Extrait :
Quand une question comme celle qui a récemment agité l’Europe se débat par les armes, il est tout simple que d’autres questions qui ne sont point assurément secondaires, mais avec lesquelles les gouvernements sont plus accoutumés à vivre, s’effacent momentanément, se subordonnent ou se coordonnent au conflit principal. Tant que l’issue de la lutte en Orient a été un problème, il y a eu moins de place pour les affaires d’Italie. La guerre a été conduite avec une hardiesse couronnée par le succès, la paix a été signée avec une modération habile autant que sage, le principe d’un ordre nouveau pour l’Orient a été déposé dans le traité du 30 mars : aujourd’hui les affaires d’Italie restent en vue comme une des difficultés du moment.
Il devait en être ainsi par plusieurs motifs. D’abord ce qu’on nomme la question italienne est, si l’on peut ainsi parler, une question éternelle. Toutes les fois que le continent est ébranlé, le contrecoup se fait sentir au-delà des Alpes. Comme la péninsule est une des pièces faibles de cette machine laborieusement compliquée de l’équilibre européen, les Italiens ne cessent d’espérer que tout effort tenté pour remanier cet équilibre devra tenir compte de leurs aspirations.
Original Title
Affaires d’Italie - La Question Romaine Et Les Cabinets
Extrait :
Quand une question comme celle qui a récemment agité l’Europe se débat par les armes, il est tout simple que d’autres questions qui ne sont point assurément secondaires, mais avec lesquelles les gouvernements sont plus accoutumés à vivre, s’effacent momentanément, se subordonnent ou se coordonnent au conflit principal. Tant que l’issue de la lutte en Orient a été un problème, il y a eu moins de place pour les affaires d’Italie. La guerre a été conduite avec une hardiesse couronnée par le succès, la paix a été signée avec une modération habile autant que sage, le principe d’un ordre nouveau pour l’Orient a été déposé dans le traité du 30 mars : aujourd’hui les affaires d’Italie restent en vue comme une des difficultés du moment.
Il devait en être ainsi par plusieurs motifs. D’abord ce qu’on nomme la question italienne est, si l’on peut ainsi parler, une question éternelle. Toutes les fois que le continent est ébranlé, le contrecoup se fait sentir au-delà des Alpes. Comme la péninsule est une des pièces faibles de cette machine laborieusement compliquée de l’équilibre européen, les Italiens ne cessent d’espérer que tout effort tenté pour remanier cet équilibre devra tenir compte de leurs aspirations.
Extrait :
Quand une question comme celle qui a récemment agité l’Europe se débat par les armes, il est tout simple que d’autres questions qui ne sont point assurément secondaires, mais avec lesquelles les gouvernements sont plus accoutumés à vivre, s’effacent momentanément, se subordonnent ou se coordonnent au conflit principal. Tant que l’issue de la lutte en Orient a été un problème, il y a eu moins de place pour les affaires d’Italie. La guerre a été conduite avec une hardiesse couronnée par le succès, la paix a été signée avec une modération habile autant que sage, le principe d’un ordre nouveau pour l’Orient a été déposé dans le traité du 30 mars : aujourd’hui les affaires d’Italie restent en vue comme une des difficultés du moment.
Il devait en être ainsi par plusieurs motifs. D’abord ce qu’on nomme la question italienne est, si l’on peut ainsi parler, une question éternelle. Toutes les fois que le continent est ébranlé, le contrecoup se fait sentir au-delà des Alpes. Comme la péninsule est une des pièces faibles de cette machine laborieusement compliquée de l’équilibre européen, les Italiens ne cessent d’espérer que tout effort tenté pour remanier cet équilibre devra tenir compte de leurs aspirations.
Quand une question comme celle qui a rcemment agit
lEurope se dbat par les armes, il est tout simple que dautres questions qui ne sont point assurment secondaires, mais avec lesquelles les gouvernements sont plus accoutums vivre, seffacent momentanment, se subordonnent ou se coordonnent au conflit principal. Tant que lissue de la lutte en Orient a t un problme, il y a eu moins de place pour les affaires dItalie. La guerre a t conduite avec une hardiesse couronne par le succs, la paix a t signe avec une modration habile autant que sage, le principe dun ordre nouveau pour lOrient a t dpos dans le trait du 30 mars : aujourdhui les affaires dItalie restent en vue comme une des difficults du moment. Il devait en tre ainsi par plusieurs motifs. Dabord ce quon nomme la question italienne est, si lon peut ainsi parler, une question ternelle. Toutes les fois que le continent est branl, le contrecoup se fait sentir au-del des Alpes. Comme la pninsule est une des pices faibles de cette machine laborieusement complique de lquilibre europen, les Italiens ne cessent desprer que tout effort tent pour remanier cet quilibre devra tenir compte de leurs aspirations. Avec une constance aussi touchante quelle peut tre prilleuse souvent, ils mettent leur foi dans toutes les crises. Ils souffrent aussi plus vivement de leurs blessures, et ils sont dautant plus ports le dire que le monde est plus naturellement dispos les entendre. Dans les circonstances actuelles, cette situation avait un caractre particulier de gravit. Parme, une recrudescence dagitation sest manifeste par des crimes odieux qui ont amen un redoublement de compression et lintervention autrichienne. Naples, la tension dans les moyens de gouvernement devait dnoter une tension dune autre nature dans les esprits, ou elle ntait plus quune rigueur inutile et dangereuse survivant un temps dpreuve. Dans les tats-Romains, linscurit avait pour tmoignage la ncessit dune double occupation trangre. Les raisons du moment ne manquaient donc point pour se tourner vers la pninsule. Enfin il sest trouv un des tats italiens, heureusement affranchi de tout danger intrieur, qui a pu prendre virilement part au dernier conflit de lEurope. Bien que le Pimont net point de relations avec la Russie depuis les rvolutions de 1848, cela ne suffisait point videmment pour lentraner dans une guerre qui
naffectait pas ses intrts. Le Pimont na pu avoir quune
pense, celle daller chercher en Crime laffermissement de sa position dtat libral au-del des Alpes, de prter lautorit dune puissante alliance sa politique, ses vues, ses suggestions relativement lItalie. Pour lui, le prix de la lutte, ctait le droit de se faire entendre sur les affaires italiennes, lventualit dune dlibration europenne sur les conditions de la pninsule, et cest ce qui est arriv en effet. Dans la sance du 8 avril, comme on sait, le congrs de Paris a examin divers points de la situation de la pninsule. Du sein des confrences diplomatiques, la question italienne est passe dans les assembles dlibrantes, dans le parlement anglais, surtout dans le parlement pimontais, o elle a retenti. La cause de lItalie, a dit le prsident du conseil de Turin, M. le comte de Cavour, la cause de lItalie a t porte devant le tribunal de lopinion publique. Effectivement lopinion sest saisie son tour des affaires italiennes, et elle sen est mue comme elle smeut toujours des grandes causes. Or, puisque ce procs sinstruit depuis quelques mois dj, et que les gouvernements nen sont plus sans doute adopter un systme de conduite, ne serait-ce point le moment de rsumer ce dbat, de mettre en prsence les politiques diverses, en cherchant dmler le plus exactement possible le vrai et le faux, ce quon veut faire et ce quon ne veut pas faire ? Et avant daller plus loin, il faut bien le remarquer : il y a aujourdhui, on pourrait le dire, deux questions italiennes. Il y a une question qui est tout entire dans la ralit des choses, qui ne sort point dune sphre dtermine, prenant pour point de dpart des faits constats, des abus ou des erreurs de gouvernement, des faiblesses trop visibles, pour aboutir la recherche damliorations pratiques et directement applicables aux faits eux-mmes. Cest celle qui a t agite dans les confrences diplomatiques. Lorsque M. le comte Walewski, comme prsident du congrs, a voqu les affaires dItalie devant les plnipotentiaires runis, qua-t-il fait ? Il a mis en regard lintrt europen et la situation de divers tats de la pninsule. Il a montr la persistance dun systme excessif dans le royaume des Deux-Siciles et lefficacit quaurait une politique plus douce. Il a rappel ce double fait connu de tout le monde, la prsence des franais Rome et la prsence des Autrichiens dans les Lgations, et il a rendu sensible la
ncessit dune pacification intrieure propre affranchir les
tats de lglise de cette occupation trangre. En un mot, pour les gouvernements, la question italienne a ses conditions naturelles et ses limites. Il y a au contraire, on ne saurait le mconnatre, une autre question italienne, trs vague, trs indfinie, o il y a place pour tous les griefs et toutes les plaintes, qui parcourt pour ainsi dire lchelle de tous les dsirs, de toutes les esprances, et mme des rves les plus chimriques. Pour les uns, cest la destruction ou la transformation de la papaut ; pour dautres, cest lunit de lItalie. Pour ceux-ci, cest la rpublique ; pour ceux-l, cest ltablissement dinstitutions plus modres. Tout se cache sous un seul mot, car si les Italiens sentendent toujours sur certains points, ils sont malheureusement loin dtre daccord sur le genre de soulagement auquel ils aspirent. Il sensuit que la politique europenne, la pense des cabinets et lopinion italienne, ou du moins une certaine opinion active, ardente et vague, ne suivent pas le mme chemin. Il y a videmment quelque invitable malentendu. Si lEurope reste sur son terrain, elle provoque damres dceptions au-del des Alpes ; il en a toujours t ainsi. Si elle accepte la question italienne telle quelle cherche simposer, elle peut compter sur la popularit, il est vrai ; mais aussi elle court le risque, beaucoup plus grand, de compromettre sa scurit et son repos sans savoir o elle va et sans servir les vrais intrts de la pninsule elle-mme. quoi cela tient-il, si ce nest ce mlange dillusions et de besoins lgitimes qui sont lessence des affaires dItalie ? Rien nest plus compliqu assurment que cet ensemble dintrts nationaux, religieux, moraux, politiques, qui se cachent sous ce mot de question italienne. Au fond, la pninsule italique souffre dun mal invtr, il ny a point de doute ce sujet. Elle souffre parce quelle est mcontente delle-mme, ne pouvant atteindre aux destines quelle poursuit. Son mal a un nom bien connu, il ne sappelle pas rellement Pie IX ou Ferdinand II : cest la domination trangre, qui est une maladie de treize sicles, qui a port bien des noms, et qui sappelle aujourdhui lAutriche. LAutriche est au-del des Alpes, cela est vrai, et il serait prfrable coup sr quelle ny ft pas. Les inconvnients de cette situation ne se manifestent pas seulement par le fait de
la prsence de lAutriche Milan et Venise, mais encore par
lobligation o est la domination impriale de stendre au moins moralement, de simposer en quelque sorte aux tats qui lavoisinent, pour les rattacher son systme et les retenir dans son orbite. Les matres de la Lombardie ont mme le malheur de ntre point essentiellement intresss un dveloppement trop sensible des autres tats, parce que la comparaison pourrait devenir un pril de plus. LAutriche ne fait que se dfendre elle-mme quand elle va au secours des gouvernements menacs, et en donnant ce secours elle acquiert un droit de conseil et dintervention. Les Italiens le sentent bien, et dans leurs gouvernements cest lAutriche quils voient contraints de plier sous la force, ils se rejettent dans les conspirations occultes, et ils obligent un peu plus les gouvernements subir lappui de la politique impriale, car, dans cet enchevtrement singulier, si la domination trangre soulve toutes les passions nationales ou rvolutionnaires, la rvolution, son tour, favorise merveilleusement lAutriche. Tout cela est la triste consquence dune situation force. Mais enfin lAutriche a ses possessions en Italie ; le fait existe, il se lie tout un ordre gnral reconnu par tout le monde en Europe, et on nespre point sans doute que les armes impriales cderont le terrain sans combat. Une occasion unique sest offerte en 1848, lorsque les Autrichiens, dans un moment de dtresse, offraient de se retirer de la Lombardie et de faire de Venise une autre Toscane avec un archiduc. On ne sut point saisir la fortune aux cheveux. Aujourdhui, mettre en question la position de lAutriche, ce serait videmment laffaire dune guerre europenne, et sur ce point les Italiens ne peuvent avoir dillusions : lEurope nest point dispose en ce moment pousser ses sympathies pour eux jusqu faire la guerre, ni mme jusqu la laisser natre sans son aveu ou favoriser une agitation et des soulvements qui pourraient y conduire. Les discussions du parlement anglais ne laissent point subsister un doute ce sujet, et lord Palmerston a clairement dsavou la pense dentrer dans aucun projet secret pour rvolutionner lItalie et renverser les gouvernements qui existent dans dautres parties du pays. Les sympathies aussi vives que mrites de lAngleterre pour le Pimont se borneraient le dfendre sil tait attaqu ; elles niraient point jus qu laider entreprendre une croisade
agressive contre un autre tat. Lord Palmerston, transportant
mme un peu ses impressions actuelles aux affaires dautrefois, ne sest point souvenu davoir jamais admis lide dune sparation possible des couronnes de Sicile et de Naples. Que la politique de lAngleterre nait point toujours t ce quelle est en ce moment, peu importe : elle est telle aujourdhui. Et si les cabinets occidentaux ne sont nullement disposs faire la guerre ou se la laisser imposer, serait-il sage, serait-il utile pour lItalie daller au-devant dune crise o elle resterait peut-tre seule en face dun adversaire qui serait assez habile pour dsintresser lEurope, en se laissant attaquer et en ne demandant la victoire aucun profit matriel ? Il y a donc sur ce point dpouiller la question italienne de son enveloppe de mirages pour la replacer sur le terrain o la mise le congrs de Paris. Ramene ces termes, cest une question de progrs intrieur, damliorations pratiques, dadoucissement dans le rgime public des divers pays de la pninsule : question assez grande encore, puisquelle touche notamment aux conditions temporelles du gouvernement du saint-sige, et qui, mme replace sur ce terrain, ne laisse point dtre mlange de beaucoup dillusions, de beaucoup dlments confus. Le gouvernement des tats pontificaux, cela nest point douteux, est vulnrable par un point, celui qui a t signal dans le congrs : son territoire est occup par des troupes trangres, et lon se demande sil peut se passer de cet appui, tant le sol est mouvant et min sous ses pieds. Quelle succession dvnements lont conduit cette extrmit ? Tout y a contribu, principalement les rvolutions. Aprs avoir eu un grand rle, mme comme pouvoir politique, la papaut a perdu insensiblement aux yeux des populations romaines ce souverain prestige et cet avantage plus positif quelle avait autrefois, lorsquelle pesait sur les affaires de lEurope et quelle recevait le tribut de tous les peuples du monde catholique. Restreinte un rle local dans sa partie temporelle, elle sest occupe de vivre par la force dune ancienne impulsion plus que de marcher avec le temps et de se renouveler, quand le rgime administratif et conomique de tous les pays subissait des transformations profondes. Les vieilles traditions du moyen ge se sont longtemps maintenues, les abus de gouvernement ont survcu. Cela tait
peut-tre moins sensible Rome et dans les environs, parce
que lclat et les bienfaits de la papaut rejaillissaient de plus prs sur ces populations, qui navaient point dailleurs connu rellement dautre rgime. Il nen a point t entirement de mme dans les Lgations, qui sont, comme on sait, une des parties principales des tats pontificaux. Dtaches du domaine de lglise par le trait de Tolentino, elles ont fait partie successivement de la rpublique cisalpine et du royaume dItalie. Elles avaient reu le code civil, une administration rgulire et simple, un rgime compltement franais. Elles ne furent rendues au saint-sige quen 1815, cest--dire aprs vingt ans de vie spare, et alors administration franaise, code civil, tout disparut pour faire place la vieille organisation qui renaissait. De l cette fermentation permanente qui sest traduite diverses reprises en soulvement dont les principaux sont ceux de 1831 et de 1843. Fruit du mcontentement caus par la disparition dun rgime civil bienfaisant, alimente dailleurs par les souvenirs par des causes locales, par des habitudes de vie distincte, la rvolution sest cantonne dans la Romagne, do elle a quelquefois menac Rome, mu lItalie, pour ramener toujours les Autrichiens Bologne ; LAutriche rentrait, il y a sept ans, dans les Lgations, o elle est encore, tandis quune arme franaise allait touffer dans son foyer cette phmre rpublique romaine qui ne pouvait rien fonder, mais qui avait le pouvoir de tout branler, et de rendre le bien lui-mme difficile aprs elle. La vritable situation des tats pontificaux trouve son expression dans ce fait dune double occupation trangre qui a presque acquis le caractre de la permanence, et que les gouvernements cependant voudraient faire cesser ; mais, pour y arriver, cest la situation mme quil faudrait changer, en lamliorant, en y introduisant des lments de bien-tre pour les populations, des lments de force pour le gouvernement du saint-sige. Par quels moyens atteindra-t-on ce but ? sera-ce par des rformes politiques portant sur la nature du pouvoir et sur la manire de lexercer ? Cest l, vrai dire, la question de la souverainet temporelle du pape. Si les rformes politiques ont toujours quelque chose de sduisant, si elles sont partout dsirables et utiles, il ne faut point se dissimuler quelles rencontrent des difficults particulires Rome. Le rgne mme de Pie IX en est le plus clatant exemple. Ce rgne a
commenc sous les plus gnreux auspices, avec ces deux
mots : amnistie et rforme ! Nous aurons lamnistie et les chemins de fer, et tout ira bien, disait navement le saint-pre lpoque de son exaltation ; moins de deux ans aprs, il donnait une charte. Ce nest point que la bonne volont ait manqu Pie IX, ce nest point que lamour du peuple ait t absent de ce cur de pontife, et cependant tout a chou. Lorsque lillustre Rossi, aprs avoir us les deux derniers mois de sa vie tenter le bien par des prodiges dactivit, lorsque cet homme nergique et in fortun tombait sanglant sur les marches du premier parlement ou vert Rome, quelle voix slevait contre le crime dans ce parlement ? quelle main se prsentait pour retenir ce gouvernement constitutionnel qui glissait dans le sang ? Il faudrait tre bien sr de soi pour proposer comme un remde le renouvellement dune telle histoire o deux choses sont inscrites, la faiblesse des murs politiques dans les tats-Romains et la puissance corruptrice de la rvolution. Au surplus, indpendamment de cette tragique exprience, cest certainement une trs grande, une trs dlicate question de savoir dans quelle mesure des rformes politiques, selon le sens communment attribu ce mot, sont compatibles avec le caractre spcial et unique dun pouvoir comme la papaut, en qui rsident la fois une autorit religieuse universelle et une autorit temporelle particulire un pays. Le pape nest pas seulement le chef dun petit tat : sil ntait que cela, il ne serait rien ; il est le chef dun grand culte, le reprsentant de la conscience religieuse de tous les peuples catholiques, et cest ce titre quil traite avec les plus grandes puissances sur un pied dgalit, comme sil avait deux cent mille hommes sous les armes, ainsi que le disait le gnral de larme dItalie aprs ses immortelles victoires. Supposez Rome un rgime de reprsentation constitutionnelle, cest--dire un tat rgl par le suffrage, suivant les mobilits de lopinion : les relations des puissances catholiques avec le souverain pontife seront-elles soumises toutes les fluctuations locales de lopinion ? dpendront-elles dune lection romaine qui produira une assemble, laquelle imposera un premier ministre au prince ? Ce souverain constitutionnel sera-t-il oblig de dnoncer une rupture diplomatique, de dclarer mme la guerre un peuple avec lequel le pontife entretiendra chaque jour des rapports
religieux ? Il y a l videmment des consquences, des
miracles de confusion que les chefs des grandes nations catholiques ne peuvent admettre, parce que la papaut nest pas seulement un pouvoir romain, elle appartient tout le monde. Mais, dit-on, puisquil est si difficile de faire vivre ensemble des choses si diverses, de concilier les prrogatives spirituelles du saint-sige et lexercice de lautorit politique qui lui est dvolue, pour quoi ne point recourir un remde radical et simple, la suppression de la souverainet temporelle du pape ? Le remde est plus radical que simple, car aussitt il slve une question bien autrement srieuse : cest celle de lindpendance du souverain pontife, qui nest plus quun mot, quune chimre. Prive de la position temporelle quelle occupe Rome, o ira cette autorit dshrite et errante ? La France ne voudra point quelle se fixe en Autriche ou dans tout autre pays catholique. LAutriche ne voudra point quelle rside en France, et, vrai dire, cela ne serait point trs dsirable. Place en France, la papaut paratrait soumise, ou bien elle se sentirait peut-tre oblige, pour attester son indpendance, de ne pas reculer devant des conflits qui nexistent point aujourdhui. Il est des esprits fconds en expdients qui ont imagin aussitt des combinai sons. Les uns ont plac le saintsige Mayorque, dautres ont propos Jrusalem, la Mayorque, le souverain pontife serait sous la tutelle de lEspagne ; Jrusalem il serait sur le sol ottoman : partout il serait sur un territoire qui a un matre, nulle part il ne serait indpendant. En outre, comment se soutiendra la papaut ? Si les peuples catholiques lui paient un tribut, le souverain pontife sera donc la merci dune majorit politique dans les pays constitutionnels, ou dun chef de gouvernement qui pourra refuser le tribut la premire difficult entre lglise et ltat. Il sensuit que ce remde simple et radical ne remdie rien, il ne fait que rvler la pense de ceux qui linvoquent, pense rvolutionnaire, dont le rsultat est de livrer lautorit religieuse du saint-sige en lui enlevant ce qui assure son indpendance. Tous les peuples catholiques, au contraire, ont intrt ce que le souverain pontife soit indpendant ; pour que cette indpendance soit relle, il faut quelle repose sur une souverainet temporelle, et cette souverainet doit tre Rome par une tradition sculaire, en vertu dun droit consacr
et reconnu, parce quenfin elle ne peut tre ailleurs. Lorsque les
plnipotentiaires du Pimont, mus sans contredit par une pense honorable de conciliation, proposaient rcemment de constituer les Lgations sous une forme semi-indpendante, avec une administration propre, avec une arme nationale, pourquoi na-t-on point admis cette proposition, dont M. de Cavour lui-mme ne se dissimulait pas la dlicate gravit ? Parce quelle ressemblait une atteinte indirecte porte la souverainet temporelle du saint-sige, et que les puissances europennes ne peuvent admettre aucune mesure qui menace directement ou indirectement cette souverainet, dont elles ont besoin pour lindpendance et la scurit de leurs rapports avec la papaut. Cette situation temporelle du saint-sige mise hors de doute, et visiblement atteste une fois de plus par les puissances, il reste des amliorations politiques en un certain sens, si lon veut, mais avant tout administratives et conomiques. Et ici la politique europenne se retrouve en prsence de ses propres traditions, elle est sur un terrain quelle connat, quelle peut valuer, dont elle a elle-mme trac les limites dans un mmorandum prsent il y a vingt-cinq ans dj, en 1831, par les cinq grandes puissances, au pape alors rgnant, Grgoire XVI. Le mmorandum remis le 21 mai 1831 au cardinal Bernetti, secrtaire dtat, indiquait quelques mesures comme pouvant remdier aux abus trop vidents de ladministration romaine. Il signalait notamment ladmissibilit des laques aux fonctions administratives et judiciaires, lapplication gnrale dun systme dinnovations dans la justice et dans ladministration, la cration de municipalits lectives et de conseils provinciaux se combinant avec un conseil suprieur dadministration pris dans le sein des municipalits nouvelles, lorganisation dun tablissement central investi dune indpendance suffisante, et charg, comme cour suprme des comptes, de contrler ladministration financire, de surveiller la dette publique. Les cinq puissances mettaient lavis que les rformes proposes par elles devaient prendre un caractre organique et solennel qui les mit labri de toute abrogation. Ctait tout un programme de gouvernement, on appelait mme cela une re nouvelle selon un mot du cardinal Bernetti. Malheureusement ces principes, dont lapplication et t si utile, ne purent entrer dans lesprit craintif du pontife, prtre
fervent, mais prince faible, et lorsque Grgoire XVI mourut,
ladministration romaine tait encore ce quelle a t pendant longtemps, un mlange dabus et de dsordres difficile dcrire. Quon se reprsente en effet une administration fort complique, o les anciens usages taient fidlement conservs, o toute modification, toute amlioration, ft-elle matrielle, tait vue dassez mauvais il et semblait grosse de dangers. Les affaires taient exclusivement rserves aux prlats, les emplois suprieurs de ltat taient de droit interdits aux laques. Les diffrents pouvoirs taient souvent confondus. Le principe de linfaillibilit pontificale tait appliqu aux questions administratives, et on avait vu la dcision personnelle du souverain rformer des sentences de tribunaux, mme en matire civile ; Il ny avait point de conseil des ministres, tous les pouvoirs taient par le fait dans la main du cardinal secrtaire dtat. Le secret le plus absolu couvrait toutes les oprations financires. Il a mme t reconnu plus tard quil ny avait point rellement de budget, quon oubliait de dresser et de clore les comptes. Les liberts municipales, plus que toutes les autres chres aux populations italiennes, avaient subi des restrictions singulires. En un mot, on vivait, ainsi que nous le disions, dune ancienne impulsion, au milieu dun arbitraire auquel tout le monde participait, les gouvernants et les gouverns eux-mmes. Cest cette situation pleine de troubles et de dangers que le mmorandum de 1831 proposait de remdier. Seulement, quand on parle aujourdhui des tats-Romains, il ne faut point oublier que la situation nest plus la mme. Elle rvle encore sans doute la ncessit de grandes amliorations, et cest ici surtout que lintervention des puissances peut tre utile ; mais elle sest aussi notablement modifie sous le rgne de Pie IX. Les principes proclams par lEurope en 1831 ont t en ralit le programme du nouveau pape son avnement. Ils ont disparu un instant dans la tour mente rvolutionnaire, mais ils sont redevenus beaucoup dgards, on peut le dire, la rgle de conduite du pape au retour de Gate. Ils ont inspir les dits qui se sont succd depuis cette poque, notamment en 1850. Ladmissibilit des laques tous les emplois a t proclame ; une seule fonction a t excepte, celle de secrtaire dtat. lancienne autorit unique et absolue du cardinal secrtaire
dtat a t substitu un ensemble de dpartements
ministriels ayant des fonctions et des attributions distinctes. Un conseil dtat charg de prparer les lois a t cr, et dans ce conseil ont t appels des hommes verss dans les choses administratives, le prince Orsini, le prince Odescalchi, lavocat Halz, le professeur Orioli. Une consulte des finances, compose de membres dsigns par les corps municipaux, a t institue ; elle a voix consultative seulement dans lexamen pralable du budget, ses dcisions nont force de loi que quand il sagit de vrifier lexacte application des rgles poses davance par le budget. Les rformes accomplies jusquici ou tentes par Pie IX peuvent tre ramenes trois ordres de questions : elle touchent lorganisation gnrale de ltat, au systme administratif et judiciaire et aux finances. Voyons rapidement sous ce triple aspect ce quest la ralit et ce qui peut rester faire, ce quil est raisonnable et juste de demander au souverain pontife et ce quon ne peut pas lui demander sans mconnatre entirement les conditions de la papaut. Il est dans lopinion universelle un principe qui domine la question romaine, cest celui de la scularisation. Si on entend par ce mot la sparation complte et radicale des deux autorits, si on veut exclure absolument llment ecclsiastique, effacer tout caractre religieux dans le gouvernement pontifical, il est clair que scularisation veut dire ici rvolution, et quon demande au pape de signer sa propre dchance. Si on entend ladmissibilit des laques tous les emplois, non-seulement cette admissibilit a t proclame, comme nous le disions, mais elle est passe dans la pratique. Pour la premire fois, le gouvernement pontifical a compt des laques parmi les conseillers de lordre le plus lev. Les laques ont t parfois en majorit dans le ministre, ils ont toujours eu quelque reprsentant dans le conseil. La proportion relle entre llment laque et llment ecclsiastique dans ladministration romane est peut-tre un des points sur lesquels rgne le plus pais nuage ; il nest pas moins certain cependant que cette proportion est tout en faveur de llment laque. Le nombre des ecclsiastiques dans les ministres est insignifiant. Les postes o ils sont le plus nombreux sont les postes de judicature dans les tribunaux suprieurs de Rome. Au tribunal de la Signatura ou cour de cassation, il y a 9
ecclsiastiques et 9 laques ; au tribunal de la Rote, qui est la
cour suprieure en matire civile, 12 ecclsiastiques et 7 laques ; au tribunal de la Consulte ou cour suprieure en matire criminelle, 14 ecclsiastiques et 37 laques. Dans les tribunaux des provinces, il ny a point decclsiastiques. Le nombre total des ecclsiastiques qui font partie de ladministration romaine ne slve pas 100, et il naugmente pas, tandis que le nombre des laques sest lev en peu de temps 8,500, et par une singularit assez curieuse, la consulte des finances demande quil soit rduit 6,000. Les prlats, ainsi quon les nomme Rome, occupent, il est vrai, une assez grande place dans ladministration, mais la prlature na point le caractre sacerdotal, elle na que lhabit ecclsiastique. Le comte Spada a t, comme prlat, ministre des armes. Mgr Matteucci, ministre de la police, Mgr Martell, ministre de lintrieur, Mgr Berardi, substitut de la secrtairerie dtat, et bien dautres, qui nont aucun lien ecclsiastique, ne constituent point videmment une caste religieuse parce quils portent luniforme de la prlature, et ils ne seraient pas des administrateurs plus minents parce quils shabilleraient diffremment. Au reste, veut-on savoir quel est le prlvement annuel de la papaut sur les revenus du pays pour le soutien de la dignit pontificale et de cette cour ecclsiastique ? Il est de 600,000 cus romains pour la liste civile du pape, le traitement des cardinaux, des membres du corps diplomatique, et lentretien des muses pontificaux : 3 millions de francs en dfinitive sur un budget total de plus de 70 millions. On peut donc dire que sur ce point de la scularisation et des rformes du rgime ecclsiastique il y aurait faire la part de ce qui est possible, de ce qui est en voie daccomplissement et de ce qui est souvent une exagration fonde sur linconnu. Lorganisation municipale est aussi une des questions que le gouvernement de Pie IX a essay de rsoudre dans ces dernires annes sous lempire dun sage esprit de rforme. Il y a mme cette particularit, que les conseils locaux sont en quelque sorte la source do manent tous les autres pouvoirs aux divers degrs de la hirarchie administrative. La commune est la base de cette organisation, cre par un dit de 1850. Dans chaque localit, il y a un corps lectoral compos des habitants les plus haut taxs, auxquels sont adjoints ceux qui ont acquis des grades suprieurs dans les universits, et ce
corps lectoral nomme directement les conseillers municipaux.
Le conseil municipal fait une liste de candidats parmi lesquels le gouvernement choisit les membres du conseil provincial, et les conseils provinciaux leur tour dsignent de la mme manire au choix du souverain les membres de la consulte dtat pour les finances. Ce nest point la latitude qui manque ces conseils municipaux et provinciaux : ils ont tout pouvoir sur les ressources de la commune et de la province, sans lintervention d aucun reprsentant du gouvernement. Il serait videmment de lintrt de la papaut denraciner ces institutions, qui supplent aux institutions politiques, den assurer lintgrit et lefficacit ; Dans lordre, judiciaire, qui nest pas moins important que lordre administratif, des amliorations srieuses ont t galement accomplies. Les lois civiles et criminelles ont t lobjet dune rvision. Des codes de procdure de commerce, en gnral calqus sur les codes franais, ont t promulgus. Le systme des hypothques est peu prs semblable au ntre. Ce sont les premiers essais dune utile transformation ; mais on ne peut mconnatre que ce ne sont l encore que les premiers pas dans cet pais fourr de la lgislation romaine, dans ce chaos qui a longtemps constitu lordre judiciaire des tats pontificaux. Rome, il y a des tribunaux de toute sorte et un peu sous tous les noms. Ce qui manque, cest une dfinition claire des attributions de chacun de ces tribunaux et des divers degrs de juridiction. Ds quon a mis le pied sur ce malheureux terrain, il est difficile de ne point se heurter quelque question din comptence, quelque exception inattendue. La distinction des causes civiles et ecclsiastiques est surtout une source permanente de difficults. Quune proprit, dans ses transmissions successives, ait appartenu un tablissement religieux, que lune des parties ait t quelque degr de lglise, ou quelle compte parmi ses cranciers un prtre : cela suffit pour que la comptence des tribunaux ecclsiastiques stende sur la cause, et il faut de nouveau entreprendre un voyage travers toutes les juridictions. Le gouvernement nest point seul responsable sans nul doute, et ce nest pas sa faute si les avocats romains sont fort experts trouver des exceptions et soulever des conflits ; mais ce nest point un motif pour leur fournir loccasion dexercer leur habilet, et un peu dordre dans ces matires
serait assurment un grand bienfait et une garantie de paix.
Les finances sont peut-tre une des parties les plus faibles de ladministration romaine. Depuis vingt ans, vrai dire, le budget est en dficit permanent, soit par suite dune insuffisance relle de recettes, soit que certaines dpenses saccroissent trop facilement, soit enfin quil y ait rpartition mal calcule des impts, ou que la gestion des deniers publics nait pas toujours t dune exacte rgularit. Tous les corps publics qui ont eu mettre un avis, tous les hommes qui se sont occups de ces matires Rome ont constat cette plaie. Ils nont point cach que pendant longtemps les chiffres des revenus taient plus apparents que rels, et quil y avait eu de grands abus, abus invitables avec un systme qui ntablissait aucun budget prventif, qui se rsumait dans le rglement des dpenses faites. Un des derniers ministres des finances, M. Angelo Galli, confessait sans dtour dans un de ses rapports la triste situation conomique du pays. Le dficit existait dj lavnement de Pie IX. La rvolution est venue, elle na point guri ce mal profond : elle a laiss ltat mal assur, les moyens productifs diminus, les charges publiques notablement augmentes. Aujourdhui la dette de ltat exige une somme annuelle de 5 millions dcus romains en intrts ; le budget total des dpenses ne slve pas moins de 14 millions dcus ou 75 millions de francs. Comment faire face ces charges, qui nont fait que saccrotre ? On a eu recours quelquefois des emprunts, souvent des impts extraordinaires, particulirement des aggravations des taxes directes. Tous les ans, le pape dtermine la proportion dans laquelle limpt devra tre peru sur la proprit foncire. Autrefois cette proportion tait de 25 pour 100 ; elle sest leve successivement 33 pour 100, et il faut ajouter une surtaxe dun sixime, qui menace de prendre place dans le budget normal. Malheureusement, press par le besoin, le gouvernement romain a fait dans ces dernires annes une opration qui est loin davoir russi. Il a frapp une monnaie de cuivre assez grossire qui lui a procur quelque bnfice, mais qui lui laisse un embarras bien autrement grave, celui dune contrebande considrable sur cette monnaie infrieure. Cette contrebande est dorigine anglaise, et elle se fait par les ctes de lAdriatique ; elle est dautant plus dangereuse, que la monnaie qui entre ainsi est encore suprieure, dit-on, celle
qui est frappe par le gouvernement romain. Impts
extraordinaires, surtaxes foncires, oprations sur les monnaies, ce ne sont l bien clairement que des remdes quelque peu empiriques, qui crent des ressources plus prcaires que sres, plus prilleuses que srieuses. Cependant, quon ne sy mprenne pas, le saint-sige a fait de vritables efforts dune autre nature pour amliorer la situation financire et conomique du pays. Il a cr dabord cette consulte dtat dont nous parlions, sorte dassemble reprsentative qui concourt lexamen de toutes les questions de finances. Lorsque Pie IX revint de Gate, les difficults taient immenses. On sait ce que cotent les rvolutions. La rpublique romaine laissait un papier-monnaie frapp dune dprciation considrable. Le gouvernement pontifical nhsita point reconnatre ces assignats, et il les a fait disparatre de la circulation par un systme de rachat qui na point t sans succs, bien que la somme ft leve et montt sept millions dcus. Aujourdhui les assignats ont disparu. Proccup de la ncessit daccrotre le revenu des contributions indirectes, le cabinet papal a rvis le tarif des douanes, abaiss les droits sur un grand nombre darticles, et il prpare mme, ce quon assure, une nouvelle mesure de ce genre plus gnrale et plus complte. Le systme daffermage des revenus indirects a t aboli. Le gouvernement gre directement la rgie des sels et des tabacs, et il y trouve dj un avantage sensible. La banque romaine qui existait autrefois a t transforme et est devenue la banque des tats pontificaux, qui a tabli des succursales dans les provinces et agrandi le cercle de ses oprations. En un mot, il est certain que le gouvernement pontifical nest point rest inactif pour le bien ; il a montr ce quon navait pas montr jusqu lui dans les tats-Romains, le got des amliorations srieuses. Sil a des lenteurs, des incertitudes, sil ne russit pas toujours, cela tient plusieurs causes dont lune, la premire, est la situation terrible o sest trouve la papaut. Cest luvre des puissances catholiques de fortifier le saintsige contre ses lenteurs ou ses irrsolutions, de lappuyer de leur concours dans ce travail de rparation et de pacification qui a t ds lorigine la politique gnreuse de Pie IX. La scularisation un degr compatible avec le caractre de lautorit pontificale, laffermissement des institutions
municipales, lamlioration progressive du rgime judiciaire, la
transformation de la situation conomique par la svrit introduite et maintenue dans les finances et par le dveloppement des intrts gnraux du pays, tel est le terrain sur lequel lEurope et la papaut peuvent se rencontrer. Il faut y joindre la formation de larme, qui doit hter la fin de loccupation trangre. Chercher aujourdhui imposer autre chose au pape par une pression indclinable, cest livrer la place la rvolution, et la rvolution, cest lennemi pour lEurope, cest lennemi surtout pour lItalie, qui saigne encore des blessures quelle en a reues. Si le saint-sige ntait point ce quil est, cest--dire une puissance tendant son empire sur la conscience de millions dhommes dans les diffrents pays, si le souverain des tats pontificaux ntait pas en mme temps le chef de lglise, on se proccuperait moins de la scurit et des destines de son pouvoir, du calme ou de lagitation des populations romaines ; mais il y a une cause suprieure en jeu : il est impossible de ne point songer aux prils qui natraient dun branlement nouveau, ce que pourrait coter lEurope toute tentative pour modifier lexistence de la papaut temporelle. Les passions religieuses, se mlant aux passions politiques, pourraient devenir la source de terribles et sanglants conflits. Cest ce qui explique le rle que la question romaine et les affaires dItalie ont jou dans le congrs de Paris. De l aussi la proccupation actuelle des cabinets. Il y a ici cependant une distinction faire : toutes les puissances ne sont point galement intresses dans la question, elles ne sont point places au mme point de vue et dans les mmes conditions. LAngleterre est une puissance protestante qui ne sintresse que mdiocrement lexistence de la papaut. LAngleterre au reste ne se mprend pas aujourdhui sur ce qui existe dans les tats-Romains. Si elle lignorait, elle a pu tre instruite ; elle a Rome des agens intelligents, et lord Clarendon, si nous ne nous trompons, na pu que reconnatre rcemment ce qui a t fait par Pie IX, tout en regrettant quon nallt pas plus vite. Pour lAngleterre, il ny a dautre question, vrai dire, que celle de loccupation trangre. LAutriche est une puissance catholique, mais une puissance matresse de la Lombardie, et qui est, si lon nous passe le terme, trop intresse en tout ce qui regarde lItalie. Cest lheureuse fortune de la France dtre
la mieux place peut-tre aujourdhui pour intervenir utilement,
pour appuyer et pour conseiller. Elle na point, comme lAutriche, des intrts propres dfendre au-del des Alpes. Elle nest point, comme lAngleterre, un tat protestant ; elle a t la premire aller rouvrir les portes de Rome Pie IX, et larme quelle a laisse autour du saint-sige ne cote rien au trsor pontifical. Rapproche de lAutriche par la volont commune de maintenir la souverainet temporelle du pape, la France peut agir avec le cabinet de Vienne Rome, de mme quavec lAngleterre elle peut agir Naples, et partout sa politique ne peut qutre une politique de conciliation, de pacification, de rformes justement et sagement librales. Telle apparat aujourdhui, ce nous semble, cette question, qui touche la situation gnrale de lItalie, aux conditions particulires des tats-Romains et la politique des divers cabinets. Il se peut que dans ces termes elle ne comble point toutes les esprances. Elle na point pris le cours quelle aurait pu prendre la faveur dautres vnements. Elle reste pour les tats italiens une question de bon gouvernement intrieur, qui laisse lavenir sous un voile. Il est une chose certaine cependant : cet avenir, lItalie elle-mme peut le prparer en dgageant sa cause des complicits qui la minent. Certes ce ne sont point les dons clatants qui manquent aux Italiens. Leur honneur, leur gloire presque, dirons-nous, est de sentir quils ne sont pas bien et de ne pouvoir tre satisfaits, placs dans des conditions infrieures leur gnie. Leur illusion est de ne point se rendre compte des causes de leur situation, de chercher un soulagement dans des remdes imaginaires qui ne font quaccrotre le mal, de parler sans cesse dunit quand la division est leur plaie, quand ils ne sentendraient pas mme le jour o il faudrait expliquer cette unit ; cest de croire quils tiendront bout de leur destine en sagitant et en agitant, comme le disait rcemment un chef de parti, lorsque lagitation au contraire est leur pige, parce quelle entretient les passions chimriques et dtache de la ralit. Quant au Pimont, son rle ne saurait tre diminu dans les circonstances nouvelles. Seul parmi les tats italiens, il est sorti des preuves passes avec un ordre politique o tous les progrs sont possibles sans trouble et sans pril. Seul aussi parmi les tats de la pninsule, il a pu entrer dans une lutte o sont venues sprouver toutes les forces. Ces deux faits caractrisent en quelque sorte ce
peuple la fois libral et militaire. Sans avoir tendu sa
frontire, ce serait une erreur de croire que le Pimont nait rien gagn dans la guerre laquelle il a pris part ; il y a gagn une gloire qui affermit ses institutions, il y a surtout trouv cet avantage singulier, de pouvoir appeler lattention de lEurope sur la situation de la pninsule. Vraisemblablement le Pimont se proccupait moins des suites pratiques et immdiates de son intervention que du rsultat moral. Ce rsultat est atteint. Le bruit de ses paroles sest rpandu au-del des Alpes ; ses hommes dtat sont populaires en Italie. Le Pimont a sans nul doute sa pense et son but, quil poursuit noblement ; mais le meilleur moyen pour lui datteindre ce but, cest de rester un tat prudent et sens, offrant au-del des Alpes le spectacle dun dveloppement libral rgulier, sappliquant dnouer les questions sans risquer de les trancher, et vitant de passer du camp europen dans un camp o il est souvent plus facile de se laisser entraner que dimposer une direction. Le Pimont a d jusquici sa position en Italie, position qui est toujours alle en grandissant, des traditions propres, une politique saine et par momens vigoureuse, un certain instinct pratique qui la heureusement prserv de beaucoup de chimres. Cest en restant lui-mme quil servira lItalie, non en cdant une impulsion qui lui donnerait plus de popularit bruyante que de force relle, et lentranerait dans un mouvement o il ne serait quun agitateur de plus. Un orateur radical disait rcemment dans le parlement pimontais quau sein du congrs de Paris, outre les plnipotentiaires des sept puissances, il y avait une huitime puissance invisible et planant sur les ngociations : ctait la rvolution. On ne pourrait pas absolument dire le contraire. Il nest point impossible effectivement que la rvolution nait fait cette fois encore les affaires de lItalie comme elle a lhabitude de les faire, en les compromettant, en imposant lEurope plus de circonspection, et en lobligeant montrer assez clairement ce quelle voulait et ce quelle ne voulait pas. Ch. DE MAZADE.