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FICHE DE LECTURE

L'expérience de physique
(Pierre Duhem, la théore physique : son objet, sa structure, 1906)
Par Jooord

Introduction
Pierre Duhem dévoile dans ce chapitre une vision contre-empiriste de l'expérience scientifique,
soutenant à l'opposé du courant positiviste que la théorie précède l'expérience, au sens où des
connaissances théoriques a priori sont nécessaires à l'élaboration et à la conclusion d'une
expérience, sans quoi elle ne saurait produire de résultat utile au progrès de la science. Cette
nécessité épistémologique se retrouve à deux niveaux de l'expérience : Dans l'interprétation
théorique ainsi que dans l'utilisation d'instruments de mesures. Nous allons dans cette fiche de
lecture détailler cette conception et synthétiser les conséquences que P. Duhem en tire.

1/ L'interprétation théorique
P. Duhem conçoit l'expérience en deux temps logiques :
i) L'observation
Le premier temps consiste en l'observation d'un phénomène concret. N'importe quel observateur
suffisamment sensé pourrait établir dans le langage courant un récit de faits concrets correspondant
à ce que ses sens lui feraient percevoir. Pour P. Duhem, il ne s'agirait pas là d'une expérience
scientifique, mais d'une « expérience vulgaire », qui consiste en « [...] la constatation d'une relation
entre divers faits concrets ; tel fait ayant été artificiellement produit, tel autre fait en est résulté ».
Ce n'est pas là le travail qu'effectue un physicien en laboratoire, ne se contentant pas de voir et
constater, mais de juger et d'interprétrer, à travers la raison et non les sens. Cette interprétation, c'est
pour P. Duhem le second temps logique de l'expérience.

ii) L'interprétation
Dans les travaux d'Henri Regnault sur la compressibilité des gaz nous y voyons mentionné des
volumes, des températures ou des pressions. Ces notions sont abstraites et nécessitent des
connaissances théoriques pour en saisir le sens et les relations qu'elles entretiennent. Plus
généralement, les résultats d'une expérience scientifique sont formulés dans un langage technique
dans lequel les faits concrets sont substitués à des symboles et concepts abstraits. C'est dans cette
« élaboration intellectuelle » que nous comprenons la nécessité de posséder un savoir spécifique,
car pour interpréter un fait concret en un fait théorique abstrait, «il ne suffit pas d'avoir l'attention
en éveil et l'oeil exercé ; il faut connaître les théories admises, il faut savoir les appliquer, il faut
être physicien ».

2/ Conséquences de l'interprétation théorique


Le choix de ce langage et des modèles de substitutions dépendent de la théorie représentative
choisie par le physicien, qui est bien souvent une théorie admise et en vogue dans l'Ecole à laquelle
il appartient. Une première conséquence du choix d'interprétation théorique est que la
correspondance entre les faits concrets et les faits abstraits auxquels ils sont substitués n'est pas
bijective. En effet, la substitution d'un fait concret par un fait théorique dépend de l'interprétation et
donc de la théorie ambiante choisie, si bien qu'un changement d'interprétation produit un fait
théorique différent qui pourrait être contradictoire avec le précédent, ainsi « à un même fait
pratique peuvent correspondrent une infinité de faits théoriques logiquement incompatibles». Et,
par la nature même d'une loi physique qui selon P. Duhem a pour attribut de résumer une infinité de
faits expérimentaux, nous voyons réciproquement qu' «à un même fait théorique peuvent
correspondrent une infinité de faits pratiques distincts ». Une deuxième conséquence du choix de la
théorie ambiante se retrouve dans les criticabilité de l'expérience. Car si une expérience s'encre dans
une théorie physique, il est donc nécessaire, en plus de la confiance accordée au physicien dans la
mise en place et l'observation de l'expérience, d'avoir connaissance de la théorie dans laquelle il
travaillé, des représentations qu'il utilise et des méthodes qu'il a employées pour pouvoir
comprendre et juger les résultats obtenus. En outre, il est aussi nécessaire de comprendre
l'instrument que l'expérimentateur aurait utilisé pour son expérience, dont nous allons voir qu'il est
lui aussi le résultat d'un travail de substitution abstraite.

3/ La double nature de l'instrument de mesure


L'instrument de mesure possède une double nature : comme objet matériel mais aussi comme
modèle théorique idéal auquel le physicien le substitue. L'usage des instruments de mesure
présuppose là encore des connaissances théoriques, telle est la conception de P. Duhem :
« l'interprétation théorique des phénomènes rend seule possible l'usage des instruments ».
L'expérimentateur se doit de sans cesse établir une comparaison entre l'instrument concret utilisé et
l'instrument idéal qui lui sert de représentant et devant être soumis au fur et à mesure que
l'expérience progresse à des « corrections » consistant à remplacer le modèle idéal de l'instrument
par un autre, généralement plus complexe, et supposé mieux représenter la réalité. Sans ces
corrections, l'expérimentateur laisserait subsister des « erreurs systématiques » altérant la précision
et la fidélité de l'expérience. Ceci est l'occasion d'aborder les différents degrés associés à
l'expérience scientifique vue par P. Duhem.

4/ Les différents degrés associés à l'expérience scientifique


i) Le degré de précision
Il dépend des théories, représentations et méthodes utilisées par l'expérimentateur. Pour P. Duhem,
plus ces dernières sont élaborées, complexes, plus elles se montreront précises, à l'inverse de
l'expérience vulgaire pour laquelle un récit de faits concrets est d'autant plus sûr qu'il est succinct.

ii) Le degré de généralisation


L'interprétation théorique des faits expérimentaux par des symboles abstraits confère à la loi
expérimentale une universalité. Plus les représentations utilisées par le physicien trouveront des
correspondances avec d'autres déjà utilisées par ses confrères, plus le degré de généralisation de
l'expérience menée sera important. C'est ainsi que, pour P. Duhem, les représentations
mathématiques, par leur caractère universel, permettent aux théories et aux expériences de physique
d'atteindre un haut degré de généralisation.

iii) Le degré d'exactitude


Le degré d'exactitude d'une expérience dépend du degré de confiance accordé à l'expérimentateur et
à l'acuité de ses sens, autant que dans l'évaluation de ses corrections d'erreurs systématiques déjà
mentionnées. Ainsi, l'exactitude d'une expérience scientifique « [...] demeure toujours subordonnée
à la confiance qu'inspire tout un ensemble théorique »

Conclusion
Nous avons pu ainsi voir que pour P. Duhem l'expérience est tout autre chose qu'une simple
observation de phénomènes concrets mais consiste aussi essentiellement en une interprétation
théorique, rendue possible grâce aux symboles abstraits que le physicien substitue aux faits concrets
et à ses instruments. Si les opérations intellectuelles effectuées par le physicien au cours de
l'expérience se révèlent complexes et de plus en plus élaborées, elles permettent en retour des
expériences plus précises, exactes et complètes, représentant aussi fidèlement que possible les
phénomènes réels et offrant davantage de possibilités de généralisation.

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