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Modèles et normes pour

les bibliothèques de prison


L
a resocialisation, fonction dé- • ces enseignements seront com-
volue à la prison, défendue par plétés par des activités éducatives,
l’actuelle législation péniten- culturelles et professionnelles.
tiaire espagnole, a été le résultat de Les bibliothèques de prison appa-
courants intellectuels pénalistes nés raissent en tant que soutien aux activi-
Margarita Pérez Pulido au cours du xixe siècle. Aux principes tés éducatives, mais s’enracinent égale-
Faculté de bibliothéconomie de la peine minimale et du respect de ment dans la conviction que la lecture
et de documentation la personne s’ajoute celui d’une mis- en prison contribue au développement
Université de l’Estrémadure sion éducative afin de préparer la réin- de la personnalité du détenu et aide
marga@alcazaba.unex.es tégration du détenu dans la société. à soulager la peine. C’est ce qui a eu
Du point de vue pénitentiaire, la réus- lieu depuis le début du xxe siècle, lors-
Docteur en documentation,
site du projet de resocialisation réside que, partant du caractère instructif et
Margarita Pérez Pulido est professeur
à la faculté de bibliothéconomie et
dans le traitement de la détention, un édifiant de la lecture, on a considéré
de documentation de l’université programme de mise en œuvre à partir cette dernière comme un instrument
d’Estrémadure. Elle est l’auteur de d’un diagnostic établi sur l’adaptabi- commun de réhabilitation.
nombreuses contributions à des lité sociale et la potentialité criminelle Le concept et la fonction de la bi-
ouvrages et à des revues professionnelles, du détenu, basé sur l’étude de la per- bliothèque de prison se développent
notamment sur les bibliothèques de prison. sonnalité de celui-ci et sur sa partici- en ce sens, et peuvent aller au-delà de
pation à des activités socioculturelles, ce que la loi pénitentiaire établit en
de loisir et de travail. principe. L’objectif fondamental d’une
L’éducation et l’instruction en mi- bibliothèque de prison consiste à sa-
lieu pénitentiaire constituent l’un des tisfaire les besoins éducatifs, récréatifs
éléments fondamentaux de la resocia- et informatifs des détenus : la biblio-
lisation. Les principes qui régissent thèque de prison doit servir d’appui à
l’activité éducative dans les centres pé- l’éducation officielle, aux programmes
nitentiaires naissent du droit d’accès de réhabilitation, à l’apprentissage
à la culture et au développement de la indépendant et à l’étude en général,
personnalité du détenu ; ils sont expo- elle doit être un lieu de refuge et d’in-
sés dans les textes constitutionnels, les dépendance, offrir de la lecture et des
normes internationales des Nations activités pour les loisirs, se transfor-
unies et du Conseil de l’Europe. En Es- mer en un centre d’information sur
pagne, la loi organique générale péni- l’extérieur pour la communauté, en un
tentiaire consacre le titre X à l’instruc- centre pour la formation et l’informa-
tion et à l’éducation, et développe son tion du personnel, un service pour la
contenu dans le chapitre III du titre V consultation de documents liés à son
du règlement pénitentiaire. Les prin- travail 1. La bibliothèque de prison est
cipes de base sur lesquels ces textes plus proche, par conséquent, de l’idéal
s’appuient sont les suivants : de bibliothèque publique, même si,
• l’éducation se présente comme
un droit fondamental des détenus ;
• dans chaque centre pénitentiaire 1. Vibeke Lehman, « On demande des
doit exister une école où seront donnés bibliothécaires de prison : une profession
des enseignements conformes à la lé- stimulante pour des personnes ayant les
* Article traduit de l’espagnol par gislation en vigueur en matière d’édu- compétences personnelles et professionnelles
Robert Amutio : « Bibliotecas de prisones : adéquates », in : 65th Ifla Council And General
concepto, modelos y normas », Educación y
cation et de formation professionnelle, Conference, Bangkok, Thaïlande, août 1999.
biblioteca, 2007, no 158, p. 73-81, avec l’aimable et où l’on s’occupera particulièrement En ligne (version anglaise) :
autorisation de l’auteur et de la rédaction. des analphabètes et des jeunes ; www.ifla.org/IV/ifla65/apers/046-132e.htm

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dans notre pays, on lui a traditionnel- Il existe, par conséquent, différen- Dans le cas du deuxième modèle,
lement conféré le rôle d’une bibliothè- tes structures d’organisation selon les le budget est partagé entre les deux
que scolaire. États et les systèmes fédéraux de pri- institutions (State Library Agency et
D’autres bibliothèques

son 2. State Correctional Agency), et la bi-


Dans certains États, par accord bliothèque publique apporte conseil
Modèles d’organisation entre les institutions culturelle (State et service à partir du partenariat entre
Library Agency) et pénitentiaire (State l’Institutional Library Service et le
Il est indéniable que la bibliothè- Correctional Agency), la bibliothèque Correctional Programming. Ce com-
que de prison se conçoit aujourd’hui de prison est constituée comme une promis implique la mise en place d’ac-
comme un service organisé. Cette re- section de bibliothèque publique. L’ob- cords très stricts quant au fonction-
connaissance professionnelle implique jectif fondamental est de dispenser nement de la bibliothèque, ce qui a le
l’intervention de différentes institu- des services de qualité pour satisfaire plus souvent donné lieu à des conflits
tions afin d’en garantir la compétence les besoins en information, en édu- entre les différentes parties et explique
technique et de permettre l’accès des cation et en loisirs des détenus. Dans qu’en réalité il y ait peu d’États qui
détenus à l’information comme s’il cette optique, la bibliothèque publique conservent cette formule.
s’agissait d’individus libres. engage et supervise le personnel de la Le modèle le plus communément
Le modèle organisateur s’établit en bibliothèque de prison ; elle planifie et accepté par le système nord-américain
fonction du niveau d’engagement des coordonne le service bibliothécaire of- des prisons est celui qui présente un
institutions impliquées dans la colla- fert au centre de détention ; elle offre fonctionnement indépendant de la
boration, que celles-ci soient péniten- enfin un certain budget pour l’acquisi- bibliothèque du centre pénitentiaire,
tiaires, éducatives ou appartiennent tion de matériels. De son côté, le cen- considérant la bibliothèque publique
au système de la lecture publique. tre pénitentiaire s’engage à doter la bi- seulement comme une structure de
Comme nous le verrons plus loin, la bliothèque d’espaces et d’équipements consultation par les professionnels en
collaboration avec la bibliothèque pu- suffisants, à créer une bibliothèque charge du service de la bibliothèque de
blique constitue l’un des éléments les conforme à la loi – ce qui est une obli- la prison. L’implantation de ce modèle
plus fermement établis quant à l’orga- gation dans le système pénitentiaire dépend généralement de la direction
nisation des bibliothèques de prison. américain –, et à mettre en place les du centre et doit obligatoirement col-
Par ailleurs, le fait que la bibliothèque éléments indispensables au travail et laborer avec des bibliothécaires profes-
des départements d’éducation dépende à l’acquisition de connaissances dans sionnels.
organiquement des centres péniten- un environnement pénitentiaire. Tout
tiaires n’est pas sans conséquence, ceci se réalise à travers la relation et
posant ainsi souvent des problèmes la coordination entre l’Institutional Modèle britannique
quant aux définitions de ses fonctions Library Service et le Correctional Pro-
et à sa mission propre. C’est pourquoi gramming dont dépend la bibliothè- Le modèle d’organisation britan-
l’indépendance de la bibliothèque par que du centre pénitentiaire. nique (Angleterre et Pays de Galles)
rapport aux programmes éducatifs Selon ce modèle, la bibliothèque est fondé sur la collaboration entre les
du centre pénitentiaire est considérée publique offre trois types possibles de institutions pénitentiaires et celles du
comme fondamentale et, même si service : réseau de lecture publique 3.
elle fait partie de ceux-ci, leur relation • la création dans le centre péni- Le Public Libraries and Museum
doit s’établir dans la collaboration, non tentiaire d’une section où sont propo- Act de 1964 établit déjà le caractère
dans la dépendance administrative. sés tous les services d’une bibliothè- obligatoire d’un service de bibliothè-
Les modèles d’organisation des que, avec des fonds catalogués et mis à que à l’ensemble de la population, en
différents pays étudiés ci-dessous éta- disposition dans une base de données coopération avec les institutions com-
blissent des relations entre les institu- gérée par un professionnel de biblio- pétentes, ce qui conduit les bibliothè-
tions pénitentiaires et les responsables thèque publique (entre vingt et qua- ques publiques à envisager les biblio-
du réseau de lecture publique, à partir rante heures par semaine) ; thèques de prison comme un service
de conventions de collaboration entre • ce que l’on appelle library sta- supplémentaire à gérer.
les diverses structures administratives tion, offrant des services partiels, des Le Home Office, institution ad-
compétentes en la matière. fonds non catalogués ni proposés dans ministrative chargée du service des
une base de données, tenue par des prisons, a publié en 1978 le Library Fa-
prisonniers sous le contrôle d’un pro- cilities for People in Custody, qui établit
Modèle nord-américain fessionnel ; l’obligation de créer une bibliothèque
• des lots de livres non catalogués dans tous les centres pénitentiaires.
Même si les professionnels amé- placés dans une partie de la prison.
ricains ont tenté tout au long des an-
nées d’institutionnaliser un modèle 3. Andrea Johnston, Jackie Byrne, Dorset – the
Inside Story. Prison Libraries in Dorset : a
organisateur commun, cela s’est avéré 2. William J. Coyle, Libraries in Prisons : a Professional Appraisal of Prison Library Services
impossible en raison de la structure Blending of Institutions, New York, Greenwood carried out by Dorset County Library during 1991-
administrative du pays. Press, 1987. 1992, Dorset, County Library, 1992.

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Modèles et normes pour les bibliothèques de prison :

Celle-ci doit faire partie de l’Education La County Library coordonne en la bibliothèque se charge en général
Department et, même si elle est consi- général l’ensemble du service et four- de surveiller, de représenter les inté-
dérée comme indépendante de l’école nit à la bibliothèque un service de rêts du centre et d’assurer la tranquil-
de la prison, elle constitue un solide référence pour les détenus ainsi que lité du bibliothécaire dans l’exercice de
appui pour les enseignants du centre. l’accès au catalogue de la bibliothèque son travail, les détenus de leur côté se
Le document Develop- chargeant des travaux de routine, de la
ments in Prison Service communication entre les bibliothécai-
Education and Training, res et les prisonniers, des opérations
publié en 1990, précise techniques et quotidiennes comme le
que la bibliothèque doit prêt ou le rangement des ouvrages.
contribuer à la forma-
tion et à l’éducation des “Le modèle espagnol En 1994 a eu lieu une restructu-
ration importante dans l’organisation
détenus en collaboration
étroite avec l’école. est semblable à des services pénitentiaires britanni-
ques (Angleterre et Pays de Galles)
Un autre ensem- avec, pour finalité, d’améliorer la coor-
ble de règles apparaît
comme la conséquence
celui des autres pays dination entre les autorités responsa-
bles de l’éducation en prison, même
de ce qui précède : celui,
élaboré en 1981 par la Li-
méditerranéens si c’est un membre du groupe des
services éducatifs qui continue à avoir
brary Association, Prison
Libraries : Guidelines for tels que la France la responsabilité des bibliothèques de
prison.
Library Provision in Pri-
son Department Etablish- et l’Italie, où les
ments, établit la collabora- Modèle espagnol
tion des deux institutions
pour l’organisation des
bibliothèques de Le modèle espagnol est semblable
services et leur adapta-
tion aux conditions spé-
prison dépendent à celui des autres pays méditerranéens
tels que la France et l’Italie, où les bi-
cifiques de la prison.
En conséquence, la des institutions bliothèques de prison dépendent, en
ce qui concerne la gestion et le fonc-

pénitentiaires”
bibliothèque publique lo- tionnement, des institutions péniten-
cale est celle qui est char- tiaires et où des accords de coopéra-
gée d’organiser le service tion de caractère général sont établis
bibliothécaire du centre avec des institutions et des organismes
pénitentiaire le plus pro- publics et privés.
che, sur la base de rela- La collaboration avec la bibliothè-
tions adaptées entre le Home Office publique, le prêt de ses collections, que publique la plus proche du centre
Prison Service et le County Library le catalogage des dons, la possibilité pénitentiaire n’est pas une règle géné-
Service. d’accès à tous les services de la biblio- rale et ne se réalise que dans certains
Le Home Office Prison Service ac- thèque publique, la participation à des cas, par volonté des personnels de
corde un budget prévisionnel annuel activités de diffusion et de formation direction de ces bibliothèques ou du
à la bibliothèque publique sur la base des personnes responsables de la bi- centre pénitentiaire lui-même.
d’une formule créée pour calculer le bliothèque. L’accord de coopération concernant
coût de fonctionnement du service Le personnel de la bibliothèque les bibliothèques, signé en décembre
(document, maintenance, traitement publique établit la politique de service 1983 entre les ministères de la Justice
des documents, services au public, de la bibliothèque, assume la respon- et de la Culture, implique un accrois-
formation). Ce budget augmente an- sabilité des opérations d’investisse- sement de la dotation des bibliothè-
nuellement en proportion du nombre ment et de coordination du service, ques de tous les centres pénitentiaires
de détenus du centre pénitentiaire. De s’occupe de la sélection et des acqui- espagnols ainsi qu’un engagement de
la même manière, il fournit le salaire sitions, de la formation des détenus et coopération en ce qui concerne la ges-
d’un bibliothécaire à temps partiel (de du développement et de la promotion tion de la part des bibliothèques qui
8 à 12 heures par semaine). Celui-ci des services. À l’intérieur de la pri- constituent le réseau de bibliothèques
doit être un bibliothécaire titulaire son, d’un point de vue organique, ce de l’État.
soumis aux conditions de service de personnel dépend de l’Education Of- En vertu de cet accord, il est établi
la bibliothèque publique mais dépen- ficer. De fait, le salaire du personnel que le ministère de la Culture devra
dant, à l’intérieur du centre pénitenti- provient du budget de l’éducation et collaborer avec les centres pénitentiai-
aire, du fonctionnaire de l’éducation, est comptabilisé en heures d’enseigne- res en s’engageant à remplir une mis-
selon le règlement établi par la direc- ment. Le personnel du centre péniten- sion de conseil auprès des personnels
tion du centre. tiaire impliqué dans l’organisation de en charge des bibliothèques, à recevoir

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des statistiques trimestrielles, et éga- bibliothèque la possibilité de se déta- vernement autonome et de chaque
lement à accroître périodiquement les cher organiquement de l’unité pédago- centre pénitentiaire.
fonds documentaires. Pour sa part, le gique et de dépendre directement de
D’autres bibliothèques

ministère de la Justice s’engage à doter la Sous-direction des salaires du centre


en locaux et mobilier toutes les biblio- pénitentiaire en tant que « Coordina- Normes des services
thèques sous sa tutelle, à les pourvoir teur de formation ». Ce changement bibliothécaires
d’un responsable enseignant, à les or- d’organisation a impliqué le recrute-
ganiser selon les normes techniques ment de bibliothécaires professionnels
de prisons
bibliothéconomiques, à encourager dans certaines prisons, même si, dans
leur utilisation parmi les détenus et à la plupart des centres, les responsa- Les justifications techniques et
faciliter les visites des directeurs des bles des bibliothèques demeurent des éthico-politiques, comme les qualifie
bibliothèques publiques. éducateurs. Il a impliqué également Jean-Louis Fabiani 5, de l’organisa-
Depuis cette date, les accords en 2001 l’édition de normes générales tion des bibliothèques de prison, se
initialement établis ont bien été re- de fonctionnement de la bibliothèque, trouvent dans les normes, de carac-
nouvelés, de nouveaux lots de livres même si celles-ci ne se conforment tère national et international, éditées
préparés, des études sur la situation pas à celles qui sont établies par les as- par les associations de bibliothécai-
des bibliothèques de prison réalisées, sociations et les organismes nationaux res. Les règles et les normes pour les
des cours de formation bibliothécono- et internationaux. Avec ce nouveau bibliothèques de prison reflètent les
mique et de promotion de la lecture modèle d’organisation, la bibliothèque modèles d’organisation établis dans
organisés, mais, il faut le noter, d’une acquiert un poids spécifique dans la les différents pays, et la possibilité de
manière globale et irrégulière. structure de l’organisation pénitenti- dotation en personnel, de budget et
La législation pénitentiaire espa- aire et le lien avec l’école s’établit en d’infrastructure en accord avec les re-
gnole prévoit l’existence d’une biblio- termes de coopération et non de dé- lations établies entre les institutions.
thèque dans chaque centre, avec des pendance organique. Elles reflètent également un caractère
salles de lecture suffisantes en rapport En ce qui concerne les organis- pluraliste quant à l’organisation de
avec la structure modulaire, et envi- mes compétents du service de lecture services pour toute la communauté,
sage leur possibilité d’utiliser des livres publique dans les différentes com- en fonction d’un principe fondamen-
fournis par les services de bibliothèque munautés autonomes, l’ensemble de tal, l’accès à l’information et le droit
ambulants mis en place par l’adminis- celles-ci, à partir du développement de tous les détenus à l’information
tration ou par des entités particulières. de leur législation spécifique en ma- et à l’éducation, et font le choix de la
Elle a, de manière traditionnelle, établi tière de culture, prennent en compte qualité, par la nécessité nettement
la dépendance organique de la biblio- l’assistance aux groupes en situation spécifiée de planifier et évaluer les
thèque par rapport à l’unité pédagogi- d’« infériorité ». Toutefois, tandis que services offerts et de réaliser des étu-
que du centre, la bibliothèque restant certaines communautés, comme celles des d’usagers.
liée à l’école, surtout si l’on considère des Asturies, de Castille et Léon et de Frances Kaiser 6 affirme qu’un en-
que le responsable de la bibliothèque Murcia, prévoient à l’intérieur du plan semble de règles contribue à convain-
est un enseignant aidé de détenus. des bibliothèques de la communauté cre les autorités qu’un excellent ser-
Les normes de fonctionnement le développement de bibliothèques vice de bibliothèque est essentiel pour
provenaient des instructions relevant dans les établissements pénitentiaires que les objectifs de l’institution soient
de l’Organisme autonome de travail et de façon spécifique, la majeure partie atteints, que ces règles établissent les
prestations pénitentiaires, et se confor- d’entre elles se contentent de déclara- bases de fonctionnement et servent
maient aux indications de la norme pé- tions d’intentions en affirmant de ma- de critère à l’évaluation du niveau de
nitentiaire en matière de collection, de nière générale qu’elles veilleront à ce qualité de ce service. Dans ce sens,
traitement des documents, d’acquisi- que les services de bibliothèques, dans pour le fonctionnement correct des
tions et de services. Les bibliothèques leur ensemble, puissent s’occuper de bibliothèques dans les différents cen-
de prison n’ont pas pu compter sur un manière appropriée des groupes parti- tres pénitentiaires, il serait nécessaire
budget propre, dans la mesure où elles culiers d’usagers. d’élaborer des règles ou des normes,
sont sous la tutelle de la Direction gé- C’est seulement dans le cas de la en accord avec celles qui existent ac-
nérale des institutions pénitentiaires communauté autonome de Catalo- tuellement, ou, à tout le moins, un
d’une part, et de chaque centre d’autre gne, par décret royal, que se réalise le engagement d’application des nor-
part. transfert de l’État à la Généralité en mes internationales (Ifla) de la part
Cependant, à partir de 1999, une matière d’administration pénitenti-
nouvelle réglementation 4 donne à la aire, transfert qui s’est traduit par une
totale liberté d’action pour la gestion 5. Jean-Louis Fabiani avec la participation
des bibliothèques de la part du gou- de Fabienne Soldini, Lire en prison : une étude
4. Décret royal 1203/1999 du 9 juillet, selon sociologique, Paris, Bibliothèque publique
lequel sont intégrés au corps des professeurs d’information/Centre Pompidou, 1995, p. 50.
les fonctionnaires appartenant au corps des 6. Frances E. Kaiser, « An introduction to
professeurs d’éducation élémentaire des les normes de fonctionnement des unités the International Guidelines for library to
institutions pénitentiaires et sont établies éducatives des établissements. prisoners », Ifla Journal, 19 (1993), 1, p. 69.

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Modèles et normes pour les bibliothèques de prison :

des institutions pénitentiaires espa- Le personnel Le budget


gnoles (nous soulignons le fait que
la Catalogne a élaboré des directives Dans les normes, les aspects En ce qui concerne le budget et le
pour les bibliothèques de prison, qui concernant le personnel se réfèrent au financement, les règles Ifla octroient
s’appliquent dans sa communauté degré de qualification et aux différents au responsable de la bibliothèque la
autonome). niveaux administratifs des personnels même autorité qu’aux autres unités
Les dispositions légales de carac- des bibliothèques, aux responsabilités de l’institution pour planifier et gérer
tère national et international qui régu- liées à ces statuts, le nombre des per- le budget. Ces règles mentionnent
lent les bibliothèques de prison sont sonnels dépendant de l’importance de l’attribution d’un budget régulier et
le point de départ de l’élaboration des la population dont ils s’occupent et des suffisant pour satisfaire les nécessités
normes. Leurs principes se basent heures qu’ils consacrent à ce travail. Il futures du service. Elles établissent
sur : est également fait mention des carac- des minima d’achat de documents et
• le droit des détenus à accéder à téristiques et des compétences que les d’abonnements à des revues et des pé-
l’information à l’intérieur et à l’exté- bibliothécaires doivent avoir, compte riodiques. L’ALA indique, pour le ser-
rieur de leur environnement ; tenu du milieu dans lequel ils vont vice de la bibliothèque, 2 % du budget
• le fait de considérer les biblio- être amenés à travailler et de l’obliga- global du centre.
thèques comme partie du programme tion établie par la loi sur les prisons Dans le contexte anglo-saxon, les
socioculturel du centre pénitentiaire ; d’intégrer des détenus volontaires normes de la LA font référence à un
• le soutien aux activités éduca- dans leur équipe. budget géré par les deux parties, la
tives du centre pénitentiaire, au dé- L’affectation de personnel, selon bibliothèque publique et le centre pé-
veloppement personnel et culturel les normes de l’Ifla, dépendra de la po- nitentiaire, à partir des accords établis
des détenus, à leur formation pour litique pénitentiaire de chaque pays ; en fonction de la population du cen-
l’emploi et à l’occupation de leurs mo- selon les normes ALA (American Li- tre. Comme éléments de ce budget
ments de loisir et de distraction ; brary Association) et LA (Library As- partagé, on trouve ce qui concerne les
• la création d’un modèle d’orga- sociation), elle doit être partagée avec acquisitions et les services, le person-
nisation similaire à celui d’une biblio- la bibliothèque publique. Dans ce cas, nel, l’équipement, les collections pour
thèque publique ; selon les normes de la LA, le person- des minorités ethniques et les tâches
• la nécessité d’évaluer périodi- nel est calculé en fonction des heures techniques ; s’ajoutent également des
quement le service pour vérifier si les hebdomadaires consacrées à la biblio- sommes destinées à l’implantation de
objectifs proposés sont atteints. thèque de prison. Cette durée dépen- nouvelles aires de service.
Parmi les normes existantes, nous dra des heures d’ouverture de la bi-
avons sélectionné les trois plus signi- bliothèque, de la population du centre
ficatives 7 : Library Standards for Adult pénitentiaire, du niveau d’utilisation L’équipement
Correctional Institutions (American de la bibliothèque, de la disponibilité
Library Association), Guidelines for du bibliothécaire professionnel ou des En ce qui concerne l’équipement
Prison Libraries (Library Association), conditions de sécurité du centre pé- et les installations, les normes recom-
Guidelines for Library Services to Pri- nitentiaire. Nous devons prendre en mandent la surface minimale que doit
soners (International Federation of compte le fait que les bibliothécaires occuper l’espace de la bibliothèque et
Library Associations). En 2005 a été sont des employés de la bibliothèque le nombre minimal de postes, en fonc-
publiée la dernière édition de ces nor- publique et partagent leur journée tion des détenus de chaque centre.
mes Ifla, qui comportent d’importan- entre les deux lieux. Toutes ces normes s’accordent à rappe-
tes nouveautés comme l’incorporation Pour les institutions pénitentiaires ler que le local doit remplir des condi-
des technologies de l’information dans qui opèrent dans le secteur privé et en- tions minimales d’habitabilité, très
la gestion et le développement des ser- gagent des bibliothécaires ne dépen- précisément spécifiées, et doit comp-
vices, malgré les problèmes de sécu- dant pas de la bibliothèque publique, ter sur une différenciation d’espaces
rité que suppose cet environnement la LA recommande de calculer les heu- (pour la salle de lecture, les différents
particulier. res de travail selon le tableau qu’elle supports, le bureau du bibliothécaire).
propose. Dans ce cas, les directeurs Il existe également d’autres conditions
des prisons décident du niveau et du particulières prises en compte de ma-
type de personnel pour leur centre en nière générale : accès pour handicapés,
fonction de la sécurité, de l’ordre et de contrôle visuel de toute la bibliothèque
l’organisation et du fonctionnement et des lignes téléphoniques dédiées.
7. American Library Association, Library de la bibliothèque. Ils considèrent Les opérations techniques incluent
Standards for Adult Correctional Institutions, comme essentiel que le professionnel le catalogage, l’indexation et le contrôle
Chicago : ALA, 1992. connaisse l’environnement, se fami- des autorités, l’équipement des docu-
Roy Collis, Liz Boden (eds), Guidelines for liarise avec lui et établisse des rela- ments pour leur mise en circulation et
Prison Libraries, 2e éd., Londres, LA, 1997.
Vibeke Lehman, Joanne Locke, Guidelines for
tions avec d’autres départements de la leur valorisation. L’usage de bases de
Library Services to Prisoners, 3e éd., La Haye, prison données est recommandé.
Ifla, 2005.

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Les collections tionnent la nécessité de se rapprocher Les services
des usagers afin qu’ils connaissent et
Ces trois ensembles de normes utilisent la bibliothèque. Pour cela, Les normes proposent toutes d’of-
D’autres bibliothèques

abordent trois questions fondamenta- on doit créer une série d’outils tels frir des services destinés à être des
les concernant les collections : critères que des bibliographies, des coupures supports aux activités réalisées dans
de sélection, types de documents et vo- de presse, des listes d’acquisition, des les centres pénitentiaires. Elles insis-
lume du fonds. En ce qui concerne les dépliants, ou de l’information dans tent fortement sur l’existence d’un
critères de sélection, toutes les normes d’autres langues. On organisera égale- service d’information et de référence,
considèrent comme nécessaire que la ment des activités telles que des confé- de services spéciaux pour minorités
sélection des fonds soit faite en accord rences, des expositions, des réunions, ethniques, culturelles et victimes de
avec le profil de la population détenue des ateliers ou des séminaires. ségrégation, ainsi que sur l’établisse-
(des nécessités spécifiques liées au ment de réseaux de coo-
monde extérieur, demandes et consul- pération.
tations), la politique d’action du cen- Elles précisent éga-
tre pénitentiaire et les activités qui s’y lement que l’on doit étu-
organisent. Toutes les normes parlent dier de manière régulière
du thème de la censure, celle-ci étant
appliquée seulement pour des raisons “Les normes les besoins des usagers
et établir un programme
de sécurité, selon la LA et l’Ifla, et en
fonction d’un usage excessif de la bi- insistent fortement d’évaluation afin de
connaître l’efficacité et
bliothèque, d’après l’ALA.
En ce qui concerne les documents, sur l’existence d’un l’efficience des services.
Les normes ALA accor-
toutes les règles sont d’accord pour in- dent une plus grande
tégrer tous les types quel que soit leur service d’information importance à cette ques-
support. L’Ifla identifie 22 types de do- tion, spécifiant que l’éva-
cuments distincts qui doivent se trou-
ver dans une bibliothèque de prison (y
et de référence, de luation sera annuelle et
que les résultats devront
compris les documents multimédias
et les logiciels).
services spéciaux être présentés devant la
direction du centre. Elles
En ce qui concerne le volume du
fonds, toutes les normes établissent un
pour minorités mentionnent la nécessité
de réaliser des études de
minimum en général et selon chaque
type de document. Les normes de l’Ifla ethniques, culturelles publics pour déterminer
la politique du service en
sont celles qui envisagent le plus grand
volume de fonds. Les préconisations et victimes de fonction de leurs intérêts.
Un autre aspect fon-
de la LA sont beaucoup plus précises damental à analyser, à
sur ce sujet, puisqu’elles spécifient des
pourcentages pour le renouvellement
ségrégation, ainsi que cause des difficultés qu’il
présente dans les centres
du fonds (15 % du fonds annuel et,
dans des petits centres, 25 % annuel-
sur l’établissement pénitentiaires, concerne
l’accès à la bibliothè-
lement) et un accroissement annuel
du fonds (25 % dans le cas où il s’agit
de réseaux de que et aux collections,
question qui préoccupe
d’une bibliothèque modulaire) ; elles
considèrent les donations et le prêt coopération” particulièrement la LA.
Ces normes établissent
interbibliothèque comme un complé- un nombre de jours et
ment de la collection. d’heures d’ouverture par
Pour l’accès au fonds, on recom- semaine pour que les dé-
mande l’emploi des catalogues et des tenus puissent accéder à
systèmes automatisés. Les normes de Les normes ALA partagent cette la bibliothèque, en fonction de certains
la LA considèrent comme minimum position en insistant sur l’importance critères : population, superficie de la
nécessaire une liste avec une informa- qui doit être accordée à la communi- bibliothèque, durée du séjour au cours
tion bibliographique suffisante et di- cation. Pour la LA, l’une des questions de chaque visite (20 minutes), nombre
verses entrées (auteur, titre, matière). les plus importantes, par rapport à la de visites permises par semaine, em-
Toutes les règles s’accordent pour que promotion, est liée à la signalisation : ploi de la salle d’études et de lecture de
soient offertes d’autres possibilités dimensions, style, couleur des pan- presse, heures de présence du biblio-
d’accès à la collection, par exemple les neaux, contenu des messages. Les thécaire professionnel.
chariots, la distribution de listes de détenus doivent obligatoirement dis- Enfin, l’Ifla introduit un nouvel ar-
documents ou la création de bibliothè- poser d’un guide proposant de l’infor- ticle consacré à la technologie comme
ques modulaires. Les règles Ifla men- mation générale sur la bibliothèque. mode d’accès à l’information, à la ges-

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Paris, t. 53, no 5
Modèles et normes pour les bibliothèques de prison :

tion des services, à la réalisation d’acti- bliothèque publique la plus proche du remettre périodiquement des statisti-
vités de type culturel, éducatif et de loi- centre de détention. ques à cette dernière.
sir, dans les conditions décidées par le Prenons le cas de la communauté De leur côté, les centres péniten-
centre pour des raisons de sécurité, et autonome d’Estrémadure. La loi tiaires apporteraient le personnel,
avec la supervision des professionnels 6/1997 considère comme comprises l’infrastructure, une participation
lors de leur utilisation par les détenus. dans le champ d’application de la loi budgétaire et l’organisation du service
« les bibliothèques publiques, qui sont en accord avec des directives propres
créées et maintenues par des organismes aux bibliothèques de prison. Le décret
Vers un nouveau et des entités publics, avec pour finalité de spécifie de plus que ces bibliothèques
modèle d’organisation fournir un service public sans préjuger des intégrées dans les anciens centres
normes propres qui affectent les bibliothè- coordinateurs de bibliothèques s’in-
des bibliothèques ques conservant un statut étatique, même corporent d’emblée formellement au
de prison lorsque leur gestion a été prise en charge système actuel.
par la communauté autonome 9 ». La question est déjà d’actualité
L’analyse de la situation des servi- Cette loi envisage également, pour dans une bibliothèque de prison de la
ces de bibliothèques de prison en Es- des populations de lecteurs inférieures communauté autonome, et les autres
pagne 8 nous permet d’affirmer que le à 1 000 habitants, des services de base bibliothèques de prison de la région
modèle actuel d’organisation ne fonc- favorisant l’emprunt et la lecture. Le devraient tirer bénéfice de l’applica-
tionne pas correctement : personnel décret 134/1998, par lequel est établi tion de ce nouveau modèle d’organisa-
non spécialisé en charge de ces biblio-
thèques, absence de budget propre, do-
le processus d’intégration des centres
et services dans le système documen-
tion.•
tation irrégulière de fonds, formation taire d’Estrémadure, afin de garantir Juillet 2008
également intermittente, organisation la culture pour tous, établit, pour toute
des services en fonction du personnel bibliothèque de la région, les procédu-
non spécialisé qui se trouve en charge res à suivre et les conditions nécessai-
du service, absence de normes techni- res pour l’intégration au réseau à par-
ques effectives, collaboration au bon tir de la signature d’accords entre la
gré de la bibliothèque la plus proche Consejeria de cultura et l’institution qui
du centre pénitentiaire. en ferait la demande 10.
Les relations avec les institutions De cette façon, une fois formalisé
qui constituent le réseau de lecture l’accord entre les institutions péni-
publique devraient se concrétiser en tentiaires, les bibliothèques de prison
un engagement plus ferme de collabo- existant dans cette communauté auto-
ration. Cet engagement pourrait être nome deviendraient partie intégrante
effectif à travers l’application des dis- du réseau de lecture publique de la
positifs déjà en place dans les biblio- communauté et obtiendraient l’accès
thèques des différentes communautés à des services et des aides de la part
autonomes et à travers l’établissement de la Consejeria de Cultura. Selon le
d’accords entre institutions. Selon ces décret 134/1998, les institutions péni-
accords, les institutions pénitentiaires tentiaires devraient mettre en route la
s’engageraient à prendre en charge demande d’intégration selon la mar-
un responsable pour la bibliothèque, che indiquée, satisfaire aux exigences
la dotation d’infrastructures et de minimales de collections et de services
budgets, ainsi que l’organisation d’un avalisés par une certification technique
service de bibliothèque dans chaque de la bibliothèque ; elles devraient en
centre pénitentiaire. De son côté, la outre s’engager à élaborer des règles
communauté autonome, à travers de fonctionnement interne adaptées à
les organismes compétents, offrirait celles de la communauté, approuvées
conseil et formation du personnel, par la Consejeria de Cultura, en harmo-
actualisation des collections, partici- nie avec les directives spécifiques et
pation à des réseaux de bibliothèques
ainsi que la collaboration avec la bi-

9. Loi 6/1997, 29 mai, de Bibliotecas de


8. Margarita Pérez Pulido, Andreu Sulé Duesa, Estremadura. Titulo I art. 3.1. y Titulo II art. 2.9.
« Les bibliothèques de prison en Espagne : 10. Décret 134/1998, 11 novembre, par lequel
une proposition d’amélioration de la gestion est établi le processus d’intégration de centres
et de mise à profit des ressources », in Foro et services de bibliothèques dans le système
Biblioteca y sociedad : experiencias de innovación bibliothécaire d’Estrémadure. DOE 134,
y mejora,
mejora, Murcia, Universidad, 2004. 21 novembre 1998.

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