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L'Homme

A. Hornborg, Dualism and Hierarchy in Lowland South America.


Trajectories of Indigenous Social Organization
Anne-Christine Taylor

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Taylor Anne-Christine. A. Hornborg, Dualism and Hierarchy in Lowland South America. Trajectories of Indigenous Social
Organization. In: L'Homme, 1990, tome 30 n°113. pp. 175-177;

http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1990_num_30_113_369224

Document généré le 29/03/2016


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du mal à déceler. Ainsi, dans les communautés mexicaines, la consommation d'alcool tend-
elle paradoxalement à renforcer le contrôle social en conférant à l'ivrogne un statut spécial
qui lui permet de condamner à voix haute certaines déviances. S. Brandes choisit de décrire
une autre institution paradoxale de contrôle, la fête, qui, tout en semblant rompre l'ordre
quotidien, contribue en fait à le réaffirmer.
C'est à Tzintzuntzan, communauté de l'État de Michoacan, que l'auteur a mené son
enquête, bénéficiant du soutien et des connaissances de George Foster, dont les observations
dans la localité ont débuté en 1945. Une description minutieuse de fêtes relevant bien plus
d'un catholicisme « folk » que de traditions indigènes débouche sur la question suivante : à
quoi servent aujourd'hui les festivités de la Toussaint, des posadas de Noël, de la Vierge de
Guadalupe et du Carême ?
L'une de ses plus belles analyses concerne une « danse » exécutée à l'occasion de la fête
du Señor del Rescate qui précède Pâques. Elle consiste en une procession de toutes jeunes
filles figurant des anges et d'hommes masqués incarnant des diables et la Mort. Ces derniers
se livrent à de multiples facéties, simulant en particulier des agressions sexuelles. S. Brandes
montre que, contrairement aux apparences, ce jeu réaffirme les règles morales en présentant
un comportement inadéquat qui provoque la gêne, la peur et le rire. Il n'est pas surprenant
d'apprendre que les hommes qui jouent le rôle des diables et font mine de perturber le
déroulement de la cérémonie sont les véritables chefs d'orchestre du spectacle : en agressant
les spectateurs et les anges, ils s'assurent en effet que chacun reste bien à la place qui lui est
assignée. Jusqu'ici, donc, tout dans l'analyse contribue bien au « contrôle social ».
Cependant l'auteur va plus loin lorsqu'il explique que les hommes sont choisis pour incarner
les diables parce que dans le village on les considère comme incapables de contrôler leurs
pulsions sexuelles. On songe ici à Romanucci-Ross pour qui plusieurs codes moraux
s'affrontent dans le monde rural mexicain1. Si une même fête est perçue différemment par
diverses catégories de villageois, le recours à la simple notion de « contrôle social » ne
risque-t-il pas de gommer les tensions qui s'y expriment, et, finalement, de faire apparaître
comme banale la riche et fine analyse que nous propose S. Brandes des fêtes de
Tzintzuntzan ?
Daniele Dehouve
Laboratoire d'Ethnologie et de Sociologie comparative
Université de Paris X — Nan terre

Lola Romanucci-Ross, Conflict, Violence, and Morality in a Mexican Village, Chicago & London,
The University of Chicago Press, 1986 ; cf. notre compte rendu dans L'Homme 106-107 : 349.

Alf Hornborg, Dualism and Hierarchy in Lowland South America. Trajectories of


Indigenous Social Organization. Uppsala, Almqvist & Wiksell International, 1988, 304 p.,
réf., tabl. (« Acta Universitatis Upsaliensis. Uppsala Studies in Cultural Anthropology » 9).

Il faut sans doute des gènes de Viking pour entreprendre un travail aussi ambitieux que
celui-ci, qui traite en général du rapport entre classifications et comportements, et en
particulier de la relation entre alliance, organisation dualiste, systèmes terminologiques et
hiérarchie sociale, le tout dans le cadre d'un tableau global et évolutif de la parenté sud-
amérindienne. Voici donc cet essai de synthèse que tous les chercheurs américanistes
attendaient sans oser eux-mêmes l'entreprendre, tant les décourageait l'accumulation de
données ethnographiques nouvelles, d'interprétations contradictoires et de débats confus.
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La thèse de Hornborg est la suivante : l'organisation dualiste — entendue comme


système à moitiés exogames — et les terminologies de parenté dites « à deux sections » (dravi-
diennes) sont deux interprétations indigènes différentes des régularités engendrées par une
structure unique d'échange symétrique. Cette hypothèse n'est cependant qu'un premier pas :
sur sa lancée, l'auteur veut en effet démontrer que les diverses terminologies (de type iro-
quois, crow, omaha ou autre) et les pratiques matrimoniales, plus généralement les
différentes modalités d'organisation de la parenté caractéristiques des sociétés de basses terres
d'Amérique du Sud, sont toutes l'expression de codifications classificatoires dérivées les
unes des autres (et en dernière instance du modèle dravidien), en fonction du dosage variable
entre les principes de résidence et d'« affiliation » (soit le lien par lequel des individus
succèdent à ceux de la génération précédente).
Afin de mettre en évidence l'existence de ce continuum amazonien, l'auteur commence
par dresser un inventaire de quarante-trois systèmes de parenté regroupés par famille
linguistique. Ne nous arrêtons pas aux problèmes épineux que soulève le postulat qui est à
l'origine de ce choix typologique : manifestation de l'empirisme qui inspire ce travail, il me
gêne pourtant moins que le débitage des systèmes étudiés en traits isolés (nomenclature de
référence, composition des groupes locaux, modes d'alliance, relations avec l'extérieur,
« affiliation »). L'auteur se défend de ce réductionnisme empiriste en arguant de
l'impossibilité d'un comparatisme respectueux des finesses de chaque système. Je veux bien ;
mais on ne peut comparer efficacement des systèmes en fonction de leurs seuls traits
apparents, surtout si ceux-ci ont déjà été drastiquement simplifiés ! Cela dit, la qualité de ces
synopsis ethnographiques et des synthèses auxquelles ils aboutissent n'est pas en cause : les
interprétations de Hornborg sont remarquablement informées, ingénieuses et fidèles aux
matériaux disponibles.
La troisième partie de l'ouvrage propose une typologie des systèmes examinés et une
ébauche de modèle logico-évolutif, plus exactement une reconstruction spéculative des
branchements successifs qu'a pu connaître le système dravidien de base, en fonction de
« corrélats sociaux » comme l'augmentation démographique, l'adoption de l'exogamie
locale et d'une règle de résidence unilocale, etc., facteurs qui seraient en fin de compte
responsables de la diversité des systèmes de parenté sud-amérindiens. Il est impossible, en si
peu d'espace, de rendre justice à la richesse de cette section : chacune des hypothèses locales
avancées pour rendre compte de l'apparition de telle ou telle institution, pratique ou
inflexion classificatoire appelle des commentaires et des objections. Mais c'est bien sûr dans
cette troisième partie que les défauts de la méthode adoptée sautent aux yeux : l'abstraction
empirique, poussée ici à ses limites extrêmes par volonté de synthèse et de formalisation,
aboutit souvent à des absurdités ethnographiques ou historiques.
Dans la dernière partie, l'auteur aborde l'un après l'autre les points controversés de la
parenté sud-amérindienne à la lumière des hypothèses qu'il a développées ; cette discussion
érudite et claire des polémiques qui agitent les spécialistes sera particulièrement appréciée des
étudiants et des enseignants. Le livre se clôt sur une utile réflexion concernant les
fondements structurels de la hiérarchie, qu'on ne peut évidemment attribuer aux effets du
mariage asymétrique, absent de la scène amazonienne ; en revanche, comme l'a montré
Dumont, la distinction aîné/cadet, caractéristique des nomenclatures dravidiennes, peut
servir de base à des stratifications sociales, et ce d'autant mieux lorsque celles-ci sont
masquées par leur insertion dans un modèle dualiste, garant d'un principe d'égalité maintenu
au plan horizontal.
A. Hornborg, à l'évidence, ne croit pas à l'existence de systèmes de parenté. Non qu'il en
conteste, comme Needham, la réalité objective, mais il n'en reconnaît en somme que deux :
d'une part l'alliance symétrique, susceptible — grâce au principe passe-partout de la
« congruité » ou « consonnance cognitive — d'engendrer un éventail pratiquement infini de
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variantes structurales ; d'autre part l'échange complexe, inconnu, nous dit rondement
l'auteur, en Amérique du Sud indigène. Quant aux systèmes semi-complexes, Hornborg n'en
a apparemment jamais entendu parler, et il n'envisage à aucun moment la possibilité,
pourtant largement débattue par les spécialistes, que les systèmes gê du Brésil central
puissent appartenir à ce type de structures. Même chose pour le type dravidien qu'il
considère, à la suite de Trautmann, comme un simple principe classificatoire originellement
lié au mariage des cousins, et jamais comme un système de parenté sui generis fondé sur la
relation d'alliance. Cette position théorique bâtarde, à mi-chemin de Needham et du
structuralisme, est d'autant plus inconfortable qu'elle ne permet en aucun cas de justifier la
distinction d'une aire de parenté spécifiquement « amazonienne » ; si l'on peut
raisonnablement admettre une certaine unité sud-amérindienne en ce qui concerne les formes
d'organisation sociale et notamment politique, et même légitimement reconnaître l'existence
d'une structure de parenté (au vrai sens du terme) caractéristique d'une majorité de sociétés
selvatiques tropicales, au plan analytique où se situe Hornborg — celui des « principes
classificatoires » — tout ce qui peut être spécifiquement américain est nécessairement
dissous, et il n'y a plus aucune raison dès lors de s'arrêter aux frontières du sous-continent !
Ce livre admirablement édité, attachant par son ambition théorique, son allant et la
modestie de l'auteur, soulève donc bien des problèmes. Ce n'en est pas moins un ouvrage de
référence indispensable pour les américanistes, plus généralement pour tous ceux qui
s'intéressent à la parenté, et un inestimable condensé des nombreux débats relatifs à la
parenté sud-amérindienne.
Anne-Christine Taylor
CNRS, Paris

Harald O. Skar & Frank Salomon, eds., Natives and Neighbors in South America.
Anthropological Essays. Göteborg, Göteborg Etnografiska Museum, 1987, rv + 488 p.,
fig., tabl., cartes (« Etnologiska Studier » 38).

Ce volume réunit des contributions présentées lors d'un séminaire organisé en 1985 par
l'Institut d'Anthropologie sociale de l'Université de Göteborg. Son objectif est d'honorer la
mémoire d'Erland Nordenskiöld, d'illustrer la continuité de la tradition américaniste dont ce
savant est à l'origine, enfin d'offrir aux étudiants Scandinaves un panorama des recherches
actuelles dans ce domaine. Comme la très grande majorité des readers de ce genre, celui-ci
doit le jour à des considérations institutionnelles et à des stratégies de carrière plutôt qu'à
des raisons véritablement scientifiques. De fait, cette publication collective ne se justifie
guère : le seul point commun de l'ensemble, outre un certain optimisme historique, est
d'exposer clairement le contexte de domination coloniale et néo-coloniale dans lequel
s'inscrivent les groupes indigènes étudiés. C'est bien ; mais est-ce assez ? Cela dit, le volume
n'est pas plus mauvais que d'autres si ce n'est qu'il est truffé de coquilles, et il serait sans
doute injuste de lui faire porter le chapeau des aberrations editoriales liées à l'industrie
académique. D'autant que la plupart des contributions sont de bonne qualité, au moins
informatives, parfois neuves et stimulantes.
Après une utile notice biographique et bibliographique consacrée à Nordenskiöld et à
l'Institut de Göteborg, suivie d'une introduction générale, pédagogique sinon originale, de
M. Mörner, le livre se divise en quatre parties. La première, qui porte sur le nord du sous-
continent, comprend un intéressant article de S. E. Isacsson relatif à la manipulation des

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