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Le projet de loi El Khomri est inquiétant : 7

propositions pour un autre Code du travail

LE PLUS. Alors que le projet de loi El Khomri s'enlise, des universitaires spécialisés en
droit social* ont décidé de s’attaquer à l’écriture complète d’un "autre" Code du travail. Leur
objectif : démontrer qu’il est possible de faire plus court, plus clair, plus protecteur et mieux
adapté aux enjeux actuels, explique Emmanuel Dockès, professeur de droit du travail.

L’avant-projet de loi El Khomri concentre l’attention et, à juste titre, les critiques. Il est
d’autant plus inquiétant qu’il est présenté comme le "modèle" sur lequel un nouveau Code
du travail doit être écrit.

Or, ce projet détruit des droits élémentaires, facilite l’accroissement du temps de travail au
détriment des emplois, permet de licencier sans justifications à moindre coût, et prévoit
même une facilité de contournement total du droit du licenciement pour les groupes
internationaux…

De surcroit, alors que ce texte était présenté comme nécessaire à la simplification du droit
du travail, il augmente encore le volume de texte applicable, construit un plan absurde et
idéologique, et finalement complexifie encore un Code déjà bien indigeste, peut-être pour
mieux masquer des réformes pour le moins impopulaires.

Construire un texte plus simple, plus protecteur, mieux adapté

Une vingtaine d’universitaires spécialisés en droit du travail*, accablés par ce que l’on
faisait subir une fois de plus à leur matière, a décidé de démontrer que cette pente n’avait
rien d’une fatalité. Ce Groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-PACT) a
entrepris de commencer la rédaction d’un autre Code du travail, qui soit à la fois plus
simple, plus court, plus protecteur et mieux adapté à notre temps.

L’objectif est d’ouvrir ce projet à toutes les initiatives et à toutes les idées, au travers d’un
site collaboratif, encore en construction. D’ores et déjà de nombreuses consultations ont
été lancées, notamment en direction des différentes organisations syndicales, afin que ce
projet soit ancré dans les difficultés concrètes, soucieux des revendications et des
propositions émises par les acteurs du droit du travail.

Le 2 mars, ce groupe a tenu sa première conférence de presse, pour présenter son projet,
ses méthodes, et ses premiers résultats, à savoir un chapitre complet relatif au droit du
temps de travail.

Ce projet s’oppose d’abord à ceux qui souhaitent réduire le Code à un texte minimaliste,
composé de quelques dizaines ou même de quelques centaines d’articles. Il s’oppose tout
autant aux projets qui visent à remplacer l’essentiel de la loi par la négociation collective
d’entreprise. La loi doit jouer pleinement son rôle aux côtés des autres sources du droit du
travail, internationales, européennes, réglementaires et conventionnelles.

Le travail salarié est un sujet essentiel et grave


Le travail salarié est un sujet essentiel, grave. Il requiert un droit suffisamment développé
et précis. Les objectifs de clarté et de lisibilité ne doivent pas être poursuivis au détriment
des salariés. Ils ne doivent pas davantage conduire au flou ou à l’insécurité juridique.

Certaines règles, comme le compte pénibilité, sont complexes à mettre en œuvre. Elles
n’en sont pas moins indispensables à la poursuite d’une certaine justice. La simplicité de la
forme et la réduction du volume sont des objectifs primordiaux, mais il n’est pas question
de leur sacrifier le fond.

Ce projet s’oppose aussi au conservatisme de certains défenseurs du Code actuel. Même


si l’accumulation désordonnée de textes pointillistes et régressifs n’est pas une spécificité
du droit du travail, même si l’empilement de lois inadaptées est peut-être pire encore dans
d’autres domaines du droit, il convient de ne pas se satisfaire des malfaçons du Code
actuel.

L’objectif n’est donc pas de réaliser une nouvelle recodification "à droit constant", moins de
dix ans après celle de 2008. Un droit "constant" ne peut qu’être aussi lourd et complexe
que l’actuel.

Les trois codes du travail de l’histoire (1910-1927, 1973, 2008) sont tous des compilations
de textes antérieurs, des suites de "copier-coller" plus ou moins bien ordonnés. Cette fois,
l’objectif est de tenter une véritable réécriture, pour faire du Code du travail un ouvrage
accessible, lisible du début à la fin.

Favoriser l’emploi plutôt qu’allonger le temps de travail

Ce sera l’occasion aussi d’innover. Certes, le droit du travail actuel s’appuie sur certaines
règles essentielles, directement issues des leçons de l’histoire. Et il convient de les
conserver et de les renforcer.

Il n’est évidemment pas question de revenir sur les grands acquis du droit du travail. Mais
ce droit contient aussi ses parts d’ombre et ses faiblesses. Il est loin d’être un idéal.

Et les défis auxquels il est aujourd’hui confronté sont nombreux : chômage, précarité,
"uberisation", essaimage, mondialisation, éclatement des collectivités de travail,
multiplication des sociétés écrans, contagion de la vie professionnelle sur le temps libre,
méthodes de gestion du personnel invasives, fragilisation de la présence syndicale et de la
représentation du personnel…

Écrire un autre Code du travail, ce sera aussi proposer des idées et des règles nouvelles.
Le premier chapitre sur le temps de travail est le plus abouti du travail en cours. D’ores et
déjà, il donne une idée de nos grandes orientations. Le projet fait le choix de favoriser
l’emploi plutôt que d’allonger le temps de travail.

Sortir de l'opposition temps de travail-temps de repos

Dans cette direction, des incitations à la réduction du temps de travail ont été prévues. La
durée légale est réduite en contrepartie des flexibilités consenties par les salariés et le
principe de la journée de 8 heures est réintroduit. En outre, la rémunération convenable et
dans un délai raisonnable des salariés qui accomplissent des heures supplémentaires est,
à nouveau, garantie.

Actuellement, le Code du travail oppose le temps de travail au "temps de repos". Cette


terminologie rappelle la nécessaire reconstitution de la force de travail et rattache la
problématique du temps de travail à celle de la santé des salariés.
Pour exacte et importante qu’elle soit, cette problématique n’est pas la seule à devoir être
prise en compte. Le temps qui n’est pas consacré au travail n’est pas exclusivement
consacré au "repos". Ce peut être un temps utilisé pour exercer une deuxième activité
professionnelle.

C’est aussi le temps de la vie familiale, sociale, amicale, de loisirs, sportive, associative,
militante... Ces "vies" là sont, elles aussi, essentielles et il convient, dans une société et
dans une économie moderne, de les protéger. Ce qui suppose notamment une prévisibilité,
pour le salarié, de son emploi du temps.

Un projet en cours d'élaboration

Une série de mesures sont ici proposées pour prohiber le "travail au sifflet", réduire les
temps d’astreinte, en prévoir la rémunération minimale, ouvrir un droit au refus des
changements intempestifs d’horaires, imposer des délais de prévenance pour toute
modification importante de l’emploi du temps et garantir un droit à la déconnexion.

Il ne s’agit là que de quelques exemples. Notre projet complet est lisible notamment
sur http://pact2016.blogspot.fr. Il comprend de nombreuses autres propositions, qui elles-
mêmes ne manqueront pas d’être enrichies par toutes les idées qui fleurissent dans le
sillage de la contestation de l’avant-projet de loi El Khomri.

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