Pentecotisme Et Societe en Bresil - Rolim

Francisco Cartaxo ROLIM
Pentecôtisme et Société
au Brésil
The Protestant Pentecostal phenomenon, rather recent in

Brazil (1910), has taken root in the popular classes. After an
initial period of implantation (1910-1930), its real growth
began in the thirties. Its main progress though has to be
situated at the contemporary period of Brazilian capitalism.
During this period, a new element has appeared : the popular
masses. Little by little, these come to participate, at least
partially, in the national life, under the influence of the

dominant groups and the populist leaders. This means that
the popular classes are somehow present at the social and
political levels.
The Pentecostal movement has to be seen within the back-
ground of this new element. We can thus observe a first
aspect, i.e. the links by which this religious phenomenon is
attached to the historically determined social structure. These
links are of a structural nature. Through them, the Pente-
costal movement is attached to the class structure of the
capitalistic Brazilian society as it appears today. In this regard,
at the same time as the class relations determine this pheno-
menon, they also make it possible to consider it as one of
the components of the capitalistic society.
This first step leads us, then, to the study of the religious
structure of the Pentecostal movement, as it is situated in
the social super-structure. Even though it is determined by
the economical infra-structure, Pentecostalism keeps its specific
character, which we shall attempt to analyze from the point
of view of its religious structure.
Finally, shall attempt to study the ideology of the
we
Pentecostal and the way it, in turn, acts upon the
movement
first determining factor. We shall analyze in particular the
function of this ideology in its relation to the dominant ideo-
logy. These are the three points which constitute the dia-
lectical perspective under which we shall approach the Pente-
costal movement in Brazil.
345
Downloaded from scp.sagepub.com at NORTH DAKOTA STATE UNIV LIB on June 1, 2015
1. Introduction
L’interet que 1’etude du pentecotisme de forme protestante a suscitc-
parmi les praticiens des sciences sociales en a fait ressortir un certain
nombre de caracteristiques : il s’agit d’un phenomene religieux recent
qui penetre dans les couches defavorisees de la population et qui se
developpe de fagon assez spectaculaire. En Amerique Latine, ces aspects
ont etc par Christian Lalive d’Epinay dans
particulierement explicites
ses travaux le pentecotisme en Argentine et au Chili’. Au Bresil,
sur
ces caract6ristiques du pentecotisme sont facilement perceptibles et les
chercheurs br6siliens tendaient surtout a expliquer sa croissance. Ils ont
regulierement mis le phenomene en rapport avec les transformations
socio-culturelles. Pour cela, ils ont parle de « societe urbaine » ou de
« societe en changement ». Pour ceux qui se sont preoccupes du pheno-
mene pentecotiste au Br6sil, comme Emilio Willems, Beatriz Muniz de
Souza et d’autres encore 2, les sous-processus d’urbanisation et d’in-
dustrialisation, stimulateurs et a l’origine des alterations socio-culturelles,
ont 6t6 jug6s comme etant les elements de base qui expliquent 1’expansion
du phenomene. Le pentecotisme a donc ete vu comme un dispositif socio-
culturel d’adaptation des couches pauvres a la societe en changement.
Ainsi, ces auteurs sont int~ress6s a nous expliquer ce que fait le pente-
c6tisme, mais ils ne sont pas interesses a nous montrer ce qu’il est.
Rester au niveau fonctionnel, c’est caracteriser la religion pentecotiste
par le social et non pas par sa dimension specifiquement religieuse.
Ils ne nient pas le rapport entre le pentecotisme et la societe. Mais ce
rapport pentecotisme/societe est produit, a leur avis, par les transfor-
mations socio-culturelles (et ici ils font passer dans leurs analyses le
concept durkheimien d’anomie) provenants de l’urbanisation et de l’in-
dustrialisation. Ainsi, ce n’est pas a la societe br~silienne, historique-
ment caract6ris~e par ses rapports sociaux de production, qu’ils relient
la religion pentecotiste, mais aux sous-processus sociaux dependants des
phases de cette societe de type capitaliste.
La vision que nous essaierons de donner du pentecotisme derive d’une
attitude m6thodologique differente. Notre effort s’oriente, premierement,
dans le sens de l’identification du pentecotisme comme element ideolo-
gique religieux qui integre notre societe capitaliste. Ce premier pas nous
permet de caract6riser ce type de rapport. Son insertion sera comprise
a travers les rapports de classes. La religion pentecotiste, ainsi etabhe
O Refúgio das massas, trad. brésilienne, Edit. Paz e Terra, 1970; Religion, dyna-
1
, Mouton, Paris-La Haye, 1975.
mique sociale et dépendance
2
WILLEMS, Emilio, El protestantismo y los cambios culturales en Brasil y Chile, in
Religion, Revolution y Reforma; Nuevas formas de transformation en Latinoamérica
,
Helder, Barcelona, 1967.
READ, R. Willian, New Patterns of Church Grouth in Brazil, Willian B. Eerdmans
Publishing Company, Grand Rapids, Michigan, 1965.
MUNIZ DE SOUZA, Beatriz, A experiência da salvação. Pentecostais en S. Paulo.
Duas Cidades, 1969.
CAMARGO, Cândido Procópio F. de, Protestantes e espiritas, Ed. Vozes, 1973.
CÉSAR, A. Waldo, « Urbanização e religiosidade popular », in Vozes, 1974, n° 7,
p. 19-28.
346
au point de depart de notre analyse, n’apparait pas seulement comme
quelque chose qui arrive dans la societe, mais est aussi d~finie initiale-
ment par la position qu’elle occupe dans notre societe capitaliste. Cette
position sera explicit~e au fur et a mesure que l’on cherchera a voir com-
ment elle circule et agit au sein de la societe capitaliste et est determinee
par la totalite sociale. Inserer le pentecotisme dans notre formation
sociale capitaliste, par les rapports de classes, implique certainement de
reconnaitre qu’il est dependant de la determination fondamentale origi-
naire des rapports de production, qui caracterisent l’infrastructure econo-
mique. Ici apparaissent deux voies d’analyse subsequentes : la structure
religieuse pentecotiste, une fois determinee, n’est pas entierement auto-
nome, part, elle n’est pas un simple produit des rapports de
mais d’autre
production. L’admettre comme tel, ce serait tomber dans le determinisme
economique et 1’economicisme. De la genese et de la structure nous pas-

sons a 1’analyse de 1’aspect fonctionnel. Et ici nous essaierons de montrer
que le determinant, en dernière instance, souffre a son tour un type de

determination qui r6sulte de 1’ideologique religieux. En d’autres termes,
Ie determine determine a son tour son determinant de base 3. Ou encore,
il est appele a exercer un type de determination sur son determinant.
Ainsi, le pentecotisme se r6v6le conditionnant id6ologiquement et reli-
gieusement la reproduction du systeme capitaliste. La perspective est donc
dialectique. Notre méthodologie nous permet de voir la religion pente-
c6tiste comme 1’un des constituants id6ologiques de notre systeme capita-
liste, de chercher le type de structure religieuse et finalement d’identifier
1’action de cet id6ologique/religieux dans la reproduction du systeme
capitaliste.
Cette tentative est une contribution a 1’etude des religions au BrC-sil 4.
Nous courons sans doute le risque d’impr6cisions et de presenter des
aspects non totalement explicit~s, surtout dus aux limites inevitables
d’un article. Mais cet essai pose des questions. Et la remise en question
fait partie des rapprochements successifs qu’il faut faire pour comprendre
la realite religieuse.
Nous exposerons, premi~rement, quelques donnees referentes au pente-
c6tisme du Bresil et a ses phases, en liaison avec les etapes de la for-
mation socio-economique capitaliste. Nous essaierons de montrer ou, a
notre avis, se situe le mieux la genese et l’insertion de la religion pente-
c6tiste dans la societe br6silienne. Ensuite, nous aborderons la structure
religieuse pentecotiste et, finalement, nous essayerons de montrer com-
ment la religion pentecotiste joue le role de conditionnement ideologique
dans la reproduction du systeme capitaliste.
3 Althusser
appelle contradiction surdéterminée à la détermination ou à l’accumulation
les déterminations provenants d’éléments superstructuraux sur le déterminant de base.
Voir «Pour Marx-Contradiction et Surdétermination », p. 85-117, Maspero, 1977.
4 Dans ce
travail, nous suivons de près notre travail Pentecostalismo, Génese, estrutura
, Rio de Janeiro, 1975.
e funções
347
ii. Quelques donndes sur le Pentec6tisme au Br6si)
2.1. Les deux branches principales
Entre 1909 en 1910, G. Lombardi et Luigi Fransceson, deux chretiens
evangeliques d’origine italienne, partis des Etats-Unis, entreprennent une
evangelisation de style pentecotiste aupres de leurs compatriotes emigres
en Argentine et au Bresil. Au debut de la seconde decade de ce siecle,
l’immigration italienne dans ces deux pays 6tait importante.Elle a etc

interrompue par la Premiere Guerre Mondiale et a repris ensuite. Le
suffrage censitaire de 1920 a enregistre dans I’Etat de Sao Paulo 48 %
d’Italiens sur le total des etrangers. La culture du cafe, en expansion
a l’intérieur de I’Etat, offrait aux immigrés des possibilit6s de travail
dans 1’agriculture ou ils restaient avec leurs familles, soit comme em-
ployes dans des grandes fermes, soit comme petits proprietaires. La capi-
tale de Sao Paulo, et dans celle-ci le quartier du Bras, 6tait la premiere
6tape d’adaptation pour les immigrés italiens, le lieu de la premiere phase
de contact avec le pays, pour poursuivre apres vers 1’interieur. Avec la
crise du cafe, dans les annees 29 et 30, beaucoup sont retournés dans
la ville de Sao Paulo, expuls6s par la pr6carit6 du travail agricole.
Nous pouvons comprendre que deux italiens, ayant vecu en tant qu’im-
migr6s parmi leurs compatriotes de Chicago, convertis d’abord a l’Eglise
presbyterienne et ultcrieurement au pentecotisme, aient decide de voyager
en Amerique Latine dans l’intention d’apporter aux Italiens residants au
Bresil et en Argentine leur experience religieuse. Leur sejour en Argentine
fut de courte duree. En mars 1910, ils revenaient a Sao Paulo et restaient
dans le quartier du Bras, dans la capitale pauliste. Quelque temps apres,
Lombardi retourna en Argentine, tandis que Francescon restait au Bresil.
Il se rendit au Panama, ou, a Platina, il obtenait quelque succes, y lais-
sant un noyau pentecotiste. Encourage par ce travail, il retourna a Sao
Paulo, dans le meme quartier du Bras, toujours en 1910, annee de la
fondation de la Congr6gation Chrétienne du Br6sil.
L’influence de Francescon sur les Italiens, principalement sur les presby-
t6riens, s’etait fait sentir petit a petit. Un jour, il fut invite par un pasteur
presbyterien afin de pr8cher pendant un culte. Sa fagon de precher et
son message ne plurent pas au pasteurs president du culte qui, irrite,
1’expulsa du temple. A la suite de ce geste violent, d’autres presbyte-
riens, deja sympathisants de 1’experience pentecotiste, abandonnèrent le
temple et suivirent Francescon. Ce fut le d~but de la premiere eglise
pentecotiste sur le sol bresilien. Ainsi elle fut constitute de ressortis-
sants presbyt~riens, de la meme faqon qu’une annee plus tard la pre-
mi£re eglise de I’~~se~n~/ee de Dieu, branche la plus importante du pente-
c6tisme bresilien, allait sortir des dissidents religieux au Nord du Bresil.
Nous devons avoir a l’esprit qu’au sein du presbyt6rianisme se déve-
loppait a ce moment un mouvement d’6vang~lisation caracterise par la
predication directe au peuple, en substitution au type d’evangelisation
indirecte adopte jusqu’A ce moment, c’est-a-dire, par 1’intermediaire des
maisons de culte. Francescon elargissait donc 1’6vang~lisation par le dis-
cours. Celui-ci ne serait plus exclusivement reserve aux pasteurs ou a
348
quelqu’un d6sign~ par eux, mais serait a la port6e de tout croyant, une
fois inspire par le Saint Esprit.
William Read a appele « eglise ~vang6lique indigene » la Congr6gation
Chr6tienne. Nous sommes d’accord avec l’observation de cet auteur. En
realite, elle est sans doute plus nationale que les autres branches pente-
c6tistes et c’est ici qu’elle a re~u sa forme particuliere d’organisation. Sous
cet aspect, elle est bien differente de I’Assembl6e de Dieu qui implanta
au Bresil un modele d’organisation deja pret et en fonctionnement en
Amerique du Nord.
L’élément ethnique italien a ainsi servi de mediation sociale pour l’im-
plantation et 1’expansion de cette branche du pentecotisme bresilien. Cet
aspect a tres bien etc remarque par Willems, en particulier les traits
psycho-sociaux inclus dans la relation de voisinage dans le quartier du
Bras ainsi que les elements magico-religieux propres au catholicisme
devotionnel des italiens. Quoique cet aspect de la religiosite n’a pas etc
mis suffisamment en relief par les etudes du pentecotisme, nous croyons
que, sur la base de notre recherche, il a ete l’une des composantes de la
mediation culturelle dans 1’enracinement et expansion de la Congr6ga-
tion Chr6tienne.
Dix ans apres la fondation de 1’eglise-mere de la Congrégation Chre-
tienne dans la capitale pauliste, trois Etats connaissaient la presence du
pentecotisme : Sao Paulo, Parana et Rio de Janeiro, tandis qu’a cette
meme epoque (1920) I’Assembl6e de Dieu s’étendait deja a sept Etats,
tous ceux du Nord et du Nord-Est. Les chemins de penetration suivis
par la Congrégation ont été particulierement marqu6s par la concen-
tration dans les Etats du Sud, principalement Sao Paulo et Parana. Dans
la decade 1950-60, elle continue son expansion dans les autres Etats
et regions, arrive au Centre-Ouest et monte par le Nord-Est vers le
Nord. Initialement, elle fut dénommée Congr6gation Chrétienne du Brésil.
Aujourd’hui elle se nomme Congr6gation Chrétienne au Brésil. Ceci,
apres avoir fonde d’autres eglises dans d’autres pays. Les agents (mi-
nistres) de cette eglise reqoivent un titre biblique utilise dans le christia-
nisme primitif : ancien (a la place de pasteur), presbytre et diacre.
L’Assemblee de Dieu, chronologiquement la deuxieme branche du pente-
c6tisme sur le sol bresilien, toutefois la plus vigoureuse et la plus nom-
breuse, a etc fondee dans le Nord du Bresil, a Bel~m, capitale de 1’Etat
du Para, en 1911.
Deux missionnaires 6vang6liques d’origine suedoise, Daniel Berg et
Gunnar Vingren, ayant adhere au pentecotisme aux Etats-Unis, vinrent
au Bresil en 1910. Apparemment, ils ne furent envoy~s par aucune or-
ganisation pentecotiste. Selon leurs ~crits, ces missionnaires arriverent

au Bresil pousses par le « Souffle de 1’Esprit ». Le choix de 1 Etat de Para,
comme lieu de depart pour leur entreprise, n’a etc qu’une simple coinci-
dence avec le mot « para », entendu souvent par 1’un d’entre eux dans
les moments de priere. Ils furent accueillis a Belem par les baptistes qui
y 6taient deja. En meme temps qu’ils se livraient a 1’etude de la langue,
ils impressionnerent les baptistes par les longues heures dediees a la priere.
Petit a petit, l’influence des deux pentecotistes se fit sentir parmi les
baptistes. Plusieurs croyants finirent par adh6rer a 1’experience de la
349
priere, pratique par laquelle les deux missionnaires pretendaient intro-
duire les a la croyance dans 1’effusion de l’Esprit et dans l’in-
baptistes
time communication avec Dieu par le don de prier en langues. Cette
experience singuliere que connurent quelques baptistes, principalement
des femmes, fut la pratique generatrice de la croyance pentecotiste. Cet
aspect nous apparait comme indicatif du fait que les pentecotistes r6us-
sissent a faire naitre la croyance dans la r6actualisation des dons de
1’Esprit non par la persuasion mais par des pratiques religieuses constitu-
tives de 1’experience de la priere. Ces pratiques sont a la base de 1’ex.-
p6rience pentecotiste qui, a son tour, les renforce et les stimule. Plusieurs
baptistes se sont separes de leur eglise a Bel6m et ont suivi les deux
pentecotistes suedois. Ce fut le noyau initial qui donna 1’origine a la
premiere eglise de I’Assembl6e de Dieu en 1911 au Nord du Brésil.
Tandis que la Congr6gation Chrétienne, comme nous I’avons signal6,
s’est servie de 1’element ethnique culturel italien (y compris ses aspects
religieux) parmi les protestants ou les adeptes du catholicisme devo-
tionnel, I’Assembl6e de Dieu utilisa comme médiation culturelle et reli-
gieuse 1’element natif de la region meme ou il s’est implant6 et deve.-
loppe. Des gens simples y adh~raient, tels les travailleurs du chemin de
fer, les salaries du commerce et les travailleurs ruraux 5. En peu de temps
elle a charri6 dans son sein beaucoup de catholiques et a penetre dans
les villes du voisinage de Bel6m.
Les chemins de penetration de IAsseinbl6e de Dieu ont eu une orien-
tation differente de ceux des autres groupes pentecotistes. Initialement,
elle s’est ramifi6e dans les Etats de la region Nord. Mais en 1920,
presque tout le Nord-Est connaissait deja la presence des temples de
I’Assembl6e de Dieu. De la, elle descendit rapidement vers le Sud et,
un peu avant 1’annee 1930, un temple fut fonde dans la ville de Rio de
Janeiro, dans le quartier de Sao Cristovao. Son expansion fut des plus
rapide, ne pouvant etre comparee a la croissance d’aucun autre groupe
pentecotiste. Il suffit de rappeler qu’en 1940 elle est presente dans tous
les Etats du pays, tandis que la Congrégation Chrétienne atteint seule.-
ment Sao Paulo, Parana, Minas Gerais, I’Etat de Rio de Janeiro et
I’ancienne Guanabara.
Cree en 1911, en un point 96ographiquement oppose a celui de la
Congrégation Chrétienne, son expansion rapide fait de I’Assembl6e de
Dieu la branche la plus puissante du pentecotisme bresilien aujourd’hui.
Si nous confrontons les deux branches du pentecotisme bresilien en ter-
mes de concentration de croyants (laissant de cote les Lutheriens qui
n’ont pas 6t6 proprement proselytistes ) , nous voyons qu’en 1930, la
Congrégation Chrétienne représentait 18,5 % des chretiens Evang6liques
et 69 % des pentecotistes, tandis que I’Assembl6e de Dieu comptait a
peine 8 % du total des chretiens evangeliques et 30 % des pentecotistes.
Quarante ans apres, en 1970, la Congrégation Chrétienne représentait
13,6 % du total des chretiens evangeliques et 23 % des pentecotistes,
tandis que I’Assembl6e de Dieu représentait 31 % des chretiens ~vang6li-
ques et plus de la moiti6 des pentecotistes (53 % ) . I1 est important de
5
CONDE, Emilio, História das Assembleias de Deus, Ed. das Assembleias de Deus.
350
rappeler qu’a cette époque il y avait d’autres groupes pentecotistes, rela-
tivement importants, qui agissaient, tels que I’Evangile Quadrangulaire
et le Br6sil pour le Christ, sans parler d’une innombrable quantité d’egli-
ses mineures, dont l’une, celle de « Dieu est amour », commence au-
jourd’hui a connaitre une croissance importante.
Nous pouvons dire que jusqu’a la decade 50/60, le pentecotisme brési-
lien fut pratiquement represente par ces deux branches principales : la
Congrégation Chrétienne et I’Assembl6e de Dieu. Quelques petites Eglises
qui ont surgi avant 1950 sont de moindre importance. Ainsi donc, lors-
que nous examinons les phases du developpement du pentecotisme au
Bresil, c’est sur ces deux branches que nous devons compter, au moins
jusqu’en 1950/60.
Les chercheurs qui ont travaille sur le pentecotisme au Bresil, surtout
Willems, Read et Beatriz Muniz de Sousa, d6signent 1’annee 1930
comme point de depart de 1’expansion pentecotiste. La periode de 1910-
1930 serait une phase d’enracinement et de preparation des acteurs spé-
cialisés dans l’organisation des eglises pentecotistes. Cependant, ces
auteurs ne nous presentent pas des donnees qui puissent confirmer cette
idee. D’autre part, certains auteurs réfléchissent a partir de concepts
comme ceux de soci6t6 dualiste, urbaine et rurale ( tels que Waldo César)
ou de soci6t6 traditionnelle et soci6t6 moderne ou urbanisée ( comme
Beatriz Muniz de Sousa). Nous croyons quant a nous que jusqu’en 1930,
le pentecotisme developpe une 6tape preliminaire de fixation (quoique
1’Assemblee de Dieu ait donne deja, dans cette periode, des signes d’ex-
pansion). Nous utiliserons les donnees relatives a la fondation des tem-
ples (les seules disponibles) pour illustrer, decade par decade, le com-
portement du pentecotisme durant 60 ans, soit de 1910 jusqu’a 1970.
Mais si ces donnees, presentees comme des indicateurs, nous montrent
qu’apres 1930 le pentecotisme accelere son rythme d’expansion, nous
rappellerons l’importance de la nouvelle Etape de la formation socio-
economique capitaliste br6silienne, qui trouve son depart dans la revolti-
tion de 1930. L’industrialisation et l’urbanisation sont des sous-processus
de cette etape capitaliste qui s’étend jusqu’en 1964, lorsqu’une autre
revolution 6clate, imprimant une nouvelle configuration a la societe brési-
lienne. Surtout, nous rappellerons que 1’expansion pentecotiste souffre
d’oscillation dans son rythme entre 1955 et 1970. Nous pouvons ainsi
distinguer une premiere phase au cours de laquelle le pentecotisme s’af-
firme et a tendance a cr eer des racines, cherchant a former des adeptes
et dirigeants au sein des masses urbaines plus defavorisees. Une deu-
xieme phase débute a partir de 1930, continue jusqu’a nos jours, mais
parait avoir son sommet entre les annees 1955 et 60. Durant cette pe-
riode d’expansion, les masses urbaines apparaissent avec plus d’evi-
dence, comme un nouveau facteur dans le processus historique bresilien
et c’est au sein des couches les plus pauvres que le pentecotisme va
chercher la majorite de ses adeptes. Toutefois, avant de fournir les
donnees indicatives de ces phases, voyons rapidement ce qui se passe
au Bresil en 1930, par rapport aux p~riodes ant6rieures et post6rieures.
351
2.2. Socidtd br6silionne et Pentec6tisme
A partir de 1930, a commence une nouvelle ~tape dans la formation socio-
economique bresilienne. Dans le sous-syst6me capitaliste p6riph6rique ca-
racteristique de la societe br6silienne se r6percutent les effets de la crise du
marche international qui affecte 1’economie des sous-systemes capitalistes
centraux. Ce qui se passe au Bresil est, dans une certaine mesure, ce
qu’experimentent les autres sous-systèmes capitalistes dependants. La
phase dans laquelle le Bresil est entre, a partir des annees 30, est en
rapport, d’une part avec la crise economique internationale et, d’autre
part, avec les changements economico-politiques internes de 1’economie
nationale.
Les trois decades initiales du XXe siecle ont declenche des crises
successives, prepare et fait eclater la revolution de 1930. Ce sont des
crises progressives qui frappent 1’economie fondamentale, exportatrice
des biens primaires, le cafe principalement, qui préparent 1’etat de crise
du systeme production/distribution/consommation. Cette nouvelle etape
du capitalisme bresilien porte en son sein un projet politico-economique
de developpement economique autonome, dirig6 vers la production de
biens manufactures destines a repondre et a stimuler la consommation
interne. La production n’est pas dirigee vers 1’exportation des matieres
premieres, mais orient6e par un nouveau sens politique, vers 1’interieur.
Les rapports de production vont s’alt6rer lentement, a mesure que le
projet de developpement autonome debouche sur la creation d’industries
dont les produits vont alimenter le marche interne.
Au modele importation/exportation succède celui de la substitution.
La production de marchandises pour le marche interne devient un besoin
face a la crise internationale qui a 6branl6 sensiblement 1’economie d’ex-
portation, sur la base de son element principal, le cafe. Elle surgit comme
une alteration qui cherche a reduire sensiblement 1’exportation de pro-
duits manufactures sinon a 1’eliminer. Ravitailler les industries deja exis-
tantes, en creer d’autres et diff6rencier l’industrie, s’orienter vers la crea-
tion d’industries de base, construire des voies de communication, stimuler
le marche par la consommation des biens produits, ameliorer les salaires
et les conditions de travail de la main-d’ceuvre industrielle, chercher à
concretiser les aspirations des masses urbaines, tout cela exprime la somme
d’int6r~ts des gouvemements postérieurs a la revolution de 30.
Economiquement, cette phase fut marquee par la crise de 1’economie
cafeiere et, en meme temps, par 1’effort tendant a la progression de la
production industrielle orientc-e vers le marche interne. Le desequilibre
qui survient dans le systeme production-distribution-consommation, force
a une sortie qui va atteindre la base de ce syst~me. La production pro-
voque progressivement des alterations dans les rapports de production
et dans la division sociale du travail, a mesure que 1’on avance vers
l’industrialisation. Ces rapports de production vont determiner I’avene-
ment de nouvelles classes sociales, la bourgeoisie industrielle et la classe
ouvriere qui se substituent a l’ancienne oligarchie agraire dominante. La
stimulation qui sera imprimee au marche de la consommation declenchera
a son tour 1’expansion de la distribution et de la consommation engen-
drant la croissance intense et gradu6e des secteurs du commerce et des
services, qui depassent le secteur industriel.
352
Politiquement, cette phase s’identifie par une nouvelle orientation, pas
toujours bien d6finie et souffrant d’oscillations, dans laquelle s’inscrit un
projet de developpement economique autonome, partiellement realise dans
les annees ant6rieures. Elle s’identifie encore par la substitution du bloc
dominant de l’oligarchie agraire par les classes productrices dans l’in-
dustrie, par 1’alliance de ces classes et par 1’avenement des masses ur-
baines en tant que nouvel agent dans le processus historique bresilien
et polarisateur des preoccupations politiques. Lentement 1’Etat va non
seulement stimuler l’industrialisation mais aussi assumer la position par-
tielle d’investisseur et de controleur par 1’elaboration de plans 6conomi-
ques et par la creation d’organismes orientes vers le developpement. En
meme temps qu’il se tourne vers la politique de developpement, 1’Etat
cherche a satisfaire les aspirations des masses urbaines.
Socialement, nous pouvons dire que les masses urbaines defavorisees
entrent en scene, dans le processus historique bresilien, faisant entendre
leurs aspirations, en meme temps qu’elles sont manipulees par les groupes
dominants et les organisations gouvernementales. La chute de 1’Etat Nou-
veau, implant< par Vargas et le retablissement de la democratie ont ten-
dance a amplifier les mecanismes socio-politiques des manifestations des
masses urbaines, sans pouvoir empecher que celles-ci ne se laissent en-
trainer par la demagogic des groupes politiques. Syndicats, partis politi-
ques, organisations profanes et religieuses intensifient leurs activites au-
pres des masses urbaines durant la periode qui precede la revolution
de 1964.
D’un point de vue externe, 1’6tape qui se dessine a partir des annees 30
comme 1’eclosion des crises 6conomiques ant6rieures, est une consequence
p6riph6rique de la crise du capitalisme international. D’un point de vue
interne, elle se caracterise par une inad6quation entre deux produits de
1’expansion capitaliste : le systeme de production-distribution-consomma-
tion et la structure des besoins de consommation au sein de la societe
br6silienne 6. En d’autres mots, la phase qui commence en 1930 fait naitre
les facteurs qui refusent et nient le status quo : l’incapacit6 de repondre
aux demandes de consommation ; les nouvelles aspirations de consom-
mation non satisfaites par l’importation et l’inflation ; la presence de plus
en plus forte des masses urbaines due a l’afflux d’immigres et de colons
vers les villes, I’industrialisation reduite et 1’exportation decroissante 1.
A ces facteurs fera face le projet de developpement economique auto-
nome, oriente vers le marche interne, tendant progressivement vers l’in-
dustrialisation diversifiee et r amélioration des industries existantes.
Les consequences de cette nouvelle phase du capitalisme bresilien sont
les sous-processus d’industrialisation, partie integrante du projet de deve.-
loppement economique autonome et d’urbanisation, celle-ci s’acc6l6rant
6 PEREIRA, Luiz, Estudos sobre o Brasil ,
Contemporâneo Livraria Pioneira Editora,
p. 719 ss. 1971.
Pendant ces trois décades (1900/30), les exportations du Brésil ont augmenté moins
que sa population et encore beaucoup moins que la population urbaine, mais elles sont
en rapport avec l’économie monétaire. D’autre part, une partie de plus en plus grande
des exportations devait être destinée au payement de la dette externe, contractée afin
de subvenir la politique du café, PEREIRA, Luiz, op. cit
., p. 24.
353
comme consequence de 1’exode rural stimule et provoque par la precarite
de la structure agraire et par 1’attraction des grands centres urbains.
Urbanisation et industrialisation sans correspondance ne sont pas des
caract6ristiques essentielles de la societe capitaliste br6silienne, dans sa
nouvelle phase. Elle est caractérisée par les rapports de production qui
sont impliqu6s, a la base, dans le pole d’industrialisation et qui tendent à
s’amplifier.
C’est a l’int6rieur de ce cadre, sommairement esquisse, qu’il faut voir
les deux phases du pentecotisme bresilien. Si cette phase de 1’enracine-
ment et de la fixation s’inscrit dans les deux decades ant6rieures a la
revolution de 1930, celle de 1’expansion se d6roule pendant l’implantation
de 1’etape capitaliste qui tend vers le developpement autonome et coin-
cide avec la presence de plus en plus significative des masses urbaines
comme nouveau personnage historique dans le scenario de la nouvelle
orientation economico-politique. Il est important de voir 1’expansion pente-
c6tiste en rapport avec 1’etape du capitalisme bresilien, porteur d’un
projet economique, simultanement négateur du status quo et catalysateur
de nouvelles aspirations entre lesquelles s’inscrivent les desirs vehements
des couches urbaines, principalement ceux des couches les plus défa-
voris6es.
Ainsi
nous semble inexacte la conception d’une societe dualiste, rurale
et urbaine, la traditionnelle et la moderne (urbanis(!e), en tant que con-
cept directement analytique du phenomene pentecotiste et de son expan-
sion. Derriere une telle visualisation dualiste, on retrouve l’id~e de so-
ci6t~s precapitalistes et capitalistes qui caract6risent les transformations
sociales europ~ennes, mais qui ne s’appliquent pas au cas bresilien. A
notre avis, ce qui restitue le mieux la realite, c’est de relier la religion
avec la nouvelle etape du capitalisme bresilien, laquelle va projeter de
nouveaux rapports de
production et de division sociale du travail. Voyons
maintenant dans cadre comment se dedouble la phase de 1’expansion
ce
pentecotiste et comment pendant celle-ci apparaissent deux autres bran-

ches importantese du pentecotisme.
2.3. Donnees indicatives de I’expansion pentec6tiste
Les donnees que nous allons utiliser se rapportent les unes aux tem-
ples et les autres aux membres communiants. La source d’information
pour les temples sont les bulletins de collecte du I.B.G.E., ou est enre-
gistree la date de fondation de chaque temple. Meme si les dates sont
approximatives, nous croyons qu’elles sont valables en tant que ren-
seignements indicatifs de 1’expansion pentecotiste. Les donnees relatives
aux membres communiants ont pour origine les publications de la sta-
tistique du Culte Protestant ( I.B.G.E. ) , a partir de 1955, et pour 1’annee

1930 les travaux de Erasmo Braga, de K. Grubb et de William Read.
Pour cette date nous ajoutons les donnees de William Read qui se refe-
rent a la Congregation Chrétienne <B.
8 ERASMO BRAGA et K. GRUBB, The Republic of Brazil. A Survey of the Religious
354
TABLEAU 1 : Evolution des temples pentec6tistes, par régions, 1900-1970.
Source : Statistique du Culte Protestant du Bresil (I.B.G.E.).
Ces donnees nous indiquent, d’une part, 1’expansion pentecotiste à

partir de 1930 et, d’autre part, la concentration des temples pentecotistes
dans la region Sud-Est de meme que dans la region Sud en 1970. Ainsi
ces deux regions concentrent 56,6 % des temples en 1940 ; 64 °~o en 1950 ;
66 % en 1960 ; et 67,5 % en 1970. Pour ces deux regions le rythme de
croissance se presente ainsi : 271 % ( 1930-40) ; 138 % (1940-50) ; 146 %
(1950-60) ; 147 % (1960-70). Nous pourrions penser que ces deux
regions seraient saturees dans la derni~re decade, vu que la concentra-
tion et le rythme de croissance n’atteignent pas l’intensit6 des deux deca-
des ant6rieures. Sans doute, la croissance se maintient, mais son rythme
s’affaiblit. Mais si nous observons le rythme de croissance pour la totalite
du Bresil, le meme phenomene apparait : 241,6 % ( 1930-40) ; 111I ’Yo
( 1940-50 ) ; 138 % (1950-60) ; 142,6 ’/&dquo;C ( 1960-70 ) . En termes absolus,
le developpement devient de plus en plus significatif. Dans la decade
1930-40 il y a un bond. L’Asseinbl6e de Dieu se trouve presente dans
tous les Etats de la Federation. Toutefois, durant les trente dernieres
annees, la decade 1950-60 connait une augmentation de rythme beaucoup
plus expressive par rapport a la decade ant6rieure que l’augmentation
de rythme de la decade 1960-70 par rapport a I’ant6rieure (1950-60).
L’expansion pentecotiste, qui acquiert un elan certain apres 1930, atteint
un sommet dans la decade 1950, au moment ou nous voyons entrer en
scene deux branches importantes du pentec6tisme : l’Evangile Quadrangil-
laire et le Br6sil pour le Christ. Nous reviendrons plus tard sur ce pro-
bleme. En termes de membres communiants et considerant le total des
chretiens evangeliques de type proselytiste (excluant les Lutheriens ) , la
position des pentecotistes dans 1’ensemble 6vang~lique, selon les donnees
publi6es par le Culte Protestant du Br6sil, se presente de la maniere sui-
vante : 26,7 % en 1930 (y compris la Congrégation Chrétienne selon les
donnees presentees par William Read) ; 51,5 % en 1960 ; 58,9 % en
1970. Quelques eglises pentecotistes n’ayant pas envoy~ d’informations
Situation, World Dominion Press, London, 1932 ; WILLIAN, R. Read, New Patterns of
Church Grouth in Brazil
, Edit. Willian B. Eerdmans Publishing Company, Grand Rapids,
Michigan.
355
sur leurs membres communiants a la Statistique du Culte Protestant du
Br6sil, il est permis de penser que ces pourcentages sont en realite plus
eleves. Si nous prenons en consideration le total des chretiens evangeli-
ques, y compris maintenant les luthériens, la position des pentecotistes
s’affaiblit un peu : 37 % en 1960 et 47,4 % en 1970. Mais ici encore,
le defaut d’informations completes sur les membres communiants pente-
c6tistes nous autorise a dire que leurs pourcentages sont en realite plus
eleves. Il ne serait pas exagéré de dire qu’actuellement les pentecotistes
concentrent approximativement 65 % des chretiens evangeliques. Mais
nous nous en tiendrons aux donnees officielles dont nous disposons.
Celles-ci soulevent un probleme lorsqu’on les analyse par series non plus
decennales mais quinquennales. En prenant le d~but de la publication
de la Statistique du Culte Protestant (1955), nous pouvons voir com-
ment se decompose le rythme de croissance par tranches de 5 annees
jusqu’en 1970 (derniere annee comparable et epoque ou nous avons fait
notre etude sur les pentecotistes ) . Pour 1955-59, la croissance absolue
fut de 310.033, soit 78,9 %. Durant la periode suivante, l’augmentation
absolue fut de 316.898, soit 44,9 %. I1 y a eu une augmentation absolue,
mais une diminution de la croissance relative : la difference par rapport
a la periode quinquennale anterieure est de 34 %. Durant la periode
de 1965-69, la croissance fut de 397.004 et en chiffres relatifs de 38,8 %.
Le rythme continue a baisser, mais avec une intensite moins grande que
la difference de rythme observe entre les p6riodes de 1960-64 et de
1955-59. La diminution entre la deuxieme et la troisieme periode (1960-64
et 1965-69) fut de 6,1 % tandis qu’elle fut de 34 % entre la premiere et
la deuxieme ( 1955-59 et 1960-64 ) . Cela signifie que le rythme de crois-
sance pentecotiste a varie dans 1’espace de 15 ans, mais cette variation
est marquee, d’une part, par une perte bien sensible et d’autre part par
un effort de renforcement pour retrouver le rythme d’avant 1960. I1 faut
noter, premi~rement, que dans cette periode d’oscillation dans le rythme
de croissance du pentecotisme, l’urbanisation s’est poursuivie, atteignant
31,24 % en 1940, 36,30 % en 1950, 45,08 % en 1960 et 55,90 % en 1970.
Il est difficile de relier ces oscillations du rythme de croissance des pente-
c6tistes et le processus ascendant de l’urbanisation. Deuxi~mement, peu
avant 1960 et surtout dans les annees 1960 a 1963, une s6rie de méca-
nismes sociaux, profanes et religieux, se sont manifest6s au sein des
couches urbaines, et posterieurement dans les couches rurales, tels que
les syndicats, les partis politiques et d’autres groupes organises agissant
parmi les travailleurs. De tels mecanismes de caractere socio-politique
inculquaient une vision differente de la societe, incluant une orientation
vers la participation consciente au niveau economique et politique, diffi-
cilement conciliable avec la vision religieuse pr~ch~e par la grande majo-
rite des pentecotistes. C’est durant cette époque d’agitation des partis
politiques, de greves et d’activité d’autres groupes qu’une branche pente-
c6tiste, le Bresil pour le Christ, commence a participer a la vie politique
et arrive a faire 61ire des deputes d’Etat et F6d6raux. Mais une fois
supprim6s ces mecanismes et 1’agitation populaire, avec 1’etape qui com-
mence en 1964, le pentecotisme rencontre a nouveau devant lui un terrain
favorable a 1’acceptation de sa croyance au pouvoir de Dieu et a la force
356
protectrice du sacre. C’est a ce moment qu’on v6rifie la tendance a la
recuperation du rythme anterieur de croissance.
Dans cette periode d’expansion pentecotiste s’inscrit 1’avenement de
deux branches relativement importantes du pentecotisme br6silien : l’Evan-
gile Quadrangulaire et le Br6sil pour le Christ. Tous deux ont surgi
dans la decade 50 et se sont consolid6s et developpes principalement
dans les Etats de Sao Paulo, Rio de Janeiro et Minas Gerais. Quand
on observe les chemins de penetration du pentecotisme, nous nous aper-
cevons que la region qui concentre la plus grande somme de capitaux
orient6s vers l’implantation des industries, la construction de routes (tels
que celles qui relient les grands centres : Rio de Janeiro, Sao Paulo, Belo
Horizonte) et 1’amplif ication du commerce et des services, favorisant
par consequent 1’acceleration rapide de 1’alteration des rapports de pro-
duction, cette region est celle ou les pentecotistes se concentrent et se
developpent le plus. C’est dans cette region que surgissent les deux bran-
ches pentecotistes -
I’Evangile Quadrangulaire et le Br6sil pour le

Christ -
qui sont venues renforcer le pentecotisme, ne dans cette region

avec la Congrégation Chrétiennc et renforce postéricurement par l’As-
sembl6e de Dieu. Celle-ci est descendue, comme nous 1’avons rappele
pr6c~demment, du Nord vers le Sud. Evidemment cette region plus de-
veloppee, ou se concentrent les grands centres et d’autres de moindre
importance, est visee par les processus d’urbanisation, d’industrialisation
et d’immigration. Mais de tels processus sont la consequence de la nou-
velle orientation prise a partir de 1930 par le systeme de production-
distribution-consommation.
III. Le Pentec6tisme dans ses aspects d’insertion dans la soci6t6,

de structure et de conditionnement
Avant d’aborder 1’analyse des caractéristiqucs fondamentales de la
complexite du phenomene pentecotiste, nous rappellerons quelques con-
cepts dont nous ferons usage au cours de cet expose.
L’insertion du phenomene pentecotiste dans la societe capitaliste im-
plique une dependance rationnelle de la religion pentecotiste face aux
rapports de production et donc face aux rapports de classe intrinseques
a cette societe. Cette dependance n’implique pas que le phenomene reli-
gieux soit n6cessairement un produit des rapports de production, mais
plutot qu’il s’insere dans la totalite sociale. Au sein de cette insertion,
la realite religieuse se presente avec une autonomie relative, avec sa
propre conception de la realite et du sacre, concr6tis6e par des pratiques
specifiques, c’est-a-dire en tant qu’element ideologique religieux. Appar-
tenant au domaine de la superstructure, elle est determinee par les rap-
ports de production qui caracterisent l’infrastructure. Les mediations socio-
culturelles, telles que les relations de voisinage ou 1’experience religieuse
anterieure (lors du passage du catholicisme devotionnel au pentecotisme -
ce que nous allons voir plus loin) expliquent aussi cette determination
et cette dependance du phenomene religieux pentecotiste. La religion
pentecotiste, ainsi inseree dans la totalite sociale de la societe capitaliste
357
bresilienne, est une des composantes de celle-ci. Bien qu’il soit dependant
par la position qu’il occupe dans la totalite sociale, le phenomene pente-
c6tiste possede une structure, des rapports sociaux et des lois propres.
Le terme structure n’implique pas seulement que les elements religieux,
en leur essence, doivent disposer de formes stables et permanentes ; de tels
elements sont des agents et des moyens qui 6tablissent le rapport avec
le sacre en concr6tisant les croyances par des pratiques. La disposition
de ces elements ne se produit pas m6caniquement mais, simultan~ment,
a travers les rapports entre les agents eux-memes d’une part et entre
les agents et les moyens de communication avec le sacre d’autre part.
La position que les agents religieux occupent dans la structure pente-
c6tiste est d6pendante du role qu’ils jouent dans la production des biens
religieux, tels que les predications, les prieres et les rites. Ainsi la struc-
ture religieuse, malgr6 son processus et sa forme caract~ristique, n’est
pas fixe mais d6pendante d’un element variable intrinseque les rap- -
ports sociaux.
L’insertion du pentecotisme dans la totalite sociale ne se produit pas
a travers structure, consideree en tant que production des biens reli-
sa
gieux. Elle s’explique par la dependance du pentecotisme envers l’infra-

structure.
La realite religieuse, malgre cette dependance et cette determination,
reagit a son tour la societe. Elle
sur exerce aussi forme de d6termi-
une
nation sur son determinant de base -
l’infrastructure economique, en
conditionnant la formation sociale, en la 169itimant ou en r6agissant sur
elle, totalement ou partiellement.
Ayant ainsi expose les notions fondamentales avec lesquelles nous
allons travailler dans notre analyse du pentecotisme, nous pouvons com-
prendre facilement qu’il n’existe pas de coupure entre le pentecotisme et
la societe capitaliste. La religion pentecotiste est une composante de la
societe capitaliste.
C’est dans cette perspective que nous allons presenter les donnees
recueillies lors de notre enquete r~alis~e dans quatre municipalites de
la region du Grande Rio : Nova Iguaqu, Nilopolis, San Joao de Meriti et
Paracambi. Nous avons choisi cette region parce qu’on peut y trouver les
aspects generalement presentes comme explicatifs de 1’expansion pente-
c6tiste : l’urbanisation acceleree, l’industrialisation et l’immigration inter-
regionale qui atteint la plus grande partie de ses habitants. Nous ajoute-
rons encore qu’il s’agit d’une region marquee de longue date par le
catholicisme, ou les immigr6s eux aussi sont catholiques dans leur quasi
totalite bien qu’adherants plus au catholicisme devotionnel qu’aux prati-
ques du culte officiel de 1’Eglise Catholique.
Le pentecotisme y est arrive dans les environs de 1930. Essentielle-
ment catholique ( 83,6 , de catholiques) avec 10 % de chretiens evange-
liques et ayant des milliers de temples d’Ubanda, cette region avait en
1950, 73,9 % de population urbaine et 89,4 % en 1970. Elle est trav ersee
par la route Dutra qui relie Rio de Janeiro a Sao Paulo ainsi que par
des lignes de chemin de fer. L’ensemble des industries figurent parmi les
plus representatives du Grande Rio. En 1930 il y avait un temple pente-
c6tiste en fonctionnement et 392 en 1975. Le rythme de croissance dans
358
la decade 1960-70 fut de 209,6 %, deux fois supéricur a celui des bap-
tistes et trois fois plus que celui des presbyt~riens et m~thodistes. Dans
cette region ou le pentecotisme s’est propage rapidement, on peut dis-
tinguer d’une part un secteur peuple par des couches riches et constituc-
de maisons luxueuses dans lequel on ne voit aucun temple pentecotiste
et, d’autre part, une region plus grande peupl~e de maniere diffuse et
desordonnee par des couches moycnnes et pauvres. La procedure adoptee
dans cette enquete a consiste en des multiples observations des cultes
publics et prives, des contacts repetes et innombrables avec les croyants,
plusieurs entrevues et finalement des questionnaires distribues a l’occa-
sion des cultes avec la permission des responsables. Plusieurs eglises ont
etc selectionnees et 1160 questionnaires au total ont etc distribues et
recoltes.
3.1. L’aspect de l’insertion

Sur la base des donnees obtenues, un peu plus de la moitie des pente-
c6tistes qui ont une occupation r6mun~r~e (52,7 % ), 33,9 % sont des
hommes et 18,8 jo sont des femmes. Si la predominance est masculine
dans le sous-ensemble de ceux qui travaillent, la presence feminine est
dominante quand on considere la totalite des pentecotistes : 53,6 % pour
notre enquete. Ce pourcentage augmente (79,2 % ) si on considere ceux
qui n’ont pas d’activites remunerees. Nous distinguons dans ce sous-
ensemble pour les deux sexes : taches domestiques 59,7 % ; etudiants
21,5 % ; retraites 16,8 % et chomeurs 2 %.
Ainsi, la majorite des croyants pentecotistes exercent des activites re-
munerees ; celles-ci nous permettent une premiere caracterisation : sala-
ries 99,5 % ; petits artisans et proprietaires de petits magasins (sans em-
ployes ) 0,5 %. Les branches de travail ou les activites remunerees se
distribuent, completent cette premiere caracterisation : services (publics
et prives ) 42,1 % ; commerce 19,4 % ; industrie 17,1 % ; femmes d’ou-
vrage 15,8 °~o ; transports 5,3 % ; agriculture 0,3 % 9. Comme nous le
voyons les secteurs du commerce et des services sont majoritaires, tandis
que les travailleurs de l’industrie ne representent que 17,1 %.
Ces donnees nous montrent que le pentecotisme, pour la region de
notre recherche, est en rapport avec la societe. La majorite de ses adeptes
se compose de travailleurs salaries. Cependant, plus des deux tiers de
ces salaries ne se trouvent pas au sein des rapports caracteristiques de
l’opposition de classes (opposition entre les proprietaires des moyens de
production et producteurs directs ou ouvriers) mais hors de cet antago-
nisme direct, c’est.-a-dire dans les secteurs du commerce et des services.
Cela ne les empeche pas de rester sous la domination du capital. Mais
ils supportent cette domination, non a l’int6rieur de cet antagonisme,
mais en tant que strate de classe intermediaire 1°, expression qui ne de-
signe pas une classe dans le sens plein du terme. Cette situation implique
9
Pourcentages en référcnce aux municipalités de caractéristiques agricoles.
10
Expression utilisée par Nicos POULANTZAS in Les classes sociales dans le capitalisme
d’aujourd’hui, Ed. du Seuil, Paris, 1974.
359
qu’ils peuvent osciller, soit du cote de la bourgeoisie dominante, soit
du cote des revendications ouvrieres. Quand nous cherchons a voir
comment ils se distribuent dans le secteur tertiaire (commerce, services
et transports) les donnees nous montrent qu’ils occupent les positions
les plus basses et les postes d’execution : manoeuvres, hommes de cor-
v6es, portiers, gardiens, macons independants, m6caniciens, 6lectriciens,
tailleurs, chauffeurs et controleurs d’autobus, commerrants de foire, ven-
deurs ambulants, femmes d’ouvrage, employ6s de comptoir, emballeurs,
office-boy, soldats, caporaux, sergents, quelques-uns d’entre eux occu-
pent une position plus elevee tels que les lieutenants, les capitaines re-
trait6s et les professeurs.
Toutefois nous ne devons pas oublier, pour mieux comprendre la r6a-
lit<, que la situation de cette region apparait, selon les recensements bresi-
liens, caract6ris~e par la predomiance des secteurs du commerce et des
services (travailleurs non qualifies) et par la tendance a son intensifi-
cation. Mais dans ces secteurs, si nous mettons en evidence les travail-
leurs specialises, c’est-a-dire, les employ~s, la situation change, comme
nous le voyons dans le tableau n° 2.
TABLEAU 2 : Travailleurs non qualifiés, travailleurs spécialisés (employ6s) et situa-

tion des pentec6tistes dans les principales branches d’activite - 1970.
Il faut noter la forte tendance vers 1’expansion des secteurs du com-

merce et des services, soit en ce qui concerne les travailleurs non quali-
fi~s, soit les employ~s. Entre 1960 et 1970 la croissance relative des
travailleurs non qualifies dans le secteur commercial fut de 180 %, dans
les services 80 % et dans l’industrie 50,6 %. Quant aux employes, la
croissance relative fut 162 % dans le commerce, 39 % dans les services
et 37 % dans l’industrie. Parmi les pentecotistes, la majorite se trouve
dans le secteur des services. Considerant le commerce et les services
ensemble, la croissance relative des travailleurs non qualif ies durant la
derniere decade fut de 121 % contre 37,5 % a peine dans le secteur
industriel. Etant donne que la region est de predominance urbaine
(89,4 ~&dquo;o), avec un rythme d’urbanisation de 114 % entre 1960-70 et
encore une forte immigration interr6gionale (57 % des habitants ne sont
pas nes dans la region ) , nous pouvons dire qu’elle offre a la population
qui arrive plus de possibilit6s de travail dans les secteurs du commerce
et des services que dans l’industrie. Toutefois, ceci ne constitue pas
360
une donn6e entierement isolee ; elle depend, de meme que l’urbanisation,
de la phase du capitalisme bresilien qui débute en 1930. Il est important de
noter que, meme si l’immigration est associée au pentecotisme dans la
mesure ou les immigres sont porteurs d’aspects culturels, y compris ceux
a caractere religieux, ce n’est pas par elle ni par 1’urbanisation acceleree
que le pentecotisme se relie fondamentalement a la societe, mais c’est
au travers des rapports de classe.
Ce que nous deduisons des donnees expos~es ici, c’est que le pente-
c6tisme grandit dans la mesure ou il s’infiltre de maniere pr6domiante
dans les secteurs du commerce et des services. Dans ces secteurs et aussi
dans l’industrie, il s’est infiltre dans les couches plus pauvres et de
moindre qualification, qui executent des taches de simple execution. Les
diverses professions mentionnées ci-dessus, caractérisent ces couches pau-
vres, mais aussi leur degre d’instruction, comme nous pouvons le remar-
quer dans le tableau n° 3.
TABLEAU 3: Niveau d’instruction et classes sociales dans 1’ensemble pentec6tiste.
Le bas niveau d’instruction et la position inferieure qu’ils occupent

dans la stratification (la classe plac~e en dehors de 1’antagonisme de
classe est majoritaire parmi les pentecotistes ) caract6risent ce que les
sp6cialistes de ce phenomene appellent des couches inferieures et pau-
vres au sein desquelles penetre la religion pentecotiste. Les donnees con-
cernant la remuneration des adeptes du pentecotisme ont etc impossibles
a recueillir. Les entrevues ont revele qu’une grande partie touche a peine
le salaire minimum regional et que les pentecotistes ne sont pas inte-
ress6s a gagner plus. Par la discipline qu’ils s’imposent(ils cessent de
fumer, de jouer, de boire, de d6penser dans les distractions profanes),
ils parviennent a faire quelques economies qui sont canalis~es, d’une part
pour la dime payee aux eglises et, d’autre part, pour l’amélioration de
l’alimentation et de la maison. Plusieurs pentecotistes nous ont dit :
361
« Je ne sens pas le besoin de travailler
plus, pour gagner plus d’argent,
parce que Jesus b6nit mon foyer et depuis que je suis pentecotiste rien
n’y manque ». Un marchand de foire nous a dit : « J’ai cesse de travailler
dans les foires de dimanche parce que c’6tait le seul jour ou je pouvais
aller au culte ; Jesus m’a montre que je pouvais laisser la foire le di-
manche et aller a 1’ecole dominicale et au culte. Depuis lors, rien n’a
manque chez moi ». Un croyant aux gains modestes, retraite des servi-
ces publics mais encore en bonne sant~, nous a declare : « Ce que je touche
de ma retraite suffit pour que ma famille vive. Dieu m’a aide. Je passe
mes temps libres dans les travaux de mon eglise ». Cependant, ils ne
s’int6ressent pas a la situation de travail de leurs camarades de travail.
Le marchand de foire savait combien il en avait « gagne pour Jesus »,
mais il ne savait pas comment ils vivaient. Une vendeuse pr6f6rait in-
viter ses compagnes de travail au culte plutot que de se renseigner sur
la fa~on dont elles vivaient.
La connexion entre le pentecotisme et la situation de classes produit
des implications qui peuvent etre aperques dans la vie des croyants.
Premierement, les croyants sont moins sensibles aux conflits de classe
et a la conscientisation des contradictions sociales, parce qu’ils s’inscri-
vent, pour la plupart d’entre eux, hors du cercle des classes antagonistes.
Cette insensibilite tendantielle s’aggrave et se radicalise sous la domina-
tion de la croyance au pouvoir de Dieu. Ainsi, les racines sociales de
la precarite de leurs vies, de leurs travaux et de leur sante ne les sensibili-
sent pas. Des lors, ils s’installent facilement dans un style de vie qui
ne remet pas en question leur existence dans la societe. Nous pouvons
encore souligner la tendance au carrierisme et a 1’explosion emotion-
nelle, aspects qui sont lies. en general, a cette fraction de classe que
nous caractérisons comme non inseree a 1’interieur de 1’antagonisme des
classes. Mais ces elements sont fortement orient~s vers le monde sacral.
L’ascension a des postes et des positions importantes est recherch~e au
sein des eglises, par la voie du proselytisme, des predications sur des
places publiques, du don de prier et de parler dans des langues etran-
geres, d’autres dons et de l’int6r~t pour les eglises. Un simple ma~on
aux vêtements salis par le travail, une fois devenu pasteur ou presbytre,
entre dans son eglise a l’heure du culte, bien habille, chapeau dans la
main, recoit les compliments des autres et les retribue. Une simple lavan-
diere ou femme d’ouvrage se sent honoree quand elle fait des deposi-
tions a 1’occasion des cultes ou quand elle transmet quelque message.
Dans la vie civile elle est un simple servante qui execute les ordres de la
patronne. Quand elle etait catholique ou protestante, on ne lui laissait
pas le temps de prier. Une fois pentecotiste, elle produit un discours
religieux avec ses propres paroles et sentiments. Elle se sent porteuse
de l’inspiration de l’Esprit et est écoutée par ses fr~res de croyance.
Une fois, nous avons eu 1’occasion de voir un manoeuvre qui savait à
peine reproduire sa signature, produire spontanément une priere lors
d’un culte public de la Congrégation Chréticnnc et ~tre 6cout6 en silence
par les gens qui assistaient. L’emotion qui s’observe lors des predications,
dans les cultes et places publiques, dans 1’exercice des dons, principale-
ment ceux de prier dans des langues étrangères et ceux des gu~risons,
362
touche avec une extreme facilite ceux qui par leur profession se situent à
1’exterieur de 1’antagonisme des classes et lui sont indifferents. Elle
apparait avec plus d’ardeur sous 1’influence de la croyance dans le pou-
voir de 1’Esprit. C’est cette emotion qui ne provient que d’une situation
de classes, qui se repand a travers les cultes et les prieres a voix haute,
dans les temples de 1’Assemblee de Dieu.
Par 1’intermediaire des donnees recueillies, nous nous sommes aper~us
que certaines professions tels que les maqons, les charpentiers et les
electriciens, sont nombreux parmi les pentecotistes. Il n’est donc pas
étonnant que les eglises aient une main-d’ceuvre disponible pour la
construction et la reparation de leurs temples durant les jours de conge et
les week-end. Il est clair que les croyants, en raison de leur travail, ne
sont pas tous disponibles. L’observation nous a montre toutefois que
plusieurs croyants, principalement ceux qui travaillent a leur compte,
pref erent s’employer dans la construction et la reparation des temples
de leur Eglise en etant pay6s par elle. Un des pasteurs nous a montre,
avec quelque orgueil, les murs du temple et la cour de 1’entree comme
des ceuvres realisees par lui-meme. Il 6tait ma~on depuis longtemps.
Le vieux et charitable pasteur de Paracambi, experimente dans le metier
de maqon, a oriente et travaille de ses propres mains a la reforme du
temple et a la construction d’un hopital pour les croyants. Un croyant
maqon nous disait : « Dieu m’a donne la vocation de maqon et je la
donne a son temple ».
Parce que le monde du travail des croyants est marqu6 principale-
ment par la presence massive de salaries/non producteurs directs, places
en dehors des conflits de classe, nous sommes inclines a voir une cer-
taine affinite entre la tendance ideologique de cette strate vers le refor-
misme, d’une part, et vers 1’emphase pentecotiste sur la reforme morale,
d’autre part. Au sein de cette tendance le pentecotisme penetre pour
concrétiser ce qui se nomme, entre les croyants, la conversion. Le car-
rierisme, 1’emotionnel, le reformisme moral du caractere individuel qui
explosent dans les eglises pentecotistes, trouvent un terrain fort propice
dans les couches qui constituent cette classe intermediaire. S’il est vrai
que le pentecotisme offre aux couches pauvres des masses urbaines des
voies d’ascension sociale au sein de ses eglises, comme Willems le note,
en leur offrant symboliquement ce qui lui est refuse par la societe, nous
pensons que cela n’est pas une consequence de la religion pentecotiste

en tant que totalite autonome, mais une dependance des rapports de
classes. Les aspects psycho-sociaux, tels que le carrierisme, le reformisme
moral a caractere individuel, le subjectivisme emotionnel, tendentielle-
ment presents dans une situation de classes et encore 1’aspect magico-
religieux du catholicisme devotionnel, revitalises et resocialises par le
pentecotisme, agissent comme des mecanismes socio-culturels mediateurs
de la dependance et de la determination produites par les rapports de
classes. Deux points doivent ici etre signales. Premi~rement, cette de-
termination n’efface pas la specificite de la structure religieuse et de son
autonomie relative, avec la determination et malgre elle. C’est ce que
nous allons voir ensuite. Deuxiemement, c’est en tant que determinee
par les rapports de classes que la religion pentecotiste exerce une action
363
de retour sur son determinant de base, mais il reste a savoir quel type
d’action et a travers quelle vision ideologique se circonscrit cette action.
3.2. Structure religieuse pentec6tiste

L’insertion de la religion pentecotiste dans la realite sociale par la
mediation des rapports de classe (insertion d6pendante et d<termin<e
par ces rapports) n’implique-t-elle pas l’annulation de la specif icite de
la structure religieuse pentecotiste ? Y a-t-il ou pas dans le pentecotisme
une structure specifiquement religieuse et quels seraient ses elements
constitutifs ? Ces questions nous introduisent dans la probl6matique de
la dimension proprement religieuse du pentecotisme. Jusqu’a pr6sent,
nous avons essaye de voir le pentecotisme en tant que partie int6grante
de la societe capitaliste. Mais cela ne nous apprend pas ce qu’il est ni
ne nous donne une vision interne du phenomene. Nous avons pris cette
orientation, parce que le religieux doit etre compris essentiellement dans
son insertion dans une societe historiquement determinee.
Quand nous observons 1’ensemble des actes et des rites religieux du

pentecotisme, nous pouvons distinguer deux plans : l’un constitue par
les rites formels, tels que bapteme et la Sainte Cene, et l’autre qui en-
globe des cultes publics, des cultes prives de pri~re, des predications
sur les places et des cultes de guerison. Ce dernier plan n’est pas seule-
ment plus extensif et plus frequent, mais acquiert egalement de l’im-
portance parce que c’est par son intermediaire que le pentecotisme
s’identifie en tant que « religion sous la mouvance de 1’Esprit ». C’est
par les actes constitutifs de ce second plan, plus large et plus evident,
que la religion pentecotiste se presente comme differente du protestan-
tisme traditionnel et du catholicisme.
Tandis que sur le plan des rites formels Sainte Cene et bapteme
- -
il y a une division sociale du travail religieux, caract~ris6e par la s6para-

tion entre le producteur du rite et des autres participants (consomma-
teurs), une telle division est inexistante dans les actes religieux qui
caracterisent le pentecotisme. Dans la Sainte Cene, par exemple, c’est
le pasteur qui opere le rite en meme temps qu’il offre le pain et le vin,
symbole de la derniere C~ne, et c’est apres seulement que les diacres
les distribuent aux croyants presents. Dans le bapteme c’est le pasteur
ou le presbytre ou le diacre qui prononce les mots rituels, allusion a
1’acte qui fait immerger 1’adepte dans les eaux ou qui repand de 1’eau
sur lui (selon les habitudes de la Croisade Nationale d’ Evangélisation) .
Dans ces deux rites, il y a d’un cote l’agent categorise qui produit le
rite et, d’un autre cote, les consommateurs du rite. Etant donne que
1’action rituelle est un type de production religieuse, la distinction entre
producteurs du rite et les consommateurs est un des elements de I’analyse
rituelle. Le rapport qui relie les premiers aux seconds def init les positions
occupées par les agents specialises (producteurs du rite) et les non spe-
cialises (consommateurs).
Cette division sociale disparait quand nous nous tournons vers les
actes du culte public et des cultes priv6s de priere. Les cultes publics
364
de pri6re, par exemple, malgré qu’ils aient normalement comme president
un pasteur ou un autre agent sp6cialis6, peuvent, en 1’absence de ce
dernier, avoir un autre croyant a sa pr~sidence. Mais ce qu’il est im-
portant de savoir, c’est ce qu’on fait et comment on le fait. La predication,
par exemple, n’est pas exclusivement reservee a ceux qui possedent un
diplome. Elle peut etre assur6e par un croyant qui se sent inspire par
1’Esprit. Ainsi peuvent precher le pasteur, le presbytre ou le simple
croyant non specialise religieusement. La predication est donc a la port~e
de tous. En plus, dans 1’Assemblee de Dieu, par exemple, il y a une
sorte d’intercommunication entre celui qui preche et les auditeurs. Dans
cette branche du pentecotisme, les acclamations spontan6es proferees par
les assistants-
« Jesus merveilleux, Dieu puissant, Gloire a Jesus » -
pendant le discours religieux, sont courantes. C’est une forme par la-
quelle l’assistance applaudit le message apporte par le prédicateur. Dans
la Congrégation Chrétienne, on permet aux personnes qui se sentent
touchees par « l’inspiration de 1’Esprit » de s’exprimer. Dans I’Assembl6e
de Dieu, certains croyants sollicitent leur tour pour precher et apporter
un message religieux. Spontanement ils declament des po6sies, recitent
certains morceaux par eux-memes et executent des cantiques. Les due-
positions constituent un type de discours religieux. Un croyant quelcon-
que, s’il le desire, fait son discours-d~position, avec ses propres mots,
sans avoir f ixe le theme et sans avoir de limite de temps. Les prieres
montrent avec une plus grande clarte qu’il n’y a pas de division sociale
du travail religieux. Dans I’Assembl6e de Dieu, par exemple, tout le
monde prie debout et en meme temps, chacun avec ses propres mots, en
exteriorisant ses sentiments par des gestes spontan~s. Nous pouvons
dire que ces mots expriment le climax de la communication avec l’Esprit,
surtout quand il s’agit de cultes privés de priere, ou prier dans des
langues devient plus frequent. Dans la production du discours-priere,
nous pouvons dire que le president s’identifie avec les autres croyants
et devient un avec 1’assemblee. Dans la Congrégation Chrétienne. la
priere commence collectivement a voix basse, chacun prie alors comme
il le desire et avec ses propres mots. Ces prieres sont a peine couvertes
par la voix de celui qui se sent le plus inspire par Dieu. Ce croyant
n’est pas choisi et il peut etre un homme ou une femme. L’inspiration
qu’il ressent dans les premiers moments de la priere collective le pousse
a prier avec une voix de plus en plus elevee, les autres se taisant pro-
gressivement afin que le croyant inspire poursuive son discours-prière,
quelque soit son niveau d’instruction. Tout le monde 1’ecoute attentive-
ment comme s’il 6tait « Dieu qui parle par 1’intermediaire d’un des leurs ».
Le contenu de ce discours-prière est marque par la louange au pouvoir
de Dieu, par 1’exteriorisation de sentiments et de gestes de remercie-
ment a 1’egard de la protection de Dieu et enfin par l’intense rapport
homme/sacre. Dans les cultes prives de priere, reserves seulement aux
croyants les plus pratiquants, la spontanéité s’installe et est dominante.
Le rapport homme/sacre devient ici plus fort. Pasteurs et simples croyants
prient ensemble ; chacun, utilisant ses propres mots, gesticule et danse
avec la plus grande spontaneite, quelques-uns priant en langues. Les
cantiques sont libres, spontanés et laiss~s aux choix de chacun.

365
Dans la production de ces biens religieux, tous les croyants apparais-
sent comme des agents producteurs. Les moyens dont ils se servent pour
cette production sont leurs propres croyances, leurs gestes, leurs mots
et leurs sentiments. Le formalisme et le ritualisme disparaissent. Le niveau
d’instruction n’est pas un critere d’acceptation du message. Les charges
qu’occupent quelques croyants au niveau organisationnel disparaissent
aussi. Tous, pasteurs ou simples croyants, occupent la position de pro-
ducteurs directs des biens religieux soumis a la participation et a 1’en-
richissement du culte. Au niveau de ces cultes publics et priv6s, il n’y a
pas de distinction entre I’agent specialise, le pasteur par exemple, et les
simples croyants. Tous sont des producteurs directs de leur monde re-
ligieux.
Ainsi, la structure religieuse pentecotiste a ce trait caracteristique : le
croyant est le producteur direct des biens de son monde religieux mar-
que par la croyance et par la force de I’Esprit. L’important n’est pas
d’etre pasteur, presbytre ou diacre, mais d’être producteur direct du monde
religieux pentecotiste. En resume, nous pouvons affirmer que : a) les
croyants sont, au niveau de la structure
religieuse, les producteurs directs
du monde religieux, ce qui les definit en tant que pentecotistes ; b) la
position qu’ils occupent dans cette structure se caracterise par les rap-
ports de propriete et de possession des moyens de production religieuse
(croyances, sentiments, mots et gestes) ; c) il n’y a donc pas de division
sociale du travail religieux ; d) il n’y a pas non plus de division entre
travail intellectuelet travail manuel, c’est-a-dire, de distinction entre
ceux et ceux qui executent les
qui planifient les prieres et
predications,
les depositions.Ainsi la dicothomie entre agents
disparait et specialises
simples croyants, entre lettr~s et illettr~s, entre détenteurs du pouvoir
et gouvernes, entre planificateurs
et executants.
Willems a 6crit que le pentecotisme est une protestation contre la
societe en changement. Lalive d’Epinay, dans son etude sur le pentec6-
tisme chilien, a affirme que la religion pentecotiste est en meme temps
une refutation de la societe en changement et une reconstitution sym-
bolique de la societe traditionnelle ; ce sont les modeles culturels de celle-

ci qui ont inspire le pentecotisme. Cette idee de protestation symbolique
nous semble valable. Toutefois nous pensons que cette protestation s’inscrit
fondamentalement dans la structure pentecotiste elle-meme. Nous ne re-
jetons pas 1’existence d’autres aspects dans le pentecotisme qui peuvent
etre consideres comme des signes indicatifs de protestation. Mais, de
notre point de vue, la structure religieuse pentecotiste se manifeste sur-
tout par son opposition a la structure de la societe capitaliste. Dans la
production religieuse pentecotiste, la position des agents producteurs des
biens religieux et les rapports qui les unissent, sont en opposition avec
la realite de l’infrastructure economique. Ainsi, la superstructure
ideologico-religieuse, bien qu’elle soit d~termin~e et d6pendante du deter-
minant de base (1’infrastructure economique), exprime, face a son de-
terminant, une opposition symbolique qui n’est pas une coupure reelle
et effective. Tout se passe comme si les couches defavorisees disaient un
non A la societe capitaliste au niveau symbolique, comme si elles se trou-
vaient sous la domination du capital mais qu’au niveau de la structure
366
religieuse elles possedaient les moyens de production. Cette opposition
symbolique comporte une ambiguite s6ricuse. Cette structure religieuse
etouffe les croyants par un climat sacral intense, jusqu’a devorer leur
sensibilité au monde reel ou ils vivent. Cela veut dire qu’ils subissent
une domination du sacre puisque leur perception des realites est alteree
par une structure religieuse opaque qui empeche une vision objective de la
societe ou ils vivent. Nous verrons ces aspects plus tard.
Ce quiprend du relief dans la structure pentecotiste, c’est la promo-
tion qu’elle realise symboliquement et qui consiste a transformer les
croyants en producteurs directs de leur monde religieux. Si la fonction
du pasteur prend du relief, cela se passe au niveau de 1’organisation et
non au niveau de la structure religieuse ou tout le monde occupe des
positions eg ales dans la production des biens religieux.
Cette protestation symbolique qui s’inscrit dans la structure religieuse
se devoile a travers quelques aspects qui retiendront notre attention. La
religion pentecotiste integre quelques symboles de la societe capitaliste,

tels que les habillements bourgeois (portes principalement par les pas-
teurs), le langage d’un acaddmisme d~pass~ et la marche mi-seigneuriale
(aspect bien signale par d’Epinay) utilisee par les pasteurs. Mais au
sein du culte, le pasteur profere la foi pentecotiste avec ses propres mots ;
il enonce son discours/protestation symbolique d’une maniere non verba-
lisée avec des gestes spontan6s, les yeux fermes, des mots inintelligibles.
Tout cela en total desaccord avec les symboles de la societe capitaliste
qui sont presents dans le culte. Aussi, ne serait-il pas errone de voir dans
ce langage non verbalis6, non usit6 dans la societe, une protestation sym-
bolique de classe dominee.
Cette structure religieuse est un processus. Elle n’est pas quelque
chose de statique. Elle est dynamique et contient les conditions de sa
reproduction. Nous ne trouvons pas dans les aspects socio-culturels de
la societe la raison de 1’expansion pentecotiste. Celle-ci doit etre trouve
dans la production des biens religieux elle-meme. Dans cette production
(les predications et les cultes) le pentecotisme s’adresse a 1’experience
religieuse anterieure des adeptes du pentecotisme. Notre recherche nous
a montre que, comme experience religieuse ant6rieure, le catholicisme
de type devotionnel etait celle qui 6tait la plus proche du proselytisme
pentecotiste : parmi les convertis au pentecotisme, 81 % Etaient d’an-
ciens croyants d’un catholicisme devotionnel. Les 19 % restant avaient
ete protestants et spirites.
L’observation que la plupart des pentecotistes (70 lye) proviennent
d’autres confessions religieuses souleve deux problemes. Le premier est
que 30 % des pentecotistes au moins, dans la region de notre recherche,
sont originaires de familles pentecotistes depuis la derni~re, la deuxieme
ou la troisieme generation. La famille apparait alors comme facteur de
socialisation religieuse. Ceci pose un autre probleme, a savoir, si le pente-
c6tisme est une secte ? Mais entrer dans la discussion de ces problemes
conduirait a prolonger trop cet article. Cependant le probleme est deja
soulev6. Le deuxieme probleme nous int6resse particulierement. Nous
1’aborderons sans nous y attarder beaucoup. II se refere a l’influence
que la religion pentecotiste exerce sur les adeptes des autres groupes
367
idiologico-religieux. Nous ferons donc surtout reference aux 70 % de
pentecotistes convertis.
Deux points doivent etre rappeles ici : a) Outre la determination de
l’infrastructure economique, le champ ideologico-religieux pentecotiste
souffre d’une dependance face a l’id6ologie politique dominante de la
soci6t6 capitaliste. C’est en tant que determine et dependant de 1’ideo-
logie dominante que le pentecotisme exerce son action proselytiste et
repand son message. Les faits montrent que ce message trouve echo
dans d’autres champs religieux, eux aussi dependants de l’idcologie do-
minante. Nous savons que le catholicisme devotionnel a etc le terrain
propice A la penetration du proselytisme pentecotiste. b) Comme autre
facteur important a travers lequel se manifeste l’influence du pentecô-
tisme sur les autres champs religieux, nous trouvons les aspects socio-
culturels manipul6s par l’id6ologie dominante, y compris ceux de carac-
tere religieux. Ainsi, l’intercommunication entre le pentecotisme et les
autres champs religieux a pour base la dependance que ces domaines
religieux ont face a 1’ideologie dominante et la mediation de leurs aspects
socio-culturels.
Quant au premier de ces aspects, nous avons remarque que les adeptes
d’un credo determine, quand ils contestent l’ideologie dominante par
une reflexion critique sur la realite, ne peuvent s’empecher de rejeter
le message pentecotiste. D’autre part, le passage au pentecotisme, par le
biais de la mediation socio-culturelle, se produit sous la domination
de 1’ideologie dominante voilee par cette mediation. Nous pensons que
dans le cas du catholicisme devotionnel, qui a contribue le plus au pro-
gres du pentecotisme, la dependance face a 1’ideologie dominante est
particuli6rement importante, laissant sa dimension magico-religieuse à
la merci de l’influence pentecotiste.
Le catholicisme devotionnel, avec sa charge mythique et son fort appel
au sacre sans reflexion critique sur la realite, est canalise vers la religion
pentecotiste. Tout ce qu’il y avait dans 1’experience religieuse anterieure
du croyant, le contact direct avec le sacre, 1’appel a la protection sacrale
lors de difficultes de la vie, la non remise en question des racines sociales
de ces difficultes, tout cela est accapare par les mailles de l’influence
pentecotiste qui renforce 1’emprise du sacre. Le pentecotisme n’exprime
pas toutefois, a notre avis, un prolongement de ce type de religiosite
anterieure. En tant que travail religieux collectif, la structure religieuse
pentecotiste exprime au contraire une coupure avec cette religiosit6 an-
terieure. Sous cet aspect, le pentecotisme inaugure une phase nouvelle
dans la formation religieuse bresilienne, etant donne que les croyants y
apparaissent comme les producteurs directs de leur monde religieux.
Ici reside la nouveaute du phenomene pentecotiste. Mais cette innovation
comporte en soi les graves ambiguites dont nous venons de parler et
d’autres que nous souleverons dans le paragraphe suivant.
3.3. Fonction du Pentec6tisme
En tant qu’élément superstructurel de la formation socio-economique

capitaliste, le pentecotisme, sans etre un simple produit des rapports de
368
production, exerce action en retour sur son determinant de base
une
et en consequence, la societe a ses niveaux politique et culturel. La
sur
reside 1’efficacite de la structure de protestation-symbolique sur la struc-
ture globale de la societe. Quels elements pouvons-nous discerner dans
cette action en retour sur le determinant de base de la religion pente-
c6tiste ?
Rappelons-nous tout d’abord que 1’axe ideologique autour duquel agit
le pentecotisme est constitue de deux principes de base qui orientent
ses croyances et ses pratiques. Le premier principe est caracterise par
la croyance au pouvoir de Dieu par 1‘effusion de l’Esprit. Les croyants
trouvent le soutien biblique de cette conviction dans la premiere lettre
de St Paul aux Corinthiens, ou 1’Apotre parle des dons de l’Esprit et de
1’experience de ces dons, ainsi que dans les premiers chapitres des Actes
des Apotres. Le deuxieme principe se réfère au respect qu’on doit mon-
trer face a 1’autorite et a 1’ordre etablis ; il trouve sa reference biblique
dans I’Epitre aux Romains. La croyance dans 1’effusion de l’Esprit
et dans le pouvoir de Dieu introduit le croyant dans un monde sacral.
A partir de 1’entree dans ce monde sacral, ou 1’emotionnel, le reformisme
moral et 1’appel a la protection du sacre se developpent et dominent
sa vie, l’ordre est instaure par le r6tablissement de l’intervention de 1’Es-
prit des premiers temps du christianisme mais oubli6e par la rationali-

sation posterieure des eglises chretiennes. Cette intervention de 1’Esprit
est li6e a la croyance dans le Millenaire : le Christ reviendra sur la
terre et il regnera sur elle, il n’y aura plus de guerre ni de d6sordre.
La conversion se fait donc par la sortie de ce monde ou regne le prin-
cipe du mal, du demon, et par 1’entree dans la phase de l’Esprit qui
prepare la venue du Christ. Ces croyances concretisees dans des prati-
ques qui a leur tour les renforcent, emprisonnent les croyants dans leur
monde sacral. Baignes dans cette atmosphere fortement sacr~e, les
croyants ne savent pas percevoir les racines sociales des maux, des in-
justices et de la precarite de la vie sociale. Tout cela sont des signes
qui annoncent le retour du Christ. De cette faqon la vision du social
est profond6ment mutilee. Le principe du pouvoir de Dieu a travers
1’effusion de 1’Esprit est compris et vecu dans une optique a-historique
qui structure la vie des croyants d’une maniere etrangere a sa dimen-
sion historico-sociale. L’homme n’est pas compris en tant que sujet qui
intervient dans l’histoire, mais plutot comme un objet et un produit de
la societe. Cet 6loignement de la societe ne s’opere pas seulement par
1’abandon de certaines habitudes, tels que fumer, jouer, danser, s’amuser,
mais aussi par l’indiff6rence et le refus de participation aux entreprises
qui peuvent conduire a la transformation de la societe. Nous avons
constate dans la region de notre recherche 1’absence de croyants dans
les communaut6s de quartier et les groupes organises en vue d’ameliorer
la vie des habitants. Si, auparavant, une branche pentecotiste semblait
s’intéresser a la politique, aujourd’hui les aspects 6conomico-politiques
sont tout a fait oublies. La dimension sacrale domine la vie des croyants.
Le second principe legitime le respect et 1’acceptation de 1’autorite et
de 1’ordre etabli, mais il acquiert une connotation concrete. Par ce prin-
cipe, 1’autorite interne de l’Eglise elle-meme est legitimee. L’ordre sacral
369
fonde dans le pouvoir de l’Esprit est pleinement accepte et voulu par
Dieu. L’autorite civile et la situation etablie par elle sont egalement
legitimees sans aucune remise en question. Cette remise en question
constiuterait deja en soi un manque de respect. Les lois en vigueur et
les autorit6s constituees dans la societe sont bonnes, parce qu’elles sont
venues de Dieu et voulues par lui. Le discours religieux, sur la base
de ce principe, presente une intime connexion avec les pratiques qui
justifient 1’ordre socialement etabli. Ou encore, les pratiques d’obeis-
sance a la situation politico-economique en vigueur renforcent le conseil
paulinien d’une fa~on radicale. I1 y a toutefois une s6rie d’ambiguYt6s
dans cette attitude. Du point de vue interne, bien que la reconnaissance
de 1’autorite soit 169itim6e par le sacre, il n’appartient pas a cette autorité
(pasteur, presbytre, etc.) de dire quand Dieu se manifeste a travers le
pouvoir de guerir, la proph6tie ou le don des langues. Les croyants af f ir-
ment savoir discerner ce qui vient de Dieu et ce qui ne vient pas de lui.
C’est-a-dire que I’autorit6 religieuse, respectee et obeie, n’interfère pas
dans le monde sacral, mais celui-ci interfere dans l’institution de 1’auto-
rite interne des eglises. Ainsi, le bapteme dans l’Esprit est exige pour
que quelqu’un puisse devenir pasteur. Ou encore, quand quelqu’un af-
firme etre baptise dans 1’Esprit ou est reconnu comme tel par un autre
croyant, cela 1’autorise a recevoir le bapteme dans les eaux, sans aucune
autre formalite. Le don de proph~tie se transforme souvent dans des
severes admonestations aux pasteurs. Le monde sacral dans lequel les
croyants baignent intensement, legitime la remise en question du gou-
vernement et des attitudes des autorités religieuses constituees.
Cependant, lorsqu’il s’agit de I’autorit6 civile, le monde sacral se tait
et les croyants régissent leur conduite selon le principe du respect à
l’ordre constitue. L’autorit6 du pasteur et du presbytre interfere dans le
controle de ces pratiques. Nous verif ions en effet, dans la region de
notre recherche, que les croyants qui avaient commis des infractions
vis-A-vis la loi et qui avaient etc condamn6s lors d’un proces quelconque
furent sommairement repouss6s par le pasteur. D’une part, la croyance
dans la force et dans le pouvoir de Dieu, qui est a la base du monde
sacral, peut, et cela s’est souvent presente, produire une scission au sein
des eglises pentecotistes. Mais, d’autre part, le principe du respect et
de 1’obeissance a 1’autorite empeche le monde sacral de remettre en
question 1’ordre politico-economique Etabli. De cette maniere, il y a une
coupure qui s’opere entre le monde sacral et la capacite critique des
croyants. La religion pentecotiste 16gitime ainsi la societe capitaliste, en
raison de son incapacite a concr6tiser dans la dimension socio-historique
la protestation symbolique de la structure religieuse.
Si les rapports de classe produisent l’insertion de la religion penteco-
tiste dans la formation sociale capitaliste bresilienne, le pentecotisme
exerce a son tour, sur les couches pauvres qui adherent a lui, une double
domination : 1’une directe, dans le sens ou le sacral exerce sur elles une
forte domination ; 1’autre indirecte mais reelle et concrete, dans la mesure
ou il legitime la situation de la classe politiquement et economiquement
dominee. Cette legitimation de la situation de classe qui r~sulte de la
concr6tisation des croyances pentecotistes, ne marginalise pas le pente-
370
c6tisme par rapport au processus historique de cette societe. Dans ce
processus, la religion pentecotiste est presente en tant qu’element cul-
turel d’accommodation et de legitimation. Et cela, par la position qui lui
est attribuee dans la totalite sociale. Si, d’une part, il penetre tres facile-
ment dans les couches defavorisees, d’autre part, cela n’altere guere cette
situation, mais au contraire la renforce. Si, face a ses adeptes, le pente-
c6tisme joue un role protecteur dans le monde sacral, il joue cependant
par rapport a la societe un role de conditionnement ideologique dans la
reproduction et la continuite de la societe capitaliste.
IV. Conclusion
A l’issue de cet expose et dans la perspective qui voit le pentecotisme
comme 1’une des composantes id6ologiques de formation sociale capita-
liste br6silienne, nous affirmons que le pentecotisme n’opere pas de cou-
pure avec une societe en changement. Une telle affirmation s’oppose à
certaines positions adoptees par quelques chercheurs du phenomene pente-
c6tiste. Si nous considérons la societe brésilienne en tant que formation
sociale de type capitaliste, le changement n’est qu’une nouvelle phase
de cette formation sociale. Cette phase débute en 1930 et au cours de
son developpement les masses urbaines emergent comme un nouveau
personnage historique qui stimule les interets et l’attention des gouver-
nants. C’est au sein des couches les plus defavorisees des masses urbaines
que le pentecotisme a penetre et s’est propag~. Mais il est reste entiere-
ment en marge du projet de developpement economique autonome vers
lequel est orientee la nouvelle phase du capitalisme bresilien. Le manque
de conscience critique a eu des consequences negatives. Les possibilit6s
historiques de ce projet n’ont pas trouve echo dans le modele pentecotiste.
Mais, de cette fa~on, il a 16gitim~ la position des couches sociales politi-
quement et 6conomiquement dominantes. En tant qu’element ideologique
de la societe capitaliste, il a ]6gitim6 les contradictions de celle-ci par la
valorisation exagérée du sacral. Le secteur des services, y compris le
commerce et les transports, fut le terrain propice a 1’expansion pentecotiste.
Mais, par ce moyen, le pentecotisme a exalte le subjectivisme et est
reste indifferent aux rapports entre les travailleurs du secteur des ser-
vices et la classe ouvriere. Ses adeptes ont tendu a adopter un style bour-
geois d’accommodation 6 la situation sociale, au reformisme et au carries-
risme a l’int6rieur des eglises, parce que la majorite d’entre eux n’6taient
pas inscrite directement dans I’antagonisme des classes.
Ce n’est pas le rapport entre pentecotisme et changements socio-
culturels qui légitime la societe capitaliste, mais bien la connexion entre
pentecotisme et rapports de classe. Notre tentative a demande une me-
thodologie differente : d’une part elle refusait la position fonctionnaliste
et, d’autre part, cherchait a aller au-dela des changements socio-culturels.
II nous a paru important de voir le phenomene pentecotiste dans sa
propre structure et d’en degager une vision interne. D’autre part, il Etait
aussi important de 1’envisager en tant qu’il repr~sente une des compo-
santes de la formation sociale capitaliste br6silienne et en tant que con-
371
ditionnement id6ologico-religieux dans la reproduction du syst6me. En
tant que conditionnement ideologico-religieux, il r6agit sur 1’infrastruc.-
ture en la 16gitimant. Chercher si le conditionnement idéologico-religieux,
tel que les faits le caracterisent, peut assumer une autre modalite, n’a
pas 6t6 notre preoccupation. Cette question exigerait une nouvelle ana-
lyse des principes qui orientent d’autres croyances et d’autres comporte-
ments religieux, en opposition aux faits qu’on a constate ici. La recherche
sur une possibilite de changement du pentecotisme n’a pas etc non plus
1’objet de ce travail. La preoccupation fondamentale de ce travail a ete,

sans aucune pretention, celle d’interpréter la religion pentecotiste d’une
fa~on differente de celles qui ont etc presentees jusqu’a maintenant et
qui nous permet une vision plus riche et plus large de ce phenomene
religieux.
372

Pentecotisme Et Societe en Bresil - Rolim

Uploaded by

Document Information

Copyright

Available Formats

Share this document

Share or Embed Document

Sharing Options

Did you find this document useful?

Is this content inappropriate?

Copyright:

Available Formats

Pentecotisme Et Societe en Bresil - Rolim

Uploaded by

Copyright:

Available Formats

Francisco Cartaxo ROLIM

The Protestant Pentecostal phenomenon, rather recent in

partially, in the national life, under the influence of the

economique et 1’economicisme. De la genese et de la structure nous pas-

que le determinant, en dernière instance, souffre a son tour un type de

l’immigration italienne dans ces deux pays 6tait importante.Elle a etc

ganisation pentecotiste. Selon leurs ~crits, ces missionnaires arriverent

pentecotiste et comment pendant celle-ci apparaissent deux autres bran-

2.3. Donnees indicatives de I’expansion pentec6tiste

tistique du Culte Protestant ( I.B.G.E. ) , a partir de 1955, et pour 1’annee

8 ERASMO BRAGA et K. GRUBB, The Republic of Brazil. A Survey of the Religious

Source : Statistique du Culte Protestant du Bresil (I.B.G.E.).

Ces donnees nous indiquent, d’une part, 1’expansion pentecotiste à

I’Evangile Quadrangulaire et le Br6sil pour le

qui sont venues renforcer le pentecotisme, ne dans cette region

III. Le Pentec6tisme dans ses aspects d’insertion dans la soci6t6,

gieux. Elle s’explique par la dependance du pentecotisme envers l’infra-

3.1. L’aspect de l’insertion

TABLEAU 2 : Travailleurs non qualifiés, travailleurs spécialisés (employ6s) et situa-

Il faut noter la forte tendance vers 1’expansion des secteurs du com-

TABLEAU 3: Niveau d’instruction et classes sociales dans 1’ensemble pentec6tiste.

Le bas niveau d’instruction et la position inferieure qu’ils occupent

pensons que cela n’est pas une consequence de la religion pentecotiste

3.2. Structure religieuse pentec6tiste

Quand nous observons 1’ensemble des actes et des rites religieux du

il y a une division sociale du travail religieux, caract~ris6e par la s6para-

cantiques sont libres, spontanés et laiss~s aux choix de chacun.

bolique de la societe traditionnelle ; ce sont les modeles culturels de celle-

religion pentecotiste integre quelques symboles de la societe capitaliste,

3.3. Fonction du Pentec6tisme

En tant qu’élément superstructurel de la formation socio-economique

prit des premiers temps du christianisme mais oubli6e par la rationali-

1’objet de ce travail. La preoccupation fondamentale de ce travail a ete,

You might also like