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REVELER L’HYPERLOCAL

Qu’est-ce que l’hyperlocal ?


Pour vous faire comprendre ce qu’est l’hyperlocal, je vais être contraint de faire un petit détour par
l’économie et la philosophie. Ca ne sera pas long. Aujourd’hui, on parle de l’économie de
l’immatériel pour désigner la capacité à innover, le capital que l’on ne mesure pas. "Aujourd'hui, la
véritable richesse n'est pas concrète, elle est abstraite. Elle n'est pas matérielle, elle est
immatérielle. C'est désormais la capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées qui
est devenue l'avantage compétitif essentiel. Au capital matériel a succédé, dans les critères
essentiels de dynamisme économique, le capital immatériel ou, pour le dire autrement, le capital
des talents, de la connaissance, du savoir. En fait, la vraie richesse d'un pays, ce sont ses hommes
et ses femmes" disaient Maurice Levy et Jean-Pierre Jouet dans leur rapport sur l’Economie de
l’immatériel.
Le capital immatériel est un élément sans substance physique et ayant une valeur positive pour
l'organisation. Cela désigne par exemple le capital intellectuel d’une entreprise, d’une
administration : sa gestion du savoir, son expertise, ses compétences, ses processus fondés sur des
connaissances explicites et implicites. Cela désigne le relationnel. Cela désigne ce qui relève de la
cognition. La culture commune. Cela désigne aussi le capital technologique et bien évidemment ce
qui a trait au numérique, invisible par essence, dénué de matérialité.
Mais on parle d’immatériel à tort explique avec raison le philosophe Bernard Stiegler. On devrait
parler d’hypermatériel, car on n’assiste pas du tout à une dématérialisation, mais au contraire à une
hypermatérialisation : tout est transformé en information, c’est-à-dire en états de matière par
l’intermédiaire de matériels et d’appareils (serveurs, disques durs... appareils de géolocalisation...).
On a l’impression que la matière a disparu, alors qu’elle est juste devenue invisible.
De la même manière, il faut distinguer le local de l’hyperlocal.
Le local, c’est ce qui se réfère à notre immédiate proximité. Ce qui concerne un lieu, une région.
Ce qui a une proximité géographique avec nous (mais aussi une proximité relationnelle). Le local
c’est ce "qui n’affecte qu’une partie du corps", dit l’une des définition du Robert...

L’information locale se réfère aux renseignements, aux évènements liés à une proximité physique.
Le local, c’est à la fois l’action et le support de l’information. Dans cette continuité, l’hyperlocal
signifie le plus souvent le fait de couvrir l’information à un niveau de granularité très fin (on parle
de niveau communautaire, car n’intéressant plus qu’une petite communauté, définit par son
emplacement géographique).
Je pense pour ma part, qu’il faut entendre le terme hyperlocal, comme on doit entendre le terme
hypermatière. L’hyperlocal, c’est quand tout ce qui est localisé est transformé en information. Pire,
c’est ce qu’implique la localisation de toute information, de tout capteur, de tout objet, de tout
profil... L’hyperlocal, c’est quand tout est devenu localisé. C’est quand toutes les pratiques,
numériques, peuvent être interrogées par leur coordonnées géographiques. L’hyperlocal c’est quand
tout est média et tout média localisé. L’hyperlocal : c’est quand tout est localisé.

Attention : rien n’est géolocalisé


Pour l’instant, rien n’est localisé. Les standards sont là depuis longtemps, mais ne sont implémentés
nul part. La géolocalisation est pour demain. Elle arrive. Mais pour l’instant, force est de constater
qu’elle n’est pas là. Le GPS va continuer à se répandre dans nos téléphones, dans nos appareils
photos (à un rythme pas aussi rapide qu’on pourrait l’espérer). La moindre image ou vidéo que nous
prendrons sera automatiquement géolocalisée, même si elle est publiée sans coordonnées. Nos
billets de blogs, nos commentaires, même nos fils twitters... Rien n’est géolocalisé. Les
microformats ne sont pas encore là. Nos adresses IP sont grossièrement localisées. Aucun site n’a de
coordonnées GPS indiquant sa situation géographique (là d’où il est produit ou le lieu dont il
parle ?)... Nos profils ont des indications de villes liées à des études ou des emplois ou de naissance
ou de résidence, mais aucun à nos déplacements.
La géolocalisation par GPS permanente n’est pas pour demain (batterie). La triangulation, certes,
mais imprécise. Pourtant, on nous l’assure, tout demain sera localisé. Les services mobiles
géolocalisés se peaufinent. Seront-ils la killer application annoncée ?
Mais nous avons nous-même une forte résistance à l’adressage : Où habitez-vous, quelle est votre
adresse : les gens mentent, dissimulent. On ne donne pas facilement son adresse. Surtout en ligne.

Quelle est la place du local dans un monde global ?


L’expression locale en ligne est encore à faire. On peut supposer qu’elle devrait rencontrer l’intérêt
des gens, mais est-ce certain ? On peut supposer que, comme dans les réseaux télécoms, l’essentiel
de l’information que nous échangerons sera locale... Mais est-ce le cas ? Les derniers relevés de
l’Arcep montrent au contraire la diminution des échanges locaux (communications locales,
interurbaines, nationales et internationales). La proximité, la relation ne veut pas dire la même
localisation. Nos échanges étaient majoritairement locaux car nos relations étaient locales. Nos
échanges seront-ils locaux dans un monde majoritairement global ?
Le local n’est pas une bonne porte d’entrée sur le web. Exemple du site web de polars de la
médiathèque. Un site local a-t-il vraiment intérêt à être bien référencé sur des thèmes peu locaux? Je
veux dire que si une grosse partie du trafic est constituée de visiteurs non locaux, alors l'audience
peut être importante mais moins intéressante pour les annonceurs locaux qui représentent
potentiellement le plus gros des clients pubs du site. Donc l'audience deviendrait moins
monétisable.
Même si on peut l’appeler de nos voeux, l’expression locale en ligne est encore bien faible :
clairsemée. J’observe le phénomène des blogs locaux depuis longtemps, et je peux vous dire que le
phénomène est resté embryonnaire, très marginal, audience faible (200 en 2004, 4 à 500 en 2008 !).
Le moindre blog BD fait 10 fois plus d’audience que le moindre blog local.
L’information locale intéresse-t-elle les gens ? Et si oui, à quel niveau par rapport à d’autres centres
d’intérêts ? Est-elle un besoin, est-elle un usage - et peut-elle être rentable ? Force est de constater,
que pour l’instant, malgré quelques succès d’audience épars, on ne peut pas dire que le mouvement
de l’information locale en ligne se soit considérablement développé ces dernières années.
Aujourd’hui par exemple, l’expression locale citoyenne vivote plutôt autour d’une petite
communauté de fondus de nouvelles technologies, d’activistes ou d’opposants virulents, de
journalistes et de citoyens passionnés.
Certes, certains analystes disent que l’absence de marché publicitaire local en ligne est préjudiciable
au développement de l’information locale, car le web n’est pas structuré pour accueillir la publicité
locale. Est-ce que cela sera suffisant ? Est-ce que la publicité est seule à même de tirer un marché ?
Certes, les offres et les services de géolocalisation arrivent. Mais les services seront-ils suffisants
pour faire décoller l’offre ?
Je ne voudrais pas la ramener encore une fois sur le sujet (même si je suis en train de le faire
quand même), mais tout le monde n'est-il pas en train de spéculer sur le meilleur moyen de
toucher une audience locale potentielle, dont personne ne cherche réellement à démontrer
d'abord qu'elle existe.

Tout le monde fait comme si tous les échecs - manifestes - à trouver cette audience locale
découlaient des défauts dans son approche, mais personne n'affronte la question de base : cette
audience potentielle existe-t-elle vraiment ?
L'audience de la presse local/départementale/régionale (version papier) est très âgée, vraiment
très âgée. Cette presse se révèle incapable, malgré de très nombreuses tentatives ces dernières
années, de toucher sur le papier un audience plus jeune (après tellement d'échecs, il va falloir
tout de même un jour reconnaître que c'est vraisemblablement impossible).

Certes l'approche initiale a été pour cette presse locale d'essayer d'utiliser le net comme un
appât pour ramener ce public jeune vers le papier. Et ça a échoué.

L'approche se modifie aujourd'hui pour essayer d'attirer et de fixer cette audience jeune sur le
net lui-même. Mais ça ne marche pas mieux.

Peut-être est-ce tout simplement parce que l'approche locale de l'info est un phénomène
fondamentalement lié à l'âge : ça n'intéresse pas les jeunes (et le net n'intéresse pas les vieux,
qui n'ont ni l'envie ni l'intérêt de modifier leurs usages quotidiens à leur âge, et préfèrent que
ça continue comme c'est, ce qui leur convient amplement).

L'approche locale de l'information relève d'un monde d'avant la mobilité scolaire et


professionnelle et d'avant la globalisation culturelle. A-t-elle encore une pertinence aujourd'hui
?

Hors presse, je constate aussi que les approches hyper-locale telles que les sites d'immeuble ou
de rue excitent beaucoup les journalistes, mais dans la pratique, ça ne marche pas du tout : le
site de mon propre immeuble, par exemple (mais qu'on m'en montre d'autres !) ne fonctionne
absolument pas. Il n'intéresse personne parmi mes voisins.

Au niveau de mon quartier, aucun site ou blog, parmi de multiples tentatives, ne décolle, tout
simplement faute de combattant : ça n'intéresse personne.

Bien sûr il reste le service (les programmes de cinéma, les horaires des crèches et des
bibliothèques), mais ça ne suffira pas à justifier l'existence d'une offre journalistique, et puis
d'autres s'en chargent déjà.

Je comprends que ça soit difficile à admettre pour certains. Mais qu'on commence par me
démontrer qu'il existe une demande réelle pour du web local, et je voudrai bien réfléchir avec
vous à la meilleure manière de la satisfaire... ;-) http://novovision.free.fr/?L-hyperlocal-l-
avenir-en-panne-de
Il faut peut-être en venir à se demander s'il existe une réelle demande du public pour du local sur le
net... Des outils existent, plus ou moins adaptés et efficaces (sites des journaux régionaux,
cityguides, sites d'associations, blog locaux...), et ils ne sont pas pris d'assaut par des foules de
lecteurs/commentateurs en demande... Si la demande était importante et pressante, elle se
manifesterait même à travers des outils inadaptés, or ce n'est pas le cas. Alors, en fait, que demande
le peuple ?
J’ai tendance à penser que ce sont les usages qui dominent. Or quelle est la part du local dans notre
périmètre d’information ? Oui, le web est social. Le web est relationnel. Mais cela ne veut pas dire
qu’il soit local. Sur l’échelle des valeurs du web, quel est notre pourcentage d’information locale
que nous sommes prêts à accueillir ? Est-ce que cela veut dire que le local n’existe pas ?
Peut-être. En tout cas, la question mérite plus d’attention qu’on ne le pense.
Reste que le local n’existe pas aussi parce que nous ne le regardons pas.
Révéler l’hyperlocal
Pour "croire" en l’essor de l’information hyperlocale, il faudrait déjà connaître le territoire
numérique local. Or, il faut bien le reconnaître, on ne sait rien des pratiques numériques qui ont
cours sur nos territoires. On ne les regarde pas. Et si on ne les regarde pas, c’est soit parce qu’elles
n’ont pas d’intérêt, soit qu’on n’imagine pas qu’elles puissent être exploitées - ou qu’on ne sait pas
encore comment.

Qui recense les blogs qui existent localement ? Qui recense et observe les Skyblogs des ados qui
s’expriment sur une ville ? Qui recense la grande diversité des sites locaux pour créer des
applications locales comme un moteur de recherche local par exemple ?

Qui va construire les nouveaux portails locaux - regardez celui de GrandGrenoble monté par
l’animateur de Greblog ? Que sait-on des usages professionnels numériques locaux ? Si on sait
identifier les entreprises qui travaillent localement avec un matériau numérique (agence web…),
comment repère-t-on les sites professionnels qui ne sont pas liés à un acteur local identifié : comme
un site dédié à une communauté particulière très active en ligne dont l’animateur serait un acteur
local ? Y a-t-il des habitants de ma ville qui proposent leurs appartements ou un couchage sur
hospitalityclub, e-cologis ou CouchSurfing par exemple ? Quelles sont les communautés
électroniques actives sur mon territoire ? Que sait-on de qui fréquente, localement, tel ou tel réseau
social ? Qui y trouve-t-on ? Quels usages localement sont-ils fait de Meetic, de eBay, de Facebook
ou de Viadeo - qui semble générer des usages d’échanges auprès des cadres et des patrons de PME
françaises notamment ? Quels usages fait-on du P2P localement - existe-t-il des modalités
d’échanges locales, comme il en existe dans des tribus d’amis ? Quels usages fait-on de la
messagerie instantanée ? Combien de personnes, localement, déclarent utiliser Skype par exemple,
puisque Skype permet d’interroger ses utilisateurs selon les localités qu’ils ont déclarés dans leur
profil ? Est-ce que cet usage progresse ?
Et comment interroge-t-on notre ville sur les réseaux ? Les requêtes locales sont-elles chaudes ? Où
précisément ? Quand les gens utilisent Mappy ou Google Maps pour avoir une information sur
notre territoire, qu’est-ce qu’ils recherchent ? Quelle partie de notre territoire suscite-t-elle le plus
de requêtes ? Pourquoi n’existe-t-il pas de cartographie des sites locaux, comme le montrait le
remarquable travail de Marina Dufeal sur l’internet marqueur de territoire (.pdf) (voir également ici)
? Quel site, originaire de mon territoire, reçoit le plus de fréquentation ? Quelle cartographie
donnerait mon territoire physique si on le regardait via l’activité des sites internet qui le
composent ?…

Qu’est-ce qui est primordial dans l’hyperlocal ?


La relation ou l’information ? C'est avoir prise sur le terrain du web local. C'est être au coeur, y
participer, le révéler. Servir d'aiguilleur. Dire là où ça se passe au moment où ça se passe. Sur le web
local, les gens ont besoin de boussoles.

C'est en cela que je pense que l'information - surtout au niveau local -, n'est qu'un prétexte. Même
quand elle vous concerne personnellement, elle n'est qu'un prétexte. Ce n'est pas l'information que
les gens cherchent sur l'internet local, c'est la relation !

Mieux fouiller les données locales


Passé le nombre de connexion Adsl, le nombre de foyers connectés, le nombre de points d’accès
publics, les sites web publics et quelques généralités sur “les usages” (en fait, sur la pénétration des
technologies), comme savent les construire les observatoires aujourd’hui - informations
intéressantes, certes, mais limitées -, on ne sait rien de ce qu’il se passe sur le territoire. Et encore,
cette information est bien souvent réservée aux opérateurs et aux aménageurs publics : comment
moi, en tant que citoyen ou entrepreneur puis-je connaître le nombre de connectés à l’ADSL sur ma
ville, savoir comment ce chiffre progresse, etc. ? Pourquoi ne puis-je pas y avoir accès si cela peut
avoir une conséquence sur l’implantation ou le développement du service que je compte développer
?
Qui construira le graphe social du territoire ? Qui fera ressortir la diversité des usages numériques
du territoire ? Sans compter, comme le soulignait avec pertinence Pierre Musso, professeur des
sciences de l’information à l’université de Rennes, lors de la conférence sur les territoires virtuels
organisée à l’occasion du colloque du 10e anniversaire du GET, que le plus important ne repose
plus seulement dans “l’observation”, c’est-à-dire dans ce schéma de la représentation hérité de la
Renaissance, où l’on regarde un territoire de haut pour en comprendre les forces, mais dans une
logique de co-construction, d’interaction et d’immersion : les territoires comme miroirs de nos
activités numériques, la marque de la vie sociale de notre connexion.
Pour bâtir des politiques publiques numériques adaptées aux usages locaux, pour aider les
entreprises à développer des services adaptés aux pratiques locales, pour aider les citoyens à mieux
s’organiser et à mieux lire les actions qui ont lieu sur leur pays, il faut que celui-ci soit
numériquement plus lisible. On a besoin de bâtir la fouille des données locales (local mining). On a
besoin de savoir identifier le patrimoine immatériel d’un territoire, de raconter sa valeur numérique,
de comprendre les réseaux et les communautés qui le structurent et les animent. Pour développer
demain des services numériques locaux (covoiturage, services de formation, prestation de services
pour entreprises, extension en ligne de son magasin, vente de produits…), on a besoin de révéler la
cartographie de l’immatériel.
Mieux comprendre ce que l’hyperlocal signifie
Reste que cela n’est pas si simple. Tout d’abord, cela pose la question de la définition de la localité
d’un site ou d’un service. Est-ce le lieu de son serveur, de son éditeur, de son propos, de ses
utilisateurs ? Ensuite, comme le suggère Fabien Girardin, il faut peut-être s’interroger plus
profondément sur ce que recouvre la notion de voisinage, et comment elle s’articule sur le plan
numérique.

Enfin, il faut bien voir que le géocodage et le GPS de nos téléphones mobiles vont bouleverser la
mise à jour de cet immatériel hyperlocal. A terme, le Géo Web va permettre de donner des
coordonnées géographiques à tout document publié sur le web (pour autant qu’il soit un jour
incorporé à tous les services…). Le GPS va y ajouter la dimension temps réel. Demain
l’information locale va se localiser toute seule (ou presque). Le lieu géographique va être l’un des
coeurs de l’organisation automatique de toutes les références et données disponibles sur le web et
les serveurs mobiles. Est-ce que cela va donner pour autant une cartographie exacte ou fiable du
territoire ? Ne va-t-on pas se laisser subvertir par les services, qui offrent la carte et les données ?
Pire, l’hyperlocal ne va-t-il pas se faire subvertir par la trop grande profusion des paramètres
donnant des résultats au final inexploitables, truffés d’erreurs car fondés sur des données périmées
ou erronées…
On l’aperçoit en tout cas, il y a là un vrai chantier qu’il reste à documenter, avec ses outils à
construire, ses méthodes à faire connaître. Ce qui est sûr, c’est que pour pouvoir en dresser la carte,
il va nous falloir commencer par repérer de quoi est fait le territoire numérique.
La fouille de la réalité

La killer app du local : les interfaces tangibles !


Hubert Guillaud

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