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Espaces et sociétés : revue

critique internationale de
l'aménagement, de
l'architecture et de
l'urbanisation / dir. [...]

Source gallica.bnf.fr / Association pour le Développement dEspaces et sociétés


Espaces et sociétés : revue critique internationale de
l'aménagement, de l'architecture et de l'urbanisation / dir. publ.
Serge Jonas. 1970.

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AVRIL 1975 DIRECTION : Henri LEFEBVRE, Anatole KOPP

Collectif de Rédaction
Bernard ARCHER, Manuel CASTELLS, Michel COQUERY, Jean-Louis DESTAN-
DAU, Colette DURAND, Gérard HELIOT, Serge JONAS, BERNARD KAYSER,
Anatole KOPP, Raymond LEDRUT, Henri LEFEBVRË, Michel MARIE, Alain
MEDAM, Edmond PRETECEILLE, Jean PRONTEAU, Henri PROVISOR, Pierre
RIBOULET, Christian TOPALOV, Paul VIEILLE.
Secrétariat : Manuel CASTELLS, Michel. COQUERY, Serge JONAS, Raymond
LEDRUT Alain MEDAM, Jean PRONTEAU, Pierre RIBOULET

SQMlVIAiRE

Présentation 3
Michel MAFFESOLI Imaginaire/réel dans le devenir historique 5
Pierre SANSOT
Alain MEDAM
Ville et poésie
.......... ... ......
. . .
17

Simone DEBOUT
Des villes ai/leurs "'... .".
La ville de transition
. . .... ...... ...
. .
29
45
Alain PESSIN Lg /e et la vi/le 63
Henry TORGUE
François PELLETIER Quartier et communication sociale 71
André BRUSTON La « régénération » de Lyon 1853-1865 81

Andreina DAOLIO
Christine CASTELAIN
Les luttes urbaines en Italie .'.
. . .... .......
.
105
Histoire du campamento nueva habana » (Chili)
« 117
CO.V'PÏF RENDU L. ARNAUD-MATECH Jeux, modèles et simulations, critique des jeux
urbains d'Edmond Preteceille
. . . . . . . ...... .
133

CDITIOMS ANTHROFOS
L''ir-'x.-jO'--Pr;(J<iction-Adr-iinic'r.niC!i-Abc)nn(;morrts. 12 avenue, du Maine. Paris 15, Tel. 548-42-58
Ahonnemcînl annuel pour quatre numéros : France 80 F. - Etranger 90 F.

Les abonnements Deuwjnt se régler par chèque bancaire, mandat-carte, mandat-poste, chèque
postal (C.C.P. Paris 8 721 2.3).

LE NUMERO 25 F. Directeur de publication : Serge JONAS

espaces et sociétés n. 15 - 1
PRESENTATION

Pour introduire brièvement les textes qur suivent, on peut reconnaître que
ceux-ci ne peuvent prétendre à: délimiter un champ nouveau de recherche et de
compréhension du phénomène urbain. Cependant, ce que l'on peut revendiquer, au
travers même de l'hétérogénéité de ces textes, c'est qu'il est possible, et urgent,
.d'explorer, les dimensions; de •l'imaginaire urbain et l'efficace matériel des Idéologies à
l'oeuvre dans la ville. ; ; *\
Certes il ne. se dégagera pas, pour le lecteur de ce numéro, de convergence
théorique qu'il puisse situer clairement dans un courant de recherche évident;; nous"
espérons aussi qu 'un jugement «politique » rapide ne viendra pas catégoriser trop vite
ces démarchés... i:-'-;--V
; '
C'est dire que nous souhaitons: ouvrir un débat parmi les; lecteurs d'Espaces et
.Sociétés; Ja publication de ce numéro suscitait la; discussion; au sein-du comité de:
rédaction déjà revue : que çéllë-ci-sè développe pi us largement. ; '"'.;:
;.
Aussi, sans présenter les articles, nous pouvons situer: quelques, points clefs .du
.
débat:possible : ;.-,
Dans quelle mesure des recherches portant sur.'J'analyse de l'imaginaire

ônt-elies leur place dans l'effort de compréhension matérialiste des rapports sociaux?
La/réflexion marxienne sur les idéologies a; fourni l'essentiel des supports
théoriques delà recherché matérialiste sur la très vaste région des « superstructures » ;
trop vaste région, dont;ce qu'on appelle lés « effets en retour » ne rendent compte
que par ce qui reste, bien souvent, notre ignorance.
; Si le travail.est, ici bu là, bien avancé, la revue n'a guère abordé la question que
dans lès.termes, restrictifs, de J'analyse althussériennedes idéologies.
Plus précisément; si la revue s'est -donné pour objectif d'être un instrument
- : : —
d'explication des luttes sociales, spécifiées dans le champ des pratiques socio-spatiales, :
quel est l'intérêt de ce débat ?
Les analyses de «luttes urbaines», ou des interventions de l'Etat dans.la
« politique urbaine >>, ont souligné maintes fois lès décalages entre la réalité concrète
de ces pratiques et le travail du langage dans leur communication, .dans leur mise en
scène. Et si le rôle d'occultation des idéologies est clairement dénoncé/le travail de
l'imaginaire et du symbolique dans les pratïques: reste à déceler ; son efficace social,
qui n'est pas contesté soulève l'inquiétude; n'est-on pas bien près de l'idéalisme dans
le traitement de ce type de questions ?
.. .

; PeutHStre pourrait-on répondre que l'affronter, au risque dé l'errance, c'est aussi


interroger la recherche du sens, à. laquelle n'échappe pas le chercheur « matérialiste»,
dans le démontage minutieux des « mécanismes » sociaux ?
A. Bruston, M. Maffesoli, A. Medam
michel maffesoli

« Aussi l'imaginaire, bien loin d'être vaine sa représentation,: plus exactement, à partir, du,'.
passion, est action euphémique et trans- moment où la distorsion devient apparente,
forme le monde selon l'Homme de c'est-à-dire quand l'histoire, le défoulement, la
Désir,.; ». '-.." •'- " labilité sont saisis/avec tout leur aspect.mena-
G. Durand çant. Heidegger, dans son langage: gothique
.
parle, à; propos de l'histoire,.de cette séparation
qui existe entre, la Demeure et l'Errances C'est ;
dans rentre-deux que s'inscrit -le devenir et; le
1. INTRODUCTION
:bèsqin de. Ie:maîtriser. ;.' W"":;; ;;v •-'"•'---•
participer, au
il s'agit dans ce travail dé-
L'imaginaire, le discours.;l'art ou la poésie:
débat, de plus en plus actuel, sur l'imaginaire,
l'échange symbolique, la socialité. L'imaginaire (qui représente - là condensation .'du possible).;;
cristallisent pour;une part la fonction critique,
peut être (entre autres) une méthodologie dans
mais; c'est cette -cristallisation " rfiêrhe qui eh
l'approche du fait, social (I), pour pe faire il
faut briser- bien dès réticences ; ces lignes vou^ montre les litfiitès,. tant i! est vrai qu'un ord|e\
établi non; seulement.s'accommode, mais suscite
draient contribuer .à une mise'en place plus
des éclatements du refoulé comme autant de
conséquente de= cette.perspective,
., ; lieux bien circonscrits qui peuvent être a loisir
faut partir du "rêve éveillé (Tagstrâume):
'••". M
répertories, analysés, classés, et par là-mêmë,
tel qu'en parle E.BIqch pour saisir le rôle et les neutralisés (3). ,;:-
limites qui sont, accordées à l'imaginaire dans .
Les Grecs avaient, bien vu'ce phénomène
un milieu dominé par une pensée productiviste: lorsqu'ils attribuaient au théâtre par exemple un
Sa marginalisation et son caractère d'extériorité
rôle cathartique.-A la fois la dénonciation ou
par rapport à la vie « réelle.» sùnt.assez signifi- renonciation, et la purification par renonciation
catifs. D'une manière brève et non critique on
même.- Ce qui est dit, ne ronge plus et par.
peut citer, paradigmatiqùementlé-statut et l'effi-
là-même; apaise.
cience de la; tragédie et du mythe, qui étaient
vécus et-appréhendés .dans toutes leurs dimen- On sait encore.,l'utilisation rétrograde qui
sions sociales, «la matière, véritable de la tragé- peut être faite de l'imaginaire,-maïs le refus d.u
die, c'est la pensée-sociale propre à la cité, «réel »-comme on a pu le voir dans l'utopie,
spécialement la pensée juridique en plein travail concerne surtout l'avenir. Et c'est cette attitude
d'élaboration » (2).;; L'idéologie commence au.
moment où il y a distorsion entre la réalité et (3) Cf. les remarques de G. Durand : Les structures
anthropologiques dé l'imaginaire, éd. Bordas, 1969,
p. 495, « notre civilisation rationaliste... se .voit sub-
(1) Sur i analyse d'un autre aspect de cette appro- mergée en fait par lé ressac de la subjectivité brimée et
che de la socialité cf. M. Maffesoli; Histoire et Utopie, dé l'irrationnel ».
in l'Homme, et la société, N. 31.-32, 1974, p. 149. : Cf. également M. Perniola, PrôlétârisatiqR et diffé-
(2) J. P. Vernant, P. Vidal-Naquet : Mvthe et tragé-. rence, in ERRATA N 2, p. 14: B.P. 480, Paris Cedex
die en Grèce ancienne éd. Maspéro1972, p. 15. '"17.: •' ."-. -•" '-.-...".. " 'V:. :'""
michel maffesoli imaginaire!réel dans
le devenir historique

prospective qui en fait un facteur révolution- forme profane, diffuse et, par là-même, plus
najre., prenante de la déité.

L'utilisation de l'imaginaire dans une telle Et en parlant de l'imaginaire, il ne saurait


S
perspective nous amène loin de l'idéologie pro- être question de créer une nouvelle entité supé-
ductiviste ou du '. principe de rendement qui rieure ou étrangère, et la référence à l'espèce
semble dominer, sous la forme du profit ou est en ce sens plus indicative que normative.
celle du stakhanovisme, la planète, et qui en fin C'est en ce sens-que peut être entendu l'avertis-
de compte, dépend d'une pensée économique. sement de Stirner,
La critique de l'économie politique sous tous que vous parliez.de la.Religion ou de la
..--,<<
ses aspects est encore à faire ou à continuer. .Morale, ..il ..s'agit toujours.-..d'un être Su-
Cette idéologie productiviste est fondée, ainsi prême-;,Vque cet être .Suprême, soit sur-
que lé souligne justement Marcuse par. une humain ou humain, peu importe, jl est en
conception du sujet « défini comme le moi en tout cas un être au-dessus de moi. Qu'il
perpétuel dépassement » ;(4). devienne en dernière analyse l'espèce
humaine ou «l'homme», il n'aura fait
.Sans y insister longuement, on sait- que
Freud, quelles que soient d'ailleurs les conclu- que quitter la peau de la vieille, religion
sions qu'il en tire, insiste sur la réduction que pour revêtir une nouvelle ;'peau reli-
fait subir le « principiùm individuationis.»,-et
-
gieuse » (8).
.
.;..,,;,.-};.,:.
n'hésite pas à .'voir dans la sexualité la « seule restriction quantitative et qualitative
La
fonction1 d'un organisme vivant qui dépasse l'in- des pulsions libidinales, leur orientation détef-'
dividu et assure son attachement à l'es- minée, leur parcellarisation1 et par là même leur
pèce» (5), or l'on peut connaître -à un niveau rattachement à une idéologie productiviste.
empirique à la fois la fonction totale que joue constitue la forme manifestede la domination
la sexualité ou le principe de plaisir dans l'unité de la ratio, domination qui culmine aujourd'hui
du particulier et de l'universel et le rôle de dans l'équivalence générale. Faire une critique
l'imaginaire au sein.de la sexualité (6). Sous une de l'économie politique ainsi que le fait Marx,
forme allusive, on peut voir en quoi: le principe ou l'étendre avec J. Baudrillard: à une critique
de plaisir rompant avec l'étroitesse de l'individu de l'économie politique du signe, c'est refuser
séparé et rationalisant, permet d'envisager la une réduction à l'unidimentionalité,
réconciliation avec la totalité, et c'est l'imagi-
nation qui « conserve le souvenir du passé sub- « larationalité du", signe se fonde sur.
l'exclusion, sur l'anéantissement de toute
historique que l'époque où la vie de l'individu
ambivalence symbolique, au profit d'une.
était la vie de l'espèce » (7).
structure fixe et équationnelle » '(&)>.'
.

Naturellement, le danger est; grand de C'est sur ces: fondements que l'tih peut'
tomber dans la totalité indifférenciée et régres- essayer de comprendre1 ce q'uel'on peut appeler
sive de la chaleur matricielle qui serait une l'efficace sociale dé l'imaginaire, celle-ci s'ap-
puyant en particulier sur le refus de là mutila-'
tion ou de la-séparation de l'individu, et par
;(4) H. Marcuse, Eros et Civilisation éd. Minuit, voie de conséquence du tout social.
1968, p. 139.:
(5) S. Freud. Introduction à la psychanalyse, ed^
Payot, 1967, p. 390.
(6) Cf. G. Durand, Les structures anthropologiques
de l'imaginaire, pp. cit. passim. Par ex. p. 153 et suiv.
1899, p. 57.
.(9) J. Baudrillard.
.
-..-
(8) M. Stirner, L'unique et sa propriété, éd. Stock,

Pour, une critique de l'économie


; (7) H. Marcuse,
op. cit. p. 130. politique du signe, éd. Gallimard, 1972, p. 181.
miehel maffesoli imaginaire/rëêl dans
le devenir historique

II. LE TOUT SOCIAL va'riations saisonnières des sociétés eski-


maus»(13), c'est-en particulier, l'un des pen-
On ne saisit bien les fondements d'une dants de cette double morphologie » qui cons-
«
situation, d'un état, que dans l'expérience de titue leur socialité: C'est ceteskimau d'hiver qui
rupture, c'est-à-dire dans l'irruption des divers selon l'expression de B. Marcenac, « dans la
éléments d'une composition. Et c'est cette ténèbre polaire... devient un être de lu-
expérience de rupture qui se donne à voir dans mière» (14). C'est le moment, où, dépassant
l'imaginaire où sont cristallisés les divers élé- l'indïviduation et son être possessif, on voit
ments du réel. C'est ainsi que l'imaginaire peut l'esquimau d'hiver opposer à « l'égoïsme indi-
servir d'instrument déterminant dans l'articu- viduel ou étroitement familial... un large collec-
lation infra-superstructurelle qui demeure le tivisme » (15). Qu'est-ce à dire, sinon qu'au
pont aux ânes de l'interprétation historique, delà de la prenante et rigide réalité, l'esquimau
tant il est vrai que « l'orsqu'on ne peut déter- réalise communion et transparence dans le
miner, dans une analyse, lequel des deux termes
temps et dans l'espace — la fête, le partage, le
engendre l'autre, et qu'on est réduit à les faire festin, la communauté de sexe, tout cela qui
se réfléchir ou se produire réciproquement, c'est constitue la mythique et impossible référence
le signe sûr qu'il faut changer les termes du
de l'esprit occidental (ou qui est renvoyé dans
problème » (10).
une nébuleuse surréalité), est ici intégré dans
C'est dans une telle perspective que le fait
une hyper-réalité alliant raison et imaginaire, ou
social total dont parle Mauss, essaie à un niveau- plutôt supprimant la factice séparation qui s'est
ethnologique de rendre compte de la complexe instaurée entre les deux. La référence-à l'esqui-
réalité concrète. Celle-ci se manifeste en parti-
mau d'hiver n'est ni fortuite, ni-érudite, elle
culier dans l'échange, échange qui ne concerne permet de saisir ce qui peut être alternatif à la
pas seulement les biens, mais qui compris d'une réification des rapports humains qui selon
manière générale (11), prend en compte le rite, l'expression de B. Brecht ne révèle plus « ce qui
la politesse/ les symboles, les femmes, et là est en eux ultime» (16), dans la mesure natu-
même, permet la réciprocité. Or, c'est celle-ci rellement où l'on-considère ces rapports comme
qui, permettant la compréhension du « groupe faisant partie d'une manière déterminante de la
entier et de son comportement tout entier », réalité proprement dite, et où l'on refuse leur
est la condition nécessaire permettant la .saisie fonctionnaiisation (17).
du « comportement d'êtres totaux et non Sans insister davantage, il s'agit, comme
divisés en facultés » (12). On a là encore une d'ailleurs Durkheim l'avait enseigné, et comme
fois le refus de la séparation dans les facultés
on a pu le montrer chez Marx, de saisir les
intellectuelles ou dans les pratiques sociales qui phénomènes sociaux dans leur totalité. « Total
fondent l'arbitraire dichotomie imaginaire/réel. est le mot clé de « l'Essai sur le don ». Les
L'histoire, sa couleur et sa gangue, sa pesanteur échanges des sociétés archaïques qu'il examine
et sa réalité complexe, se charge de mettre de la sont des mouvements ou activités qui relèvent
chair sur le squelette des réductions rationali-
santes.
(13) M. Mauss, ibid. p. 389.
Ce qu'il-est important de retenir de l'ana- (14) B. Marcenac, La galerie des glaces, in Marcel
lyse de Marcel Mauss dans son « Essai sur les Mauss. L'Arc, N. 48, p. 87.
(15) M. Mauss, op. cité, p. 465.
(16) In W. Benjamin, Poésie et Révolution éd.
(10) J. Baudrïllard; op. cit. p. 83. Denoël, 1971, p. 33.
(11) Dans le sens où G. Bataille peut parler d'éco- (17) On peut se rapporter ici à l'ouvrage de
nomie générale, in La part Maudite, éd. Minuit, 1967. F. George, Autopsie de Dieu, éd. Julliard, 1965, et à
(12) M. Mauss, Sociologie et Anthropologie 1968, celui de J.P. George : L'illusion tragique illustrée, éd.
p. 275-6. JuMinrd, 1965.
miehel maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

tous du fait social total. Ils sont en même alia castra tranSire non tanqUam transfuge sed
temps économiques, juridiques, moraux, esthé- tanquam explorator » — Le terme que Freud
tiques, religieux, mythologiques et socio- préfère à schizophrénie, la « paraphrénie », peut
morphologiques. Leur signification ne peut être à ce sujet ouvrir la voie à d'utiles réfle-
saisie que s'ils sont vus comme une complexe xions (22). L'imaginaire ne serait pas une
réalité concrète » (18): pensée coupée du réel, mais une attitude qui
pratique un certain décalage, « à côté » qui
serait plus méthodologique que systématique et
III. IMAGINAIRE ET EVASION qui permettrait à la fois la critique et Jâ
L'impératif de fait social total qui a une réalisation du possible (23). L'important de
répercussion pour l'individu dans l'étrange pas-
l'imaginaire et de sa représentation dans la
sion de dire sa vie, là, tout.de suite, totalement, composante sociale peut s'observer à de
ainsi que le note Bloch> ne saurait faire oublier multiples niveaux. Quand par exemple; le prési-
dent Schreber entrevoit une «nouvelle race
ce qu'il recèle — Vivre nos rêves plutôt que. de
rêver notre vie, qui reste le fondement de
d'hommes, nés de (sori) esprit », nouvelle face
l'imaginaire, comporte de nombreuses chausse- qui révérera un jour leur ancêtre dans cet
homme qui se croit aujourd'hui un persécuté,
trappes. Et sans entrer ici dans un examen
approfondi de la question, on peut noter ce que ou quand Freud explique que le procédé idëatif
Freud déclare à- propos- du petit Hans-: qu'à suivi Schreber pour que son émasculation
ne soit plus une honte, mais devienne « con-
-
«c'étaient: des enfants de, son imagination,
c'est-à-dire de son onanisme» (19). On a là; forme à l'ordre de l'univers >> (24), c'est J'âscil--
résumé sous, une forme aliusivé et rapide, la .'ation de tout individu entre des- sentiments
.
critique de base que l'on peut adresser à l'ima- hétérosexuels et homosexuels qui s'annônce.Or
ginaire, à.. savoir la séparation qu'il instaure .une telle oscillation qui à l'époque de Freud ou
sinon avec le réel, du moins avec les autres. tout au moins dans la forme qu'en donne
C'est encore la fonction imaginaire qui est Schreber dans les «mémoires d'un névro-
:
structurante pour l'homosexuel, en ce sens que pathe », venait à peine à conscience ou encore
la fixation de sa. libido sur la « femme nantie était du domaine de l'imaginaire poétique (25),
d'un pénis » (20), fixation qui d'après Freud est reconnue actuellement comme.partie inté-
constitue une stase entre l'auto-érotisme et grante de notre réalité (26).
l'amour objectai, est à rapprocher d'une.suréva- Ce que l'on peut retenir dans la démarche
luation de l'imaginaire.. (21 ) Ceci- dit qu'en de l'imaginaire, c'est son souci de saisir le réel

est-il du statut d'évasion de l'imaginaire?
L'efficace sociale que l'on .est tenté de lui (22) Cf. S.Freud La technique psychanalytique.
accorder n'a rien d'idéaliste ou de métaphy- PUF, 1967, p. 81.
sique. Le détour opéré peut être même une (23). A rapprocher de « l'Ecart absolu
» chez
technique de subversion, c'est ainsi que l'on Ch. Fourier. Cf : S. Debout « Griffe au nez » ou don-
ner « hâve ou art», écriture inconnue de Charles
peut interpréter, cette sentence latine « soleo in Fourier, Ed. Anthropos, 1974.
(24) S, Freud, Cinq psychanalyses, opus cité,
p. 295.
(18) E. E. Evans-Pritchard,. L'Essai sur le don op. (25) Cf. ce vers de Goethe.cité par Freud
: « Et ces
cité, p. 29. figures célestes ne demandent pas si l'on est homme
(19) S. Freud Cinq psychanalyses; PUF, 1971, ou femme» (Wilhôlm Meister).
p. 160. (26) Sur la réduction de; l'ambivalence du
sexe « à
(20) S. Freud, ibid sq. partir, du rnoment où !e masculin et le féminin sont
(21) On peut rapprocher cette notation de l'analy- posés comme;;termes entiers ». Cf. in Topique Kl. 9 et
se que fait J. Gabel, La fausse conscience, éd. Minuit, 10, J.'BnudrillarrJ : Ln corps ou le charnier de signes
1960, du Sur-réalisme: p. 103. "
• -
i.ichél maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

au-delà,de fa;répétition, c'est-â-dire;.au-delà de conflit manifeste, d'une/rrianière plus ou moins7


çe: qui: fait que. le; réel n'est plus-;réel puis:
confuse, dans les moments explosifs. Et il n'est "
qu'aussi ..bien cessé, l'existence;, et commence le pas : ..neutre;, que :;ies; partisans de - l'ordon-
.
piétinement tétanique \du sur-place, crispation :naricement;établi s'emplpient à; dénigrer, ou (à y
qui en; fin de compte est signe de son propre : séparer: (faire la part des choses) les manifes-.
achèvement. ;En ïbréf, « le réel est cela, qui gît tations" de ce conflit, « à affirmer qu'on, boit
toujours derrière l'autornaton;» (27)-—"Et c'est tout démolir et se battre » « pour la liberté
là où. surgit .la créativité de l'imaginaire qui .est . totale ou..7la défaite totale », comme ;lê font;
irruption Incontrôlée dans l'ordonnancé;morti- ; ceftalns.:iVC'est manifester un goût;du;suicide;
fène du répétitif — -«;n'est-i| que ne .partagent pas les vrais travail leurs car ils
pas ..remarquable
que,; à l'origine de J'expérience analytique, le sont; plus -près," eux, be. la réalité quotidienne''.':
réel se Sô.ît présenté "soUs la forme de ce qu'il à que de: l'utopie.» (30). C'est justement le rap-
prochement de la ..réalité: quotidienne et de
en; lui d'inassimilâble, sous Jaforme du trauma,.
déterminant toute sa :su.ite, et lui: imposant une ; l'utopie :qui constitue la liberté totale, èt;)| ïaut
origine apparemment accidentel le?•'•' Nous; nous eh avoir bien peur pour vouloir les séparer.
trouvons là- au;,boeUr*dé cequi. peut;;nbUS 7 ;l.a; distance paf.7rapport au. .principe :dé
rëai ité,;fa culte:
permettre.de Comprendre le caractète'radical de: que Freud! attribue à,l'imaginaire;
la notion. :cpnflietuéJ1ë: ; introduite par iîôppo- est e.ncbre7urie fois: une distance tactique et
sition. du principe ; de : plaisir au principe, de subversive; -trivialement il s'agit ; de fèculer .pour,
réalité pourquoi, on riê; saurait concevoir lei, mieux sauter: « Lors.be l'introduction du. pfin--.
— ce
principe de 'fëa'ijtë':''.ç0m^me.'''Vayarit-.'-iè''.'dér'nîer eipe de féalitêy'.un itiôdé d'activité de là pensée.
mot.» (28),:On fie saurait mieux dire comment
.
se trouva;'!aissé7à
j'éçaft: il fut;dispensé de;
:
la distinction imaginairé/réa!i té est vide se -sens, l'épreuve: de'ta: réalité et il demeura.subordonné
-
fruit j.d'u ne-attitude, étroite ; qui ne .peut corn- '?' 7au 'seul ::.p.firïcipé;be plaisir: C'est l'activité! qui
prendre, la dynamique du devenir. Imaginaire et consiste à produire; des représentations i.mag7;
réal ité; dans leur;; mutuelle fécondation ' ét.dans naines (die; Phahtasieren) qui commence dès Je.
.
leur instabilité permanente sont les conditions jeu de l'enfant et '; qui se poursuit '-'plus; tard
de possibilité de ce qu'il est convenu" d'appeler comme rêve éveillé, s'afffanchîssant de la dépen-
l'existence. Toutes les deux sont en souffrance, dance à l'égard des objets réels.» (31). Ce mode
grosses de ce qui les constitue (qu'elles consti- d'activité laissé à..l'écart,'-profité de son écart
tuent) :'le devenir:'•"•; .•'"-;-... pour promouvoir d'abord .'une attitude critique
';"..; C'est parce qu'elle : n'est ''pas' indéfini- et par suite une critique pratique, les diverses
traces de cette critique pratique sur 1 lesquelles il
riinient réprimable que que R.Kalidovàap-
ce
.faudrait s'étendre et qui ont ponctué depuis le
pelle l'énergie'idéale;:spirituelle (29) et que l'on
XIXème siècle, l'histoire .sociale sous la forme
peut nommer énergie matérielle de base, joue le .
urbaine, préfigurent l'unité du «Moi de plaisir »
rôle de: cristallisation avec toutes sesqualités de
scindé et ; parcellarisé par le : rationalisme en
latence,: d'étendue, de faculté mobilisatrice!, de particulier sous la forme ultime : l'économie. ;
prégnance dans la'constitution de l'imaginaire Par l'imaginaire,- s'inaugure- ce que l'on
social. Celui-ci peut, être l'élément constituant
peut appeler une lutte contre::le renoncement,
du conflit qui oppose l'homme et la réalité,
qui ; d'une; manière, confuse ou tronquée reste
essentielle dans le processus de socialisation.
(27) J. Lacan Le séminaire/ Livre XI. L'inconscient
et la répétition éd. Seuil, 1973, p.'54. '..;/ .";'"' (30) In Le Dauphiiié:libéré, Merc,2 Mai 1973.
(28) J. Lacàm ibid. p. ,55. '[ ''-.-'.';:.-';-;!/.'':.-'V-
:(31)S. Freud, Fôrmulierungen liber die zwei
(29) R.Kalidova, Marx, et Freud.- Éd. Anthropos, Prinzipien des psychishên Gèschehens.Ges Wêrke Vil
1.971, p: 106. -:-.'.. ,1-7.;" p. 234. - ' "•"- '" ' {

9
miehel maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

IV. LES FACETTES DE L'IMAGINAIRE l'enracinement et du devenir, de l'action et du


rêve. Par là, s'annonce l'efficace dynamique de
Dans la production du milieu artificiel et
ce que Sonel appelle le mythe ou Baudrillard,
dans sa propre production, l'individu utilise,
l'échange symbolique (34). Le déploiement de
ainsi que le note Labriola (32) l'ensemble des fiction: constitue l'imaginaire social
qui
«formes de la vie intérieure «.L'importance de (H. Lefebvre) et qui peut s'observer,; à l'état de
la mise en évidence de ce qu'il appelle par
traces, à des multiples niveaux (vie quotidienne,
ailleurs les « reflets multicolores de l'imagina-
argot, folklore, kitsch, gastrosophie, fêtes) s'arti-
tion », ne peut échapper car c'est la place de ce
cule sur ce qui était utopie, ce qui était pléni-
que, faute de mieux, on appelle lés formes de la tude innocente.de la fantaisie, et qui « se range;
conscience (ou de l'inconscience) dans le deve-
nir historique qui est en jeu. C'est par une sans équivoque, dans le cadre de notre ordre
naturel en expansion » (35). Les images enser-
approche faite de multiples côtés, de diverses
rées dans des milliers de rêves se trouvent être
manières, par un ressassement parfois lassant
tout à coup plus proches du rêve que lès
que les notions d'idéologie, de représentation, pensées sérieuses et topiques. Ce n'est certes pas
d'histoire, de production, etc.. .notions appla-
le lieu d'analyser le : devenir pratique de ce
ties et parfois mécanisées, pourront reprendre
qu'une' pensée productiviste essaie de refouler
vie et concrétude et, par là-même, participer à
dans.ee qui est appelé l'imaginaire. Il suffit de
une nouvelle analyse gaie et radicale bu donné
constater que par-|e: rêve s'opère soit au niveau
social. ; '. 7
. . . . . .
'-
- - -
". " - - - ' individuel, soit au niveau social ce que Freud
Ce n'est pas une accumulation de rêves
pouvait apper une psyçhosynthèse.
qui par sédimentations successives, permettrait
-Le romantisme et le surréalisme ont cha-
d'accéder à un mieux être, ce qui est en jeu,
c'est plutôt l'image du roi-poète capable déx- cun à leur manière réalisé cette liaison, cette
synthèse du rêve et de l'historicité. Et c'est une
prirher ici et maintenant la richesse ph y logé-
prise de considération de cette liaison qui per-
nique constituant le substrat de l'histoire con-
crète. Ainsi, c'est une liaison de l'universel et met de voir comment/ en termes classiques, la
culture se gneffe sur la natune (36). Un -traité-'
du particulier qui s'opère dans le rêve. Comme
le déclare Freud,
ment historique du rêve et de son incarnation
est du plus haut intérêt, H. Desroche dans une
«je ne suis pas surpris que ce qui avait récente étude a su le faire d'une manière
été engendré aux temps préhistoriques et exhaustive (37). De son côté E. Bloch, ainsi
ensuite transmis à titre de prédisposition qu'on a pu le signaler plus haut, a essayé de
à être acquis de nouveau puisse surgir à
réhabiliter la particularité.de ce que l'on peut
nouveau en tant qu'événement concret de appeler le rêve éveillé et pratique de l'utopie.
l'expérience individuelle » (33). Pour lui, dans son analyse de Thomas Munzer
L'image du roi-poète, çofnme la citation et de la guerre des paysans allemands, le mar-
de Freud rend compte de l'intime connexion de xisme permet de traiter autrement que « par
réduction à la pure idéologie, les contenus plus
(32) Cf. A. Labriola Essais sur la conception maté-
rialiste de l'histoire. Ed. Gordon Breach, 1970,
p. 131 sq ; p. 122. (34) Cf. aussi R. M. Rilke, Oeuvres 1, Prose, éd. du
(33) S. Freud, Cinq Psychanalyses,pp. cit., p. 400. Seuil, 1966, « Les Derniers », p. 184 et sq.
Cf. encore p. 399, « Les scènes d'observation du coït (35) Serge Moscovici, Essai sur l'histoire humaine
des parents, de séduction dans l'enfance et de menace de la nature, éd. Flamarion, 1968, p. 7.
de castration, sont incontestablement un patrimoine (36) Cf. R. Bastide, Le rêve, la.transe, et la folie,
atavique, un héritage phylogé.nique, mais peuvent tout ed Flammarion, 1972, pp. 9-53.
aussi bien constituer une acquisition de la vie indivi- (37) Cf. H. Desroche, Sociologie de l'Espérance éd.
duelle ». Calmann-Levy,Archives des Sciences Sociales. 1973.
... -

10
mïcheï Maffesoli imaginaire/réeldans
le devenir historique

profonds de cette histoire humaine en plein est actif, il affronte les résistances et les sur-
bouillonnement, ce rêve éveillé de l'anti-loup, monte.
d'un royaume enfin fraternel ». Sans négliger les « Ici, dans le champ du rêve, tu es chez
facteurs économiques qui ont pu déclencher les toi » (41), cette injonction est en fait un ondne
insurrections qui jalonnent l'histoire, on ne peut de marche, puisqu'aussi bien c'est un au-delà de
nier que « les inclinations, les rêveries, les plus la matérialité que le rêve donne à lire. Il s'agit
sérieuses et pures émotions, les enthousiasmes de partir à la recherche de ce que justement le
orientés vers des fins se nourrissent d'un autre rêve cache, enveloppe, indique (42). Il en est du
besoin que dé celui qui saute immédiatement rêve comme de la poésie ; il pointe plus qu'il ne
aux' yeux et ne sont jamais... une creuse idéolo- désigne, il est négativité et par là donne à
gie » (38). Ce qui s'indique ici, dans cet exem- penser. C'est là que l'on voit la connexion qui
ple de la guerre des paysans, c'est la fonction peut s'établir entre ces deux aspects du rêve
sociale de l'imaginaire dans ses rrîultiples as- dont nous venons de parler, le social et l'indivi-
pects (39). L'histoine est pleine de ces moments duel. L'utilisation du rêve étant l'instrument du
insurrectionnels, le mouvement de mai en étant réveil historique, « chaque époque rêve de la
le dernier exemple, où les rêves qui paraissaient. suivante, mais tandis qu'elle rêve, elle la tire
être relégués au magasin des accessoires pren- vers le réveil. Elle porte sa fin en elle-même, et
nent un éclat nouveau. "Ces résurgences qui la révèle — comme le reconnaissait déjà Hegel —
brisent les barricades du donné intangible font par une ruse. Dans l'apothéose de l'économie de
apparaître comme dérisoires les calculs et prévi- marché, nous commençons à voir les monu-
sions des raisonnables programmeurs de l'avenir ments de la bourgoisie .sous forme de ruines
planifié; Dans ces moments où rêves et raison avant même qu'ils ne se soient effondrés (43).
s'allient d'une manière progressive, s'annonce la Breton pour sa part avait essayé de mon-
prise en charge collective d'un destin (d'une trer que les sphères de l'inconscient et du
histoire) qui n'a plus rien à voir avec les conscient, des rêves et de la vie éveillée créent
stratégies des états-majors. Les voies transver- une « unité constructive active ». Le but des
sales que prennent ces irruptions du rêve social vases communicants est bien de montrer leur
et la manière transitive qu'utilisent ceux qui les enrichissement mutuel (44). C'est bien là notre
suivent rompent « la monotonie et la sûreté fil d'Ariane, chercher un mixte qui permette
quotidienne banale de la vie bourgeoise » d'appréhender dans sa totalité le fait social.
(Marx). C'est alors que l'histoire trouve sa vraie Encore que pour éviter la positivité, et sa vertu
dimension, celle d'un jeu tragique et violent. allusive, tant il est vrai qu'à vouloir rationaliser
C'est en ce sens que le rêve est l'indicateur l'inconscient on le fait rentrer dans le domaine
dynamique du réel puisqu'aussi bien. Il permet de l'équivalence généralisée. « Economiser » l'in-
l'unification sociale autour d'un projet collectif, conscient c'est le faire passer par le ciseau de la
de même qu'il permet la coordination et l'unité réduction, castration tranquillisante qui lui fait
de .ce que nous appelions « moi » qui s'agrège perdre sa vertu,
« tous les émois instinctuels jusqu'alors détachés
et.écartés de;lui » (40). Et çe.p.arçeque 1ë';rêvè:

(41) Lacan, Le. séminaire^Livre XI, op. cit., p.;45;


(38) E, Bloch, Thomas Wlùnzer, théologien de là (42:)Cf; à ce propos., Le.chVVII (Psychologie des
processus .- du rêve): de 'L'Interprétation des rêvés,
.
révolution,éd.: Gallimard, 1:964/p;.73sc).
(39) On peut ..se reporter avec profit à la sérié S; Freud, éd. PUF,.1967.
.

.
/7 ;- : ./7
d'études intitulées : Histoire et Utopie in Annales, éd. (43) W. Benjamin, Paris capitale du XIXème siècle,
Colin, mars-avril 1971, pp. 290^398. V in".'Vie Urbaine 1/71.'•';,
(40) :S. Freud, Là technique, psychanalytique (44) Cf. La comparaison entré Freud et Breton in
op. cit., p. 134. "...••••'.-' ;R. Kàlidpya, Marx et Freud, op. cit., p; 124 sql '

11
miehel maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

« il ne peut pas s'exprimer lui-même avant de se perdre dans le méandre du représen-


directement car c'est un mélange de passé, tatif ou du spectaculaire, c'est-à-dire à s'écono-
de présent ou d'avenir, une alchimie miser. Désormais, le seul problème qui mérite
intemporelle de plusieurs dimensions. Un attention, c'est la réalisation de chacun dans
exposé direct... lui ôterait toute son effi- une vie .collectivement reconquise. C'est ainsi
cacité... Ce fascinant monde souterrain de que peut se définir la poésie. Là le « sois ivre »
l'acte symbolique a, de. tous temps été de Nietzsche prend corps dans un dyonisiaque
connu des poètes. C'est Freud qui se léger et sérieux qui se rapproche de ce que
plaignait d'avoir été devancé par un poète, Bataille appelle « dépense symbolique » ou.Bau-.
chaque fois qu'il faisait une décou- drillard «l'échange symbolique». Termes: qui
verte » (45). expliquent ce qui a été dit du refus de l'écono-
mique et, qui s'appliquent « aux formes les
V. LA REVOLTE DE LA POESIE moins dégradées, les moins intellectualisées, de
l'expression d'un état de perte... ils signifient,
C'est l'appel à ce qui a pu être appelé en effet, de la façon la plus précise, création au
rêves préhistoriques oU héritage phylogénétique moyen de la perte » (47).
qui constitue Ja révolte de la poésie. Par elle, se Comme on peut le voir, c'est un élargis-
profilé cet homme primitif qui « par:sa chair,,
sement, une généralisation du terme qui s'opère.
son cerveau et son sang appartient à la nature » Il s'agit moins d'une appartenance à l'esthétique
.(Engels). En:bref, il s'agit.-de .prendre-en consi-
que d'une destruction de l'esthétique, le recueil
dération l'accomplissement, le développement d'essais de W. Benjamin publié sous le titre de
non entravé de cet homme historique, à la fois
« Poésie et révolution ». est là pour nous l'indi-
soutenu et châtré par la civilisation. Et c'est ce quen;(48).; Le dépassement du principe- de
double mouvement dont parle la poésie quand réalité ou, de la productivité (49), passe par la
elle fait éclater les limites des êtres et des
prise en charge de la parole, non plus en tant
choses. Et dans ce bris joyeux qu'elle opère
qu'instance.religieuse ou transcendente, mais en
s'exprime la folle exubérance de la vie et déjà
le bruit avant-coureur du jour de la revanche.
tant que réalité concrète et matérielle. <? Les
Avant tout le dynamisme: poétique, et c'est là moeurs s'améliorent... le sens des mots y parti-
cipe. Partout le respect de l'aliénation s'est
que se trouve son efficace, sociale et historique, perdu » (50). C'est ainsi que la prise en charge
est un essai d'instaurer.ce qu'il est convenu de
de la parole devient subversive, le refoulé de la
nommer totalité, par lui on peut reconnaître critique des exclus vient au jour, il
acquis une
a
que « la séparation des êtres est limitée à mémoire et un langage. Alors que précédem-
l'ordre réel. C'est seulement « si j'en reste à
l'ordre des choses que la séparation est réelle... ment ce qui pouvait être appelé poésie n'était
appliqué d'une façon appropriée qu'à un
Tous les hommes, intimement, n'en sont
«résidu extrêmement rare >; (Bataille), l'exten-
qu'un » (46). Ce que l'on essaie de signaler par
sion pratique qu'on peut lui donner maintenant
là c'est; que la poésie ne saurait être envisagée
comnrie une sphère, séparée, limitée d'expression
individuelle. C'est en tant que forme sociale (47) G. Bataille, op. cit., La notion de dépense
qu'elle prend sens. Le Surréalisme a été ce p. 36 (c'est nous qui soulignons.
(48) W. Benjamin, Poésie et Révolution, éd.
mouvement charnière où l'art en tant qu'expres- Denoël, 1971, trad. Gandillac. .

sion individuelle a atteint l'acmé d'authenticité (49) Cf. Baudrillard, Le miroir de la Production,
éd. Casterman, 1973, il faudrait naturellement repren-
dre et analyser la critique que Baudrillard fait de
(45) Anaïs Nin : Le Roman de l'avenir, éd. Stock, l'imaginaire.
1973, p.25sq. (50) Debord, Sanguinetti, La véritable scission dans
(46) G. Bataille, La part maudite, op. cit., p. 116. l'Internationale,éd. Champ libre, 1972.

12
miehel maffesoli imâgindire/réeldans
le devenir historique

Je .rend applicable' à la critiqué"en; acte et. phénomènes de plus en; plus vastes. Le but est
/subversive quotidienne,, jet peut donc. servit b'accroître- je nombre ; de réalités con-
.d'instrument .d'investigation sociale. Cet .instru- nues » (54). -7... 7;-;;. :
'/:;: •-.;' ..-.-•'•
ment qui utilisé; à "là fois .la lucidité oritiqué et On est loin d'une régression, dans l'irna-
'.,-.-''''-'.
le; rêve ou la poésie; est adéquat à l'analyse bu tionnel, de même qu'on;est loin d'une attitude
réel en ce.sens qu'il prend en considération le réactive pan ./apport: à "une/pensée technocra-
fait que l'enfance ou J'àdolescence qui jouaient tique ou productiviste; non, méthode .d'in-
la
.
un rô|e déterminant dans le rqnri.ântis.me,.(parce vestigation proposée découvre,; avec peine et en
qu'était reconnue, leur fonction passagère; l'an- empruntant parfois des chéminsVqui ne rnènent
goisse du devenir) sont maintenant devenues;un nulle part/la « gaie science » de l'homme total.
état de fait:.Délimitée dans le temps et l'espace,.; Position difficile s'il en est, tant il est vrai que
: l'enfance ne pouvait être que.cruelle-
(51), ren- « l'humanité sérieuse de la; croissance se civilise,
due, a la généralité, et-'partie: intégrante bu vécu s'adoucit, mais,>,/tenb. à confondre. là;..douceur
/social, elle définit eet;/hbmme en;7prqie;/au; avec leprix'bela.vie, et sa; durée tranquilleaveC
'possible, qui selon H. Lèfebyréviserait la>pré-.' son bynarriisrne poétique 1(55).,.position' qui/rend
vmjère .."définition,' la première affirmation;;de ; malaisée (ou/suspecte) une recherche,bu plaisir

l'attitude romantique ; révolutionnaire/ Ou7 si et de là jôuiSSance;,,b'a.utant:-que dans/je cadre


J'qn veut» son premier postulat » (52). même.d'une recherche Universitaire elle tend à.
Urie /telle, attitude reviendrait à/être ce hier les; spécialisations et à briser les partitions,
que Ivlarx,disait des Grecs, «.des.enfants nor- par trop .étroites bu savoir,en ^monceaux.; Mais
mau x » (53 ), ce qui; pourrai t. ;voUlpi r. d ireV q u ' à /n'est-ce pas; là l'éternel problème faustien.,qui
J'eneontre bes. « enfants grandis trop vite;», pu amène à choisir entre la;• grisaille,be là science: et
.
/qu'à rencontre des demeurés, ils ont. su avec la vêrdure: de «l'arbre; d'or de. la vie » ? .A
.justesse, allier sérieux, et ludique; tragique et moins; que par une alchimie d0nt7.il reste à'
sens de l'humus dans un mixte qui donnait à la /trouver .le seCTet,- les arrhes de la critique puis-
/poésie' toute sa dimension quotidienne. S'effor-; sent servir, la critiqué des armes.-'•:. "':,.:
cer ,de reproduire à; un niveau plus élevé |a
vérité de la vertu de l'enfance n'est pas un voeu VL L'EXPERIENCE DE LA VIE
pieux ou n'est pas une fieur de redondance plus
L'exploration du possible renvoie, ainsi
ou moins entachée de gâtisme, c'est avant, tout le note H. Lefebvre à une. utopie expéri-:
.
que
une attitude heuristique, dans une démarche mentale (56), qui n'est que la prisé en Compte;
théorique, Il s'agit par là, parole refus de
de71 'imaginaire en vue de sa réalisation. Une
présupposés ou par Je: rejet de positions figées telle .méthode, 'celle des « variations, imagi-
et: dogmatiques, d'être à l'écoute bu réel, il:
naires », qui peut trouver ;dés applications dans
s'agit, en appliquant à cette attitude ce que des domaines divers, évite à la fois l'empirisme
Mauss disait de la-sociologie théorique, d'accé-
le.pl.us pjat,.et les à priori abstraits (qui contri-
der à une « analyse de plus en plus; profonde de
buent en particulier à.la dévalorisation de l'ima-
ginaire). C'est un peu ce que nous avons essayé
(51 )
P-589.
cf. Rilke, Oeuvres/1
'7'. ;
Prose, éd.
' ,-'/.';
Seuil, 1966,

«j'ai prié pour, retrouver mon enfance, et .elle est


revenue, et je sens qu'elle est toujours dure comme
' dé faire dans Cette approche d'un au-delà de la
rationalité, au sens de pensée .économique qui.

autrefois et qu'il ne m'a servi à rien dé vieillir ».


(52) H. Lefebvre, Au-delà du structuralisme, éd.
Anthropos, 1971, p, 43.
.(54) M. Mauss,
'p.:4467
,-
Oeuvres t. III,
"'/./..'•'•' éd.
'.'"'''
part maudite, op. cit., p. 100.
.-'• (55). G.: Bataille,.-La
Minuit, 1969,


(56) H. Léfebvré, Du rural à l'urbain, éd.Anthro-
(53) K. Marx, Introduction, générale.... Oeuvres,
.Pléiade, t. 1, p. 266. pos,1970; p,130sq. '"''.
;

13
miehel maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

nivelle par équivalence généralisée. Un tel'.projet du dynamisme de lutte actuel, et de la prospec-


n'a rien à voir avec une rémanence idéaliste, tive toute proche, «la poésie populaire impli-
mais s'inscrit en plein dans la recherche du que bien plutôt du futur que du passé » (59).
«concret le plus extrême », (W. Benjamin), et si C'est d'ailleurs pour cela que le culte de tel
ce projet se situe délibérément à côté du héros passé, Jeanne d'Arc ou; Lénine, n'a rien à
; « Vulgârmarxismus »,;ii se veut partie prenante, voir dans Je surgissemént de l'imaginaire tel que
-d'une perspective qui considère, comme le note l'on vient d'en parler. D'autre part l'avantage du
maladroitement A.: Labriola, que les « formes de mythe en tant que cristallisaîeur de l'énergie
la; vie intérieure » font, elles aussi, partie: de collective, c'est d'être suffisament vague pour
l'histoire (57). n'être pas positivisë et par là bloquer'un
.
Ce prodigieux brouillon qu'était G. Sônel, processus en présentant un modèle. En pnenant
.théoricien, à la fois proche (l'ayant intériorisé) le mot paradigme dans son sens originel, celui
du marxisrhe et.le développant, a su saisir d'illustration -latérale; on peut-dire que le-mythe
l'importance, dans son aspect dynamique, de la s'en rappnoche, il ne donné pas un exemple,
production idéellë populaire, et ce qu'à sa suite, mais une./illustration un peu comme-le dieu
après.E. Bloch ou R- Kalidova on peut discerner dont l'oracle est à Delphes qui « nedit ni ne
cache, mais fait un signe » (Heraclite). •-"."
.
dans / les : pratiques religieuses, les dépasse, et
sont du plus haut intérêt' pour les pratiques Tous ces mythes qui ont traversé la poé-
sociales et. leurs analyses;, « les hommes, qui sie, l'art, la philosophie (60), sont à prendre
participent aux grands; mouvements sociaux, se dans: leur matérialité comme autant- d'idées
en
-représentent |ëur.;action: prochaine sous forme acte qui expriment en termes de mouvement un
d'imagés de batailles assurant le triomphé de groupé social donné. Ces imaginaires collectifs
leur cause. Je proposais de nommer mythes ces d'action immédiate. (SpartacUs; anabaptistes,
constructions dont la connaissance offre tant lUddistes, tailleurs silésiehs...) se fondent sur ces
d'importance pour l'historien :..l'a" grève générale archaïsmes phylogénétiques dont parle Freud,
des syndicalistes et la révolution... de Marx sont inconscient collectif qui par ses éclatements
des mythes »,(58). En ce sens l'imaginaire joue un rend compte de la réalité concrète et effective,
rôle de mobilisation,; prënb sa bi.mension collec- « la pensée doit devenir de plus en plus néga-
tive, et renvoie dos; à dos çatastrophisme et. trice et utopiste-par rapport à la réalité » (61)
volontarisme. C'est, là où le mythe devient reste à opérer le repérage des conflits, contra-
action .subversive, dès le moment où il n'est pas dictions, ou pratiques, qui manifestent l'imagi-
.
...une «idée » venue de .l'extérieur, (donnée, par naire collectif, qui rendent compte de ces
quelques despotes éclairés), mais surgissemént «cadres sociaux de la mémoire » (Halbwachs).
populaire dans une détermination historique. C'est donc une histoire des vaincus qui reste à
« L'a présent » du mythe, selon l'expression .de écrire, l'histoire à rebrousse-poil. Ce n'est pas
: W. Benjamin, devient; un, mixte fait d'un épais une étude'neutre et gratuite, caria concen-
et détonnant mélange de la rancoeur archaïque, tration, le «resserrement intensif » (62) de
l'imaginaire/symbolique en fait une force de

(57) A. Labiola, Essais sur la conception matéria-


liste de l'histoire, éd. Gordon-Breach, 1970, (59) G. Sorel, ibid. p. 116, cf.
encore.p. 149sq et
pp. 122-131. 165sq.
Au-delà de son aspect globalement répétitif, (60) H. Lefebvre, Du rural à l'urbain,
op. cit.,
l'article de L. Althusser « Idéologie et Appareils idéolo- p. 78. ;
giques d'Etat», contient.quelques ,notations érudites (61) H. Marcuse, Raison et Révolution, éd. Minuit,
fort utiles in La; Pensée (revue) N. 15.1, juin 1970. 1968, préface de R. Castel, p. 23.
(58) G. Sorel, Réflexions sur: la violence, éd. (62) E. Cassirer, cité par W. Benjamin,
.
Poésie et
M. Rivière, 1972, p. 26. Révolution, op. cit., p. 95.

14
miehel maffesoli imaginaire/réel dans
le devenir historique

frappe dont l'efficacité commence à être recon- défendre contre, des nouveautés: désagréables
nue, reconnaissance qui' nécessité vigilance et avec tout autant d'efficacité » (63).
lucidité, car par analogie, oh peut appliquera ..Les Conséquences qui découlent bè l'ima-.
l'imagîraîre ce que Freud disait pour la psycha-. gihaire collectif/individuel pourront .être yolati-
nalyse,.«.on se contentait autrefois de nier la sation gratuite et festive des forces du. corps.;
réalité dés faits avancés... et le meilleur moyen jeu avec là mont,: échangé transitif (64), toutes
pour ala semblait être d'éviter de les examiner. ; choses qui échappent à la sphère de l'économie,
Ce précédé semble peu à peu avoir été aban- toutes, choses qui bien qu'étant indiquées ici;
donné ; on reconnaît les faits, mais les consé- fort brièvement s'annoncent importantes dans le.
quehce qui en découlent, On les .éludé au .devenir historique comme: au-delà de la valeur
moyen de réihterprétatîoris, ce qui permet dé "se"; et du produCtivisme occidental (65).

(65) En ce qui concerné le productiviste occi-


.
(63)S. Freud. Cinq psychanalyses, op. cit., p. 327. dental, il conviendrait de faire la critique du « socia^
(64)J. Baudrillard, Le miroir de la Production, éd. lisme » des pays dé l'Est. Pour l'instant on peut se.
Casterrran/Poche, 1973, p. 32. contenter de renvoyer à H. Marcuse,
. .

15
pierre sarisot
ville et poésie

7; ;On a écrit, on a associé «Poésie et Révo- ruses, ;be /parenthèses, bes .médiations: Elle a
lution,», « Poésie et" Profondeur »,;«: Poésie et quelque, chose: de retors, et cortime .déplaisant. •'.'
Musique ». Alors pourquoi ne pas;ajouter,« Poé7 Elle semble parfois nous éloigner du but pour-
sié et Ville » puisque une langue, supporte;tant "... suivl et ensuite elle; paraît: nous y rarnener trop,
I
de combinaisons possibles '•'•'-,•". ." ; '
.
soudainement. .Mais,; eni'oeounrence;isi;elle(est,
: Mais; :précîsemrheht, les7 poètes .sont ià menée à; bien, elle boitimôntrén(qu'il, existe (une7
pour nous rappeler qu'il•.-•jn-'ëst pas[:légitime,-; "autré/approche.possible de,la ville; qui, /poun
tolérâble de, dire nimpùrie pubï, et;què ;les7 n'être pas;'scientifique, n'est pas ppUr autant
voies de l'imaginaire né sont jamais 'arbitraires : extravagante '.et continue à nous Concerner, On
même si elles sont.imprévisibles. :"Qr,:; à- là y: gagnerait non point/ Une nouvelle réponse
réflexion;; cèttëassociatioh; dëilà Ville et ;de là .maïs/Un déplacement bë la question et une
Poésie apparaît très vite hasardeuse! Car; Si la'."-"' .redistribution'.bes
données.dupnôblème, ce qui
poésie se manifeste par "un certain usage de la est parfois, fructueux. 777:;: ?": ;;;
parole, libre au ppète.dé choisir";là ville comme ; Il nQus;-faut";bonc considérer avec plus de
motif de son travail verbal /mais; il. s'agira, d'une; /sqjri; les;.objections,qui peuvent nous être faites,;;
collusion accidentelle :';bn ne pourra pas affir- ' . La/poésie, en principe,; renvoie uniquement; au
mer pour autant-que la ville soit en elle-même domainebe la production poétique, boncà un
source de poésie ; éilè le devient à l'occasion, certain usage ;de la langue -.(pu .'"de- là parole);: On
comme pourrait le devenir tout autre forme du peut interprêter en; ce sens le dernier Bachelard
réel par un travail d'élaboration du langage. ; qui n'est plus intéressé par la rêverie bes ma-
D'autre: part, et ce: soupçon est encore plus tières,- des forces ; « Je suis un rêveur.de: mots,
radical, la ville dans son in'détermïnatioh plasti- un rêveur ;de mots écrits. Un mot m'arrête; Les
que-, étrangère:-à:-l'histoire..'età l'espace,.se prête.,; syllabes, se mettent à -s'agiter. Des accents toni-
comme une manière docile à" toutes les.nêveries ques se mettent à ^s'inverser:- lis prennent
du regard,, de' la main, de.l'inconscient mais d'autre significations/ comme s'ils payaient - le
cette ville qui se livre si.bien aux fantaisies de droit d'être .jeUnes...7;C'est la plume -quL.rêye.
l'imagination n'est-elle pas tout;bonnementima- C'est la page blanche; qui donne le droit.: de
ginaire ?: c'est-à-dire/qu'elle n'a jamais existé, rêver ». Dans cëtteconception du poétique, Une
et qu'en fait, l'historien rencontre toujours de? certaine idéalité du dire' domine. Ce qui. en-
systèmes urbains, qui eux, s'expliquent par Un chante te; rêveur, ce n'est pas Une maison réelle;
jeu rigoureux dé transformations, de diffé- ou une enfance vécue, .mais l'image de la .mai-
rences.-". Nous devrons donc écarter,; cette double son écrite, produite par bés mots et qui: favorise
suspicion avant de précisen le sens, bê notne le bonheur du moi à. prendre possession de soi:
pnopos. Cette entnepnise de légitimation, .risque On l'a .souvent dit, et Lyotard le répète ; la
d'être longue -et elle exigera "de l'auditeur une poésie n'est pas comme un texte à déchiffrer/et
certaine patience. Toute enquête b'ôrdfë .métho- ; qui, de ce fait, renverrait à une réalité--dont.elle
dolôgique nequient des préalables, dés espèces de parlerait. Elle est Semblable à un tableau qui est

17

espaces et sociétés n. 15 -2
pierre sansot vme et poésie

à voir. Elle possède son code «sans aucun mène poétique. Une se réduit pas à un agré-
réfénentiel », dont la clef ne vaut que pour le ment, il ne constitue pas un luxe, il possède
texte qui est le sien, On casse, on désorganise, une portée ontologique dans la mesure où il
on gondole la syntaxe qui soumettrait le verbe nous renseigne sur l'essentiel de l'homme et sur
à une rhétorique convenue. Une fois la syntaxe son plus grand mystère: à savoir qu'il est
désintégrée, le texte est à parcourir comme un source de significations et de jouissances et que
ensemble vivant et sonore. par lui, le monde se fait lumière.
Nous n'en disconvenons pas, mais nous Nous voudrions nous inspirer de ce parti-
voudrions pousser l'analyse plus loin et nous pris pour entendre la parole célèbre de Nerval
demander d'où vient ce pouvoir étnange, boule- « le rêve, (la poésie) est une seconde vie. Je n'ai
versant du langage. Etonnement sans naison, jamais pu percer sans frémir ces portes d'ivoire
népliquenait un centain Sântne. Il n'est pas néces- qui nous séparent- du monde invisible ». Le
saine de fonder la parole sur une autre réalité terme d'invisible fait problème. Il, peut signifier-
qu'elle-même. .Les (mots possèdent une force une autre région plus clémente, plus sereine de
d'expansion infinie. Il suffit-de les: donner à l'univers, un: ailleurs, mais ce peut être plus
entendre avec leur chair,leUrfimbne, leun d.ou- simplement et; plus mystérieusement ce non
ceun ou leun âpneté. Ainsi, s'explique la réson- visible à partir de quoi les choses deviennent _

visibles. La ville invisible, ce n'est pas alors la


nance prodigieuse dé certains noms propres
dont: ja sonorité n'a: été récouverte par aucune : Jérusalem céleste, mais cette-ville introuvable à
.
signification. Lés7mots rendus ivres dé liberté nos regards et qui, seule, donne cohésion à la.
.
(en l'absence de toute ponctuation, le lecteur, ville que j'habite/ réellement, corporellement,
ne peut plus les museler) engendrent par leurs ville.que je n'ai, jamais face à moi, comme ce
Collusions des figures peu ordinaires. I!suffirait : mur, cette, façade mais qui est mon; point,
« de (secouer l'appareil au langage pour lui
b'ancrage mobile à partir duquel j'inspecte et je
arracher un son neuf ». Seulement pour que le ressaisis tel ou tel fragment de la ville.
langage soit;ainsi (à l'honneur et à la fête, pour A iâ suite; de cette première analyse, on
qu'il redevienne: le lieu de la jouissance et.non nous concédera peut-être qu'une description de
un .moyen de contrainte,, il faut qu'une force l'être parlant qu'est l'homme éclaire d'une cer-
(celle bu désir? celle be l'homme se réappro- taine manière l'être urbain, le premier habitant
.
priant son existence? ) vienne froisser^ vienne le langage; comme. le second parle, respire,
meurtrir, télescoper les règles syntaxiques et recrée, (recréera ? ) la ville par un regard libre,
sémantiques. Il faudrait rapprocher le phéno- par une marche libre accordée à l'espace urbain,
mène -poétique, PU phénomène pictural. Le ou encore que.ie rapport bu visible à l'invisible
tableau,nous remet dans l'état.d'un être voyant, bu dit ou non-dit dans: le texte poétique mime
(d'un être qui organise l'espace,; qui disjoint et sensiblement les relations de la ville visible (les-
conjoint originellement; les choses alors qu'elles trottoirs, les places, les mobiles) à la ville
n'ont pas; encore regagné leur enclos. IL nous invisible (non perçue, mais source d'une bonne,
invite à disposer de pouvoirs trop souvent négli- perception). Mais ressurgit l'objection, la plus
gés, peut-être oubliés. De même,(la poésie nous fondamentale; celle qu'Alain Medam a su fon-
permet de redevenir un être parlant, de faire muler avec beaucoup be vigueur : quelle est
sourdre les mots de notre gorge, de les nouer, bonc cette abstraction anhistorique que vous
de les espaCer, d'ouvrir de notre parole l'hori- appelez ville ? Nous ne pouvons y répondre
zon linguistique, tout comme l'on peut d'un qu'en faisant,un nouvel appel au vécu et sur-
geste, d'une, marche, ouvrir l'horizon d'un tout, à l'imaginaire. Pour dire bref, et d'une
champ bu d'un espace urbain ou non. En façon encore obscure, si l'ordre du savoir (géo-
conséquence, on ne saurait surestimer le phéno- graphique,, historique, socio-économique). recou-

18
pierre sansot ville et poésie

vrâit l'expérience de/l'homfne en situatipn,/si la entendu accompagnent nécessairement le; vu,


vil le réel le : (cel le que nous vivons). n'était : pas l'entendu (et ce serait Une des tâches de l'urba-
comme une : totalité jamais ; donnée/beaucoup nisme que de s'occuper de ce non vu, que. de
plus imaginée;que perçue, où; présence et ab- nous faire entendre obliquement l'inouï). .Voir-
sence se cohjoignent réciproquement, la ville;ne. autre chose, c'est se conbamner à laisser bans:
serait- qu'un leurre."Précisons davantage l'enjeu t'ombre ce 'que;' l'on, saisissait: auparavant.
de ce débat;e;t:bemandons-nous"s'il est légitime L'orbre bu vécu se dévoile7sëlon, la succession
de desserrer l'ét.au positiviste- La ville,: dira-t-on; des moments ; (cette rue,; puis cette place. : Le
.
n'estrien. d'autre que "le moment(d'Un mode/de concept, celui (be.ville pan exemple peut bien,
production économique qui; se traduit par un s'antiçulen,en différentes notio.ns;(mais alors ces.
processus d'urbanisation,:.;.;.Ce.serait la .trans- notions .s'enchaînent simultanément lés unes
cription territoriale de ta façon dont un mode (aux.; autres et l'on .ne peut pas dire qu'elles
be probuctions'approprie l'espace. Poser la ville 's'égrènentVie long d'une'- durée réelle. Si cette
comme un ..en soi,;, la doter d'une personnalité/ analysé.(est(exactè,-ie vécu (n'est pâS/une moin-
b.'uri/style,'.opposer ia ville en .général à Ja dre vérité par rapport au ..conceptuel, il n'est pas
campagne:,/; ce'. ; serait participer consciemment Une .connaissance moins, approchée d'une con-
6.U; inconsciemment à une/ opération idéolo- naissance"plus: approchée. Nous;n'avons pluSle
;
gique, car-une(analyse(plUs7radicalenous ferait, : droit: de révoquer; lès données immédiates,deia,
remonten-:jusqu;à:un(mpuyement:be tennitoriali- (pénceptibn urbaine ; il nous faut considérer .avec ;
satiôn globale.par .rapport à laquelle la partition beaucoup, de; respect Çe(;qu'élles nous appren- ;
(de la ville' et de: là: campagne serait secondaire; •
:
nent de ia; ville vécue; même si elle comporte'-:
Des villes ne, seraient .comparables qu'à l'inté- une.-grande-.parîbefant.astique;social: Donc,.pas.
rieur;d'un même.mode(de; production et comme be coupure épîstémolpgique-radicale, mais plu-,
Manuel V Castells : l'a.montré irréfutablement,; il tôt.>ùn rapport de fondation -du conçu par, le,
.
n'existe, pas -'de: culture: (urbaine et pourtant ..aux perçu,: lequel;- se rédu it à: une somme.d'i II usions "
yeux du travailleurpu: du promeneur,,et comme. regrettables. C'est (parce que les hommes ont eu (
.

Alain. Medam le/rappelle,;la ville existe, elle se autrefois (aujourd'hui encore/?) le sentimentde
donne comme une donné immédiate,qui.peut vivre(dans les villes, c'est parce que les villes ont
écraser l'homme.ou -le.'remplir de jubilation. Il eu Je pouvoir de se réfléchir symboliquement:
s'agit de savoir./ si nous sommes en présence jusqu'à prendre un nom, que-la pensée urbaine
d'une naïveté, qu'il, faudrait dépasser. ; .-.-.-.:-.- a été rendue possible. Que ce sentiment dispa-.
Selon nôus.ir existe deux ordres irréduc- raisse, (que ce mouvement de symbolisation
tibles l'un à l'autre, parce qu'ils sont hétéro- trouve sa gloire dans d'aUtrés.plans be l'espace,
gènes-:. l'ordre -du concept (la ville de l'écono- et la. réflexion sur. la villes n'aura plus lieu
".û'.êxxe ou elle.sé tnompena d'objet,Sur ce point,
miste) et l'ordre du vécu (l'ordre de l'habitant).
La ville analysée, décomposée, en, mécanismes, nous .adhérerions à la pensée de Mikel Dufrenne
n'est vue de: nulle part. Comme le concept, elle .-lorsqu'il écrit : « la perception, c'est le commen-
transparentes/elle/ connaît, .ni, entrée ni cement/c'est ce(.qUi nous, -met .-au; monbe,
est • ne
l'étonnante révélation. .qu'un, monde nous est
sortie. Au. contraire, l'ordre du (vécu est par.
..'donné,:'Aprèj(quoi toute entreprise scientifique,
essence;constitué;de lacunes, de manques (je ne,
es't légitimé, mais elle a été renbue possible par.
vois que Ce quartier,où que l'aspect;sinistre de
cette rue), Certes le savoir.est traversé de failles, ...cette
première ouverture ». 7 ,; (
.
mais il a pour vocation de les colmater et de les Qu'est-ce donc que percevoir;une ville?
faire disparaître à un niveau supérieur d'intelli- En quoi cette saisie emprunte-t-elle les voies de
gibilité. Dans la visée perceptive, en revanche, la l'imaginaire ou parfois du poétique ou encore
perspective est indépassable ; le non-vu, lenon-. du poéïétique. D'abord, la ville "comme le

19
pierre sansot ville et poésie

monde nous est bonnée comme inachevée. Etre défavorable ce que j'anticipe c'est encore du
au monde ce n'est pas s'inscrire dans un ensem- sensible: les stops, les feux, les carrefours, les
ble, mais naître à une réalité ouverte, à un sens-interdits... je les présume avant de les ren-
horizon qui, par principe, recule quand je m'en contrer et ce qu'ils viennent investir confu-
approche. De là, le rôle essentiel des trajets qui sément, c'est un certain pouvoir : moteur par
ne sont pas une forme de dilettantisme, mais la lequel je suis,en prise sur la ville. En l'occur-
seule façon d'appréhenber la ville. Nouspensons rence, je me défierai des maniaques du code qui
que cette déambulation urbaine : repose sur oublient ce « je peux » primordial sans lequel
l'exercice de l'imagination. Nous entendons par aucune avancée dans la ville ne serait possible.
imagination la faculté de l'irréek Seulement, En revanche, il existe des cas privilégiés qui
.
cette définition trop générale demande à être favorisent au plus haut degré l'intervention de
précisée. Cet irréel peut être de pure fantaisie et l'imaginaire. Dans certains quartiers plus anciens
exprimer la souveraineté de la création ou bien, nous claudiquons sur/un sol inégal. Quelque
il peut être le résultat d'une anticipation qui chose m'est proposé, dont je ne Suis pas l'au-
passe par notre corps et non par des signes teur et dont je ne connaîtrai jamais l'origine et
abstraits. Il nous donné, une. quasi: présence, ceci au niveau je plus humble ; la .largeur de ce
sensible de ce qui -n'est"pas'-encore.-. Il s'agira trottoir, le coude de Cette impasse, tout ce lacis;
d'un passage perpétuel de ce qui est donné à ce de rues, dont je ne peux, en pensée, me faire
qui ..est .présumé, bu. renvoi,.b.'une. présence- l'architecte,, qu'il ne (m.'appartient pas de conce-
incomplète à une absence qui déjà rôde autour voir,mais d'imaginer. Mes pas déboitent sur ce.
de ce qui est actuel. Or, c'est bien ce -méca- trottoir. La prise de mon regard se rélâche le-
nisme qui joue dans la découverte pu même long de cette façade, mes sens se- mettent à
dans la .marche quotidienne à l'intérieur d'une jouer:-librement, ce qui s'appelle rêver." Mais;
ville. Cette, dernière montre et inhibe :.elle pour en révenir à l'essentiel, disons que seule
exhibé une rue, elle cache le quartier (qu'elle l'imagination rend possible l'enchaînement des
suggère cependant) ou encore; la place sur la- séquencesqui constitue la marche.
quelle; je vais bientôt déboucher. C'est à partir En second lieu, j'existe su rie mode de la;
de cette ville tout entière que jamais je ne finitude : cela veut dire que je ne bénéfice pas.
percevrai dans sa totalité — que paradoxalement du don divin de l'immédiateté, qu'il ne me
les rues, les boutiques tirent leur dignité Ur- suffit; pas de concevoir une chose pour la
baine. En l'espèce, nous n'avons pas affaire à produire. Je dois m'approprier le monde, sur le
une simple cascade de réflexes ou à une recon- mode du faire par une'sorte depraxis. On peut,
naissance de type -intellectuel'; Car c'est avec la sans abUs, appeler certes praxis; poétique, dans
vigueur de notre corps/avec notre soif et notre la mesure où elle ne violente pas l'objet et ne le
détresse pu sous le coup de l'urgence quoti- fabrique pas industriellement. Elle pénètre avec
dienne que noUs appréhendons une ville dans sa sympathie/elle efface les différences, elle se fait
totalité. D'autre part, nous ne nous hissons parfois semblable à ce qu'elle modèle (ainsi
jamais tout à fait au monde des signes. L'image l'habitant du,pavillon avec son-sécateur, avec
prétend me restituer au creux de mon absence son agitation incessante, avec ses crissements se
l'équivalent de la pierre ou de ce coude ou de met à ressembler aux insectes qu'il traque). Elle
cette fontaine que je ne perçois pas encore. se rapproche de la rêverie bachelardiénne;
Certes toutes les expériences ne sont pas Certes tous les lieux urbains;et toutes les villes
équivalentes : je peux subir la contrainte impé- ne se prêtent pas à ce façonnement mais alors
rative de certains parcours et si je suis en les hommes paraissent en souffrir, comme si on
automobile, mon corps n'intervient plus au leur refusait une activité fondamentale. Dans les
même degré, mais même dans le cas le plus quartiers plus populaires d'autrefois, par exem-

20
pierre sansot ville et poésie;

pie, dans les bistrots, les hommes avaient fait une personne. Il faut nous faire respecter d'elle
leur trace. Ils avaient usé ensemble les chaises, et la respecter, vivre en bonne intelligence avec
les murs, et ils n'avaient pas de honte à mêler elle. Cette ville (unique peut-être) qui nous
leurs empreintes à celles des autres. Le regard, découvre à nous-même autant que nous la
le simple regard, quand on lui a permis de découvrons est donc le lieu d'une expérience
s'exercer librement, suffit à façonner un pay- privilégiée. Si cette ville n'est pas un remake
sage urbain. Combien de regards d'enfants et de culturel, elle nous révélera ce que nous ne
vieilles gens dans ce square, combien de regards savions pas encore et nous ne pourrons pas en
jeunes le long de ce canal ! Alors, l'oeil humain accélérer véritablement la découverte. Puisqu.il
ne s'empare pas de force de ce qu'il contemple ; y a relation à un autre et dévoilement de cet
il lui arrive de réverbérer, de polir le spectacle autre, nous avons bien le droit de parler de
de ces vieilles choses. De là, l'étrange joie qui sentiments à propos de la ville. D'une façon
peut s'emparer des hommes lors d'une manifes- moins privilégiée et finalement plus radicale,
tation ou pendant les journées révolutionnaires. pour recevoir une ville en tant que figure
Ils ont le sentiment de réinventer et de remo- originale, ne fa.ut-il pas ménager un espace
deler l'image de leur cité. Ils la font être à d'accueil, et à nouveau n'y a-t-il pas lieu de parler
nouveau, chaque nuit, chaque heure, par leurs « d'affection » ?
pas,-par leurs cris, par leurs ordres du jour.
C'est leur fraternité qui fait tenir ensemble Nous avons abordé le problème de la
toutes les rues de la cité et tant qu'ils se façon qui nous paraissait la plus positive et la
serreront les coudes, personne ne pourra défaire plus irrécusable puisque nous avons examiné les
-cette ville qui tient par la vigueur, de leurs conditions d'appréhension d'une vilie par son
libertés. habitant. Maintenant nous oserons être plus
Enfin,"exister c'est s'ouvrir au monde en ambitieux et plus hasardeux en procédant à
le modifiant d'une certaine façon. Le sentiment partir de la ville elle-même. Dire queja ville est
n'est pas un état d'âme, une parcelle de notre ou a été poétique, ce n'est pas affirmer que par
moi. Il signifie la manière dont nous nous certains de ses monuments ou que dans ses
prédisposons à l'égard de l'Autre pour le rece- réalisations les plus réussies elle nous paraît
voir. La poésie et le: sentir appartiennent à la, conforme à certaines catégories esthétiques
même sphère :..situés du côté de la.présence et comme le gracieux ou le sublime mais c'est
non de la . représentation.^-,plus soucieux de prétendre qu'elle est pu qu'elle a été capable
l'émergence.". d'Un monde: avec ses ruptures, ses d'engendrer jusqu'à Ia (prodigabi1ité des person-
pulsions, sa" tonalité globale ,què de sa pârçelli- nages ou des lieux à sa. mesure. Ce qui nous
sation et de sa refabrication conceptuelle ou importé,ce n'est pas- qu'elle soit oeuvre d'art
.
technique. Peut-on affirmer qu'ilexiste un sen- mais plutôt qu'elle Se.manifeste comme;produc-
timent de la/ ville. On sera tenté;.d'en douter et trice. Le rapport- d'une, nature: naturante à ce
on montrera -que ce prétendu sentiment n'est qu'elle pnpduit.n'estpas susceptible d'être prou-
(pas original, qu'il travestit ou. qu'il, sublime vé se|on les voies les plus simples-. Il peut naître,
d'autres réalités plus élémentaires /ainsi, on a du rassemblement; be signes épars et d'abord
.cru mettre/en évidence chez Pavese,.une .cer- "b'un sentiment •négatif- : en ce qui 'concerné':la
taine peur de la-, femme et de la ville. A quoi: -ville et ses murs, ses habitants, les relations de"
nous répondrons qu'un -sentiment vaut; par la- -causalité ou de., conditionnement(conviennent
richesse; de ce. qu'il permet de. dévoiler.'et alors moins que ceux d'expressivité ; ils s'apparentent
u importe,ses. origines réelles Ou fictives. Or à ceux-que l'on découvre entre Un artiste:et;son
dans; le meilleur des cas,- il est certain que la rouvre : Paris .(et- les parisiens, .non/comme le
ville nous apparaît comme un vis-à-vis, comme pommier produit des pomnnes'mais; comme;'il'-

21
pierre sansot ville et poésie

fait venir, en juin à l'apparaître toute la gloire un élément du système urbain ; elle fait partie
du printemps ou delà Normandie.' de la chair de la ville. La ville produit aussi des
.
Nous avons.quelque peine à penser la ville -lieux,.qui découlent d'une nécessité économico-
sociale mais qui en outreportent à l'expression
comme naturante, car nous associons plus vo-
lontiers, la fécondité, la beauté, la générosité ce que; la ville est ou peut être. Ainsi,-la gare
créatrice et- la nature. N'est-ce pas parce que qui a constitué comme une porte de Ia. vî11e
nous concevons la productivité d'une façon trop avec ses incertitudes, ses moments d'allégresse,
(naïve, comme un engendrement, comme un sa ; fausse poésie ou encore, le bistrot, où les
ehgrangement, comme une vendange. C'est là hommes se rencontrent à la sortie du travail,
sans-doute, la vérité de juin ou de septembre, la parlent pour le seul plaisir de parler, avec un
vérité de la terre. et (de ses coteaux et de -ses -rien (de jactance, quelques, grands coups; de
plaines. Seulement, la (nature peut être'-riatti- gueule, histoire de rire ou de charrier un. copain
et où l'échange se prolonge avec des tournées
rante de multiples façons. Quand elle passe par
le canal de la ville, elle fait lever bes pierres, des qui n'en finissent pas.
immeubles, des sourires et. dés instants de La ville a également creusé son espacent
misère,"des rassemblements de. fureur et des trouvé le matériau qui lui était propre. Selon
foules houleuses. D'ailleurs, s'il, n'existait, pas Bachelard, le rêveur ne distingue pas son moi. et
une communauté de nature entré la ville et ses le monde,. ce qu'il sent et ce que sont les
habitants "(ses poètes) /comment nous serait-il, choses. La ville traditionnelle que nous évo-
possible d'en parler ? Gavroche ou l'insurgé ou quons ici "ne se "refuse "pas "à -ce dialogué et. à
parfois le policier sont les témoins de cette cette indistinetion. Il ne faudrait pas croire,
familîàrïté(;étpnnante qui procède d'une origine qu'elle se, compose be pierres froides, car-ces
commune. .Gavroche-se trouvé (à l'aise dans les pierres se sont échauffées au soleil de l'histoire,
petites rues, il s'y faufile pendant l'émeute, il ses,murs portent les cicatrices et les (rides de
ne rêve pas d'une campagne idyllique que le nombreuses générations. Les rêves, les sourires,
: destin-Jui .--aurait.(refusé.;; quand il meurt, il les misères des; hommes y ont laissé -leurs
..revient naturellement au pavé. Si noUs ne vou- traces ! ..'.-.- .
lions pas porter un jugement, catégorique sur le La ville productrice, mais doit-on ajouter
(fond des choses, il nous suffirait d'affirmer la ville expressive. Puisque le thème de ce débat
avec prudence ; tout se passe comme s'il existait est «Poésie et Ville », it nous faut; mieux
une harmonie réelle, un rapport de connivence précisen les rapports du langage et de la ville.
entre la ville et ses. lieux privilégiés, ses figures Cette ville que nous disons naturante est-elle
légendaires et peut-être ses habitants. productrice de signes et sur quel mode ? On
Que crée donc la Ville? Des personnages peut évidemment soutenir que la ville est struc-
qui redoublent son. image et qu'on ne peut turée comme un langage — encore faut-il que
imaginer qu'en ville. On. pensera.à la Prostituée, cette assimilation ne reste pas dé l'ordre de la
'celle que selon Prevert l'on rencontre près de la métaphore, donc découvrir des pertinences, des
Bastille au fil du métro aérien, non loin des flexions,, des relations syntagmatiques qui
marchés, des, églises, des halles. Elle recueille, constituent un véritable système et c'est, sem-
elle accueillie ce que la; ville charrie; déporte, ble-t-il, la direction que Françoise Choay a
secrète. Elle est comme un sillon, un creux, une choisie non sans courage. Ou encore on peut
lèvre.dans cette plaine sans défaut, une mollesse d'une façon beaucoup plus modeste dénombrer
dans un décor .marmoréen1. Le ventre, de la les signes qui balisent une cité, les codes que ses
prostituée est un ventre public,, un passage administrateurs ou ses ; habitants '. utilisent et
yéhiculaire comme les impasses chênes aux l'urbaniste sera tenté de coordonner, de sim-
surréalistes. Bref, elle n'est pas au premier chef plifier ces codes pour obtenir la meilleure per-

22
pierre sansot ville et poésie

ception et la meilleure utilisation d'un espace ces veilleurs de nuit rencontrés au drugstore du
urbain. Pour notrepart, nous croyons découvrir coin ou dans les couloirs de leun immeuble.
deux autres niveaux qui, en l'occurence, sont, Cette liaison mise en évidence, la yîlle
plus proches de ce que nous entendons sous le- peut procéder- d'Une, façon (encore plus immé-
couvert d'une parole poétique. D'une part, la diate. Elle n'incite pas seulement les hommes à
ville, semble-t-il, " produit des légendes, des prononcer toutes sortes de discours sur son
rumeurs, des récits et des films, des paroles compte. Elle s'exprime en produisant des cris,
fastueuses ou dérisoires qui procèdent d'elle et des ; taches de couleurs, des tourbillons, des ;
qui prennent donc leur distance vis-à-vis d'elle; accidents, des faits tellement divers et qui sont
sans tomber dans une relation de pure exté- encore une partie de sa chair. On peut penser,
riorité. Nous avons comme l'impression que si i'on veut, aux affiches de l'avant-guerre qui
c'est la ville qui se dédouble, qui prend plaisir à n'étaient pas sagement.posées sur des placards
.
se multiplier et à se mirer:: N'est-cépasd'ail- mais qui recouvraient les murs d'une pellicule
leurs Une bonne définition de l'habitant d'une précieuse/ Elles se dissolvaient-" au fil des ans,
ville que de la considérer comme celui: qui elles étaient comme ia nature urbaine eh hail-
adhère à la légende de sa ville, celle de Paris s'il lons, le manteau troué et multicolore de la ville.
est parisien (ce-n'est pas seulement lé cas de Signes aussi d'une.agilité démoniaque, ces rames
Prévert)/celle de Rome s'il est romain (etcela de métro barriolées, qui, en serpentant, empor-
ne vaut pas seulement pour Fellini): Nulle con- tent dans leurs wagons blafards des-journaux du
fusion possible avec le discours lointain, trans-, soir, bes( hommes fatigués.;.'bes/romans vite lus.
parent, -souverain du géographe ou. de l'urba- Dans ces conbitibns, le langage n'est plus:
"
niste. Jl semble que les romanciers et/les poètes là pour dénommer la chose enson absence et
ont été exigés et voulus, par; cette ville bont ils pour l'idéaliser. Il devient figure, volute plus,ou
parlent. Par exemple, la violence de certains moins étirée, volUme plus(ou moins encombrant
films noirs, de certains romans policiers dès
sans pour: autant, s'empâter et devenir une
années 30;ou 35 naît be la brutalité be la ville chose, .qui n'aurait, pas connu(la gloire d'être
américaine secouée par' les ; affontements des prononc.ée,articulée. Ainsi, dans: le Paris
gangs, par les lumières, par la course au profit, d'avant-guenre, ces mots qui disaient des lieux
par la dureté du travail et de. l'a concurrence. urbains comme.le meublé ou le bistrot ou la
Certes, il ne s'agit pas d'une correspondance brasserie.,et qui était encore la mousse de la
naïve "et dans de tels films, la sécheresse du ville. Ils ne désignaient pas une réalité dont ils
récit, les ellipses de la narration, l'enchaînement .
n'auraient pas été solidaires. Ils ne participaient
irrésistible des faits sont les véritables signes de pas ; à un quadrillage logistique, à un-.' rhéta-
.
la violence beaucoup plus que la'description de .-.langage, du pauvre comme le prospect, le par-
la pègre ou de la compromission des hommes king, l'unité sectorielle,Le mot.bistrot n'est pas
politiques. Certes aussi, nous assistons à un dire à lire, comme je lis le mot résignation ou le
qui prend ses distances vis-à-vis de la ville et qui. mot raison. Il est à Voir, il a été à voir sur des
vaut pour le milieu urbain en général, mais les enseignes, il est là à côté des chaises, du zinc,
hommes de la cité vivent dans l'immédiateté de du patron et de son éponge, un fragment de la
cette légende noire et la ville qui n'arrive pas à devanture .— lui aussi, un peu7 fatigué pan les
se connaître lucidement en demeure à cette longues veilles et Je chahut des clients ;; il est
vision fantastique d'elle-même : elle, secrète, composé du jambage tout comme ceçonsom-
tout naturellement, tous ces flics privés, tous ; mateur à la gauche du zinc a-des rides.et une
ces spéculateurs sur la mort d'autrui, elle tient alliance au doigt. Le figurai pervertitle mot qui
là plume de ces écrivains qui sopt de la même cesse (d'être un signifiant docile et c'est pou r-
race que ces flics, ces démarcheurs d'assurance, - ,quôi il y a poésie. Tous ces cris perclus, tous ces

23
pierre sansot ville et poésie

signes prodigieux, je ne peux les intégrer dans qui sont le plus gros de possibles et d'images.
une structure dont ils seraient les éléments et il L'histoire dans sa positivité peut déjà nous
en est d'eux, comme des fragments d'un poème. aider, car les hommes ont souvent plébiscité des
Ils apparaissent comme absolument intradui- lieux qui les font rêver, donc vivre. Louis
sibles. Le discours que je tiens sur.eux (sous Chevalier a bien montré que.le Paris vivant n'est
forme d'un commentaire dans le langage de la pas tellement étendu, que les parisiens, sans se
signification) n'appartient plus au même do- concerter, se rencontraient à peu. près, sur les
maine de sens et ne peut passer pour une même lieux aux périodes chaudes de l'histoire.
transposition même approximative car il relève S'il y a une reconnaissance effective, visible des
d'un ordre de la langue. lieux par les hommes (à travers leur promenade
Puisque; nous évoquons laparole urbaine, quotidienne, leurs actes de liberté, le sentiment
de bien-être qu'ils ressentent) si dans les quar-
ne pourrait-on pas aller jusqu'à affirmer que
chaque ville a son timbre particulier, parfois tiers nouveaux émergent très vite des points
privilégiés et des-zones d'indifférence— nous
peu audible, parfois pleinement reconnaissable.
Evidemment, nous ne songeons pas à cette avons là un critère inter-subjectif qui ressemble
à celui de l'art. Pleinement urbain, donc poéti-
rumeur urbaine qui ne varie guère d'une cité à
l'autre. Mais le.ciel, la gravité ou la bonhomie que, non point le bien qui en soi aurait été
deses habitants, léntrelas desrues et la stature décrété conforme à l'essence de là ville, con-
de ses bâtiments disent quelque chose de peu
forme au projet des pouvoirs politiques mais
.définissable- et qui a,-en-vertu de- ia communi- celui .que Jes hommes polissent, urbanisent de
cation bes sens entré eux, sa résonnance audi- leuns pas et de leurs rêveries. Urbain, le lieu à
tive. travers quoi je communique avec les autres qui
me permet de m'excentrer de moi-même sans
S'il existe vraiment une poésie de la ville, que je puisse donner les raisons de cet accord
on se demandera de quels critères nous dispo- ou tirer une règle universelle de l'expérience
sons pour distinguer les lieux urbains «poéti- que j'ai faite. Dans l'oeuvre urbaine comme dans
ques » et puisqu'il existe une imagination pau- l'oeuvre d'art, un certain type de vérité consiste
vre, simple réplique du réel, comme nous pou- peut-être non pas dans la mise en intelligibilité,
vons dans l'imaginaire distinguer ce qui a ou ou dans la formalisation de l'objet,.mais dans la
non valeur. Il' ne saurait y avoir de critère capacité qu'ont les hommes de se rejoindre
purement formel, chaque lieu doit être éprouvé entre eux dans le même objet et ceci à travers
et c'est seulement au sortir de l'épreuve que des approches différentes. Cependant- nous,
nous saurons si nous-avons rencontré quelque pourrions proposer quelques critères relative-
chose d'indéductible. Un,tel recours à l'expé- ment formels. De tels lieux, qui favorisent
rience nous effraie parce que nous voudrions l'exercice de l'imagination, dévoilent un certain
disposer de règles générales, d'opérations codi- aspect de la ville (ainsi le meublé et la misère
fiées qui rendraient leur verdict sans que nous urbaine). Ils possèdent une unité de style telle
ayons à intervenir et qui en garantiraient l'ob- que les éléments y prennent une tonalité parti-
jectivité. Cependant, on peut essayer une autre culière (le journal du café n'est plus celui du
forme de pensée qui, comme le dit à peu-près bistrot). Ils débordent leurs propres limites (les
Hegel, « cessant d'en user avec le vrai comme entours, le. quartier de la gare). ,11 existe des
avec une monnaie frappée, toute prête à être rites d'entrée, de sortie, on n'en, sort pas
dépensée et encaissée, comprend que dans son comme on y était entré. Ces lieux, très souvent,
unique éclaircissement par elle-même se déve- se redoublent par la grâce d'un être ou d'un
lopperont toutes les. vérités» ! ! En d'autre objet qui porte à l'excellence ce. qui était
termes, il faut donner la parole enfin aux confusément entendu; (le zinc du bistrot, le
choses et aux lieux, reconnaître quels sont ceux garçon de café). Ces critères nous paraissent

24
pierre sansot ville et poésie

assezdivers et assez précis pour délimiter l'es- difficile qualifier. Disons par exemple que le
à
pace poétique de la . ville moderne : certains Bistrot et le Café étaient deux établissements
aéroports, certaines maisons de. la.culture (celle qui servaient à peu près les même consom-
de iGrenoble par exemple), certaines .galeries mations ..mais il y a ; un tempo allègre, une
marchandes s'y conforment. vivacité inspirée qui. distingue le Café du
Pour terminer, nous voudrions, montrer Bistrot.. Bref, pour enclore tout-à-fait le cercle,
c'est parce qu'il existe une poésie (une produc-
que cette approche poétique doit être prise en
tivité) de la ville qu'une approche poétique me
compte par ceux qui veulentconnaîtréune ville
dans sa positivité et. dans son intégralité. En paraît légitime et même nécessaire à qui veut
effet, cette approche n'invente pas dans le entendre les choses de la Ville.
délire un second univers. Elle permet d'accéder
à la connaissance de ce qui avait été extraordi-
DEBAT;
nairement neutralisé par un certain type de Question :
rationalisme. Si un être (un lieu, une ville
Une telle approche poétique des phéno-
véritable) est toujours plus que lui-même, c'est
mènes urbains, rhêmé si elle s'avère fructueuse, ;
lui rendre justice que de l'accompagner dans ce
voire nécessaire, n'est-e/le pas destinée à demeu-
déploiement de lui-même. 11 faut le dilater
autant qu'il l'exigé, lui permettre de respirer et rer arbitraire, indécidable ? Qui nous dira si elle
de s'exprimer autant qu'il le désire. Tout autre
est vraie ou fausse.
méthode, risque inévitablement d'être réductrice. Réponse : ; ;
Nous pensons par exemple aux travaux de Par principe,; -une telle approche en
Raymond et Lefebvre sur l'habitat pavillon- appelle à; l'expérience et au libre accord, des
naire ; ils manifestent beaucoup d'intelligence et autres.; Elle ne, donne jamais de preuves irréfu-
de finesse (que l'on songe à ce qui est écrit sur tables, mais: à notre tour, nous pourrions rétpr^
les coins, les barrières, les lieux de rangement) quer quril n'existe pas de ,. preuve absolue,
mais ils demeurent en deçà du monde pavil- qu'une démonstration se situe à l'intérieur de
lonnaire parce qu'ils ne lui'ont pas fait tout à théories déjà admises ou de principes déjà
fait crédit. Ils semblent oublier son humidité, posés, que la.science vivante dans son devenir
ses manifestations inquiétantes, la folie des séca- s'assujettit à la tâche infinie des vérifications et
teurs au printemps, le rôle démesuré des insec: des rectifications. Les sociologues « positifs »
tes, la mari ie de l'ordre et l'anarchie sournoise tombent rarement d'accord entre euxdès qu'ils
des éléments, l'intemporalité de la banlieue et entreprennent un effort sérieux de théorisation.
comme son absence de mémoire. Bref, il eut En ce qui- concerne la mise en oeuvre d'une
fallu porter l'enquête ailleurs, dans le véritable, grille poétique, il s'agit plutôt de réveiller une
monde des pavillons de banlieue et cette fois expérience antérieure ou de permettre au lec-
procéder en vertu d'un parti-pris poétique, teur de transgresser, comme dans le cas du récit
c'èst-à-diré considérer le pavillon comme engen- ethnologique, sa propre expérience. Cela ne
.
drant, comme voulant l'arbre,, le jardin rachi- revient pas à sous-entendre qu'on peut tout
.
tique, le gravier, les murs mitoyens, les insectes, écrire. Il faut que les descriptions s'accordent
les roses, le'pavillonnaire lui-même. En outre, entre elles, non pas seulement, ce..qui. serait
dans la mesure où l'objet (|e lieu) urbain est un trop commode, en obéissant à une logique
rythme, une façon de puiser son existence — à exempte ,de contradictions mais parce qu'elles
la façon de l'alouette, ou de l'océan ou qui sait véhiculent le même sens, parce qu'elles oeuvrent
dé la pierre dans sa concrétude—..seule, une à la constitution du même espace.. En. outre, il
appréhension sensorielle peut nous intéresser à faut qu'elles fassent naître en nous une saisie
cette sorte de durée interné même si elle est assez stable de la ville ou du lieu dont il est

25
pierre sansot ville et poésie

parlé. Mais n'est-ce-pas ainsi que nous procé- Réponse :


dons dans notre appréhension des choses ? Et En effet, pourquoi insister sur le rôle du
ce modèle de la vérité perceptive n'est-il pas corps ? parce que mon rapport d'appropriation
transposable ? Quand j'assure que je vois là-bas à une ville repose sur un je peux qui se
une automobile, ce n'est pas au nom d'hypo- confond avec la présence vigilante, sourde,
thèses et de raisons vraisemblables (la forme, la alerte de mon.corps. Sans cette prisé et cette
dimension apparente) que j'avance ma propo- reprise du corps, je suis à nouveau obligé de
sition, mais parce que la forme « automobile » Concevoir l'imagination comme un pouvoir de
vient se souder aux autres manifestations et que stocker des images : ce qui va à rencontre de
à elles toutes, elles font corps solidement. J'ai le l'expérience effective (pour me reconnaître dans
sentiment que ma vision n'est pas flottante et une ville je n'ai pas besoin de projeter des
que le spectacle a trouvé un bon équilibre. Si images sur une matière qui serait indéterminée)
une autre appréhension devenait possible, si elle et ce qui en outre appauvrirait ma saisie de la
assurait une meilleure prise, je me rallierai à ville (les images «mentales» sont banales et
cette nouvelle saisie du phénomène. s'inspirent de stéréotypes vulgaires). En fait, au
Il en est à peu près de même dans la multi- niveau de mon corps, de mes jambes, de mes
- :
plicité et le choix des approches poétiques mains se sont inscrits des schémas, des envols
possibles de la ville. Des raisons purement théo- de prise possible sur la ville et il y a là dans ma
riques ne suffisent pas à ébranler la validité d'un chair une capacité assez étonnante d'utiliser les
ensemble,de descriptions .mais, plutôt une. autre trottoirs, les rues, les saisons- d'une ville que
saisie qui se traduira elle aussi par un ensemble j'aime. Toute découverte d'une ville à moins
consistant de descriptions en a le droit et le d'être repérage administratif ou discours acadé-
pouvoir; En ce qui concerne la poétique de ce mique apparaît comme erotique et engage les
Paris d'avant-guerre que j'ai élaborée, c'est une pouvoirs mystérieux de notre corps.
autre saisie plus éclairante plus riche de sens qui
Je crois qu'il faut dire davantage et accor-
sera capable de se substituer à elle (dans le
meilleur des cas on peut espérer la coexistence der une autre privilège au corps —celui d'être le
de plusieurs saisies un peu discordantes et qui paradigme de la ville et de nos rapports avec la
produirait un effet de_ relief). Nous ne croyons ville. Mais, quoi, n'est-ce-pas revenir à un orga-
pas à une réfutation qui procéderait à l'aide nicisme, à un biologisme assez vieillot ? Préci-
d'arguments externes, mais plutôt à celle qui sons donc ce que nous voulons dire. Nous avons
passera par la m'rse en chantier d'une autre soutenu que l'accord de l'homme et de la ville
poétique. On va, onpasse d'une approche réelle était fondamental, ontologique », qu'il révélait
«
à une autre approche réelle et c'est la consti- l'accointance de deux êtres de même nature.
tution d'une poétique plus glorieuse et plus Voilà une proposition singulière si l'on songe
riche qui fait apparaître la pauvreté et les qu'une ville est faite de pierres, de charpentes
insuffisances de la première approche. et que l'homme est un être conscient, pour le
moins, un vivant supérieur. Cette proposition
Question : devient plus vraisemblable à partir d'une ré-
// apparaît que dans la première partie de flexion sur la chair que je suis et qui constitue
votre exposé le corps joue un rôle essentiel. l'étoffe d'une ville : chair, cela veut dire, une
N'est-ce pas là une facilité (il est de bon ton de surface visible (dont la visibilité est tellement
s'interroger sur le corps tout en continuant à essentielle que je n'ai.pas le droit de la mettre
l'occulter par les propos mêmes que l'on tient à entre parenthèses au profit d'une intelligibilité
son égard) et on voit mal pourquoi attribuer au qui en rendrait compte) et douée de. signifi-
corps un rôle particulier dans l'appréhension cation. Or, il m'a semblé que cette notion de
d'une ville. chair valait et pour l'homme et pour la ville,

26
pierre sansot ville et, poésie

que le rapport, l'entente se faisait de chair à table présence, ce soit aussi élémentaire et. aussi
chair. lî faudrait se référer à certaines analyses déconcertant: Si j'ai parlé du corps ce n'a donc
.
de :Merleàu-Ponty nous rappelant que le corps pas été pour me livrer à un parallèle acadé-
est sentant (il a le pouvoir de sentir) et sensible mique entre les: fonctions d'un organisme et
(il est capable d'affection, il s'expose à tous les celles d'une cité ; c'était pour montrer; comment
flux du mondé). Ha comme le pouvoir de se :
à partir de ma .perception d'être de chair, .Ja
dédoubler et le monde devient de ma chair et ville devenait, cette fois sans métaphore aucune,
Paris devient mon autre tunique, non une elle aussi, une chair à parcourir,.à irriguer, voir
pâture extérieure, un vêtement mais cette autre à endiguer lorsqu'elle est trop exhubérahte. Les
face de mon corps qui accomplit d'ailleurs le tentures de ce café de Saint-Germain par un ciel
voeu de dëpossession de ma chair. C'est ainsi de-juin, cette rue-mal définie de banlieue; par
que les autres corps ont le pouvoir de m'invés- un fichu temps de neige sont, la chair de
tir, de faire naître en moi des geste que je crois l'univers urbain, c'est-à-dire, qu'elles-mettent
miens, mais qui inexorablement ont été suscités mon corps en état de jubilation ou de détresse
par leur présence. Quand je parcours la rué du et que je m'attarde à leur surface, ...non. par
Dragon, la rue Grégoire de Tours, quand, je dilettantisme, par goût des impressions cha-
m'arrête devant ce bistrot de la rue de'Seine ou toyantes, mais parce qu'il n'y a rien à chercher,
devant cet hôtel de la rue Bonaparte, la rue, le. derrière leur façon d'apparaître et parce que
bistrot, l'hôtel m'interrogent/ m'inspectent, me sans trêve mon regard vient s'embraser,se meur-
traversent autant que.je les traverse et je ne les trir sur cette précieuse membrane urbaine.
verrai pas aussi proches et aussi émouvants, si à
la suite d'un pacte avec ma chair, ils n'avaient Question :
pas acquis le privilège de visibilité. On. remar- La seconde partie de votre exposé paraît
quera que ces descriptions valent d'abord pour plus audacieuse et disons-le moins crédible.
une ville avec qui l'on entretient des rapports Quand vous parlez d'une ville naturante n'êtes-
d'égal à égal et on voudra bien admettre que
vous pas conduit à poser que cette ville est un
sans cette mise en évidence du rôle de notre sujet, une personne ? Or ces notions, qui déjà
chair, nous aurions de la peine à dire ce qui se
paraissent suspectes, lorsqu'on les emploie à
passe quand nous recommençons à voir une
ville. propos d'un homme, ne sont-elles pas extrava-
gantes à propos d'un système matériel ?
Question :
Peut-être, mais ce n'est pas tellement plus Réponse :
clair. C'est vrai qu'il s'agit là, du point le plus
Réponse : vulnérable de mon propos et pourtant, ce n'est
Sans doute et même un peu plus obscur, .
pas par hasard que j'y tiens. Disons -d'abord en
mais j'ose espérer que c'est d'abord parce que m'inspirant du spinozisme ou encore de pensées
nous avons levé les voiles d'une fausse simplicité plus modernes, que la notion de nature, natu-
et parce que s'interroger sur l'acte élémentaire rante n'implique pas l'exercice d'une volonté
de percevoir c'est risquer d'enténébrer sa parole, consciente, d'un entendement. II. faut abso-
ses analyses mais l'essentiel, c'est de chercher à lument délier ces deux sortes de notion. Etre
connaître tant bien que mal ce qui se passe un sujet naturant cela veut dire surtout pro-
effectivement étant bien entendu que nous.ne duire des signes qui ont un sens, ne se tenir que
pouvons vider cette émergence corporelle d'une de soi-même comme ces murs, ces trottoirs, ces
certaine opacité. L'essentiel, c'est de réveiller ce quartiers qui s'entretiennent par. leur propre
qui avait été recouvert par l'oubli et de nous force de cohésion; c'est. encore imposer à
étonner que la saisie d'une ville dans sa véri- toutes ces manifestations un style reconnais-

27
alain medam des villes ailleurs

conception de cet objet. Ceci pour que puisse l'espace «l'a consommation d'espace diffère de
:
s'ouvrir I'acception même de la notion d'inves- la consommation des choses, non pas seulement
tigation ; cette « pensée utopienne », réclamée par la taille et par la quantité, mais par des
par Lefebvre, ce renversement de situation théo- caractères spécifiques. En fait, le temps, ici,
rique par quoi « le positivisme verse dans entre en scène bien que l'espace à la fois
l'abstraction » et « l'exploration des possibles programmé et fragmenté tende à l'éliminer »
acquiert désormais un caractère concret » paraît (3). Dès lors, agir sur ce nouvel objet ne
alors rejoindre cette exigence — chez nous, cer- pourrait plus vouloir dire le planifier de l'exté-
tes, encore confuse — d'une théorie plus rela- rieur; ni le subvertir; ni en transformer les
tivisée du fait social. Par des approches « multi- seuls signes. Cela ne pourrait signifier — désor-
positionnées » pourraient, peut-être, être mieux mais—pour reprendre l'expression de Lefebvre,
saisies les « pénuries et contradictions de l'es-
pace » ; celles-ci ne se réduisant plus, selon
Lefebvre, aux pénuries et contradictions dans (3) H. Lefebvre : op. cit.

30
alain medam des miles ailleurs

que « produire l'espace » ; c'est-à-dire/grâce à :


«Trantot avait été une cité colossale abri-
...
la prise en compte des nouvelles'échellesiplané- tant quatre cent. milliards d'administfa-
taires, universelles, de cet objet, grâce, à un '-.. teurs : la capitale la plus puissante qui eût;
bond considérable des forces productives, envi- jamais existé. Depuis que le: déclin .de
sager; une, production qui. sache « faire appel à
l'Empire l'avait atteinte dans ses oeuvres
toutes les techniques, à toutes les sciences, vives,, à la Suite du grand cataclysme qui'
celles qui captent et utilisent les énergies massi-
.
s'était abattu sur elle, voilà cent ans, sa
ves et celles qui étudient ou utilisent des éner- - puissance n'avait cessé de décroître, de se
gies fines (informatique, cybernétique) » (4). ; 'replier sur elle-même,, brisée à
; jamais » (6). .
' ' '.-.;.'.''. ' ;.'"

I. DES VILLES-PLANETES ^Galaxie,.pendant un;temps, est donc,


devenue.un seul système intégré, solidaire; la
.: Pénétrons, ici, dans le monde de fiction
. maîtrise progressive de l'espace, ,1a. production
proposé par Asimov (5).: la Galaxie;,entière a
d'un plus vaste volume social, sa reproduction,
été conquise par l'homme ; elle tend, alors, à ne
constituer; qu'un seul système; socio-spatial.; ont mis en place des interdépendances; écono-;
, miqués.extrêmementétendues.;11 suffirait d'un
..Nous allons voir intervenir, à cette échelle,
lés
bouleversement dans -la répartition des biens;
nouvelles pénurieset contradictions,de I-espace :.
: rares ,et abondants, en Un point.quelconque,du,
tandis que s'annulent les' distances, la maîtrise système galactique, pour que se transforment
de la matérialité éparse dans l'espace et dans le en
conséquence toutes lès synergies }-de". i'univers,
temps, change de problématique. Le temps en- ;
socialisé. De tels bouleversements économiques
tre: en scène, effectivement; la connaissance.et s'accompagneraient nécessairement d'une mise
la domination du sens de l'histoire : se révèlent
. en ^question, au moins partielle — politique et
;
indissociables, désormais, de celles .de. l'univers institutionnelle.-de la cohérence du système
socialisé.^'.','•'.,. 'impérial.;.:;. ';,"'-;-.
Il s'agit,, pour l'humanité, d'organiser la,:
.Galaxie en un Empire : unique :, une société;; «Après la transmutation, (il) contrôlera
tenue par une certaine cohérence/jusqu'aux l'économie de tout l'Empire Galactique.
limites extrêmes d'un espace, devenu universel. Les trust miniers ne vaudront pas un clou.
Or, nous allons voir varier,-sur plusieurs siècles, ...-'• quand il pourra faire du tungstène en
les dimensions de cet Empire. Dans ses phases partant de l'aluminiun, et de l'iridium en
:
d'expansion,- il va recouvrir entièrement le volu- partant du fèr.; Cela renversé Complè-
me de la Galaxie ; il vaincluré etéôritrôlér tous tement tout .un système de production
ses monde/périphériques. Il va régresser, au fondé "sur la rareté de Certains éléments et
contraire, dans ses périodes, de décadence,et de sur l'abondance de quelques autres. Ce,
désorganisation; son volume va alors se res- sera le plus grand bouleversement que
treindre ; ses franges vont être délaissées ; des .l'Empiré .ait jamais vu, et lui seul pourra
sociétés "entières vont s'y retrouver.isolées. Elles l'arrêter»,(7).,., -,
.
retourneront à. la pénurie, à la. barbarie, à Au centre de la Galaxie se trouve, donc,,
l'absence d'échange. En, son. centre, sa capi- sa Capitale. Avant sa chute, c'est pendant plu-./
tale—une planète entière — connaîtra, à ce sieurs siècles,: fa période de sa gloire, de sa
moment-là, la déchéance. puissance; avant/que ne s'avère, impossible l'or-
ganisation de tout l'univers socialise en un seul
(4) H. Lefebvre : op. cit.
(5) I. Asimov: Fondation —Fondation, et Empi-
(6) Seconde Fondation ;.p. 206.
re — Seconde Fondation— Présence du futur —
Ed.Denoëi, 1971. (7) Fondation et Empire ; p. .64.

31
alain medam des villes ailleurs

Chaque planète au cours de l'évolution et des richesses. Cela signifie que les équilibres
des crises de l'Empire galactique, se caractérise partiels, maintenus au niveau de chaque vil-
donc par une structure singulière; elle exerce, le-planète, n'ont pas suffi à préserver l'intégrité
en même temps, une certaine fonction dans le de l'ensemble galactique ; la matérialité éparse
système et —sans revenir, ici, sur des analyses dans l'espace et le temps de l'univers, n'est
-
déjà présentées on peut considérer qu'elle
constitue, par sa structure propre, une certaine
restée rassemblée que par le moyen d'une force
organisationnelle. Et celle-ci n'a pu faire face
fraction du système global. Qu'il s'agisse de aux nouvelles contradictions et pénuries de l'es-
Trantor, de Port, de Kalgan ou de Rossem, une pace. L'histoire, ses divers événements, ses re-
finalité organisationnelle est, en effet, chaque tournements dialectiques, l'ont donc emporté
fois définie; au nom de:celle-ci est recherchée , sur la surpuissance conquérante de l'homme.
une relative spécialisation de la structure locale ; Les ..lois objectives du système ont prévalu sur
certains moyens de régulation des désordres toute sorte de volonté subjective. L'ancien noy-
internes de chaque ville-planète sont,,également, au central du volontarisme historique va deve-
mis en oeuvre.; Ces équilibres instables, partiels/ nir, à ce moment-là, dérisoire : l'histoire se
fractionnels, fonctionnels, tentent de compenser rabat sur lui. Elle le submerge avec d'autant
l'état d'indétermination systémique, dans le- plus de violence qu'il l'a, pendant plus long-
quel — en dépit de tous les efforts de l'Empi- temps, contrainte. Les codes de l'ordre ne sont
re — continuera de se trouver /toujours, l'en- alors plus qu'à vendre aux -enchères ; ils sont
semble de -la Galaxie. Le meilleur exemple bradés au hasard des récurrentes incertitudes
d'une telle « distorsion fonctionnelle ». est, sans d'un système qui se- trouve à nouveau en crise.
doute, fourni, par la capitale même-.de l'Em-
pire : cette ville impériale de Trantor, véritable « Dans la fulgurante tourmente qui avait
déchaîné sur elle la ruine et la mort, la
pouls vivant de vingt millions de systèmes stel-
laires qui, jusqu'à son effondrement :
coquille métallique qui enveloppait la pla-
nète, s'était crevassée et effondrée en une
« n'avait qu'une fonction, l'adminis- •douloureuse.caricature de sa propre gran-
tration ; qu'un but, le gouvernement, qui deur. Les survivants avaient découpé les
plaques de métal et les avaient cédées aux
ne produisait qu'un seul produit ffianu-
facturé, :1a loi... Trantor n'était qu'une autres planètes en échange de semence et
.
distorsion fonctionnelle. Il n'y avait d'au- de bétail. Le sol, une fois de plus mis à
••-• très créatures vivantes à sa surface, que nu, la planète retourna à ses origines. En
l'homme, ses/animaûx favoris et ses para- ouvrant des territoires de plus en plus
sites. A l'intérieur de centaines de kilo- étendus à une agriculture primitive, elle
mètres carrés du palais impérial, on ne oubliait son colossal -et complexe pas-
;
pouvait trouver un -brin d'herbe ni un sé» (14).
•'•"'-' fragment de terré nue. ,11 n'y avait pas
' d'eau en dehors dés jardins du. palais, sauf II. UN PLAN DIFFERENT
'Que démontre cette chute de l'Empire ?
; dans lès immenses .citernes souterraines: Qu'un système aussi vaste ; et complexe— s'il
.:• '.qui contenaient les réserves d'un mori-
'-'-' de» (13). peut intégrer, dans son organisation, des unités
fonctionnelles — ne peut pas être organisé,
Or, tout je système impérial, indique Asi- lui-même, fonctio.nneïlement. Il est impossible
mov, va craquer sous le coup d'une triple.mala- de stabiliser, par centralisme,/par en haut, la
di.e ; inertie,. despotisme, mauvaise, répartition forme entière de l'espace galactique ;. ni, d'ail-

(13) Fondation et Empire ; p 79. (14) Seconde Fondation ; p. 206.

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alain medam des villes ailleurs

leurs, -le sens de son histoire.'.* Il' faut donc monde inanimé .qui entourait l'homme,; Le
réussir à Substituer, à cette-échelle, d'autres contrôle, de soi et de,; la .société -.'a été
modes de régulation aux moyens de .contrôle abandonné au hasard et aux tâtonnements,.
autoritaire : qui réfèrent toujours à certaines
se, ; ; vagues de "systèmes;, d'éthique -intuitive,
rësbhnànces émotionnelles, ou soifs de puissance, ; " basés sur l'inspiration et l'érnôtipn/. lien
ou valeurs éthiques, des grands maîtres" des" résulte qu'aucune culture dont le. coef-
systèmes// ;•.-* ,/ '... : :
ficient de -stabilité excède environ cin-
quante cinq pour cent^n'a jamais-vu le
« Dans toute l'histoire cJeT'humanité, c'est
,
"jour, avec pour corollaire ;une .affreuse
surtout dans le domaine de la "technologie détresse humaine» (-1.5).

- que les progrès les plus importants pnt'étë /-


enregistrés, 'lorsqu'il; s'agissait d'agir sur le (15) Seconde Fondation
; p. 117.

35
alain medam des villes ailleurs

Quels autres modes de régulation sont-ils Ce plan, pour pouvoir exercer de tels
envisageables? Ceux intégrés à un Plan dirait effets, doit avoir, on l'imagine, des caracté-
Barel, non plus « décisionnel » mais « cogni- ristiques exceptionnelles : en premier lieu, on
tif » : c'est-à-dire cybernétique et probabiliste. peut dire qu'il n'appartient à personne : son
L'Empire galactique centralisateur ayant auteur a disparu depuis de nombreuses années ;
définitivement échoué, il n'importe surtout pas nui n'en connaît le contenu. On peut supposer,
de vouloir organiser, de toute pièce, un nouvel certes, que certains/en d'autres lieux de l'Uni-
Empire; il faut, plutôt, essayer de construire vers, en possèdent le savoir, mais en fait, on
tout un processus prévisionnel de l'évolu- n'en sait rien ; ce plan est donc partout et nulle
tion — pour l'univers et sur plusieurs siè- part. Il est omniprésent et secret. Ce que l'on
cles — du continuum espace-temps qui est à en sait, de façon vague, c'est seulement son
venir. La crise, et non pas la puissance, doit objectif loitain : la reconstitution d'un nouvel
être placée au centre de la nouvelle réflexion Empire galactique, « différent ». Différent, en
planificatrice. Les nouvelles contradictions et quoi ? Mystère. Et par quel moyen, y parve-
pénuries de l'espace vont se/faire sentir de : nir ? Ici, une simple indication : grâce à la
façon plus aigûe et surprenante ; ce sont donc création, à l'un des extrêmes de l'Univers, d'une
ces contradictions et?ces pénuries auxquelles il
nouvelle ville-planète : « Fondation ». Mais
faut préparer le futur système. Il faut le conce- ensuite ? A nouveau, l'ignorance.
voir en sorte que, par lui-même—sans inter-. «L'établissement d'un. Second. Empire
vehtion extérieure donc, et, avec le meilleur était devenu.nécessaire pour redonner à
coefficient possible de stabilité— il soit capable, -l'humanité la civilisation et la culture...
.
le moment venu, de s'âuto-réguler. Notre Fondation était un rassemblement -
. de savants de l'Empire agonisant, conçu
« Les lois de l'histoire sont aussi absolues
pour amener la science et le savoir de
.que celles, de la physique, et si les proba- l'homme à de nouveaux sommets » (17).
bilités d'erreur sont plus grandes, c'est
Une ignorance cependant, relative ; ce que
seulement parce que l'histoire ne traite
l'on sait du Plan donne, tout de même, une
pas avec des humains en aussi grand nombre information supplémentaire; cette ville-planète
que la physique avec des atomes, si bien
dénommée Fondation est assurée de pouvoir
que lès variations individuelles comptent
-
davantage. Le plan a prédit une série de triompher de tous les obstacles rencontrés dans
crises durant ces mille ans de croissance, son histoire. Mais elle n'en triomphera « qu'en
dont chacune devait amener un nouveau fin de compte » ; non de façon simple ni inéluc-
table. Elle devra donc payer, très cher ses victoi-
tournant de notre histoire, suivant une
trajectoire précalculée. Ce sont ces crises res. Elle ignorera toujours à quel moment, grâce
qui, nous dirigent» (16): à quelle initiative, jusqu'à quel point, telle ou
;
telle de -ses crises sera finalement surmontée.
Nous retrouvons ainsi, la notion d'assimi- D'où :
lation spécifique; la capacité dont «C'est une attitude caractérisée par de
un système
peut disposer quant au dépassement cyberné- fortes réactions de foi. Des opinions iné-
tique des crises qui, fondamentalement, le font branlables. Sauf en cas de choc violent,
bouger dans l'histoire; ces crises toujours où l'on observe alors une complète dé-
en
attente d'exaspération, d'autant escomptables route mentale. Dans les cas bénins :
que s'exaspère, elle-même, la complexité machi- 'hystérie, sentiment morbide d'insécurité.
nique du système, en son entier. Dans les cas graves : folie et suicide (18).
.

(17) Fondation et Empire ; p. 100.


(16) Fondation et Empire ; p. 101. (18) Fondation et Empire ; p. 175.

36
alain medam des villes ailleurs

Ainsi,,sur fond d'une grande certitude


le.
Plan sans être informés d'aucun de 'ses
probabiliste, une considérable; incertitude de détails, ils sont demeurés confiants mais,
détail :: la Fondation sait que des crises adyieh- incertains. Ils étaient assurés de là victoire
:
drpnt;, elle sait, qu'elle les surmontera ; elle né finale, mais en ignoraient le processus et
sait pas, cependant, quand, où, comment, pour-
la date, d'où;une atmosphère de tension
quoi., ni jusqu'à' quand. Les. .caractéristiques:
religieuses de cette attitude mentale et. d'angoisse permanente. Ce qui était
rie peùvent. précisément le; résultat:cherché. En d'au-,
donc pas exclure un considérable esprit d'entre-
très termes, on pouvait donc compter sur
prise; d'autant plus forcené, acharné, que cette
la Fondation pour qu'elle travaillât à
collectivité est à la fois, aussi intimement,;cer-
pleine:puissance>> (19).,
taine et incertaine de sa prédestination histo-
rique. :

«Aussi/longtemps que les hommes ,de. la


.Fondation ont, connu ; I'.existence d'un (19) Seconde, Fondation ;p. 134.

37
alain medam des villes ailleurs

'..; Pourquoi être acharné, pourtant, si l'on « Gommé je l'ai souvent pensé, la
pre-
ignore, dans quel but ? Pour survivre, d'abord, ...... mière Fondation fournira l'infrastructure
dans/un système complètement déchiré après la. physique'd'une collectivité politique uni-
chute de l'ancien- Empire galactique. Mais en- que, et la seconde Fondation, l'infrastruc-
core ? Pour aller « dans le sens de l'histoire » ? ture mentale d'une classe dirigeante toute
Sans doute. Il reste que ce sens dont on a préparée » (21).
connaissance qu'il a été prévu, mûri, par un
Mais pour atteindre cet objectif lointain,
Plan, demeure inconnu."Sa connaissance directe
de quels moyens la seconde Fondation dispose-
mettrait en danger, en fait, la réalisation, elle- t-elle? Non pas de moyens mécaniques ni
même, du système cybernétique du plan. logistiques ; non pas, comme la première Fonda-
« Les détails du Plan doivent être celés à tion, de considérables capacités organisation-
l'ensemble de l'humanité. Les lois de la nelles reposant, elles-mêmes, sur le dévelop-
psycho-histoire sont, par nature, statis- pement d'une incomparable supériorité techni-
tiques et perdent toute valeur d'informa- que. La puissance de la seconde Fondation
tion si la conduite des hommes n'est pas provient, en réalité, d'une force plus abstraite et
' régie par le hasard. Si une collectivité mpins visible. Une force, en définitive, moins
relativement importante venait à con- formelle. En bref, une force d'intervention
naître les détails clés du Plan, leurs ac- psychique — qui va agir au niveau des représen-
-
tions s'en trouveraient profondément in- tations sociales —et lui permettre de modifier
-
fluencées, échappant ainsi à la loi des bien plus que les événements, afin de les articu-
grands nombres qui préside aux axiomes ler selon un sens convenu de l'histoire. De
de la psychohistoire. En d'autres termes, façon plus profonde, ce sur quoi peut agir la
ils échapperaient désormais aux calculs seconde Fondation concerne le sens de l'histoi-
des probabilités » (20). re, lui-même ; ce sens tel qu'il peut être conçu,
Un des détails clés de ce Plan, qui ne va représenté, désiré, par toute l'humanité galac-
découvrir que plus tard dans l'histoire tique.
se
racontée par Asimov, tient à ceci ; il n'existe « Ce pouvoir d'influence émotionnelle que
pas une seule, mais deux Fondations. La secon- nous possédons, n'a rien de parti-
de se trouve située à l'autre extrême de l'en- culièrement nouveau... Il existe à l'état
semble galactique. Or, l'existence de cette latent dans le cerveau humain ; la plupart
-seconde capitale, ' de ce deuxième noyau des hommes peuvent lire les émotions de
génératif du système, doit également rester façon grossière en les.associant pragmati-
ignorée —selon les termes du Plan par l'en- quement avec leurs reflets sur levisage, le

semble de l'humanité; plus particulièrement, ton de la voix et ainsi de suite...
par -la société de la première Fondation. -Pour En réalité les humains sont capables de
parachever toute cette machinerie, il faut ajou- faire beaucoup mieux, mais le dévelop-
ter, que cette seconde Fondation a connais- pement du langage parlé au cours de
sance, elle, non seulement de l'existence de la millions d'années a provoqué l'atrophie du
première Fondation sur laquelle, on va le voir, contact^ émotionnel direct. La seconde
elle, exerce certains pouvoirs, mais encore, de Fondation a eu le mérite de ressusciter ce
façon précise, de- l'objet final du Plan : la sens oublié et de lui rendre au moins
conception du futur" Empire ; les principes qui quelques-unes de ses facultés potentiel-
doivent "fonder ce système de la future repro- les-» (22).
duction' galactique.
(21) Seconde Fondation; p. -117. :
|2Û) Seconde Fondation ; p. 11.8.' (22) Secondé; Fondation p. 84.
;
alain medam des villes ailleurs

On conçoit, alors —dans la logique et tiôns de la majorité. Mais il existe, selon


l'intérêt du système'— que les hommes de la toute probabilité, une minorité dont les
première Fondation aient à ignorer aussi; long-.. réactions sont différentes.. La conscience
temps que possible, l'existence de ces pouvoirs ; de notre tutelle suscitera chez certains,
cette terrifiante capacité opératoire qui peut .non. point de la complaisance, mais de
s'exercer, à leur insu, dans l'organisation même
V
/ l'hostilité » (25),
de leurs perceptions, de leurs représentations, Comment, alors, sortir de cette impasse ?
de leur imaginaire, de leurs mentalités ; du sens Le Plan -I'a-t-il prévue ? Est-ce la fin du Plan ?
qu'ils peuvent donner aux choses. Avec lui, celle de l'histoire? Le Plan va être
« Qu'adviendrait-il si des tentacules men-
corrigé, en fait, par ses gardiens occultes. De
taux d'un membre de la seconde Fonda- même, dans le passé, l'a-t-jl été plusieurs fois,
tion s'insinuaient le long/des anfractuo- apprend-on ; de même —sans que l'humanité
.sites émotionnelles de son psychismë,, universelle le sache jamais — le sera-t-il encore
dans, les siècles à venir.
;. ; pour les faire éclater et les rassemblera
.nouveau selon; : une. Configuration diffé-. "«-.'.Lé Plan n'est.: ni complet ni correct..
rente » (23). -// ; " :
;.
,/ C'est seulement Je meilleur que l'on ait pu
La; seconde; Fondation,: elle-même/doit,
.
///-dresser à l'époque. Plus de douze'généra--'

pour .cela, démeurer - cachée ; non point si rjriiple- /; .fions sont penchées sur ces équations;/;
se
lés ont étudiées, disséquées jusqu'aux
jnent le Plan. Lès hommes; de la seconde Fonda-; //•'/dernières décimales et enfin reconstituées.
Ztion en sont d'ailleurs conscients,:
Elles, ont fait -bien mieux, elles ont fait
« Le second empire n'est.pas encore for-, des observations pendant près de quatre
me. Nous possédons:.: aujourd'hui une :- cents ans, elles ont passé les prédictions et
société qui supporterait avec impatience |a lés équations aux cibles de la réalité, et
domination d'une classe de; psychologues, ;
e|le ont tiré profit dé cette expérience. .."
;
qui redouterait son développement et qui
Ces calculs concernent une étape du
le combattrait » (24). ...
Plan que nous n'atteindrons pas avant une
L'histoire denouvelle constitution
|a période équivalente à celle qui s'est déjà,
galactique va alors s'appuyer, entière, sur cette écoulée. Ils" s'appliquent à une période de'
présence-absence du Plan; sur la méconnais- coalescence que traversera le futur
sance mais le pressentiment de ses fondements Empire, .lorsqu'il' se trouvera/ entre les
réels. Situation incertaine, préservée avec diffi-
mains de personnalités rivales qui risque-
culté'à travers les siècles. Toutefois, peu à peu,
ront de/le mettre en pièces si la lutte est
les hommes de la. première Fondation en
trop égale, ou de le figer dans l'immobi-
arrivent à "avoir comme une intuition des fonc- lisme si, là lutte est trop inégale. Les deux,
tiôns que la seconde planète capitale assume éventualités sont envisagées-dans le calcul
secrètement en tant que- gardienne du Plan puis approfondies, et/l'on indique les
cybernétique. "... : méthodes propres à éviter l'un et l'autre
«Ils savent qu'un organisme existe'qui •;;• danger » (26).
épie leur moindres mouvements et ne les La seconde Fondation corrige donc un
abandonnera pas. Si bien qu'ils perdent système de reproduction dont elle est, en même
/"' tout dynamisme et se font transporter en temps, l'un dés essentiels: éléments intégrés. Le
: litière... Je viens de vous exposer les réac-

(23) Seconde Fondation ; p. 59. (25) Seconde Fondation ; p. 135.


(24) Seconde Fondation ; p. 118. (26) Seconde Fondation ;.p. 114.

39
principe même du Plan étant menacé— la posi- impliquer que l'expulsion de la seconde Fonda-
tion secrète de la seconde Fondation — quelle tion, elle-même — mais une expulsion fictive —
solution adopter? La plus extrême. Or, elle ne hors de l'histoire ; hors du Plan.
peut pas être la reconquête brutale du système,
de son histoire, par la force. Elle doit être, en
réalité, l'inverse. La: reconquête, par le système, « Ilétait primordial de persuader les hom-
de son propre sens; ce qui, précisément, impli- mes de la première Fondation qu'ils
.
que l'expulsion de toute force hors de son avaient démasqué et. détruit la seconde
histoire consciente. Ce qui implique, aussi, Fondation. De cette façon, ils recou-
l'expulsion de la force de la seconde Fondation vreraient leur initiative, originelle... Ils ne
hors de la conscience humaine ; ce qui ne peut nous feraient plus intervenir dans aucun

40
alain medam des villes ailleurs

de leurs calculs. Une fois de plus nous dation doit mettre en oeuvre, brutalement, ses
avons replongé dans la nuit » (27). propres pouvoirs psychiques ; le faisant, elle se
démasque ; se. démasquant; elle fait.dévier, elle-
même, le Plan entier, hors de sa trajectoire.:
III. UN OBJET A L'ENVERS
La première Fondation qui se; croyait,
jusqu'ici, unique, se sachant désormais mani-
Pourquoi, dans l'histoire d'Asimov, cette pulée, va alors/se « laisser aller ».-Ou encore,
grande crise a-t-elle menacé toute la réalisation va-t-elle réagir d'une façon imprévisible ; par des :
du Plan? Parce qu'elle a mis .en-question, la réactions référées, à la connaissance qu'elle a,
condition /essentielle de son. articulation cyber- maintenant, d'interventions extérieures. : Les
nétique.: la première- Fondation devait savoir feedbacks initiaux sont donc rompus. Ces réac-
que le Plan existe, que sa fin lui serait «favo- tions déviées faussent, de plus en plus, lés lignés
rable». Elle devait en ignorer,, cependant, de probabilité historique définies par le Plan ;
l'objectif et les termes exacts. Ainsi serait-elle
en outre, prend corps, dans la première Fonda-
toujours assurée de victoires—militaires,
ses tion, une volonté de résistance à la seconde;,
techniques, organisationnelles —contre les au-
une hostilité qui ne peut que porter préjudice à
tres villes-planètes r de ses/succès,.également, à l'objectif ultime du Plan : c'est-à-dire, à/toute
rencontre des nouvelles contradictions, pénu- possibilité de/Complémentarité ultérieure/entre
.
ries, dé l'espace et du temps galactiques. Elle les deux Fondations.
.devait être assurée d'elle-même mais elle ne,
devait pas savoir ce qui l'en assurait ; de quelle En'.bref, quels sont ies. éléments-clés .de la
façon, dans quelle mesure. Or, l'intervention fiction proposée par Asimov ? On voit, tout,
d'un événement —ne pouvant pas être prévu; d'abord, que l'objet social est dévenu lagala-
par le- Plan — va obliger la seconde Fondation à
xie ; qu'il s'est significatiyement organisé com-
intervenir plus directement sur la.première ; et, me un seul univers dé mondes-villes ; ce'nouvel
ainsi, à se dévoiler. univers devient donc le .système — en son.,
entier— des divers enjeux de l'histoire. En
Quel événement ? L'apparition (non envi-
second lieu, s'appliquent à cet objet, deux
sageable; en termes probabilistes) d'un seul indi-
conceptions très différentes de sa transfor-
vidu mutant dans la masse innombrable de
mation. Une première Fondation. Idéologie
l'humanité galactique./ Cet individu, pourtant
assez classique/du « progrès » : par accumu-
guère l'un des membres.de/ia seconde: Fonda-
lation dé moyens techniques, par: organisation
tion, .dispose, de pouvoirs, psychiques compa-
de la production, développement de l'échange,
rables. II va ; exercer,, ainsi, maïs pour son
renforcement de la défense ; peu de questions,
compte, ce pouvoir; soumettre à sa volonté, donc, sont posées, ici, sur le sens même de
notamment, l'énorme puissance matérielle de la l'objet social : sinon qu'il, doit devenir plus;
première Fondation. D'où une perversion inac-
vaste, plus -massif,..'-toujours plus centralisé,
ceptable du Plan : la complémentarité, du
moins soumis,à des contradictions internes, plus
technique et du psychique serait bien réalisée,
développé ; endéfinitive, plus fonctionnel.
dans cette hypothèse, mais trop tôt dans l'his-
toire. Et, surtout, elle le serait, au profit d'un A ceci, s'oppose, sur la seconde Fonda-
seul despote. De ce fait, la volonté de puissance tion, une seconde conception .du progrès. Le -
resterait en scène, dans le monde. On conçoit progrès sera acquis uniquement par la modifica-
qùé cet événement doive, très vite, être corrigé : tion des idées que l'on peut avoir sur l'histoire
pour exercer cette correction, la seconde Fon- et Sur le sens/de l'univers ; non pas, seulement,
par une,modification des idées des gouvernants
officiels, mais des idéologies telles qu'intério-
(27) Seconde Fondation ; p. 252. risées, plus globalement, par les mondes entiers.

41
alain medam des villes ailleurs

Le changement social tient donc ici, pour plus une nouvelle sorte de régulation centrale,
l'essentiel, en une modification des représen- bureaucratique, des bienfaits de l'abondance;
tations du sens même du Changement. Il s'agit plutôt, une seule et même représentation du
de reconstruire un nouvel imaginaire. Ceci en sens de tout l'univers, représentation assumée
sorte /que les .questions sur le sens, de l'objet par l'univers entier concerné par ce même sens.
proviennent, désormais, de l'intérieur même, de Où se situe, alors, le noyau, lui-même, de
celui-ci : par exemple, que sont les nouvelles la présente fiction ? Sans doute, dans ce renver-
raretés; qu'est-ce que le temps, qu'est-ce que sement. Ce qui prévaut, dans ce Plan; ce sont
l'Histoire ?; Ils, ne doivent plus être /occasion, les questions, du sens,, et non pas le dévelop-
le lieu, d'accidents ou de crises ; plutôt d'une pement des puissances. Dès lors, dans ce sys-
nouvelle «Administration des Choses » grâce à tème social, ce qui doit être maintenu caché, ce
l'abondance, grâce aussi à l'usage des/règles sont les forces dé /changement des représen-
statistiques qui définissent la probabilité univer- tations imaginaires, car elles sont devenues
selle.. Ou,.encore, qu'est-ce.queT-Empire ? Non déterminantes. Ce qui est visible, par contre,

42
alain medam des villes ailleurs

connu —parce que non déterminant, en défini- Il n'y a plus, par rapport, à l'objet, de
tive — tient à la force technique, militaire, capi- position d'investigation conventionnelle.: non
talistique, institutionnelle. Or, n'est-ce pas là, plus que de position de transformation définiti-
un renversement des termes jusqu'ici prévalents vement instituée. Il n'y a donc plus de distinc-
de l'Histoire ? N'est-ce pas une histoire, en tion réelle entre investigation et transfor-
somme, racontée à l'envers ? Un objet cons- mation.: le Plan invèstigue le sens du système
truit a l'envers ? Le plus intime de l'objet, le social plus qu'il ne le transforme ; il n'inter-
plus quotidien — les représentations sociales de vient, en effet, qu'en des moments de crise ; de
lui, dans lui — lui devient, en effet, le plus façon exceptionnelle, sélective, stratégique. Et
extérieur; il lui devient le plus secret, le plus ces crises du système sont, en même temps, des
caché, car le plus décisif. Au contraire le plus crises du Plan : ainsi, avec les modifications des
étranger, habituellement, à l'objet —ce qui, de termes du système, de ses feed-backs, sont
l'extérieur, par en haut, le domine, le forma- modifiées les positions de l'investigation et les
lise : la puissance — devient (maintenant que la orientations de l'efficacité planificatrice. La
puissance n'est plus/décisive) le plus banal, le planification, comme l'investigation, ne sont pas
plus évident de la structure de l'objet. Par situées sur des positions établies une fois pour
conséquent, la véritable forme.de l'histoire, de toutes; elles ne sont pas sur des positions de
l'objet, est désormais, en même temps, sa force neutralité protégée. Cela signifie que la planifi-
la plus profonde : toute la forcé du Plan proba- cation ne peut pas surplomber son objet, qu'elle
bil iste. La -force capîtalistique, technique, poli- ne peut pas évaluer son présent par référence à
tico-institutionnelle de l'objet est réduite, quant son état à venir supposé d'ores et déjà exis-
à elle, à n'être qu'un simple; élément de la tant; cela-signifie donc, que l'instance planifica-
forme d'ensemble de l'objet. La seconde Fonda- trice elle-même, ne peut plus —comme telle —
tion, en effet, doit se servir de la première, afin se définir et se positionner de façon stable. Sa
qu'une plus grande production d'abondance propre position, dans le système à transformer,
puisse, elle-même, contribuer à la transfor- va constamment se modifier au profit d'une
mation du sens de l'objet social. préservation de sa propre efficience modifica-
trice.
Tout ce renversement, cette relativisation De même, l'investigation du système en
des formes et des forces, ne provient-elle pas de mouvement ne peut plus désormais, se conce-
la position très particulière adoptée maintenant voir—par convention — comme une investi-
par le transformateur? La seconde Fondation, gation purement théorique : elle a un sens dans
qui est l'instance planificatrice, se retrouve, à ia la mesure, seulement/où elie éclaire les fonde-
fois, à l'intérieur et à l'extérieur de l'histoire et ments et les implications de la pratique plani-
de l'univers. Elle est à son extérieur, en ce ficatrice ; ainsi, les hommes de la seconde Fon-
qu'elle met en oeuvre le Plan ; en ce qu'elle doit dation, selon Asimov, ne sont-ils pas les cher-
également demeurer inconnue. Mais elle est en cheurs d'une théorie magistrale du système
son intérieur car elle est, elle-même, direc- galactique; ils sont,, tout autant, en quête de
tement impliquée dans le Plan. Son existence leur propre position, à l'intérieur de ce système,
doit demeurer supposée mais, en fait, ignorée. qu'en état de pouvoir l'expliquer : parce qu'ils
.
Pour dépasser la «grande crise »—et si elle se.savent relativisés par le système, ils en relati-
souhaite continuer de pouvoir intervenir dans le visent, ainsi, la connaissance; parce qu'ils relati-
monde — elle doit laisser croire qu'elle a été visent cette connaissance ils réussissent à en
détruite ; mais sans pourtant se laisser détruire. comprendre mieux toute la complexité.

43
simone debout la ville de transition

Fourier, si on l'en croit, découvrit la ville multiple, si étendue et subtile,, qu'elle touche
à Paris lors d'un premier voyage. « Il vola tôt l'esprit. Il .est'.capté, semble-t-il, par l'essence,de
de ses propres ailés », écrit sa soeur. A 17 ans il la ville, et les. images reçues, centuplées, ,se
quitta sa famille et Besançon pour appreridre le superposent au quotidien, borné qu'il vient à
commerce. Et il écrit à sa mère: «vous me peine de quitter,: -et l'en délestent; elles
demandez si j'ai trouvé Paris à mon goût; sans donnent l'espérance d'une, autre/vie, d'un espace
doute. Et moi qui ne m'étonne pas aisément j'ai de rêve construit où les individus en foule, les
été émerveillé devoir le Palais Royal ; la première biens et les désirs, s'incluent dans l'unité, La
fois qu'on le voit on croit entrer dans un; palais ville/depuis longtemps". intérieurement vécue,
de fée. C'est là qu'on trouve tout ce qu'on peut répand la chaleur, la vie communicatiye. qu'elle
désirer, spectacles, bâtiments magnifiques, pro- exalte, sur le «Nouveau Monde Sociétaire ».
menades, modes ». //"' L'Harmonie n.'est pas, une, .fiction, créée de
lui, offre toutes'pièces. ; "l'auteur a 'traversé un. .lieu, où
Paris un accueil, immédiat.
Condensée au Palais Royal, la ville est à l'instant l'affluénce des possibles ne laisse aucun désir se
appréciée. Le jeune bisontin, averti, (|| ne,,s'éton-
perdre, méconnu ou éconduit, et cette, révéla-
tion initiale est comme un arrière fond prophér
ne pas d'un rien), ne joue pas les blasés. Il tique de l'oeuvre. Fouriër rêve, un autre monde
s'émerveille de trouver un lieu au delà de ce
parce qu'il a d'abord saisi effectivement (ou
qu'il tenait pour réel, un palais de fée où toutes
déjà rêvé) le réel, et franchi soudain à Paris le
les promesses de la vie attendent et suscitent le
seuil du Palais où la belle et la bête, l'imaginaire
désir. Là on n'apprend pas l'un après l'autre ses
goûts^ Chaque détour masquant, le passé et et le réel, se marient. '

l'avenir n'étouffe pas l'ardeur indivise; l'afflux Il est émerveillé,,dit-il. Or le « merveilleux


des objets,-où d'autres sont impliqués, specta- est toujours, beau. N'importe quel merveilleux;
cles, édifices, allées, boutiques, éveillent ensem- est beau.; II. n'est même que le merveilleux qui
ble les désirs, et le voyageur,, enchanté, absorbe soit beau » (1). Il comble le pouvoir de désirer
les images de la ville comme un surcroît.illimité et d'admirer et la ville noue en tous sens cette
de son être. Et la séduction ne serait pas si double (et unique) puissance passionnée.. Le
rapide, involontaire, l'adolescent provincial ne jeune Fourier reçoit simultanément les artifices
s'approprierait pas les raffinements ambigus du de la mode, les prestiges du spectacle et la
Palais Royal, s'il n'avait pour eux quelque beauté des « bâtiments magnifiques », ce qui
affinité. .éveille l'impétuosité louche du désir et la pres-
C'est dire qu'une aspiration insoupçonnée cience d'un ordre souverain. Les miroirs fertiles
de la ville lui renvoient d'emblée son double
sous-tend le ravissement et l'accès subit aux
visage, les deux pôles entre lesquels .oscillera
messages prodigués. L'expérience n'en est pas
moins réelle. La ville existe et son offrande
anonyme accroît, l'existence du promeneur sin- (1) André Breton: Dictionnaire abrégé du surréa-
gulier. Il perçoit par tous les sens une présence lisme, p. 17, galerie des Beaux-Arts, Paris 1938.

45
simône debout la ville de transition

toujours l'inventeur d'Harmonie, Christophe objectif », la rencontre merveilleuse, selon


Colomb du Nouveau Continent Moral, « rêveur A. Breton, de la nécessité naturelle et humaine,
sublime » (2) et maniaque. li est vrai que la nécessité,en ville n'est
Mais on ne retrouve guère dans son oeuvre pas naturelle, puisque tout y résulte d'inten-
la plénitude de cette première impression, car tions plus ou moins claires et cohérentes, et la
Fourier systématise même ses souvenirs. Il écrit, ville/jamais tout à fait intérieure ni extérieure,
par exemple, dans le Traité, de l'Unité Univer-, constitue peut-être l'objet et le lieu transision-
selle: « Il y a. 33 ans que, parcourant pour la nel par excellence, où approvoîser, et se con-
première fois les boulevards de" Paris, leur aspect cilier la surabondance .immaîtrisée. N'est-ce pas,
me suggéra l'idée de l'architecture unitaire, dont d'ailleurs, dans ses rues que les,hasards se font
j'eus .-'bientôt'--déterminé les règles » (3). Et il parfois trouvailles : d'objets et rencontres
continue : « peu dé temps après je découvris le. d'amour, la jonction merveilleuse, « seule capa-
calcul de la concurrence réductive. Les: voies ble de lever le terrible interdit», naissant en
d'association tiennent, et 'acheminent l'une à éclairs des lumières de la ville ? Encore, faut-il
:
l'autre». Ainsi « les architectes et les économis- qu'une,libre circulation favorise l'attente, pu le
tes avaient dans leur ressort les deux issues les rêve prémonitoire, et que la ville ne se retraa-
plus naturelles;- concurrencé réductive ôuvéri- çhe pas absolument de ce..qu'elle.-.n'est pas, de
diquë, et architecture unitaire où propriété com- ,
la sauvagerie interne et externe.
posée.. Ce sont les deux.voies, conclut-il, que
/ - Centre,d'attractions, qui résume/presque
j'ai découvertes 7 avant d'arriver au calcul de activité, la ville / Comporte; une charge
; toute •
l'association générale/».; : .'passionnelle" « à influence énorme/». Cet habiter
.

Et l'architecture fut la première,/<< je/dus ensemble concentré est susceptible en retour de


principalement cette invention, '• p'rëoi'sèrt-ij,,r'.au. :
rayonner jusqu'à ménager de proche, en proche.
Boulevard; ïies/Invalides, et surtout-aux deux l'habiter/total du globe, voire des « ultra mon-
.petits: fiôtels,.plà'cés entré les-rues Acacias et des » ;et de ..remodeler l'univers - « à la cônye:
àJaperception;:d!ùn.e
N, Plumet »/ c^est-à-dire nançè dé l'Homme ». L'utopiste rêve d'abattre
composition, architecturale/distincte. L'image les hauts murs, à l'intérieur comme à l'extérieur
souvenir, néanmoins, né ramène.pas avec elle la afin de.repousser les limites de la ville et
félicité, entière livrée sur,'l'heure, le moment :
d'accroître, sans frontière/les prises, des pas-
naïf où il embrassa d'abord, au Palais, Royal, les sions /qu'elle échauffe et multiplié : car les indi-
intentions d'aùtrui, l'esprit des passants et des vidus, derrière leurs défenses, se font eux
-bâtiments, la conjonction des'désifs mobiles et mêmes donjons, exclus de la vie qu'ils refou-
d'un, bel ensemble bâti — De, telles rencontres, lent,'tandis que la /misère et le mai rampent à
pourtant vont, tout changer et appeler, ,en l'ombre des portes fermées, comme les brous-
Harmonie, d'autres accords,: d'autres bonheurs. sailles et le « mephitisme des marais » au delà
Et le premier instant, lourd''de."pressentiment,' •des remparts de îa cité. •''/'•'
oriente la/lecture critique, car il unit ce que Mais pour garantir.-le bien, fondé, et la
l'auteur lui-même a séparé — pour mieux l'en- réussite du grand-oeuvre, qui; changera partout
tendre—Mais il; n'est pas certain qu'il y ait une
ce qui écrase;et contraint en faveur et libertés;
raison exacte des Harmonies/ni que l'on puisse,
et le destin aveugle en destinée élue, Fourier
acquérir Tomnisciehcè/des /bonnes fortunes, rend, semble-t-il, les armes à Dieu,.et il ruine-
pour recréer partout' à son; gré le; « hasard rait l'initiative passionnelle, qu'il, veut assurer, si
les contradictions de la « métaphysique très
(2) Expression de Stendhal;pour qualifier Fourier
:. sévère», et de" la science n'obligeaient le cri-
Mémoiresd'un touriste,p. 340, Ed. Grès, Paris 1937.
(3) Fourier, Oeuvres, t. H, p. 209, éd. Ânthropos, tiqué à chercher ailleurs, les sources/du renou-
Paris,-1967., veau. -

46
Simone debout la ville de transition.

Et l'opposition entre le recours à Dieu, autres ne sont qu'illusions rétrospectives : elles


comme garant du sens et du bonheur, et les procèdent de ce qu'elles devraient assurer.
ressorts actifs de l'aventure sociale, n'est jamais Et pourtant la hardiesse du visionnaire
plus nette, qu'à propos de la ville. La critique déborde la critique, si justifiée soit-elle; ellene
constructive de Fourier manifeste son originalité renvoie pas tant au cercle vicieux d'une pensée
avec'celle de l'objet. Double bénéfice pour le incapable d'assumer son autonomie dans le
lecteur : mieux comprendre l'utopie et la ville, risque, qu'au point de concours des pouvoirs
le lien entre l'imagination sociale et la ville. spirituels ou passionnels (pour Fourier c'est
Il faut .entendre Fourier, en deçà de ses tout un) et des" forces naturelles. Dieu est la
raisons, sur la chose même comme il l'agrée ou Fable, ou le mythe, qui justifie la marche
la transforme.- « Le hasard, écrit-il justement, va présomptueuse vers une totalité qui précède et
bientôt-perdre cette toute puissance que lui passe l'intelligence. Le rêve d'une ville univer-
attribue ia philosophie au dépens de la provi- selle va au delà des buts" explicites du capi-
dence. On -reconnaîtra que Dieu a restreint le talisme. Il accomplit un mouvement unitaire
hasard.dans les plus étroites limites : et quant plus profond que la conscience de ceux qui
aux-formes des continents (par exemple), loin croient le conduire. Et il est remarquable "que
qu'elles soient l'effet du hasard, Dieu en a. ce soit la beauté du lieu (inséparable de la
calculé les convenances- jusqu'au point" de commodité)' qui transporte l'utopiste jusqu'à la
préparer l'emplacement spécial pour une capi- vision créatrice de Dieu, plus remarquable en-
tale de l'unité universelle. Déjà chacun est core qu'il n'ait jamais vu Constantinople, car
frappé des dispositions uniques, et merveilleuses c'est le se.ns intérieur de la vue, l'imagination,
qu'il a faites pour" l'utilité et l'agrément de qui illumine l'oeuvre indivise de la nature et les
Constantinople. Chacun y devine l'intention de hommes — Passionné de géographie depuis l'en-
Dieu et chacun dit « c'est ici que doit être la fance, Fourier loue sur une carte ia beauté du
capitale du monde». Les'intentions de Dieu monde comme un mystère qui témoigne contre
les impostures de la raison. Il atteint avec le
seraient ainsi visibles dans la nature et les
hommes n'auraient qu'à les voir et les accom- sentiment du beau l'unité, que la pensée frag-
plir. Ce qui n'est pas rien ; car les dispositions mente, l'Harmonie qu'elle décompose, une al-
liance immémoriale, antérieure aux conditions
uniques de la terre et des mers à Constantinople
historiques qui permettent de la recon-
ne sont telles que par rapport à d'autres, pour un naître— II,ne prolonge pas seulement l'activité
regard capable de prendre une vue panoramique
conquérante: du XlXème siècle :.selon .ses pos-.
du globe, "dé comparer et de choisi/entre les
si blés, i I là rétablit dans l'un ité prem ière,.que
moments forts'de sa"visiôh,Teplùs'beaùet lé plus - ;
J'analyse morcelé, sans jamais la reconstituer;
favorable. Davantage, l'élection du;site suppose lé
projet auquel il semble:prédestiné ; Fourier rêvé parce qu'elle, n'en-saisit pas tous les éléments, ou,,
plus gravement; parce qu'elle détruit en le dissô-
d'agrandirConstantinople aux dimensionsdeson
ciarit.ee/-qui est; à .comprendre, l'appropriation
environnement, immense et magnifique, en fonc- .
merveilleuse de nos facultés.et des choses.
tion de. l'histoire : il tire les, .conséquences
extrêmes des pouvêauxéchanges;du commerce et, Mais le rêveur né se contente pas de;
de l'industrie. Au "delà des particularismes natio/ creuser cette relation entre |a vision et-je spec-
naux il anticipe.un habitât littéralement global,/ tacle; et' d'explorer .ensemble lés profondeurs
Prolongeant les nouveaux parcours des hommes/ des passions;et de la terre. Il dévoile les raisons
sur/a terre, il désigne le centre symbolique de: de ce qui. passe la raison, et les interitionS.de
'eurs rayonnements. Mais si le travail des géné- Dieu annihilent le secret de l'homme sensible,
,
rations, permet seul de répondre aux propositions, de l'homme univers; qui tiré la- beauté de
divines et de réaliser ses intentions, les unes et les lui-même et; du monde, et construit Son rêve au

47
Simone debout la ville de transition

milieu du réeh. parce qu'il ne peut rien recevoir Lafascination exercée par la ville et la
sans le former il remodèle les choses et l'espace. conscience transcendante de l'être et de l'âme
La vil le.prolonge le mirage des sens, mais du monde se fécondent l'une l'autre, la divina-
non sans rupture/elle ne surgit.pas dans le site tion aggrandit les manipulations restreintes de
comme son.complément « naturel »•; elle crée l'espace et repousse les limites de l'empire bâti.
en .lui et contre lui un monde Supplémentaire Elle signifie que la terré entière est notre jardin,
«à notre convenance», ou pour notre malheur. un avenir pour nos desseins et notre culture.
Fourier renoue avec la pertsée cosmique
Mais,.si les intentions de Dieu projettent
par delà les acquis du temps et del'humanisme dans l'absolu et magnifient celles des hommes,
occidental. Sa perspective est à la fois areha'i- la métaphysique utopique se nourrit d'épreuves
que-principielle-et moderne — historique — trop tangibles. Et :1a vue est: ce toucher de', l'esprit
complexe et originale pour trouver d'emblée
par lequel à la fois saisir et comprendre la ville,
une expression; adéquate. Les sources sensitives comme, un composé de passions et de matière,
et affectives de l'activité humaine, devançant de durée et d'espace, un rêve devenu- réel, ou
l'histoire, trouvent en Dieu leur origine et leur
un cauchemar. Car le palais des fées, n'est pas
sens. Le mythe: libère du passé « faux, subver- toute la ville, ni toutes les villes mais une ile
sif », et garantit .la véritê;de ravenir/,harmonieux. fortunée, cernée de misères et de laideurs. Ce
DeSlors il n'y/a plus de.hasards ni de-périls. On jeune Fourier se laisse éblouir pour mieux recra-
n'a pas ,à élucider la, Convergence de notre, cher ses flammes sur les quartiers fangeux.
« nature "intentionnelle »'.. et ; les figures du ' ,

monde/ou de ia. ville,, car ces figures ne sont, '-.'''';//'.Hèco.nnaîtfe/la merveille isolée, c'est you-
que /'illustration d'un dessein intelligible. Leurs loir" la perpétuer et lui ouvrir de nouveaux
médiations'.:;restent sans doute nécessaires mais espaces, sur les cendres des taudis, et dés ter-
elles n'ont pas de valeur en elles mêmes. Paroles rains'vagues. La joie d'une belle architecture et
visibles .elles renvoient sans reste au pian de- de la vie qui s'y déploie agit comme un droit
Dieu. Pour -éclairer ce qui échappe à l'enten- exigible pour tpus. Il faut donc étendre les
dement .Fourier dissipe le .charme et ternit territoires conquis. Mais pour universaliser les
l'aventure magique et sans repère. Et la capitale privilèges et les plaisirs dé quelques uns, il est
de l'unité universelle, /inscrite en; creux, sur le plus important de comprendre les réussîtes
globe n'est plus édifiée entre la double illimita- passées que d'imaginer à vide un grand.ensem-
tion interne et externe comme un défi au chaos, ble, fictif. Le calculateur de l'Harmonie stigma-
un moyen/terme entre le trop.plein des choses et tise en effet, l'insensibilité des spéculateurs:
de l'âme: A trop apprendre de la nature créatrice « Pour indice de faussement dp;goût il suffit de
l'initié dissipe l'ambiguïté du désir et desioeuvres dire que la démolition mercantile du charmant
et il se fermerait l'accès aux doubles richesses- hôtel Thelusson a trouvé des apologistes. Il
insondables des villes et du monde s'il s'en tenait, formait, outre beauté, un triple étage de
sa
à la.cartogragphie divine. Mais les pérégrinations points de vue avec les édifices de Montmartre. Il
lointaines, imaginaires, n'excluent pas les prome-, ne manque plus, après cela, que de vendre lé
nades quotidiennes de ce marcheur.émerveillé, Louvre à quelques ami du commerce, sous
infatigable.: Bien au contraire, c'est l'observation prétexte de prolonger la: rue dû Carrousel.
minutieuse à travers;les villes d'un espace-temps Ensuite, on dira comme'les journaux : « Il n'y à
original qu'il.étend sur la mappemonde. Les. rien de perdu on en a conservé les plans
intentions du grand architecte font émerger une lithographies » (4),
capitale saris frontière de la terre en jachère, dé
même que les figures réelles de la ville composent
t. Il/p.189, Éd. Anthro-
.
l'espacé et lé désir. ./: / :
(4) Cf. Fourier Oeuvres,
pos, Paris.

48
simone debout la ville de transition

: : Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on démo- bâtiments de Paris je prouverais: qu'il en est.les
lit, pour favoriser la circulation et le commerce, 3/4 d'estropiés par fausse hauteur des colonnes/
de gracieux hôtels et de belles perspectives. Le:palais des députés exigerait du dpuzaihal ;
Pour la conservation on a progressé cependant ; son immense: fronton, écrasant douze colonnes,
quand le monument est assez considérable on le leur donne un aspect d'ordre huitainal ou dori-
transporte au musée ou à la campagne. Solution que, appesanti, encore, par les cinq guichets de
pluscouteuse quela lithographie,, et non moins prison placés derrière. J'estime quel2 diamètres
vaine, car, dit fort bien Fourier, la beauté d'un et : même ;12.1/2 né seraient que la proportion
bâtiment tient à ses proportion et à l'étage de des colonnes avec |a localité, et la perspective,
.
points de vue/qu'il forme avec les autres édifi- En général pour les accouples il faudrait du
-
ces de la ville et la configuration.du sol. (ici la douzainal et même du. treizainal, ou octavien,
.'colline/de Montmartre). Et/cet ensemble cons- pour les quadruplés ».,
truit et naturel, concerté et hasardeux/peut : C'est ainsi que revienrient,.précis.comme
d'autant moins,être transporté pu projeté;sur des manies, « l'ordre douzainal et TpCtavien »,
un plan que chacune-. des parties, fonctionne les « radicaux ;>>. d'Harmonie.; ou «les chiffrés
avec le tout. L'architecture exprime/ la vie .sacrés, », qui .sbiis-terident..les correspondances,
sociale qu'elle/structure, et la ville s'édifice.,- sensibles, et d'abord,celles des sons musicaux,
darisletempsde j'espace, comme un organisme des couleurs/du prisme, et ;des passions, « distri-
autonome, que/l'on né peut morceler sans le buées, par, douze cômméles notés dé la gammé
détruire.:/ :': chromatique, plus: une 13ème, pîvotable ». Lés
Ce n'est pas dire que la ville doit: être .raisons/ d'une impression de^ beauté ou de lai-
Conservée comme un musée./ Bien au contraire, ; deur (ici. dé l'aspect écrasé du- monument) con-
puisqu'elle compose lés formés et la vie elle se firment système./Lé savoir du,: sensible;et-la
le.
transforme avec les sociétés/Mais, si Te dévelop- .
théorie mathématique de l'unité. universelle
pement est. anarchique, si les riches ont le droit coïncident. L'Harmonie est sans surprise; puis-
deeônstruiré à leur fantaisie, saris égard au bien ; qu'elle: développé, en;-, tous, domaines, les mêmes
et au charme de tous, la ville, comme telle « radicaux ». L'auteur n'a pas à '."peiner avec le
décline. Signe manifeste elle s'enlaidit les / temps du désir et des Choses. Il',en sait -assez
spéculateurs la mutilent, des vandales bâtissent long pour tout prévoir, organiser l'ordre juste et
leurs palais aveugles et de hauts murs qui juger (ou absorber) les déviations.
Offensent la vue, pour je seul plaisir de. s'isoler Ce texte évoque en filigrane l'étrange
et se masquer des voisins. touriste, que ..l'on a' souvent décrit, muni d'une
L'architecture unitaire est le' remède à ce Canne mètre et mesurant partout; dans la ville,
scandale et à l'injustice; elle implique la pro- des longueurs et des proportions. Un tel achar-
priété composée où chacun trouve son lieu et sa, nement, pourtant, contredit Tomniscience. Que
fonction. ,La ville cesse alors d'emprisonner et notait-il avec minutie ? , Lés nombres: d'or de
.
de contraindre, elle s'organise pour, la-jouissance toute Harmonie ou, plus simplement, les
de tous et le: développement infini des relations. mesures accordées aux gestes quotidiens ? non
:
D'ailleurs, le regret dé l'hôtel Theluson pas les traces de quelque absolu dans les formes
vient juste après la critique des architectes qui, imparfaites, mais des relations infrangibles entre
« servilement révencieux pour l'antiquité, ont l'espace bâti et les liens- de réciprocité/ ou dé
craint d'imaginer des ordres nouveaux en hautes dépendance; de communication du d'exclusion
.
dimensions ; Ils ont admis le septérialou toscan des citadins, La dimension des rués/et des
et le sizainal ou rustique à bâse'enfoui.e; mais places, la hauteur des murs, des terrasses, des
ils n'ont pas osé dépasser le dizainal ou corin- fenêtres et des balustres, favorisent, en effet, ou
thien ». Et il continue: «Si i'examinais les interdisent, les passages, les rencontres et les

49
espaces et sociétés n. 15 - 4;
Simone debout la ville de transition

échanges. Ce sont les conditions et l'expression les constructions nouvelles prolongent la domi-
d'une certaine existence individuelle et collec- nation pervertie; Les nouveaux riches érigent
tive ; Fourier mesure et calcule ce qui doit être des façades nues ou de hauts murs défen-
conservé ou transformé. Car il imaginé une ville sifs — Si même ils décorent leurs maisons l'étroi-
où l'on vient de loin à la fête, des mes ouvertes tesse des rues ne permet pas d'apercevoir les
à tous les pas, les Carrefours où se croisent lés sculptures ou peintures sous le bon angle.
trajets du travail et du plaisir, des angles en Subtile façon d'humilier qui réduit la jouissance
retrait pour les sursis du désir, et des places de l'habitant avec celle du passant—Quand il
comme des clairières, où voir l'espace et se faudrait, tout à l'inverse, ménager la juste adap-
regrouper, tation des éléments de l'architecture aux regards
'"••-: II; renoue en rêve avec les parades des et aux: gestes, remodeler la ville; pour le> libre
Princes et.les processions du Moyen Age, que les plaisir-de tous; Alors le défilé étroit des rues,
rues, de la ville, les travées et lès hôtels des. des règles et dés rouages ne happeraient plus la
sanctuaires,orientaient ou suspendaient sans les vie, mais des allées ouvertes relanceraient
rompre. Alors-: la,vie commune envahissait lé l'aventure imprévue.; Les monuments ne barre-
monument ou l'église : on assistait aux Mystères raient pas l'espace et l'élan. Ils donneraient
sur le parvis des cathédrales et le symbole/social ensemble |a verticale et dès issues — Jalons ou
ou religieux,;sensible à tous;sans raisonnement, tremplins du regard et de l'audace ils enfon-
était moins ravalé par les jeux même grossiers, ceraient leur volume et leur poids dans l'air--e't
que nourri;-uni à ses racines./-Le peuple, com- le temps pour "assurer Ies gestes contre la: peur,
:
muniait; en quelque mesure avec les hauteurs et retenir:la hâté qui se précipite toujours plus
spîtitûélles. Il célébrait et défiait, à là fois le vite et plus loin, à vide—Les ornements de la
sacré, puisque l'ordre; symbolique n'excluait pas ville,: dé même que les parures des passants,,
lés trivialités de la vie, et né /forçait pas l'indi- réveilleraient lés passions et rendraientà chacun
— La fête
vidu., à s'oublier et à s'humilier. Lé Carnaval et lé: goût de ses joies et de ses jours
-.
les spectacles d'Harmonie réinventent ceux du n'inverserait pas; le coursquotidien et-les specta-
passé,, là fête baroque,,OÙ; les grands, le clergé,, cles,/ «s'engrèneraient »,, au/ théâtre, de. la
le peuple et les mendiants, voire les animaux, se vie — car chacun,, en- Harmonie-: dramatisé ses
croisaient sous les voûtes ou aux abords du impulsions pour découvrir ses goûts et son
temple. talent, pour accomplir avec autrui sa destinée.
Les. citadins ne se parent plus pour se. masquer
Le calculateur imagine une architecture et
une: foi qui/portent à nouveau l'espoir et la et pour tromper mais pour apprendre de nou-
sève,.Or le .chaos tumultueux s'est depuis long- veaux rôles, d'autres désirs, d'autres pouvoirs, et
temps, effacé et le peuple se cache. Ses maisons
pour répondre à l'afflux des appels et des buts
attrayants.
entassées, sans ordre ni plan, obstruent l'espace
et défigurent l'édifice superbe : elles font refluer Fourier. imagine en deçà et bien au-delà
sur ses bases la boue et la mauvaiseté des fonds. des indications de sa, canne mètre et de la
L'église et le château ont d'ailleurs perdu avec combinatoire mathématique. Certes les édifices,
leur rôle.protecteur — refuge ou défense toute qui, attestent et défient la,pesanteur doivent

fonction -médiatrice. Leur magnificence n'est leur équilibre et leur beauté à de justes calculs
plus que le /signe" d'une autorité écrasante et mais, pour s'accorder au dynamisme individuel
d'une hauteur à laquelle les pauvres ne pour- et collectif, pour épouser et régler les rythmes
ront jamais, s'élever. Ils découragent toute internes divers et changeants, l'architecture doit
velléité de voir plus loin et plus clair. Ils brisent composer la.science et la vie. On pourrait redire
le courage— La ville barbare agglutinée au pied à son propos ce que Kepler, fort apprécié de
du monument,se perpétue comme une lèpre, et Fourier, écrivit de la musique ; « Il faut d'abord

50
Simone debout' la ville de transition

demander ce qui: est consoriant à l'instinct nourrlr/pousse à. l'anthropophagie»;(7); Façon;;


auditif et ensuite chercher non dans"le nombre abrupte et forte de dire que le goût isolé, ne
pur mais dans le nombre appliquée à la prûduc- çonnait pas l'objet, ne le pose pas/même
tiorides s.ônsies causes.de la: consonance et de ; comme .tel, ; Il -assimile sans voir, /ni //laisser
la dissonance » (5). subsister, la différence.entre le.mangeant et le.
/:
Existe/t-il,/toutefois/un sens susceptible mangé. Mais les retards apportés par iaculsson,
déjouer, quant à l'architecture,' le rôle de l'oule ; : la cuisine, la cérémonie du repas, la bénédiction
pour-la musique ? Cet « instinct:» serait à:coup .pu la louange des mets, composent le besoin,de-
.
sûr; complexe, -:à; là mesure.; de ce qui, est êri; ,se: nourrir avec les -autres passions; et l'huma-
question, la construction de l'espace et .l'organi- nisent: par là-même. ; Le goût .ne/fait, d'ailleurs
sation du 1 temps /des .hommes, des lieux-.du ; pas exception ; Sensitives ou ; affectives, « toute
.
travail et du loisir, de ; l'éducation,./et ./de passion; .isolée est ignoble»,—Elles; doivent
Tampur/- ,-:;,,/';;/; ,/.;./:,/ «aller de : front » -7 Le : but est de fairecoïnci-
- ";-
;/Or ' Fourier /ne nous/a pas frustrés/de/la, der Jes 5 ressorts sensuels.; goûts, tact,/vue, ouie;
réponse adéquate originale. I Lisait', ce qui doit ; odorat avec les quatre ressorts affectueux amitié
joue/en plein essor, afin que la /topographie,de ambjtipn, :arnoUr, famillsme et/avec les trois
la ville soit celle de la vie communicative et du distributivës/cabaliste.-papillonne;, composite;••-/'/.
bonheur.-:,"-;-/'///'/// /• '""-•'" /./:. .-'"-,'Ces /'dernières,; non/taht^passions spéçj/
.
'//'./-/C'est par «Jeyjsuismë fiq'ues que modes;:d'être et,précieux ressqrts.de/
», la jouissance la ;

moins accréditée, qu'on devait débuter », dit-il.; ..corn'binaj.sori,/jpuent;/leu;r,;,rôlè. dans l'essor ;des
5 sens, mais.il/èsttémarquable pùé, pour trans-
« LêS-Çivïlises regardent" comme superflu ce qui
touche.au, plaisir de la vue/rivalisant d'ërfruia/ former/la :vii.|e, Fourier-"ne fasse pas intervertie
tion. pour enlaidir' .'leurs.'/résidences-, /nommées expressément les •affectives; pas. mêmé/f.'amoùr,
vi 11es et villages, dont l'em belIisemêrit : Unitaire « pivot de société ». C'est qu'il le retrouve, à
aurait conduit à une garantie d'essor des 5 sens. même les reSSprtSsensuelS/Tendus vers ce qu'ils
Ce plan 'était'.du ressort des arts (6). / né sontpas.voués/à; l'autre; ils comportent en
quelque mesure .l'amour/Lés. sensitives/en effet,;
Le "rôle: de la vue:: est privilégié, non
ne visent pas la seule conservation individuelle.
exclusif : « il s'agit de traiter de l'agréable, dés
En /exercice, combiné elles ne tendent plus à
voies fastueuses tenant à l'essor combine des
bipassions sensitives ».
engloutir, elles se composent avec l'objet dans
la différence maintenue, Mouvement vers,
Fourier suppose d'emblée que les sens ne dépassement; des limités, elles se montrent capa-
fendent pas,à la seule satisfaction des besoins, :
.

bles;de/enouveler la çonnaissançe/avee la vie. Si


mais au luxe, aux fastes, à l'art. Or, l'art pu la l'activité des sens n'est pas absorption aveugle,
beauté' sont vécues comme manifestation de elle remet en cause, toute assimilation pure/et
l'autre-- créations de Dieu ou des' hommes, et simple,, notamment celle de. l'esprit -.(ou de la
sï: le 'plaisir du beau est une virtualité de nos raison) qui prétend '.réduire---'le'-monde; .à ses
sens, autrui est immanent à leur plein/essor. propres lois, et dénie le mystère de l'être; des
L'analyste constatepourtant : « les sens ne passions au monde et du monde aux passions.
sont point isolément/des ressorts de .sociabilité,, ; Pour/évoquer/ous.ces développement,,le,
car ' lé plus influent, le goût,; besoin, de. se rêveur,; toutefois, n'oublie: pas l'utile. II. note
simplement qu'avec l'architecture on ..va. de
(5) Kepler, Harrnonicés rnundi. Un des seuls livres, l'agréable à l'utile, comme en d'autres domaines
voire l'unique, que Fourier ait possédé et soiçjneu- dé l'utile, a. l'agréable ; car;« la nature pass.ion-
sement:conservé. / -'
(6) Fourier, Oeuvres t..IV, p. 297, éd. Anthropds,
-
Paris. "-'-:-. (7.) Ibid,p..339.

51
simone debout la ville de transition

nelle, toujours composée dans sa marche, ouvre Londres, Paris ou des villes nouvelles, et la
double voie d'avènement au bonheur social ». « garantiste » transition immédiatement réali-
La ville est le lieu électif où prouver la valeur sable à l'Harmonie.
du défi utopique, réveiller, multiplier tous les La distribution barbare est « un mode
désirs, entrainer le peuple aux plaisirs, à la confus, rues étroites, maisons amoncelées, sans
danse au chant et aux spectacles pour mieux courant d'air ni jour suffisants, disparate géné-
l'enrichir. rale, sans aucun ordre ».
d'opéra sont aussi nécessaires
« Les salles
La civilisée : « mode simpliste : ne régulari-
en Harmonie que les charrues et les trou- sant quei'extérieur, où il ménage certains aligne-
peaux ». Les civilisés répliquent : d'abord le ments et embellisementsd'ensemble » représente
labour et le peuple n'est jamais assuré de travail un progrès vers la propriété composée », puisque
ni de pain. Fourier renverse la vieille malédic- « les particuliers sont.astreints à suivre tel plan
tion : Tu travailleras à la sueur de ton front : i| extérieur». Mais ce plan reste partiel et les
entend montrer que l'effort fructueux allie les. « villes de la belle France se disputent les palmes
rythmes du corps et des choses, le désir et les de la laideur et.de la saleté ».
attraits, et que le plaisir et les richesses s'ajou- «Des vendales, par avarice, construisent
tent à l'acte comme à la nature ses fleurs et ses des maisons malsaines et privées d'air, où ils
fruits. Et cette intuition d'une parenté mystique entassent économiquement des fourmilières de
oubliée/se. fait, précise et .moderne, lj ne. s'agit populace; et l'on décore du nom de liberté ces
,
jamais avec Fourier de « nature simple », des spéculations assassines », de même que. la fan-
vertus ou de la félicité» des bergers du « Li- taisie des riches qui élèvent «des constructions
gnon ». Il nous parle de Son lieu et de sùn temps, chères et grotesques» sans, discerner les. beaux
de la ville au XIXèmê siècle. Mais il voit en elle ce sites/Ceux des environs de Paris sont tout à
que les autres:n'ont pas vu : l'innommable suant fait dédaignés ou.défigurés, « Pétris de petitesse
des cloaques infects, la laideur des visages avec les Français ont la manie de resserer leurs
celle des murs. Et il nous atteint, après un siècle, maisons, comme si l'espace leur manquait. Ils
car les développements de la ville ont aggravé la semblent craindre que le monde ne soit pas
tristesse des rues sans joie et la misère dégran- assez grand, ne serait-ce pas leurs esprits qui
dante des bas quartiers. « dans ces torts de la sont,trop petits pour le monde ? » (9).
civilisation » les architectes, dit-il, « sont griève- Mais ils y a pis. Quand les civilisés voient
ment compromis ». En effet « souvent on bâtit plus grand et plus loin leurs plans aboutissent à
des villes nouvelles, soit en plan général, comme de « tristes échiquiers comme celui de Philadel-
Philadelphie, Manheim etc, soit en plan addi- phie ».
tionnel et lié à une ancienne ville, comme Nancy
Là on sait d'emblée « tout par coeur ».
neuf, Marseille neuf etc. Mais aucun des princes
Les rues droites et les maisons ne sont que
fondateurs, ni de leurs architectes, n'a su s'élever
répétitions sans grâce. Rien dans cette archi-
aux constructions d'ordre garantiste qui pourvoit tecture rationnelle ne répond à une attente.
à l'utile et à l'agréable cumulativement » (8).
Parce qu'elle n'accueille pas la vie, il n'en
Fourier .distingue,néanmoins, «diffé- résulte aucun progrès social, elle ne veillit qu'en
rentes méthodes » adaptées à chaque période se salissant, dégradée d'avance par l'indifférence,
sociale, et il en cite trois : la barbare, qui se dont elle procède. Car c'est le vice capital. « On
perpétue à l'intérieur de Paris, Rouen etc/la n'a pas su astreindre l'intérieur comme l'exté-
civilisée, des quartiers neufs de Pertesbourg, rieur des bâtiments à un plan de salubrité et

(8) Fourier, Oeuvres, t. V, p. 6, éd. Anthropos, (9) Allusion fréquente dans son oeuvre aux person-
Paris. nages de l'Astrée.

52
Simone debout la ville de transition

d'embeilisement; à des garanties de structure faire du, simplisme on eut du moins trouvé du
coordonnées au bien et au charme de tous » et nouveau et: « un ressort plus judicieux que; ce
l'on a manqué des «chances de perfection- fantôme de liberté », dont il n'éclot que «.les
nement social dont en aura peine à croire, les; 9 fléaux de lymbe social (indigence, fourberie,
conséquences et l'étendue ». « Une ville même oppression, carnage, intempéries outrées,
petite, telle Carlsruhe, transformerait le monde maladies provoquées, cercle vicieux, égoïsme
social .-«par la Seule, influence des édifices général/duplicité d'action sociale)». Humour,
d'unité composée et leur aptitude à provoquer certes, et boutade mais qui renverse la.duplicité
par degrés les liens sociétaires », au. lieu de d'action sociale et ses effets. Car les amateurs
l'égoïsme, la solitude et l'envie. « Un architecte d'autorité, « toujours aheurtés à des épreuves sur
réussirait ce que les aigles de la politique n'ont les pauvres » deviennent incapable d'une pensée
pas su faire ». ; haute ou généreuse.
Et Fourier s'interroge : « un sybarite sait Les pians, de leurs villes neuves reflètent
bien orner son habitation aux dedans et au les mesquineries d'une vue purement écono-
dehors. D'où vient que-nos architectes ne savent mique ou fonctionnelle. Et, cette injustice ra-.
pas faire de même pour les demeurés collectives tiônnelle refaillit sur les initiateurs, enserrés eux
appelées ville? C'est que jamais idée harmo- mêmes, à la fin, dans la platitude des quartiers
nique n'a trouvé place dans une tête civilisée », neufs.
Mais « toute génération qui n'entend rien, au. C'est en un tout autre sens que Fourier
plaisir collectif ne conhait pas d'avantage l'indi- prétend « assujettir les possessions individuelles
viduel ». Celui qui ménage les agréments variés de aux besoins de la - masse » ;. et il projette les
sa maison du salon à la cour rie peut régler la images d'Harmonie contre une autre/vision non
perspective- extérieure. Il rencontre à Nancy par moins hallucinée: i! voit l'immense lassitude
exemple, le fumier près de l'arc triomphal, il qui sourd de la ville et de l'économie modernes,
butte sur. de hauts murs qui blessent la vue. Le de leurs rigueurs impitoyables. Il lutte à la fois
voleur, qui enclôt son jardin, eSt lui même volé: contre le passé; la ville barbare, salie d'immon-
Et à mesure que la ville se développe il perd ses dices, et la civilisée encore plus sûrement spolia-
privilèges. La communauté fonctionnelle menace trice. Cet éveilleur d'idée détecte ce qui n'était
ou réduit les raffinements privés. Or Fourier ne pas encore et ses visions trouvent enfin leur
nie pas les voluptés des riches, il veut les étendre pleih écho, car elles évoquent un mal devenu
et lesaccroitre. Il imagine une révolution inédite présent et ce qui nous requiert, le rêve d'une
'.et juge fort bien les tentatives passées, ou avenir. autre ville, d'un autre; monde social. Or cette
«Si les épreuves sociétaires ont échoué c'est double vue détermine le projet, Fourier décrit
parce que la fatalité a poussé tous les spécu- la ville de transition qui nait avec et contre
lateurs à opérer sur des masses de pauvres gens, l'autre, pour le peuple.:du désir et du triomphe.
qu'on soumet à une discipline monastique indus- La ville garantiste s'étage par trois ou
trielle » (10). Et il poursuit : puisque les civilisés quatre enceintes,:de la cité centrale, plus haute :
ne savent pas changer de direction et spéculer sur et plus dense,-aux faubourgs puis aux avenues
la liberté.et le plaisir de tous « il fallait, à défaut et à la banlieue, où les maisons, sont de plus en
de génie, un essai tyrannique tenté ..sur les plus basses et espacées. Première idée d'une ville
riches (...). Quelle palme pour les fa|seurs d'uto- continue, et d'un passage de la ville à la
pie », s'ils eussent conçu « l'oppression spécu-
campagne.,
lative » et affecté au « serigerme » d'une réunion
Mais l'auteur réservé son. attention au
riche quelque château royal abandonné. Quant à
centre. Là, plus de constructions distribuées au
hasard, sans ordre ni méthode, et moins encore
(10) Fourier, Oeuvres, t. IV, p. 156. tnsséos. « toute maison - de la cité doit avoir.

53
Simone debout la ville de transition

dans sa dépendance, en cours et jardins, au trait bientôt l'association partielle ». Fourier


moins autant de terrain vacant qu'elle en oc- anticipe les idées de Le Corbusier. Plus exac-
cupe en surface de bâtiment ». Ce qui n'exclue tement celui-ci reprit le projet et le rôle esquis-
pas la densité car «on ne construira plus de sés : sur le mode composé» cet
Spéculant «
petites maisons basses, trop coûteuses, mais de architecte « aurait pu, sans s'en douter et sans y
très grandes », On préviendra d'ailleurs les « tri- prétendre devenir le sauveur du monde
cheries » sur la hauteur en exigeant que « l'es- social » (11). Mais Fourier a même prévu ses
pace d'isolement "de chaque côté de la maison" détracteurs, et les causes de son échec : « Je
soit au moins égale à la 1/2 hauteur de la n'ignore pas, dit-il, combien la propriété compo-
façade ». Et Fourier précise : l'élévation ne doit sée, dont j'établis ici le principe, structure coor-
pas excéder sur la rue un angle de
45° (sauf donnée au bien et au charme de tous est en
exception de 1/8 pour les tourelles). Ceci afin aversion aux civilisés, combien l'égoïsme a de
:de ménager partout la lumière et la vue des tout temps aveuglé sur les bénéfices d'une telle
ornements. Le rêveur est hanté par la; laideur disposition». Néanmoins, une. fois effectuée,
des murs et des façades nues. Il les décore ou elle p.lait à ceux même qui s'y sont opposés. A
les abat. Plus d'écrans qui masquent et interdis- condition que l'on agisse en grand : « Si ces
sent ; tout juste des palissades ou des haies à maisons restaient isolées, elles ne produiraient
clairevoie. Les lieux distincts de la cité — entou- aucune émulation économique. Mais si la dite
rés d'espaces gazonnés ou plantés, offrent la vue ville contient 100 vastes maisons,, toutes vici-
de. leurs'charmés variés —On' bannit les sépara- nales et distribuées de manière à se prêter aux
tions absolues et la confusion ou la redondance économies domestiques/elle verra bien vite ses
des quartiers tous pareils, qui assènent sempiter- habitants s'exercer sur cette industrie, qui com-
nellement ies même signes, ce que l'on doit mencera nécessairement sur l'objet important
penser.et faire. « Les rues devront faire face à pour le peuple, sur la préparation et fourniture
des points de vue champêtres (montagne, pont, des aliments ». Certains s'établiront traiteurs,
cascade ou perspective) ou à des monuments d'autres fourniront les provisions, d'autres assu-
d'architecture publique ou privée ; quelques reront les services domestiques, nettoyage etc. La
unes seront ceintrées (serpentéës) pour éviter division du travail et l'association naîtront de la
l'uniformité. Les places devront occuper au vie spontanée plus sûrement que des règles, et
moins 1/8 de la surface ; moitié des rues de- s'étendront du centre de la cité aux faubourgs et
vront être plantées d'arbres, variés dans cha- à la banlieue.
cune».
Or Le Corbusier a prévu les services et la
Ces dispositions préviennent la promis-
,: rue marchande intérieurs, mais sa maison, iso-
cuité, les bousculades et les heurts forcés. On lée, ne provoqua nul entrainement progressif.
n'est jamais canalisé en d'étroits circuits; on L'imagination n'a pas ces limites et le rêve de
dispose partout d'Un espace de jeux ou.de libres Fourier s'égaille jusqu'aux « plus chétives cam-
rencontres. A l'intérieur de même ; pas de dis- pagnes ». Elles dev'endron"t. dit-il, « plus bril-
tribution répétitive des appartements, ni des lantes que les jardins enchantés d'Armide ». La
chambres étroites. Nul n'est enserré sans marge ville, autrement dit, ne draine plus tout vers
entre ses voisins, contraint de se plier à leurs elle, et elle reçoit la pleine mesure de ses
.
habitudes et leur ressembler. « L'espace d'isole- largesses. Fourier prépare une fête où se rejoin-
ment, la variété des lieux expriment et favo- dre à travers toute la terre, et qui enrichira sans
risent l'écart intérieur et, les, différences. On ne fin le noyau plus dense de la cité.
vit pas pour autant séparé. Bien au contraire :
« dans ces sortes d'édifice on serait entrainé à
toutes sortes d'économie collective, d'où naî- (11) Fourier, Oeuvres, t. IV, p. 299.

54
Simone debout la ville de transition

_:/'v La. centralisation orgueilleuse; appauvrit, : groupement plus dense,, :et. les bienfaits: ;de
.au-,.'.contraire",.;et la. province et la capitale." Et;; .l'association domestiqué agricole.. C'est> comme
cette désorganisation, remarque .Fourier,- « frap- un hôtel, dit Fourier, un palais où la liberté
pe sur la France, plus sensiblement,que sur:tout
,
individuelle et familiale s'allie à l'unité d'action,
..autre empire »... « Hors de Paris, la France n'est et, par suite, à l'économie de ressorts;et au luxe
.qu'un séjour d'exil, d'obscurité pour - lés arts et progressif. De tous les plans descriptions, et
le génie ». (12). '.'•' dessins, on., peut dégager .les,constantes ésseh- '
.
Mais -«en. voulant tout; avi.iirpour faire tielles.'.:: Le principes-est. toujours .d'isoler le
brilier Paris (..:) éri voulant .tarir les petites centre, :où l'on .habite, des ateliers: bruyants et
du. caravansérail où l'un reçoit des/étrangersY Le
sources qui doivent alimenter le grand fleuve, ils
phalanstère comprend donc un: corps de, logis
ont appauvri la capitale même ». .Quant aux
spectaclès/parexèmple, «elle ne se soutient que avec ailés et ailerons, les étables et greniers
faisant yjs-à-vis. Le.bâtiment central est départi;
par : la faculté de désorganiser; les théâtres dé
priyince en ';" requérant tout te qui excite son ...aux fonctions paisibles : « églises, bourses are-,
attention:»^ Et, puisqu'elle ;.enclôt";.tout ce qpage, opéra,.tour.d'ordre,;.car:illOn,;tëlégraphèi
pigeons de poste, et 'lès. ailerons aux fonctionsY;
qu'elle .forme ou fait refluer èn'ellé, elle épuise,:
bruyantes.; Une partie jsai I l'ante, au Centre,'-/est
la sève, son génie.et celui des autres villes. Les :

"ressources, par contré,: seraient' illimitées si là ;


.prévueipqUr les beaux Jogemerits,i;faCe ; à la /
place, de;;p;arade:et à ja/coûr dfhonheur.>Der-
éircùlation était à,double sens et si chaque-ville;
rière,; une .grande cour ppur. la ^promenade
établissait des rapports ; de: .confiance pu de : ..
.
^complicité avec là campagne et lés .forces sau- d'hiver est ', plantée : de. résineux-,:à ombrages .
permanent.. En; été le canton entier est la pro-
vages, ; qui ne; .restent <pàs /moins', distinctes.
-'

•Fourier donne des imagés frappantes- de cet menade». Des cours relient le. centré aux ailes,
appeL réciproque de .la ville .et de la. nature. aux cuisines, écuries ou équipages. Un, vaste
C'est aux abords de Babylqne,, et: aux confins jardin .rejoint la campagne. L'édifice est çons- ;
du désert, que se rassemblent, les aventuriers, truit sur pilotis, ou Colonnades et comporté un
pour.' lès parades du travail; et de l'amour, ou la .péristyle/-: -",-/ "".'•_':

«bataille» des petits pâtés; (mirlitons). La ville


Offre l'approvisionnement nécessaire, elle délè- Les enfants vivent à, l'entresol, commo-,
gue ces « conciles ».-pour é.llr'ou juger, et elle dément gardés et relativement isolés, les patriar-
ches au rez-de-chaussée. Les appartements des
retrempe, son énergie dans lé. rassemblement
gigantesque, et j'espace libre. Elle informe les, 'travailleurs et des familles sont bien distincts et
passions sauvages sans les effacer, ni s'en laisser, variés. Il faut.éviter, répète Fourier, la distri-
submerger. bution monotone, des chambres monacaies.Si le
nombre des. coopérants argumente on redouble
.La pénétration de la ville dans la cam-
: les corps de logis, la hauteur restant mesurée à
pagne se fera d'ailleurs plus générale et ponc- ëéchelons, compris le rez-de-chaussée et les
tuelle avec rétablissement des « Phalanstères.»., mansardés. ,'-".':"". :: .-'"•
Unité d'habitation d'une « Phalange » ou d'un
«Tourbillon », qui réunit 1600' à 1800 mem- .Le. plan doit favoriser le/ jeu: dés séries
bres Cultivant; Un cantonale Phalanstère est une « que nos. architectes ne connaissant pas ne
petite ville, réduite, certes, mais qui substitue à Sauraient déterminer »,. Or « si les dispositions
Téparpillernent des fermes ou des villages, les sont fausses en matériel, il en.sera de même en
virtualités économiques et passionnelles d'un passionnel»: C'est ainsi, par exemple, que « les
fondateurs de, New Harmony ont précisément
,
choisi. « la forme de bâtiment qu'il fallait éviter,
:!2). Fc rier. Oeuvre,;, t..!, p. 384. le carré pu monotonie parfaite ».
. :

55
simone debout la ville de transition

En un tel édifice le bruit se répand mur de verre. La galerie n'est pas moins isolée
partout et la totale homogénéisation de l'espace du sol et des intempéries. Construite au premier
écrase les singularités. Le quadrilatère impose étage, ni trop haut ni trop bas, pour faciliter les
l'Uniformité. « Il ne peut convenir, dit Fourier, meilleures communications, elle ouvre d'un côté
qu'aux réunions monastiques, la monotonie sur la campagne, de l'autre sur l'intérieur du
étant leur essence. L'espace du Phalanstère doit bâtiment... elle assure les passages d'un pointa
être aussi varié que lès fonctions et les indi- un autre du Phalanstère, et du monde extérieur
vidus. Le travail, d'ailleurs, étant fractionné en aux profondeurs intimes. Fourier sait que les
courtes séances pour satisfaire la papillonne ou murs ont leur réplique en nous et que l'on ne
alternante, chacun explore à la fois l'espace et peut abattre ceux de la ville, aggrandir l'horizon
ses goûts. visuel sans libérer d'autres ressources passion-
Tandis que dans les villes au carré le nelles. La rue galerie est la figure et le moyen
citadin perd ses mesures internes et s'agite en de ce.double élargissement. Quand les civilisés
vain, perdu dans une masse énorme, sans dis- perdent leur énergie à durcir leurs défenses,
tance ni partage, le Phalangiste marche, tout au interrioriser les interdits et se faire peu a peu, à
long du jour, de ses différences à celles d'au- l'image de la ville, forteresses vides, les Harmo-
trui. Et il dispose, pour ces déplacements, de niens regardent librement vers l'horizon et en
larges dégagements protégés, qui feront dédai- eux. Ils ne sont plus enfermés seuls, ils bâtissent
gner les. palais, civilisés.: Les.rois, mêmes « loin pour abolir la. menace ; et.pour accueillir l'étran-
d'avoir des communications en galerie fermées ger :.
n'ont souvent pas même un pûrche pour « Les dites galeries, tempérées en toutes
monter en voiture, à l'abri de la pluie. I...I un saisons par des tuyaux de chaleur ou de venti-
harmonien qui n'a ni sou ni maille monte en lation, servent de salle à manger dans les cas de
voiture dans un porche bien chauffé et fermé ». passage d'armée industrielle (ou « d'aven-
Il communique des palais aux étables par des turades »).
souterrains «parés et sablés ». Il va de son
Mais le libre épanouissement en toutes les
logement aux salles publiques et aux ateliers par
directions sera d'abord restreient. Pour « garan^
« des rues galeries qui sont chauffées en hiver et
ventilées en été ». tir » le Phalanstère des « vipères civilisées, vrais
pestiférés » on entourera le canton d'essai
«Ceux qui ont vu la galerie du Louvre,
« d'une fraise ou d'une palissade, étayée de
au musée de Paris, peuvent la considérer comme piliers I...I. Je dis grillée, répète Fourier, car
modèle d'une rue galerie d'Harmonie qui sera
l'ordre sociétaire n'admet pas les murs monas-
de même parquetée et placée au premier étage,
tiques masquant la vue et transformant en
et dont.les croissées pourront, comme celles des prison la voie publique». Il n'empêche que les
églises, être de forme haute, larges et cintrées,
phalangistes, derrière leurs grilles, sont à la fois
pour éviter trois rangs de petits croisées ». enfermés et livrés à la curiosité. Ils offrent leur
Le palais des rois inspire celui des travail- vie interne, à la vue non au partage et ces
leurs, du moins pour «la pièce maitresse », la dispositions initiales expliquent sans doute
rue galerie, bâtie au milieu des champs, tout .
pourquoi les critiques ont parlé de l'espace clos
juste avec ce qu'il faut garder pour faire un mur du Phanlanstère. Sa destinée certes est tout
ouvert entre l'espace et la vie privée. Elevant le autre, et les limites du 1er essai prouvent
phalanstère sur pilotis, Fourier tend à séparer seulement qu'une hirondelle ne fait pas le prin-
les soutiens et les parois de l'édifice. Avec la temps. Fourier ne l'ignore pas. La première
rue. Galerie, aux larges et multiples fenêtres, il ébauche, dit-il, n'aura pas les dimensions conve-
allège au maximum les colonnes. Devançant la nables. On se trompera sur les proportions des
technique il.vise à la transparence totale d'un différentes parties, « qui ne pourront être déter-

56
simonè debout la ville de transition

minées qu'après l'expérience des différents tra- originale à la mesure de ce qu'elle conserve, en
vaux, rivalités et convenances des diverses Pha- le transformant/Car Fourier réimagine tout ce
langes, selon le climat et les relations. qu'il adopte.Par exemple à Carlsruhe (capitale
C'est dire que le plan général n'est qu'une du grand duché de Baden) des rues « formant la
approximation. Il sera différent pour chaque corde d'un évantail donnent à la ville une.
pays, et changera en Un même lieu avec les grandeur, qu'elle n'a pas ». Toutefois « cet.
relations internes et externes. Or «elles seront éventail est une conception excessivement mes-
plus riches au bout de 10 ans et plus encore quine, et monotone. Voir le château (petit
après 30 ans. Alors il faudra reconstruire somp- portail) des neuf rues ou rayons aboutissants,
tueusement». En attendant on bâtira en maté- c'est voir sans cesse la même chose, et l'on, peut
riaux légers, peu coûteux et faciles à démolir, dire de ce point de vue : aimez vous la muscade ?
ou bien on s'installera provisoirement dans un on en a mis partout ». -
château ancien. L'essentiel est de disposer d'un Si l'on eut consulté 20:architectes, peut-
Cours d'eau, de points de vue pittoresques et être auraient-ils produit 20 détails aussi bons, et
d'un sol propice aux cultures variées/malgré «de l'ensemble des 20 idées on aurait.fait une
tout «il régnera au débuttrop de calme pas- charmante ville »! Le but est de «varier en fout,
sionnel ». Et, puisque chacun tient sa raison sens, et prendre, pour ; règle qu'aucune vue,
d'être de la floraison illimitée des relations les qu'aucun point de la ville ne présente un coup
plus intenses et variées, le premier Phalanstère •.d'oeil semblable"à celui des autres points »: De
n'aura pas le pouvoir de guérir toutes les plaies. même pour le site, on.ne construira pas trop
FoUrier suppose qu'il se « raffinera » de lui près d'une forêt sans échappée, ni dans un pays
même augmentant à mesure sa puissance et sa plat (comme celui d'Anvers, Orléans, Lausanne,
vitesse de propagation. Pour que cette avancée Bruxelles) qui ne suscité pas les.formes, mais à
soit aussi sûre, inexorable que celle du mal la vue d'une belle, ligne de. collines: ou de
passé il suffit de pallier aux « dissidences », montagnes. On introduira même Une campagne
effets des « lacunes d'attractions » d'un premier artificielle au coeur de la cité comme celle que
essai. Et « l'une des plus utiles précautions l'on admire «au centre de Leipzig où l'on
contre ces « mésintelligences », sera de « choisir descend dans les vallons sur le bord d'un petit
un peuple très poli comme celui des environs de lac» (14),
Paris et Tours en France, de Rome et Florence Fourier choisit, à travers l'Europe les
en Italie, de Dresde et - Berlin en Allema- éléments d'une ville qui résume toutes les autres
gne » (13). et l'image composite n'est jamais saturée,
Ainsi Fourier reprend la galerie des rois « Je doute, écrit-il qu'en réunissant tout
pour y installer un peuple très poli et, de ce qu'elles offrent de beau on put compléter,
l'influence conjuguée de l'architecture composée l'assortiment nécessaire à une ville garantiste ».
et du raffinement des moeurs, il espère voir En effet, « c'est à peine si l'on trouve dans
éclore un germe de bonheur qui n'aura pas de chacune de nos villes une dispositions bonne à
fin. imiter, par exemple on pourrait bien y.admettre
Mais, si le Phalanstère ne surgit pas en le Bazar ou Palais Royal de Paris, mais non ses
pleine campagne, tel un météore, sans filiation, galeries étroites, ses édifices et distributions
la ville « garantiste » modèle un devenir inédit à faites pour les Lilliputiens, ses sales et tristes
même le passé: elle réunit .-«les perles isolées rues d'alentour » (15).
dans le fumier» pour en faire tout un collier;
(14) Lo déclin de la terre que Fourier prévoit dans
(13) Fourier, Oeuvres, t. V, p. 577, éd.Anthropos, quelques milliers d'années.
Paris. (15) Fourier, Oeuvres, t. XII, p. 706.

57
simone debout la ville de transition

Le polémiste n'épargne pas même « le tique, de l'unité universelle), comme un premier


,
palais dé fée » mais, avec son premier émerveil- fruit : de « la nature intentionnelle de
lement ne perd-il pas l'essentiel,,l'intuition de la l'homme ». Le calculateur peut bien mesurer et
ville comme une production .autonome, une systématiser,,quand il décrit la ville, transition à
totalité indissoluble? La ville; garantiste ri'est- l'Harmonie il récuse, avec les tristes échiquiers
.'elle", pas une sommeabstraite d'éléments dispa- civilisés, tous les plans uniquement rationnels.
rates ? ..Pour avoir puisé son. «assortiment » Les chiffres de la gamme ne. risquent plus
dans le réel, Fourier ne reconstitue pas, à coup d'absorber les chants.de toutes les voix, ni. les
su r, l'ex istence si ngu I ière. Ma is peut-être n 'est-ce nuances ou les écarts inouïs, car l'imagination
pas ,1e but.,- pujsqu 'aussi bien la, ville; d'Harmonie des sens'commande directement. La ville garan-
naît d'un. recourS:à l'imaginaire, qu'aucune affir- tiste est ;la capitale d'un pays fantastique et
mation, ne saurait combler, ni épuiser. Le réel vécu, comprendre ce dont .elle naît, le rôle
approvisionne^ le rêve. Il n'est pas un réfèrent relatif, et Combiné des ressorts sensuels, c'est
absolu, positif bu uégatif, mais un terme de éclairer les racines concrètes poétiquesdë l'uto-
Comparaison. Les.éléments choisis ne -.captent! pie, Un pouvoir d'unité et: de variation (ou de
pas, ils relancent plutôt le mouvement, pour transgression) "irréductible à l'intelligence, l'âme
aller au delà./L'image- projetée, en .surimpres- sensible .qui', détecte les correspondances (« les
sion, à. partir et contre ce qu'elle supplante, parfuns, les couleurs et les sbris.se répondent.»).
n'est jamais achevée, car elle:est. polémique: et,. ;. Fourier, privilégie; le; .visuisme, les jouis-
-comme, tèj le, .indéfinie. sances de la vue, parce, qu'il est lui même
; : ' A l'aventure de tous les présents Fourier « Visuiste », (et même yoyèufiste.fl6) ç'estià-dire
-accorde -le :mystère dés lointains inconnus. Il. qu'il fait converger sur; le visible l'intensité
souhaite « un -port à; vaisseaux -proche ». Il multiple du dësïr. Un tel regard irradié l'énergie,
combine'.,les plaisirs raffraîchissants de la campa- individuelle et .saisit, à distance, sa proie.. Il
gne, de. vastes Ombrages, des sentiers arrosés, et exalte l'attente et redouble,ses jouissances.du
ceux du luxe et de l'art, les «.charmes de. la plaisir en espoir (et en esprit) des autres sens.
beauté, et la, fougue animale : il veut .des Mais ces vertus se renversent si la
- vue: s'exerce
isolément, car le voyant peut-être submergé par,
avenues pour les voitures légères, les équipages l'afflux extérieur, ou subjugué par les impos-
de luxe, ou les charriots du travail « vernissés et
tures de la raison. Dans les deux.cas il s'oublie
décorés» et «des trottoirs pour les chevaux »,
lui même. Or les métaphysiciens, négligeant
«des trottoirs à zèbres »,: La ville sans lieu n'est
l'étude de l'homme sensuel, ont porté ce danger
qu'une image, mais pour continuer. Elle appelle
à l'absolu, et méconnu par suite les harmonies
sans fin d'autres détails et fait éclater tout ce «
de l'univers » et le bien social,
qu'elle choisit. Le rêve ne s'évade pas il reprend « Ceux, qui
dédaignent les spéculations politiques
le devenir qui en chaque ville lutte avec les sur, le
matériel de l'homme peuvent être assimilés,
mouvements prolongés ou.l'inscription, du passé.
Mais il déborde en tous-., sens..les données histo-
quant à l'impéritie, à cette pitoyable secte qui,
par un autre excès, a voulu faire de l'homme
riques et les lignes de forces du réel.: L'auteur, un
/cependant,: dégage la vérité de cette, prolifé-
être purement matériel » (17). '"
. .

ration même.. Il vise Une synthèse où les catégo-


ries/habituellement séparées, l'économiqueet le
passionnel, le social et le privé, agiraient ensem-
ble et les unes sur les autres au point de ne (16) C'est-à-dire jouissance d'images erotiques. Cf.
pouvoir "être isolées. Et cette totalité sublime, en particulier le Nouveau Monde Amoureux. La décou-
verte par Fourier de sa manie lesaphienisme et l'ana-
où nul facteur séparé n'impose sa domination ni lyse d'autres cas de « voyeurisme ».
sa loi précède le système, (le calcul mathéma- (17) Fourier, Oeuvres, t. IV, p. 390.

58
simone debout la ville de transition

:D'ailleurs la métaphore du regard objectif, constitue, dés abstractions que nul n'a jamais
posant son objet à distance vaut pour, les ;
vues et qui ne prétendent pas moins se substi-
« idéologues » d'une pure activité : de survol, et tuer au réel/ et le'.'. régenter, l'essor, plein du;
lès tenants d'une matière, qui écrase l'esprit: En visuismezexigé la présence et même une/double
effet, que:la vision,soit inspection de l'esprit ou présence, celle d'un voyant ;et /d'un vu. Déve-
déterminée par lés choses, l'oeil comme tel lôppé entre lés deux versants insondés,du réel, il
,
n'agit pas, .et lé regard est"également désinté- tient, de: sa double sujétion, un pouvoir illimité;
ressé. Mais : les phénomènes /infirment- la méta- de création.' Dépendant de ses racines chârhelles
'phorè et l'idéalisme comme le matérialisme. Il et du visible, le regard sollicite, le corps, les gestes
n'y a pas de regard objectif.: La. vueariticipedes et les autres sens, pourfaire passer dans le monde
actions' possibles, des mouvements du "corps et ; lès désirs singuliers.. Feindre un regard hors lieux;
de l'âme. « Ces montagnes et ces.bètes,/:là,bas, qui verrait/tout objectivement sûr un plan ."c'est;;
je les ai » disait; un enfant émerveillé du/senti-' publier cette /inhérence et il n'est pas: surprenant--''
ment de puissance du;de possession, à distancé. qu'il; en. résulte les /tristes /échiquiers: des; villes
Parce que-la portée du, regard dépassé -celle/des -•planifiées, oùi-'.chacun; reste étranger à, soi.même,
"aux choses et aux autres, parce que rien ne;ïe '
gestes on en fait une figure/dé l'esprit. Or le
regard n'est, pas ubiquifair.e ni infini. Son champ concerne; ni ne l'impliqùè; A cette alliance contre:
;
'varie selon le lieu d'où nous regardons et les nature de la vue et de là raison Fourier oppose.
'mouvements, du corps.: Mais,, dé ce point-de des recherches sur « l'échelle, visuelle ». Il en;
vue, il /disposé encore d'une marge de jeu. L'oeil extrait .certains; degrés :1a; vue asiniquè (équi-
bouge pour voir. Il àecomode selon là distance librée devant l'abîmé) la vue coterrestré (eûm-
et fait-;changer.-;: ses angles; de vision. Et: ce : /biriëe;.avéç; te/terre' vitrifiée)," coaquatique'-.'(des
/bouger de l'oeil, est l'expression d'une scission /pêcheurs de,;, perlés, çoaérienn'é; pu': cpnoctume
interne/Avec le visuisme Fourier nous parlé, en fdes albinos, chats hibous, liônsiftigres), la vue
effet, non tant des choses vues que du mouve- noctambule ; (à travers des corps, opaques) et
ment visuel, d'une: certaine tension sênsitiveVpu. encore lé çaméléonisme,je coarOrnalê.t d'âUtfës
d'une saisie du visible: que ne comble aucune degrés, «non définis » (18): ,'';;
image. Or, de cet élan insatiable, dont l'oeil
La revue de Ces bizarreries vise à étendre
mobile est l'organe, résulte un écart dans la
le champ des sensations et, la mobilité de l'oeil.
sensation, qui rend possible l'organisation du
Le comèléonisme, notamment, « faculté de
spectacle et le plaisir. Toute jouissance visuelle
diriger nos yeux en divergence Ou louchement.
suppose le'pouvoir merveilleux de rapprocher ce
volontaire, et variable, n'oterait rien à la grâce
qui est distant,'-d'aligner ou de relier ce qui
. habituelle du regard convergent, qu'on repren-
existe séparé. Ses conditions sont bien celles de
draît à volonté. Elle serait d'une prodigieuse
la pensée. Mais celle-ci est présumée capable ,
utilité, pour,lire une partition, pour: chercher
d'infini tandis que le. rayonnement de l'oeil est
quelqu'un dans une foule, inspecter deux lignes
limité et que l'acte de voir implique la tra-
de procession à ja;fois ». Et l'humoriste pour-
versée,, le passage dans le monde, d'un certain
suit.; « combien ;.,il: est à. désirer/que l'état
désir ou d'un manque. /
sociétaire, vienne-dans cette fonction opérer le.
La distorsion, pourtant, n'est pas aussi transfert du çaméléonisme, purger les. âmes de
absolue,: irrémédiable qu'entré l'esprit et le
leur duplicité, et.transporter la double action de
l'âme à l'oeil »/(19). ;. ..-:-/:-'•
corps, puisque, lé./regard; creusé j'hprizoh qui
:.

recule à mesure qu'on approche, et que, dans


ce champ extensible, il approfondit sans cesse- (18) Fourier, Oeuvres, t. IV, p. 389.
de nouveaux rapports. Cependant alors, qu'à (19) Fourier, Oeuvres, t. IV, p. 360, éd. Anthropos,
partir des correspondances ; saisies, la censée Paris. '/•;.'' -
>"/. -_;'
59
simone debout la ville de transition

Il s'agit, bien après quelques générations ouvriers habitués au théâtre et à la musique,


de perfectionnement, de rendre l'âme ductile à figurent dans les choeurs) ces dispositions « con-
l'oeil et aux autres sens, car si le visuisme ouvre tribuent le plus à rapprocher le peuple et les
une voie la plus rapide c'est précisément par grands. Or ce «ralliement» est nécessaire au
son aptitude à se composer avec les autres bien social : il initie les pauvres aux plaisirs et à
ressorts, qui n'en gardent pas moins leur valeur la liberté au lieu de « les hébéter et fataliser».
propre et pour certains, éminente. Ce qu'un Quant aux riches ils ne le sont « qu'à demi tant
texte, publié tardivement dans la Phalange, met que le peuple est pauvre » (20). Par exemple
en relief à propos: «du garantisme d'ouie ». « un riche peut se garantir.de beaux points de
Fourier revient d'abord sur une remarque préa- vue dans son palais I...I mais, s'il veut sortir, il
lable : « les blessures de la vue ne sont pas le ne pourra éviter l'aspect dégoûtant des sales
seul inconvénient de nos villes civilisées, où l'on édifices du peuple, des rues boueuses, de la
trouve à chaque rue quelque fléau des oreilles, populace en haillons (21). Fourier fait avec le
ouvrier ou marteau, marchand de fer, apprenti sybarite une épreuve comparable à celle du
de clarinette, brisant le tympan à cinquante Boudha, prince comblé qui, à sa première
familles du voisinage ». Certes dans une ville où sortie, rencontra la misère, la maladie et la
les fonctions sales et bruyantes sont bien isolées mort. Mais les conséquences qu'en tirent le sage
des paisibles, on éviterait ces tourments ; mais. et l'utopiste sont inverses. L'un renonce à tous
ce n'est qu'un premier degré. On n'échange plus les biens sensibles et à la vie même; l'autre
les hurlements du vent, ou des bêtes sauvages, veut secouer la torpeur des pauvres^ réveiller les
contre, des bruits plus blessants; on jouit, sous désirs, pour changer le monde, « garantir » Je
les arbres de la cité, du chant des oiseaux. Mais bonheur et la liberté de tous. Son,défi porte
il reste, à s'assurer les plaisirs de'la musique.et contre le retrait hautain, les lois coercitives (qui
du beau langage. Or,.« la garantie du langage est n'obligent d'ailleurs que les pauvres) et les
une des dernières qu'on puisse établir; elle ne doctrines utilitaires. Mais il centre son attaque
peut commencer qu'à l'époque où le peuple, contre ces dernières, désormais plus redoutables.
pourvu du nécessaire I...I et rentré: en grâce Il a fort bien compris la collusion de la raison
avec la classe riche I...I, prend le ton du peulpe et de l'utile et ses dangers. En séparant l'agréa-
d'Athènes ». Ce n'est pas l'instruction, la multi- ble de l'utile. « on n'arrive ni à l'un ni à l'autre.
plication des écoles qui peuvent remédier à ce On tombe, comme le peuple anglais dans
vice (du jargon) mais le ton » : qui tient lui l'extrême pauvreté à force d'industrie (22).
même aux garanties matérielles et spirituelles ou « Aux lois morales austères.ou rationnelles, qui
passionnelles. Lesquelles sont toutes liées entre répriment la jouissance et le sensible, il oppose
elles. D'où il suit que toutes les garanties sen- un accroissement indéfini des plaisirs sensuels.
suelles entraînent le progrès social, mais plus ou Fasciné depuis toujours par les raffinements des
moins rapidement. Avec le visuisme on peut « grandes dames de Paris » ou des « courtisanes
tout changer en 2 ans « tandis que les diverses de bon ton », il recrée une morale, qui se
mesures de garantie, entre autres celles de moque de la morale et nait, te! un plaisir
l'ouie, s'achèveraient à peine en deux généra- raffiné, d'une transformation de la sensibilité et
tions ». Néanmoins elles sont toutes liées entre de l'être.
elles et si on « spéculait sur le moyen L'essor combiné des 5 sens détermine une
de donner l'oreille musicale à la nation complexité des relations, telle que chaque
la plus fausse d'oreille, aux Français ». citadin se fait annoncer par l'autre son désir.
les méthodes pour y parvenir seraient en même
temps voies de progrès social et d'achemi- (20) Fourier, Oeuvres, t. XII, p. 710.
nement à d'autres garanties». Et, une fois (21) ibid p.691.
réalisées (comme il arrive à Toulouse où les (22) Fourier, Oeuvres, t. XII, p. 716.

60
Simone debout la ville de transition

Les images de'la ville, lui renvoie son propre composée » dirigent leurs mouvements, selon
visage inconnu et,, dans cette.ouverture mobile l'Harmonie, des besoins vivants au plaisir des
au monde, il découvre son autonomie avec celle couleurs, de là musique et du beau langage. La
d'aùfrui..-«:..La duplicité d'action sociale », l'envie liberté alors ne sfexerce; plus contre la nature,
et la haine des pauvres,;le mépris et l'injustice des mais à partir d'elle et au delà. Lès figures de la
riches se .font progressivement accords et com- ville garantiste récusent les systèmes cruels. Mais
munion/ Dans, la trame toujours plus serrée du tous -l'es-' systèmes ne spritTls; pas cruels,: la .
tissusoeial où chaque différence en révèle d'au-, logique du diable comme, celle.des églises, ..et
très, lés discords deviennent émulation:,. Celle de Fourier peut-être?

Des liens plus nuancés et profonds sup- .Il/déboute,, quant a lui, ses propres rai-
plantent peu 'à peu .les affronts, à la fois IL affirmait. qu'il existe pour chaque pas-
; sons.
superficiels et massifs, et les rapports de vio- sion un théorème ou. une .figure géométrique ;
lence blessent comme une laideur, La révolution : qui en dénonce les "propriétés; et/la destinée.
Or
de la sensibilité entraîne une révolution totale' les .figures de la ville, sensibles et.nonrnathéma-
et irréversible, car lés. raffinements acquis cons- tiques, ordonnent l'essor des sens en préservant
tituent'uri bien inaliénable,' ce que .l'économie le devenir imprévu, Ex-pressions du désir et non :
bu le pouvoir ne sauraient reprendre/ni dévoyer. des' ;seu!s .besoins,; elles attestent tin pouvoir:;
:
Le peuplé n'est plus un zéro : (appelé à devenir -symbolique qui ; débordé les significations;;; ;
tout), il s'est rallié aux riches' et aux. grands .nulle ne. les contient et.;ne les rend inutiles-
jusqu'à faire éclater les anciennes séparations de Elles /restent a voir, sentir; toucher, entendre et
Tordre social,: Certes, reconnaît Fourier:; «avant, c'est leur perception qui relance, de; nouveaux
.de songer à rendre le/peuple -musicien/il: faut schemês et /suscite; de nouvelles/associations,
pourvoir d'abord à sa subsistance ». « les garan- ;.'d'autres, symboles. « Coordonnées au bien et au
ties du nécessaire doivent avoir le. 1er pas ». Il -charme de tous », ductiles, aux tensions dont
faut loger, vêtir le peuple avant- de l'initier aux elles sont issues,; lés structures symboliquescol-
arts. Et cependant ne jafnais séparer l'utile dé lectivès du «Nouveau Monde » ne s'imposent
l'agréable. Contre le mythe de l'action efficace,
pas sans appel à l'individu.: Elles.l'incitent à les
l'utopiste restauré les vertus de la fête/des développer, selon leur poussée propre.
Chants, des danses et du spectacle. A l'opéra,
dit-il, chacun devient artiste et l'artisan, de. son Ainsi, pour être fidèle àl'essor combiné
propre ; destin ; libre de corps et d'esprit il: des sens, on ne transgressé pas seulement les
s'accorde par plaisir aux mouvements des autres lois morales mais celles de la raison. La ville
danseurs;ou:chanteurs. •-,' ; .--"-
; - garantiste se situe Outre loi ; non qu'elle exclue :
7 Et dé même la nouvelle cité
procède du les formes mais elle les accorde au-dynamisme,
jeu des ressorts sensuels, capables à eux seuls de sensuel, et à ses pouvoirs indéfinis de cons-
créer'.la beauté et l'accord des différents. Alors truction et décoristruçtion. L'élan,passionné! rie
que l'amour risque toujours d'aliéner l'amant à s'oppose, pas à la forme; il l'investit et se; la
l'aimée, les sens projettent leur force interne sur subordonne. Il la fait, bouger alors que toute
les messages du réel pour former le monde. forme fixe,, unique, aboutit à la domination d'un
Voir, entendre, c'est déjà, faire, et ces «.res-. maître ou d'un groupe/la mobilité, la diversité e.t
sorts » que nulle acmé rie détend se Conjuguent la liberté vont de pair. La ville d'Harmonie
entre eux et avec l'énergie dé tous dans l'espace .
remodèle les choses pour les adapter aux devenirs,
et le temps de la ville, l'histoire et les oeuvres. qui la transforment, et dans cette circularité
Préliminaires de liberté, ils se moulent.sur heureuse elle reproduit des processus créateurs de
l'instant à ce qui leur est proposé, et la ville est la nature et de l'art, le jeu « hyperrationnel » du
leur éthique. Les belles lignes de « l'architecture « Dieu feu, nature, passions ».

61
Simone debout la ville de transition

Par l'essor combiné des sens on découvre L'utopie dès lors n'est pas une înoffensive
des rapports qui.,,échappent à la logique et dont rêverie. Elle agit sur les contenus,, tout comme
lés symboles ne sont/jamais, entièrement les fêtes et les jeux. Elle ne Sert pas le seul
élucidés. Mais leur marge d'ombré,-" leur mystère Fourier, (et ses critiques), qui trouverait en ses
est une réserve d'avenir, que les discours savants chimères un/équilibre intérieur. Elle se propage
éludent et mutilent. Les:images de la ville insidieusement pour peu qu'on en; répande les
n'ébauchent pas un "plan exhaustif/, non plus fleurs et les fruits. C'est une image à décrypter,
qus l'utopie de Fourier ne prépare une théorie ; un- symbole à vivre/et à Continuer; au même
qui l'intégrerait et la surmonterait.. titre que ceux de la ville et de l'art.
Et une image triomphate né les résume Le rêve, de Fourier fait surgir d'autres
,
pas/d'avantage. Fourier ne donné jamais une mondes possibles et, avec la ville garantiste, qui
description, ni une vision unique' de la ville, ou , contient toutes lès autres yilles,run rêve devenu
..de ses projets mais une profusion de variantes pierres. Les événements par la même y sont
inépuisables. Et chacune d'elles, faisant affluer tissus d'intérieur et d'extérieur et dans l'espace,
.d'autres échds, est grosse d'une aventure nou- intensément chargé de tous les désirs, les ren-,
yelle, ; ;
V" '-,;"- contres ne sont plus.des hasards absurdes mais
.La ligne, qui oriente l'ensemble, ne se «ObjeCtifS;»,';;-:,/ ,,..: ':. ",„,;'/; .':-
,
:
'-,
dégagé pas moins de çhaqUé.dëtail qui en exalte : / A travers la; forêt des signes, non pas
':, les possibles./ Mais les symboles concretsJ ne anonymes comme ceux de la nature mais lourds
.renvoient, pas tant'à des, signes désincarnés,' d'intentions, les citadins rie cherchent plus à
interchangeables et à /leurs combinaisons,qu'au tâtons leur chemins. Ils;, transforment la fatalité
signifié, à/ ces/ ressorts sensuels dont la compo- aveugle, .lis se font, Dieu, Dieux aUx pieds
sition même, ou l'ordre générateur, échappe à d'argile, que: l'indifférence de la nature; peut,
la raison,.:; .:-:,.": ';/,'-."-
"; ;."-••' ':.•
-
{' ^ . certes; accabler /les volcans, parfois, -oul.a
.Fourier peut bien; imaginerles chiffres qui" tempête,-renversent les villes. Mais le défi est
sous-fendent l'âme; humaine, les gammes, les relevé. On les reconstruit et on cherche même
couleurs et tout ce qui existe, il n'explique pas du hautdes tours à comprendre le voican et à
le /rayonnement des sens, leur pouvoir de maîtriser la tempête-."La-ville de. transition est le
pénétration, ni, les correspondances ou les pas- médium/des forces naturelles et passionnelles.
sages merveilleux de; l'un dans l'autre. Et si la L'homme y est moins perdu et le conflit avec la
foce qu'ils composent, ensemble est capable de nécessité se fait moins abrupt. A travers là ville
,
•soulever le monde naturel et social elle change garantiste on puise la confiance pour aller plus
le statut de la. vérité .-avec celui de la réalité. Le loin apprivoiser les monstres : Fourier prévoit
vrai ne provient pas des raisons mais d'un les petites bandes et les petites hordres » des
travail du désir et sur le désir. allées fleuries et des « trottoirs à zèbres ».

62
alain pessin
la parole et la ville
henry torgue

Deux particularités caractérisent cette expérience de recher-


che actuellement en cours à Grenoble : le projet d'écarter momen-
tanément l'incidence de la ville sur la parole, et l'utilisation de
cette parole subjective pour une contribution à une méthodologie
dans la recherche urbaine.

I. La limite entre la formation d'un chercheur sant peu de place effective à la spécificité du
et son entrée en activité est loin d'être franche nouvel objet qu'elles s'annexent. L'analyse mar-
et s'étale parfois sur plusieurs années que vient xiste se/situe un peu à part ; certes la place
.distraire la thèse. Entre la pariorama;que propo- d'un imaginaire est prévue, mais réduite et
sent les études de la nécessité d'une production, déterminée par le statut privilégié d'un des
se situe ce moment transitif où l'apprenti- facteurs sociaux. Tout dynamisme lui est ôté.
chercheur. aimerait éviter de séparer trop net- En édifiant un système, cette perspective débou-
tement, ses modes d'expression familiers et le che directement sur le possible blocage techno-
discours qu'il est amené .-à produire sur son cratique.
objet d'étude. Cette volonté d'unité de la per- Un nouveau champ, lorsqu'il n'est pas
sonne se conjugue en cette période, d'une nié — ou simplement oublié — se trouve dans les
certaine lassitude, devant la fuite incessante de faits annexé à une quelconque perspective parce
l'objet d'étude en général, de l'urbain en parti- que toujours considéré dans un statut théo-
culier. La formation n'est-elle précisément
pas rique. Pièce d'une construction systëmique, il
cette, fugue des approches de l'objet urbain devient ce casier sans contenu, ou. dont le
produisant une pluralité de discours qui ne se contenu n'est pas considéré comme en mesure
rencontrent pas ? de corriger, de renverser, voire d'anéantir la
Le texte sur la ville parcourt la littérature perspective. Lorsqu'une certaine vulgarisation
sans jamais la fixer, terrain vague des sensations l'entraîne dans le langage à la mode, ce champ
et émotions du poète comme la nature le fut en nouveau (urbain ou imaginaire) sert de caution
son temps. Plus précisément, le phénoméno- morale à une prise de position politique, direc-
logue la contourne, la pénètre, débouchant sur tement liée à la vieille sociologie humanitariste,
un discours-puzzle polychrome. Dans l'un et toujours en quête de nouvelles justifications. De
l'autre cas, littérature et philosophie, la ren- plus en plus rapidement, ce processus débouche
contre d'une sensation et d'un verbe constitue soit sur une répulsion vis-à-vis de toute recher-
l'unique méthode d'appréhension. A l'inverse, che, soit sur l'aveugle sécurité qu'offre la;
lesdisciplines à vocabulaire spécifique ont lar- technologie à outrance. Entre la rêverie totale à
gement tendance à. propager leur syntaxe, lais- partir de l'objet d'étude, et. sa réduction inopé-

63
alain pessin la parole et la ville
henri torgue

rante dans l'opérationnel du chiffre, l'éventail faire rendre raison à la ville, s'il faut dire à leur
est ouvert et le choix s'impose au chercheur- propos : « la ville, ça n'est pas que cela ! », il
débutant. faut accepter de dire aussi que ce n'est peut-
être pas beaucoup plus, que c'est peut-être
II. Pour rendre compte d'un champ social, il est moins.
nécessaire de conserver au maximum chacune Le tracé de la parole que nous qualifions
de ses composantes sans pondération de quel- de subjective sera d'investir la ville, de la mar-
que sorte que ce soit. A priori rien ne doit quer d'un poids illégitime, non social : ni raison-
donc être supprimé. Mais rendre compte d'un nable, ni élaboré par les habitants eux-mêmes,
champ social ne signifie pas obligatoirement ce texte en sera presque l'antithèse. Le premier
produire un discours sur, en parallèle, opérant acte d'une telle parole sera de vider la ville de
une traduction en langage scientifique d'une son thème sociologique, de la source théorique :
réalité qui s'exprimerait en d'autres langages. Ce le recours à la parole subjective écartera provi-
peut être également provoquer cette réalité, soirement la ville « cas social » et le débat sur
l'habiter comme partie intégrante, faire corps la spécificité sociale de l'urbain. Elle fera de la
avec son langage propre jusqu'à accepter d'iso- ville l'aventure et l'incertitude d'un manuscrit,
ler ce que la ville parle en nous. rien d'autre. Et c'est ce manuscrit et lui seul
Le premier principe de notre démarche qui rendra à: sa manière la ville au débat
est. d'opérer un glissement de contenu, une
théorique.
expérience magique, surfaite, de débordement 'Pratiquement,' notre recherché se déroule
par l'intérieur dans le statut de l'imaginaire en deux temps distincts;, dans un premier
pour tenter de le faire éclater. La construction temps, l'un de nous écrit un texte à caractère
théorique générale sur la ville, quelle qu'elle poétique avec pour prétexte une réalité urbaine,
soit — sans entrer ici dans une discussion de son texte repris dans un second temps par l'autre en
contenu, mais prise dans sa généralité de savoir vue d'introduire des références, de répertorier
abstrait, de contenant présentant à un moment les images choisies, de proposer une lecture
donné.une certaine pesanteur sur toute démar- particulière. A la totale liberté dans la subjec-
che réflexive ou imaginative — devra être ici tivité du premier correspond le désir subjectif
forcée, contrainte à jouer un certain risque en d'objectiver du second.
face d'une capacité à la démesure que l'on La récente réalisation de la Villeneuve à
attribue arbitrairement, souverainement et sans Grenoble a fourni le prétexte à notre démarche.
contrôle à l'imagination des villes et dans les Prétexte choisi sans passion, presque au hasard,
villes. qui présentait l'avantage d'être sans passé, de
D'une certaine façon, expérience, puisque commencer à vivre à l'instant où nous enga-
nous isolons encore un élément de la construc- gions la recherche, même s'il était l'objet,
tion pour refaçonner une totalité à partir de autant et plus peut-être que la ville ancienne,
lui, expérience falsifiée, puisque cette totalité d'une conscience mythique entretenue depuis
aura pour support un privilège, une irréalité et plusieurs années.
qu'en fin de compte, cet élément surfait ne sera La Villeneuve de Grenoble est donc choi-
mis à l'épreuve que de lui-même. Il s'agira sie comme le lieu, le réfèrent du premier texte,
surtout, au terme d'un « essai », de situer quel- d'une unité d'expression, nécessairement et
ques articulations qui vont définir le statut de volontairement discordant. Il ne s'agit ni de
la parole quant à la ville. Si l'on tient pour faire le récit d'une vie particulière à la Ville-
insuffisantes — voire inadéquates irnmédiatement neuve, ni de tenir le journal d'un voyage à la
en raison de leur caractère totalisant, systé- Villeneuve, ni de rendre compte d'une expé-
mique—les constructions théoriques voulant rience de dérive, ni surtout de pratiquer l'ethno-

64
'alain pessin la parole et la ville
henri torgue

logie spontanée de ce lieu social. Le texte est la ville .ne -se livre qu'au travers dés, textes
volontairement mutilant, puisque subjectif et indociles, inadéquats, de forme ancienne mais
.
sans souci de description; falsifiant puisque irréalisée jusqu'alors, fausse mémoire découverte
s'élaboraht comme texte, comme totalité lisî-. dans la rencontre des configurations présentes,
ble ; il est vain de lui donner une autre signifi- mémoire qu'il faudrait fuire ou ëtreindre,, il ne
cation que celle-ci : usage de l'écriture à l'occa- sait trop, pour;rejoindre son projet.
sion d'un rapport artificiel avec-la Villeneuve.
Son projet demeure; la plus totale inconsé- C'est dans cette zone/de contacts impar-
. faits, aux abords, aUx contours, dans les= pas-
quence, c'est-à-dire une non-prise en considé-
ration d'objectifs quels qu'ils soient, si ; ce n'est sages prévus et immanquables et par là irtaptes
de S'établir comme; texte, le silence authentiqué au .toucher, trop lisses,:C'est,dans Cette circu-
dans la, ViIleneuve étant donc écarté d'entrée lation défectueuse que se -.-' rencontrent plus
pour les besoins de Terisemblede; la recherche tard, après le vagabondage passionné dans la
fausse mémoire, To.bjectjori, ou l'indicé/ du le
et ne pouvant apparaître,que sous,la forme
mensongère d'« écriture du silence »V ; ."; soupçon de / l'existence/pesante: de ,1a ville.
Celle-ci prendra ses rôlessédulsants ou répulsifs,
Le second texte se constitue comme
parfois les deux, ensemble, ville-citèmé, pure
méta-diseours sur l'ensemble du texte poétique,
géométrie, ville-femme, encore à connaître, con-
l'autre chercheur étant Capable de lire de façon quérir, pénétrer;- Et cette conquête se pose
relative les fantasmes Ou référeftces abstraites du
d.'abordebmme ripn-çonnaissance, comme seule
premier,; Le projet de cette lectureâiagonareest expérience possible de déroute Vil, faudra moins
d'articuler lès éléments du discours en respec-
, s'inscrire que se perdre dans la ville, pour s'en
tant sa pôlyvocité, c'est-à-dire "efr introduisant débarrasser, s'en débarrasser d'abord Comme
des références à divers, niveaux •':., esthétique, problème.' :;-';
.socio-politique, .mythique... La parole produite
dans le premier temps déplace la Villeneuve/ .'-.-"'« se débarrasser V .';-.-" ,,,;:''
d'une existence supposée autonome:à une inté- '•:'» ; ruiner l'objet
:
riorisation/appropriation par l'individu. Sa pénétrer
parole est Villeneuve, partielle, côhnotée, fixée d'on:ne sait quel parcours sans traces
;
dans un temps et une occupation arbitraire de
'';- laver laplace qu'il a prise qu'elle a prise,
l'espace. Le. second discours vise à construire qui vraiment
cette. Villeneuve de la. parole comme, totalité puisqu'il: ne,s'agira pas de grands roulis ;
imaginaire de.la réalité sociale.,',-,'
, , , . , il faudra pénétrer ".'''<
,
sans mémoire
III. Le choix de la ville ne présuppose pas son
; et "trouver, son nulle part
,
;.
existence, son aptitude à l'enracinement dans ni plus haut ni plus bas '. ;
l'individu, sa positivité ou sa négativité, suffi-
comme un premier silence » ;'; -.-'.;'
santes. Il n'assure: pas d'une, pertinence de la
"ville. Les premières visités sont donc marquées Dans cette ville, s'imposent les saisons
dé'cette incertitude. La règle du jeu étant plus que les actes, Le printemps survient
.
admise (écrire), le premier acte est de s'engouf- .
comme l'évidence d'un retard irréparable, de
frer'jusqu'aux abords de la ville où les thèmes l'incapacité soudainement définitive à s'intégrer
singuliers, intimes de l'individu écrivant bouscu- dans le système des hommes et du béton. La,
lent les formes fixes de cette ville qui n'est ville n'a pas été prise et doit être cherchée
encore que l'objet d'un choix abstrait. En vou- maintenant à chaque fois, au hasard des.visites.
lant, réaliser l'écriture, il confronte la ville et le Disparue comme ville à prendre,elle nesubsiste
texte, pour traverser la ville comme lé texte, et plus que comme notion de piège.

65

espaces et sociétés n. 15 - 5
alain pessin la parole et la ville
henri torgue

« il n'y a plus de hauteurs impénétrables abîmées dans les pesanteurs des jours
ni de traces closes on va courir l'espace et le forcer à coups
une brume a dissout le cercle de bec, à petits cris de désir
et des couleurs se lèvent nous sommes tous revenus pour des
dans cet hiver qui ne viendra plus démonstrations misérables

on se résigne à marcher au rythme des


jours plus tièdes, on ressortira tout
nos crachats sur les contre-enquêtesparal-
comme après des parties sans entrain, lèles
d'inévitables
la parole brisée, notre impensable manque
matchs nuls sur les mauvais terrains ,
étalé devant lui, le public, ce seul objet
encombrés de
difforme
lampadaires
qui nous attend nous-mêmes remettre le
on continuera le circuit la blouse ouverte compte à plus tard
sans s'étonner des piaillements d'oiseaux de tous les rôles roulés devant nous, une
qui retardent pourtant la sûre progression seule fureur à la peau
du béton et la mémoire
l'affrontement se fera sans crainte des grèves où les corps se jouent du temps
pleine lumière et de la terre
et quelques gouttes d'un sang inquali- des saisons entières sans maudire
,
fiable » et l'amour dans les arbres et les lieux
publics
Ce qui guette et menace, c'est l'enli- cette mémoire intacte
offerte devant lui
sement, le temissement des mots dans les reliefs
l'objet
de l'expérience, de l'inachevé inachevable désor-
seul public
mais, de l'improbable déjà, sombré dans une
attendu devant nous
durée étale, où les mouvements ont lieu à voix
et qui déjà s'esquive »
basse, sans douleur. Il faudra provoquer l'objet,
la ville, l'on remarque en elle son
dès lors que
restera, au terme du spectacle, une
Il
propre corps la certitude de ses gestes, la préci- réalité indécise et incapable, familière et
sion esthétique de sa présence. Se jouer pleine- erronée, où le projet d'écrire aboutit enfin sur
ment devant la ville, |a charger démesurément
ses conditions de départ, sur les termes vrais de
de soi-même, de ses approches comme de ses
sa mise en oeuvre, où la ville s'enfonce dans
propres fautes de parcours, pour, seul, se garder l'étrangeté et la fragilité dans" sa mesuré- aux
encore, peut-être. Et l'individu qui écrit se mots.
retrouve en aide de ses complices, de ses com-
pagnons mythiques. « La ville s'est engloutie dans les spnges
eux-mêmes, tandis que le printemps fait
« Nous sommes tous revenus peser la grisaille et que les oiseaux
avec nos masques gagnent les nouveaux chantiers nous; les
avec nos brides peintes cette fois aux suivrons; et parlerons-peut-être, quand
couleurs de nos amours rêvées s'étendront à nouveau des champs de
et cette tendresse impossible qui s'invente boue et de planches. Il n'y a jamais eu de
et se perd en l'espace d'un visage ville, que la peur de se perdre, que la peur
nos masques vieux d'aventures embour- formidable de se taire entre nous pour de
bées bon, et de ne plus savoir que faire ».

66
alain pessin la parole et la ville
henri torgue

Là ville perdue en route, égarée dans les


:
pour n'en retenir que des images abstraites de
détours de l'hiver et de; l'existence, les com- leur origine. Le second texte tente d'éviter cet
plices se sont perdus avec elle. Il aurait fallu arrêt. Dans l'écriture poétique habituelle, c'est
accorder sa présence à la ville, la tenir apfeà le lecteur ou l'auditeurqui se projette comme
toutes les rencontres, même s'il avait fallu, eh auteur, investit le,: moi et le monde de ses
s'engouffrant en elle, s'y perdre, comme on le fantasmes et dé ses horizons.;Cela reste possible
savait au début.- ;. mais rompt le cours proposé du jeu. Ici, le
second texte s'impose comme: lecteur, va repla-
" .«nous ne nous retrouverons jamais cer le véritable auteur tel qU'il le connaît et le
'•'';-à tout prendre il aurait mieux valu cadre tel qu'il le perçoit dans le texte poétique.
dresser dés cartes '; ,
Ce désir d'objectiver se-propose comme une des
et renier sur elle 'les gares,et lesthéâtres possibles lectures, introduisant des référencés,
renier les liesses de l'été le soir dans les preftant appui sur le premier pour édifier de
festins à .voird'où; l'on .se trouve nouvelles combiriaisbns. Jamais ;il ne le rem-
. place; il; voudrait rie jamais le: doubler. C'est ce-
; il aurait fallu trouver sa route;sans trop,
,,"regarder ;, ;.''-:',/:;;;';-,:-;.:;',;;,;'-,.;";-,'"";'-" risque, obligatoire que nôtre démarche court ; en
nice parcours ni la mémoire " proposant .urieJeçtureparticulière de la /parole;
et n'indiquer que des signes immanquables le second peut la .réduire, la forcer à rentrer
.
dans Un mou le'"trop, étroit, pu au contraire, lui.
nous ne nous retrouyeroris jamais, ; offrir " un> espace/ démesuré. ;,Pour limiter ces
.'.'.,-'. cette ville n'a jamais; eu lieu »V,/,::
écueils possibles, le '.second accepte'de prendre
la même direction que l'e'';, premier, admet de
_" cette ville reparaît, il, faudra rêver d'un;
Si
rectifier, ses Cqhtre-seris éventuels", voire de cor-
jour venir jouer dans ses. ruines. ,'-'
riger ses propres projections,.si celles-ci s'inscri-
vent- par trop; en ; faux. ; Jusqu'à notre ; stade
IV. L'entreprise pourrait être sans; fin. Le pre- actuel; çes: règ.lérhèritatipns ne furent pas néces-
mier texte entraînant le second, puis le second saires. Sans cesse le souci du second est donc ce
un troisième, etc., Notre recherche se joUe double positionnement de l'individu et de l'ur-
volontairement à deux. Le second texte vou- bain, de la Villeneuve et de l'écrivain. C'est
drait éviter la paraphrase. Il ne" doit pas redire dans ce rapport, cette relation de Tétrangeté à
en détruissant la magie : poétique, ni même l'intimité que se révèle peut-être le dire-plein de
traduire en une langue, moins' absconse.. Le la ville en; nous, la parole larvaire révélée par le:
premier, sans.aucune limite, laissait vaquer son contrepoint du second texte. Entre la phrase
.
imagination' dans la Villeneuve, établissant un énigmatique et l'affirmation lapidaire, le second
rapport variable entre elle et lui, échangeant les ne choisit pas: Le ton est lui-même un.com-
paroles, du silence; et tentant sa conquête. Lé promis, Dans le brouillard de ses propos se.
second n'a plus le choix du terrain ; c'est le trahit peut-être la totalité de la parole.
premier texte qui sert de guide, qui décide, des '-..•'--'., Expression de moments effectivement
thèmes, des moments et des lieux. Seule marge vécus; le premier texte; posé ' saris cesse ;en
de liberté : l'admirable imprécision de la dési- filigrane les problèmes afférents à la situation
gnation poétique qui permet à son interlocuteur par. rapport à un cadre bâti. Son extériorité,
d'exister plus qu'en simple spectateur. Dans les vis-à-vis de l'individu, la nécessité de le pénétrer
traces; du premier, le second se place à son tour pour: le saisir entraîne" lé visiteur à une démar-
avec pour propos de réintroduire son auteur et che qu'il ne souhaite pas.forcément Mais après
son prétexte. On pourrait en effet considérer ce avoir tenté de contourner l'objet, il faut bien
texte poétique comme clos, oubliant, les mo-; s'y installer puisqu'il est avant tout /une
ments d'écriture et le cadre qui parle en lui
.
machine à:habiter. J

67
alain pessin la parole et la ville
henri torgue

Extraits,du texte 2 : ferment, en même temps que les tragiques


libertés, viennent les attentes et les
« Le « je » s'introduit dans la parole après ;

l'impossible généralisation du : contour. anxiétés dans cette cellule. : plus nue


.La Villeneuve est pénétrée, habitée et qu'une gare vide.
non évitée. Seul donc, l'étranger devient - •'•.• .../...
.

« je » et se retranche dans un isolement -Un matin, le: solitaire décide de pénétrer


qu'il sait,construit et vide, tourné aveuglé- enfin le dedans, lise rend à la Villeneuve,
:
ment sUr soi mais qui lui permettra mais le jeu du soleil le retient au dehors.
peut-être de saisir l'objet dans le vivre. Le La façade ondulée se" sépare en deux
; lieu de cette retraite sera le. couloir. parties : d'un côté l'aspect d'un sympa-
/ Le lieu de la solitude se, trouve .parado-
thique décor.bourgeois, gai dans le soleil,
xalement être le lieu du passage. A-priori, décorateur'de l'espace, de l'autre côté,
le couloir est carrefour, jonction,; ren- l'ombre qui révèle encore le gris du béton.
contre, a-priori, c'est-à-dire selon les codes La. division de là lumière rie semble pas
habituels. En fait, la transition qu'il spa- s'opérer sur le même matériau ; selon
tialise d'un lieu à un autre ne supprime, l'éclairage, la façade elle-même, et son
pas. laséparation dont il est à son; tour.
vécu apparaissent: différement. Au soleil,
la matinée du dimanche s'étale, pleine de
; victime. De lieu possible de rencontre, il :
.dévient lieu réel de distance, de/croise-: l'absence/ du travail quotidien/ avec ses.
'V; ment de directions sans lien entré elles, bruits en secousses, ses déplacements
.
en
; labyrinthe canalisateur du, flux dé soli- cravates ;ou ses mécaniques en réparation.
De l'autre côté, il y a le quotidien erive-
, ,tude.,- /.
Le couloir a/son .cortège: d'affiches, d'an-r ; l.oppé de, gris malgré, les .peintures' de
,
gles et de lignes, de lumières,; de graffitis couleurs vives, cycle, des habitudes sans
,,:
faille, 'englobant, l'imprévu comme par
; et de portes. Il est l'intermédiaire entre
; les.signes d'une yiecollective proposée et exemple l'enquêteur énigmatique devenu
.les indications d'une répartition collective ici quotidien. Le gris souligne aussi le,
,
réelle. Réunions, spectacles, produits caractère inachevé du cadre. Non seule-
agglutinent leurs publicités, aux portes des ment le non-fini porte sur ce qui reste
. effectivement à bâtir, mais aussi sur le jeu
ascenseurs, proposent une .participation,
réclament une réponse. En. contrepoint, des lignes qui ne clôt pas encore assez le
l'alignement, des boîtes à lettres, les graf- domaine et; laisse; apercevoir le prolon-
.
fitis rapides et les papiers en mégots gement lointain delà construction. Ce qui
' témoignent du caractère impersonnel du est efficace au soleil .pour, l'illusion du
.
couloir. L'adulte ne s'approprie pas le Spectateur n'est que redondance du quoti-
clien. lorsqu'il est placé dans
l'ombre ;
.
couloir; il est déjà trop compartimenté ,
parachèvement du construit par l'om-
pour étendre son domaine, au-delà se ses. bre... ».
limites. ' Seul écart; il prolonge parfois ; ',

l'entretien de son domicile jusqu'à une
,
opinion, sur la propreté'de l'extérieur, V. Cette prise en compte du quotidien,: du
ultime pointe d'engagementsur le monde. matériel — les/ascenseurs en panne,,le non-fini,
Si les,portes de la coursive s'Ouvrent en. mais aussi les attentes, les parcours brisés,, les
même temps, le couloir devient salle de enquêtes multiples auxquelles on devrait répon-
: jeux, difforme et merveilleuse. L'enfant dre, le lent travail de la Villeneuve pour se faire .'
éclate en des cris anonymes que chacun ville, et non seulement ville habitée, cité-dortoir,
reconnaît pour sien. Mais si les portes se à deux pas de la « vraie ville», mais ville

68
alain pessin la parole et la ville '.
henri torgue

pleine, centrée sur.elle seule, ville animée, avec A, partir dé là; nous sommes en;présence
/tout ce ;que peut signifier; aujourd'hui cet d'un double discours particulier,portant sur la .
adjectif-- permet ; à cette double approche de Villeneuve et;d'éléments.à l'usagé de la recher-
ne: pas manquer le vécu lui-même. Celui-ci a dû che urbanistique. Il ne s'agit pas de mettre l'une
.s'imposer comme vécu particulier dans le ou l'autre méthode ;à l'épreuve de la seconde,
, .
premier temps de la démarche, et il peut revenir mais desavoir comment au; sein/de ces deux;
comme pont entre,théorie: et pratique/dans le processus de connaissance se situe le. Concept ou
Second. Ce dernier pourra d'ailleurs avec: utilité la notion de ville.. Plus que les autres milieux
noter les «évidences manquantes», les points d'étude, la ville se prête/au jeu d'une recherche,
marquants de cette conception urbaine, ses nou- qui permette, par la multiplicité des 'genres
veautés, tout ce qui s'attache à son nom et à d'investigation, de fouiller la quotidienneté.
son. mythe, et qui; précisément ne reviennent vécue. Autant; que. l'élaboration .de concepts,.
pas dans lé premier texte ; et s'interroger l'objet urbain nécessite pour'son approche une
d'abord, dans ce .questionnement sur le rôle méthode non édifiante d'une réalité stable, mais
.
possible d'un usage de l'imaginaire dans.une "•'répondant•"'.dans' samouvance- à la, totalité
recherché, sur la ville; sur la possible relativité ambiguë que l'on suppose être le réel. Par le
dé l'intérêt dans la pratique vécue de telle ville, discours poétique, c'est,l'évidence du mot, sa :
d'éléments matériels ou, sociaux qui, dans la souveraineté dans sa justesse où, sa fausseté qui
composition de. cette ville, apparaissent au pre- çoricoùrrent à la migé en oeuvre d'une saisie dés
mier abord, comme, ses centres d'intérêts théori- .parcours urbains d'où; peut ..ne pas être exclu le;
ques ; reposer donc sur la ville:de.vieux problè-. .quotidien, irrationnel, passionnel, maladif, La
...
mes de méthodologie sociologique, prénotion$,; ville productrice des/signes de son irrationnaljté
inductions,etc.;. comme de sa rationalité, nécessite l'appréhension
;Le troisième temps de nôtre recherche par un délire comme par une raison. Mais entre
sera en effet celui où nous approcherons des
les deux pas de."•séparation"; la division est
conséquences théoriques puisque aussi bien l'ur- '.. extérieu re à la vil le, provient dé cette! misé en-

baniste pourra considérer qu'il n'y a jusqu'alors système réducteur de. l'objet d'étude en, le
que production d'un texte supplémentaire sur la vidant de toute substance pour le,construire
sa
ville, particulièrement inopérant et vide, de; en termes abstraits. Le concept doit rejoindre le
toute conséquence pratique. Nous rechercherons verbe. Le'but de ce troisième temps de la
donc les notions-Clefs, ou plus simplement jès recherche. est précisément de tenter Cette con-
termes articulatoires du. discours delà recherche frontation. • importe de savoir comment nos
11

actuelle en urbanisme, qu'ils soient jugés où textes, produits dans le prétexte de la ville
intègrent, ou rejettent, approchent, et de quelle.'
non d'ailleurs par ceux qui les emploient
façon, ces. éléments de la recherche Urbaine et
comme essentiels ou même comme d'une ^
façon ou d'une autre explicatifs/mais simple- sociologique actuelle.
— .
ment en tant qu'ils sont présents dé manière Par/ailleurs, la situation d'écriture choisie,
extrême ou excessive,, pour une finesse pu une telle;qu'elle fût évoquée précédemment comme
beauté de langage ou dans les.redondances, les obstacle, permet à son tour de. ramener l'expé-
emplois parfois quasi/obsessionnels. Il va de soi rience à sa dimension épistémologique, A tra-"
qu'au moment où l'urbain tend à rassembler les vers le choix-de la ville pour l'écriture d'Un
différents pôles de, la, recherche en sciences texte; et la réalisation concrète de celui-ci, a pu
sociales, sinon dans Une grammaire collective, être mesuré le risqué de non-réalisation, d'ina-
du moins dans une polarisation à son endroit, chèvement, de contours, d'usage "de faux-
.
ces notions ou mùts-clefs auront trait aux diver- ' fuyants, qui doit réactualiser au terme de la
ses disciplines en présence dans le débat. : démarche, la question de la pertinence de

89
alain pessin la parole et la ville
henri torgue

l'objet-problème choisi. La Villeneuve s'est-elle peuvent être traitées comme imaginant, se sou-
présentée à nous comme ville ou non comme venant..., il faudrait savoir comment s'enracine
ville? A quel titre existe-t-elle dans notre dis- dans le tissu présent des populations urbaines et
cours ? Quand le prétexte a-t-il pu imposer son des passagers solitaires cette efficace sociale
opacité, sa totalité signifiante, quand a-t-il dû passée, cristallisée, mais aussi potentielle, et
rendre le texte à l'intimité du visiteur, dès lors ainsi rechercher le point exact de l'existence
visiteur de nulle part, passager indifférent? Si possible de la ville, telle qu'elle peut être vécue
la parole sur et dans la ville permet peut-être collectivement.
d'approcher une parole de la ville, si les villes

70
françois pelletier quartier et
communication sociale
perspectives pour
une anthropologie urbaine

La définition d'un quartier est chose peu cience "sociale » du groupe, c'est-à-dire l'en-
aisée : il suffit pour s'en convaincre de parcourir semble des « catégories mentales » communes
n'importe quelle production du discours urbain aux membres de ce groupe: elles sont «pro-
duites» par l'existence sociale; en tant que
pour voir la rhétorique hésiter, tenter une impos-
sibleconciliation du cellulaire et du tissulaire (1 ):, telle, du groupe comme unité, et elles « produi-
pratique qui peut être prise pour un indice très sent »; le groupe lui-même : elles sont condition
sûr de l'indétermination dès cûnceptëurs de la de possibilité de la circulation d'une infor-
réalité urbaine, La détermination « pratique >> mation à l'intérieur du groupe, et donc sont
par << Unions de quartiers\y> est aussi peu sûre : on supposées dans son existence, et dans un autre
pourrait croire qu'issues de la « volonté popu- sens elles supposent le groupe social comme
laire », ces unions se définissent par. un consensus virtuellement réalisable en tant• qu'unité'.inter-r
social suffisant pour assurer une certaine unité : subjective, c'est-à-dire, dans le cas qui ..nous
en fait, il n'en n'est rien, et un examen attentif intéresse, au moins réalisé gépgraphiquerhent.
des conflits et des lignes de force qui viennent à
jour lors : des assemblées de telles « unions » Sur la base de ces présupposés, on peut
montre bien; qu'ils sont identiques; à ceux qui examiner quelques cas de quartiers ; leur niveau
existent aux autres niveaux institutionnellennent de structuration par rapport à la ville, et au
définis dans la réalité sociale ; et que, par système plus général des comrnunications.
conséquent, les conflits étant les mêmes, leur Il y a des quartiers dont la détermination
actualisation sous cette forme précise n'est pas géographique et sociale indique un consensus
significative d'une spécificité du « quartier ». qui n'a jamais besoin d'être défini, car il fonc-
Lorsqu'on fait référence à la détermi- tionne toujours implicitement, il n'est pas dit:
nation par « Union de quartier», on renvoie sa seule expression réside dans sa matérialité :
implicitement à une certaine définition du grou- «ce riiveaù de signification » est certes intéres-
pe social, qui fait fond essentiellement sur le sant, mais pas directement l'objet de la recher-
« consensus interindividuel;». Ce qui définirait che, puisqu'ici il est essentiellement question
ainsi un «sujet collectif», ce serait la « cons- des relations entre les significations telles
qu'elles sont élaborées au niveau intersubjectif
et celles qui sont « lisibles » dans la matérialité
(1) Pour faciliter la lecture de ce qui va suivre, on du cadre de vie » ; à la limite; la détermi-
';.«
peut indiquer comme références, repères bibliogra- nation sociale de tels quartiers résiderait dans
phiques : J.Baudrillard, Pour une critique de j'écono
mie politique du signe, Gallimard, 1972. l'énoncé du montant des loyers, de la cote
G.Durand, Les structures anthropologiques de immobilière. On peut supposer que le peuple-
l'imaginaire. Bordas, 1969. L.Goldmann, Introduction ment y est stable, d'une assez grande Uniformité
à la philosophie de Kant, Idées-N.R.F., 1967. M. Maf-
sociale (revenus, modes de vie), quel que soit le
fesoli. Histoire et utopie, in « L'homme et la société »
N. 31-32, pp. 149 et sq. Il va de soi que ce qui est dit niveau, de vie moyen des habitants du quartier.
ici n'engage en rien les auteurs cités. Mais justement le consensus est en lui-même

71
français pelletier quartier et communication sociale

tellement peu «parlé» par les habitants que la tent est soumise à de curieuses distorsions. Le
circulation de l'information s'y fait par les quartier peut bien se définir par rapport à
canaux mêmes du circuit général (télévision, l'extérieur (On est à la Ville-neuve), mais il
téléphone; journaux; etc) ; autant dire qu'en ce manque un petit quelque chose à ce vivre-
cas, il est parfaitement vain de vouloir définir la ensémble : tout simplement une fin qui unifie
particularité d'un quartier à l'aide des seuls les pratiques partielles (par exemple, des quar-
présupposés exposés ci-dessus, en termes de tiers plus traditionnels gardent la trace d'une
«conscience de groupe » ou de «catégories organisation collective d'activités individuelles,
mentales », puisque celles-ci sont soumises au comme le groupement dans une rue d'un corps
mode de communication générai; il semble que de métier). Aussi on peut contempler un im-
ce ne soit qu'à partir d'une étude sociale difté- mense agencement de moyens destinés à favo-
rentiëlle (comment l'information générale pénè- riser ;. J'éclôs.ion d'un vivre-ensemble complè-
tre dans ces milieux, comment elle y est perçue, tement dépourvu de contenu, abstrait : s'y
transformée, etc...) qu'on puisse circonscrire dés « logent » alors ies idéologies de Ces: moyeris
« quartiers», méthodes qui supposent à peine la érigés en fins technologiques, technocratiques,
référence.à ce qui peut être,dit dU quartier, à ete:.. et les pratiques séparées des fins, telle que
l'intérieur du: quartier,.. l'action militante. Ici, donc, aucune saisie du
..
quartier en termes de consensus collectif n'est
Un autre type de groupement social, à
possible, puisque; justement ce consensus, en
partir de la/définition, géographique,,; peut être,
découvert à l'oeuvre dans le -.phénomène"; des tant qu'il est i.'ha'r'mpnis'atipri'-de' moyens et dé
Villes-Neuves. Pour, peu qu'on y prenne garde, fins, est tout bonnement absent,: étant donné
l'absencede fins(2).
on perçoit une bonne volonté; infinie de la part
des prompteurs de telles entreprises, pour L'expérience;laisse pourtant supposer que ;
opérer une structuration, une homogénéisation l'unité d'un quartier, en tant qu'elle existe dans
des cellules d'habitation et.en même temps, des les catégories, mentales de ceux-là mêmes qui
différenciations qui entrent quand même dans l'habitent, est quelque chose de bien réel,: on
n'habite pas de la même* manière des quartiers
un cadre général ; nécessité d'ordre matériel,
certes, mais aussi perception du problème de
différents, et ceci peut déjà être l'indice d'une
l'unité du quartier ; parfois aussi intervient un certaine différenciation, au niveau de l'investis-
certain « brassage » des; classes sociales, lequel sement qui peut être fait dans l'habiter : jusque
dans la manière de parler, qui indique comment
est certainement destiné à jouer "un rôle au
niveau de ce que les concepteurs entendent par est vécu l'habiter : si on habite toujours une
maison, on n'habite pas .-forcément un quartier;
« unité d'un quartier ». Ici, tout est prévu dès
la conception, pour faire d'un tel quartier un inversement, on peut habiter un quartier sans
milieu où l'ajustement dès pratiques des indi- pour autant habiter une maison (un -appar-
tement) ; dans un cas, la maison est vécue
vidus et de celles — supposées de la Commu-

nauté' puisse avoir .un lieu ^resserrement dés
accès: pour obliger les gens a se rencontrer, (2) Au niveau ici impliqué, l'ajustement des fins
dotation en "moyens, divers dé communication à individuelles et de la; fin de la communauté (supposé)
l'échelle locale, imprimerie, circuit autonome de se fait ainsi: chacun poursuit ses buts, et i| est
télévision par cable, etc... Mais la concentration implicitement supposé qu'il n'y a pas de divergences,
ou d'incompatibilité réelle entre les fins individuelles.
dans le temps de telles procédures: (qui généra- Et il n'est pas supposable, par exemple que la fin
lement se sont déroulées à une toute autre individuelle puisse, à un autre niveau être le:moyen
échelle.dans les cas de quartiers plus anciens) d'une fin collective: le problème de l'insertion de
font que la perception du quartier en termes de l'activité individuelle dans un cadre socialiste ne fait
pas problème, il n'existe que comme résolu, abstrai-
«sujet collectif» par ceux-là mêmes qui l'Habi- tement : cf. L. Goldmann, op. cit, note (1).

72
françois pelletier quartier et communication sociale

comme seul, concret, et le quartier comme. dfavoir le."code. Autrement; dit,, ce qui fait
entité abstraite, et la maison est le refuge ; mais qu'un .niveau puisse .être saisi comme-abstrait
dansTautre cas, c'est le quartier qui éstle signe d'appartëment/par rapport au quartier, pu l'inr
de la différenciation, par rapport à la totalité verse, ou bien le quartier par rapport à la ville)
abstraite qu'est la ville, mais,du coup la maison, : vient essentiellement du fait que le code qui est
(l'appartement) devient abstraite ; on dit «j'ha- le passage obligé d'uri niveau à un autre est
bite à la Villeneuve » (et non j'habite la Ville- lui-même abstrait ; Il n'indique pas de/rapport
vécu à dés ensembles,sociaux.particularisés.;
neuve, ce qui est déjà un Indice de la difficulté
de l'inclusion d'un lieu-refuge dans un ensemble ;
On attend sans- doute ici; quelques mots
,
plus vaste, et en: même temps renvoie à l'habi- sur les rapports imaginaires—l'envers;" -du-,
« vécu » —' à;: laréalité,
c'est-à-dire;;sur l'idéolo-
ter comme différence abstraite, par rapport aux
autres habiters « possibles »; nous reviendrons gie;: laquelle, en l'absèncé de tels ensembles
là-dessus); mais on n'éprouve pas: le "besoin sociaux particuliarisés, établirait Une sorte de"
spontané ,de; préciser le numéro, la coursive,: relation —fausse — entre éléments de sens dis-
l'appartement, puisque tous.les numéros; toutes joints. S'agiss.ant de/relations .Intérsubjectiyes, il
les coursives, tous les appartements sorit déses-
,
nous .semble plus: judiçiéuxde renverser: lé îpro-
pérément identi ques (du poin't de vue dé leur blème : quand on parle d'idéologie, on se repré-
fonction, qui est d'indiquer une différence dans... sente; ï'imaginairecomme un marique-duréél;et
l'habiter, par rapport aux autres modes, d'habi- il est pëjùré en;:ce/sens^qu;il;prend la place; de
ter) .Un tel, I jeu. n'est pas (encore);un; endroit ce manque : 'dé ; là à le considérer: "lui-même
où l'on puisse se laisser porter .
par ses.souvenirs, '•'comme un manque, radical; il n'y à qu'un pas,
PU aller/les yeux; fermés,, et au ;.cas où l'on /généralernent^vite : franchi. ;0,r "-;iL nous; semblé
cherché quelqu'un dé particulier dans les rhiliers que ceci procède.-.•d'une .double;.réduction, de .
d'individus qui; « habitent » -de, tellesStructures, l'imaginaire : d'abord celui-ci.; n'est considéré
il est bon. dëse pénétrer: du codé qui, doit vous" que;dans Sun rapport au réel, c'est-à-dire à Une
y faire accéder (3). ; réalité- sociologique .platement décrite alors que
.Et -••-
Ce n!est qu'à la fayeur.de cet aspect
particulier, ;dahs un secteur déterminé, de la
la relation,qui décritle mieux l'imaginaire est sa.
relation aU possible, c'est'à-dire à un réel dont
réification, que l'on peut.
entreprendre l'analyse l'imaginaire est; aussi, en tant que subjectivité;,
de tous les faits sociaux, comme des seuls, une, partie,; et non la moindre; ensuite,,Il
aspects particuliers de là sciences des signes ; car devient très facile de réduire ce rapport du.réel
ici la codification, est le phénomèneprégnant. à l'imaginaire, à un simple .rapport justificatif,
Pour passer d'un niveau: de l'habiter (l'appàrte-, c'est-à-dire Contemplatif, passif : c'est ce qu'on
ment) à un, niveau plus vaste (quartier), puisé entend généralement: par idéologie dominante.
une vautre unité .'(ville),, il, est indipensable .'••',.' La définition de l'idéologie dominante,
généralement opérée dans cette double réduc-
tion, a abouti à ce paradoxe qu'on n'y voit pas
deplace:pour l'(es) ideojpgie(s) dominée(s);;
(3) Il faudrait peut-être nuancer cette interpré-
tation, puisque nous, avons eu un jour cette réponse Il existe, cependant des "quartiers.dont la
••'—•par un urbaniste il.est vrai —au sujet du logis d'un sociabilité semble pouvoir, être différente, au.
ami commun qui habitait une viIle-neuve : « je saurais
moins dans; les conditions de possibilité de
y aller, mais je suis incapable de te donner les
coordonnées de son appartement ». Deux hypothèses l'apparition de phénomènes intersubjectifs signi-
peuvent être faites ici: ou bien l'espace était déjà ficatifs. Grossièrement, on peut les définir par le
«balisé » effectivement, ou bien le code était telle- fait qu'ils sont matériellement en voie de dispa-
ment bien intégré qu'il ne pouvait plus revenir à la rition (et que le phénomène social corrélatif est
conscience claire, c'est-à-dire au niveau de la communi-
cation possible. ..•'•" la, déstructuration des, rapports sociaux, du, au,

73
françois pelletier quartier et communication sociale

moins, la .cohabitation de plusieurs types .de;' (d'information, et il s'agit alors de communica-


rapports) ; où le circuit d'accès au logement tion; mais: il peut aussi être question de la
n'est pas entièrement structuré par des institu- circulation d'objets, ou de personnes, selon le
tions mercantiles (agences) ; où la mobilité so- niveau de signification et le type de quartier
ciale et la relative diversité des revenus' assurent envisagé) est fondamental pour la détermination
un minimum de mouvance : quartiers, donc en de l'existence sociale.d'un;quartier : plus-préci-
.
voie de disparition, où cohabitent ceux qui y sément le quartier:se définira par une double
sont attachés par nécessité — bas revenus dont possibilité à l'égard de la communication : une
la présence : est. Iiée au montant'.' relativement certaine homogénéité dans la circulation de
modeste de certains loyers,, ceci,.étant dû au l'information, qui définira les caractéristiques
caractère non entièrement merCantilise de l'ap- propres du groupement social, et! peut donner
propriatipn; de /l'espace (immigrés, marginaux, lieu à l'appréciation des différences d'un groupe
étudiants) ou bien personnes âgées qui n'envisa- à ,un autre ; : une. certaine perméabilité à la
geritpas d'autre lieu à leur vie —et ceux quiy pénétration d'informations extérieures; (par
sont I iés par cette autre nécessité qu 'on nom me exemple, perçues comme venant d'un autre
le goût personnes en mal, de marginalisation, quartier; et particularisées comme telles : « dé^

qui ont,-étudiants, habité le quartier, architec- fi » de.«bandes de quartiers» entre elles;"du
tes, qui savent où il est bon d'habiter.: Presque
toutes; les villes possèdent ce genre de quartier,
mivoie"de/disparition,. etses.mU'Itiples/structu- "(4);.Qu'on; veuille bien "entendre ici que ces exem-
;rations;partie|lés.qUi;s'enchevêtrent. ples ne sauraient composer urié typologie. Il serait en
"':'.•-.. .Celui' que nous connaissons,:à;partir du-; effet trop; facile de conclure dé,ces «descriptions»
quej-,nous;parlons; /jouit /d'une; détermination; partielles que |ë phénomène ville-neuye est; l'accession,
/géographique assez précise entre rivière et au niveau de l'habitat, de la consommation de signes :
-r car il faudrait ajouter aussitôt que c'est une ville-neuve
montagne,une rué bordée de maisons et;.un toute entière qui indique la différentialité, et non un
quai .parallèle: à: la/rue,'--mais une telle indication appartement à la ville-neuve; inversement,;la « margi-
ne nous semble pas déterminante : peu importe, nalisation» évoquée dans notre troisième exemple
peut très bien être l'indice de la consommationd'un
en fin de compte, la délimitation géographique
tel quartier comme signe. Il semble bien, mais c'est là
puisque la recherche n'a pas pour objet les
une hypothèse à vérifier, que c'est le quartier qui est
conditions « urbaines » de l'apparition de caté- «l'élément minimum de signification » dans la con-
gories mentales intersubjectives, mais plutôt les sommation, des signes de l'habiter » : car même la, villa
catégories elles-mêmes comme possibles. Ce est construite dans un quartier de villas ; qu'à partir
de cette différenciation peuvent
quartier possède son «idiot» (un oligo- se lire d'autres sys-
tèmes de différences : Ville/campagne,, (par campagne
phrène), qui joue à merveille la fonction cathar-
nous désignons ici cette forme nouvelle de l'habiter,
tique dont il est investi : il rend certes de menus dites « banlieues résidentielles,groupements/dé villas
services matériels, en échange desquels il est dont la cave est supprimée au profit d'un garage à
matériellement intégré à la collectivité : mais deux places et le grenier rentabilisé en « chambres
d'enfants »), Paris/Province, et même, à l'intérieur de
l'essentiel dé. sa fonction n'est bien sûr pas là.
la province : Avignon/Grenoble etc:..
Encore faut-il noter que ^attitude des habitants à L'hypothèse peut-être faite que l'articulation de
son égard est très ambivalente, selon qu'ils ces différences.se fait au. niveau du «mythe» d'une
reconnaissent ou non dans cette « idiotie» socia- /ville, mythe qui regroupe les.;significations partielles ;
lement affichée; la leur. Aussi est-il toujours et que ce mythe, ayant un certain nombre de rapports
interpellé avec bonne humeur, parfois de façon mythiques locaux, dont il .tire certains éléments, de
signification pour en faire une « unité » proprement
très gentille, parfois avec dérision. mythique, est un mythe « hisforicisé ». -Mais les inves-
tigations à ce propos.sont réduites, nous ne connais-
Les quelques « exemples » (4) ici/ donnés
sons qu'une tentative, pour explorer cette « construc-
montrent que le prùh'ème de la circulation tion sociale » particulière.

74
'-.fiançais pelletier quartier et communication sociale

bien plus générales, et destinées'par', définition'-à'' en -dé ; telles; occasions, combien, la question/de
«tout le monde », c'est-à-dire à l'individu abs- :1'« habiter » est encore une, question artificiel-
trait, et qui peut-être reprise collectivement: lement découpée dans la vie sociale,.quand ;on
information journalistique, télévisée etc,.:). ' ;/ vous renvoie toujours; à des situations/de «rap-,
Les différentes articulations .de telles ports sociaux ». où le « problème » de l'habiter
structurations, partielles Ou plus générales, com- est/toujours; resitué dans un, contexte plus glo-
bal (5), ;';„
posent un « mode/de, vie », ou plutôt contrai-.
griént à la composition de comportements, à On peut par exemple relever, dans; le
quelque chose qui; ressemble à; une improvisa- quartier dont il est question ici, une série dé
tion plus ou moins réglée, qui semble ,d'aUtânt comportements " ou/et le discours qui-, relève-
plus libre que l'harmonisation de ces « signifi- raient de : l'« échange, symbolique » (6). Une/
cations partielles » est plus complexe ; lès rela- ; communication est toujours bâtie, à l'Occasion
tions ainsi établies ne,peuvent être intelligibles de rapports économiques,; non pas tant pour
de l'extérieur. C'est la force de ce « fonction- nier la réalité/de ces rapports, que pour lés
•riement », qui exige d'autant plus d'initiative resituèr dans la perspective plus générale d'une,
qu'il est complexé, de n'être; jamaisexplicité,et économie; extrêmement complexé des rapports,
.
de susciter des comportements.où il faut com", humains, laquelle; prend:en compte: nûri seule-
pdser a\/ec plusieurs, systèmes dé règles, admises ment un certain .nombre d'usages relevant du.
communément mais -jamais •explicitées,'puisque complexé; de relations- «étroit» (e.g. propre au
l'harmoriîsatiori de ces rapports ; repose su r la "groupe qui vous définira :': « étudiant », italien,
"reconnaissance-méconnaissance des. péages qui: français", ete..) darisleqUél "on est censé évoluer,
font loi; /' mais ;,;aussi, pour les rapports entre ces com-
/Lorsque; nous renvoyons à une telle « cir- ; plexés, /de leur ; histoire,- C'est-à-diré dé leurs,
culation sociale » -et au quartierdàns lequel elle rapports passes'":'. ce n'est pas, là même; chose,
:sê fait, nous n'ignorons pas/que de tels rapports
aux yeux, d'un habitant; présent au quartier
depuis; T93Û, d'être saisi comme .<< étudiant »„
peuvent aussi s'établir ailleurs que dans le quar-
(les plus tard venus), comme « immigré» (tra-;
tier que nous décrivons comme le lieu d'un'tel
vailleur Nord-Africain car, à strictement parler,
échange. Simplement, ayant vécu successive-
ce quartier ne comporte presque que des im-
ment dans les quartiers que nous avons décrits, il .
migrés, à un; titre ou à un autre), « italien ,du
nous semble maintenant qUe ce n'est qu'en un nord » (les plus anciens.immigrés, en tant que
tel lieu que nous avons pu voir se réaliser de
groupe),;« italien du sud » (ces deux derniers
telles conduites, à un tel degré. "Mais aussi la.
groupés. entretenant des relations très ambiva-
perception de ce milieu demande saris doute
lentes) Ainsi un « étranger" » au quartier s'éton-
qu'on s'y intégre en quelque façon ; de là vient .

que se trouve exclu, tout l'appareil des métho-


dologies sociologiques, sociométriques : simple-,
ment un changement de regard est nécessaire. (5) Il peut être bon, parfois, de laisser un magnéto-
Une approche plus « vécue » .•que .-.celle du sim- phone bien réglé;dans; une pièce où des personnes se
-ple observateur est indispensable.De même il est. .retrouvent régulièrement pour des activités communes
(vieilles dames jouant aux caftes, par exemple), puis de
impossible de procéder à un «entretien non repasser quelques heures après pour le reprendre car la
directif » sur, t'« habiter ». On veut bien parler présence d'une personne étrangère à .cette réunion
-de', tout avec ..vous, ou monologuer, avec le particulière fausserait le système des" relations, lés
magnétophone, ou bien discuter à plusieurs hiérarchies qui s'y établissent.
autour du magnétophone, mais on n'entend pas
(6) N'étant pas assez au faitdêce que J. Baudrillard
entend par «échange symbolique », nous renvoyons
soumettre à la «discipline » de l'entretien
se pour l'emploi du, terme à P. Bourdieu, Esquisse d'une
non-directif./ll est impossible de ne pàs-sentir, théorie dé la pratique, Droz, 1972.

75
françois pelletier quartier et communication sociale

'.riait un jour, du fait que l'épicerie était; le ..voir son loyer de la main à la main, on
théâtre d'un dialogue permanent, entre, des per- comprend, en participant d'une telle démarche,
sonnes qui de toute évidence -n'étaient là que de quelles précautions infinies, de quelles règles
pour "ce. faire, et de . manière continue ; et détaillées quoique variables, s'entoure une ten-
trouvait surprenant que les clients .« suppor- tative de. faire de chaque rapport, un rapport
tent » d'être pris à partie dans un échange dont personnel, une relation unique (ma propriétaire
l'aspect mercantile était quelque peu perturbé. Il né pouvant, après la mort de son époux, souf-
est bien évident qu'une.telle épicerie,, quand on, frir des rapports familiaux trop contrai-
habite à quelques minutes de marche d'un gnants—elle est alliée, par ses enfants, aux
/grand magasin; n'est pas ;le lieu idéal pour se voisins du dessous — a décidé de louer un appar-
procurer au meilleur compte des subsistances tement, dans le même quartier; lors, d'une de
qualitativement irréprochables. Et que la pré- mes visites mensuelles, elle me fait part de ses
sence de ces «clients » (au sens le.plus ancien difficultés, liées à l'installation d'une salle de
du terme) avait une signification beaucoup plus bain que sa propriétaire" discute, et termine son
large que celle du simple échange marchand. discours par Ces mots ; « enfin,- vous,.'savez ce
Une visite en.cette'épicerie;vous.fait toucher du que c'est, avec ces propriétaires'»)..;.
doigt les hiérarchies qui structurent, à différents
niveaux, les rapports .interindividuels. Vous ne ;Une impasse, du quartier est le théâtre
devez ; pas vous, montrer surpris par le fait que permanent''d'Une, hystérie socialement jouée (on
-l'ordre d'arrivée /des /Clients, "et l'ordre dans
,
peut, ici évaluer la différence avec la; ville-neuve
', lequel ils;sont servis, n'ont rien de commun,: ils la plus proche, qui comporte Urié «antenne
renvoient à" plusieurs ordres de préséance, rela-- psychiatrique »')•.'-'-L'hystérique-' devait un jour
tifs à la;position du client dans une; ou plu- prendre à partie sa vis-à-vis, chose facile puis;
sieurs structurations;socialespartielles, du quar- qu'elles-ont deux fenêtres face face,, à trois
à
tier,,et a ig hiérarchie: instituée entre ces struc- mètres de distance. ; Pour réaliser socialement
turations, selon l'occurrence. EnCpre ne faut-il son hystérie, elle s'est précipitée à la fenêtre
pas penser que l'ordre établi de manière;défini- qui dans le bâtiment est perpendiculaire aux
tive, il s'opère Une certaine «circulation des autres, de manière à médiatiser-sa relation par
codes », qui fait qu'une seule observation, l'intermédiaire, d'une autre voisine, laquelle
ne
vous apprend rien sur les rapports que les transmettait les messages —des insultes d'une
« habitants » entretiennent avec les codes : il grossièreté telle qu'elles ne peuvent être écrites
peut arriver qu'on reste (à parce qu'on se dans une revue scientifique tout en y ajoutant

.trouve en «heureuse, compagnie» et que du ses rancoeurs personnelles, tant..-à l'égard de
.
coup, l'ordre des préséances soit totalement ou l'une que de l'autre des protagonistes, assistée
partiellement inversé. en cela par une quatrième personne, qui
ajoutait, ses propres griefs! Nous n'avons pas pu,
De même, le règlement mensuel du loyer pour des raisons -personnelles, enregistrer cet
est l'occasion ,d'une démarche quasiment extraordinaire discours social ; nous, aurions eu
cérémonielle, lors dé laquelle on échange des de toutes manières /des difficultés de, trans-
nouvelles d'un bout du quartier à l'autre, ou. cription écrite, l'intérêt de ce « texte » étant
l'on fait littéralement « circuler les codes ». Il surtout,dans son contexte orale (discours fait
est déjà bon de savoir que le loyer se règle d.'lnsultes françaises, italiennes, siciliennes et,
avant le quinze du mois,mais qu'il faut «jouer surtoui, le ton propre à la langue, et au carac-
du" temps » entre le premier et le quinze, pour tère de la « maladie », qui fait que l'on
ne sait
signifier lès rapports que l'on entend entretenir jamais .si les protagonistes, et essentiellement
avec son propriétaire. Après l'étonnement du celle qui peut être tenue pour « malade», rient
début, devant l'insistance du propriétaire à rëce- pu pleurent).
.

76
français pelletier quartier et communication sociale

C'est dire qu'ici, le conflit est socialement méthodologies différentes; (généralement indi-
assumé. Le souci dés différences de nature est quées en note), on est renvoyé.à une anthropo-,
affiché constament, il est partie intégrante du logie urbaine, qu'il serait grand temps d'entre-
rapport social : il sert essentiellement à donner prendre.. Car il. est vain- de penser que les
un aspect particulier à chaque rencontre, car le bulldozers ne viendront pas un jour, pu, pire,,
fait d'afficher un mépris généralisé, et complè- qu.'un ethnologue mathémàticomaniaque n'arri-
tement abstrait, à l'égard d'un groupe social vera pas à mettre en fiches (perforées), à fin de
particularisé n'est en aucun moment l'occasion thèse, sa propre intrusion dans un tel milieu,
d'esquiver une rencontre : nous nous sommes pour expliquer—du moins le croira-t-il, pensant
entendus dire, avec un effroyable accent que ses chiffres le cachent, ou se substituent à
sicilien ; « Vous savez, ces immigrés sont bien lui — ce que quelques mots peuvent aisément
gentils, enfins, ceux que je connais, mais ils ne évoquer, et qu'aucun discours ne fera vivre.
sont pas comme nous » (ih s'agissait, on l'a
deviné, des travailleurs Nord-Africains). Nous Mais le problème est bien ailleurs. Fau-
te d'une telle anthropologie urbaine, nous
avons entendu aussi au sujet de ses parents par
alliance, notre logeuse nous dire :« il y a une ne saurons bientôt plus ce qu'implique l'habiter,
barrière entre nous ; ils sont du sud, et je suis en tant qu'activité collective cohérente, harmo-
de Turin ». nisant les moyens et les fins de groupes sociaux,
et d'individus, différents; et à cet égard, le
problème, n'est pas précisément que nos moyens
CONCLUSION
soient « supérieurs » à nos: fins ; ou bien que
L'esquisse, ou, comme on voudra, la série nos fins aient besoin de plus de moyens : car
de directions possibles inscrites dans cet exposé, nombreux sont ceux qui ont pu par le passé
volontairement, elliptique, montre à quelle poursuivre des fins stupides, ou bien faire beau-
richesse de matériau on est confronté dès "lors coup avec peu, sans s'en douter ; la. question est
que l'on procédé à une certaine conversion du plutôt que nous puissions envisager séparément
regard ; par suite, on voit bien qu'à travers des les moyens et les fins, sans voir qu'est là

77
françpis pelletier quartier et communication sociale

l'absurdité. Encore qu'on n'espère pas ainsi sau- Ainsi il semble que nous sommes renvoyés
ver les vieux quartiers, et que le but n'est pas indéfiniment du « caractère » des individus au
de se constituer un florilège de souvenirs, on « caractère » du quartier; certes il serait pos-
doit bien constater qu'une telle entreprise est sible d'exprimer quelque chose de cette socialité
plus enthousiasmante qUe, par exemple, une dans une approximation qui lierait les condi-
enquête sur le socio-culturel dans une ville- tions matérielles dé l'existence sociale et les
neuve, ou tout autre gadget moderniste... comportements de rencontre, sous cette forme :
Sans doute, au-delà de ces descriptions le « cadre de vie et sa pratique contribuent à la
éparses, devrait-on s'interroger sur la manière formation de dispositions subjectives perma-
d'appréhender cette réalité que. constitue le nentes qui rendent possibles les rencontres, ou,
quartier; en d'autres termes, ici, s'imposeraient pour employer un vocable philosophique : la
quelques remarques/ des propositions concer- dimension du possible est déjà ici visible dans
nant la méthode d'étude d'un tel objet. L'inco- une certaine compossibilité des modes de vie.
vénient majeur est que cet objet n'est pas Mais ceci, du point de vue de l'usager,
aisément définissable.; peut-on penser qu'une n'exprime absolument rien de ce qui peut être
telle socialité requiert,, comme conditions ;. vécu. La vie sociale ne peut se réduire à
déterminantes de sa ; possibilité, une certaine quelque loi générale qui établirait Une corréla-
disposition, une certaine ancienneté matérielle tion entre les pratiques et leur implantation
dé l'habitat? Mais rien ne semble indiquer que historieo-géographique ; car il faudrait aussitôt
de tels faits' de. socialitë h'e'-puissent exister' en établir "plus"précisément-lès modes de ces corré-
d'autres : lieux (notre expérience nous laisse lations, qui; renverraient Sarts; cessé de l'histoire
cependant supposer, à tout le moiris, qu'une du quartier à celle de ses habitants.; établir une
conversation "d'étage à étage dans une ville- corrélation entre l'habitat et les.pratiques, c'est,
neuve posé quelques problèmes,; puisque tout y supposer qu'ils sont séparables en droit ; et du
est prévu pour qu'un rie puisse'être « gêné » par même coup justifier la séparation des pratiques,/,
ses voisins). Doit-on alors supposer que c'est
alors que le « cadre de, vie» peut être « lu »
,
dans le regroupement- d'un certain, nombre, comme;Une pratique sédimentée, d'autant plus
d'individus ayant des caractères communs, aisément, dans certains quartiers où c'était la
c'est-à-dire dans « l'homogénéité sociale » que pratique.des,habitants qui constituait l'habitat;
l'on peut trouver la condition de possibilité de et de manière caricaturale dans les constructions
ces rencontres ? (Pafexemple.:' un groupe de
relevant d'une; pratique séparée, spécifiquement,
«personnes âgées », de « jeunes », de « margi- urbanîstique : de ce point de vue, on peut
naux », etc.). Mais l'expérience que.nous en estimera sa juste valeur la vanité dés tentatives
avons laisse au contraire supposer que la ren- de construction contemporaine, qui. multiplient
contre n'est conçue comme telle que supposant les. signes de la variété sans autre justification
une certaine différence, c'est-à-dire, qu'elle, se. qu'elle-même: changements de niveau,détails
fait essentiellement oiseux : ;qui sont censés « rompre la monoto-
au mépris du « poids "con-
textuel » que représentent les déterminations nie ».; on est loin de la pratique, visible encore-
sociales (une personne âgée déclare qu'elle veut dans la structure de certains habit .s, qui con-
bien se distraire en. collectivité, mais que ses. sistait, pour les habitants eux-mêmes, à intro-
préférences vont plutôt, -à cet égard, à" la mai- duîre des changements dans leur pratiqué, et .
son de jeunes qu'à la réunion avec d'autres, dans la structure de leur habitat, à mesure que
retraités) (7). les circonstances le leur rendait - nécessaire

(7) Le mode d'approche décidément « naïf » qui d'entre eux sous la rubrique « antiphrases ». Il n'y a
s'exerce ici se refuse à classer les discours, ou partie
pas de privilège à invoquer par le chercheur à ce
propos.

78
françois pelletier quartier et communication sociale

(construction d'une pièce quand la famille de ce fait, ce qui fait son intérêt ne peut pas
s'agrandit, rattachement de l'appartementvoisin entrer dans une analyse, à titre d'objet. Peut-
avec percée de portes dans le mur de faîte, être est-il possible, et ce travail est en cours,
etc.). d'établir des comparaisons entre, par exemple,
Ainsi il appert à l'expérience qu'une l'enregistrement d'un échange de « nouvelles »
socialité différente n'a pas ses conditions de d'une partie du quartier à l'autre, et un entre-
"possibilité dans le seul « cadre de vie matériel », tien non-directif sur l'habiter, effectué en d'au-
ni dans la réunion, en de tels lieux, de telle ou tres lieux; on bien de comparer (encore une
telle catégorie sociale qui serait plus « sociale » fois) des séquences photographiques corres-
que les autres. Sans doute, le regroupement pondant à des repérages de gestuels urbains,
dans un certain lieu, de « couches » de popu- avec l'image des pratiques urbaines telle qu'elle
lation données peut-il rendre possible quelque peut être donnée, par les mêmes moyens, dans
chose'qui, ailleurs, sera plus difficile à établir; les publications non-spécialisées ou spécialisées,
on n'en veut pour indice que la déclaration ou encore avec le même travail de repérage en
d'un urbaniste responsable de ville-neuve, qui d'autres quartiers.
dans un moment d'extrême lucidité, découvrait Mais on voit bien qu'aucune méthode ne
ainsi à ses interlocuteurs la vérité dé sa fonc- pous donnera intacte la totalité du sens ici visé,
tion : « Désormais, il n'y aura plus de choses de même que toutes les méthodes conjuguées
interdites, il n'y aura que des choses; ne nous donneront que des fragments de sens.
impossibles. On voit donc que, faute dé trouver On voit de plus que même si on est décidé à ne
empiriquement une « condition de possibilité » le saisir que fragmentairement, ce sens ne vient
nécessaire et suffisante de ce dont on veut au jour que négativement— par comparaison à
parler ici (à savoir, le sens des exemples que quelque chose que l'on désigne comme son
l'on donne ici) on éprouve quelque difficulté à. autre; ou bien par comparaison à quelque
faire entre l'objet, et le discours, bu bien le chose dont il est l'autre, et c'est là une ques-
discours et l'objet qu'il échoue à constituer, tion de goût. La tentation de ce mode d'ap-
dans le discours sur l'urbain, comme une partie proche est de constituer ses fragments de
de celui-ci. C'est que les pratiques dont il est ici sens en construisant symétriquement son non-
question peuvent se désigner, s'indiquer, mais sens (dont on a tout lieu de supposer qu'il n'est
non être l'objet d'un discours — tant comme pas lui, fragmentaire) lequel n'est peut-être
objet empirique dont le discours serait le con- qu'un artefact négatif ; pour donner une évalua-
cept, que comme « objet de science »-.— Elles tion de ce problème, on finira en disant que
ont d'autant plus besoin de l'être que tout rien ne permet de décider de manière définitive
laisse supposer qu'on désigne par là quelque que la socialité dont il était question ici est le
chose qui est, sinon en voie d'extinction, du privilège d'une zone urbaine particulière, ni
moins de moins en moins aisé à pratiquer. Par d'un ou de plusieurs groupes sociaux caracté-
exemple, nous disposons d'un matériau enre- ristiques ou caractérisables ; mais plutôt qu'elle
gistré important, dans lequel se jouent des se constitue d'éléments de sens, que nous situons
éléments du sens dont il est ici question ; mais où nous avons pu les voir...

79
andré bruston
la "régénération"
de lyon 1853^1865
l'intervention de Fétat
et le manifeste urbain de la bourgeoisie

.Lyon, au milieu; du XIXème siècle est Bordeaux, Toulouse,, permet de l'approcher,


véritablement une ville, au sens où l'on peut ;dans la période .correspondant; aux.grahds.tra-
désigner l'espace .urbain traditionnel des grandes vaux. (Enquêtes.menées en 1845 et 1869)...
places commerciales : viIles où tiennent le haut Lés indigents d{abord : en 1845, 63%:

du pavé les banques d'affaires, les négociants et des; lyonnais,. Et,: eh 1 §69, 78%- (il /est vraf
fabricants, contrôlant, eh; amont et en aval, la qu'entre 1851 et 1866, Ta population avait cru
production, des maîtres tisseurs et de leurs de 11,6 %, et le territoire lyonnais incluait alors,
ouvriers (T.).". '.'•' ;\''.':.". les faubourgs plus populaires, de Vaise, la
Ville en ce ..sens, qu'en 1850 encore; Lyon Croix-Rousse et la Guillotièrê qui .était en
est clairement tranchée de ses faubourgs qui pleine expansion démographique) (3). A Lille en.
sont des communes à part: entière (rupture revanche, fortement industrialisée, la proportion
matérialisée par" l'octroi), que ces limites;, né d'indigents n'avait cru que dans des proportions
sont pas encore indépendantes 'dès'; caracté- plUS'faïbles : 70,1 % en.-; 1857,"76 % en 1873 V
ristiques du site : le Rhône séparé d'avec la «les zones d'urbanisation traditionnelles, restées
Guillotièrê, la Saône d'avec Vaisè, FoUrvière en marge de l'économie:
indUstriefle moderne,
d'avec le plateau. Ouest, les pentes de la Croix étaient peu favorables aux . milieux popu-
Rousse d'avec son plateau. Ville traditionnelle laires » (4). V
plus encore de ce qu'elle voit se mêler dans Dans les successions, la concentration

Saint-Jean, ' Saint-Georges ou; la presqu'île les des fortunes, est très élevée : 51 % des succes-
différentes classes sociales encore peu ségrégées sions; sont inférieures à 500 F, alors que 16%
dans l'espace urbain. d'entre elles sont entre 10000 et 50 000 F.
Certes il est difficile de définir la strati- :
Rappelons qu'avec ,1000 F par an à Paris, on
fication sociale dans tous ses aspects, dans pouvait subsister petitement, mais, surtout dans
Lyon au XIXème siècle. L'analyse des for- la première moitié, du .XIXème siècle,, mieux
(5) au taux
tunes (2), qui comprend/Paris, Lyon,, Lille, que la. majorité des ouvriers »
moyen d'alors, de 5 %, il fallait 20 000 F. de
-
capital pour être un.rentier.
(1) Rappelons, pour Lyon, la classique «Histoire Or, les petits commerçants, les ouvriers
de Lyon » dirigéepàr A. Kleinclausz. artisans voient leur part dans les fortunes bais-
Pour la période, il faut avoir recours à la « biblio-
graphie critique de l'Histoire de Lyon » de J. Charlety,
Lyon 1S03. On peut consulter Sréten Maritch, « His-
toire du Mouvement social sous le second Empire à de l'agglomération lyonnaise, à la veille de la Révolu-
;Lyon ». Paris, 1930, tion de 1848, Paris, 1965.
(2) Sous la direction d'A. Daumard, « Les Fortunes (3) A. Daumard, op. cit., p. 124.
.:
Françaises au XIXème siècle » Paris, 1973, et ,.'. (4) Idem. -
:
C. Aboucaya, Les Structures Sociales et économique.. (5) Idem, p. 136.

81

espacés et sociétés n. 15-6


andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

ser entre 1845 et 1911 respectivement de 5,6% les, n'autorise pas un trafic de transit suffisant
à 2,3 % et de 5,9 % à 3,4%. entre les quartiers de fabricants « soyeux » des
La bourgeoisie lyonnaise, en revanche Terreaux et la place Bellecour... La Préfecture
accroît son patrimoine (mobilier et immobilier), n'est plus digne de la ville, ...la superposition de
en valeur moyenne des successions: les négo- populations dans un même espace n'a rien de
ciants Vet industriels, de 43 000 F. en 1845 à fonctionnel... et finalement le bourgeois lyon-
313 028 en 19.11. nais ne peut se reconnaître dans un cadre bâti
Les propriétaires et rentiers, de 45 479 F.
qui est celui d'une autre époque.
en 1845 à 111 660 en 1911.
Que la bourgeoisie lyonnaise ait alors pro-
On voit qu'en 1845 encore les pro- clamé sa volonté de transformer sa ville ne
priétaires et rentiers (beaucoup plus nombreux) saurait nous étonner: les nouveaux territoires
pouvaient supporter une urbanisation plus ou
ont une part essentielle de là fortune totale.
moins « sauvage », c'est-à-dire laissée à la dis-
De plus, les deux catégories réunies pos-
crétion des propriétaires du sol, ou plutôt à ses
sèdent sans. doute .près de 90 % de la valeur
totale des biens, immobiliers. Situation>de « con- nouveaux acquéreurs.^
centration marquée entre les mains de la grande Mais la regénération de la ville ancienne
bourgeoisie commerçante et industrielle d'une supposait sans doute l'arbitrage et l'impulsion
du pouvoir d'alors, nécessaire au règlement des
part, des grands rentiers propriétaires d'autre
conflits, internes à cette, bourgeoisie possédante,
part» (6). " ; ,:;
qui ne pouvait organiser seule la libération des
La proportion des valeurs mobilières dans
sols dont elle était propriétaire.
le patrimoine de la bourgeoisie devait s'ac-
croître dans notre période, mais sans ralentir la Puissamment aidée par l'appareil d'Etat, la
.
production immobilière (11 environ d'immeu-
% bourgeoisie locale pouvait reconnaître dans son
bles en plus de 1851 à 1866) (7). produit urbain les signes d'un rapport de domi-
nation quasi incontesté sur les classes popu-
Or, ce qui frappe le plus le bourgeois
laires.
lyonnais, en 1850, c'est l'inadéquation de l'es-
Nous verrons ci-dessous les circonstances
pace urbain à l'ensemble des conditions d'exer-
cice de l'autorité et de la domination de ses et les moyens de cette rénovation, (dirions-nous
pareils. La bourgeoisie est propriétaire du patri- aujourd'hui) et en conclusion quelques hypo-
moine immobilier, mais celui-ci lui paraît thèses d'analyse de cet espace.
lamentable: « plus des deux tiers de. la vieille
Hommage à sa Majesté l'Empereur
ville et des antiques faubourgs existent encore
NAPOLEON Ml
avec toute leur insalubrité première... » (8).
Les ponts, trop rares, sont soumis à Regénération de la ville de Lyon
péage... L'octroi n'englobe pas les faubourgs, En témoignage de ces bienfaits
... :
La presqu'île, engorgée, sillonnée d'étroites ruel-
L'Ordre public rétabli et maintenu. La Croix
Rousse, la Guillotièrê et Vaise réunis de coeur et
(6) C. Topalov, Capital et propriété foncière.
de fait à la cité. Les ponts affranchis. Lyon
C.S.U., 1973. protégée contre les inondations. L'ancienne ville
(7) Cf. Desort, Aperçus sur l'industrie française du assainie et transfigurée. Les rues Impériales et
bâtiment au XIXème siècle, in « Le Bâtiment», en- de l'Impératrice ouvertes. Le Palais du Com-
quête d'histoire économique. XIV au XIXème siècle »,
merce élevé. L'Unité et l'Autorité rétablies dans
p. 62. '-
•'•-. ;
(8) J. B. Monfalcon, Hygiène de la ville de Lyon- l'administration.
Lyon, 1851, cité par Fi. H. Guerrand, Les origines du Un Lyonnais reconnaissant
logement social en France, Paris, 1965. J. B. Monfalcon

82
andrê bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

~ ' Gè texte flagorneur,figure en frontispice


delà IVèmé partie de l'« Histoire Monumentale
d'insurrection, et justiciable; d'un statut parti-.
cuiier.à l'instar de Paris. -."':
,
de Lyon'».,...de;.l'historien; lyonnais J. B. Mon- ; :Ge serait oublier aussi que
dès longtemps,
falcon (contemporain ', des transformations en la bourgeoisie 'lyonnaise avait sU préciser .Ses
:.
question).(9).. " propres objectifs dans la gestion -de l'espace
.

Sans tomber dans ces excès de flatterie, :urbaih, :etf^que, ;ia;;rèalisatioh: de, ces ^projets
...
contemporains et historiens: s'accordent à, pouvait servir la politique impériale.
:
célébrer les;énormes transformations de l'affec-, ; D'autant plus que'là réalisation elle-même
tation du sol urbain lyonnais,«régénérations.» mettait;,en::jeu lès capacités d'investissement de ;
qui pour Lyon sont à l'échelle des; travaux cette, bourgeoisie locale,;ce qui nous; obligé,
h.aussmanniens à Paris. /V même brièvement, à exprimer les enjeux 'diver-
.
'. La présentation optimiste, qu'ils peuvent sifîés que les Grands Travaux,(et les opérations
faire de la politique, de; «Grands travaux:» connexes), ont mis a riu,; ,'
.•
comme on; disait, alors, peut:nous paraître..sus- ,

pecte: ,dans ses attendus,..triais; les; faits sont là et. 1 - Administration locale et Pouvoir central, la
les bouleversements.,ont ; laissé -"une, irnpressio.n ville de Lyon face à l'Etat
profonde sur tous les esprits, dans toutes:les
;1852: ^en "50 ans,; la .France a connu qua-
classes sociales de la cité, "; :
tre régimes, politiques, différents et entre; sans
Ces travaux, ont été I e plus souvent attri- férir-,dans le cihquièrrie.::.Empiré, fiéstàu-
coup
bués: à-:l 'activité; infatigable du. Préfet : Séhateur
ration, Monarchie; de Juillet; Seconde ; Répu-
du Rhône, Claude ;, Marîus, Vaisse, chargé .de ; blique et maintenant le Second Empire. Aucune
l'administration municipale, de.; Lyon. Il était des fractions de classes au pouvoir n'a fait des.
ainsi:, le mandataire;;tout; puissant du pouvoir libertés,communales, ou des: pouvoirs dé gestion
.central, ce; qu'il devait.d'ailleurs manifester en
.
locaux> uh enjeu essentiel, La succession de ces
abandonnant l'ancienne .préfecture...pour restau- régimes politiques, manifestait; la lutte.pouf le.,
.

fer l'Hôtel de Ville et eh faire le.lieu d'exercice pouvoir central des. différentes fractions, de la
des pouvoirs préfectoraux et municipaux qu'il: bourgeoisie, par exemple les grands propriétaires
confondait en sa personne. • fonciers qui ont régné, sous Charles X„ royalis-
, .
Ce jugement peut, être légitimement mis tes., les financiers et industriels qui: ont régné
en doute ;.attribuer au Préfet l'initiative des sous Louis-Philippe, orléanistes. Sous la Seconde
Grands Travaux serait faire bon marché de la : République, la. succession rapidedes fractions
situation spécifique de i'agglôrnératiqn lyonnaise dofnirVantes,..et leur échec, ont,dégagé la voie
en ces années de début du Second Empire :. devant LoUis Bonaparte.
.
deuxième: ville française,, trop souvent théâtre
1.1,- Lé souci de promouvoir les «libertés
locales »; ne pouvait se développer que;.dans
(9) En ce qui concerne M'analyse générale dès l'espoir; de. limiter. les prérogatives du gouver-
grands travaux, se reporter en sus de Kleihclausz, op:
nement ; mais chaque fraction au pouvoir eut
cit. à :F. Dûtacq, La politique des .grands travaux sous
le II Empire, «Revue des Etudes-Napoléoniennes»,
soin de contrôler, étroitement l'échelon terri-
1962 11; Ç. M, Léonard, Lyon traiïsforrned, «Public torial de base. Le vieux débat Girondins-
.
works of the Second Empire », Univ. ôf Califorrïia Jacobins, s'il se poursuit,, tourne systémati-
Press, 1961 > E, Leroudier, Les embellissements de quement aux renforcement de |a centralisation.
Lyon, «Revue du -Lyonnais », 1921 ; L.Bonnevay,;
Histoire Politique et administrative du Conseil Général;
du Rhône, 1790-1940. Lyon, 1946.
Une soixantaine d'autres ouvrages, articles, bro-,
,. Ainsi la loi de .Pluviôse an-VI11; sous,le
Consulat, avait posé le principe de lanomina--,
churés, ne nous ont donné que quelques éléments. "tion par, l'exécutif.des administrateurs locaux.

83
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

Napoléon l'appliqué avec rigueur, et aucun à 000 habitants). On a pu parler d'un


1; « véri-
régime ne transforme vraiment cette clause. Ne table front de la propriété foncière ».
furent contestés que la désignation des Conseils
André Dupin, dit l'Aîné, homme politique
Municipaux et parfois celle des Maires des
qui servit tous les régimes sans désemparer,
petites communes: élection, suffrage censitaire
devait déclarer : « Dans le siècle où noUs vivons,
ou suffrage universel,,nomination, par le Préfet
la qualité prédominante est celle dé proprié-
ou par le Chef de l'Etat,
taire. C'est du moins celle qui est le plus à
Bien entenduy Paris reste administrée dou- considérer dans le régime municipal ». •-"-;•
blement depuis le Consultât : par le'Préfet, de Ce qui correspond bien à ce que nous
Police et,par le Préfet de la Seine, chargé le ,
disions ci-dessus : les propriétaires fonciers, écar-
premier du maintien de l'ordre, le second des
; tés du pouvoir central par la bourgeoisie
tâches de gestion.
. orléaniste, trouvent consolation dans le régime
Louis XVIII confirma la procédure de municipal, là seconde loi, de 1837, introduit
nomination (décret du 7/7/1815) et fit dresser cette fois un élément juridique, essentiel aux
par les ; préfets les budgets, dés communes et municipalités. Lé Conseil Municipal devient:per-
départements. sonne civile capable de posséder biens, meubles
.
: ., Le 6/1/1819 était créée, auprès du Minis- et immeubles. -•""'.'''
tre: de, l'Intérieur, ..la -Direction Générale de . Bien sûr, le texte n'est pas applicable à
l'Administration Départementale et.^Com'munale, .
Paris. L'esprit de la loi est clair : la commune
ancêtre de l'actuelle D.G.C.L.. doit gérer ses biens comme un. usufruit ; toUte
"Différents projets de réforme devaient
,
opération est. soumise à la tutelle administra-
.
avorter sous la Restauration : il en resta l'idée tive, et le Conseil est pratiquement fidéi-côm-
de clarifier les budgets communaux ;en séparant mïssâirë. Il n'empêche que Ta commune pourra
dépenses, obligées et facultatives, ordinaires et intervenir directement sur les marchés fonciers
extraordinaires. et immobijiers, et nous en verrons l'intérêt dans
Là Seconde République (Constitution du l'étude du cas lyonnais, ;
4/11/1848, art. 73 à78) soumit au. suffrage
universel la désignation des Conseils Municipaux Le statut de la ville de Lyon dans ces
1.2-
mais n'oublia pas de proroger la nomination des définitions des pouvoirs locaux.
Maires des villes de plus de 6 000 habitants par
Même si cela paraît évident, rappelons
l'exécutif... .
que Lyon, deuxième ville de France, ne peut
Quant, au Second Empire, il se contenta être analysée comme entité urbaine, en passant
dans les faits de concentrer tous pouvoirs entre
sur les contradictions violentes qui opposent les
lés mains du Préfet. Le Conseil de Préfecture,
travailleurs de la soie à la bourgeoisie possé-
par exemple, est nommé par le Chef de l'Etat, dante; mais à maintes reprises les différentes
quoique son. rôle soitpurement consultatif.
couches de travailleurs ont pu trouver un ter-
En définitive les seuls changements d'im- rain d'alliance avec la petite bourgeoisie artisa-
portance ont été le fait de la Monarchie de nale et commerçante, et la ville a été le théâtre
Juillet, par municipales du 21 mars
les deux, lois d'insurrections sanglantes. Ajoutons à cela une
1831 "et-du 6 juillet 1837. vieille méfiance des- Lyonnais à l'égard de la
..La première fixe.tes conditions d'élection capitale ;
des Conseils Municipaux ; fidèle au système Paris dut réprimer à plusieurs reprises les
censitaire,, elle choisit les électeurs parmi les insurrections lyonnaises : à la suite des Trois
plus: imposés, sur une base très étroite (10% Glorieuses, des barricades s'étaient dressées à
dés. plus imposés dans les communes inférieures Lyon en fin juillet 1830. Mais les ouvriers

84
ahdré bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865
,

n'avaient,fait : que servir la bourgeoisie qui: se ces populaires, mais nous allons lé voir, conces-
rallia à Louis Rhillippe., sions d'un autre ordre à là,bourgeoisie-locale:-....-•
En revanche, la révolté des canuts, eh
novembre 1831, fut une insurrection sociale •1.3- Ces concessions donnaient l'occasion
contre les « fabricants » soyeux lyonnais .qui aux classes possédantes de marquer, leur préémi-
avaient refusé d'augmenter les salaires. nence dans la cité, et ce sur. trois points essen-:
Une grande partie des gardes nationaux et tiels : '•-." v","'
de la troupe pactisa, avec les émeutîéfs, les —la. composition dé la Commission Muni-
•'-.
autorités abandonnèrent l'Hôtel de Ville. Deux :
cipale (qui' d'ailleurs reprit quelques années plus
jours 1 après l'insurrection était abattue : mais là tard le. titre de Conseil Municipal), Seuls les
bourgeoisie lyonnaise avait: tremblé devant le hotables ?ën firent partie ; dans Une ville indus-
drapeau noir: ';
trieuse comme Lyon, il s'agissait de la ban-
. ^
Deux ans; plus tard, du 9 au ; 13 «avril que, des fabricants soyeux, ou..d'hommes Iiés à
I834i les émeutes prirent un caractère résolu- l'immobilier, tel Benoît,. Poncet, ;qui .sera le
ment républicain, qui mêla canuts, mutuel listes, :
Directeur de la Compagnie dé la rue impériale
ouvriers et petits:'bourgeois, Thiers; Ministre de chargée -de ;la « régénération de ;Lyon », Le
l'Intérieur, choisit la;répression sanglante, pour Vice-Président, puis le Président, dé la; Commis-
faire un exemple.; nombre de villes du Sud-Est sion, T. Brôlemann, d'origine suisse, appartient
furent agitées de troubles violents. à, la banque protestante.
Lyon était bien la ville dangeureuse, sus- V..-— lé décret du 24 mars; 1852; annexait à la
pecté de rébellion à chaque occasion. Entourée ville de Lyon les trois, communes de Vaise, la
de forts, elle fut, soumise,à .une étroite surveil- Croix Rousse et la Guillotièrê, La-bôurgeoisie se
^
lance pendant la Monarchie de Juillet, plaignait amèrement dans ses: journaux de- la
.
Sous la Seconde République, si les démo- concurrence que celles-ci faisaient à la ville de
crates lyonnais né participèrent pas à la chuté dé ; Lyon;,'- '.'- ';;•:''.'"
la monarchie, ils furent les plus actifs en pro- Lyon, à l'étroit dans sa'presqu'îleet'au.'
: —
vince lors des journées de juin 1848, dernier pied de Fourvière, avait 180 000 habitants ;
sursaut populaire. Enfin, ils tentèrent encore Vaise, sur la rive droite de la Saône, était le
l'insurrection après l'annonce du coup d'Etat du point d'entrée .dans l'agglomération des deux
2dévembre 1851, routes de. Paris, était; passé de 2 200 habitants
C'est dire que tout gouvernement dicta- en ,1806 à. 8 800. en 1851.. •/-;':" ; ,-
";
torial devait s'assurer du maintien de son ordre la Croix Rousse, devenue
. ,
le
,

— centre
à Lyon, essentiel du tissage, en soie après l'insurrection
Ce qui fut fait et vite. fait. Quatre mois :
de 1834, avait 6 00,0 habitants en .1800,: et
seulement après le coup d'État, le décret du 19000 en:185î.
24 mars' 1852 supprimait toute organisation La Guillotièrê enfin, sur la rive gauche du

municipale élue de Lyon, et confiait son admi- Rhône, avait connu une croissance très rapide,
nistration au Préfet du; Rhône assisté; d'une de 5 900 habitants en 180.0 à 42:000 habitants.
l'Etat;"' '- ',• ."'''.' '.
-
' \r }
Commission Municipale, norrimée par le Chef de
-
'..' en 1851. Elle était due aux implantations indus-
trielles nouvelles qui disposaient là de vastes
La deuxième ville de France se trouvait espaces et qui, polluantes, ne .'"gênaient .pas-'les'
ainsi, placée dans une situation comparable à lyonnais.
celle de la capitale. Mais dans une phase d'extension: urbaine,
L'appareil d'Etat administrait directement les 2 500 hectares de la commune de la Guillo-
la ville: par des concessions politiques aux for- tièrê étaient mieux qu'intéressants... Les lyon-

85
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

nais auraient encore souhaité annexer Villeur- sur les embellissements de Lyon en général-, le
banne, 'OuHins,;.Ste Foy; ce qui leur fut refusé. troisième sur les grandes transformations de la
Autre satisfaction : Villeurbanne, Vaulx voirie., :

en Vélin," Bron, Vënissieux furent retirés du


département de. l'Isère pour être:rattachées à 2.T.1.-.;« De la régénération du quartier de
celui du Rhône. ; '.'...,-: la Boucherie des terreaux, et de l'érection d'un
Ainsi,ce qui était la ville de Lyon deve- édifice dans.ce quartier »( 10)
nait le centre 'de.-'l'agglomération. Nous verrons ".'-Ce-projet étonne par l'analyse .très foui liée
.

comment la Commission Municipale;et le. Préfet des implications financières des options propo-
sées, ou de.celles de contre-projets possibles.
surent en tirer avantage. ; ,
.,:

Troisième concession,
,
essentielle ; ; le détruire l'îlot de l'ancienne
:, II: s'agissait
de
—:
:
.Préfet, assuré de l'intérêt direct de; l'Empereur
. Boucherie, entre l'Hôtel de Ville et la Saône,;
"" pour l'entreprise, formula et fit. -exécuter un
soif- un.espacé de 100 mètres dé long sur
;
énorme programme de Grands Travaux,.Pour ce 50 mètres de large à peu près.
. ,
faire,; furent remis à l'ordre du jour toute une Deux plans, en 1-838". et 1840, le dernier,
sérié de projets anciens chers à la bourgeoisie approuvé ;par -ordonnance : royale, -prévoyaient
lyonnaise, et l'éxecution des projets permit à la d'élargir et de rectifier le tracé des voies. En-;
fois : .Z •",-.-.;-•;';;.,",,::';.^:;:";./;- ;'.;. ':-j.'„ ',-';;:-; coreV,fallait-i| décider si la îmuniçipalité partie^
:—- de modeler laville selon'lès: intérêts du peraît à une construction sur respaeexentrai ou
"négoce,-de la banque^ et selon ceux du pouvoir se contenterait de revendre, les; terrains,acquis.
•"central; ''.]' <':''";;.'•'".-'• ; L'autêùr .examine, les deux,: cas :. après
;,'''.'— de:tirer.profit des travaux dé destruc- ayoir,;: sur dix pages, justifié le plan ;de 1838,11,
;tioh,.dë reconstruction etcle;relogerifiènt; propose d'abord la construction d.'.un ; édifice
—ef oe; faisant, d'associer lés couches
';*,•; " que nous dirions aujourd'hui -pôlyfonctionnei;
moyennes à l'entreprise et de les lier au régime,
..'•;""•- Celui-ci auraitabritë : "; "• ''*': : '-
2- Projets et objectifs de la bourgeoisie lyon- ' —le...Tribunal, de Commerce, le Conseil

naise des Prud'hommes, la Chambre de Commercé, la


.

Bourse et leurs dépendances, et '


Nous; avons dit plus haut que la bour-
le Cercle, association artistique et litté-
geoisie lyonnaise n'hésitait pas à tracer plan sur —
raire regroupant les différents cercles de la ville,
plan et à dire ses intentions de là façonTa plus
« une société composée de l'élite de la;popula-
directe'.,-" f\ ",
:
tion lyonnaise, établie dans un local spécia-
DèUx: séries de dôCu'mehts peuvent étayer lement: construit pour elle,..et se constituant à
cette.étude :,;;;;; >-:v,-"-. '-'...'}'. elle-même un revenu, assez considérable... ».
articles, brochures, revues, parus
les Pour être.: anachronique, nous parlerions
,, —
sous la Monarchie de Juillet, pu la; Seconde d'un bâtiment destiné aux" affaires et à un
République, -, -: sôcio-culturel: rentabilisé, en quelque sorte, d'un,
les justifications des: décisions: du. Préfet, équipement intégré ?

telles qu'elles sont exposées dans les rapports de Le cercle lui-même devait comprendre
la Commission Municipale. deux salles de lecture/une bibliothèque, quatre
salons, deux salles de billard, une. salle de
2.1 -Une analyse : exhaustive des projets
.
n'a pas. de place ici. Trois: exemples-suffiront,
l'un porte sur le régénération d'un îlot et là (10) Deux articles signés B, dans la « Revue du
construction d'un édifice public, le ..deuxième - Lyonnais. », 1841. .-•;:•'

86
andré 'bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

concerts et de bal, une salle d'exposition, des Notre auteur, après quinze pages de
bureaux et logements de fonction. calculs de ce;genre, s'écrie : « Si l'on voulait
: Lés 'cotisations du cercle, fixées à rabaisser au niveau d'une ignoble spéculation
100 francs par an (soit 10% du salaire annuel d'argent l'acquisition et l'emploi par la ville des
d'un «domestique») seraient peu de chose eu bâtiments..: il faudrait désespérer de jamais rien
égard aux «agréments et avantagés offerts par faire de beau ni de grand dans notre cité, il
la société d'élite réunie dans cette institution », faudrait remplacer le lion qui figure sur : ses
et l'on comptait sur mille membres au départ. armoiries par le veau d'or ! ». .-.,-.
Voilà un édifice qui correspondait double- Dans le second 1 cas, où la municipalité
ment aux intérêts des banquiers, négociants et déciderait de percer lès voies et de revendre les
fabricants lyonnais. terrains, l'auteUr la presse défaire vite, pour :
L'étude financière révèle bien d'autres — ne pas
avoir à payer les plus values sur
détails, Ce Bâtiment serait d'intérêt public ; le les terrains, produites par les améliorations
Cercle, constructeur, pourrait recevoir par.con- qu'elle aurait elle-même mises en place quelque
trat de la ville l'essentiel des terrains (déjà temps auparavant.,
acquis,en 1841), La ville:y trouverait avantage pouvoir imposer, non seulement un ali-
'—
de par les nouveaux locaux d'institutions publi- gnement, mais aussi une certaine régularité de
ques, et recevrait des redevances, au-delà dé la l'architecture,
vingt-huitième:année, il est vrai.
(Les problèmes fonciers passionnaient les
milieux d'affaires" d'alors, soucieux d'en tirer
Mais c o nstructî on '?
I a ;
Les
1 300 000 francs nécessaires seraient réunis en
•profit mais surtout de lever,l'obstacle). \'
mettant sur le marché 650 actions « hypothé- Et notre auteur fait un bilan prévisionnel
quées sur le sol (de la ville I) et le bâtiment, au d'opération, où en comparant les prix au m2
rendement de 5%, garanti par-la ville encore. suivant les commodités dé l'emplacement, il
(Rappelons qu'à çetterépoqueun tel rendement évalue recettes et dépenses dé la ville.
était très honorable et qu'il s'agissait du taux Selon lui, le bilan se solderait par un
des rentes de l'Etat). déficit de 400 000 francs, et il propose d'erri-
:
Il s'agissait en réalité d'obligations, rem- prunterà long terme à la Caisse des. Dépôts,
boursables, transmissiblès, et l'auteur pouvait qui prête alors à 4,5 %. Certes,,pour solder ainsi
penser que « les avantages du placement offert
le déficit,,il faut une autorisation.de la tutelle
aux capitalistes seraient évidents ».
.administrative, mais comme le dit l'auteur/.non
sans malice :. « On doit toujours supposer,
La construction faite, l'amortissement de jusqu'à preuve du contraire, que l'adminis-
la " dette, les intérêts, pouvaient être assurés tration, veut le bien, et lé bien le plus complet
grâce aux dispositions ingénieuses de l'immeu-
ble : une partie, construite en logements, serait
que, possible »...
revendue par la ville qui rentrait en partie dans 2.1.2- Chambet Aîné, libraire, écrivit en
ses frais, "'"'. 1852 une; brochure de 50 pages, intitulée « Des
Les recettes propres du cercle partici- améliorations dont la ville de Lyon est suscep-
peraient au remboursement, mais au rèz-de- tible ».
-chaussée devaient être loués seize emplace- Il s'agit ici de tout autre, chose, du «Pro-
:
ments commerciaux à 2 000 francs par an, som- jet d'y retenir les étrangers, de -favoriser le
mes qui seraient déposées, et intérêts à 3% commerce de détail et par conséquent celui de
capitalisés, auprès de la Caisse des Dépôts et la fabrication, de donner du-travail aux ouvriers
Consignations. et d'augmenter par la consommation les. revenus

87
andré bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

de la Caisse Municipale ». S'il est bien entendu des classes laborieuses », en fait pour vider nos
que pour être sérieux, on ne peut proposer de rues des «boutiques sales et sombres»... Pro-
travaux sans en chiffrer les dépenses, et sans posant que l'on érige de nombreuses statues,
proposer les recettes correspondantes, Chambet l'auteur se réjouit qu'ait été renversée celle de
Aîné s'acquitte de la première tâche de façon «l'homme du peuple»: «nous ne trouvons
très approximative et propose très simplement point mauvais que le peuple ait ses statues ;
une loterie pour remplir la seconde. mais au moins, faudrait-il que ces monuments
Mais là n'est pas l'essentiel : l'auteur, sans soient dignes des arts et non pas de nature à
souci de plan d'ensemble, réclame et décrit par faire rire à nos dépens ».
le menu une cinquantaine d'améliorations, S'il faut construire des bornes fontaines,
d'« embellissements ». Pêle-mêle apparaissent les c'est pour laver nos rues et le pavé « objet de la
fontaines, les percées de rues, les «monu- risée des étrangers ».
ments», les quais, les horloges ou urinoirs... Pour bien signifier à tous le rôle éminent
Aucun'intérêt urbanistique au sens de rationa- de la deuxième ville de France, celle-ci doit être
lisation que nous voudrions donner à l'urba- décorée abondamment. Il faut construire des
nisme. -.--..
En revanche, nous pouvons en tirer de
fontaines monumentales sur les places, tracer
des jardins, ériger des statues, refaire les faça-
nombreux enseignements :"• des : l'auteur se plaint de ce que l'église
— par ce
qu'il passe sous silence, St Bpnaventure ait été restaurée « à l'intérieur,
--"parle contenu de ses propositions. quant il aurait fallu commencer par ce qui
Chambet; ignore apparemment les pro- frappe les yeux ».
blèmes posés ":p.ar la, crise, du logement dans
Il faudrait avoir une rue à portiques,
l'agglomération: la croissance des industries
« comme la rue de Rivoli », un passage couvert
nouvelles, chimiques et métallurgiques, exige la'
«à la mode», alors que «les passages de
présence d'une main-d'oeuvre immigrée qui trou-
l'Hôtel. Dieu ainsi que celui dé l'Argue,ne sont
vé à se loger dans les zones suburbaines de
occupés pour ainsi dire que par la classe ou-
Vaise, la Croix Rousse ou la Guillotièrê, surtout
vrière ». Et si la commune de Lyon doit inter-
dans le dernier quartier. Les petits immeubles
venir sur le territoire de Vaise, la Croix Rousse
de: rapport, de construction très médiocre, ne
sont cités par l'auteur que pour demander la et la Guillotièrê, c'est parce qu'il faut que les
destruction de ceux qui empiètent sur les pers- abords d'une ville comme Lyon aient quelque
chose de monumental, qui indique aux étrangers
pectives des « belles avenues ». Le travail des
ouvriers n'est cité que dans le titre, et pour qu'ils ont le pied dans la deuxième ville de
rappeler, conformément à l'esprit du temps, France ».
que les grands chantiers sont une garantie con- Pour ce faire, ii suffirait de construire à
tre le chômage. Vaise « une pyramide sur la place de la Pyra-
L'essentiel des propositions porte sur mide pour justifier son nom », à la Croix
deux points : Rousse une « colonne astraie éclairée», aux
. Brotteaux une fontaine monumentale, et à

le « nettoyage » de Lyon de tout ce qui
pourrait donner une image défavorable de la St Clair « un arc de triomphe » comme ceux de
ville, Paris et Marseille, qui produisent un effet mer-
la mise en place d'ornements symbo- veilleux ».

liques. 2.1.3-Antoine de Pommartin, proprosait
Il faut par exemple créer à St Georges
« des améliorations à introduire dans la partie
(vieux quartier d'artisans de la soie) un marché
centrale de Lyon » (11).
des nippes, ferrailles et meubles de hasard, « à
l'usage des ouvriers et très utile pour l'avenir (11) In « Revue du Lyonnais», 1845, p. 177.

88
andré bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

Ancien administrateur de la Préfecture, lui le beau pour une ville, c'est la splendeur
«
l'auteur développe de façon remarquable les de l'utile ».
motifs et les moyens d'exécution des grandes," Il s'applique d'ailleurs à montrer que
percées de voirie dans la presqu'île, entre la l'exécution ne soulèverait pas de difficultés ma-
place de la Comédie et la place Beilecour. jeures, à condition que la municipalité puisse
Ces grandes voies de communication au- intervenir directement.
ront, selon lui, pour résultat : L'analyse d'A. de Pommartin porte es-
de relier « l'embarcadère du chemin de sentiellement sur les problèmes fonciers.

fer au commerce», en ouvrant la voie centrale Pour lui, dans le centre de Lyon, « le sol
de Perrache à la Comédie (derrière les Terraux),. tout nu a beaucoup plus de valeur que les
au pied de la Croix-Rousse, donc de favoriser maisons qui y sont jetées sans-ordre ».
les activités économiques, En cas d'expropriation pour tracer une
de réunir les quartiers de la ville, voie (Loi de 1841, analysée en troisième par-

d'arrêter l'émigration car «déjà les de-
tie), la plus value produite par les travaux
— publics, sur les terrains attenants devrait servir
meures somptueuses s'étaient sur la rive op-
posée du Rhône». à l'intérêt général, sinon c'est une «richesse
Ces améliorations sont doutant plus ur- sociale dilapidée ».
gentes que « nous sommes à une époque où les Les travaux publics et l'expropriation de-
besoins s'étendent incessamment », et que «la vraient « donner du travail, à la population
richesse dans ses carosses, la médiocrité dans ses ouvrière, des bénéfices à la spéculation et des
omnibus, veulent être portés dans urie douce embellissements à la ville ».
rapidité vers les affaires et vers les plaisirs ». L'auteur n'hésite pas à prendre pour cible
L'auteur admet que ses projets soulè- la propriété foncière .,: le respect de la propriété,
veront des objections. Il propose alors de ne doit: p~as conduire à « un ridicule .féti-
soumettre ses idées au grand jury de l'opinion chisme ». D'ailleurs «les. cités et les
publique, ou à la « concertation » dirions-nous. spéculateurs qui se livreraient aux caprices des
Mais qui doit participer à ce jury dont l'appro- propriétaires iraient à une ruine certaine ».
bation validerait les solutions proposées ? Ce qui au fond est le plus grave, c'est que


les «spécialistes» d'abord, artistes, par le jeu des opérations foncières, « les plus
académiciens, « éléments religieux qui aiment values s'égarent entre des mains malhabiles et
l'humanité », médecins, «économistes qui sa- sans capitaux ».
vent distinguer les dépenses productives et im- 2.1.4-Ces trois documents, bien dif-
productives » ;."'""' férents, représentent pourtant trois grandes ten-
— lesresponsables : les «administrateurs dances possibles de l'action de la bourgeoisie
qUi dirigent la société et sont appelés à con- dans la cité : la première consiste à rechercher
naître ses. besoins », tous les gardiens de la loi les moyens immédiats d'aménagement dé locaux
(« l'ordre moral est essentiellement lié à l'ordre à l'usage de la « société d'élite », autrement dit
physique ») ; négociants, banquiers, fabricants, rentiers...

des «citoyens»
le propriétaire «qui
: La deuxième est celle d'une bourgeoisie
voit les locataires s'éloigner des mauvais quar- triomphante, qui, ses principaux intérêts étant
tiers », les ouvriers, concernés car ils sont « tou- garantis, songe à marquer de son sceau un tissu
jours frappés de ce qui prend un caractère de urbain qui ne cache rien des misères de l'acti-
grandeur ». vité industrielle. Il s'agit d'imposer le code de la'
L'auteur n'est pas prêt pour autant à se bourgeoisie dans les formes: urbaines, et son
contenter d'une opération symbolique, et selon mode d'emploi de la ville.

89
andré bruston la « régénération » de Lyon 1854-1865

La troisième, liée aussi à l'appareil d'Etat, sieur Bruneau au Conseil Municipal dans une
propose une intervention rationalisatrice; sans séance du 29 octobre 1858. -
vouloir heurter de front les intérêts des uns et Ce rapport contient in; extenso la philo-
des autres, il faudra sans doute sacrifier les sophie: urbanistique de la commision : toute
propriétaires fonciers aux impératifs du bien l'attention doit se porter sur le centre de la
collectif, c'est-à-dire ceux de la bourgeoisie fi- ville. Nous ne pouvons éviter de citer ici de
nancière et industrielle, qui, rappelons-le, ré- larges extraits du rapport :
. .
gnait sous louis-Philippe. ;., « Depuis six ans déjà que vous poursuivez
le dessein de régénérer Lyon, vous vous
Mais les avis'concordent Sur ce point, il .
êtes, appliqués: à ; répartir vos, efforts sur
faut commencer d'urgence de grands travaux points et à doter chacun d'eux
tous les
publics sous l'égide de là municipalité. des améliorations qui lui étaient propres
La transformation grandiose des voiries et particulièrement utiles. Mais cependant,
apparaît partout nécessaire; subventionnée de vous avez fait une part, de beaucoup la
quelque manière sur les fonds publics, elle doit .-plus large, au vaste périmètre qui s'étend
être rentabilisée pour |a plus grbsse"-part, et de la. place, des terreaux à celle de Bel-
pour ce, confiée à une epmpagrtièprivéè.;. lecour, et, transversalement du Rhône à la
:, Pour B... la Société du Cercle recevra delà
-Saône. C'est là, eh éffet,;Tancien Lyon, le
ville, des terrains. Pour Chambet Aîné, la ville centre; vrai; la partie autour de laquelle
devra donner un 'million: de francs en subvén- tout rayonne, et qui doit maintenir la
tion à une compagnie chargée de tracer une rue pondération entre .toutes.les autres. Il y
de la Comédie aux Cordelliers, Quant à A- de .aurait périt au déplacement de ce centré,
fqmmartin, il propose de confier la rue Comé- et ce péril né sera vraiment conjuré que le
jour où sa transformation sera parfaï-
diè-Bellé-Çour à : dés spéculateurs qui l'oùvri-
raièrit'à: leurs risques et périls. ;:.
.-
"-teCi»1; ;", '>-. ;' .;' :'
.-:., •-' :;•;•'-<
« D'autre part, l'aménagement, intérieur
; Sur un fond de, motivations, variées, les
: , des grandes villes subit des, lois naturelles
priorités apparaissent clairement. :
=et si acceptées,,qu'on lés-trouve obéies: à
.

2.2 ^ On le voit, le préfet Vaisse, nommé peu. près dans toutes les couches diverses
de la population qui fie peuvent „y vivre
en 1853, n'eut pas à inventer d'autant plus que .
confondues et se séparent d'elles-mêmes.
là bourgeoisie ralliée au régime développait vo-
Chacune a sa fonction et chacune aussi sa
lontiers un discours justificatif.
demeure, c'est-à-dire son quartier. L'un
La commission Municipale avait été choi-
: est lé "siège de l'autorité, c'est; la,;tête qui
sie parmi les notables : son rôle consultatif domine et dirige ; l'autre réunit les grands
auprès du Préfet, administrateur de la ville de
commerces, c'est le coeur qui élabore les
.Lyon, l'obligeait à donner un avis circonstancié. principes dé vie ; les' autres donnent asile
Ce: qui, nous vaut une série de rapports très ,
aux habitations et "aux industries, ce sont
.instructifs.:',,,,-.. . ..
;;- les extrémités, qui agissent, exécutent.
Le plus instructif d'entre eux porte Sur Cette harmonie ne saurait être impuné-
l'ouverture de la rue de l'Impératrice (actuelle ment troublée, et le besoin en est si réel
rue Edouard Herriot). C'est le « rapport sur un :... et si vrai, que si:, par cas fortuits, quelle
projet de tracé entre la,yillë"de Lyon et la -qu'en soit.d'ailleurs la nature, elle vient a
Banque Générale Suisse et le Crédit International être rompue, elle cherche d'elle-même à
pour l'exécution d'une rue nouvelle allant de la se rétablir, et: alors l'Administration' a
place des Terreaux à la place Bellecour » pour devoir de seconder ses efforts et de
présenté au nofn d'une commission par fylon- .hâter ses succès ». -.-.-..
90
andré bruston la «régénération» de Lyon1853-1865

Tout commentaire paraît sUperflu. Rap- fut-ce que pour en fnesurer l'importance, de-
pelons cependant que jusqu'au milieu du

vons-nous les citer. - -
,
XIXème siècle le centre de : Lyon était très -
En procédant par quartier, nous trouvons
peuplé, des classes populaires en particulier.. La ; d'abord le centre, dans la presqu'île, :.
majorité dès immeubles détruits pour le passage ,3.1.1 - De Bellecour- aux Terreaux, ce
de la rue Impériale.étaient loués.
fut t'espace urbain lé plus bouleversé par/les
:Lé parti pris de "la Commission, résolu-
travaux.',;- -,, ;\";., •-;
ment fonctionnàlistë, traite la ville en zones
-

Le Préfet passe traité le 15 février 1854


différenciées. Faire - du centre la tête, c'est ici
manifestement en écarter les bras, entendez'les avec la Compagnie,de la rue Impériale, société
ouvriers.rejetés à la périphérie. V par actions formées dans,le but d'ouvrir; ladite
: rue,(art. 4 des statuts de;la société). ;;
Le rapporteur reconnaît ensuite; que les
Le 31; mars, décret d'utijité publique.
valeurs de la, propriété immobilière ont été
boUlerversées lors du percement de la:rue;Impé- Le 3 avril, commencement dé J'enquête.
riale,; mais il. .corrige rapprëoïatibh;T- «la- pro- ;^ Le;2juinr^
priété immobilière ne saurait ; s'avilir dans ;une ; Le
3 juillet, approbation" par décret dés
,
ville: comme 'Lyon... l'épargné là'-préfère -et lui": statuts de la compagnie de la rue; Impériale. ;
revient toujours. Elle ne saurait s'avilir, surtout ; lies démolitions commençaient dès (afin
lorsque lés capitaux se portent autant vers elle, de 1854, Le tracé retenu était à peu près cëlU i
parce que, mieux .que personne, ils mesurent et proposé par A, de Pommartin en 1845, dé la
apprécient les.forces:èt;ies besoins». ; : "place .de; la Comédie â. Bellecour^ Là;procédure
.Et Monsieur BruneaU d'ajouter que;«Ta administrative avait été menée rondement :ir en
Banque Générale Suisse est étrangère, procédera fut de même des travaux,; :;; V - "-,
surtout avec les moyens étrangers et versera dès :" L'architecte, Benoît Poncet, Directeur de
lors parmi nous :des- capitaux considérables qui:' la Compagnie, engagea de jeUnes architectes qui
n'y,existaient;pas ». - ^-::''-',.;:;" :
-, : ; se répartiront les .lots entre lès rues transver-
Ainsi, la fraction de la bourgeoisie lyon- sales., La première pierre de la rue Impériale fut
:naise qui. approuvait, inconditionnellement le posée le 28 avril 1855 dans une, cérémonie qui
représentant du pouvoir central, ménageait en réunissait toutes lés autorités et une foule nom-
même temps les intérêts.des investisseurs ,: en, breuse. En 1857, la rue elle-même était,termi-
transformant la.ville, elle autorisait la création née. .'.-.""-' ::',' ''."•..',.•
- -
d'un centre d'affaires, et,elle écartait les petits- ; ; Que l'on juge de la rapidité, de l'ppera-
propriétaires au profit de compagnies d'aména- tion : registres, d'expropriation,
d'après, les
gement.- .;.-:-.'>.:-----:;-,-..-::---.- .
345propriétaires ont été expropriés,; 283 mai-
sons ont été démolies d'après la. compagnie ; et
3- L'exécution des travaux : du rôle des prin- 31 903 m 2. avaient été construits par la,compa-
cipaux acteurs gnie, ou les acquéreurs de, terrains, revendus,
d'après la Commission Municipale.
Mous avons choisi, Tanaiyse d'une "petite
'..". Avant, même. que. la rue soit; bâtie, le
.
décennie de 1.853 à 1864,; car elle correspond Préfet passa un isecond traité avec la Compa- .
à la. période d'administration du. Préfet C-'.Vais-
gnie, le 4 mars 1855,, qui prévoyait le prolon-
se, celle où furent lancés et réalisés» pour l'es- gement de la me Grenette; transversale à la rue
sentiel : Impériale, jusqu'à la Saône; la Compagnie de-
3.1 - Les travaux eux-mêmes : vrait aussi établir Un marché couvert, face aux
Nous ne pouvons ici les décrire en détail,, Cordellers (aujourd'hui remplacé par un parking
et ce n'est pas l'objet de ce texte. Mais; ne silo). ''
-
',-."-
91
andré bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

Dès 1857, ces travaux furent exécutés. 3.1.3-Dans le quartier des Brotteaux,
Par ailleurs, l'architecte en chef de la ville, Vaisse entreprit de protéger les crues du Rhône,
Dardel, constuisit, beaucoup plus lentement de ces anciens marécages, et de les relier mieux à
1855 à 1862, le Palais du Commerce (sur la ville.
5 000 m2).. A partir de.1857, du Rhône sont
les quais
Le nouvel axe de circulation Nord Sud ne terminés ; la grande digue de la Tête d'Or
suffisait pas à Vaisse. Il reprit encore un vieux protège le quartier. En 1859, tous les péages
projet, dont l'exécution avait commencé en des ponts de Lyon sont rachetés.
1846: une nouvelle rue parallèle à la rue A partir de 1856, Vaise aménage le parc
Impériale, la rue de l'Impératrice, moins large de la Tête d'Or, sur 500 hectares, Et ce quartier
(15 m contre 22 m). au moins dans la partie Ouest, près du Rhône,
Il avait envisagé (cf. ci-dessous, 3.2) de devint une zone purement résidentielle, (ce
faire appel à une banque suisse pour rééditer qu'elle est encore). Quant à la Guillotièrê,
l'opération de la Compagnie de la rue Impériale, protégée elle aussi par les nouveaux quais, elle
dès 1858, mais la rue ne fut ouverte par la ville fut équipée d'égoûts et d'un système de drai-
que de 1860 à 1862. nage.
Ajoutons la destruction de l'ancienne 3.1.4- habitants de Vaise avaient vai-
Les
Préfecture et l'ouverture de nouvelles rues trans- nement protesté contre l'annexion de leur com-
versales-dans cette-période, et l'on voit que le mune à Lyon. - -
. .
centre de Lyon avait connu un bouleversement Mais l'entrée dans la ville ne changea le
fantastique en huit ans. sort de la commune que pour en faire un
faubourg bien équipé pour jouer son rôle de
3.1.2-Le quartier des Terreaux bénéficia, port de Lyon. : •"
on l'a vu, de nouvelles percées qui le relient à Chambet Aîné avait songé à embellir
Beliecour et à la gare. symboliquement Vaise. Le préfet Vaisse tira
parti de sa situation géographiquepour implan-
Mais le traité du 4 mars 1855, cité ci-des-
ter des activités peu désirables dans le centre de
sus, autorisait la Compagnie de la rue Impériale
à construire le massif « compris entre |a rue de
Lyon.: ce fut, en 1854, la gare de marchandises
de la ligne Paris-Lyon, ce qui provoqua la
la Cage, la place des Terreaux, la place des
Carnes et la place de la Boucherie des Ter-
formation d'un lotissement; ce furent en 1858
et 1860 le marché à bestiaux et le nouvel
reaux ». Face à l'Hôtel de Ville restauré et
.enfin capable de «répondre aux convenances abattoir « qui se trouverait ainsi loin des centres
les plus essentielles pour la résidence du repré-
de population »... Enfin les nouveaux quais qui
endiguèrent le faubourg, et l'entrée des deux
sentant de i'Administration », ce massif présen-.
tait des façades indignes de leurs vis-à-vis. A routes de Paris fut améliorée.
vrai dire, Benoît Poncet voyait surtout l'intérêt
Le tableau rapide de ces travaux, en ce
commercial de l'opération, en construisant le
qui concerne l'initiative publique, peut être
passage couvert, des Terreaux, mais ses espoirs
complété par la création de la Maison d'Arrêt,
furent déçus.
élevée à Perrache pour remplacer la prison dite
Enfin, Vaise compléta la régénération du de Roanne, attenant au Palais de Justice. Com-
quartier en constituant les quais du Rhône et mencée en 1860, la prison fut terminée en
de la. Saône. Ils ont été élargis, exhaussés, pour 1865.
être désormais « dés lignes offensives contre
l'émeute, des digues contre les inondations, des 3.1.5 -
La construction privée s'était en
voies de communication ». même temps montrée très active.

92
andré bniston la « régénération » de Lyon. 1853-1865

L'histoire en faire ; friais il est


.reste à scribes » (12), destiné, à signifier au Parlement
Certain, que, .de son initiative, elle réalisa un sa .défaite politique. Apparemment,:dans son.
nombre d'immeubles au moins égal à celui des court passage: au Ministère, Vaisse remplit son
constructions qu'elle réalisait sur les sols déga- rôle : « un simple Vaisse n'eut qu'à venir évo-
gés par les pouvoirs publics : la. Commission quer le spectre rouge pour, que le parti de
Municipale précise en 1858, que si, la; Compà- Tordre rejetât sans, discussion une proposition
:gnie de là rue Impériale avait alors bâti sur (amnistié des condamnés politiques) qui ne pou-
31; 903 m2, les propriétaires et entrepreneurs vait manquer/de donner à l'Assemblée Natio-
avaient «•'couvert/ en maisons dé premier ordre, nale une immense popularité ». (13). C. Vaisse
une surface de 31 925 m2,.. à Perrache, sur la. fut encore conseiller d'Etat avant d'être nommé :
place. Napoléon, aux Brofteaux, dans, l'avenue Préfet du Rhône.le 4 mars 1853. Il avait faiftses
de Noailles, près dU « parc », ç'estrà-dire sur la preuves, dé fidélité au'Prince Président, il fut un
place de Verdun (aujourd'hui ,défigurée- par l'au- exécutant zélé des volontés impériales, ,.-"'' .
toroute :A7) et dans.le nouveau.quartier chic
près, du parc, Voilà pour le « premier ordre », : -'3.2,2 : Mais.il fallait définir les modalités
le logement de standing... -.'.•'"'
.
ri
d'action propres,à servi es objectifs: essentiels-:
,-.,- Ajoutons tout ce qu'il fallut construire .contrôler de près lés classes populaires et fépri-:
pour, héberger les locataires expulsés du centre, mer tout .mouvement, gagner le soutien .des
et les. immigrés ruraux venus; trouver du travail différentes fractions de là classe bourgeoise au
à Lyon, souvent, sur les. chantiers des opérations nouveau régime. / ; /.

de régénération... Ces logements trouvaient pla-


.:' En huit mois,, le. Préfet/s'était -fait une
ce nue à la Guillotièrê, aux : Brotteaux (sur. les. |'E mpëreur ; sou ha i ta i t q u e; fut 1 a ncë'-.u n
rél ig i o n :
terrains des 'hospices); à la Croix-Rousse et à
vaste programme de. travaux, il suffirait- de
Vaise. ,'"•:';
. : - reprendre; et systématiser les projets, que la
.
bourgeoisie, financière et'., manufacturière de
Lyon avait déjà formés.
3.2 - Nous avons montré (cf. première.par-
tie) les raisons profondes de l'intérêt porté par Vaisse s'entoura de conseils et fit savoir
le pouvoir central aux affaires lyonnaises, et les par toute la ville ses intentions ; armé, d'argu-
mesures réglementaires, qu'il prit pour diriger ments, solides, il put demander au gouvernement
les appuis réglementaires et financiers dont il
sans intermédiaires la municipalité. '-•••
avait besoin. Son rapport justificatif, adressé au
L'efficacité de cette administration;devait
Ministre, de ..l'Intérieur': le 21 novembre 1853,
dépendre:en grande partie des qualités du Préfet -

Maire: celui, qui fut désigné avait toute la expose sa philosophie des.grands travaux.
confiance, de "l'Empereur ; et. il obtint finale- ,IL est nécessaire, dit-il, après la suppres-
ment les moyens de Sa politique sion, de l'autonomie communale, «de donner
satisfaction aux susceptibilités blessées, en im-
/. 3.2.1- Claude Martin Vaisse, né à Marseil- primant une impulsion plus marquée aux amé-
liorations communales, de frapper les esprits par
le, le 8 août. 1799, entra dans l'Administration
sous la Monarchie de Juillet Il /fut préfet dès une grande entreprise d'intérêt local qui flatte
1841 et passa par les services d'administration l'amour propre et témoigne que la ville n'a rien
centrale; Louis Napoléon (alors.Président/de la perdu au çhangementd'administration »,
République) le nomma Ministre de l'Inférieur
en janvier'1851, dans un Ministère « composé (12) K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Napoléon
uniquement d'individus inconnus et -insigne Bonaparte. -
fiants, un Ministère de simples commis et. de (13) Idid.

93
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

Ses arguments portent sur trois points : s'y conformer. Bons résultats obtenus.
l'embellissement de la ville apportera Réunion dans une même pensée des par-

mouvement, lumière et salubrité, ties dé la ville en état d'antagonisme.
la transformation chasse l'émeute de ses Popularité des projets. Place qu'ils ont

retranchements, occupée dans la préoccupation générale.
Ils ont, par moment, presque remplacé les
les ressources financières peuvent être

rassemblées. .-.-,'. discussions politiques ».
«Renvoi dans les faubourgs aux ex-
Pour défendre le deuxième point, il avait
utilisé les avis du Maréchal de Castellane, qui trémités de la ville, d'une population qui
dirigeait la place de Lyon. Le Maréchal n'avait s'y logerait plus sainement et à meilleur
marché. Rappel et conservation dans l'in-
pas mâché ses mots dans une lettre au Préfet le
6 octobre 1853 :« Cette rue... (projetée)... est
térieur de la population riche en lui of-
frant la possibilité de s'y établir suivant
encore plus indispensable sous le rapport straté- ses besoins ».
gique que sous ceux de la salubrité... et de son
utilité pour les habitants ». Lyon exerce une On comprend qu'aux yeux de Vaisse, en
... fin 1853, certains objectifs politiques sont en
immense influence sur le midi de la France; le
maintien de la tranquillité dans cette cité est partie atteints. Pour le dernier cité, il faut
donc chose importante pour le Gouvernement; réaliser, et vite : l'éloignement des indésirables
la rué Impériale sera un moyen puissant pour les est à ce prix, et le centre de Lyon sera peuplé
conserver ». de gens «qui sont de tout repos et n'ont pas
Par ailleurs, i! joignait à la lettre un plan l'habitude de monter sur les barricades »,
des barricades de 1834, montrant que l'insur- Le Préfet du Rhône avait.besoin de l'ap-
rection s'était appuyée sur les très nombreuses pui impérial pour engager les travaux ; il vint
« traboules » (passages couverts dont il reste très vite, le 10 décembre 1853, ainsi libellé:
quelques exemples), que la régénération du « L'Empereur a approuvé le projet d'ouverture
quartier ferait disparaître. de la rue Impériale. décidé que cette rue,
H a
La science urbanistique de Castellane était classée comme route impériale (n° 83 N.O.A.)
un peu courte, mais Vaisse, qui voyait plus loin, par le Ministre des Travaux Publics, aurait une
n'en utilise pas moins les arguments propres à largeur de 22 mètres, et figurerait au budget des
séduire l'entourage deTEmpereur. Ponts et Chaussées pour quatre millions répartis
Tout cela représente le contenu d'un rap- sur quatre exercices.
port officiel ; les notes manuscrites de Vaisse, La ville restera d'ailleurs chargée de l'exé-
alors qu'il préparait son rapport, sont plus cution des travaux » (14).
éclairantes encore : L'Empereur portait un grand intérêt à la
Raisons de l'entreprise. Elle n'est pas le ville de Lyon : la rue devait avoir 20 mètres de
«
fait d'une simple fantaisie de grande ville, fixait à 22 mètres (comme la rue de
large, il la
une affaire d'embellissement ou d'utilité Rivoli), et il prit, le 13décembre, trois jours
locale plus ou moins constestable— Rai- plus tard, un/décret qui rendait applicable à
sons politiques ». Lyon le décret du 26 mars 1852, qui autorisait
Utilité dans la ville de Paris à exproprier, au-delà des voies
« politiques
les changements
de frapper et d'occuper les esprits par des publiques, les terrains nécessaires à la transfor-
questions d'intérêt qui les touchent direc- mation architecturale des quartiers, dans la me-
tement ».
«Instructions données en ce sens par le (14! Télégramme du Ministère de l'Intérieur,
Gouvernement. On n'a fait que chercher à A.M.L.O.I.

94
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

sure où la propriété était touchée un tant soi Doit-on s'inquiéter du sort des classes
peu par le tracé. populaire? Elles seront mieux logées, dit-il, et
Sous ces bons auspices, il fallait prendre pour moins cher (sous-entendu : que si elles
avaient voulu se reloger sur place,!).
les moyens de la politique choisie.
Une concession sera nécessaire : « il sera
3.2.3 - Pour ce faire, le Préfet devait : sage.,, de faire que la contribution nouvelle
(25 centimes extraordinaires) soit aussi peu
convaincre la Commission Municipale,
— sensible qu'il se pourra pour la population qui
composée des notables, et rallier les couches
n'est pas aisée » et Vaisse propose une répar-
moyennes, '.".'-'/. tition graduée, « qui permet de faire concourir

utiliser la législation au mieux, les riches au soulagementdes pauvres ! ».
/.—financer l'opération. .., Sans doute le Préfet n'eut-il plus besoin
C, M. Vaisse ne manqua pas de fournir de montrer les avantages réels des grands tra-
rapport sur rapports à la Commission Munici- vaux ; ceux-ci, exécutés très vite, étaient une
pale, et celle-ci les analysera en sous-commis- démontration plus convaincante, et chacun des
sion : tout au plus demànda:t-elle dans la décen- rapports suivants de Vaisse ne contient plus
nie, quelques amendements aux conventions guère que des arguments techniques et financiers.
passées avec le privé. Pour le reste; elle adhéra
Vaisse avait les mains libres : mais l'opéra-
d'enthousiasme... Il est vrai que le Préfet trou-
tion devait coûter cher, et
la ville n'avait pas les
vait les arguments proprés à convaincre : dans
moyens d'assurer techniquement les travaux;
son rapport à la Commission, le 25 décembre
1853, il rappelle que, informée des projets, la Elle disposait cependant d'un atout consi-
dérable : le droit d'expropriation.
population n'admettrait pas que la Commission
La loi du 3 mai 1841 avait,, sur 76 arti-
y fit Obstacle. Il invite ses auditeurs à consi-
dérer les effets des démolitions ; la population cles, défini l'expropriation pour cause d'utilité
forcée de s'établir ailleurs se portera sur des publique. Elle mérite un examen détaillé que
terrains disponibles dans lés faubourgs. «Cal- nous ne pouvons exposer ici.
culez tout ce que ces déplacements et cette Retenons que le Préfet peut accélérer la
émigration vont amener de transactions sur les procédure ; l'enquête administrative est réduite à
propriétés, les locations, les terrains à bâtir ; 8 jours, le Préfet peut alors prendre l'arrêté qui
compter tout ce qui, de proche en proche, et désigne les propriétés à exproprier, et sous trois
sur tous les points, va se ressentir de l'effet de jours, le tribunal prononce l'expropriation.
ces transactions...
tout ce qu'il en résultera Le jury d'expropriation est chargé ensuite
d'augmentation dans les, valeurs de. toutes de fixer les indemnités.
sortes, et vous reconnaîtrez que vous allez La liste des jurés potentiels, de 36 à 72
apporter à la . propriété bien plus que vous par arrondissement, fut fixée à 200 pour Lyon
n'exigerez d'elle... ».
par la loi du 22 juin 1854. '
De plus, l'Empereur lui-même avait Ce moyen d'actiort judiciaire était com-
accordé une exemption de 25 ans de la contri- plété par le décret du 13 décembre 1853, cité
bution foncière et de celle des portes et fenê- ci-dessus : toute propriété touchée par le tracé
tres pour les nouveaux immeubles de la rue de la voie sous expropriation pouvait être
Impériale. expropriée en son entier. La libération des
Autrement dit : négociants, banquiers, terrains s'augmentait d'autant (15).
homme de loi, dont vous êtes, s'enrichiront, et
les classés moyennes propriétaires en tireront (15) Cette disposition devait, paraître exorbitante
profit aussi. au Conseil d'Etat qui modifia le décret par un arrêté.

95
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

Il ne s'agissait cependant que de textes lancement du vaste programme de


Le
destinés à faciliter les travaux de voirie et 1853 imposa le recours à la Caisse des Dépôts
d'alignements ; au même moment la législation et Consignations, et pour rembourser l'emprunt,
sarde (16) encourageait les particuliers à respec- la ville dut prendre, par addition au principal
ter le Plan Régulateur (beaucoup pour 15 ans et des quatre contributions directes, 25 centimes
l'exemption des droits d'enregistrement ; elie leur extraordinaires.
donnait priorité sur l'Administration pour exécu- La Caisse des Dépôts et Consignations,
ter les travaux de voirie prévus(contre indem- créée en 1816, s'était vu confier, par la loi du
nité). 3T mars 1837, la gestion des fonds des Caisses
Les, infractions au plan pouvaient être d'Epargne : sous la Monarchie de Juillet, elle
sanctionnées par la démolition. De plus, le prêtera aux collectivités publiques. Malgré ses
règlement de 1832 prévoyait que « ceux qui, difficultés en 1848, et l'augmentation du taux
dans le délai de dix ans, exécuteront les nou- d'intérêt qui en résulta (7,5 % en 1853), elle
veaux travaux sur leUrs propriétés, obtiendront développa cette activité sous le Second Empiré.
de la vil le, la cession gratuite des terrains vacants
lui : appartenant, : sur lesquels; lesdits travaux
devraient être exécutés en. conformité du Plan
/ La compagnie :

3.3 - Ce sont pourtant les solutions envi-


Régulateur». .,
sagées pour la me Impériale et la, rue de
; La , législation sarde, ; en vigueur à Nice l'Impératrice qui présentent le plus d'intérêt. La
avant, l'annexion;de.:1860, présentait ainsi des seconde rue: fut en fait réalisée par la ville
mesurés d'incitation, de sanctions, et de conces- elle-même, la Société Suisse s'étant.retirée. ; ;
sions qu'ignorait la loi française. ; Mais |a première fut exécutée dans/les
Vaisse disposait essentiellement du droit formés convenues, par la Société de -la .'rue-
/d'expropriation. Il pouvait,aussi le concéder, et. Impériale,, •q'ufexisté "toujours, cotée à la Bourse
essaya deux fois : de Lyon-fort honorablement et toujours en-
gagée dans l'immobilier.
La première fois en confiant à la Compa-
gnie de la rue Impériale l'opération, il paya les La Société fut créée sous l'impulsion de
terrains de voirie qui lui étaient remis en obliga- l'architecte, Benoît Poncet, qui avait participé à
tions de la ville : la Compagnie; recevait le droit l'ouverture de la rue Centrale.
d'exproprier, mais préfinançait l'expropriation. Ayant présenté en 1853 une étude du
La deuxième fois, il tenta de passer traité tracé de la nouvelle rue, son projet l'emporta,
avec la Banque Générale Suisse de Crédit Inter- et il eut l'idée, avec quelques notabilités lyon-
national :" celle-ci, recevait; en échange des ter- naises, de fonder une société par actions qui
rains du domaine municipal, et préfinançait, aurait pour, but de. réaliser les grands travaux de
l'expropriation. Cette deuxième affaire échoua. Lyon. /
Bien entendu, cela ne suffisait pas à assurer La Société fut formée en février 1854, et
l'ensemble des charges financières des grands ses statuts approuvés le 3-juillet 1854. '"';*'
travaux. Entre temps/le traité avec Vaisse avait été
signé, et l'expropriation décidée.
du 27/12/1858 : « Les propriétaires pourraient retenir Le premier Conseil d'Administration était
-
la partie de leur terrain non incorporé à la voie composé de Benoît Poncet, Directeur, archi-
publique». L.Girard, op. cit. p. 167., Mais à cette tecte et propriétaire, qui apporta à la. société :,
date, l'opération de la rue Impériale était quasi achevée. 1) le traité avec toutes ses conséquences; 2) ses
(16) Analysée par N. Mallet, in Les mutations de
études, plans et travaux préparatoires ; 3) son
l'espace urbain à Nice... 1860. 78, Microfiches
AUDIR. industrie... », et de deux négociants et trois

96
andré bruston la «régénération» dé Lyon 1853-1865

rentiers, qui à- eux,cinq: possédaient 14 % des " 500;francs. Ces ; entrepreneurs formèrent en
14 000 actions,de.500francs chacune (17). ..' 1859 une « Compagnie de la rue de la Bourse »
|l est intéressant de voir qui, en 1854, qui édifia 13 immeubles. Cette, compagnie fu-
pouvait et voulait investir dans cette entreprise, sionna d'ailleurs avec la Société de. la rué Impé-
qui profita du succès.: Les 14 000 actions
riale,en: 1920. "'' -

étaient/réparties entre 179 actionnaires;; 105 On; peut penser que cette politique de
...
rentiers ; propriétaires, négociants, juristes, 50 revente n'avait de chances de réussite;totale que
artisans-;.pu'..employés,-,. 24 'divers./(haut niveau : si la Société avait eu en face d'elle des sociétés
banquiers, médecins, etc.). Les rentiers for- immobilières puissantes pour bâtir en grand/et
ment un groupe important, de gens aisés, car 30 non; le; plus souvent des particuliers.
d'entre-eux se partagent 4670 actions .(rentiers,
de l'Etat). Les négociants font de même, et 18 De fait,
la Société, très vite, estima qu'elle
pouvait construire elle-même à bon compté, et
d'éntre-eux se partagent 2 570 actions. ;
exploiter ensuite ses immeubles: ce qu'elle fit/
Les propriétaires déclarés sont peu nom-
Sur" les 27 000 m2 : de la; rue Impériale qui
breux : il est., vrai.-que. si «les propriétaires » ne devaient lui revenir, ;24 000 m2 restaient sa pro-
sont; que cela, les autres sont aussj proprié-
priété en 1858, '-...
taires... / .":.
-
'•'...'
.On peut au moins évaluer les bénéfices de
On peut être étonné de la'place occupée
la Société sur les terrains revendus à la ville:,
par ies professions juridiques :* le plus gros
actionnaire, et de loin (1 640 actions) en fait aux termes, du traité, la,:Société devait recevoir
12,350 000 francs plus une maison, plus
partie, >'' .-_ v ;;•',/':•// ..' .-,'•-" :
1 696 m 2, et-livrer à. la ville 31 827tn2./
".'/
Celui-ci possédait ainsi pour 820 000 F:,
d'actions,-ce qui pouvait: placer son patrimoine Elle n'aurait livré que: 29 761 m2, à
dans les plus importantes fortunes lyonnaises 450 francs à peu près le; m 2. Or, le prix :dé,
:(0,Q8 % des fortunes en 1845) (18). ; revient moyen de ces. terrains était de
Bien entendu, les 50 artisans et employés 396 francs le m 2. C'est dire que la Société, sur
.
ont T 235 actions seulement.; cette partie seulement de. l'opération, avait
gagné 1 500 000 francs.
Dans les rangs des notables, 67 action- - ,

naires ont 11 450 actions ou 37% des action- La. Société continue.son activité eh cons-
naires disposent de 78 %.du capital. truisant le massif des Terreaux et, pour le
;
On est loin de l'investissement majoritaire compte de la ville, le marché couvert. Cette
des petite épargnants qui plaçaient plus volon- dernière opération "(traité du 4 mars 1855 avec
tiers leur argent, en obligations. Vaisse) fut peu heureuse pour la Société qui
: En tous cas, la Société réussit'-•: son projet revendit dès 1859 le marché à la ville (19).
initial était de liquider rapidement,; en reven-
dant, les terrains libérés. De fait, elle vendit à la 3.4 que furent Vais-
Ces acteurs, majeurs
-
ville voies et places, à 420francs le m2, et à Se, représentant l'Etat et la: ville/et, la Com-
des particuliers qui désiraient construire pagnie de la rue Impériale sont les plus «visi-
(625 francs le m2 à la- Banque de France). Puis bles » dans le processus.
elle vendit à un syndicat d'entrepreneurs (petite
société de promotion) un terrain de 2 035 m2 à (19) Ajoutons que B. Poncet spécialisa sa Société
dans ce genre d'opérations, à Rouen (cf. Clair Tisseur,
Benoît Poncet, in « Revue dû Lyonnais », 1881), et à
(17) Brochure du Centenaire de la Compagnie Nice où il fut concessionnaire des travaux du quartier
(1953) et A.M.L. dossier Ol; St. Jean Baptiste en 1867 (cf. N. Mallet, op. -cit.
(18) Cf; A. Daumard, op. cit. p. 130. p.82).

97

espaces et sociétés n. 15-7


andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

Pour mieux mesurer les transformations -municipales contiennent une


Les archives
sociales réelles; liées aux bouleversement de l'es- lettre anonyme,, peut-être l'oeuvre d'un mauvais
pace urbain,;il faudrait pouvoir montrer : plaisant/significative cependant :
— en ce qui concerné la
bourgeoisie elle- «Monsieur le Préfet, veuillez avoir la
même et les classes moyennes, lès ramifications bonté d'arrêter immédiatement la cons-
du secteur de la construction. Participation du truction delà rue Impériale, ou sans cela
secteur bancaire,: qui préféra sans doute prêter "la classé ouvrière se dispose à marcher
sans grands risques plutôt que de s'engager arme à la main contre vous'et toutes les
directement dans la/ Société d'aménagement à autorités civiles, parce que les proprié-
l'exception de Luis César Guéfin pour 400 ac- taires se font une: gloire d'augmenter les
tions, et la Société l'Omnium, pour 1,00 actions. / locations,dé 100 %, et alors l'ouvrier ne
Cette dernière était une société civile d'investis- pourra plus se'.loger que dans: Un... s'il
.
sements, qui réunissait les principales banques plaît à vous de lui en désigner un. Si d'ici
privées lyonnaises. On voit qu'il s'agissait pour .
trois jours l'ordre n'est point affiché aux
ces dernières, d'une, participation symbolique. quatre coins de Lyon que cette rué et lé
En revanche, elles se réunirent en 1856"pour Palais dé la Bourse ne se fera pas, malheur
fonder la Société Lyonnaise de, Dépôts, dès ce à vous et à vos descendants... ».
moment et encore aujourd'hui: banque .de la
Sociétéde la rue Impériale.; *, Nous, .soussignés.membres de. la" Société
11 faudrait encore analyser: le rôle, dès ; Carbonaro. : " /- -.- / ./..
particuliers (et « Spéculateurs capitalistes»,com- :
Le signataire ne manque pas d'humour,
me on disait alors sans nuancé/péjorative)'; des quand, on se souvient que-Louis. Napoléon
: petites entreprises et des sociétés.immobilières, Bonaparte fut- affilié aux.Carbonari... ,.- ./;:/
,
notamment dans la construction des zones non
« programmées » par le Préfet. :, 4-Conclusion
en ;çe qui concerne les classes popu-

laires, .qui; ont subi les .initiatives ci-dessus Tentons de remplacer ces transformations
desçrites, elles n'avaient guère les moyens de urbaines décisives dans l'évolution des rapports
contester pu de résister aux transformations. Ce sociaux dans lé milieu du XIXème siècle.
qui ne veut pas. dire qu'il n'y eut pas de
résistances... Mais les traces en sont minces. 4.1 - La bourgeoisie, nous le savons, hési-
Voici une critique d'un bourgeois républi-
tait devant choix politiques qu'elle avait à
les
: faire ; ses différentes fractions se disputaient le
cain :.<< La Commission Municipale fonctionnait, pouvoir, et la forme des régimes politiques
taxait, votait, entreprenait, démolissait, cons- dépendait étroitement de ces luttes, où les
truisait. Les contribuables étaient ruinés en contradictions ne manquèrent,pas, en particulier
silence et. les clients (au sens romain du mot), :
entre les fractions liées à la propriété foncière
les courtisans de l'Empereur, de son proconsul
et celles qui étaient liées à la croissance indus-
ou de sa Commission, s'enrichissaient des boule- trielle.
versements du vieux Lyon..: La malignité ou la
tenaient leur force de ce
Les premières
perspicacité publique avait donné le nom à une
maison de la place des Jacobins de « Maison des. que. la France était encore une nation de pay-
trois voleurs » (20), sans.^ C'est dire que tout appel , au, suffrage
: universel, même provoqué par les libéraux, tour-
nait à l'avantage du parti de l'ordre. Les .socia-
listes dé 1848 le savaient: bien, qui. tentèrent
(20) Docteur Crestin, Souvenirs d'un lyonnais de
1857 à 1871, Lyon, 1897. d'ajourner les. élections.

98
andré bruston la « régénération » de Lyon 1853-1865

;
"Les secondes" eh revanche, maîtrisaient le: Ces .mêmes travaux; assuraient, on Ta vu,
développement capitaliste, occupaient- la Capi- la "bourgeoisie contre l'insurrection : mieux en-
tale et s'appropriaient de plus en plus l'appareil core, ils déportaient systématiquement les elàs-.
d'Etat. ; La création de cités; industrielles, la ses populaires à la périphérie, non pas par
croissance des grandes villes, liées à l'expansion répression directe, mais par simple jeu de la
des moyens de communication, représentaient un « régénération » urbaine. Citons un exemple :
élémentmajeur de leur renforcement. sur les registres d'expropriation, nous avons
Mais l'ensemble de la bourgeoisie s'unis- constaté que si 345 propriétaires ont été exprô-.
sait pour faire face aux classes populaires lirbak priés rien que pour la rUe Impériale, 67 seules [
nés," anciennes et nouvelles;.la Seconde : Répu- ment d'entre-eux étaient résidents. (21 ).
blique parlementaire fut l'occasion d'un faux : C'est direque ces immeubles abritaient Un
pas pour Ies;"classes bourgeoises/ qui minées sur" nombre considérable de locataires qui furent
la scène ;.politique, par leurs: contradictions, évincés/ Il faudrait y ajouter .tous ceux qui
avaient;ouvert la voie au,;despote. durent quitter les : rues latérales. Tous ne subi-
Tout en grognant ; contre le pouvoir pef-. rent pas, sans, douté,"les; 100.% d'augmentation
dé: .loyer dont parle là « lettre dès'•'.Ca.rbpna'ri ».
sônnel, la bourgeoisie industrielle et "financière
Mais, là ville centre n'était; plus pour eux (22).,
sut utiliser à Son profit le nouveau régime :
celui-ci ignorait les aléas du suffrage-universel,
et; mettait l'àppàreil d'Etat au sèrvîçe:;du déve- "4.2 "En" vérité, ce même çentreavait été
transformé selon les voeux.de la bourgeoisie.
loppement capitaliste. "Mieux : le « despotisme
éclairé » et paternaliste de l'Empereur,pendant Rappelons son; discours : si l'ouvrier et
l'Usine, sont rejetés, eux le «bras qui exécute »,
Une décennie, fut un élément idéologique essen-
tiel de là «paix sociale'»,-/" /-:; à "la périphérie, la bourgeoisie fait bien du
centre la « tête, qui domine »... Mais en. même
Revenons au frontispice cité; en intro-:
temps, elle y développe très largement: le sec-
duction: l'ordre était établi et maintenu.
teur bancaire et commercial, « qui élabore les
Quel était; le rôle politique des grands principes de vie ».
.
travaux ? Nous l'avons vu, il était double :
; Résultat économique important, si l'on,
Par la publicité faite autour d'eux,. occu-A sait que Lyon devait beaucoup au transit, et
per les esprits, jusqu'à « faire oublier les discus-, que le contrôle des capitaux régionaux joua un
sions. politiques » (Vaisse). Là ville et. son rôle essentiel dans son. développement.
immense chantier n'étaient plus qu'un vaste . . .
;. - N'insistons pas sur les « accroissements de
.

théâtre dont le "metteur eh scène était l'Empe- .


valeurs » dont parlait Vaisse. Ce qui.importe ici,
reur lui-même ; bon père/il étalait ses. largesses c'est "le processus de concentration de ces.
et faisait profiter de ses bienfaits, la ville de «valeurs » foncières et immobilières entre des
Lyon. La ville.(et non ses habitants différents)
mains moins nombreuses, ;én sacrifiant relati-
étaient sans cesse rappelée à son honneur de
vement la petite propriété. . ••-..
seconde ville de France ! L'Empereur décidait
Les. grands chantiers, enfin sur unepério-
lui-même de son bien, et,les grands travaux
de longue (au moins jusqu'en 1866) ont repré-
réunissaient « dans-unemême pensée des parties
senté un èxutoire essentiel au chômage poten-
"de là ville en état d'antagonisme »,;
.

Certes, "ce n'était là que façade, et ce


(21) Cahiers, A.M.L. dossier 01.
beau consensus masquait la réalité politique : les.
(22) Selon la compagnie, 2500 furent évincés par.
travaux satisfaisaient la fraction hégémonique expropriation, et 500 traitèrent à l'amiable (cf/C. M.;
de la bourgeoisie lyonnaise : banquiers, négo- Léonard, op. cit., p. 26)/-Pour P. H. Thomas, Lyon en
ciants/fabricants. 1860, 12000 personnes auraient été déplacées...-,

99
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

tiel. L'architecte Dardet écrivait à Vaisse le geoisie locale, consacrait sur le sol le triomphe
11 mars 1854 qu'il avait 2 050 ouvriers sur les de celle-ci.
chantiers communaux, que chaque jour il en L'absence de toute réaction des classes
recevait une centaine de plus. Et cela avant les populaires à ce coup de force sur l'espace
travaux-de la rue Impériale !. urbain a de quoi étonner. Chassées de la ville
.

4.3-
Les, motivations de Vaisse ou de la vers le faubourgs, elles vont faire partie doré-
Commission Municipale n'échappaient pas à navant de la grande ville, et vont apprendre à
distinguer un centre, lieu dés. échanges, place
beaucoup de contemporains, qu'ils s'en réjouis-
commerciale et bancaire, siège du pouvoir. Les
sent.ou s'en affligent.
groupes dominants se reconnaissent, les classes
Bien entendu, les historiens qui ont briè- populaires ne peuvent que subir, intégrer la
vement analysé cette décennie lyonnaise, ont domination et ses signes, ou refuser.
implicitement condamné les objectifs du main- .
1853-65: la bourgeoisie en pleine phase
tien de l'ordre, d'étouffement politique et de de développement capitaliste peut trouver en
ségrégation de.la.politique du Second Empire. Il face d'elle les deux comportements :
est vrai qu'ils écrivaient sous la lllème Répu- la soumission/intégration: qu'on
— en
blique. juge d'après trois brochures publiées en
Mais ce qui nous frappe à les lire, c'est le 1858-59.
satisfecit final qui eSt toujours décerné au grand « Les embellissements de Lyon »,« po-
Préfet. « Mais il fit dé grandes choses... » ou à chade rimée par un vieux canut», en réalité
peu près. l'avocat Joseph Perouse. La seconde, « Réponse
Et l'on s'étonne de voir ainsi célébrés « ce critique au prétendu canut, auteur.des embellis-
qui devait sauver le centre de Lyon ». En fait, sements de Lyon, nouvelle pochade: rimée par
par delà les opinions politiques sur le régime et un vrai canut Croix Roussien »,.et.la troisième,
suite et fin de la première, toujours par Joseph
ses méthodes, apparaît la fierté de voir Lyon
régénéré ». Perouse. Elles eurent beaucoup de succès :
«
Joseph Perouse affectait d'être un vieux canut,
On est tenté de dire que Vaisse a réussi.
Tenté de dire qu'il a réussi parce que finale- employant force lyonnaiseries de langage, mais
exprimant sans cesse, et sans nuances, le dis-
ment, les objectifs apparemment si puérils de
Chambet Aîné avaient été remplis aussi. cours de la bourgeoisie.
«Vive un Préfet qui pense à l'ouvrier! »
Les embellissements », « ornements »,
« «J'aime trop l'ouvrier, ça m'aligne Te Sang
ne manquaient pas après 1865. Réjouissons- quand je vois éclater ' un rire large et
nous de ce que l'Arc de Triomphe de St Clair franc »
n'ait pas été réalisé. Mais il n'en était pas
« A moi donc la gaîté ! Mais la gaîté
besoin. Quinconque connaît Lyon aujourd'hui gauloise,
sait bien, à voir les immeubles solennels de la
rue de la République, à quel point la bour- Non les sales propos dont on ose insulter
geoisie lyonnaise sut marquer le centre de son le peuple, grand enfant qu'il faut tant
goût; le seul monument alors construit fut le respecter ».
Palais de la Bourse, autre signe Urbain de l'acti- Voilà un langage paternaliste qui sied au
vité de la bourgeoisie hégémonique, à vrai dire Second Empire. Mais c'est l'occasion d'une allé-
aussi de la suffisance et de son contentement de geance à l'Empereur.
soi. «L'Empereur peut venir, avec l'Impéra-
Autrement dit, cette opération chirur- trice,
gicale menée par l'appareil d'Etat et la bour- qu'on la dit si jolie et pis si bienfaitrice ».

100
andré bruston /, la « régénération » de Lyon 1853-1865

Toutes les réalisations lyonnaises sont peu de l'action ouvrière/organisée) mais le décalage,
:
ou prou louangées^ dans le/fond, même lors- "l'ailleurs;;...'(23)- A
qu'on égratigne aupassageles réalisateurs. La possibilité, de déplacer l'impact de la
La seule critiqué, suggestive, porte sur domination/dé la mettre en :scène,-c'est dénier
Paris :'. ,'
-, :-.- ; cette réalité là (24).
. ..
" «Si Paris est si gras,; c'est qu'il "tête la
qui joue dans: ce, que.l'on appelle
« Ce se.
France! ». " A-/- idéologie dominée, ,ce; n'est pas une trame
Bourgeois solidaire de- l'appareil d'Etat;,ij linéaire; ou : étale,, pù;'encpre,.;le tragique clé
,,
ne trouve à développer que la méfiance bien ;
/l'héroïsme, ce sont"des Investissements.
connue; deS;lyqnnais vis-à-vis.de la.capitale.. symboliques, dans le sens dont, parle
Rien que de très naturel dans tout cela, si :
" " J. Baud ri i lard, c'est-à-dire, circulation de
ce nrest"la- tentative; de déguisement idéologique .personnes, de paroles avec tous les vae.t
-du discours."" "•" "/A'AA.-./A- ":<:.. vient inhérents à une ; telle, circulation.
Cette circulation" renvoie à la spatîa-
Que cr oyez-Vous qu'il arriva ? Le : vrai ;
,
lisation, car c'estbien dans le quartier que
canut : ne réagîten rien sur la" Célébration de la
se joué là;, fêté : fête dé quartier,, de rue,
yille nouvelle T.;;-/; -;. "" "
/ gùe sêAjpUé: lèdeuil" le quartier aeçom-
A :DeAfait,'"le-. canut développé un double,;
-discours :" A; A'/ ,;/ \'.C ,./' A: './ r -.- •'-."/.-A-
',...'„,pagne:son mprt » (25;)./ : /'"':;
.'•'.;.-' Nous.: ajouterions aussi face à; la ville
:; -^ il reprend vertement l'avocat qui ose se :

prétendre canut « avoué que le métier t'a pas (centre) hors la ville/ /
foulé l.'échine ». Croix-Roussien" notre canut 11/y"aAdâns les archivés municipales;dé
;
supporté; mal la supèreherié, :ët il /rappelle/1a Lyon ::une série de rapports;, de police. sur une.
véritable-condition dés canuts'-': pratique qui étonnait fort là Maréchaussée : Les
-
canUts ; Croix-Rou.ssiens .s'étaient"..réunis,, par,
: « Pisrrnoi comment que t'as ;. tant de petits groupes de quelques familles pour louer
,
chance dans la "campagne environnant Lyôrr des mai-
A. d'avoir si longtemps tant :
d'ouvrage sons qu'ils fréquentaient le dimanche, et qu'ils
d'avance? A dénomajènt «châteaux», ou «châteaux .des
Quels métiers t'as montés, pour que canuts » (26).
jamais de .trame. .'•; '..•..*.".••;,: .
"Les cabaretiers de." la. Croi'x-Rpusse
, ;
tu ne laisses.chômer ? >>.:'•;. s'étaient plaints, de concurrence déloyale, accu-
sant ces-familles de recevoir force amis canuts
: cette 1 réaction de classe cède, le pas
IVIais et dé servir du vin, fnoyennant.leur écot. ---/...-A.
,
devant la célébration des beautés, de la; ville L'enquête montré effectivement"que ,
l'iro-
transformée, suite,et fin de Sa/pochade. nie dU" titre donné au château correspondait
bien à Une expression gouailleuse des câhuts/à
.«Alors, pourquoi un ralliement aussi puis-
»." une affirmation de groupe très vivace et à AI a
sant aux embellissements ?
mise en place -d'une structure d'échange et de
-Peut-être"parce que l'efficace idéologique parole.: imiter le bourgeois, de façon, dérisoire,
Se mesure ici à la capacité dé; la bourgeoisie
triomphante d'établir concrètement les signes de (23)"Çf.i" À, Bruston et, M/Màffesolli, Pratiques
son accession au pouvoir. sociales et.Représentations. D.G.R.S.T., 1973, p, 98. A
Mais la bourgeoisie peut trouver aussi en (24) Cf. Q. Mannonî Clefs pour l'Imaginaire ou
l'Autre Scène, Seuil, 1969, p. .1.66.. '" A A
face d'elle le refus. Non pas. le refus sur le (25) Cf. A. Bruston et M. Ivlaffesoli, ibid. p.99,;,
tfrain qu'elle aurait choisi (cas trop fréquent. (26) A.M.L. Dossiers de police 1862, série 1.2. '

101
andré bruston la «régénération» de Lyon 1853-1865

et:ouvrir la porte à l'échange au sein d'une mëlle des lieux où Se mettre en scène. Si par là.
collectivité (27). même, il se signifie, fait signe, c'est dans des
rapports sociaux qui échappent pour la : plus
4.4- Que penser du statut dans le champ grande part à rintentionnalité-
...
des idéologies, du produit « ville »?
Le groupe dominant met en place: les
S'il est vrai que « la ville n'est pas objet
éléments tant matériels qu'institutionhels de sa
produit par un groupe pour être acheté ou
.même; utilisé, par d'autres », il reste que chacun propre reconnaissance,, par effet de miroir.
.ReèonnaisSancè/méconnaissance certes, dans la
de seS éléments, dans l'historicité dé sa produc-
fausse conscience qu'entretient la bourgeoisie à
tion, a été exercice d'un rapport de pouvoir
d'Un groupe sur d'autres. son propre usage ; mais reconnaissance pour
elle-même de l'exercice de.son pouvoir eh tant
En tant que tel, chaque élément a pu,
que groupe (et non; en tant que classe ce; qui
être, en son temps, signe de ce rapport. Mais de renvoie à une analyse sociale "de la contra-
,
l'élément produit le groupe producteur n'est diction): • -•
plus maître. ; A /. "
;

Ainsi lé "naïf Chambet, Ci-dessus, préten-


/.Les "différentes, strates .matérielles du
passé, si elles ne manifestent plus une,pratique dait-il orner sa ville, avec .toutes une série 1 de.
sociale -disparue (elles,-ne:la"manifestent plus décors, de symboles, qui,:pour lui, faisaient le
que dans l'histoire,vdaris et par la culture histo- bon usage, NUI doute/•qûe'.Blors même:-que. lès
rique,; autre -mode: de reconnaissance idéolo- réalisations dé là régénération n'avaient; guère
gique, ; sans cesse ; renouvelé), .sont' à chaque sacrifié aux,statues et.aux, ares, de triomphe,
modalité nouvelle des rapports sociaux, investis Chambet lui-même ne se; soit reconnu dans
de'significations propres au nouveau champ de l'ordonnancement de sa avilie, n'ait réconnu sa
rapports idéologiques. / /';"'-^-_v " légitimité dans Tordre. Symbolique ainsi-défini.
lie point dé rupture qui peut alors nous" Sans doute n'y apercevrait-il pas le signé delà
Servir de fondement"dans l'analyse serait toufe violence exercée sur les classes dominés.:.
pratiqué dé production d'un élément nouveau Les groupes dominées qui, dans la ville,
qui, sans, doute moins dans ses «formes» .(au sens
ne maîtrisent pas les processus majeurs de la
architectural) que dans ses : modalités et ses production matérielle, ne,peuvent inscrire.au. sol
effets sociaux, participerait des affrontements
leur- propre décor que daps la mesure où la
idéologiques/majeurs ; de ce. fait, par effet de propriété privée d'un individu, non entièrement
renversement et",d'opposition il serait suscep- disparue, lé permet : c'est le cas par exemple
tible de"remodeler les significations de l'en- des « pavillonnaires » (28) dont l'intervention, de
semble de la; combinaison dés éléments anciens. façon significative, se limite à l'espace privé et
Dans le champ dés contradictions de clas- ne marque pas de façon majeure, la signification
se, là présence conflictuelle de fractions et des ensembles Urbains auxquels ils participent.
groupes dans le même espacé nous désigne,
prioritairement," le. rapport de chacun des grou-
;" En revanche, les groupes prolétarisés,
au
sens fort du terme, n'ont aucune possibilité
pes, pour lui-même, à cette matérialité, d'intervention matérielle directe sur le « décor »
Un groupe dominant, nous l'avons vu, dont nous parlions plus haut, que ce soit.dans
dispose, des moyens nécessaires à laAproduction l'emprise sur l'habitat Ou,sur-tous les autres
du décor, à la-délimitation topojôgi.qué et for- aspects matérialisés au sol de la vie urbaine.

(27) M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, Paris (28) Cf; -Les travaux de N. et A. HaumonVH. Ray-
1968 ; Essai sur le don. mond et B.Lassus. '•..., ; ; -

102
andré bruston"/; là _«ré^^a%)n»iâeyL^yon 1853-1865-

Mais que la reconnaissance de groupe (et trices d'idéologies contradictoires à l'idéologie


peut-être de classe) se fasse dans des rapports dominante, ce peut être aussi la violence du
sociaux qui contestent l'imposition du décor, et désespoir qui détruit, dans ses signes, le proces-
ce peut être le développement de luttes produc- sus d'imposition.
andreina daolio
les luttes urbaines
en Italie

I. LA NAISSANCE DES CONFLITS URBAINS dictions surgissent ainsi parmi lesquelles les plus
évidentes peuvent être :

vaste mouvement de lutte ayant investi


Lie concentration des moyens de pro-
a) une
différents contexte urbains au cours de ces duction comportant un déséquilibre régional et
dernières années est devenu l'un des secteurs les urbain ;
plus intéressants, aussi parce que. parmi les b) une concentration des forces de travail
moins explorés/ d'étude des contradictions du dans les grosses agglomérations urbaines et cri-
développement dé forme capitaliste. ses de logements; insuffisance et obsolescence
En Italie, nous avons assisté depuis 1968, des infra-structures civiles ;
à côté de la rapide poussée Ldu mouvement des c) nécessité ." d'emplacements libres pour
étudiants, au renforcement du 'mouvement ou- une intervention publique rationalisée (ou ten-
vrier engagé dans les luttes syndicales/contrac- dant à la rationalisation) en face d'un bloc édile
tuelles, à l'apparition dé centres et de moments et foncier basé sur là propriété privée du sol
de lutte liés à l'organisation collective du mode (rente).,1.'
de vie /lutte pour le logement dans une pre-
-

Cette situation se complique ensuite de


mière phase, lutté pour les services et les trans-
l'ensemble des autres contradictions créées entre
ports dans une seconde. système économique et système politique, sys-
.
Quelle est la genèse des.conflits urbains et tème juridique et système idéologique, etc.. Le
quelles sont les prémisses structurelles relatives résultat de cet enchevêtrement est la compres-
au contexte italien? sion des besoins de la collectivité et. des con-
En ligne générale, d'après une thèse avan- sommations relatives, ne pouvant être satisfaits
cée par Gastells, les conflits urbains naissent dé par un système capitaliste intrinsèquement inca-
l'accentuation dès contradictions du système pable d'organiser des intérêts aussi complexes,.de
urbain proprement dit, et de celles, plus com- caractère tout à tour public et privé.
plexes; existant, entre le système urbain et le
plus vaste système socio-économique,(1). Le problème urbain se posant à ce point
.
La logique tendant à l'efficacité de ce s'affronte deux niveaux différents :
à
système ne peut se développer jusqu'à ses der- a) au niveau du système politique par la
nières conséquences dans l'organisation des zo- pratique de la planification urbaine
nes réservées à l'habitation, en raison des. dif- b) au niveau des agents sociaux, sujets à
férents rapports de force existant entre les contradictions, par la pratique de la lutte.
classes sociales et des divisions se créant à ce
Dans le premier cas, l'appareil d'Etat es-
niveau dans le système économique. Des contra- saie (ou prétend essayer) de résoudre les contra-
dictions et d'aplanir les difficultés par des prévi-
Il) M. Castells,La questione urbana, Pâdoue,
sions, des plans,-des programmes, au nom d'une
silio, 1974. logique rationnelle et techniquement neutre.

105
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

L'apolitisme prétendu des plans (qui sont Arrêtons-nous ici sur le seul cas de décen-
en fait la résultante complexe des jeux politi- tralisation administrative en Italie (un raison-
ques et. des techniques urbaines faussement nement précis sur le rôle de la planification
neutres), se heurte immédiatement à des situa- territoriale, naturellement liée à la planification
tions sociales consolidées, avec des intérêts éco- économique, épuiserait en effet la place donnée
nomiques et politiques d'appartenance de à ce rapport), qui me semble avoir une grande
classe ou d'une partie du bloc social dominant. signification.
La planification (et en Italie, le retard La problématique de la participation au
chronique de ce processus aussi fait apparaître niveau urbain naissait en Italie au cours des
années 55/60 en concomitance avec l'affirma-
encore plus clairement le mécanisme mystifica-
teur et rationalisant « ex-post ») devient ainsi tion d'un développement économique accéléré,
instrument d'intégration et de régularisation des l'accentuation des flux migrateurs.et donc l'exi-
contradictions dans les mains des pouvoirs pu- gence d'une gestion urbaine fonctionnelle et
blics (aux différents niveaux : communes, pro- rationnelle.
vinces, régions) représentant les intérêts des La proposition de constituer des conseils
classes dominantes. La planification (et en Ita- de zone qui endigueraient la demande politique
lie, les ébauches et-lés tentatives de plans, même de la population au niveau du quartier, mise en
«exprimés par la base ») est l'un des moyens exécution pour, la première fois par l'initiative
possédé par les institutions de l'autorité lui catholique éclairée au sein d'une 'adminis-
permettant d'opérer le contrôle social .:• c'est tration .socio-communiste comme celle,de Bolo-
l'instrument par lequel le système politique gne, apparut tout de suite un moyen idéal de
intervient,, au niveau urbain/territorial, pour réduire les pressions à la base.
régler le processus de reproduction des forces En fait,
la structure même de ces organis-
de travail et des moyens de production, en
mes démontre les intentions réelles des idéolo-
essayant de surmonter les contradictions exis- gues de la décentralisation.
tantes en faveur de la classe dominante dont il a) les membres du conseil ne sont pas élus
assure la continuation. La planification n'est
donc pas un instrument neutre, elle est «dif- par les habitants des quartiers, mais par chacun
des partis, et le conseil reflète ainsi la composi-
féremment » conforme à la logique du proces-
tion politique du conseil communal. La logique
sus capitaliste, ou bien elle est une « uto- de la démocratie formelle est respectée, mais les
pie » (2).
quartiers deviennent de faciles instruments de
Sous cet aspect, l'appel à la participation
manoeuvre, sous-gouyernementale. *
auquel recourent lés organisateurs politiques,
b) Le pouvoir confié à ces conseils est
apparaît une tentative évidente de s'assurer un
exclusivement consultatif. Encore une fois, les
accord à des plans, ou des projets déjà prévus
décisions sont"prises au sommet et en dehors
par la logique susdite. des assemblées populaires et collectives.
Les conséquences de cette participation
(2) Les recherches de R. Glass sur le système de mystificatrice sont évidentes :
planification anglais et américain arrivent aux conclu-
sions suivantes : R. Glass « Urbah Sociology in Great a) à une croissance effective des connais-
Britain : a trend report» in Current Sociology, sances de gestion de la population, et à son
4,4,1955, R. Glass, « l'évaluation de la planification : action potentielle, répondent une centralisation
considération sociologique », dans Revue internationale plus accentuée des interventions et le renvoi
des sciences sociales, 11,3,1959. Important également,
de M. Castells, « Vers une théorie sociologique de la continuel de la résolution des problèmes les
planification. urbaine » dans Sociologie du travail plus ressentis, à la base : logements, transports,
1969,4. services.

106
andreinadaolio les luttes urbaines en Italie

'.'/'. b) même les cas lés plus intéressants d'ac- Cas que se développent ce que Castells nomme
tivisme politique des conseils (voir.les':interven- lés mouvements sociaux urbains, tendant objec-
tions spécifiques sur le problème de la rénova- tivement à modifier éh, .substance aussi bien
tion .urbaine et sur l'assignation deilogements Iorganisation, du système .urbain que les, rap-
populaires bon marché zone Garibaldi, Porta ports, entre lesclasses. Dans les autres, cas, le
Ticinesé à Milan, et les initiativeo, de f urip, .mouvement.se résout ..eh: un règlement intérieur
Livoufne, Gênes) se trouvent ré-absorbés dans, la du système pu, tout au plus, par des modifica-
logique générale du système qui., par ces,formu- tions non structurelles de celui-ci (pratique du
les intermédiaires de participation, parvient en réformisme),: /-.
.
fait à contrôler systématiquement toute t?:ita^ ...Toujours d'après Castells,: leseffets sont
-tive^de changement structurel (3). -,., .-; corrélatifs à la typologie des. mouvements ou
« noyaux de lutte" urbaine » qui peuvent se
II. SIGNIFICATION ET CARACTERISTIQUES diviser en : àjrevêndicationnlstës; -b) participa-;--
-
DES LUTTES <; ;
• tipnnistes';;. c) contestateurs — et, ; en outre, à.
rôrganisation qu'ils .se donnent:: a); organisation.,
Nous devons donc; conclure qu'une action
intégrant lès différentes"contradictions du con-
populaire directe :et organisée contre la logique
sociale dominante devient le seul agent"réel'dé
texte social ; b) organisation formelle non totali-
sante;; cl organisation fractionnée: .-,,"/'
changement social. ."-"" ••/..' 'Y-"%:\
.L'organisation, revêt.ainsi un rôle dé:pre-
.Lé problème cons]steà déterminer com- mière,, importance car elle .peut être, en mesure
,
mentse'pos&-cettè.action en face desproblèmes :de catalyser toute la série dés contradictions.- '-.-
urbains eh question,:'Comment elle s'articùlesur.
../'-'./'/Ces considérations théoriques/ qui .offrent
les autres formes de lutté toûCnant-la produc-
tion et lé contexte politique général, quels sont .un: schéma.;ôu:;môdèle,d'analyseextrêmement
effets à bref et à. Ipng terme au niveau, du organique -('l'uniqueeffort fait en : ce sens et
ses, -

système urbain et du plus vaste, système écono- dont par, nécessité .quelques ,points seulement
:

mico-politique. •';' .ont été. rappelés), nous fournissent un modèle


de référence pour l'analyse des mouvements
Une première considération doit être faite :
urbains, en Italie, même si, il faut le dire, la
sur le caractère général des contradictions secon- réalité italienne se distingue par, si cela est
daires du système de. ces conflits,:; elles ne possible, une plus grande inextricabilité du rap-
:
mettent pas en cause les; lois du mode de port :-" niveaux dé production/rapports de pro-
production, sinon par l'intermédiaire de média- .ductibn/classes/.fprmes et .organisation culturelle
tions complexes. •,-'' (idéologie et symbolique) au niveau urbain, qui, .
':'/ C'est seulement dans certaines conjonc- souvent, ne rentrent pas dans un schéma théori-
tures que ces conflits parviennent.à modifier la que dont les rapports .puissent être tous mis eh
logique structurelle de l'ensemble : c'est dans,ce ëvidence.et reliés entre eux. ..,;

(3) Vaste est la.publication critique sur les conseils-


Considérons trois aspects: principaux de
/de zone de la décentralisation, parmi les plus significa- ces conflits urbains : prémisses structurelles éco-
tives : G. Délia Pergola, G. Ferraresi, Il Decentramento nomiques, groupes sociaux,impliqués, caractéris-
nella città in Italia éd. Àeji., Rome 1969 ; E. Caperdorii tiques de l'organisation.
« I'probjérni del decentramento communale : icasi di
Milano e Bologna », dans « Archivio di Stûdi Urbani e Comme je; l'ai indiqué, les mouvements
Regionali », 11,9/10, 1970 ; B. Bottero, « La truffa dei sociaux urbains se développent à partir d'une
corïsigli di zona », dans « Quadernî Piacentîni », N.43, série de contradictions du système économique
1971 ; S. Grâziùsi, « pëcentramento amministrativo»,
dans « Quâdemi di Azione Sociale », Acli, Rome se traduisant par; des déséquilibres.du système
1969,3/4.
.
''-• urbain-territorial.
.
:/

107
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

En simplifiant, les stades de ce processus D'après les données reportées par Secchi,
ont été les suivants : au cours de la période 52/66, 88 % des habita-
a) développement économique dualiste tions avaient un loyer libre assez élevé, et
(triangle industriel/sdus-développement- au sud étaient occupées par des travailleurs employés,
ou colonisation par les « cathédrales dans le 20% un loyer bloqué et occupées par des
«désert ») s'accompagnant de phénomènes ac- professions libérales jouissant ainsi de privilèges
centués d'urbanisation et de cycles récurrents, des spéciaux dûs à l'ancienneté de .leur: installa-
flux migrateurs ;, :
tion (4). Les habitations en propriété représen-
b),consommation élevée du sol urbain et tant les 5.1 % d'après la dernière enquête ISTAT
modifications profondes /dans la structure de sur les habitations de 1969, sont occupées de
l'offreet de la demande d'habitations. " façon privilégiée par des-travailleurs- indépen-
dants, .'-
ce qui concerne le, premier point, il est
-" En
, Dans les grandes villes, et plus précisé-
vrai que les luttes sociales sont nées.avec la
formation même des «grandes 'villes » (voir les ment les 8 chefs-lieux comptant plus .de
luttes -des. zoniérs avant même, l'époque de 500.000 habitants, la proportion 'habitations en
Giolitti), mais if est également .vrai, qu'elles se
propriété/habitations en location est renversée :
sont donné une attribution, .différente avec le nous avons 30 % en propriété. (avecdes pointes
progrès du développement industriel et,, dans la élevées à ; Rpme, Gênes, Pâlerm.e) et ,70 % en
phase actuelle/efe/ monopolisation du capital,, location (Mi!an,.Turin,,Naples)....-•
.
caractérisée par. une utiI isâtion; particûliëre. du -'.;.Cela sighifie/que, dans les villes /où des
territoire (concentration d'une part, décentrali- processus accentués d'industrialisation ont, eu
lieu (Turin, Milan) ou qui/"exercent
sation de l'autre), elles apparaissent comme l'un un effet
des résultats du conflit-capital/travail se mani- catalyseur sûr"la main-d'oeuvre (Napies) ; là .de-
festant de -façon.: privilégiée -à l.!intérieur/des mande est restée dirigée vers la location, (sans
secteurs de production-, mais/ qui frappe sous-évaluer la tendance actuelle.vers l'achat de
:
aussi bien:/que différemment — l'organisation: l'habitation de la part également des couchés

urbaine. ; ayant un bas revenu, en raison de l'augmenta-

fre..
-
En ce qui concerne le second point, l'of- tion des loyers^ ou en raison de la poussée vers
dé terrains, à construire est devenue particu- ce type d'épargne provoquée par différentes
lièrement rigide à cause des effets de la'mono- rhesuresde politique économique). "
polisation de terrains et des prix de réserve dûs
à la spéculation, et. cette: offre-:,s'est dirigée
Cecia déterminé à la longue une aggra-
vation de la crise:des logements. -:
exclusivement". vers'' la production d'apparte- .

;.., Voilà dans les grandes lignes la situation


location.; /.
ments bourgeois pour la vente comme pour la

La demande a augmenté progressivement,


-
qui s'est créée/dansles grandes villes où ont.eu
: lieu de fortes luttes
pour l'habitation. • .:,;..
surtout dans les territoires du Nord, en conco- Naturellement, ces prémisses de type éco-
mitance avec la -demande ëlevëede main-d'oeu- nomique ne/suffisent pas/à expliquer l'appari-
vre, s'orientant vers la location de logements de tion de ces .moments de conflit. Il faut tenir
niveau moyen et;moyen/populaire. compte d'au moins deux autres Variables :: "
La situation de: ces dernières se signale par a) l'accentuation des contradictions inhé-
une incidence élevée des prix de: construction, rentes aux différentes formes de capital intér-
.
en raison des effets surajoutés de la spéculation
et du revenu, lés habitations étant donc coûteu- ,.-(4):B, Secchi, « La formazione degli squilibri regio-
ses et; Insuffisantes à: satisfaire la rigidité de la nali e le prime fasi dello sviluppo economico » dans
demande. Archivio di Studi Urbani e Regionali, 2,1972.

108
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

venant dans le contexte urbain : capital pour la Il est clair, et cela émergera de l'analyse des
construction/capital commercial/financier/indus- réalités individuelles (j'ai choisi Milan, Turin,
triel ; Rome, Naples, comme exemples emblémati-
b) le tableau politique substantiellement ques) que l'évidence et la validité de cette ligne
nouveau; qui s'est créé à partir des luttes syndi- d'interprétation ne rassortent pas toujours dans
cales et mouvements des étudiants de 1968. tous les cas considérés, mais ce qui apparaît de
manière tout autant ' indubitable est que la
En ce qui concerne le premier facteur, la
généralisation de la lutte urbaine peut trouver
ville et la condition urbaine sont devenues
toujours plus le résultat de l'équilibre entre le une première explication dans les caractéristi-
capital dans'son ensemble d'une part et les ques de ce courant politique nouveau. Et voyons
brièvement qUels sont les aspects des cas exami-
capitaux spécifiques de l'autre..
De là tout, le débat du secteur du bâti-
nés. '-'.''
ment à l'intérieur du modèle de développe- A Milan noyau de la question est
le
ment économique italien,, .sur l'antagonisme constitué par l'existence de grands quartiers de
réel ou présumé entre, rente et profit, sur constructions populaires.à bon marché de pro-
l'intervention plus ou moins rationnelle des priété publique (-IACP,- GESCAL), situés dans
pouvoirs publics, sur l'opposition de l'entreprise les zones - périphériques de la ville, souvent
de construction aux processus de restructura- dépourvues des services les plus essentiels, ha-
tion (5). En ce qui concerne lé deuxième,point, bités par une grosse portion de/la population
il est indubitable que le mouvement des étu- (environ 100.000 familles au total) et dont les
diants, parti sur la base de contradictions/objec- loyers sont au niveau de ceux du marché.
tives nouvelles mais avec une claire caractérisa-
t'ipri idéologique, et la lutte ouvrière de 69/70 La base sociale de ces quartiers est pluri-
avec les aspects dominants d'autonomie qui classe, en excluant les couches supérieures, com-
l'ont distinguée, contribuèrent, directement et posée surtout d'employés ou d'ouvriers selon la
indirectement; à revitaliser là lutte pour le date de construction des habitations et donc le
logement qui avait aussi précédemment connu montant du loyer. Le mouvement est né spon-
des moments significatifs, mais qui en substance tanément en opposition aux loyers élevés. Par-
avait agi à l'intérieur d'une logique revendicâ- tant du noyau primitif de lutte, une organisa-
tionniste stérile et corporativiste. tion stable s'est formée : l'Union des Locatai-
A partir de la nouvelle logique d'insubor- res composée de marxistes de différentes ten-
,
dination et d'appropriation directe des objectifs, dances, syndicalistes, intellectuels, cadres de ba-
propre à 1968, les luttes pour le logement ont se du. quartier. Le conflit avec la contre-partie,
fait un bond de qualité en reportant le. thème le IACP, a pris une forme triple : grève totale
au juste niveau de la lutte de classe, au-delà des
du loyer, auto-réduction de celui-ci, opposition
solutions de sommet, légalistiques, réformistes. aux expulsions ; et d'une phase où ont eu lieu
de dures rencontres, même avec la police, on
est passé à une stratégie différente d'interven-
(5) Voirà ce sujet dans la vaste bibliographie tion, la lutte s'institutionnalisant partiellement.
explicative les essais : B, Secchi «Jl settore edilizio e
fondiario in un processo di sviluppo economico»; Les effets urbains et politiques les plus évidents
V. Parlato. « Il blocco edilizio » F. Indovina « La pro- ont été : la généralisation de la lutte exclusive-
duzione di case per abitazioni-nel processo econo- ment urbaine avec un bénéfice réel pour les
mico », dans Le spreco edilizio aux soins du même locataires, l'élargissement de l'organisation à
Marsilio, Padoue 1972; M. Marcelloni, M. Venditelli,
tous les quartiers populaires et continuation de
« La città corne structura di socïalizzazione del lavoro
la revendication pour obtenir un loyer propor-
e valorizzazione del capitale, dans II Manifesto, 7 juil-
let 1972.-,. tionnel au salaire (ne dépassant pas 10%).
.

109
andreina daolio les luttes urbaines en italie

A côtédes luttes des quartiers périphéri- services sociaux, occupations d'édifices nou-
ques, nous avons celles des vieux quartiers du veaux, auto-réduction du loyer. Son organi-
centre contre les processus de rénovation urbai- sation est composite ; le groupe de Lotta Conti-
ne et d'expulsion de la population : Garibaldi, nua est l'organisateur principal des occupations,
Porta Ticinesse. Là, la base sociale est consti- le groupe Lénine et d'autres comités composites
tuée en majeure partie par des artisans, des agissent au niveau des quartiers ouvriers avec
petits commerçants et des immigrés méridio- une ligne à triple action : occupations, grève et
naux à la récherche d'une occupation ou à leur auto-réduction des loyers ; enfin, le PCI et les
premier emploi dans une activité industrielle. syndicats également sont entrés en action sur le
Son organisation dépend de comités autonomes thème du logement (grève provinciale générale
de quartier qui revendiquent la construction du 3 juillet 1969). Les effets urbains et politi-
d'habitations populaires à bon marché pour ques ont eu une portée différente : d'une part
remplacer les immeubles bourgeois et les bu- généralisation de la lutte urbaine avec diffusion
reaux prévus par les plans de rénovation. L'ac- de la grève du loyer et une certaine radicali-
tion a été promue par des pétitions, des assem- sation de la lutte politique naturellement liée à
blées de quartier, des délégations, des manifesta- l'idéologie différente des forces en jeu (groupes
tions publiques. Les effets urbains et politiques extra-parlementaires) et de l'autre, réabsorbtion
les plus immédiats en ont été : pour le quartier à l'intérieur de la lutte traditionnelle pour les
Garibaldi, l'approbation de la part du Conseil réformes (Syndicats, PCI). .--'.
Communal de l'application dé la loi 167 et 865 A Rome la situation de conflit est donnée
permettant l'expropriation de zones centrales à par l'existence d'un parc-résidences non louées
des fins de construction populaire à bon mar-
assez important (environ 30.000) tandis que
ché; en ce qui concerne les autres quartiers, la 70.000 familles environ habitent des.
baraques
diffusion d'un mouvement contre l'expulsion et de zone et dans les hameaux.
la tentative d'entraîner des forces politiques
La base sociale de ces zones est consti-
organiséesdans l'action de revendication.
tuée, par le sous-prolétariat, exclu du processus
de production Ou intégré de façon seulement
A Turin le thème structurel est donné par
la situation toujours plus critique des habita-
marginale et temporaire, provenant surtout des
tions destinées à la classe ouvrière, qui est petites villes du Lazio et du Sud, et une petite
soumise à une exploitation intensive de la part frange de Romains expulsés.
de l'usine (Fiat et coassociées) et à l'appauvris- Dans une première phase, son organisation
sement des conquêtes de salaire dû principale- s'est identifiée avec le Comité d'agitation des
ment aux loyers élevés. Ici aussi, les noyaux dé bourgades et l'UNIA, tous deux sous le contrôle
lutte localisent dans les quartiers populaires
se
du PCI, et récemment seulement avec le groupe
(C.so Taranto, V.le Traiano, S. Rita) et dans les du Manifesto. La forme généralisée de la lutte a
centres satellites Fiat; Nichelino, Grugliasco, été celle de l'occupation de logements nouveaux
Mirafiori. ou non loués. Les effets urbains et politiques
ont été : un processus de radicalisation de la
La plus homogène : en
base sociale est lutte urbaine, avec occupations répétées et mas-
général, classe ouvrière aux différents niveaux, sives, suivie par des périodes de calme dérègle-
en majeure partie méridionale. ment privé du conflit, des résolutions positives
Le mouvement est né en tant qu'exten- pour de nombreuses familles avec assignation de
sion naturelle de la lutte à l'usine, dans une logements, mais déviation de la lutte en tant
opposition unifiée à la logique de l'exploitation, que fait démonstratif dont la gestion a lieu à
prenant la forme de grève du loyer, occu-
: d'autres sièges et.avec d'autres sujets qui ne
pation de zones IACP pour la réalisation de sont pas les protagonistes réels de la lutte et à

110
andreina daolio les luttes urbaines en italie

laquelle aujourd'hui s'intéressent aussi les auto- rent des groupes extérieurs au quartier, de type
rités ecclésiastiques;':Un groupe d'habitants dés, catholique ou marxiste (Groupes volontaires et,
baraques de zone a occiipé; trois églises (au Manifesto). Le typé-d'action a/été différent
•Tuscolono. et à Cinecittà): et: une tentative de selon lé « leadership »: émergent : occupations
compromis est en cours entre'la Municipalité et de logement,
.
attribution de logements aux plus
.
lé Cardinal Vîcario.':"''" besogneux, dans le cas de comités collectifs
Récemment, ,1a lutte s'est aussi portée faciles à utiliser à: des fins électorales par/les
dans les quartiers populaires/ Maglianou, Prima- forces locales, bu négociations-pétitions, grève du
val le, Portonaccio, dont la base sociale est pi us loyer etautogestioh delà lutte avec radica lisation
composite -'classe ouvrière, classe moyenne. Là de celle-cipar des groupes extérieurs.
l'organisation vient dé comités autonomes qui Les effets urbains et politiques ont été :
encouragent des / forrnes de lutte diversifiées : Une série de victoires partielles avec attribution:
grève et autoH-éduction du loyer, actions légales d'habitations, le début d'une attitude de refus à
pour régler Ta situation des habitants de pro- l'utilisation de la» condition urbaine, en tant
priétés de/ sociétés immobilières -privées et de qu'instrument de favoritisme, et l'action de
l'Organisation 'générale du quartier; La question démasquer les hiérarchies locales.;- /.""'„
dé la liaison structurelle entré'ces comités et les.
.
conseils d'Usine et de zone est encore tendan- IIIPROBLEMES ET PERSPECTIVES
tiellé: et surtout avancée par- le/noyau du
A point, il convient de tirer quelques ;
,« Manifesto ». '../ ;':/:; ce
conclusions et de taire une première considé-
A Naples enfin lés luttes naissent-d'une ration générale. Tout d'abord, les luttes urbai-
situation commune à celle dés. vil les industria-
' nés dans leur ensemble, tout en montrant une
iisées /du nord/ (concentration d'importantes
certaine,variété de composition,.ont toutes agi
masses de forces de. travail, dans de/;grands dans une logique de. secteur ayant permis la
établissementspopulaires économiques:(Quartier croissance du mouvement autour d'une seule
Traiano). et à la fois propre/aux. villes .sous-déve-
contradiction, celle du logement pris comme
Ipppées (quartiers décadents du centre, Quartier
bien, sans par ailleurs réussir à altérer même à ce
Siberia/Quartiers espagnols). '" '.
niveau minime, la structure générale du système
La base sociale de ces deux; contextes est d'habitation.
différente: dans le premier cas (Quartier
Traiano) nous avons un établissement pluri- L'analyse des: effets relatifs aux contre-,
parties en donne une confirmation indirecte :
classiste allant des professions libérales et des
employés de la partie centrale du quartier aux a) le secteur public national n'a pas
,,
classes moyennes et subalternés de la bande changé sa logique d'intervention (voir les alter-
intermédiaire, aux ouvriers sans ^spécialisation et natives de la loi 865) qui se distingue, par un
-aux ex-zonlers de la couronne périphérique (la retard désormais chronique de la promulgation,
population totale du : quartier est d'environ d'une nouvelle discipline urbaine, par une
politique de facilités fiscales et financières aux
50.000 habitants).
personnes privées, et-.'donc d'encouragement à la
Dans le second cas (les vieux quartiers, du spéculation du bâtiment, responsable de la crise
centre) nous avons une majorité sous-prolétaire des logements, et par des interventions insigni-
eh marge de tout le contexte social et pro- fiantes dans le secteur, des habitations popu-
ductif. ,"'•'-' ;
-
- laires à bon marché.
L'organisation provient de comités partiel-: b) les autorités locales, par leur politique
lement élus de locataires et d'associations urbaine, des transports, d'intervention, ont ali-
composites de résidents, à côté desquels opè- menté elles aussi, les phénomènes déformation

111
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

du revenu, et même quand directement frappées Ceci peut provenir, en plus naturellement
par les luttes, elles ont,réussi à réabsorper.par des des stratégies différentes; d'avoir choisi comme
solutions partielles les conflits en cause -et à instrument d'intervention « le comité de quar-
poursuivre, leur politique en faveur de l'économie tier» conçu comme milieu au sein duquel une
privée, avant-garde politique, parfois même socialement
c) les organismes publics de construction composite, s'âuto-dëléguait vis-à-vis d'une base
populaire économique, (lACP-GESEAD) bien plus vaste présente dans le quartier. Ainsi,.deux
ordres de carence se démarquaient déjà au
que- traversant Une grosse,.crise à la: suite du
phénomène d'incapacité de: paiement des loyers, départ: celle de coordonner les propres .
actions
ont poursuivi leur politique de gestion inefficace, contemporaines à une série de problèmes, dont
leur •politique d'édification elles-mêmesétroi: la référence structurelle était, parfois extrê-
.tement.liées à des.phénomènes de spéculation, mement diverséfiëe,/ et ; celle, en résultant,
et leur politique financière, caractériséepar une d'être dans l'impossibilité; de s'identifier à la
utilisation défectueuse de toutes les ressources base, parce qu'en fait dès groupes politiques
/financières disponibles. étaient extérieurs : _

, , , ; . ..
,..•'. d) les
.
propriétaires,.et surtout les/grândes : ; Les conséquences en;ont été,que : a), les
sociétés immobilières, tout en, se ; rendant quartiers en lutte;,à. l'intérieur d'une même, ville,
compte que/leurs possibilités de volerles' travail- sont souvent restés isolés entre eux, b) la forma-
leurs sont limitées à de/brèves périodes (opppsi.- tion d'une organisation pouvant s'identifier à-
tibri /systématique -aux expulsions, /grève;du un mouvement de masse sur le territoire, pou-
loyer), ont à la longue d'amples possibilités de vant fournir le rapport avec : l'usine, ;a manqué.
récupération eh tant que possesseurs d'un, bien Ceci, a mon avis, a été la plus"forte.
.qui ne peut-être ; rt/iis en discussion /dans une Limite : .un /manque de connexion, entre' lès
société de type capitaliste. / ;

.. --.'/, moments, de lutte urbaine et |a contradiction


: Les luttes ont donc frappé, le prévalerite du/ système qui reste celle entre
.
secteur du
logement seulement en marge, sans transformer, capital et travail. Les.contacts avec la; classe
le; plus vaste système urbain, et ont tait .ressortir ouvrière et ses organisations se sont seulement,
le problème sans ambiguïté en prenant la faits par l'initiative individuelle d'ouvriers, sahs.
.
forme de « menées sociales » d'une nouveauté une discussion des thèmes spécifiques des
et d'un intérêt extrêmes, mais non encore de luttes urbaines à l'intérieur des lieux de produc-
« mouvements sociaux urbains » objectivement tion, avec des interlocuteurs politiques orga-
en mesure de modifier la structure du système. nisés: conseil d'usine, comités de base, assem-
-Les raisons de ce résultat limité au niveau blées autonomes, .conseils, de zone intercatè-
-
urbain-et politique sont complexes. Une pre- goriels.
mière série de limites regarde lé;facteur organi- Même dans les cas/les plus, significatifs de
sation.' contact entre deux -fronts de lutte/ le cas de
Les différents.groupes, des revendication- -Nichelino, Grugliasco, Turin, Ou les délégués-dé
nisteS: (groupes volontaires .catholiques de la Fiat ont participé à de nombreuses assem-
Naples) aux participationnistes (Consultations blées.dé: quartier ou quand les .représentants de
Populaires, UNI A de Rome) aux contestataires quartier sont "intervenus en assemblées de
(Lotta Continua, Manifesto, G.ruppo Lenin, délégués; ou le cas de Milan quand les ouvriers
Union des Locataires) qui ont avancé des objec-, de Pirelli ont établi des piquets.pour protester
tifs .et mené des luttes liées à leurs idéologies contré les expulsions et où les militants de
respectives; se sont communément; caractérisés l'Union des ' Locataires sont intervenus pour
par un excès de fractionnisme et d'isolation- soutenir les luttes ouvrières à là Candy, la
nisme.
-, Grouzet, la Praxis, il s'est agi de contacts

112
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

irréguliersy jamais, coordonnés par une organi- vue d'accords, de /documents annexes, de
sation stable et, unitaire, en mesure de dévelop- démentis, de projets de loi revus et corrigés, de
per un- mouvement de masse susceptible de grèves provinciales de pression, et il fut conclu
porter ,la lutte de classe à des niveaux nou- par l'approbation d'une loi que ; les syndicats
veaux. ,- ont jugé en substance, de façon positive.;Il est
Le rapport entre Ja lutte pour le logement intéressant ici de noter, sans entrer dans les
-
et l'action syndicale mérite d'être souligné : une détails chronologiques de l'histoire, que les exi-
analyse de ces deux fronts- donne en effet gences, de base ayant poussé les syndicats à agir
l'impression que; la distance entre eux ne peut sur ce front sont restées :tout à fait insatisfaites :
être comblée et que les ;deux logiques, d'inter- là. volonté des travailleurs de conquérir une
vention sont profondément divergentes. habitation en tant que « service social »:abolis-
Les Confédérations ont pris position pour sant, ainsi l'incidence /énorme du loyer, sur; le
salaire, l'exigence de maintenir les niveaux ,pcçu-
la première fois sur le problème du logement (si
patiohnels dans le secteur;'du. bâtiment et simi-
on exclut la grève- générale pour,,le logement de laires (voir la présence -importante desrëprésen-
1963) -dans un : document/ datant de sep-
tembre.69 où, en stricte référence aux débats :
tants du bâtiment dans Je débat sur la réforme
du logement): sont des objectifs qui ne trouvent
traditionnels : de /politique: urbaine, elles aucune référence dans la loi (6)..../",:
proposaient une série de choix prioritaires :
rationalisation du secteur de /la construction : En fait, presque trois ansaprès sonappro-
résidentielle; définition de zones; intégrées, dont bation:, les iôyérs ont augmenté à des rythmes
le régime serait réglé par le droit de surface et bien supérieurs aux salaires et les niveaux
par l'expropriation généralisée, et une politique d'occupation: dans le -bâtiment ont : diminué
considérablement eh raison de la crise du secteur
des prix des. logements ayant en vue d'arrêter la
spéculation. •/- et de la rationalisatiohdes grandes entreprises de
construction. '-, ; -./-,',",,"
Ce documentfut suivi, de la,proclamation
d'une grève générale pouf te logement en /" Une autre considération plus négative en-
.
novembre qui remporta un succès et détermina core doit se faire sur l'attitude,assumée par lés
le début, d'une politique de négociations entre
syndicats vis-à-vis des,mouvements spontanés de
le gouvernement et les syndicats, qui mènera, à lutte au cours de ces années.
la fin de 1971, à l'approbation de la loi 865 Aucun document national ne pose le pro-
connue comme loi de réforme sur,le logement.
-,
blème d'un rapport avec ces formes; autonomes
Au sein des syndicats, les objectifs de ces de lutte ou en mesure d'absorber les méthodes-
négociations avaient déjà commencé à se diffé- nouvelles qu'elles expérimentent: toute con-
rencier au niveau de confédérations et d'organi- frontation est évitée, ôn.appuie sur,la nécessité
sations de catégorie : pour les premières, l'habi- d'approuver la loi, on se limite à annoncer des
tation entendue comme «service social,» grèves générales, les; autres formés d'action étant
devenait le support en. vue de la définition clairement considérées impraticables ou stériles.
d'une nouvelle politique économique, pour les
Ceci ne vaut pas en ce qui concerne les
deuxièmes, l'objectif du « canon equo » devait
syndicats de catégorie. Dans un document de la
qualifier la lutté, la rattachant directement aux
FIOM, FIM, UILM de février 1971, le problème
luttes au niveau des entreprises. Le conflit se des luttes. autonomes est affronté et une inter-
posait dans des termes encore plus évidents au
vention du syndicat est proposée pour qu'il gère
sein des autres organismes syndicaux : chambre
du travail et conseils d'usine. L'histoire des
négociations entre gouvernement et syndicats a (6) Voir à. ce sujet S. Potenza, « Riforma délia casa
été ponctuée par une série de propositionsen e movimentosindacâlè» dans Lo spreco edilizio, cit.

113

espaces et sociétés n. 15-8


andreina daolio les luttes urbaines en Italie

ces formes spontanées dans un front uni, par nées » a toujours été une attitude, de dure
l'intermédiaire des comités de zone et terri- condamnation.
toriaux. En outre, la décision de diversifier les La question se repose maintenant avec
luttes selon les contre-parties par des méthodes implications à propos des conseils de
toutes ses
désormais acquises par la pratique urbaine:
zone, vus d'un côté comme structures confé-
grève et auto-détermination des loyers, occupa-
dérales au niveau territorial, lieux de rencontre
tions de logements vides, est également accueil-
et d'unité-solidaire des intérêts de catégories
lie. Il est clair que cette proposition n'a pas précises, dé l'autre comme des noyaux de lutte
trouvé place à l'intérieur des confédérations et liés aux réalités sociales du quartier où ils sont
n'a même pas été présentée au débat des travail-
insérés, donc en/mesure d'en accueillir et d'en
leurs. Ceci pour un double motif : d'un côté, le
organiser les instances de base. Sous cet angle,
conseil de zone ainsi conçu aurait vidé d'ini-
les différents comités de quartier jouent sans
tiatives les fédérations provinciales et les cham-
bres du travail, de l'autre, et c'est- la raison aucun doute un rôle de premier ordre pour
essayer de rendre les.conseils de zone.effecti-
fondamentale, des objectifs tels que : «le
vement « ouverts ». Une autre limite que nous
logement doit sortir du marché de la spécu-
relevons déterminante dans. le défaut/de quali-
lation soutenu par l'intervention publique » fication de la lutte urbaine en tant que mouve-
s'accompagnant de l'individualisation d'une
ment social tendante muter les rapports entre les
composition précise des luttes, au niveau natio- classes, à été de poser, les bases d'une politique
nal et au niveau local, suivant des ..méthodes d'alliance déficitaire. En partant des prémisses
comme celles proposées, aurait signifié, pour le que
syndicat, un choix précis de classeet un dépla-
: -.- . : :
a) les contradictions sociales urbaines se
cement des. rapports de force avec l'interlo- caractérisent comme, pluriclassistes en elles-
.
cuteur déjà choisi:comme, contre-partie : le gou- mêmes, dans le sens que les divisions auxquelles
vernement. elles donnent lieu ne coïncident pas avec l'op-
On peut conclure à ce propos que le position structurelle, entre les deux classes fon-:
manque de liaison entre les deux points de vue .damentales, mais répartissent, plutôt les classes
n'est pas autant dû. à une carence de la part des dans un rapport dont,les termes en opposition
comités de quartier qui exprimaient correc- varient considérablement selon la conjoncture
tement les exigences de base, qu'au refus des politique-économique.
syndicats d'accepter ces formes.de lutte, leur
b)la composition sociale des quartiers est
confrontation, et de se poser éventuellement
assez hétérogène, à part peut-être la réalité des
comme leur phase organisative unitaire. baraques de zone qui présentent par ailleurs une
Du reste, ceci aurait signifié un renver- diversification au sein du sous-prolétariat) nous -
sement impossible de tendance : en face de la trouvons en effet, à côté de la classe, ouvrière,
nouvelle situation qui s'est crée en 68/69 et de la classe moyenne, les petits commerçants, des
l'unification opérée par les luttes ouvrières entre employés, des artisans, et une population sans
niveau économique et politique, le PCI a répon- activité; il faut noter que les; groupes ont-choisi
du par le réformisme et le syndicat par l'exclu- comme sujets réels des luttes une seule des
sivité de la lutte contractuelle. Une discussion parties intervenantes sans tenter une action et
sur la politique avancée par le PC! sur. ce:. une politisation à tous les niveaux. La consé-
problème, bien qu'important, ' n'a : pas été quence en est. que, ou bien les couches déjà
abordée. Ceci aurait en effet comporté une politisées sont entrées en action (voir les classes
confrontation aves les positions des autres par- ouvrières, de Turin et Milan) ou bien que l'on
tis : je peux affirmer ici brièvement que l'atti- est intervenu sur les secteurs vivant en marge
tude du PCI vis-à-vis de ces luttes « sponta- (voir les habitants des centres expulsés de la

114
andreina daolio les luttes urbaines en Italie

région de Milan, le sous-prolétariat romain et tive, malgré les longs délais et les -difficultés
napolitain) seulement pour qu'ils servent de mentionnées, ces formes d'action n'arriveront
détonateurs pour un mouvement se démontrant pas,-à:mon;avis, à se transformer en facteUrs'de
en fait incapable de garantir continuité et orga- changement social s'ils ne sont pas liés à une
nisation. ligne politique révolutionnaire décidée et cohé-
Il s'est produit ainsi que la grande masse rente, .susceptible - de prendre, corps, au Lsein
des locataires, appartenant à une classe impré- d'une force politique organisée, avec des carac-
cise, avec une perception inexacte du, problème,
téristiques de masse, qui se fasse,promoteur du
problème du, logement, et eh général, des pro-
et sujette au conditionnement de l'idéologie de
l'habitation comme; «problème privé»; reste blèmes Dés à la consommation ; collective,
substantiellement étrangère à ces moments, de comme: faisant partie d'un programme .plus
lutte.'_'•/ -
vaste de restructuration de fa société, sur des
bases complètement nouvelles.
Le rapport politique garde aussi une ou-
Certains, résultats,positifs de phases parti-
verture problématique avec le mouvement des
.
étudiants d'un côté et de l'autre les secteurs culières comme celles ayant caractériséM'expé-
professionnels directement : impliqués dans la rience italienne, peuvent tout au plus se: tradui-
planification territoriale.:/ re.en formes de.syndicalisme .de la « consom-
En ce qui concerne: les étudiants, on a. mation » pouvant être résolues/à l'intérieur/des
objectifs généraux institutîbnnell'e.men't;1' domi-
essentiellement tenté de les.enlever, à leur con-
texte et de les engager dans les quartiers, par: un nants/voir par exemple la conquête du loge-
appel générique à/la" solidarité ; pour les archi- ment comme poussée objective vers la proprié-
té, ou bien la croissance politique de couches
tectes, les urbanistes, les sociologues, on n'est
sociales en rapport seulement avec le; intérêts les
pas sorti d'un rapport les. voyant seulement
dans leur qualité d'« experts » jamais direc- concernant directement et la dépolitisation et
intégrationquis'ensuivent. /
tement engagés dans les situations individuelles
de lutté. Il faut remarquer à ce propos que ces Le fond de la-question est donc repré-
Secteurs professionnels, avec la réabsorption du senté par le lien existant entre les luttes « urbai-
mouvement de contestation de 1968 à la logique nes» et la lutte politique plus générale avec le
de restructuration générale qui caractérise la passage d'un niveau de structure sociale .à un
phase actuelle de lutte de classe, ont tenté de autre. Ce passage est en face de difficultés
ramener les luttes liées au logement et à l'urba- considérables : d'un côté,, l'intérêt .du capital
nisme au niveau des schémas traditionnels d'in- avancé -à réabsorber les conflits par des. inter-
terprétation. Il est également vrai d'autre part '. ventions à grande échelle sûr le territoire (Fiat,
que les réflexions théoriques sur la ville et
Irj), de l'autre la tentative des partis de gauche
.
l'évolution (PCI, PSI) d'organiser et de canaliser les protes-
sur ces thèmes du débat urbanistique
et sociologique se sont trouvé, en premier lieu, tations dans de traditionnelles formes de média-
renforcées par ces luttes. tion (Syndicat National des Locataires, SUNIA),
et en dernier lieu l'incapacité jusqu'ici démon-
Après cette analyse des causes possibles trée par les groupes de surmonter le fractio-
de la croissance insuffisante de la phase d'organi- nisme et de trouver une ligne,politique unitaire
sation, on peut faire une seconde considération d'intervention. Une résolution dè/ces « impas-
générale : au-delà des éléments caractéristiques ses » peut .contribuer à transformer les luttes
qui peuvent faire penser à une évolution posi- urbaines en phases effectives de lutte politique.,.

115
Christine castelain histoire
du "campamento
nueva habana"

: Le Campamento (1) Nueva: Habana, Un ; Quel, type.de relation, relie ces trois
des mieux organisés et" des- plus combatifs, a dimensions : conjoncturelle, organisationnélle,
Connu de profondes variations dans, la poten- culturelle 7 /'-.-
tialité de Ses luttes; (Ce Campamento-compte Quels sont, ,parmi / les termes :. conjonc-
1.600 familles, c'est-à-dire environ 10.000.habi- ture, lutte, organisation, "conscience, rapports
tants)., " ':',"' sociaux,/ ceux qui sont dominants au cours des
trois périodes/décrites plus-haut ? :
En effet, on peut distinguer trois périodes
dans son évolution : Bref rappel historique du parti MIR et son
1 -de 1970 à 1971 : au coeur.des.luttes, implantation sociale :
des revendications urbaines, son organisation et
Né en. ,1965 en. milieu étudiant, le MIR
la radicaljsation de ses actions font, de Nueva
venait juste de s'organiser pour faire des actions
Habana un campamento « pilote ».;
d'avant-garde. Le travail de masse ne commencé
2 - de 1971 à 1972 : on constate une très qu'en 1969, en: milieu pobladores et paysans.
nette -démobilisation et une désorganisation Le travail en milieu, pobladore s'inaugure avec le
interne.
campamento « 26 de Ënero » et le travail en
3-de 1972 à 1973: les luttes reprennent milieu paysan avec quelques occupations de
autour d'une mise au point de ravitaillement- fundos (dans la province.
de Cautin).
direct :« la canasta popular » (2). La première prise d'usine à. laquelle, ait
participé Je parti, eutjieuen; 1969, dans l'indus-
Ces fluctuations sont-elles un reflet direct
trie Métalpar, où des actions concrètes furent
de la conjoncture politico-nationale, une consé-
menées contre le patron.
quence logique d'un changement d'orientation
de la ligne politique du Ml R (parti en-vigueur Lorsque le parti commença à travailler.en
milieu ouvrier, la classe ouvrière : avait déjà
sur le' campamento), une expression de la varia-
tion du degré de conscience-politico-idéologique cinquante années de lutte derrière elle : cin-
des pobladores (3) de, la Nueva-Habana"?' quante années d'encadrement par le 'P.C. et 20
à 40années d'encadrement pat :le P.S. Se
retrouvant avec.un parti.né/en milieu étudiant;
celui-ci s'est dédié à un travail en milieu pobla-
(1) Campamento : campement urbain de. sans-logis dores et ensuite en milieu paysan, et ceci par
organisé par un parti politique. facilité, car c'était beaucoup plus difficile dé
(2) Canasta : distribution hebdomadaire d'un panier
travailler dans les usines. Ce n'est qu'en 1970.
type par famille contenant une douzaine d'articles de
base, organisée à partir d'une entreprise requistionnée. que le parti s'est mis à travailler sérieusement
(3) Pobladores ihabitants des çampamentos. en milieu ouvrier. •

117
Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana » (chilij

Rôle des pobladores dans la lutte des classes à partir de l'arrivée de l'unité populaire au
selon le MIR, en 1973 : pouvoir.
En effet, auparavant,ses positions n'étaient
(Extrait d'un interview d'un cadre pobladore).
pas claires ; Le M.P.R. (4), par exemple, dotait
les
« Parrapport au problème de la lutte des pobladores d'une grande capacité révolutionnaire
classes, les pobladores forment un secteur et les considérait comme l'avant-garde.
social qui.se caractérise par : Le campamento Nueva Habana, qui s'est
son hétérogénéité, dans la mesure où il formé en 1970, après plusieurs mois passés en
existe des chômeurs, des petits commer- «tomas» (5), l'a été sous la conduite du
çants des ouvriers, des travailleurs de la M.P.R. Celui-ci a mis à la disposition des pobla-
construction, une partie de lumpen... dores toute sa potentialité militante et l'a ainsi
le fait que les pobladores n'ont pas d'en- organisé en « campamento pilote ». Cette année
nemi visible (Le patron dans une usine est 1970-71 a été marquée, pour le campamento
' un ennemi présent ; il-existe en chair et par des luttes d'avant-garde, des séries ..d'occu-
en os, face aux travailleurs). Pour les pations et des manifestations violentes: animées
pobladores, il n'y a pas de patron, pas comme au. temps de Frei par la dynamique
d'ennemi, contre lequel frapper, contre « pression — répression ». Ce n'est qu'en
lequel lutter. Ils sont victimes de l'Etat 1971-72 que le changement d'orientation poli-
bourgeois, 1 de, la production capitaliste, tique du MIR s'est fait sentir survie campa-
mais d'une façon indirecte, à travers le mento. La pratique du MIR ayant été, la pre-
problème de la santé, de l'urbanisme, du mière année de l'U.R., une suite d'ajustements
logement, tout un ensemble de condi- par coups'et essais. V '
...,
tions contre lesquelles les pobladores doi-
vent se mobiliser. Mais-cour qu'ils aient
' ;
Au moment de la formation des Tomas (3
qui ont donné campamento), le
naissance au
conscience de leur oppression, il est néces- MIR attribue aux pobladores la potentialité
saire qu'ils soient guidés par une avant- révolutionnaire d'une catégorie sociale à part
garde. entière. A cette époque, pour le MIR,;les luttes
S'il est certain que les pobladores jouent urbaines menées par les pobladores contiennent
un rôle important dans la lutte des clas- en elles, la possibilité de mettre en échec le
ses, ils ne forment pas la classe motrice, gouvernement de Frei et l'année de l'arrivée au
ce ne sont pas eux qui sont désignés pour pouvoir d'Allende, elles permettent de tester le
provoquer un retournement de situation « réformisme » et de le pousser à se radicaliser.
dans la propriété des moyens de produc- Le MIR élabore avec les pobladores un schéma
tion'. La classe motrice est formée par les d'organisation interne visant à renforcer les
ouvriers de la grande industrie.. Com- luttes Urbaines et à développer la conscience
.
mencer par les pobladores a été une révolutionnaire des -pobladores à travers des
forme de concession. Mais, c'est néan- actions d'avant-garde et la participation au
moins correct politiquement de faire un «collectif ».campamento. .,/ :
travail en milieu pobladores, dans... la
I. L'ANNEE 1970-71, OU LA NAISSANCE
mesure où ceux-ci peuvent jouer un tôle
important dans la révolution, d'autant D'UNE CONSCIENCE COLLECTIVE
plus que les pobladores forment, un sec- Les « tomas » et la formation du campa-
teur, social très explosif, très combatif ; ils mento constituent une période très importante
.
l'on démontré dans leur histoire ».
Cette définition par le MIR du rôle des
(4) M.P.R. : Mouvement des Pobladores Révolu-
pobladores dans la lutte de classes correspond tionnaires, branche spéciale du MIR.
en fait à un changement d'orientation théorique (5) Tomas : Prise de terrain illégale.

118
Christine castelain histoire du € campamento
nueva habana » (chili)

dans l'évolution de la personnalité du pobla- L'organisation interne implique la participation


dore. En effet; celui-ci est confronté sans politique
aucune transition, à un type de vie collectif;.
-totalement nouveau pour lui. ,11 doit participer Un étudiant du MlR'miiitantsur le, cam-
à/un certain /nombre d'heures de travaux -col- pamento raconte comment a été élaborée l'orga-
lectifs, manger, lui et sa famille,.autour de ia nisation interne au campamento.
« ôlla commun » (6). Désormais, pour- un' cer-
tain nombre de problèmes, la solution n'est plus «Contrairement, à d'autres campamentos
où il n'y a pas,eu de travail politique
individuelle mais collective. Il doit; apprendre à
profond (et qui ont été perdus politi-
compter sur les autres,: mais aussi à ce qu'on
puisse compter sur lui,.par son assistance aux quement), ici s'est élaborée une forte or-
réunions politiques,, aux réunions d'organisation . ganisation, avec l'intention de la part du
:
interne au campamento, par sa participation à parti de déveiopper la démocratie proléta-
des actions d'avant-garde, par sa vigilance lors rienne,, à savoir..que les ppbladpres aient
des tours de garde en vue de.parer aux attaques „•;,
réellemènt le pouvoir de décision, • c'est-
des carabiniers ou des fascites. Du jour au ./à^dire une ^structure de pouvoir populaire.
.
lendemain, il se trouve, confronté à des pro- En vertu de ces principes, nous avons dû
bèmes de responsabilité, il .doit .apprendre à. .,
définir, chercher et rechercher/ concrè-
s'exprirnér en terme.politique,";à,dirigerun petit tement et nous sommes arrivés à. l'organi-
groupe;,vpire;mêmêun front de lutte. / '. sation suivante : division du campamento
,
La,-vie> quotidienne familiale doit se réor- en manzanas (7).;.: chaque, manzana a une."
Zganiser autour de cette dimension, collective ; les
/ /; direction élue par les pphlàdores. et. se
/réunit'/régulièrement,"'(une ;fois par
.

intérêts personnels du couple se subordonnent , '-" /semaine); en assembléee. générale, et '/est


/aux intérêts de la .collectivité et le rythme .
;•.•' représentée par un délégué élu à là jefà-
quotidien des, familles Se.-. redéfinit autour du
collectif. Bon/ nombre de pobladores/ ont le ,,-;. tùra qui/prend des .décisipns/pour l'en-
- semble du: campamento. Ce n'est pasuriè
sentiment d'« acquérir une personnalité » par
opposition à la « vie animale» qu'ils menaient .manzana qui décide pour; toutes,les au-
.
tres, mais c'est l'ensemble des manzanas
avant, ayant le sentiment de n'avoir agi aupara- qui-décide de la politique à suivre et la
vant qu'au fil de leurs pulsions individuelles. .." jefatura est. un organisme qui exécute
Pour sa compagne, c'est le même schéma ; elle en
-général .les décisions et la politique éta-
suit des séances d'entraînement physique, é|lè.
".,,' blies, par l'organisme; de pouvoir., des
participe aux "gardes, à la, plia, commun ;' elle
confie ses enfants à la personne chargée de les ; pobladores. Organisme de pouvoir popu-
-:.'-'-- laire/qui donne la possibilité aux pobla-
garder, pour pouvoir.participer à des actions.
collectives; elle acquiert une formation profes- dores, de .participer-/ de décider^d'utiliser
'-. leurs; propres, mains.' L'avenir du campa-
sionnelle en .devenant .rniljcienn'é de santé ou
puéricultrice. Son rôle de femme au foyer .-rnènto se décide lors du congrès. Ceci .est
éclate; les relations au sein de ,la.:famiHe se important, car les : lignes-/.politiques," le
transforment, des rapports nouveaux se créent programme en général sont élaborés par le
autour d'une conscience collectiye. Des .aspira- campamento lors du, congrès, ce qui n'a,
.
tions, nouvelles animent les pobladores qui ont lieu.dans aucun autre campamento ». /
.envie de « changer leur vie » et. la transformer
en fonction du collectif campamehtoV
" "(7) Manzanas : ensemble de maisons, groupant cha-
cune 64-families ; il y a: 24 manzanas sur le carnpa-
(6) Olla commun= gamelle populaire. nento.

119
Christine castelain histoire du «campamento
nueva habana »(chili)

Schéma de l'organisation. Le front d'éducation mobilise pour


: se
obtenir le droit à l'éducation pour les enfants. Al
jefatura fronts de lutte crée à l'origine du campamento un jardin d'en-
....
v front de santé, fants sauvage avec des femmes qui sont volonr
' front d'éducation ,
taires pour éduquer, amuser, occuper les enfants,
...
/ front de vigilance pendant/que les mères travaillent.ou participent à
front de yivienda, des actions collectives sur le campamento. Des
front culturel... pressions, seront .menées par les pobladores sous
forme d'occupation des locaux du service chargé
direction des jardins.d'enfants. Ils.obtiendrontdu matériel
et la création;de postes de puéricultrices pour des
femmes pobladores.Il/en est de même pour les
manzanas ,'•-, professeurs.: qui font l'école sur le campamento
.

Les fronts de lutte sont regroupés par (ceux-ci sont extérieurs au campamento). Les
thèmes; ils animent politiquement "le campa- professeurs organiseront une campagne d'alpha-
mento et sont responsables devant la jefatura, bétisation., : /
organisme centralisateur dès manzànâs et des Le front de vigilance : Chargé d'assurer la
fronts; "sécurité à l'intérieur du campamento, il protégé
aussi: les- pobladores contre les dangers, -exté-
Les luttes d'avant-garde à travers les fronts rieurs en luttant contré lé marché de la prosti-
Naissance d'un; sentiment de pouvoir; créatrice tution (Surveillant; les abords du campamento la
d'un-nouvel-ordre moral, la participation au nuit, pour empêcher que des hommes de l'exté-
fonctionnement interne du campamento est très rieur n'entraînent, des adolescentes à la prosti-
r,
'-élevée)-.;../"•,'.-, '.' v.'./" vv.')-,/--v. tution), contre, là; délinquance, contre les
,
voleurs, contre les/.gardes -mobiles,--et les com-
Le front de sa/jfe constitue un des élé-
mandos fascistes.
ments moteurs du campamento; c'est de lui
que dépend là formation de milieiennes char-
Ce front posé; lès jalons d'une justice
gées de parer aux maladies lesplus fréquentes populaire interne, chargée de résoudre certains
problèmes d'injustice quotidienne au sein du
sur le campamento (broncho-pneumonies, diar-
rhées infantiles, dénutrition), aux problèmes campamento. En fait, ce front intervient sur-
médicaux les plus pressants (vaccins), au con- tout dans les,: conflits,conjugaux, là. où l'inéga-
trôle des naissances, aU contrôle, de/l'alimen- lité et la domination d'un dés deux partenaires
tation, dé l'hygiène./Chaque manzana dispose sur l'autre est flagrante : le cas des'hommes
d'un certain nombre dé mil iciénnes. Une série ivres qui battent leurs femmes et leurs enfants.
d'occupations dans les; locaux du Service Natio- Le,critère de faute est établi en fonction
nal de là Santé sont réalisées, ainsi que dés du bien-être dé la majorité des pobladores de Ja
manifestations pour./ obtenir, sur le campa- Nuévà Habana. La faute capitale est l'exclusion
mento, des médicaments, des médecins consul- du campamento ; mais un certain nombre, de
tants et enfin un certain, nombre dé contrats pobladores sont réhabilités sur. le campamento
pour que les milieiennes soient payées; par le grâce à des fonctiohsde confiance qui leur sont
Service national de Santé. Les pobladores confiées. (Etre responsable du poste télépho-
.
obtiennent gain de cause.. Des séances de cures nique ...)),
anti-alcooliques sont aussi organisées. Pour parer Tout. ce. qui est marge de la vie
en
au nombre insuffisant de médecins consultants, collective est blâmé moralement (absence de
".les. milieiennes organisent des tours de garde participation au travail volontaire, absence de
nocturnes. participation â des actions de revendications

120
Christine castelain histoire du «campamento
nueva habana » (chili)

visant à l'amélioration directe du sort des nouvelle conscience collective, un nouvel ordre
pobladores, absence de participation aux réu- moral, un sentiment de pouvoir de classe.
nions de manzanas...). Un nouvel ordre mural
Pour le campamento, cette année 1970-71
s'instaure en ; marge des valeurs du système
est fortement marquée par la ligne politique du
bourgeois.
MIR, à savoir que celui-ci, ne faisant pas partie
de l'unité populaire, cherchait; à mobiliser les
Le front de vivienda (8) : Des séries d'oc- pobladores contre l'Etat et ne les situait pas
cupations sont réalisées dans l'enceinte de la dans la dynamique des changements sociaux du
Corvi ; pour obtenir des « média-aguas » (9), des pays; Aussi, la conjoncture politique a joué un
occupations de la municipalité de la commune rôle très faible dans la menée des luttes à
sont réalisées pour obtenir un équipement en Nueva Habana. S'il est certain qu'elle a joué un
eau, électricité... Une grève de la faim est rôle d'accélérateur dans la prise de conscience
organisée dans les -jardins du Parlement, pour du sentiment de pouvoir des pobladores en leur
obtenir la construction des yiviendas définitives. permettant d'obtenir rapidement satisfaction à
Puis, devant la lenteur bureaucratique, pour leurs revendications, eè n'est pas la relation
obtenir le démarrage de la construction des fondamentale. En effet/le terme moteur est
maisons, une manifestation avec là participation issu de la relation campamènto-MIR, soutenue
de la majorité des pobladores. est organisée. Elle par l'organisation interne et la naissance d'une,
est suivie d'une violente répression. Cette mani- conscience collective. Cette situation en marge
festation revient constamment dans les conver- des valeurs sécrétées par l'Etat et son idéologie
sations des pbbladores En effet, pour un certain posé les germes d'une conscience révolution-
nombre d'entre eux, c'est leur première mani- naire. Mars elle est marquée par certaines con-
festation,, les autres n'ayant été que fraction- tradictions qui établissent un lien fictif entre le
naires sur le campamento.: parti et les pobladores. Si le MIR a su se,gagner
la pleine confiance des pobladores, une relation
Pour la plupart, c'est la démonstration de de type charismatique s'est établie entre les
leur pouvoir, car elle sera suivie effectivement chefs, les militants et les autres. Une séparation
de mesures efficaces pour le campamento. Prise s'est nettement, instituée, qui se traduit, une
de conscience de leur pouvoir, d'autant plus fois les revendications satisfaites, par un noyau
fortement qu'il s'exprime avec violence et que actif et une majorité passive, et l'effort fait par
le temps de réponse de l'Etat sera rapide. le MIR pour asseoir le front culturel a échoué,
Des pobladores obtiennent aussi d'être puisque ce front ne se compose que de mili-
employés comme ouvriers permanents de la tants et; ne donnera naissance à aucune ini-
construction. tiative nouvelle.

Cette première période qui marque la Il L'ANNEE 1971-72


naissance de.Nueva Habana, la formalisation de
son organisation interne, animée par la dyna- Cette période se caractérise à Nueva
mique de ses luttes, est génératrice d'une poten- Habana par un changement très net dans la
tialité révolutionnaire qui se structure en une pratique du MIR sur le Campamento: Cette
modification stratégique est une conséquence
logique d'une redéfinition théorique du rôle des
(8) Vivienda : maison rudimentaire fournie par pobladores dans la lutte de classes. Ce nouveau
l'Etat.
(9) Media-aguas : petite maison de bois, dépourvue programme est exposé lors du congrès qui a lieu
d'installation sanitaire fournie par l'état. à Nueva Habana en 1971.
- -,

121
Christine castelain histoire du «campamento
nueva habana » (chili)

a) le congrès —
Commission des petits commerçants,

Commission front de justice,
La préparation du congrès : est organisée —
Commission front de santé.
de façon intensive par des étudiants du MIR avec
la participation des pobladores. Le MIR met à la La dynamique du congrès : Participent de
disposition des pobladores une grande quantité fait une centaine de personnes
de matériel pour organiser ce congrès : feutres, Ce congrès dure deux jours de suite, de 10 h.
peinture, papier, tissu, affiches, ainsi.qu'un sou- du matin à 2 h, de la nuit.
tien publicitaire dans la presse d'extrême gauche
à travers « el Rebelde»(10) et «Punto fi- Signification de ce congrès : Ce congrès
nal » (11). Un grand nombre de personnes sont est l'occasion pour le MIR d'exposer un change-
-conviées à participer à ce congrès : les membres ment d'orientation de sa/ligne politique dans le
du MPR (12) et du FTR (13) de Nueva Habana front des pobladores. Alors que, jusqu'à cette
et d'autres campamentos et d'autres entreprises date, le MIR avait concentré ses efforts et son
de construction, ainsi que des responsables du potentiel de militantisme en milieu pobladores,
campamento voisin (tenu par le P.C.): désormais il va concentrer ses efforts sur le
travail politique en milieu, ouvrier. A partir de
Sur le campamento, sont délégués à ce là, des discussions s'engagent entre des pobla-
congrès trois personnes par manzana et des dores militants et des non militants, entre ceux
représentants des différents fronts. Les diffé- qui "sont partisans dé mener, la lutte avec les
rentes personnes envoyées par les. manzanas pobladores des autres compamentos et qui pen-
sont élues localement. A chacun de ces repré- sent que leur émancipation doit émaner d'eux?
sentants; est remis « un dossier congrès » qui mêmes et ceux qui pensent qu'ils doivent subor-
comporte un' thème de; réflexion: sur le pro- donner leur lutte à la ligne politique du MIR,
blème de la lutte des classes et la ligne politique
Ala réunion pléniaire finale; est abordé lé
du MIR face à cette problématique et des problème de l'attitude du MIR face à l'unité
thèmes de discussion pour la formation de
différentes commissions.;Chaque participant re- populaire. Une volonté s'affirme, celle de ne pas
suivre aveuglément l'orientation du MIR, volon-
çoit une carte qui lui donne droit à la parole et
té partagée également par les pobladores mili-
au vote. Les personnes invitées reçoivent une
tants au MIR. Une motion politique sera votée,
carte qui leur donne uniquement droit à la
caractérisant la période actuelle qui encourage
parole.
les ouvriers à augmenter la production, à tra-
Le déroulement du congrès.": Après un vailler plus sans recevoir d'augmentation de
débat général autour delà définition de la ligne salaire, comme une période de surexploitation
politique à suivre, des présidents de séance sont et donc appelant les pobladores à lutter de
élus pour diriger les différentes commissions.:: toutes leur forces contre cette pratique de
TU.P.... Pratique qui entraîne une exploitation
Commission ligne théorique politique,
— qui est jugée supérieure à celle qui existait au

Commission front vivienda,
temps du gouvernement de Frei.

Commission front des femmes éduca-
— Pour le campamento,.des thèmes de lutte
tion.
sont.fixés :
résoudre le problème de l'exploitation
(10) El Rebelde : Journal du MIR, hebdomadaire. —
(11) Punto Final : Revue du MIR, PS. sur le campamento des pobladores entre eux à
(12) MPR : Mouvement des pobladores révolution- travers l'exploitation des petits commerçants ;
naires.

le problème des transports: organiser
(13) FTR : Front des travailleurs révolutionnaires. des pressions auprès de la municipalité pour

122
Christine castelain histoire du «campamento
nueva habana S (chili)

qu'elle pavé la chaussée' qui mène, à Nueva disposition des /pobladores aucun matériel;et
Havana et qui est aussi une voie de passage vers aucune organisation pouf que les thèmes abor-
d'autres campàméntos et d'autres poblaclohes.. dées au cours .du ".congrès se concrétisent. La
Axe sur lequel lès bus : refusaient de s'engager à yéhiculation dé ces motions dans les différentes
cause du mauvais état de la chaussée ; manzanas n'a eu lieu que partiellement.
--"— redéfinir le front culturel qui a échoue Mais ce congrès a signifié pour les pobla-_
jusqu'alors, en l'orientant vers une meilleure dores une nouvelle définition de leurs luttes. En
circulation de l'information des problèmes inter- effet, au cours de la première année, je MIR
nés au campamento et de celle des problèmes mettait à la disposition des "pobladores une
politiques conjoncfuraux: Établir à travers ée organisation interne 'totalement tournée vers
journal la liaison entre les autres Campamentos, leur émancipation; désormais, les.. pobladores
les autres quartiers populaires et les usines-';.'• ' doivent,s'organiser par,eux-mêmes.fout en con-
.,

réaliser la centralisation sUr le campa- tinuant à; être .dirigés par le MIR, En .effet,
mento entre les différents fronts pour éviter celui-ci reste:présent:sur le campamento;en tant
l'isolement de chaque front.;'•-' qu'institution politique et;morale, et)il,fait de
,
créer des centres féminins et non pas
— gros efforts, pour remporter les élections à la
des centres de mères, pour éviter/la ségrégation jefatura) après ,le-congrès. Mais/il/diminue son
.
qui a lieu sur le 'campamenfo entre jes-femmes- effectif de militants étudiants, sa potentialité
qui se trouvent en situation familiale légale et organisationnelle, centrant ^"problématique sur
celles qui sont eh situation illégale, et pour ,la formation des càdreset. les /possibilités,: de
éviter de considérer la femme uniquement sous yéhiculation; avec la classe ouvrière, il consacre
l'angle d'épouse ou de mère ; ;
moins.de moyens,pour former une plateforme

restructurer te front des jeunes et le de. lutte sur )ë_ campamento, la : concentrant !
front culturel; qui n'ont jamais bien fonctionné ; désormais; sur ; le /front ouvrier: Ceci est la
— mettre en
pratique le.projet de création conséquence d'une nouvelle pratique du mo-
d'ateliers, pour qu'hommes et femmes perfec- ''trient qu'il qualifiait historiquement de/période
tionnent leur formation et donc améliorent leur pré-révolutionnaire qui devait être, employée à
situation sur le marché de l'emploi. /'• former une avant-garde ouvrière possédant lés
qualités du parti bolchevique.
Pour le MIR, la signification de ce congrès
Une contradictions s'instaure, issue de
avait pour but d'expliquer officiellement le
changement de sa pratique politique. Le choix l'opposition entre directivisme politique que
du terrain ;- Nueva Habana était Une con- continue à exercer le MIR sur le campamento
séquence logique de sa pratique passée, puisque/ et un abandon de fait du front des pobladores
Nueva Habana était un des bastions du MIR et en tant pue, tel pour les luttes révolutionnaires.
représentait en quelque sorte le campamento Le MIR.sélectionne les actions revendica-
pilote. PourJes pobladores, le congrès était-une tives à mener, sur, le campamento, en fonction
occasion de faire le point au-delà .de, l'organi- de critères, qui- lui permettent de se rapprocher,
sation quotidienne du.campamento. :/ et se renforcer en milieu ouvrier.
Cet abandon du front pobladores par le
MIR entraîne une participation politique plus
b) Conséquences du congrès pour le campa- élevée dès cadres pobladores sur le campa-
mento mento.
Les conséquences immédiates de ce con-
.
La formation politique dispensée par le
grès ont été faibles en. réalité. Les motions MIR pour de nouveaux cadres est accélérée,
politiques adoptées n'ont été suivies d'aucun pour que : ceux-ci, remplacent les effectifs du
effet concret. En effet, le MIR n'a mis à. la MIR qui sont déplacés sur le front ouvrier.

123
Christine castélain histoire du «campamento
nueva habana » (chili)

\ Chargés de fait de plus grandes responsabilités Diminution des luttes d'avant-garde :


sur, le campamento/ les cadres pobladores ac-
quièrent une grande maturité politique. Ce. sont Des actions de petite envergure seront
eux qui. désormais organisent des:cours de for- réalisées, telles que poubelles déversées devant la
mation politique, auprès des autres pobladores maison du maire pour obtenir le ramassage des
(ce qui avant.était effectué par des étudiants du ordures, pressions,pour obtenir.le pavage de la
MIR). Leurs fonctions prennent une dimension chaussée ; mais pour des. problèmes principaux
plus politique ; en effet, ceux-ci sont déplacés tels que : augmentation.du matériel et crédits
des fronts chargés de l'organisation interne (san- pour obtenir l'achèvement des maisons en,cons-
té, vigilance...1/vers le, front presse et propagan- truction, une mobilisation partielle sera orga-
de (14), destiné à dispenser une formation idéo- nisée. Pour le problème; de, l'exploitation.des
.
logique basée sur des valeurs révolutionnaires à :
petits commerçants faite, sur le dos .des; autres
travers un journal, « le Cri. du. Peuple »., la pobladores,- rien ne sera entrepris./En,fait, lrana-
maturité politique des cadres pobladores aug- lyse du MIR sur la. conjoncture politique-.à
mente grâce; aux tâches de responsabilité que sensiblement évolué. En effet, sa stratégie ne se
leur confie le MIR. pose plus en rupture totale avec i'LLP. ; l'enjeu
est toujours la. prise du pouvoir,par)lès/travail-'
leurs, mais, avec une. dynamique de lutte ciîffë-
,
il s'agit dé lutter contreia-burèaLicratiede
Augmentation de la conscience politique - rente ;
des pobladores « sympathisants » l'Etat, mais sans le mettre directement a l'échec.
Ceci expliquepoùrquoi;le: Mi R neréalise pas de .
Lespoblâclores) sympathisants,,: ou ceux - pressions plus organisées pour obtenir l'a nationa-
auprès de; qui le Ml R, a su se gagner là confiance, lisation, de la chambre de construction,
-
acquièrent une plus 'grande indépendance poli-/ )Pbur;qu'Une-action d)avànt-garde soit réa-
tiqUe. Participant,: auparavant, à toutes les ac- lisée sur le eampamehto,ir faut):
/tiôns entreprises par le Ml R s'urié campamento, .
.1 -que le parti politique la considère com-
désorma is ils Opèrent une selection grâce à un
jugement politique personnel.; En effet, le MIR me essentielle ; ; or, pour le problème de la
construction de viviendas, la conjoncture politi-
appelle de - plus en plus les) pobladores à.une
participation indifférenciée, pour laquelle ils ne que empêchait, du point de vue du MIR, une
action de grande envergure, l'orientation "princi-
se sentent pas toujours; de rôle direct à jouer ; pale du moment étant plus de transformer la
aussi sont-ils amenés à opérer une sélection et à
nature/dé l'Etat et les appareils d'Etat avant de
.acquérir',un jugement et une estimation politique
résoudre le problème de la construction, problè-
indépendante du MIR. Ils prennent conscience
aussi; du manque de confiance dontfes entoure le
me pour lequel TU.P; avait fait un effort jamais
réalisé par lés anciens gouvernements (construc-
.MIR.-)puisque ceux-ci ont très peu de pouvoir de
tion de ,70.000 viviendas par an). Problème
décision dans les luttes revendicatives qui sont
d'aUtanf plus crucial que la)droite, opérait, au
/menées/et )ils ressentent une impossibilité: dé Ministère de la vivienda et à la Chambre de
pouvoir Critique -.'.auprès -de l'appareil politique
Mi R.) Lés. conditions mises, par, le parti pour ; construction,.un boycott systématique.
octroyer,lé statut de militant,» rebutent un
«
2-il faut, que cette action serve au parti
certain nombre de ppbladores.et lès amènent/à politique à renforcernationalement. Or, pour
se
faire une critique politique du parti. le MIR, sa préoccupation principale n'était pas
de se renforcer en milieu pobladores, mais
surtout de s'implanter en milieu ouvrier. Dans'
(14) Le front presse et propagande fait suite au cette perspective,, le problème de la vivienda
front culturel. n'était pas l'élément essentiel ; l'important était

124
Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana» (chili)

la possession des moyens de/production, l'auto- reils bureaucratiques chargés de. faire fonction-
gestion... ner le campamento. Ils retentissent idéologique-
'''; 3 - il faut que, pour les pobladores, cela ment sur les pobladores, entraînant une régres-
sion individualiste par rapport à la première
corresponde à une nécessité, à une revendica-
tion principale immédiate dont ils perçoivent les période qui était tournée vers un fonction-
aboutissements directs. Or, la construction de nement réellement collectif. Les familles se re-
leurs maisons avançait lentement, avec des dif- ferment sur elles-mêmes autour de leur rythme
ficultés d'approvisionnement de matériel, mais quotidien et de leurs relations au sein de la
relativement sûrement. Ils n'étaient pas prêts à cellule restreinte. Les rôles de redéfinissent
se mobiliser pour les autres pobladores, alors comme avant la « toma ». Les changements de
que leur problème d'habitation était en train valeurs amorcés au cours de la première période
d'être résolu. ne sont pas suivis d'effets, étant sous-tendus par
Ils étaient prêts à se mobiliser pour le une idéologie collectiviste en porte-à-faux. A
problème de l'exploitation des petits commer- nouveau, les conversations par petits groupes
çants sur.le campamento, mais pour le MIR, ce s'élaborent autour des relations conflictuelles
problème-là n'était pas essentiel politiquement, entre les pobladores ; les conflits sociaux inter-
il était particulier aux campamentos dans l'ins- nes au campamento reprennent le dessus et la
tant historique. préoccupation des pobladores est de préserver
leur cellue familiale et de là stabiliser.
Diminution de la conscience collective : Les fronts sont perçus comme un instru-
Le transfert de fonction des) militants ment de propagande politique du MIR qui
,
pobladores se traduit pour les autres pobladores signifient pour les pobladores l'assistance fasti-
dieuse et difficile à des réunions au cours
par Un arrêt de participation aux organismes
collectifs sur le campamento : abandon des desquelles ils ont de fait peu de capacité de
décision, d'organisation et de critique. Forme
tours de garde du front de vigilance, du front
de participation politique à laquelle les pobla-
de santé. Ceci provient aussi du fait que ces
instutions locales ont perdu leur signification dores ont du mal. à s'habituer, les motions
première d'encadrement et d'organisation des votées sont souvent perçues comme inutiles, ne
débouchant plus sur des actions concrètes, ou
revendications, par le fait même qu'un certain
lorsqu'elles se révèlent concrètes, la finalité ne
nombre d'entre elles sont désormais satisfaites.
les concerne pas directement, mais sert à ren-
Elles né sont plus vécues comme nécessaires
forcer l'étiquette politique du.MlR. Les pobla-
pour mener lés luttes ; la participation collective dores perçoivent leur rôle en tant qu'instrument
n'est plus indispensable. Elles entérinent une
de soutien au MiR, relation manipulatoire qu'ils
relation de distanciation entre les militants et
les non militants, amplifiant l'écart entre le refusent de fait.
discours politique et le discours non politique. Le front
presse et propagande, sur lequel
Aussi, la jefatura, le front de, santé, de vigilance, le MIR appuie sa dynamique pour continuer la
d'éducation se transforme en institutions locales lutte idéologique, attire très peu de pobladores.
régulatrices dont le but devient l'accomplis- De par sa composition : membre de la jefatura,
sement minimal de fonctions spécifiques, mais du front de construction, il tend à élargir,
dont les liaisons avec les luttes s'estompent. Les renforcer le rôle de la jefatura qui perd sa
fronts d'organisation qui, à la première période, fonction de front centralisateur des luttes. Le
étaient reliés entre eux autour de luttes préci- journal, le Cri du Peuple, sera tiré sous forme
ses, se disloquent et se transforment en fonc- d'une soixantaine de numéros hebdomadaire à
tions dont la signification première est de jouer 300 exemplaires chacun ; 250 seront vendus au
un rôle administratif, devenant des petits appa- début, et la vente ira en décroissant. Le but du

125
Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana» (chili)

journal était de dénoncer la presse de gauche mes fondamentaux lors de la création d'un
comme de droite, mensongère, de; diffuser une campamento), l'alcoolisme étant une des raisons
information politique juste, de faire la jonction fondamentales de la sous-culture dans laquelle
entre les différents campamentos d'extrême gau- les bourgeois avaient de bonnes raisons de vou-
che et entre les différents fronts de lutte : loir les maintenir. Une des conclusions de la
étudiants, pobladores, paysans, ouvriers, et aussi pièce était qu'il fallait lutter pour acquérir une
de réaliser une unité d'information entre les maturité politique collective capable de résou-
différentes manzanas du campamento Nueva dre ces problèmes de sous-culture, et ceci en
Habana et les différents fronts locaux. Seule menant des luttes révolutionnaires.
cette dernière fonction sera de fait valorisée par
les pobladores: Mais, les blocages que ressentent
les pobladores, pour écrire eux-mêmes des arti- La manzana : se transforme en institution
cles ne seront pas levés ; toutefois, au fur et à morale locale, chargée de résoudre les conflits
sociaux internes et de maintenir tant bien que
mesure de sa parution, un certain) nombre de
pobladores commenceront à exprimer leur mal une organisation collective basée sur le
point de vue personnel et à s'impliquer person- travail collectif et l'assistance à des réunions, à
nellement dans des analyses de la démobilisa- l'aide de sanctions ou d'encouragements. Elle ne
tion de Nueva Habana. constitue plus un élément dynamique qui peut
permettre d'aider les pobladores' à formuler
Au cours de la troisième période, ce front leurs "revendications. Sa "fonction est celle d'une
s'arrêtera de fonctionner à la suite du départ petite administration locale ; la jonction avec la
des pobladores qui l'organisaient vers d'autres jefatura se fait; mal et l'information politique
fronts ou d'autres tomas. Le front ne saura circule plus du sommet vers la base que de la
donc pas continuer à fonctionner après le dé- base vers le sommet. Le fossé entre militants,
part de ses organisateurs. non militants se creuse et se traduit par rebon-
Le théâtre populaire organisé à Nueva dissement pour certaines femmes par une haine
Habana par dés étudiants du MIR avait pour au MIR, à l'extrême gauche et à la gauche qui
fonction de véhiculer et de diffuser sur les usines, se concrétise par un vote à droite lors des
les campamentos, dans les campagnes, l'expé- élections. Attitude qui ne traduit pas réellement
rience de lutte ue Nueva Habana. Pour monter une option , politique, mais un rejet de la vie
la pièce, les étudiants recueillent auprès des que leur fait mener leur companero pobladore
récits des pobladores les trames d'histoires vé- militant. En effet, ceux-ci se trouvent généra-
cues qu'ils racontent avec des paroles pronon- lement dans des situations économiques diffici-
cées par eux. Le jour de la représentation sur le les ; consacrant un temps long à la participation
campamento : 200 personnes étaient présentés"; politique, ils perdent leur travail ou, s'ils sont
la « pièce » a beaucoup plu, mais n'a été suivie au chômage, leur militantisme les empêche de
d'aucun débat. Elle retraçait la période de la chercher du travail. Les femmes reprochent au
« toma », de l'organisation autour de la lutte
MIR que « la politique ne nourrit pas ». D'autre
pour la maison, la santé, la justice à partir de part, un pobladore qui milite est amené à
l'histoire vécue par deux familles de Nueva délaisser sa vie familiale au, profit de ses. activi-
Habana. La problématique était centrée sur le tés politiques; il cherche à organiser sa vie
rôle répressif apparent que pouvait jouer le autrement, ce qui l'entraîne à changer de parte-
front de vigilance sur le campamento à partir naire, et même s'il y avait eu redéfinition des
des sanctions octroyées par les pobladores de ce rôles au cours de la première période, cela se
front à un ivrogne. Il s'agissait de montrer la traduit pour la femme par un renforcement de
nécessité de faire disparaître les débits clandes- valeurs traditionnelles, car ces ruptures ne sont
tins d'alcool sur le campamento (un .des problè- pas sous-tendues par une idéologie nouvelle.

126
Christine castelain histoire du «campamento
nueva habana» (chili)

Elles.blâment moralement le comportement.des ; s'agit d'un gouvernement militaire comme celui


militants pobladores,,ce qui entraîne un retrait qui existe depuis le.putsçh).;)) )
de-leur confiance dans l'appareil politique MIR. :/' Les germes)de conscience rëvplutionnaire
les conflits sociaux et familiaux reprennent le que l'on/pouvait noter à la première période se
dessus lorsqu'une organisation collective n'est transforment par de nouvelles relations avec le
plus sous-tendue par une dynamique de lutte. parti, en une,.augmentation de là conscience
L'absence, de lutte entraîne la désagrégation de politique pour certains et une retombée vers
la conscience, collective, ce qui empêche, la l'apolïtîsme pour, d'autres ; car ils ne: sont plus
résolution ou ,1a transformation des conflits sous-tendus par une conscience collective. Lès
sociaux. v-V /,; conflits sociaux internes éclatent, leur intensité,
-permet)de mesurer le. degré de;la)démobili-
Cette deuxième période se caractérise/par sation.; : /-):- "---"----:
...
une..démobilisation des. pobladores)de Nueva
.
Habana. Démobilisation provoquée,par un chan-: LA TROISIEME PERIODE S'AMORCE A
111-
gement d'orientation politique:du MIR qui)eh-, PARTIR DE LA CONJONCTION DE TROIS
traîné.dé fait un abandon partiel du front/des .ELEMENTS; '
pobladores, le:MIR, concentrant ses efforts.Sur
le front / ouvrier,: C'est encore la relation .')/):' Lai conjoncture politique économique, la
revendication de. plus en plus pressante des
Ml R-pobladores qui est à la basêde l'évolution
pobladores face au ravitaillement.; le projet de
du campamento. La conjoncture politique joue
création de; commandos communaux par le
surtout son : rôle à travers l'analyse qu'en fait le
parti ; celle-ci ne consiste plus à se mettre en MIR, conjonction,de trois éléments qui entraîne
marge des transformations nationales) mais elle
un redémarrage des:luttes à Nueva Habana.
consiste à y participer avec lefront Ouvrier et à La conjoncture politique
pousser le gouvernement à se radicaliser'à partir
de la poussée révolutionnaire du peuple. Hjstorï- Octobre 1972 : grève.patronale, grève des
quemeht, cette période entraîné aussi une démo- camionneurs; travailleurs font tourner les
les
bilisation pour les pobladores, car à leurs revendi- usines, assurent un ravitaillement parallèle,
cations, l'Etat oppose sa lenteur bureaucratique. réquisitionnant des moyens de transport et
L'évolution des campamentos a montré organisant un échange de produits d'usine à
usine. Naissance du premier cordon industriel :
que, bien souvent, une fois les revendications
essentielles satisfaites, on notait une trèsnette, le cordon Cerillos.La politique traditionnelle de
démobilisation, une tendance vers la norma- gauche est débordée, par la base. Les classes
lisation. Si le changement d'orientation du MIR s'affrontent directement autour dé la produc-
n'avait pas eu lieu, si la conjoncture avait jpué tion et du ravitaillement.
Un rôle de stimulant, la démobilisation aurait- Dans cette dynamique d'affrontement, lés
elle eu lieu ? pobladores suivent le mouvement ; ils ne jouent
aucun rôle particulier ; ils ne participent pas à
: troisième période nous montre que la
La l'avant-garde active. Mais, c'est à partir de cette
Conjoncture politique nationale joue de fait un nouvelle dynamique qu'ils pourront mettre au
rôle très important dans l'évolution d'un campa- point un système de ravitaillement qui leur
mento ; c'est d'elle que dépend le rebondis- permettra de résoudre l'exploitation des pobla-
sement des luttes, par opposition à la première dores par les. petits: commerçants à.-1'intérieur
période qui correspond à la naissance d'un du campamento. )'.'-'/
campamento, et qui est relativement indépen- / La crise économique et la crise politique
dante de la conjoncture politique (sauf lorsqu'il (remaniement ministériel, arrivée des militaires

127
Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana» (chili)

au pouvoir) leur permettent de mettre à profit saient par les JAP. Or, le problème fondamental
un ravitaillement, direct sur le campamento sans était que très peu de marchandises: rentraient
passer par des intermédiaires, en réquistiohnant dans lé circuit des JAP ; en effet; celles-ci :
une entreprise de distribution, en faisant.direc- étaient détournées vers le marché noir, grâce au
tement la jonction : usines, campagnes, .campa- système de distribution privé, avant d'être sou-
'' mentos, ; mises aux ; JAP.; Le nombre de -denrées qui
'étaient vendues réellement : aux prix officiels
La canasta — Les JÀP (15) était donc très faible et le ravitaillement des
couches populaires était catastrophique. La
L'organisation interne., du campamento
permet la mise en application) concrète de ce
«canasta», en même temps qu'elle assurait la
distribution des produits au tarif officiel,
nouveau système dé/ravitaillement. Participation contrôlait aussi l'entrée des marchandises, évi-
à la-base des pobladores. de. chaque manzana
tant ainsi qu'elles ne soient détournées - au
qui., assure/la /répartition des paniers types à
.marché noir) La distribution de la canasta sur
tour de. rôle dans/la manzana. -Les produits -les/campamentos n'avait. pas pour seul but
/étant issus d'une entreprise de ravitaillement qui d'assurer le ravitaillement; maïs elle soutenait
est réquisitionnée, par les pobladores en Octobre aussi la production au niveau de l'usine./Én effet,
.197.2. La liste des produits pour chaque panier ty-
assurant le contrôle des denrées à partir/de leur
pé est fixée d'après, une étude faite sur le cam- sortie/de l'usine, elle.-.rendait/l'effort de produc-
pamento par dès poblàdbrès appartenant "à la tibndestràvâilleursplausible,/alors qu'avec l'inef-
policlinique. -Trois paniers types sont établis ficacité des JAP face au marché noir) les .ouvriers
selon la dimension de'la famille, Tunité de base . avaient le sentiment dé produire pour assurerdes
étant le nombre de calories nécessaires au déve- . bénéfices aux animateurs du marché noir;
loppement/ d'une" famille, dont) lé père est
ouvrier. C'est; une façon de résoudre le pro- ; De même pour les; denrées issues de"-.la'
.
blème de la sous-alimentation dont sont vic- campagne. Le ravitaillementdirect de la canasta
times les: couchés populaires. C'est .aussi un a conirnèncé sur/ les campamentos les mieux
moyen de lutter contre le marché noir qui bat organisés; : Lo Héfmida, Nueva Habana. Ceux-ci
son plein, en imposant un contrôle direct de n'ayant joué aucun rôle, particulier dans les
l'acheminement des denrées à partir de la sortie périodes chaudes d'Octobre, d'affrontement
de; l'usine. Contrôle qui s'avérait indispensable direct des classes, ils jouent un rôle de relais et
et qui: faisait la caractéristique de la canasta et de soutien de la lutte dans les mois qui suivent,
sa supériorité par rapport aux JAP. En effet,les la continuant en. période de reflux des. luttes
JAP ne /servaient qu'à assurer un contrôle des nationales. Ils peuvent jouer ce rôle dé relais
prix sur les marchandises pour éviter que grâce a leur organisation interne et grâce à leur
celles-ci ne soient vendues au.marché noir, le situation de défavorisés sur le marché de la
-.
moyen/de distribution étant assuré par les consommation. Exclus, sous Frei du secteur,de
filières normales : les petits commerçants qui la Consommation, les pobladores acquièrent
adhéraient au JAP. Mais, en fait, les JAP avec Ail en dé Un pouvoir d'achat qui les fait
n'étaient qu'un moyen, illusoire , de résoudre Je. . entrer dans le circuit de,la consommation ; mais
problème du, ravitaillement. Ne contrôlant pas avec le marché noir, le sabotage -de la droite et
l'entrée des. marchandises.au niveau de l'entre- l'augmentation du, nombre de.consommateurs,
prise, de distribution, elles ne contrôlaient que les produits disponibles sur le marché devien-
la sortie, la distribution des denrées; qui pas- nent rares; Aussi, les pobladores se trouvent-ils
à nouveau rejetés hors du circuit de la consom-
(15) JAP,: Organisme chargé de contrôler le prix mation, lis cherchent donc un moyen de se
des denrées. re-situer dans le circuit. Mais, à cela vient

128
Christine castelam histoire du f campamento
nueva habana» (chilij

s'ajouter !e problème de l'exploitation des la manipulation politique consistant en : un


pobladores par les petits commerçants sur le produit égale une' signature; ces signatures
campamento. En effet, ceux-ci vendent à un devant servir de caution auprès de la. muni-
prix plus élevé qu'ailleurs les denrées dont ils cipalité pour qu'elle organise légalement une
disposent (car ne payant pas de patente, ils ne junta et une JAP, et dénonce l'illégalité, de la
peuvent pas jouir du statut de petits commer- jefatura et de la canasta. Manipulation qui a été
çants). déjouée par l'ensemble des pobladores; ainsi,
Ce. problème- crucial que les pobladores les pobladores se prononçaient activement en

auraient- voulu résoudre depuis longtemps faveur de la canasta et réitéraient leur soutien
(depuis la création de Nueva Habana) trouve au MIR. '

enfin une.solution avec la canasta. Et, à la-suite


d'un conflit d'origine politique, les .pobladores L'implantation de la canasta a réanimé le
réitèrent leur soutien au-mode de ravitaillement campamento. - Les manzanas retrouvaient leur
canasta par opposition à une JAP.
fonction, unité qui permettait d'organiser et de
répartir des canastas et les rapports sociaux de
En effet, quatre manzanas sur la campa-
discussions politiques autour du thème de la
mento essaient d'implanter une « junta de
vecinos », qui pourrait remplacer la jefatura
JAP: la canasta; le légalisme, illégalisme; la
gauche, l'extrême gauche; la confiance au gou:
tenue par le MIR. La junta de vecinos signifiant
la reconnaissance légale par la municipalité de la
vernement' ou nécessité de créer un pouvoir
parallèle. Jamais la discussion politique n'avait
direction du campamento. Sous l'impulsion des
été aussi vive à Nueva Havana, entre les pobla-
petits commerçants, ces différentes manzanas
dores.
voulaient aussi obtenir l'ouverture de la JAP sur
le campamento, la JAP étant un système de
ravitaillement reconnu légalement, alors que la
Le front de ravitaillement devenait
l'élément moteur et ses membres passaient dans
Canasta, était tolérée, mais illégale. Un certain chaque manzana pour expliquer la situation.
nombre" de petits, commerçants de la Nueva
Les pobladores exerçaient leur contrôle sur ces
Habana avait réalisé plusieurs séries d'actions de
membres^ les accusant de détournement de
protestation contre la canasta qui, à long terme,
fonds à partir du paiement des canastas par les
risquait de les priver de leur source de revenu. pobladores. Mis en accusation par les pobla-
D'autres pensaient que la canasta leur était utile
aussi, par elle assurait leur ravitaillement person- dores, des membres du front de ravitaillement
ont;corivb.qtië. une assemblée'gèrièrale au cours
nel en denrées rares et rie diminuait pas leur
chiffre; d'affaires/ leur, fonction ayant toujours de: laquelle- ils ont expliqué.,qu'ils::recevaient un
été d'assurer un ravitaillement partiel, d'ap- petitsalaire; ' : ';'}'.' '.'' .-' :""-':*;-"' -'v-v.

point, qui continuait à être effectif malgré la


.: Dans le même; temps/ la.jefatura .perdait
canasta. • : :^ ": de son impact.. -Ces ;mémbffis étaient occupés à
Les petits commerçants opposés-à '. la ca- assurer .le: fonctionnement du : front ;de- ravitaiL :
nasta, et donc partisans des JAP, ainsi que ceux lement, assurant le relais -des luttes sur des
qui étaient partisans d'une junta de vecinos (16) fronts extérieurs au camp et autour du. p?py
s'allièrent et essayèrent d'implanter une JAP. blême du ravitaillement. Le campamento s'ins-
C'est pour cela que les petits commerçants crivait désormais dans la dynamique des cor-
demandèrent aux pobladores qui recevaient un
.
dons, communaux, destinés à assurer' une jonc-
produit-issu de laJAP d'apposer leur signature; tion et une- alliance de. pouvoir entré, pobla-
dores, .'.paysans';-'.'; ouvriers, étudiants, pouvoir
(16) Junta de vecinos : association de voisins ayant parallèle à celui' de"l'U.P^ La solidarité.-entre"
un statut légal. ,-''';•.'•- campamentos se cristallisait autour de la canasta/

129 --:.-.-

espaces et sociétés: n. 15-9


Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana » (chili)

ce qui entraînait des irrégularités dans lé ravitail- de la conjoncture politique qui se, caractérise
lement de Nuéva Habana, au fur et à mesure que par une dynamique de conflit autour de la
se développait le ravitaillement par canasta, car montée d'un pouvoir populaire parallèle. Si la
cela n'était pas "suivi de nouvelles réquisitions canasta a pu s'implanter sur le Campamento,
d'entreprises de distribution. c'est grâce à une organisation de base déjà
Le existante, grâce à une maturité politique élevée
cam pamento Nueva Habana, lo
Hemida participeront à une manifestation et à une résurgence de la conscience collective.
importante, à une occupation des rues, pour Mais, au niveau des initiatives politiques à pren-
-obtenir la nationalisation d'une entreprise de dre/les pobladores restaient subordonnés au
distribution (70 % de la distribution était parti ; une conscience révolutionnaire n'était pas
là pour sous-tendré dès initiatives de luttes et
encore .aux mains/du/ privé). Action qui fut
.
suivie de; brutalité policière et de répression pour leur permettre d'entreprendre des actions
violente,,ainsi;que d'un désaccord de; l'a part- des issues de-l'ensemble des pobladores et non pas
partis traditionnels de gauche.
Dans le secteur de la Florida/ les couches
uniquement du MIR,
.. '
On peut se demander si le rôle de relais
populaires gagnaient de plus en plus de pouvoir, que jouent les pobladores dans la lutte des
classes découle de la nature de; leurs revendi-
grâce au commando communal et au cordon
cations ou s'il découle dés relations qu'ont
industriel de Vikuna Mackena/ Le campamento
établies lès partis politiques avec le front pobla-
"setransformait en un; grand magasindu peuple
dores, et du fait/pour Nueva Habànâ que le
achalandé de tissus,; couvertures, habits d'en-
fants,; citerne pleine en. permanence".de fuel, MIR a transformé, au cours de l'évolution du
alors que les magasins des quartiers; chics étaient campamento, sa façon de mener la mobilisation
démunis. Paradoxe que la classe dominante/n'a avec les Dobladorés ? //. ./.;.':. ../ /:
pas pu supporter.
LE 11 SEPTEMBRE 1973, DANS DES CAM
.-"/' Le front de/.construction, qui prenait de PAMENTOSTENUS PAR LE MIR
plus en plus d'importance sur le campamento,
tendait à remplacer .la jefatura qui ouvrait la
10 heures du matin :
lutte sur d'autres fronts dans la dynamique des
commandos communaux et perdait donc ses Au campamento. Ho-Chi-Min, les mili-

propriétés spécifiques sur .le campamento. tants se sont organisés depuis/plusieurs heures
Des ouvriers actifs/: par opposition .aux et ont étudié les différentes opérations pour
ouvriers "chômeurs; qui composaient la .jefatura, prendre le contrôle du secteur (occupation'de
tendaient/à prendre la direction des luttes sur.le routes, de pompes à essence...).
campamento ; ainsi, avec le front des ouvriers —-A Yolancl-a Schwartz : rien rie se passe,
.
de la construction, là-lutte des pobladores se les chefs ne sont pas là, aucune mobilisation.
transformait eh une lutté ouvrière. (Les élec- (Campamento créé en Avril 1973)...
tions à la jefatura devaient avoir lieu en. A Nueva Habana : ils ont réussi à faire
Septembre 1973). //; -; /- .
arriver plusieurs camions pleins de nourriture
La démarcation politique entré les pobla- (depuis les agences de distribution réquisition^
dores de Nueva Habana s'était faite pendant.la nées) et plusieurs groupes de.travail sont consti-
« période morte » ; l'unification politique se
renouait autour- des luttes précises et avec/un
.
tués autour :./.---- ;; ; ,;!:/,'"
-?- du ravitaillement,
degré de conscience politique élevé. de la santé,

Au cours de cette troisième période, le
-

"
.
des enfants,
redémarrage des luttes est totalement.dépendant de l'auto-défense.

130
Christine castelain histoire du « campamento
nueva habana » (chili)

Une réunion de directorio.a lieu, puis une préparer lé passage à la clandestinité ;


réunion des cadres pobladores du MIR. Au cours. préparer des brigades dé combat ;
de cette réunion, il est décidé que les respon- combat que sur ordre
— ne passer au
sables doivent se préparer à passer à la clandesti- exprès du comité central. Au cas où des grou-
nité et donc à abandonner le campamento. Une pes autonomes décideraient de passer à l'action.,
.
assemblée générale est prévue pour expliquer aux
ne pas les suivre.
pobladores le sens de ce départ. Par ailleurs. N'est'-
décidé, étant donné le manque d'armes, qu'au- Le jour du coup d'Etat, l'organisation
cune résistance ne sera opposée aux. militaires, interne de Nueva Habana abien fonctionné ;
s'ils viennent perquisitionner !e campamento ; en tous les pobladores fidèles au MIR étaient prêts
revanche, la résistance à une. attaque fasciste est a exécuter les ordres.
analysée comme possible. Les campamentos du MIR ou tenus par
Des tâches concrètes sont distribuées à d'autres partis n'ont joué aucun rôle parti-
chacun ; mise à la disposition du matériel du culier; ils étaient dépendants de l'évaluation
front de construction pour construire des gre- politique du moment, faite par le parti en
nades à l'aide de tuyauterie barbelés assurer

vigueur sur le campamento. Aucune forme d'ac-
le ravitaillement en eau

tirer des tracts — for- tion particulière ne les a caractérisés ; ils se sont
mer des brigades... — enlever les drapeaux, les subordonnés aux autres secteurs.
affiches — assurer le fonctionnement normal du
Lès campamentos les mieux organisés
campamento.
étaient capables d'assurer une bonne .organi-
sation interne, mais pas une résistance armée/et
Vers 14 h. :
ceci à cause de l'application, deux mois aupara-
Un dirigeant étudiant du MIR arrive avec vant, de la loi du convole d'armes qui auto-
les premières instructions du Comité Central du risait les militaires à perquisitionner n'importe
MIR. Il faut faire : où et n'importe quand. Queiaues brigades
du travail de masse (expliquer par tract avaient à Nueva Habana, suivi un entraînement

militaire; mais on était loin de la lutte armée
que ce qui vient de se passer est l'échec du
réformisme et que le MIR se propose de pren- dont se réclamait le MIR.
dre la direction du mouvement de masse) ; En fait, le jour du coup d'Etat, ii s'est
donner confiance et lutter contre la
— rallié à la pratique des partis traditionnels de
.
panique (envoyer des - militants dans d'autres gauche; ce ralliement était pratiquement
campamentos. Pour expliquer qu'il faut s'orga- prévisible depuis l'année 1971, année où le MIR a
niser, donner des conseils et proposer aux prétendu vouloir former un parti révolutionnaire
autres campamentos de travailler avec eux"; le pour diriger les masses, ce qui signifiait en fait
chef du campamento sera envoyé dans les jouer un rôle parallèle à celui de i'U.P. en
autres campamentos) ; adoptant des motions plus à gauche.

131
compte rendu
EDMOND PRETECEÏLLE
Jeux, modèles et simulations
Critique des jeux urbains
Mouton/208, p. 1974 •-,.-.

Depuis quelques années une nouvelle technique a tions dé tout ordre pouvaient être déchiffrés comme un
fait son apparition dans les études urbaines, celle des. jeu dont on chercherait quelles sont les règles/quels
« jeux urbains » ou simulations jouées. Ces jeux dans : sont les joueurs etjes buts qu'ils poursuivent. «Le jeu
la continuité des jeux de guerre; puis d'entreprise, est un bon modèle de la; vie sociale, car celle-ci est
prétendent constituer une aide à la décision, mais aussi elle-même un jeu». Les divers secteurs de la vie sociale
et surtout des instruments pédagogiques de formation peuvent être soumis au traitement mathématique de la
pour les étudiants ou les cadres chargés de gestion. théorie des jeux pour déterminer les « stratégies »,
L'ouvrage de Préteceille met en évidence l'extraor- c'est-à-dire les politiques d'action optimales dans des
dinaire charge idéologique de ces techniques qui en situations où sont impliqués plusieurs participants.
fait une expression typique de la philosophie et de la Mais la société globale elle aussi, peut être comparée à
politique libérales. un jeu ; et dans le prolongement de cette identifi-
L'examen des fondements théoriques de la simula- cation, à; partir de règles préalablement posées, une
tion jouée renvoie à la notion de modèle que l'épisté- société donnée est une solution du jeu ; pourquoi la
mologie moderne rencontre 'dans plusieurs/domaines société capitaliste ne serait-elle pas la solution-la plus .
scientifiques. Une première critique; dé .l'auteur vise* rationnelle du jeu tandis que les solutions totalitaires
cette extension de concepts et de théories, initialement seraient des solutions dégénérées ? '
utilisés dans une région particulière du savoir/celle de La mystification idéologique se poursuit d'une
la mathématique; Déjà l'utilisation par la physique. et manière encore plus éclatante sur le plan de la pra-
la biologie aboutit à; dénaturer le caractère mathéma- tique des jeux. Le/caractèreimaginaire du jeu; implique
tique du modèle. Par le jeu des philpsophies incons- justement la négation de la réalité des rapports So-
cientes des chercheurs, le modèle se ramené pour : ciaux. Dans, les « >jëux "urbains » -se mettre à la place
l'empiriste à une: image réduite du réel ou pour le des promoteurs, des capitalistes, des politiques, n'est
/ce,'pas oublier, son statut social et trouver ùnéxbmpen-
.
néo-positiviste à « une construction formaliste qui
n'aurait d'autre « Vérité » que.sa capacité technique à sation symbolique dans une identification passagère ?
résumer et à prévoir les données de l'expérience et lés Dans la simulation jouée l'analyse: profonde entre les
jeux et la réalité n'existe que fictivement puisque
.
faits » ; le premier escamote le rôle de la théorie ; le
second méconnaît la nature de la pratique d'expéri-.. « jouer le jeu, c'est en accepter justement la fiction sans
mentation. L'indissociabilité dé l'élaboration théorique la désigner comme telle ».
et de l'expérimentation qu'exprime le modèle est Tout cet arrière-plan idéologique recouvre en fait.
davantage niée dans la pratique pédagogique qui a .une philosophie précise: La détermination d'une stra-
tendance à souligner les analogies renvoyant à des tégie optimale, objectif des théoriciens des jeux revient
expériences immédiates pour mieux faire comprendre à chercher la rationalité des décisions dans; des situa-
les théories difficiles. Plus essentiellement la transpo- tions de compétition. Il ne s'agit pas pour les partici-
sition du modèle des « jeux » de,1a 1théorie mathéma- pants; au jeu de choisir parmi toutes les possibilités ; la
tique aux sciences humaines tient à làmise en rapport notion de stratégie dans la mesure où eltè implique
de ressemblances de deux objets différents. Le présupr l'idée de maximatibn de l'utilité exclut la prise eh
posé de l'isomorphisme entre la structure du modèle et compte dès motivations1 irrationnelles ; le sujet consi-
celle du phénomène étudié assigne ainsi à l'analogie un déré ne peut-'être.: qu'être-rationnel et par là. la théorie
rôle important dans la connaissance. C'est naturel des jeux rejoint la conception idéaliste de l'interchan-
lement la fragilité scientifique d'une telle légitimation geabilité dès; rôles qui/se retrouve dans,la conception
qui permet le jeu des croyances spontanées et des: libérale de la démocratie formelle ou l'homme abstrait
parti-pris de classe. est titulaire de tous les droits. Uri même élan, élabore
Cet investissement idéologique apparaît nettement le modèle quasi mythique d'un « homo strategicus»
dans l'application de la théorie des jeux au traitement susceptible da maîtriser toutes lès situations et de jouir
des problèmes ; sociaux. L'usage métaphorique' des de. tous les droits qui lui sont promis';par la consti-
notions de «jeu» «d'acteurs », de « régies du jeu » tution de son pays. On.comprend dès lors combien les
« d'enjeu », la définition fonctionnaliste du « rôle » («simulations jouées.» ont une visée idéologique car
acheminèrent des penseurs de diverses disciplines à «prendre la situation comme modèle du social/c'est
l'assimilation de la vie sociale à un jeu. Les diverses prendre l'illusion constitutive du jeu pour la réalité;
relations individuelles, les mécanismes de l'échange c'est méconnaître profondément le jeu en même temps
économique, les rapports internationaux, les compéti- que l'ensemble des rapports sociaux ». :
L.ARNAUD-MATECH
ESPACES ET SOCIETES
Revue critique internationale de l'aménagement,
de l'architecture et de l'urbanisation

SOMMAIREN.1

Henri LEFEBVRE ': Réflexions sur la politique de l'espace. Anatole KOPP : L'art de gauche,
.instrument de transformation sàciajè. -Pierre RIBOULET : Eléments pour une critique de
l'architecture. Alain- MËDAM : La ville appropriée. Roberto SEGRË : Signification de
l'architecture cubaine dans- le mondé contemporain. J.'LOJKINE et E. PRETECEILLE :
Politique urbaine et stratégie de classé. J. L. DESTANDAU : A propos de la question
régionale Raymond LEDRUT : L'image de la ville; Manuel CASTELLS : La rénovation
::urbàine aux Etats-Unis; Eric HOBSBAWN : La ville et l'insurrection. Raymond LEDRUT :
Plasti-Citè. Michel COQUE RY: Règionarshbpping Centres. Anatole KOPP : The City inthe
Ziônist Idëology.: : ."-. " /;: '.; '
.

SOMMAIRE N.2

Henri LEFEBVRE /La ville et l'urbain. J. BOBROFF.-GUTKIN et F, NOVATIN.LATIVÉ :••


: La politique d'Albin Chalandon
: nécessité tactique et stratégie.de: classe. Alain. GOUHIÊR ;
Le pouvoir et: les lieux du pouvoir. M: de MICHELISi-'.-.èt M.VENTURI;;.: Le/centre de
direction de Bologne :.pu, comment le P..C.L gère le problème urbain. Marcos RAVIA : Le.
--paternalisme urbain. Pierre -RIBOULET : De quelques :mots creux employés;par la/çommis-
-sion dés villes: : !a préparation du Vlème Plan. François ALQUIER: Contribution à" l'étude de;.
la rente foncière, sur les terrains urbains. Jean LOJKINE:: Y a-tril une rente/foncière
urbaine'.Bernard ARCHER : Géographie volontaire ou; laisser-iaire planifié ,? L'exemple de.
la/zone minière /du. Pas-de-Calais. Alain MEDAM': 'Un centre, de .censure : les Halles.
M.&R. FIÇHELET et J/M.FOURCADE : La formation- des architectes : un système de
contradictions non-résôiuës. Francis GODARD;: La. rénovation urbaine, à Paris : l'opération
, .
«Italie 13 ». J/VERDES-LEROLIX: L'idéologie communale dés élus locaux. ;

SOMMAIRE N.3 -•-'-'" ;":'. rV:/".:;":;.-/

PROCESSUSD'UftBANISATIONEN AMERIQUE LATINE


Manuel CASTELLS : L'urbanisation dépendante en Amérique latine. Emma SCOVAZZI : Sur
le rôle de la yillê coloniale et néo-coloniale dans la formation socialesud-américaine. Milton
SANTOS : L'urbanisation dépendante au Venezuela. Jacqueline-. WEISSLITZ : Migration
/ru talc et .intégration urb'ajne'.au'-Pérou..
. ...
'.'';., STRUCTURE URBAINE ET MARGINALITE
SOCIALE
Anibal QUIJANÔ •':. La formation d'un univers marginal dans les villes d'Amérique latine.
' Humbertû MUNOZ, O.dé OLIVEIRA
et Claudio 5TER.N.V Ville de Mexico. Ramiro
CARDONA-GUTIERREZ: L'urbanisation sauvage en Colombie.

POLITIQUES D'URBANISME ET DU LOGEMENT


.GabrieJ PUMARINO : Politique du logement et développement urbain
au Chili. Amaro de
VILLANOVA : Au-delà de Brasilia.; Jean-Pierre GARNIER /Une ville et une révolution La
Havane.: ": ' - •:''.. '•-..' ..'-. -
"•"-''.".'-••;:.-'•

SOMMAIRE N.4

Henri LEFEBVRE : Engels et l'utopie. THOREAU La gauche américaine et la question de


l'écologie. François ASCHER : Quelques critiques de
:
« économie urbaine f
Danielle
BLEITRACH : Le rôle idéologique des actions régionales d'aménagement». du terri-
.
toire-L'exemple de l'Aire métropolitaine-marseillaise.
TRAVAILLEURS IMMIGRES: LES REPROUVES DELA VILLE
Pierre RI BOULET : Avant propos - Quelques faits divers. José RODRIGUES DOS SANTOS
et Michel MARIE : Migrations et force de travail. Uli WINDISCH : Travailleurs immigrés,
xénophobie et capitalisme : le cas de la Suisse. E. M, 68 : Les nouvelles classes dangereuses.
Bernard KAYSER :' Mythes et réalités dé Immigration. Gérard HEL|OT : Le logement des
travailleurs: immigrés. M. POINARD : .Les étrangers dans l'agglomération lyonnaise. Marie-
claire VIGUIER : De quelques idées reçues sur les travailleurs portugais en France. Gérard
HELIOT : Bibliographie sur les travailleurs immigrés et liste d'organismes. Alain NOGUES :
Reportage photographique « Bidonville de Nanterre ». Jean REMY : Utilisation de l'es-
pace - Innovation technologique et structure sociale.

SOMMAIRE N. 5

Henri LEFEBVRE : Les institutions de la société « post-technologique ». F.VANDER.


SÇHUEREN : Mobilisation politique; el: lutté pour le logement au Chili. Franco FERRA-
RÔTTI : Rome, Capitale;à la périphérie. Micheline. LUCCIONI: Processus révolutionnaireet
organisation de l'espacé en Chine- Vers la fin des séparations - entre villes et campagne.
Monique SEGRE : Politique scolaire et aménagement du territoire en France. TRASHMAN :
Mass média et pratique urbaine-Quartier de Sçhilderswijk à La Haye. Katherine BURLEN;:
La réalisation spatiale du désir et Tïmagespatiâlisée du besoin..: /

SOMMAIREN. 6-7

MOUVEMENTS SOCIAUX URBAINS ^.


Manuel CASTELLS : Introduction.: Lutte de classes et contradictions urbaines : l'émergence
des mouvements sociauxurbains.dansle capitalisme avancé. José OLIVES.-. La lutte contre la .
rénovation urbaine dans le quartier: de «la cité d'AI;iartë.»./(Paris)-. François BONNIËR : Les.
pratiques des associations de quartier et les processus de/« récupération». Collectif. Chili':'••
Revendication urbaine, "stratégie; politique'et mouvement'social des « pobladores » au Chili.
XXX ; Logement et lutte de classés : compte rendu, d'une pratique militante de quartier'àParis.

PRODUCTION DU CADRE BATI;


François ASCHER : Contribution à l'analyse de la production du cadre bâti. Pierre RIBOU
LET : Une constructionprimitive pour une société'dévelpppéei

RECHERCHES

Paul VIEILLE : L'utopie urbaine détèchnostructure. Mary Otis STEVENS : City as a four-
la
letter word. Fredj STAMBOULI : Sous-emploi et espace,urbain : lesbidonvillesau Maghreb. /

SOMMAIRE N.8
ETUDES
Bernard KAYSER: Le nouveau système des relations viile-campagne.Henri LEFEBVRE.: Le
mondial et je planétaire.José RODRIGÛES DOS SANTOS et Michel MARIE : L'immigration
et la ville. Bandera ROJA : Les communistes:et la. lutte dans les quartiers en Espagne. Gabriel
DUPUY : L'idéologie des jeux urbains.

; CONTRADICTIONSSOCIO-ECONOMIQUES
..'/.. ET STRUCTURE URBAINE;
Alain MËDAM : Formationsurbaines/et structures spécifiées. Edith FÀUDRY-BRENAC et
Pierre MOREAU : Urbanisation et développement capitaliste. Pierre KUKAWKA : Planifier les
villes : pourquoi faire ? — Approche conceptuelle.

RECHERCHE
Sylvie B1AREZ, ClauoKBOUCHET, Guy du BOISBERRANGER, Christian MINGASSON,
Catherine POUYËT avec là-collaboration de Pierre KUKAWKA : Le traitement politique de
l'aménagement urbain par 1'institui+Q.ircommunale.

CRITIQUE
Jean-Pierre GARNIER : A propos de « la question urbaine ».
SOMMAI RE; N. 9-

.ANTHROPOLOGIE ET SEMIOLOGIE URBAINE 1


Raymond LEDRUT: Parole et silence de la ville: Richard FÀOQUE: Pourune nouvelle
approche- sémiologique de la ville. Marion SEGAUD: Anthropologie de t'espace.-.catalogue
ou projet.; • '-•
'--'" '-'•--/ ..,........;....-.
RECHERCHE'/: ...-...,.,; ......
Bernard DUBOR : Néo-capitalismeet situation de l'architecte.

MOUVEMENTSOCIAUX URBAINS II //;-:;,/


Eddy CHËRKI : Le.; mouvement d'occupation dé. ..maisons,, vides, en France. Françoise
LENTIN : Le quartier de la.Mouffe en rébellion. "Etienne HENRY;: Les «campa.rhen.tps..»
.
et
la Création d'un pouvoir populaire au Chili. : François PINGEOT et Michel, ROBERT :
Environnement, lutte urbaine" et intérêts de classe. Ricardo G. ZÀLVI.DAR//Capitalisme,
pollution et mouvements sociaux : l'« exemple » de Bjlbao. '.".". / /:,/,,:-.....
;/'; NOTES ET DOCUMENTS '"/'/./;. ;:
Michel COQUERY : Les marxistes et la crise des centres urbains en Italie. André LELONG :
A propos; de Villeneuve de Grenoble.

SOMMAIRE N. 10-11

ESPACES AFRICAINS
DEPENDANCE OU DEVELOPPEMENT?

Barbara STUCKEY : Introduction : Environnement et espace en Afrique — l'alternative :


dépendance ou développement? Samir AMIN : Les problèmes de l'environnement-en
Afrique. Barbara STUCKEY : L'analyse spatiale..-et; le développement économique. Atta
MILLS : Régions et problèmes de planification régionale dans le contexte des économies
africaines. Mohamed DOWIDAR : Les concepts de mode de production à la région. Barbara
STUCKEY : Note de méthodologie .concernant l'analyse des relations ville-campagne. Jacques
BUGNICOURT : Interaction des catégories sociales et groupes sociaux dans les zones
« retardées » d'Afrique intertropicàle, Sidi Boumedine RACHID : Planification urbaine et
décolonisation en Algérie.: René DUMONT:/L-èhviro.nnementchez les Béni M'Guild (moyen
atlas marocain). Alain MEDAM : Oued Ouchayah, (banlieue d'Alger). Barbara STUCKEY :
Moyens de transport et développement Africain./les pays sans-accès côtièr. Anne RAULIN :
Les/femmes devant l'émigration masculine : l'exemple kâbyle;-Jean-PierrePOATY : Contra-
dictions sociales et formes de conflits sociaux dans une ville africaine : Brazzaville.

SOMMAIREN.12 '

RAPPORTS DE CLASSES :
ET AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

Paul VIEILLE : L'espace global du capitalisme d'organisation. Alexandre FAIRE et Gustave


MASSIAH : La crise de l'urbanisme et de l'aménagementdu territoire et ses conséquences sur
la recherche. /Jean-Louis DESTANDAUr Agents ' économiques— économique.

;,,:/''
:: Espace
REMIÇA,/Systèmes spatiaux et structures régionales. Nicole MATH IEU :; Propos critiques,sur
l'urbanisation dés,carnpâghés. ,/; :
..RECHERCHES'"/"''':'.'"7'"''.;.;"-"'.
Pierre-Philippe NOLLIE : Du milieu de vie à l'environnement. Marc MAURICE : Travail,
mode.de vieet espaces sociaux..Bernard ARCHER : Un" exemplede production dudiscours
idéologique — la -planification urbaine: à -Rouen de .1960 àr/1970. Jean-Marie CHARON :
L'animation urbaine ou comment désamorcer les mouvements sociaux urbains.
SOMMAIRE N. 13-14

".'-'-. PARIS : URBANISME, CLASSES, POUVOIR ;

Pierre RIBOULET : Présentation. Bruno FORTIER : L'urbanisme parisien à la fin de l'ancien


régime. Jean CEAUX : Rénovation urbaine et stratégie de classe : rappel de quelques aspects
de l'haussmanhisâtion: Xavier BROWAEYS et Paul CHATELAIN : Marché du travail et
espacé ouvrier en région parisienne. Pierre CHOUBERSKY et Serge VARAGUE : Là politique
foncière en région parisienne. Juliette NICOLAS et Jean-Claude BERNARD : Crise des
transports et enjeux sociaux en région parisienne. Jean LOJKINE : Le projet de cité
financière à Paris. Denis DUCLOS/Rénovation urbaine et capital monopoliste à Paris..
XXX: Uneenquête populaire sur les conditions de logement dans la banlieue parisienne.
Marcel CORNU : Paris et le pouvoir. Henri LEFEBVRE : Les autres Paris.

DOCUMENTS :-
Intervention de M. Léon Merino au Conseil Général de la Seine-Saint-Denîs

INTERVIEW
Interview de M. Nuno Portas, Secrétaire d'Etat au logement du Gouvernement provisoire
portugais, par Manuel Castells : La question du logement au Portugaldémocratiquë.
.

COMPTES-RENDUS
Edmons PRETECEILLE : Colloque de Grenoble « Pour un urbanisme ». Manuel CASTELLS :
La Ville et l'Urbanisation de Jean Remy et Liliane Voyé. Brurio FORTIER : Outcast London
de Gareth Stedman Jones.
l'homme et u société
revue internationale
de recherches et de synthèses sociologiques
Direction - Rédaction - Administration - Abonnements
12, avenue du Maine, Paris 15, Tél. 548-42-58 222-76-82 -
N. 35-36 Janvier-Juin 1975

MARXISME CRITIQUE ET IDEOLOGIE

Mihailp MARKOVIC : La philosophie marxiste en Yougoslavie le groupe PRAXIS. Trico


--
INDJIC : L'organisation entre la liberté et l'efficacité: Joseph GABEL : Marxisme hongrois,
«hungârb-marxisme »,Ècolé de Budapest. Daniel MARTIN et Serge FRANKËL: La nouvelle
gauche hongroise : sociologie et révolution. Michael LQWY : Notes sur Lukacs et Gramsci.
Solange MERCIER-JOSA : Hegel et la société (Présentation et traduction de trois textex inédits
de Hegel). Mario HIRSH : L'École de Francfort : une critique dé la raison instrumentale. André
GUNDÉR-FRANK : Smith et Marx vs. Hegel et les Weberiens : Origines du développement et
du sous'développémehtdans le Nouveau Monde. Pierre RIBOULÈT : Quelques remarques à
propos de la lutte des classes dans ('idéologie-Michel MAFFESOLI : L'idéologie>sa genèse et sa
duplicité.

Etudes Critiques
Paul LUSINCHI : L'idéologie hollywoodienne : l'analyseur Bogart. Jacques GU1GOU : Les
coûts de l'éducation permanente : un été chez lllich (août 1974). Joseph GABEL : Réflexions
sur « le plagiat nécessaire ».

Colloques
Maurice de GANDILLÀC : Le discours utopique (Avant-propos) (juillet 1975, Cerisy-la-Salle).
Civilisation noire etéducation (Lagos, novembre 1975).
Comptes Rendus
Revue des Revues
Livres Reçus.

Prix du numéro : 25 F.
Prix du numéro double : 40 F. Revue trimestrielle
Abonnements 1 an (4 numéros! Direction :
France : 80 F.
Etranger : ÇO F.
Serge JONAS - Jean PRONTEAU
Direction - Rédaction -Administration - Abonnements
12, avenue du Maine, Paris 15, Téi. 548-'<2-58 222-76-82
-
138
139
140
A UX EDITIONS, ANTHROPOS

MANUEL CASTELLS
soGioiogie
de l'espace industriel
Quelle est la relation existante entre organisation dé l'espacé et
développement des forces productives? Ce livre essaie d'avancer dans le
traitement d'une telle question, qui sembleêtre centrale pour l'aménagement
du territoire, en analysant la logiquesqus-jacente à l'espacede laproduction.
Pour cela, il étudie les rapports existant entre l'industrialisation, l'urbani-
sation et l'espace, en critiquant la théorie économique classique de
l'implantation industrielle, il procède ensuite à l'analyse concrète de deux
situations très différentes, la région parisienne et la région de Dunkerque, en
déduisant quelques axes interprétatifs. Enfin, il pose le problème des
nouveaux rapports entre l'industrie et l'environnement en fonction dé la
crise actuelle du capitalisme et de la nouvelle division internationale du
travail..
(1975)220p. 1.3.x-19 :40F

I agriculture africaine
et le capitalisme
OUVRAGE COLLECTIF
Sous la direction de SamirAMIN
B. FOUNOU-TCHUIGOUA, J.WEBER, J. BOESEN, M.L. MAZOYER, M. KEITA
E.de LATOUR DEJEAN, P-P- REY, A. AWITI, L. BONDESTAM, T. GURMU

volume constitue le prolongement de précédentes études parues


Ce
sous le titre de « La question paysanne et le capitalisme ». Il résulte
d'une sélection d'actes d'un colloque Organisé par l'Institut Africain de
Développement Economique et de Planification — IDEP — à Dakar en
décembre 1973.
(1975) 380p. 13x19 :55 F.

141
AUX EDITIONS ANTHROPOS

142
AUX EDITIONS ANTHROPOS
REIMPRESSION

SAMIR AMIN

617 p. 13,7x22 :60 F.

ANOUAR ABDEL-MALEK

575p. 13,7x22 :70F.

143
.144

Imprimerie Bessori, 25, avenue du Maréchal Joffre, 78 400-Ghatou

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