You are on page 1of 23

maryse.vasseviere@wanadoo.

fr
Maryse VASSEVIÈRE
ARAGON, Université Paris 3-Sorbonne
D’UNE AVANT-GARDE À L’AUTRE Nouvelle

Mots-clés : Mots-clés : Avant-garde, communisme, surréalisme, réalisme,


réalisme socialiste, révolution, imagination, roman, humour, Louis Aragon,
Marko Ristić.
Résumé : Ain de présenter les mouvements littéraires et artistiques du
XXe siècle d’une manière problématique, cet article tente, à travers l’exemple
d’Aragon, qui croisera celui de quelques écrivains, comme Marko Ristić, de-
venus membres de l’institution littéraire de pays de l’Est, d’aborder l’épineuse
question du passage d’une avant-garde à l’autre : du surréalisme au réalisme
socialiste. Ce désir de penser la continuité d’un itinéraire s’appuie sur l’excel-
lente synthèse coordonnée par Paul Aron de l’Université Libre de Bruxelles
et Gisèle Sapiro du CNRS, „Repenser le réalisme socialiste“ parue dans So-
ciétés & Représentations 2003/1 n° 15. Dans un premier temps, on évoque la
poétique du surréalisme (défense de l’imagination, „volonté de roman“, primat
de l’humour) et son rapport à la révolution telle que la développent Aragon à
Paris et Ristić à Belgrade. Puis on examine le moment délicat du passage d’une
avant-garde à l’autre (rupture d’Aragon avec les surréalistes, engagement com-
muniste et aventure de l’écriture romanesque avec le cycle du Monde réel),
en problématisant cette notion même d’avant-garde, avant de conclure à la
permanence du surréalisme chez ces deux écrivains autour de quelques ca-
ractéristiques communes dégagées des derniers romans d’Aragon (Blanche ou
l’Oubli et héâtre/Roman) qui constituent un renouvellement majeur du réa-
lisme.

Introduction
Puisqu’il s’agit de présenter les mouvements littéraires et artistiques
du XXe siècle et les avant-gardes d’une manière problématique, j’envisage,
à travers l’exemple d’Aragon, qui croisera celui de quelques écrivains „à
l’est de Paris“ devenus des membres éminents de l’institution littéraire de
pays de l’Est, comme Marko Ristić en Yougoslavie, d’oser me confron-
ter à l’épineuse question du passage d’une avant-garde à l’autre : du sur-
réalisme au réalisme socialiste. Il s’agira à la fois d’une rélexion sur le
mouvement de l’avant-garde et du surréalisme en France et en Serbie, en
prenant comme objet d’étude deux auteurs (Aragon et Marko Ristić, et
les rapports qu’ils ont entretenus) et deux poétiques (surréalisme et réa-
lisme socialiste).
Je voudrais essayer de penser une continuité dans l’itinéraire de ces
deux membres éminents de l’avant-garde européenne, sans tomber dans
les anathèmes et les schématismes. Et pour cela je partirai de l’excellente
synthèse coordonnée par Paul Aron de l’Université Libre de Bruxelles et
Gisèle Sapiro du CNRS, «  Repenser le réalisme socialiste  » parue dans
Sociétés & Représentations 2003/1 n° 15, revue en ligne des Publications
de la Sorbonne, ainsi que de l’article de Jelena Novaković, „Belgrade, la
Библид 0350-6428, 48 (2016) 158, стр. 121-143. / оригиналан научни рад
УДК 821.133.1.09 Арагон Л.
821.163.41.09 Ристић М.
‘seconde centrale surréaliste en Europe’“, qui pose les cadres historiques
de cette évolution dans son contexte culturel pour les surréalistes serbes
dans leur ensemble.
Dans un premier temps, j’évoquerai donc la poétique du surréalisme
dans son rapport à la révolution telle que la développent Aragon à Paris et
Marko Ristić à Belgrade, puis avant d’examiner la permanence du surréa-
lisme chez ces deux écrivains majeurs autour de quelques caractéristiques
communes, j’examinerai le moment délicat du passage d’une avant-garde
à l’autre, en problématisant cette notion même d’avant-garde.

1. Surréalisme et révolution: de Paris à Belgrade


Ce premier temps de la rélexion pourrait se situer dans la perspec-
tive d’une „typologie générale du surréalisme“ que Jelena Novaković tente
d’élaborer1 pour mettre en évidence les points communs entre les surréa-
listes de Belgrade et de Paris, notamment pour ce désir commun de se
situer à la pointe d’une littérature révolutionnaire.
C’est cette reconnaissance d’une volonté commune de mettre „le sur-
réalisme au service de la révolution“ qui est à l’origine en 1930 de l’aven-
ture, si capitale bien qu’éphémère, de Nemoguće/L’impossible2, unique
exemple peut-être d’une publication surréaliste à la fois en serbo-croate
et en français.
Aragon a envoyé à Marko Ristić à Belgrade pour l’unique numéro de
la revue bilingue paru aux Éditions surréalistes de Belgrade en mai 1930
la préface pour une édition anglaise d’Une saison en enfer de Rimbaud
qu’il envisageait probablement de faire avec Nancy Cunard . L’important
de cette préface –  contre la thèse catholique de la conversion inale de
Rimbaud  – est qu’elle soit une rectiication du point de vue de Breton,
et que Marko Ristić l’ait suisamment approuvée pour qu’elle témoigne
subtilement dans Nemoguće d’un refus du dogmatisme et d’une recherche
d’une approche plurielle des phénomènes d’histoire littéraire. Mais le
point le plus important encore de cette préface est, qu’après avoir brillam-
ment démoli la thèse de Claudel et s’être gaussé de cette manière réac-
tionnaire de gommer la portée révolutionnaire de la pensée de Rimbaud,
Aragon y mette l’accent sur la dimension de métalangage de l’écriture
rimbaldienne, qui pour cela deviendra un véritable modèle pour l’écri-
ture surréaliste, en tous cas pour celle d’Aragon, et de Marko Ristić tout
aussi bien :
C’est ainsi que l’alchimie du verbe nous ouvre cet étrange dictionnaire qui
n’est ni le Larousse, ni le Glossaire évangélique, mais l’introduction à toute
poésie, et ce qui est extraordinaire, unique, et presque impossible à croire, l’in-
1 „Ces thèmes et ces concepts sont la base de l’unité typologique des deux mouvements qui
évoluent de l’expérimentation avec l’irrationnel à l’action sociale et dont l’examen pourrait
contribuer à établir une typologie générale du surréalisme.“ (Novaković 2013: 199)
2 Voir Gérard Sebbag, Les Éditions surréalistes, IMEC Éditions, 1993.

122 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 123

troduction à toute conscience du langage. Ici pour la première fois il est rom-
pu avec le machinal du langage et cette rupture essentielle restitue à l’homme
qui parle la dignité perdue à imiter la démarche commode du verbe accepté,
du verbe social (vous tournez dans la deuxième rue à droite, puis à gauche
et à…) : ici l’on passe avec une aisance qui surprend du mot à la chose qu’il
nomme. (Leuilliot 1998 : 367)
Et Aragon poursuit en évoquant la profession de foi matérialiste que
Rimbaud formule dans la fameuse lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny,
dite „Lettre du voyant“, et „cette nouvelle mystique matérialiste que Clau-
del même n’a pu passer sous silence“. Et il médite sur ces „clefs“ nouvelles
dont Rimbaud se dit „l’inventeur“ („Je suis un inventeur autrement mé-
ritant que tous ceux qui m’ont précédé.“) et qu’Aragon se plaît à imaginer
comme ouvrant „l’avenir de la poésie“3. C’est par une métaphore scienti-
ique – celle du radium –, qu’on retrouvera bien longtemps après dans sa
poésie de la Résistance, qu’Aragon suggère que cette invention de Rim-
baud trouvera son épanouissement dans la poétique surréaliste de l’image
qui n’est pas seulement métaphore :
De la pensée rimbaldienne naît quelque chose qui n’a point encore de nom,
que Rimbaud n’a pas nommé, et qu’il ne m’appartient pas de nommer à sa
place. Quelque chose qui est à la science ce que la science est à la vie, si l’on
veut jouer à cette marelle des propositions où il est si facile de se perdre. Rien
n’est si précieux peut-être en ce monde qui nous est donné, que ce qu’il a dé-
couvert. Une sorte de radium intellectuel, dont on ne peut deviner l’usage,
mais dont les ravages au loin se font déjà merveilleusement sentir. (Leuilliot
1998 : 368)
Nul doute qu’avec cette belle métaphore du radium Aragon ne pense
aux ravages du stupéiant image dont il a lui-même annoncé la venue dans
Le Paysan de Paris (1926). Car ce „stupéiant image“, préféré par Aragon
à l’écriture automatique dont il précise les limites dans son Traité du style
(1928), est pour lui la caractéristique principale – proprement révolution-
naire – du surréalisme dans la iliation de Rimbaud :
Aujourd’hui je vous apporte un stupéiant venu des limites de la conscience,
des frontières de l’abîme4. Qu’avez-vous cherché jusqu’ici dans les drogues si-
non un sentiment de puissance, une mégalomanie menteuse et le libre exercice
de vos facultés dans le vide ? Le produit que j’ai l’honneur de vous présenter
procure tout cela, procure aussi d’immenses avantages inespérés, dépasse vos
désirs, les suscite, vous fait accéder à des désirs nouveaux, insensés ; n’en doutez
pas, ce sont les ennemis de l’ordre qui mettent en circulation ce philtre d’abso-

3 Rimbaud écrivait dans la „Lettre du Voyant“ : „Voici de la prose sur l’avenir de la poésie.
[…] Cet avenir sera matérialiste.“
4 Comment ne pas voir là l’intertexte caché de la Saison rimbaldienne dans ce manifeste du
Paysan de Paris également placé sous le signe de Hegel avec le personnage carnavalesque
qui le prononce : cette Imagination qui a les traits d’un „vieillard grand et maigre, avec
des moustaches à la Habsbourg, une longue redingote fourrée et un bonnet à poils  et qui
„marche avec un patin à roulettes au pied gauche, le droit posant directement à terre“.
(Aragon 1926 : 79)
lu. […] J’annonce au monde ce fait divers de première grandeur : un nouveau
vice vient de naître, un vertige de plus est donné à l’homme : le Surréalisme, ils
de la frénésie et de l’ombre. […] Le vice appelé Surréalisme est l’emploi déréglé
et passionnel du stupéiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de
l’image pour elle-même et pour ce qu’elle entraîne dans le domaine de la re-
présentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses ; car chaque
image à chaque coup vous force à réviser tout l’Univers. (Aragon 1926 : 81-82)
Et ce discours de l’Imagination qui sur le ton carnavalesque d’un ba-
teleur de foire („Achetez, achetez la damnation de votre âme, vous allez
enin vous perdre, voici la machine à chavirer l’esprit.“) oppose l’imagi-
naire à la raison n’est pas sans rappeler le monologue de la Magie (autre
nom du merveilleux, selon Jelena Novaković5) dans „l’antiroman“ surréa-
liste Sans mesure (Bez mere) de Marko Ristić… Et on pourrait signaler un
autre point commun entre ce texte d’Aragon où le surréalisme se trouve
annoncé comme „un fait divers de première grandeur“ et d’autres textes
théoriques de Marko Ristić sur l’écriture surréaliste, c’est l’importance
du fait divers justement dans la machine surréaliste en relation avec la
pratique des collages6.
Il est enin une autre spéciicité d’Aragon dans la manière de conce-
voir le surréalisme non pas comme de la littérature, comme un mouve-
ment littéraire, mais comme un choix de vie, comme une aventure ou-
verte sur un avenir révolutionnaire, comme une démarche intellectuelle
qui mette „le surréalisme au service de la révolution“ – comme le procla-
mera leur revue à partir de 1930 –, c’est la „volonté de roman“. Ce choix
esthétique et idéologique, qui peut paraître paradoxal chez Aragon, déjà
avec l’écriture de La Défense de l’inini, le roman saccagé en 19277, est
pour l’essentiel exercé contre Breton, et c’est aussi ce qui conduira Aragon
à la sortie du surréalisme et à l’entreprise nouvelle des romans réalistes du
Monde réel, comme on le verra plus loin.
Et là encore, on ne peut que constater la même prédilection pour
l’écriture romanesque chez les surréalistes serbes, si bien que l’objectif
des chercheurs serbes actuels et de Bojan Jović en particulier8, est de re-
nouveler l’approche du surréalisme en partant de la tradition narrative,
5 „ils [les surréalistes serbes] font appel à la magie qu’ils confondent souvent avec le
merveilleux, en la considérant comme une manifestation de l’esprit poétique. ‘Minuit
et obscurité, mon heure, en plein air, votre cœur l’a choisie inconsciemment, l’heure où
je me présente, noire, pour demander mon droit. Car votre imagination et votre désir
sont à moi, ainsi que toutes vos paroles et toutes vos fantaisies de l’Analogie’, dit la Magie
dans le monologue qui lui est accordé dans ‘l’antiroman’ de Marko Ristić Sans mesure.“
(Novaković 2013 : 203)
6 Voir les collages dans Le Paysan de Paris et les „assemblages“ de Marko Ristić (un
exemple est donné dans Mélusine XXX, 2010, 160)
7 Et publié à titre posthume en 1987 par Édouard Ruiz chez Gallimard. Voir La Défense de
l’inini, édition renouvelée et augmentée de Lionel Follet, Gallimard, 1997.
8 Proposition formulée au séminaire du Centre de recherches sur le surréalisme d’Henri
Béhar à Paris 3, le 29 janvier 2010, qui accueillait les collègues serbes pour une séance de
travail commune.

124 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 125

européenne, serbe, dans les „romans“ surréalistes de Ristić et en dévelop-


pant une approche intertextuelle, „intermédiale“ qui tienne compte de
l’histoire littéraire. Ces quelques éléments communs pointés ici et là me
conduisent maintenant à évoquer l’exemple de Marko Ristić dans cette
„typologie“ du surréalisme.
On trouve d’abord chez Marko Ristić9, qui préfère les collages de
photographies à l’automatisme, la même distance vis-à-vis de l’écriture
automatique –  considérée comme une marque de fabrique un peu féti-
chiste du surréalisme par André Breton dans le premier Manifeste du sur-
réalisme – que chez Aragon, comme on l’a vu.
La seconde caractéristique de Marko Ristić est sa valorisation de
l’humour, qu’il partage avec Aragon, plus qu’avec Breton, ce dernier pri-
vilégiant une version fantastique de l’humour et lui donnant une dimen-
sion noire que Ristić ne partage pas : „Les temps sont trop sévères et trop
présents pour que qui que ce soit puisse espérer s’en tirer par la conserva-
tion artiicielle d’une illusion, sous le vague toit de chaume de l’humour,
dans le moulin solitaire et mort de l’humour, dans le phare sans feux de
l’humour.“ („L’humour attitude morale“, Le surréalisme au service de la
révolution n° 6, 1933).
Et de même que le surréalisme serbe se trouve éclairé par Paris avec
la participation d’Aragon à Nemoguće/L’impossible comme celle de Bre-
ton, d’Éluard, de Tzara et de Crevel pour ne citer que quelques exemples,
vice-versa, Marko Ristić fait d’emblée référence à Aragon, pour le prolon-
ger et le dépasser, dans son important article sur l’humour („Humour et
poésie“) paru à Belgrade en 1930 dans Le surréalisme aujourd’hui et ici :
L’humour est, avant tout, comme le dit Aragon [dans Traité du style], „une
condition négative de la poésie“ qui permet la naissance de la poésie en efa-
çant, en détruisant, en écrasant au préalable l’antipoésie, c’est-à-dire tout ce
qui est sentimental, ou paralysé par les habitudes mentales, ou usé par l’utili-
sation quotidienne, ou empêché de n’importe quelle façon, tout ce qui entrave
le règne de la poésie, ou déforme sa igure. […] il est clair, donc, que l’on peut
appeler humour une sorte d’autocritique. Mais ce qui est moins clair, si on
ne donne pas à l’humour un sens nouveau, tout à fait sérieux, c’est que cer-
tains éléments, soudain, dans la lumière de l’humour, prennent la couleur de
la poésie, donc, que l’humour est aussi une condition positive de la poésie.
Ce double fonctionnement de l’humour est, en fait, indivisible. […] Dans ces
nouvelles relations, certaines données de la réalité montrent un grotesque in-
discutable, mais caché jusque-là, tandis que les autres obtiennent une nouvelle
signiication, une soudaine expression poétique. Ainsi l’humour mélange réel
et fantastique. Et ainsi chaque manifestation de l’humour est, en fait, une mé-
taphore. (Mélusine XXX, 157)
9 L’essentiel de ses textes traduits sont à lire dans le n° X „Umour-Humour“ de Mélusine
(1988) et le n° XXX (2010) consacré aux surréalistes serbes. Il faut évoquer aussi le recueil
Ville-Âge de poèmes écrits en français de 1924 à 1968, resté dans les archives Ristić à
Belgrade jusqu’en 1990 et publié par Branko Aleksić chez Amiot-Lenganey en 1993.
Par ailleurs cette conception de l’humour comme condition même de
la poésie apparente la pratique poétique, ainsi que Tzara le formule aussi
à la même époque dans l’Essai sur la déinition de la poésie (1931), à une
activité de l’esprit, qui ne serait plus sous le contrôle de la raison mais sous
le contrôle du désir. Et chez Ristić, cette valorisation du désir semble plus
marxiste (c’est-à-dire tournée vers la critique de la société bourgeoise et sa
transformation révolutionnaire) que freudienne (Freud ne proposant pas
de rejeter la culture bourgeoise répressive dont il fait la critique mais de
s’y adapter…). À Belgrade comme à Paris donc, écriture automatique, ex-
ploration de l’inconscient, critique de la société bourgeoise et engagement
révolutionnaire vont ainsi de pair.

2. Du surréalisme au communisme
C’est précisément cet engagement social et la pression du réel qui vont
conduire Aragon à la rupture avec Breton et qui, en même temps, vont
mettre in à l’aventure surréaliste à Belgrade, ainsi que l’a bien montré Ha-
nifa Kapidžić-Osmanagić (de l’Académie des Sciences et des Arts de Bos-
nie-Herzégovine), la pionnière des études sur le surréalisme serbe :
L’activité du groupe organisé est donc déinitivement arrêté par la dictature
yougoslave qui a décimé ses rangs. Mais le groupe lui-même se serait aussi di-
visé sur le choix des routes à suivre, notamment après l’Afaire Aragon, qui aura
des conséquences à retardement. […] Pendant ces quelques années de ferveur
collective, leur mouvement ne faisait qu’un avec le mouvement français. Grosso
modo, cependant, ce sont les mêmes causes historiques qui ont détruit l’activité
collective serbe et entraîné la scission du mouvement français, dont les consé-
quences resteront durables. Mais, à Paris comme à Belgrade, l’art et la poésie
ne pouvaient plus être ce qu’ils étaient avant la révolution culturelle du surréa-
lisme. (Mélusine XXX, 2010, 27)10  
Surréaliste lamboyant avec Le Paysan de Paris, Aragon va rompre
donc avec Breton deux ans après le Congrès de Kharkov en 1930, pourtant
considéré comme une victoire pour les surréalistes du fait que le surréa-
lisme y a été reconnu comme l’avant-garde de la révolution dans la littéra-
ture en Europe, malgré le prix à payer de la condamnation du freudisme.
C’est le sens du texte que les organisateurs soviétiques du congrès ont fait
signer à Aragon et Sadoul représentant les surréalistes. Et ceux-ci n’y ont
pas vu une trahison de Breton mais la condition à payer pour assurer au
surréalisme sa position dominante dans la révolution. C’est ce que conir-
ment aussi bien le témoignage d’Aragon11 que celui de Sadoul12. Dans son
10 Voir aussi son ouvrage Le Surréalisme serbe et ses rapports avec le surréalisme français,
Paris, Les Belles Lettres, 1968.
11 Voir à ce sujet la Correspondance Aragon-Breton récemment éditée (Gallimard, 2011) par
Lionel Follet et qui vient apporter un éclairage neuf sur les analyses du Congrès de Kharkov
par Jean-Pierre Morel dans Le roman insupportable. L’Internationale littéraire et la France,
1920-1932, coll. „Bibliothèque des idées“, Gallimard, 1986. Mais le mieux encore pour faire le
point sur le Congrès de Kharkov, c’est de relire le lumineux article écrit à chaud par Aragon,
„Le surréalisme et le devenir révolutionnaire“ paru dans SASDLR en 1931.
12 Voir son article „Paul Éluard. Portrait du poète à plusieurs âges de sa vie“, Europe, juillet-
août 1953, publié dans Les Annales Aragon-Elsa Triolet n° 17, Éditions Aden, 2015,  57-75.

126 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 127

discours d’hommage à la mort de Sadoul en 1967, Aragon revient sur leur


itinéraire commun et le passage au communisme dans la continuité du
surréalisme :
Tu étais entré dans l’orbite du surréalisme où je vivais. Très vite, entre tous
mes amis, tu t’es fait le plus proche, celui des mauvaises heures, et Dieu sait
qu’elles n’ont pas manqué  ! Les mêmes résolutions nous ont jetés dans cette
voie que ni toi ni moi n’avons jamais quittée par la suite.
Tout d’abord avancer sur ce chemin-là n’avait guère été facile. Nous étions
en tout cinq ou six, venant des mêmes parages de l’esprit, en un temps où des
hommes comme nous ne pouvaient guère rencontrer que méiance. Le plus
jeune était Pierre Unik, poète. Le plus célèbre par la suite s’appelait Luis Buñuel
qui n’était encore que l’auteur du Chien andalou. Ah, comme nous avions la
passion de servir ! Seulement, d’abord, il fallait prouver qu’on en était digne.
Un drôle de cercle vicieux… (Les Annales, 2015, 125-127)
Sans entrer dans le détail de „l’Afaire Aragon“ qui en 1932 va pro-
voquer le schisme au sein du mouvement surréaliste, rappelons encore le
témoignage de Georges Sadoul :  
La rupture se produisit à propos du poème Front rouge qu’Aragon avait
écrit en URSS et contre lequel André Breton prétendit prononcer une condam-
nation déinitive. Il le tenait, au printemps de 1932, dans la brochure Misère de
la poésie, pour „un exercice à part, aussi captivant qu’on le voudra, mais sans
lendemain parce que poétiquement régressif“, autrement dit pour un „Poème
de circonstance“.
L’opposition aux positions culturelles communistes (et à l’Association des
Écrivains et artistes révolutionnaires (L’AEAR) que venaient de fonder Vail-
lant-Couturier et Moussinac) se matérialisait alors dans la formule „poème de
circonstance“. Ces trois mots se trouvèrent en 1932 tracer la ligne de démar-
cation entre les surréalistes qui devinrent des communistes, et ceux qui ne
franchirent pas immédiatement le pas. (p. 65) […] Ce poème [„Critique de la
poésie“ d’Éluard] était un „poème de circonstance“ s’il en fut jamais. Il était
connu d’André Breton quand il exorcisa Front rouge, mais épargna Critique de
la poésie en raison de considérations tactiques. (Les Annales, 2015, 67)
De cette rupture avec Breton, dont je ne referai pas ici l’historique13,
je rappellerai seulement que, factuellement, elle est doublement liée aux
suites du Congrès de Kharkov et à l’inculpation d’Aragon par la justice
française pour la violence révolutionnaire de son poème „Front rouge“.
Breton a défendu Aragon par une pétition signée par de nombreux écri-
vains et intellectuels, et par Marko Ristić en particulier, mais il a aussi
mené dans Misère de la poésie une sévère critique de ce poème „régres-
sif “ et une violente attaque des critiques littéraires de L’Humanité, qui
ne pouvaient que conduire Aragon à le désavouer. Car Aragon, nouvel-
lement communiste, était lui-même aux prises avec les pires diicultés
pour voir son adhésion acceptée. Aragon lui-même reviendra bien plus
13 Voir la biographie de Pierre Daix (Aragon, Seuil, 1975 (p. 246 sqq), rééd. Tallandier, 2004,
chapitre VI) et surtout celle, récente, de l’universitaire et romancier Philippe Forest (Aragon,
Gallimard, 2015. Voir les chapitres VIII et IX).
tard, en 1975, dans une postface de L’Œuvre poétique, sur cette rupture
qui aura été pour lui „une blessure qui ne s’est jamais cicatrisée“ (Aragon
1975 : 310) : s’il partage le jugement de Breton sur „Front rouge“, qui est
de ses poèmes celui qu’il aime le moins, il ne pardonne pas à l’ami de sa
jeunesse d’avoir critiqué l’appareil du parti et de l’avoir mis dans l’obliga-
tion de choisir.
Si bien qu’il est diicile de dire à qui revient l’initiative d’une rup-
ture inévitable. Je ne trancherai pas, mais je voudrais juste pour inir en
préciser les données intellectuelles et littéraires en laissant la parole à son
dernier biographe, Philippe Forest pour une sorte de bilan :
Aragon croit en la Révolution. Et, sur le terrain strictement littéraire, la
position qu’il prend a sa logique et sa dignité. Car elle consiste à tirer la leçon
d’une longue décennie de gesticulations poétiques dont Aragon a pu mesurer
la vanité et l’hypocrisie. Parti en guerre contre la civilisation occidentale, le
dadaïsme parisien, n’en déplaise à ses thuriféraires, s’est soldé par une série
de facéties infantiles qui lui ont gagné les sufrages des salons au sein d’une
société désireuse de connaître le frisson inofensif de la contestation. Pour ne
pas consentir à une telle récupération artistique et mondaine, sous l’impulsion
de Breton, le surréalisme s’est mis au service de la Révolution. Mais l’opération
a manifestement fait long feu aux yeux d’Aragon : la poésie demeure sans prise
sur la réalité qu’elle prétendait bouleverser et le surréalisme doit reconnaître
son échec à devenir autre chose qu’un mouvement littéraire de plus destiné à
prendre sa place assez insigniiante à la suite du symbolisme, du futurisme et
autres cubismes littéraires.
En ce sens, et parce qu’il refuse cet état de fait, Aragon reste assez idèle
au désir qui l’animait, dès sa prime jeunesse, de ne pas consentir à être un
homme de lettres. Il a fallu renoncer au dadaïsme pour le surréalisme et,
pareillement, pense-t-il, il faut désormais renoncer au surréalisme pour le
communisme ain de ne pas se délecter éternellement d’une révolte paro-
dique qui n’est rien d’autre qu’une parodie de révolution. À quoi bon, en ef-
fet, la poésie quand celle-ci s’enchante de sa propre insigniiance ? Telle est la
question que pose Aragon. Qu’il nous adresse. Et c’est une question sérieuse.
Car il n’est pas de vraie littérature qui puisse en faire l’économie. (Forest
2015: 363)
Pour Aragon, sa sortie du surréalisme, n’est pas synonyme de la in
d’une œuvre, sa production littéraire ne pouvant se limiter à la période
surréaliste, comme certains seraient tentés de le penser… On ne peut que
leur opposer ce jugement pondéré de Gérard de Cortanze à la in de l’en-
trée „Aragon“ de son livre Le Monde du surréalisme (Éditions Complexes,
2002) conçu comme un dictionnaire :
L’œuvre d’Aragon, profondément ancrée dans son siècle, dont il épouse
les soubresauts et les méandres, marqua, qu’on le veuille ou non, de son em-
preinte son époque, notamment avec le rôle fondamental joué par Aragon en
tant que directeur des Lettres françaises. La modernité d’Anicet ou du Paysan
de Paris reste intacte. La perspicacité de ces Écrits sur l’art moderne (Flam-
marion, 1981) jette une lumière nécessaire sur les rapports de l’art et de la
politique ; quant à ses recueils de poèmes, tout en soulignant l’enracinement

128 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 129

du merveilleux surréaliste dans le réel, ils témoignent d’une richesse verbale


exempte de tout délire fabriqué. Cette destinée exemplaire ne peut être résu-
mée comme un abandon de la poésie surréaliste au proit de quelque roman
stalinien. Dans ses masques et ses retournements, Aragon, nous renvoie à
notre propre médiocrité ; il n’est que de relire les pages admirables du Ro-
man inachevé (1956) pour s’en convaincre.
Cette rupture avec Breton ne signiie nullement la rupture avec
l’avant-garde, mais le choix d’une autre avant-garde14 dans les années de
la lutte antifasciste et du Front populaire („incarner l’avant-garde“), grâce
à un „coup de force“15 subtilement analysé par Philippe Olivera. Jakobson
aussi, dans „Le métalangage d’Aragon“ (L’Arc, n° 53, 1973), note ce pas-
sage d’une avant-garde à l’autre, déjà annoncé dans La Peinture au déi
(1930), puis dans Les Collages (1965)16.
Aragon et Ristić, voilà donc deux écrivains surréalistes qui ont quitté
le mouvement de Breton et vont entrer dans une institution communiste,
diférente certes, mais contraignante… Il s’agira donc de voir comment
ils ont pu tirer leur épingle du jeu en quelque sorte… Et cela nous conduit
à poser la question du réalisme socialiste : peut-il être considéré, contre
toutes les critiques et les idées reçues, comme une avant-garde ? Ou du
moins comme le devenir légitime de certains écrivains surréalistes, en
fonction de toute une série de considérations personnelles et idéologiques.
Peut-être pour légitimer cette problématique qui ne renvoie pas d’em-
blée le réalisme socialiste et l’expérience des avant-gardes des pays de l’Est
dans le néant de la culture, peut-on se livrer à quelques considérations
préalables. Et d’abord renvoyer au livre de la chercheuse roumaine Lucia
Dragomir, professeur à l’Université de Bucarest et à l’EHESS, L’Union des
écrivains, une institution transnationale à l’Est (Belin, 2007), qui montre
que si les Unions des écrivains sont une stratégie des pouvoirs commu-
nistes pour contrôler les écrivains, ceux-ci à leur tour vont s’emparer de
cet instrument pour continuer à créer. Renvoyer ensuite au livre déjà cité
Repenser le réalisme socialiste, dont on donnera en guise de rélexion gé-
nérale la „Présentation“ de Paul Aron et Gisèle Sapiro :

14 Dans le domaine de la littérature „exister c’est diférer“ (Bourdieu : 1977, 39)


15 Pour être à l’avant-garde du „mouvement littéraire“ en France dans les années  30,
comme en 1857 l’avait fait Champleury avec „Le Réalisme“. Voir Ph. Olivera, „Aragon,
réaliste socialiste“. Les usages d’une étiquette littéraire des années Trente aux années
Soixante“ (Aron, Sapiro : 2003, 229-246 : „Aragon est trop in connaisseur de l’histoire lit-
téraire pour ignorer le précédent  ‘réaliste’.“ p. 237). Aragon nommera cela un „pari“, fait
en dehors de toute directive du PCF ou de l’URSS : „poète sismographe“, il a fait un pari
sur l’avenir, conscient d’être dans „la main immense et véritable du devenir“ comme il le
dit dans „Introduction à 1930“ dans le dernier numéro de La Révolution surréaliste n° 12.
16 Dans cet article capital où le métalangage analysé est aussi le discours critique d’Aragon,
Jakobson évoque encore en termes mesurés l’essai d’Aragon Pour un réalisme socialiste
(1935) qu’il met sur le même plan que Les Collages pour mieux souligner la continuité
d’Aragon dans sa conception du réalisme où s’interpénètrent merveilleux et réalité („le
lyrisme de la réalité“ (p. 91) dit Jakobson).
Pluriel par nature et enté sur des réalités politiques vécues au jour le jour
et dans l’urgence, le réalisme socialiste bouscule nécessairement les caté-
gories disciplinaires académiques. Il est permis de penser que c’est là un de
ses intérêts pour les chercheurs actuels.  […] Par ailleurs, les études de cas
semblent indiquer que le réalisme socialiste reste une notion labile. Son sta-
tut difère selon qu’il s’agit d’un argument mobilisable dans les rapports de
force internes au PCF, ou d’une série d’hypothèses esthétiques, traduisibles
en formes littéraires ou picturales, et presque ininiment ajustables aux sou-
haits libres ou contraints des créateurs. Une telle diversité contraste avec la
réputation de dogme monolithique qui s’est imposée après coup, sur la base
de l’examen des canons de l’esthétique soviétique, et non de l’examen des pra-
tiques réelles ayant eu cours en France. Insister sur ces débats, c’est donc res-
tituer au réalisme socialiste sa dimension historique. (Aron, Sapiro 2003 : 5)
Il convient donc de ne pas enterrer cette notion de réalisme socialiste
mais de l’examiner avec sérieux, en historiens comme l’ont déjà fait les
historiens anglo-saxons… Oser l’aborder pas seulement dans sa dimen-
sion politique (dans le cadre de la main mise du Parti communiste sur
les écrivains et la culture dans un système totalitaire) mais aussi dans sa
dimension esthétique (les écrivains s’arrangent du système et continuent
à écrire17).
Aragon passant de l’avant-garde dada et surréaliste à l’avant-garde
communiste ? Peut-on ainsi poser cette question paradoxale ? S’il est facile
de considérer le Mouvement Dada et le surréalisme comme une avant-
garde, peut-on considérer le réalisme socialiste comme une autre avant-
garde, même s’il a été violemment critiqué par Breton, puis Sartre, Camus
et Barthes18, dans les années 50 ? Cela peut paraître une provocation…
pourtant s’il s’agit de problématiser la question des avant-gardes au XXe
siècle, on ne peut pas ne pas interroger l’itinéraire d’écrivains, comme
Aragon et Éluard ou Ristić à Belgrade et Vitezslav Nezval à Prague, qui
après avoir été surréalistes, ont été des grands écrivains communistes.
Car la problématique de l’avant-garde pose aussi la question de son
devenir, si l’on en croit Marcel Duchamp disant que tout „se classe“ et
cesse d’être à l’avant-garde en entrant dans le cercle de la mondanité19.
Car il est inévitable qu’un „mouvement chasse l’autre“, ainsi que l’ont bien
montré les analyses de Bourdieu sur la stratégie des „entrants“ dans le
champ littéraire, et donc que des écrivains éprouvent la nécessité de „sor-
17 Voir le bilan mesuré de Régine Robin dans Le Réalisme socialiste : une esthétique impos-
sible, Paris, Payot 1986.
18 Il est vrai dans le cadre des luttes pour la domination dans le champ littéraire… Benoit
Denis, auteur de Littérature et engagement (Seuil, 2000), montre bien dans ce même volume
comment le dogme de l’insuisance esthétique du réalisme socialiste constitue une néces-
sité rhétorique dotée d’une « fonction pragmatique » dans l’airmation de la légitimité de la
« littérature engagée » contre l’illégitimité de la littérature communiste considérée comme
stalinienne.
19 Aragon le dit aussi en vers dans son poème „Je ne sais pas jouer au golf“ de Persécuté per-
sécuteur (1931) : „Tout se classe rentre dans l’ordre / aux ordres de l’argent / et de l’imbécile
vanité de la gloire“ (Aragon 2007: 506)

130 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 131

tir“ d’un mouvement pour continuer une autre route. Et cette autre route,
ce sera à la fois celle du roman, longtemps interdit par Breton et celle du
réalisme socialiste.
Après ce préambule méthodologique, revenons à Aragon… Sortant
du surréalisme, Aragon choisit donc le camp de l’URSS. C’est à Romain
Rolland, dans une lettre du 12 août 1932, comme s’il se cherchait à la fois
un père spirituel et une caution littéraire de l’aventure qui commence20,
qu’Aragon, longuement, s’explique le mieux sur cette orientation nouvelle
qui n’implique aucun reniement du surréalisme ni aucun ressentiment
envers Breton :
Je tiens seulement à ajouter que malgré les seaux d’ordures que les surréa-
listes ont cru bon de déverser sur moi, dans leur certitude de détruire la vérité,
il n’en reste pas moins que pour moi, ces gens-là, avec toutes leurs erreurs, leurs
incompréhensions parfois élémentaires, constituent une force intellectuelle
que j’estime très haut, et que je regrette de voir si souvent se perdre à toute
autre chose qu’à la poursuite par eux d’un but qui est celui des ouvriers révo-
lutionnaires, et le but même du devenir humain. […] Je puis entendre d’ici21 ce
que dit de moi André Breton : je ne lui rendrai pas la pareille. […] Le malheur
est que la grande afaire qui peut seule aujourd’hui passionner tout homme ne
soit pas celle du génie personnel : c’est pourquoi je ne puis donner rendez-vous
à personne ailleurs que sur le véritable terrain révolutionnaire où se joue la
seule partie qui en vaille la peine. […] Et aussi je pense que je puis me servir
comme d’un élément de métaphore de toute cette aventure, assez terrible hu-
mainement, qui m’a soudain opposé aux seuls gens du monde avec lesquels,
quinze années durant, j’ai été prêt à tout. Elle signiie avec une grande force la
naissance d’un critérium nouveau pour l’activité humaine, d’un critérium aux
frontières duquel personne ne peut passer outre, ne doit passer outre. N’est-ce
pas à lui que vous avez dans ces derniers temps si nettement obéi22, n’est-ce
pas lui qui vous a fait prendre une position où tout le monde peut vous voir,
à la défense de l’Union soviétique, comme le signe évident de cette nouveauté
immense, que personne ne parviendra à cacher ? (Les Annales, 2015, 207-208)
Et ce choix d’une autre avant-garde révolutionnaire le conduit à la
fois, dans les années de la lutte antifasciste avant la guerre, aux inter-
ventions militantes de l’AEAR (l’Association des Écrivains et des Artistes
Révolutionnaires dont les surréalistes aussi ont été membres au début,
jusqu’en mai 1933…) et au dogme du réalisme socialiste formulé au Ier
Congrès des Écrivains soviétiques de 1934, qui le conduit à devenir le

20 La lettre se termine ainsi : „En tout cas, ceci reste entre nous, et jetez au feu une lettre
qui n’est que pour vous, et qui est déjà bien longue.“
21 Lettre écrite de Nijni-Tajil en URSS où Aragon se trouve avec Elsa : „Je vous écris des
régions industrialisées de l’Oural où se bâtit la ‘deuxième base de défense’ de l’URSS. Ici
est l’extrême pointe d’un combat qui dépasse l’imagination, les proportions mesquines de
l’utopie.“
22 Romain Rolland est l’un des fondateurs du mouvement paciiste Ansterdaam-Pleyel en
1932-1933 contre le fascisme en Europe et pour la paix face à la montée du nazisme.
romancier du Monde réel. Ainsi que le rappelle Philippe Forest, de même
qu’Aragon a vécu le surréalisme comme un vertige, il va vivre le soutien à
l’URSS comme un autre vertige23…
Renonçant aux outrances de la poésie révolutionnaire de „Front
rouge“ (Persécuté persécuteur, 1931) et de Hourra l’Oural (1934), Aragon,
avant de retrouver le grand soule lyrique et épique de la poésie au mo-
ment de la Résistance, va se faire le romancier d’un cycle qu’il intitulera
„Le Monde réel“ dont le premier roman, Les Cloches de Bâle (1934), avec
ses tâtonnements et sa structure éclatée autour de trois personnages fé-
minins d’avant la guerre de 14, constitue une sorte d’ouverture embléma-
tique, à la fois pour le programme neuf que le romancier se donne et pour
l’écho symptomatique du passage d’une poétique à une autre.
Et de cette continuité d’Aragon d’une avant-garde à l’autre, c’est en-
core Georges Sadoul lui-même qui en témoigne dans son compte-ren-
du critique de ce roman dans Commune n° 17, janvier 1935 : un roman
d’Aragon qu’il voit dans la continuité du surréalisme (le personnage de
Catherine avec sa tentative de suicide porte l’interrogation des jeunes sur-
réalistes face au monde bourgeois) au réalisme socialiste (avec l’opposi-
tion implicite entre les trois femmes du roman: la bourgeoise vaine et la
femme entretenue avec Diane de Nettencourt, l’intellectuelle inquiète at-
tirée par le prolétariat avec Catherine et la militante socialiste historique
avec Clara Zetkin à la in du roman situé en 1912 au Congrès socialiste de
Bâle – annonçant la guerre – qui donne son titre au roman).
Cette continuité est aussi mise en évidence dans les travaux de
l’équipe de Michael Nerlich à l’Université de Berlin24. Leur approche so-
ciologique ofre une manière d’analyser autrement les romans du Monde
réel en ne les séparant pas de la production romanesque surréaliste anté-
rieure et en ne les considérant pas seulement comme des romans réalistes
socialistes afublés de toutes les tares du roman à thèse, mais aussi comme
une écriture réaliste au sens brechtien du terme, c’est-à-dire comme une
écriture dialectique plus soucieuse de mentir-vrai que d’illusion réaliste.
C’est ainsi que Hans-Joachim Neyer dans son article sur Aragon et Bre-
cht, reprenant les analyses du surréalisme menées déjà en son temps par
Walter Benjamin, exilé célèbre et ami de Brecht, peut porter un regard
neuf et non spéciiquement français sur le surréalisme dans son rapport
avec d’autres écrivains en Europe et dans son rapport avec la littérature
ultérieure. Il conclut ainsi que le surréalisme a contribué à „désinfecter
la politique de tout dilettantisme moralisateur“ (Walter Benjamin) et à

23 „Le vertige soviétique“, c’est le titre du chapitre de sa biographie d’Aragon sur les sé-
jours d’Aragon et Elsa à Moscou entre 1932 et 1934 qui constituent le socle de son passage
au communisme après la rupture avec les surréalistes. On y apprend que cette expression
est d’Aragon lui-même dans la postface déjà citée (p. 313).
24 Il s’agit notamment de l’article de Michael Nerlich „À l’assaut du réel: de Kant à D’Holbach
dans l’œuvre d’Aragon“ publié dans La Pensée n° 203 (février 1979) et de celui de Hans-
Joachim Neyer „Aragon et Brecht“ dans le n° 8/9 de la revue Silex, 1978, consacré à Aurélien.

132 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 133

préparer „en ce qui concerne Aragon, une littérature argumentatrice telle


que l’exigeait Brecht“.
Et c’est cette „littérature argumentatrice“ qui ne soit ni littéraire, ni
moralisatrice, dont rêvent aussi les surréalistes serbes. Car de la même
manière, ces surréalistes belgradois, et Marko Ristić en particulier, font le
choix du marxisme, ainsi que le rappelle Dušan Matić, un autre surréa-
liste serbe, dans son texte écrit à la mort de Breton, „Un chef d’orchestre“ :
Il était clair que le dialogue surréalisme-marxisme, Esprit-Revolution, le
litige entre „il faut changer la vie“ et „il faut transformer le monde“, à cette
époque, dans certains pays, devinrent le drame de la lutte sociale, et non seu-
lement, comme ailleurs, presque uniquement une discussion théorique. Le
surréalisme, une forme particulière du surréalisme, y reçut une note grave et
entra ainsi dans notre histoire (NRF, n° 172, 1er avril 1967, 677)25.
Entrés en dissidence contre la dictature yougoslave, les surréalistes
serbes en subissent la répression en tant que marxistes, puis, toujours du
fait de leur engagement révolutionnaire participent à la résistance contre
le nazisme parmi les partisans de Tito, et à la in de la guerre entrent dans
le champ culturel du nouvel État communiste, souvent à des postes de très
haut niveau, comme Marko Ristić qui devient ambassadeur de Yougos-
lavie à Paris où il fréquente à nouveau Aragon et Elsa Triolet, du moins
jusqu’au schisme communiste, entre Staline et Tito en 1948, qui marque
un refroidissement de leurs relations. Les choses sont encore plus com-
plexes qu’il n’y paraît, car alors, avec cette sortie de Tito du bloc stalinien,
peut s’opérer oiciellement à Belgrade un retour au surréalisme avec la
création de la nouvelle revue Témoignages de Ristić (qui prend le même
nom que dans les années 30).

3. Des surréalistes dans le temps


On pourrait ainsi considérer Aragon et Marko Ristić comme deux
surréalistes „dans le temps“ – pour reprendre une expression de Marko
Ristić lui-même, „Or nous sommes dans le temps26.“  – dont il faudrait
25 Marko Ristić, quant à lui, dans le même numéro de la NRF, évoque dans „La Nuit du
tournesol“ les paroles que lui a dites Breton lors de leur première rencontre en 1926 : „… il
se fait que cette rivière [le surréalisme] à un moment donné a rencontré le leuve du commu-
nisme. Maintenant, je ne sais ce qui va se passer, il se peut que le surréalisme se jette dans
ce leuve et poursuive son cours avec lui, et il se peut, ce qui serait très curieux, qu’il ne fasse
que traverser ce leuve pour ressortir de l’autre côté, et il se peut qu’il entraîne le leuve…“
(p. 703) Si la première hypothèse envisagée par Breton sur cet avenir des rapports entre le
surréalisme et le communisme correspond inalement à l’itinéraire d’Aragon, il est étonnant
que la réalité de cet avenir corresponde la troisième hypothèse relevant de la pure utopie à
la seconde hypothèse pourtant considérée par Breton comme la plus improbable et la moins
désirable („ce qui serait très curieux“)…
26 „Humour 1932“, réponse à l’enquête „L’humour est-il une attitude morale?“ publiée à
Belgrade dans Le surréalisme aujourd’hui et ici n° 1 (juin 1931) et n° 2 (janvier 1932). Traduit
par Branko Aleksić dans Mélusine n° X, L’Âge d’homme, 1988, p. 202. La réponse de Ristić
est que „l’humour en tant qu’attitude vitale est intenable, insupportable“.
mesurer les traces du surréalisme dans leur œuvre dernière. Cette per-
manence du surréalisme dans le réalisme d’Aragon est une question qui a
depuis longtemps été étudiée par Jacqueline Bernard27 pour l’œuvre roma-
nesque réaliste, les romans du Monde réel seulement, mais on peut élargir
et approfondir ce questionnement en l’étendant aux trois derniers romans
d’Aragon – La Mise à mort (1965), Blanche ou l’Oubli (1967) et héâtre/
Roman (1974) – qui constituent un renouvellement majeur de son réa-
lisme.
C’est dès après la Seconde Guerre mondiale qu’Aragon s’oriente à la
in des années 50 vers une conception élargie du réalisme socialiste, no-
tamment dans l’importante conférence de 1959 à la Mutualité devant la
jeunesse communiste, „Il faut appeler les choses par leur nom“ reprise
dans J’abats mon jeu (Éditeurs français réunis, 1959). Tout en déinis-
sant le réalisme socialiste – le sien essentiellement – comme un „réalisme
sans rivages“ régi par aucun dogme, il continue à légitimer la question du
„sens“, qui était aussi celle qui a présidé à sa rupture avec le surréalisme.
C’est ainsi qu’il en vient à considérer le surréalisme comme une littérature
où triomphe le détail et non le sens :
Mais au vingtième siècle, pas plus que dans une autre époque, il n’a été pos-
sible de créer un art qui se passe du détail, de l’observation, de la réalité. Même
dans les œuvres qui s’éloignent du réalisme, la réalité du détail joue un rôle
prépondérant. C’est là précisément que le détail triomphe sur l’ensemble. Je ne
dis ceci ni contre les symbolistes, ni contre les surréalistes, ni contre Proust,
ni contre Joyce. Je constate simplement que les professions de foi contre le réa-
lisme s’accompagnent toujours d’un art qui ne peut se débarrasser de la réalité,
mais qui ne s’oppose au réalisme que par le refus d’ordonner cette réalité, c’est-
à-dire par le triomphe du détail en dehors de sa signiication générale (Ara-
gon : 1959, 163)
Cette analyse en toute objectivité est faite sans animosité28. Tout
comme en février 1968 Aragon parle du surréalisme et de Breton, en
termes paciiés, dans Rinascita, la revue des intellectuels communistes
italiens :
Mais, en réalité, ma rupture avec les surréalistes, ou leur rupture avec moi,
comme on veut, n’est pas du tout liée aux lendemains du congrès de Kharkov

27 Jacqueline Bernard, Aragon. La Permanence du surréalisme dans le cycle du monde réel,


Corti, 1984.
28 Et de cette absence d’animosité dans cette rupture vécue par les surréalistes qui ont fait le
choix du communisme comme inévitable en toute honnêteté intellectuelle, témoigne aussi
la très belle lettre de rupture de Georges Sadoul à Breton : „Le désaccord qui nous sépare est
donc très profond. Je veux espérer qu’il n’est pas déinitif. Tu as été, tu es encore, la conscience
de la meilleure part de toute une génération […] Quoi qu’il en soit à l’heure où j’écris nos
routes se séparent. La profonde et très sincère amitié, pas plus que l’admiration que j’ai toujours
éprouvée pour toi depuis le jour de notre première rencontre, ne sauraient me retenir à tes
côtés.“ Lettre de Georges Sadoul à André Breton, datée de mai 1932 (Cinémathèque française,
fonds Georges Sadoul, cote GS238. Citée par Valérie Vignaux dans „Georges Sadoul et le
surréalisme (1925-1932)“, Les Annales Aragon-Elsa Triolet n° 17, Éditions Aden, 2015, 44).

134 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 135

auquel j’avais pris part et qui s’était tenu à l’automne 1930. Les liens entre nous
ont continué pendant environ deux ans dans des conditions que maintenant
il serait trop long de raconter. Mais, quand, en 1932, je me suis trouvé séparé
des surréalistes – je l’ai répété plusieurs fois – une chose que m’a dite Breton
fut : „Je comprends ta idélité à ton parti, mais que feras-tu si, demain, on te
demande de considérer comme condamnables toutes les choses qui ont été
l’intérêt même de ta jeunesse, pour lesquelles tu t’es battu, Rimbaud, Lautréa-
mont… ?“ Eh bien, j’ai entendu citer Rimbaud par Maurice horez dans ses
discours, et pratiquement, ce sont des communistes ceux qui pendant une
trentaine d’années se sont intéressés plus que les autres à Lautréamont, qui ont
écrit sur lui ; et les choses ne se sont pas du tout passées comme on pouvait très
bien l’imaginer en 1932, parce que après, le parti a changé, a grandi, et notre
petit horizon d’alors est entré dans ce grand horizon. Malgré cela, vous savez
aussi que les surréalistes n’ont jamais désarmé à mon égard et, pour ce qu’il en
reste, ne désarment même pas aujourd’hui. De mon côté, je ne me suis jamais
laissé aller à des attaques systématiques contre eux, comme ils ont fait contre
moi, parce que, en particulier, je ne pouvais jamais dissocier d’eux un homme
pour lequel j’avais eu un très grand respect, une très grande admiration, le
plus grand ami de ma jeunesse, André Breton, et parce que, quelles que soient
les dissensions politiques graves qui existaient entre lui et moi, je ne voulais
pas confondre ma voix avec la meute de gens qui criait contre lui pour mille
raisons que je ne peux pas, que je n’ai jamais pu partager. (Recherches croisées,
2009, 231)
Cette conception non dogmatique du réalisme socialiste semble par-
tagée par les grands écrivains de l’Est qui, après avoir été surréalistes, ont
continué à écrire dans un champ littéraire dominé par le dogme du réa-
lisme socialiste mais sans être inquiétés vraiment pour le caractère tout
personnel de leur production et de leur conception élargie du réalisme
socialiste auquel ils se rallient ou font mine de se rallier… Revenons à la
déinition capitale du réalisme socialiste qu’Aragon donne à la jeunesse
en présence de Maurice horez, dans cette conférence de la Mutualité en
1959:
Il y a une diférence fondamentale entre le développement du réalisme so-
cialiste et celui des écoles littéraires du passé. Celles-ci ne pouvaient vivre que
d’une polémique exclusive, en condamnant ce qui n’était pas elles-mêmes. La
lutte du réalisme socialiste est d’autre sorte, elle se passe ailleurs, et pour cette
raison le réalisme socialiste peut faire son proit de ce qui naît en dehors de
lui, il peut toujours interpréter, orienter les éléments mêmes qu’on lui oppose,
parce que sa in n’est pas de faire triompher un style, mais de faire triompher
une conception du monde. Je ne suis pas très sûr que tous les gens qui se ré-
clament du réalisme socialiste seront d’accord avec moi sur ce point, mais qu’y
puis-je? Il me paraît peu sérieux de considérer le réalisme socialiste comme un
art constitué qui s’oppose à ses concurrents. J’ai du réalisme socialiste, pour
ma part, une conception ouverte, non dogmatique, qui permet à l’artiste qui
s’en réclame de s’enrichir, d’enrichir son art non pas sur un pré réservé, mais
partout où il trouvera sa pâture, sous la réserve critique de ses conceptions.
Le réalisme socialiste est l’aile marchante de la littérature, mais ceci sup-
pose que cette littérature existe au-delà de cette aile. Si vous coupez dans la lit-
térature entre vous et le reste, vous amputez simplement le corps de cette aile,
et l’aile ne sera plus qu’un membre amputé. Et le réalisme socialiste, parce qu’il
n’y aura plus de pont entre la littérature et lui, ne verra plus venir à lui des écri-
vains qui jusqu’alors écrivaient autrement, ou n’avaient pas pris conscience des
éléments communs qu’il y a entre le réalisme socialiste et leur art. Ce n’est pas
la littérature qui disparaîtra, c’est le réalisme socialiste. (Aragon 1959 : 143)
On voit ici comment Aragon se démarque des dogmatiques staliniens
en matière de littérature et leur fait superbement la leçon… Le réalisme
socialiste est ainsi déini comme un art d’avant-garde par Aragon, tou-
jours dans cette même conférence:
L’art nouveau est nécessairement un réalisme nouveau, qui montre à la
fois l’arbre et la forêt, et sait pourquoi il les montre, un réalisme actif, aussi
loin qu’il est possible de l’art pour l’art, un réalisme qui a l’ambition d’aider
l’homme, de l’éclairer dans sa marche, qui tient compte du sens de sa marche,
qui se tient à l’avant-garde de celle-ci.
[…] Dans une époque donnée, le mouvement des esprits prend son bien
où il le trouve. Le réalisme socialiste s’est développé en URSS dans des condi-
tions toutes diférentes de celles qui peuvent lui être faites en France. Puisque
notamment le socialisme étant doctrine d’État, le réalisme socialiste est en
URSS, au départ, basé sur l’accord de l’art et de la classe dirigeante, alors qu’en
France le réalisme socialiste, dans les conditions présentes, ne peut être qu’un
art d’opposition. (Aragon 1959 : 168-169)
Et Aragon rappelle toujours la rélexion d’Elsa qui le précède sur ces
chemins de l’analyse littéraire. À propos de son roman Le Monument
(1958) qui est une critique du stalinisme, dans une discussion avec Arthur
Adamov, elle souligne „le caractère d’avant-garde du réalisme socialiste“
(173) Et Aragon ajoute : „Car voilà bien ce que je voulais dire tantôt, air-
mant que j’avais du réalisme socialiste une conception ouverte.“ (174).
Et dans son „discours de Moscou“ lorsqu’il est fait docteur honoris
causa de l’Université Lomonossov en janvier 1965, Aragon va encore plus
loin en donnant une nouvelle déinition du roman réaliste, en relation
avec son doctorat de linguistique :
J’ai pour ma part essayé de diverses façons de déinir le roman, mais il est
bien sûr que les déinitions n’ont jamais qu’une valeur passagère. Pourtant, ac-
cédant au doctorat és-sciences philologiques, il me paraît que c’est ici le lieu
et l’instant de vous faire part d’une petite découverte linguistique qu’il me
semble avoir faite dans ce domaine : ayant appelé une nouvelle que j’ai écrite
il y a de cela un an et demi ou deux ans Le mentir vrai, j’ai été amené à penser
que cette formule, d’aspect paradoxal à première vue, constituait en fait une
excellente déinition du roman, ou tout au moins de ce roman réaliste dont je
suis l’un des humbles défenseurs. (Aragon 1965 : 1)

136 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 137

Et ensuite c’est encore en linguiste qu’avec pas mal d’humour il


condamne Staline (sans jamais le nommer mais en le désignant par une
tournure impersonnelle et par une périphrase)… et c’est en linguiste qu’il
se substitue à Staline lui-même pour formuler un nouveau mot d’ordre
en matière de réalisme… Comme si Aragon s’attribuait une autorité nou-
velle pour légiférer en matière d’art réaliste et proclamer, comme Breton à
l’époque surréaliste, la nécessité de „larguer les amarres“:
Il y a de cela quelques années, il vous en souvient, il était proposé aux écri-
vains, et au premier chef aux romanciers, une formule qui semblait constituer
pour eux une morale : Écrivez la vérité. Et, en soi, cela n’est pas un mauvais
conseil à donner à un enfant. Par la suite, cela devint un peu plus que cela, un
mot d’ordre. Quand on y repense, cela relève certainement de la haute curio-
sité ; que l’audace d’une telle formule comme mot d’ordre soit venue précisé-
ment à un homme qui s’est surtout signalé dans la vie par une certaine désin-
volture à l’égard de la vérité, et un certain divorce entre ses paroles et ses actes,
que l’historien constate et le linguiste réprouve…
Il me paraît à peu près certain que le conseil Écrivez la vérité! si précieux
qu’il soit est insuisant pour exprimer par lui seul l’esprit créateur des ro-
manciers. En déinissant leur art comme un mentir vrai, il me semble que l’on
fait, au-delà de la formule précédente, un pas raisonnable et prudent, et qu’on
donne, aux gens comme moi et mes confrères, à rêver de formes nouvelles de
notre art, qui s’inscriront à la fois dans la grande tradition du roman réaliste
et s’appliqueront aux situations sans cesse inventées par la vie, et auxquelles
ont à répondre les hommes qui ont, eux, l’imprudence, ce que je fais volon-
tiers, de qualiier de socialiste cet art qui est le leur. Cela suppose naturelle-
ment qu’on largue les attaches de sa barque, et qu’on n’hésite pas à s’éloigner
des rivages rassurants des formules toutes faites, en un mot du dogmatisme
littéraire. (Aragon 1965 : 8)
C’est donc la pratique du roman qui conduit Aragon vers un réa-
lisme sans rivages29, comme c’était déjà le roman qui avait conduit Ara-
gon vers le réalisme socialiste après sa rupture avec les surréalistes. Des
points communs apparaissent très vite entre l’itinéraire d’Aragon et celui
de Marko Ristić : essentiellement cette permanence du surréalisme dans
le réalisme, et cette conception élargie du réalisme, comme on vient de
le voir avec ces deux discours d’Aragon qui témoignent d’un tournant
dans son œuvre romanesque avec La Semaine sainte (1958) et du retour
du refoulé surréaliste aussi bien dans le discours critique et la manière de
parler de l’héritage surréaliste que dans la production romanesque inale
avec les trois derniers romans.
Jelena Novaković pour sa part, à propos des anciens surréalistes bel-
gradois, note :

29 L’expression d’Aragon sera reprise par Roger Garaudy dans un essai, D’un réalisme sans
rivages Picasso Saint-John Perse Kaka, préface de Louis Aragon, Plon, 1963.
Ces textes témoignent que les anciens surréalistes serbes, dont les positions
sont diverses, ne renoncent pas à leurs acquis surréalistes. C’est ainsi que,
dans son essai „Moralni i socijalni smisao poezije“ [Le sens moral et social de
la poésie], publié en 1934 dans la revue Danas [Aujourd’hui], Marko Ristić,
qui se sent encore surréaliste, continue de faire la diférence entre la Poésie
et la Littérature, mais il introduit la poésie dans la sphère pragmatique en lui
prêtant une valeur révolutionnaire. Dans son essai „Predgovor za nekoliko
nenapisanih romana“ [Préface à quelques romans non écrits, 1936], il consi-
dère que l’opposition Poésie – Littérature peut être dépassée par un „réalisme
dialectique“ qui lie l’écriture surréaliste et le réalisme socialiste  : le person-
nage n’y est plus une simple incarnation d’un type social ou d’une catégorie
économique (comme dans la „littérature sociale“), mais un homme concret
dont la vie psychique est présentée dans sa complexité englobant „le conscient,
l’avant-conscient et le subconscient“. (Novaković 2013 : 207)
Et de même que Jacqueline Bernard traque les traces du surréalisme
dans les romans du Monde réel, Jelena Novaković les repère chez Ristić :
Les traces du surréalisme se manifestent également par une thématique
qui, malgré les changements provoqués par l’évolution des positions idéolo-
giques des anciens surréalistes, porte toujours l’empreinte indélébile du sur-
réalisme, comme le montre le Naknadni dnevnik [Journal ultérieur] de Marko
Ristić, qui ofre au lecteur un jeu de miroirs entre le présent et le passé, où se
mêlent la mémoire involontaire de Proust, le „hasard objectif“ de Breton et le
„mollusque de référence“ d’Einstein, pour présenter le surréalisme dans ses
aspects „extratemporels“. […]
Cette idélité non proclamée au surréalisme rapproche de nouveau les an-
ciens surréalistes belgradois de Breton, qui a refusé de soumettre ses activités
à des ins idéologiques, mais aussi d’Aragon, qui revient lui aussi en quelque
sorte au surréalisme en essayant, dans ses derniers romans, de le concilier avec
le „monde réel“, quelquefois par l’intermédiaire des réminiscences proustien-
nes qu’on trouve dans Blanche ou l’Oubli (1967) (Novaković 2013 : 209)
J’ai moi-même analysé ailleurs le retour du refoulé surréaliste dans
les romans de la dernière période d’Aragon30, et pour illustrer ce rappro-
chement des points de vue d’Aragon et de Ristić dans la dernière partie
de leur carrière, comme dans la première, je propose une comparaison
éclairante qui marquera de ses nombreux points de convergence l’évolu-
tion de la génération surréaliste à Paris comme à Belgrade : la comparai-
30 Voir Aragon romancier intertextuel, L’Harmattan, 1998. Et mon article „La Défense
de l’inini: roman surréaliste et laboratoire du réel  in Mélusine“ n°  XXI „Réalisme
-Surréalisme“, L’Âge d’homme, 2001. J’y montre que la „lecture libertaire, provocatrice,
désinvolte“ des Cloches de Bâle (1934) –  le premier des romans du Monde réel après la
rupture avec les surréalistes  – inement analysée par Henri Mitterand dans L’Illusion
réaliste (PUF, 1994), vient de La Défense de l’inini – le roman inachevé et saccagé devenu
le roman „matriciel“ de toute l’œuvre romanesque d’Aragon  – et du code hérité du
surréalisme, de même que viennent de ce roman source les interventions du narrateur
et les apostrophes au lecteur qui détruisent l’illusion réaliste au moment même où elle
semble faire son entrée.

138 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 139

son entre le Journal ultérieur31 (1967) de Marko Ristić et héâtre/Roman


(1974) d’Aragon.
Si Journal ultérieur développe une écriture de l’après-coup en su-
perposant les temps (Novaković 2015 : 125-138), on assiste dans héâtre/
Roman, avec les souvenirs du personnage du Vieux, à un retour sur la
jeunesse surréaliste, qui avait déjà commencé dans Blanche ou l’Oubli
avec les souvenirs de jeunesse du linguiste Geofroy Gaiier, tous les deux
envisagés comme des doubles dans le temps de leur vieil auteur. Si Journal
ultérieur – qui joue avec la mémoire et l’oubli comme Blanche ou l’Ou-
bli et pourrait ainsi faire igure de „texte cousin“ du roman d’Aragon –
revient directement sur la jeunesse surréaliste de Ristić par le discours
autobiographique direct du journal et la rélexion sur le rôle du hasard
objectif dans le fonctionnement de la mémoire, c’est par le dialogue indi-
rect du jeune (le jeune acteur) et du vieux (qui poursuit l’acteur comme
son ombre ou son avenir) que ce retour s’opère dans héâtre/Roman. Ce
dialogisme du roman, qui donne parfois à héâtre/Roman une tonalité
carnavalesque, introduit la diférence majeure du recours à la iction là où
Ristić pratique une inclusion directe du paratexte dans le texte. Mais dans
les deux cas l’écriture renouvelée produit à la fois poésie et métalangage
et constitue une brillante conciliation du réalisme (socialiste ?) et du sur-
réalisme dans ce „réalisme dialectique“ théorisé par Marko Ristić. Cette
proximité de Ristić et d’Aragon, non dépourvue d’acidité ou de rigueur
bienveillante, se manifeste encore de manière magistrale dans le très beau
poème de 1968 où Ristić – probablement après la lecture de Blanche ou
l’Oubli et/ou de l’interview de Rinascita déjà évoquée et des nombreux
articles des Lettres françaises consacrés à la linguistique et à la nouvelle
critique dans les années 60 – conjure Aragon de ne pas tomber dans le
piège structuraliste… :
[…]
Prononce Ô
Nonce apostolique de l’Enfer
Tous les jurons du monde
De l’immonde
Mais je t’en con-jure
Ne murmure pas le mot STRUCTURE
N’évoque pas ce truc en stuc
De cette époque structuraliste
Ce mot clé qui n’est pas la clé des champs
Magnétiques
Arrange-toi
Spectre sépulcral de l’Humour noir

31 Peut-être faudrait-il aussi creuser le concept fondamental d’ultériorité de Ristić et y voir


un lien avec l’idée du plagiat par anticipation et de l’écriture à rebours chez Aragon. Avec
pour tous les deux le lien avec Einstein (représentation relativiste du temps) et Popper (le
„troisième monde“) si sollicités dans Blanche ou l’Oubli. Comme avec Proust…
Pour ourler ton suaire provisoire
Sans perdre la face
Devant l’armoire à glace
Un beau soir
Ou un vilain matin (Europe, 1991, 131)
Mais justement Aragon n’y tombe pas dans ce piège, puisque dès
1967 il oppose aux structuralistes, dont pourtant il se sent proche et/
ou qu’il essaie de prendre en compte dans les Lettres françaises et dans
Blanche ou l’Oubli, le retour du sujet comme une géniale anticipation sur
le mouvement de la pensée linguistique et littéraire dans les décennies
suivantes…

Conclusion
Examiner le passage du surréalisme au réalisme socialiste et le deve-
nir de l’avant-garde surréaliste en termes d’histoire littéraire et de poé-
tique des textes: cela aura été l’objet de cette enquête double menée ici,
avec la conviction qu’il est possible de considérer en même temps le sur-
réalisme et le communisme sans tabous… Mais on peut aussi l’envisager
pour inir du point de vue humain, en s’arrêtant sur l’itinéraire d’hommes
engagés dans leur temps et d’écrivains qui cherchent leur voie, au risque
de prendre des „chemins aberrants“… On ne peut alors terminer que sur
une parole personnelle et lyrique. Sur ce „cousinage“ Aragon-Ristić, pour
leurs „rêves communs“ dans leur jeunesse surréaliste et pour leur attache-
ment commun à l’écriture nationale issue de l’expérience de la Résistance,
laissons la parole une dernière fois à Aragon dans un article des Lettres
françaises („À Paris comme à Rebesinje“) dans l’immédiat après-guerre :
Quand j’avais neuf ans, on m’a donné un beau livre rouge et or, qui était
un roman d’un inconnu appelé Amero, un roman intitulé Militza. C’était une
histoire de révoltes en Bosnie-Herzégovine à l’époque où, de la domination
turque, les Slaves du Sud tombèrent sous la domination autrichienne. Enfant,
j’ai pleuré de leurs défaites. Plus tard, dans ce monde fou d’après l’autre guerre,
j’ai connu des Serbes, des garçons de mon âge, qui avaient les mêmes passions,
les mêmes folies que moi. L’un d’eux est aujourd’hui à Paris, ambassadeur de
son pays. Un autre est général et chef d’état-major de Tito, là-bas. Oui, nous
avons eu beaucoup de rêves en commun. Nous avons, contemporains et ca-
marades, cherché dans le même temps notre voie, par les mêmes chemins
aberrants. Et puis-je dire, avec un grand orgueil, qu’au bout du compte nous
l’avons, eux et moi, de la même façon trouvée? Nous avons trouvé la grand
voie nationale qui mène à la réalisation du seul rêve qui vaille qu’on meure et
qu’on vive… en France ou en Yougoslavie. Ensemble et séparés, nous l’avons
trouvé cette voie. (Les Lettres françaises, n° 108, 17 mai 1946, 5)
Et c’est la même métaphore qu’Aragon utilise en 1975 dans sa préface
de L’Œuvre Poétique déjà évoquée pour parler des surréalistes de sa jeu-
nesse: „Au bout du compte, nous aurons été pour l’avenir ensemble, les

140 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 141

hommes qui ont ouvert une même route aux autres, et sans doute pour
longtemps, même si les uns se sont assis sur le bord du chemin, les autres
ont pris de singulières traverses. Au bout du compte, ce sera toujours le
même chemin .“ (Aragon 1975 : 315)
Car dans l’„Avertissement“ de cette „Préface morcelée“, Aragon
nous livre un étrange pacte de lecture en forme de théâtre : que le lecteur
prenne le vieil auteur par le bras pour l’entendre parler de sa vérité sur
le passage du surréalisme au communisme… et pour l’entendre imagi-
ner un autre „avenir immédiat“ (ce sera le titre d’un chapitre de héâtre/
Roman…), un autre tour de l’histoire littéraire du XXe siècle imaginé là
comme un roman possible de l’avenir („ce serait un roman à écrire“…).
On imaginerait alors une histoire où Aragon et Breton auraient continué
ensemble, sur la voie du communisme, où Breton le premier avait engagé
le groupe surréaliste, après la grande crise interne de 1929 (avec la sortie
de ceux – comme Soupault, Desnos et Artaud – qui ne voulaient pas du
marxisme et de la politique), à être à la fois surréalistes et communistes,
comme le seront par exemple Ristić et Nezval: amis non séparés en route
sur le même chemin…

BIBLIOGRAPHIE

Aragon, Louis. Le Paysan de Paris. Paris : Gallimard, 1926.


Aragon, Louis. „Puisque vous m’avez fait docteur“. Les Lettres françaises,
n° 1063, 14 janvier 1965, 1-8.
Aragon, Louis. J’abats mon jeu. Éditeurs français réunis, 1959. Réédition
Les Lettres françaises/Mercure de France, 1992.
Aragon, Louis. „Préface morcelée“. L’Œuvre poétique, t.  V (1930-1935),
Livre Club Diderot, 1975.
Aragon, Louis. Œuvres poétiques complètes. Paris  : Gallimard, Biblio-
thèque de la Pléiade, 2007.
Aron, Paul, Sapiro, Gisèle. „Présentation“. Sociétés & Représentations,
2003/1, n° 15, 5-11. http://www.cairn.info/revue-societes-et-represen-
tations-2003-1-page-5.htm.
Bourdieu, Pierre. „La production de la croyance. Contribution à une éco-
nomie des biens symboliques“. Actes de la recherche en sciences so-
ciales n°13, février 1977.
Dragomir Lucia, L’Union des écrivains, une institution transnationale à
l’Est, Belin, 2007.
Europe, n° 745 „Aragon poète“, mai 1991, „Le miroir d’Aragon“, poème de
Marko Ristić, 131.
Follet, Lionel (éd.). Correspondance Aragon-Breton. Paris  : Gallimard,
2011.
Forest, Philippe, Aragon, Gallimard, 2015.
Garaudy, Roger. D’un réalisme sans rivages Picasso Saint-John Perse Kaka.
Préface de Louis Aragon. Plon, 1963.
Kapidzic-Osmanagic, Hanifa. Le Surréalisme serbe et ses rapports avec le
surréalisme français. Paris: Les Belles Lettres, 1968.
Les Annales Aragon-Elsa Triolet n°  17, Éditions Aden, 2015, 57-75  ; 207-
208, „Correspondance Aragon-Romain Rolland“ éditée par Domi-
nique Massonnaud.
Leuilliot, Bernard, Chroniques 1928-1932, Stock, 1998.
Mélusine n° X et Mélusine n° XXX, L’Âge d’homme, 1988 et 2010.
Nerlich, Michael. „À l’assaut du réel: de Kant à D’Holbach dans l’œuvre
d’Aragon“. La Pensée, n° 203, février 1979, 3-19.
Neyer, Hans-Joachim. „Aragon et Brecht“. Silex, n° 8/9. 1978, 169-173.
Novaković, Jelena. „Belgrade, la ‘seconde centrale surréaliste en Europe’“.
La Littérature serbe dans le contexte européen : texte, contexte et inter-
textualité. Milivoj Srebro (dir.) Pessac, MSHA, 2013, 195–213. Docu-
ment mis en ligne le 27 juillet 2012 sur le site http://www.serbica.fr
Novaković, Jelena. „La dialectique du hasard et de la nécessité dans la
poétique surréaliste“. Avangarda : od Dade do nadrealizma / L’Avant-
garde: de Dada au surréalisme“. Dir. Bojan Jović, Jelena Novaković,
Predrag Todorović. Institut za književnost i umetnost – Muzej savre-
mene umetnosti, Beograd, 2015, 125-138.
Recherches croisées Aragon-Elsa Triolet. N°  13, Presses Universitaires de
Strasbourg, 2009, 215-242. „Interview d’Aragon (Rinascita, 1968)“,
texte traduit et présenté par Maryse Vassevière.
Sebbag, Gérard. Les Éditions surréalistes, IMEC Éditions, 1993.

142 Maryse VASSEVIÈRE


Наслеђе модернизма 143

Мариз Васевјер

Арагон: од једне до друге авангарде

Резиме

Придружујући се настојању да се проблемски представе књижевни и


уметнички авангардни покрети XX века, ауторка разматра осетљиво питање
преласка са једне авангарде на другу: са надреализма на социјалистички реа-
лизам, узимајући за пример Луја Арагона и повезујући га са неким значајним
писцима у земљама „источно од Париза“, као што је Марко Ристић у Југосла-
вији. Она у исто време посматра авангардни покрет у Београду и у Паризу,
фокусирајући се на два писца, Арагона и Ристића, и на две поетике, поети-
ку надреализма и поетику социјалистичког реализма. У томе се ослања на
изванредну синтезу из пера Пола Арона са Слободног универзитета у Бриселу
и Жизеле Сапиро из Националног центра за научна истраживања у Паризу,
„Поново размотрити социјалистички реализам“, која се појавила у часопису
Sociétés & Représentations (2003/1, бр. 15). 
Ауторка прво приказује поетику надреализма (одбрана имагинације, ме-
сто романа, примат хумора) и његов однос према револуцији, онако како је то
изражено код Арагона у Паризу и Ристића у Београду. Затим испитује прела-
зак са једне на другу авангарду, уочавајући нека заједничка обележја у књи-
жевном поступку ова два писца који се удаљавају од надреализма, окрећући
се „стварном свету“ и револуцији, да би му се у каснијим, послератним де-
лима вратили (Арагонов роман Blanche ou l’Oubli и héâtre/Roman, Ристићев
Накнадни дневник). То је води закључку да је код ова два писца надреализам
стално присутан.
Кључне речи: авангарда, комунизам, надреализам, реализам, социјали-
стички реализам, револуција, имагинација, роман, хумор, Луј Арагон, Марко
Ристић.

Примљено: 5.8.2016.
Прихваћено за објављивање: 02.10.2016.

You might also like