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vraie et grande victoire de politique intérieure de


Donald Trump. C’est par son ampleur (1 500 milliards
Pas à pas, l'ultradroite américaine fait
de dollars) un choc fiscal sans précédent depuis
avancer son projet plus de trente ans et les mesures alors prises par
PAR FRANÇOIS BONNET
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 21 DÉCEMBRE 2017 l’administration Reagan (lire ici l'article de notre
correspondant Mathieu Magnaudeix). C'est par ses
Donald Trump n’est pas le clown hystérique que
principes – tout pour les entreprises et les riches – une
beaucoup ont voulu voir lors de son élection. En
victoire idéologique de cette ultra-droite américaine
douze mois de pouvoir, il a dans le bruit et la fureur,
décomplexée qui n’a que deux obsessions.
déroulé le programme de l’ultradroite américaine, sur
les fronts intérieurs et extérieurs. Explications. Le première est de démanteler l’État et les politiques
publiques. Dans une tribune au New York Times,
Certains avaient aussitôt voulu le résumer à sa coiffure
Will Wilkinson, un des responsables du Niskanen
en soucoupe volante orange, à ses gesticulations, ses
Center, un centre d’études proche des libertariens,
grossièretés, ses tweets, ses palaces, ses milliards de
mais critique de cette ultradroite républicaine, rappelle
dollars et ses obscénités diverses. C’était une manière
que le sénateur républicain (tendance libertarien et
de se rassurer après le choc que constitua, en novembre
Tea Party) Rand Paul expliquait en 2015 que le
2016, l’élection de Donald Trump au poste de 45e gouvernement était « un diable nécessaire ». « Si vous
président des États-Unis. Un clown à la tête de la êtes taxés à 100 %, alors vous avez 0 % de liberté…
première puissance mondiale, certes, mais un clown. Si vous êtes taxés à 50 %, alors vous êtes moitié libre-
« Clownman », nous assuraient les mêmes, aurait moitié esclave. »
vite fait de rentrer dans le rang : la machinerie L’incessante dénonciation des recettes fiscales de
du Congrès, son gouvernement et les agences de l’État, au nom de la liberté, s’articule à cette deuxième
sécurité américaines allaient méthodiquement raboter obsession : réduire ou éliminer tous les mécanismes
l’histrion. Après le show de téléréalité, qui avait de redistribution, protéger les « makers » – ceux qui
permis à la droite la plus réactionnaire de prendre font et créent – des takers – ceux qui profitent, les «
toutes les rênes du pouvoir fédéral, la saine gestion assistés », dirait Laurent Wauquiez. La liberté pour
conservatrice allait reprendre ses droits. Donald masquer l'individualisme féroce, l'action pour cacher
Trump ne serait qu’exhibé de temps à autre dans l'inégalité organisée : à ces deux piliers s’en ajoute
la vitrine. Il serait le président-chrysanthème chargé un troisième. C’est la protection des intérêts de cette
d’exciter les spectateurs de Fox News et les foules de oligarchie américaine dont Donald Trump est à sa
culs-terreux revanchards. façon un archétype : il sera lui aussi l'un des grands
bénéficiaires de cette réforme fiscale.
Donald Trump l’a donc emporté et il l’a fait en
appliquant un pan important de son programme. Dans
bien d'autres secteurs, il en est de même. Dans le
tumulte permanent, les écrans de fumée Twitter, les
Donald Trump, au Pentagone, le 27 janvier 2017. © Carlos Barria / Reuters
opérations diversion, les cris et la fureur, le 45e
président fait de la politique et déroule les principaux
Au terme de cette première année de pouvoir Trump,
volets de son programme. La réforme fiscale est
il est temps de constater que les tenants de la « thèse
aussi un nouveau clou planté dans le cercueil de
Clownman » se sont lourdement trompés. La réforme
l'Obamacare, cette réforme incomplète mais qui a
fiscale que le président vient de faire adopter au
permis à vingt millions d'Américains d'accéder à un
Congrès – et pas une voix des républicains n’a
système de soins.
manqué au Sénat –, n'est pas seulement la première

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Au début du mois, la Cour suprême a également recettes fiscales. Il est ensuite certain que l’explosion
validé une nouvelle version de son décret anti- des déficits publics provoquée par de telles baisses
immigration, qui interdit automatiquement de visa et d’impôt provoqueront un choc en retour. Lequel ?
d'entrée aux USA les ressortissants de sept pays jugés Bien sûr, la suppression de programmes d’aide et
hostiles aux États-Unis. Il y a une semaine, il volait de redistribution et un affaissement de toutes les
au secours des puissants intérêts des grands acteurs politiques publiques de solidarité.
du Web en soutenant l'abrogation des dispositions Il y a deux mois, le sénateur républicain de l’Arizona
organisant la neutralité du Net. C'est une rupture Jeff Flake renonçait à se représenter et l’expliquait en
historique, la philosophie même d’Internet – l’égalité ces termes: « Je ne peux cautionner le travail de sape
de traitement et d’accès pour tous – qui est ainsi ordinaire de nos idéaux démocratiques, les attaques
balayée, ouvrant la voie à un Internet des puissants et personnelles, les menaces contre nos principes, nos
à un Internet des pauvres. libertés, nos institutions, le mépris flagrant de la vérité
Une multitude d’autres mesures et décisions ont été et de la décence. » Car le Make America Great Again,
prises ces douze derniers mois. Purge au département slogan de campagne de Donald Trump, n’est qu'un
d’État et dans la diplomatie américaine ; rappels à rideau qui cache mal le grand banquet auquel sont
l’ordre réguliers des ministres ; abrogation de mesures invités les plus puissants intérêts privés.
environnementales ; suppression de dispositifs portant Les choix de politique étrangère de Donald Trump
sur le travail, l’éducation, la santé ; bras de fer ont aussi largement favorisé ces mêmes intérêts.
revendiqué avec les agences et services de sécurité. L’Amérique isolationniste et vindicative revendiquée
Et dans le même temps, soutien actif aux géants du
par le 45e président recoupe également les objectifs des
complexe militaro-industriel : la crise organisée avec
pétroliers, des marchands d'armes, de certains milieux
la Corée du Nord offre ainsi l’opportunité de vendre
financiers et industriels.
au Japon et à la Corée du Sud des milliards de dollars
de nouveaux armements... Or, en ce domaine également, Trump a déroulé son
programme jusqu’à la provocation. La dernière est
«Donald Trump préside l’attaque la plus dévastatrice
évidemment la reconnaissance de Jérusalem comme
contre l’État administratif américain que cette nation
capitale d’Israël. Tournant le dos à soixante-dix ans de
n’ait jamais connue », écrit Jon Michaels, professeur
politique américaine, faisant mine de toujours prôner
de droit à la faculté de l’UCLA. « Derrière Trump
une « solution à deux États » dans le conflit israélo-
s’activent les déconstructeurs, animés d’une passion
palestinien alors que tout dit le contraire, le Trump
de la déréglementation. Déréglementation politique
Power se moque des Palestiniens et du monde. Il prend
et administrative. C’est toute la trame institutionnelle
surtout le risque de plonger la région dans un nouveau
de l’État fédéral qui est détricotée, une combinaison
conflit généralisé.
que l’ancien stratège de la Maison Blanche, Steve
Bannon, appelle avec gourmandise la “déconstruction Retrait voulu (même si pas effectif) de l’accord sur
de l'État administratif ”», notait le mois dernier le climat ; retrait de l’accord intervenu après quinze
notre collaborateur Christian Salmon. ans de négociations sur le nucléaire iranien ; retrait
de l’Unesco ; menace de désengagement de l’Otan ;
Un bilan international effrayant éloignement de l’Europe, à travers la mise en scène
La réforme fiscale de Trump va permettre à cette de relations exécrables avec Angela Merkel ; mise
machine idéologique d’accélérer encore. Comme le à mort du traité de libre-échange transatlantique ;
note Greg Kaufmann, chercheur au Center for liens renoués avec les pires dictatures du monde
American Progress, elle est comme un fusil à deux arabe ; refus de toute gestion mutualisée avec les
coups. Il est d’abord probable, estime-t-il, que les autres puissances des crises syrienne ou irakienne ;
États et les villes tailleront à leur tour dans leurs

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volonté réaffirmée de construire un mur à la frontière inquiéter et à juste titre. Non pas à cause d’un Donald
mexicaine ; montée aux extrêmes avec la crise Trump trop souvent décrit comme «imprévisible».
nucléaire nord-coréenne… Mais à cause d'un Trump qui devient un obstacle
majeur dans la préservation des équilibres mondiaux
et qui n’hésite pas à créer de nouvelles fractures, au
Moyen Orient ou en Amérique latine.
La société américaine pourra-t-elle enrayer, par ses
multiples mobilisations, cette marche vers le pire
Le président américain lors de sa visite du porte- et ces bruits de guerre ? Les démocrates, forts
avions Gerald Ford, le 2 mars 2017. © Reuters
de leurs dernières victoires, sauront-ils retrouver
Ce bilan est effrayant, tant il montre la mise en place l’électorat américain lors des élections de mi-mandat,
d’un vrai plan politique visant à faire des États-Unis en novembre 2018, et conquérir le Congrès? Rien
non plus une hyper-puissance se mêlant de la marche n’est moins sûr. À ce jour, seul un dossier menace
du monde dans un cadre multilatéral (l’Amérique véritablement Donald Trump : le « Russiagate » et
de Barack Obama), mais une super-puissance sur- les soupçons de collusion, sur fond d’affairisme et de
militarisée et agressive, menaçant de réduire à néant corruption, avec le régime de Vladimir Poutine (lire
ses ennemis. nos articles Trump et la Russie, notre dossier). Le
Les Européens se sont un temps discrètement félicités procureur Mueller, la justice, les agences américaines,
de ce retrait américain, de cette perte d’influence bref, cette part de l’État américain vilipendé par
et de crédibilité. Ils commencent aujourd'hui à s’en Trump peut trouver là sa revanche. Réponse dans les
prochains mois.

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