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Edition établie et commentée par Jean Leclerc S 2 > BS S mS LANTIQUITE TRAVESTIE : anthologie de poésie burlesque (1644-1658) LL Le Hetero nba Les collections de la République des Lettres Les Presses de ' Université Laval recoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financiére pour l'ensemble de leur programme de publication: Nous reconnaissons l'aide financitre du gouvernement du Canada par Pentremise de son Programme d'aide au développement de l'industrie de lédition (PADIE) pour nos activités ddition. Cet ouvrage a été publié grice 3 une subvention de la Fondation canadienne des sciences humaines, de concert avec le Programme d'aide 4 Pédition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Maquette de couverture: Mariette Montambault Mise en pages : Santo yryo4 ~ ISBN 978-2-7637- 222202222222222 © LES PRESSES DE LUNIVERSITE LAVAL, 2010 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Deépdt légal, 2° trimestre 2010 Les Presses de l'Université Laval Pavillon Maurice-Pollack 2305 rue de l'Université, bureau 3103 Québec (Québec) Canada GIV AG www.pulaval.com ‘TABLE DES MATIERES AVANT-PROPOS LISTE DES ABREVIATIONS INTRODUCTION PROTOCOLE EDITORIAL JEAN-FRANGOIS SARASIN, AVENTURES DE LA SOURIS Nomice TEXTE ANonYME, L’OnrHte GRoTesQue Et SUITTE DE 1’ ORPHEE Norice PREMIERE PARTIE SECONDE PARTIE D.L.B.M., L’HERATO-TECHNIE NOTICE TEXTE Noucuter, Le Jason incoGnito NOTICE TEXTE Jean Du Ten, La norce BurtEsque Norice TEXTE ANONYME, L'ICARE SICILIEN NOTICE TEXTE 23 25 31 39 63 71 79 141 147 169 177 Vill LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) Grorces pe Brépeur, Lucan rravesty NOTICE 235 TEXTE 243 FRrancots CoLLETET, JUVENAL BURLESQUE NOTICE 341 TEXTE 349 ANONYME, La BATRACHOMYOMACHIE NOTICE 395 TEXTE 403 (ANNEXES ‘Lis METAMORPHOSES D’OvIDE, Livre XII, ‘TRADUIT PAR NicoLas RENOUARD 437 La PHarsaLe pe Lucatn, Livee I, TRADUIT PAR GEORGES DE BREBEUF 447 Lis sarvnes De JuvéNat, Sarin [, ‘TRADUITE PAR MICHEL DE MAROLLES 479 VARIANTES ET CORRECTIONS 489 GLossAIRE 493 REPERTOIRE DES EXPRESSIONS S17 INDEX NOMINUM. 523 BIBLIOGRAPHIE, 537 AVANT-PROPOS Cette anthologie de textes burlesques du XVIF siécle entend servir de prolongement et de complément a Pouvrage paru sous le titre L’Antiquité travesti et la vogue di burlesque en France (1643-1661) dans la série « Eudes» des Collections de la République des Lettres aux Presses de PUniversité Laval. Je tiens d’entrée a remercier Thierry Belleguic, Eric Van der Schueren et Sabrina Vervacke d’avoir bien voulu accepter cette anthologie dans la collection quills dirigent et du soutien constant qu’ils ont su manifester & Pégard de mes recherches depuis bientét dix ans. Ce travail d'édition sinscrit directement dans la suite de mes travaux de doctorat et, de fait, a largement profité des judicieux conseils et des remarques éclairantes de mes deux directeurs de thése: Mme Lucie Desjardins et M. Patrick Dandrey, respectivement de l'Université du Québec a Montréal et de Université Paris — Sorbonne. Cette anthologie n’aurait pu voir le jour sans leur généreuse sollicitude. Qu'ils en soient tous deux remerciés chaleureusement. Je souhaite exprimer toute ma gratitude & mon étudiante et assistante de recherche Heather Kirk pour sa précieuse aide dans la transcription de ' Herato-technie et dans la constitution du glossaire. Sa rigoureuse assiduité et sa constante disponibilité ont considérablement accéléré la mise en place de cette anthologie. Mes collégues de l'Université de l'Ontario occidentale ont eux aussi contribué a la réalisation de ce projet, par leurs encouragements, leurs discussions passionnantes et leur patience a égard d’un jeune collégue. Une reconnaissance spéciale va aux participants de Ia journée d’étude Littérature et philologie tenue 4 London en mai 2009, particuliérement messieurs Denis Hiie, Mario Longtin et John Nassichuk, pour leurs questions et leurs conscils sur le glossaire. J’aimerais enfin remercier les deux lecteurs anonymes du Programme d'aide a l'édition savante, qui ont permis l'amélioration considérable du manuscrit initial et l’élimination de nombreuses lacunes par leurs suggestions. LISTE DES ABREVIATIONS CEuvres DE L’ANTHOLOGIE: Souris: Onphée: Suitte: Herato: Jason: Nopee: Tecare: Lucain: Juvénal: Batra: DIcTIONNAIRES, @UVRES Académie: Broissiniére: Catach: Cortgrave: Di Stefano: Jean-Frangois Sarasin, Galanterie 4 une dame & qui on avoit donné en raillant le nom de Souris Anonyme, L’Orphée grotesque, avec le bal rustique en vers burlesques, Premiere partie Anonyme, Suitte de ’Onphée, avec les Bacchantes ou les rudes joueuses en vers burlesques, Seconde partie D.L.B.M., L'Herato-technie ou Lart daimer d'Ovide en vers burlesques Nouguier, Le jason incognito Jean Du Teil, La nopce burlesque, ou Le combat des Centaures et des Lapithes Anonyme, Leave sicilien, ou La cheute de Mazarin, avec sa metamorphose, en vers burlesques Georges de Brébeuf, Lucain travesty, ow Les guerres civiles de César et de Pompée en vers enjouéz Frangois Colletet, Juvénal burlesque Anonyme, La Batrachomyomachie, ou La guerre des grenoiiilles & des rats. Traduite du grec d'Homere en vers burlesques DE REFERENC! Dictionnaire de VAcadémie francaise, 1694 D. de Juigné Broissinigre, Dictionnaire theologique, historique, poetique, cosmographique, et chronologique, 1668 Nina Catach (dir.), Dictionnaire historique de Vorthographe francaise, 1995 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English tongues, 1611 Giuseppe Di Stefano, Dictionnaire des locutions en moyen francais, 1991 Antoine Furetitre, Dictionnaire universel, 1978 Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot. Dictionnaire Latin-Frangais, 2000 T OUVRAG 4 LANTIQUITE TRAVES Godefroy: Greimas MF: Huguet: Lachévre: Leclere: Martin: Ménage: Nédelec: Oudin: Ovide: Renouard: Richelet: Tallemant: Vaugelas: Virgile: E: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) Frédéric Godefroy, Dictionnaire de Vancienne langue frangaise du IX au XV sidcle, 1982 Algirdas Julien Greimas, Dictionnaire du moyen francais. La Renaissance, 1992 Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue francaise du seizieme siecle, 1925-1970 Frédéric Lachévre, Bibliographie des recueils collectifi de potsies publiés de 1597 &@ 1700, 1968 Jean Leclerc, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643-1661), 2008 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société & Paris au XVIT siecle, 1999 Gilles Ménage, Dictionnaire érymologique, ou Origine de la Langue francoise, 1694 Claudine Nédelec, Les états et empires du burlesque, 2004 Antoine Oudin, Curiositez frangoises, 1993 Ovide, Les Metamorphoses, 1961 Philippe Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens, libraires et fondeurs de caracteres en exercice & Paris au XVII sitcte, 1995 Pierre Richelet, Dictionnaire de la langue frangoise, 1728 Gédéon Tallemant des Réaux, Historiettes, 1961 Claude Favre de Vaugelas, Remargues sur la langue francoise, 2000 Virgile, Endide, 1938 INTRODUCTION Lecteur [...], qu’ai-je & faire de re donner un avant-propos, qui me coditerait autanta faire que mon livre? Si tu es de mes amis, tu excuseras ce qui te déplaira. Si tu n’en es pas, tous les avant-propos du monde ne t'empécheraient pas d’exercer ca mauvaise humeur & mes dépens. Je nlen ferai donc point. Mais, 6 sot que je suis! je ne prends pas garde que c’en est déja fait. Oh! que l'impuissance humaine est grande! (...] Adieu done [ briile-le, déchire-le, traite-le avec plus de mépris si tu veux, Il nen sera pour moi ni pis ni mieux’. .], marchande mon livre, achéte-le, paye-le, lis-le, Voila comment Paul Scarron introduisait, en décembre 1648, le troisitme livre de son Virgile travesty, le travestissement en vers burlesques le mieux connu et le plus sollicité par la critique’, Derrigre cette prise de parole désinvolte et cette attitude de distanciation vis-a-vis de son ceuvre se trouvent les fondements d’un pacte de lecture, of le lecteur, une fois averti de son pouvoir A lendroit du livre, sera invité & prendre parti. Devenir un «ami» implique adoption d'une attitude proportionnée A la posture ludique de auteur, enjouée et tolérante face & Pceuvre. A Vinverse, s'il refuse de répondre & cette invitation et s'il préfére aborder Poeuvre avec une attitude critique empreinte de «mauvaise humeur», les écarts de la parodie auront tout lieu de déplaire 4 ce lecteur que Charles Dassoucy qualifiera plus tard de «stotque constipé’». Or avant de prendre parti, le lecteur est en droit de se demander ce qui risque de lui déplaire dans les ceuvres burlesques et quels défauts pourraient avoir besoin d’étre excusés. 1. Paul Searron, Le Vingile ever, 1988, p. 234. 2. Voir par exemple le douzitme chapitre de Gérard Genette, Palimpseites La liténature ae second egy, 1982, p. 64-79, le chapitre sur le burlesque frangais dans Thomas Stauder, Die literarsche Travestie terminologiche sptematik und paradigmatsche Analye (Deutschland, England, Frankreich, lalien), 1993, p. 109-174 ecVarticle d’Antoine Adam, «Note sur le burlesque» 1949, p. 81-91. 3. Crest dans s2 polémique avec Nicolas Boileass que Dassoucy avait aficm: de coucher un fiquin qui rid de toute chose, mais il est bien n aqui ne tid de rice » (Aventures burlequcs de Dassoucy, 1858, p. 275). «Ln ilest bien laisé d’émouvoir un Stotque constipé 6 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) Plusieurs aspects vont s'avérer problématiques, & vrai dire, comme on peut lire dans cette énumération datée de 1653, tirée de lépitre dédicatoire du Voyage de Mercure par Antoine Furetitre et dédiée par dérision «A Personne»: Desja je pense entendre dite Que mon livre fait erop peu rite, Que plusieurs Vers y sone obscurs, Sont mal polis, ou sont op durs, Que la Fable est sans vray semblance, Que jesctis avec negligence, Ex qu’enfin je r’observe pas Les remarques de Vaugelas*, A travers ce passage qui reléve du topos de humilité affectée, Furetitre décline une série de critéres qui servent & évaluer une ceuvre littéraire et qui, dans la société frangaise du milieu du XVII* siécle, illustrent des attentes que la poésie burlesque ne manque pas de décevoir. Dune part, la versification n’est pas aussi limée que le souhaiteraient les partisans de l’école malherbienne. Au contraire, elle se présente obscure et négligée, contenant volontiers des licences, des inversions et des enjambements, voire des vers faux et des rimes faibles, ce qui par ailleurs était plus excusable dans une pigce de mille vers que dans un sonnet. La langue ne sera pas non plus celle «de la plus saine partie de la Cour, conformément a la fagon d'escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps», comme le dis Vaugelas en téte de ses Remarques’, La langue des burlesques se rapproche plutée dune tonalité familiére par 'emploi d’un vocabulaire varié, 4 la fois technique et archaisant, et de fréquentes locutions idiomatiques de la langue courante®. De plus, le sujet du potme s'avére invraisemblable puisqu’il est tiré de la fable antique, cest-a-dire des légendes mythologiques associées au panthéon olympien, auxquelles on ne peut plus adhérer en raison de leur caractére fictif, done faux. Tourner en ridicule le sérieux et la gravité de la fable ancienne reléve toutefois de la gageure: les mythes gréco-latins étant 4 la base non seulement de l'éducation mais aussi de la création tragique et épique. On voit mal comment on pourrait faire rire & partir d'une matiére q enferme autant de pathos et qui inspire 4, Antoine Furetidee, Le voyage de Mercure. Satyre, 1653, [p. ieiiil. 5. Vaugelas, I, § 2-3. Les Remarques de Vaugelas paraissent pour la premigre fois en 1647. 6. Pour une étude de a langue et du style burlesques, voir Francis Bar, Le genre burleique en France au XVIP sidele. Feude de syle, 1960. Vévude de Claudine Nédelec demeure, ce jour, la plus englobante cet [1 micux documentée sur le burlesque de l'époque. Voir aussi les actes de deux colloques: Isabelle Landry et Maurice Ménard (éd.), Burlesque et formes parodigques das la literature et les arts, 1987 & Dominique Bertrand (6d.), Poétiques du burlesque, 1998. INTRODUCTION 7 encore autant de respect. C’est pourtant le pari que soutiennent les auteurs burlesques quand ils font subir une telle désacralisation parodique a ces textes éminemment séricux, tout en adoptant une attitude bouffonne ct irrespectueuse usant d'un humour grossier afin d’amuser un public @honnétes gens. Le traitement stylistique et une posture dévalorisante entrainent ainsi le lecteur dans une sorte de Fronde littéraire contre les Anciens. Dans ce contexte, le burlesque signale un «décrochage’» devant une trop grande implication de la société dans une éthique héroique et généreuse, mais révéle également une réaction contre la normalisation de la langue et des lettres. Ce décrochage a entrainé l'exploration d'un extréme comique et désacralisant, inspiré directement de Rabelais et des conteurs du sigcle précédent transmis par les romans comiques et les ceuvres facétiouses du début du siécle’, Les pottes burlesques s'inscrivent ainsi en contradiction vis-i-vis des tendances académiques du siécle, et préconisent une résistance face & l’épuration linguistique, la trop grande bienséance dans les divertissements et 4 la régularisation d’une poétique fondée sur limitation des Anciens et sur la séparation rationnelle des genres. Leurs ceuvres exhibent donc plus d’un travers a excuser, et trouveraient sans doute de nombreux «malcontens?» si un lien de connivence ne venait solidifier le partage d’une attitude ludique entre 'aureur et le lecteur face a une culture antique partagée. Ce lien de connivence est encouragé par la charge sémantique du mot «burlesque» dans le titre, incitant au rire et avertissant le lecteur qu’il ouvre une ceuvre comique, mais aussi par une dénonciation de la critique réitérée dans plusieurs préfaces et avis aux lecteurs. C’est le cas notamment de lépitre que Cyrano de Bergerac a écrite pour le Jugement de Paris de Charles Dassoucy, intitulée «Au sot lecteur et non au sage». Tour le texte reléve d'une pratique de la pointe et de invective, ce que les premizres lignes suffisent a illustre! 7. Jean Rohou propose cette expression dans un article fondateur: «Les avatars d'une écriture iscordante (1635-1655) », Burlesque et formes paradiques, op. cit. p. 349-365. Sur V'éthique de la générositg, voir aussi Paul Bénichou, Morales du grand sicle, 1948. 8. Pour une analyse des romans comiques du XVII" sigcle, on pourra se référer 4 Pouvrage de Jean Sersoy, Roman et réalité les bistoires comiques an XVI sitcle, 1980. Sur la littérature fucétieuse, voir la bibliographie critique d’Alain Mercier, La littérature facétieuse sous Louis XIM: 1610-1643, 1991 9. Charles Beys offre un précieux témoignage de la réception des ceuvres de Searron dans une Gpltre dédicatoite qu'il li dédie: » Searron, nous esprouvons que les plus grandes choses, / Souffrent le plus souvent de ces Metamorphoses, / Et si ce Travesty trouve des maleontens, / Ils vont contre les Mecurs, la Raison & le Temps » (Euores pottiques, 1651, p. 201). 8 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) Vulgaire n’approche pas de cet ouvrage, cet avis au Lecteur est un chassecoquin, je Taurois escrit en quatre langues si je les avois sceués pour te dire en quatre langues, Monstre sans teste et sans cocur que tu es de toutes les choses du monde la plus abjecte, et que je scrois mesme faché de t'avoir chanté de trop bonnes injures, de peur de te donner du plaisir. Je scay bien que tu l’attens par dépit de donner la torture & cet ‘ouvrage. Mais si tu las payé au Libraire, on ne te permet pas seulement d’en médire, mais encore de t'en chauffer'”. En autorisant la critique aux dépens de l'ceuvre, mais en l'attribuant au «vulgaire» et au «sot lecteur», le préfacier répond par avance & cette critique etavertit le lecteur de ne pas se rendre sot lui-méme. Par la méme occasion, le terme «travesti» joint & la mention du modéle repris — que ce soit Ovide, Virgile, Lucain ou leurs ceuvres ~ invite 4 accepter un déguisement carnavalesque de original, en méme temps que le renversement des codes épiques et une entreprise générale de désacralisation du noble par le rire. Les ceuvres burlesques donnent ainsi a voir une mascarade qui répondra aux exigences festives d’un spectacle, bien ancrée dans la tradition des ballets grotesques dont raffolait la cour de Louis XIII". Cet engouement du sitcle pour I’hétéroclite et I'extravagant a done autorisé pour un temps la grande popularité dont a joui la poésie burlesque, comme on peut le constater au nombre de rééditions du Recueil de quelques vers burlesques de Scarron entre 1643 et 1660". De nombreux auteurs ont profité de cette mode pour publier leur propre recueil, parmi lesquels on rencontre Jean Lore, Jean Du Teil’, Charles Dassoucy"’, et méme le familier de Hotel de Rambouillet, Vincent Voiture, dont les ceuvres posthumes contiennent une section entire consacrée a ses « poésies burlesques'®». Les années 1648 & 1653, marquées par la Fronde, voient déferler sur Paris une vague de vers burlesques sans précédent, ott paraissent 10, Dans Charles Dassoucy, Jugement de Paris en vers burlesques, 1648, [p. vievi] 1. Voir’ ce sujet lechapitre de Margaret McGowan sur les «ballets burlesques» de cour en France 1581-1643, 1978, p. 133-153. 12, Maurice Cauchie a donné un relevé complet des recueils parus du vivant de Scarron dans son dition des Poéses diverses, 1947 et 1960. 13. Voirles Poeses burlesques, contenant plusieurs epistrest divers personnes de la cour, et autres envres en ce genre d’scrire, 1647. 14, Par exemple le Recueil de diverres pitces du sieur Du Teil, consisant en potmes, stances, sonnets, lans Liart du ballet épigrammes, rondeaus, madrigales, avec un traité de rigles de la poisie frangoise, et de la méthode de bien composer des vers sur toutes sortes de sujets, 1653, et le Nouveau recucil de diverses poses, augmenté de plusieurs poémes, stances, sonnets, épignammes, rondeaux, madrigaus, avec un raité des regles de la pote Francoise, & de la methade de bien composer en vers sur toutes sorts de sujets, 1659. 15, Outre les potmes qui suivent son Jugement de Paris et son Ovide en belle humeur, on consultera ses Potties et lettres, contenant diversespitces héroigues,satiriques et burlerques, 1653. 16. Cette section a sans doute &€ désignée par Etienne Martin de Pinchesne, neveu et premier éditeur de Voiture: voir les (Fuvres de Voiture. Lettres et poésies, 1967, t. Il, p. 407-415, INTRODUCTION 9 cote a céte des travestissements d’une aeuvre antique d la maniére du Virgile travesty de Scarron™, et un «déluge» de mazarinades", Il importe de bien distinguer ces deux types de textes burlesques, autane sur le plan quantitatif que sur le plan littéraire. D’abord, il n’y a pas de commune mesure entre la trentaine de travestissements parus entre 1643 et 1661 et les mille pamphlets rattachés au burlesque dénombrés par Hubert Carrier". Les premiers reprennent un extrait d’une oeuvre ou d'une fable antiques, par exemple un livre de l’Enéide de Virgile ou des Métamorphoses & Ovide, tandis que les seconds rapportent en mode trivial un événement de Pactualité, traitent un point de débat sur le plan politique ou se plaisent & attaquer personnellement le ministre pris en haine par la population. Bien que les allusions mythologiques soient fréquentes dans les mazarinades, ces oeuvres ne «travestissent» que rarement une fable ou tune ceuvre antique en entier”. A l’inverse, les travestissements contiennent plusieurs allusions politiques ou historiques, mais ces allusions apparaissent toujours subordonnées au récit central de la fable imitée”', Le travestissement constitue donc un phénoméne de mode littéraire en méme temps qu'une poétique assez homogene de traitement parodique de ses sources Seuls les modéles grecs ou latins les mieux connus ont été travestis, ceux qui appartenaient directement & la culture scolaire, et formaient les lectures de presque tous les adolescents frangais ayant accés & Péducation, que ce soit Virgile, Ovide, Hométe, ou encore Horace, Lucain et Juvénal. Leur imitation était non seulement obligatoire en classe, mais elle offrait aux pottes modemes l'occasion de surpasser le modéle tout en lui restant fidéle, de sorte qu’il puisse revivre sous une plume contemporaine. Dans ce contexte, le « travestissement en vers burlesques» se pose non seulement 17. Le premier livre du Virgile éravesty pacait a Phiver 1648 et les autres se succedent plus ou moins réguligrement jusqu’a la mort de Pauteur en 16605 il n’en était 3 ce moment quiau huititme livre sur douze, Pour des développements supplémentaires sur la «Chronique d'une vogue», voir la premigre partie de Leclere, p. 25-122, Voir aussi Particle de Thomas Stauder, « Le travestissement littéraire en France au XVII* sitcle: procédés et fonctions», Du pastiche, de le parodie et quelques notions connexes, 2004, p. 53-78. 18. Sur cette pratique, on pourra se référer aux travaux de Christian Jouhaud, Mazarinader: la Fronde des mots, 1985 et d’Hubert Carrier, La presse de lt Fronde (1648-1653): les mazarinaddes, 1989 1991 19, Seulement pendant le blocusde Paris, Phiver 1649, plus de sept cent titres portent la mention de «vers burlesques». Voir Hubert Carrien op. cits tL p. 85+ 20. Parmiles textes de la présente anthologie, seul Leave sicilien affiche elairement son inscription dans la politique de la Fronde, 21. Ce sera le cas de plusieurs textes de Panthologie qui se prétent 3 une interprétation politique, dont LOrphée grotesque et sa Suitte, La nopce burlesque ele Lucain travesty, comme on poutra le voir dans les différentes notices. 10 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) comme une pratique intertextuelle située au croisement de l'imitation classique, de la parodie et d’un humour burlesque, mais il met en branle toute une série de questions concernant l'éducation, la religion et la sociabilité, questions qui trouvent des échos dans toute la pensée de age classique. Cette pratique reléve et dénonce les défauts de original selon le prisme des gotits modernes, remet en question la révérence inconditionnée des doctes envers les textes antiques, appelle un mode de divertissement plus adapté aux goiits du jour et libéré de linfluence des Anciens. Sur le plan intertextuel, le travestissement emprunte sa logique et une grande partie de ses processus de réécriture aux «belles infidéles**», ces traductions qui corrigeaient les défauts de original afin de le rendre plus conforme aux gotits du sitcle. Pour que la «belle infidéle» devienne un travestissement, il s'agissait de subvertir vers le trivial la volonté d'une rénovation 2 la moderne par une systématisation des procédés de transposition des réalités antiques, par le déplacement des actions héroiques dans le contexte actuel’, Travestir exige en plus de «traduire en un autre style», cout en gardant le modéle reconnaissable®. Le travestissement se distingue ainsi du burlesque par sa réappropriation d'une matiére antérieure, tandis que le burlesque recouvre d’autres acceptions: un comique bas et plaisant, un style a la fois artificiel et bigarré, une attitude Indique, voire bouffonne’®. Travestir en vers burlesques se pose alors comme l’amalgame d'une reprise textuelle et d’un humour bas, et pourrait se distinguer d’autres «travestissements»: pastoraux, galants, a l'antique, etc. 22. Sur cette pratique de la traduction et son réle dans le développement d'une prose artistique cen France, voir louvrage de Roger Zuber, Ler «belesinfiddes» et la formation du got clasique: Perrot a'Ablancourt et Guez de Balzac, 1995. 23. On observera dans cette anthologie que la transposition des réalités concextuelles dans un ique encore plus opérante que la reprise en style has et artficiel d'une ropique noble ou héroique, caractéristique qui se retrouve seulement dans les textes qui travestissent un modele épique. 24, Selon la woisitme definition du verbe «travestir» par Ancoine Furetitre dans le Divtionnaire immédiat contemporain est une caract universe 25. Dans sa préface au Virgile goguenard, Laurent de Laffemas suggérait: «Je ne doute point, que sion prend le mot de Travestir pour Déguizer, &, & plus forte raison, Déguizer tellement, qu’on ne ppuisse plus rien reconnestre de ce qu’on pense trouver, & que lon veut eonnestre, une Traduction de cette sorte ne soit, impertinente & miserable» (Vingile goguenard ou Le dowsiesme livre de I Eneide travesty , 1652, [p. xvii-xiel). 26, Furetidre donne au mot (Henato v. 1014). 50. «Si que» (Souris. 49, Json ¥. 129, 162 et 477), «du depuis» (Heratov. 347), «un petit» pour un peu (Batra v. 204), «8 celle fin» (Herato v. 588 et 1242), «devant» pour avant (Juvénal v. 731), la contraction «2s» pour en les (Hentto v. 1600 et 1641), «tres tous» et «trds-claire» (Hentéo v. 1866 et 1872), «en aprés» (Herato v. 1933), «prds» au lieu de prés de (Orphee v. 338). 51. Notamment dans le cas des rimes normandes, «l'ai » et «voler » (Ieare v. 189-190). 52. La liste desabréviations mentionne les principaux outils linguistiques dont je me suis servi pour Ia constitution des notes et du glossaire, en donnant la primauté aux ouvrages du XVII sigele afin de comprendre cette langue selon ses observateurs directs. On se reportera ala bibliographie finale pour un recensement plus exhaustif. Les précautions d'usage sont & rappeler ic, & la fois quant aux dates (un mot jugé vieilli par Furetitre en 1690 ne Pest peut-dtre pas encore aux yeux des auteurs de 1650), aux registres (un mot «burlesque» pour Richeler érait peutcétze erbs egalant» en 1648), aux absences (un mot absent des dictionnaires de Pépoque ne permet pas toujours de conclure sil agit d'un archaisme completement oublig, d'un hapax ou d'un néologisme plaisant), etc. 53. Par exemple: «avaler pour descendee (Jaron v.45), «baillee» pour donner (Souris. 8, Henato \: 1314), «bouquin» pour sayre (Orphée v. 179), «buse» pour idiot (Heraro v. 1652), «riser» pour roucher (Orphée v. 294 et 446), «mule» pour pantoufle ou uledze (Herato v. 990 et 1432), « patiners pour earesser (Juvénal v. 255), «poulet» pour lettre Pamour (Souris. 114), «salade» pour easque (Lucain v. 723 et 1465), «violon » pour joucur de violon (Herat v. 1347, Lucain v. 638). 54, Voir slichelrive» (Nopce v. 534), «coquemart» (Lucain v. 3314), «houspillon » (Nopee v. 510), staupen et «masse» (Lcain v. 128 et 135). 18 LANTIQUITE TRAVESTIE: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) vétement’, de la justice® et de la guerre, des savoirs* et de la monnaie®, ou encore les termes de mesure. De tous les registres de langue, le bas et le familier sont le mieux représentés, avec des jurons, des injures, des interjections populaires, ou d'autres termes proscrits dans le langage soutenu®', Mais cette prééminence n’exclut pas l'emploi occasionnel d’un vocabulaire plus chatié, non seulement dans les dédicaces, ot les poétes burlesques ne peuvent se permettre d’étre toujours familiers, mais encore dans le corps des ceuvres. Plusieurs emprunts se lisent aussi dans les textes, & commencer par le latin, les langues vivantes comme italien, Pespagnol et l’allemand, sans oublier certains traits dialectaux’. Les archaismes® et les néologismes“ forment une part importante du style burlesque, comme 55. Comme «bavolet» (Lucain ¥. 1426), «cadenettes» (Nopce ¥. 436, Lucain v. 3156), «grégues» (Suitte¥. 135, learev. 106, Lucain v. 3193), =guimple» (Herato v. 1910), «mandille» (Lucain v. 327 et 1800), shousseau» (Barra v. 514), shongrelinen (Lucair ¥. 3245). 56. Notamment sarrerages » (Herato v. 1406), «adjournement » (Lueain v. 3026), « arrét interlocutoire» (Lueain v.3024), « duplique» (Lucain v. 3028), «forclusion» (Lucain v. 3021) (Lueain ». 3022), «grief» (Lucain v, 3022), «inventaire » (Lucain v. 3027), «pension viagere » (Lucain ¥. 112), erepliquen (Lueain v, 3027). 57. Par exemple: «bourguignoter (Zuetin v. 2188), ecamisade» (Luccin v. 60, 528 et 116) sestramasson YJasor ¥. 21 de Pépitre, Lucan v. 3045). 58. Parmi lesquels on peut citer: «bolus» (Henato v. 672), «canicule» (Ieare v. 9), «catholicon» (Herato ¥. 672), «crocus» (Herato v. 671), «laudanum» (Herato v. 671), «nadir» (Lucain v. 3270), (Lucain v, 538), «teston» Juvénal v. 1100). 60, On reléve dans cette catégorie: «aulne » Jason v. 36, Jusénal s, 134), «bussart» (Nopee v. 628), citron» (Javénal v. 892), «mare» (Jason v. 44), «points» (Nopee v. 100). 61, Par exemple: «allobroge» (Ieare'. 51), «sibon ribaine » (Jeare v. 46), «dondon » (Herato v. 224), (Lueain . 138); les latinismes: «ad patres» (leare v. 29, Juvénal 636), wergo» (Juvénal v. 151 et 159), «pate-nostres» (Juvénal v. 157); ou encore le dialectalisme: «capitou (Lucain v. 950 et 1113). 63. Par exemple le vocabulaire chevaleresque: «escu (Batra v. 420 et 687), «navrer » (Suitte v.65), «marry» (Batra p. 9 de lépitre), soutien (Barna v. 584), «férir» (Batra v. 651), «los» (Baine v. 755); boa nombre d'adverbes, de prépositions et de conjonctions: «ja» (Ieare v. 600), conque» ou cone» salvation» (eare v. 324), «morgoy » (letre v. 520), «ventre, sang, (Batra v. 664, Nepee ¥. 416), «n’en pouvoir mais» (Orphée v. 100); ou d'autres mots considérés viewx cattiffee» (Suitte v.94), «garbe (Lucain v. 2654), emaudisson » (Orphée v. 95), enompateil » (fason \. 369, Nopee v. 709), «peneux» (Barra v. 488), «papagay» (Henato ¥. 464), «soulasy (Basra v. 393), «vis» (Henato v. 1350). 64, Parmi lesquels on peut mentionner: «azinique» (Orphee v. 233), «fréullarde» (Orphée v. 297), cboittassen (Suitte w 101), «bacchantesque (Suitte v. 201), fillage » (Suitte v. 54), «parantage (Herato v. 30), « marquisanerie» (Jason v, 82 de l'épltre), «argonauterie» (Jason v. 240), «argive» Yason v. 474), etrivelinade » (Herato v. 1120), ximmunerable» (Nopce v. 869), «centaurique» (Nopee v. 917), INTRODUCTION 19 Pavaic nové Francis Bar®, ce qui participe a éloigner l'élocution du parler naturel des honnétes gens et a mettre en valeur le cété artificiel de toute création poétique, Certains mots sont tellement inusités & ’époque quiils ne figurent pas dans les ouvrages consultés, a tel point quill est difficile de savoir s'il s'agit d’hapax, de régionalismes ou de formes archaisantes®, Le glossaire en fin de volume fournit done un complément d'information essentiel pour l’éclaircissement de toutes ces difficultés, a la fois historiques et sémantiques, sociolinguistiques et géolinguistiques. Les «proverbes», les locutions idiomatiques et les autres expressions populaires, assez nombreux dans les textes, posent les plus importants problémes de comprehension, et méme de repérage. C’est pourquoi ils sont explicités directement dans les notes, afin d’éviter au lecteur des recherches infructueuses dans un répertoire qui aurait dé multiplier les angles de préhension. Ces proverbes, qui en sont rarement & proprement parler, donnent aux textes une tonalité trés orale, voire populaire, et expriment de nombreuses situations de la vie quotidienne d'une maniére colorée, comme s'enfuir, se méprendre, faire attendre quelqu’un, avoir faim, rater une action, étre surpris, mourir, et enfin ce qu’Antoine Oudin nomme pudiquement «Paction charnelle® », La recension et l'éclaircissement des locutions visent la plus grande exhaustivité, et méme des expressions encore bien comprises de nos jours ont fait objet d'une note afin d’étre accessibles au plus grand nombre de lecteurs. Ultimement, l'appareil critique entourant les locutions et le lexique permertra d’apprécier le travail virtuose des podtes burlesques et de percevoir les effets de comique verbal de ces ceuvres qui visent toujours Pémerveillement du lecteur par la surenchére et l'artifice. Il faut signaler & cet égard le lien qui unit les poésies burlesques a la Comeédie de proverbes, publie pour la premiére fois en 1633 et généralement attribuée au comte sencuirasser» (Laveain v. 2180), ccmaplumnaillé» (care v. 153), «éuillade» (Lucain v. 887), «terminade» (Lucain v. 1064), « teiplique» (Lucain v. 3027), «fagonnerte» (Barre v. 198), «custodinos» (Iearev. 58), harquebuser » (Nopee v. 38), «nubigtne» (Nopee v. 705). 65. Voir surtout les chapitres 8 et 10 de son ouvrages op. city p. 213-235 et 264-301. 66. Par exemple: «cordance (Henito v. 1116), «eseamouflet » (Henato . 1566), «engins gorneaux > (loare v. 228), «vigoin » (Jason v. 245), «terminade » (Lucain v. 1064), «tambourinade» (Lucain ¥. 2172 et 2196), ctaucousse » (Ieare v. 191). 67. Pour les expressions familitres, on retrouve: «bitir des chiteaux en Espagne Jason v. 24, Juvénal x. 758), «faire de Peau toute claire » (Batre v. 942), «compter sans son héte » (Lueain v. 1307), stailler des croupitres» (Batra ¥, 998), «faire le diable & quatre» (Lucain ¥. 144 et 395), « planter pour reverdie» (Lucain v. 2877), «pris sans vert» (Orphée v. 40, Lucaiv v. 1929 et 2182, fuvénal v. 359); pour Senfuir: «faire andre» (Ieare v. 299), «fai gille» (Nopce v. 738, Juvénal v. 282), «faire Jacques desloges» (Ieare. 52), «le chien de Jean de Nivelle » (Hentto v. 1320, juvénalv. 477); et pour les réalités grivoises: «le branle du loup» (Henato v, 1334), «mettre le chat au fromage » (leave v. 662) berger (Henato v. 600), «frotter le lard » (Hentto v. 480) «Pheure du 20 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) de Cramail, Adrien de Monluc®. On compte plusieurs recoupements ou ressemblances entre la pidce et les podmes burlesques, mais aussi quelques divergences notables, comme si les podtes burlesques avaient voulu jouer avec le langage lui-méme autant qu’avec de possibles sources littéraires. Deux autres difficulrés one présidé a P’établissement des notes: les allusions antiques et les renvois.a la réalité du XVIF sidcle. Les poétes burlesques, comme tous les lettrés de Page classique, exhibent une culture antique nourtie par la lecture des pottes, des historiens et des orateurs de l’Antiquité, Leurs ceuvres en portent les traces non seulement dans la connaissance de original quiils traduisent souvent presque a la lettre, mais également dans lesallusionsa la fable, al/histoire oua la philosophie anciennes. Dans bien des cas, une référence & telle ou telle entrée d'un ouvrage mythographique tel que celui de Natale Conti aurait pu suffire & éclairer le lecteur moderne, ou un renvoi a différents recueils de florileges que ces auteurs auraient pu consulter. J'ai coutefois préféré, en me fondant sur Phypothése que les podtes possédaient une connaissance directe des sources antiques, rapporter la référence antique la plus probable, que ce soit Ovide, Homite, Plutarque ou Tite-Live, pour n’en nommer que quelques-uns. On verra, & travers ce substrat culturel, & quel point le travestissement en vers burlesques sollicite des sources variges souvent trés savantes et quil sinscrit dans un contexte oi les références antiques formaient les bases d'une culture partagée autant par les hommes que par les femmes. Mais les pottes burlesques ne se satisfont pas de ces références savantes, et ne travestissent les textes grecs et latins que pour mieux parler de leur propre réalité socioculturelle. Des personnages historiques comme le Grand Condé, Gassion ou Mazarin, viennent jouer leur role auprés de Jupiter, César et Jason. Les lieux mentionnés renvoient a la réalité parisienne ou frangaise du temps, comme le cimetiére des Innocents, le gibet de Montfaucon ou la place de Gréve. De méme, tel événement de la Fronde ne manque pas de figurer dans les aeuvres, que ce soit le blocus de Paris, ’emprisonnement des Princes ou le combat nocturne au restaurant de Renard aux Tuileries. Il é ait donc nécessaire de clarifier toutes ces allusions au contexte historique dans les notes, de méme que les références a la vie littéraire de l’époque. 68. Voir Pédition qu’en donne Michael Kramer, La comédie de proverbes, 2003, particulitrement son introductis p.79-139. Une comparaison systématique, qu'il serait bon d’opérer sur tout le cospus burlesque, permetcrait sans doute de mesurer les emprunts & cette comedie & succes la parc de fidelite cet originalité des burlesques vis-i-vis de ce fonds linguistique auquel ils puisent presque tous 69. Natale Conti, Mythologie ou Explication des fables, Edition nowvelleilluserée de sommaires sur chasque livre et des figures en taille dowce; avec une augmentation de plusieurs belles recherches accommodes au sujet, Le tout recucilly des plus celebres autheurs, & dédié 2 Monseigneur de Canaples, par J. Baudoin, 1627. INTRODUCTION 21 En terminant, il a semblé intéressant de fourniz, en annexe, quelques traductions «sérieuses» des sources latines travesties afin de mesurer la distance qui sépare la traduction du travestissement. Il était impératif de rendre disponible des traductions de I’époque, celles que les pottes burlesques auraient pu consulter de leur vivant. On lira done en fin de volume un extrait du douzitme livre des Mésamorphoses d'Ovide traduites par Nicolas Renouard, racontant le combat des Centaures et des Lapithes, qu'on pourra comparer & La nopce burlesque de Jean Du Teil. Le premier livre de la traduction en alexandrins de la Pharsale de Lucain par Georges de Brébeuf s'est avéré inévitable, dans la mesure ott le méme auteur avait fourni une version sérieuse et une version enjouge du méme texte, ce qui constitue un cas unique dans le corpus burlesque. La traduction de la premitre satire de Juvénal par Michel de Marolles s'est aussi démarquée comme un incontournable, avec ses précicux commentaires, que Colletet dit avoir utilisée pour faire son travestissement. Les contraintes d’espace ont limité & trois les textes en annexe, mais on ne peut qu’inciter le lecteur & consulter simultanément les versions originales dans des éditions modernes. En effet, comme dans toute «relation parodique” », le lecteur doit pouvoir saisir Pécart vis-X-vis d'un état initial pour mieux apprécier Vhabileté du parodiste. Furetitre avait déja bien observé quand il introduisait son propre travestissement du quatriéme livre de ’Endide: «[...] festime que s'il s'y trouve quelque beauté, c'est en conferant la copie a Poriginal”'». Il sera dés lors plus facile d'apprécier toute la beauté de ces ceuvres délaissées depuis trop longtemps, certes, mais aussi de mieux comprendre leur comique fondé sur un processus de désacralisation, lui- méme potentiellement subversif. 70. Jemprunte cette expression & Pouvrage récent de Daniel Sangsue, La relation parodique, 2007. 71. Antoine Furetidre, L'Enéide sraveste. Livre quatriesme contenant les amours d'Enee et de Didon, 1649, [p. i] PROTOCOLE EDITORIAL Conformément a l'usage de la série «Sources» des Collections de la République des Lettres, 'orthographe de Pépoquea été respectée, sauf dans le cas de coquilles évidentes qui sont notées a la fin de 'ouvrage. orthographe des mots et des noms propres n’a pas été uniformisée, et apparait dans toute sa diversité, autant dans utilisation parfois arbitraire des consonnes géminées que dans la morphologie. Lesperluette a été maintenue &, et les elles ont été rajoutées dans le cas des personnifications allégoriques évidentes (I'Amour, la Paix, la Mort), Laccentuation est respectée dans l'ensemble, sauf pour clarifier des homophones (la et 1a, a et &, ou et oi, etc,), et dans le cas des accents aigus fautifs sur le «e», éliminés ou rétablis en accents graves (aprés en majuscules apparaissent telles qu’en Poriginal, mai apres, cét en cet, etc.). Les pluriels des participes passés en «ez» n'ont pas été rétablis en «és». Les apostrophes sont rétablies quand elles manquaient, mai les agglutinations de mots ne sont pas changées ni les emplois du trait @union. Il a aussi fallu marquer la distinction entre I et J, V et U selon Pusage moderne, ajouter les cédilles qui manquaient a la lettre C, résoudre les finales en «us» notées «?», et remplacer le tilde sur les voyelles nasales selon Pusage actuel (4 et 6 deviennent «an» ou «am», «on» ou «om» selon le cas). Litalique ornemental a été enlevé dans les dédicaces, les textes et les priviléges pour ne subsister que dans les emplois stylistiques des textes et aux endroits ott ils marquent une indication de titre. La ponctuation n'a pas été modifiée, sauf en de rares occasions oi elle génait la compréhension et quelle relevait d'une erreur flagrante du typographe. On a alors opté pour la séparation sémantique des phrases selon Pusage moderne, avec une utilisation plus adaptée des points d’interrogation et d’exclamation. Le cas de Herato-technie fait exception de ce point de vue, comme on pourra le voir dans la notice. Les marques typographiques ont été ajoutées pour clarifier les dialogues. Finalement, les chiffres entre barres obliques // indiquent la pagination originale (le chiffre marquant le début de la nouvelle page), les chiffres entre crochets [ ] marquent une pagination qui n’est pas notée sur lédition originale, les chiffres romains en minuscule entre crochets [ ] renvoient a des pages liminaires non paginées dans original. JEAN-FRANGOIS SARASIN - AVENTURES DE LA SOURIS 7 Né a Caen a la fin de 1614, Jean-Frangois Sarasin! faic des études universitaires en droit avant de se rendre a Paris vers 1635, oit il est introduit dans le salon de Mme de Rambouillet. Successivement au service du secrétaire d Etat Chavigny jusqu’en 1644, du futur cardinal de Retz jusqu’en 1648, il vit les remous de la Fronde dans l’entourage du prince de Conti et meurt en décembre 1654 dans des circonstances obscures. Ses principales ceuvres sont 'Histoire du siege de Dunkerque (1649), la Pompe funtbre de Voiture (1649) et Dilot vaincn, on La défaite des bouts-rimés (1654). Ses Euvres, qu'il n'avait pas eu le loisir de faire imprimer avant sa mort, l'ont été par les soins de son ami Gilles Ménage en 1656, préfacé par un long « Discours sur les ceuvres de Monsieur Sarasin» de Paul Pellisson. C’est dans ces ceuvres que parait pour la premiere fois le potme intitulé « Galanterie & une dame 4 qui on avoit donné en raillant le nom de Souris*», vraisemblablement composé entre 1644 et 1648°, Bien avant d’évre imprimées, les poésies de Sarasin étaient connues de ses contemporains, et sétaient attirées de nombreux éloges, notamment de Ia part de Jean-Louis Guez de Balzac dans ses Entretiens, qui qualifie les Aventures de la Souris de «bon burlesque». Ce potme en octosyllabes continue faire les délices des amateurs longtemps aprés la mort de Pauteur, comme en témoigne un passage des Jugemens des savans d’ Adrien Baillet: «Il nlest presque pas possible de se défendre des charmes de sa Souris. (...] Toutes ces Poésies font assés connoitre la délicatesse & la beauté extraordinaire de son génie’», La Souris est une courte pigce de 220 vers qui ne reprend aucune source antique précise, mais raconte les aventures de Cupidon aux prises avec une souris qui ronge les cordes de son arc. Ce conflit dégénére en sitge au moment oit la souris doit se défendre contre 'armée de matous que lui envoient l’Amour et sa mére Vénus. Jupiter lui-méme doit agir en médiateur pour éviter que le monde ne sombre une nouvelle fois dans le chaos, faute 1. On se reportera la notice biographique de Paul Festugitre ainsi qu’ la bibliographie complete de Pauteur dans les Euores de J. Fr Sarasin, 1926, t. 1, p. 1-108. Voir aussi Alain Génetiot, op. ets p. 521-528. 2. Le texte se trouve p. 380-386 du t. I des (Euvres de J. Fr Sarasin (op. cit.) 3. Paul Festugitre affirme: « faicallusion» (bid, «1, p. 380). 4, Apris avoir condamné le burlesque, Balzac émet cette réserve: «En cette generale proscription, je demanderois grace, pour les Avantures de la Souris; pour la Requeste de Scarron au Cardinal, & pour celle des Dictionnaices 4 l Académie» (Jean-Louis Guer de Balzac, Entretiens, 1972, p. 00-501). Ancoine Adam renchérit en proposant que Sarasin «a pourtant, et par hasard, donné au burlesque un tte pice est antérieure 4 Ode a Calliope (septembre 1648), qui y de ses chefs-d'ceuvre. II éerivit pour Mme de Turgis la Galanterie& une dame [...]- Cest une fantaisie «en octosyllabes» (Histoire de la littérature incase au XVIF sitle, 1997, . U1, p. 95, note 1). 5. Adrien Baillet, Jugemens des savans sur les principaux ouurages des auteurs, 1971, t. IV, p. 281 32 LANTIQUITE TRAVESTIE: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) Ayant fait cent mille homicides, Vint apprehendant d'estre pris Se refugier & Paris, 35 Oude crainte que la Justice Ne le fist traisner au supplice, Ce faux rusé se vint aussi Loger proche de la Mercy" Afin que mercy luy fut faite 40 Sil'on decouvroit sa cachette. Dans le logis quil habitoit Une jeune Souris estoit, Qui voyant degourer les fléches Dont il fait de sanglantes bréches i271 45 Au coeur de ceux quill sait domrer, Aussi-tost en voulut tasters Car de ces sortes de viandes Les Souris sont tousjouts friandes: Si qu’a l'instant en tapinois 50 Svestant glissée en son carquois, De ses traits elle fut piquée, Et des vieilles Souris moquée, Dont bien jura de se venger, Et soudain se mit & ronger, 55 Comme une petite perdiie, La corde en l'arc d’Amour tendiie, Er fit tant qu’elle la mangea. Cupidon de corde changea, La Souris sans misericorde 60 Rongea cette seconde corde; Ainsi la Souris & Amour Jouant aux barres* tour & tour, 2. Le couvent de la Merci, autcement « Norte-Dame de la Rédemprion-des-Captifs», étaie sirué sur la rue de Chaume prés de la ruc de Braque 3 Paris. Marie de Médicis y avait accueilli les religieux au début du sitcle. Voir Félix Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monumens, 1844, p. 132. 3. Sur cette locution conjonctive marquant la conséquence, Vaugelasaffirme que «de mode que» et «. D.L.B.M. - LHERATO-TECHNIE 7 la ponctuation, dont le relevé aurait été trop fastidieux. De plus, le texte ne distingue pas systématiquement «de» et «des», ce dont on trouve d’auitres exemples dans la premiére moitié du XVII sidcle", mais «ces petites faites» génent énormément la lecture si elles ne sont pas corrigées: on en trouvera la liste en fin de volume. ‘TABLEAU RECAPITULATIF Préambule et description du projet (1-96). Avertissements et objectifs (97-124). Premiers préceptes (125-264). Les licux favorables aux rencontres: les endroits publics (265-288), les boutiques (289-300), le théitre, avec Penlévement des Sabines (301-348), le cirque (349-412), les entrées ou les triomphes (413-440), le cabaret (441-474). Enseignements pour artiver & plaire: entrée en matiére avec exemples mythologiques (475-572), complicité dela servante (573-592), circonstances favorables (593-666), les expédients financiers (667-734), les lettres (735-860), la tenue et l'apparence (861-918), digression & propos des noces d’Ariane et de Bacchus (919-1158), le vin et la table (1159-1206), les compliments ct les promesses (1207-1298), mise en valeur des talents de l'amoureux, avec le mythe d’Orphée (1299-1542), la force des larmes (1543-1646), artifices et ruses (1647-1706), effets physiques de amour (1707-1836), sur les confidences et la jalousie (1837-1876). Nécessité d’adapter ces legons 4 Phumeur des femmes (1877-1982). Adieux du narrateur (1983-2042). 11. Michael Kramer cite lintroduetion des Pensdes ds solteaire (1630) rite par de Vaulx: «ne te laisse pas surprendre aux endraicts oi tu trouveras des pour dec le conteaire. Ces petites fues eschapent aisément, et je suis eontrainet de Vadvouer que jai esté un peu negligent & les corriger» (Adrien de Moaluc, op. et, p. 305). 82 15 20 25 30 35 40 45 LANTIQUITE TRAVESTIE: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) Faire le joly compliment, Passer pour un parfait amant: Quill lise dans cette escriture, Il verra de la tablature’: Quiil estudie ces legons, Je vous promets jeunes garcons, Et vous engage ma parole, Si vous venez en mon Eschole, Que vous serez en peu de temps Bons a faire passer le temps, A cajoler les Damoiselles, A faire croire de plus belles, Vous deviendrez grands Courtisans, Vous vous rendrez fort complaisans. Mais il faut garder mes preceptes, Mettre en pratique mes receptes, Qu’aucun ne presume de soy, Quiil ait bonne opinion de moy. Sila receu quelque advantage, S'il est de noble parantage, S'il possede bien des escus, I aura bien-tost le dessus. Sgachez que pour un tel affaire", Mon Art vous est tres necessaire, /5/ Pour faire marcher sur des eaux Des grands ou des petits vaisseaux, On use de mille cordages, Il faut Marelots bons & sages, I est besoin d’un gouvernail, Et autre fort grand attirail Pour équipper une Galere, Ce n'est pas un petit affaire: Et tout cela de rien ne sert Sans quelque Patron bien expert. Par tout il faut de l'industrie, 13, «C’est donner des legons. Cette expression est du bas stile» (Richelet). 14, «Ce mor est tousjours feminin & la Cour, 8 dans les bons Autheurs, je ne dis pas seulement modernes, mais anciens, Amyot mesme ne Payant jamais fait que feminin. [...] Il est certain qu’au Palais on 'a wousjours fait masculin jusquiey: mais les jeunes Advocats commencent maintenant 3 le faire feminin » (Vaugelas, p. 246-247). D.L.B.M. - LHERATO-TECHNIE 87 Ce qui vaille le decroter’®. 185 Cen’est qu’au pais de Cocailles*, Oi: du Ciel vont tombant les Cailles, Oi pour se erés bien regaler, On na peine que d’avaler. Tu dois vivre de picorée, 190 Et tentretenir de curée: A Tu dois vivre de larcin, De ton Art & de ton butin, Pour cet effet apprens la voye Pour faire quelque bonne proye. 195 Un Veneur hante les Forests Pour trouver & tendre ses rets, Ul sgait ott Pon doit faire queste Pour faire lever quelque beste, Ou destacher le fort Limier 200 Pour attraper force Gibier. Celuy qui prend a la pipée Les oiseaux, connoist la ramée Qwiils frequentent, ou par appeau Les surprend en beuvant de Peau 205 Le pecheur connoist le rivage Oi plus de poisson vient & nage, Et pour aller de l'eau au vin, Un beuveur sans estre devin Se donne garde qu’on l'attrape, 210 Le choisissant dessus Pestape, Tu dois aussi pareillement T’enquester fort soigneusement Des lieux ott s'assemblent les belles Qui sont les plus propres pour elles 215 Ouse donnent le rendez-vous, La oft se font les meilleurs coups: nal 23. On sait qu’Antoine Furetiére avait employé le méme verbe pour décrire les amours d'Enge et de Didon. La sctne se déroule dans une grotte pendant une tempéte: «Didon estoit toute de fange, / inéeen cut grande pitié / Comme estant de bonne amitig, ! Doucement il leve sa cotte { Ft par charité la decrotw, / D’oi vint (chose bien & notter) / Le proverbe de decrocter» (L-Endide travestie, op. cit p. 31), 24, Cette graphie peu courante de «Cocagn dans les dictionnaires de l'époque. .visblement exigée par la rime, nfest pas autestde 92 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) Ont esté propres pour tes jeux. Le Cirque ne cede au Theatre, 350 Crest le lieu ott 'on void combattre Chevaliers contre Chevaliers, Mais il y a d’autres guerriers. Guertiers a la petite guerre, Lesquels ayant les pieds & terre, 355 Courent la bague du dedans", Et bien souvent mettent dedans. Jestime ce lieu trés commode Pour ton dessein, pour voir la mode, Pour apprendre dix mille tours, 360 Pour descouvrir mille detours La place, pour n’estre fort large, Faira tenir ton coeur au large, ‘Tant plus tu te mettras auprés, Tant plus tu serreras de prés 365 Pour plus presser, dis qu’on te presse Bien que personne ne te presse Ainsi placé, prends un discours Qui vous meine dans les amours. Tu fairas semblant de connoistre 370 Tout ce que tu verras paroistre. Elle dira quel est ce train, Et te voila pour lors en train. /18/ Ailleurs tu peux jotier contre elle Ici tu dois tenir pour elle, 375 Te mettre tousjours de moitié, Si tu vois qu'elle eust parié. Loué ceux qu'elle favorise, Estime tous ceux quelle prise, Parie la perte de ceux 380 Quelle dit estre paresseux. Combien en mettant leurs gageures, 35, «Course de bague, est un exercice de Manege que font les Gentilshommes pour montrer leur adresse, lorsqu/avec une lance en courant 3 toute bride ils emportent une bague suspendué au milieu de la carriere» (Furetidr). II fallaic viser Pintérieur de cet anneau de métal avec la lance, d’ot cet image Equivoque de la pénéteation qui'sjoute Vexpression «du dedans», Pour un complément d'information sur Parc équestre au XVII sidcle, voir Antoine de Pluvinel, Le Mandge royal, 2004, p. 176-177, et 186- 187. D.L.B.M. - LHERATO-TECHNIE 7 L’Autheur de Pamoureuse Histoire Pour se rendre grosse d’un Veau, 520 Se fait couvrir par un Taureau. Elle s'en court par les Campagnes Avec les Vaches ses compagnes, Elle cucille avec un grand soin Pour son amy du meilleur foin. [241 525 Elle voudroit porter des cornes Aussi belles que des Licornes, Er que les ayant sur le front, Minos, en eusse cout l'affront Lors qu'elle void quelque Genisse, 530 — Aussi-tost elle a la jaunisse, Elle s'arrache les cheveux, Et fait en mesme temps des voeux. Et aprés elle se regale, Ayant fait mourir sa rivale, 535. Elle en fait beaucoup retirer, Les fait mettre au joug pour tirer. Elle croit dans sa Phantaisie, Quelle sera changée en Et dans un Ouvrage nouveau, 540 Se fait saillir par le Taureau, Lequel de Minos est compere, Ce que je dis n'est point mystere. Ce nest point du galimatias Pour monstrer que je ne mens pas, 545 La Crete quoy qu’un peu menteuse, Sera le tesmoin de ma geuse®. Je grossirois trop ce discours, Si j'y mettois tous leurs amours, Il me faudroit dire les choses 550 Qui sont dans mes Metamorphoses®, /25/ 47. La aymphe lo, voir plus haut, v. 282. 48, Dédale avait congu la vache de bois dans laquelle Pasiphaé pouvait se cacher pour Saccoupler avec letauceau. Virgile qualifie cet ouweage de « Vener monimenta nefindae» (LVI, v.26): «monument (aduetion d’André Bellessort). 49. Lire «gucwse» il agit toujours de Pasipha. 50. Le traducteur abrége un long passage de Are d‘aimer portant sur des personages qu’ Ovide avait déja décrits dans les Métamorphors. Ce texte passat en effer pour une compilation des amours une passion abominabl 102 LANTIQUITE TRAVESTI INTHOLOGIE DE POFSIE BURLESQUE (1644-1658) Elles naissent quand il leur plaist. On a beau chercher des excuses, 690 Ce nest rien qui ne scait leurs ruses, Elles attirent les Marchands, Que fairez. vous pauvres galans? On deplie la marchandise Devant vous, & puis on Ia prise. 695 On apporte le tresbucher, Vous voila pris au tresbucher. Pour vous obliger davantage De donner vostre argent ou gage, Elles vous fairont les doux yeux 700 Era fin de vous tenir mieux, Vous fairont faire une cedule, Dieux scait comme on ferre la mule®, Si cela vous semble nouveau En voicy d’un autre tonneau. 705 Estant maistresses de leurs larmes Aussi puissantes que leurs charmes: Pleureront quelque faux anneau, Disant que cestoir un joyau, Quelque diamant, quelque escarboucle, 710 Qui s'est destaché d’une boucle, Ou te monstreront le chaton D'or, ou d’argent, ou de laiton, Et en faisant croire leur bourde, Recouvreront leur hapelourde: 715 Elles ne font rien que quester, Prennent de tous sans s'enquester, Et ne reconnoissent personne, Qui veut qu’on preste avant qu'il donne. Si je voulois faire recir, 720 Ou bien vous mettre par escrit /31/ 58. «Cesmots se disent des valets & des servantes, & signifient romper son maitre ou sa maltresse, en {eur disant qu'on a un peu plusacheté les choses qu'ils nous ont donné ordre d’acheter, que véritablement con ne les a achetées» (Richelet). On retrouve tn bel exemple de servante qui ferze la mule» dans ls Ville de Paris en vers burleiques: « Monsieur, prenee vostre éeritoie, / Je veux refaire ce memoite, / Dit clle, cari ne vaut cien, / Faites men un, mais qu'il soit bien, J Afin que jy trauive mon comte, / Prenez, bien garde quil se monte, / Je croy quinze livres dix sols, / Qui sont arrestez au dessous, / Faut quil monte vinge lives seize» (Frangois Berthaud, of. cit, p. 41), D.L.B.M. - LHERATO-TECHNIE 107 Luy parlant en mille fagons, Luy faisant dire des chansons, Ayant quelque conte & lui dire, 860 Lequel aye le mot pour rire. i371 Je veux que tu sois adjuseé Sans beaucoup paroistre affeté”: Je te dispense du martire, Que les Barbiers ou chose pire 865 Font tous les jours souffrir a ceux Qui se font friser leurs cheveux, Ou se relever la moustache, Cest bon pour eux de prendre a tache De se faite rendre beaux fils, 870 Pour toy tu ne vaudra pas pis. Pourveu que tu sois un peu propre, La negligence est plus propre, Thesée sans estre musqué, Ariadne a bien debusqué 875 Hyppolite plein de poussiere Venant de courir sa carriere, Fut cause que par ses attraits, Phaedra luy fit de mauvais traits. ‘Adonis mignon de Cithere 880 Abandonné de pere & mere, N’ayant jamais porté galans, Fut le Roy de tous les galans. Elles auront bien plus d’intrigue Avec un homme de fatigue, 885 Lequel mesme seroit muet Qu avec un parleur trop fluet. /38/ Pour conserver la bonne mine, Ne te charge point de cuisine, Monstre qu’ayant fait des efforts, 890 Tes membres sont devenus forts. Que ton habit soit & la mode, Qui Pest plus propre & plus commode, Et le tirant du cabinet, 67. Sur le doubler affecté-affécé, voir Catach, p. 2 68. «[...] pour dite, quil se euine, qu'il mange son bien » (Puretitxe) 12 LANTIQUITE TRAVESTIE: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) Mais, comme l’un ainsi parloit /44) A cette fille de la sorte De peur, elle cheut demi morte, 1045 Er demeura sans revenir, Ce que Bachus mit & venir. On accourut donc au vin-aigre, ErP'un de cette trouppe alegre En ayant saucé son mouchoir, 1050 La tenant pour garder de choir Luy ayant frotté les narines, La temple” avec les deux bavines’, La remit peu a peu sus bout. Il faut bien que je dise tout, 1055 Quand bien vous ne fairiez que rite, Vous me permettez bien d’escrire Que Silenus en mesme temps Leur fit aussi passer le temps: Car a cause qu'il estoit yvre, 1060 Allant trop viste pour la suivre, Son grison dans un mauvais pas, Cul sur teste” le mit a bas Le nom a resté & la pleine Du tresbuchement de Silene, 1065 Exon luy dressa pour tombeau Une Cave avec un Tonneau. Cependant voicy le Carosse, Que de Tigres au lieu de Rosse, 145) Conduisoient trés superbement 1070 Paré d'un fort bel ornement. Dans le plats fonds estoient bouteilles, Bouteilles grandes a merveilles, Parez, Cervelats gros Jambons, Des Saulcisses & Saulcissons, 1075 Et pendoient a l'Imperiale, Langues de boeuf a la Royale, Les Moissines de deux en deux, 74, Le doublet «temple ou tempe» apparait encore comme un substancifféminin dans le premier dictionnaire de l'Académic. 75. Comprendre «babine 76, «Crest-idire, la renverse, les pigs passant en haut & la téte en bas» (Richelet). BM 1210 1215 1220 1230 1235 1240 - LHERATO-TECHNIE n7 Leloquence sort des bouteilles, Les tis, la joye & les discours, Les plus propres pour les amours. Cest icy mesme que on parle, Sans que bouche ny langue parle, Clignotant quelquesfois des yeux, Leur parler est mysterieux. Avec les doigts par des figures, Par toute sorte de postures, Ici Pon dira mots nouveaux Ici les contes des plus beaux. Icile lieu du badinage Pour bien joiier ton personage, Ici parmi les plats couverts Se peuvent dire mots couverts. Ici les plus douces paroles, Ici les promesses frivoles, [sil Ici sans plus faire le sot, Tu luy dois dire le bon mot. Que tousjours ton ceil la regarde Sans Camuser & la moustarde®, Ici pour estre complaisant, Tache de paroistre plaisant: Qwalle lise sur ton visage, Que ton amour n’est pas trop sage, Mange ce qu'elle aura mordu, Demande lui de son mordu. Fai mille & mille belles choses Imitant les Metamorphoses. Sita belle avoit un mari Tu pourrois estre bien marti: En ce cas Cest chose fort bonne, Lui souhaiter une Couronne, Aussi faut il lui tesmoigner A celle fin de le gaigner. ‘Toute sorte de bien-veillance Pour entrer en son alliance, 88. (taduetion Gaston Bailler), 10 15 20 NouculgR Le Jason incognito (1650) BI A MonsizuR LE MarQuis DE LA CoQue, BARON DE BURLES, & Makquis, mon unique Meecene, Recevez ces Vers pour estreine, Que ma muse en son Orient ‘A composé tout en riant. Plaise 4 vous d’excuser les fautes De ses Burlesques Argonautes, Esprits rudes, gens élevez Dans ’école que vous sgavezs Ergo, novices d'importance En matiere de bien-seance; Puis la guide qui les conduit, N’a pas encor gotité du fruit Qui se cueillit sur le Parnasse: Je prens toutesfois cette audace De mettre au jour ce composé, Et d'un sentiment trop ozé, Le dédier & vostre Hautesse. Vous me direz peut-estre: «Hé! qu’est-ce?» Ce sont accidens ramassez, De bras rompus, de nez cassez, D’estramassons, de couchillades, IAL D’Heroines d’amour malades, Pour leurs déloyaux Paladins; Des Amans graves & badins, Des Infantes portans Couronnes, Et serieuses & bouffonne: De conquestes sans coup ferir, Des Heros defuncts sans mourir; Des Amantes évanoiiye 80 85 90 95 100 105 110 LANTIQUITE TRAVESTIE: ANTHOLOGIE DE POESIE BURLESQUE (1644-1658) Fit certe élection, & coucha dans son roolle, LExacteur du Village, & le Maistre d’Ecole, Laisné du Mareschal, le neveu du Barbier, Le frere du Boucher, le fils du Menestrier, Et de six possedans des qualitez si hautes, En moins d’un tourne-main en fit six Argonautes, Six Chevaliers errans, six Archipaladinss Qui dedans un moment, des souffteurs de boudins, Des vielleurs, d’écorcheurs, des mangeurs de carottes, Se virent transformez en des grands Dom Quixotes. Ce mystere achevé, & dans le port rendus, Sur des chevrons sciez, & des ais refendus, Il batit dans un rien une haute machine, Qui découvroit a plein cette coste voisine, Et faisoit que la Mer dans sa profonde paix, Gemissoit sous le poids de cet horrible faix: Par cette invention si rare & si nouvelle, Premier il viola cette grande Pucelle; Mettant dessus son dos cet inconnu fardeau, Qui prit depuis ce temps le surnom de Vaisseau. Le quinzieme de Mars abandonnant la Plage, Pour faire avec plaisir ce bien-heureux voyage, Tous nos Thessaliens chacun & qui micux micux, /7/ Se pouryeut de ragouts les plus delicieux: Et pour mieux conjurer les vents & les bruines, Frontignac’ prit le soin de jaunir leur quantines. Dieux! comme ils vont contens sur ce doux element! Que Thetis est courtoise, & Neptune clement! Ayant couru six jours dedans cette bonace, Tousjours les mols Zephits les suivans & la trace, Ils découvrent un port de cent tours herissé, De la Mer & des vents en tout temps caressé: Ayant fait prendre langue’, on apprit que cette Isle Reveroit le pouvoir de la Reine Hipsyphile. La par un mal-heureux ou fortuné destin, 8. Furetiére orthographic ce mot «Frontignan », quiil qualfie de « Muscat excellent qui eroit & tire son nom de Frontignan, petite ville du bas Languedoc entre Montpelier & Agde>. "est Senquerie» (Richelet) NOUGUIER - LE JASON INCOGNITO 157 Lors Jason acceptant cette douce semonce, Prenant un doux congé de ce moite Element, Sans plus rien consulter, debarqua promptement: Lon estala bien tost le long de la prairie, 240 Le bagage important de l’Argonauterie, /22/ Que trois Asnes nommez a cet illustre employ, Porterent aisément dans le Palais du Roy. Jason en mesme instant se fit donner la botte, Son pourpoint balafré, ses chausses & culotte, 245 Son vigoin emplumé des queues de Renard, Et rout majescueux (ainsi qu’un Jacquemard”) Senglé (comme un Muler) d’une longue flamberge, Branlant mignonnement dans sa dextre une verge, Suivi de esquadron de ses Advanturiers, 250 Couverts (comme jambons) des bouquets de Lauriers, Entouré d’un grand peuple (3 qui ce beau fantéme De cent songes réver ressembloit l’Epitome) S’achemina dans Colque, oi le Roy le receut, Non comme il meritoit, mais au moins comme il peut; 255 Leprit, & Pécarta dans un coin de la Salle, Luy fit voir Pentreprise & tant d'autres facale, Les dangers evidens qu'il falloit surmonter, Quels Dragons, quels Taureaux il luy falloit dompter, Que I’un rousjours veillant se baignoit au carnage, 260 Qu’on le pouvoit nommer un Diable Antropophage: Que jamais les Taureaux ne donnerent quartier, Er que jamais mortel n’en revint tout entier, Que dans ce champ de Mars tout estoit effroyable. Cependant il disoit, l'on vint couvrir la table, 265 Douze Mores portans des grands bassins couverts, Firent pamer d’effroy ces povres Estrangers: «Qu’est-cecy? dirent-ils, au pais ott nous sommes, (On na jamais plus veu, ni verra de tels hommes! » 1231 Tout estoit de la peur tellement ébloiiy, 270 — Que sans l’odeur des plats tout fut évanoiiy. Dés que l'on eut couvert |’on appella ’Infante, 26. Selon Oudin, un Jacquemard est un

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