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Avec l’arrivée de la 3G, les Palestiniens se
rêvent en nation high-tech
PAR CHLOÉ DEMOULIN
ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 10 FÉVRIER 2018
Deux Palestiniennes travaillent dans l'incubateur
de startups à Rawabi, le 30 janvier 2017. © C. D.
Après des années d’attente, Israël a enfin autorisé
l’installation en Cisjordanie de la 3G, une technologie
apparue en 2000. Grâce à cette petite révolution,
les Palestiniens espèrent faciliter leur quotidien, mais
aussi muscler leur économie dans les secteurs de la
téléphonie et de la high-tech.
Rawabi (Cisjordanie), envoyée spéciale.– Ils étaient
les derniers au monde, avec les Cubains et les
Érythréens, à ne pas pouvoir profiter d’une avancée
technologique qui date pourtant du début des années
2000. Depuis le 23 janvier, les Palestiniens peuvent
enfin se connecter à la 3G en Cisjordanie. Une petite
révolution après des années de négociations avec
les autorités israéliennes, qui leur en avaient refusé
l’installation, officiellement pour des « raisons de
sécurité ». « C’est une étape stratégique qu’il aura
fallu attendre pendant plus de dix ans. Nous espérons
que cela aura un effet positif sur les infrastructures
de communication et l’économie », a commenté
Ammar Aker, le PDG du groupe Paltel, qui exploite
Jawwal, l’une des deux compagnies de téléphonie
palestinienne.
Jusqu’ici, beaucoup de Palestiniens achetaient des
cartes SIM israéliennes pour pouvoir utiliser leur
smartphone. « Depuis des années, nous avons
fait face à une compétition illégale de la part
des compagnies israéliennes, avec l’installation
d’antennes dans les colonies. Or ces compagnies n’ont
jamais payé aucune taxe à l'Autorité palestinienne »,
dénonce Murad Tahboub, directeur général d’ASAL
Technologies, une grande entreprise palestinienne
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spécialisée dans la sous-traitance de logiciels et de
services informatiques. Selon un rapport publié par
la Banque mondiale en 2016, le manque à gagner
pour Jawwal et la seconde compagnie palestinienne,
Wataniya, pourrait avoir atteint jusqu’à 500 millions
de dollars (plus de 400 millions d’euros) entre 2013 et
2015.
À cet égard, certains Palestiniens, comme le directeur
général de Jawwal, Abdul Majeed Melhem, jugent que
le timing tardif choisi par les autorités israéliennes
répond moins à des préoccupations sécuritaires que
commerciales. L’installation de la 3G en Cisjordanie
arrive en effet trois ans après celle de la 4G en Israël.
Ce qui permet à l’État hébreu de conserver un train
d’avance. Loin de faciliter les écoutes des services de
renseignement israéliens comme la 2G, la 3G reste
cependant proscrite dans la bande de Gaza.
Deux Palestiniennes travaillent dans l’incubateur
de start-up à Rawabi, le 30 janvier 2017. © C. D.
Au-delà des retombées économiques pour le secteur
de la téléphonie, l’arrivée de la 3G devrait faciliter la
vie des Palestiniens au quotidien. « Est-ce que vous
pouvez imaginer vivre sans 3G, sans pouvoir consulter
vos mails ou l’état du trafic quand vous êtes en
déplacement ? Pour nous, cela va changer beaucoup
de choses », confirme Iyad al-Refaie, journaliste
palestinien et directeur éditorial du média en ligne
Al-Quds News Network. Alors que leurs perspectives
d’avenir ont été assombries par la reconnaissance
américaine de Jérusalem comme capitale d’Israël,
les Palestiniens pourront également s’emparer de ce
nouvel outil pour lutter contre l’occupation. « Avant,
quand il y avait des manifestations ou des clashs
avec l’armée, nous devions attendre d’être rentrés
chez nous ou courir vers la connexion internet la plus
proche pour pouvoir partager nos photos et nos vidéos
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sur les réseaux sociaux. Maintenant, nous pourrons
publier nos informations rapidement depuis l’endroit
où nous nous trouvons », explique le journaliste.
Les prix proposés par les compagnies palestiniennes
pourraient toutefois ralentir la démocratisation de
la 3G. « Pour l’instant, les abonnements sont
extrêmement élevés, jusqu’à deux ou trois fois
plus cher que ceux proposés par les compagnies
israéliennes », nuance Iyad al-Refaie. Ce qui pourrait
dissuader certains Palestiniens de franchir le pas.
Autre bémol, le journaliste s’inquiète de la censure
menée par les réseaux sociaux sur les contenus
postés par les Palestiniens. « Facebook en particulier
travaille avec le gouvernement israélien. En 2017, le
réseau social a supprimé plus de deux cents pages ou
comptes palestiniens qui partageaient des contenus à
propos de l'occupation israélienne », déplore-t-il.
Ces dernières années, le gouvernement israélien s’est
lancé dans un combat contre les contenus « incitant
au terrorisme » sur Internet. Une noble cause.
Mais certains lui reprochent d’avoir tordu le bras
à Facebook, notamment avec un projet de loi
controversé, pour que la compagnie américaine mène
une censure beaucoup plus extensive que nécessaire.
Pour y remédier, Iyad al-Refaie a fondé avec plusieurs
autres journalistes palestiniens un groupe nommé
Sada Social, qui demande régulièrement aux réseaux
sociaux de réexaminer leurs décisions. « Parfois,
Facebook a rétabli certains contenus bloqués »,
concède-t-il. Mais selon lui, la bataille est loin d’être
gagnée. « Facebook est une compagnie américaine et,
ces jours-ci, les liens sont très étroits entre les États-
Unis et Israël. »
L’arrivée de la 3G en Cisjordanie suscite aussi un
immense espoir dans le secteur encore balbutiant de
la high-tech palestinienne. « Cela va encourager les
Palestiniens à imaginer de nouvelles applications », se
réjouit Shadi Atshan, directeur de Leaders, le premier
incubateur de start-up de Cisjordanie, né en 2004 à
Ramallah. Pour ne pas perdre une minute, Leaders
avait déjà mis en place, en 2017, une formation pour
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permettre aux développeurs palestiniens de s’aguerrir
à l’utilisation des systèmes Android et iOS et d’être
prêts pour le jour J.
Inge#nieur palestinien, Mohammed Asmar est
fier de pouvoir travailler pour Microsoft. © C. D.
Selon Shadi Atshan, l’arrivée de la 3G devrait
également booster les activités des start-up qui ont
développé des applications spécialisées dans les
solutions de parking, de covoiturage, de supermarché
en ligne ou encore de livraison de nourriture à
domicile. « Grâce à la 3G, les start-up vont pouvoir
fournir des données plus précises et updatées en
temps réel aux utilisateurs. Ces derniers seront
donc plus nombreux à se connecter et vont pouvoir
contribuer à perfectionner l’offre », explique-t-il. Le
bénéfice devrait être immédiat pour les applications
fonctionnant avec des données de localisation, comme
par exemple Qalandiya, qui permet aux Palestiniens de
consulter l’état du trafic aux check points et d’alerter
sur les blocages ou les incidents éventuels.
Même enthousiasme du côté de la ville nouvelle de
Rawabi, située à 10 kilomètres de Ramallah, où le
premier pôle technologique de Cisjordanie a été ouvert
l’été dernier. « Nous avons besoin que les investisseurs
étrangers nous voient comme des partenaires égaux et
fiables, qui savent délivrer dans les temps. L’arrivée
de la 3G constitue donc un tremplin, elle va nous
permettre de prouver notre valeur au monde », estime
Sari Taha, responsable du pôle technologique.
L’infrastructure a été installée dans un immeuble
de huit étages au cœur du centre commercial de la
ville. Au sous-sol, Sari Taha nous fait visiter la pièce
maîtresse du projet : un data center flambant neuf,
équipé d’une importante capacité de stockage. « Nos
serveurs peuvent déjà prendre en charge les données
de 100 entreprises, mais nous prévoyons à terme de
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pouvoir en accueillir plus de 500. Notre but n’est pas
seulement de conquérir le marché local mais de servir
de plate-forme pour tout le Moyen-Orient. »
Pour donner l’exemple, le milliardaire palestinien
et fondateur de Rawabi, Bashar Masri, a décidé
d’installer une partie des activités d’ASAL
Technologies, dont il est actionnaire, aux 3e et 4e
étages de l’immeuble. « Nous pensons qu’il faut
créer un écosystème concentré, avec un mélange
d’entreprises locales et internationales. Nous devons
nous tourner vers l’extérieur pour être viable, car le
marché palestinien est trop petit, souligne-t-il. Nous
n’inventons rien, nous nous inspirons de ce qui a fait
le succès des autres pôles technologiques à travers le
monde. »
Un incubateur de start-up a également été créé au 5e
étage de l’immeuble. Mobilier design, connexions à
la fibre optique, salles de réunion ou encore espace
détente : tout à été conçu pour ressembler aux
espaces de travail proposés par les poids lourds de
l’Internet. « Fournir aux start-up palestiniennes et
aux entrepreneurs un endroit comme celui-ci où ils
peuvent échanger et faire progresser leurs idées va
les aider plus rapidement à séduire le marché local et
international », assure Sari Taha. À cela doit s’ajouter
prochainement l’ouverture d’un centre de formation
spécialisé dans la high-tech.
Diplômé en génie mécanique de l’université de
Birzeit, Sari Taha rappelle que le taux de chômage
frise les 30 % en Cisjordanie. « Mais ce n’est
certainement pas dû à notre manque d’éducation,
objecte-t-il. Nous avons une jeune génération
diplômée et prête à travailler dur. »« Nous n’avons
pas de ressources naturelles, alors miser sur notre
jeunesse est notre meilleure option », acquiesce Murad
Tahboub, le directeur d’ASAL Technologies.
Preuve que les efforts de Bashar Masri ne sont pas
vains, ASAL Technologies sous-traite déjà à Rawabi
des activités pour la compagnie israélienne Mellanox,
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spécialisée dans le haut débit. « Il n’y a pas de
secret, une de nos cibles est Israël », admet l’homme
d’affaires palestinien. Ce dernier sait pertinemment
que la startup nation israélienne, dépassée par son
succès, est en manque d’ingénieurs. « Au lieu d’aller
les chercher en Europe de l’Est ou en Inde, les
Israéliens pourraient les embaucher en Cisjordanie. »
Habitué à viser grand, Bashar Masri souhaiterait
également convaincre de plus gros poissons : « Mon
rêve deviendrait réalité si des compagnies comme
Google ou Apple venaient installer ici un centre de
recherche et développement ou un service clientèle
qui emploierait des centaines de personnes. » D’ici
à 2019, le milliardaire espère créer à Rawabi jusqu’à
3 000 emplois dans le secteur de la high-tech.
L’ambition est loin d’être folle. Par leur proximité
avec l’écosystème israélien et leur connaissance du
monde arabe, les ingénieurs palestiniens disposent
d’un potentiel unique pour conquérir de nouveaux
marchés. Reste à abattre la perception selon laquelle
la Cisjordanie serait un terrain de guerre où il ne fait
pas bon investir. « Politiquement, le moment n’est pas
facile. Mais il serait faux de penser que les balles
volent dans tous les sens », tempère Bashar Masri.
En attendant, ASAL Technologies a déjà réalisé
l’exploit de séduire le géant Microsoft. Ingénieur
pour l’entreprise palestinienne, Mohammed Asmar,
30 ans, se dit très fier de pouvoir contribuer à Rawabi
au projet Cortana, du nom de l’assistant personnel
intelligent développé par la firme américaine. « Avec
de gros clients comme celui-là, nous pouvons nous
perfectionner et acquérir de l’expérience. Un jour,
nous serons peut-être la Silicon Valley de la
Palestine », lance-t-il. Pour lui, comme pour ses
collègues ingénieurs, l’arrivée de la 3G en Cisjordanie
constitue donc un encouragement supplémentaire
mais aussi un sujet de plaisanterie : « Nous allons
enfin pouvoir utiliser les applications que nous avons
contribué à développer. »
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