λìγου̋ âνδèχεται ποιεØν, καÈ περÈ τοÔτων δι¸ρισται, λοιπäν µØν
διελθεØν περÈ τÀν κοινÀν.
Rhét. II, 18, 1391 b 23–28.
Puisque pour chaque genre de discours le but est différent, et que, au
sujet de tous (sc ces genres de discours), on a dégagé les opinions et
les prémisses d’où l’on tire les preuves à la fois dans les délibérations,
dans les discours épidictiques et dans les controverses, et qu’en outre
les éléments qui permettent de construire des discours éthiques ont été
définis, il nous reste à examiner les éléments communs (sc à tous les
fa
ç
o
n
genres de discours).
fa
ç
o
n
Aristote la présente néanmoins comme le véhicule privilégié de
l’èthos: θικοÌ̋ γρ ποιεØ τοÌ̋ λìγου̋ (elle rend en effet éthiques les
discours).56
Cette propriété de la maxime est éclairée par le lien qui a été
auparavant établi, dans les Éthiques et dans la Poétique, entre ªθο̋ et
προαÐρεσι̋. Aristote définit en effet la maxime de la suivante:
^Εστι δ γν¸µη ποφνσι̋, οÎ µèντοι οÖτε περÈ τÀν καθ' éκαστον, οÙον
ποØì̋ τι̋ ÇΙφικρτη̋, λλ καθìλου; καÈ οÎ περÈ πντων, οÙον íτι τä εÎθÌ
τÀú καµπÔλωú âναντÐον, λλ περÈ íσων αÉ πρξει̋ εÊσÐ, καÈ αÉρετ £ φευκτ
âστι πρä̋ τä πρττειν.
Rhét. II, 21, 1394 a 21–26.
54
C’est la solution retenue par Ch. Rapp, Aristoteles Rhetorik, übers. und erl., in
Aristoteles Werke in deutscher Übersetzung, Band 4: Rhetorik, Akademie Verlag, Berlin,
2002, 2, p. 717.
55
Rhét. II, 20, 1393 a 24–25.
56
Rhét. II, 21, 1395 b 13.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 23
57
Cf. également Rhét. III, 17, 1418 a 37 - b 1: ^Εχοντα µàν οÞν ποδεÐξει̋ καÈ θικÀ̋
λεκτèον καÈ ποδεικτικÀ̋, âν δà µ êχηù̋ âνθυµ µατα, θικÀ̋; καÈ µλλον τÀú âπιεικεØ
ρµìττει χρηστäν φαÐνεσθαι £ τäν λìγον κριβ¨ «si l’on a des démonstrations, il faut
parler à la fois éthiquement et démonstrativement; si l’on n’a pas d’enthymèmes, il
faut parler éthiquement. D’ailleurs il convient mieux à l’homme honnête de paraı̂tre
bon plutôt que de tenir un discours rigoureux».
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 25
fa
ç
o
n
Les θικ (éléments éthiques) mentionnés dans ce même passage
ont valeur d’indices permettant de juger la qualité d’un ªθο̋ et ren-
voient très probablement à des critères tels que l’âge, les conditions
de fortune et les dispositions analysées par Aristote en Rhét. I, 10
et II, 12–17. En effet, ces critères ne constituent pas des arguments
nécessaires permettant de qualifier, de infaillible et irréfutable,
un ªθο̋: par exemple, si les jeunes gens sont souvent irascibles, ce
n’est pas en raison de leur âge, mais uniquement à cause de la qualité
de leur ªθο̋.
58
Sur la λèξι̋, cf. B. Gernez, «La Théorie de la λèξι̋ chez Aristote», in: Théories de
la Phrase et de la Proposition de Platon à Averroès, Ph. Büttgen, S. Diebler, M. Rashed
(edd.), Études de Littérature Ancienne, 10, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1999, p. 67–79.
26 RHETORICA
it
e
ç
o
les façons de vivre sont telles ou telles. Si donc on prononce les mots
propres à la disposition, on réalisera le caractère. Car un homme grossier
et un homme cultivé ne sauraient dire la même chose, ni employer les
mêmes termes.
59
Rhét. III, 7, 1408 a 10–11: τä δà πρèπον éξει λèξι̋, âν ªù παθητικ τε καÈ θικ
καÈ τοØ̋ Íποκειµèνοι̋ πργµασιν νλογον.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 27
60
Cf. Pol. III, 4, 1276 b 30–31: τν ρετν ναγκαØον εÚναι τοÜ πολÐτου πρä̋ τν
πολιτεÐαν.
61
Cf. Pol. I, 13, 1260 a 14–24: åµοÐω̋ τοÐνυν ναγκαÐω̋ êχειν καÈ περÈ τ̋ θικ̋
ρετ̋ Íποληπτèον, δεØν µàν µετèχειν πντα̋, λλ' οÎ τäν αÎτäν τρìπον, λλ' íσον Éκανäν
fa
ç
o
n
áκστωú πρä̋ τä αÍτοÜ êργον; διä τäν µàν ρχοντα τελèαν êχειν δεØ τν θικν ρετ ν (τä
,
γρ êργον âστÈν πλÀ̋ τοÜ ρχιτèκτονο̋, å δà λìγο̋ ρχιτèκτων), τÀν δ' λλων éκαστον
íσον âπιβλλει αÎτοØ̋. Ωστε φανερäν íτι êστιν θικ ρετ τÀν εÊρηµèνων πντων, καÈ
οÎχ αÎτ σωφροσÔνη γυναικä̋ καÈ νδρì̋, οÎδ' νδρεÐα καÈ δικαιοσÔνη, καθπερ ºúετο
Σωκρτη̋, λλ' µàν ρχικ νδρεÐα δ' Íπηρετικ , åµοÐω̋ δ' êχει καÈ περÈ τ̋ λλα̋
«il faut donc supposer qu’il en est de même pour les vertus éthiques: tous doivent
y avoir part, mais pas de la même seulement dans la mesure où l’exige la
fonction de chacun. C’est pour cette raison que celui qui commande doit posséder
la vertu éthique parfaite (car sa fonction est, au sens absolu, celle de celui qui
commande, et la raison est ce qui commande), tandis que pour les autres, leur
fonction ne leur appartient que dans la mesure où elle leur convient. Aussi est-il
manifeste que la vertu éthique appartient à tous ceux dont nous avons parlé
(sc l’esclave, la femme et l’enfant), et que la tempérance de la femme n’est pas
la même que celle de l’homme, ni le courage ni la justice, comme Socrate le
pensait, mais l’un a le courage de celui qui commande, l’autre, le courage de
celui qui obéit. Et il en est de même pour les autres vertus». Trad. P. Pellegrin
très légèrement modifiée.
28 RHETORICA
62
Cf. EN, II, 4, 1105 b 25–28: éξει̋ δà καθ' ̋ πρä̋ τ πθη êχοµεν εÞ £ κακÀ̋,
οÑον πρä̋ τä æργισθ¨ναι, εÊ µàν σφοδρÀ̋ £ νειµèνω̋, κακÀ̋ êχοµεν, εÊ δà µèσω̋, εÞ;
åµοÐω̋ δà καÈ πρä̋ τλλα. Cf. le passage parallèle en EE, II, 2, 1220 b 18–20.
63
Trad. M. Dufour, A. Wartelle modifiée (Aristote, La Rhétorique, texte établi
et traduit par M. Dufour et A. Wartelle, C. U. F., Paris, 1938 (t. I), 1932 (t. II), 1973
(t. III)).
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 29
fa
ç
o
n
vraisemblance des propos qu’il leur fait tenir.
Si l’on suit cette interprétation, il faut considérer que l’énuméra-
tion de tous les critères cités par Aristote ne doivent pas être pris à la
lettre, car jamais un enfant ou une femme ne prendra la parole devant
une assemblée à Athènes. La fonction de ce passage ne consiste donc
pas à fournir au logographe des indications précises sur la
dont il devra composer son discours et réaliser une λèξι̋ θικ , mais
fa
ç
o
n
à illustrer ce que l’on doit entendre sous le terme d’ªθο̋ tel qu’il est
impliqué dans la λèξι̋ θικ .
64
Mis à part, bien sûr, les cas où ce sont les synégores qui prennent la parole.
65
Rhét. III, 12, 1413 b 3–4.
66
Rhét. III, 12, 1413 b 6.
30 RHETORICA
in
a
p
e
r
çu
e
d’évoquer brièvement son rôle dans le chapitre 12. L’Íπìκρισι̋ en-
,
globe l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’orateur qui pro-
nonce son discours pour produire un effet de proximité en mettant
les faits dont il parle sous les yeux de ses auditeurs. Elle constitue
le complément théâtral apporté au texte, dont la fonction consiste,
tout en restant à soutenir et appuyer la λèξι̋ du discours,
afin de rendre ce dernier plus persuasif.
L’Íπìκρισι̋ concerne principalement l’étude de la voix, à travers
les trois critères que sont le µèγεθο̋ (volume), l’ρµονÐα (harmonie) et le
ûυθµì̋ (rythme):
^Εστι δà αÎτ µàν âν τ¨ù φ¸νηù, πÀ̋ αÎτ¨ù δεØ χρ¨σθαι πρä̋ éκαστον πθο̋,
οÙον πìτε µεγληù καÈ πìτε µικρø καÈ µèσηù, καÈ πÀ̋ τοØ̋ τìνοι̋, οÙον æξεÐαø
καÈ βαρεÐαø καÈ µèσηù, καÈ ûυθµοØ̋ τÐσι πρä̋ éκαστα. ΤρÐα γρ âστι περÈ
σκοποÜσιν; ταÜτα âστÈ µèγεθο̋ ρµονÐα ûυθµì̋.
Rhét. III, 1, 1403 b 27–32.
Elle (sc l’action oratoire) réside elle-même dans la voix: comment il faut
s’en servir pour chaque passion, par exemple quand il faut prendre une
67
Trad. M. Dufour, A. Wartelle modifiée.
68
Cf. Rhét. III, 1, 1403 b 18–22: τä µàν οÞν πρÀτον âζητ θη κατ φÔσιν, íπερ
πèφυκε πρÀτον, αÎτ τ πργµατα âκ τÐνων êχει τä πιθανìν; δεÔτερον δà τä ταÜτα τ¨ù
λèξει διαθèσθαι; τρÐτον δà τοÔτων, ç δÔναµιν µàν êχει µεγÐστην, οÖπω δ' âπικεχεÐρηται,
τ περÈ τν Íπìκρισιν «nous avons donc consacré premièrement nos recherches,
suivant la nature, à ce qui est naturellement premier: quels sont les éléments dont
les choses elles-mêmes tirent leur caractère persuasif; deuxièmement: l’exposition,
par le style, de ces choses; troisièmement: ce qui a la plus grande puissance, mais
qui n’a pas encore fait l’objet d’une étude, tout ce qui concerne l’action oratoire».
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 31
voix forte, une voix faible, ou une voix moyenne; et comment il faut
se servir des tons, par exemple, quand il faut prendre une voix aiguë,
une voix grave, ou une voix moyenne; et de quels tons il faut se servir
fa
ç
o
n
pour chacune d’entre elles (sc les passions). L’objet des observations sont
donc au nombre de trois: le volume, l’harmonie et le rythme.69
fa
ç
o
n
manifeste une personne à travers l’air qu’elle se donne et la manière
dont elle s’exprime. Il se rattache par conséquent aux emplois tra-
ditionnels de ce terme que l’on trouve, par exemple, chez Isocrate
ou Hypéride.
Dans le Philippe, Isocrate exprime en effet l’idée que le caractère
persuasif d’un discours est imputable à la dont il sera prononcé,
à l’intonation et à l’inflexion que l’orateur donnera à sa voix et que
l’orateur désigne par le terme ªθο̋:
ÇΕπειδν γρ å λìγο̋ ποστερηθ¨ù τ¨̋ τε δìξη̋ τ¨̋ τοÜ λèγοντο̋ καÈ
τ¨̋ φων¨̋ καÈ τÀν µεταβολÀν τÀν âν ταØ̋ ûητορεÐαι̋ γιγνοµèνων, êτι
δà τÀν καιρÀν καÈ τ¨̋ σπουδ¨̋ τ¨̋ περÈ τν πρξιν, καÈ µηδàν ªù τä
συναγωνιζìµενον καÈ συµπεØθον, λλ τÀν µàν προειρηµèνων πντων
êρηµο̋ γèνηται καÈ γυµνä̋, ναγιγν¸σκηù δè τι̋ αÎτäν πιθνω̋ καÈ µηδàν
ªθο̋ âνσηµαινìµενο̋ λλ' ¹σπερ παριθµÀν, εÊκìτω̋, οÚµαι, φαÜλο̋ εÚναι
δοκεØ τοØ̋ κοÔουσιν.
Isocrate, Philippe, 26–27.
69
Un passage du chapitre 7 semble aussi inclure dans l’Íπìκρισι̋ l’adoption
de certaines expressions du visage: Cf. Rhét. III, 7, 1408 b 4–8: êτι τοØ̋ νλογον µ
πσιν µα χρ σασθαι; οÕτω γρ κλèπτεται. Λèγω δà οÙον âν τ æνìµατα σκληρ ªù, µ
καÈ τ¨ù φων¨ù καÈ τÀú προσ¸πωú καÈ τοØ̋ ρµìττουσιν; εÊ δà µ , φανερäν γÐγνεται «il ne faut
pas, en outre, employer tous les moyens analogiques en même temps; c’est ainsi,
en effet, qu’on se cachera. J’entends par là; par exemple, si les mots employés
sont durs, il ne faut pas employer et la voix, et le visage en concordance [avec
cette dureté]. Sinon, cela paraı̂tra manifeste».
32 RHETORICA
70
Trad. G. Mathieu, E. Brémond modifiée (Isocrate, Discours, texte établi et
traduit par G. Mathieu et E. Brémond, C. U. F., Paris, 1928 (t. I), 1938 (t. II), 1942
(t. III) et 1962 (t. IV)).
71
Hyperides, The Forensic Speeches, Introduction, Translation and Commentary
by D. Whitehead, Oxford University Press, Oxford, 2000.
72
De même, la λèξι̋ παθητικ (style pathétique) exclut toute référence au pathos,
moyen de persuasion technique qui consiste à induire dans l’auditoire des πθη
(passions). Elle se définit comme le style qui exprime les passions de l’orateur
(cf. Rhét. III, 7, 1408 a 16–19: παθητικ δà, âν µàν ªù Õβρι̋, æργιζοµèνου λèξι̋, âν
δà σεβ¨ καÈ αÊσχρ, δυσχεραÐνοντο̋ καÈ εÎλαβουµèνου καÈ λèγειν, âν δà âπαινετ,
γαµèνω̋, âν δà âλεειν, ταπεινÀ̋, καÈ âπÈ τÀν λλων δà åµοÐω̋ «pathétique est le
style qui, s’il y a outrage, est celui de l’homme en colère; s’il y a impiété et actes
honteux, celui d’un homme qui s’indigne et qui hésite même à les énoncer; s’il y
a actes louables, celui qui parle avec admiration; s’il y a des actes pitoyables,
de celui qui parle avec humilité; et pareillement du reste» ), c’est-à-dire l’attitude
emportée et violente qu’il adopte face au contenu que véhicule son discours.
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 33
Annexe:
les emplois d’θικì̋ dans les traités aristotéliciens
Traités livre ch. p. Bekker ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
An. Post. I 33 89b9 θεωρÐα +
EE II 1 1220a5 + +
1220a10 + +
1220a13 + +
2 1220a38 + +
3 1220b34 + +
4 1221b38 + +
5 1222a10 + +
1222b9 + +
10 1227b5 + +
1227b8 + +
VII 1 1234b28 éξι̋ +
7 1241a10 + +
10 1242b32 + +
1242b36 + +
1243a1 + +
1243a8 διλυσι̋ +
1243a32 + +
1243a35 + +
1243a36 φÐλοι +
1243b2 φÐλοι +
1243b9 + +
EN I 13 1103a5 + +
1103a7 âλευθεριìτη̋, σωφροσÔνη +
II 1 1103a15 + +
1103a17 + +
1103a19 + +
2 1104b9 + +
5 1106b16 + +
9 1109a20 + +
V 15 1138b14 + +
VI 2 1139a2 + +
1139a22 + +
1139a34 éξι̋ +
13 1144a7 + +
1144b15 «partie» +
1144b32 + +
La λèξι̋ θικ dans la Rhétorique d’Aristote 35
Annexe: (continuée)
Traités livre ch. p. Bekker ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
EN VII 12 1152b5 + +
VIII 15 1162b23 + +
1162b31 + +
X 8 1178a18 + +
1178a19 + +
1178a25 + +
MM I 1 1181a24 «questions» +
1181b28 πραγµατεÐα +
5 1185b13 + +
1185b15 «exemples» +
6 1185b38 + +
1186a2 + +
Mét. A 1 981b5 τ θικ (= Eth.) +
6 987b1 «questions» +
M 4 1078b18 + +
Phys. VII 3 247a7 + +
Poét. 6 1450a29 û σει̋ +
18 1456a1 τραγωúδ Ðα +
24 1459b9 âποποιÐα +
1459b15 ÇΟδÔσσεια +
1460b3 µèρο̋ +
Pol. I 13 1260a15 + +
1260a17 + +
1260a20 + +
II 2 1261a31 τ θικ (= Eth.) +
III 9 1280a18 τ θικ (= Eth.) +
12 1282b20 «questions» +
IV 11 1295a36 τ θικ (= Eth.) +
VII 13 1332a8 τ θικ (= Eth.) +
1332a22 λìγοι (arguments) +
VIII 5 1340a38 γραφεÔ̋, γαλµατοποιì̋ +
6 1341a21 αÎλì̋ +
7 1341b34 µèλο̋ +
1342a3 ρµονÐα +
1342a28 µèλο̋ +
36 RHETORICA
Annexe: (continuée)
Traités livre ch. p. Bekker ρετ / φιλÐα autres emplois «relatif «capable
κακÐα absolus à l’ªθο̋» d’expri-
mer l’ªθο̋»
Probl. XIX 920a6 âνèργεια +
Rhét. I 2 1358a19 «questions» +
8 1366a7 λìγο̋ +
II 18 1391b21 λìγο̋ +
1391b25 λìγο̋ +
21 1395b12 λìγο̋ +
III 7 1408a11 λèξι̋ +
1408a25 δεØξι̋ +
12 1413b10 λèξι̋ +
16 1417a16 δι γησι̋ +
1417a22 «éléments» +
17 1418a15 λìγο̋ +
1418a18 γν¸µη +
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